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Revue philosophique de la France et de l'étranger Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Vernon Lee Sympathie Esthétique

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Article sur l'empathie esthétique de Lipps par Vernon Lee, très complet et pertinent.

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  • Revue philosophique dela France et de

    l'tranger

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

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  • Revue philosophique de la France et de l'tranger. 1876.

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  • LA SYMPATHIE ESTHTIQUED'APRS TH. LIPPS 1

    1

    La constitution du nouveau livre de M. Thodore Lipps m'oblige

    renoncer au compte rendu exact que j'aurais voulu en donner auxlecteurs de la ReuMe philosophique. Cette Psychologie du Beau etde l'Art dont le volume actuel porte le sous-titre La contemplation

    esthtique et l'art plastique ne traite en somme que de l'hypothsede l'Em/M/~ungf, laquelle M. Lipps avait dj consacr deux forts

    volumes. Mais ce sujet y est trait dans une demi-douzaine d'essais,de leons et de confrences rpondant videmment des polmiqueset des interrogations fortuites, et sans aucun souci d'unit, voire

    mme d'ordre. Cette faon de rassembler, sans mme les relier parune introduction, des tudes, qu'on me passe le mot, des tentatives

    d'exploitation, d'une seule ide, a certes l'avantage de prsenter la

    mme pense sous beaucoup d'angles diffrents; mais elle oblige le

    lecteur faire lui-mme un travail de synthse et d'limination; et

    elle ncessite de la part du critique soit la reconstruction neuf du

    systme de l'auteur, ce qui exclut tout commentaire suivi, soit l'ana-

    lyse, chapitre par chapitre et section par section, c'est--dire untravail aussi chaotique que le volume lui-mme.

    Mise en demeure d'envisager ma besogne, j'ai prfr renvoyer le

    lecteur mes tudes prcdentes sur l'esthtique de M. Lipps o il

    trouvera un expos gnral de la thorie de l'EtM/M~UKgf, ce qui me

    permet de dmler dans les pages suivantes le vritable apport fait

    par~M. Lipps une psychologie du beau, d'avec des dtails qui ne me

    semblent pas tenir devant une critique base sur ce que j'oserais

    appeler l'esthtique positive. !I m'importe non seulement de montrerce qu'il faudrait accepter et ce qu'il faudrait soumettre un examen

    ultrieur et plus vigoureux, mais aussi de faire voir la mthode

    employe par M. Lipps, et d'y comparer, chemin faisant, la mthode

    amenant les rectifications et les interrogations que je soumettrai

    sinon M. Lipps, du moins aux lecteurs de la Revue philosophique.

    1. THEODOR Lipps Die a'6'

  • VERNON LEE. t.A SYMPATHIE ESTHTIQUE 615

    Ainsi que je l'ai fait ressortir dans mes tudes prcdentes sur

    l'esthtique allemande contemporaine M. Lipps a jet les bases

    d'une nouvelle et vritable philosophie du beau et de l'art, en formu-

    lant son hypothse de l'~m/u/~MKg; hypothse qu'on pourrait com-

    parer celle de la slection naturelle par son originalit et sa

    porte. Appliquer l'ide de l'E'i~M/~UM~, tel sera Je procd principal

    par lequel l'esthtique de l'avenir rsoudra les problmes de la mor-

    phologie et de l'volution artistiques; analyser vrifier, ramener le

    phnomne de l'M/M/t!ut~ des phnomnes lmentaires de l'es-

    prit, tel sera la principale besogne de la psychologie applique aux

    activits esthtiques. Nouveau Darwin (et non sans avoir des nouveaux

    Wallaces) M. Lipps nous a donn l'hypothse de l'Et~/M~u~; exa-

    minons ce que lui-mme a fait de sa dcouverte, et ce qu'il importe

    que nous en fassions.

    Il

    D'abord, rappelons aux lecteurs de mes autres tudes sur M. Lipps,expliquons ceux qui ne les connatraient point, ce qui se cache souscette formule bien tudesque et un peu bizarre l'm//~un~. Ce mot,

    compos de /'M/t

  • REVUE PHILOSOPHIQUE6~66

    sentiments que la branche d'arbre ne ressentait point; c'taient lessentiments que nous aurions eu non pas en devenant branche mais en

    transportant dans ta branche notre propre nature humaine. Cetteconstatation est le point de dpart de la thorie de l'Etn/M/i.ten de Lippsou plus exactement, c'est le point de conjonction entre sa faon d'em-

    ployer le verbe Einfhlen et le sens usuel de ce mode. Lorsqu'on met la place de quelqu'un cette place, c'est--dire les sentiments que fontnaitre telle ou telle circonstance, ce sont des sentiments connus

    directement de nous, prouvs par nous dans notre pass; et quenous attribuons, pour une raison quelconque (il sera ncessaire derevenir sur ce point) un autre que nous Oue cet autre soit, plus oumoins littralement, notre semblable, que ce soit la perception d'uneressemblance qui nous suggre cette attribution, et qu'enfin cetteattribution des donnes directes de notre exprience se rencontre avecla ralit des faits; ou bien que la personne, la chose, laquelle nousattribuons nos propres tats, soit plus ou moins dissemblable denous et incapable de ressentir ce que nous ressentirions sa place, et

    que l'attribution de notre exprience ne rponde nullement la ralit;bref, qu'il s'agisse d'un fait vrifiable ou d'une analogie partielleexploite par notre imagination, cet acte prliminaire de toute

    sympathie (dans le sens littral du mot) repose sur le rveil d'imagessubjectives dues notre exprience intime, et emmagasines l'tat

    plus ou moins abstrait, dans ce que nous appelons notre mmoire. Il

    importe d'insister sur ce fait psychologique lmentaire, car il expliquela nature essentielle de tout mouvement sympathique; et,ce qui nous

    occupe en ce moment, de tout ce que la langue allemande avant ouavec M. Lipps, entend sous le motd'Etn/M/ttun~.CarIestatsattribuspar nous la personne ou la chose dont nous prenons connaissance,les tats que nous croyons reconnatre en elle, tant nos tats

    nOMS. le rveil de ces tats passs sera accompagn en nous par des

    phnomnes de satisfaction ou de dissatisfaction dont l'intensit

    rpondra la vivacit plus ou moins grande de ce rveil mmorial, et la prsence ou l'absence d'autres tats capables de corroborer ou

    d'enrayer ce rveil. Nous sentons le plaisir ou le dplaisir de l'tat

    subjectif que nous reconnaissons ou que nous imaginons, parce quecet tat subjectif a t le ntre et redevient le ntre lorsque nous l'attri-buons. l' d'autres termes tout phnomne subjectif, motion, senti-

    ment, lut de bien-tre ou de malaise, etc., ne peut tre connu quedirectement et en tant que donne de notre exprience intime; ds

    lors, ce que nous prenons pour l'aperception de son existence endehors de nous, n'est que la conscience de sa reviviscence forte oufaible en nous. Rptons-le: l'Em/u/ttuns;, c'est--dire l'attribution denos tats au non-moi, est accompagne de satisfaction ou de dissatis-faction parce qu'elle se passe en nous. Or, il existe une catgorie decette attribution de nos tats au non-moi, qui se spcialise par le fait

    que ce non-moi n'est point t susceptible des tats que nous lui attribuons.

  • VERNON LEE. LA SYMPATHIE ESTHTIQUE en

    Je fais allusion l'attribution de mouvements, d'tats moteurs et

    mme d'intuitions de volition, d'effort, bref de caractre et de sensi-

    lit aux formes visibles et stables. Qu'on me permette un exemple,

    qui est aussi une citation du premier livre de M. Lipps.< L'abacus dorique s'largit en comparaison avec la colonne, et

    semble par consquent cder la pression de l'entablement et s'largiren flchissant. Mais tout en cdant ainsi il se concentre vigoureuse-ment ,'as.st Stch zugleich .R'ra/'tuo~ Zusamtnen) et tient tte ~ehauptetsich contre cette action du poids superpos. C'est ainsi qu'il constitue

    l'intermdiaire capable de rsistance entre la pousse verticale de la

    colonne et le poids de la toiture concentr dans l'architrave.

    Mais. objective le lecteur voil simplement la description du jeu des

    forces mcaniques tel qu'il se produit dans l'ordre Dorique. Ce jeu de

    /'o?'ce. nous est sans doute bien connu, et spcialement vis--vis d'un

    difice d'ordre Dorique. Mais o se produit ce jeu de forces? Est-ce

    dans la pierre dont se compose l'difice matriel? Cette pierre a des

    qualits de pesanteur et de cohsion, et ces qualits ont des limites

    la pesanteur de la partie superpose pourra, dans de certaines positions,

    surpasser la cohsion de la partie infrieure; alors celle-ci se fendra,et l'difice pourra mme s'crouler. Mais la pierre ne pourra ni ployer,ni.se cu~ce~rc'r m~oureMsement, ni tenir tte contre une activit.

    La pierre ne connat ni pousse, ni rsistance. En nous servant de ces

    expressions nous cdons l'habitude, au besoin, d'appliquer les modes

    de notre existence pour nous rendre compte du monde extrieur. Cette

    tendance de notre esprit, notons-la en passant, car elle nous servirade !il conducteur dans les replis souvent obscurs de notre sujet. Bref,

    lorsque nous appliquons des difices ou leurs dtails des termes

    tels que se dresse)', s'~anco-, s'tendre, s'targn-, se resserre)', etc., il

    est vident que ce n'est pas leur partie matrielle, pierre, brique ou

    bois. que nous faisons allusion, mais leur /b)'me. Continuons nos

    exemples, emprunts au premier livre de M. Lipps. La colonne entire, aprs s'tre largie sa base pour s'adapter au

    soi, se concentre dans son fut pour monter verticalement avec uneconcentration d'nergie, une rapidit, et une scurit correspondanta cette concentration, Nous comprenons parfaitement le sens de ces

    mots, et, pour peu que nous ayons la mmoire visuelle et l'habitudede l'architecture, ils nous procureront la vision intrieure des formesen question. Tout cela rentre dans nos habitudes quotidiennes, et n'arien de nouveau. Mais demandons-nous en quel sens une forme archi-

    tectonique, c'est--dire un ensemble donn de lignes et de plans,peut accomplir des actions que nous avons reconnues impossiblesdans la pierre, la brique, enfin dans la matire en qui cette forme

    nous est prsente?11 nous faudra convenir que la forme visible, construite en pierre,

    ou simplement dessine sur papier, est, elle aussi, incapable d'action, moins que nous donnions un sens littral et inexact l'expression

  • REVUE PHILOSOPHIE6J8

    agir sur nos perceptions . La forme existe; elle n'agit point; cesont nos facults au contraire qui agissent en nous fournissant les

    rapports constituant cette forme. Ainsi plus nous analysons, plusnous reconnaissons la prsence d'activit de notre part, l'absence

    d'activit de la part de la forme.

    De plus Facture se dploie dans le temps et se dcompose en

    moments successifs; et en parlant de la colonne, c'est--dire la y'ormede la colonne, en termes d'actu~, nous en avons parl aussi en

    termes de temps; nous en sommes venus jusqu' attribuer cette

    colonne, cette forme immobile, dont toutes les parties coexistent

    sans changement, des modes de mouvement, de la rapidit et de la

    scurit dans une action qu'elle est cense accomplir; et cette action

    nous l'avons subdivise en moments successifs! l

    Que s'est-il pass, et que signifie cette suite de mensonges univer-

    sellement accepte dans notre langage mme le plus exact?

    Cela signifie notre inhabilit de penser autrement qu'en termes de

    notre propre exprience; l'inhabilit nous rendre compte du non-HtOt sinon par des donnes de notre conscience successton, mouM-

    ment, activit, et leurs modalits diverses. L'existence temporelleattribue cette forme n'existant que dans l'espace, c'est notre exis-

    tence dans le temps; la suite de moments attribue aux qualitscoexistantes de cette forme c'est la suite dans nos impressions; le

    mouvement, la rapidit, la scurit, appartiennent non pas la forme,mais notre prise de possession de cette forme; et l'activit dont

    nous parlons, c'est la ntre. Le caractre srieux ou gai d'un rythme dit M. Lipps (Raum-

    aes~e~'A) l'ampleur, la gravit, le caractre reposant. des

    sons musicaux; la profondeur, la chaleur ou la froideur d'un coloris; ivoil des qualits n'appartenant point au rythme, aux sons ou aux

    couleurs perus; en d'autres termes, voil des qualits qui n'existent

    point dans ces contenus de notre conscience pris en eux-mmes. Je

    n'coute pas le caractre srieux ou gai lorsque je prte l'oreille

    une suite de syllabes accentues ou inaccentues; je n'entends pasnon plus la pauvret, la plnitude, l'ampleur et le repos, en coutant

    un son; je ne vois pas la profondeur, la chaleur ou la froideur en

    voyant la couleur. Ces mots expriment la faon dont s'meut ma sen-

    sibilit intrieure au moment de percevoir les sons et les couleurs;ces mots dsignent le caractre affectif du processus perceptuel

    Or ce processus simplement perceptuel, il s'associe le plus sou-

    vent, un processus explicatif l'aperception complte d'une chose

    renferme des actes de comparaison non seulement entre les sensa-

    tions lmentaires produites par cette chose, mais aussi des actes de

    rfrence de nos impressions actuelles des impressions passes;se rendre compte d'une existence ou d'une qualit, c'est la relier avec

    d'autres existences et d'autres qualits c'est une intgration de

    l'aperception nouvelle dans une synthse pralable.

  • VERNON LEE. LA SYMPATHIE ESTHTIQUE 619

    L'aperception d'une forme renferme donc, autour du noyau de

    simples sensations, la conscience du processus psychique, du mode

    plus ou moins facile, plus ou moins continu, rgulier ou nergique,de ce processus psychique; et ds lors, comme le fait observer

    AI. Lipps, la conscience du caractre affectif de ce processus. Mais

    l'aperception d'une forme renferme en outre la rfrence de notre

    processus psychique d'autres processus nous intgrons la syn-thse de nos activits actuelles dans une synthse dj connue et

    analogue; et notre conscience de faire effort, de ployer ou de se

    redresser, de cder ou de rsister la pesanteur, de nous quilibrer,de nous diriger en hauteur, en profondeur ou en largeur, se com-

    plique de l'exprience antrieure d'tats ressemblants, et s'enrichit

    des concomitances spciales cette exprience. Ainsi, lorsque deux

    lignes se rencontrent, les modes d'activit dont nous avons con-

    science dans 1 aperception plus ou moins rapide, facile et continue de

    leurs rapports, se compliquent des modes d'activit dont nous avons

    eu conscience l'occasion d'une rencontre semblable entre notre

    corps et des corps trangers nous expliquons donc les rapports de

    ces lignes dans l'espace en termes de mouvements dans le temps,nous leur attribuons non seu)ementl'qui)ibre,ladirection, une Ct~M.se,un

  • REVUE PIIILOSOPHIQUE620

    mne esthtique. Et c'est ce processus que M. Lipps a appliqu leterme, dj usit dans sa langue, d'E'm/'/~MKgf.

    III

    L'expression aesthetische Einfuhlung avait l'avantage de relierau phnomne psychologique d'une certaine complexit et d'un genre

    peu tudi, des faits d'observation journalire. Mais cet avantageest rachet par le rappel sur cette ide nouvelle et scientifique desconnotations d'une expression ayant servi dans d'autres circonstances.

    L'Em/M/~un(y est devenue plus acceptable grce son nom; mais

    elle n'est pas reste la mme. Le verbe sich einfhlen littrale-

    ment ~'ntt'er pa?' te sentiment dans quelque chose ou quelqu'un,

    implique par son mode rflchi, l'ide d'un Moi qui entre dans le

    non-moi; et cette implication, l'esprit de M. Lipps semble l'avoirsubi. Admise d'une faon toute conventionnelle dans son premier livresur l'esthtique des formes spatiales, cette ide latente dans le mot

    Etrt/u~nfng a grandi avec les dveloppements de l'hypothse dans

    les deux volumes sur l'esthtique en gnral dont le second nous

    occupe en ce moment. Le moi grammatical impliqu dans la forme

    du verbe, est devenu peu peu un moi mtaphysique ayant une

    nature, une unit. M. Lipps en est arriv parler couramment de la

    projection de notre moi dans l'objet ou la forme vue ich /Mhfe mich

    t;n', rpte-t-il tout propos; et cet tc/t, ce moi, devenant de plus en

    plus personnel, finit presque par participer aux conditions qu'il a

    cres dans le non-moi et en ressentir le contre-coup comme un

    enfant chercherait imiter les mouvements de l'ombre projete parlui-mme.

    Suis-je injuste en attribuant M. Lipps un peu de mythologie

    mtaphysique? Certes, beaucoup de moments, surtout lorsqu'il se

    borne aux problmes des formes lmentaires qu'il a tudi si magis-tralement, M. Lipps conoit l'Em/u~MHgf, et l'explique beaucoupde reprises, comme phnomne psychologique de reviviscence et de

    projection de nos tats passs. Mais, ainsi qu'il se passe pour toute

    mythologie, les instants, si j'ose m'exprimer ainsi, mythologiquessont l'tat intermittent on croit et on ne croit pas; avec le rsultat

    de laisser une impression incertaine, confuse, o flottent des peut-tre fcheux.

    < Tout ce que nous apercevons dans le monde inanim (in der unbe-

    seeltcn Welt dit M. Lipps ~p. 399 et suiv.), n'est que simple tre et

    devenir. Mais cet tre et ce devenir, nous l'apercevons et nous nous

    en rendons compte (nehmen wir wahr und fassen es anf), c'est--dire

    que nous le faisons ntre par un procd intellectuel. Mais, continue

    M. Lipps, en tant que nous faisons ceci, nous remplissons les phno-

  • VERNON LEE. LA SYMPATHIE ESTHTIQUE 621 1

    mnes aperus avec notre activit, avec notre vie, notre force, b!'e~'avec noMS-)Ttmes .

    Cette citation est un exemple de l'empitement graduel sur des

    vrits videntes d'une assertion demandant tre soumise un con-

    trle rigoureux. Certes, en nous rendant compte d'ut phnomne,nous lui appliquons des donnes de notre exprience. Dans les cas

    prvus par M. Lipps, nous attribuons ce phnomne des modes

    modes emprunts nos activits; activits qui nous sont connues

    parce qu'elles sont les ntres. Mais entre attribuer des modes de

    notre activit, attribuer des activits nous appartenant, et attribuer

    notre activit, il y a une diffrence dont il faut tenir compte. En effet,

    ayant transform l'attribution d'activits que nous connaissons en

    tant que ntres en projection de no~'e acft'utt, M. Lipps, continuant

    prendre la partie pour le tout, transforme notre activit en notre vie,notre force, pour terminer ce crescendo par une dernire transforma-

    tion notre vie, notre /'orce devient < nous-mmes (uns setbt). Dira-

    t-on que ce ne sont l que des faons de parler, et qu'il ne faut pass'acharner sur des expressions? C'est que chez les penseurs abstraits,les d/ott'sscurs, comme M. Lipps, la faon de parler, l'expression,devient elle-mme sujette l'analyse et qu'on en tire des dductions.

    Parler n'attribuer aux pnnomenes des activits ou plutt des modes

    d'ncttL'tt. c'est se borner aux donnes de l'observation psychologiquenous nous rendons compte d'avoir des modes d'activit et d'interprterles phnomnes extrieurs en termes de ces modes. Mais parler de

    projeter nous-mmes dans des phnomnes e.vtrteurs, c'est pos-tuler d'abord l'unit, l'entit d'un moi; c'est aussi formuler un fait

    psychologique qui ne s'accorde point avec les donnes de notre con-science. On serait en droit de demander d'abord de quelle faon te

    m', en admettant son existence littrale, pourrait se dpouiller ducaractre subjectif, intrieur, qui lui est propre pour se revtir ducaractre objectif et extrieur du non-moi dans lequel il est cens tre

    entr:' Mme en laissant de ct cette difficult l'allure un pcu tho-

    loeiquc. oserait-on affirmer que l'exprience intime nous fournit des

    exemples d'un tel transfert du moi dans le non-mot? Que le sentimentdu moi, s'allie au sens de l'effort, plusieurs psychologistes l'ont

    affirm; que le sentiment du moi s'vanouisse dans les instants de

    grande absorption dans une activit quelconque, le langage popu-laire semblerait l'indiquer; tout ce qu'on peut affirmer c'est quelorsque l'attention se concentre sur un objet en dehors de nous, cetteattention s'occupe proportionnellement peu de ce qui se passe ennous-nime. Mais qu'une telle absorption dans le non-moi, un telvanouissement du sentiment du moi et de ses fonctions soit invi-table dans le phnomne de l'Et~/u/~ung, voil une assertion dpas-sant l'exprience psychologique, et se heurtant mme, dans certainscas. aux donnes de cette exprience. Expliquer le plaisir ou le

    dplaisir accompagnant l'aperception de telle ou telle forme par l'en-

  • REVUE PHILOSOPHIQUE6~22

    tre de notre mot dans cette forme, voil une analogie avec des ph-nomnes concrets, une faon de penser mtaphorique sduisante

    pour des esprits plus littraires que philosophiques, mais laquelleM. Lipps ne devrait pas prter son appui en se servant d'expressionsaussi inexactes que pittoresques. Et nous sommes loin de supposerque M. Lipps ait pu lui-mme donner dans ce pige mtaphorique.Mais le moi d'Em/u/i~Kgr conduit directement ce guet-apens, etrend plus difficile suivre le processus rel qui se cache sous cette

    expression. Ce processus, c'est celui que nous avons dcrit dans nos

    premires pages le processus de l'interprtation des formes visiblesen termes de nos propres activits, de mme que nous interprtonstoutes les donnes extrieures en termes de notre exprience, pro-cessus qui impHque une reviviscence plus ou moins nette d'tats

    moteurs antrieurs, et ds lors des possibilits de jouissance ou de

    dplaisir se rattachant ces tats.

    M. Lipps n'explique-t-il pas la satisfaction et la dissatisfaction

    esthtiques parce mme procd? Sans doute, puisque c'est M. Lipps,

    qui, le premier a indiqu le phnomne de l'Etn/~u~, et que le

    procd que nous venons de dcrire se cache sous ce phnomne de

    l'Em/'M/t

  • VERNON LEE. LA SYMPATHIE ESTHTIQUE 623

    Cette mtaphore ne serait pas inapplicable, mais elle ferait oublier

    que le moi n'est pas une entit discrte, un personnage pouvantentrer et sortir sa cuise d'un milieu ambiant, mais un groupementde phnomnes subjectifs~ ou plutt, un sentiment d'ordre spcial

    prsent d'une faon intermittente dans la conscience. Et cette mta-

    phore ferait oublier aussi que uvre d'art est le nom donn tantt

    un objet existant en dehors de nous, tantt l'image que nous nous

    en faisons et l'tat intrieur accompagnant l'aperception de cet

    objet. Or ce n'est qu'en ce dernier sens que l'uvre d'art possde une

    vie il laquelle nous puissions participer; et toute la part de vrit

    qu'il y a dans l'hypothse de l'Et~/u/~un~ se rapporte l'existence

    subjective de l'uvre d'art, c'est--dire l'ide que nous nous en

    faisons, ide compose en partie de nos expriences de vie et d'acti-

    vit: j'oserai prciser davantage, compose en partie des expriencesde mouvements de notre corps.

    C'est cette dernire possibilit dont M. Lipps ne veut absolument

    pas entendre parler, et laquelle M- Lipps semble constamment

    proccup fermer toutes les avances. On pourrait presque croire

    que c'est la rpugnance admettre la participation du corps dans le

    phnomne de l'.E'

  • REVUE PHILOSOPHIQUE6~4 4

    ainsi dire, ce que nous nous attendons voir, parce que nous sommes

    dans cette attente et parce que la ralit ne la contrecarre pasAinsi (Raumaesthetik, p. 337) il est impossible que nous ne pen-sions pas que l'largissement implique ncessairement un ralentisse-ment du mouvement vertical, et que, vice versa, le rtrcissement en

    sens horizontal n'implique pas une acclration du mouvement ver-tical . De mme (Raumaest/teft~, p. 260), < une pierre reposant sur

    une autre ne tombe pas. ce fait rveille en nous la reprsentationd'une contre-tendance, que nous attribuons au support de la pierre.Ou, plus correctement, et lorsque nous analysons ce qui se passe

    e~'ec~uement, la contre-tendance n'est que la ngation de notre

    attente de voir tomber cette pierre D.

    Demandons-nous de nouveau pourquoi il en serait ainsi? La Raum-

    aesthetik (p. 35) nous donne la rponse que voici t La vie quoti-dienne dmontre que nous sommes guids par des expriencesd'ordre mcanique aussi bien dans la pratique que dans nos juge-ments, sans que nous ayons un souvenir conscient du contenu de

    ces expriences. Il est donc certain que les expriences mcaniques

    passes agissent inconsciemment en nous. Lorsque les expriences

    passes appartenant la mme catgorie deviennent assez nom-

    breuses, elles se condensent en nous pour devenir une Loi. Et une

    fois condenses en une loi, ces expriences passes n'agissent plusen nous sparment mais seulement runies ainsi dans cette loi quiest la ralisation de ce qu'elles possdent d'lments communs. Et,de mme que nous n'avons pas conscience de l'exprience passe

    prise sparment, il n'est point ncessaire que nous ayons conscience

    de cette Loi. Quoique cette loi n'ait aucune existence intrinsque et

    isole, nanmoins elle agit en nous comme si elle existait effectivement.

    Elle agit en nous; c'e.si--dtre que nous lui soumettons les cas isols.

    Et non pas seulement les cas pareils ceux dont nous avons fait

    l'exprience dans notre pass, mais aussi des cas nouveaux et varis,

    pourvu toujours que ces cas nouveaux tombent sous cette mme loi.

    La dernire partie de cette chane d'explication est peut-tre

    exprime en termes un peu trop gnraux, mais le lecteur se rendra

    compte que dans tous les passages que nous venons maintenant de

    citer, M. Lipps fait de la psychologie base sur l'observation, et non

    point de la mtaphysique contenant des a priori. Dans tout ceci il

    n'est point question d'un mot entrant dans la chose vue pour s'ylaisser mouvoir par les activits manant de ce mme moi. L'Ein-

    /M/~un&, puisque M. Lipps se servait dj de ce nom, dpend de la

    condensation d'exprtenoes mcamques passes agissant dans le

    prsent comme loi effective, c'est--dire, traduit en termes de psycho-

    logie moderne, de rsidus d'tats moteurs ayant perdu par la rpti-tion les marques de leur provenance et de leur environnement; et les

    activits que nous attribuons aux formes aperues sont des activits

    devenues pour ainsi dire abstraites et se rveillant sans reviviscence

  • VERNON LEE. LA SYMPATHIE ESTHTIQUE 6'38

    TOME LXtV.

  • REVUE PHILOSOPHIQUE626

    celui-ci un mouvement de recul. Il semblerait y avoir eu plus encore;et ici force m'est de parler de moi-mme et d'un travail auquel j'aicollabor et qui a t publi en i89T, sous le titre de Beauty and

    ugliness 1. Ce travail, o j'avais donn un cadre psychologique auxdocuments fournis par un observateur d'une finesse esthtique hors

    ligne et d'une introspection suraigu, M. Austruther-Thomson, con-

    tenait, indpendamment de toute influence de M. Lipps que nous neconnaissions point encore, la dcouverte faite contemporainement

    par lui, par M. Groos et par nous, de l'attribution d'activits, voiremme de mouvements aux formes visibles, et la mise en valeur dece fait comme explication principale du plaisir et du dplaisir causs

    par la contemplation esthtique de ces formes. Jusqu'ici il semble-rait que la concidence de nos ides avec celles de M. Lipps, qui

    s'occupa de mon petit travail dans la Zeltschn~ fr Psycho-

    logie der Sinnesorgane, aurait d le corroborer dans les ides for-mules dans la Raumaesf/teit~. Mais, de mme que dans le cas deM. Groos, il s'unissait ces ressemblances de nos ides avec cellesde M. Lipps, des tendances qui taient faites pour lui dplaire.

    Novice encore dans la psychologie, je m'tais rallie avec un en-thousiasme aveugle l'hypothse dite de Lange-James; qui plus est,gnralisant sur les observations introspectives fournies par mon

    collaborateur, j'en avais tir la conclusion tout fait illgitime quedes phnomnes organiques aussi bien que des tats moteurs locali-sables accompagnent toujours dans la sous-conscience la perceptionde la forme visible, et enfin que le plaisir ou le dplaisir esthtiquen'taient que les noms donns des retentissements organiques produitspar ces mouvements inconscients dans les appareils musculaire, cir-culatoire et respiratoire, mouvements que l'auto-observation de moncollaborateur avait constats dans sa propre personne comme accom-

    pagnement de la perception visuelle trs intense. De la partie tho-

    rique de ce petit travail (la partie observation, due mon collabora-

    teur, et demand un contrle par l'exprimentation et la mthode des

    questionnaires) M. Lipps releva avec une nettet impitoyable tout ce

    qu'il y avait de confus, de fantastique, d'illogique, de prsomptueuxet d'insoutenable. Quoique injuste dans certains dtails, cette critiquede M. Lipps me fut d'une utilit trs grande dans mes travaux d'esth-

    tique. Elle l'et t davantage si, avant d'en prendre connaissance,l'tude de sa Raumaesthetik, dans laquelle je reconnus sur-le-chample fil conducteur travers tout ce sujet, n'avait pas dj fait passerau crible toutes les ides que j'avais eues auparavant. Sans qu'il s'en

    doutt, j'tais dj le disciple enthousiaste de M. Lipps, et la semonce

    qu'il m'infligea dans la Zeitschrift fr Psychologie der Sinnesorganen'en fut que plus sentie et plus efficace. Mais tandis que la critique demon travail m'avait t d'une si grande utilit, il semblerait qu'elle

    1. Co~emp

  • VERNON LEE. LA SYMPATHIE ESTHTIQUE 627

    eut sur l'esprit de M. Lipps un effet moins dsirable. Je trouve dans

    un chapitre (.Kt'tttscher Exkurs) de son nouveau livre des allusions

    mon Beau

  • REVUE PHILOSOPHIQUE628

    d'un commentaire du systme presque thologique dont la premirepage porte au commencement fut I'.Em/Mh!ut~ un professeurLipps qui traite d'hrtique et de pervers tous ceux qui cherchent lavrit par d'autres mthodes et dans d'autres prmisses; un professeurLipps surtout qui, la plus mince allusion au paralllisme psycho-physiologique, la plus petite vellit de rattacher les phnomnesdu Beau des tats organiques et des sensations nous crase d'unmot tout cela n'a rien voir avec l'Esthtique .

    Or c'est contre de telles prtentions qu'il s'agit de s'insurger. Il fauttudier et je voudrais que toute tude psychologique du Beau com-

    ment par cette tude il faut tudier les hypothses, les analyses,les dfinitions de M. Lipps; plus on le fera avec amour mais avec

    indpendance, plus on y trouvera d'ides justes et fcondes. Mais ilfaut tudier M. Lipps pour le continuer et le corriger, j'ose mmeaffirmer que ce ne sera que par un lent travail de correction, travailo s'uniront toutes les mthodes et toutes les individualits, que lesrichesses de la pense de M. Lipps pourront tre mises en valeur etmme convenablement apprcies.

    11 faut, d'un ct, appliquer l'ide de l'.Etn/u/~UMgf (aprs l'avoir

    dpouille de tout ce qui n'est pas purement psychologique, et aprslui avoir enicv son nom intraduisible et ambigu) toutes les branchesde l'art, toutes les catgories de la forme, suivre l'exemple magistralde M. Lipps dans ses tudes (nouveau volume) sur les formes lmen-taires de l'architecture et de la cramique en ramenant les formes certains types reprsentant ces jeux de forces esthtiques. D'un ctse fera donc la classification analytique de ces schmes lmentaires,de ces lments de toute forme visible, dont le calcul de M. Lippsporte le nombre 1620; de l'autre, on procdera au dnombrement

    statistique de ces diffrents schmes esthtiques lmentaires dansl'art de tous les sicles et de tous les temps; cette morphologie artis-

    tique frayera le chemin une tude des transformations de la forme,laquelle constituera dans l'avenir la vritable histoire de l'art.

    L'exemple de M. Lipps aura donc cr ce que j'appellerai l'esthtiqueobjective en mettant la base de toute morphologie artistique le ph-nomne de l'Einfhlung comme explication des prfrences et des

    rpulsions dans le domaine de la forme; ou envisag objectivement,comme explication de la prdominance de certaines catgories deforme et de la tendance l'limination des catgories esthtique-ment opposes.

    11 restera cependant une moiti des problmes de l'esthtique.L'.E't'u~Mngr n'explique pas tout dans le phnomne artistique il ya dans les rapports de la forme avec ce qu'elle reprsente ou suggretout un fouillis de problmes psychologiques o le jugement, la recon-naissance jouent le premier rle. Il faudra mettre fin la confusion

    (existant parfois mme chez M. Lipps) non seulement entre la formede l'objet reprsenl, c'est--dire la structure anatomique, matrielle,

  • VERNON LEE. LA SYMPATHIE ESTHETIQUE 629

    effective, et la /'(j)'me est/tttque reprsentant c'est--dire rappelant un

    aspect de cet objet reprsent. Il faudra mmeempcherdes confusions

    aussi grossires que celle faisant classifier parmi les problmes plas-tiques la question logique s'il faut mettre une couronne de bronze surune tte en marbre, et (ce qui est pis encore) s'il est admissible decoucher une figure sur le socle qui en supporte une autre. Sur ce vaste

    et obscur terrain des rapport de la forme esthtique avec l'ide de

    l'objet qu'elle reprsente, l'hypothse de l'Etn/u/~UHg ne saura servirde III conducteur.

    M y a plus. Si nous envisagons l'esthtique comme partie intgrantede la psychologie, ainsi que le fait avec raison M. Lipps, dont le livre

    s'intitule Psychologie du beau et de l'art M, nous avons le droit, sinon

    le devoir d'envisager le phnomne de l'E?'M/uhhtn;y non plus comme

    une cause explicative, mais aussi comme un effet demandant tre

    expliqu. Il ne suffit pas de rpter que l'Em/uhtut~ est accompagnede plaisir ou de dplaisir selon que les activits mises en branle

    sont agrables ou non. Nous avons le droit de demander (beaucoupde savants le demandent d'une faon peu flatteuse pour l'art et lebeau!~ quelle peut tre l'utilit, et ds lors la raison du dveloppe-ment plutt que l'limination de cette mise en jeu d'activits ne pro-duisant aucun rsultat pratique, en d'autres termes quel avantagel'individu et la race rapportent-ils de ce phnomne si singulier de

    l'Etn/'n/~tf}~, et pourquoi les sensibilits esthtiques, n'aboutissant

    apparemment aucun avantage pratique, seraient-elles encouragespar l'implication d'un plaisir aussi vif, aussi volumineux et aussi

    durable? En quoi cette Etn/'uh~tK~ es~

  • REVUE PHILOSOPHIQUE630

    a eu lieu de constater en soi aux instants de contemplation esthtique? `?Non certes. Ce n'est qu'en tenant compte de ces faits qu'on pourra

    en dterminer le rapport avec les tats esthtiques, ou bien l'absencede tout rapport. Ces sensations musculaires ou organiques, dontM. Lipps ne nie point l'existence, sont-elles de simples rpercussionsdues aux activits que nous venons d'attribuer aux formes visibles?Sont-elles l'indice, le signe local, de processus nerveux faisant globeavec le substratum physique de ces activits revcues par nous avantd'tre ainsi attribues au non-moi? Sont-elles, ainsi que semble le penserM. Karl Groos', l'accompagnement dnotant l'activit esthtique la

    plus dveloppe et ragissant pour redoubler cette mme activit?Sont-elles au contraire, comme sembleraient l'tre les sensations

    laryngeales et glottiques des auditifs imparfaits, le fait d'une sensibi-lit esthtique rudimentaire cherchant se renforcer d'un second

    appel l'attention? Chacune de ces possibilits mriterait d'tretudie; le rsultat de cette tude jetterait beaucoup de lumire surle mcanisme psychophysiologique de l'Einfhlung, et, ds lors,sur la nature psychologique et la raison d'tre volutionnelle de ce

    phnomne si singulier. Elle pourrait ainsi clairer un point restobscur dans l'explication toute psychique de l'Einfhlung, c'est--direla provenance, dans le groupe de qualits attribues par nous auxformes visibles, des qualits de pesanteur et de direction; qualitsqui sembleraient, comme la chaleur et la froideur attribues selonM. Lipps aux couleurs, exiger de notre part la coopration d'tatsnettement sensoriels et musculaires avec les tats purement abstraitset pour ainsi dire spirituels, d'activit, d'effort et de rsistance dontM. Lipps fait consister la synthse subjective projete par nous dansla forme objective. Enfin, l'examen des tats de bien-tre ou de malaise

    physique plus ou moins nettement localisable dont certains sujets serendent compte pendant la contemplation esthtique, pourrait laisserdeviner la nature de l'avantage direct ou indirect pour la race grceauquel la facult esthtique a pu se dvelopper au lieu de s'tioler; etla raison, vis--vis de l'ide transformiste, du plaisir attach desactivits dont l'utilit pratique nous est actuellement cache. Le ph-nomne esthtique se complique, mme s'il ne dpend point des

    phnomnes de la mmoire, de l'attention, et surtout de la corres-

    pondance entre l'ide et le mouvement musculaire; la question du

    plaisir et du dplaisir rattachs l'interprtation esthtique desformes s'englobe, en dernier lieu, avec la question du plaisir et du

    dplaisir en gnral. S'interdire l'tude des concomitances physiolo-giques du phnomne esthtique, c'est exclure bien des hypothses,

    1. Karl Groos, ~?~Ac< p. 429. Dass wir motorischen in. der Uerberzeugungleben, einen intensiveren gerue zu haben ats solche, denen jede Kpertich,Resonanz fehlt. wird man Unbescheiden, aber doch wohl auch natrlich findengdenn die Verschmetzung mit Vergangenem ist ja bei unb esenfalls vorhanden;sswir Unterscheiden uno also durch ein Plus von den Anderen.

  • VERNON LEE. LA SYMPATHIE ESTHTIQUE 631

    et peut-tre bien des synthses de faits, portant sur le domaine entier

    de la psychologie. Quoi qu'en aient pens les esthticiens du xvm sicle

    et quelques retardataires modernes, l'esthtique ne servira jamais nous faire distinguer le beau d'avec le laid. Mais, en nous indiquantla raison des prfrences et des aversions intuitives rattaches aux

    qualits &eau

  • ANALYSES ET COMPTES RENDUS

    I. Philosophie gnrale.

    Alex. Th. Ormond. CONCEPTS OF PHILOSOPHY INTHREE PARTS ANA-

    LYSis, SYNTHESts, DEDUCTIONS. New-York, The Macmillan Company, 1906,

    lvol.in-8".xx!-722p.M. Ormond, professeur l'Universit de Princeton, avait dj

    publi un ouvrage important Foundation of knowledge. Celui dont

    j'ai m'occuper ici est encore plus considrable c'est l'expos de

    tout un systme de mtaphysique. Quelles que soient les rserves que

    je serai oblig de faire sur la valeur de ce systme, je ne saurais tropinsister d'abord sur les mrites de l'auteur. Son nouveau livre est

    sans doute un peu gros, et il aurait pu tre mieux compos, avec

    moins de longueurs et de rptitions. Mais il est, en gnral, facile et

    agrable lire. C'est l'oeuvre d'un noble esprit, la fois pris d'idal

    et trs inform. On sent que cette uvre a t en quelque sorte vcue

    et l'on n'est pas surpris que le professeur l'ait ddie ses lves

    d'autrefois et ceux d'aujourd'hui; avec qui les thories dveloppesdans ce volume ont t, pour la plupart, discutes. Nous avons l,comme on dit, une contribution trs intressante cette philosophieamricaine dont MM. James, Royce et Baldwin sont les reprsentantsles plus clbres. M. 0. ne dissimule pas ce qu'il leur doit. Mais il a

    son originalit propre; il a droit, si je ne me trompe, non loin de ces

    matres, un rang fort honorable, et qui est bien lui.

    Le mal de notre temps est la spcialisation excessive laquelle nous

    sommes condamns par le dveloppement indfini des recherches.

    Nous ne voyons plus avec nettet qu'un espace trs restreint de cet

    immense domaine; nous devenons de plus en plus incapables d'en

    saisir l'unit et nous sommes tous les jours plus loigns d'acqurirla notion exacte des valeurs relatives. Nous sommes alors fatalement

    exposs ou au dcouragement qui engendre l'indiffrence et le scepti-

    cisme, ou la tentation de faire prvaloir comme absolu et exclusif

    le point de vue o le hasard seul, bien souvent, nous a placs. La

    philosophie est donc plus ncessaire que jamais. Elle a encore

    aujourd'hui la tche qu'elle a toujours eue, celle de faire une vaste

    synthse. Elle doit s'appuyer, pour les dpasser, sur les rsultats

    actuels des sciences et embrasser, avec les vrits dfinitivement

    acquises, les croyances mmes par lesquelles se manifestent ter-

  • ANALYSES. ORMOXD. Concepts of philosophy 633

    nellement les convictions les plus profondes de l'humanit, la certi-

    tude thorique avec la foi. Elle doit arriver ainsi, par une sorte de

    dialectique, en passant successivement par le monde du sens commun

    et par celui de la science, jusqu' un monde mtaphysique dont la

    conception, rpondant la totalit de notre exprience, ne laisserait

    aucune question rsoudre. Telles sont, d'une part, les raisons quiont dcid M. 0. entreprendre une restauration de la philosophie,et, de l'autre, les lignes principales de l'difice qu'il a construit. On

    s'explique dj les trois divisions essentielles de son livre analyses,

    synthses et dductions.I) m'est impossible de suivre ici dans le dtail les dveloppements

    donns ces trois parties. Ils sont, certains gards, trs remar-

    quables, remplis d'observations ingnieuses, quelquefois bizarres,comme certaine tude psychologique du chien (p. 114 sq.) peut-tre

    capable d'avoir quelque vague notion de l'absolu (p. 11G); ils tmoi-

    gnent d'une connaissance approfondie des sciences physiques et natu-

    relles, bien qu'il soit peut-tre peu exact de dire que la lumire,l'lectricit, etc., aient jamais t srieusement considres comme

    des substances et des agents de phnomnes (p. 149'. On trouverait

    beaucoup louer dans la description ou la construction des synthses

    qui, en partant de l'activit physique, s'lvent, travers les mouve-

    ments organiques, l'activit consciente et les activits sociales, jusqu'la morale et la religion. Enfin les dductions sont fort belles, peut-tre mme trop belles en ce sens que les difficults auxquelles ont

    donn lieu de tous temps des problmes comme ceux de la libert,des rapports de Dieu et du monde, de l'immortalit de l'me, etc.,semblent s'vanouir dans l'entranement d'une pense qui s'est fait un

    monde et un Dieu son image. J'ai hte d'arriver ce qu'il y a, en

    effet, d'essentiel dans ce livre la conception du monde mtaphysique,

    conception qui prtend transformer, en absorbant et en lgitimant ce

    qu'ils ont de commun, le monde du simple bon sens et le monde de la

    science.

    L'homme de sens commun, the plain man, celui qui, par hypothse,n'a pas encore rflchi et dont la conscience agit spontanment,prend (et ceci est une assertion surprenante) les donnes des sens,non pas pour des symboles d'une ralit plus profonde, mais pour la

    ralit mme (p. lii). Notons d'ailleurs, continue M. 0., que quelles

    que soient plus tard nos conceptions scientifiques ou mtaphysiques,c'est l une manire de voir qui continuera de s'imposer au savant etau mtaphysicien lui-mme. Le plain tnan, qui subsiste en chacun de

    nous avec ses intrts pratiques, nous ramnera en arrire, car il

    n'est donn personne de vivre dans un monde purement scientifiqueet surtout dans un monde exclusivement mtaphysique tp. 152). Danstous les cas, malgr les diffrences qui les sparent, ces trois maniresde concevoir l'ensemble des choses gardent un trait commun. Lemonde est essentiellement pour tous galement un monde d'activits.