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La vie humaine a-t-elle une valeur économique ? Fernand Martin Department of Economics Université de Montréal P.O. Box 6128 Succursale Centre-ville Montréal (Québec) Phone : (514) 343-7216 Fax : (514) 343-7221 E-Mail : [email protected] 15 février 2003

Vie Humaine

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La vie humaine a-t-elle une valeur économique ?

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  • La vie humaine a-t-elle une valeur conomique ?

    Fernand Martin Department of Economics Universit de Montral P.O. Box 6128 Succursale Centre-ville Montral (Qubec) Phone : (514) 343-7216 Fax : (514) 343-7221 E-Mail : [email protected]

    15 fvrier 2003

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    Nous sommes dj six milliards dhumains prsents sur la terre, est-il rentable de subventionner

    les soins mdicaux ncessaires pour prolonger de quelques jours, mois ou annes, la vie dun

    septuagnaire cardiaque ? La rponse est oui sil sagit dun clone de Mozart encore productif,

    mais la rponse est non sil sagit dune personne ordinaire1 (comme moi et probablement

    comme vous). Il en est de mme des mesures favorisant la natalit et limmigration.

    ventuellement, il faudra aussi dterminer sil est rentable de cloner certains humains.

    Pour comprendre cette position amorale, il faut se rfrer la notion du bien-tre collectif

    dveloppe par des conomistes en vue dassurer lefficacit du fonctionnement du systme

    conomique. Pour eux, un projet est efficace sil amliore le bien-tre collectif i.e., sil

    procure un surplus certaines personnes (sous forme de surplus du consommateur ou du

    producteur) sans rduire celui des autres ou si les gagnants suite au projet peuvent compenser les

    perdants ou sil augmente (conomise) le stock de ressources. Comme lanalyse dun tel projet se

    fait laide de la demande pour les biens et que la demande correspond sous contrainte

    budgtaire la disposition payer pour les biens, la thorie conomique se trouve dire quune

    chose a de la valeur seulement sil y a des gens disposs payer pour elle. Cela vaut tant pour les

    biens et services que pour la vie humaine. Si la disposition payer est nulle, la chose na pas de

    valeur (quoiquen disent les experts). Dun autre ct, sil est impossible de dcouvrir la

    disposition payer par des mthodes relevant de la science conomique2, les conomistes sont

    inaptes valuer la chose.

    Ce raisonnement, en apparence trivial, a les implications suivantes :

    1. La vie humaine ne peut pas avoir une valeur conomique infinie ;

    2. La vie humaine a des substituts ;

    3. La multiplication des tres humains ordinaires augmente le revenu national mais pas le

    bien-tre collectif.

    1 Il est possible toutefois que cette personne soit soigne si elle a pralablement accumul, en contribuant une assurance maladie, les ressources ncessaires son traitement car les gens ordinaires tiennent la vie et ils lvaluent en dpensant sur des biens et services utiles au maintien de la vie et en payant des taxes pour financer un systme public de sant (nous compltons ce raisonnement notre section F). La subvention nintervient que si la personne na pas dassurance ou bien que le cot du traitement excde sa capacit de payer ou celle de son assureur. 2 Cest le recours la disposition payer qui rend conomique un modle danalyse, et non pas la technique statistique utilise qui elle, peut servir dautres disciplines.

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    4. Comme la vie des gens ordinaires ne modifie pas le bien-tre de la collectivit, la

    dimension de la population dun pays est immatrielle. Toutes choses tant gales, un

    pays na pas intrt augmenter sa population except laide dindividus

    exceptionnels3, car seuls ces individus produisent des externalits positives ou laissent

    des hritages qui augmentent le bien-tre collectif.

    5. Paradoxalement, dans les domaines du transport, de lenvironnement et parfois dans la

    sant, le gouvernement utilise lanalyse avantages-cots (conomique) pour justifier des

    projets qui sauvent ? des vies4, e.g. on justifie la reconstruction de routes qui, sans

    modifications, causent des accidents mortels, alors que lapplication de la thorie

    conomique pour valuer les vies sauves est tellement seme dembches quelle

    offre des valeurs incertaines, exagres ou arbitraires.

    Justification brve de ces noncs.

    A) Limpossibilit de mettre un prix infini sur la vie

    Comme on la dit auparavant, dans une problmatique defficacit, la disposition payer

    sexprime sous la forme dune demande. Or la demande est un dsir exprim sous une contrainte

    budgtaire. Comme le budget des gens et mme celui de la socit est fini, la demande ne peut

    pas tre infinie. Cest la position inconfortable de la condition humaine : nos dsirs sont infinis,

    mais nos moyens de les raliser sont limits. On ne peut donc pas, par exemple, demander aux

    mdecins de mettre tout en uvre pour prolonger la vie de tout le monde puisque la socit nen

    a pas les moyens5, dautant plus que la vie a des substituts.

    Bien entendu, il est ici question dune vie statistique envisage ex ante qui seule est

    susceptible dtre considre dans un calcul defficacit (conomique) des projets, cest--dire

    une valeur de vie utilisable pour prendre des dcisions pour la collectivit en matire de sant,

    3 Cest ce que reconnat en partie la politique dimmigration des tats-Unis. 4 Il sagit ici dun abus de langage car tout le monde finit par mourir. Ce que lon fait est simplement de retarder la mort. 5 Ce sont les nouvelles technologies qui vont empcher les gouvernements de remplir leur promesse de fournir des soins de sant adquats tout le monde. Par exemple, le recours au cur mcanique, utilis aux tats-Unis mais non disponible au Qubec (except sur une base exprimentale) cote 80 000 $ lachat et 70 000 $/an pour lentretien. Il pourrait lui seul accaparer ventuellement un dixime du budget de la sant du Qubec tout en maintenant en vie une infime portion de la population. Comme il sagit dune situation politiquement inacceptable, la solution sera de rationner le traitement en question. La consquence sera soit de permettre au secteur priv de fournir ce soin mdical, soit de fermer les yeux sur une prfrence donne aux patients influents ou qui achteront un cur mcanique aux tats-Unis.

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    dinfrastructures et denvironnement. Notons que cette valeur nest pas approprie pour les

    poursuites judiciaires ayant pour but de compenser des gens lses, puisque la base de la

    compensation est alors lquit6.

    Dans le cas de la vie dun individu identifiable priori, les ressources utilises pour prserver

    cette vie dpendent de sa capacit de payer et des dispositions motives des personnes

    intresses. La rationalit conomique ne joue pas de rle ici7.

    La mthode dvaluation base sur le capital humain nest pas utilise dans les analyses

    avantages-cots car elle est peu compatible avec lefficacit parce que comme on va le montrer

    plus bas, une augmentation de revenu national nest pas ncessairement une augmentation de

    bien-tre et de plus lapproche du capital humain ne couvre pas toutes les dimensions dune vie

    humaine, e.g. elle nglige la valeur du loisir (Zerbe et Dively, 1994, p. 431).

    B) La vie humaine a des substituts

    Comme les conomistes se fient sur le comportement des gens sur les marchs des biens et

    services pour tablir la valeur des choses, ils en dduisent que la vie humaine a des substituts. En

    effet, ils constatent que les gens consacrent dautres biens des ressources et/ou des efforts qui

    pourraient tre utiliss pour maintenir la vie. Par exemple, ils notent quen Amrique du Nord, 40

    pour cent de la population (e.g. les obses, les fumeurs, les alcooliques, les drogus et les

    individus qui ont dautres comportements risque, comme les cascadeurs, motocyclistes, etc.,

    ainsi que ceux qui se suicident) a un comportement autodestructeur qui value la vie zro ou

    presque.8

    6 La valeur dune vie humaine est dans ce cas base sur lapproche du capital humain o la valeur dune vie est variable puisquelle correspond la valeur du flux des productions supplmentaires de biens obtenue sur la prolongation de la vie de lindividu, moins les cots de maintenir la vie durant cette priode, y compris celui des maladies; le tout en dollars actualiss. Les cours de justice acceptent parfois dajouter des montants arbitraires correspondant aux souffrances morales des proches de la personne disparue. Par exemple, le congrs des tats-Unis a adopt une mthodologie semblable pour compenser les victimes de lattentat du 11 septembre 2001, qui a dtruit le World Trade Center de New-York. Dans cette mthodologie, la compensation des gens ordinaires est en fonction de lge de la victime, de son revenu (aprs impt) et de ses responsabilits matrimoniales. Pour une victime de 35 ans, marie sans enfant, dont le revenu est de 10 000 $/an, la compensation avant les dductions pour le montant dune assurances vie et bnfices similaires payables au dcs est de 573 402 $. La compensation dune victime du mme ge marie sans enfant ayant un revenu de 225 000 $/an est de 4 179 534$. (Source : www.usdoj.gov/victimcompensation) 7 Il est entendu que si lauteur de ces lignes tait avis par les mdecins que sa mort est imminente moins de dpenser un million de dollars en soins mdicaux spciaux, il ferait des pieds et des mains pour amasser cette somme. 8 Cest pour cela que dans un systme de soins de sant rationns par le gouvernement comme au Canada et en Grande-Bretagne, certains mdecins refusent de soigner les fumeurs. Bientt on cessera de soigner les obses, ceux qui ne bouclent pas leur ceinture

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    Pour les autres, i.e. la population dont le comportement est cohrent avec une valeur positive de

    la vie9, on a utilis, en labsence de marchs transigeant directement la vie10, deux sortes de

    mthodes pour dcouvrir le prix (la disposition payer) que les gens mettent implicitement sur

    leur vie. Il sagit :

    1) de lvaluation conditionnelle o laide dun questionnaire, on essaie damener un

    individu reprsentatif rvler sa vraie disposition payer pour conserver sa vie

    (un cas de prfrences dclares)

    2) des mthodes hdonistiques o par lobservation de certaines transactions (ou

    comportements) faites par lindividu sur un march rel ou hypothtique, on value la

    vie, i.e. on infre le prix que les gens mettent implicitement sur leur vie, (un cas de

    prfrences rvles).

    La littrature est norme des deux cts, utile, mais non dcisive cause des problmes

    dinfrence statistique lis ces mthodes.

    Lvaluation conditionnelle (EC)

    Lvaluation conditionnelle (EC), une mthode denqute, a acquis sa lgitimit lorsquen 1992-

    1993, un comit dminents experts a, sous plusieurs conditions restrictives, habilit la mthode

    dEC valuer les dommages environnementaux (et non spcifiquement la vie humaine) surtout

    dans les cas de poursuites judiciaires. Du point de vue thorique, elle traite directement des biens

    publics et des externalits, et a lavantage dincorporer la valeur dexistence (une valeur de non-

    usage)11 en sus des valeurs dusage des biens publics ou des externalits. Mais cela n'a pas ralli

    de scurit et ainsi de suite. Ce qui est logique dans une approche de promouvoir lefficacit, car si lindividu value sa vie zro, pourquoi la socit le ferait-elle autrement? Bien entendu, la socit peut dcider de soigner quand mme un voleur de banque qui a t perdant dans un change de coups avec la police, mais ce sera en vertu dun motif de compassion et non pour tre efficace. Techniquement, soigner ce voleur est du gaspillage. 9 Cela comprend aussi ceux qui tiennent la compagnie de dautres humains et/ou veulent aider mme ceux qui ne tiennent plus vivre. Ces gens attachent srement une valeur la vie, mme si ce nest pas toujours pour des motifs conomiques, voil pourquoi, comme on la vu, en cas de dcs ils sont compenss en vertu de lquit. 10 titre exceptionnel, il y aurait le march des esclaves qui fournit la valeur conomique la plus exacte de la vie de certains individus. Il en est de mme de la traite des blanches, des prisonniers de guerre ou des victimes de ravisseurs, dont la vie a une valeur dchange. Au Mexique et en Colombie, lindustrie du kidnapping est florissante. La vie humaine peut mme servir la spculation financire. cet effet, il y a de grandes entreprises amricaines qui assurent la vie de leurs employs ordinaires tout en demeurant les seuls bnficiaires au cas de dcs. Mais cela ne rvle pas la valeur conomique, i.e. la disposition payer pour une vie humaine de la part des individus dont la vie est en cause. 11 La valeur dexistence dune chose est la valeur attache cette chose par ceux qui, mme sils ne consomment pas la chose prsentement ou mme dans lavenir, sont prts payer des taxes pour subventionner lexistence de la chose Par exemple, des

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    certains irrductibles comme Diamond et Hausmann (1994). Ces derniers maintiennent que la EC

    souffre de lembedding effect, i.e. la confusion entre les valeurs partielles dun projet et la

    valeur de lensemble du projet12, quelle pratique lautocensure, i.e. on limine arbitrairement les

    valeurs nulles ou trs fortes, et quenfin les valeurs produites sont exagres par leffet du warm

    glow i.e. les individus tablissent leur disposition payer en se rfrant leurs sentiments

    charitables au lieu de sen tenir lefficacit. Labsence de contrainte budgtaire effective

    explique en partie ces problmes puisquil est difficile, en labsence de transactions, de rendre les

    rpondants conscients des limites budgtaires. ventuellement, on rduit lEC un poll

    dopinions o le taux de fiabilit est variable. De plus, les ennemis de la mthode rappliquent en

    insistant sur la cohrence complte dans son application. Ce qui implique que si dun ct, on

    augmente la valeur des avantages du projet par leur valeur dexistence, on devrait aussi

    augmenter les cots du projet de leur valeur dexistence ressentie par les gens lss par le projet.

    Par exemple, le protocole de Kyoto naurait pas seulement une valeur dexistence positive lie

    la conservation de certaines ressources, e.g. lair, mais il aurait une contrepartie ngative

    consistant dans la valeur dexistence du chmage de certaines ressources comme la dtresse13 des

    travailleurs mis pied dans lindustrie du ptrole. Enfin, il y a toujours les faiblesses inhrentes

    toute enqute de prfrences dclares (Boiteux, 2001, p. 95), soit le biais des rpondants et

    des intervieweurs, le manque de familiarit et de proximit et de reprsentativit des rpondants

    (voir Mitchell et Carson, 1989, et Cropper et Oates, 1992).

    Cependant, tout nest pas rejeter dans les rsultats de la mthode. Quelques points de dtails

    sont corrigs. Par exemple, Alberini et al. (2002) montrent que la disposition payer pour

    conserver la vie ne diminue pas avec lge alors que dautres mthodes, e.g. lapproche du capital

    humain, disent le contraire14.

    rsidants dune ville qui ne vont pas au baseball, mais qui sont prts subventionner un club cause de lamlioration de limage de leur ville due la prsence du club. 12 Par exemple, on a trouv que les gens fournissent une certaine valeur pour un lac menac par la pollution; cependant ils fournissent peu prs la mme valeur pour un groupe de lacs comprenant celui dont il a t question. 13 Cette dtresse se mesure sous forme de psychic losses qui fait que les pertes dues au chmage comprennent non seulement les pertes financires mais aussi la diminution de satisfactions sous forme de la perte dun milieu de travail stimulant, de pouvoir sur dautres, de la reconnaissance des patients (si on est mdecin soignant), du prestige, etc. Sur ce point, Clark et Oswald (2002, p. 13-15) ont trouv un quivalent montaire cet vnement. 14 En effet, la valeur de la vie pour les gens gs tablie par lapproche du capital humain diminue avec lge et les maladies. Selon les calculs du Victim Compensation Fund, 50 ans, la valeur de la vie nest que le tiers ou le quart de ce quelle tait 25 ans.

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    Mais comme la justification des experts la t seulement pour lvaluation des biens publics et

    externalits, son utilit pour valuer la vie humaine reste dmontrer puisque la vie humaine

    nest ni un bien public ni une externalit15.

    Il existe une autre mthode, elle aussi base sur lexploitation dun questionnaire qui, sous

    certaines hypothses, peut mener tablir la valeur de la vie16. Elle part de la compensation

    requise pour ramener un individu sur sa courbe dindiffrence originale (ou niveau dutilit

    original) suite un choc ngatif comme sa mise au chmage, la dtrioration de sa sant, etc.

    La compensation montaire est alors tablie en analysant dans un cadre de rgressions les

    rponses des gens un questionnaire sur leur niveau de bonheur (happiness) eu gard certaines

    situations de richesse, de sant, demploi, etc. (voir Clarke et Oswald, 2002). Ces auteurs ont

    trouv, par exemple que le passage dun tat de sant excellent un tat de sant mdiocre (mais

    sans perte de vie), exige une compensation de 48 000 $US / mois pour ramener lindividu au

    niveau dutilit o il se trouvait avant ce choc (ibid., p.15). En extrapolant cette valeur, on obtient

    finalement une valeur implicite de vie17. Tout dabord, sur une base annuelle, la compensation se

    monte 576 000 $US / an. Ensuite, si cette diminution de sant est permanente et se produit

    lge de 40 ans pour un individu qui a encore 30 ans vivre, la valeur actualise de la

    compensation se monte 576 000 x (P/A, 5,30)18, soit 8,85 millions $, un montant considrable.

    Comme la perte de la vie est un vnement encore plus dommageable que la simple diminution

    de ltat de sant, la compensation pour la perte de la vie doit logiquement tre plus grande que la

    valeur de lune de ses composantes, e.g. la sant. Selon les rsultats de Clark et Oswald (2002), la

    vie elle-mme a donc une valeur plus grande que 8,85 millions $ (montant rclam pour une

    simple diminution de ltat de la sant). Mais bien y penser, part lnormit de la valeur de la

    vie obtenue, il ny a pas dopposition entre lapproche de Clark et Oswald ainsi que toute la

    littrature qui les accompagne et celle mentionne plus haut parce que ce que Clark et Oswald

    valuent est une vie particulire (celle du rpondant au questionnaire) et non une vie statistique

    qui seule, peut servir lanalyse avantages-cots. Or, comme on la dit prcdemment, la vie

    dun individu a pour lui une valeur infinie, de sorte que comme la source des donnes de Clark et

    15 La scurit est cependant, dans certains cas, un bien public. 16 Nous la mentionnons car elle a une base empirique norme et elle est populaire dans les priodiques scientifiques. 17 Ce que ne font pas Clark et Oswald (2002). 18 Coeffiocient qui fournit la valeur prsente dune annuit de 30 ans au taux dintrt de 5%.

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    Oswald est dans les rponses obtenues sans contrainte budgtaire19 dindividus sur la valeur des

    composantes de leur propre vie, il sensuit des valeurs qui tendent vers linfini, ce qui disqualifie

    la mthode pour lanalyse A/C.

    Mthodes hdonistiques

    Thoriquement, cest en comparant deux situations relles ou hypothtiques en tout point

    semblables, except en ce qui a trait au risque de mort support volontairement20, que le

    tmoignage sur la disposition payer pour la vie serait selon Mishan (1976), le meilleur. Le gain

    supplmentaire alors exig pour supporter le risque additionnel mesurerait la disposition payer

    ou accepter un montant comme compensation pour la perte de la vie. Dans cette veine, de

    nombreuses tudes ont :

    1) compar des emplois dangereux des emplois scuritaires21;

    2) compar des routes semblables except en ce qui a trait aux probabilits daccidents22;

    3) dans une situation de risque gnral de maladies et daccidents, valu les dpenses de

    consommation faites pour conserver ou prolonger la vie23.

    Comme on le verra plus bas, ces mesures ont une certaine utilit mais leur emploi gnralis est

    limit par certains dfauts quelles partagent parfois avec la mthode dEC :

    i) La littrature base sur les mthodes hdonistiques rapporte des valeurs de la vie tires de

    situations risques et concernant des adultes en sant. Or, plusieurs de ces gens occupent

    des emplois trs risqus dmontrant ainsi quils ont peu daversion pour le risque et donc,

    quils sont peu reprsentatifs de la population (Alberini et al., 2002).

    19 Dans Clark et Oswald (2002), labsence de contrainte budgtaire est dmontre par le fait que lindividu moyen qui constitue lchantillon de la recherche ne gagne que 36 000 $US / an alors quil se dit prt payer ou du moins exige comme compensation 576 000 $US/ an pour viter une dtrioration de sa sant. Manifestement, il na pas les moyens de ses dsirs. 20 Le risque support involontairement est un cot conomique qui peut tre diminu par une dcision collective, e.g. la construction dune infrastructure. loptimum, le cot de linfrastructure pourrait reprsenter la valeur de la vie dans la collectivit en question lorsque la valeur de la vie est tablie selon la procdure propose notre section F. Bien entendu, pour toutes sortes de raisons, cette valeur varie dune collectivit une autre. 21 Voir Viscusi (1993). Ici, il y a une plthore dtudes qui aboutissent des valeurs trs variables dune vie humaine. 22 Voir Gaudry (2000). Ici, la valeur dune vie humaine se monte 1,2 millions $ (US, 1999). 23 Voir Johansson (2001). Ici, la valeur de la vie est variable car en partie fonction de la productivit de la personne comme dans lapproche du capital humain. Le modle de Johansson est cependant plus sophistiqu parce quil optimise simultanment la consommation et la qualit de vie dans une situation de rduction de risque de mort par des dpenses de nature augmenter la probabilit de survie.

  • 9

    ii) Linverse est aussi vrai. Dans dautres tudes, les changements marginaux du niveau des

    risques entre occupations risques utilises pour tablir la valeur de la vie sont

    ordinairement mesurs de bas niveaux de risque, de sorte que le niveau des risques

    levs nest pas couvert, do la sous-estimation de la disposition payer pour conserver

    la vie (Gramlich, 1990, p. 69). De plus, si on infre la valeur de la vie en extrapolant de

    hauts niveaux de risque les valeurs trouves de bas niveaux de risque, on obtient des

    valeurs incohrentes24.

    iii) Largument bas sur les dpenses de consommation faites pour prolonger la vie fournit

    une valeur utile en autant que les consommateurs ont atteint lquilibre, i.e. quils ont

    dpens des montants de nature augmenter la probabilit de survie qui correspondent

    la valeur actualise des consommations futures supplmentaires attendues de la

    prolongation de la vie (Johansson, 2001). Cependant, les montants dpenss sous-

    estiment la valeur de la vie puisque la demande pour la vie a une pente ngative (on a vu

    plus haut quelle a des substituts, de sorte quil y a un surplus de consommateur). Le

    problme est de mesurer ce surplus25. Lavantage de cette approche est tout de mme de

    ne pas faire directement appel des tmoignages.

    iv) Les mthodes statistiques pour maintenir les situations relles comparables entre elles,

    sont imparfaites.

    v) Dans les situations risque, on note quil y a parfois une diffrence entre les valeurs

    dclares et les valeurs observes. Ainsi, si dune part les valeurs dclares peuvent tre

    sujettes lembedding effect (voir le renvoi no 11 ci haut), dautre part on saperoit

    que les dpenses de consommation ou les comportements dans les situations risque dun

    mme individu dmontrent quil entretient simultanment plusieurs valeurs de vie. Ainsi,

    un sexagnaire peut attacher sa ceinture de scurit lorsquil conduit lautomobile, mais il

    peut aussi persister demeurer obse l o son risque de dcs par maladie cardiaque est

    beaucoup plus lev.

    24 Alberini et al. (2002, p.14) ont trouv que lors dun gros changement de risque, le prix dune vie humaine stablit 700 milles dollars. Par contre, lorsquon atteint le mme gros risque par extrapolation de petits changements risques, le prix dune vie humaine se monte 4 millions $. Ce qui veut dire que ces gens nont quune valeur de risque peu importe sa dimension. Lincohrence vient du fait quune petite variation de la pente de la droite dcrivant la relation entre la compensation requise et le risque de mort de bas niveaux de risque, produit par extrapolation (vers de hauts niveaux de risque) soit de trs grandes valeurs de la vie ou soit de trs petites valeurs de vie. (Cette remarque ma t suggre par mon collgue F. Vaillancourt). Il y a aussi le fait quil y a asymtrie entre la variation compensatoire et la variation quivalente lorsquil est question de compenser la perte de quelque chose. Lexistence simultane des tudes des types (i) et (ii) montre linstabilit de la mthode. La variance des rsultats excde la tolrance des utilisateurs potentiels, do le peu dutilisation de ces valeurs. 25 Cest ce que nous faisons la section F de cet article.

  • 10

    vi) De mme des mtiers ou groupes de personnes ont des valeurs de vie statistique

    diffrentes ou bien nont pas la mme valuation du risque lui-mme parce quil y a deux

    mesures du risque : une mesure subjective et une mesure objective26. Ce qui ouvre la

    possibilit de faire porter une partie de la responsabilit dun accident mortel sur

    lindividu qui ne prend pas toutes les prcautions (Boiteux, 2001, p. 66). Il peut aussi

    sagir dun trait culturel ou religieux. La valeur dune vie statistique est donc ponctuelle,

    particulire, ce qui mne plusieurs valeurs de vie statistique27. De l, on tire quil ny a

    pas de valeur moyenne utilisable par les analyses avantages-cots (Erlich 2000)28.

    Au total la variabilit de la valeur de la vie, tant pour un mme individu que pour les diffrents

    groupes qui composent la socit pose un problme lorsque lusage de cette valeur nest pas

    destine un cas particulier, e.g. lamlioration dune route dangereuse dans un milieu donn.

    Dun autre ct, la variabilit des valeurs de vie, si elle est considrable, pose un problme dans

    ltablissement de programmes ayant des incidences sur la vie humaine car pour atteindre un

    optimum conomique travers les diffrents ministres qui traitent de la vie humaine, e.g. les

    transports, lenvironnement, la sant, on devrait utiliser un seul prix pour la vie, tout comme pour

    les diffrents inputs que ces ministres utilisent (Morales et Cazole, 1999, p. 16). ce

    moment-l, peut-tre que some number is better than no number ? i.e. est-ce que les chiffres

    des conomistes obtenus soit par valuation conditionnelle ou par mthodes hdonistiques sont

    utiles ? Il se peut que, pour certains usages, ce soit le cas, mais pour les tudes avantages-cots

    conomiques faites pour tablir des programmes gnraux, il en est autrement. Beaucoup

    dconomistes e.g. Diamond et Hausmann, (1999), p. 58, rpondent alors non. Pour eux et pour

    26 Depuis le 11 septembre 2001, beaucoup damricains substituent lautomobile lavion pour leurs dplacements. Ils se croient plus en scurit en auto, alors quobjectivement lautomobile demeure un mode de transport beaucoup plus dangereux que lavion. 27 Dans ce sens, les tudes empiriques montrent une extrme variabilit des valeurs de vie qui vont de 700,000$ 16,2 millions $ (Viscusi, 1993, p. 1926-27). Ce qui amne une grande varit de valeurs officielles adoptes par les diffrents gouvernements notamment en Europe o les valeurs vont de 0,11 millions Euros 1,64 millions Euros (Boiteux, 2001, p. 97-98). Pour sa part, le Conseil du trsor du Canada (1998) propose 2,5 millions $ en ajoutant le caveat suivant Les valeurs de ces paramtres sont toutefois incertaines (paragraphe 4.6.2 de leur publication). De ces temps-ci, le chiffre de 700,000 $ US, est la mode (Alberini et al., 2002, p. 14). 28 Les conomistes ont vcu la mme exprience lorsquils ont voulu utiliser le taux d'intrt des pargnants pour mesurer leur prfrence pour le temps. L aussi on a constat des comportements contradictoires. La population accumule dans son fonds de retraite des obligations gouvernementales ( faible rendement) tout en gardant des hypothques (coteuses) Certaines gens vont parfois jusqu emprunter sur leurs cartes de crdit (Lind, 1990). Or dans ces cas, mme en allouant une prime pour le risque, il y a incohrence. Un autre cas aberrant selon la thorie bhavioriste des marchs financiers est celui o une personne divise son avoir en diffrents fonds quelle investit des taux nets de risque diffrents, parce quune partie de son avoir est considre pin money .

  • 11

    dautres, lconomiste a lobligation de baser ses calculs sur des critres purement conomiques

    (Mishan, 1976, p. 407), ce qui semble difficile pour le moment.

    C) Une augmentation de revenu national n'est pas ncessairement une augmentation de bien-

    tre collectif

    Il y a plusieurs raisons cette inadquation. Premirement, plusieurs composantes du PNB sont

    des mals plutt que des biens.

    Par exemple, il est connu que la construction dune autoroute en tranche en milieu urbain rduit

    les cots doprations des vhicules et du temps des utilisateurs et par consquent, rduit les

    cots de production des entreprises productrices de biens. tant plus concurrentielles, elles

    augmentent leur output qui se traduit par une augmentation du PNB29. Mais ce nest quun dbut,

    car la nouvelle infrastructure va augmenter la pollution atmosphrique et le bruit, ce qui aura

    pour effet de dtruire le tissu urbain environnant (Marsan, 2002). La consquence sera la perte de

    valeur des proprits et finalement le dpart des habitants de la classe moyenne qui seront

    remplacs par une population aux prises avec la criminalit et autres problmes sociaux. Cette

    dgradation va dclencher de nouvelles dpenses publiques pour la scurit, la sant, etc. Toutes

    des dpenses qui augmentent le PNB. Mais ces items ne sont pas des biens, mais des mals

    puisquils reprsentent la perte de surplus du consommateur des habitants affects par

    lautoroute. Ce sont ces pertes de jouissance que lon tente de compenser par les nouvelles

    dpenses. Mais il reste que les augmentations du PNB correspondantes ne sont pas considres

    comme des augmentations du bien-tre collectif, loin de l. En fait, cette incohrence de la

    comptabilit nationale existe parce que certains lments fondamentaux du bien-tre social,

    comme le surplus du consommateur, ne sont pas comptabiliss dans le PNB (voir Griliches,

    1979, p. 93). Par contre, lusage de ressources causant et luttant contre la pollution et la

    congestion est considr comme une addition au revenu national, ce qui st en contradiction avec

    les provisions qui devraient tre prises pour tenir compte de la diminution ou de la dgradation du

    capital social (ressources physiques et humaines)30.

    29 condition que laugmentation de leur output ne soit pas aux dpends de dautres outputs et plus grand que la rduction de leurs dpenses. 30 Pour corriger la surestimation du PNB, la Banque Mondiale, depuis plus de 20 ans, fait la promotion du produit national domestique ajust pour la dgradation environnementale (voir Ahmad et Lutz, 1989). Voir aussi Hueting et Bosch (1991). Depuis ce temps, une norme littrature a surgi pour convaincre les gouvernements dincorporer leurs comptes nationaux, malgr les

  • 12

    Deuximement, avec le libre-change31, augmenter la population par la natalit ou limmigration

    peut augmenter le PNB, mais pas ncessairement le bien-tre collectif. En effet, comme on le

    dmontre plus bas, la vie des gens ordinaires na pas deffet sur le bien-tre de la collectivit.

    Cest en augmentant la productivit des gens, par lducation ou par dautres moyens que lon

    augmente le bien-tre de la socit et non simplement en multipliant le nombre dindividus.

    D) La vie des gens ordinaires ne modifie pas le bien-tre de la collectivit.32

    La contribution des individus ordinaires la richesse nationale est, en longue priode un leurre,

    car la plupart des individus consomment durant leur vie, en biens privs et publics (y compris les

    services de sant auxquels ils ont contribu au financement), tout ce quils produisent

    matriellement et intellectuellement (Schofield, 1987, p. 119)33. Il y a deux raisons cela :

    dabord les gens vivent de plus en plus longtemps aprs avoir cess de travailler et ensuite, aprs

    65 ans leurs frais mdicaux sont cinq fois plus levs que ceux du reste de la population.

    (Merette, 2002, p.13). La contribution nette de ces individus est donc nulle. Ces individus sont

    alors remplaables34 ou inutiles (voir Mishan, 1976, P. 319). Leur vie najoute rien au bien-tre

    de la socit sous forme de surplus et donc leur vie na pas de valeur conomique. ce moment-

    l, la socit na pas intrt, du point de vue de lefficacit, cest--dire de lallocation optimale

    des ressources, maintenir ou augmenter la population des gens ordinaires, des retraits

    inactifs, des chmeurs permanents, des criminels, etc35.

    Dun autre ct, on peut identifier les contributeurs comme tant ceux qui engendrent le progrs

    et/ou la croissance conomique. Dans lesprit de Schumpeter, il sagit de certains entrepreneurs, grandes difficults de mesure, une valuation de leur dette cologique. Dans ce sens, le gouvernement canadien, pour la premire fois, va ajouter, pour lanne 2003, 2,5 milliards $ de dette cologique sa dette montaire. 31 Le libre-change est ncessaire aux petits pays puisque certaines productions ne peuvent tre rentabilises qu grande chelle. 32 Les paragraphes qui suivent concernent surtout la politique dimmigration et de natalit du point de vue de lefficacit du fonctionnement de lconomie. 33 Il est vrai que certaines personnes ordinaires laissent des hritages (dautres, des dettes). Cela implique que, durant leur vie, elles ont accapar plus de biens publics et de revenus de proprit physique et intellectuelle que leur auraient fourni leurs impts et leurs propres dpenses de consommation. En dautres termes, les hritages quelles laissent viennent des hritages quelles ont reus durant leur vie et de transferts venant dindividus (exceptionnels) qui consomment moins durant leur vie que loutput quils produisent. Les hritages (positifs ou ngatifs) des gens ordinaires, sont alors le produit de lincapacit de prdire le moment de la mort, de sorte quils sont involontaires (Erlich, 2000, p.346) et sannulent au niveau de la socit toute entire. Cest dailleurs la base du Life-Cycle Model o les individus ne peuvent pas tre des net borowers (Alberini et al, 2002, p.3). 34 la limite, la valeur dun rsident ne peut pas excder le cot dadmettre un immigrant de mme calibre. 35 Ce qui veut dire que dans la plupart des catastrophes naturelles comme les tremblements de terre, le cot conomique de lvnement consiste surtout dans le montant des dommages matriels; laide aux victimes devant alors tre justifie par des principes moraux.

  • 13

    savants et artistes exceptionnels dont loutput consiste en externalits. Il sagit dindividus, qui

    par suite de limpossibilit de collecter compltement leur rente, e.g. de breveter et dexploiter

    leurs dcouvertes, laissent un hritage. Ces individus se trouvent produire des biens qui

    deviennent publics sans quils puissent sapproprier le surplus. Par exemple, lInternet est le

    rsultat dune exprience dans le monde universitaire amricain des annes 60 (Cringely (1996),

    sans que les participants aient t rmunrs en proportion de limportance du rsultat de leur

    travail.

    E) Le paradoxe de lanalyse avantages-cots applique aux transports, lenvironnement, la

    sant, etc., et qui incorpore une valeur de la vie.

    Un lecteur attentif pourrait rpondre que si les conomistes sont incapables de fournir des valeurs

    de vie fiables, on na qu se rfrer dautres sources comme les valeurs entrines par les cours

    de justice, la morale ou des organismes comme la Socit de lassurance automobile du Qubec

    (SAAQ) qui dj compensent des gens dans le cas de perte de la vie. Cest faisable mais il sagit

    dune opration qui rduit la porte scientifique dune tude avantages-cots conomiques,

    puisque ce moment-l la conclusion peut dpendre de la valeur arbitraire, du point de vue de la

    science conomique, que lon donne la vie humaine ou bien est issue de lapproche du capital

    humain qui est approprie traiter des cas dquit. En dautres termes, un calcul en vue

    dassurer lefficacit devient incohrent en se basant sur des valeurs qui ont un sens seulement

    dans un calcul en vue dassurer lquit. En dautres termes, si le projet a surtout pour but de

    sauver des vies humaines, et que la valeur de la vie est tire dune source exogne au modle

    conomique, e.g. une source se basant sur linfrence statistique, lquit, la morale, etc., la

    conclusion de ltude na plus comme on la dit plus haut, le support de la thorie conomique36.

    La chose est particulirement drangeante dans le domaine des transports puisque dans ce

    domaine on ne peut pas viter lvaluation en vertu de lefficacit car la justification des

    infrastructures de transport est justement lefficacit. De sorte que dans le cas o la valeur de

    linfrastructure vient principalement des vies sauves , il faut, dans une analyse A/C, prsenter

    part lestimation de la valeur de la vie37 en prcisant quelle est exogne au modle

    36 Il sagit dun cas semblable celui du salaire minimum; on ne peut pas le justifier par la thorie conomique de lefficacit, mais certains gouvernements limposent. 37 part celle obtenue par la disposition payer tablie par la section F.

  • 14

    conomique. la limite, il est inutile de faire une analyse avantages-cots, puisque dans ce cas,

    la solution est ailleurs.

    Par contre, dans le domaine de la sant, les tudes conomiques contournent astucieusement la

    difficult dutiliser une valeur de vie en se contentant soit de comparer les ressources utilises par

    un traitement par rapport un autre, sans envisager la possibilit de mort, ou en comparant les

    ressources conomises, e.g. jours dhospitalisation vits, ou bien, en comparant le rsultat de

    traitements concurrents en termes de annes de vie de qualit (QALY) sans affronter la

    possibilit de mort38.

    Dans le domaine du droit, comme on la vu plus haut, on recourt aux conomistes (selon

    lapproche du capital humain) et aux comptables pour mesurer les dommages faits aux tiers lors

    dun vnement, mais cela na rien voir avec lefficacit sociale puisquon a montr quune

    augmentation du PNB nest pas ncessairement une augmentation du bien-tre collectif, de sorte

    que cest en vertu de lquit que lon value les compensations aux tiers lss.

    F) Une mthode dvaluation de la valeur implicite dune vie humaine

    Devant limpuissance actuelle des diffrentes mthodes produire partir de la thorie

    conomique une valeur fiable de vie humaine, il est utile dexplorer dautres approches. Celle qui

    est propose ci-aprs, base sur la disposition payer, produit un montant qui reflte la valeur

    implicite de la vie partir de ce que les dcideurs publics et privs se trouvent produire par leur

    participation la production de biens et services sociaux dont lobjectif est le maintien de la

    sant. Elle a donc une base objective qui ne fait pas appel aux opinions des gens rvles par des

    rponses des questionnaires et linfrence statistique. Elle constate la prfrence dune socit

    particulire pour le maintien de la vie. En pratique, elle part de ce que les gens y compris ltat

    dpensent effectivement en achats de services sociaux incluant la sant, en efforts fournis et en

    taxes, tout cela pour le maintien de la vie. Elle reprsente donc une valeur de la vie non pas en

    vertu de sa contribution marginale au bien-tre de la collectivit, mais parce quelle est une

    valeur au mme titre que les valeurs des autres biens et services qui font partie du panier de

    consommation des individus et dont la valeur vient dune DAP. Voil pourquoi dans une analyse

    38 Noter que lapproche QALY ne reflte pas la disposition payer ou accepter de la part du patient ce qui droge au principe de lvaluation conomique.

  • 15

    A/C de la scurit des routes par exemple, cette valeur de vie doit tre utilise. En effet, comme

    le design des routes tient compte de la possibilit de dommages matriels, il doit aussi tenir

    compte de la possibilit de pertes de vie lorsque les dommages matriels et les pertes de vie sont

    tous deux valus par leur DAP.

    Ainsi, en supposant que tout le monde tient galement la vie mais que les gens ne sont pas

    homognes quant leur hrdit et quant leur acceptation de suivre les enseignements de la

    mdecine (en ce qui a trait au style de vie, alimentation, pratique de lexercice physique, de

    lhygine, etc.) et par voie de consquence quant leurs besoins de services mdicaux et sociaux,

    on peut diviser la population en classes de gens qui dpensent39 des montants diffrents pour se

    maintenir en vie. On note que les classes dfavorises par lhrdit, le style de vie, etc., doivent

    (eux-mmes ou ltat) dpenser plus que la moyenne pour conserver la vie.

    La modlisation du phnomne assimile les montants dpenss par (ou pour) chacune des classes

    aux frais de transport de la mthode Clawson-Knestch (1966, p. 78-80). Selon cette mthode,

    plus une classe est dfavorise, plus elle doit dpenser, i.e. plus elle doit encourir des frais de

    transport pour atteindre le parc mythique , cest--dire demeurer en sant et en vie. Dans

    cette approche, la valeur totale de la vie est la somme de ce que lon dpense pour la conserver,

    plus le surplus de consommateur40. La littrature (Johansson, 2001) montre comment tenir

    compte des dpenses dj faites. Ce que nous ajoutons ici, cest le surplus de consommateurs qui

    se calcule comme suit.

    Supposons que lon peut satisfaire les besoins de chaque classe (supposons quil y en a trois) en

    participant un programme daccs la vie dont les tarifs (cots) sont (pour fin dillustration)

    respectivement de 100 $/an, 300 $/an et 500 $/an selon les besoins de chacune des classes.

    Comme la participation un programme est libre et que la perception des gens quant la

    39 Les montants dpenss peuvent tre fournis par eux-mmes ou par ltat. Ils consistent en paiements montaires, mais aussi en efforts ou privations de la part des individus. Dans la simulation qui suit, seul laspect montaire est pris en compte mais idalement devrait tre enrichi des cots non montaires. Dj les dmographes, les sociologues, les compagnies dassurance et la Rgie de lAssurance-maladie (Qubec) disposent et recourent des donnes statistiques permettant de distinguer les classes en question. Ici, la littrature suggre quil y a une relation entre le milieu de vie dune part et, dautre part, les caractristiques biologiques, psychologiques et le revenu des gens. Cest ainsi que lon distingue les banlieues cossues des quartiers dfavoriss dans les mtropoles; le rural de lurbain, etc. Tout cela en termes de cots pour maintenir la sant et la survivance. 40 Comme on le verra, ce surplus de consommateur est important surtout pour la classe de gens qui possdent les bonnes caractristiques .

  • 16

    ncessit de joindre le programme est variable, il arrive quune part seulement de la population

    participe. Malheureusement, ce sont ceux qui en ont le plus besoin qui sont les moins enclin le

    joindre. Par exemple, cest un fait que les pauvres sont plus rticents cesser de fumer et donc,

    ventuellement deviennent plus malades. On peut schmatiser les diffrentes situations et

    comportements par le tableau suivant :

    Tableau 1

    Participation hypothtique un programme de maintien de la sant41 (I) (II) (III) (IV) (V) (VI)

    Classe Population de la classe

    Pourcent de la population

    susceptible de participer au

    Programme de sant42

    Cot annuel du programme de sant selon la

    classe43

    Nombre dadhrents au programme de

    sant44

    Nombre dadhrents par

    1 000 de population45

    lite 100 000 50 % 100 $/an 50 000 500 Moyenne 400 000 30 % 300 $/an 120 000 300

    Dfavorise 1 000 000 10 % 500 $/an 100 000 100 La participation est annuelle durant toute la vie de lindividu. Source : Chiffres fictifs correspondants lhypothse de la structure sociale dans une grande mtropole.

    Les chiffres du tableau 1 sont fictifs, mais plausibles ; ils montrent que mme si tout le monde

    veut vivre, tout le monde ne prend pas les bons moyens pour se maintenir en bonne sant par

    manque de motivation en partie cause par un bas revenu, lhrdit et dautres facteurs qui

    influencent le style de vie. Dun autre ct, dans un systme de sant tatique comme au Canada,

    les carences des individus sont en partie compenses par ltat. Cette compensation est dautant

    plus importante que les individus sont non participants et/ou manquent de ressources. Dans cet

    exemple, cest la classe des dfavoriss qui cote le plus cher par participant pour maintenir la

    vie par des services mdicaux et sociaux46.

    41 Mme si la garantie nest pas absolue, le programme de sant est une condition de maintien de la sant et de la survivance. 42 Dpend de la motivation et de la capacit de payer pour le programme. Partant de la motivation, on dtermine dans chaque classe la proportion des participants (adultes) en se basant sur les habitudes des gens. Prenons par exemple lhabitude de ne pas fumer, on classe comme participant tout individu qui ne fume pas. Dans lexemple ci haut, on suppose que plus on est dfavoris, plus on a tendance fumer. De sorte que plus on slve dans la socit, plus on devient participant; ici 50 % de la population de la classe lite ne fume pas alors que lon suppose que cette proportion tombe 10% dans la classe des dfavoriss. Or, plus on fume, plus on est malade, i.e. plus on engendre des cots de sant et de services communautaires, sans compter la propensit avoir dautres faiblesses : embonpoint, drogue, alcoolisme, etc. 43 Cot priv + cot public (fourniture ou assistance de ltat), par individu participant. 44 Colonne II multiplie par colonne III. 45 Colonne V / (colonne II / 1000) 46 Les dfavoriss ont plus besoin de laide de ltat pour deux raisons : (i) ils ne peuvent pas soffrir tous les services de maintien de sant et (ii) leur style de vie (quelquen soit la cause, y compris le milieu dfavorable) engendre plus de besoins pour maintenir la sant. Cest pour cela que lon dpense plus pour eux.

  • 17

    Dans le cas des dfavoriss, les dpenses du maintien de la sant comprennent non seulement les

    dpenses mdicales mais aussi les services sociaux et communautaires ayant un effet sur le

    maintien de la vie47. Pour la population dfavorise, malgr le dsir de demeurer en vie, la

    demande (comme on la vu) pour la vie nest pas infinie, elle des substituts. Cest vrai pour tout

    le monde, mais cest encore plus vrai pour la population dfavorise. Do le nombre

    proportionnellement rduit de participants au programme de maintien de la sant. Le graphique 1

    construit partir de la colonne IV et de la colonne VI du tableau 1 donne la relation entre les

    dpenses de maintien de la vie et le nombre de participants.

    Figure 1

    Relation entre dpenses de maintien de la vie et nombre de participants

    au programme de maintien de la sant (par 1000 de population)

    100 200 300 400 500 Nombre de participants par 1000 de population

    Source : Calculs partir du tableau 1

    47 La mthode pourrait tre adapte des problmatiques o les classes consisteraient en diffrents styles de vie, statut matrimonial, ethnies, niveau durbanisation, etc.

    Dpenses annuelles

    $

    $ 500

    $ 400

    $ 300

    $ 200

    $ 100

    0

    R

    T

  • 18

    Note : La droite RT nest pas la demande pour le maintien de la vie.

    Pour estimer le surplus des consommateurs dans lactivit de maintenir la vie laide dun

    programme de maintien de sant, il faut tablir pour lensemble de la population la disposition

    payer pour la vie elle-mme. Tous les individus tiennent la vie au mme degr, seulement les

    circonstances ne les forcent pas tous faire les mmes efforts et dpenser les mmes montants

    pour rester en vie. Par exemple, dans le cas de llite, elle na pas rvler le montant maximum

    quelle serait prte payer pour demeurer en vie. Son style de vie la rend un peu moins sujette

    certaines maladies, surtout en ce qui a trait aux enfants, de sorte que pour connatre le montant

    maximum que ses membres seraient prts payer, il faut se baser sur ceux qui sont forcs de le

    faire, i.e. les dfavoriss. Leur hrdit et/ou les autres caractristiques les forcent dpenser le

    montant maximum. Pour llite, ce montant moins ce quils ont effectivement pay donne leur

    surplus de consommateur. La construction de la courbe de demande pour la vie qui engendre le

    surplus des consommateurs se base sur leffet, sur une classe particulire, dune augmentation

    (fictive) des frais de participation un programme de maintien de la sant en sus de ce quils

    paient dj et que lon peut infrer partir de la figure 1. On suppose que laugmentation fictive

    de cot a le mme effet quune augmentation de frais de participation au programme quon a not

    travers les classes, i.e. rduire le nombre de participants.

    Le rsultat de lopration se trouve au tableau II :

    Tableau II

    Participation des gens au programme de maintien de la sant

    diffrents cots fictifs supplmentaires (Nombre)

    Cot fictif

    $ Classe

    0 100 200 300 400 500

    lite 50 000 40 000 30 000 20 000 10 000 0

    Moyenne 120 000 80 000 40 000 0 0 0

    Dfavorise 100 000 0 0 0 0 0

    Total 270 000 120 000 70 000 20 000 10 000 0 (Source : Calculs sur les chiffres du tableau 1 laide la figure 1).

  • 19

    Au prix fictif de zro, i.e. on ne change rien la situation prsente, la participation est la mme

    quau tableau 1. Si on impose un cot supplmentaire de 100 $ tout le monde, en se rfrant la

    figure 1, on ralise que pour llite, le cot de participation devient 200 $, ce qui fait que la

    participation pour cette classe diminue 400 personne/1 000 de population; ce prix, 40 000

    personnes de llite participent, soit 100 000 / 1 000 x 400 = 40 000. Pour la classe moyenne, le

    prix fictif se trouve maintenant 400 $/an, ce qui rduit la participation (selon la figure 1) 200

    personnes par 1 000; comme il y a 400 000 personnes, dans la classe moyenne, cela produit une

    participation de 80 000 personnes. Appliquant cette rgle tous les prix fictifs utilement

    envisageables, on obtient le tableau II. Le surplus des consommateurs pour la rgion

    mtropolitaine est tir du tableau II en mettant en relation la ligne total et le prix fictif

    correspondant. Cela est reprsent par la figure II.

    Figure II

    Surplus de consommateur des participants au programme de maintien de sant

    500 A

    400

    300

    B

    200

    100

    E

    C

    F

    D

    0 270 000 170 000 120 000 50 000 20 000

    Nombre de participants

    Comme en ralit il ny a pas de prix fictif, la courbe ABCD reprsente la demande qui engendre

    le surplus de consommateurs de lensemble des participants en ce qui a trait la vie. Cela

    Prix fictif $

  • 20

    sadditionne aux montants dj dpenss selon le tableau 1. De sorte que pour un participant de

    llite, lvaluation de la vie se monte 400 $/an, soit 100 $ de paiement direct et 300 $ de

    surplus de consommateur, cest--dire la surface OABE / 50 000 (participants lite) ; puis la

    surface EBCF / 120 000 (participants classe moyenne) = 131 $ surplus des participants de la

    classe moyenne et 300 $ de paiement direct, ce qui tablit la valeur de la vie 431 $/an, et

    finalement, FCD / 100 000 (les participants de la classe dfavorise) donne 33 $/an pour la classe

    dfavorise. La valeur totale de la vie pour les diffrents participants est donc de 400 $/an pour

    llite, 431 $/an pour la classe moyenne et 500 + 33 $ pour la classe dfavorise. La disparit de

    lvaluation de la vie selon les classes nest pas exceptionnelle ; elle a dj t note par Erlich

    (2000). Mais comme dans lexemple ci haut, les diffrences sont relativement petites, cela ne

    prte pas consquence.

    La valeur de la vie qui dcoule de cet exercice reflte le comportement dune collectivit

    particulire un moment de son histoire, tant dans ses dpenses et efforts privs que dans ses

    dpenses du secteur public en sant et services sociaux. Il sagit donc dune valeur implicite

    utiliser lorsque lon tient agir efficacement. Cependant, le modle ne montre pas que les

    dpenses sont optimales de sorte que la valeur de la vie est normative seulement pour la priode

    et le territoire utiliss pour dterminer la valeur de la vie. Elle a tout de mme la qualit de

    maintenir la cohrence dans les diffrentes dcisions collectives.

    Dans une analyse dun projet particulier, le recours cette(ces) valeur(s) de vie48 se fait selon la

    procdure suivante :

    i) On dtermine le nombre de personnes de chacune des classes affectes par le projet.

    ii) On multiplie ces nombres par les valeurs totales de vie (selon la classe) obtenues ci haut.

    iii) La somme des montants de (ii) constitue lannuit imputer au projet en ce qui concerne les

    vies humaines perdues ou prserves.

    48 En faisant lhypothse que les valeurs des non-participants, dans chacune des classes, ne diffrent pas tellement de celles de ceux des participants. Lalternative (radicale) est dans chaque projet de diviser les usagers en classes et de ne retenir, dans les calculs, que les participants selon leurs valeurs respectives.

  • 21

    BIBLIOGRAPHIE

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