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N° 43 - Février 2007 44 IMMOBILIER DE L’ÉTAT elon les conclusions de la mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale, fin 2004, la valeur des actifs immobiliers de l’État s’établirait entre 32,8 et 38 milliards d’euros. Or, en juillet 2005, cette même mission a dressé un constat très sévère, dénonçant « l’absence de pilotage de la fonction immo- bilière de l’État, des ministères qui se comportent en quasi- propriétaires sans en assumer les obligations, le manque de professionnalisme, la mauvaise connaissance du parc, des résultats de cessions en deçà des objectifs, un entre- tien déficient, un cadre juridique qui restait à parfaire, une incurie de la gestion des logements de fonction ». Suite à ce rapport, le gouvernement a entrepris une grande vague de cession d’un patrimoine jugé excédentaire. Mais si le but affiché est un souci de meilleure gestion, la rai- son officieuse d’une telle action tient principalement à la dette de l’État. Certains affirment qu’il convient de rela- tiviser le niveau de l’endettement dans la mesure où la richesse patrimoniale de l’État est immense, et contestent donc l’idée selon laquelle la France, avec un ratio dette/ PIB de 63 %, serait en quasi-faillite 3 . D’autres spécialis- tes expliquent que si l’État français avait une comptabi- lité normale d’entreprise privée, il lui faudrait provisionner des sommes gigantesques pour la retraite des fonction- naires, au point qu’il se retrouverait au bord de la ban- queroute. La cession d’une part non négligeable de ce patrimoine constituerait-elle un des derniers recours en vue de la diminution de la dette ? Diverses autres méthodes ont pourtant été envisagées, notamment la ces- sion d’une partie du stock d’or détenu par la Banque de France ainsi que les privatisations. Ces différentes éventuelles solutions partent toutes du même constat : l’argent fait défaut dans les caisses de l’État et l’immobilier, dont la gestion est pointée du doigt, semble le vecteur de tous les errements de la République. Conscients de l’impérieuse nécessité d’une réforme de ce domaine, les pouvoirs publics ont initié diverses actions en 2003 dans le but de mieux recenser le patrimoine immobilier de l’État. La fixation d’objectifs annuels de cession a permis de commencer à moderniser le parc. Suite aux observations du Parlement et, en particulier au rapport de Georges Tron devant la mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale, le gouvernement a décidé, à l’été 2005, d’accélérer cette démarche de modernisation. Dans le cadre de la maîtrise des déficits budgétaires, il s’est, par la suite, fixé des objectifs annuels de produits de cessions immobilières, et a programmé les opérations les plus nécessaires pour réduire la dépense immobilière de l’État. Dans un premier temps, en 2004, intervint le déclas- sement des bureaux : jusque-là ces derniers, en tant qu’éléments du domaine public, ne pouvaient pas être vendus sans avoir été au préalable libérés et déclassés. A également été créée la mission interministérielle de valo- risation du patrimoine immobilier de l’État, chargée de VERS UNE MEILLEURE GESTION DU PATRIMOINE IMMOBILIER DE L’ÉTAT Les entreprises ont appris à optimiser l’allocation de leurs ressources. Pourquoi pas l’État ? Dans cet article de synthèse, Éric Le Fur dresse le constat de la gestion du patrimoine de l’État, et formule quelques propositions 1 . par Éric Le Fur 2 1. On trouvera dans ce numéro un autre article sur le même thème, rubrique AREIM, page 69. 2. Enseignant-chercheur, INSEEC, Bordeaux. 3. …et en veulent pour preuve le fait que le Japon, l’un des pays les plus riches du monde, présente un niveau de dette/PIB de 160 %. S

VERS UNE MEILLEURE GESTION DU PATRIMOINE IMMOBILIER DE … · rapport de Georges Tron devant la mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale, le gouvernement

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elon les conclusions de la mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale, fin 2004,la valeur des actifs immobiliers de l’État s’établirait

entre 32,8 et 38 milliards d’euros. Or, en juillet 2005,cette même mission a dressé un constat très sévère,dénonçant « l’absence de pilotage de la fonction immo-bilière de l’État, des ministères qui se comportent en quasi-propriétaires sans en assumer les obligations, le manquede professionnalisme, la mauvaise connaissance du parc,des résultats de cessions en deçà des objectifs, un entre-tien déficient, un cadre juridique qui restait à parfaire,une incurie de la gestion des logements de fonction ».

Suite à ce rapport, le gouvernement a entrepris une grandevague de cession d’un patrimoine jugé excédentaire. Maissi le but affiché est un souci de meilleure gestion, la rai-son officieuse d’une telle action tient principalement à ladette de l’État. Certains affirment qu’il convient de rela-tiviser le niveau de l’endettement dans la mesure où larichesse patrimoniale de l’État est immense, et contestentdonc l’idée selon laquelle la France, avec un ratio dette/PIB de 63 %, serait en quasi-faillite3. D’autres spécialis-tes expliquent que si l’État français avait une comptabi-lité normale d’entreprise privée, il lui faudrait provisionnerdes sommes gigantesques pour la retraite des fonction-naires, au point qu’il se retrouverait au bord de la ban-queroute. La cession d’une part non négligeable de ce patrimoine constituerait-elle un des derniers recoursen vue de la diminution de la dette ? Diverses autres

méthodes ont pourtant été envisagées, notamment la ces-sion d’une partie du stock d’or détenu par la Banque deFrance ainsi que les privatisations.

Ces différentes éventuelles solutions partent toutes du même constat : l’argent fait défaut dans les caisses del’État et l’immobilier, dont la gestion est pointée du doigt,semble le vecteur de tous les errements de la République.Conscients de l’impérieuse nécessité d’une réforme dece domaine, les pouvoirs publics ont initié diverses actionsen 2003 dans le but de mieux recenser le patrimoineimmobilier de l’État. La fixation d’objectifs annuels decession a permis de commencer à moderniser le parc.Suite aux observations du Parlement et, en particulier aurapport de Georges Tron devant la mission d’évaluationet de contrôle de l’Assemblée nationale, le gouvernementa décidé, à l’été 2005, d’accélérer cette démarche demodernisation. Dans le cadre de la maîtrise des déficitsbudgétaires, il s’est, par la suite, fixé des objectifs annuelsde produits de cessions immobilières, et a programmé lesopérations les plus nécessaires pour réduire la dépenseimmobilière de l’État.

Dans un premier temps, en 2004, intervint le déclas-sement des bureaux : jusque-là ces derniers, en tant qu’éléments du domaine public, ne pouvaient pas êtrevendus sans avoir été au préalable libérés et déclassés. Aégalement été créée la mission interministérielle de valo-risation du patrimoine immobilier de l’État, chargée de

VERS UNE MEILLEURE GESTION DU PATRIMOINE IMMOBILIER DE L’ÉTAT

Les entreprises ont appris à optimiser l’allocation de leurs ressources.Pourquoi pas l’État ? Dans cet article de synthèse, Éric Le Fur dresse le constat de la gestion du patrimoine de l’État, et formule quelquespropositions1.

par Éric Le Fur2

1. On trouvera dans ce numéro un autre article sur le même thème, rubrique AREIM, page 69.2. Enseignant-chercheur, INSEEC, Bordeaux.3. …et en veulent pour preuve le fait que le Japon, l’un des pays les plus riches du monde, présente un niveau de dette/PIB de 160 %.

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piloter les cessions et de professionnaliser la gestion desimmeubles de l’État. Révélant clairement l’esprit et l’o-rientation de ce grand chantier, Jean François Coppé sou-lignait récemment « que le patrimoine immobilier de l’État[avait] été recensé dans une logique de transparence finan-cière proche de la comptabilité privée, afin de préparerle premier bilan de l’État conformément à la LOLF1 »2.Dans cette optique a été créé, dans la loi de finances pour 2006, un compte d’affectation spécialedédié aux dépenses immobilières de l’État, alimenté parles produits des cessions. En outre, le gouvernement acommencé à mettre en place un dispositif de loyers bud-gétaires afin de responsabiliser les ministères occupants.Par ailleurs, la restauration du parc a été engagée en s’ap-puyant sur des schémas stratégiques ministériels. Comptetenu de ce nouveau contexte, les pouvoirs publics ontdésormais pris l’engagement de moderniser la gestion del’entretien des immeubles de l’État, qui représente2,7 milliards d’euros de dépense annuelle, le but étantde mieux préserver les intérêts des contribuables, d’offrirun meilleur service à l’usager et de fournir aux agents uncadre de travail adapté.

Des estimations qui vont du simple au double

Devant la volonté affichée par l’État de réorganiser sonpatrimoine immobilier, divers experts ont tenté d’en réali-ser un inventaire3 : l’un d’entre eux avançait récemmentune estimation portant à 21,5 millions de mètres carrésde patrimoine de bureaux auxquels s’ajouteraient16 millions de mètres carrés de patrimoine immobilierhistorique, soit un patrimoine immobilier total de37,5 millions de mètres carrés. Dans son rapport renduau Premier ministre, Olivier Debains annonce, quant àlui, 10,3 millions de mètres carrés de bureaux dont2,1 millions à Paris, en se fondant sur les chiffres de laDirection générale des impôts. D’autres estimations évo-quent encore un parc immobilier global de 30 millionsde mètres carrés. En février 2005, Hervé Gaymard et Jean-François Coppé annonçaient, quant à eux, le chiffre de59 millions de mètres carrés.

Selon un rapport réalisé par l’Institut Montaigne4, ces esti-mations différentes seraient principalement dues à des

variations dans l’approche du périmètre immobilier et« révèlent surtout l’impossibilité de trouver à ce sujet unchiffre officiel suffisamment certifié ». Il apparaît ainsi sur-prenant que les services de l’État connaissent très mal, audébut du XXIe siècle, non seulement la valeur du patri-moine mais également la liste des biens le composant5,ceci ne facilitant guère leur estimation.

Une sous-occupation chronique

La sous-occupation affecte de manière endémique le patri-moine immobilier de l’État sans que l’on en connaisse pré-cisément la cause, ce phénomène touchant principalementles logements de fonction. Leur nombre serait comprisentre 94 000 et 137 000 ; selon l’Inspection générale desFinances, la valeur locative de ces 137 000 logementsreprésenterait 1,4 milliard d’euros. Or, en 2005, les loyersperçus par l’État se sont élevés à 300 millions d’euros, cecis’expliquant en partie par un taux de vacance conséquent :au 31 décembre dernier, sur les 137 000 logements de fonction de l’État (hors logement des grandes entrepri-ses publiques), un sur cinq était inoccupé, ratio pouvantparaître choquant compte tenu des problèmes actuels dulogement.

Il en est de même concernant le foncier, et notammentles terrains désaffectés de La Défense, les friches des hôpi-taux transférés, les terrains du Réseau ferré de France6

représentant des millions d’hectares que l’État conservedans son patrimoine sans les affecter à aucun servicepublic. Or ces terrains, aujourd’hui identifiés comme ces-sibles, présentent un intérêt majeur : leur inclusion dansl’espace urbain ou périurbain fait d’eux des lieux d’im-plantation adéquats de nouveaux logements.

Une attribution peu rigoureuse des logements de fonction

L’attribution des logements du Domaine est loin d’êtretransparente, comme l’a déjà souligné la Cour des comp-tes à propos du ministère de la Culture qui dispose deprès de 700 logements, souvent dans les beaux quartiersparisiens. Ainsi, la mission d’évaluation et de contrôlesouligne-t-elle que « l’attribution de ces logements est

1. LOLF : loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Ce texte définit le cadre général dans lequel s’inscrivent les lois de finances ainsi queles modalités relatives à leur préparation, à leur adoption et à leur exécution.2. Discours de Jean-François Coppé, ministre délégué au Budget et à la Réforme de l’Etat et porte-parole du gouvernement, 23 février 2006 (www.minefi.gouv.fr).3. P. Quême, président du groupe de travail, Immobilier de l’Etat : quoi vendre, pourquoi, comment ?, Institut Montaigne, décembre 2005 (www.institut-montaigne.org).4. « Think Tank » français, présidé par Claude Bébéar.5. Audition de M. Arthuis par la Commission des finances du Sénat, 26 avril 2000.6. Le Réseau ferré de France (RFF) possèderait à lui seul 3 millions d’hectares.

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faite souvent au mépris des dispositions réglementaires[…]. Le ministère n’a pas été en mesure de produire untableau complet et à jour des logements de fonction situésdans les immeubles de l’État », cette « carence d’infor-mation » permettant ainsi « à chaque service d’agircomme bon lui semble, et sans directive fixant les règlesd’attribution ». Ces carences se retrouvent dans toute lachaîne de la gestion immobilière du patrimoine de l’Étatet l’on ignore totalement les règles de fixation des loyers,souvent inférieurs à ceux pratiqués en HLM. Aucun minis-tère, y compris le ministère des Finances, ne dispose decomptabilité analytique et de contrôle de gestion de sescoûts immobiliers, aucun ne connaît avec précision lenombre de mètres carrés qu’il utilise.

La complexité des partenariats public-privé

Le partenariat public-privé (PPP) est un mode de finan-cement contractuel dans lequel l’autorité publique faitappel à des prestataires privés pour financer un équipe-ment apportant un service public. Le partenaire privéreçoit en contrepartie un paiement, par exemple sous laforme d’une concession. Ce n’est pas une idée entière-ment nouvelle. Certains rattachent à ce type de finance-ment la réalisation de grands travaux tels que le canal duMidi ou les travaux d’Haussmann à Paris. La loi d’orien-tation et de programmation pour la sécurité intérieure du29 août 2002 autorise l’État à confier au secteur privé laconstruction et la maintenance d’immeubles utilisés parla police, la gendarmerie ou la défense nationale. Rappelons que sont soumis au code des marchés publicsl’État et ses établissements publics (autres que ceux ayantun caractère industriel et commercial) ainsi que les col-lectivités territoriales et leurs établissements publics. Oril est permis de penser que la complexité de ces règles,lorsqu’un tel contrat est envisagé quant à l’entretien dupatrimoine immobilier de l’État, n’incite pas à leur miseen œuvre dans un tel but. En droit français, le contrat dedélégation de service public est le régime le plus fréquentde gestion déléguée des services publics, la collectivitépouvant par ailleurs opter pour une gestion directe duservice – on parle alors de gestion en régie. Le contrat dedélégation de service public se distingue du simple contratd’exploitation par son mode de rémunération. Celle-ciest en effet assurée, en tout ou partie, directement par l’usager. Plus exactement, la rémunération du délégataireest substantiellement liée aux résultats de l’exploitation

du service1. Contrairement aux autres contrats concluspar l’État ou les collectivités territoriales, la délégation deservice public échappe au cadre classique du code desmarchés publics, la rémunération du prestataire étant,dans le cadre d’un marché public, assurée par un prixversé par la collectivité. Alors que, dans le cadre d’unedélégation de service public, le délégataire supporte seulle risque financier de l’exploitation, ce risque est, en revan-che intégralement reporté sur la collectivité dans le cadred’un marché public. C’est cette différence face aux risquesencourus qui explique que la délégation de service publicne soit pas soumise au régime des marchés publics.

Des acquéreurs peu enthousiastes

Les investisseurs recherchent à la fois une rentabilité satis-faisante et la stabilité de l’occupation des locaux acquisaux fins d’être loués. Cette double exigence requiert doncun niveau de loyers comparable à celui du marché et desconditions d’occupation conformes au droit commun.Cependant, les immeubles de l’État vendus occupés sontfréquemment loués pour des montants inférieurs aux réfé-rences usuelles du marché et, au surplus, les baux concluspar les preneurs publics comportent souvent des clausesexorbitantes de droit commun autorisant leur résiliationunilatérale par les locataires publics. De surcroît, les loyersversés dans le cadre de ces baux ne sont pas soumis àTVA, ce qui interdit de récupérer celle qui a été acquit-tée sur la totalité des dépenses relatives à l’immeuble(dépenses de travaux).

Les promoteurs, quant à eux, recherchent des garantiessur la possibilité de transférer l’immeuble soit en immeu-ble à usage d’habitation, soit en immeuble à usage com-mercial ou de bureaux selon le prix proposé. Mais lesrègles locales de PLU traitent parfois de manière parti-culière les immeubles ayant accueilli des services publics,ce qui peut décourager l’offre d’achat des promoteurs.Les documents d’urbanisme de certaines villes, en parti-culier à Paris, rendent problématique la valorisation desimmeubles susceptibles d’être acquis auprès de l’État etfont obstacle à leur acquisition à des conditions satisfai-santes pour les finances publiques. Ainsi, lors de la récentemise en vente de l’immeuble des douanes de l’avenueOctave-Gérard dans le VIIe arrondissement, la mairie deParis a fait savoir aux Domaines chargés d’organiser cescessions que les acheteurs devront désormais affecter25 % des surfaces à l’habitation sociale, s’appuyant sur

1. Il en est ainsi, par exemple, des services d’eau et d’assainissement ou bien des transports publics. Au contraire, le service de ramassage des orduresménagères ne peut être délégué, sauf à imaginer (certains y pensent) une facturation directe à l’usager.2. PLU : Plan local d’urbanisme.

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le droit de propriété dont elle bénéficie. Résultat : lesinvestisseurs et les promoteurs immobiliers sont beau-coup moins intéressés par ces achats. Le déficit de biensmis en vente sur le marché parisien persiste donc, avecune pression continue, à la hausse des prix.

La nécessité d’une « modernisation-privatisation » des méthodes de gestion

Les expériences étrangèresEn matière de gestion immobilière, le Royaume-Uni faitfigure de pionnier. La tentation de céder ou de réorgani-ser son patrimoine immobilier a d’abord concerné lesentreprises privées, pour toucher ensuite les administra-tions, les établissements publics, les entreprises parapu-bliques et les collectivités locales.

Cette « privatisation » a débuté en 1998 par la cessiond’environ 700 immeubles de l’équivalent de nos Assedicà un consortium bancaire. La gestion des services liés auximmeubles a également été transférée au privé, la fina-lité de l’opération étant double : réduire la dette de l’É-tat et utiliser les locaux de façon plus efficace. L’Angleterrea l’habitude de ces partenariats privé-public : les PrivateFinancial Initiatives et les Public Private Partnerships ensont les cadres juridiques. Ces formes de partenariats peu-vent être très variées. Ainsi, le ministère de la Défense acédé le terrain de sa base aérienne de Colchester endemandant en contrepartie au promoteur de construiredes logements de qualité pour ses soldats à côté de sonpropre projet de logements privés.

L’Italie s’est également engagée dans une voie similaire.L’État a élaboré un programme pluriannuel de vente d’im-meubles. Ce programme a commencé en décembre 2001par la vente de 26 logements et de 264 immeubles com-merciaux appartenant à sept caisses de retraite. Le 3 mars2003, le ministère italien de l’Économie et des Finances,qui envisageait de vendre à terme pour plus de1,5 milliard d’euros de son patrimoine, a cédé 36 immeu-bles à l’investisseur américain Carlyle Group, pour230 millions d’euros.

Toutefois, ces cessions ne se sont pas déroulées dans leplus grand calme. En effet, même si la loi de juin 2002,dite salva deficit, offre au gouvernement italien une margede liberté pour vendre des parcelles du patrimoine publicafin de dégager des recettes destinées à financer ses futursgrands travaux, l’opposition et certains membres de lamajorité ont accusé les pouvoirs publics de vouloir ven-dre le « Colisée ou la fontaine de Trevi ».

En France

En France, l’exigence des nouvelles normes comptables,non plus simples listes de dépenses et de recettes, maisprésentant l’évaluation des actifs et du passif, concerneles communes depuis le 1er janvier 1997, les départe-ments à compter du 1er janvier 2004, et sera bientôt uneréalité dans les régions. Ces opérations, qui n’ont qu’unbut comptable, font toutefois prendre conscience aux élusde leur richesse ainsi que des charges qui leur incom-bent. Ainsi, la ville de Strasbourg a réalisé qu’elle possé-dait nombre de logements bien situés et de valeur, héritésde la période d’annexion par l’Allemagne avant 1918.Elle en a réévalué les loyers et a pu utiliser ce patrimoineen garantie, ce qui lui a valu une très bonne notation desa fiabilité d’emprunteur par les agences spécialisées etpermis d’obtenir les meilleures conditions de finance-ment. Pour financer leur croissance – ou leur déficit –,deux grandes entreprises publiques ont initié de grandesvagues de cessions de leur patrimoine immobilier. En premier lieu, EDF qui a vendu 13 000 logements et60 immeubles pour financer sa croissance. En secondlieu, France Telecom qui a cédé près de 500 bâtimentspour se désendetter. La Poste suit l’exemple en envisa-geant elle aussi de se défaire de nombreux bureaux etlogements de fonction tout en demeurant locataire dessurfaces dont elle a réellement l’utilité.

En 2002, l’Inspection générale des Finances a recensé lesbonnes pratiques suivies par les grands groupes indus-triels. Ceux-ci ont tous développé depuis dix ou quinzeans des stratégies immobilières en suivant des objectifsvariés : arbitrage entre les différents éléments de l’actif,constitution d’un patrimoine valorisable, source d’éco-nomie. Les solutions apportées ont également été très dif-férentes. Selon une approche financière et bilancielle,certaines entreprises ont cédé au fil de l’eau des actifsinoccupés ou inutiles (Thomson, La Poste, SNCF), se sontséparées de certains actifs immobiliers pour dégager unecapacité d’investissement sur leur cœur de métier avec,en contrepartie, la reprise des immeubles en crédit-bail(SNCF), ou ont utilisé les actifs immobiliers comme instru-ments de gestion de la dette et des capitaux propres (Crédit Lyonnais, France Telecom). Les entreprises se sonttoutes attelées à la tâche de recenser leurs biens immo-biliers, exercice étalé souvent sur de nombreuses années(SNCF, RFF, RATP, GDF, Thomson/Thalès), ce qui leur apermis d’aboutir à la distinction entre les immeubles stratégiques à conserver et les autres, à vendre ou à louer.Elles ont séparé les fonctions de propriétaire et d’occupanten instaurant des systèmes de loyers pour les services opé-rationnels. La fonction immobilière au sein de chaquegroupe a été clairement identifiée. Elles ont aussi développé des outils de connaissance des coûts liés à

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l’immobilier, avec un reporting approprié, permettant demesurer la réalité des coûts et d’appréhender des élé-ments physiques sur l’occupation des immeubles avecdes ratios d’efficience. Ces mouvements les ont incitéesà professionnaliser les missions d’achat, de construction,de grosse réparation et de ventes, normalement dévoluesau propriétaire. Ces changements ont abouti à des for-mes plus ou moins élaborées d’externalisation. Ainsi, lafonction de property management a été externalisée par-tiellement pour certains (SNCF, RATP, Crédit Lyonnais),totalement pour d’autres (Thalès, BNP Paribas), l’exter-nalisation des services à l’occupant – facility manage-ment – étant encore plus marquée (BNP Paribas, Thalès,Axa).

La création d’une nouvelle foncièrepour l’immobilier de bureaux

Face à la difficulté de la gestion du patrimoine immobi-lier de l’État, une solution apparaît envisageable : la cons-titution d’une grande société foncière qui serait mise enBourse, voire totalement privatisée. En effet, l’immobiliercoté constitue aujourd’hui une classe d’actifs hybride sou-vent décorrélée des marchés financiers. Cette mesures’inscrivant dans une logique de privatisation consisteraitpour l’État à apporter, au sein d’une société immobilièrebénéficiant du statut de SIIC et des avantages fiscaux quien découlent, les 28 000 immeubles lui appartenant direc-tement, à l’exception des monuments historiques. Unefois cette foncière constituée par apports d’actifs inter-viendrait un placement sur le marché boursier en un seulbloc ou par tranches. L’absorption de cette abondancesoudaine de pierre-papier ne devrait pas poser de pro-blème, tant les investisseurs sont à la recherche de telssupports d’investissement, comme en témoigne l’indiceIEIF des sociétés foncières cotées à Paris qui affiche desprogressions bien plus importantes que celle de l’en-semble des valeurs françaises. Cette pierre-papier cor-respond à un réel besoin de la part des investisseursinstitutionnels à long terme, comme les caisses de retraiteou des compagnies d’assurance soucieuses de bénéficierà la fois d’un rendement élevé, d’une certaine protectiondu capital et d’espérances de plus-values. On estimeactuellement à 50 milliards d’euros les fonds qui cher-chent à se placer en France dans le secteur immobilier.Une fois cotée, face aux exigences et aux contraintes dumarché, cette foncière publique serait obligée de gérerses actifs immobiliers au mieux avec des professionnelspartageant la même vision, la même stratégie, avec unepolitique unique d’arbitrages et surtout une nécessité derendement.

Cette externalisation permettrait également de procéderà une nécessaire rationalisation des implantations, des

surfaces, des conditions de travail et de gestion. Il seraitdonc possible de mettre en place un système de gestionperformant et d’accéder à une connaissance exhaustivedes coûts complets de ce patrimoine, condition fonda-mentale de l’optimisation de sa gestion. À cet effet, lerapport de l’Institut Montaigne préconise plusieurs voies :

■ en premier lieu, la création de plusieurs compartiments :un premier pour les bureaux banalisés et occupés parles services de l’État ; un deuxième pour les bureauxbanalisés libérés par les services de l’État ; et un troi-sième pour les actifs immobiliers spécifiques et mono-valents utilisés par les services de l’État ;

■ en deuxième lieu, l’acquisition en bloc par la foncièresur la base d’un flux prévisionnel lié aux loyers – cecipermettrait d’accélérer un processus de valorisationrendu souvent difficile soit par l’état du patrimoine, soitpar le manque d’information pertinente ;

■ en troisième lieu, la gestion du projet par la CDC, quipossède un savoir-faire spécifique en matière de ges-tion immobilière et locative ainsi qu’en promotionimmobilière, a de surcroît les compétences nécessai-res en ce qui concerne la gestion des foncières cotées,dispose de l’expertise financière requise et enfin aacquis, à travers la SNI, l’expérience en matière d’ex-ternalisation du patrimoine public (gendarmeries) ;

■ en quatrième lieu, la mise en place d’une documenta-tion détaillée actif-passif qui assurerait la pérennité del’occupation des surfaces de l’État et protégerait de l’in-flation les revenus de la foncière qui aurait ainsi lanature d’une rente obligataire indexée ;

■ enfin, l’utilisation de dirigeants et structures indépen-dantes afin d’éviter les conflits d’intérêts, la foncièreétant placée sous le contrôle du Parlement.

D’un point de vue plus pratique, les administrationsseraient obligées d’acquitter un loyer, ce qu’elles ne fontpas pour l’instant. Elles seraient donc soumises à l’obli-gation de se demander si elles doivent ou non se repliersur des immeubles moins cossus et moins onéreux pourle budget de l’État, plus fonctionnels aussi. Le dernieravantage d’une telle opération serait de pouvoir faire entrer, en une seule ou en plusieurs fois, dans les caissesde l’État plus de 30 milliards d’euros.

Assouplir des normes trop rigides

L’optimisation de la gestion des actifs immobiliers de l’État doit composer avec les contraintes particulièresposées par le régime de la domanialité publique. En lamatière, certains progrès ont été réalisés mais des bloca-ges demeurent. Parmi les nombreux chantiers de réformeouverts par la loi du 2 juillet 2003 habilitant le gouver-nement à simplifier le droit et intéressant principalement

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le droit administratif, tous n’ont pas eu le même succès,notamment l’article 34 de la loi qui habilite le gouver-nement à intervenir en matière de droit des propriétéspubliques, spécialement pour en assurer une meilleurevalorisation.

Le gouvernement envisage, en s’inspirant en particulierdes conclusions du groupe de travail interministériel rela-tif à l’élaboration d’un code des propriétés publiques pré-sidé par Max Querrien, de constituer un corps de règleslégislatives en matière domaniale communes ou spéci-fiques à l’État, aux collectivités territoriales et, pour lapremière fois, aux établissements publics, et de présen-ter directement, dans un souci d’accessibilité de la loi,ces nouvelles dispositions dans la partie législative d’unnouveau code. Ces dispositions, qui se substitueront à lapartie législative du code du domaine de l’État, intégre-ront des textes non codifiés et des constructions jurispru-dentielles afin de clarifier et de rationaliser le droitdomanial des différentes personnes publiques.

Une réforme de la commandepublique

Le droit de la commande publique, c’est-à-dire le droitdes marchés publics, est resté très longtemps hostile à lamise en œuvre d’instruments permettant d’assurer le finan-cement privé d’équipements et d’infrastructures publics.Il existe bien des partenariats public-privé mais il appa-raît nécessaire d’en unifier les règles et les contrats. Parune ordonnance du 17 juin 2004, le gouvernement fran-çais a institué un nouveau type de contrat similaire auPrivate Finance Initiative anglais : le contrat de partena-riat. Il s’agit d’un contrat administratif par lequel la per-sonne publique peut confier à une entreprise une missionglobale relative :

■ au financement d’investissements immatériels, d’ou-vrages ou d’équipements nécessaires au service public ;

■ à la construction et à la transformation des ouvrages ouéquipements ;

■ à leur entretien, leur maintenance, leur exploitation ouleur gestion ;

■ ou, le cas échéant, à d’autres prestations de serviceconcourant à l’exercice par la personne publique de lamission de service public dont elle est chargée.

Le contrat de partenariat se conclut pour une période lon-gue, déterminée en fonction de la durée d’amortissementdes investissements ou des modalités de financement rete-nues. La rémunération du partenaire privé dépend de laperformance réalisée tout au long du contrat. Dans le casd’un contrat de partenariat, la relation est beaucoup plusflexible. Ainsi, le partenaire privé prend en charge la

maîtrise d’ouvrage, et le contrat est amené à évoluer aucours des années afin de s’adapter à des changementsd’environnement.

L’autorisation du crédit-bail pour le domaine public

Les règles déterminant la possibilité de recourir au finan-cement d’immeubles sur le domaine public par la tech-nique du crédit-bail tendent à devenir complexes, leprincipe demeurant néanmoins celui de l’interdiction,alors que la plupart des textes adoptés dans le cadre desPPP ont ouvert la possibilité d’y recourir. Les avantagesapparaissent toutefois nombreux. Une grande souplesseest apportée au montage financier, laissant par exempleau preneur la possibilité de ne pas acquérir le bien à l’is-sue du contrat. La possibilité pour l’occupant de finan-cer ses installations par le crédit-bail a été sévèrementcritiquée par la doctrine. Il est vrai en effet que le risqueintrinsèque du crédit-bail réside dans ce que le servicesoit rompu du fait de la résiliation du contrat.

La question a été notamment soulevée au sujet des zonesportuaires. Ces dernières supportent des sujétions, en par-ticulier en matière d’urbanisme et de protection de l’en-vironnement, et il apparaît nécessaire, pour faire face àleurs besoins en équipements souvent coûteux, de ne pasy ajouter des obstacles domaniaux uniquement fondéssur le respect de principes théoriques.

Sans entraîner pour autant la démission de l’État

Les questions relatives à la gestion du patrimoine immo-bilier de l’État sont éminemment politiques, et tout par-ticulièrement concernant le dossier des cessions. En effet,un État « fort », un État « providence » ne saurait être unÉtat sans domaine, et le recours à des modalités de ges-tion trop libérales pourrait donner à certains le sentimentd’une véritable démission de l’État, voire d’une mise endanger de ses citoyens.

L’État est propriétaire d’un patrimoine immobilier qu’ilmet à disposition de ses administrations, de ses fonc-tionnaires, mais également de ses administrés. Il légifèrepar le biais de ses institutions et contribue également aufinancement de diverses opérations en matière de loge-ment social. Divers acteurs associatifs et politiques met-tent en avant « le droit au logement » qu’État et institutionspubliques se doivent de faire respecter. Il est toutefois per-mis de s’interroger sur la véritable teneur et « légalité »de ce droit, élevé par certains au rang de droit objectif,voire constitutionnel. Les incitations gouvernementales

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à la création d’un parc locatif plus conséquent par le biaisd’avantages fiscaux ont entraîné diverses dérives, princi-palement dans les villes de taille moyenne. En effet, lamachine destinée initialement à rétablir l’équilibre entreoffre et demande s’est « emballée », inversant un rapportà l’origine déficitaire en matière d’offre. Ainsi, dans certaines communes – Montauban, Agen, Roanne ou Albi –, le marché n’a pu absorber une production mas-sive de produits « investisseurs ». Ces logements en sur-nombre apparaissent inadaptés à la demande, aussi bienen termes de taille que de loyers, les plafonds de ces loyersse situant parfois au-dessus du marché. Ceci conduit àdes situations quelquefois aberrantes avec une vacancestructurelle que certains propriétaires et agences immo-bilières tentent d’endiguer par des mesures pour certai-nes audacieuses : deux voire trois mois de loyer gratuits,coupons de réduction de supermarchés, etc.

En matière de logement, et tout particulièrement de loge-ment social, l’État a un rôle à jouer. C’est ce qu’il fait encontribuant au financement des programmes sociaux. Lapolitique du logement social se décline en effet sous laforme de multiples interventions de l’État (financement,

construction, entretien), menées le plus souvent en par-tenariat avec les collectivités locales et les organismes delogement social. Cependant, une grande pénurie demeuremalgré l’édiction de mesures telles la loi SRU ou le plande cohésion sociale. En outre, certains élus locaux mon-trent une grande réticence à faire construire des loge-ments sociaux dans le périmètre de leur commune : enassociant logements sociaux et concentration de popu-lation à faibles revenus et en détresse sociale, ils redou-tent une dégradation de l’image de leur commune.

Dès lors, pourquoi ne pas envisager une mise à profit decertains éléments du patrimoine immobilier de l’État, etplus précisément des actifs inoccupés et dont la recon-version en locaux à usage d’habitation apparaît la moinsonéreuse ? Un recentrage de l’État sur ses fonctions pre-mières semble indispensable, et ceci pourrait passer parune externalisation de son rôle de propriétaire. De même,la nécessité de céder certains biens inutiles en raison descharges qu’ils génèrent est patente. La création d’unesociété foncière à connotation sociale semble fidèle àcette nécessité d’externalisation, ce type d’organisationexistant déjà au travers de foncières associatives1. ■

1. L’une d’entre elles : Habitat et Humanisme.