Victorian Fantasy T1

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D’aussi loin que remontent ses souvenirs, Andraste, issue d’une longue lignée de sorcières, vit dissimulée aux yeux du monde. Son univers restreint ressemble à s’y méprendre à une cage dorée, elle qui ne rêve que de s’envoler. C’est alors qu’une invitation de la main même de la Reine vient bousculer les plans de sa grand-mère qui dirige la famille d’une main de fer. Et, une requête royale ne se refuse pas… à moins de souhaiter perdre la tête. Sa découverte du monde commence, très loin de ce qu’elle imaginait. La cour est pleine de danger, de rumeurs et de règles qu’elle ne maîtrise pas. Mais sa plus grande erreur est de succomber au regard aussi noir que la nuit de lord Thadeus Blackmorgan.

Citation preview

  • Georgia Caldera

    Dentelle et Ncromancie

    Victorian Fantasy 1Maison ddition : Jai lu

    ditions Jai lu, 2014Dpt lgal : septembre 2014

    ISBN numrique : 9782290077696ISBN du pdf web : 9782290077702

    Le livre a t imprim sous les rfrences :ISBN : 9782290077610

    Ce document numrique a t ralis par Nord Compo.

  • Prsentation de lditeur :Daussi loin que remontent ses souvenirs, Andraste, issue dune longueligne de sorcires, vit dissimule aux yeux du monde. Son univers restreintressemble sy mprendre une cage dore, elle qui ne rve que desenvoler. Cest alors quune invitation de la main mme de la Reine vientbousculer les plans de sa grand-mre qui dirige la famille dune main de fer.Et une requte royale ne se refuse pas moins de souhaiter perdre latte.Sa dcouverte du monde commence, mille lieues de ce quelle imaginait.La cour est pleine de dangers, de rumeurs et de rgles quelle ne matrisepas.Mais sa plus grande erreur est de succomber au regard aussi noir que lanuit de lord Thadeus Blackmorgan

    Fleurine Rtor / ditions Jai lu

    Auteure et illustratrice, GEORGIA CALDERA sest fait connatre avec sasrie fantastique Les larmes rouges, distingue par le prix Merlin. Elle aaussi crit une romance contemporaine, Hors de porte, galementdisponible aux ditions Jai lu.

    ditions Jai lu, 2014

  • Du mme auteuraux ditions Jai lu

    LES LARMES ROUGES

    1. Rminiscences2. Dliquescence

    Hors de porte

  • CHAPITRE 1

    Andraste

    Andraste, les joues rosies par la fiert, replaa dans ses cheveux les deux pinces dont ellevenait de se servir. Elle tait certes dcoiffe, et ne manquerait pas, ce soir, dessuyer lesremontrances de Kathy, sa femme de chambre. Mais elle avait enfin russi crocheter la portedu cabinet de Helen, sa grand-mre !

    Fbrile, elle repoussa le plus doucement possible le battant, prenant garde ne surtoutpas le faire grincer. Elle jeta un dernier coup dil dans le couloir, afin de sassurer quepersonne ne lavait vu faire, puis soupira de soulagement.

    Aprs tout ce temps, elle y tait parvenue !Au coven Coldfield manoir de construction ancienne o rsidaient les femmes Coldfield

    ayant la chance de possder quelque pouvoir aucune me, lexception de sa dirigeante,navait le droit de saventurer en ces lieux. La pice tait non seulement ferme par desubstantielles serrures, dont les ferrures au dessin complexe recouvraient agressivement laporte sans tenir compte de la dcoration cosy du reste du corridor, mais elle tait galementprotge par toutes sortes de charmes.

    Et elle les avait djous, aussi mdiocre sorcire soit-elle ! Il fallait tout de mme direquelle stait entrane et navait pas compt les heures passes sexercer aux contre-sortsde verrouillage. Pntrer dans le cabinet interdit tait devenu lun de ses objectifs premiers. Centait pas comme si elle avait beaucoup dautres choses faire de ses journes, de toutefaon

    Andraste, depuis sa naissance, navait jamais t autorise quitter le manoir Coldfield.Tout ce quelle connaissait du monde extrieur se rsumait ce quelle en dcouvrait au traversde ses lectures, ainsi quau petit jardin clos, situ derrire la demeure et rserv son usagepersonnel. Et encore, il ne lui tait permis de prendre lair quune fois la nuit tombe, hors dequestion que le plus petit rayon de soleil vienne effleurer sa peau, trop ple pour le tolrer.

  • Enfant, elle avait eu le plus grand mal accepter cette situation. Nombreuses avaient tses tentatives de fugue, toutes infructueuses cependant. Mais aujourdhui, vingt et unprintemps passs, ctait devenu totalement insupportable. Voir ses surs, ses cousines etses tantes aller et venir leur guise, se rendre en ville pour choisir le tissu de leurs prochainesrobes ou bien assister divers bals et autres soires prives, quand elle tait confine sesappartements, ntait dcemment plus possible. Ctait comme regarder les autres vivre, rveret samuser travers les barreaux dune cage trop petite pour que lair ne vienne pas un jour manquer.

    Certes, ladite cage tait dore, on le lui avait si souvent rpt quelle ne pouvait lignorer.Les domestiques taient tous ses petits soins. Elle jouissait de la chambre la plus spacieuseet la plus jolie du manoir. Ses moindres caprices taient toujours satisfaits dans les dlais lesplus brefs, au dtriment parfois de ses surs ou de ses cousines, et tout le monde se montraitaimable et comprhensif son gard. On veillait tout particulirement ce que son apptitdmesur pour les robes et autres accessoires de mode dont elle se tenait informe grceaux revues spcialises , ainsi que sa passion sans borne pour les livres, soit largementsatisfait. Une vie de rve dirait certains, denfant gt, sans nul doute. ceci prs quon luirefusait la plus simple des liberts, celle de pouvoir circuler son gr.

    Les issues du manoir taient toutes surveilles, protges elles aussi par des sorts quintaient cette fois destins qu Andraste. Durant la journe, elle ntait jamais vraiment seule,une femme de chambre devait sans cesse lui tenir compagnie. Et, la nuit, leurs deuxdomestiques masculins se relayaient pour monter la garde devant la porte de sesappartements.

    Mais aujourdhui, elle avait prpar son coup. Quelques herbes supplmentairesaccompagnes dun soupon dincantation approprie, et le th laiss dans sa tasse, quellesavait que Kathy finirait par avaler en douce, allait faire dormir cette dernire probablementplusieurs heures encore.

    Apprendre raliser ce charme navait pas t facile non plus. Cela lui avait demandbeaucoup dexercice et son pauvre chat, Mister Poppington, ne stait plus rveill depuis prsde trois jours aprs les essais pratiques

    Toutefois, cela en valait la peine. prsent quelle se tenait l, dans le cabinet interdit, passer en revue les nombreux ouvrages proscrits amasss sur les tagres poussireuses,elle sen rendait bien compte.

    Ctait un pari os Aprs tout, qui savait ce quelle risquait pour une telle atteinte aurglement du coven ? Mais elle tait presque certaine de trouver ici les rponses sesquestions. Il fallait quelle comprenne, quelle sache enfin pourquoi elle tait traite de maniresi singulire elle avait beau affecter la rsignation, elle ntait pas si sotte, une simpleintolrance au soleil ne pouvait raisonnablement pas tout expliquer et surtout, quelle dcouvrele moyen de rchapper ce destin dont elle ne voulait pas.

  • Car la seule alternative sa captivit puisque ctait bien ainsi quelle voyait les choses tait ce mariage arrang depuis le jour de sa naissance avec un homme de vingt ans son an.Ardghal, prince dIlandria, lle rebelle. Elle ne savait absolument rien de lui, si ce ntait que, leroi vieillissant, la couronne allait bientt lui revenir, et navait mme jamais vu ne serait-ce quunportrait de ce fianc qui demeurait pour elle un parfait inconnu.

    Toutefois, lalternative en question, que beaucoup lui auraient envie, ne lui convenaitgure. Comment accepter de quitter une prison pour aller senfermer dans une autre, encompagnie dtrangers, et de surcrot en pays ennemi ?

    Ctait Helen, sa grand-mre, qui avait conclu cet accord. Pourquoi, comment, Andrastelignorait. La famille Coldfield ntait pas pauvre et faisait partie de la gentry, nanmoins elle neroulait pas sur lor pour autant. Ses tantes avaient bien du mal trouver des maris convenablespour leurs prognitures et ses propres surs ne sen sortaient pas mieux. Ainsi, dans cesconditions, quest-ce qui pouvait bien faire delle, jeune femme la sant prcaire, derniredune fratrie de cinq filles, dont la mre tait morte en couches et dont le pre, galementdcd, navait possd ni titre ni fortune, une pouse digne dun futur roi ?

    Andraste ne cessait de se le demander.Et la rponse se trouvait tout prs, porte de mainBien que plusieurs livres aux intituls curieusement similaires laient intrigue, elle dlaissa

    ces mystrieuses mines de savoir tenues caches pour se concentrer sur les dossierscontenant la correspondance de sa grand-mre. Elle prit le temps de parcourir les lettresrestes sorties sur le bureau. Mais elle ne trouva rien dautre que des changes avec lescommerants de la ville ou des invitations des soires auxquelles elle-mme ntait jamaisconvie.

    En dehors de ce fameux prince, les gens savaient-ils seulement quelle existait ? Elle endoutait de plus en plus.

    Elle ouvrit plusieurs tiroirs et en retira le contenu afin de pouvoir ensuite mieux lplucher.Cest en ttonnant la recherche dune missive encore plie, reste coince au fond de lundes casiers, quelle se rendit compte que quelque chose clochait. Comment du papier pouvait-iltre pris dans le bois du meuble ?

    Andraste toqua contre la paroi et sourit au doux cho que produisit cette plancheanormalement mince. Elle venait de trouver un compartiment secret ! Les rponses ellestaient l. a ne pouvait tre que a !

    Elle palpa frntiquement la cloison la recherche du systme douverture. Il y en avaitforcment un.

    Mais elle eut beau racler tout lintrieur du tiroir de ses ongles la manucure dsormaisruine, elle ne trouva absolument rien.

    Exaspre, elle se laissa tomber genoux, puis sassit mme le sol au risque defroisser la dlicate soie de sa robe parmi les lettres tales sur un tapis tout aussi

  • poussireux que le reste du mobilier, et fit claquer sa langue. Le temps allait lui manquer. Celadevait bientt faire une heure quelle tait l et tt ou tard Kathy reviendrait elle etsapercevrait de son absence Le plus tard serait le mieux, videmment. Pour linstant lesrecherches dAndraste ne lavaient encore mene nulle part.

    Un clair de gnie, ou bien le plus grand des hasards, attira son regard vers le dessous dubureau. Une petite pice de bois carre, dun centimtre de ct environ, se distinguait delensemble marquet. Le vernis tait ici plus us quailleurs.

    Andraste retint son souffle, puis se hta dappuyer sur ce qui lui apparaissait comme unbouton-poussoir. Llment senfona lgrement et un cliquetis mtallique se fit entendre.

    Le double fond du tiroir tait ouvert !Et, lintrieur, se cachait un livre encore un !La chose tait bien trange. Pourquoi celui-ci, un trait thologique qui navait a priori rien

    dexceptionnel, ntait-il pas rang avec les autres, sur les tagres ? La reliure de cuir avait dtre remplace, mais il tait vraiment trs ancien, lusure du papier en tmoignait.

    Les sourcils froncs, elle parcourut les pages du vieil ouvrage et fut incapable de retenirles larmes de frustration qui dgringolrent le long de ses joues la lecture de ce texte sansgrand intrt.

    Avait-elle fait tout a pour a ?!Elle ne pouvait y croire, il y avait forcment autre chose Le livre tait sans doute une

    fausse piste, destine perdre lodieux curieux qui oserait mettre les pieds dans ce cabinet, etainsi dtourner son attention de ce qui tait rellement important.

    Andraste se retourna pour observer les murs. Un tableau cachait peut-tre un coffre ?Ralisant quelle ne disposait plus dassez de temps, elle replaa les dossiers dans les

    tiroirs. Et, avant mme quelle nait pu remettre le livre dans le compartiment secret, la porte ducabinet sentrouvrit.

    Agatha, lune de ses cousines germaines, passa la tte dans lembrasure. Sa mchoireouverte comme celle dune carpe et ses yeux carquills, aussi ronds que des soucoupes, endisaient long sur sa stupfaction.

    Par la Desse ! sexclama celle-ci au bout de quelques secondes, avant de baisser lavoix pour chuchoter : And, mais quest-ce que tu as fait ?!

    Andraste sessuya discrtement les joues, sefforant de reprendre contenance. Puis, leplus naturellement du monde, elle rpondit en battant des cils, se composant une expressionmlant astucieusement innocence et un brin dembarras :

    Je je cherchais des livres traitant de des rapports conjugaux. Personne ici najamais voulu men parler et la bibliothque familiale ne ma strictement rien appris ce propos.Les noces approchant, je minquite. Et je pensais pouvoir au moins trouver ici un ouvragesusceptible de mapprendre quelque chose.

    Agatha, grande brune aux yeux bleus, tait une coquette comme on nen avait rarement vuet ne savait converser que lorsque lobjet de la discussion portait sur la gent masculine sujet

  • qui la passionnait sil en tait un. En outre, la rflexion ntait pas son fort et la vivacit despritne faisait pas partie de ses qualits. Il tait donc tout fait possible quelle se laisse convaincrepar ce mensonge, si norme soit-il.

    Parce quAndraste, bien que manquant furieusement dexprience dans ce domaine nayant jamais eu le loisir dapprocher de prs ou de loin un homme autre que leursdomestiques, contrairement sa cousine , ntait pas compltement ignorante. Aprs tout, labibliothque du manoir ne contenait-elle pas, entre autres choses, les sulfureuses uvres duncertain marquis Mais comment Agatha aurait-elle pu le savoir, elle qui ny mettait jamais lespieds ?

    Cette dernire eut une moue compatissante. Oh, ma chrie, comme je te comprends. ta place, je naurais pu supporter ta

    situation, tre prive de toute compagnie masculine et se trouver systmatiquement mise lcart de nos conversations dadulte, comme ce doit tre triste ! Mais pntrer dans ce cabinetest formellement interdit. Pour nous toutes, sans exception. Imagine que quelquun dautre quemoi te trouve ici ? Le prix en serait, je le crains, bien lev Lve-toi vite et partons, sil teplat. Je rpondrai tes questions, je te le promets. Tant que tu nen parles pas Helen, celava de soi.

    Andraste se redressa. Garderas-tu le secret ? Eh bien, jimagine que je le dois, puisque jai moi aussi pouss cette porte. On pourrait

    bien me souponner de complicit, tant donn que mon niveau en sortilge est largementsuprieur au tien Mais comment ty es-tu prise, dailleurs ?

    La jeune fille se contenta de hausser les paules. Si elle commenait sexpliquer, sonmensonge ne tiendrait plus la route. Rassure de voir quAgatha ninsistait pas, elle remit undernier dossier dans un des tiroirs, et dcida de garder le livre.

    Un regard jet par inadvertance la page laquelle il tait rest ouvert, alors quellesapprtait le ranger, avait attir sa curiosit. Une phrase manuscrite, demi efface,apparaissait certains endroits prs du titre, sous les lettres imprimes, ainsi quun symboletrange, peine visible lui aussi. Peut-tre ntait-ce pas quun trait thologique finalement ?

    Avec un peu dadresse, et cach derrire son dos, sa crdule de cousine ne remarqueraitsans doute pas son emprunt.

    Et toi, pourquoi es-tu venue ici, au fait ? interrogea-t-elle, esprant dtourner pour debon son attention.

    Mince ! Ma surprise ma fait tout oublier ! scria-t-elle en plaquant le dos de sa mainsur sa bouche. On ma envoye te chercher, figure-toi. Ma mre tattend dans le boudoir gris.Elle a une lettre te remettre de toute urgence. Une lettre amene par un magnifique quipagequi fait en ce moment mme le pied de grue devant la maison.

    Andraste sarrta net et leva un sourcil, interdite.

  • Pardon ? Une lettre ? Pour moi ? Tu as d mal comprendre.Ce ne serait pas la premire fois, songea intrieurement la jeune fille. Mais pas du tout, assura Agatha en poussant sa cousine dans le corridor, non sans

    avoir, au pralable, pris soin de refermer la porte du cabinet derrire elle.Les serrures, mues par les charmes de scurit, se renclenchrent automatiquement. Et je le rpte, cest urgent, pressa-t-elle tout en sondant attentivement le couloir du

    regard. Cela fait au moins un quart dheure que je te cherche. O est passe Kathy ? Commentse fait-il quelle tait laisse seule ?

    Oh, tu sais comment elle est, probablement en train de faire la sieste quelque part Vraiment ? stonna Agatha. Je ne la savais pas feignante. Jen informerai Helen, ce

    nest pas normal.Andraste se mordit la lvre. Avec ses imprudences, elle allait attirer des ennuis sa

    bonne laquelle devait probablement tre en train de lutter pour sarracher un sommeil desplus dsagrables tant il tait trouble et pesant. Peut-tre aurait-elle galement des nauses ?Ctait un des effets secondaires, selon le livre do tait tire la formule

    Puis, voyant l une occasion, Andraste recula de manire se soustraire lemprise de sacousine, profitant de la manuvre pour abandonner subtilement le livre sur une console,derrire un vase.

    Ma robe, justifia-t-elle, tu vas la froisser.Une inquitude tout fait crdible lorsquon connaissait un tant soit peu la jeune fille et son

    souci du dtail pour sa mise. Navre, mais toute cette histoire mangoisse. Jespre que personne napprendra que

    tu as russi ouvrir ce maudit bureau. Bien sr que non. Comment cela pourrait-il se savoir, si tu nen parles pas ?L-dessus, Andraste entra dans le boudoir o elle tait attendue. Elle tait affreusement

    due de navoir rien trouv en dehors de ce mystrieux trait. Mais cette surprenante nouvelle,cette missive qui lui tait tout spcialement adresse, balayait toute autre pense de sonesprit.

    Qui pouvait bien lui crire ? Qui dautre quArdghal, son fianc, qui avait pour habitudedchanger avec sa grand-mre lorsquil tait question delle, pouvait bien connatre sonexistence ?

    Sa tante, Minerva, gardienne des lieux en labsence de la dirigeante, se tenait debout aumilieu de la pice, les bras croiss sur la poitrine, la mine svre.

    Elle et six de ses huit filles deux dentre elles avaient eu le tort de natre sans pouvoirs taient venues sinstaller au manoir lorsquelle stait retrouve veuve, quatre ans auparavant.Depuis, Andraste navait jamais vu un seul sourire venir clairer son visage la beaut fane,vole par les annes, les soucis, ainsi que ses trop nombreuses grossesses. Ctait tonnant,mais mme Helen, sa propre mre pourtant, possdait des traits plus agrables et moins

  • brouills.Minerva secoua la tte, agitant de manire assez cocasse la dentelle de son bonnet

    accessoire depuis longtemps dpass dont le port, selon Andraste, tait un terrible affrontfait la mode et au bon got. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais sarrta en plein lan. Elleprit dune main tremblante la lettre pose sur la table devant elle, la tendit sa nice dun gestebrusque, puis se ravisa.

    Mais enfin, ma tante, que se passe-t-il ? senquit la jeune fille qui bouillonnaitdimpatience. Ce pli mest-il adress, oui ou non ?

    En effet, malgr limprobabilit de la chose, il test bel et bien adress ! couina-t-elle,rouge de confusion. La la reine Victoria te rclame la cour ! Voil, ce quil y a, ma chre.Peux-tu mexpliquer comment cela est seulement possible ?

    Je je bafouilla Andraste en se laissant tomber dans le premier fauteuil venu. Non, jene peux pas lexpliquer.

    La reine ? la cour ? Quelle tait donc cette plaisanterie ?! Ctait un tour bien cruel quonlui jouait l.

    Elle regarda nouveau sa tante, tout autant surprise quelle, mais finit par trouver son tatde nervosit bien suspect.

    Ainsi, cest ce que dit la lettre ? Que je dois me rendre au palais de No-Londonia, surla demande de de la reine ?

    Es-tu sourde ?! aboya-t-elle, inhabituellement agressive. Faut-il te rpter chaque motpour que tu en saisisses le sens ?

    La jeune fille prfra ignorer le sarcasme, tenant avant tout vrifier par elle-mme lesallgations de sa tante.

    Puis-je voir ce billet ?Ne lui tait-il dailleurs pas destin ?!Minerva hsita encore quelques instants, de plus en plus mal laise, puis lui donna la

    missive.Le courrier stipulait quil sagissait dun ordre de Son Altesse Royale et que le dpart

    dAndraste devait seffectuer sance tenante. Autrement dit, ds rception du message, grce lquipage envoy cet effet. Le sceau, qui avait cachet le pli, reprsentait un lion et unelicorne encadrant une couronne, insigne reconnaissable entre tous, et laissait peu de place audoute. La jeune fille tenait entre ses mains une lettre des plus officielles.

    Et elle osait peine y croiretait-ce l loccasion quelle avait tant attendue ? Cette chance, quelle nesprait plus,

    denfin pouvoir chapper sa famille, au coven, et pourquoi pas ce mariage dont elle navaitque faire ?

    Elle se ressaisit et ravala son tonnement pour ne plus montrer que de lassurance. Elle nedevait en aucun cas laisser passer cette extraordinaire opportunit.

    Eh bien, ma tante, nul besoin de vous mettre dans un tel tat de nerf. Le message me

  • parat clair, je dois partir. Jaurai de la peine vous quitter, bien entendu. Mais il sagit dunordre de Sa Majest. Je nai dautre choix que de my conformer.

    Petite sotte ! linsulta soudain Minerva, la lvre infrieure tremblant de rage ou biendangoisse, cela restait dterminer. videmment que tu ne comprends pas ! Tu ne peux paspartir, las-tu donc oubli ? En labsence de Helen, personne ne peut te permettre de sortir dumanoir !

    Andraste, qui navait pas pour habitude quon sadresse elle sur ce ton, redressafirement le menton et rpliqua :

    Si vous voulez parler des sortilges qui me retiennent entre ces murs, il faudra pourtantbien trouver une solution. La reine Victoria nest pas quelquun que lon peut faire attendre,lignoreriez-vous ?

    Minerva se mit alors faire les cent pas dans la pice, triturant fbrilement les perles deson collier. Puis elle marmonna, comme pour elle-mme :

    Cest impossible il doit y avoir un malentendu, immanquablement. Comment aurait-ellepu savoir ? Comment non, cest impossible

    Pourquoi ? Savoir quoi ?Andraste se heurta une fois de plus au silence qui tait de mise lorsquelle se risquait

    poser trop de questions.Au bout dun moment, sa tante pivota vers elle, puis ltudia avec gravit, perdue dans de

    sombres rflexions. Quand elle sortit de son mutisme, ce fut pour dclarer, jetant un bref coupdil en direction du vestibule o devaient attendre les domestiques de la reine :

    Nous navons pas le choix, Helen devra laccepter Tu vas aller la cour, puisquon nepeut faire autrement. Cependant, tu ne peux ty rendre ainsi.

    La jeune fille crut, lespace dun instant, que Minerva faisait rfrence sa coiffurenglige, ainsi qu ses jupes froisses et poussireuses.

    Tes cheveux et tes yeux, mon enfant, il va falloir les cacher.Sur ces paroles, elle caressa dune main singulirement douce le crne de sa nice. Puis

    elle passa la paume sur son visage, tout en psalmodiant quelques formules que la jeune fillenavait jamais entendues auparavant.

    Quand elle rouvrit les paupires, Andraste se sentit lgrement diffrente, sansvritablement savoir pourquoi. Elle frona les sourcils, puis alla se poster face au miroir le plusproche.

    Mais je suis brune ! sexclama-t-elle, fort mcontente. Enfin, mais pourquoi ?!Cette fois, elle ne laisserait pas sa tante se dfiler. Pour quelle absurde raison venait-elle

    de camoufler sa magnifique chevelure dun blond si ple quil en tait quasiment blanc, sous unaffreux noir de jais, et ses yeux violets par deux iris dun marron quelconque ?

    Parce que lon se moquerait de toi, rpondit Minerva du tac au tac, prenant un airextrmement grave. Tu nen as sans doute pas conscience, mais ton physique est, sache-le,

  • trs particulier. L-bas, il est impratif que tu passes inaperue. Tu dois prendre garde nattirer sur toi aucune raillerie et ton attitude devra tre exemplaire. Noublie pas que tu esfiance et quil faudra que cette alliance reste secrte. Tu sais que les relations entre notreNo-Britannia et Ilandria ne sont pas au beau fixe, nest-ce pas ?

    Andraste hocha la tte, partage entre le dsir den apprendre davantage au sujet desparticularits susmentionnes tait-ce si terrible que cela, possdait-elle rellementdhorribles tares, et, si oui, pourquoi ne lui en avait-on jamais parl ? et celui de courir jusqusa chambre prparer durgence ses malles pour enfin fuir le manoir Coldfield.

    Ny tenant plus, elle opta pour la seconde solution. Soit, obtempra-t-elle sans enthousiasme en amenant devant ses yeux une mche de

    ses cheveux nouvellement colors. Je resterai donc ainsi. Cest de la plus haute importance, insista sa tante en lui prenant lpaule, son bonnet de

    dentelle dgringolant lgrement dun ct cause de sa trop grande agitation. De toute faon,tu voudrais dfaire ce sort que tu ny russirais pas. Tu devras aussi te mfier de toutepersonne avec qui tu noueras des liens, quels quils soient. Naccorde ta confiance aucundeux. la cour, les relations sont trs diffrentes

    Elle sarrta un instant, songeuse, puis secoua la tte, comme si elle venait de se rappelerquelque chose de capital.

    Ah ! Tu auras galement besoin dun chaperon, et je ne peux taccompagner. Helen nesen remettrait pas si, en plus du reste, je dlguais mes responsabilits au sein du coven.

    Andraste retint sa respiration, elle navait pas song a. Ta sur, Ruth, viendra avec toi. tant donn son ge, elle pourra trs bien remplir

    cette fonction. Je vais tout de suite la prvenir.La jeune fille poussa un long soupir mais pas de soulagement.Ruth ntait pas un mauvais choix en soi. Aprs tout, de par sa puissance, son srieux et

    son acharnement travailler sans relche ses pouvoirs, elle tait sans doute la sorcire la plusprometteuse de toute la famille. Mais elle tait aussi la personne la plus ennuyeuse quAndrasteait connue. Treize annes, ainsi que de nombreuses divergences de gots et dopinion quiavaient donn lieu autant de disputes que de jours passs sous le mme toit les sparaient.Et il tait hors de question que cette rabat-joie condescendante, vieille fille aigrie de surcrot,vienne gcher le plaisir de sa sur denfin goter la libert !

    Il nest pas prcis que je dois mencombrer dun chaperon, protesta-t-elle en seplaant devant la porte.

    Assez bavard, je te rappelle que tu es attendue. Tu iras avec Ruth, un point cest tout.Andraste neut gure le loisir dargumenter davantage, Minerva si perturbe quelle allait

    finir par en perdre son satan bonnet lcarta sans mnagement et sengouffra dans le couloiren lentranant sa suite, la tirant vigoureusement par le bras.

    Comme je tenvie, And ! scria Agatha en sautillant sur place, ses poings presss

  • contre sa poitrine et ses grands yeux brillants de convoitise. Tu vas rencontrer tellement degentlemen ! Des ducs, des barons et des comtes et leurs fils aussi ! Quelle chance tu as !

    Andraste pouffa de rire, trop heureuse pour ne pas partager lexaltation de sa cousine.videmment, elle allait faire la connaissance de beaucoup dhommes la cour, ce qui seraitune grande nouveaut. Mais ce ne serait pas la seule, et ce point tait loin de figurer en tte desa liste de priorits.

    Kathy, la femme de chambre, aidait la jeune fille se changer, retouchant galement sacoiffure, pendant quune autre soccupait de ses bagages. Toutes ses surs lexception deRuth, qui, ne possdant quassez peu de vtements, prparait ses affaires seule sescousines, ainsi quHarriet, son autre tante, lavaient rejointe dans sa chambre afin de passeravec elle le peu de temps quil lui restait avant son dpart.

    Mais elle sen moque, elle est dj fiance, objecta Sarah, lune des surs Coldfield. Etrien de moins qu un prince !

    Un prince peut-tre, mais dIlandria, commenta une cousine dun ton mprisant. On nesait pas grand-chose au sujet de ces gens-l, si ce nest quil y a parmi eux beaucoup deBerserks. Un pouvoir trs primitif, me semble-t-il. Et puisquon en parle, il parat que sur cettele vivent encore des sauvages Un gentleman britannique serait largement prfrable, pourelle, comme pour notre famille.

    Et tu vas dcouvrir les splendeurs du palais royal, les plaisirs de la cour, et toutes lesdistractions quoffre No-Londonia ! ajouta Agatha.

    Non, certainement pas, elle devra faire profil bas, rappela durement Harriet, la tanteclibataire, les poings sur les hanches. Lengagement qui lie Andraste Ardghal ne peut trerompu et elle le sait parfaitement. Nest-ce pas, ma nice ? Ce sjour la cour ny change riendu tout. Elle ne sortira pas de lenceinte du chteau et ne devra discuter quavec les gens qui luiauront t prsents. Et ils seront peu nombreux, Ruth y veillera.

    Ah, oui, Ruth, souffla une autre des surs dAndraste. Alors en effet, tu ne risques pasde beaucoup tamuser.

    Nempche, quelle couleur affreuse ! renchrit Agatha, la bouche tordue en une mouede dgot. Quelle ide ma mre a eue ! Il est certain que personne ne te remarquera avec unbrun aussi terne et commun.

    Je crois bien que cest leffet souhait, grimaa Andraste en inspectant limageinhabituelle que lui renvoyait son miroir. Parat-il que ma teinte naturelle susciterait les quolibets la cour.

    Il est vrai que cette pleur extrme pourrait tre mal juge, convint Harriet, un bringne. Tu aurais t traite en curiosit, ou comme une jeune femme souffrant dalbinisme, parexemple. Cest mieux ainsi, crois-moi. Autant se mettre ds prsent labri de tout ragot,quel quil soit. Ils se colportent si vite dans ce milieu.

    Jai pourtant toujours trouv And ravissante telle quelle tait, sinsurgea Sarah, sonpropos accompagn de nombreux hochements de ttes, rassurant quelque peu lintresse sur

  • ce point.

    Andraste, aprs stre absente quelques instants, rejoignit Minerva dans le vestibule,toute une petite troupe de surs, cousines, tante et autres domestiques sur les talons. Lemanoir navait pas connu une telle effervescence depuis bien longtemps.

    Un homme en costume militaire et aux longs favoris roux, retraant les contours dunemchoire des plus volontaires, patientait prs de la porte tandis que plusieurs valets en livresaffairaient charger les malles. Comme Minerva, tout occupe murmurer ses instructions loreille de Ruth, ne faisait pas les prsentations dusage, il savana vers la jeune fille et, aprsquelques raclements de gorge distingus et un plissement de paupires sceptique, prit lui-mme linitiative :

    Est-ce miss Andraste Coldfield ? Tout fait, acquiesa Minerva, en se redressant brusquement, toujours aussi mal

    laise.Lhomme considra la jeune fille avec un tonnement peine dissimul, puis cligna des

    yeux. Un sourire souleva alors lgrement le coin de ses lvres, comme si, finalement, ilapprciait ce quil voyait.

    Et voici miss Ruth Coldfield, lane des Coldfield, reprit Minerva. Elle accompagnera sasur pour le voyage et restera avec elle autant de temps que Sa Majest jugera bon degarder miss Andraste la cour.

    Elle se tourna ensuite vers les deux surs. Ruth, Andraste, voici le capitaine Brighton, envoy tout spcialement pour vous escorter

    jusquau palais.Andraste imita sa sur et excuta une rvrence quelle estima modrment maladroite,

    compte tenu des circonstances. Aprs tout, ctait une premire, puisque jamais encore on nelavait formellement prsente quelquun. Cependant, elle ne put sempcher de se demandersil tait normal que lon missionne un capitaine pour une aussi insignifiante expdition. No-Londonia ntait qu deux heures de voiture du manoir et les routes menant la capitaletaient relativement sres, du moins ce que lon disait.

    Sarah larracha ses rflexions lorsquelle se prcipita vers elle, une expression alarmesur le visage, pour lui donner une ombrelle.

    Cest la plus opaque que jai trouve ! sexclama-t-elle bout de souffle. Jai fait mettreles trois autres que je possde dans tes bagages, puisque tu nen as jamais eu. Mais je ne suistoutefois pas certaine quelles soient assorties tes tenues

    Andraste, soudain prise dun irrpressible lan daffection, lembrassa pour la remercier,presque mue aux larmes.

    Dans la prcipitation, et tandis quon avait fait grand cas dune simple couleur de cheveux,personne navait pens la conseiller sur la meilleure manire de se tenir loin de lastre si nocifpour elle et sa peau extrmement fragile. Voil qui ne manquait pas dironie. Ruth avait-elle

  • reu des consignes ce sujet, afin dempcher sa sur de sexposer ? Ou bien cela avait-ilt tout simplement oubli ?

    Certes, la soire avanant, la nuit stait installe et elle ne risquait plus grand-chose aller jusqu la voiture, mais tout de mme

  • CHAPITRE 2

    Madelyn

    Madelyn terminait de se rhabiller enfin, condition de considrer comme de vritablesvtements les diffrents lments qui composaient sa tenue de travail lorsquon toqua laporte de la chambre.

    Quoi, dj ?!Daccord, elle avait pris son temps pour remettre les bas que le client prcdent avait

    insist pour lui retirer. Mais tout de mme, ne pouvait-on pas la laisser souffler un peu entredeux services ?

    Chienne de vie, grogna-t-elle entre ses dents serres.Et si elle ne rpondait pas, la personne de lautre ct du battant passerait-elle son

    chemin ?a ne cotait rien dessayer.Elle garda le silence et enfila, tout en sefforant de ne pas faire de bruit, sa paire de longs

    gants de soie noire, savourant la fracheur du contact de la dlicate toffe sur sa peau.Madelyn songea un instant aux jours plus clairs quelle avait connus lorsquelle tait enfant.

    Comme ils semblaient loin ! tait-ce une autre vie ou bien un doux rve qui navait exist quedans son esprit ?

    treize ans, lors dune nuit dt, la jeune femme avait tir des flammes son petit frre,laissant malheureusement prir, au profit du membre le plus jeune de leur famille, leurs pauvresparents, coincs dans leur jolie maison de bois, dvore par un incendie dorigine sans aucundoute criminelle.

    Personne ne les avait jamais aims dans cette petite ville perdue dans lOuest, au fin fonddu Nouveau Monde. Ici, contrairement aux principes qui rgissaient la socit du VieuxContinent, laristocratie navait plus sa place et lon mprisait plus que tout les tres dots depouvoirs. Pire, on les craignait

  • Il ny avait bien que la mtamagie, que lon prfrait considrer comme une science, quiavait grce aux yeux des habitants de ces contres encore sauvages. Car les machines qui enrsultaient, mlange astucieux de matriel animal et de pices de mtal ensorcel, aussi raresque prcieuses, rapportaient des sommes colossales, notamment dans lindustrie.

    Cependant, les parents de Madelyn, danciens nobles au sang de mages, ne sen taientpas trop mal sortis. Du moins au dbut. Son pre avait prospr pendant un temps grce laquincaillerie quil avait ouverte leur arrive en ville. Mais la naissance de leur premier enfantavait tout boulevers.

    Parce que ses cheveux blanc argent, son teint de nacre et ses yeux violets faisaient delleun tre part, une crature de lgende aussi extraordinaire queffrayante, leur entouragestait loign, trop inquiet pour continuer frquenter cette famille que le sort avaitcondamne. Ce qui aurait probablement t accueilli comme une bndiction sur lAncienContinent tait ici peru comme luvre du dmon.

    Puis lhistoire stait colporte. Et, malgr les efforts fournis pour garder Madelyn clotrederrire les murs de la maison attenante la boutique, la chose stait sue.

    Enfant, elle navait pas compris. Mais en grandissant, elle avait fini par saisir tout le sensdes insultes cries sous leurs fentres par des passants anonymes. La teneur des messagespeints sur leur porte. Ainsi que la vritable nature des regards quon lui adressait lorsque,bravant lautorit de ses parents, elle saventurait en de rares occasions hors de chez elle.Toujours de nuit cependant, son allergie au soleil lempchant de sortir en plein jour.

    On toqua une seconde fois, plus fermement. a va ! cria Madelyn bout de patience. Il ny a pas le feu, que je sache. Une minute,

    bordel !Un sourire cynique, regorgeant damertume, retroussa ses lvres pleines. Les mots lui

    avaient chapp, mais ils ntaient pas sans cruellement lui rappeler lendroit o elle travaillait,ni la cause de son malheur

    Aprs lincendie dans lequel furent tus ses deux parents, elle avait fui en emmenant sonfrre, cachant ses cheveux sous un fichu pour ne pas tre reconnue. Elle savait que dans cetteville personne ne laiderait, que la bande darrirs qui occupait ces lieux sempresserait determiner ce quelle avait commenc si elle les retrouvait en vie tous les deux.

    Sans argent, sans relations, et avec un petit garon de six ans nourrir, Madelyn avaitsuivi le destin tout trac pour elle lorsquils eurent enfin, aprs de longues heures derrance,rejoint une ville plus importante que celle do ils venaient. Une diligence demi remplie avait eupiti deux et les avait ramasss sur le bord dune route, alors que laube se levait.

    Quand elle avait demand o elle pourrait trouver du travail, tout le monde avait tunanime et lui avait conseill de se rendre aux saloons. croire quil ny avait pas dalternativepossible pour une jeune fille dans sa situation.

    Au moins, dans cet endroit, do elle ne sortait plus, personne ne trouvait redire sur la

  • couleur de ses cheveux. Pour le patron, ils taient mme un argument commercial, la touchedexotisme et de rve ou de danger, ctait selon qui manquait toutes les autres.

    Chienne de vie rpta-t-elle en quittant le fauteuil o elle stait installe aprs ledpart dun de ses clients rguliers, pour aller ouvrir la porte.

    Une migraine lui vrillait les tempes et la musique joue au piano de la grande salle par cetidiot danimcanique une espce de singe mcanique issu de la mtamagie et achet par lesaloon pour amuser ses clients commenait srieusement lui taper sur les nerfs.

    Il y avait trois jours de a, son petit frre, presque un adulte prsent, lavait quitte, luiavouant quil ne supportait plus dtre constamment associ la pute-aux-cheveux-blancs . Ilsouhaitait devenir un homme respectable et rvait de stablir pour fonder une famille. Et ctaitprcisment pour ces raisons quil tait parti, prenant le train vers une destination connue de luiseul.

    Non, vraiment, la vie ne laimait pas. Si on lui avait offert de mourir, l, tout de suite, elleaurait accept. Et sans hsiter, ctait certain !

    Madelyn eut un hoquet de surprise quand, dans lentrebillement, elle dcouvrit une dame.Jamais encore auparavant elle navait eu de client appartenant la gent fminine

    Linconnue la dtailla minutieusement, puis entra dans la chambre dun pas dtermin, uneexpression la fois rjouie et affame sur son visage aux traits nobles et au port altier. Unepuissante aura de sduction se dgageait de sa personne, suscitant une troublante fascination.

    La porte se referma delle-mme derrire lintruse et un fauteuil glissa vers elle pendantquelle psalmodiait voix basse quelques sortilges. Madelyn en resta bahie. En vingt-troisans dexistence, jamais personne navait utilis la magie devant elle. Dans cet tat, ctaitdailleurs considr comme un crime.

    Ne restez pas plante l, ma chre. Jaurais besoin de plus de lumire, sil vous plat.Ntes-vous pas mage ? Lun de vos pouvoirs nest-il pas de commander aux lments ? Allons,pressons !

    La femme posa ses affaires une ombrelle et une mallette sur le sige, puis, tout enretirant sa veste, se tourna vers la jeune fille.

    Sil tait vrai que Madelyn stait dj amuse, tandis quelle tait encore une enfantinsouciante, dvier la trajectoire dun filet deau, faire souffler un courant dair dans sesboucles blanches dans le but de les agiter, ou bien encore modeler une petite flamme endanseuse virevoltante, elle navait plus sollicit ses pouvoirs depuis que sa mre lavait surprise.Elle lui avait alors formellement interdit de recommencer, peu de temps avant lincendie.

    Comment cette inconnue pouvait-elle exactement savoir quelles taient ses capacits ?Elle observa lintruse avec suspicion et cligna des yeux, une impression trange la

    submergeant. Et, pendant un si court instant quil ne pouvait excder la seconde, une imagediffrente se superposa la ralit ou bien tait-ce linverse ? Madelyn vit alors les cheveuxde la femme, retenus en chignon sur le sommet de son crne, passer soudain du brun au blancet ses yeux changer galement de couleur pour devenir aubergine. Mais le plus tonnant tait

  • sa figure, qui se transformait sans cesse, sans pouvoir rester celle dune seule et mmepersonne.

    Le trouble cessa et les choses redevinrent ce quelles taient avant quelle nait cettecurieuse vision.

    Je vois, murmura linconnue, les poings sur les hanches. Vous tes donc galementsorceleuse Ce sera peut-tre moins facile que je le pensais, mais dites-vous bien que lissuesera la mme, que vous rsistiez ou non. Jai besoin de vous, trs chre, et vite ! Vous mtesextrmement prcieuse.

    Pressentant le danger malgr lirrsistible caresse qutait ses oreilles la douce voix delintruse, Madelyn ouvrit la bouche pour crier. Mais, si les mots se formrent sur ses lvres, ilsmoururent sitt aprs, comme touffs par un mauvais coup du sort.

    La femme tendit les mains vers elle en signe dinvitation, puis excuta ensuite tout un tasde gestes dune prcision et dune grce sans pareille, traant dantiques runes dans les airs,tandis quelle chantait dans une langue inconnue.

    Sans quelle comprenne ni comment ni pourquoi, Madelyn se retrouva allonge sur le lit,compltement nue, soumise et offerte cette crature qui, elle le savait dsormais, lui voulaitdu mal.

    Elle se dbattit de toutes ses forces en la voyant approcher, un scalpel la main et untablier de mdecin protgeant sa belle tenue de femme du monde. Mais rien ny fit, les liensinvisibles qui la retenaient au matelas taient inflexibles et ses hurlements ne rsonnaient quedans sa tte.

    Elle naurait jamais d envisager la mortNon ! Elle avait chang davis, elle ne la souhaitait plus ! Tout ce quelle voulait prsent,

    ctait schapper, sen aller loin. Trs loin. Cesser enfin dattendre ce fichu prince charmant quine se prsenterait jamais sa porte pour la sauver de cette misre, aller acheter un billet surun bateau avec largent quelle avait mis de ct pour son frre, et rejoindre le Vieux Continento elle pourrait enfin mener une existence normale malgr ce quelle tait

    Mais plus rien de cela ne serait possible.Les choses taient si mal faitesEt non, dcidment, la vie ne laimait pas.

  • CHAPITRE 3

    Thadeus

    Thadeus serra les dents jusqu les faire grincer et abattit son poing sur le bureau devantlequel il tait assis. Le choc fit dgringoler son verre et le liquide verdtre quil contenait serpandit sur le tapis. Mais il ny prta gure attention. Son esprit tait bien trop embrum parles vapeurs de loutrancire quantit dalcool quil stait forc absorber en un minimum detemps. Esprant ainsi enrayer le mal avant que celui-ci le submerge du moins, essayait-il desen persuader.

    Il se dbarrassa de sa redingote, quil jeta sans tat dme par terre, dfit son col dungeste sec et, le front couvert de sueur, se laissa aller contre le dossier de son sige, redoutantune nouvelle crise. Ces derniers temps, elles taient devenues si intenses que plus aucuneboisson, mme parmi les plus fortes, ne parvenait en attnuer les effets. Plus aucun meubleny survivait non plus

    Combien de pices avait-il mis sac dans sa rage ? Il lignorait, mais tout mme ceseffroyables dmonstrations de colre qui ne manquaient jamais de terrifier son entourage tait prfrable plutt que de laisser chapper de ses lvres le moindre gmissement. Lesplaintes, ctait bon pour les femmes ! Sil y avait une chose que son dment de pre lui avaitapprise dans son jeune ge outre la haine et le ddain que devaient systmatiquement luiinspirer ses semblables , ctait bien celle-ci.

    Le problme tait que ce soir, il ne pouvait donner libre cours ces accs de fureur quilaidaient habituellement surmonter sa souffrance lorsque celle-ci atteignait son paroxysme. Ilntait pas chez lui, dtail qui avait tout de mme son importance.

    Sans bouger, il baissa les yeux, contempla la fissure que le coup avait imprime aupanneau de merisier et soupira, exaspr de ne pouvoir se contenir. Et cela allait empirer, il lesavait.

    La douleur, cette compagne de chaque instant. Que naurait-il pas donn pour sen

  • dbarrasser, ne serait-ce que quelques heures ! Elle palpitait dans chacun des nerfs, veines etartres de sa jambe droite, lui rappelant cruellement quune moiti de ce membre ne luiappartenait pas.

    Une prothse de mtal ensorcel, ralise par ses soins grce au long et prcieuxenseignement reu auprs dun matre mtasorcier, cachait son infirmit. Personne, en dehorsde ceux de sa famille qui connaissaient son histoire, ne pouvait souponner son handicap. Etcela devait absolument demeurer ainsi.

    Toutefois, si le procd savrait diablement efficace pour remplacer la partie manquantede sa jambe ampute tandis quil ntait encore quun enfant , il nen tait pas moins interdit.Cette magie, que certains considraient comme un nouveau genre de science, ne pouvaitsappliquer lhomme. Ctait la premire des rgles que lon apprenait lorsquon avaitlimmense privilge de recevoir linstruction des mtasorciers.

    Et Thadeus savait pertinemment pourquoi. La chose tait tout bonnement insupportable.Elle affectait peu peu les sens et la raison, conduisant lentement mais srement vers la foliequiconque braverait ce premier commandement. sa connaissance, personne dautre navaitt assez tmraire pour se risquer lexprimenter. Et entre tmrit et stupidit, il ny aquun pas. Lui-mme admettait volontiers osciller entre les deux. Il nexistait aucune issue, fairemachine arrire tait impossible. Le mtal avait fusionn avec sa jambe et faisait dsormaispartie intgrante de son corps.

    Nanmoins, il avait fait son choix en connaissance de cause. Thadeus navait de toutefaon pas grand-chose perdre, la dmence faisant quoi quil arrive partie de son hritage. Cefutur tout trac qui tait le sien, il ne le connaissait que trop bien

    Plus de fils an, plus de maldiction ! Il sbroua pour chasser le voile rouge qui couvrait son regard et faire taire cette vieille

    rengaine que hurlait toujours son pre, du fond de son cachot. Laquelle se rptait en chodans les galeries souterraines du chteau, comme en cet instant lintrieur de son crne. Unerasade de brandy, prise directement au goulot de son flacon, vint arroser, puis dissoudre, cespnibles penses. Cet alcool-l tait peut-tre vaguement moins fort que labsinthe de qualitquil avait fait venir de Lutecia et ramene dans ses bagages du Blackshire, mais au moins nencessitait-il aucune prparation.

    Il ferma les yeux, les paupires brlantes.Cette crise, qui le prenait de court tandis quil se trouvait loin de chez lui, envoy par son

    oncle pour mener bien une mission qui lui semblait navoir aucun espoir de russite tant elletait insense, venait confirmer le projet quil nourrissait depuis quelque temps.

    Il navait pas davenir et nen avait mme jamais eu. Navait-il dailleurs pas surpris tout lemonde, navait-il pas dj accompli tout ce quon pouvait attendre de lui et plus encore ?

    Bien sr, sa famille aurait aim le voir prendre femme. Tout reposait sur ses paules,puisquil tait le seul en mesure de perptuer leur nom. Et de prfrence miss AthenasEvershade, lune des rares jeunes filles physiquement passables du pays manifester quelque

  • intrt pour sa personne et jouir dune position sociale tout fait correcte. Ctait l uncompromis des plus acceptables, il devait bien le reconnatre. Elle lui aurait donn ladescendance que sa famille dsirait tant et naurait, en contrepartie, rien exig de lui, niaffection, ni complicit, ni mme sa prsence auprs delle.

    Mais Thadeus, malgr linsistance de son entourage, stait obstinment refus cetteperspective. quoi une pouse pourrait-elle lui servir dans la mesure o il ne voulait pasdenfant ? Grandir Bloodcastle, dans cette rgion abandonne des dieux, et devoir chaquejour assister au spectacle de la dchance dun pre, tait quelque chose quil ne souhaitait personne et surtout pas son hypothtique progniture !

    Non, ce quil fallait, ctait en finir avec tout a une bonne fois pour toutes ! Et le mondeentier sen porterait mieux, ctait aussi simple que a. Le dlire du patriarche ntait-il pas,finalement, la chose la plus sense que Thadeus ait entendue ?

    Plus de fils an, plus de maldiction Ctait tellement vident ! Il aurait suffi que son oncle ne le ramne pas lorsqu neuf ans,

    son pre, aprs avoir poignard sa mre sous ses yeux, lavait jet de la fentre de la plushaute tour de Bloodcastle. Thadeus avait alors pass plusieurs heures au royaume des morts moment dont il gardait un souvenir aussi perturbant quineffable avant den tremiraculeusement arrach par Rupert. Celui-ci avait d y laisser lil avec lequel il avaitrecherch son neveu, tandis que Thadeus stait rveill avec la moiti de la jambe droitedevenue aussi noire et sche que du charbon, les chairs, cet endroit, mortes pour de bon.

    La magie, quelle quelle ft, avait ses alas. Ses avantages, toujours apprciables, maisaussi et forcment ses inconvnients nettement moins satisfaisants au demeurant.

    Sans doute Thadeus aurait-il d prouver de la reconnaissance pour cet oncle bienveillant,mais il ne le pouvait pas. Non seulement la mort et t prfrable cette existence absurdequil menait depuis lors, mais, du reste, il tait incapable de tout bon sentiment.

    Et, prsent, on attendait de lui quil se rende coupable du meurtre dune personneinnocente. Le crime, accompli de sa main, tant cens lever lancestrale maldiction qui pesaitsur les siens. Enfin, condition quil existe vritablement une maldiction. Ce dont il doutaitbeaucoup, une maladie hrditaire pouvant tout aussi bien expliquer leur drame.

    Tuer ntait pas un problme en soi, beaucoup dennemis avaient dj pri sous sa lame,ou grce sa magie. Mais sen prendre quelquun dont le seul tort tait dexister tait djplus dlicat. Il lui restait tout de mme quelques principes

    Du moins se plaisait-il le croire cette heure avance de la nuit o les tnbrescommenaient tournoyer autour de lui. Le vertige procur par lalcool napportait cependantaucun soulagement quant la douleur aigu qui, irrvocablement, remontait le long de sacuisse.

    Non, son choix tait arrt, il ne ferait rien de tout a. Certes, il ntait plus gure en tatde rflchir correctement. Et aucune dcision de cette importance naurait d tre prise dans

  • de telles circonstances. Nanmoins, il tait convaincu dagir pour le mieux.Aprs tout, ntait-ce pas le lieu idal ? Personne ne pourrait le ramener cette foisHaletant fbrilement, il prit appui sur sa jambe douloureuse et quitta son sige. Dans sa

    malle, cache sous plusieurs piles de vtements, se trouvait un objet emport spcifiquementpour cette occasion. Il ne restait plus maintenant qu se mettre en qute dun endroit plusadquat que ces somptueux appartements quon avait eu lamabilit de lui prter pour la durede son sjour.

  • CHAPITRE 4

    Andraste

    Je me demande bien ce que tu peux observer si intensment depuis tout lheure, onne voit strictement rien au-dehors, il fait nuit, fit juste titre remarquer Ruth, un tantinet agace.

    Mais Andraste ne pouvait dtacher le regard des ombres noires qui se mouvaient sur cefond de toile bleu marine paillet dargent. Depuis leur dpart, il y avait de a prs dune heureet demie, elle navait cess dadmirer le paysage qui dfilait devant elle. Et malgr lobscuritgrandissante, ce spectacle nen finissait pas de la subjuguer.

    Enfin, elle tait libre. Enfin, le monde souvrait elle, avec son infinit de possibilits !Elle inspira profondment, tellement heureuse de pouvoir, aprs tout ce temps pass

    enferme, clotre telle une paria, seulement humer des fragrances diffrentes de celles de lamaison ou bien des fleurs de son jardin. Rien ne pouvait venir gcher sa joie, et surtout pas sasur et ses remarques dsobligeantes. Mme le martlement incessant des sabots desquatre chevaux sur la chausse tait une douce musique ses oreilles, pourtant peuaccoutumes ce genre de vacarme.

    En effet, en convint Andraste, sans pour autant quitter des yeux la fentre ct delaquelle elle stait installe. Il faut croire quaprs vingt et un ans de claustration absolue, toutest bon prendre.

    Elle sentit subitement les regards de Ruth, de Brighton, ainsi que du valet de pied qui lesaccompagnaient, peser lourdement sur elle.

    Me permettrez-vous, miss Andraste, de demander ce qui est la cause de mesures sidrastiques ? senquit le capitaine, dun ton presque hsitant.

    Andraste se dcida finalement reporter son regard vers lintrieur du carrosse dontlhabitacle tout comme lextrieur tait clair de deux lampes gaz. Elle vit soninterlocuteur plisser une nouvelle fois les paupires pour mieux la distinguer.

    tait-il si myope que a ? Et pourquoi cela la gnait-il tant dtre ainsi tudie ? Bien que

  • cet homme ait eu de bonnes manires, la faon quil avait de la passer au crible lui procuraitune sensation trs dsagrable. Mais peut-tre tait-ce tout bonnement parce quelle navaitpas lhabitude dtre confronte des inconnus.

    Elle neut pas le temps de rpondre que dj Ruth le faisait sa place : Andraste souffre dune trs grave allergie au soleil. Toute exposition un tant soit peu

    prolonge pourrait lui coter la vie. Do la ncessit de la garder la maison. Enfin, ctaitainsi que nous prenions soin delle jusqu prsent.

    Brighton frona les sourcils et sadressa directement lintresse : Vous men voyez navr, miss. Sa Majest la reine est-elle au courant ? Non, je ne crois pas, rpondit Andraste, son enthousiasme lgrement entam de

    sentendre encore une fois rappeler sa maladie. Seriez-vous assez aimable pour la prvenir ? Bien sr. Et, mon tour, osa-t-elle, puis-je vous poser une question ? Allez-y, jy rpondrai avec plaisir, si je le peux. Croyez bien que jen suis la premire ravie, mais personne ne nous a dit pourquoi Sa

    Majest me voulait sa cour. Le savez-vous ? Je pense que, maintenant que nous sommes en petit comit, je peux vous lexpliquer,

    accepta-t-il dun air grave. Voyez-vous, la reine runit en ce moment tous les jeunes gensnobles du pays prsentant des capacits exceptionnelles dans leur domaine de magie. Uneguerre couve et Sa Majest a besoin de prparer les plus prometteurs de ses sujets, sansdistinction de rang si ce nest le minimum , de fortune ou de sexe, un ventuelaffrontement. Vous suivrez donc un enseignement de premier ordre au palais royal, afin dedvelopper au maximum votre potentiel, en compagnie dhommes et de femmes peu prs dumme ge.

    Les yeux des deux surs sarrondirent en mme temps. Vraiment ? stonna Andraste. Mais, si jai bien quelques pouvoirs, je ne suis quune trs

    mdiocre sorcire et je suis terriblement handicape par ma pathologie. Comment est-cepossible ? Ny aurait-il pas eu erreur sur la personne ?

    Quand bien mme serait-ce le cas, plus jamais elle ne remettrait les pieds au coven ! Ellesenfuirait sil le fallait. Rien ne serait plus simple que de schapper de cette voiture dont seulun banal loquet verrouillait chaque portire de lintrieur.

    Je suis formel, cest bien de vous et de personne dautre quil est question, confirmaBrighton dun ton empreint de mystre. Sa Majest ne se trompe jamais.

    Ruth se redressa, le corps soudain tendu dune colre quelle sefforait nanmoins decontenir :

    Enfin, cest insens ! Je suis la sorcire la plus brillante de la famille ! Personne nepourra dire le contraire. Je passe mes journes travailler mes pouvoirs, apprendre denouveaux sortilges, sans jamais ngliger de parfaire les anciens, de manire accrotretoujours davantage ma puissance. Pourquoi la reine irait-elle choisir ma sur plutt que moi ?!

  • Elle ne le mrite pas !Le capitaine lui jeta un regard passablement indiffrent. Ce nest pas vous de juger de cela, miss Coldfield. Du reste, il ntait pas prvu que

    vous accompagniez miss Andraste. Apprciez donc la chance qui vous est offerte de dcouvrirle palais royal et veillez, lavenir, garder ce genre de remarque pour vous-mme. Discuteren public les dcisions de Sa Majest pourrait vous causer beaucoup de tort.

    Ruth, la fois choque et terriblement vexe, gonfla la poitrine quelle avait par ailleursfort discrte , croisa les bras avec humeur et se rencogna au fond de son sige, les yeuxluisants de larmes de dpit.

    Quelques minutes plus tard, No-Londonia et sa ferie de lumires taient en vue. Unlger brouillard attnuait lensemble et rendait plus diffus lclairage des nombreux rverbresde la ville. Andraste, merveille, tait retourne sa fentre et son silence concentr.

    Ils circulrent travers tout un tas de rues et davenues, les fers des chevaux claquant demanire assourdissante sur les pavs. Malgr lheure tardive, ils croisrent beaucoup dautresvoitures nettement moins luxueuses, pour la plupart puis ils traversrent la Tamise, le palaisroyal en ligne de mire.

    Cette scne-l tait blouissante. Jamais Andraste, qui navait pu apercevoir ce genre dechose quau travers dimages imprimes dans des livres, naurait pu imaginer un tel monument.

    Ldifice, construit dans le plus pur style nogothique, tait compos de deux tagespercs dune ribambelle de fentres vitraux. Le tout tait rehauss de tours carres dontlune, parmi les deux plus hautes, portait une immense horloge , lesquelles taient surmontesdune multitude daiguilles de pierre se dressant firement dans le ciel obscur. Astucieusementillumin, le palais, majestueux dans son habit du soir, stendait face au fleuve, son reflet jauneet brillant jouant de manire fascinante sur les eaux sombres et frmissantes.

    De hautes grilles souvrirent leur arrive. Ils franchirent le porche, puis sarrtrent danslenceinte dune cour, devant une porte en ogive.

    Andraste prit la main que le capitaine lui tendait et sortit de voiture, jetant un dernier regardaux gardes occups refermer le portail aprs leur passage.

    Pourquoi fallait-il toujours quo quelle aille il y ait des barreaux ? Les autres sont arrivs il y a quelques jours, vous tes la dernire, expliqua Brighton en

    les conduisant, elle et sa sur, lintrieur du chteau. Les cours commenceront ds demain.Aussi, nous allons tout de suite vous installer dans vos appartements o une collation vousattend et o vous pourrez ensuite vous reposer pour le reste de la nuit. Vous verrez, le rez-de-chausse est trs confortable et trs moderne. Sa Majest y a rcemment fait installer un toutnouveau systme de plomberie. Ici, mme les domestiques possdent une salle spciale oleau chaude coule toute heure.

    Ils arpentrent plusieurs couloirs et autres galeries votes fastueuses, mme la faiblelueur des lampes ptrole que portaient les femmes de chambre qui les escortaient. Ils

  • passrent une enfilade de pices, puis cessrent leur prgrination devant une porte doublebattant, aux panneaux de bois sombre et richement sculpt.

    Nous y sommes, avertit une domestique voix basse, soucieuse de ne pas faire tropde bruit une heure o la plupart des rsidents devaient tre endormis.

    Bien, miss Coldfield, miss Andraste, cest ici donc que je prends cong, fit Brighton ensinclinant vers elles, puis, ne sadressant plus qu Andraste, il ajouta : Veillez tre prte neuf heures demain matin, on vous montrera o vous devez vous rendre.

    Leurs malles se trouvaient dj dans la chambre lorsquon les fit entrer et deux jeunesfemmes se htrent de dposer sur une table des plats froids pendant que dautres rangeaientleurs affaires.

    Affame et fatigue par le voyage, Andraste ne posa pas de question. Elle sassit etcommena manger en silence, apprciant de goter une cuisine diffrente de celle que lonservait habituellement au coven. Ruth limita, mais picora plus quautre chose.

    Puisque nous sommes entre nous, je me dois de te prvenir, dclara cette dernire enregardant sa sur terminer avec gourmandise un petit pain brioch. Tu devrais faire un peuplus attention ton alimentation. Jimagine quici il y aura beaucoup de tentations, mais noubliepas que la plus astucieuse des tournures ne saurait cacher un fessier trop imposant

    Et de jolis yeux bleus ne peuvent faire oublier un vilain nez, rpliqua intrieurement lajeune fille aprs avoir encaiss le coup. Au demeurant, ce ntait pas la premire fois que sasur lui faisait ce genre de remarque. Ruth tait trs grande et son corps tait limage deson temprament, sec et sans fantaisie. En revanche, Andraste tait petite et bien quelle aiteu la chance davoir la taille fine arborait nanmoins des formes pleines et panouies. Peut-tre ltaient-elles un peu trop ?

    Elle inspira profondment, sessuya la bouche et reposa sa serviette, le tout dans le plusgrand calme. Non, elle ne sabaisserait pas rpondre.

    Je suis sre que mme les rustres dIlandria napprcient pas les femmes obses,chuchota Ruth loreille de sa sur.

    Celle-ci se leva dun bond, incapable de rester stoque plus longtemps, et sexclama : Mais quel est ton problme, la fin ?!Son ane eut un sourire de satisfaction qui se mua rapidement en une grimace acerbe.

    Elle jeta un il aux femmes de chambre qui sactivaient quelques mtres delle, prenantgrand soin de dfroisser, puis de suspendre sparment chaque robe dAndraste.

    Tu as toujours tout, souffla Ruth en lui tournant soudain le dos. La prfrence de grand-mre, de nos cousines et de nos surs, un jardin pour toi seule, les plus jolies toilettes, lesfianailles avec un prince et maintenant a !

    Une servante les interrompit pendant que les autres dbarrassaient la table et sclipsaientsans bruit :

    Nous avons prpar un second lit dans le boudoir, pour votre dame de compagnie,

  • miss. Dsirez-vous prendre un bain avant de vous coucher ? Oui, sil vous plat, acquiesa Andraste, prfrant ignorer sa sur. Est-ce le cabinet de

    toilette l-bas ?La chambre, dcore de fines boiseries et de tapisseries dans les tons pastel, tait

    somptueuse, mais galement trs spacieuse bien plus que celle quelle avait au manoir etelle navait pas encore eu le temps den faire le tour.

    Tout fait, rpondit la femme de chambre. Rserv, bien entendu, votre usagepersonnel. Comme tout le reste de cet appartement.

    On toqua prudemment la porte, puis une autre servante apparut dans lencadrement. Veuillez mexcuser, miss, mais une lady nous rclame, Sandrine et moi, de toute

    urgence Je reviens dans quelques minutes, lana celle qui devait tre Sandrine, avant de

    sempresser de rejoindre sa collgue. On ferait mieux de se coucher maintenant, avisa Ruth en commenant dfaire son

    chignon. Il est trs tard et lune de nous deux doit tre en forme demain.Andraste haussa les paules, toujours en colre contre sa sur. Puis elle se rendit dans

    la salle de bains, bien dcide se dbrouiller toute seule pour faire fonctionner le fameuxsystme de plomberie dont avait parl le capitaine Brighton.

    Cependant, elle et beau tourner et retourner dans tous les sens les vannes des robinets,rien dautre que quelques couinements plaintifs ne sen chappa.

    Ne sois pas idiote, tu vois bien que tu ne sais pas ten servir, observa Ruth ensappuyant contre le chambranle. Quelques ablutions au rveil suffiront amplement.

    Elle tait en chemise de nuit et avait dj natt ses longs cheveux auburn. Elle billa sendcrocher la mchoire, manifestement puise, puis, tout coup, sexclama :

    Tu fais tellement de manires ! Cest bien ce que je disais, une vraie princesse !Andraste, qui avait eu sa dose de remontrances pour la soire, quitta la pice et se dirigea

    dun pas nerveux vers le vestibule. O vas-tu ? senquit sa sur en essayant de lui barrer la route. Tu ne vas tout de

    mme pas sortir toute seule dans les couloirs une heure pareille ? Ah non ?! Tu crois ? Enfin, sonne lune des bonnes si tu y tiens tant que a, ton bain, mais ne commence

    pas te compromettre !Andraste ouvrit la porte, mais Ruth lui attrapa le poignet et referma brutalement le battant. Si tu penses que toi aussi, tu peux me retenir quelque part contre mon gr, tu te mets le

    doigt dans lil ! siffla la jeune fille furieuse, dgageant sa main avec hargne tout en repoussantson opposante dun mchant coup dpaule.

    Ruth fut tellement surprise quelle ne tenta pas dautre manuvre et se contenta deregarder sa sur sortir, les yeux carquills dincrdulit.

  • CHAPITRE 5

    Andraste

    Une fois dans le couloir, Andraste prit sur une console la lampe ptrole encore allumequune des servantes avait d oublier, puis refit le trajet effectu peine une heure plus tt ensens inverse. Sa vive raction avait choqu Ruth, elle sen tait bien rendu compte. Mais il yavait certaines choses quelle ne pouvait plus supporter et lenfermement en faisait partie.

    Elle nallait tout de mme pas se distinguer ds le premier soir et rveiller tous lesdomestiques en sonnant cette heure Et Sandrine la femme de chambre qui avait promisde revenir ne devait de toute faon pas tre trs loin. Au pire, elle trouverait bien quelque partune autre servante encore debout et prte laider. Que craignait au juste son ane, quepouvait-elle bien risquer arpenter les galeries du chteau, si tard soit-il ?

    Mais elle eut beau chercher, Andraste ne croisa pas me qui vive, et, lobscurit aidant, seperdit rapidement. Elle commena rellement sinquiter lorsquelle dboucha sur une partienettement plus sobre du palais, pratiquement dnue de toute dcoration. Les quartiers desdomestiques, sans aucun doute.

    Elle soupira, presque soulage. Elle aurait plus de chance de trouver ici quelquun quipourrait laider rejoindre sa chambre que partout ailleurs. Mais ses espoirs furent vite dus. linstar du reste du palais, lendroit tait totalement dsert.

    Elle rebroussa chemin, ralisant quil valait mieux sefforcer de retourner do elle venait, etpassa pour la seconde fois devant une porte do se dgageaient quelques discrets filets devapeur, et sur laquelle une petite pancarte indiquait salle des douches .

    De leau chaude toute heure, mme pour les domestiques. Comme il tait tentant devrifier les dires du capitaine Brighton

    Andraste, qui avait voyag pour la premire fois aujourdhui, sentait encore sur sa peaulair poussireux des routes. a aussi, elle avait du mal le supporter. Si elle devait errer toutela nuit la recherche de ses appartements, au moins serait-elle propre, dcida-t-elle en

  • poussant le battant.Elle pntra dans un vestibule o deux autres portes soffraient elle, opta pour celle de

    droite et entra dans une salle entirement carrele de faence blanche. Au centre, il y avait unbanc, des tagres pleines de serviettes ponges couvraient le mur du fond et, sur un ct,stalait une dizaine de petites loges surmontes de tuyaux de cuivre, lesquels taient relis une sorte de cuve trange. Tout tait impeccable et bien rang, et latmosphre, plus chaudeen cet endroit et encore charge deffluves de savon, tait aussi rassurante quagrable.

    Andraste inspecta les lieux et, comprenant lusage des cabines, senferma dans lunedelles aprs avoir abandonn sa lampe sur un placard tout proche. Elle sourit en pensant ceque Ruth dirait si elle savait ce quelle sapprtait faire.

    Des manires de princesse ? Et puis quoi encore ! Une telle personne serait-elle capablede pareille audace ?

    Elle peina se dvtir dans le petit espace clos. Mais pour rien au monde elle ne lauraitfait ailleurs quici, o un petit loquet assurait ses arrires. Elle retira les pinces qui retenaientses cheveux et accrocha tant bien que mal robe, jupons, culottes, corset et chemise la patrefixe au mince panneau de bois. Puis elle ouvrit un robinet et accueillit avec enthousiasme leautide qui dgringola du tuyau de cuivre pour se dverser sur le sommet de son crne. Elle restaimmobile sous le jet jusqu ce que celui-ci se rafrachisse, puis lteignit, pestant contre elle-mme de navoir pas pens se munir au pralable dun pain de savon et dune serviette.

    Elle se demandait si elle oserait aller chercher ce qui lui manquait quand, soudain, la portegrina en souvrant, puis claqua violemment. Il y eut des bruits de pas sourds, et le bois dubanc couina sous le poids, apparemment consquent, de la personne qui sy installait.

    Andraste, consterne, se figea, les bras croiss sur la poitrine par rflexe. Elle retint sonsouffle, mais celui qui lui parvint, haletant et rauque, confirma ses soupons. Il ne pouvait enaucun cas appartenir une femme

    Se sachant protge par la mince cloison, elle se pencha et approcha son il delinterstice laiss entre la porte et le chambranle.

    Elle dglutit plus bruyamment quelle ne laurait voulu en apercevant, travers la pnombreet les volutes de vapeur qui saturaient lair, un homme en manche de chemise, assis l, moinsde deux mtres delle. Ses coudes taient appuys sur ses genoux et sa tte, qui semblaitpeser des tonnes, reposait sur ses mains. Tout ce quelle distinguait, ctait la massebouriffe de ses cheveux bruns onduls masquant une bonne partie de son visage, et unemchoire au dessin carr et cisel, assombrie par une lgre barbe, rsultat dune ngligenceprolonge lgard du rasoir.

    Les doigts de linconnu se crisprent brusquement dans ses boucles dbne. Il avala unegrande goule dair, puis cessa tout coup de respirer. Tremblant, avec des gestes lents, ilattrapa sa chemise au niveau des paules et la fit passer par-dessus sa tte.

    Andraste recula dun pas dans sa cabine, choque. Cependant, elle ne put sempcher derevenir presque aussitt admirer cet tonnant spectacle. Celui-ci, en plus davoir comme tant

  • de choses ce soir le got de lindit, possdait galement celui de linterditLhomme se redressa vivement et se rejeta contre le dossier du banc tandis que ses

    poumons semplissaient nouveau dair, gonflant son torse par saccades. Il renversa la nuqueen arrire et se mit fixer le plafond pendant que sa main cherchait quelque chose ct delui. Un cliquetis mtallique se fit entendre, mais la jeune fille ny prta gure attention, tropfascine quelle tait par le jeu de ces muscles au model des plus affirms roulant sous cettepeau mate et luisante de sueur.

    Ctait la premire fois quAndraste voyait un homme aussi dvtu, et, il fallait bien lereconnatre, ctait loin dtre dplaisant. Le feu lui monta aux joues et elle aurait bien prouvun semblant de honte si un petit clat lumineux ne lui eut subitement attir lil.

    Ctait un revolver que la petite chandelle faisait tinceler travers lobscurit. Linconnutenait une arme et lapprochait peu peu de sa tempe

    Sans rflchir, la jeune fille dfit le verrou et ouvrit la porte de sa cabine dun mmemouvement, puis slana, horrifie, vers lhomme qui se tenait lui-mme en joue.

    Non ! cria-t-elle en sarrtant net devant lui.Son pouce simmobilisa sur le chien et sa bouche sentrouvrit de stupfaction, prenant un

    pli dur, comme sil sapprtait protester. Puis son regard, aussi noir que la nuit, croisa celuidAndraste et elle eut la soudaine impression de chuter dans le vide, aspire par un abme detnbres. Dans ces prunelles sans couleur, dont on ne pouvait distinguer liris, se refltaient unesouffrance et un dsespoir immenses, tels quelle nen avait jamais vu auparavant.

    Les imposantes paules de linconnu saffaissrent lgrement lorsquelle rpta plusdoucement, suppliante :

    NonElle tendit la main et renchrit dune voix mal assure, se rappelant subitement devant

    lexpression obstinment fige de lhomme qui semblait lutter pour garder ses yeux rivs auxsiens quelle tait compltement nue :

    Je je vous en prie.Son bras stait baiss dans sa surprise et larme ne visait dsormais plus rien. Mais sa

    prise se raffermit tout coup et son poing se resserra autour de la crosse jusqu en faireblanchir ses jointures, trahissant sa dtermination.

    Andraste nhsita pas une seconde. Elle franchit le peu de distance qui les sparait encoreet profita du trouble de linconnu qui, cdant certains instincts, baissa le regard sur soncorps pour saisir le revolver.

    Mais il tint bon, refusant de se laisser si aisment dsarmer. Commena alors unimplacable bras de fer muet, se jouant uniquement entre leurs mains qui, parfois, sechevauchaient au-dessus du mtal froid.

    Ctait dangereux. Trs dangereux ! Et pour tout un tas de raisonsElle se trouvait si prs de lui, et elle tait si scandaleusement vulnrable

  • Cependant, elle aussi tait dtermine, et elle allait le lui prouver. Enfin, elle allait essayer.Parce que lhomme navait pas que lapparence de la force, il avait galement une poignedacier. Sil lavait voulu, il aurait pu la repousser dun simple geste, aussi facilement que lonchasse un insecte trop agaant.

    Tandis quils saffrontaient toujours, linconnu changea subitement de stratgie et vint posersa paume libre sur Andraste, juste au creux de sa taille. Sans doute tentait-il, par cettemanuvre aussi dloyale que sournoise, de lintimider, de manire ce quelle batte enretraite. Mais elle ne flancha pas, nullement effraye bien quun peu impressionne tout demme, ce simple contact ayant suffi soudainement lui couper le souffle.

    Lhomme tait toujours assis, mais il stait pench sur elle dans la bataille. Son visage,aux traits virils, mais non moins harmonieux, ntait plus qu quelques centimtres du ventre deson opposante. Et sa respiration, si agite quelques minutes auparavant, stait curieusementcalme. Il prenait prsent de longues et profondes bouffes, comme sil avait cherch simprgner du parfum de la peau nue dAndraste.

    Sre de pouvoir remporter la partie ainsi, et bien quelle ait eu pleinement conscience delindcence de ses actes, elle sapprocha encore, jusqu coller son nombril sous le nez delinconnu. La fin justifie les moyens, disait-on

    Cette fois, comme elle lavait escompt, la confusion lui fit lcher le revolver.Mais il lempoigna aussitt des deux mains par les hanches et la ramena lui ds quelle fit

    mine de scarter.Andraste faillit crier, ralisant quelle tait en train de se brler force de jouer avec le feu,

    mais se ravisa au dernier instant. Elle prfra ne rien tenter, gardant lesprit qu tout momentlhomme pouvait user de sa force pour rcuprer larme sil le souhaitait.

    Elle se contenta de rester l, immobile, tandis quil la maintenait rsolument prs de lui,sans pour autant relever la tte. Il avait beau lui avoir abandonn le revolver, il navait pasrellement renonc, elle le sentait bien.

    Puis, subitement, quelque chose en lui sembla cder. Linconnu arrondit ses larges pauleset vint caler son front contre lestomac dAndraste. Il resta ainsi un certain moment, jusqu ceque de longs spasmes silencieux viennent secouer son dos. Pas un bruit ne lui chappa, aucunsanglot ne franchit la barrire de ses lvres, nanmoins elle sut quil pleurait.

    Mue par quelque trange pulsion, elle ne put sempcher de poser la main sur sa nuque,glissant ses doigts blancs dans son paisse chevelure de jais. Puis elle ltreignit. Pourquoi,comment, elle lignorait, mais plus rien dautre que cet homme dont elle ne savait rien et quine lui avait mme pas adress un seul mot nimportait en cet instant.

    Sur ses hanches, les doigts de linconnu souvrirent et ses deux pouces se mirent lacaresser tout doucement, lui procurant dtonnantes sensations. Comment se faisait-il que sapeau, chacun des endroits o elle tait en contact avec lui, la brle ce point ?

    Puis, comme sil navait pu sen empcher, il dposa un baiser furtif et lger au-dessus de

  • son nombril, juste l o il stait appuy. Et une myriade de petits papillons se dploya au creuxdu ventre dAndraste, acclrant de concert les battements de son cur.

    Il se redressa, scartant quelque peu, mais plongea son intense regard noir dans celui dela jeune fille. Une lueur, qui nexistait pas tout lheure, stait allume au fond de ses prunelles,rvlant une faim immense, dvorante, un apptit aussi soudain quimprieux, quelle tait laseule pouvoir satisfaire.

    Dans un mouvement dune lenteur prudente, comme sil avait craint quelle lui chappe, ilquitta le banc, dpliant en souplesse son corps gigantesque. Et bientt, la jeune fille seretrouva face un homme de trs haute stature, avoisinant les deux mtres.

    Elle aurait d avoir peur. Elle aurait d senfuir. Il laurait laisse partir si elle le lui avaitdemand, elle en tait convaincue. Mais elle nen fit rien. Non, au lieu de a, elle restaithypnotise par ce visage pre, la beaut farouche et subtile, la tte renverse en arrire,prte lui donner absolument tout ce quil dsirait, pourvu quil oublie ce fichu revolver.

    Et ce quil dsirait, ce moment prcis, laissait peu de place au douteDune main, il repoussa quelques-unes des longues mches de la jeune fille vers larrire,

    frlant sa joue du dos de ses doigts, tandis que de lautre il la dbarrassait de larme pour lareposer au sol. Il la contemplait avec une telle ferveur quelle nopposa aucune rsistance,dcide lui faire confiance.

    Puis, enfin, il sinclina vers elle. Leurs lvres se joignirent dabord timidement, tendrement,ne se sparant que pour mieux se retrouver. Mais bientt, le souffle de linconnu semballa etson baiser se fit plus profond et avide, jusqu devenir tellement perdu quil semblait que sa vietait en jeu. Simultanment, il parcourait le dos et le ventre dAndraste de caresses fbriles etlectrisantes, ptrissant ses hanches et effleurant parfois du pouce la pointe de ses seinsdresss, allumant en elle un vritable brasier.

    La fivre lavait saisie elle aussi, lentranant dans un lieu o la rflexion navait plus saplace. Dun bras, elle stait accroche son cou, tandis que son autre main tait partie lexploration de chacun des muscles de ce torse sculptural, aussi durs et lisses que le marbre.Mme son odeur mlange dpices chauffes, deau de Cologne et de menthol, relevcependant dun soupon deffluves dalcool lavait envote. De tout son cur, ellesabandonnait lui, se remettant tout entire ce mystrieux inconnu.

    Quelle folie tait-elle en train de commettre l ? Et la raison dans tout a ? Et ladcence ?!

    Mais ces notions lavaient, pour lheure, totalement dserte Plus rien dautre necomptait que linstant prsent, et cette toute nouvelle et merveilleuse exprience.

    Brusquement, dans un grognement rauque et insatisfait, lhomme la souleva par la taille etla pressa contre lui, leur peau nue se rencontrant alors. Il profita de ce quelle tait hauteurpour embrasser sa gorge, la serrant si fortement quelle crut presque touffer. Et, tandis quellesagrippait son cou, il passa la paume sur son postrieur et plaqua son bassin contre le sien.

    Elle eut un hoquet de surprise lorsquelle prit la pleine mesure de son dsir. Lnorme

  • bosse rigide qui dformait son pantalon, a ne pouvait pas tre si ?Mais dj linconnu, aprs avoir ttonn dune main pour mieux taler sa chemise,

    linstallait sur le banc, juste sur son vtement, pour ensuite prendre place au-dessus delle.Et l, maintenant, si elle lui demandait, arrterait-il, ou bien tait-il trop tard ?Elle lut immdiatement la rponse sur son visage lexpression grave. Il tremblait

    dimpatience, mais il avait peru son hsitation et il attendait un signe, son accord pourpoursuivre.

    Elle passa les doigts dans ses boucles bne en guise dassentiment et sentit son currater un battement en le voyant fermer les yeux et serrer les paupires de plaisir, puis venirembrasser le creux de sa paume.

    Adroitement, il glissa un genou entre ses jambes, puis lautre, et, tout en couvrant sapoitrine de baisers plus ou moins appuys, laissa sa main saventurer l o aucun autre ntaitencore jamais all, lui arrachant des gmissements quelle-mme ne se savait pas capable depousser. Une dlicieuse tempte sourdait en elle, et finit par se dchaner par vaguessuccessives, aussi exquises quinconnues jusqualors.

    Lhomme dfit son pantalon, et, dun geste habile, la pntra, simposant dune seulevigoureuse pousse. Andraste se mordit la lvre en sentant son corps se dchirer, mais ne putmalgr tout rprimer un cri de douleur.

    Il simmobilisa aussitt, les sourcils froncs de perplexit, et darda sur elle un regard pleindinterrogations. Il ouvrait la bouche pour parler quand elle larrta en posant le doigt sur seslvres. Alors, il ravala ses questions, revint vers elle et lembrassa en perdre haleine, tout enentamant de concert un lent va-et-vient.

    Au bout dun moment, sa cadence volua pour devenir plus sauvage et primitive, et lajeune fille, une fois la brlure des premiers instants oublie, se surprit prouver un nouveauplaisir. Celui-ci atteignit son apoge lorsque tous les muscles de son compagnon secontractrent, assaillis de spasmes si puissants quils lui tirrent de longs grognements sourds,quil vint touffer dans son cou, sa joue rugueuse appuye contre la sienne.

    Il retomba ensuite lourdement sur elle, bout de souffle. Puis, la manipulant comme si ellenavait rien pes, il roula sur le ct tout en la faisant passer sur lui afin dinverser leurs placeset de lallonger sur son torse. Il la serra dans ses bras avec force et possessivit, dposa unpetit baiser sur son front, puis laissa ses doigts venir jouer dans ses longs cheveux, soupirantdaise, tonnamment apais.

  • CHAPITRE 6

    Andraste

    Ses chaussures, son corset et ses jupons sous le bras, sa robe enfile la hte, lesboutons mal attachs, Andraste arpentait les couloirs du palais la seule clart de la lune,pressant son poing contre ses lvres pour retenir les sanglots qui montaient dans sa gorge.

    La chandelle, ses pinces cheveux, son innocence elle les avait abandonns dans lasalle des douches, l o linconnu devait encore dormir. Elle tait reste un certain tempstendue sur lui, savourer la douce chaleur de ses bras referms sur elle, coutant son souffleralentir, sentant son corps se dtendre peu peu. Mais au bout de longues minutes,invitablement, elle avait fini par reprendre ses esprits.

    Par la Desse, quavait-elle fait ?!Elle aussi avait bien failli sendormir ! Et si on les avait trouvs au petit matin, ainsi vautrs,

    tous les deux nus ? Elle et un domestique, dans une telle posture ! Jamais elle ne se seraitremise de pareille humiliation. Sa vie la cour ne faisait que commencer et voil quelle gchaittout, ds le premier soir.

    Et pourtant, aussi mortifie et triste quelle ft, elle ne parvenait pas regretter pascompltement en tout cas. Si ctait refaire, elle agirait exactement de la mme manire,sans hsiter.

    Elle stait doucement libre de ltreinte de linconnu et avait discrtement ramass, puisenfil, ses vtements. Elle stait ensuite sauve comme une voleuse, emportant avec elle lerevolver tandis quun sommeil de plomb clouait son compagnon au banc o ensemble, ilsavaient faut. Il semblait tellement calme quand elle tait partie, si serein, quelle navait pas eule cur le rveiller. Sans compter quil aurait probablement voulu rcuprer son arme, et a,elle ne pouvait le permettre.

    Un doute lassaillit, elle se retourna et avisa une des portes devant elle. Elle ressemblait beaucoup dautres, mais ntait-ce pas celle de ses appartements ? Sans bruit, elle appuya sur

  • la poigne, puis lentrouvrit. Aussitt, Ruth, qui guettait de lautre ct, se prcipita vers elle, lamine affreusement inquite.

    Ctait bien sa chambre. Bon sang, combien de fois tait-elle passe l au juste ?Andraste, dsoriente et extnue, se laissa entraner lintrieur par sa sur et, les

    jambes flageolantes, sassit sur la premire chaise venue. Mais que sest-il pass ? commena Ruth, trs alarme. Tes-tu perdue ?La jeune fille hocha la tte, incapable douvrir la bouche. Pourquoi pourquoi portes-tu ta lingerie la main ? Quest-il arriv ta robe ? Rien du tout, rpondit-elle, la voix tremblante, se relevant pour retirer le vtement

    chiffonn. Je nai pas envie den parler. Sil te plat, prsent que je suis rentre, couchons-nous et dormons. Il est temps, tu en conviendras.

    Ruth recula subitement dun pas et se plaqua la main sur la gorge, pouvante : Mais que test-il arriv ? Quel est lhomme qui a os qui a os sen prendre toi ?!

    Qui ta fait du mal ?Andraste baissa les yeux et aperut, sur le bas de sa chemise, quelques petites taches

    rouges parses. Elle battit des paupires et il lui fallut un moment pour comprendre. Puis,ralisant quelle allait devoir tout avouer sa sur, elle fondit en larmes, se rassit et cacha sonvisage ainsi que sa honte entre ses mains.

    Personne ne ma fait de mal, balbutia-t-elle entre ses doigts. Jtais consentante, jetassure.

    Et compltement folle Non, je ne te crois pas, contesta Ruth en sagenouillant devant sa sur pour essayer

    dapercevoir sa figure. Cest impossible, pas toi. Dailleurs, si ctait vrai, tu ne pleurerais pas.Tu ne pleures jamais !

    Je suis bouleverse parce que je narrive pas dcider si jai bien ou mal agi. Je ne mesuis jamais sentie autant ma place que dans ses bras et jai d labandonner alors que je nesuis mme pas sre de pouvoir le retrouver.

    Son ane eut un nouveau mouvement de recul, outre. Tu veux dire que Que je me suis offerte un homme, complta Andraste, se dcidant enfin affronter le

    regard de sa sur. Je ne peux pas texpliquer comment cest arriv, mais cest arriv. Oh,Ruth, dis-moi, comment quelque chose daussi merveilleux peut-il tre aussi mal ?

    Alors tu quittes le manoir une soire, une seule et unique soire, et voil tout ce que tutrouves faire ?! Tu te laisses trousser par le premier venu ? Mais comment as-tu pu ?

    La jeune fille secoua la tte et rpondit ce qui, mme ses propres oreilles, sonnaitpiteusement :

    Il tait malheureux Ah ! la bonne heure ! Et par consquent tu tes dvoue ?! La charit va drlement

    loin avec toi ! Et peut-on savoir qui est cet homme qui a si odieusement profit de ta navet et

  • de ton ignorance ? Est-ce le capitaine Brighton ? Non ! sexclama Andraste, indigne, avant de reprendre, encore plus confuse : Ctait

    un un domestique. Un domestique ?! rpta Ruth avec une expression empreinte dun profond dgot. Parfaitement, rpliqua la jeune fille en redressant le menton, mme si, au fond delle,

    elle savait bien quil ny avait pas de quoi tre fire. Demain, je ferai tout mon possible pour leretrouver, et, sil me le demande, jaccepterai de devenir sa femme. Ainsi, le fianc que tumenviais tant sera libre. Cest plutt une bonne nouvelle pour toi, non ? De toute faon, je naijamais dsir ce mariage. Quoi quil arrive, Ardghal ne voudra plus de moi aprs a et ce seratrs bien ainsi !

    tonnamment, Ruth se radoucit. Elle posa une main bienveillante sur le genou de sa suret murmura lentement, comme si elle stait adresse un enfant :

    Mais ma chrie, un homme qui ta prise au dtour dun couloir sombre ne tpouserapas. Tu ne ten rends pas compte, mais ton beau parleur ta abuse.

    Beau parleur Quelle ironie, elle ne connaissait mme pas le son de sa voix. Andrastesentit son cur se serrer insidieusement, le doute sinsinuant en elle. Ruth avait raison, elletait nave et tellement ignorante. Et si, pour cet inconnu aux mystrieux tourments, elle nesignifiait finalement rien ? Aurait-elle pu se tromper ce point ? Aurait-elle ressenti des chosesqui nexistaient pas, qui ntaient nullement partages ?

    La gent masculine est ainsi faite, ils sont tous comme a, tu peux me croire, insista sonane avec une conviction qui voquait lexprience.

    Non, pas lui, ctait diffrent, sentta Andraste, tentant vainement de sen persuader. Cest toujours diffrent, ils sarrangent pour que ce soit ce que lon pense. Tu ne seras

    pas la premire tomber dans ce pige ancestral. Il faut dire aussi que tu tais une proiefacile, personne na jamais pris le temps de tentretenir de ces choses-l Cependant, ce quisest pass ce soir doit imprativement rester entre nous. Tu ignores de quoi grand-mre estcapable pour te marier au prince dIlandria. Elle ferait tuer ton petit domestique si elle apprenaitce quil a os faire. Et il serait dailleurs bien plus en danger encore sil manifestait le moindredsir de tpouser.

    Andraste se raidit, un dsagrable frisson lui parcourant lchine. Non, tu racontes nimporte quoi ! Grand-mre ? Faire assassiner un homme ?! Mais o

    vas-tu chercher de pareilles fables ? Je sais de quoi je parle, assura sinistrement Ruth. Et tu devrais le savoir, toi aussi, elle

    ta bien garde prisonnire jusqu prsent Je npouserai pas Ardghal, ritra la jeune fille en essuyant les larmes qui maculaient

    ses joues, surprise dentendre enfin reconnatre ce quelle avait toujours suspect. Jappartiens un autre dsormais. Quoi quil advienne, ces fianailles sont caduques. Seras-tu de mon ct,Ruth, ou de celui de grand-mre ?

  • Sa sur la considra un instant, plonge dans de profondes rflexions, puis sourittristement et se mit lui frotter lpaule.

    Allons nous coucher, pour le peu de temps qui nous reste. Tu as grand besoin derepos. Nous reparlerons de tout a plus tard, lorsquil fera jour.

    Andraste obtempra. Elle tait tellement fatigue que ses membres lui faisaient leffet destre subitement changs en plomb. Et dans son esprit rgnait le chaos le plus total. Dormir luiserait assurment profitable.

    Mais auparavant, elle dut faire semblant de ranger certaines affaires, pestant injustementcontre les femmes de chambre qui navaient pas ordonn ses vtements comme il fallait, afinde cacher en douce le revolver dans lune de ses botes chapeaux. Elle choisit la mme quecelle o, quelques heures plus tt, elle avait plac, aprs tre alle le rcuprer sur la console,derrire le vase, linsu de tous, le livre trouv dans le cabinet de sa grand-mre. Personnenaurait lide douvrir ces cartons, ce quils contenaient ne lui servant pour ainsi dire jamais

  • CHAPITRE 7

    Thadeus

    Lesprit obstinment embrum des rmanences dun rve dlicieux, Thadeus seffora derevenir lui, ralisant peu peu quil se trouvait dans un endroit o il navait absolument rien faire. Il se redressa lentement, le corps encore agrablement engourdi par cet trangesommeil, aussi profond que rparateur, en dpit de linconfort de sa couche qui ntait autrequun simple banc de bois.

    Depuis combien dannes navait-il pas si