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_________...:...... Sciences sociales et.humaines
VERS UNE APPROCHE MODERNE DE LALINGUISTIQUE AFRICAINE
Par Léa Marie Laurence N'GORAN - POAMEMaître-Assistant à J'Université de BOUAKE
RESUME . ABSTRACT
Le présent article est une réflexion sur la question de la modernité à partir de la linguistiqueen général et la linguistique dite africaine enparticulier.
Ainsi, nous nous proposons de déterminer les critères principaux de la linguistique africaine qui l'inscrivent ausein et en marge de lascience linguistique, une science qui se veut résolument moderne et qui a les moyens d'assurer sa modernité.
Mais la question essentielle à laquellenous tentons de répondre en fin d'analyse est la
. suivante: que faire pour que la linguistique africaine puisse révolutionner sa condition de parente pauvre de la linguistique?
The present article is a reflexion on theissue of. modernity based on linguistics ingeneral and African linguistics in particular.
The aim of this paper is to determinethe main criteria of African linguistics whichmake it both part and on the fringe oflinguistics. Linguistics being a science that isresolutely modern and that equips itself toensure its modernity.
But the main question which we willtry to answeris : what schould be done to enableAfrican linguistics improve its condition ofpoor parent of linguistics?
MOTS-CLES :. . Linguistique, .linguisti, que africaine, modernité,
sciences du langage.
KEYWORDS: African linguistic,language sciences,linguistic, modernity.
INTRODUCTION
La simple formulation de notre sujet, quiautorise la rencontre de deux domaines de recher-. '.
che dont le premier, c'est-à-dire la modernité est endéconstruction-reconstruction' ,'et le second, la linguistique africaine qui semble évoluer en marge dela linguistique en général, fait problème. .
Mais ce caractèreproblématique est ce qui'permet justement de légitimer' à la fois la naturedes rapports que la linguistique africaine entretientavec la modernité et notre approche qui tient en despropositions ,de voies nouvelles ouvrant cette linguistique particulière sur la science linguistique.
. En effet, "de nos jours, le terme de linguistique ou l'expression sciences du langage servent à
.Rev;,du CAMES - Série B, vol. 006 N° :1-2,2004
désigner globalement les disciplines (sémantique,phonétique, phonologie, morphologie, syntaxe, sémiotique / sémiologie, analyse du discours, etc.) quiabordent l'un quelconque des aspects du langagenaturel dans cette perspective. Il s'agit de ce quel'on peut appeler la connaissance positive des langues naturelles et de la faculté de langage. Il faut yjoindre des approches plus interdisciplinairescomme la psycholinguistique', la sociolinguistique
, et l'étude des pathologies linguistiques' " ..
.'
1 Cf. A. Touraine, Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992., p. 11.0,
lit dans l'ouvrage: « Qu'est-ce que la modernité, dont la présence est sicentrale dans nos idées et nos pratiques depuis plus de trois siècles et qui estmise en cause, rejetée ou redéfinie aujourd'hui? » .Nous soulignons.zAuroux (S.), La philosophie du langage, Paris, PUF, 1996, pp. 3-4.
183
J Weka (V.), « La littérature togolaise» in Herzberger-Fofona (P.) [sous ladir. de], Ecrivains africains et identités culturelles, Tübingen, StauffenburgVerlag, 1989, P.112. ,4 Auroux (S.), Ibid.,p. 3.
, Mounin (G.), « Linguistique - Objet et méthodes », in EncyclopaediaUniversalis, Vol. 9, 1980, p. 1051.
Une telle définition implique que la caractérisation particulière de la linguistique, qu'elle soitcomparée ou structurale, française, américaine ouafricaine, est liée à un choix théorique ou langagier,
Autrement dit, le problème de l'existenceou non d'une linguistique africaine se pose sous unangle différent de celui de la littérature négro-africaine par exemple. Car si l'on en croit Victor Weka,«celle-ci ne peut être respectée que si elle s'exprimedans une langue africaine [... ]. La littérature africaine verra le jour quand elle sera en langues afrioaines' »,Le problème de la linguistique africaine se situe àun autre niveau dans la mesure où elle a déjà pourobjet les langues africaines. Ainsi, ce n'est nullement l'épithète « africaine» qui est mise en cause,mais l'inscription de la linguistique africaine dansla science dont elle revendique la dénomination, àsavoir la linguistique, qui se veut proprement scientifique et résolument moderne, c'est-à-dire en rupture avec ses traditions et en accord avec le progrèstechnique.
Engagée dans le processus continu et irréversible de la mondialisation, la linguistique africaine est, dans une certaine mesure, en passe d'êtreune science moderne. Mais ne porte-t-elle pas enelle les germes de l'avortement de sa modernité?Cette modernité, somme toute factice, l'inscrit-ellepour autant dans la science linguistique moderne?
Pour répondre à 'ces interrogations, nouscommencerons notre analyse par la déterminationdes éléments qui fondent la linguistique moderne.Nous examinerons ensuite les aspects de la linguistique africaine qui l'inscrivent dans le champ de lalinguistique moderne et ceux qui autorisent sonexclusion de ce champ. Cette seconde partie nousservira de viatique pour repenser la linguistique africaine que nous considérons, à juste titre, commel'enfant pauvre de la linguistique..
1. ELEMENTS DE LINGUISTIQUE
MODERNELa modernité de la linguistique est marquée par lasubstitution progressive du syntagme « sciences dulangage» au terme de linguistique. Cette préférencepour la nouvelle dénomination était sous-tendue parla volonté de poser la linguistique comme unescience plurielle ayant son objet et ses méthodes.Ecoutons à ce sujet S. Auroux: « Ce mot a commencé à être utilisé' en français en 1812, à partird'un modèle allemand apparu quelques. années
_____________________________ Sciences sociales et humaines
auparavant; son emploi s'est généralisé à partir de1840. Il désigne primitivement, comme la grammaire ou philologie comparée, l'étude des relationsgénétiques entre les langues. Par la suite (tournantXIXè -XXè') il en est venu à désigner l'ensembledes sciences du langage, y compris la grammaire.Dans cet usage, il conserve une connotation trèsnormative, puisqu'il comprend l'idée que la linguistique est une discipline unitaire et autonome dontles critères de scientificité sont plus ou moins ceuxdes sciences de la nature. Face à cette prétentionpositiviste, pour marquer l'hétérogénéité et la multiplicité des approches, on a tendance aujourd'huià utiliser l'expression sciences du langage" ».L'intégration de la grammaire à la linguistique étaitla preuve que les 'analyses linguistiques allaient audelà dé la simple détermination de l'ensemble despropriétés intrinsèques d'une langue. Le dépassement de la grammaire, au sens restreint du terme,permet déjà d'attester que la dynamique théoriqueest l'un des éléments notables qui fondent la modernité de la linguistique.1.1.La dynamique théorique totalisante .
D'un point de vue historique, la modernitélinguistique coïncide avec l'avènement de la linguistique générale. C'est en substance ce que sou
.tient G. Mounin quand il affirme: « Le tournant duXXème siècle est marqué par une nouvelle approchescientifique des faits de langage, celle que recouvre le terme linguistique générale. Non pas que desépoques antérieures aient ignoré l'ambition de formuler une théorie complète du phénomène linguistique [... ] mais on n'insistera jamais assez sur lefait que toutes ces tentatives des philosophes étaientet restent encore aujourd'hui démunies des connaissances objectives et systématiques sur la réalité desfaits de langue' ».
Cette nouvelle approche est donc marquée parla -renonciation au caractère purement pratique des
.analyses, à la visée essentiellement scolaire des travaux pour un supplément théorique, systématique.Cette linguistique moderne est « générale» parcequ'elle pose la langue comme U;11 phénomène naturel assujetti à une évolution certaine et se proposede dégager les lois générales qui sous-tendent l'or
'. ganisation du langage, l'ossature de toute langue.
.......~184 Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
.:'" 1
_J. 1. .. 1;6 Maingueneau (D.), Ibid., P..59..
, Cf. Introduction au Cours de linguistique générale de Tullio de Mauro inDe Saussure (E), Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1972, p. IV.
4 Cf. Chomsky (N.), Structures syntaxiques, Paris, Seuil, 1969 ; Aspects dela théorie syntaxique, Paris, Seuil, 1971. _.5 Maingueneau (D.), Aborder la linguistique, Paris, Seuil, 1996, p. 58'.
) Parret (H.), « Sémantique structurale et sémantique générative» in Pottier(B.) [sous la dir. de], Sémantique et logique, Paris, J. P. Delarge, 1976, p.
·86. .
De fait, pour se hisser au. rang des sciencesvéritables, la linguistique devait se soumettre auxexigences scientifiques. Ce qui implique la recherche de théories applicables à tous les faits.de langue, quels qu'ils soient etquel que soit I'angle sous
. . .' ,
lequel ils sont envisagés et l'assujettissement deces théories àun processus de rectification continu.D'où la prolifération des théories de la linguistiquemoderne, les unes naissant à partir des lacunes desautres et s'enrichissant en prenant pour point dedépart, le constat de leurs propres limites: « la sociolinguistique avec Meillet et Sommerfelt, [... ] lalinguistique psychologique avec Seschehaye, lesfonctionnalistes comme Frei et Martinet, lesinstitutionnalistes italiens comme Devoto etNencioni, les phonologues et structuralistes pragoiscomme Karcevskij, Trubeckoj et Jakobson, la linguistique mathématique avec Mandelbrot et Herdan,la sémantique avec Ullmann, Prieto, Trier, Lyons,la psycholinguistique avec Bresson et Osgood, leshistoricistes comme Pagliaro et Coseriu ; et encoreBloomfield (... ), Hjelmslev et son école glosséma-tique, Chomsky' ». 1
La sémantique générative par exemple s'estdonné pour objectif de combler les lacunes de lasémantique structurale jugée taxinomique,réductionniste et sans aucune référence à la syntaxe. C'est ce que soutient H. Parret à travers lespropos que voici: « Une certaine lecture de Saussure a permis à Chomsky d'affirmer que la syntaxeest inexistante en linguistique structurale puisquela formation de la phrase, étant un processus de création libre, appartient au champ de la parole' ».
Par ailleurs, les différentes formes de grammaire générative transformationnelle élaborées parNoam Chomsky lui-même attestent l'existenced'une dynamique théorique totalisante".
Il est important de souligner que la ruptureavec la linguistiquetraditionnelle ne s'applique passimplement à la nature générale des théories (cet. .aspect ayant été déjà formulé par la grammaire dePort-Royal),mais à leur caractère non spéculatif,systémique, fondé sur l'expérimentation rigoureusedes faits de langue, laquelle a été favorisée par leprogrès matériel. Nous nous acheminons ainsi versle deuxième élément déterminant dela modernitéde la linguistique: la modernisation destechniques.. '.
d'expérimentation.
1.2.La modernisation des techniques d'expérimentation
La linguistique a été profondément marquée
-----......,...-------------_--:....,............,... ........,._ Sciences sociales et humainespar le progrès technique, l'autre aspect de la modernité ..
En effet, le progrès matériel a doté la linguistique, dé nouveaux moyens·d'investigation. Cettemodernisation des. techniques d'expérimentations'est traduite par la création de laboratoires spécialisés dotés d'appareils électroniques extrêmementperformants (surtout dans le domaine de la phonétique), d'instruments capables de produire la structllre des sons sous la forme de spectrogrammes permettant ainsi aux linguistes d'avoir une image pré
.cise de chaque son, d'instruments de conservationet de .reproduçtion fiable de la parole. Le progrèsmatériel a ainsi permis la.naissance d'une véritablephonétique expérimentale.
A ces nouveaux procédés .d'investigation, ilfaut ajouter l'informatique dont le rôle dans le domainede la documentation et l'analyse linguisti
~ que est capital. Eneffet, grâce à sa capacité à prendre en compte ·un grand nombre de données et àeffectuer très simplement.un nombre important decalculs, elle facilite le traitement des faits de langue qui sont nombreux, complexes et soumis à uneévolution constante.
L'impact de la modernisation des techniquesest surtout considérable dans le domaine de la linguistique appliquée. Et sur ce point, l'on s'accordeavec Dominique Maingueneau quand· il affirme:«Le développement de l'informatique a bouleverséla linguistique appliquée. On voit aujourd'hui apparaître ce qu'on appelle des industries de languequivontcroître considérablement dans les décennies à venir' ».. .
En effet, l'informatique a permis aux linguis-tes de réaliser des banques de données, véritablestrésors linguistiques; de mettre au point des logiciels capables de traduire des énoncés dans plusieurslangues (domaine de la traduction automatique),"des langues de programmation ou de communication avec l'utilisateur d'ordinateur qui soient proches du fonctionnement des langues naturelles" " .
Revue du-CA.MES.,... Série n;vol. 006 N° 1-2,ïoo'4. 185
II.1 Le statut des langues africainesLes langues africaines, longtemps accompa
gnées de préjugés, sont restées jusqu'à une date récente, loin des préoccupations des linguistes nonafricains et cela, malgré les tâches que s'était assi-gnéla linguistique générale. '
Il faut croire que leur statut de langues orales, sans écriture pour certaines ou sans écritureuniforme pour d'autres, supplantées dans presquetous les pays africains par la langue du' colonisateur, ne pouvait militer en faveur d'un intérêt quelconque pour la linguistique africaine.
Force est de reconnaître que la linguistiqueafricaine est et reste l'affaire des Africains, mêmesi les premiers travaux importants sur les langues,africaines ont été réalisés par des missionnaires catholiques' et les descriptions d'envergure, par deslinguistes allemands' . Le nombre restreint de cesoccidentaux acquis à la cause de la linguistique africaine étaità l'image de1'intérêt que la classe générale des linguistes accordaitaux langues africaines,considérées en réalité comme simples faits permettant de corroborer les thèses déjà admises sur la basedes langues dites internationales. '
Ainsi, contrairement à la linguistique moderne, la linguistique africaine ne semble pas avoirrompu avec' ses traditions et pour cause. Les langues africaines ayant été laissées pour compte; ilétait surtout question pour les linguistes les ayantchoisies comme objet d'analyse de les faire simplement connaître, de montrer toutes leurs richesses, toute leur originalité. Nous en V0!110ns pourpreuve les propos suivants de D. Creissels: « Lebut de cet exposé [... ] est avant tout d'apporter uneinformation sur des types de structuration syntaxique, parfois originaux, qui sont attestés dans les
II. LINGUISTIQUE AFRICAINE ,ET LINGUISTIQUE MODERNE
En 1967;'Pierre Alexandre questionnait endirection de lalinguistique africaine en ces termes:« La linguistique africaine-mais au fait, y a-t-ilune linguistique africaine ou africaniste? La choseest discutable sur le plan théorique, selon, notamment qu'on appliquele terme de « linguistique »'àl'étude du langage en général, ou, au 'contraire, àl'étude des langues. Partisan: du premier de cesemplois, je n'en utilise pas moins l'expression « linguistique africaine: pour désigner l'applicationparticulière des méthodes de la linguistique, générale à l'étude générale, à l'étude systématique deslangues de l'Afrique" ».
.En plus du présupposé d'existence de la linguistique africaine, il est essentiel de noter qu'elleest née après l'avènement de la linguistique générale. L'on peut donc en déduire que la linguistiqueafricaine est forcément une linguistique moderne.'
---~-__':""':"'- --'- ~_':""-_ Sciences sociales et humaines
Malheureusement, comme l'a souligné J.Perrot au sujet des langues de' l' Afrique et de l'Amérique: « tout restait à faire jusqu'à une date récente,pour les langues parlées par les populations arriérées de toutes les parties du mo~de2 ». Etnous,d'ajouter àsa suite, tout reste à faire aujourd'huiencore pour les langues africaines et ce, pour deuxraisons majeures: le statutde ces langues et lesproblèmes économiques qui constituent des entravessérieuses à la modernité de la linguistique africaine.
Il existe bien entendu un risque: c'est celui,de croire que l'informatique "n'est plus désormaisun outil mais le «cadre théorique de la recherche » :c'est proprement absurde. A chaque science sa théorisation et ses modèles. Si, par Une mémoire vertigineusernent accrue, parla puissance des tris et descalculs, par l'optimisationqu'elle procure et par lesvalidations qu'elle peut faciliter, 'l'informatique estun auxiliaire indispensable.c'esttotalement s'éga-
, rer que d'en confondre la théorie avec celle desautres disciplines? ».
Cependant, il reste que les résultats' des recherches se sont révélés plus fiables grâce à cetteobjectivation des procédés d'expérimentation etenraison de leur représentation formelle, précise, désormais empruntée aux mathématiques.
En fin de compte; le progrès technique aurafinalement révolutionné la science linguistique dansses méthodeset dans ses applications. Etla perma-nence dece bouleversement technologique et mé.thodologique implique que la linguistique avait eta toujours les rrioyensd'assurersa-rnodernité. Qu'enest-il polir la linguistique africaine ?
1 Martin (R.), Sémantique et automate, Paris.Pl.F, pp.II-12.
'Alexandre (P.), Langues el langage en Afrique noire, Paris, Seuil, 1967, p.
29.l Perrot (J.), Ibidem, p. II. 'J Cf. Alexandre (P.), Op. cit., pp. 29-30.'
186 Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
1 Grégoire (H.), Op. cit., p. 103.
2 Cf. Kokor~ (P. D.) [Dir], Une orthographe pratique des langues ivoi~iennes, Abidjan, ILA, SIL, 1996; P. 2.3. Cf. Huannou (A.), La littérature béninoisede langue française, Paris,ACCT, Karthala, 1984, P. 250.
, Creissels (D.), Description des langues négro-africaines et théorie syn-taxique, Paris, Ellug, 1991, p. 5. . ,- . ' ., Duponchel (L.),« La structure syllabique en alladian » in Annales de l'université d'Abidjan, 1973, P.6.6 Creissels (D.) & Kouadio (J.), Description phonologique et grammaticaled'un parler baoulé, Abidjan, ILA, 1977.7 Mounin (G.), Op. cit., pp. 1045-1046..8 Grégoire (H.), «Apports et limites de l'analyse instrumentale des réalisations tonales » in Annales de l'université d'A bidjan, 1973, p. 103.
II.2. L'Impact de la crise économique . .Le développement des techniques modernes
'. '1 '. 1 1 '",
d'enseignementa favoriséla création d'instituts delangues dans .laplupart des' Universités .africaines.On peut donc dire que c'ést avec la linguistiqueappliquée à l'enseignement .d~'s langues que .naît unintérêt véritable pour les langues africaines et par
_____----:._.----.:_"--_-'-'- Sciences sociales et humaines
ricochet, une approche moderne de la linguistiqueafricaine. \
En effet, outrele souci de présenter au mondele fonctionnement des langues .africaines, les travaux réalisés par Ies-Iinguistes avaient pour objectifl'enseignement et l'acquisition de ces langues.Les œuvres réalisées dans ce sens; c'est-à-dire dansl'objectif de la découverte des problèmes pratiquesde I'enseignementdes langues officielles (français,anglais, allemand... ) mises en souffrance par leslangues africaines, l'enseignement des langues africaines elles-mêmes et la recherche desolutions idoines, sont considérables. Autrement dit, la situationdécrite par H. Grégoire dans son article n'est plusqu'un vague souvenir: « Dans la majorité des travaux édités, les tons sont étudiés sur le plan auditif,perceptif, en se fiant uniquement à l'oreille, instrument sujet à bien des aberrations, pour le moinsimparfait et dont les caractéristiques varient d'unlinguiste à l'autre' ».
Aujourd'hui, il existe au sein de ces institutsde linguistique appliquée des synthétiseurs sonores, des réalisateurs de spectrogrammes, des ordinateurs et des magnétophones performants.
Par ailleurs, grâce à l'informatique, les langues africaines sont en train de se poser comme deslangues entièrement écrites. En.témoignent les propos ci-après de P. Kokora : «Compte tenu' des possibilités désormais données par le matériel informatique, quelques signes phonétiquessupplérnentaires ont été retenus comme graphies possibles decertains sons' ».
Les modèles d'écriture proposés par les linguistes permettent à l'heure ac'tuelle"l;enseignementde.certaines iangues africaines, même si cet enseignement se limite dans la plupart des pays africainsaux populations rurales et à' l,lll ~ombre restrei'ntd'écoles maternelles. Au Bénin, par exemple, leslangues béninoises sont enseignées dans les Centres d'Eveil et destimiilatiollde l'enfant suite à unedécision officielle' . . .'
De ce qui précède, l'on retiendra que le passage de l'oralité, de la simple transcription àl'écriture presque effective autorisé par le progrès technique fait de la linguistique africaine, unelinguisti-que moderne. . ,
langues négro-africaines; en insistant sur l'apportque constitué pour la linguisti<;iue générale lacon-naissance du système de ces langues' », ., .Dans le même ordre d'idées, L. Duponchel déclarait dans son étude sur la structure syllabique del'alladian : « Notre article n'a donc en aucune fa-'çon la prétentiond'illustrer ou d'établir une théo-
rie' ». .C'est pourquoi les trSvaux produits en la
.matière sont souvent sans intérêt théorique ou présentés surla base de méthodes ou de théories dontla validité n'a pas été vérifiée ou que les linguistesn'ont pas mises à l'épreuve des langues africaines.
JL'on a constaté, par exemple, que les auteurs d'unouvrage· aussi important que La description d'unparler baoulé" ne consacrent aucune page à l' analysedela théorie phonologique adoptée. Or; le choixthéorique est d'autant plus déterminant qu'il estcensé intégrer des faits de langue non encore décrits et éviter "la poussière' d'observations juxtaposées et d'explications conjecturales qui avaientété longtemps le lot des périodes précédentes qu"onappelle aujourd'hui celles de la linguistique atomisée' ".
Selon H. Grégoire, cette absence d'étudesscientifiques estnon seulement liée aux limites deslinguistes eux-mêmes, mais aussi aux limites desinstruments, àdes causes matérielles". Au problèmeque constitue le statut des langues africaines quicontribue. à accentuer l'écart entre la linguistiqueafricaine et la linguistique moderne, profondémentmarquée .par une certaine. dynamique théorique, ilfaut doncjoindre celui que représente la crise éco-nomIque. t • '1 .,i,.,.
Revue du CAMES - SérieB, vol. 006 N° 1-2,2004 187
7 Voir à ce sujet les travaux de Capo (H.· 6.),« La labialité vocalique engbe: une approche pandialectale », Cahiers d'Etudes Linguistiques, 1987,pp. 15-44; «De la' portée de la palatalisation en gbe et ses implicationsthéorjq'IPS» Revue Québécoise de [inguistique J 991 pp 129-156
Revue du CAMES~- SérieB, vol. 006 N° 1-2,2004
4 Balandier (G,) cité par Oomenach (J.-M.), Approches de la modernité,Paris, Marketing, 1986, p. 37. ', Count (O.) &Kinyanyui (K.), « L'éducation en Afrique: problèmes dansun secteur en pleine évolution» in Berg (R.) & Witaker (1. S.), [Sous. le dir.de], Stratégies pour lin nouveau-développement en Afrique, Paris,Economica, 1990, p. 358.6.Creissels (O.), Op. cit., p:'6.
III. REPENSER LA LlNGUISTIQUE AFRI-.' '
CAINE . 1
-----...;...;.----...;:.....----- Sciences sociales et humaines
tion de certains concepts et proposer des solutionsconceptuelles qui prendraient en compte ces données nouvelles.
-Ilexiste bien entendu un danger, celui ·",d'exagérer les différences entre,cette langue et celles dontla description repose sur une tradition en théorisantabusivement des choses qui tiennent non pas à lalangue elle-même, mais aux conditions particulières d'un début d'enquête sur une langue jusque-lànon décrite"". Mais il faut comprendre qu'une ap-
,préhension théorique et non plus empirique des langues africaines génèrera nécessairement une dynamique qui permettra de résoudre la,question dansla.mesure où l'évaluation et la réévaluation des théories et des concepts seront considérées comme despriorités. " "
Fort heureusement, certains linguistes ontcompris la nécessité d'une théorisation des faits delangue. Nous nous référons au Cercle linguistiquede Garome, par exemple, qui se propose de-fonderen théorie ses observations et ses,analyses sur la langue Gbe", Ces écoles doivent.semultiplier; sur le continent africain et leur .création,sous-tendue par un objectif commun: la connaissance du processus général du fonctionnement desIangues sur la base, d'une description organique,valide et complète des langues .africaines. '
IIL2.'Pour une extension des domaines -de re-, cherche
La majorité des travaux effectués en linguistiqueafricaine, sont relatifs au, traitement phonologique,morphologique, syntaxique et prosodique des langues africaines. Des domaines ayant longtemps faitfigure de parents pauvres comme la sémantique etla sémiologie, aujourd'hui en plein essor, sont rare-ment exploités. . " . " .
'or, ii nous semble' que des analyses relatives auxniécanis;TIes en jeu dans l' interprétation d~s unitésIinguistiqués par les' sùjets parlants africains.dansla sémantique des langues africaines, dans leur organisation en signes.pourraient se révéler fort intéressantes d'un point de vue théorique. Ces analyses
111.1. De'ia nêcessitêd'une théorisation, .Les linguistes qui ont' marquéla science lin
guistique se sont illustrés positivement par lacréation de concepts nouveaux, par une nouvelle approche théorique des unités linguistiques applica-bles à n'importe cruelle larigue. '.,' '.
C'est dire que cette capacité à fonder un systèmescientifique intégrant un très grand nombrede faits dans un ensemble cohérent est èe qui peutautoriser la reconnaissance ,effective de la linguistique africaine:' C' eS,t pourquoi, malgré les 'nombreux travaux produits, nous n'avons toujours pasles F. de Saussure et les G.: G~illaumè de la linguis-
\,' 1
tique africaine.En effet, si les linguistes africains ou africa
nistes sont persuadés de l'existence de phénomènes propres aux langues africaines, ils doivent pou'loir se convaincrede la possibilité 'd'établir les Iimites des théories pré-construites, de l'inadéqua-
Malheureusement, ,l' acception de' G.Balandier selon laquelle «la modernité n'apparaît
, pas comme un état; on n'est jamais moderne, on setrouve en voie 'de l'être sans qu'il y ait un achèvement au termetasemble parfaitement s'appliquerà la situation de la linguistique africaine..gênée dansson .approche par la politique officielle des Etatsafricains, conditionnée par la crise économique. .
De fait, les matériaux utilisés dans:les recher..ches linguistiques, coûteux et fragiles, nécessitentun entretienpermanent. Or, malgré les tentativesde réforme, les universités africainessorit en permanence confrontées à des 'difficultés d'ordre financier et politique. Si l'on en croitDavid Count etK. Kinyanyui, « leurs détracteurs sont de plus enplus nombreux à penser qu'elles nejustifient pasl'importance de leurs dépenses;ni dans le.sensd'unecontribution à l'amélioration des conditions de vie
- de leur personnel, ni dans celui d'une transforma-tion de la société' ». . "
Aussi, les matériaux, en nombre toujours insuffisant, ne sont-ils guère remis en état lorsqu'ilstombent en panne' et encore moins renouvelés, cequi contribue' à enterrer provisoirement les recherches en courset à creuser l'abîme qui existe entrela linguistique africaine et la linguistique tellequ'elle est et telle qu'elle-doit se faire. D'où la nécessitéde repenser la linguistique africaine.
POUR CONCLURE
BIBLIOGRAPHIE
1 Cf. N'goran-Poamé (L. M. ), « La traduction de la bible en baoulé: l'impossible retour à l'original» in Repères,Revue de philosophie et scienceshumaines, V. 3, N° l, pp. 59-60., Cf. Alexandre (P.), Op. cit., pp. 44-45.) Cf. Vilnay (P.), « La traduction humaine» in Martinet (A.), Le langage,
Paris. Gallimard, 1968, pp. 737-750.
Alexandre (P). Langues et langage en Afrique noire,Paris, Seuil, 1967.Auroux (S.). La philosophie du langage, Paris, PUF,1996.Balandier (G.). Approches de la modernité, Paris, Marketing, 1986.Berg (R.) & Witaker (J. S.), [Sous le dir. de}. Stratégiespour un nouveau développement en Afrique, Paris,Economica, 1990.Capo (H B.). « La labialité vocalique en gbe : une approche pandialectale », Cahiers d'Etudes Linguistiques,1987, pp. 15-44; « De la portée de la palatalisation engbe et ses implications théoriques», Revue Québécoisede Linguistique, 1991, pp. 129-156.Chomsky (N.). Aspects de la théorie syntaxique, Paris,Seuil, 1971.Chomsky (N.). Structures syntaxiques, Paris, Seuil,1969.Creissels (D.) & Kouadio (J.). Description phonologiqueet grammaticale d'un parler baoulé, Abidjan, lLA, 1977.Creissels (D.). Description des langues négro-ofricaines et théorie syntaxique, Paris, Ellug, 1991.Duponchel (L.). « La structure syllabique en alladian »in Annales de l'université d'Abidjan, 1973, pp.
Peut-on conclure quand il s'agit finalementde définir le devoir-être et le pouvoir-être d'unescience qui n'a pas les moyens d'assurer sa survie ?II'nous semble que non.
Cependant, nous pouvons retenir que l' élément véritablement en cause ici est l'absence d'unedynamique théorique totalisante, laquelle se présente pour la linguistique africaine comme une adhésion à un nouvel état d'esprit.
La linguistique africaine doit se confondre. avec la science linguistique générale, car la particularité qu'elle recouvre est sans nul doute un prétexte pour aboutir à une vision globale des faits delangue, mieux à une approche moderne des languesafricaines.
permettraient par exemple d'envisager la traductionautomatique des langues africaines dont la traduction humaine s'effectue dans le domaine religieuxpar des personnes n'ayant pas toujours les compétences requises' . Elies contribueront ainsi à l'enrichissement dela question des problèmes théoriquesde la traduction.Par ailleurs, la linguistique a un avantage certainsur les autres sciences, à savoir celui d'avoir pourobjet d'analyse l'instrument dont toutes se servent.Par conséquent, les linguistes africains doivent seservir de cet argument pour étendre le champ d'application de la linguistique africaine aux problèmessociaux et infléchir ainsi la politique officielle dansle sens de la mise en place d'un fonds substantielaffecté aux recherches linguistiques.En effet, excepté le domaine de l'enseignement danslequel les acteurs en présence possèdent en situation idéale le même code linguistique, tous' lesautres, notamment la médecine, la justice, le commerce; sont confrontés, en Afrique, aux problèmesde dysfonctionnement de la communication qui seposent nécessairement entre une population enmajorité analphabète et la classe des lettrés. L'onimagine aisément la situation d'un médecin francophone, ayant le dioula comme langue maternelle,astreint au secret professionnel, obligé de solliciterle concours d'un confrère ou de n'importe quel individu pour communiquer avec son patient. L'onpeut imaginer encore, dans le domainejudiciaire,le cas d'un interprète incapable de trouver les termes exacts dans la langue de la personne analphabète mise en accusation pour traduire le cas pénalqui s'applique à ce dernier.Le problème de l'al phabétisation des pays africainsétant loin d'être résolu, il importe pour les linguistes d'orienter leurs recherches vers les domainessusindiqués. Il s'agira pour eux d'élaborer des lexiques spécialisés, des ouvrages de communicationpratique pour chaque domaine scientifique et enlangues africaines. Nous pensons par exemple àl'établissement de dictionnaires baoulé, dioula,fanti, de médecine et de biologie, des sciences juridiques écrites en langues africaines.Malgré les préjugés relatifs à l'absence de termesabstraits dans les langues africaines", l'on doit admettre que la traduction est toujours possible' . Cesouvrages pratiques faciliteront les échanges entrelettrés et analphabètes et se poseront comme leséléments de la contribution effective de la linguistique africaine à la résolution de certains problèmes sociaux. Que l'on se rappelle que toute science
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en Afrique doit sa survie ou son essor il sa contribution concrète au développement économique, social ou politique.
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