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UNIVERSITE DU QUEBEC A MONTREAL
VIEILLIR AILLEURS.
OPTIONS IDENTITAIRES ET PAROLES D'AINES D'ORIGINE LIBANAISE
THESE
PRESENTEE
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DU DOCTORAT EN SOCIOLOGIE
PAR
HABIB EL-HAGE
MARS 2010
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Service des bibliothèques
Avertissement
La diffusion de cette thèse se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»
À ma mère, qui a décidé de vivre ... au Québec.
Remerciements
Qu'il me soit pennis de remercier les personnes sans qui cette thèse n'aurait
pu être réalisée.
Je tiens en premier temps à remercier les membres de ma famille, mon épouse
Elizabeth, mes trois enfants Mirianna, Juliette et Théo. Les deux derniers sont
nés durant le parcours doctoral. Je tiens à leur dire merci pour leur patience et
leur soutien.
Je dois également beaucoup à ma directrice Mme Micheline Labelle pour sa
confiance depuis notre première rencontre et qui m'a prodigué ses judicieux
conseils et sa grande expérience.
Mes gratitudes à ma co-directrice de thèse Mme Jocelyne Lamoureux qui m'a
encouragé à aller jusqu'au bout dans cette aventure.
Merci à toutes les personnes qui ont accepté de me rencontrer afin de me
raconter une parcelle de leur vie. J'espère que ma thèse rend justice à leur
courage de vivre le parcours migratoire.
Merci également à toutes les personnes qui m'ont aidé à trouver des
répondants. Sans eux, ce périple serait difficile à achever.
Table des matières
TITRE .
TABLE DES MATIERES IV
LISTE DES FIGURES ET DES TABLES........................................ VU
SOMMAIRE x
CHAPITRE 1 :
PROBLEMATIQUE ET ENJEUX. OPTIONS IDENTITAIRES ET
INTRODUCTION , " 1
LIBANITE , . .. 10
1.1 Options identitaires............. .. Il
1.1.1 Importance des débats sur l'identité............................ Il
1.1.2 Gestion de la diversité ethnoculturelle. 18
1.2 Libanité 28
1.2.1 Territorialité et religions....................................... 28
1.2.2 Balbutiements d'une nation.............. 32
1.2.3 Importance de l'institution familiale 35
1.2.4 Le système communautariste libanais 39
1.2.5Repérage des configurations identitaires 41
1.2.6 Les Libanais du Québec.......................................... 56
CHAPITRE 2: CONSIDERATIONS THEORIQUES ET
METHODOLOGIQUES. . . . . . . . . . . . . . .... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 73
2.1 Considérations théoriques............................................ 74
2.1.1 L'École de Chicago 74
v
2.1.2 Le concept de l'assimilation segmentée 78
2.1.3 Les théories de l' ethnicité 82
2.1.4 Les théories de l'identité 84
2.1.5 La comparaison sociale ; 92
2.1.6 Liens transnationaux 95
2.2 Cadre méthodo1ogique 101
2.2.1 Le cadre de l'entretien 103
2.2.2 Stratégie de repérage des répondants et critères de sélection 104
2.2.3 Modes d'analyse des données.... 107
2.2.4 Limites méthodologiques. 108
2.2.5 Le portrait des répondants.................................... 109
CHAPITRE 3 : LIENS SOCIAUX, OPTIONS IDENTITAIRES DANS LA SOCIETE D'ORIGINE ET PROJET MIGRATOIRE 117
3.1 La famille: un noyau central....................................... 119
3.2 Pluralité des identités des sujets....................................... 121
3.3 Le trauma de la guerre 126
3.4 Projet migratoire 134
3.4.1 Fuir la guerre 134
3.4.2 Plusieurs stratégies sont mises en œuvre.................... 136
3.4.3 Rester. ..Un choix libre........................................... 139
CHAPITRE 4 L'EXPÉRIENCE DE LA SOCIÉTÉ D'ACCUEIL............................... 141
4.1 Rapport à l'institution publique de la société d'accueil.. 142
4.2 L'accueil et l'intégration............................................... 157
4.3 Rapport à la communauté libanaise de Montréal.. .. . .. . .. .. .. . 165
4.3.1 Structure communautaire. . ... .. ... . .. . ..... . ... ... .. .... . ... 165
4.3.2 L'hétérogénéité de la société libanaise...................... 172
4.3.3 La vie sociale à Montréal.. 177
VI
4.4 Les options identitaires postmigratoires.............. 180
4.5 Liens avec le pays d'origine...................................................... 183
CHAPITRE 5: SYNTHESE ET DISCUSSION. . ... ... .. . .. . .. ... . .. . .. ... .... ... ........ . ....... 188
CONCLUSION GENERALE....... 203
BIBLIOGRAPHIE............................................................. 207
ANNEXES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 226
Tableau 1 :
Tableau 2:
Tableau 3:
Tableau 4:
Tableau 5 :
Tableau 6 :
Tableau 7 :
Tableau 8 :
Liste des tableaux
Période d'immigration des
Libanais au Québec . 59
Immigrants admis au Québec selon
les 15 principaux pays de naissance,1995-1999 .. 60
Immigrants admis au Québec selon
les 15 principaux pays de naissance, 2004-2008.. ........ .......... 60
Immigration au Québec en 2008 selon
les principaux pays de naissance " , . 61
Population d'origine ethnique libanaise
(Recensement 2001) "........ 62
Population d'origine ethnique libanaise au Québec selon
l'appartenance confessionnelle (Recensement 2001)............... 63
Aperçu des associations libanaises du Québec..................... 70
Paramètres de représentation des répondants................... 105
Mots en arabe et leur traduction
Calife: Titre porté par les successeurs du prophète Mohammed
Oukkal : Sages
Émir : Prince
Al Nahda : La renaissance littéraire
Wasta: Intermédiare
Assabyia: Communauté d'intérêt
Dai'a: Village
Moua'ak : Infirme
Sitto : Grand-mère.
L'exil est une dimension fondamentale de la poésie et ce, dans la mesure où l'exil est non pas un déplacement physique, mais bien une attitude devant le monde, devant la société, devant la langue... Qu'est-ce qu'une quête, qu'est-ce qu'une recherche? C'est l'exil inversé, puisque celui qui cherche va, pour trouver quelque chose, pour trouver quelqu'un, pour trouver une signification, se déplacer d'un lieu à un autre, en fonction d'une difficulté d'être qu'il rencontre et qui s'oppose à lui. Sinon il ne partirait pas, sinon il resterait enraciné là où il est.
Salah Stétié1
1 Extrait du livre: Statié, Salah. 1996. La parole el la preuve. Saint Nazaire. M.E.E.T.
Sommaire
L'identité dans un contexte d'immigration est un thème constituant un enjeu au centre des préoccupations récentes en sociologie de l'immigration au début du XXIe siècle. Notre recherche de nature exploratoire porte sur les options identitaires des aînés d'origine libanaise. Le thème de recherche est motivé par trois éléments: le débat sur l'identité en contexte migratoire, notre curiosité de connaître davantage la structuration de l'identité des Libanais au Québec et finalement les options identitaires des aînés d'origine libanaise de Montréal.
Notre hypothèse de départ propose que la reconstruction identitaire chez les aînés d'origine libanaise en contexte migratoire et le choix des options identitaires se font à partir de l'expérience vécue dans le pays d'origine et de l'expérience vécue dans la société d'accueil. L'approche utilisée pour vérifier cette hypothèse s'inscrit dans une démarche d'analyse de récits portant sur le vécu des répondants en terre d'origine et en terre d'accueil. Le corpus d'analyse de cette recherche est donc constitué du récit de 37 personnes aînées d'origine libanaise de Montréal de différentes périodes d'immigration, de différentes allégeances confessionnelles, de différentes classes sociales, hommes et femmes. Toutes les personnes rencontrées vivaient d'une manière autonome au moment de l'entrevue.
Notre analyse du corpus démontre que l'identité des personnes rencontrées s'est structurée à l'origine à partir de plusieurs options identitaires, locale, confessionnelle, professionnelle, de classe sociale et nationale. L'expérience de départ est marquée par un pluralisme identitaire construit en opposition (à d'autres groupes confessionnels, étrangers) ou en conformité et allégeance (endogroupe confessionnel, classe sociale populaire, étrangers). Fait étrange, contrairement à plusieurs auteurs (sociologues, historiens) qui affirmaient la présence d'un pôle identitaire arabe, les répondants nous ont confirmé le contraire. L'identité arabe ne figurait pas parmi les options identitaires des répondants avant leur migration. Également, l'identité confessionnelle ne présentait pas un atout particulier et considérable parmi les options identitaires. Une certaine hiérarchisation existait, mais celle portant la marque confessionnelle n'est pas exhibée d'une façon absolue.
Nos résultats sur l'expérience de la société d'accueil confirment la présence d'un changement et une reconstruction identitaire chez les aînés d'origine libanaise, et ce, selon deux mouvements: un mouvement de répulsion lié à un passé traumatique et aux différentes divisions de la communauté libanaise de Montréal et un mouvement de séduction influencé par une reconnaissance de leur individualité par
Xl
la société d'accueil et ses institutions. De nouvelles fonnes identitaires ont émergé au contact avec la nouvelle réalité. La recherche affinne la complexité de la composition et de la recomposition identitaire des aînés d'origine libanaise; que les aînés choisissent diverses options identitaires influencées par leur nouvel environnement social et qu'un certain détachement identitaire de la société d'origine se dessine dû à des conjonctures particulières.
Mots clés: Options identitaires, Aînés, Liban, Migration, Ethnicité.
INTRODUCTION
C'est toujours une étrange émotion que celle qui naît de la traversée d'un pont mental. Les mots ne sont parfois, d'une rive à l'autre du monde, que de tremblantes passerelles. Un mot partagé et partageable est l'une des façons que les hommes ont inventées pour vaincre la séparation.
Salah Stétié
Cette thèse porte sur la transformation identitaire des aînés 1 d'origine
libanaise à Montréal. Notre objet de recherche est d'explorer comment
l'expérience de vie en société d'origine et en société d'accueil influence le
choix des options identitaires chez des aînés nés au Liban. Il s'agit de cerner
comment, à partir de différents processus identificatoires (confessiormel,
professiormel, familial, de classe sociale et autres) dans le pays d'origine, du
traj et migratoire et du contact avec la société québécoise, l'identité se
transforme. Le processus de construction identitaire varie d'un acteur à un autre
utilisant des stratégies qui n'insistent pas sur les mêmes dimensions. Partant de
l'idée que la compréhension de la construction identitaire se fait en lien avec les
1 Dans cette thèse, le masculin est utilisé sans discrimination à l'égard des honunes et des fenunes et dans le seul but d'alléger le texte. Nous avons considéré la variable âge de 65 ans et plus conune étant une variable conespondante à la catégorie «aînés».
phénomènes SOCIaux comme la religion, les rapports de classes sociales, la
migration et bien d'autres, cette thèse tient compte des options identitaires
choisies par des aînés, dans la société d'origine et aussi au contact avec la
société d'accueil
Les objectifs de notre recherche sont à la fois théoriques et pratiques. Nous
voulons dans un premIer temps comprendre quelles options identitaires les
sujets interrogés avaient dans la société d'origine. Deuxièmement, nous
analyserons les processus complexes et multiples de construction identitaire
vécus par ces personnes. Notre troisième objectif porte sur les options
identitaires des aînés libanais en société d'accueil. Quatrièmement, nous
voulons contribuer à la réflexion scientifique plus globale sur la construction et
les options identitaires.
Nous avons construit l'hypothèse suivante: le choix d'options identitaires
chez les aînés libanais de Montréal se construit à partir de l'expérience vécue
dans le pays d'origine et de l'expérience vécue dans la société d'accueil.
L'immigration au Québec n'est pas un phénomène provISOIre. Les
politiques d'immigration nous démontrent que la pluriethnicité deviendra une
caractéristique de plus en plus marquante de nos sociétés. Dans ce sens, on
constate que la tendance est plutôt vers l'accroissement des apports de
populations venant de l'étranger. Depuis les années 1980, le nombre des
immigrants admis au Québec tend vers la hausse. Le Québec a accueilli près de
26 000 nouveaux arrivants en 1988,27 684 en 1997 et 48 000 en 2007 (MICC,
2008).
Cette augmentation du nombre des immigrants est justifiée, selon
Massé, par l'obligation de compenser le faible taux de fécondité des Québécois,
2
par le souci de maintenir le poids démographique du Québec dans le Canada,
mais aussi «d'augmenter l'importance relative de la population active
susceptible de dynamiser l'économie» (Massé, 1995: 374). Cet apport de
l'immigration est accompagné par de difficultés sociales, économiques,
politiques, psychologiques. Citons à titre d'exemple le taux de chômage très
élevé chez certaines minorités racisées, les difficultés structurelles amenant des
dynamiques violentes dans certains quartiers dits sensibles.
Dans le cadre du Québec où entre autres, la question nationale est porteuse
de litiges et de conflits, on note de nombreux questionnements sur le «vivre
ensemble, égaux et différent»2. Les questions identitaires sont plus que jamais
interpellées sur la scène québécoise. Ainsi, les débats sur la langue, la remise en
question du concept de l'accommodement raisonnable ont poussé le
gouvernement libéral en 2007 à mettre sur pied une commISSIon
d'enquête3 chargée d'analyser les enjeux des pratiques d'accommodements et de
formuler des recommandations au gouvernement du Québec (Gouvernement du
Québec, 2007: 4). Le malaise identitaire figure parmi les préoccupations des
citoyens. Plus globalement, des recherches et débats sur les identités des
immigrants, surtout les jeunes de la première ou de la deuxième génération ont
fait couler beaucoup d'encre. Depuis longtemps, les chercheurs s'intéressent à
cette question afin de savoir comment les identités des immigrants se
transforment au contact des sociétés d'accueil et comment la société d'accueil se
trouve, elle aussi en mutation. Y a-t-il des modèles d'identifications particuliers
chez les immigrants? Y a-t-il des facteurs dominants qui influencent le choix des
options identitaires?
2 Formule empruntée à Alain Touraine (1997) dans son livre Pourrons-nous vivre ensemble égaux et différents? Éditions Fayard, Paris. 3 La CoffillÙssion de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles, connue sous le nom de la CoffillÙssion Bouchard-Taylor.
3
Plusieurs recherches récentes sur l'identité et immigration sont centrées sur
les jeunes de deuxième génération. Labelle, Salée et Frenette (2000: 146), entre
autres, affirment que «les diverses formes de l'identité renvoient à un processus
de construction sociale qui transforme constamment ses contours». Ce processus
continu de construction de l'identité livre généralement un indice avéré sur
l'incorporation sociale et économique des jeunes (Labelle, Salée et Frenette,
2000: 146). Selon ces chercheurs «plusieurs perçoivent l'adoption de l'identité
citoyenne du pays d'établissement comme l'indication évidente d'une
incorporation réussie. D'un autre côté, «la rétention exclusive de l'identité
d'origine chez la seconde génération est souvent considérée comme le signe
d'une attitude antagoniste face à la société d'établissement» (Labelle, Salée et
Frenette, 2000: 146-147).
L'intérêt de la recherche proposée se situe à différents nIveaux. Elle
contribuera à l'accroissement de notre compréhension des multiples facteurs
influençant le choix des options identitaires chez les immigrants aînés d'origine
libanaise. Deuxièmement, elle explorera le discours des aînés dont les options
identitaires seront enfin captées de vive voix avant qu'il ne soit trop tard.
Troisièmement, nous désirons apporter une contribution aux débats sur les
identités. Cet objet de recherche nous passionne parce qu'étant nous-mêmes
d'origine libanaise, nous sommes soucieux du vieillissement au sein de la
communauté. Dans ce sens, nous pensons qu'une compréhension des choix des
options identitaires des aînés libanais du Québec nous apportera un regard
enrichi sur cette migration transnationale.
Ainsi étudier les diverses formes d'identité leurs reformulations et
particulièrement celle des aînés d'origine libanaise est une aventure riche de
défis pour des raisons multiples qui nous ont stimulés à entreprendre ce sujet
d'étude. La première tient au concept lui-même: l'identité est une notion
4
complexe qui est soutenue par la diversité des approches qui en traitent sur le
plan théorique, aussi bien que méthodologique. La deuxième est relative à la
dépendance du processus de construction identitaire de l'individu aux rapports
sociaux. Par exemple, au Liban ce fait s'exprime par la dépendance de la
question identitaire au contexte historique et à la conjoncture politique. La
troisième raison c'est que dès la constitution de l'État, il y a une constellation
d'identités qui s'affirment et s'affrontent. Celle du Liban et des Libanais
n'échappe pas à cette règle: arabe ou non, occidentale ou non, chrétienne ou
musulmane, et récemment laïque ou non. Finalement, nous voulons faire état de
la question délicate entre la vie au présent des aînés et le lien avec un passé
traumatique lié à la guerre civile 1975-1990.
L'identité telle que pnse en compte dans le cadre de notre recherche
doctorale, est considérée comme étant «une manière d'interagir, d'appartenir ou
de ressentir une appartenance à un groupe social, à une idéologie, à une manière
de vivre ou de penser» (Berger et Luckmann, 1986). Nous ajoutons à cela que
l'identité évolue dans le dialogue, la négociation et la confrontation entre le
semblable et le différent.
Cette thèse est composée de cinq chapitres. Le chapitre premier aborde la
problématique de recherche sur les processus identitaires et la libanité. Nous
nous arrêtons tout particulièrement sur la complexité des processus identitaires
étudiée à partir de quelques recherches sur les identités. Nous présenterons
également les politiques publiques en matière de la gestion de la diversité, soit le
modèle du multiculturalisme et la perspective interculturelle. Nous croyons
comme Portes et Zhou (1993), que les politiques en gestion de la diversité
etlmoculturelle ont un impact certain sur l'incorporation ou l'intégration des
immigrants. Nous ajoutons à cela que ces politiques influencent la
transformation identitaire des aînés et leur choix des options identitaires.
5
Également, nous présenterons l'histoire du Liban et la complexité du discours
sur l'identité libanaise. Comment le Liban s'est-il construit? L'évolution
sociohistorique ainsi que les modes de la pratique religieuse qui ont influencé
l'affiliation familiale seront présentées dans cette partie. Nous verrons
également les approches qui ont eu un impact sur les discours concernant
l'identité libanaise. Nous croyons que cet impact a été important sur les
représentations sociales de l'identité libanaise. Ce chapitre sera consacré à la
présentation du portrait de l'émigration libanaise. Les différents mouvements
migratoires ainsi que l'évolution de la migration libanaise au Québec seront
évoqués dans ce chapitre. Nous gardons un espace pour la présentation de
différentes recherches portant sur la communauté libanaise au Québec. Nous
terminons ce chapitre par une présentation des institutions libanaises au Québec.
Le deuxième chapitre sera consacré aux considérations théoriques et
méthodologiques. Nous présentons, suite à la recension des écrits, nos
orientations théoriques. Il sera question du cadre théorique dans lequel s'inscrit
cette recherche qui est celui des théories sur l'identité particulièrement dirigées
vers l'immigration et le rapport de l'individu à la société d'accueil. L'accent
sera mis sur le point de vue des acteurs sociaux. Nous présenterons d'autres
concepts qui élucideront la complexité du phénomène migratoire et de l'identité
tels que l'assimilation segmentée, l' ethnicité, la comparaison sociale et les liens
transnationaux.
Les fondements méthodologiques de cette recherche seront approfondis
dans ce chapitre. Nous rappelons qu'il s'agit d'une analyse qualitative d'un
matériau composé de 37 entrevues individuelles semi-directives d'une durée
variable avec des aînés de Montréal nés au Liban, de différentes classes sociales,
de différentes confessions religieuses, de périodes d'immigration variables,
hommes et femmes. Sachant qu'il y a eu trois vagues migratoires du Liban vers
6
le Canada, nous avons choisi deux cohortes en raison de leur disponibilité et
accessibilité. La première cohorte correspondant à la deuxième vague migratoire
des libanais était composée des libanais de la bourgeoisie: étudiants, gens
d'affaires et commerçant. La deuxième cohorte correspondant à la troisième
vague d'émigration des libanais en raison particulièrement de la guerre 1975
1990. Le choix de ces deux cohortes d'aînés d'origine libanaise était motivé par
notre souci de comprendre s'il y a des différences notables dans leurs modes
d'incorporation liées aux variables comme la religion, la classe sociale, la date
d'arrivée au Canada, la connaissance de la langue, etc.
L'analyse des entrevues a été orientée en fonction de thématiques liées aux
dimensions suivantes: l'expérience de vie dans la société d'origine (le lien à la
religion, les liens familiaux, les événements marquants, le projet migratoire) et
l'expérience de vie dans la société d'accueil (le lien à la société réceptrice, la
réalisation de soi, le phénomène du racisme, le lien à la communauté d'origine
et les options identitaires). Ce chapitre vise une délimitation de l'objet d'étude
(le problème de l'échantillonnage et les sources), le contexte et le déroulement
de l'étude, les modalités de terrain. Nous avons opté pour une stratégie
d'analyse thématique qui «offre la possibilité de traiter de manière méthodique
des informations et des témoignages qui présentent un important degré de
profondeur et de complexité» (Quivy et Campenhoudt, 1988). Ce chapitre nous
guidera vers l'analyse de l'ensemble des entrevues réalisées à Montréal pour
mieux saisir l'expérience de vie des aînés dans la société d'origine et dans la
société d'accueil.
Le troisième chapitre sera consacré à la description des résultats des
données en lien avec l'expérience vécue dans la société d'origine. Dans ce
chapitre nous montrons comment l'identité des Libanais avec lesquels nous nous
sommes entretenus se décline comme une articulation des appartenances
7
familiale, nationale, locale et confessionnelle. Nous aborderons également leur
expérience du projet migratoire. La migration des Libanais est motivée par
différents contextes. Comment les répondants ont-ils appréhendé l'émigration?
Est-ce une quête de sens?
Leur expérience de la société d'accueil sera notre quatrième chapitre. À
l'instar des travaux de Portes et Zhou (1993) qui accordent une importance
capitale aux rôles des politiques publiques, à l'accueil de la population dans la
nouvelle société d'accueil ainsi qu'à l'organisation de la diaspora dans
l'incorporation ou l'intégration des immigrants, nous approfondirons quatre
dimensions. La première portera sur l'expérience vécue par ces aînés en lien
avec les institutions publiques. Plusieurs dimensions sont examinées comme
l'expérience du droit à l'égalité et l'autonomie des femmes. La deuxième
examinera leur expérience de l'accueil. Comment les aînés ont-ils perçu et vécu
les structures d'accueil et d'aide à l'intégration? Leur lien à la communauté
libanaise de Montréal sera décrit dans la troisième dimension. Nous verrons
dans ce chapitre comment les aînés vivent une tension entre la répulsion due à
une mauvaise organisation de la communauté et une attraction. La quatrième
aborde les liens transnationaux avec le pays d'origine. Le cinquième chapitre
sera consacré à la synthèse et à la discussion entre données empiriques et
concepts théoriques en regard des options identitaires des aînés d'origine
libanaise.
Les études accessibles sur la migration libanaise s'inscrivent dans les
problématiques classiques de l'intégration des migrants à la société réceptrice.
Les ouvrages et analyses pOttant sur la population libanaise à Montréal se
penchent sur des sujets en lien avec la participation citoyenne, la dispersion
dans l'espace montréalais, l'exclusion, l'entrée sur le marché du travail, le
stress causé par l'acculturation, etc. (Sayegh et Lasry 1993; Aboud, 1992;
8
Lami, 1992; Labelle et coll., 1995; Abou Hsab, 1996; Le Gall, 2001; Eid, 2008;
Lebnan, 2002; Abdel-Hady, 2005). Ces recherches prennent en considération
des variables comme la religion, la condition économique, les 'chefs associatifs,
le genre ou les jeunes. Les travaux menés jusqu'à présent auprès des Libanais
au Canada et au Québec ne tiennent pas compte des aînés d'origine libanaise.
Notre démarche, nous l'espérons, jettera les premiers jalons d'analyse d'une
perspective centrée sur les méandres de l'identité chez des aînés d'origine
libanaise à Montréal.
9
CHAPITRE 1:
PROBLEMATIQUE ET ENJEUX.
OPTIONS IDENTITAIRES ET LIBANITE
Ils ont tort. Ce pays est irremplaçable: tous les voyageurs qui y passent, depuis la nuit des temps, ne rêvent que d'y rester, et nous, nous partons ! Un peu de patience : Beyrouth retrouvera son âme, et le Liban sa liberté. Il suffit d'y croire et de lutter. A Nahr-el-Kalb, des stèles commémorent le départ de nos occupants successifs. Mon père a assisté au départ des Ottomans, j'ai assisté à celui des troupes françaises, et toi ...
Alexandre Najjar4
Dans le cadre de cette thèse, nous croyons qu'il est pertinent de faire un bref survol sur la complexité de la construction identitaire que nous approfondirons dans )' exposé de notre cadre théorique, sur la gestion de la diversité ethnoculturelle que pratiquent les gouvernements canadien et québécois ainsi que sur l'histoire de la communauté libanaise de Montréal. L'élaboration d'un tel portrait nous permet alors de mieux saisir les enjeux propres à la question identitaire des aînés libanais de Montréal.
4 Extrait du roman Najjar, Alexandre. 2005. Le Roman de Beyrouth. Paris, Editions Plon.
1.1 Options identitaires
1.1.1 Importance des débats sur l'identité
La complexité du concept de l'identité est évoquée par plusieurs
chercheurs de différentes écoles. Cette notion a occupé la réflexion, les
discussions et les travaux de plusieurs philosophes, des sociologues, des
politologues ainsi que des artistes, des ingénieurs et d'autres spécialistes de
disciplines liées aux domaines diversifiés de la science. La complexité de ce
concept est «renforcée par la diversité des approches qui le traitent sur le plan
théorique, aussi bien que méthodologique» (Hijazi, 2005: 150). Elle serait
construite selon Hijazi (2005 ; 151) au carrefour de plusieurs champs théoriques
contribuant à son élaboration telle que la psychologie génétique (Piaget,
Zazzo); la psychologie sociale (Mead, Tajfel, Turner. .. ); la sociologie
(Durkheim, Weber, Parsons, Dubar, Bourdieu, Touraine... ); l'anthropolog"ie
psychanalytique (Erikson); l'anthropologie (Lévi-Strauss); la phénoménologie
(Hegel, Husserl, Sartre... ).
Partant de cette complexité, la détermination de l'identité sera une question
interprétative, comprenant une certaine ambiguïté, spécialement dans les
sociétés pluriculturelles où la construction identitaire de l'individu est
corrélativement liée au facteur culturel des groupes ou des communautés qui
constituent la société (Hijazi, 2005), sachant que la socialisation de la personne
est, effectivement, un fait de transmission des valeurs par l'apprentissage des
normes, des modalités de comportements et des lois sociales.
C'est dans les années 60, aux États-Unis, que se diffuse le terme d'identité
dans les sciences sociales. Rapidement, son emploi s'élargit. Le contexte
politique dans ce pays va renforcer davantage encore la terminologie identitaire,
Il
l'imposant tout autant dans le vocabulaire médiatique que dans l'analyse
sociale et politique. En effet, dès la fin des années 60, la minorité afro
américaine s'affirme d'une manière radicale avec la naissance des Black
Panthers en 1966. Dans le sillage du mouvement afro-américain, d'autres
minorités vont elles aussi revendiquer la reconnaissance de leur spécificité.
Cette conjoncture va marquer un véritable tournant identitaire dans les années
70. Comme le note Brubaker:
L'expérience qu'ont faite les Afro-Américains de la «race» 5comme catégorisation imposée en même temps que comme auto-identification a été déterminante non seulement à l'intérieur de ses propres limites, mais aussi en tant que modèle pour les revendications identitaires de toutes sortes, de celles qui concernent le sexe ou l'orientation sexuelle à celles qui sont fondées sur l'appartenance ethnique (2001 :432).
lnstitutionnellement dans le champ de sciences sociales, ces revendications
vont se traduire, entre autres, dans les universités américaines par la création de
départements aussi divers que les Afro-American Studies (au départ appelé
Black Studies) , les Wamen 's and Gay Studies, les Chicano Studies ou les
Jewish Studies. L'identité minoritaire apparaît pour ces champs d'études
comme la dOlmée première. Les études postcoloniales, avec des penseurs
comme Edward Saïd ou Gayatri Spivak, vont pour leur part interroger les
identités hybrides qu'a pu créer l'histoire coloniale. Le sentiment
d'appartenance identitaire ne faiblit pas dans les années 90. La problématique
de l'identité est devenue incontournable aussi bien dans les recherches sur
l'immigration, le nationalisme, la religion ou les gender Studies. Si dans les
sciences sociales, c'est aux États-Unis qu'apparaît et se diffuse le terme,
l'Europe n'est pas en reste, même si c'est sans doute avec un certain décalage
que l'identité devient aussi une préoccupation cardinale. Cependant, la
5 Tout le long de notre document, nous plaçons les mots «race» et «ethnie» entre guillemets. Nous préférons prendre une distance face à ces expressions utilisées par plusieurs auteurs.
12
spécificité de l'histoire américaine et notamment le poids de ses minorités
résultant des multiples vagues de migration sont bien sûr déterminants. Mais il
y a sans doute des raisons proprement politiques dont les incidences sur les
sciences sociales sont, elles aussi importantes. En effet, selon Brubaker :
La prolifération des revendications identitaires fut facilitée par la relative faiblesse institutionnelle des partis de gauche aux États-Unis et par la faiblesse concomitante de l'analyse sociale et politique en termes de classe. Sans ignorer que l'on peut très bien considérer la classe sociale elle-même comme une identité, il reste que la faiblesse de la politique de classes aux États-Unis a constitué un terrain particulièrement propice et laissé le champ libre à la multiplication des revendications identitaires (2001 :440).
Dans son ouvrage de 1999, Black identifies, Mary Waters relate son
expérience d'entrevues auprès de 83 jeunes Noirs de deuxième génération de
différentes classes sociales vivant à New York. Elle affirme que les différences
entre les classes jouent sur l'option identitaire. «Middle-class second-generation
West Indians use their cultural identities to claim an American identitiy as
members of a «model minority». «While not denying their racial identity as
black, these youths distance themselves from the underclass image of American
blacks. Working-class second-generation youths become African Americans»
(Waters, 1999: 330). D'autres expliquent le choix d'option identitaire des
jeunes de la deuxième génération comme suit: «Dans le souci d'intégration, la
génération des parents n'a pas voulu s'illustrer par la promotion de grandes
figures dans la communauté haïtienne» (Morin, 1993 :104), l'effet pervers de
cette attitude consistant à laisser les jeunes d'origine haïtienne dans une absence
de référent identitaire de poids. Aux États-Unis, les chercheurs observent que
les jeunes noirs des Cm'aibes et de l'Afrique de deuxième génération qui
affichent une identité noire sont généralement en conflit avec leurs parents, qui
eux, sont convaincus que <<their status as foreign-born blacks is higher than
13
Arnerican blacks, and they tend to accentuate their identities as immigrants»
(Waters, 1996: 173). Selon Waters, les facteurs qui influencent le choix d'une
option identitaire sont la classe sociale des parents, le réseau social entretenu
par les parents, le type d'école que fréquente le jeune ainsi que la structure
familiale (Waters, 1996). Sur ce dernier point, Manço (1999 :43) nous rappelle
que «La structure familiale et communautaire, sa stabilité, sa position face aux
ruptures culturelles et angoisses générées par l'immigration, ses capacités à
proposer des <anodèles à suivre» sont les ressources premières grâce auxquelles
les jeunes issus de l'immigration pourront produire leurs propres options
identitaires» (Manço, 1999:175). Plusieurs facteurs présents dans la société
interfèrent dans la dynamique de construction identitaire d'un individu. Selon
Labelle et Lévy:
Les populations issues de l'immigration, reconnues ou non comme groupes ethniques et groupes racisés, acquièrent dans nos démocraties occidentales des identités nouvelles (par le biais de la catégorisation sociétale), le plus souvent sur la base de relations sociales inégalitaires, et non à partir de traits culturels primordiaux ou de différences génétiques. En même temps, ces groupes résistent, récupèrent des identités attribuées, ou au contraire adoptent les conduites et les attitudes des pays d'accueil. Les frontières externes et internes de l' ethnicité varient donc selon les contextes, les environnements sociaux et politiques, et les relations sociales qui les traversent (1995 : 198).
Dans cette diversité théorique, nous constatons qu'une définition
consensuelle interdisciplinaire concernant l'identité est difficile à établir. D'où
le fait que la problématique de l'identité est toujours marquée par le modèle
d'approche adopté par le chercheur. En effet, selon Hijazi (2005), c'est une
notion qui change de figure selon les disciplines et les perspectives théoriques
qui l'utilisent. Dans une même discipline, la problématique de l'identité peut
14
être abordée sous différentes perspectives, soit sous l'angle des statuts et
catégories sociaux, soit sous l'angle des rôles, ou de l'interaction entre
différents interlocuteurs.
La revue de la littérature expose plusieurs narrations sur l'identité. Elle
serait un sentiment de la similitude, (Codol, 1979 :40), elle est l'expression
dans le vécu simultané de la différenciation et de la similitude à autrui
comme a montré Deschamps (1988). Elle constitue également, selon Tap
(1980) un système dynamique de sentiments de représentations qui oriente
les conduites, elle se constitue par le contenu et la façon dont sont
organisées les représentations de soi et de la société Zavallonni (1984), c'est
une stratégie, dans le sens «des procédures mises en œuvre de manière
consciente ou inconsciente par un acteur social (individuel ou collectif)
(Camilleri et Kastersztein,1990: 24).
Un autre auteur, Fischer (1987) retient deux dimensions majeures pour
définir l'identité: La dimension individuelle qui renvoie au concept du Soi
et la dimension sociale qui est définie par le système de normes et des
groupes SOCIaux d'appartenance. Pour Tajfel, les transfonnations
identitaires sont influencées par les processus de catégorisation et de
comparaison sociale. Taj fel ~ouligne que « l'identité d'un individu est liée à
la connaissance qu'a cet individu de son appartenance à certains groupes
sociaux et de la signification émotionnelle et évaluative qui résulte de cette
appartenance» (cité dans Mokounkolo et coll., 2002 : 70). Toutefois, des
auteurs comme Moscovici (1984) et Turner (1981) indiquent que les
stratégies identitaires individuelles peuvent être privilégiées par rapport à
celles du groupe d'appartenance sous l'influence de plusieurs facteurs
comme le changement de lieux et le temps. Dans ce sens, «la construction
15
identitaire du migrant repose sur ces processus psychologiques et sociaux
de base» (Mokounkolo et coll., 2002 : 70).
Nous mettons maintenant l'accent sur une recherche importante quant à nos
propres questionnements. Dans une étude effectuée par Dalhia Abdel-Hady en
2005 auprès de 80 personnes de la première et de la deuxième génération,
membres de la communauté libanaise de New York, de Montréal et de Paris,
dont l'âge varie entre 23 et 58 ans, l'auteure démontre que le statut socio
économique, l'adaptation linguistique et leur connaissance de la langue de la
société d'accueil, leur haut niveau d'éducation et la structure familiale
contribuent à façonner leurs choix identitaires. Cependant, plusieurs variables
contribuent à la construction identitaire, par exemple: l'âge, le sexe, la période
de migration, la durée de séjour dans les sociétés hôtes. L'auteure nous indique
aussi que les expériences de vie et les styles de vie dans le pays d'origine
contribuent aussi à la reformulation de leurs identités.
Abdel-Hady (2005) souligne que l'impossibilité de retour au Liban était
centrale dans la reformulation identitaire des répondants. Parmi ceux qui ont
relaté leurs identités en termes ethniques, des différences entre Montréal et
Paris ont été identifiées. À Montréal, les expressions d'appartenance ethnique
ont lieu dans un contexte où la communauté libanaise fait partie d'une
communauté arabe et surtout de chrétiens qui forment le plus grand nombre de
cette communauté s'opposa à cette identification arabe. Selon l'auteure, la
question d'une identité arabe n'est donc pas à l'ordre du jour. Dans un contexte
où la communauté libanaise n'est pas la communauté la plus imposante parmi
les immigrants arabes, comme à Paris, l'opinion publique et les préjugés dirigés
vers les Africains du Nord qui sont définis comme les Arabes poussent
quelques immigrants libanais à rejeter cette identification. À New York, les
16
Libanais forment toujours le plus grand groupe d'immigrants arabes, les
expressions identitaires ont pris plusieurs formes et ont été exprimées sur la
base de différences de classe et de genre.
Des identités transnationales ont été observées dans les trois villes et ont
pris des expressions diverses. À Paris, des immigrants libanais ont souligné les
ressemblances entre les sociétés française et libanaise et ont ainsi affirmé
qu'une identité transnationale est presque inévitable. Le cadre de gestion de la
diversité ethnoculturelle que Montréal et New York fournissent a contribué
également à cette reformulation identitaire à trait d'union: Américaine
Libanaise ou Canadienne-Libanaise.
Finalement, l'identification cosmopolite était évidente parmI un groupe
significatif d'immigrants des trois villes. À la différence des immigrants
transnationaux, cependant, presque tous les immigrants de ce groupe ont
souligné qu'ils sont conscients de leur manque d'appartenance aux nombreuses
sociétés qu'ils croisent, ou au moins le Liban et leurs sociétés hôtes. Parmi les
immigrants libanais interviewés, dix-neuf n'ont pas le sentiment d'appartenance
à un territoire particulier. Les récits fournis par ces immigrants démontrent que
«le sens du déplacement de la patrie vers une société d'accueil ne se traduit pas
par un sentiment d'exil, mais plutôt, comme un choix personnel et réfléchi, cette
non-appartenance est vue comme un marqueur de différence pour plusieurs
individus. Ils ont souligné l'importance d'effectuer un changement à un niveau
global au lieu de viser des particularités ethniques et nationales (Abdel-Hady,
2005).
Dans ce sens, les résultats de la recherche démontrent que les membres de
la diaspora libanaise se voient comme des participants actifs à une société
17
mondiale qui dépasse les frontières et les appartenances ethniques. Cette société
est centrée autour des intérêts communs et des valeurs d'égalité et de justice
sociale. Ces valeurs et cette vision d'un monde juste poussent les immigrants à
construire une identité transnationale active.
Notre position s'inscrit dans une vision qui considère que la construction
identitaire se fait surtout dans un rapport sociopolitique d'interactions et
d'oppositions. Plusieurs auteurs dont Portes, Berry, Martiniello, insistent sur
les politiques et programmes publics dans la reconfiguration identitaire des
populations. Voilà pourquoi nous avons cru pertinent de traiter brièvement des
politiques de gestion de la diversité ethnoculturelle au Canada et au Québec.
1.1.1 Gestion de la diversité ethnoculturelle
Nous aborderons dans ce qui suit, la politique de gestion de la diversité au
Québec et au Canada. Nous pensons comme Portes et Zhou (1993), ainsi que
Martiniello (1995; 45), que les politiques publiques influencent l'incorporation
des immigrants et leur refonnulation identitaire que nous ajoutons. Dans un
texte classique, l'anthropologue Frederik Barth (1969) montre que les
définitions et les frontières ethniques se construisent et se reconstruisent dans
une interaction pennanente. Elles ne procèdent pas d'une logique interne, mais
leur existence est définie par «une logique d'opposition/inclusion avec des
groupes VOISInS» (Barth, 1969 :18). Nous ajoutons que cette logique
d'opposition/inclusion est aussi influencée par le rapport au groupe d'origine.
Pour comprendre le mode de construction identitaire dans les démocraties
libérales, il est important de savoir où en sont les États dans ce schéma
politique. À cet égard, nous croyons important de tracer un bref portrait des
18
politiques canadiennes et québécoises afin de baliser les contextes
sociopolitiques qui nous préoccupent. Nous ferons un rapide portrait de la
politique multiculturelle canadienne et du dispositif québécois.
Le multiculturalisme canadien
Jusqu'aux années 60, la présence de la diversité au Canada n'est pas le
fruit d'une idéologie, mais bien d'une force historique incontournable qui
s'impose par l'importance de l'immigration dans un Canada assimilateur imbu
d'anglo-conformité. À cette époque, le premier ministre Pearson, afin de
répondre à la montée du nationalisme québécois, créa une comnllSSlOn
d'enquête pour confirmer la fondation d'un Canada bilingue et biculturel. Les
revendications des Québécois stimulent les groupes ethniques à s'organiser afin
de faire pression sur le gouvernement en place. Les chefs «ethniques» ont
l'impression que toutes les minorités, autres que francophones, sont laissées en
plan. Selon eux, la formulation d'une telle politique ignorera les contributions
des allophones. Ils désirent réclamer ainsi leur place dans la société canadienne.
La solution en rechange: établir une politique aux principes pluralistes pour
protéger les minorités ethniques de la discrimination. Tel que le mentionnent
certains auteurs, c'est «à partir de ces divers éléments contextuels de
revendications de groupes divers, de groupes minoritaires et minorisés, que l'on
verra le binationalisme remplacé par le bilinguisme, mais aUSSI le
biculturalisme remplacé par le multiculturalisme» (Pietrannio, Juteau et
McAndrew, 1996: 152).
La Commission y reconnaissait l'attachement des membres des groupes
ethniques à leur culture d'origine et le besoin de la préserver pour le bien de
leur identité, tout en s'intégrant à la société canadienne-française ou
19
canadienne-anglaise. La Commission reconnaît que «l'intégration des
immigrants à la vie nationale est la condition la plus sûre de leur
épanouissement» (Commission RB., vol 4: 7).
Suite aux recommandations de la Commission B.B., le gouvernement
canadien, avec un très large appui de la Chambre des communes, a adopté, en
1969, la Loi sur les langues officielles consacrant ainsi le caractère bilingue du
Canada. Cependant, le caractère biculturel n'allait jamais être reconnu. La
conception d'un Canada pluraliste fut davantage défendue par Trudeau, premier
ministre de l'époque. L'avenir du Canada lui apparaît se trouver dans l'État
multiculturel. Ce modèle permet, selon Trudeau, «de dépasser l'anglo
conformisme et de donner sens à la diversité culturelle en tant qu'identité
canadienne» (Trudeau, 1965: 198). Dans ce sens, le gouvernement de Pierre E.
Trudeau mit sur pied la politique multiculturelle pour faire échec au
nationalisme québécois.
C'est dans ce climat que la politique du multiculturaJisme a été dévoilée
par le gouvernement libéral en 1971. Ce premier pas consiste à reconnaître le
statut et la légitimité des minorités dans la société canadienne. Au cours des
années 1970, la préservation et la promotion du patrimoine culturel des groupes
ethniques sont mises de l'avant. En 1971, le Canada est devenu le premier pays
au monde à adopter une politique de multiculturalisme. En mettant en place une
telle politique dans un cadre bilingue, le gouvernement canadien entendait agir
dans quatre directions: favoriser la préservation des cultures minoritaires,
faciliter la participation entière de tous à la société canadienne, supporter les
échanges culturels et assurer l'apprentissage d'au moins une des deux langues
officielles (Houle, 1999: 102).
20
À l'avenir, selon le multiculturalisme fédéral, aucune culture n'est
officielle .à l'exception du statut particulier octroyé aux langues anglaise et
française. Aux dires de certains auteurs, «la reconnaissance de la pluriethnicité
au sein de la société canadienne a conduit le gouvernement fédéral à adopter
une perspective qui s'inspire du relativisme culturel: toutes les cultures sont
également importantes et devraient avoir le même poids» (Labelle, Rocher et
Rocher, 1995: 217). Selon ces auteurs, «le projet de la politique publique du
multiculturalisme a eu pour objectif d'intégrer les divers groupes ethniques de
la société canadienne tout en contrant ou affaiblissant le mouvement national
québécois et autochtone» (Labelle et Rocher,2006: 161).
C'est à partir des années 1980 que les rapports sociaux racialisés et la lutte
contre la discrimination occupent le centre des préoccupations d'intégration; et
enfin depuis les années 1990, le gouvernement cherche à réaffirmer
l'importance de valeurs fondamentales que tous les Canadiens devraient
partager. La citoyenneté n'est plus présentée comme étant seulement une
question de droit, mais aussi de devoirs et de responsabilité: «Les Canadiens
estiment qu'ils appartiennent non pas à une société d'individus aux intérêts
divergents, mais à une société d'obligations réciproques» (Canada, 1998: 14).
Au milieu des années 80, la politique du multiculturalisme s'avère
inadéquate dans une réalité qui a évolué. Le plus virulent reproche à l'égard de
cette politique est de ne pas réussir à pallier aux inégalités socio-économiques.
Le gouvernement canadien a donc été amené à mettre i'emphase sur le respect
mutuel et la participation équitable de tous les Canadiens à la vie de la société
«Cela contribue au renforcement des aspects d'intégration du multiculturalisme
et au rejet de toute ghettoïsation au sein de la mosaïque canadienne; le
gouvernement insiste sur l'égalité, et simultanément il réduit son rôle dans le
21
maintien des cultures minoritaires» (Houle, 1999: 115). Dans le document
aooonçant les nouvel1es orientations du gouvernement canadien sur
l'irrunigration, on peut lire que «les Canadiens attendent des irrunigrants qu'ils
partagent les mêmes valeurs», à savoir «l'égalité, l'équité et le respect de la
diversité» (Canada, 1998: 1). Le multiculturalisme est reformulé comme une
caractéristique fondamentale de la société canadieooe qui prône alors un rôle
intégrateur et participatif des minorités dans le processus de prise des décisions
du gouvernement. Cette stratégie se veut un vecteur d'intégration et de
cohésion sociale. Du même coup, «la recoooaissance et l'appui aux minorités
renforcent l'accent sur l' égali té dans les sphères économiques, sociale,
culturelle et politique» (Label1e, Salée et Frenette, 2001; Hel1y, 1994). Un effort
est fait concernant l'égalité des chances et la discrimination «This policy goal,
in brief, focused equal1y on cultural maintenance and social integration within a
framework of equal opportunity» (FIeras et Elliot, 1992: 76). Révisé en 1997, le
Prograrrune du multiculturalisme mise sur «la promotion d'une identité
canadieooe, sur la participation des citoyens ainsi que sur la justice sociale»
(Labelle, Salée et Frenette, 2001: 18). Cette nouvelle étape marque l'identité
canadienne et met les jalons d'un discours sur la citoyenneté. Le débat sur les
identités dans un contexte pluriel est de plus en plus à l'agenda des politiques
publiques.
La politique multiculturel1e canadienne favorise chez la plupart des
répondants rencontrés le développement d'une appartenance canadieooe jugée
non menaçante face à l'appartenance libanaise. Gagnon et Pagé (1999 :8) font
remarquer qu'au Canada, les citoyens qui appartiennent à des groupes ethniques
développent un rapport plus serré à l'identité canadienne que dans d'autres pays
où l'accent est mis sur une identité nationale unique avec ses racines, ses
traditions et son histoire. Ces auteurs relient ce fait à l'image d'hybridité
22
nationale sur laquelle s'appuie le pays d'accueil et qUl reconnaît leurs
particularités.
Le dispositif québécois
Nombreux sont ceux qui affirment que l'intégration des immigrants au
Québec semble se complexifier plus qu'ailleurs au Canada. En effet, le contexte
particulier du Québec de par sa situation sociale, culturelle et politique
influence la problématique de l'intégration des conununautés culturelles
(Labelle et Lévy, 1995). Labelle explique: «le Québec est un lieu où deux
cultures sociétales s'affrontent et où une vision de la citoyenneté se pose en
contradiction avec la vision trudeauiste qui a inspiré l'élaboration de la
politique fédérale du multiculturalisme et du bilinguisme en 1971» (Labelle,
2000: 275).
En 1975, le Québec se dote de la Charte des droits et libertés de la
personne qui inscrit le respect des cultures dans le droit et qui articule des
mécanismes pour contrer la discrimination (Helly, 1994: 134; Labelle, Legault
et Marhraoui, 1996: 30). Deux ans plus tard, soit en 1977, la Charte de la
langue française connue sous le nom Loi 101 est votée. Cette loi provoque
«une mutation radicale du statut des Ï1Iunigrés au sein de la société québécoise»
(Helly, 1994: 135), car elle soumet de nouveaux référents identitaires qui
affirment le fait français conune étant le socle d'une collectivité ouverte à tous
les groupes ethnoculturels. Elle oblige les enfants d'immigrants à intégrer
l'école québécoise francophone.
C'est grâce aux ententes fédérale-provinciale que le Québec gagne aussi
l'autonomie dans la gestion de l'inunigration. L'entente Couture/Cullen de
23
1978 lui concède les pouvoirs nécessaires afin de développer des instruments
propices à la planification de l'ouverture de ses frontières selon ses besoins et
sa capacité d'accueil. À ce moment, le livre blanc sur la Politique québécoise
du développement culturel avance la notion de «convergence culturelle». La
convergence culturelle se veut au service de la consolidation de la société
francophone (Helly, 1994: 135). En effet, tous les groupes etlmoculturels
doivent participer à l'enrichissement du projet collectif du Québec.
C'est en 1981 dans Autant de façons d'être Québécois, plan d'action à
l'intention des communautés culturelles, que la politique de «convergence
culturelle» prend forme et se démarque du multiculturalisme canadien (Labelle,
Legault et Marhraoui, 1996: 31). Ce document «affirme que le Québec est une
nation et accentue la primauté du caractère français du Québec; il définit la
culture française comme un foyer de convergence des autres cultures que, par
ailleurs, il entend maintenir originales et vivantes partout où elles
s'expriment. .. » (Labelle, Legault et Marhraoui, 1996: 31). Le Parti libéral
arrive au pouvoir en 1985 et réaffirme le fondement du respect des droits
individuels et sociaux des immigrés en condamnant toute discrimination par la
Déclaration sur les relations interethniques et interraciales (1986) et par
l'adoption de programmes d'accès à l'égalité (Helly, 1994: 136).
Dans la foulée de la philosophie politique de la convergence culturelle, les
années 90 s'amorcent avec la mise sur pied d'un projet d'intégration des
immigrants et des communautés culturelles. Selon Labelle et coll. «Ce dessein
s'articule à trois dispositifs, soit le contrat moral entre la société et les
immigrants, l'adaptation institutionnelle et les accommodements raisonnables»
(Labelle, Legault et Marhraoui, 1996: 33). Le contrat moral circonscrit les
droits, les devoirs et les responsabilités réciproques et véhicule des valeurs
24
telles que le français conune langue vernaculaire, l'idéal démocratique et
l'ouverture à la diversité (Helly, 1994). L'adaptation des institutions
québécoises a pour but l'embauche d'un personnel de diverses origines
ethnoculturelles et une fonnation interculturelle des intervenants. «Quant à
l'acconunodement raisonnable, il s'agit d'une mesure juridique d'exception
rendue obligatoire lorsque des pratiques ou des règles de fonctionnement d'une
entreprise privée ou d'une institution publique ont des effets discriminatoires
indirects qui remettent en question les droits à l'égalité garantis par les
législations et chartes canadiennes et/ou québécoises» (Labelle, Legault et
Marlrraoui, 1996 :31).
En 1996, avec la création du ministère des Relations avec les Citoyens et
de l'Immigration, le Québec change de discours (Labelle, 2000: 279). Ce
ministère se donne pour mission d'élaborer et de mettre en œuvre la politique
d'immigration, d'accueil et d'intégration des immigrants. Du même coup, un
nouveau regard sur la citoyenneté et sur la diversité se pose et les objectifs de
ce ministère en sont la preuve tangible: actualiser le concept de citoyenneté,
favoriser les relations entre l'État et les citoyens et encourager les Québécois à
la participation civile (Labelle, 2000: 279).
Plus tard, le Forum national sur la citoyenneté et l'intégration des
immigrants, en 2000, définissait «une citoyenneté québécoise spécifique qui
transcende les appartenances politiques, ethniques ou idéologiques, qui
s'expriment à travers les institutions et la vie démocratiques, les lois et un
ensemble de valeurs partagées». Le contrat civique est défini comme un
engagement qui convie toutes les Québécoises et tous les Québécois à affinner
que, par-delà ce qui les différencie, il existe un dénominateur commun qui
réunit tous les citoyens dans un projet à partager, un Québec à développer. Le
25
gouvernement libéral arrivé au pouvoir en 2003 coupe court à ce projet. Des
priorités différentes prennent le dessus tels la question du dossier de la
reconnaissance des acquis des immigrants surqualifiés et le développement
d'une Politique de lutte contre le racisme et la discrimination.
Les textes officiels, selon Rocher et coll. (2007 :22), permettent de
constater que «l'État québécois ne désigne pas son modèle d'aménagement de
la diversité comme en étant un s'articulant autour du concept
d'interculturalisme, mais il sert davantage à qualifier autre chose». Selon les
auteurs, plusieurs concepts liés à l'interculturalisme se trouvent toutefois dans
les textes officiels, par exemple: «dialogue interculturel, rapprochement
interculturel, culture québécoise de tradition française comme foyer de
convergence, rapprochement entre la majorité francophone et les diverses
communautés, accueil d'acceptation; éducation interculturelle, échange
intercommunautaire, relations harmonieuses, réciprocité entre les parties,
culture publique commune, culture civique commune, contrat moral.» (Rocher
et coll. 2007: 22). Finalement, les auteurs proposent une définition de
l'interculturalisme basée sur quatre éléments importants: 1) la reconnaissance
de la diversité, 2) l'affirmation de la langue française comme langue de
citoyenneté qui vise à susciter la participation, 3) l'importance de favoriser le
rapprochement dans une dynamique de réciprocité et 4) la lutte au racisme et à
la discrimination. (Rocher et coll., 2007 :23).
Au Québec, c'est à partir des années 1960 que le gouvernement québécois
a mis en place une politique d'étatisation des services de santé et des services
sociaux, dont ceux destinés aux personnes âgées (Clément et Lavoie, 2005: 46).
Les soins et l'aide aux personnes âgées relevaient auparavant de la famille et
des communautés religieuses qui dirigeaient les hôpitaux et les hospices.
26
Avant 1960, les rares initiatives, selon Clément et Lavoie, viennent
essentiellement du gouvernement fédéral qui tente d'améliorer la situation
économique des retraités, avec la mise en place d'un programme universel de
sécurité de vieillesse, en 1952, et un programme de déduction fiscale pour
l'épargne retraite (Régime enregistré d'épargne retraite) en 1957. Les initiatives
du gouvernement fédéral ont été suivies par d'autres du gouvernement
provincial québécois comme le régime des rentes du Québec. Les différents
programmes vont assmer une meilleure autonomie financière des retraités et
des personnes âgées. Cette autonomie financière contribue à la décohabitation
entre générations et à la volonté des aînés de vieillir chez eux (Clément et
Lavoie, 2005: 47). Durant les années 1970, on assiste à la mise en place des
principaux éléments du réseau de santé et des services sociaux. Le plus
important de ces principes est de rendre universel l'accès aux services de santé.
Sm le plan d'aide aux aînés, les différents paliers gouvernementaux ont,
depuis plusieurs décennies, élaboré des politiques et programmes visant l'aide
aux aînés, nommons à cet égard les programmes qui viennent en aide sur le
plan de la santé (aides auditives, aides visuelles, logements adaptés pom aînés,
services d'aide domestique, services de soutien à domicile, service d'interprète
pour aînés immigrants, etc.).
En conclusion, les recherches sur la question identitaire mettent en
évidence la diversité des enjeux politiques et des modalités d'interaction avec la
société d'accueil. Des résultats de recherches (Abdel-Hady, 2005; Labelle et
coll., 2007) montrent que pour plusieurs personnes des communautés
culturelles, un certain détachement d'avec la société d'origine s'est réalisé. Cela
signifie qu'il y a une nouvelle dynamique identitaire en branle, de nouvelles
options identitaires qui se dessinent.
27
L'articulation identitaire entre dynamique psychosociale et dynamique
institutionnelle permet de comprendre les liens entre ces processus et la réalité
sociopolitique. La construction identitaire n'est pas uniquement une question de
liens collectifs et individuels, elle est. un processus culturel et sociopolitique,
notions qui donnent à la construction identitaire une dimension dynamique et
non statique, et qui exigent de prendre en considération l'Autre dans sa
différence et son environnement. Ainsi, nous insistons sur le fait interactif et
relationnel dans la construction identitaire.
1.2 Libanité
Nous avons présenté un aperçu de la complexité du concept de l'identité.
Nous avons présenté les débats qui ont marqué les politiques de gestion de la
diversité tant au niveau fédéral qu'au niveau de la province du Québec. Dans
les paragraphes qui suivent, nous verrons brièvement des éléments permettant
de comprendre le Liban ancien ainsi que la construction de la communauté
libanaise au Québec. Ceci aidera le lecteur à mieux comprendre les données de
nos entrevues qui seront présentées plus loin.
1.2.1 Territorialité et religions
La conversion de l'Empire romain vers le christianisme a influencé les
habitants des sociétés voisines et des villes côtières. Cette nouvelle religion fut
propagée ailleurs et a gagné un ensemble croissant de citoyens de la région
méditerranéenne. Selon Barrat (1967 :36), ces derniers seront attachés au
diocèse d'Antioche, à la fois sur le plan religieux et dans la vie civile. Ensuite,
avec la division de l'Empire romain en 395, l'un d'Orient, celui de Byzance,
l'autre d'Occident, celui de Rome, le Liban sera rattaché au premier.
28
Les schismes profonds à l'intérieur de l'Église aboutissent «à la
prolifération des sectes et des groupes dits hérétiques défendant le
monophysisme, ou la nature divine unique, et s'opposant par ce fait à la
doctrine officielle de Rome et de Byzance adoptée dès le milieu du Vème siècle
par le concile de Chalcédoine» (Hsab, 2002 :62). Les jacobites étaient les plus
actifs de ces groupes dissidents, et ils s'affrontaient, au nord de la Syrie, à un
groupe de moines dits maronites, suivant la doctrine d'un ermite du nom de
Maron, ou Maroune.
Fuyant les attaques jacobites, des moines maronites s'installent au nord du
mont Liban, où ils fondent leur Église et professent leur croyance entre le VIIIe
et le IXe siècle. Ensuite, ils défendront leur «fidélité à Rome et leur
catholicisme, tout en gardant leur autonomie institutionnelle et œcuménique, ce
qui les expose à l'hostilité des Églises orthodoxes, dites melkites, de Byzance»
(Barrat, 1967 :34). Ces moines réussissent à «rallier autour de leur doctrine une
bonne partie de la population montagnarde du Nord, composée essentiellement
de clans familiaux et de réfugiés païens ou non chrétiens» (Hsab, 2002: 64).
Quant aux melkites, ils seront divisés suite aux schismes du Xème siècle entre
Rome et Byzance. Les Grecs orthodoxes, devenus majoritaires sur la côte,
resteront fidèles à l'Église orientale, alors que les Grecs catholiques
reconnaîtront, dès le XVIIe siècle, l'autorité papale et se dirigeront, en partie,
vers la montagne (Hsab, 2002 :64).
Depuis, la composition confessionnelle des chrétiens au Liban suit cette
division, avec une majorité de maronites établis dans la montagne, suivis des
Grecs orthodoxes établis au long de la côte pour la plupart, et des Grecs
catholiques éparpillés entre la montagne et le littoral. À ces trois groupes
29
s'ajoutent des minorités telles les Chaldéens, les syriaques orthodoxes ou
catholiques et les nestoriens.
À son tour, l'islam connaîtra «des schismes profonds entre l'orthodoxie
officielle, le sunnisme, et des groupes dissidents» (Beydoune, 1987 :71). Le
chiisme, né de la controverse autour de la succession de prophète Mohammad,
après sa mort en 632, est l'une des tendances historiques les plus marquantes de
ces schismes. En partant, les chiites sont les alliés d'Ali, cousin et gendre du
Prophète, revendiquant son droit et celui de ses descendants à la succession.
Devenu tardivement calife, Ali sera trompé et défait par Mouawiya, son rival à
la succession, qui instaure à Damas la dynastie des Omeyyades, à partir de l'an
661. Il marque le début de l'époque proprement arabe, mouvante quant à la
filiation de ses héritiers et à ses centres de décision, mais relativement stable
quant à la doctrine religieuse qu'elle professe: l'islam.
De son côté, le chiisme connaît ses divisions. Entre autres, les Druzes
seront les partisans d'Al-Hakim, ayant régné en Égypte au Xème siècle. Il est
l'un des califes fatimides qui sont restés fidèles à Ali. Par contre, les
enseignements d'Al-Hakim et ceux de ses disciples s'éloignent à certains
égards de l'islam tel qu'il est pratiqué par le sunnisme et le chiisme. En plus, les
préceptes religieux, regroupés dans le Livre de Sagesse (Kitab AI-Hikmah),
sont réservés à une élite restreinte de la communauté, les sages, ou Oukkal. Par
conséquent, la reconnaissance du druzisme comme étant une branche de la
tradition islamique demeure controversée. Cela dit, peu tolérés en Égypte, les
disciples d'Al-Hakim se dirigeront vers la Syrie et les montagnes libanaises où
l'adoption de leur doctrine portait ses fruits auprès de la population locale. Leur
religion prospéra à partir du XIIe et XIIIe siècle (Hsab, 2002 :63).
30
Les chrétiens ont joui d'une certaine liberté de croyance. Ils ont même joué
un rôle important dans la prospérité administrative et intellectuelle lors du règne
arabo-musulman, surtout entre le VIIIème et le Xème siècle, où la civilisation
arabe était à son apogée (avant les bouleversements des croisades, entre 1098 et
1291 environ, et avant le règne des Mamelouks, entre 1261 et 1517) (Kassir,
2003 :128). Par contre, les chiites, tout comme les Druzes, étaient davantage
réprimés et pourchassés par les dirigeants sunnites au pouvoir.
Par conséquent, avec la propagation des religions du livre et la disparition
du paganisme, l'appartenance confessionnelle de la population vivant au Liban,
à l'aube du XIIIe siècle, a connu une concentration majoritairement sunnite et
grecque orthodoxe sur le littoral et une autre majoritairement maronite, chiite et
druze dans la montagne et la Bekaa. Cependant, les expéditions cruelles
dirigées par les Mamelouks d'Égypte contre les chiites, entre 1291 et 1304,
forcèrent bon nombre d'entre eux à quitter le centre de la montagne, le
Kesserwan, pour se diriger vers la Bekaa ou vers le sud du pays (Chédid,
1969 :15). À leur place, les Mamelouks avaient emménagé des familles
sunnites qui n'ont pas tardé à se convertir, progressivement, au maronisme
(Hsab, 2002 :71).
L'affiliation confessionnelle tributaire des hoquets de 1'histoire a contribué
à la différenciation des modes de la pratique religieuse chez les habitants du
pays, sans ébranler les fondements de la structure sociale dont cette affiliation
est issue. Dans l'un des rares ouvrages à avoir analysé à fond les structures de
la société libanaise, Abou démontre que l'origine commune, essentiellement
arabe, de la population au Liban révèle un modèle individuel de comportement
très commun:
31
Dès que l'on touche à l'individu, on découvre qu'il définit son comportement à l'intérieur d'une réalité essentielle: le groupe familial, à partir duquel se dessine tout son réseau de relations. Parmi les populations de culture arabe, faire remonter l'origine de sa famille à une tribu bédouine est le moyen d'en affirmer l'ancienneté et la noblesse; des familles notables druzes, maronites, ainsi que de toutes les communautés apprirent à l'utiliser. (...) En tant que produit d'un système de relations familiales et sociales, les livalités aperçues chez les chiites ont été tout aussi fréquentes et violentes entre les familles des autres communautés de la montagne (1995 :95).
Par conséquent, même si l'affiliation familiale tire parfois sa légitimité de
la matrice familiale confessiormelle, elle demeure, néarunoins, au cœur de la
définition primaire de l'identité individuelle (Chevalier, 1971).
1.2.2 Les premiers balbutiements d'une nation
Entre 1860 et la fin de la Première Guerre mondiale, on assiste à une
effervescence intellectuelle à laquelle appartiennent des chrétiens et des
musulmans de toute allégeance que ce soit «dans l'immigration ... ou au Liban
même» (Corm, 1986 : 231). C'est la renaissance, al Nahda, de la culture arabe
en poésie et en littérature, annonçant, en même temps, l'ouverture d'un
dialogue profond sur la citoyenneté, la religion et la laïcité (Corm, 2005, 1986).
Par la suite, à la fin de la Première Guerre mondiale, les aspirations
nationalistes de l'élite politique et intellectuelle du pays seront réparties entre
une tendance sympathique à l'émergence d'une entité territoriale arabe,
englobant l'ensemble des pays du Moyen-Orient, et une autre favorisant le
retour à la formule plutôt réduite de l'émirat. C'est la naissance du «Grand
Liban» dans ses frontières actuelles. Il se dotera d'une constitution en 1926 et
deviendra indépendant en 1943.
32
Au lendemain de la première guerre, l'Empire ottoman allié des Allemands
fut démembré. Conformément à l'accord Sykes-Picot (1916), la France reçut en
1920 un mandat sur le Liban et la Syrie. En 1920 fut créé le «Grand Liban», dont
les frontières étaient celles du pays actuel. Cette nouvelle entité territoriale
suscita l'opposition des nationalistes arabes, qui souhaitaient la création d'une
«Grande Syrie» englobant Syrie, Liban, Palestine et Transjordanie. Le Liban
obtint sa totale indépendance en 1943. Un «pacte national» visa à établir un
équilibre entre les communautés: les chrétiens étant les plus nombreux, le
président de la République serait maronite; le président du Conseil, sunnite; le
président du Parlement, chiite. Les vingt premières années de l'indépendance
furent marquées par une prospérité économique, qui, toutefois, accrut les
inégalités sociales.
La naissance de la République libanaise allait semer <<une controverse
idéologique quant à la légitimité de ses frontières et à l'allégeance de ses
citoyens» (Corm, 1986 : 235) et, surtout, autour des privilèges accordés par la
France aux chrétiens et aux maronites en particulier. Cependant, sur le plan
politique, ce sont les héritiers des grandes familles notables de toutes les
confessions qui ont pris la relève dans l'administration de la république. Par
conséquent, les querelles politiques internes traduisaient «l'esprit clientéliste et
hautement local de ces héritiers (dont certains gardent leur titre d'émir ou de
cheikh), devenus parlementaires, ministres, premiers ministres ou présidents»
(Corm, 1986 : 242).
Parallèlement, Beyrouth est devenue la capitale du pays et le pivot central
de son développement économique. En peu de temps, elle est devenue le noyau
d'attraction des milieux ruraux défavorisés. Sa population passe de 120 mille en
1920 à plus d'un million en 1975, soit plus du tiers de la population du pays. Il
n'est pas étonnant, ainsi, que certains sociologues (Corm, 1986; Beydoun,
33
1994; Salam, 1998) voient dans le conflit libanais une confrontation entre la
ville qui représente surtout des logiques et des formes d'organisation sociale
nouvelles et la «montagne» dans son repli clanique et familial. La dissolution
brusque de la cohésion familiale allait être compensée, selon Salam (1998 :34),
par des solidarités confessionnelles qUl expliquent le regroupement
confessionnel des mouvements migratoires à l'intérieur et autour de Beyrouth.
Le Liban: asile et exil
Le Liban a connu des transformations sociales majeures entre 1920 et
1975; Hsab (2002) en relate dans son analyse quelques-unes. Premièrement, le
Liban a vu renaître sa réputation de terre d'asile en accueillant sur son sol des
Arméniens, de Palestiniens et des Kurdes, trois populations victimes de
massacres et de persécutions, en Turquie, en Palestine et en Irak,
respectivement. Les Arméniens se regrouperont à BOUlj Hammoud, au nord-est
de Beyrouth. Les Palestiniens seront confinés dans des camps un peu partout au
Liban, en attendant leur retour «imminent». Les Kurdes, moins nombreux, se
concentreront dans de petites agglomérations et sur les terrains vides à
l'intérieur ou autour de la capitale.
Deuxièmement, la migration rurale du début du siècle vers Beyrouth
s'accentue. Des maronites, des grecs catholiques, des chiites et des druzes,
s'installent en ville ou en banlieue. Ces migrations vont provoquer
l'excroissance de quartiers relativement pauvres et surpeuplés, mais, en même
temps, elles vont accentuer la symbiose intercommunautaire qui va caractériser
la capitale et ses environs.
34
Troisièmement, Beyrouth arrache à la montagne le monopole de l'histoire
du Liban, en s'octroyant sa réputation contemporaine: à la fois comme centre
commercial du Moyen-Orient, à cause de son activité marchande sans cesse
croissante, et comme capitale intellectuelle du monde arabe, où libre expression
et publication de livres, productions théâtrales et débats idéologiques seront les
marques de son quotidien.
C'est au croisement des divisions politiques internes et régionales sur la
distribution des pouvoirs et sur la légitimité de la lutte armée des Palestiniens
via le sol du pays, au croisement de la migration rurale et de l'effervescence
économique et intellectuelle et au croisement des débats idéologiques sur
l'identité véritable des citoyens de la «Suisse du Moyen-Orient», au croisement
de ce tourbillon agité, que la guerre éclate en 1975. Les massacres
confessionnels et les déplacements forcés sont parmi ses empreintes les plus
effrayantes (Hsab, 2002). Le Liban n'a plus de sens.
1.2.3 Importance de l'institution familiale
Le contexte originel libanais présente la solidarité familiale comme une
institution ayant joué un rôle important dans la société libanaise. La précarité du
politique, la déstabilisation de l'économie et le manque des ressources sociales
contribuent ensemble au renforcement de la cellule familiale (Joseph, 1993).
Au Liban, en plus d'une faible participation de l'État dans les domaines
publics, l'organisation politique est liée aux loyautés familiales.
Traditionnellement, le pouvoir politique libanais se retrouve, d'une certaine
façon, «divisé en factions organisées autour des liens familiaux, renforcés par
des alliances de classes, religieuses, ethniques, idéologiques et régionales»
(Joseph, 1993: 466, traduction libre). Pour que le système fonctionne, les
35
dirigeants offrent des services et faveurs à leurs partisans en échange de leur
fidélité. À travers ces relations de clientélisme, les individus accèdent aux
ressources privées et publiques et obtiennent une protection politique. En même
temps, pour consolider leurs propres emprises sur la population, «les dirigeants
politiques utilisent les relations personnelles établies avec les individus via les
liens familiaux et confessionnels» (Joseph, 1993 :467, traduction libre). Les
réseaux, les plus centraux étant ceux fondés sur la famille, revêtent donc un
caractère extrêmement crucial.
Parce que c'est «vers la famille que se tournent les individus pour obtenir
une sécurité, elle devient une ressource de premier ordre. Elle offre aux
individus leur réseau politique de base. Les relations familiales servent d'outils
politiques permettant de lier les individus aux dirigeants politiques. Les chefs
politiques, ainsi que leurs adhérents, offrent et obtiennent des faveurs, l'accès à
l'information et une protection en mobilisant des réseaux basés sur la proximité
et en échange de services» (Joseph, 1998 : 242, traduction libre). Les membres
d'une famille se privilégient entre eux pour l'accès aux ressources et services à
la disposition des membres du cercle familial, peu importe s'ils sont en position
de le faire ou non. Cette situation permet d'ailleurs la continuité entre l'État, la
société et la famille: «In fuis state, relationships lubricated the political
machinery. What family you came from, who you knew, and what face-to-face
networks you could mobilize were critical in achiving political ends» (Joseph,
1998: 234).
L'absence au Liban d'un système de sécurité sociale efficace, administré
par une autorité gouvernementale compétente, caractérise également l'État
(Joseph, 1998). En raison de l'incapacité ou du manque de volonté des
dirigeants successifs à mettre sur pied les institutions de l'État, les institutions
36
publiques formelles n'ont jamais acqUls une réalité et une logique propre
(Picard, 1994).
Ces institutions n'ont pas prouvé qu'elles étaient capables d'administrer les
institutions publiques, donc demeurent grandement inadéquates sans le support
de l'institution familiale. Ajoutons à cela les graves problèmes de cOTIllption
qui touchent tout le système public. Aucune collecte d'impôt comparable à
celle que l'on retrouve ailleurs n'existe (Joseph, 1998 :232). Le rôle de l'État et
de ses institutions a donc été pris en main par les .réseaux informels, dont
plusieurs reposent sur la famille. Ainsi, un des principaux moyens d'accès à
l'État et à ses institutions se fait par le moyen de contacts internes influents. Au
Liban, particulièrement en période d'instabilité, ces réseaux assurent l'accès à
la protection politique, au renforcement des lois et aux services sociaux. Les
ressources s'obtiennent par le recours à des wasta, terme dialectal
correspondant à intermédiaires. La structure familiale représente une ressource
non seulement au niveau politique, mais aussi au niveau de la sécurité
économique. Cette interdépendance entre la famille et les structures
économiques se manifeste à plusieurs niveaux. Une importante «coopération
économique existe entre les membres d'une famille et chacun se sent
généralement obligé de prendre soin financièrement des autres» (Joseph,
1998 :237). Le système familial est aussi un système qui favorise l'accès à
l'entreprise «familiale». Dans bien des cas, le groupe familial possède une
entreprise, travaille ensemble et partage les ressources économiques. La guerre
civile au Liban a provoqué la dégradation de la vie quotidienne. L'effet de cette
guerre est d'accroître le rôle de l'institution familiale. Des auteurs ont fait une
observation de l'influence accrue de la famille dans certaines circonstances,
notamment la crise socio-économique ou la guerre. Ainsi, Farsoun (1970) ne se
37
trompait pas lorsqu'il indiquait à propos de la cnse de 19586 que «toutes
catastrophes ou instabilités socio-politiques devraient venir accroître la
solidarité familiale», la principale source de protection et de sécurité.
La plupart des études sur la famille libanaise datent des années 70 et 80.
Quelques études publiées plus récemment laissent entrevoir le maintien et
même le renforcement des liens familiaux. Une étude en psychiatrie sur les
effets de la guerre menée en 1996 a montré que «les traumatismes subis par les
jeunes en période de guerre avaient été tempérés grâce au soutien de la famille»
(Maksoud, 1996 :91).
La littérature sur les familles arabes met particulièrement en évidence: 1)
la position centrale de la famille, tant pour la société que pour les individus et
2) l'importance des obligations familiales. En ce sens, les relations familiales
apparaissent autant comme le fruit de l'absence de soutien étatique donc
assurantiel et aussi de la quête d'affectivité. Tout d'abord, les individus
s'identifient à leur famille, sont responsables vis-à-vis d'elle et lui accordent la
priorité. La famille offre un capital de relations et de ressources affectives et
matérielles, une réserve à laquelle les individus peuvent avoir recours en tout
moment, notamment dans les moments difficiles (Maksoud, 1996 :91).
les mesures de sécurité sociale gouvernementale à l'égard de la famille
sont absentes dans le contexte politico-juridique du Liban. En ce sens, la
Constitution libanaise a prévu dans l'article 26 une protection de l'institution
familiale faisant ainsi de la famille le socle de la sécurité sociale (Lebnan,
2002). Plus précisément, cette sécurité sociale est gérée par le juridique qui
G En 1958, des marines américains débarquent à Beyrouth à la demande du Président Camille Chamoun pour mettre fin à l'insurrection qui oppose les partisans et les opposants à l'adhésion du Liban à la République arabe unie. Des affrontements violents ont eu lieu.
38
permet à chaque communauté confessionnelle de s'administrer elle-même en
matière de statut personnel et de lois civiles (mariages, divorce, adoption,
succession, etc.). Cette pratique juridique est selon Lebnan (2002), un héritage
de l'Empire ottoman et de son système de millets qui signifient communauté.
La force de la présence confessionnelle dans le système politico-juridique
libanais est décrite par Georges Corm comme étant une situation
«schizophrénique». Pour Corm (1992 :98)
Le Liban a connu une évolution schizophrénique de son système institutionnel et de sa vie politique: une émancipation remarquable dans le sens d'une modernisation et d'une libéralisation de plus en plus grande, d'un côté, mais, en même temps, une institutionnalisation de plus en plus forte des communautés religieuses.
Picard (1994), décrit la nouvelle structuration institutionnelle
confessionnelle comme ayant un impact direct dans la création du clivage entre
les communautés diverses. Selon elle, ce système renforce ce clivage en dépit
d'un système politique démocratique neutre. Toutefois, malgré le renforcement
du clivage confessionnel, les conduites et les transmissions familiales ont été
intimement encadrées et protégées par ces institutions religieuses. La protection
sociale des aînés se fait désormais par l'institution familiale et l'institution
religieuse.
1.2.4 Système communautariste libanais
Le Liban est une république parlementaire. Il officialise le
confessionnalisme politique dans les deux assises de l'État: la Constitution de
1926 et le Pacte National de 1943. La première stipule que l'attribution des
emplois publics s'effectue suivant des critères religieux: les confessions
doivent être représentées en proportion de leur importance démographique
39
comme le précise l'article 95 du titre VI - Dispositions finales et transitoires
«À titre transitoire et conformément aux dispositions de l'article 1er de la
charte du mandat et dans une intention de justice et de concorde, les
communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et
dans la composition du ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien
de l'État» (Hokayem, 1996: 391). Les sièges parlementaires et les charges
ministérielles sont également fonction du principe communautaire.
Le deuxième est un document oral qui répartit les fonctions politiques de
l'exécutif et du législatif entre les communautés en présence: le président doit
être maronite, le président de l'assemblée shî'ite et le premier ministre sunnite.
C'est un pacte entre confessions. Selon Rabbath, le système libanais exprime
une tension permanente entre «le code civil de l'État» et «le code
personnel» des communautés religieuses en présence. Cette dualité ne peut
qu'être fatale: «Chacune de ces collectivités possède des organes qui
délibèrent et agissent en son nom, chefs et assemblées, dont l'esprit est dominé
par une volonté d'exclusivisme communautaire, par des intérêts particuliers, le
plus souvent contraires à l'intérêt général,» (1973 : 58).
Selon Picard (1994), l'inscription du communautarisme (la structuration de
la société en communautés confessionnelles) dans le système constitutionnel du
pays est sortie renforcée après quinze ans de guerre. Cela dit, depuis l'adoption
de la Loi constitutionnelle du 21 septembre 1990, «les critiques envers le
communautarisme politique se sont considérablement atténuées» (Picard,
1994 :39). Par cette Loi, la représentation des communautés est consacrée par
l'article 95 qui stipule que «les communautés seront équitablement
représentées». Dans ce remaniement, l'exécutif sera partagé par le Conseil des
ministres et le Président, le Parlement dispose de pouvoirs accrus, et jusque
dans les hauts rangs de l'administration dont les 120 principaux fonctionnaires
40
sont choisis de concert par les trois Présidents (de la République, du Conseil et
de l'Assemblée). Ajoutons à cette <<réforme», la nécessaire prise en
considération d'un fait révélé: intégrer les milices et les forces du terrain à
cette nouvelle recomposition. Un changement capital vient de se produire.
Désormais, les classes politique et administrative verront les dirigeants des
milices parmi eux. Cette nouvelle donne est délicate puisque, selon Picard,
«Ces miliciens entrés en politique ont une conception de la république
différente des dirigeants traditionnels. D'une part, leur objectif n'est pas de
dégager un consensus des élites, mais de faire triompher les intérêts de leur
groupe... D'autre part, ces ex-chefs miliciens n'ont guère de compétences
teclmiques ou civiles» (Picard, 1994 :39). La nouvelle configuration donne aux
milices un pouvoir dans l'État. Nous sommes, selon Picard, dans la période
néo-communautariste milicienne.
1.2.5 Repérage des configurations identitaires
Le discours concernant l'identité libanaise a fait couler beaucoup d'encre.
C'est un enjeu socio-politique et socio-culturel qui a polarisé les Libanais, selon
Beydoun (1994 :48), en deux pôles principaux: les chrétiens qui préfèrent la
diversité culturelle et fait appel à la reconnaissance de la paI1icuiarité socio
culturelle et socio-politique de chaque communauté religieuse. Un autre pôle
qui refuse la diversité culturelle, parce qu'il la considère comme «une menace»
qui peut ébranler la structure sociale et diviser la société. Les défenseurs de
cette position font appel à l'arabité au niveau socio-culturel, et à l'unification
avec les pays arabes au niveau politique. D'où la diversité des approches
portant sur l'identité libanaise qu'elles soient de nature sociologique ou socio
culturelle.
41
En réalité, la richesse de cette diversité est reflétée par les différentes approches
abordant la question identitaire. Dans sa recherche publiée en 2005, Hijazi
expose plusieurs discours portant sur l'identité libanaise. Commençons, donc,
par le discours culturaliste.
Le discours culturaliste
Dans cette perspective la construction identitaire repose sur la notion de
l' «ethnie». D'après cette approche la société libanaise est composée de
plusieurs «ethnies» dont chacune a une histoire, des mœurs, des coutumes et
une langue différente selon l'appartenance religieuse de chaque groupe (Hijazi,
2004 :208). En 1982, une enquête sur le terrain dans les universités libanaises a
été faite par Abou Saleh Prince (1992 :40), partant de l'idée qu'il existe un
conflit de normes arabo-musulmanes et libano-chrétiennes.
Dans une enquête conduite en 1990 par Germanos-Ghazaly l'auteur
considère la guerre civile libanaise en tant qu'une nouvelle guerre
interculturelle (Germanos-Ghazaly, 1990: 7), où la religion est le fondement de
la formation de groupes socioculturels différents, ce qui lui a permis d'étudier
les différents modèles culturels et d'établir des profils socio-psychologiques qui
ne s'édifient pas seulement sur le duo musulman/chrétien, mais l'auteur les
affine et propose un profil pour les principales confessions constituant la
structure sociale libanaise. Pour lui, chaque confession «se perçoit et est perçue
comme une «ethnie» particulière, ayant son origine propre, son histoire, sa
culture, son échelle de valeurs, en un mot, sa micro-culture» (Germanos
Ghasaly, 1990 :7).
Il nous semble qu'il existe certaines différences culturelles entre les
différentes confessions, mais nous considérons que ces différences ne dépassent
42
pas les limites des particularités culturelles dans un cadre national commun. À
ce propos, Beydoun montre que «les particularités culturelles des communautés
libanaises s'avèrent assez minces. Elles restent loin de pouvoir fonder des
personnalités ethnoculturelles distinctes» (Beydoun, 1994). Nous considérons
que l'auteur fait l'amalgame entre la religion et la culture. Il propose une notion
tronquée de l'ethnie. Et nous croyons qu'il est illogique de simplifier la guerre
civile au Liban en la considérant comme une simple guerre intercommunautaire
ou interculturelle en oubliant que «la place qu'occupe le Liban dans son
système régional a toujours été un sujet de controverse et que les problèmes du
Liban dépendent largement de ses interactions avec la région» (Beydoun,
1994). A cet égard, il ne faut pas ignorer le rôle des facteurs politiques (internes
et externes) complexes qui ont contribué à l'époque à l'éclatement de la guerre,
tels que la situation du Moyen-Orient et l'influence directe de la question
palestinienne, l'inégalité sociale entre les différentes régions libanaises, et les
problèmes économiques, suite à la décroissance de l'agriculture du tabac du fait
de l'invasion israélienne du Sud du pays en 1973 (Beydoun, 1994, 1987).
Les différences entre certains traits culturels que l'on peut observer parmi
les différentes communautés religieuses, et qui sont généralement saillantes et
survalorisées en tant que marques distinctives dans les idéologies
confessiOlU1elles ne sont pas d'intensité suffisante à remettre en question le fait
que ces collectivités partagent une même culture sociale; fait attesté par leur
habitat, leurs instruments et technologies de travail, leur cuisine ainsi que de
nombreuses représentations symboliques, et beaucoup de coutumes et de
traditions communes (Beydoun, 1994).
Selon Beydon (1994), les membres de toutes les communautés
musulmanes se disent «arabes». Comment se situent alors les membres des
43
communautés chrétiennes? Selon l'auteur, d'une façon générale, le problème de
l'appartenance à une culture arabe ne pose problème que dans la communauté
maronite (Beydoun, 1994). En fait, la réalité histolique montre que même si la
majorité des maronites refuse l'arabité, cela n'efface pas la réalité que certains
des pionniers du mouvement de la «renaissance arabe» étaient des chrétiens, et
ont participé activement à l'élaboration de l'idée de nationalisme arabe contre
la domination turque.
Selon Hijazi (2005: 213), l'existence d'une tendance du refus de se dire
arabe, à l'intérieur d'une communauté, ne suffit point pour justifier la
considération que cette communauté formerait une «ethnie» distincte, surtout
qu'elle partage avec les autres communautés, comme on l'a déjà indiqué, tous
les autres critères retenus comme constituants de l' «ethnie».
Les communautés religieuses que l'on trouve au Liban ne sont donc point
des ethnies. Ainsi, nous remarquons que le paradigme de base pour l'étude de
Germanos-Ghazaly (1990), débouche sur les concepts de la diversité culturelle
et de l'identité pluriculturelle. C'est une identité multidimensionnelle.
Perspective adoptée au Liban par Sélim Abou (2002 :84), qui a essayé de
théoriser la question identitaire selon une approche «ethno psychologique».
44
Le discours etlmopsychologique
Selim Abou enracine l'identité culturelle libanaise dans l'identité etlmique,
la structure sociale étant composée de plusieurs «etlmies». Pour lui, l'identité
collective dans ses dimensions suprastructurelles est une configuration
hiérarchique qui renferme: l'etlmie, l'État et la nation:
Nation, nationalité, etlmie : ces concepts gardent obligatoirement l'équivocité. Les etlmies, alors, appelées nationalités, se sont trouvées englober dans trois types d'États: les États nations, où la nation coïncide, à peu de choses près, avec l'etlmie, les États plurietlmiques où la nation comprend plusieurs etlmies géographiquement concentrées ou dispersées; enfin des États également plurietlmiques, mais recouvrant des fractions d' etlmies. Les nations ainsi constituées ont tendance à se définir de deux manières différentes: soit en invoquant les critères de l'etlmicité - race, langue, religion, etc.- soit en affirmant la volonté des citoyens de vivre ensemble et d'assumer un destin commun (Abou, 2002 :85).
C'est dans cette optique qu'Abou définit le groupe etlmique en prenant en
compte, d'une part les aspects objectifs (géographie, histoire, culture, langue
territoire), et d'autre part, des aspects subjectifs (vécu et désir de vie en
commun). Abou développe sa conceptualisation de l'identité. Il adopte une
démarche interdisciplinaire, et se situe dans le courant etlmopsychologique qui
considère l' «etlmie» comme le noyau de l'identité:
...L'etlmie apparaît comme le noyau, la racine ou la formation primaire d'une identité collective a des dimensions suprastructurelles, dont les éléments différenciateurs sont d'ordre etlmique, régional, religieux, national et idéologique, qui renvoient à la notion de la culture, des coutumes et des pratiques domestiques ... etc. (Abou, 2002 :89).
45
L'auteur propose une définition du groupe ethnique qui d'après lui, le
groupe ethnique est «un groupe dont les membres possèdent, à leurs yeux et
aux yeux des autres, une identité distincte enracinée dans la conscience d'une
histoire et d'une origine commune. Ce fait de conscience est fondé sur des
données objectives telles qu'une langue, une race, ou une religion commune,
voire un territoire, des institutions ou des traits culturels communs, quoique
certaines de ces données puissent faire défaut» (Abou, 1982 : 32). Ainsi, pour
lui, l'identité ethnique est celle qui compose, réalise et fonde l'identité
culturelle, et qui la dépasse puisque cette dernière est une «constellation mobile
d'identités particulières» (Abou, 1982: 34). Cette définition de l'identité
culturelle paraît intéressante parce que, d'un côté, elle prend en compte la
conscience groupale, vis-à-vis de soi-même et des autres, elle est en cela
interactive, et d'un autre côté, la culture dépasse un simple patrimoine qui se
réfêre au passé, elle est une culture vivante en gestation et en action, sans cesse
en modification et en changement, partant de son patrimoine assumé et
réinterprété afin de garder son profil. particulier.
Or, Hij azi (2005: 219) signale certaines réserves envers Abou en
développant sa théorie à travers l'étude de cas qu'est le Liban. L' «ethnie», telle
que définie par Abou, devient synonyme de la religion. Ce pays est présenté en
tant que nation composée de plusieurs «ethnies», dont la règle fondamentale de
différenciation est uniquement religieuse. L'identité culturelle se réduisant à
des simples identités ethnicoreligieuses en confrontation. Hijazi (2005)
considère qu'Abou a opté pour une désignation restrictive à cause de sa propre
vision de la société libanaise. En exposant d'abord «le cas du Canadien
français, ou le Canadien comme Québécois ou Acadien, comme exemple de
deux allégeances définissant «une identité globale conflictuelle», il met au
même rang le cas du Liban. Pourtant, la différence est grande entre la société
canadienne pluriethnique et plurinationale, et celle, libanaise, qu'on ne peut pas
46
considérée comme telle» (Hijazi, 2005 :234). Elle ajoute que la société
libanaise a un caractère oriental qu'on ne peut pas comparer avec la canadienne
qui est occidentale.
D'ailleurs, l'approche adoptée dévoile quelques failles, particulièrement
quand Abou écrit que l'identité ethnique peut se limiter à l'une des données
objectives et qu'aucune ne lui est indispensable. Pour lui, les trois facteurs
fondamentaux sont la «race», la religion et la langue. La «race», parce que:
«quel que soit son degré d'indétennination, elle renvoie symboliquement à
l'origine commune et mobilise à cet effet, au niveau du fantasme, les forces
obscures de l'instinct, du sexe et du sang» (Abou, 2002: 33). La religion, parce
que «tout en faisant partie d'un système culturel donné, elle le transcende en
l'incluant dans une vision du monde et une échelle des valeurs correspondante»
(Abou, 2002: 33). La langue, parce que <<tout en étant un élément entre autres
dans la culture elle transcende les autres éléments dans la mesure où elle a le
pouvoir de les nommer, de les exprimer et de les véhiculer» (Abou, 2002: 33).
Avec cette proposition limitative, la définition d'Abou perd de sa pertinence,
dans le sens qu'elle légitime des mouvements fanatiques au nom de la «race»
ou de la religion. l'auteur rend l'ethnie équivalente à la religion, autrement dit,
son synonyme.
Abordons l'approche qui considère la religion un phénomène traditionnel, mais
non opposé à la modernité. Est-ce que cette conceptualisation est pertinente?
Sortir du traditionalisme
Une structure sociale moderne ou traditionnelle, laquelle caractérise la
société libanaise? Comment la modernité a-t-elle renversé tous les aspects de la
47
vIe quotidienne? Voici un troisième discours fondé sur le duo conceptuel
modernisme/traditionalisme. Selon ce discours, la structure sociale libanaise est
déchirée entre deux options, une traditionnelle, l'autre moderne, mais elles sont
à la fois imbriquées et opposées. D'après Maila (1990: 152) «le côté
modernisme apparaît dans le savoir-faire technique, alors que les
comportements, les attitudes, les idées et les discours sont plongés dans le bain
des traditions, particulièrement ceux concernant l'identité». L'auteur oppose les
deux pôles. Cette opposition est contestée par Beydoun (1987 :159) qui pense à
une «indivision des différentes formes culturelles». D'ailleurs, le concept
d'indivision est considéré par Beydoun comme étant efficace sur deux plans:
sur le plan de la vie quotidienne et sur celui de la production culturelle. Sur le
premier plan, l'acteur social se trouve plongé, face à chaque situation
journalière, dans le récipient de ses propres déterminations. Ces dernières sont
en contradiction entre: enracinement familial, tâches professionnelles et
préceptes moraux de la religion. C'est un déchirement entre:
... le choix individuel d'une ligne de conduite morale, politique ou adhésion aux coutumes et allégeances familiales, enseignement «public» ou confessionnel, regroupement des forces politiques en partis modernes ou en rassemblements communautaires, État à législation laïque ou souveraineté de la loi religieuse. (Beydoun, 1987: 162).
Ainsi, la relation de l'individu au groupe et les structures communautaires
sont bouleversées par les assauts de la modernité. Dans sa configuration, le
groupe sait que la légitimité d'une conduite se juge à sa conformité aux
préceptes moraux de la religion. Ce qui, selon Beydoun,
Supposait l'existence, au sein du groupe, de deux niveaux souvent opposés, mais complémentaires et indissociables du moi, puisqu'indispensables, chacun, à l'actualisation de l'autre: l'intérêt élémentaire et la morale transcendante. La modernité y
48
ajoute une nouvelle dimension: la société dont l'intérêt tend à se séparer de la totalité normative traditionnelle pour constituer un ensemble de normes fonctionnelles que l'État s'efforce d'exprimer en termes politico-juridiques et dont il veut accaparer la représentation. (1987: 162).
Beydoun relève la transposition inconsciente de l'attitude à l'égard des
traditions au niveau des formes d'expressions modernistes;
On dirait que le poids concret de la tradition reste dans la pratique une espèce de norme vide commandant leur comportement vis-à-vis de leurs sources d'inspirations et de leurs propres réalisations. L'omniprésence de cette norme, en même temps qu'elle explique la solidarité des formes culturelles cultivées par chacun des deux camps, n'exclut nullement -loin de là - l'interpénétration, au sein de chaque genre, des tendances traditionalistes et modernistes, ni l'antagonisme des deux camps au niveau des formes et des contenus. (1987: 163)
Cette approche est pertinente selon Hijazi (2005) compte tenu du contexte
international caractérisé par le rapprochement culturel. La culture n'est plus
limitée à ses variantes régionales ou locales, mais elle s'intègre dans un
ensemble plus large. Elle est plus fertile et en échange permanent. Ajoutons que
cette approche renferme un éclairage pour comprendre les modes d'expressions
collectifs, les aspirations individuelles et les différents modes de conduite.
Identité et historiographie
Cette approche retisse l'histoire sociale du Liban dans le cadre de ses
déterminations socio-économiques. Elle explique comment à travers cette
histoire sociale, l'identité et la dynamique identificatoire s'étayent et se
transforment.
49
Hijazi (2005) retrace les travaux de Chevalier (1971) qui, dans sa
recherche, essaie d'expliquer les changements structuraux dans la société
libanaise, au moment de la révolution industlielle en Europe, aussi bien que
l'influence de la pénétration occidentale dans ce pays. La pénétration rapide du
capitalisme occidental a induit des mutations économiques, telles que le
commerce de la soie, qui a joué un rôle direct dans les changements
démographiques et économiques au sens positif. Au niveau démographique, il y
a l'immigration des villageois vers la capitale Beyrouth pour des raisons
commerciales. Cette ouverture du Mont-Liban permet d'atteindre une
prospérité après plusieurs décennies de difficultés financières. Suite à cette
situation, chaque famille essaie de garder ses privilèges socio-économiques,
mais la compétition avec la soie japonaise a affaibli le commerce de la soie au
Liban d'une façon remarquable. Donc, la société libanaise se trouve de plus en
plus «organisée autour d'une série de juxtapositions croissantes partant de la
famille, au voisinage, au vil1age, à la communauté à tel point qu'elle se
transfOlme en assabyia, autrement dit, en communauté d'intérêts.» (Picard,
1994,1993).
En mettant l'étude de la structure sociale dans le cadre de l'histoire socio
économique et politique, Chevallier dévoile comment les dimensions
civilisationnelles et culturelles sont venues s'ajouter au réel social, un clivage
de nature communautaire et religieuse suite au développement commercial (qui
était, effectivement, déséquilibré entre les différentes confessions et régions
constituant le pays). Ce développement qui a permis aux maronites d'être les
dominants. À ce propos Chevallier écrit: «depuis le XIXe siècle, et grâce aux
rapports commerciaux et religieux étroits avec l'Europe les communautés
chrétiennes ont affermi une position économique et politique dominante.»
(Chevalier, 1971). Cette approche nous permet de dévoiler le point d'ancrage
50
des conflits d'appartenance entre musulmans et chrétiens, particulièrement
quand ils s'expriment d'une façon antagoniste, par exemple:
- oriental/occidental.
- chrétien-occidental/musulman-arabe ou arabo-musulman.
- modernisme-chrétien/traditionalisme arabe ou musulman.
Selon Hijazi (2005) , le second apport fondamental de la recherche de
Chevallier (1971) est sa démonstration que les différentes confessions
composantes du pays, malgré leurs particularités, partagent la même culture
sociale aussi bien que le même mode de vie, et leurs mœurs communes en
témoignent. En décrivant l'accord socio-économique et politique entre les
chrétiens du Liban et l'Europe, l'auteur attire l'attention au fait que, malgré leur
coopération, il ne faut pas oublier qu'ils «sont de culture sociale arabe»
(Chevalier, 1971), et qu'ils ont participé à ces modifications économiques, sans
rompre une unité de civilisation exprimée par la langue, l'histoire et toutes les
structures sociales, et sans briser des identifications essentielles avec les autres
communautés musulmanes et druzes. C'est ainsi que l'auteur montre que la
société libanaise est une société traditionnelle, avec une culture arabe, dont tous
les modes d'organisation et de production sociale sont fondés sur le système de
parenté qui agit sur toutes les constructions sociales qui lui sont supérieures.
Étudier la structure sociale libanaise par l'explication de l'histoire sociale
et les rapports sociaux économiques, même si elle se focalise sur le Mont
Liban, nous permet de dégager les unités structurelles de base, dont
particulièrement, la famille. Cette dernière constitue un cadre de référence pour
l'individu dans lequel s'accomplissent les identifications essentielles, le cadre
51
d'action sociale, et l'unité de production économique. Ses caractéristiques sont
identiques quelle que soit la communauté religieuse.
Rapport de classe et impact sur l'identité
Au début de la guerre libanaise, Dubar et Nasr (1976) ont conduit une
enquête de terrain, en essayant d'articuler le niveau social, confessionnel et
politique du pays. Ils ont considéré la société libanaise comme étant à la fois
une structure politico-confessionnelle, définie en tant qu'une entité se
reproduisant identique à elle-même, résultante de l'ensemble des positions et
des rapports symboliques unissant les différentes communautés religieuses, et
une structure de classe composée par les positions et les rapports sociaux
découlant du système économique.
Dubar et Nasr (1976: 282), ont regroupé les différentes catégories sociales
de la manière suivante:
- classes dirigeantes: composées de propriétaire terriens, industriels,
gros commerçants, professions libérales, hauts fonctionnaires, cadres supérieurs
(catégories 1 et 2);
- classes moyennes: paysans propriétaires, artisans, petits
commerçants, petits entrepreneurs, salariés permanents non ouvriers;
- classes populaires: semi-prolétariat, prolétariat et sous-prolétariat
urbain et rural.
D'après Dubar et Nasr, le Liban est composé de deux sous-ensembles: le
Liban central et le Liban périphérique:
Au Liban central (Beyrouth, Mont-Liban) composé majoritairement de nouvelles classes sociales, depuis la grande bourgeoisie commerciale ou industrielle jusqu'aux salariés des
52
usines modernes, s'oppose le Liban périphérique (périphérie de Beyrouth, mais aussi du Liban: Liban Nord, Bekaa, Liban Sud) composé presque exclusivement de sous-prolétaires, de petits commerçants, d'artisans, de paysans pauvres. (1976: 312).
Chaque sous-ensemble a une histoire économique différente de l"autre
d'où le fait que le Liban central est considérablement dirigé vers le pôle
occidental dans les échanges économiques et culturels parce que
Les pays occidentaux constituant, pour elles, à la fois une source effective de profit et une sorte de modèle des références, alors que le Liban périphérique s'oriente traditionnellement vers le pôle arabe et intégré dans des circuits d'échange et de relation multiple avec lui. (Dubar et Nasr, 1976: 312) .
L'importance de cette enquête consiste à éclairer les principales
représentations de la domination politique, qm sont: représentation
confessionnelle, représentation politique traditionnelle et représentation socio
économique.
Ces trois représentations renvoient, selon les auteurs Dubar et Nasr, à trois
types de mentalités profondément ancrés et présents dans toutes les couches
sociales, et qui sont en liaison avec cinq structures idéologiques tiraillées entre
les pôles occidental et arabe. Ces structures idéologiques sont: l'idéologie
bourgeoise traditionnelle, l'idéologie de la petite bourgeoisie traditionnelle,
l'idéologie sous-prolétarienne, l'idéologie ouvrière et enfin l'idéologie
moderniste technocratique. En fait, plusieurs sortes de corrélations peuvent
exister entre certaines idéologies en formant des structures mentales diverses,
mais limitées par les deux pôles: occidental ou arabe. Les principales structures
mentales sont:
53
1- La mentalité de clientèle: elle est fondée sur les rapports entre les
grandes familles des notables (Mkataajiyé) ou de propriétaires
terriens (Becks) constituant le groupe diIigeant, d'un côté, et les
cultivateurs, les artisans, les boutiquiers indépendants, les petits
producteurs, et enfin les métayers, hommes de mains, employés de
maison formant une sorte de sous-prolétariat dépendant de la classe
dirigeante (DubaretNasr, 1976: 319).
2- La mentalité de classe moyenne généralisée: elle désigne aussi
la polarisation idéologique vers l'Occident, source du libéralisme,
fondée sur une position, à l'intérieur du système économique, elle
adopte «certains modèles occidentaux inculqués, au Liban, par les
écoles privées étrangères qui représentent, pour ceux qui partagent
cette mentalité, un idéal d'instruction et de socialisation» (Dubar et
Nasr, 1976: 319).
3- La mentalité salariale: d'après les auteurs, est la plus nouvelle,
dans la mesure où elle est partagée par une majorité de jeunes et
notamment par la quasi-totalité des jeunes ouvriers et employés
issus du Liban périphérique. Cette mentalité est centrée sur le
salariat.
Enfin, Dubar et Nasr abordent un demier ensemble idéologique qui est
l'idéologie bourgeoise dominante. Cette idéologie est, selon eux: «le résultat
d'une combinaison des deux structures idéologiques à l'œuvre dans la grande et
la moyenne bourgeoisie. Elle a une efficacité d'influencer toutes les mentalités
dans la formation sociale libanaise. Aucune mentalité n'échappe totalement à
l'emprise de ses idées, car elle détient les moyens de production idéologique :
54
les médias de masse et les appareils scolaires publics et privés» (Dubar et Nasr,
1976 :320).
Ainsi, une situation paradoxale existe entre le peuple et la classe dirigeante.
C'est ce que les auteurs appellent «la contradiction essentielle» doublée par la
crise de la formation sociale libanaise: «la coupure profonde entre, d'une PaIt,
les situations de classe et la dégradation objective des conditions sociales des
classes populaires et de toutes les couches moyermes et, d'autre part, les
expressions politiques et idéologiques de ces situations à travers les filtres
confessiormels» (Dubar et Nasr, 1976: 323) .
L'apport de cette approche selon Hijazi (2005) permet de comprendre le
glissement du caractère confessiormel aux revendications sociales à la veille de
la guerre en 1975, et comment dans cette période les revendications sociales ont
été perçues comme des protestations communautaires smtout, et les musulmans
à l'époque demandaient la réforme en réduisant les privilèges accordés
constitutiormellement à la confession maronite.
Si nous lisons attentivement l'histoire des sociétés considérées
actuellement en paix et stables relativement, nous trouvons que cette stabilité
n'était pas un résultat momentané, elle est le fruit des négociations et parfois
des affrontements et des guerres qui ont duré des dizaines d'armées, selon la
particularité de la société, la complexité de sa situation aussi bien que les
facteurs internes et externes qui ont participé à les déclencher. Et nous croyons
que la situation du Liban ne dévie pas de ce principe sociohistorique qu'a vécu
presque la majorité des sociétés humaines.
55
Le travail de repérage des configurations identitaires dans les
représentations publiques est fondamental puisque la définition de l'identité
libanaise est toujours un sujet de controverse, et un objet conflictuel suscitant
des débats difficiles. Les textes historiques proposent plusieurs images et
représentations, parfois mythiques, dont la visée est de fonder les origines de
l'État actuel.
1.2.6 Les libanais du Québec
Les trois vagues migratoires
Le Liban est un pays d'émigration depuis toujours. On note que la
première période d'émigration libanaise va du XVIIe siècle jusqu'à la première
moitié du XIXe siècle: «Cette migration ne touche pas le Canada, mais plutôt
les grandes villes portuaires d'Europe (Livourne, Marseille, Manchester. .. ). Les
émigrants de cette période sont majoritairement de confession juive ou
chrétienne» (Lebnan, 2002: 31).
Les périodes d'instabilité politique et de conflit ont été la cause principale
de nombreux mouvements migratoires. Les troubles conununautaires et
confessionnels de 1840 -1860 ont créé la première période d'émigration causée
par la guerre. La guerre de 1975 a obligé les deux tiers (Hsab, 2002) de la
population à changer de résidence temporairement ou définitivement. Pendant
les périodes de guerres, beaucoup de personnes ont choisi d'émigrer à la
recherche de sécurité, de paix et de confiance en l'avenir pour elles et leurs
enfants.
56
Le Canada et le Québec ont connu trois vagues migratoires en provenance
du Liban. La première vag4e d'immigration s'étend de la moitié du XIXe siècle
jusqu'au début du XXe siècle7 où «l'on identifie une émigration composée de
paysans montagnards, chrétiens et qui se dirigent principalement vers
l'Amérique latine, surtout le Brésil et l'Argentine alors que d'autres adoptent le
Canada et le Québec» (Lebnan, 2002: 32). La cause de cette migration est reliée
au système d'imposition de l'Empire ottoman ainsi qu'à la réduction de la
production agricole causée par des vagues de phylloxéra donnant lieu à des
conditions de vie pénibles. À partir des années 1960, une deuxième vague
d'émigration se déclenche vers le Canada et le Québec en raison de l'abolition
des lois discriminatoires8. Une troisième période débute avec le déclenchement
de la guerre au Liban 1975-1990 et est toujours en cours.
Les études sur le phénomène migratoire s'insèrent généralement dans un
contexte large, historique, économique, politique, etc. C'est dans cet esprit que
nous élaborerons le portrait de la communauté libanaise. Nous nous limiterons
aux écrits historiques et les recherches pOltant sur celle-ci.
7 Avant 1920 les migrants libanais et syriens étaient appelés les Turcs à cause de l'Empire ottoman.
8 Depuis 1869, le Canada a toujours eu une loi de l'immigration. Les critères touchant les immigrants autorisés à entrer ont changé au cours des armées, dépendamment des circonstances économiques et politiques. Au début du XXe siècle, le gouvemement fédéral a également fixé des limites sur certains groupes ethniques ou religieux. Après la guerre, le gouvemement fédéral adopta de nouvelles mesures pour empêcher l'entrée au Canada d'immigrants jugés inaptes. En 1919, la section 38 fut à l'origine d'un ordre en conseil qui interdisait l'entrée des Autrichiens, des Bulgares, desHongrois, des Turcs et d'autres qui s'étaient battus contre le Canada durant la Première Grande guerre. En 1946, le gouvernement fédéral créa une loi intitulée la Loi sur la citoyermeté canadierme qui entra en vigueur le 1er janvier 1947. Suite à la création de cette loi, le Canada continua toutefois à dormer un traitement préférentiel aux résidents blancs européens ou américains qui voulaient immigrer en ce pays. Cela était évident dans la Loi sur l'immigration de 1952. cette loi exerçait une discrimination contre les Asiatiques n'ayant aucun parent proche vivant au Canada et les autres groupes ethniques désignés par le gouvemement. La loi permit l'adoption d'ordres en conseil qui imposèrent des quotas sur ceux de l'Inde, du Pakistan et du Ceylan (Sri Lanka).
57
Un portrait de la communauté libanaise du Québec
Les recherches s'intéressant aux mouvements migratoires libanais ne sont
pas très nombreuses. Owen (1998) l'explique par la faiblesse du flux migratoire
libanais en regard des flux européens qui ont, en quelque sorte, monopolisé
toute l'attention des chercheurs. Cela dit, cette faiblesse est toute relative, car si
l'on met en rapport ces flux avec la population totale du Liban (aux différentes
périodes de grandes émigrations), ceux-ci deviennent alors considérables. À ce
sujet, l'historien Boutros Labaki estime qu'«il y a autant de Libanais résidents
(quatre millions en 1997) que de Libanais et de descendants de Libanais à
l'extérieur» (Labaki, 1998 : 87). Toutefois, la majeure partie des travaux, menés
à l'échelle internationale, s'est surtout intéressée à «quantifier les flux
migratoires, à comprendre les raisons de l'émigration et ses effets sur le Liban.
On s'est aussi attardé à l'insertion socioéconomique des émigrés dans les
sociétés d'accueil.» Lebnan (2002 :113).
Population libanaise à Montréal
Plus spécifiquement au Québec, les vagues succeSSIves sont
démographiquement très différentes. En 1986, on comptait 8 770 Libanais au
Québec - selon le pays de naissance, c'est-à-dire nés au Liban - ce qui exclut
de nombreux Libanais nés ailleurs (en Égypte, Irak). En 1991, ce chiffre grimpe
à 25 935, alors qu'en 1996,38 468 personnes déclarent être d'origine ethnique
libanaise. La communauté libanaise augmente encore: 47 745 Libanais
affirment une appartenance ethnique libanaise unique ou multiple au
recensement de 2001. Un fait important, lorsqu'on observe les données
statistiques, près de 90% des Libanais résident à Montréal (Statistique Canada,
2006)
58
Tableau 1 : Période d'immigration des Libanais au Québec
Avant 1961 365 1,2 1961-1970 1930 6,6 1971-1980 4050 13,7 1981-1990 Il 590 39,3 1991-1995 7765 26,4 1996-2001 3770 12,8
Population immigrée 29460 100,0
Nous remarquons à la lecture de ce tableau que la population immigrante
libanaise a évolué d'une façon exponentielle à partir de la période de la guerre
civile (1975-1990).
59
Tableau 2 : Immigrants admis au Québec selon les 15 principaux pays de naissance,1995-19999
Rang Pays de naissance 1995-1999 %
Nombre
1er France 12 135 8,6
2e Chine 9 119 6,5
3e Algérie 8 103 5,8
4e Ex-Yougoslavie 7877 5,6
12e Liban 3445 2,4
Tableau 3 : Immigrants admis au Québec selon les 15 principaux pays de naissance, 2004-200810
Rang Pays de naissance 2004-2008 %
Nombre
1er Algérie 18452 8,3
2e France 17503 7,9
3e Maroc 16406 7,4
4e Chine 15309 6,9
r Liban 8710 3,9
9 Données préliminaires pour 1998 et 1999 Source: Direction de la planification stratégique, MRCI. http://www.micc.gouv.ge.ca/pub1ications/fr/recherches-sta tistigues/I mmigration-Quebec-19951999.pdf
10
Données préliminaires pour 2004 et 2008 Source: Direction de la planification stratégique, MRCI. http://www.micc.gouv.gc.ca/publications/fr/recherches-statistig ues/lnunigration-Quebec2004-2008.pdf
60
Tableau 4 : Immigration au Québec en 2008 selon les principaux pays de naissance ll
Pays Nombre
Algérie 3670
France 3617
Maroc 3579
Chine 2820
Liban 1 920
Si l'on regarde à l'intérieur de la région métropolitaine de recensement,
c'est sur l'île de Montréal que se cOncentre la majeure partie de la population
libanaise selon l'origine ethnique. Sur l'île de Montréal, c'est l'ancienne ville
de Montréal qui regroupait, en 2001, la majeure partie des Libanais puisque
38% des Libanais de la région métropolitaine de recensement de Montréal s'y
trouvaient (ce qui représente 46,3 % des Libanais vivant sur l'île de Montréal ).
Après l'ancienne ville de Montréal, c'est dans l'ancienne ville de Saint-Laurent
où l'on retrouvait le plus de personnes d'origine libanaise avec 19,5 % des
Libanais vivant sur l'île de Montréal ou 16% des Libanais de la région
métropolitaine de recensement de Montréal. Lorsqu'on examine les
arrondissements de l'ancienne ville de Montréal, c'est dans l'arrondissement de
Ahuntsic-Cartierville que la présence libanaise est la plus forte. On y compte
44% des Libanais de l'ancienne ville, ce qui représente 16% des Libanais
habitant la région métropolitaine de recensement de Montréal.
Il D . '1'"onnees pre llnmarres pour 2008 . Source : Ministère de l'Irrunigration et des Communautés culturelles, Direction de la recherche et de l'analyse prospective. http://www.micc.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/lmmigration-Ouebec2004-200S.pdf
61
Tableau 5 : Population d'origine ethnique libanaisel2
Arrondissement, ville de Montréal
Ahuntsic-Cartierville 5340 16,3 Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce 2340 7,1 Dollard-des-Ormeaux-Roxboro 1920 5,8 Montréal-Nord 1 200 3,7 Mont-Royal 1 995 6,1 Pierrefonds-SeIU1eville 1 485 4,5 Saint-Laurent 7870 24,0 Saint-Léonard 2005 6,1 Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension 1 280 3,9
Population totale de la ville de Montréal 32835 100,0
Selon le recensement de 2001, Montréal accueille la grande majorité des
Libanais qui vivent dans deux arrondissements: l'arrondissement Saint-Laurent
et l'arrondissement Ahuntsic-Cartierville accueillent près de la moitié des
immigrants d'origine libanaise. Outre une présence notable de Libanais dans
ces secteurs, c'est la présence d'institutions libanaises autour du boulevard de
l'Acadie qui fait en sorte que cette partie de Montréal est souvent associée à la
communauté libanaise. En effet, on trouve selon Le Gall (2001), de nombreux
commerces moyen-orientaux liés à l'industrie alimentaire (épiceries,
boulangeries, pâtisseries, poissonneries, marchés de noix, entrepôts de
grossistes, cafés, restaurants, etc.) ou aux services (cliniques médicales, agences
de voyages, etc.).
12 Source: Statistique Canada, Recensement de 2001, compilation spéciale du MICC.
62
Répartition confessionnelle des Libanais au Canada et au Québec
Dans une étude qui s'intéresse particulièrement au phénomène religieux,
Lebnan (2002) souligne que les Libanais (selon l'origine ethnique) du Québec
étaient, d'après le recensement de 1991, catholiques à 42,6% (13 160
personnes) et musulmans à 21,7% (6 715 personnes)
Plus tard, le tableau présentant la population libanaise selon la
caractéristique confessionnelle change. Selon le recensement de 2001, la
population des chrétiens catholiques, majoritairement des maronites, augmente.
Le tableau ci-dessous nous permet d'avoir des indications claires.
Tableau 6 : Population d'origine ethnique libanaise au Québec selon l'appartenance confessionnelle (Recensement 2001)13
Religion n %
Catholique 24460 49,9 Protestante 965 2,0 Orthodoxe chrétienne 7860 16,0 Autres religions chrétiennes 2600 5,3
Musuimane Il 100 22,7 Juive 440 0,9 Autres religions 60 0,1
Aucune appartenance religieuse 1 505 3,1 Population totale 48990 100,0
Population âgée de 65 ans et plus 3965 8.1
En outre, si l'on regarde les chiffres concernant les Libanais selon le pays
de naissance cette fois, et que l'on considère l'ensemble du Canada, le portrait
13 http://www.statcan.gc.calpub/89-621-x/89-621-x20070 l5-fra.htrn
63
se modifie. Le nombre de catholiques diminue pour représenter 33,3% de la
population canado-libanaise (18 019 personnes), le pourcentage d'orthodoxes
est à peu près stable avec 24,2% (13 105 personnes), le nombre de musulmans
croît de manière sensible pour atteindre presque 30% (29,3%) (15 835
personnes), le nombre de protestants augmente aussi pour atteindre 10% (5
460). Au reste, deux nouvelles catégories apparaissent: la catégorie « autre» et
la catégorie « sans aucune religion ». La première compte 546 personnes, soit
1% de ces personnes recensées.
Le recensement de 2001 comporte d'autres données intéressantes. Par
exemple, il nous apprend que les immigrants libanais du Canada sont
généralement plus jeunes et plus instruits que la population née au Canada,
qu'ils ont plus de chance de se retrouver dans la catégorie des travailleurs
autonomes, qu'ils sont surreprésentés en génie, en mathématiques et en
sciences pures en général. Les immigrants libanais du Canada ont aussi plus de
chances de vivre avec leur conjoint que les autres immigrants et que la
population née au Canada: on recense peu d'unions de fait et de familles
monoparentales chez les immigrés libanais. De plus, ils ont plus de chance que
les autres Canadiens de vivre avec des membres de leur famille immédiate. Ce
dernier phénomène avait déjà été observé lors du recensement de 1991 où l'on
s'était rendu compte qu'autant lorsqu'ils se trouvent au cœur de la vie active
qu'à leur retraite, les immigrants libanais vivent en famille - seulement 10%
des immigrés libanais de plus de 65 ans vivaient seuls en 2001.
Si l'on se fie aux données du recensement de 200 1, les immigrants libanais
du Canada gagnaient en moyenne 19 000$, ce qui représente un montant
inférieur à la moyenne canadienne (qui était de 23 700$) et à la moyerme des
immigrants au Canada (qui était de 25 300$). Ces dernières dormées
64
corroborent les recherches de l'anthropologue québécoise Sylvie Fortin qUI
démontrent que les familles libanaises avec enfant, récemment immigrées et
vivant à Montréal, connaissaient au début des années 1990 de graves problèmes
socioéconomiques. En effet, 83% des familles de l'échantillon de Fortin
vivaient sous le seuil de la pauvreté et 60% sous le seuil de grande pauvreté.
Une revue des recherches récentes sur les immigrés libanais au Québec
Au Canada et au Québec, la présence des Libanais commence
académiquement à susciter l'intérêt. Nous remarquons que des thèses et
recherches abordent le phénomène migratoire14. Dans l'ensemble, les
recherches sur les Libanais du Québec commencent à se diversifier et touchent
beaucoup de disciplines. Selon Fortin (1995), il y a un lien entre la situation
économique des Libanais et l'exclusion sociale. Elle rappelle que le manque
d'expérience canadienne en emploi et la non-reconnaissance des diplômes
étrangers font en sorte que beaucoup d'immigrants libanais n'arrivent pas à
trouver leur place sur le marché du travail. Cette exclusion entraîne une
situation économique précaire. Le mouvement associatif, relativement peu
développé, ne peut apporter grand soutien aux nouveaux venus. D'autres
chercheurs partagent les conclusions de Fortin quant à la faiblesse du
14 C'est le cas des recherches de mémoire ou de thèse, citons à titre d'exemples, Diane MOSER, 1990. «Hometown and Family Ties» Mémoire de maîtrise en histoire, Montréal, UdeM; Brian Abboud, 1992. «Community association and their relation with the state. The case of Arab associative Network of Montreal ». Mémoire de maîtrise en sociologie , Montréal, UQAM; Liliane Sayegh, 1992. « Immigration, acculturation et santé mentale ': Les Libanais à Montréal ». Thèse de doctorat en psychologie. Montréal, UdeM; Sylvie Fortin, (1995). «Les Libanais d'immigration récente à Montréal », Mémoire de maîtrise en anthropologie, UdeM; Gaby Hsab, 2002. «Communication humaine, exodes et retours dans la guerre du Liban ». Thèse de doctorat en communication, UQAM; Karim Lebnan, 2002. «Itinéraires identitaires chez des immigrants libanais de Montréal: le cas de J'identité confessionnelle », Mémoire de maîtrise en histoire, UdeM; Nathalie Lami, 1992. « La communauté libanaise à Montréal ». Mémoire de maîtrise en géographie, UQAM.
65
mouvement associatif libanais. Tous lient cette faiblesse aux nombreux clivages
qui dominent les communautés libanaises du Québec et du Canada. Toutefois,
si Fortin pense que ces clivages .résultent de différences socioéconomiques
prémigratoires, d'autres comme Brian Aboud, Baha Abu-Laban et Nancy
Jabbra y voient des divisions liées à d'autres facteurs dont:
1) le pays de naissance
2) la région d'origine (Nord, Sud- Beyrouth, etc.)
3) l'orientation politique des immigrés (panarabistes, pansyrianistes,
nationalistes libanais avec ses composantes: phalangistes, libéraux, de gauche,
etc.).
Aboud (1992) dans son étude sur le réseau associatif arabe a souligné
l'ambivalence dans la définition que ses informateurs libanais se faisaient de
l'identité. Leur identité était, la plupart du temps, stratifiée selon leur affiliation
confessionnelle, villageoise, régionale, politique, idéologique, etc. Une autre
recherche portant sur l'identité ethnicoreligieuse des cégépiens montréalais
d'origine arabe (Eid, 2007: 142; 2001) a permis de faire ressortir la religion
comme un marqueur identitaire fortement imbriqué dans l'identité ethnique des
étudiantes et étudiants.
L'analyse des lieux de résidence des époux indique, en outre, une certaine
concentration résidentielle chez les premiers immigrants dans le Vieux
Montréal où seront fondées les deux églises grecques orthodoxes. À partir des
années trente, la plus forte concentration de syro-libanais de rite grec orthodoxe
se déplace autour de l'angle des rues Saint-Denis et Jean-Talon où, dans les
années quarante, les deux églises déménagent.
66
Les institutions libanaises à Montréal
Puisque notre recherche porte sur les options identitaires des aînés
d'origine libanaise de Montréal, il nous a semblé important de dire quelques
mots sur les institutions libanaises de Montréal. Plusieurs auteurs Lebnan
92002), Baha Abu-Laban (1986) passent en revue quelques institutions arabes
canadiennes. Il ressort un foisonnement d'institutions, connaissant
généralement une assez courte longévité. Les premières institutions
développées à Montréal sont les institutions religieuses syro-libanaises
toutes chrétiennes à l'époque, en raison de la quasi-absence d'immigration
syro-libanaise musulmane au Québec. Ainsi, au début du XXe siècle, Montréal
comptait déjà deux paroisses grecques orthodoxes et une paroisse grecque
catholique. Le cas des grecs orthodoxes est un peu particulier dans la mesure où
la taille de la communauté ne justifiait pas la fondation de deux paroisses. Le
dédoublement de paroisses survenu est plutôt lié à la présence d'un clivage au
sein de cette communauté. Il provient du fait qu'une partie de cette
communauté tenait à rester sous tutelle orthodoxe russe alors qu'une autre
partie de la communauté pensait plutôt qu'il était temps de bâtir un pont avec le
siège antiochéenne de l'Église. Selon Lebnan (2002), il est important de noter
que ce clivage n'aurait pas pu avoir lieu si les premiers immigrants syro
libanais n'avaient pas été appuyés par l'Église russe orthodoxe à leur arrivée à
Montréal.
À ces églises orthodoxes et catholiques se sont greffées, au fil du temps,
certaines organisations confessionnelles sociales ou caritatives. Quelques-unes
de ces associations existent aujourd'hui encore. L'Église grecque catholique de
Montréal a été particulièrement féconde en institutions de toutes sortes - sa
plus belle réussite étant probablement la création en 1974 d'un centre
67
communautaire très dynamique, le Centre communautaire et culturel Bois-de
Boulogne.
En plus de ces grandes confessions chrétiennes libanaises, d'autres
communautés confessionnelles possèdent des lieux de culte à Montréal. Ainsi,
depuis 1983 les arméniens catholiques possèdent leur propre église, Notre
Dame-de-Nareg de Montréal. Également, les arméniens orthodoxes possèdent,
eux aussi, des institutions à Montréal. La plus connue est sûrement l'Église
apostolique arménienne Sourp Hagop. Toutes ces confessions ne regroupent
pas que des fidèles d'origine libanaise. Ces derniers y sont, parfois même,
minoritaires.
Nous possédons beaucoup moms d'information sur les institutions
musulmanes. D'après une recherche récente menée par Julie Elizabeth Gagnon
(2005), Montréal compterait 42 lieux de culte sunnites et quatre chiites
plusieurs non officiels. Ces lieux de cultes sont aménagés dans des édifices
industriels, commerciaux ou résidentiels. La plus ancienne des mosquées
montréalaises est logée dans le Centre islamique du Québec depuis 1965. Elle
est située dans l'arrondissement de Saint-Laurent, mais n'est que très peu
fréquentée par des musulmans libanais. En fait, étant donné le foisonnement de
lieux de culte musulmans, leur instabilité et le manque de structure permanente,
il est extrêmement difficile de dire quels sont les lieux de culte les plus
fréquentés par les musulmans libanais de Montréal. Une seule mosquée
montréalaise s'affiche comme étant libanaise. Il s'agit du Centre islamique
libanais qui comprend une mosquée et un hall de réception logé dans une
ancienne usine et qui attire surtout des musulmans chiites libanais même s'il est
ouvert aux autres branches de l'islam. Il est reconnu par les gouvernements du
Québec et du Liban et peut ainsi célébrer des mariages musulmans. Nos
68
recherches ne nous ont pas permis de localiser un lieu de culte pour les Dmzes
de Montréal. Nous savons toutefois que les Dmzes ont mis sur pied une
association dmze pancanadienne dont le siège social est à Toronto. Il existe
quelques écoles primaires musulmanes à Montréal.
Pour les associations non confessionnelles, Lebnan (2002 :44) note que la
première association laïque syro-libanaise de Montréal - The Syrian National
Society of Canada - est apparue en 1919. Cette organisation est née dans le
but de faire pression auprès du gouvernement canadien pour qu'il assouplisse
ses politiques d'immigration restrictives à l'égard des Syro-Libanais.
Plusieurs autres associations non confessionnelles ont été mises sur pied
par la suite. En 1933, quelques organisations laïques syro-libanaises se sont
regroupées pour fonder la Syrian Canadian Association qui changea de nom un
peu plus tard pour devenir la Lebanese Syrian Canadian Association. Cette
association existe toujours et possède un immeuble au 40, rue Jean-Talon Est.
Son effectif est surtout constitué par les descendants de la première immigration
libanaise au Québec. À ce propos, notons que les dernières vagues
d'immigration libanaise ne sont pas très intégrées à l'ancien appareil associatif
libanais de Montréal. Néanmoins, les vingt dernières années ont vu l'éclosion
d'un nombre impressionnant d'associations libanaises de toutes sortes
regroupements à saveur politique, caritatives, associations d'étudiants,
d'hommes d'affaires. Nommons à titre d'exemple quelques-unes des
associations 15 que nous avons sélectiOlmées à partir du guide de la communauté
libanaise du Québec que nous les présentons dans le tableau suivant:
15 Mentionnons que plusieurs de ces associations sont des initiatives individuelles. Plusieurs d'entre elles ne sont pas bien organisées afin de durer longtemps. Les associations les plus fiables sont, depuis toujours, les associations liées à une paroisse ou à un lieu de culte.
69
Tableau 7 : Aperçu des associations libanaises du Québec.
Associations à caractère religieux Association des Druzes du Canada au Québec. Association Islamique Libano-Canadienne.
Cathédrale St-Maron.
Eglise orthodoxe d'Antioche de Saint-Nicolas. Société Druze Canada-Québec. Union Druze du Canada.
Union maronite de Montréal.
Paroisse St-Sauveur.
Associations à caractère culturelle/sociale Association charitable druze du Québec. Association de bienfaisance des dames de Saint-Sauveur. Association des éclaireurs du Québec. Association des infirmières et infmniers libanais.
Association des travailleurs sociaux \ibano-québécois. Association humaitaire Lebanus Centre communautaire et culturel Bois-de-Boulogne Et Centre communautaire melkite de Saint Sauveur. Chapitre de Montréal de l'Union libanaise culturelle Mondiale. Fondation québécoise d'aide au Liban. Founoun: le Trait d'union d'art et de culture. HELEM: Protection libanaise pour gais, lesbiennes, transgenres, bisexuels et bisexuelles.
Médias / Affaires
Chambre de commerce et d'industrie Canada-Liban. Magazine Libanais (CJNT).
Journal Phoenicia.
Journal Founoun.
Journal Al-Hadath.
Journal Al-Akhbar.
Journal: Al-Machrek.
Journal Al-Moustakbal.
En conclusion, sur le plan scientifique, nous nous souviendrons que, depuis
peu, les Libanais de Montréal ont suscité des recherches qui nous pennettent
d'entrevoir que c'est une communauté diversifiée et plutôt éclatée sur le plan
sociodémographique. D'abord constituée de paysans chrétiens pUIS
d'immigrants plutôt instruits, la communauté libanaise est devenue une
communauté aisée, avant de connaître, depuis peu, un accroissement de
situations précaires en son sein. Cette plus grande précarité est peut-être liée à
un autre phénomène récent: une diversification du profil de ses membres - on
70
y rencontre aujourd 'hui des Libanais de toutes confessions, originaires de toutes
les régions libanaises et issus de toutes les classes sociales.
Si cette revue de la littérature nous a permIs de dresser un portrait
statistique et socioéconomique assez juste de la communauté libanaise de
M~mtréal, de connaître les différents flux migratoires libanais et d'avoir un
aperçu sur les motifs qui ont contribué à les alimenter, en revanche, nous ne
possédons que des données incomplètes et peu fiables sur la structuration de
l'identité des Libanais de Montréal. Toutefois, nous avons quelques indices
importants.
Ainsi, nous savons que les Libanais de Montréal sont majoritairement
chrétiens et que, parmi les chrétiens, la majorité est catholique. En outre, nous
savons que Montréal compte plusieurs institutions religieuses desservant les
différentes confessions présentes au Liban - certaines de ces institutions sont
séculaires, d'autres, plus nombreuses, sont toutes récentes et sont encore en
période de structuration. Nous savons aussi que les premiers Syro-Libanais de
Montréal avaient une propension à l'endogamie etlmicoconfessionnelle et qu'ils
connaissaient une forme de regroupement spatial dans certains quartiers de
Montréal. Les recherches de Eid sont un autre indice, plus récent, de
l'importance que peut prendre l'affiliation religieuse. Cependant, la recherche
de Eid s'intéresse à l'ensemble du groupe arabe et ne tient pas compte des sous
groupes confessionnels. Enfin, la recherche de Aboud semble nous indiquer
qu'il existe beaucoup d'ambivalence dans la structuration de l'identité des
Arabes de Montréal. Encore ici, ces observations nous renseignent sur le groupe
arabe dans son ensemble. Toutefois, l'étude de Dahlia Abdel-hadi (2005) nous
indique qu'une ambivalence identitaire se confirme chez les Libanais de
71
première génération de Montréal et l'ambivalence évoquée se rapporte aux
identités etlmiques et nationales.
Dans leur étude sur la diaspora arménienne, Martine Hovanessian et Sossie
Andezian (1995) soulignent la divergence des modalités d'affirmation
identitaires entre les Arméniens de France et ceux du Moyen-Orient. Elles
affirment que «le rôle des associations est primordial pour réduire les trop
grandes disparités entre les différents groupes composant cette diaspora. Lieux
de gestion des identités par excellence, les associations sont à même d'assurer
un travail d'homogénéisation et d'élaboration d'es symboles identitaires au sein
des communautés de ce type» (p. 70)
Finalement, rappelons notre objet de recherche: la construction identitaire
des aînés libanais en immigration s'articule au carrefour de deux axes:
l'expérience de ces aînés de leur société d'origine et leur expérience de la
société d'accueil. Pour bien comprendre cette construction identitaire, il nous
faudra d'abord saisir leur discours sur la société d'origine, leur rapport au
passé, à la guerre, la famille et au projet migratoire, et d'autre part saisir leur
discours sur la société d'accueil à travers les interactions avec les institutions et
la compréhension de l'espace public. Cependant, afin de bien saisir la
complexité de la construction identitaire des aînés d'origine libanaise, il nous
faut des assises théoriques pour nous guider dans cette aventure. Nous verrons
dans le chapitre suivant les éléments de notre cadre d'analyse.
72
CHAPITRE II:
CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES
" Tu as toujours peur?" On vient de débrancher le générateur.
L'abri est plongé dans l'obscurité la plus totale. En pyjama, Marc vient s'asseoir à mes côtés. Il
me secoue: - Tu as toujours peur?
- Oui. - Peur de mourir?
- Non. Peur de vivre. Peur de vivre dans ce monde sans dignité. "
Alexandre Najjar l6
Dans le chapitre précédent, nous avons essayé d'appréhender, par un survol sans doute un peu rapide, l'histoire de la construction du Liban et le portrait de la communauté libanaise au Québec. Nous présentons maintenant les théories, approches et concepts que nous tenterons d'allier dans notre cadre théorique parce qu'ils sont complémentaires et peuvent servir à baliser et à articuler notre propre recherche. Par la suite, nous présenterons les outils utilisés pour bien guider notre recherche terrain.
16 Extrait du roman: Najjar, Alexandre. 1991. La honte du survivant, Liban: Ed. Naaman.
2.1 Considérations théoriques
Nous ne pouvons pas aborder les phénomènes migratoires sans faire un
survol des théories sociologiques de l'immigration. Traditionnellement, la
sociologie de l'immigration distingue deux problématiques: celle de
l'immigration et celle de l'installation des immigrants (Rea et Tripier, 2003: 5).
Malgré que l'objet de notre recherche porte sur les options identitaires des aînés
d'origine libanaise, nous ne pouvons pas ignorer les études en sociologie de
l'immigration dont nous présentons un bref aperçu.
2.1.1 L'École de Chicago
La sociologie de l'immigration est née à Chicago. Les travaux produits
entre 1910 et 1940 constituent les textes fondateurs de cette sociologie. L'école
de Chicago constitue une entreprise scientifique et militante dont l'intense
activité se remarque dans les travaux pionniers de ses trois fondateurs, Robert
Park, Ernest Burgess et William Thomas. Dans la richesse et la diversité de
ces travaux, trois schémas d'analyse constituent de véritables référents
disciplinaires: le cycle organisation-désorganisation-réorganisation de Thomas,
où l'organisation se traduit par l'ensemble des conventions, attitudes et valeurs
collectives qui l'emportent sur les intérêts individuels d'un groupe social. La
désorganisation survient lorsque les règles perdent leur impact sur les individus
d'une collectivité où la solidarité se désagrège. Elle n'est pas liée à
l'immigration, elle la précède. Cette désorganisation émerge au moment de la
discordance entre les pratiques individuelles et les institutions qui ne les
reconnaissent pas. Elle est la conséquence d'un changement rapide (crises
économiques ou politiques). Finalement la réorganisation qui s'effectue autour
des valeurs et des pratiques du pays d'émigration. La langue, les valeurs
74
religieuses, plus rétives aux changements, les relations communautaires offrent
la possibilité de réinventer une identité qui n'est pas celle du pays d'origine,
m'ais déjà un métissage (Rea et Tripier, 2003: 12). À partir d'une étude célèbre
de Thomas et Znaniecki portant sur des paysans polonais, ils font l'analyse de
la construction d'une identité polonaise américaine. Ce que les États-Uniens
nomment la communauté polonaise repose sur une identité nouvelle, construite
d'éléments de la société polonaise transposés à l'intérieur de la société
d'accueil (Rea et Tripier, 2003: 12). La vie communautaire constitue, pour ces
auteurs, une étape nécessaire à l'assimilation. En effet, les pratiques d'entraide
entre immigrés polonais, le maintien de la langue d'origine, la concentration
géographique et l'existence d'un espace public propre sont autant d'éléments
qui permettent à la réorganisation de s'opérer (Rea et Tripier, 2003: 10).
Robert Park, lui aussi un des fondateurs de l'École de Chicago, analyse
quant à lui, les relations raciales selon un schéma cyclique. Selon ce cycle, la
première étape est la compétition, dont la description révèle l'influence de
l'évolutionnisme. Les individus entrent en compétition pour l'accès aux
ressources, principalement économiques, étant entendu que la compétition
économique est au principe de l'organisation de la société humaine. Park insiste
particulièrement sur le fondement économique de la compétition qui naît de la
liberté de commerce, de l'extension de l'économie monde et de la formation du
marché du travail. Au sein des nations, les individus entrent en compétition
pour acquérir de nouveaux biens. La matérialisation de cette étape du cycle
racial met en scène la compétition en matière d'emploi et·d'habitat.
La deuxième étape est celle du conflit. «La compétition prend la forme du
conflit ou de rivalité uniquement lorsqu'elle devient consciente, quand les
compétiteurs identifient les autres comme rivaux ou ennemis» (Park, 1921 cité
75
dans Réa et Trépier, 2003). Pour Park, la compétition est une interaction sans
contact social tandis que le conflit suppose le contact en,tre les individus et les
groupes d'individus.
La troisième étape, celle de l'accommodation, fait suite au conflit.
L'accommodation n'efface pas les antagonismes, mais elle suspend leurs effets
conflictuels. Le conflit, qui a mis en opposition des intérêts différents et a
changé les rapports de domination est suivi d'ajustements qui peuvent prendre
des formes diverses telles que le consensus, la régulation législative, l'adoption
de nouvelles normes (Rea et Tripier, 2003: 13). Pour Park et Burgess (1921),
l'assimilation est la dernière étape. Elle est toujours ce que l'on nomme le
«cœur du problème». La situation aux États-Unis se caractérise par l'inclusion
de nouvelles migrations volontaires et la création du creuset, terme repris à
Zangwill (1909). Selon ces auteurs, l'assimilation, quatrième étape, est un
processus d'interpénétration et de fusion dans lequel des personnes et des
groupes acquièrent la mémoire, les sentiments et les attitudes d'autres
personnes et groupes et, en partageant leurs expériences et leur histoire, sont
incorporés dans une vie culturelle conunune. L'école de Chicago est la
première à fournir des théories sur l'assimilation. Nous venons de voir que vers
1921, Park décompose le cycle des relations raciales en quatre étapes (la
compétition, le conflit, l'acconunodation et l'assimilation) qui mènent
inévitablement à l'assimilation des groupes minoritaires (Martiniello, 1995:
44). Quant à Milton Gordon (1964), il expose plus tard sept phases successives
du processus d'assimilation qui sont: 1) l'assimilation culturelle, 2)
structurelle, 3) maritale, 4) par identification à la société d'accueil, 5) grâce aux
attitudes réceptives de la société d'accueil, 6) grâce aux comportements
réceptifs de la société d'accueil, 7) absence de conflits de valeur et de pouvoir.
76
Pour les tenants de cette école de pensée, la théorie assimilationniste fait
généralement l'usage de concepts émanant de la psychologie sociale (processus
inconscient) et de l'anthropologie culturelle. Elle met également l'accent sur les
rapports sociaux et les interactions entre les individus (Beaud et Noiriel, 1989).
L'assimilation des groupes minoritaires est le corollaire d'une vie
collective reconstruite dans le pays d'accueil. Le succès de l'assimilation des
immigrants dans la société d'accueil est notamment tributaire de l'acceptation
des valeurs hégémoniques <<pour remplir les rôles et les emplois sécrétés par le
mainstream American» (Lacome, 1997: 247). Ce modèle, souvent qualifié de «
straight line», stipule qu'en s'imprégnant de la culture majoritaire de génération
en génération, le groupe se fond dans la société et, par la suite, peut plus
facilement accéder à la mobilité sociale (Waters, 1999: 193).
Le modèle de l'assimilation a longtemps été utilisé pour décrire les
trajectoires des immigrants. Sa remise en question se synchronise avec le débat
entourant le renouveau ethnique des années soixante et avec le nouveau visage
de l'immigration contemporaine (Rumbaut, 1997: 925; Glazer, 1993). Certains
affirment que ce modèle contient des connotations péjoratives en raison, entre
autres, de ses sous-entendus à l'égard de l'attitude passive des immigrants
(Martiniello, 1995). Pour d'autres, le modèle linéaire de l'assimilation ne colle
plus à la réalité des immigrants et ne parvient pas à expliquer les différentes
expériences vécues par les immigrants (Nee et Sanders, 2001; Waters, 1999;
Portes, 1996; Portes et Rumbaut, 2001). Aussi, on remarque que la mobilité
sociale des immigrants et de leurs enfants ne correspond pas directement à leur
capacité de s'américaniser.
77
2.1.2 Le concept de l'assimilation segmentée
Certains auteurs (Portes, Zhou, Alba et Nee) remettent en cause la théorie
classique de l'assimilation. Ces théoriciens démontrent que l'immigration
internationale provenant d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine est caractérisée
par une polarisation très grande en termes de revenu, d'éducation et de
formation professionnelle. Ce phénomène «induit plusieurs modes
d'incorporation dans des segments de la société américaine» (Labelle et
Marhraoui, 2001: 24). Des liens directs entre les modes d'incorporation des
jeunes de deuxième génération et la société d'accueil sont relevés. Pour exposer
la théorie de l'assimilation segmentée qui répond à certaines questions, nous
nous pencherons sur les travaux des auteurs Portes et Zhou (1993).
L'assimilation segmentée est un concept théorique servant à mieux
comprendre le processus par lequel les individus de deuxième génération
s'incorporent à l'intérieur du système stratifié de la société d'accueil.
Autrement dit, cette approche tente d'expliquer pourquoi un groupe s'incorpore
dans un segment de la société plutôt que dans un autre, comment ce processus
d'assimilation segmentée prend place et quels sont les différents résultats de
l'assimilation de groupes d'im.rr1igrants.
Portes et Zhou dénombrent trois modèles d'adaptation possible chez les
immigrants contemporains et leurs descendants:
«One of them replicates the time-honor,ed portrayal of growing acculturation and parallel integration into the white middleclass; a second leads straight into the opposite direction to permanent poverty and assimilation into underclass; still a third associates rapid economic advancement with deliberate
78
preservation of the immigrant community's values and tight solidarity» (Portes et Zhou, 1993: 82).
Le rôle que joue la société d'accueil est décisif dans le processus
d'assimilation des nouveaux arrivants et de leurs enfants. En effet, Portes et
Zhou affirment que «les relations entretenues entre le pays d'origine et le pays
d'accueil, la structure de l'économie et de la communauté ethnique établie sont
des facteurs déterminants» (Portes et Zhou, 1993: 83). Afin d'élucider les
divers résultats de l'assimilation segmentée, ces auteurs se penchent sur trois
caractéristiques spécifiques à la réalité des jeunes d'origines diverses. À la
lumière de leurs résultats, ils conviennent que la couleur de la peau,
l'établissement des familles dans les quartiers «d'immigrants» ainsi que la
structure actuelle de l'économie sont des facteurs qui peuvent désavantager les
enfants d'immigrants. Les jeunes de deuxième génération sont ainsi plus
vulnérables à la mobilité descendante par rapport aux jeunes immigrants
d'origine européenne d'avant 1965 qui, eux, profitaient d'un tout autre
contexte. Toutefois, ces auteurs affirment qu'il est essentiel de considérer
différents niveaux d'analyse qui influencent les modes d'incorporation. Ils en
distinguent trois:
1- la mise sur pied de certains programmes gouvernementaux;
2- l'opinion publique envers les minorités visibles;
3- les ressources morales et matérielles offertes (capital social) par la communauté ethnique (Portes et Zhou, 1993: 86).
De nos jours, dans un contexte d'assimilation segmentée, Portes et Zhou
croient que les enfants d'immigrants de descendance non européenne n'ont pas
nécessairement la possibilité de se tailler une place à l'intérieur de la classe
moyenne américaine. Selon eux, «remaining securely ensconced in their
coethnic community, under these circumstances, may be not a symptom of
79
escapism but the best strategy for capitalizing on otherwise unavailable material
and moral resources» (Portes et Zhou, 1993: 96). En d'autres termes:
La deuxième génération actuelle Issue de l'immigration internationale connaîtrait donc des voies diversifiées d'incorporation, résultat d'un processus d'assimilation segmentée. Certains groupes (ou segments de groupes) des jeunes de deuxième génération peuvent suivre le modèle antérieur d'assimilation et de mobilité ascendante au sein de la société globale. D'autres échouent dans leurs tentatives de s'intégrer dans l'économie dominante et subissent une mobilité descendante. D'autres enfin connaissent une mobilité ascendante en vivant et en travaillant dans des communautés immigrantes homogènes, bref des «enclaves ethniques» ou s'insèrent dans les niches économiques particulières. (Labelle, Salée et Frenette, 2001: 13).
C'est dans cet ordre d'idées qu'émerge le phénomène du «second
generation revoit» exposé par Perlmann et Waldinger (1997: 910). Cette
réaction ne serait pas uniquement engendrée par des facteurs exogènes
(discrimination raciale, situation économique précaire, etc.) mais aussi par des
facteurs endogènes inhérents à la migration «including premigration class
standing and the size and the nature of immigrant inflows» (Zhou, 1997: 979).
D'autre part, en regard de l'échec de certains groupes minoritaires, Zhou (2000)
affirme que le modèle de la compétition entre groupes pour l'obtention des
ressources économiques donne des pistes intéressantes pour comprendre la
réussite ou l'échec de ces groupes. En effet, la décroissance de la population
blanche dans certains secteurs d'économie profite aux minorités. Le modèle de
la «dual city» qui stipule que les minorités sont en périphérie de l'économie
blanche, mérite d'être nuancé. En effet, certains groupes minoritaires
deviennent ainsi le noyau de quelques secteurs économiques autour desquels
gravitent d'autres groupes subordonnés.
80
D'autres théoriciens (Waldinger, 1996; Lévesque et White, 1999)
s'intéressent à l'étude des réseaux sociaux en faisant la lumière sur les relations
qu'entretiennent les individus entre eux. L'analyse des réseaux sociaux se
penche plus particulièrement sur la force des liens établis, sur leurs contraintes
et leurs opportunités. Ces réseaux, notamment les réseaux ethniques, peuvent
être un atout ou un handicap selon qu'ils offrent à leurs membres les ressources
nécessaires pour accéder à la mobilité sociale ou non. De tels liens peuvent
faciliter l'incorporation économique. Le réseau représente une structure sociale
importante où l'on retrouve des sources d'information, du support ainsi que des
capitaux (Portes, 1995). La concentration géographique encourage le
resserrement de ces liens et, ainsi, le réseau social peut devenir le moteur de
l'économie ethnique, notamment parce que l'employeur a accès facilement à
une main-d'œuvre. Certains critiquent les avantages du réseau social, car pour
eux il constitue un facteur d'exclusion pour tous ceux qui ne font pas partie du
réseau ethnique. Le milieu, voire la communauté, peut devenir fermé
(Waldinger, 1996).
L'étude des réseaux sociaux nous amène à traiter brièvement du concept de
capital social. En effet, les définitions données par quelques auteurs de cette
notion nous amènent à concevoir le réseau comme faisant partie du capital
social disponible pour un groupe d'individus, une communauté ou une société.
Pour certains, le capital social est en lien avec la structure des relations sociales
entretenues entre les individus. Pour Bourdieu, «Le capital social comprend les
ressources actuelles ou potentielles liées à la possession d'un réseau stable de
relations plus ou moins institutionnalisées de connaissance et de reconnaissance
mutuelle, autrement dit liée à l'appartenance à un groupe» (cité dans Lévesque
et White, 1999: 27). Le capital social est un attribut de la structure sociale d'un
groupe ou d'une communauté. Même si beaucoup de chercheurs remarquent les
81
effets négatifs associés au capital social (par exemple, potentiel d'exclusion
présent dans les communautés fermées), ces derniers décèlent aussi sa capacité
d'être un <<instrument de développement» (Lévesque et White, 1999: 29).
Il ressort donc que le capital social, humain et les réseaux semblent exercer
une influence notable sur les diverses voies d'incorporation, en plus des
facteurs relevés par Portes et Zhou (1993) en rapport avec les jeunes
immigrants, à savoir la mise sur pied de certains programmes
gouvernementaux, une opinion publique favorable à l'égard des minorités
visibles et les ressources morales et matérielles disponibles dans la
communauté etlmique.
2.1.3 Les théories de l'ethnicité
Selon Marco Martiniello, «l'ethnicité constitue une des formes de
différenciation sociale et politique d'une part et d'inégalité structurelle, d'autre
part, dans la plupart des sociétés contemporaines» (1995 :35). Outre des
critères physiques et culturels, l' ethnicité renvoie à la formation de groupes
sociaux, pourvus qu'ils aient des interactions régulières. Vincent Geisser (1996)
pour sa part, insiste sur le fait qu'un groupe etlmique minoritaire se retrouve
généralement dans une situation sociale défavorable, parce qu'il manque de
«ressources sociales, économiques et politiques». Selon Barth (cité dans
Poutignat, 1999), les groupes ethniques renvoient à des questions
d'organisation sociale. La prise en compte de l'ethnicité passe donc
nécessairement par l'étude des relations etlmiques.
D'un autre côté, selon Poutignat et coll. (1999,1995) l' etlmicité est «une
forme d'organisation sociale, basée sur une attribution catégorielle qui classe
les personnes en fonction de leur origine supposée, et qui se trouve validée dans
82
l'interaction sociale par la mIse en œuvre de sIgnes culturels socialement
différenciateurs». Cette approche met l'accent sur le fait que l'ethnicité est «un
processus continu de dichotomisation entre membres et outsiders, demandant à
être exprimée et validée dans l'interaction sociale» (Poutignat et coll.,1999:
123).
La particularité de l'approche développée par Barth est de mettre l'accent
sur les aspects génératifs et processuels des groupes ethniques. Ces derniers ne
sont pas considérés comme des groupes concrets, mais comme des «types
d'organisation basés sur l'assignation et l'autoattribution des individus à des
catégories ethniques» (Poutignat et coll., 1999: 123). L'ethnicité est considérée
comme un processus organisationnel qui organise les attributions des catégories
du Nous et du Eux.
Martiniello distingue deux types de théories de l' ethnicité: les théories
naturalistes et les théories sociales. Les théories naturalistes considèrent
l'ethnicité au même titre que les besoins fondamentaux (par exemple, les
besoins d'ordre alimentaire), un aspect irÙ1érent à la nature humaine
(Martiniello, 1995: 29). De ce point de vue, les différences entre groupes sont
irréductibles et possèdent un caractère primordial. L'ethnicité trouve sa source
dans les gènes et le sang. La plus importante des théories naturalistes est la
théorie sociobiologique de l'ethnicité. Ces théories sont largement critiquées.
Qualifiée de réductionniste, cette approche rend intelligibles les théories
racistes du siècle dernier. L'ethnicité étant ancrée dans la nature même de l'être
humain, les conflits ethniques et raciaux deviennent, du même coup, des
«réalités naturelles» (Martiniello, 1995: 38).
D'un autre côté, les théories sociales maintiennent de nombreuses positions
dissemblables, mais convergent sur certains points. En effet, les théories
83
sociales se penchent principalement sur les facteurs sociaux pour expliquer les
phénomènes ethniques. Flexible et variable, l'ethnicité est perçue comme le
fruit de processus sociaux et politiques (Martiniello, 1995: 41). Frederick Barth
demeure un des grands penseurs de l'étude de l'ethnicité. Pour lui, l'ethnicité
est volontaire et relève principalement de l'environnement et des relations
sociales «En fait, les groupes ethniques sont des construits sociaux dont les
frontières sont rendues plus ou moins perméables par les membres d'autres
groupes» (Labelle, Legault, Marhraoui, 1993: 25).
Plusieurs concepts gravitent autour de la notion de l'ethnicité. L'identité est un
de ceux-ci. L'identité d'un individu est partiellement tributaire du regard que
les autres posent sur lui. L'identité comme nous l'avons indiqué précédemment,
est considérée comme étant <<une manière d'interagir, d'appartenir ou de
ressentir une appartenance à un groupe social, à une idéologie, à une manière de
vivre ou de penser» (Berger et Luckmann 1986, Taylor, 1992, Baugnet, 2001).
Nous verrons plus en profondeur les contours de ce concept dans les pages
suivantes.
2.1A Théories sur l'identité
Les théories de l'identité ont été étudiées depuis longtemps et sont
largement validées par l'observation et l'expérimentation. Commençons, alors,
par la théorie de Mead.
La plupart des recherches dans les sciences sociales se réfèrent à la théorie
de Mead sur l'identité et la constitution du Soi (Hijazi 2005). Elle présente un
concept du Soi comme inséparable socialement. Selon sa conceptualisation
théorique, le comportement social du sujet est la source de la conscience
individuelle. Mead considère que le Soi est constitué d'une composante
84
sociologique, «le Moi, qui ne serait qu'une intériorisation des rôles sociaux, et
d'une composante plus personnelle: le je» (Mead 1963: 148). C'est à travers
l'interaction dialectique entre le Je et le Moi, accompagné souvent par des
tensions, que le Soi apparaît, et par l'exercice des rôles, que les individus
construisent activement leur identité. Cette dernière est une synthèse entre les
normes sociales intériorisées et l'expérience persormelle acquise. Elle n'est pas
une substance, une structure, mais un processus. C'est le processus de
, communication sociale qui fabrique le Soi.
L'importance du travail de Mead, consiste en sa façon d'articuler le côté
psychologique et le côté social dans une dynamique identificatoire
d'intériorisation des attitudes où l'interaction et la communication sociale sont
inhérentes à la conscience du Soi. D'un autre côté, les auteurs De Gaulejac et
Taboada Léonetti (1994) soulignent qu'une des caractéristiques fondamentales
de l'identité est le besoin d'identification à un groupe. Toutefois, de
nombreuses études ont démontré l'effet dévastateur, sur le sens de l'identité des
individus, de l'incapacité de s'identifier à leur groupe d'origine. La
dévalorisation de l'image de soi est vécue comme une souffrance et les
individus en vierment à élaborer des stratégies pour diminuer ou éviter cette
souffrance. Sur ce point, Campeau et coll. (2004) distinguent quatre stratégies:
l)L'intériorisation de l'image négative. L'individu tente de ne pas se
faire remarquer.
2)Affronter activement la dévalorisation soit par l'agressivité ou en
suraffirmant son identité en valorisant le trait dévalorisé.
3)La stratégie assimilatiormiste. Il s'agit de renoncer à sa propre identité
et d'essayer de ressembler le plus possible au type dominant.
85
4) Le développement d'une identité critique, qui consiste à adopter des
traits de la culture dominante tout en conservant certains traits de sa
culture d'origine.
Les auteurs ajoutent finalement que « pour comprendre le choix de l'une
ou l'autre stratégie, il faut tenir compte de l'individu concerné et du contexte
particulier dans lequel il se trouve» (Campeau et coll., 2004 : 131).
Ainsi, le sentiment identitaire est généré par différents processus
sociocognitifs, il est susceptible de manipulation et de transfonnation, c'est
pourquoi il influence les comportements, tels que la participation sociale,
l'acceptation ou bien le rejet des autres qu'ils soient les membres de son groupe
d'appartenance ou d'autres.
En plus, pour Tajfe1 (1972), le besoin de se connaître soi-même exige que
le sujet abandonne son groupe d'appartenance, afin de faire des comparaisons
loin de l'intra groupe. Le besoin de se connaître, comparativement à ce qui est
au-dehors, encourage ainsi le sujet à aller explorer par-delà son groupe
d'adhérence des éléments auxquels se référer. Dans une optique conflictuelle, et
non consensuelle comme Festinger, M. Shérif, partant des recherches réalisées
sur le terrain, a élaboré un cadre théorique porté sur la compétition et la
coopération entre groupes. Il aborde le problème des relations inter-groupa1es
mettant en évidence l'interaction des membres d'un groupe en créant des
produits collectifs comme les nonnes, les stéréotypes, les valeurs. Il voulait
démontrer que le conflit entre groupes est indépendant d'éventuelles
dispositions névrotiques personnelles. Ce sont le conflit d'intérêt et la
compétition qui constituent les facteurs de la situation conflictuelle
intergroupes.
86
L'importance de ces recherches est considérable, «Shérif, en effet, n'est pas
seulement à l'origine des recherches expérimentales dans ce domaine; il a
proposé aussi un cadre théorique apte à rendre intelligible l'évolution des
relations compétitives ou conflictuelles entre groupes» (Doise, 1972: 195).
C'est également dans une optique conflictuelle que Moscovici (1979: 34)
accède à l'étude de l'influence sociale en termes de majorité/minorité. Ses
propositions théoriques découlent de trois questions:
1- Pourquoi et comment la majorité et la minorité sont-elles capables
d'exercer une influence?
2- Dans quelles conditions l'influence prend-elle la forme soit de
l'ilUlovation soit de la conformité?
3- Quelles sont les qualités qui, chez un individu, facilitent l'apparition
du changement dans le groupe et dans la société? (Moscovici, 1979).
Dans leurs travaux, Camilleri, VinsolUleau, Vasquez et Lipiansky optent
pour une définition consensuelle de l'identité. C'est une définition prenant
appui sur les différents travaux, et semble déterminer, selon les auteurs, le
cheminement de la réflexion à propos de l'identité. Ce consensus est basé sur
cinq points qui sont:
1-Aborder l'identité en partant d'une perspective dynamique selon laquelle l'identité est «considérée comme le produit d'un processus qui intègre les différentes expériences de l'individu tout au long de la vie» (Camilleri et Kastersztein, 1990: 22).
2- En abordant «l'interaction sociale», la persolUle doit dépasser le niveau interindividuel, en prenant en considération l'interaction sociale au niveau structurel ou superstructurel (la culture, les institutions, l'histoire, l'idéologie, etc.) En fait, les
87
auteurs accordent une importance considérable à l'interaction sociale en influençant la genèse et la dynamique identitaire.
3- L'identité est un tout multidimensionnel et structuré. Elle n'est pas un simple assemblage d'identités, mais ces identités sont assimilées dans un tout plus ou moins cohérent et fonctionnel.
4- L'acceptation de l'idée que le sentiment d'identité se distingue par l'unité et la continuité en dépit du caractère mouvant et changeant à travers le temps et les situations. Il s'agit de l'acceptation de «l'apparent paradoxe de l'unité diachronique d'un processus évolutif» (Camilleri et Kastersztein 1990: 23).
5- La dernière règle du consensus est l'approche de l'identité en termes de stratégies identitaires, c'est-à-dire, «l'idée que les individus et les groupes ont une certaine capacité d'action sur les choix de leur groupe d'appartenance et de référence» (Camilleri et Kastersztein 1990: 23).
Actuellement, les recherches tendent vers une séparation entre identité
psychosociale et identité collective. Les approches abordant l'identité collective
sont diverses et appartiennent à plusieurs disciplines. Pour les anthropologues,
l'identité collective est, principalement, une forme, voire une configuration qui
reflète les abstractions et les entités suprastructurelles telles que les institutions
socio-culturelles, la culture, l'idéologie.
Par ailleurs, des sociologues ont abordé l'identité collective en étudiant
l'individu pris dans les changements socioculturels rapides de notre époque. Le
concept fondamental ici, est l'acculturation, et les recherches se dirigent vers
l'étude des différents modes d'adaptation et d'intégration de nouveaux codes
interprétatifs. C'est ce que nous allons présenter avec la théorie de Camil1eri en
tant qu'apport fondamental aux études sur les rapports sociaux.
Soucieux de montrer l'influence du cadre culturel sur le comportement de
l'acteur social en situation d'acculturation, Camilleri a un rôle fondamental
88
dans la psychologie interculturelle francophone en essayant de montrer la
multitude des articulations possibles entre l'individuel et le social, autrement dit
entre le psychique et le culturel.
La relation d'enchevêtrement entre la culture et l'identité est le point de
départ adopté par Camilleri. Elle est le thème central de son approche
théorique, partant de la conviction que «l'importance de tout système culturel
pour l'individu se mesure au fait qu'il représente un enjeu central pour
l'ensemble de sa construction identitaire». (Camilleri, 1989: 363).
Le groupe socialise l'individu et l'individu s'identifie à lui. Mais en même
temps, ce processus permet à l'individu de se différencier et d'agir sur son
entourage. Pour l'individu, l'identité n'apparaît pas comme la juxtaposition
simple de rôles et d'appartenances sociales. Elle doit être conçue comme une
totalité dynamique, où ces différents éléments interagissent dans la
complémentarité ou le conflit. Il en résulte des stratégies identitaires par
lesquelles le sujet tend à défendre son existence et sa visibilité sociale, son
intégration à la communauté, en même temps qu'il se valorise et recherche sa
propre cohérence. Ces stratégies identitaires se vérifient par exemple dans les
comportements des immigrés à l'occasion de relations interculturelles,
analysées par Camilleri et Vinsonneau (1996). Pour les immigrants, la
construction identitaire est une dynamique incessante de confrontation aux
valeurs dominantes de la société d'installation et d'affirmation de leur propre
valeur individuelle. Face aux injonctions contradictoires entre culture d'origine
et la culture d'accueil, plusieurs attitudes sont observées. La majorité des
immigrants fuient la contradiction en adoptant la culture d'accueil. D'autres
attitudes, minoritaires, tentent de synthétiser les éléments culturels d'origine et
la modernité des pays d'accueil. Enfin, certaines attitudes, elles aussi
89
minoritaires, consistent à vivre une totale séparation entre une morale ancrée
dans les valeurs traditionnelles de la culture d'origine et la vie quotidienne.
L'identité se présente comme étant d'abord un processus narratif.
L'identité, selon Tap (1979: Il), «se construit dans la confrontation de
l'identique et de l'altérité, de la similitude et de la différence». Ce rapport
paradoxal est à la fois désir de ressemblance et besoin de différence. Il se
traduit par un «effort constant de différenciation, d'affinnation et de
singularisation, aussitôt limité par la tentative inverse d'affiliation,
d'appartenance et d'identification. Selon Giddens (1991), l'identité d'une
personne se trouve davantage dans sa capacité à garder vivant un certain
processus narratif, l'idée qu'elle se fait d'elle-même, que dans son
comportement réel. Cette même perspective est développée par Stoiciu (1997)
qui traite de l'identité de groupe comme une narrativité sur lui-même.
L'identité de l'acteur social pris dans son individualité est alors aussi une
narrativité sur lui-même. Cette narrativité peut se définir comme étant l'image
que l'acteur social a de lui-même qui, bien qu'en constante mouvance, lui
pennet de se reconnaître, de se définir et d'orienter sa conduite. Cette tension
pennanente dans la construction de l'identité qui place l'acteur social à la
frontière du nous et du eux (Lapeyronnie, 1999 :75), révèle le dynamisme du
processus, la gestion toujours inachevée et à poursuivre du changement et de la
continuité en fonction des conditions de vie et des rapports de pouvoir dans
lesquels l'acteur social, individuel ou collectif, s'inscrit. Quant à Waters
(1996), elle identifie un facteur important dans le sentiment d'appartenance à la
communauté d'origine et le choix identitaire des jeunes de la deuxième
génération qui se rapporte à l'implication des parents à l'intérieur de leur
communauté d'origine.
90
Les travaux de François Larose et Yves Lenoir (1995) proposent que
l'appartenance identitaire ne peut se saisir qu'en cernant les éléments qui la
fondent, ce qui se produit nécessairement par la compréhension des charges
affectives, cognitives et symboliques qui les induisent en traits marqueurs de
l'identification collective.
L'identité, disent les chercheurs (Tap, 1979 ; Lapeyronnie, 1988; Codol,
1984; Cohen-Émerique, 2002, 2008), est essentiellement un système de
représentation de soi, qui se vit non seulement dans un esprit de continuité, de
cohérence, mais aussi dans un esprit de stratégies d'adaptation en fonction des
changements sociaux, de trajectoires personnelles, de projets, d'étapes de vie.
L'identité de quelqu'un est très précieuse: la perte d'identité est synonyme
d'aliénation, de souffrance, d'angoisse et même de mort. Or, l'identité humaine
n'est pas donnée, une fois pour toutes, à la naissance: elle se construit dans
l'enfance et, désormais doit se reconstruire tout au long de la vie. L'individu ne
la construit jamais seul, elle dépend autant des jugements d'autrui que de ses
propres orientations et définitions de soi. L'identité est un produit des
socialisations successives. Il y a toujours d'ailleurs une pluralité d'identités des
sujets.
L'identité ethnoculturelle, quant à elle, renvoie à une histoire ou origine
commune qui est symbolisée par un héritage culturel. Cette identité ne couvre
cependant qu'un fragment de l'identité culturelle de l'acteur social. Substrat de
base, elle constitue les premiers fondements de l'identité de l'acteur social alors
qu'il n'y a qu'un nous commun qui nie toutes différences et qui présente un
visage unifié face à l'autre différent et étranger. Les composantes identitaires
relevant de l'identité ethnoculturelle se révèlent particulièrement stables.
Malgré cela, cette identité se modifie également à chaque génération. L'identité
91
ethnoculturelle «est le premier et le dernier retranchement qui fournit à l'acteur
social une sécurité psychologique de base» (Abou, 1986). Cette sécurité est
«nécessaire à l'acteur social pour qu'il puisse s'ouvrir au monde extérieur sans
avoir le sentiment de perdre son identité ou sa stabilité psychologique» (Abou,
1986: 209). Cette garantie de sécurité «pennet de lutter contre la peur de perte
de sens et de non-recormaissance actuelle et éternelle» (Abou, 1986 : 209).
C'est grâce à leur consistance encore réelle dans des sociétés
d'immigration que les identités ethnoculturelles représentent et signifient cette
possibilité de solidarité et de recormaissance. Cette identité repose en grande
partie sur l'appartenance à un groupe ethnoculturel. Un groupe ethnoculturel est
un ensemble minoritaire dans une société plus large qui est recormu comme un
groupe distinct par la société. Les membres de ce groupe se réclament d'une
histoire commune et participent à diverses activités dans lesquelles la culture et
l'origine communes sont signifiantes. Les pratiques partagées, répétées et
structurées du groupe en constituent la tradition. Cet héritage sert à fonner le
groupe et à lier entre elles les différentes générations. Outre le sentiment de
partager une histoire commune, le groupe ethnoculturel possède des institutions
communes et une structure sociale qui lui est propre (Williams, 1992). La
structure sociale du groupe ethnoculturel pennet à l'acteur social de répondre à
ses besoins socioculturels à l'intérieur de sa communauté. Le groupe pennet de
créer et de maintenir des réseaux d'entraide qui vont briser l'isolement et aider
au plan matériel.
2.1.5 La comparaison sociale
Plusieurs travaux intéressants pour nous se rapportent à la comparaison
sociale. Notre travail terrain nous a convaincu de l'importance de cette théorie
dans l'explication de nos dormées. Dans ce sens, Cerclé et Sonat (2002),
92
démontrent que le processus de comparaison sociale s'applique à la formation
d'opinion, et à l'appréciation, à l'évaluation des aptitudes personnelles de
l'individu. Cette théorie «insiste sur le besoin que nous ressentons d'utiliser les
autres comme source de comparaison afin d'évaluer nos propres attitudes et
capacités. Ce besoin est d'autant plus fort que nous sommes dans l'incertitude
quant au bien-fondé de nos croyances ou de nos opinions» (Cerclé et Sonat,
2002: 48). Ainsi, en l'absence de moyens objectifs non sociaux, on évalue ses
opinions et ses aptitudes en les comparant avec les opinions et les aptitudes des
autres. Les auteurs ajoutent que chez tout individu, il y a, aussi, une tendance à
déterminer la justesse ou la fausseté de ses opinions.
Signalons que la tendance à se comparer avec l'Autre décroît quand la
différence avec les autres s'accroît, tant pour les opinions que pour les aptitudes
(De La Sablonnière, 2007). D'ailleurs, l'auteure a remarqué que lorsqu'on
demande à des membres d'un groupe d'émettre une opinion personnelle sur un
sujet précis et que la plupart des membres du groupe d'appartenance sont en
accord avec eux, ils se voient renforcer leur confiance dans leur propre opinion
et il est très rare qu'ils en changent. Donc, l'identité peut être évaluée positive
ou négative selon les processus de comparaison sociale entre groupes
contribuant aux identifications ou à la construction identitaire de l'individu. En
réalité, avant l'apport de Tajfel (1972), les recherches, en général, ont abordé le
thème de l'identité comme étant le caractère de ce qui est identique. En fait, le
Soi ne serait qu'une intériorisation passive des attitudes sociales ou que tous les
individus seraient identiques et interchangeables. C'est avec les travaux de
Tajfel que l'identité, sur les plans individuel et collectif, est ancrée dans la
relation de l'individuel et du collectif, des personnes et de leurs groupes
d'appartenance et analysée en tant que construction de la différence (Hij azi,
2005). Alors, la question de la différence n'était pas prise en considération. La
93
dimension sociale et particulièrement l'interaction sociale est vue comme un
processus à l'origine de la conscience individuelle du soi composé du «Je» et
du «Moi» (De La Sablonnière, 2007:9).
Dans la même ligne d'idées, Tajfel nous reporte au mécanisme du rejet qui
selon lui, prend une signification importante si le groupe d'appartenance ne
renforce pas les aspects positifs de l'identité sociale de l'individu. C'est
pourquoi il l'abandonne, sauf s'il est impossible pour des raisons objectives,
donc, il va «réinterpréter différemment les attitudes du groupe de manière à ce
que les traits négatifs (par exemple un statut inférieur) puissent être alors soit
justifiés soit acceptés» (Tajfel, 1972: 293).
En adoptant une approche cognitive de la notion du groupe social, Turner
comme Tajfel- considère «qu'un groupe existe quand les individus intègrent
l'appartenance à une catégorie des personnes dans leur autodéfinition»
(Beauvois et coll. 1993: 284), et que les comparaisons sociales donnent
naissance à des processus de différenciation mutuelle entre groupes pouvant
être analysés comme une forme de compétition sociale.
Pour Turner, la compétition sociale est un concept qui désigne «la
compétition qu'utilisent les groupes pour essayer d'établir une différence
positive entre eux» (Turner, 1987 : 49). Ainsi, les individus auront tendance à
valOliser et à s'approprier les attributs de leurs classes d'appartenance au
détriment de ceux de classes de non-appartenance, spécialement quand leurs
catégories leur permettent d'accéder à une image identitaire positive.
Par conséquent, nous constatons que l'autofavoritisme intra-groupe et le
favoritisme de la catégorie d'appartenance tissent des rapports antagonistes, le
94
favoritisme du hors groupe n'existe qu'à condition que le statut de celui-ci soit
supérieur à celui du groupe d'appartenance (Deschamps et PerSOlll1aZ, 1979;
Sachdev et Bourhis, 1985, 1987, De La SablorulÎère, 2007). Donc, ces auteurs
considèrent que la recherche d'identité positive et la valorisation aboutissent, à
une comparaison et d'emblée à une compétition entre groupes sociaux et
alimente des attitudes discriminatoires.
2.1.6 Liens transnationaux
Depuis quelques décennies, les écrits sur la mondialisation occupent une
place importante dans la réflexion des chercheurs, politiciens et observateurs de
la scène économique, politique ou sociologique. L'analyse des échanges
transfrontaliers a été intensifiée et diversifiée. Toutefois, les liens sociaux tissés
par les individus et groupes qui émergent de la mondialisation ont été négligés.
Par liens transnationaux, on désigne à l'instar de Faist «les liens
qu'entretiennent de manière constamment renouvelée, des personnes, des
organisations, des réseaux dont l'activité transcende les frontières des États
nations» (~aist, 2000 :42, traduction libre). Ces liens transnationaux sont
entretenus par des migrants de longue date ou récerrunent arrivés au pays
d'accueil. Ces liens peuvent être tout aussi bien de nature informelle, tels que
ceux existant au sein d'un ménage ou d'une même famille, que fortement
institutionnalisés, corrune dans le cas d'un parti politique ou mouvement
religieux possédant des délégations dans plusieurs pays d'immigration et
d'émigration.
Le maintien de tels liens ne va pas de soi. Les États-nations ont d'ailleurs
longtemps misé sur leur affaiblissement. La notion de melting-pot corrune celle
d'intégration impliquaient que les populations irrunigrées finiraient tôt ou tard
95
par se fondre dans la culture majoritaire en dénouant leurs attaches avec leur
pays d'origine. S'il n'en a jamais été entièrement ainsi, les espaces sociaux
transnationaux trouvent un terrain particulièrement propice dans le contexte
contemporain. L'essor des technologies de la communication (satellite,
téléphone, internet) de même que le développement du transport de masse bon
marché (actuellement en péril) favorisent les interactions constantes entre des
persormes et des espaces culturels géographiquement distants. Il en est de
même des politiques libérales, la mise en avant des droits multiethniques ainsi
que de la lutte contre les discriminations, car elles encouragent le maintien
d'une pluralité d'identités. L'existence de discriminations culturelles et d'une
exclusion sociale et économique a paradoxalement le même effet en poussant
les migrants à se replier sur leurs attaches transnationales. Enfin, les États des
pays d'émigration jouent depuis quelques décermies un rôle favorable en
sollicitant les transferts monétaires, les investissements et le soutien politique
des migrants résidant à l'étranger. À ce sujet, nous nous demandons comment
les aînés libanais cultivent les espaces transnationaux.
En conclusion, il faut recormaître, au terme de cette section, notre
démarche qui a sous-tendu la problématique de l'identité chez les aînés
libanais de Montréal. Les études en sociologie de l'immigration ont d'abord
mis en évidence l'organisation individuelle et collective des migrants. La
problématique de l'intégration des immigrants et le rapport de force entre
groupes ethniques et politiques gouvernementales ont fait couler beaucoup
d'encre en sociologie de l'immigration. Sur les questions d'identités des
immigrants, beaucoup de recherches ont été réalisées dans le but de mieux
comprendre l'évolution de l'interaction entre position minoritaire et groupe
majoritaire. Plusieurs questions ont été soulevées.
96
Nous avons construit notre projet d'étude en lien avec les deux axes
suivants. Le premier axe consiste à comprendre l'expérience vécue dans le
pays d'origine. Sur ce point, deux dimensions seront approfondies, la première
portera sur les options identitaires dans le pays d'origine. Comment ces aînés
s'identifiaient-ils à leur société d'origine? La deuxième dimension porte portera
sur la société d'accueil. Quatre dimensions ont été retenues. La première
portera sur le lien que les répondants ont eu avec les institutions publiques. La
deuxième dimension portera sur l'accueil de la société hôte et l'intégration des
aînés. La troisième dimension portera sur le lien avec la communauté d'origine
et finalement, il sera question des options identitaires.
Nous avons mis en évidence les interrogations et les recherches entourant
la conceptualisation de nos concepts clés. Les concepts construits autour de
cette question nous renvoient en un premier temps, aux recherches sur
l'assimilation segmentée. Le premier concept remet en question le modèle
assimilationniste de l'école de Chicago. Sur ce point, nous retenons la position
de Portes et Zhou qui nous disent que «le contexte de la société d'accueil joue
un rôle décisif dans le processus d'assimilation des nouveaux arrivants et de
leurs enfants» (Portes et Zhou, 1993). En effet, Portes et Zhou affirment que les
relations entretenues entre le pays d'origine et le pays d'accueil, la structure de
l'économie et de la communauté ethnique établie sont des facteurs déterminants
dans l'incorporation des immigrants à la société d'accueil. (Portes et Zhou,
1993: 83).
Le concept de l'ethnicité a été abordé dans notre cadre théorique. Nous
pensons comme plusieurs auteurs, que la notion d'identité gravite autour de
celle de l'ethnicité. Dans ce sens, l'ethnicité «repose sur la production et la
reproduction de définitions sociales et politiques de la différence physique,
97
psychologique et culturelle entre des groupes dits ethniques qui développent
entre eux des relations de différents types (coopération, conflits, compétition,
domination, reconnaissance, etc.)>> (Martiniello, 1995: 18). L'auteur renchérit:
«Ce ne sont pas la différence et la substance culturelles ou biologiques
objectives qui fondent l'ethnicité, mais bien la perception de leur importance
pour les relations sociales, qu'elles soient «réelles» ou non» (Martiniello, 1995:
18).
Également, nous avons souligné que la notion d'identité est multiforme.
L'identité se présente comme étant d'abord un processus narratif. Si l'identité
est fondamentalement le résultat d'un processus individuel, elle est également
dépendante du processus de socialisation et donc, du rapport de pouvoir à
l'œuvre dans une société. Nous pensons que cette tendance universelle de
favoriser l'endo-groupe trouve sa source dans ce besoin d'évaluation positive
commun chez la majorité des individus et des groupes, afin d'augmenter leur
estime de soi et de préserver une image positive de leur « identité ».
Nous avons ainsi vu que l'identité sociale ou collective est conçue comme
étant la partie du sentiment du soi qui est directement dérivée de la conscience
de l'appartenance à des groupes sociaux, autrement dit, à une collectivité. Elle
renferme la totalité des représentations et des éléments symboliques partagés,
d'une façon consensuelle, de la part des adhérents au groupe. À ce propos
Moscovici dit: «l'identité sociale d'un individu est liée à la connaissance de
son appartenance à certains groupes sociaux et à la signification émotiOlmel1e et
évaluative qui résulte de cette appartenance» (Moscovici, 1984: 292). Ici, nous
remarquons que l'auteur propose une extension sociale autour de concepts qui
articulent l'identité et la comparaison sociale puisqu'il considère que l'individu
<<essaiera de maintenir son appartenance à un groupe et cherchera à adhérer à
98
d'autres groupes si ces derniers peuvent renforcer les aspects positifs de son
identité sociale». Bien entendu que Tajfel insiste sur l'idée que ces aspects
positifs «n'acquièrent de signification qu'en liaison avec les différences perçues
avec les autres groupes et avec leurs différences évaluatives» (Moscovici, 1984:
295).
Donc, il nous apparaît que la connotation positive ou négative de
l'appartenance à un groupe est inséparable de la comparaison sociale: le simple
besoin d'une estimation positive du soi devient, pour Tajfel, une exigence
d'adhérer à des groupes évalués positivement par rapport à d'autres groupes,
autrement dit, «l'identité sociale est la somme des relations d'inclusion et
d'exclusion par rapport aux sous-groupes constitutifs d'une société»
(Manço,1999: 143). Ce processus de comparaison sociale est à la base de la
formation d'opinion, et à l'appréciation, à l'évaluation des aptitudes
personnelles de l'individu (Cerclé et Sonat, 2002).
Nous avons ensuite mis l'évidence sur le concept du lien transnational.
Comme d'autres communautés culturelles, les aînés d'origine libanaise
effectuent des échanges dépassant les frontières. Nous allons voir que les
formes d'échanges sont diverses à cause notamment des technologies de la
communication et de la disponibilité des moyens de transport. Pour notre
recherche, nous nous intéressons à l'importance de ces liens et à leurs impacts
sur l'identité. Un lien déficient avec la société d'origine a-t-il un impact sur la
reconstruction identitaire ?
Face au foisonnement de théories, d'approches et de concepts, il s'agit
maintenant de préciser quels sont les éléments susceptibles de nous aider à
prendre une position. On peut, premièrement, considérer le caractère
99
relationnel plutôt qu'essentiel de la construction identitaire. Cela signifie que le
Nous se construit en fonction, et souvent en opposition à un autre. Il en découle
que l'identité ne peut se présenter que comme une représentation consciente où
fonctionnent des systèmes d'opposition.
Une deuxième caractéristique tient au caractère dynamique de l'identité
plutôt que statique qui peut changer selon les lieux et les temps. Le concept de
la comparaison sociale présenté par Cerclé et Sonat (2002) et De La sablonnière
(2007) est pertinent pour notre recherche. Nous croyons que l'identité se
structure en comparaison avec le groupe d'origine du Liban, la communauté
libanaise de Montréal et aussi avec le groupe majoritaire de la société d'accueil.
Nous croyons également que cette comparaison sociale se fait à travers des
liens transnationaux qui influencent la représentation sociale et par l'effet
même les options identitaires.
Le troisième élément qu'il faut retenir est que l'identité ne peut se définir
par elle-même, elle est toujours un produit des actes d'autres groupes. «Elle se
construit dans la relation entre catégorisation par les non-membres et
l'identification à un groupe ethnique» (Poutignat et coll., 1995: 155). Elle est
donc liée à une définition sociale.
Résumons notre position: Nous croyons que la proposition de Portes et
Zhou est pertinente, mais n'est pas complète pour comprendre les mécanismes
d'incorporation à la société d'accueil. D'autres approches viendront éclairer
notre travail. Nous pensons qu'un lien est à faire entre l'assimilation segmentée
(Portes et Zhou, 1993), le concept de comparaison sociale (Cerclé et
Sonat,2002) et les travaux de Camilleri portant sur les stratégies identitaires.
100
Nous verrons dans la section suivante la méthodologie de travail que nous
avons utilisée pour la cueillette et pour l'analyse des données.
2.2 Cadre méthodologique
Ce qui suit est consacré à la méthodologie de l'enquête et décrit la
démarche utilisée pour recueillir et analyser les données. Il se compose de
plusieurs sections: le cadre de l'entretien, les stratégies de repérage des
répondants, les modes d'analyse des données, les limites méthodologiques et le
portrait des répondants.
Compte tenu de la nature exploratoire qui, selon Gauthier (1996), permet
une description en profondeur de notre étude qui porte sur les options
identitaires des aînés libanais à Montréal et de nos objectifs fixés, nous avons
choisi une démarche qualitative. La principale caractéristique de la démarche
qualitative est de privilégier le point de vue des acteurs sociaux dans
l'appréhension des réalités sociales. Nous pensons que les aînés sont les mieux
placés relativement à l'explication et la à description de leur vécu et de leur
perception.
Nous avons mené notre enquête au moyen d'entrevues en profondeur, de
type semi-dirigé. Le but pour nous était de recueillir le plus possible de données
qui révèlent des informations sur les options identitaires des aînés. Afin de
cerner les options identitaires des aînés libanais que nous avons interviewés,
deux axes ont été privilégiées. Tout d'abord, nous nous sommes attardé sur
l'expérience vécue dans la société d'origine. Sur ce point, deux éléments ont été
approfondis, le premier a porté sur les options identitaires. Comment ces aînés
s'identifiaient-ils? Le deuxième examinait le projet migratoire. Quelle était la
101
raison de quitter le pays d'origine et comment ces aînés ont-ils quitté la patrie?
Leur expérience de la société d'accueil sera notre deuxième axe. A la manière
des travaux de Portes et Zhou (1993) qui accordent une importance capitale aux
rôles des politiques publiques, à l'accueil de la population de la société
d'accueil ainsi qu'à l'organisation de la diaspora dans l'incorporation ou
l'intégration des immigrants, nous avons approfondi quatre éléments que nous
avons reliés à ce deuxième axe:
1) l'expérience vécue par ces aînés des politiques publiques québécoises en
matière d'immigration et d'intégration,
2) leur expérience de l'accueil. Comment les aînés ont-ils perçu et vécu les
structures d'accueil et d'intégration?
3) leur regard sur la structuration de la communauté libanaise, nous les
interrogeons sur la communauté libanaise de Montréal. Quels sont les espaces
transnationaux utilisés par les aînés libanais de Montréal ?
4) les options identitaires choisies par eux.
Notre thèse se veut une étude de cas. Selon Roy, «l'étude de cas se penche
sur un nombre limité de sujets et ne prétend pas la représentativité de sujets»
(1997: 165). Toutefois, la force de l'étude de cas, nous rappelle l'auteure est
dans l'exploration des phénomènes nouveaux ou négligés. Ce qui est
manifestement le cas pour la population qui nous occupe.
Afin de conserver l'anonymat de toutes les persormes rencontrées, nous
avons énuméré les entrevues de façon à identifier les témoignages comme suit:
Répondant 1, Répondant 2, etc ..
102
2.2.1 Le cadre de l'entretien Les données recueillies pour les fins de cette recherche ont été effectuées à
Montréal sur une période de près de trois ans (à partir de l'été 2006 jusqu'à
l'hiver 2009). Notre objectif était de comprendre les options identitaires
choisies par les aînés d'origine libanaise. Nous nous intéressions déjà aux
relations interculturelles et aux phénomènes migratoires ayant travaillé auprès
des jeunes, auprès des familles en clinique transculturelle d'une manière
bénévole. Également nous sommes impliqué bénévolement dans des structures
de concertation locale au niveau d'un quartier et au sein du Conseil interculturel
de Montréal. Recueillir la parole d'aînés d'origine libanaise semblait être une
belle aventure à saisir.
Pour recueillir les informations nous avons opté pour un type d'entrevue
semi-dirigé. Ce type d'entrevue a permis une souplesse dans la formulation des
questions à partir des thèmes de l'entrevue. Nous avons élaboré nos questions
selon une trame générale relevant du récit, c'est-à-dire couvrant une linéarité
qui va de la naissance au temps présent. Toutefois, deux thèmes ont été
privilégiés et qui sont l'expérience de vie dans la société d'origine et
l'expérience de vie dans la société d'accueil. Pour le premier thème, nous avons
dégagé des sous-thèmes en lien avec la représentation de l'identité dans le pays
d'origine, le rapport à la citoyenneté, le lien à la famille, les événements
marquants et le projet migratoire et les motivations de départ. Pour le
deuxième, nous avons opté pour les sous-thèmes suivants: la perception des
institutions publiques, la réalisation de soi (le travail, les études, la liberté, le
rapport hommes/femmes), l'expérience de discrimination (en logement, en
emploi), le choc des valeurs (préservation des valeurs d'origine, éducation des
enfants) le lien avec le pays d'origine et la question du retour, les liens
intergénérationnels, et les options identitaires.
103
Nous avons utilisé des questions ouvertes et dont l'objectif en recherche
qualitative est, selon Deslauriers (1991) «de fournir un encadrement à
l'intérieur duquel les répondants exprimeront leur compréhension des choses
dans leurs propres termes».
2.2.2 Stratégie de repérage des répondants et critères de sélection
Compte tenu de l'importance et de la diversification des confessions
religieuses au Liban, notre échantillon est composé des aînés hommes et
femmes, représentant la diversification de l'appartenance religieuse. D'autres
critères ont été pris en considération comme la classe sociale, ainsi que la
période de la migration. Dans ce sens, nous avons interrogé des aînés d'origine
libanaise de première génération, mais de différentes périodes d'installation.
Nous savons, tel que mentionné dans le premier chapitre, que plusieurs périodes
composent les dates d'arrivée des Libanais selon les conjonctures politiques,
économiques et sociales. La première période d'immigration des Libanais date
du 1ge siècle. Il était impossible pour nous de considérer cette vague
d'immigration pour la raison d'âge. Pour cette raison, nous avons considéré les
deux autres périodes d'immigration des Libanais, c'est-à-dire la période de
1960 à 1970 et la période de 1980 à 2000. Dans notre corpus plusieurs aînés
hommes et femmes sont arrivés au Québec pendant la période 1960-1970. Ce
groupe était composé particulièrement d'étudiants et de membres de la
bourgeoisie chrétienne libanaise. Nous avons interrogé 12 personnes hommes
et femmes de ce groupe. Nous justifions ce chiffre par le faible poids
démographique de la communauté libanaise jusqu'aux années 1990.
D'autres aînés sont arrivés au Québec pendant la période correspondante à
la troisième vague migratoire, c'est-à-dire depuis les années de la guerre 1975
104
199017 . Durant cette période le nombre des membres de la communauté a
sensiblement augmenté, d'où la justification du nombre de 25 répondants de
différentes confessions. Pour tout le groupe de répondants, nous avons tenté
d'avoir une diversité suffisante d'aînés, hommes et femmes de différentes
religions (musulmans et chrétiens) et de classes sociales diversifiées
18permettant ainsi des dOIU1ées suffisantes et cohérentes. Nous avons interrogé
un total de 37 persoIU1es. Nous montrons dans le tableau qui suit la
représentation des répondants.
Tableau 8 : Paramètres de représentations des répondants
Personnes arrivées durant la deuxième
Sexe Religion Classe sociale vague migratoire ( 1960-1970)
12 personnes Hommes (6) Chrétiens Classe moyenne
Femmes (6) Chrétiennes Classe moyenne
Personnes arrivées Hommes (12) Chrétiens (6) Classe populaire (3) durant la troisième Classe moyenne (3) vague migratoire (1980-1995). Musulmans (6) Classe populaire (3)
Classe moyenne (3)
25 personnes. Femmes (13) Chrétiennes (7) Classe populaire (4) Classe moyenne (3)
Musulmanes (6) Classe populaire (3) Classe moyenne (3)
17 Même si la guerre est terminée en 1990, des Libanais continuent à affluer vers le Canada jusqu'à aujourd'hui. 18 Nous avons utilisé la catégorisation sociale utilisée par Dubar et Nasr (voir page 53) qui renvoie à trois classes sociales: la classe dirigeante, la classe moyenne et la classe populaire. Pour les [ms de notre études, nous avons choisi deux catégories de classes sociales qui sont les suivantes: la classe moyenne et la classe populaire en raison de l'absence ou sinon le peu de représentation la de classe dirigeante parmi les irrunigrants libanais.
105
Afin de recruter nos répondants, nous avons établi des contacts dans
différents milieux (services SOCIaux et de santé, éducation, réseau
confessionnel, professionnel). Avec l'aide des représentants religieux, de
représentants de services particuliers conune un propriétaire d'un salon de
coiffure, d'intervenants dans des centres d'hébergement pour personnes âgées,
nous avons réussi à avoir une diversité de répondants de la conununauté
libanaise totalisant 25 répondants. Le choix de notre population s'est fait auprès
de personnes qui étaient en mesure de livrer un témoignage lucide sur leur
vécu. Nous nous sommes d'abord présenté avant chaque entrevue, ensuite nous
avons présenté les grandes lignes de la recherche, les objectifs et la
méthodologie de travail. Nous avons assuré à chaque répondant la
confidentialité de ses propos.
Cela dit, les entretiens approfondis ont été d'une durée moyenne de deux
heures chacun. Le lieu de l'entretien a été la résidence de la personne
participante: sa maison familiale, la maison de l'un de ses enfants, ou autres. La
population que nous avons étudiée était composée de personnes âgées de 65 ans
et plus, d'origine libanaise et arrivées au Québec depuis près de 10 ans 19. La
majorité des entrevues ont été conduites en arabe. Seulement deux entrevues
ont été conduites en français et une en anglais et arabe. Notons que toutes les
personnes étaient, lors de l'entrevue, autonomes dans leur vie au quotidien.
2.2.3 Modes d'analyse des données
L'analyse des données a été réalisée pendant et après la cueillette de
l'information. D'abord, les entrevues ont été transcrites dans la langue de
l'entrevue (arabe, anglais ou français) puis traduites si nécessaire. La majorité
19 Nous pensons qu'une période de 10 ans est suffisante pour comprendre les enjeux reliés à l'environnement social de la société d'accueil.
106
des entrevues ont été réalisées dans la langue d'origine des répondants. Notre
maîtrise de la langue nous a aidé à saisir la complexité de la construction
identitaire des répondants. L'utilisation de la langue d'origine est importante
car elle «structure l'individu, lui fournit les manières d'être et de penser pour
pouvoir vivre dans sa société; elle est aussi une contrainte dans la mesure où le
sujet n'a pas le choix» (Lecomte et coll. 2006 :20). Ces auteurs ajoutent au
sujet de la langue:
«Une langue n'est pas seulement un mode de communication. C'est un ensemble de représentations, de symboles, de rituels. Le discours contient des valeurs traditionnelles, des notions de temps et d'espace, des systèmes de compréhension et d'interprétation du monde. Il articule l'expérience sensible et renferme tous les éléments culturels qui permettent de construire un sens.» Lecomte et coll. (2006 :2).
La transcription a été produite d'une façon à nous fournir un matériel clair,
complet et significatif. Pour chaque entrevue, nous avons ensuite procédé à
plusieurs lectures. La méthode que nous avons choisie est celle de l'analyse
thématique. Cette méthode s'applique particulièrement bien à notre projet
puisque dans l'analyse thématique, expliquent Quivy et Campenhoudt (1988 :
29), «seuls les aspects formels de la communication sont considérés comme des
indicateurs de l'activité cognitive du locuteur, des significations sociales ou
politiques de son discours ou de l'usage social qu'il fait de la communication».
De fait, ajoutent ces auteurs, cette méthode offre la possibilité de traiter, de
manière méthodique, des informations et des témoignages qui présentent un
important degré de profondeur et de complexité. Ensuite est venue l'étape de la
codification qui a consisté à traiter l'information et à découper le matériel en
unités de sens et d'assigner un code à chacune. À la troisième étape, nous avons
procédé à la catégorisation du matériel et donc au regroupement des unités de
107
sens en diverses catégories. Finalement, nous avons procédé à l'analyse et à
l'interprétation des données.
Toutes ces étapes ont été effectuées après chaque entrevue. Nous avons
classifié et organisé les données de chaque entrevue à partir du cadre d'analyse
qui fournit les thèmes principaux; d'autre part, des thèmes nouveaux ont
émergé du travail de repérage. Ensuite, les catégories ont été remises en
question, révisées et réajustées jusqu'à ce qu'elles atteignent un degré
satisfaisant de clarté, de pertinence et de cohérence en regard du sujet traité: les
options identitaires des aînés en contexte migratoire.
2.2.4 Limites méthodologiques
Les différentes décisions choisies en lien avec la démarche d'enquête
comportent des limites et des écueils qu'il importe de mentionner.
Premièrement, la population libanaise de Montréal était estimée à quarante trois
mille personnes, il est évident que nous ne pouvons prétendre que cette enquête
reflète fidèlement toutes les modalités entourant la dimension identitaire des
aînés de la conununauté libanaise. Deuxièmement, l'entretien semi-dirigé a le
mérite de favoriser le développement de thèmes importants aux yeux du
locuteur qui, autrement, auraient été laissés de côté par le chercheur. Par contre,
cette approche peut également poser des problèmes au chercheur parce qu'il
appréhende le répondant en tant qu'acteur: ce dernier peut être tenté de projeter'
une image personnelle positive au détriment de la réalité. Un autre écueil qui
semble être présent, porte sur les difficultés à appréhender des aînés de notre
conununauté. Souvent les répondants sont méfiants par rapport à la
confidentialité des informations. Cependant, il nous semble que notre présence
dans cette conununauté jointe à une expérience d'intervention dans cette même
communauté a diminué considérablement ce risque.
108
2.2.5 Le portrait des répondants
À partir d'une vingtaine de questions fermées accompagnant les entrevues,
il nous est possible de décrire les principales caractéristiques définissant les
répondants. Notre échantillon composé de 37 personnes regroupe 18 femmes et
19 hommes dont l'âge des femmes oscille entre 65 ans et 74 ans et celui des
hommes entre 65 ans et 82 ans. Les répondants parlent majoritairement l'arabe
au quotidien du fait qu'ils sont de la première génération et sont tous nés au
Liban. Toutefois, deux répondants nous ont livré un témoignage en français et
un troisième en arabe et en anglais. Presque tous les répondants sont encore
mariés 20et ont des enfants qui vivent à Montréal et ailleurs soit dans le pays
d'origine ou dans une autre province du Canada. Les hommes sont plus
scolarisés que les femmes. Les hommes et les femmes ont occupé des emplois
diversifiés au Liban et au Québec.
Portrait sociodémographique des répondants
Nous présentons dans ce qui suit un bref portrait sociodémographique des
répondants. Nous avons également regroupé les données sous forme de
tableau à l'annexe 3.
La répondante 1 est arrivée à Montréal en 1990. Elle est née au Liban. Elle a
67 ans actuellement. Habite NDG. Elle parle l'arabe et peu le français. Au
Liban, elle était femme au foyer. Elle est de confession orthodoxe et a vécu
dans un quartier populaire de Beyrouth. Elle était veuve avant d'arriver à
Montréal. Elle a la citoyenneté canadienne. Elle a trois enfants dont deux
vivent à Montréal. Elle a travaillé à Montréal à la fruiterie de son fils.
20 À l'exception d'une répondante qui est séparée, trois autres répondantes sont veuves et un autre répondant est veuf.
109
La répondante 2 est arrivée à Montréal en 1989. Elle est née au Liban. Elle a
65 ans. Elle habite à l'arrondissement Ahuntsic. Elle parle l'arabe et peu le
français. Au Liban, elle était femme au foyer. Elle est séparée de son mari au
Canada. Elle a 2 fils et 2 filles qui vivent à Montréal. Elle a travaillé dans le
domaine du commerce à Montréal. Elle est de confession maronite et a vécu
dans un village du Liban Sud.
Le répondant 3 est arrivé à Montréal en 1999. Il est né au Liban. Il a 72 ans. Il
habite à l'arrondissement st-Laurent. Il parle arabe. Au Liban, il était
militaire. Il est marié et a trois enfants qui habitent à Montréal. Il est maronite.
Il n'a jamais travaillé à Montréal.
La répondante 4 est arrivée à Montréal en 1988. Elle est née au Liban. Elle a
74 ans. Elle parle l'arabe et le français. Elle a fait des études pré-universitaires
au Liban. Elle n'a jamais travaillé au Liban ni à Montréal. Elle est mariée et a
deux enfants qui habitent à Montréal. Elle est de confession maronite et a
vécu à Beyrouth.
Le répondant 5 est arrivé en 1976 à Montréal. Il est né au Liban. Il a 76 ans. Il
parle l'arabe et le français. Il n'a aucun diplôme. Il a travaillé dans la
restauration et dans le commerce au Liban. À Montréal, il est propriétaire de
son restaurant. Il est de confession maronite et a vécu à Beyrouth. Il est marié
et il a deux enfants.
Le répondant 6 est arrivé à Montréal en 1996. Il est né au Liban. Il a 66 ans. Il
parle l'arabe, le français et l'anglais. Il a travaillé comme enseignant au Liban.
À Montréal, il a travaillé dans la restauration. Il est de confession chrétienne
orthodoxe. Il est marié et il a trois enfants.
110
Le répondant 7 est anivé à Montréal en 1996. Il est originaire de Beyrouth, il
a 65 ans. Il parle l'arabe. Il était militaire au Liban. Il est marié et il a deux
enfants, dont une fille qui vit à Beyrouth. Il est de confession chiite. Il habite
avec son épouse à Montréal-Nord.
Le répondant 8 est anivé à Montréal en 1992. Il est originaire du Liban-Sud, il
a 85 ans. Il parle arabe. Il a travaillé dans la construction. Il est veuf et a 4
enfants à Montréal. Il est de confession chiite. Il n'a jamais travaillé à
Montréal. Il habite chez sa fille à Montréal-Nord.
Le répondant 9 est anivé à Montréal en 1968. Il est né au Liban. Il a 66 ans. Il
est retraité. Il parle l'arabe, l'anglais et le français. À Montréal, il a enseigné à
McGill. Il a 1 enfant qui vit à Montréal. Il est de confession maronite. Il habite
avec sa famille à Pierrefonds.
Le répondant 10 est anivé à Montréal en 1992. Il est né au Liban. Il a 70 ans. Il
parle l'arabe. Il était chauffeur de taxi et chauffeur de camion au Liban. Il est
marié et a 5 enfants dont 2 vivent à Montréal, 2 aux États-Unis et une fille au
Liban. Il est de religion maronite. Il n'a jamais travaillé à Montréal. Il habite
avec son épouse en appartement dans l'arrondissement st-Laurent.
Le répondant Il est anivé à Montréal en 1996. Il est né au Liban. Il a 83 ans. Il
parle arabe. Il était un chef syndicaliste. Il était membre du parti communiste. Il
est marié et il a 3 enfants à Montréal. Il était maronite et a changé de religion
pour les témoins de Jéhovah. Il n'a jamais travaillé à Montréal.
111
La répondante 12 est arrivée à Montréal en 1967 comme étudiante. Elle est née
au Liban. Elle parle l'arabe et le français. Elle n'ajamais travaillé au Liban. Au
Québec, elle était enseignante et ensuite directrice dans un collège. Elle a 66
ans. Elle est chrétienne catholique romaine.
La répondante 13 est arrivée en 1990. Elle a 69 ans. Elle parle l'arabe et le
français. Elle était enseignante en art plastique et en théologie. Elle est mère de
3 enfants à Montréal. Elle habite avec son mari. Elle ne travaille pas à
Montréal. Elle fait du bénévolat à l'église. Elle est de confession maronite.
La répondante 14 est arrivée en 1984. Elle a 76 ans. Elle parle l'arabe, le
français, l'espagnol, l'arménien et le turc. Elle était directrice d'un département
de travail social dans une université au Liban et elle était travailleuse sociale à
Montréal. Elle habite avec son mari et n'a pas d'enfants. Elle est de confession
chrétienne orthodoxe.
Le répondant 15 est arrivé en 1994. Il a 81 ans. Il parle arabe. Il est né à
Beyrouth. Il était commerçant au Liban. Il n'a jamais travaillé à Montréal. Il
habite avec son épouse. Il est musulman sunnite. Il a deux enfants, dont un à
Montréal et l'autre aux États-Unis.
Le répondant 16 est arrivé à Montréal en 1958. Il a 73 ans. Il parle l'arabe et le
français. Il est né au Liban Nord. Il a travaillé au Liban comme enseignant. À
Montréal, il a travaillé comme professeur à l'université après avoir terminé ses
études supérieures. Il a quatre enfants à Montréal. Il habite dans l'ouest de la
ville. Il est de confession maronite.
112
La répondante 17 est arrivée à Montréal en 1988. Elle a 71 ans. Parle arabe et
français. Née à Beyrouth. Elle n'a jamais travaillé au Liban. Elle a travaillé
dans une épicerie à Montréal. Elle habite à l'arrondissement st-Laurent. Elle a 3
enfants à Montréal et a des petits enfants. Elle est de confession sunnite.
La répondante 18 est arrivée à Montréal en 1992. Elle a 69 ans. Parle arabe.
Elle est née à Beyrouth. Elle a deux enfants. Elle habite avec sa fille à
l'arrondissement st-Laurent. Elle est de confession chiite. Elle est veuve. Elle
n'a jamais travaillé au Liban ni à Montréal.
La répondante 19 est arrivée à Montréal en 1997. Elle a 66 ans. Elle parle
l'arabe. Elle habite avec son mari en appartement à l'arrondissement st-Laurent.
Elle a un fils aux États-Unis et une fille à Montréal. Elle a travaillé dans le
commerce au Liban. Elle travaille dans un restaurant à Montréal. Elle est de
confession maronite.
La répondante 20 est arrivée à Montréal en 1977. Elle a 69 ans. Elle parle
l'arabe, le français et l'anglais. Elle habite avec son mari à l'arrondissement
Ahuntsic. Elle n'a jamais travaillé au Liban. Elle est venue à Montréal pour les
études. Elle a travaillé comme comptable dans une compagnie à Montréal. Elle
est de confession chiite.
Le répondant 21 est arrivé à Montréal en 1960. Il a 79 ans. Il parle l'arabe, le
français et l'anglais. Il habite à Outremont. Il est venu à Montréal pour travailler
corrune ingénieur. Il a trois enfants qui n'ont pas connu le Liban. Il est de
confession sunnite.
113
La répondante 22 est arrivée à Montréal en 1996. Elle a 67 ans. Elle parle
l'arabe. Elle habite à l'arrondissement st-Laurent. Elle habite avec son mari dans
un appartement. Elle n'a jamais travaillé à Montréal. Elle a 2 enfants. Elle est
de confession sunnite.
Le répondant 23 est arrivé à Montréal en 1994. Il a 71 ans. Il parle l'arabe. Il
habite à Montréal-Nord avec son épouse. Il était commerçant au Liban. Il n'a
jamais travaillé à Montréal. Il est de confession chiite.
Le répondant 24 est arrivé à Montréal en 1995. Il a 65 ans. Il parle l'arabe. Il
était restaurateur au Liban. Il a travaillé dans une boulangerie à Montréal. Il
habite avec son épouse à l'arrondissement st-Laurent. Il est de confession
maronite.
Le répondant 25 est arrivé à Montréal en 1996. Il a 73 ans. Il parle arabe. Il
travaillait dans la construction au Liban. Il n'a jamais travaillé à Montréal. Il a
trois enfants à Montréal. Il habite avec son épouse chez leur fille. Il est de
confession druze.
La répondante 26 est arrivée à Montréal en 1990. Elle a 67 ans. Elle parle
l'arabe, le français et l'anglais. Elle a travaillé dans une grande chaîne de
vêtements à Montréal. Elle habite avec son mari dans l'arrondissement Lasalle.
Elle est de confession maronite.
La répondante 27 est arrivée en 1989. Elle a 65 ans. Elle parle l'arabe. Elle
habite dans l'arrondissement st-Laurent avec son mari. Elle a deux enfants dont
un à Toronto. Elle était propriétaire d'un dépanneur. Elle est de confession
sunnite.
114
La répondante 28 est arrivée à Montréal en 1970. Elle a 72 ans. Elle parle
l'arabe et le français. Elle habite à Laval depuis 5 ans chez sa fille. Elle est
veuve. Elle était enseignante à la CSDM. Elle est de confession maronite.
Le répondant 29 est arrivé à Montréal en 1969. Il a 78 ans. Il parle l'arabe,
l'anglais et un peu le français. Il habite avec son épouse. Il a travaillé dans le
commerce des vêtements à Montréal. Il est de confession sunnite.
Le répondant 30 est arrivé à Montréal en 1995. Il a 69 ans. Il parle l'arabe. Il
habite dans l'arrondissement st-Laurent avec son épouse. Il a un enfant à
Montréal. Il a travaillé dans le commerce au détail. Il est de confession chiite.
La répondante 31 est arrivée à Montréal en 1989. Elle a 73 ans. Elle parle
l'arabe et le français. Elle habite à l'arrondissement Mont-Royal dans un
appartement, seule. Elle a travaillé dans une boulangerie. Elle est veuve et a
deux enfants. Elle est de confession maronite.
La répondante 32 est arrivée à Montréal en 1992. Elle a 69 ans. Elle parle
l'arabe et le français. Elle habite à Ahuntsic. Elle a deux filles à Montréal. Elle
est propriétaire d'une épicerie. Elle est de confession maronite.
La répondante 33 est arrivée à Montréal en 1976. Elle a 70 ans. Elle parle
l'arabe et le français. Elle était directrice d'une pharmacie au Liban. Elle a
travaillé dans une compagnie pharmaceutique à Laval. Elle habite à Laval. Elle
est veuve. Elle a trois enfants, dont un fils au Liban. Elle est de confession
maronite
115
Le répondant 34 est arrivé à Montréal en 1995. Il a 68 ans. Il parle l'arabe et le
français. Il était ophtalmologue au Liban. Il a une lunetterie à Montréal. Il
habite dans l'arrondissement st-Laurent avec son épouse. Il est de confession
maronite.
Le répondant 35 est arrivé à Montréal en 1992. Il a 69 ans. Il parle l'arabe et le
français. Il était enseignant d'histoire au Liban. À Montréal, il travaille dans un
journal arabe. Il habite dans l'anondissement st-Laurent. Il est de confession
maronite.
Le répondant 36 est arrivé à Montréal en 1993. Il 67 ans. Parle arabe et
français. Il a travaillé dans la construction au Liban. À Montréal il était vendeur
dans une épicerie. Il habite avec sa femme à Pienefonds. Il a 4 enfants dont
deux vivent à l'étranger. Il est de confession sunnite.
La répondante 37 est anivée à Montréal en 1982. Elle a 71 ans. Elle habite à
Pienefonds avec son mari. Elle a travaillé dans une banque au Liban. À
Montréal, elle a travaillé dans une banque. Elle a deux enfants qui vivent à
Montréal. Elle est de confession catholique romaine.
116
CHAPITRE III
LIENS SOCIAUX, OPTIONS IDENTITAIRES DANS LA SOCIETE
D'ORIGINE ET PROJET MIGRATOIRE
La guerre du Liban n'aura rien épargné: l'infrastructure, l'économie, l'unité nationale, la joie de vivre ... La reconstruction du pays est une illusion: un vase brisé dont on recolle les morceaux porte à jamais ses telures. Je me souviens de nuits épouvantables illuminées par le feu des incendies, du fracas assourdissant des obus, du sifflement des balles des francstireurs ; je revois les morts qu'on transporte dans des sacs-poubelles, les blessés qu'on entasse dans les ambulances, les réfugiés qui donnent dans les stationnements, les voitures piégées, les bâtiments dévastés, les vitres étoilées et les barricades; je peux encore sentir l'odeur du sang, de la poudre, de la poussière ... Et je me demande comment et pourquoi j'en suis sorti indemne, encore que l'on ne sorte jamais tout à fait indemne d'une telle épreuve.
Alexandre Najjar21
Nous avons présenté dans l'introduction l'objet et les objectifs de notre
recherche en privilégiant deux axes qui nous aideront à mieux saisir la
complexité de la dynamique identitaire. Le premier axe portera sur l'expérience
de vie dans la société d'origine. Nous avons dégagé deux dimensions en lien
premièrement avec la construction identitaire et la deuxième dimension portera
21 Extrait du roman Najjar, Alexandre. 2006. Le silence du ténor. Paris: Plon.
sur le projet migratoire. Les deux prochains chapitres exposent essentiellement
les résultats obtenus à partir des entrevues réalisées avec les aînés libanais
composant notre échantillon. Chacun de ces chapitres est délimité en fonction
de ses dimensions respectives.
Dans cette recherche sur la reconstruction identitaire des aînés d'origine
libanaise, nous avons estimé que le meilleur point de départ était de connaître
comment les répondants se définissaient dans le pays d'origine. La première
question de notre entretien portait sur la définition de soi au Liban.
Nous avons obtenu des réponses multiples à cette question complexe.
L'identité et la définition de soi dans un pays qui a vu ses frontières se dessiner,
se développer et s'altérer depuis le début du XVIIe siècle n'est pas simple. Qui
sommes-nous? Des Phéniciens? Des Turcs? Des Syriens? Des Arabes? Des
Orientaux à tendance occidentale? Des Libanais? Des chrétiens? Des
musulmans? Que d'interrogations qui nous font plonger dans les méandres de
cette dynamique complexe qu'est la définition du soi et de l'identité, entre
autres, quand il s'agit de donner un contenu à l'expression «Libanais». Les
récits des aînés reflètent cette complexité et cette pluralité. Le discours
d'origine est multiple.
Les récits recueillis, reliés aux expériences de la VIe dans la société
d'origine, portent sur plusieurs thèmes et sous-thèmes: les liens sociaux
(urbanité, ruralité), la parenté, les rapports avec la sphère religieuse, les
événements marquants (la guerre, la situation économique). L'identité des
Libanais avec lesquels nous nous sommes entretenus se décline comme une
articulation des appartenances familiale, nationale, locale et confessionnelle.
118
3.1 La famille: un noyau central
Les études sur la famille libanaise ne sont pas abondantes. Elles
apparaissent trop souvent sous l'angle de la famille arabe, monolithique et
statique. Dans le cas du Liban, la plupart des études remontent à la période
d'avant la guerre civile. L'angle souvent utilisé dans les études historiques et
anthropologiques est marqué par la perspective occidentale du modèle familial.
Ce qui a pour effet, selon Le Gall (2001), de sous-estimer la force des relations
familiales. Les travaux de Fargues (1986) démontrent bien que la famille
nucléaire, modèle le plus fréquemment pratiqué, revêt une spécificité qu'il ne
faut pas négliger et qui n'équivaut pas à l'idéologie de la famille nucléaire
occidentale. Même si la famille nucléaire semble isolée, même si les membres
d'une famille élargie ne vivent pas ensemble ou proche du même lieu de
résidence, des liens solides persistent entre eux. Une autre caractéristique de la
structure familiale réside dans sa centralité. Cette importance de la structure
familiale, nous l'avons observée dans le discours des répondants. D'ailleurs, la
majorité d'entre eux ont quitté le pays d'origine afin de suivre les enfants.
«Ce qui m'a poussé à quitter c'est le départ de mes enfants, moi je voulais rester, par contre, mes enfants en avaient assez. Et lorsqu'ils ont quitté, moi je n'étais plus capable de rester. Je suis partie après» (Répondante 37).
«J'habite à côté de ma fille à deux rues d'ici, mais on est toujours chez elle, ma femme s'occupe beaucoup de ses enfants» (Répondant 2).
«Le Liban pour moi c'est beaucoup d'entraide, la famille, beaucoup de voisins» (Répondante 1).
«Au Liban, je me considérais comme Libanais, et comme père de famille» (Répondant 34).
119
«Après la guerre des deux ans22, je suis retourné à Beyrouth,
ma famille est allée dans l'autre côté de Beyrouth et comme ça jusqu'à ce que ma fille et ensuite mon fils ont quitté et ils sont venus ici. Moi je suis allé au village avec ma femme et les petits. Quelques années plus tard on a commencé à faire nos papiers et on est venu ici» (Répondant 23).
«J'étais une mère, c'était seulement mes enfants, Je me définissais à travers la maternité» (Répondante 2).
Le lien entre les membres de la famille est évoqué par Sarah Joseph dans
ses études sur la famille libanaise par le terme de connectivité. Selon l' auteure,
la connectivité du lien qui rattache l'individu à son groupe familial désigne les
relations à l'intérieur desquelles les frontières du soi d'un individu sont
relativement fluides. L'individu demeure responsable vis-à-vis la famille et lui
accorde la priorité (Joseph, 1993).
L'analyse des données recueillies sur la perception de l'identité des aînées
révèle l'importance accordée à la maternité. Être femme se construit à travers la
maternité. Les enfants font partie du projet de vie de ces femmes. Les propos
de cette répondante sont éclairants quant à l'importance du projet familial:
«J'étais une mère, c'était seulement mes enfants. Je me définissais à travers la maternité, je voulais que mes enfants réussissent.... J'étais une mère. La femme au Liban se définissait par sa maternité. J'envoyais mes enfants dans des écoles privées. J'ai eu des moments difficiles au Liban» (Répondante 2).
22 La guerre de deux ans réfère au début de la guerre. La période allant de 1975 jusqu'à 1977.
120
3.2 Pluralité des identités des sujets
A partir de la narration sur les ongmes, on retrouve pêle-mêle des
paramètres liés à la religion, à la classe sociale, à l'influence nationaliste et à la
localité. Ils influencent conséquemment la construction identitaire. Les aînés
parlent d'une identité libanaise, d'une influence française, d'une identité locale,
ou villageoise, d'une identité religieuse et familiale. Rappelons un élément
important: tous les répondants sont issus de la période précédant la naissance
géographique, politique et juridique du Liban actuel. À cette époque (années 20
et 30), le Liban sortait d'une domination ottomane et vivait sous le protectorat
de la France, un mandat qu'elle a occupé jusqu'à l'indépendance du Liban en
1943. La plupart des répondants se sont rappelés cette époque avec nostalgie:
l'époque de la construction d'un projet porteur de sens, un pays où il ferait bon
vivre ensemble.
Les faits historiques nous apprennent que les frontières telles qu'elles sont
conçues aujourd'hui n'existaient pas à cette époque. La diversité des frontières,
frontières géographiques, frontières identitaires, constructions et
déconstructions en ont fait une marque identitaire. À défaut d'un fort symbole
d'identification, la localité et la terre représentent un marqueur identitaire
important: «On était des villageois» fait appel à la terre, à la racine, à la
paysannerie, au rapport de classe et à un mode de vie particulier.
Deux personnes abondent dans ce sens en mettant l'accent sur la condition de
classe:
«Il faut dire que je suis né dans les années 20, en 1922. À cette époque, il n'y avait pas des frontières avec la Palestine. On allait là-bas, on travaillait, on était des villageois. On nous
121
appelait comme ça Al karyaoui (le villageois). On n'avait pas cette notion de Libanais ou de musulman ou de chrétien. Il y avait les juifs, on se méfiait, mais on travaillait ensemble. Il y avait encore des Français, il y avait des Africains, il y avait de toutes les nationalités sur nos terres. On était très pauvres, mais nous étions tous pauvres» (Répondant 8).
«Je n'ai jamais senti, quand j'étais jeune, cette identité (l'identité libanaise). Le Liban n'existait pas encore. Je suis né en 1918 et je me rappelle quand j'étais petit on allait travailler en Palestine. Il n'y avait pas de frontières entre le Liban et la Palestine, il y avait des terres et des gens qui avaient besoin des travailleurs. On était des villageois» (Répondant 25).
Fait particulier à noter dans le cas de ces deux témoignages, les chiites du
Liban étaient majoritairement des paysans ou des nomades. Leurs activités
dépendaient du secteur primaire (agriculture) alors que le Liban au tournant du
XXe siècle commençait son développement dans les secteurs du commerce et
des finances. Régions agricoles, le sud du Liban et le Békaa sont restées très
pauvres et loin derrière les autres en termes de développement (routes,
électricité, hôpitaux, écoles, etc.). Il a fallu attendre les années 60, sous le
mandat de Charles Hélou pour que le gouvernement libanais devienne plus
sensible aux inégalités sociales et tente de corriger le déséquilibre par la mise
en place d'une politique de modernisation des infrastructures (Picard, 1993).
Selon Picard, dans les années 60, les travailleurs formaient une sous-classe
économique ou une sorte de quasi-prolétariat, au moment où l'économie
libanaise était florissante (Picard, 1993) .
D'autres personnes rencontrées dans les entretiens se considèrent comme
des nationaux, des Libanais. La composante nationale libanaise, surtout
culturelle, prime et est revendiquée, car elle est le reflet de certaines valeurs
chères, de traditions et coutumes du pays d'origine toujours transmises aux
122
enfants. Pour eux, être Libanais est une façon d'être et d'agir autant au niveau
individuel que collectif..
<<Bien sûr, comme tous les jeunes de cette époque, il y avait une vague d'arabisme et de nationalisme, on était des Libanais en premier et ensuite des Arabes ...Dans la région on disait que l'arabité du Liban ne se divise pas. Mais je ne peux pas dire que c'était une école politique pour moi, ce n'était pas clair. Ce qui est influençant, c'était les chansons de Feirouz, la poésie de Kabani; l'influence était davantage culturelle que politique» (Répondant 9).
<Je me considérais Libanais et fier de l'être. Je souffre du fait que l'appartenance religieuse est présente ou considérée» (Répondant 15).
<Je suis Libanaise et j'aime le Liban et maintenant je fais du bénévolat à l'église et on enseigne aux enfants à parler l'arabe et on leur enseigne comment affronter leurs difficultés. Je suis Libanaise et je ne veux pas sortir de ma libanité» (Répondante 13).
D'autres se sont aussi définis comme des Libanais, et ce, malgré leur déception
face à la situation sociale et économique de leur pays d'origine.
«Je suis Libanais et toujours je me suis considéré Libanais. J'étais militaire au Liban et on vivait ensemble tout le monde, chrétiens, musulmans; il y avait cette cohabitation. Il faut dire que l'armée n'a pas été divisée, tout le monde vivait ensemble. Mais lorsque la guerre a commencé, elle a détruit les gens, les familles et tout le pays» (Répondant 24).
Le caractère affirmé de l'identité est perceptible dans les propos d'autres
qui nous indiquent que leur identité libanaise est un élément indivisible. Une
identité qui est présente avant même l'indépendance du pays. Les propos de ce
123
syndicaliste qui militait pour la création d'un Liban indépendant nous apportent
un éclairage différent du témoignage précédent:
«J'étais fier d'être un Libanais, je me suis réveillé sur l'indépendance en 1943. J'étais impliqué dans le mouvement de l'indépendance sous la direction de Jamil Lahoud le père de ce chien (Émile Lahoud, ancien président de la République). Il a détruit le Liban. J'étais fier de Jamil Lahoud parce qu'il était un officier honnête et courageux et il a appuyé le mouvement de l'indépendance depuis le début. Et il est devenu le premier commandant de l'armée. Elle ne part pas cette identité, celui qui dit qu'elle va disparaître ... ce n'est pas vrai. Elle était présente avant même l'indépendance» (Répondant Il).
Un autre fait important se rapporte à l'importance de la religion dans la
construction de l'identité au Liban. Comme l'a mentionné Corm (1986)
l'affiliation confessionnelle est mise de l'avant, car elle sert de balise dans le
cas, entre autres, des emplois dans la fonction publique.
«Nous étions par moment des chrétiens, des musulmans ou autres confessions aussi. Tout est en fonction de ton appartenance. La vie et aussi la mort.» (Répondant 30).
«Nous avons grandi avec cette idée: la religion. Il faut se le rappeler par exemple que oui la religion était très importante, mais il y a eu des périodes où par exemple Nasser était contre. Les révolutions dans plusieurs pays arabes allaient dans le sens d'une laïcité de la société et le Liban voulait aller vers ça, mais je pense que la guerre est venue raser ce mouvement» (Répondant Il).
«J'ai l'impression qu'il y a un âge pour la religion, lorsqu'on est très jeune on s'éloigne, après on cherche cette protection qui est plus sociétale que divine et maintenant, je suis vieille et je regarde les religions et je me dis quel gâchis» (Répondante 14).
Une autre femme beyrouthine confirme l'importance de la classe sociale dans la
construction de l'identité:
124
«ça fait très longtemps ça. Je suis une femme libanaise, je me définissais comme ça, mais surtout comme quelqu'un de la bourgeoisie, au Liban les différences de classe sont ressenties. On est de telle classe sociale, par exemple mes parents étaient des professionnels, j'allais à la meilleure école privée. On n'avait pas les clivages ethniques et religieux de la période de la guerre» (Répondante 12).
«Première identité c'est sur le plan intellectuel, donc identité sur le plan de l'expression littéraire, sur le plan de la philosophie, sur le plan artistique et sportif. J'étais chrétien et progressiste.» (Répondant 16).
À la lumière de ces témoignages, nous constatons la pluralité des sources
quant aux options identitaires dans le pays d'origine. Pour la plupart, nés avant
la constitution politique et juridique du Liban, les répondants sont parfois
libanais par idéologie ou par opposition à un autre groupe; dans d'autres cas, ils
optent pour une identité familiale (mère ou père) sociale; ils s'identifient
parfois à une classe sociale, bourgeoise ou populaire, ils s'identifient aussi à
une institution, celle de l'armée par exemple qui a forgé un mode de vivre
ensemble ou encore certaines personnes sont plus à l'aise dans une sorte de
«cosmopoli tarisme».
En d'autres mots, leurs options identitaires sont influencées par les
trajectoires singulières qui les ont forgées. Ils sont touchés par certains
déterminants: les événements géopolitiques comme l'indépendance du Liban,
la présence des étrangers au Liban ou encore par leurs conditions ou positions
de classe. Le déterminent religieux ne semble pas être important ou conflictuel
à cette époque.
125
3.3 Le trauma de la guerre
Les persormes participantes à notre recherche sont unanimes à dénoncer le
désastre de la guerre quia frappé le Liban pendant 15 ans. Ceux et celles qui
sont arrivés pendant la guerre 1975-1990 ou après celle-ci témoignent d'une
expérience douloureuse sinon traumatique. Encore une fois, le Liban, pays de
la cohabitation et du vivre ensemble, a été mis à l'épreuve d'une façon radicale.
Certains parlent d'une malédiction qui s'est abattue sur les Libanais. Il faut
rappeler qu'en 1958, une guerre de six mois a eu lieu. À cette époque, le
président de la République s'opposait à la présence militaire des Palestiniens
sur le territoire du Liban. Voici ce qu'un répondant nous disait sur cette guerre:
<<Bien sûr c'est la guerre de 1958 et j'étais une des victimes à labal Niha, il y avait beaucoup d'armes qui étaient jetées devant les gens et on avait trouvé un objet rond et c'était une grenade qui a explosé dans ma face et m'a causé un trouble de la vue. J'ai perdu la vue quelques années plus tard après quatre opérations. J'avais 13 ans» (Répondant 9).
D'autres répondants relatent les difficultés de la guerre 1975-1990. Une
guerre qui a commencé entre le camp des phalangistes et le camp des
Palestiniens pour ensuite subir plusieurs aléas.
«La guerre 1975 était un désastre. On était obligé de quitter notre maison à plusieurs reprises et se réfugier ailleurs. C'était difficile» (Répondant 30).
Dans les propos de cette femme, nous remarquons que la guerre a détruit
les vies, les liens et les identités.
126
«Si je te dis, si je n'étais pas étouffée au Liban, je ne le quitterais jamais. Pour mes enfants, j'ai quitté le Liban et je suis venue ici. Je te dis pourquoi: 1) le climat est extraordinaire au Liban 2) le Liban c'est mon pays donc je sais comment fonctionner malgré que je suis analphabète, c'est difficile, mais je fonctionnais quand même. Mais lorsque -la guerre est arrivée, on avait une maison de deux étages au village, je louais des chambres aux Français qui étaient dans le sud, on a eu des moments difficiles lors de la guerre. Ils (les Palestiniens) ont mis des dynamites autour de la maison à Saida. On a fui à Beyrouth, on était chez des amis. J'ai acheté un condo, et ensuite je me suis dit que la situation n'est pas très bonne» (Répondante 2).
Dans le même sens, une autre personne explique:
«Notre maison était dans un endroit dangereux, il y a eu beaucoup de bombes. Une fois nous avons reçu une centaine d'obus ...Non, comme j'ai dit c'est la guerre et aussi la justice, la sécurité, je ne crois pas en la justice au Liban» (Répondante 13).
On ne peut passer sous silence le stress relié à la guerre, élément le plus
décrié par les migrants libanais. Une répondante souligne:
«La guerre. Pendant 12 ans, je dirigeais l'école, on a déménagé l'école dix fois, je me promenais toujours, je gardais dans ma voiture mes diplômes et des livres précieux parce qu'on était sur les lignes de front en plein cœur de Beyrouth. Nous étions chassées de l'école sociale au tout début par AI-Fateh (les Palestiniens). On avait des points de chute et on avait un appartement et les étudiants dormaient dans cet appartement et c'était là que les cours se donnaient. C'était des événements très marquants ... très marquants. Ce qui m'a poussée à venir ici c'est ma famille qui était ici. Moi je ne voulais pas venir ici. Mais un jour, on a annoncé à la radio qu'une Marie est décédée par l'explosion d'une bombe et maman a entendu ça et elle a failli mourir à cause de cette nouvelle, mais ce n'était pas moi c'était une autre» (Répondante 14).
127
D'autres personnes témoignent d'une expérience de la guerre qui les a
amenés à approfondir leur croyance en Dieu. Se réfugier dans la religion peut
être possiblement une expérience de fuite ou dans bien des cas une stratégie de
survIe:
«Les événements les plus difficiles au Liban sont en premier temps, l'insécurité et le manque d'assurance. On n'est pas assuré au Liban, je n'ai aucune assurance. La vie est impitoyable, on ne savait plus comment vivre, je ne savais plus si j'étais pauvre ou non. Si tu veux être libéré, c'est impossible, il faut que tu sois chrétien ou chiite ou druze ou communiste ou autre, il faut que tu appartiennes à une faction, ou à un parti. Mon appartenance se repose sur une chose: le livre sacré, car il ne ment pas, les autres qui travaillent dans la politique, eux ils mentent. Ils se réunissent et mentent sur euxmêmes et ensuite sur le peuple» (Répondant 23).
La guerre, le manque de sécurité, le stress de perdre un proche sont tout
autant des facteurs qui influencent directement ou indirectement la décision
d'une personne ou une famille. Le projet d'émigration représente une décision
lourde d'enjeux, troublante affectivement, ardue dans sa trajectoire. Le désir
d'avoir enfin une vie sécuritaire constitue l'objectif premier qui pousse une
personne à mettre en œuvre un projet de migration.
«C'était très difficile, c'était pendant la guerre entre Aoun et les Forces libanaises. On ne savait pas s'il fallait vendre nos biens ou non. À qui, à combien, personne n'achetait au Liban, c'était nul. On était dans la confusion totale. Il fallait quitter tout et tout le monde ...pour moi c'était la folie» (Répondante 4).
«J'avais tout le temps peur, je ne me reposais pas sauf lorsque tout le monde retourne à la maison le soir. On a passé des moments difficiles. On a beaucoup souffert, il y avait beaucoup de bombardements» (Répondante 1).
128
«Mais la pourriture (dans le système politique) a augmenté pendant la guerre, je dirais depuis les années 60 même... Il y avait un quasi-ordre avant la guerre. Pendant la guerre, les ministères et la fonction publique ont perdu le contrôle ...La guerre du Liban a commencé sur tous les niveaux. Le début était un conflit de classe sociale, capitaliste, féodale ...Bien sûr c'était une guerre des classes, quelqu'un qui a de l'argent, personne n'ose lui adresser la parole, certains d'entre eux (les riches) a bâti des milices. De tous les côtés, musulmans et chrétiens, tous» (Répondant 10).
Une souffrance sociale très grande émerge donc de cette expérience de la
guerre. La migration ou l'idée de quitter le pays en déchéance se trouve au cœur
d'une stratégie de survie. Retrouver un sens à sa vie devient le moteur de
création de nouveaux liens, la préparation à un départ.
Rappelons que dans les premières armées de la guerre, l'émigration se
faisait surtout vers les pays voisins, avec la poursuite des mouvements en
direction des pays du Golfe. Puis, avec la perpétuation des combats, les
déplacements se sont peu à peu transfonnés en une migration définitive à
destination de pays plus éloignés comme le Canada, les États-Unis, l'Australie
ou l'Europe de l'Ouest. Certains sont partis pour une courte durée, vers la
Syrie, Chypre et d'autres pays limitrophes.
Les départs coïncident avec les combats survenus sur le territoire libanais
de 1975 à 1990. La guerre n'a pas été continue, mais entrecoupée par de
nombreuses périodes d'accalmie, de trêves ou de cessez-le-feu, toujours suivies
par une reprise d'hostilités plus violente. À chacune des périodes
d'affrontement correspondent des départs massifs. Pour fuir les dangers, de
nombreuses personnes décident de s'établir à l'étranger, notamment en 1975
1976 (la guerre de deux ans), en 1982 (l'invasion israélienne), 1984-1986 et
1988 (la guerre de Beyrouth Ouest) et entre 1989 et 1990 (la guerre
129
interchrétienne et guerre entre Aoun et les Syriens). Pour la seule période des
affrontements entre groupes chrétiens rivaux en 1990, l'une des phases les plus
meurtrières du conflit, les départs se sont chiffrés à 220 000 personnes (Pinta,
1995).
Outre la guerre qui a pesé lourdement sur la décision de départs massifs
des citoyens, la détérioration de la situation économique, sociale et politique a
aussi jouée. Tout d'abord, c'est la population civile qui a été la plus durement
touchée par les combats, en pertes humaines et en dégâts matériels. Prendre des
civils comme cible fut considérée comme un objectif militaire. Aux
bombardements s'ajoutent l'oppression politique, la terreur, le poids de la
rumeur. Pour tous, enlèvements, tortures, attentats et voitures piégées marquent
le quotidien. Un phénomène qui a marqué l'époque depuis le début fut le
déplacement interne de la population: près d'un million de déplacés à
l'intérieur même des frontières. Cette population a dû trouver refuge chez des
membres de la famille particulièrement. Elle a dû vivre aussi dans la précarité
après avoir perdu ses biens comme en témoignent ces informateurs:
«Plus que la guerre, c'était surtout fuir les villages, se retrouver réfugié ailleurs dans ton pays et dans l'expropriation d'autres maisons. On a tout perdu c'est difficile à croire parfois. Mais c'est sûr que c'est à cause de la guerre tout ça. Personne ne savait que ça allait durer 16 ans. Chaque année on disait que c'est la dernière et comme ça pendant 16 ans» (Répondant 3).
«Misère, déplacement, atteinte à la dignité, dispersion. Je me rappelle lors de l'agression de mon village.. J'avais une maison neuve, meublée et tout à coup, deux mois plus tard je me rends compte que je suis rendu dans la rue, pas de papiers d'identité, pas de vêtements sur nous, ça ne se peut pas. C'est inacceptable. Les massacres commis contre mon village, la haine de la part de quelques Libanais aussi. Les habitants de
130
mon village ont volé ma maison et l'ont brûlée» (Répondant 10).
«On avait une maison de deux étages au village. Lors de la guerre, ils ont mis des dynamites autour (les Palestiniens) à Saida. On a fui à Beyrouth, on était chez des amis» (Répondante 2).
La guerre a détruit la prospérité économique du pays et a provoqué la
dégradation de la qualité de vie. Elle a eu des effets désastreux sur tous les
secteurs économiques libanais. En plus des destructions, des pertes en vies
humaines, des déplacés et des émigrés, le conflit armé a affecté la production,
le travail, le niveau de vie, le système scolaire, et a été responsable de la montée
du chômage surtout chez les jeunes.
Plusieurs des informateurs parlent de cette période avec rancœur. Les
humiliations se cicatrisent mal. La colère est toujours latente. Il est vrai que
plusieurs ont vécu la guerre de loin même à l'intérieur du pays, la majorité a été
touchée directement par les dégâts:
«Le principe que les politiciens ont établi m'a beaucoup fait mal. Je quittais ma région pour aller à l'autre région afin de donner du gaz et du pain aux gens que je connaissais. Je n'avais pas d'objectifs. J'étais même attrapé par des milices, il y avait un danger que j'encourais» (Répondant 15).
«Quels types d'atrocités? La guerre des deux ans, les camps de Dbaieh et Nab'ah, les massacres d'AI-Safrah entre les chrétiens et jusqu'à la fin avec Aoun et les Forces libanaises. C'était affreux, les frères s'entretuaient. Moi, j'ai tout de suite envoyé mon fils au Canada, je voulais qu'il sorte de cet enfer, et les autres enfants ont suivi après» (Répondant 3).
«Cette période est une période très difficile <<Illon cœur a brûlé», cette période est irremplaçable. Parce que je suis de la classe populaire...La guerre c'était la folie, imagine à la fin de
131
la guerre chaque confession avait des problèmes internes. C'était des guerres internes, je ne sais pas pourquoi, mais ce que je pense c'est que c'était une guerre matérielle, c'était pour l'argent. Le vol était fréquent, monnaie courante, c'était vu comme un acte de bravoure. Non ce n'est pas conune ça les révolutions, il y avait beaucoup de haine... » (Répondant 10).
<<Finalement (à la fin), on a su que la guerre n'avait pas de sens. Parce que les pays étrangers étaient derrière les problèmes et les difficultés, la haine entre tout le monde. Ils (les pays étrangers) travaillaient pour que la guerre continue» (Répondante 1).
«Une personne qui doit sortir de sa maison ou de son pays perd sa valeur dans la société et dans la société mondiale. Lorsque quelqu'un sort de sa maison en perdant la face, en perdant sa dignité, la tête basse, cela ne s'efface jamais et je ne peux pas l'effacer de mon cœur. J'étais heureux avec ma famille et tout à coup je me trouve obligé de prendre mes enfants sur mes épaules et de courir dans la rue» (Répondant 10).
«C'était la honte pour moi. Je ne voulais plus être une libanaise. Pendant longtemps, je cherchais à changer de pays, d'identité, à me cacher parce que c'est impensable. Je peux comprendre une catastrophe naturelle, mais là c'est non seulement contre la nature, mais c'est inhumain. C'est de la folie» (Répondante 37).
Lorsqu'on parle de guerres civiles, on pense généralement en termes de
conflits intra-étatiques. Cependant, la notion de guerre civile recouvre des
phénomènes sociaux-politiques très divers, et la distinction entre guerre civile
et guerre interétatique n'est pas nécessairement évidente. Selon Gonidec et
Charvin, <<De nombreuses guerres civiles acquièrent «assez rapidement une
dimension internationale». Les forces qui s'affrontent sont armées de
l'extérieur» (1981: 253). Bourthoul remarquait que le pays en proie à une
guerre civile n'est souvent que le champ de bataille de puissances étrangères
(Bouthoul, 1991). Ces notions corroborent l'idée généralisée au Liban du rôle
132
des pays limitrophes ainsi que des États-Unis dans la guerre civile du Liban et
surtout dans la continuation de cette dernière:
«Les États- Unis ont influencé la situation et peut-être qu'il y avait d'autres pays, mais moi ce que j'ai vu sur le terrain comme père de famille c'est que les pays arabes avaient des ambitions malicieuses au Liban» (Répondant 10).
«Écoute, il y avait un complot contre ce petit pays et ses habitants. Les Israéliens, les Arabes et des gens à l'intérieur du pays complotaient pour nous détruire. Pourquoi? Parce qu'on a un beau pays. On était bien et c'était malheureux pour les autres» (Répondant 29).
Nous pounions nous étendre longtemps sur les propos des aînés qui ont
vécu la guerre. Qu'en est-il de ceux et celles qui l'ont vécue à distance, de
Montréal à travers les images diffusées par les chaînes de télévision locales?
«Alors ici je brûlais, je voulais avoir de l'information sur ma mère, mon frère et tout le monde, surtout en 1975, lorsque la guerre a commencé, c'était le chaos, j'étais très inquiet» (Répondant 5).
«La guerre a influencé mes poèmes ... J'ai écrit des poèmes sur les enfants de la guerre» (Répondant 9).
«J'ai tout fait pour que mes parents aillent en Égypte ensuite en France et finalement à Montréal. Je suis restée inquiète pendant deux ans jusqu'à leur arrivée» (Répondante 20).
«La guerre est venue raser tout ce qu'il y avait de libanité en moi, je trouvais honible ce qui se passait au Liban. J'avais honte de voir cette violence, je disais à mes amis ça se peut pas ce qui se passait au Liban. On a fait venir directement ma mère parce qu'on craignait pour sa vie après le décès de mon père» (Répondante 12).
En conclusion, rappelons que nous avons vu plus haut la complexité de la
construction identitaire des Libanais. Les mouvements d'émancipation de
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l'Empire ottoman et de construction d'une identité collective claire ont échoué.
Plus tard, le projet de création d'un Liban uni, inclusif et rassembleur autour
d'une histoire et des balises identitaires a perdu son sens avec les guerres civiles
du XXe siècle. Elles ont détruit les liens sociaux et les espoirs. Notons l'aspect
multiplicateur qui se dégage du discours.
Les marqueurs les plus importants étaient la famille, les villageois, les
nationaux (surtout après la création du Liban), la classe sociale, et la religion.
Encore que ce qui profile c'est la guerre civile (1975-1990), fracture
magistrale, douloureuse à laquelle des personnes se réfèrent par des images de
folie et de honte.
3.4 Proj et migratoire
Dans un premier temps, il apparaît que nous sommes en présence d'une
émigration volontaire quoique pour la plupart, la guerre en tant que phénomène
social ne laisse pas toujours le choix. Le départ dans le cas de la majorité des
aînés (sauf une personne) est présenté comme action réfléchie et planifiée. Une
seule personne de notre échantillon s'est présentée comme demandeur d'asile
ou requérante du statut de réfugiée.
3.4.1 Fuir la guerre
La guerre et les conditions de guerre amènent une partie de la population
libanaise à croire que son avenir, ou du moins celui de ses enfants, est plus ou
moins assuré en sol libanais. Tel que nous avons vu plus haut, certains décident
d'émigrer vers d'autres cieux dont Montréal. Les déceptions liées à la durée des
134
affrontements font partie des motifs de départ. Pour ce répondant comme pour
d'autres aussi, la guerre ne devait pas durer longtemps:
«Lorsqu'elle a commencé cette guerre, nous avons décidé de rester chez nous en pensant que bientôt elle se terminera. Rappelle-toi, il y a eu une autre guerre en 58 et elle a duré peu de temps. On s'est dit celle-là c'est la même-chose ...Deux ans plus tard, on a décidé d'aller en Égypte, les choses se sont aggravées et finalement, ce sont les enfants qui ont dit ...on part, il n'y a plus d'espoir» (Répondant 15).
Ce répondant a eu un parcours difficile pendant la guerre civile, il raconte
ses déboires durant la guerre:
<<À cause des problèmes, j'ai acheté un magasin et j'ai commencé ce travail jusqu'à 1985, en 1984 le magasin a été bombardé, je l'ai réparé et ensuite je l'ai fermé et je suis venu ici.» (Répondant 15).
Mais il n'y a pas que les biens qui ,sont menacés; lorsqu'un membre de la
famille ou soi-même le sont, il ya urgence.
Les histoires de promesses de fin de guerre, les rumeurs que le Liban allait
s'en remettre ainsi que d'autres espoirs sur l'avenir prospère du pays se sont
évaporés avec la reprise des affrontements. Le récit de ce répondant va dans ce
sens; même après son installation à Montréal, pour lui la guerre continuera sous
d'autres formes:
«Et maintenant, je redis que ça va recommencer, peut-être pas comme avant, mais on a vu l'année passée (2006). J'espère que cette année sera calme, mais je ne crois pas» (Répondant 3).
Les individus choisissent d'émigrer en fonction de leur réalité: besoins
individuels tout autant que pour des raisons familiales, protéger la famille, offrir
135
une éducation stable aux enfants ou pour d'autres raIsons. Ce processus
décisionnel complexe demande aux individus de faire des compromis (vendre
des biens, choisir une destination, se séparer de la famille élargie, des amis) afin
d'améliorer la situation de l'ensemble des proches.
«Je suis venue pour eux (les enfants) et avec eux» (Répondante 2).
«C'était la guerre, la guerre. Les enfants étaient au Liban, on est venu en équipe: la première équipe est arrivée en premier, moi et mon fils, et ensuite mon mari et les filles» (Répondante 13).
3.4.2 Plusieurs stratégies sont mises en œuvre
Plusieurs personnes sont arnvées à Montréal accompagnées de l'ensemble
des membres de la famille, d'autres sont arrivées en des périodes différentes en
«équipe». Le mode de déplacement imposait une certaine rigueur et
organisation comme en témoigne cette répondante:
«J'avais mon mari au Canada... ils m'ont dit (employés de l'ambassade), venez à Chypre pour prendre le visa. Tout de suite, il y avait les petits bateaux en direction de Chypre, on m'a dit qu'il faut diviser les enfants23
,.. À Chypre j'ai pris 7 taxis, j'ai dormi à l'aéroport, le lendemain, je suis allée en France.» (Répondante 2).
Pour d'autres familles, la stratégie consistait à envoyer les garçons en
premier et par la suite le processus de parrainage et de réunification familiale
prend forme:
23 À cause des bombardements, l'embarquement se faisait en chaloupe jusqu'au bateau qui est au milieu de la mer.
136
«Comme j'ai dit, mes enfants voulaient toujours partir, ce n'était pas une vie pour eux, c'était dangereux aussi pour les garçons, pour les filles j'avais peur des militaires qu'ils les obligent à se marier. Les enfants, depuis toujours rêvaient de partir et voilà on est ici, on est vivant, ce n'est pas une vie là bas, c'est affreux, ça continue encore» (Répondant 8).
«Je suis venu parce que ma fille était ici avec son mari et moi j'ai pris ma retraite tôt et j'ai décidé de venir après. Mes enfants sont ici et moi je vis très bien ici» (Répondant 10).
<<Je suis venu comme réfugié, la raison était pour vivre. Mon fils est venu quelques années avant moi et je lui ai dit comment est la vie là-bas? et il m'a dit c'est très bien. Et surtout pour les vieux c'est excellent, on est respecté. Au Liban on nous appelle les infirmes Al-mou 'akine» (Répondant Il).
«ça commencé comme ça, ensuite nous sommes venus moi et ma femme une fois pour les voir, on était rassuré sur la vie ici. Il travaillait, mon fils a plusieurs commerces, il est très riche, il va très bien. Sa sœur aussi travaillait, ils étaient bien ici. Alors lorsque j'ai pris ma retraite, je me suis dit et bien on va commencer à faire nos papiers» (Répondant 3).
On voit par ces exemples, que les familles ont des réalités parfois
différentes, mais que le lien familial demeure important dans le processus
migratoire. Les familles cherchent le meilleur pour leurs enfants. C'est
pourquoi leur récit tourne autour d'un mieux-être axé sur les enfants.
Pour d'autres, c'était surtout les études qui étaient à la base du départ. Venir
étudier à Montréal a ouvert la porte à plusieurs. L'éclatement de la guerre a
prolongé le séjour pour finalement devenir un projet de vie:
<<Je suis venue ici pour étudier seulement, je ne voulais pas immigrer, ce n'était pas mon objectif, j'avais fini mes études au Liban, mon diplôme de premier cycle et je voulais par la
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suite faire une maîtrise et peut-être un doctorat. J'ai fait une demande à l'UdeM et j'ai été acceptée. J'avais un amoureux au Liban et c'était prévu qu'il vienne me rejoindre parce qu'on allait se marier, mais ça n'a pas marché. Je suis tombée amoureuse de mon professeur et j'ai décidé de rester au Canada» (Répondante 12).
Une autre personne raconte son histoire. Son parcours n'est pas lié à la
guerre, mais d'autres raisons l'ont poussé à rester à Montréal:
«Je suis arrivé ici conune étudiant et j'ai fait ma demande pour un doctorat et là il Yavait Gérald Fortin, et on m'a proposé de faire une maîtrise en deux ans, en sciences politiques ou en sociologie...je ne me considère pas comme immigrant» (Répondant 16).
Dans le cas des répondants arrivés avant la guerre, nous pouvons parler
davantage de projet individuel. La majorité d'entre eux sont arrivés à titre
d'étudiants. À la fin de leurs études universitaires, ils décident de continuer leur
vie à Montréal. Le parcours migratoire de ces répondants est quelque peu
différent de celui des répondants arrivés durant ou après la guerre civile.
Premièrement, conune étudiants ils espéraient se bâtir une vie professionnelle.
«J'ai fait la maîtrise, j'ai eu des enfants, je me suis marié, au bout de deux ans je suis venu à Montréal, j'ai fait une demande en philo à l'Université de Montréal, je me suis occupé très vite d'un club international d'accueil des étudiants étrangers ... ma première job ici au Québec était d'enseigner les mathématiques» (Répondant 16).
«Quand j'avais terminé ma maîtrise, j'ai commencé l'enseignement de la chimie à l'UdeM, ensuite j'ai travaillé dans un laboratoire à l'université Laval parce qu'on a déménagé et mon mari a eu un poste à Laval. Ensuite j'ai commencé à travailler au Collège de Limoilou comme professeure de chimie» (Répondante 12).
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«Malgré mon handicap, j'ai obtenu un doctorat de Mc Gill en littérature anglaise, une maîtrise de Concordia. Ensuite, professionnellement, j'ai enseigné à Concordia» (Répondant 9).
Dans le cas de trois de nos répondants, leur premier emploi fut dans le
domaine de l'enseignement dans un cégep ou à l'université. Le hasard veut que
plusieurs de ces personnes aient des conjoints québécois. Leur condition
maritale a certes eu un impact sur leur parcours:
«Qu'est-ce qui a fait que j'ai une intégration harmonieuse, estce le fait que j'ai épousé une Québécoise, est-ce parce que j'ai étudié la philo, je ne peux pas t'en dire beaucoup?» (Répondant 16).
«Je suis tombée amoureuse de mon professeur et j'ai décidé de rester au Canada, mais c'est une longue histoire, parce que ça crée des difficultés avec ma mère qui ne voulait pas que je reste à Montréal. Ensuite c'est ma sœur qui est venue et lorsque plus tard mon père est décédé c'est ma mère qui est venue et jusqu'à aujourd'hui ma mère (93 ans) me boude parfois» (Répondante 12).
3.4.3 Rester...Un choix libre
Il est entendu que les conditions socio-économiques incertaines du Liban et la
situation de guerre civile privent ses habitants de leur liberté. Comme plusieurs
ont mentionné, le choix de partir relève des motifs divers (les études, la guerre
ou la famille) selon la période de migration. Même si pour plusieurs personnes
Montréal n'était pas une destination finale, le parcours de vie en a décidé
autrement. Pour d'autres, la guerre qui semble interminable a eu gain de cause
s,ur la lueur d'espoir de rebâtir en paix.
«Je ne retournerai plus au Liban. Je n'étais pas certain au début, mais après quelques années je me suis dit..Ah ce
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n'est pas bête de rester surtout que la guerre était à son point culminant» (Répondant 5).
«Les conditions de ma vie ont changé ici. J'étais pauvre au Liban et lorsque j'ai acheté mon premier dépanneur ma vie s'est améliorée et j'ai pu faire venir mon frère et on a travaillé ensemble» (Répondant 23).
En résumé, nous avons observé comment les répondants décrivent leurs
expériences vécues dans le pays d'origine. Les récits recueillis nous révèlent les
raisonnements sous-jacents à leurs représentations du soi au Liban. Nous avons
relaté la présence de plusieurs pôles identitaires en lien avec la famille, la classe
sociale, la religion, la citoyenneté libanaise.
La prise de décision d'immigrer des Libanais est motivée par différents
contextes: les études, la recherche d'une sécurité, la situation sociopolitique
instable. Toutefois, le deuil jamais achevé aura des répercussions certaines sur
la reconstruction identitaire. La guerre qui a duré longtemps a fait des ravages
incontestables.
Cette rupture a contribué à l'exode des milliers de Libanais à travers le
monde. Ainsi, les répondants désignent l'émigration comme un proj et de
reconstruction d'un sens, de réunification de la famille, de sortir de la folie,
d'atténuation de la honte et de recherche d'une meilleure qualité de vie pour les
générations à venir. Dans la partie suivante, nous verrons comment les
répondants ont vécu l'expérience de la société québécoise.
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CHAPITRE IV
L'EXPÉRIENCE DE LA SOCIÉTÉ D'ACCUEIL
Certains immigrants disent: «Je voudrais mourir là où je suis né.» Moi, non. Mon pays, ce n'est pas le pays de mes ancêtres ni même le village de mon enfance, mon pays, c'est là où mes enfants sont heureux. Bien sûr, parfois j'ai la nostalgie de mes treize ans, quand mes os me font mal. Si je le pouvais vraiment, estce que je retournerais en arrière? Non. Mon pays, c'est mes enfants et mes petits enfants, c'est moi, aujourd'hui, avec mon souffle court, mes lourdes jambes, mes yeux devenus petits à force de pleurer et de rire en se plissant. Mon pays, c'est mes petits-enfants qui s'accrochent à mon cou, qui m'appellent sitto Dounia ... dans ma langue. Je veux mourir là où mes enfants et mes petitsenfants vivent.
Abia Farhoud24
Cette partie expose les résultats témoignant des expériences quotidiennes que font les aînés libanais avec les institutions québécoises et avec la communauté libanaise de Montréal. Ces résultats s'articulent selon les quatre thèmes suivants: le rapport aux institutions publiques de la société d'accueil, l'accueil et l'intégration, la perception de la structuration de la communauté libanaise et les options identitaires des aînés.
24 Extrait du roman: Farhoud, Abia. 1998. Le bonheur a la queue glissante. Montréal: L'hexagone.
4.1 Rapport aux institutions publiques de la société d'accueil
4.1.1 L'institution publique: garante du vivre ensemble
Suivant les expériences d'interaction qu'ils ont eues avec les institutions, les
personnes rencontrées semblent avoir développé des relations satisfaisantes. La
relation aux institutions semble être forte, et cela, pour plusieurs raisons.
«Honnêtement, si on avait des institutions au Liban comme celle qui est ici, je pense que je resterais au Liban. On sent qu'il y a un respect et une sincérité du service ici. Ça me plait» (Répondant 23).
«Je le dis depuis longtemps, le meilleur système est ici. Il faut apprécier la facilité des choses, mais il faut dire aussi que les gens ont travaillé fort pour arriver à quelque chose comme ça, accessible, facile, tout le monde est dedans» (Répondante 17).
4.1.2 L'université: lieu d'insertion par excellence
La compréhension des institutions et du système est différente d'une
personne à une autre. Les personnes arrivées avant la guerre présentaient une
meilleure compréhension des institutions. Il faut dire que le facteur temps est
significatif dans la compréhension du fonctionnement des institutions. Aussi
l'âge à l'arrivée peut jouer un rôle important sur l'incorporation dans la société
d'accueil.
«J'avais des activités sociales nombreuses. J'étais président à la croix rouge, président d'un groupe de musiciens... J'avais 23 ans quand je suis arrivé ici» (Répondant 9).
Cet homme, très impliqué dans le pays d'origine, a entrepris de nouveaux
engagements dans la société d'accueil. Après avoir fait une maîtrise et un
142
doctorat en littérature, il a fondé une organisation de défense de droits humains.
On perçoit une sensibilité au contexte politique canadien:
«Au début lorsque j'étais ici, il n'y avait pas de politiques comme maintenant. Le ministère du multiculturalisme est arrivé après quelques années de mon arrivée: ce n'était pas la même chose que maintenant, c'était en 1971, le ministère du multiculturalisme» (Répondante 9).
Pour un répondant venu en 1958, faire des études supérieures à l'université
Laval était le début d'une intégration à la société québécoise:
«J'ai fini mes études en 61-62, je me suis occupé du club international de la Ville de Québec. J'ai réussi mon intégration quand je me suis occupé de l'intégration des autres» (Répondant 16).
Pour certaines personnes interviewées arrivées avant la guerre, l'université
a été le premier contact avec les institutions québécoises, comme l'explique ce
répondant arrivé aussi à titre d'étudiant étranger. Ces personnes ont elles aussi
participé à l'édification de la société québécoise.
«À l'époque, j'ai vécu le passage de la science sociale, c' était Rocher, Gagnon, la Révolution tranquille. Je m'étais déconfessionnalisé, je venais d'un maronisme de droite à un creuset de gauche» (Répondant 16).
Certains apportent une précision quant à la qualité de l'éducation et de
l'innovation dans les approches pédagogiques.
«Je me trouvais à l'aise avec les valeurs d'ici. À l'université de Sherbrooke il y avait une maîtrise parallèle et ma thèse portait sur la pédagogie.. .les gens doivent apprendre un savoir et dans l'autre approche on leur apprend à apprendre. C'était déjà avant-gardiste parce qu'on était élevée dans la première
143
approche, mais c'est l'autre approche qUI m'attirait» (Répondante 14).
4.1.3 Le rapport à la francophonie
Le fait que le Québec soit une société francophone a certainement
influencé le choix d'établissement de certains répondants. Plusieurs de ceux qui
sont anivés avec un statut d'étudiant étranger, s'identifient davantage au milieu
francophone et développent plus facilement une compréhension du
fonctionnement de la société et des institutions. La connaissance de la langue
représente en effet une porte d'entrée directe à la communauté d'accueil et
semblerait influencer la qualité et la quantité des premiers contacts à l'extérieur
du foyer. Plusieurs éléments de satisfaction ont été soulevés:
1) les personnes valorisent l'aspect démocratique des institutions,
2) elles reconnaissent l'effort mis sur le caractère anti-discriminatoire des
institutions,
3) elles apprécient la reconnaissance des minorités par les institutions et surtout
4) la valorisation du respect des aînés par la société en général.
«Je suis venue ici parce que l'université était en français. Je ne voulais pas aller en France, je voulais voir autre chose. Tout le monde parlait de l'Expo 67 aussi ...j 'étais acceptée à l'Université de Montréal» (Répondante 12).
«J'ai fait mes études à l'université libanaise et je voulais faire une maîtrise. J'étais surpris par l'accueil ici. Et tout de suite j'ai décidé de rester pour faire mes études» (Répondant 21).
<<Je sais que les portes sont ouvertes et grand ouvertes, très bien c'est beau, mais j'exige d'une manière pressante que l'intégration linguistique se fasse, et même d'une façon contraignante. Ils viennent de partout, mais lorsque je les entends des Cambodgiens parler le joual, je tressaille de bonheur, je suis content comme tout. Et quand je vois des
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compatriotes libanais qui me répondent en anglais quand je vais chez Adonis, je peste» (Répondant 14).
Le passage par l'université francophone a grandement facilité l'insertion
des répondants dans des réseaux francophones. Ces deux répondants expliquent
leur parcours d'insertion économique:
«Je suis venu à Montréal, j'ai enseigné le français au collège. Très vite on m'a permis d'introduire un cours de sociologie, Il n'y avait qu'un seul collège c'était le collège des jésuites qui enseignant cela,» (Répondant 16).
«Au Québec j'étais cadre à la protection de la jeunesse, j'ai plis ma retraite en février 2005, j'ai travaillé deux ans comme travailleuse autonome» (Répondante 14).
4.1.4 L'aspect démocratique des institutions
Le style de vie et le projet de société comme construction collective
comptent parmi les atouts de la société d'accueil:
«Lorsque je suis venue la première fois, j'étais littéralement emballée par le projet de société que les Québécois essayaient d'avoir: c'était en 1967, c'était l'Expo 67, c'était la Révolution tranquille. Ce qui m'a fascinée c'était la ressemblance entre les valeurs des Québécois francophones et nos valeurs à nous» (Répondante 12).
Un élément important qui reflète cette appréciation du système de la
société d'accueil repose entre autres sur le caractère démocratique des
institutions dans leur rapport aux personnes:
«Le Québec est une société collée sur ses atouts et ses difficultés, lorsqu'il y a des difficultés, on essaie de trouver des solutions parfois ça prend du temps, mais on trouve des solutions humaines et qui conviennent à tout le monde» (Répondante 14).
145
«Je suis satisfait de ce système ici, que ce soit la santé, l'éducation ou autre. J'aurais aimé que dans notre pays les politiciens et les responsables soient en mesure de penser un système comme ici. Il y a des gens ici qui travaillent pour ça» (Répondant 15).
«Mon rapport aux institutions est très satisfaisant, ils sont toujours courtois et très gentils avec moi, côté institutions administratives et conditions sociales, je pense que le Canada est le meilleur pays côté social et gestion des institutions» (Répondant 11).
«Soyons logiques et raisormables, la persorme qui envisage de venir ici ne doit pas s'appuyer sur l'aide sociale. Les jeunes doivent penser à leur futur et travailler. En ce qui concerne le système de santé, parfois il y a beaucoup de retard dans les rendez-vous, parfois c'est 5-6 mois. Par contre que je sois placé dans le corridor ou dans la cuisine, je m'en fous, l'important c'est que je suis servi. D'ailleurs, à chaque fois que je vais à l'hôpital, la femme d'à côté, ma voisine est Québécoise. C'est pareil pour tout le monde» (Répondant 10).
«Le Canada est recormu pour ses valeurs pacifistes. Je pense que tout le monde est recormu ... Je sens que j'ai ma dignité ici» (Répondant 3).
Une autre répondante a un doute quant à l'efficacité des programmes
d'accès à l'égalité en emploi (PAÉE). Selon elle, les institutions publiques
favorisent encore la présence d'une population blanche appartenant au
groupe majoritaire:
«Il reste du travail à faire, je sais que les institutions ne sont pas d'accord avec les PAEE, ce qu'ils cherchent ce sont des gens qui font l'affaire c'est tout et ils ont engagé en premier des Québécois de souche. Et je pense sérieusement que les PAEE ne sont pas efficaces, ça ne change pas grand-chose sérieusement, les responsables vont continuer à engager des employées qui leur ressemblent, qui parlent comme eux et tout ça, peut-être ça va être plus facile pour les jeunes qui sont nés ici, mes deux filles n'ont jamais eu de difficultés, peut être
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parce qu'elles ont le nom de famille de leur père et parce qu'elles sont blanches comme la majorité des Québécoises» (Répondante 12).
4.1.5 Le respect des aînés
L'attitude respectueuse à l'égard des aînés est soulignée favorablement
par les répondants. Elle est vue comme protectrice, valorisante, aidante,
reconnaissante. Ce qui semble primer c'est la capacité d'être autonome,
surtout de ses enfants, de ne pas être dépendante.
«La personne aînée vit avec respect ici, elle peut aider ses enfants même. Même ma belle-fille ne sera pas dérangée. Je ne demanderai jamais à mes enfants un salaire ou bien une aide quelconque, parce que je ne veux pas que mes enfants souffrent comme moi j'ai souffert» (Répondante 2).
«J'apprécie et j'approuve ce que le gouvernement fait ici et j'apprécie la vie des aînés ici et aussi la vie des enfants, combien ils sont précieux les enfants ici» (Répondante 14).
«Les aînés ici vivent une vie normale ... La vie ici est meilleure pour les aînés qu'au Liban. Beaucoup mieux. Au Liban, les aînés vivent comme un handicap (A'aha), un parasite sur le dos des enfants. Il doit attendre son fils ou sa fille pour qu'il lui donne (une paye) pour vivre, parce qu'il n'a rien qui lui assure une vie. Ici le gouvernement aide et ça, c'est très important. Le prix des médicaments est abordable» (Répondante 1).
<dIs ont ouvert la porte et on était traité comme des humains, nous ne sommes pas de seconde classe, le Liban n'a pas fait cela» (Répondant 15).
Mis à part le sentiment d'être respectés par la société d'accueil, les
aînés parlent surtout en termes d'indépendance. Être indépendant et
autosuffisant avec l'aide du gouvernement, voilà une grande marque de
respect manifestée à leur égard.
147
«Je suis bien ici, j'ai tout. J'ai ma pension, je suis hospitalisée gratuitement, mes médicaments sont gratuits» (Répondante 31).
«Le système fonctionne différemment ici qu'au Liban. Il y a un respect pour tout le monde. Le système est fait d'une manière qui ne laisse pas tomber les gens, les femmes, les aînés, les enfants, les handicapés, etc.» (Répondante 33).
«] e sais que le gouvernement me donne une pension, une aide et ne me laisse pas vivre des insultes, je vis en dignité, je ne quête pas de l'argent, je vis dans ma maison» (Répondant 10).
«]e suis ici respecté parce que je suis aîné. J'ai une carte]eanCoutu, j'ai des rabais partout, c'est-à-dire. On pense à moi et aux gens comme moi: je ne suis pas accroupi dans un coin, je ne quête pas de mes enfants» (Répondant 8).
4.1.6 La valorisation des rapports égalitaires
D'autres, surtout des femmes relatent l'expérience enrichissante que
vivent les femmes. Le respect à l'égard des femmes, et le rapport égalitaire.
«Ici, je dis à n'importe quelle femme, si elle veut être respectée, la meilleure vie est ici au Canada» (Répondante 2).
L'attitude réceptive ressentie par nos répondants démontre qu'il y a un
sentiment d'acceptation par la société d'accueil. Ces attitudes sont exprimées
par le respect, l'hwnanisme et la confiance.
<Je suis d'accord avec cette vision de société qui se construit de cette façon et qui tend à être humaine le plus possible. Il y a de la place pour tout le monde sans arrogance ni discrimination» (Répondante 12).
«Je les aime beaucoup ici, parce qu'ils me respectent et je les respecte. Ici j'ai vu les Libanais, ils t'aiment, mais ils se
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méfient de toi, par contre les Canadiens ... non ce n'est pas le cas» (Répondante 13).
«Ici, si tu as des compétences, tu vas arriver à des postes intéressants, par contre au Liban, non ce n'est pas le cas: il ya beaucoup de jalousie, d'envie. Ici les Canadiens ne sont pas envieux. Leur vie ici est meilleure que la nôtre» (Répondante 2).
«Là bas (au Liban), on était dépendante des autres (mari, la famille, les politiciens). Ici, non ce n'est pas la même chose, il faut se faire confiance et compter sur soi» (Répondante 1).
«Ici les rapports sont égalitaires. Ce qui est permis à quelqu'un l'est aussi pour tout le monde mis à part de son sexe, ses origines, sa religion, etc. C'est utopique dans la plupart des pays, mais ici on a réussi à réduire les écarts. Moi, j'accepte ça» (Répondante 28).
4.1.7 Autonomie et réalisation de soi
Loin du pays d'origine, les répondantes deviennent selon leurs dires
beaucoup plus autonomes. À partir de leurs rôles, elles s'initient à une
participation sociale plus active. Par la force des choses, elles s'habituent à
prendre des décisions et à agir seules. Elles explorent l'espace public
malgré les distances à parcourir en transport en commun et aussi malgré les
difficultés de communication. La multiplication des contacts avec
l'extérieur fait que ces femmes développent assez rapidement une certaine
débrouillardise.
La migration fournit ainsi l'occasion aux femmes aînées de découvrir
une certaine autonomie. Dans une recherche effectuée auprès des femmes
chiites, Josianne Le Gall fait un lien entre l'autonomie des femmes chiites
et la gestion des affaires du foyer:
149
«Leur rôle dans l'espace familial leur offre une connaissance des institutions et des services, de leurs finalités et des moyens à atteindre. Cette compréhension des institutions, les femmes l'acquièrent au fil des nombreuses démarches quotidiennes, notamment auprès d'organismes gouvernementaux. Elles contactent des individus, emplissent les formulaires de toutes sortes, envoient des lettres à divers organismes, payent les factures, prennent en main la gestion du budget, etc. Elles deviennent également les principales interlocutrices des médecins, des instituteurs, des services sociaux, etc.» (Le Gall, 2001: 283).
Toutefois, l'autonomie exprimée par les répondantes ne correspond
nullement à l'affirmation d'une plus grande indépendance des femmes vis
à-vis la famille, pas plus qu'à un affaiblissement des rôles traditionnels au
sein de celle-ci. Elles retirent cependant une grande satisfaction de la
richesse de leurs expériences et de leurs nouvelles connaissances et peuvent
en faire bénéficier leurs proches.
Si ce comportement d'empathie des répondants envers des institutions
de la société d'accueil peut se constater d'une façon générale, cela ne
prouve pas qu'il y ait une approbation sans nuances avec des valeurs de la
société d'accueil.
Certaines personnes trouvent que certaines problématiques ne trouvent
pas écho dans les valeurs, us et coutumes des parents immigrants. Par
exemple, la liberté ambiante cause plusieurs frictions. Une femme raconte:
«Je trouve que le système est très bien, mais il y a certaines choses qui me dérangent. Par exemple, la liberté des enfants. Ils (éducateurs) expliquent aux enfants qu'ils ont le droit sur leurs parents, mais ne leur disent pas à ces enfants les droits que les parents ont sur eux. Cela est faux, mais ils
150
commencent à comprendre un peu le mode de VIe des immigrants.» (Répondante 13).
«La façon de vivre ici, il y a beaucoup de liberté, c'est excessif... La liberté des hommes et des femmes ... je n'ai pas accepté cela». (Répondante 1).
Plusieurs difficultés sociales sont attribuées aux rôles sociaux entre les
hommes et les femmes. Des répondants perçoivent ces rôles comme étant
dysfonctionnels. Les rapports égalitaires deviennent une menace au lien
social et familial. Ainsi, selon ces répondants:
«Il y a beaucoup de divorces, ce n'est pas bon, les femmes travaillent et laissent leurs enfants tout le temps à la garderie. Elles vont se ramasser avec n'importe qui. Les enfants s'éloignent beaucoup de leurs parents, il n'y a pas de familles. Ensuite, la drogue c'est horrible, tous les jeunes prennent la drogue et se prostituent» (Répondant 3).
«Je trouve malheureusement que beaucoup de femmes libanaises qui sont intégrées beaucoup à la société canadienne ne sont pas satisfaites de la présence des aînés dans l'éducation des enfants. Elles pensent que nous sommes sans éducation et donc nous les aînés sommes inutiles» (Répondant 10).
4.1.8 Le rapport au travail
D'autres constatent qu'il y a une différence culturelle entre les valeurs
de la société d'accueil et celles de la société libanaise. Le mode de travail,
selon un répondant, est responsable de la détérioration des liens entre
voisins et aussi la méfiance à l'égard des Arabes:
«Socialement, il n'y a pas de vie sociale. Si je ne parle pas à mes voisins, ils ne me parlent pas et ne me regardent pas. Je leur ai dit un jour, ici nous sommes des voisins seulement théoriquement, mais dans la pratique nous ne sommes pas des
151
voisins. C'est ça la vie sociale ici. Il y a des raisons. Ici tout le monde travaille, il faut que l'honune et la fenune travaillent pour subvenir à leurs besoins» (Répondant11).
«Il faut dire que depuis le Il septembre, les Arabes ont beaucoup de difficultés à trouver des emplois. Et lorsqu'ils trouvent un emploi, eh bien on se méfie d'eux» (Répondante 37). '
Les divers récits des aînés présentent le travail comme étant une clé à
l'insertion dans la société d'accueil. Celles et ceux qui ont fait l'expérience
du travail ont qualifié l'insertion socio-économique comme étant cruciale
pour eux, pour leurs enfants et surtout pour les fenunes. Notanunent, le
système québécois ouvre aux femmes tout un éventail de possibilités reliées
au travail et aux nouvelles réalités socio-culturelles. L'absence de la
famille élargie ainsi que la faiblesse des structures sociales de la
communauté rendent nécessaire la création de nouvelles organisations en
fonction de la réalité inunigrante. Les propos de cette femme sont
éloquents:
«La vie des Libanais est très active, mais ici la vie est plus facile et plus rapide, il n'y a pas ici cette notion de honte comme au Liban. Comme fenune au Liban, c'est difficile pour moi de travailler, mais ici ce n'est pas grave» (Répondante 2).
«J'ai toujours travaillé, c'est seulement lorsque j'ai accouché que j'ai arrêté un peu sinon je travainais toujours. Alors sur ce plan je suis très bien, je fonctiorme bien je n'ai pas de problème, je fonctiorme à la québécoise. J'ai toujours fonctiormé comme ça par ce que je n'ai jamais travaillé au Liban» (Répondante 12).
152
4.1.9 Déclassement professionnel
Plusieurs études (Labelle, 2005; Belhassen-Maalaoui, 2003; Vatz
Laaroussi, 1997), observent le portrait professionnel des nouveaux arrivants
des communautés arabes et musulmanes et dénoncent le déclassement du
statut socio-économique de ces professionnels. Les propos de cette
répondante vont dans le même sens:
«Au Québec j'étais cadre dans une institution, j'ai pris ma retraite il y a quelques années, j'ai travaillé deux ans comme travailleuse autonome... Je connais l'intégration et ça me fâche lorsque les ONG court-circuitent. On a travaillé tout récemment avec le gouvernement libéral pour que les travailleurs étrangers accèdent au marché du travail. On a essayé de se battre et de dire que le premier obstacle c'est la demande d'expérience canadienne et que nous préconisons que les personnes qui sont reconnues par l'ordre soient capables de trouver des solutions parce qu'elles ont vécu dans des situations extrêmes et soient capables de trouver leur chemin: on est créatifs et imaginatifs. Donc je dénonce cet aspect bureaucratique qui déclasse les professionnels immigrants et retarde leur intégration. Ce que je suggérais: que tous ceux et celles qui arrivent de l'extérieur commencent à travailler et qu'on finance pendant 6 mois leur supervision portant sur les particularités québécoises» (Répondante 14).
Le déclassement professionnel et la rétention des immigrants est un enjeu
majeur au Québec. À cet égard, Belhassen-Maalaoui le souligne bien: «la
question de la rétention des immigrantes et immigrants est une des
préoccupations du gouvernement québécois depuis la publication de données
statistiques selon lesquelles le Québec a perdu plus d'immigrants qu'il n'en
a reçu durant la première moitié de l'exercice 2007» (Belhassen-Maalaoui,
2009: 106).
153
La préoccupation de l'insertion au marchée et le déclassement professionnel
n'a pas touché directement les répondants dans notre recherche. La plupart
des répondants qui sont arrivés au Québec avec un diplôme ont dû compléter
des études afin d'accéder à des emplois de haut niveau. Plusieurs sont
arrivés à un âge où le travail et la recherche d'emploi ne figurait pas parmi
leurs objectifs d'immigration. Pour d'autres, la famille apportait tout le
support nécessaire.
4.1.10 Expériences de discrimination
Suivant les expériences d'interaction qu'ils ont eues avec le nouvel
environnement culturel et social, les répondants définissent les liens sociaux
en termes harmonieux. Leur expérience d'interaction révèle la manière dont
ils interprètent la réalité au Québec. Presque tous les répondants arrivés
dans les années 50, 60 et 70 révèlent l'existence du racisme et de la
discrimination, mais affirment ne jamais avoir vécu ces expériences d'une
façon personnelle, sauf un répondant qui fait référence à une intervention à
l'aéroport de Mirabel lors d'un voyage à l'étranger:
«Pour moi, la forme la plus sournoise du racisme vécue lorsque c'est quelqu'un m'a dit à l'aéroport d'où vous venez? Alors, j'ai dit, je suis Québécois, et là il a répondu oui oui je sais, mais où êtes-vous né, d'où vous venez. Alors, je lui ai dit du Liban» (Répondante 16).
Un autre répondant accuse les médias d'avoir manqué à leur devoir:
«Depuis les sept dernières années, les médias présentent faussement et négativement les Arabes et les musulmans» (Répondant 9).
154
Il faut noter que plusieurs des répondants arrivés au Québec à la fin de
la guerre civile (1975-1990) n'ont pas vécu l'expérience de recherche
d'emploi ou de recherche de logement. Ceci explique en grande partie la
vision idéaliste de la société d'accueil. Les témoignages de ces répondants
démontrent ces perceptions:
«Personnellement, je n'ai pas vu ici du racisme» (Répondant 3).
«Je pense que tout ce qui se dit sur les Québécois est faux. Oui il y a du racisme, il y a du racisme partout, mais c'est surtout de l'ignorance, une fois parti le reste devient facile. Je pense que les ministères doivent faire plus pour éduquer les gens, y compris les nouveaux arrivants ici» (Répondante 19).
La plupart des répondants ne nient pas l'existence du racisme, mais
leurs expériences ne dénotent pas d'événements malheureux à leur égard.
«Le racisme existe partout (dans le monde). Il y a des gens qui sont très bien ici, ils nous apprécient, c'est étrange, il respecte, je n'ai pas trouvé de racisme ici» (Répondante 1).
«Non, c'est à cause de nous autres, on pense que nous sommes (les Libanais) très intelligents. Je connais des gens qui se moquent des Canadiens gratuitement, pour rien; les gens insultent les fonctionnaires et bien le fonctionnaire réplique. Il faut respecter les propriétaires de la maison. Ils ne sont pas racistes, ils appliquent leurs règles, c'est nous, nous les attaquons, je n'ai jamais eu un problème avec les Canadiens» (Répondante 13).
«Dans chaque société, il ya de la discrimination et du racisme. Mais ici je trouve qu'il y a moins de racisme qu'ailleurs» (Répondant 10).
«Il peut y a avoir du racisme. Maintenant, si tu viens ici pour créer des conflits avec les gens, il va avoir du racisme, mais si tu viens ici pour vivre et partager, il n'y aura pas de racisme...Si tu viens du Liban avec une attitude arrogante, attends-toi à des attitudes racistes de la part des gens d'ici. Le
155
racisme est causé par une déficience de cohabitation» (Répondant Il).
<dl y a partout du racisme, mais le plus c'est au Liban, surtout maintenant, c'est honteux. Les chrétiens ne veulent pas travailler avec les musulmans, les musulmans ne veulent pas travailler avec les chrétiens, ils ne veulent pas travailler avec les Palestiniens et comme ça tout le temps. Ici tout le monde travaille avec tout le monde, il y a parfois des difficultés, mais ce n'est pas grave» (Répondante 8).
Cette section nous aura permis de rendre compte de la diversité des
expériences vécue par les répondants. Il ressort de notre analyse que
l'expérience de la société d'accueil vécue par les répondants est somme
toute positive sur plusieurs plans. La plupart du temps, les informateurs de
longue date parlent de l'université comme étant un lieu d'insertion par
excellence. Le contact se fait d'une façon optimale favorisant ainsi une
compréhension de la société. Les témoignages des répondants mettent en
valeur la connaissance de la langue française. Cet outil aide à l'accélération
de l'intégration à la société québécoise.
L'apprentissage social de l'immigrant se fait sur le plan linguistique.
La langue est un outil qui facilite la communication avec l'environnement.
Elle constitue un facteur déterminant de la capacité d'intégration des
immigrants à la nouvelle société. Les premiers Libanais arrivés au 1ge
siècle constatèrent qu'il était profitable pour leurs affaires de s'intégrer aux
groupes anglophones alors que ceux d'aujourd'hui ont tendance à adopter
la langue française comme langue d'usage. Malgré cette acquisition de
connaissances linguistiques qui leur permet de franchir les barrières sociales
et économiques de la société d'accueil et qui facilite l'intégration sociale, ils
préservent leur langue maternelle. Une maîtrise de la langue française
156
facilite les contacts avec l'extérieur, pennet de découvrir et de comprendre
les codes sociaux et offre la possibilité d'acquérir une autonomie.
Il ressort également de notre analyse une appréciation généralisée des
rapports égalitaires (intercommunautaires et rapport de genre) véhiculés par
la société d'accueil. Les répondants font l'expérience du droit à l'égalité, ce
qui semble favoriser une autonomie surtout chez les femmes. Leurs récits
sont empreints de témoignages d'appréciation de cet exercice.
Nous avons observé également une prise de conscience de la présence
d'un racisme dans les rapports à autrui, mais ce phénomène reste marginal
sinon banal dans les propos des répondants. À notre avis, les répondants de
la première cohorte se sont bien adaptés et leur capital social est
suffisamment élaboré. Ils participent à part entière à l'exercice de la
citoyenneté. Quant à la deuxième cohorte, la plupart des répondants ont une
méconnaissance des lieux de la discrimination en l'occurrence le logement
et le marché du travail.
4.2 L'accueil et l'intégration
4.2.1 Respect et reconnaissance
En ce qui concerne la variable de l'accueil par la société, il ressort que
les politiques relatives à l'immigration et à l'intégration pennettent une
acceptation assez facile de la part des Québécois. Pour les répondants-es,
l'expérience de vie au Québec est pleine d'éléments positifs. La notion de
reconnaissance et de respect est au centre du vécu des aînés. L'aide
157
économique offerte à toutes celles et à tous ceux qui ont des difficultés sont
appréciés. Voici les propos d'une mère de famille:
«J'apprécie et j'approuve ce que le gouvernement fait ici et j'apprécie la vie des aînés ici et aussi la vie des enfants, combien ils sont précieux. Même, il y a des salaires pour les aider. Où est-ce qu'il y a dans le monde un programme d'aide sociale pour ceux qui en ont besoin ?» (Répondante 2).
«Je suis non seulement acceptée, mais reconnue dans les différents milieux je suscite des étonnements et des accueils. Malheureusement, on se rencontre sur les particularités et non sur les différences» (Répondante 14).
«J'aime beaucoup le Canada, le Québec, Montréal parce qu'on respecte la personne. Je me sens respectée beaucoup ici» (Répondante 1).
«Ils ont ouvert la porte et on est traité comme des humains, nous ne sommes pas de seconde classe, le Liban n'a pas fait cela. Je ne suis pas plus Québécois que Libanais» (Répondant 15).
«Je me sens acceptée et respectée parce que moi je respecte le lieu où je suis» (Répondante 13).
«Ce pays m'a traité comme un humain, comme humain je ne peux pas trouver cela au Liban ... Les choses importantes sont là. C'est un pays qui respecte l'humain et les sentiments de 1'humanité» (Répondant 10).
4.2.2 Un sens à l'intégration
Un autre répondant relate son expérience d'accueil et le contact avec
une personne de la société d'accueil comme étant un déclencheur pour une
intégration réussie. L'accueil, le respect et la reconnaissance de l'immigrant
aident à l'acceptation en retour de la société d'accueil:
158
«Très concrètement, je sais que madame Tremblay (nom fictif) m'a aidé. Elle était la patronne du club international. Elle m'a aidé à trouver de l'aide. Est-ce que cela a fait que j'ai une intégration harmonieuse?» (Répondant 16).
«En fait, pour moi il a fallu que je comprenne qu'est-ce que s'éloigner de son pays veut dire, mais surtout que nous sommes capables de changer même à un âge avancé» (Répondant 29).
<<Ma vie au Québec était difficile au début. Après un certain temps, j'ai commencé à m'adapter et finalement je vois maintenant les bienfaits d'être ici dans une société libre où chacun peut arriver s'ille désire» (Répondant 34).
Dans le même ordre d'idées, la reconnaissance et l'acceptation par la
société d'accueil ont un impact significatif sur l'intégration. L'aide offerte
par les institutions canadiennes est valorisée. Une répondante parle du
Canada en termes comparatifs avec le Liban.
«Le Canada c'est comme le Liban, les Canadiens m'aiment beaucoup. Lorsqu'on rentre à leur maison, il faut respecter cette maison» (Répondante 13).
«Je n'ai pas un point en particulier, honnêtement je n'ai pas, tout est correct, en général ça va très bien. J'ai été bien considéré. Le Canada m'a accueilli très bien. L'autre fois, j'ai vu quelqu'un qui sacrait, je lui ai dit, mais pourquoi? Est-ce qu'ils t'ont obligé de venir ici? Il m'a dit non. Alors, j'ai dit, mais pourquoi tu restes ici, si tu n'es pas content, retourne dans ton pays. Qu'est-ce que tu veux que le gouvernement te fasse ici, qu'il te nourrisse, te donne à boire et te laves les pieds? Si tu bois du puits, ne jette pas des pierres dedans. C'est inacceptable. Écoutes, ici je suis considéré et apprécié mieux qu'au Liban, je n'ai pas besoin de mes enfants, je suis capable de subvenir à mes besoins» (Répondant Il).
Ce qui est important, selon leur dirè, touche la conscientisation de leurs
compatriotes à l'importance de respecter l'autre également afin qu'une
159
coexistence soit possible et que l'hannonie sociale perdure. Cette hannonie
est décrite par des personnes interrogées comme un processus d'adaptation
à son environnement, comme le souligne pertinemment Taboada-Léonetti:
«Les immigrés ont leur propre capacité d'action sur les frontières réelles ou
symboliques qu'on leur impose. Les réponses stratégiques sont puisées dans
un corpus de ressources, de contraintes et de potentialité, spécifiques à
chacun des groupes sociaux, corpus qu'il est nécessaire de connaître pour
en comprendre la spécificité» (Taboada-Leonetti, 1975: 35).
Elle suppose nécessairement une véritable rencontre:
«Comme individu, il y en a qui ont été capables de comprendre l'esprit de cette société, par exemple, le climat oblige les immigrants à s'adapter, mais la société n'oblige pas les gens à manger différemment. Il y a maintenant les choses intellectuelles et spirituelles, il y a aussi les contacts, chacun d'entre nous a ses opinions et doit s'adapter avec l'environnement» (Répondant 9).
<dl faut absolument que la personne s'adapte à la vie ici, mais aussi d'être convaincu que c'est bien la vie ici, c'est différent. Ce qu'on veut finalement c'est être bien dans sa peau» (Répondante 27).
4.2.3 Difficultés rencontrées
L'analyse des identités impose des précautions à cause de la polysémie
du concept et de son usage répandu dans d'autre champ que celui des
sciences sociales, par exemple en psychologie. Les aînés rencontrés sont
arrivés au Québec à des périodes diverses. Ces périodes s'étalent entre les
années 50 où les personnes répondantes étaient jeunes à l'époque et les
années 90 où la plupart des répondants avaient plus que 65 ans. Leurs
modalités d'arrivée au pays varient de façon importante. Ce fait a influencé
la quotidienneté et se manifeste par des difficultés d'ordre diverses.
160
La communication
Des points de vue social et personnel, l'immigration apporte son lot de
difficultés financières, mais aussi d'isolement. Les répondants ont fait face
à de nouvelles façons de faire les choses et ont eu le sentiment d'être dans
un monde a priori totalement étranger dans lequel ils et elles ont eu tout à
apprendre, en commençant par la langue:
«J'ai besoin de parler à quelqu'un et je ne parle pas la langue. Je parle l'arabe seulement, je suis analphabète» (Répondant 8).
«J'ai un problème de contact et de communication. Je ne connais pas la langue et le Canadien ne connaît pas ma langue. Ce problème affecte ma vie sociale» (Répondant 10).
Plusieurs vont trouver des moyens, des stratégies d'adaptation et de
compensation. Pour socialiser, les répondants vont utiliser les ressources
de la communauté:
«Mes enfants comprennent mieux que moi, ils sont en contact avec les Canadiens plus que moi, mais bon je pense que les contacts ici à l'église sont très bons, il y a une vie sociale intéressante» (Répondant 35).
«J'ai essayé d'apprendre la langue française, mais à mon âge c'était très difficile. Mes enfants m'ont aidé un peu à me débrouiller. Finalement, je préfère écouter la radio arabe et la télévision arabe, comme ça je reste connecté quelque part» (Répondante 22).
«Je ne socialise pas avec les Canadiens. Que veux-tu que je leur dise? Je me limite à un bonjour pas plus que ça» (Répondant Il).
161
Heurts des valeurs
Outre les difficultés de communication, un répondant relate ses
difficultés avec les mœurs canadiennes. Cet aspect est partagé avec
plusieurs personnes également:
«J'ai eu beaucoup de difficultés au début, c'était difficile d'accepter certaines choses, par exemple, mon fils avait une blonde et il voulait l'amener avec lui chez nous, alors on s'est opposés, pas question de faire ces choses à la maison. Ma fille voulait rester dehors pour rentrer tard, ce sont des choses inacceptables pour moi, il faut respecter le rythme des parents. Ici les gens sont habitués, mais pas moi» (Répondant 24).
«Les choses que je trouve mauvaises c'est qu'ils s'éloignent de la famille, ils vont vivre seuls loin de leurs parents, ils ne s'occupent plus de leurs parents et cela, je ne l'apprécie pas» (Répondante 1).
«Il y a certaines choses qui ne sont pas acceptables au Canada et à Montréal. Par exemple, les mendiants au centre-ville, l'avortement, les enfants partent et ne reviennent plus, des choses comme ça» (Répondant 25).
Briser l'isolement
Ce n'est qu'avec le temps que les aînés ont brisé leur isolement en se
construisant un réseau social dans lequel ils se reconnaissent et peuvent être
reconnus. Mentionnons que peu d'organisations laïques libanaises existent
au Québec et au Canada. Les lieux de culte servent donc comme espace de
socialisation et de rencontre entre les différents membres de la
communauté.
«Je vais à la mosquée ...j e ne sais pas où aller si je veux m'impliquer. Aussi, il faut faire attention lorsqu'on s'implique.
162
Je ne peux pas m'impliquer avec n'importe qui» (Répondant 7).
«Je vais à l'église pas plus ... Elle signifie beaucoup de choses. Je me retrouve là-dedans» (Répondante 1).
«Je viens à l'église, je suis avec mes compatriotes, je suis chez nous» (Répondant 3).
«Je n'ai pas attendu que quelqu'un me prenne par les mains. Lorsque je suis arrivée ici, j'avais 5 enfants à ma charge, mon mari était presque absent et c'est moi qui a fait bouger les choses. Je n'ai pas attendu le gouvernement, j'ai agi, j'ai travaillé, j'ai acheté un dépanneur» (Répondante 2).
Malgré tout, malgré la peur, les difficultés et la perte de repères, les
répondants ne parlent pas de leur expérience d'immigration avec tristesse
car, comme ils y avaient de l'espoir d'améliorer leur sort et plus encore
parce qu'ils étaient confrontés à la nécessité de s'intégrer au système
québécois, ils ont le sentiment d'avoir bien réussi.
«Il y a parfois des expériences qui sont difficiles et parfois d'autres expériences sont heureuses. J'ai gagné en 1996 un prix en littérature très important» (Répondant 9).
«Ils sont très organisés ici, je peux te dire que lorsque je suis arrivé c'était un choc pour moi, l'organisation était extraordinaire, tout est à sa place, on nettoie les rues, on ramasse la poubelle, les écoles sont proches, il y a des magasins partout, l'hôpital est gratuit, le téléphone n'est pas cher, c'est vrai qu'il y a des choses qui sont plus chères que chez nous, mais d'autres choses ne le sont pas» (Répondant 11 ).
«ça m'a pris plusieurs années avant que je m'adapte à la vie ici. Au début j'avais honte de moi parce que je ne me suis pas habitué à l'organisation Nazam, mais plutôt Al Faouda la désorganisation et le chaos. J'avais peur de faire des erreurs et me faire engueuler par les Canadiens. Je venais d'un pays qui
163
faisait parler de lui dans le passé lointain comme étant civilisé, mais la guerre a tout effacé» (Répondante 26).
«Je ne comprenais pas les choses ici. Par exemple, pourquoi l'hospitalisation est gratuite, mais pas la chirurgie dentaire? Pourquoi on fait des programmes pour aider les gens à arrêter de fumer et on ne fait pas des lois interdisant la vente des cigarettes et la fabrication. Il y a des écoles privées, mais pas d'universités privées. Il y a beaucoup d'aberrations ici, mais lorsqu'on comprend les choses ça va mieux» (Répondante 37).
Pour conclure, dans tous les cas examinés, le départ du Liban et la
présence à Montréal relèvent d'un projet de mobilité sociale. En venant à
Montréal, les aînés et leur famille souhaitent fuir l'insécurité du pays,
rejoindre leurs enfants et améliorer leur sort. Ainsi, la plupart du temps, les
intérêts de la famille et la construction d'un meilleur avenir se situent au
centre du projet migratoire.
La majorité des aînés envisage leur migration et leur installation à
Montréal comme une étape définitive. Leur présence à Montréal semble
devenir une finalité même si elle ne l'était pas au début de leur parcours. Il
faut dire que sur le plan économique, le Liban n'a guère progressé au cours
des dernières années, les complications se perpétuent pour la plupart des
individus qui y retournent et la majorité d'entre eux décident de revenir
éventuellement à Montréal.
Dans la dynamique migratoire des personnes rencontrées, leur niveau de
vie et le contexte montréalais libanais influencent la redéfinition du contenu
initial du projet migratoire. Après quelques années de vie à Montréal, les
zones gnses se clarifient et une décision d'installation définitive prend
forme. Les avantages sociaux et la relative sécurité économique
encouragent une certaine mobilité sociale. Les répondants ont vu leurs
enfants profiter des avantages que le système offre à l'ensemble des
164
citoyens (éducation gratuite, aide sociale pour les démunis, hospitalisation
gratuite, etc.). Les aînés disent que même en faisant face à des ennuis
d'ordres divers à Montréal, le niveau de vie y est supérieur et leur permet de
réaliser des actions concrètes, pour eux et pour leurs enfants. Le projet de
retour s'efface avec le temps et les liens avec le pays d'origine
s'amenuisent.
4.3 Rapport à la communauté libanaise de Montréal.
4.3.1 Structure communautaire
La présence d'une structure communautaire ou plutôt de structures
religieuses, sociocommunautaires et médiatiques libanaises remonte au 1ge
siècle au Québec. Elles sont concentrées particulièrement à Montréal. Les
associations dépendent du nombre des membres de la communauté
libanaise et de la distribution géographique résidentielle sur le territoire de
l'île de Montréal. Elles exercent une influence sur les membres de la
communauté en rapport à leurs missions tels l'intégration, l'information, le
rassemblement, etc. Dans cette section nous exposons les résultats
témoignant des expériences que font les Libanais aînés des structures,
associations et organisations libanaises. Ensuite, nous présentons quelques
témoignages portant sur la perception de nos aînés à l'égard de leurs
compatriotes.
Les institutions religieuses représentant les membres de la communauté
libanaise ont été les premières à voir le jour. Les églises furent le seul
moyen de rassemblement, de diffusion de l'information sur le pays
d'origine et de communication entre les membres de la communauté. Ainsi,
165
l'Église orthodoxe antiochéenne fut la première institution religieuse au
service de la communauté. Fondée en 1899, ses activités de rencontre et de
bienfaisance se déroulaient en langues arabe et anglaise. Cette paroisse
avait une publication en langue anglaise: le feuillet paroissial (Lebnan,
2002). La transition vers le français a commencé durant les années 1950.
Les institutions religieuses ont toujours été un lieu de rassemblement et de
rencontre à travers des activités sociales et paroissiales telles les soirées
culturelles, les sorties, etc., afin d'aider les fidèles à se sentir moms
dépaysés et à maintenir leurs valeurs et leur foi (Lebnan, 2002 : 99).
À côté des institutions religieuses, d'autres, connues sous l'appellation
d'organismes syriens, ont été créées dans le but de promouvoir le bien-être
social, politique et éducatif de la communauté libanaise. Ces associations
laïques réalisent des activités permettant la participation des gens d'affaires,
le réseautage et la diffusion de l'information auprès des organismes
canadiens sur le pays d'origine. En somme, le rôle de ces associations est de
resserrer les liens entre ceux qui habitent au Canada et ceux qui sont au
Liban. Quant aux médias écrits, ce fut en 1908 la création du premier
journal bihebdomadaire. D'autres médias furent créés à travers les vagues
migratoires libanaises avec l'objectif d'informer les membres de la
communauté, de promouvoir le rapprochement avec la société d'accueil et
conserver la culture d'origine (Lebnan, 2002 :104).
L'intégration d'une collectivité dans une société d'accueil dépend de
plusieurs données démographiques, socioculturelles et économiques. Elle
engendre des problèmes de coordination, d'unification et d'opposition
résultant de l'existence en son sein de différents sous-groupes, sous-cultures
et hiérarchies de classe (Lenoir-Achdijian, 2001 :89). Ce fait génère des
166
pressions vers l'inclusion et l'interdépendance des membres entre eux ou
avec les autres, une généralisation symbolique et une centralisation
politique dans le but de maintenir une identité culturelle distincte des autres
(Abou, 1986 :76). Vue l'hétérogénéité des immigrants libanais, leur
dynamisme et implication sont tributaires de leur appartenance religieuse,
de classe sociale distincte et des phases de migration différentes.
«Dans chaque réunion, il y a un ministre, une députée, mais ce qui désole, mais avec le temps doit disparaître, c'est les divisions dans cette communauté: les druze ont 2 associations, les chiites ont 2 mosquées, les maronites 2 églises, le parti nationaliste syrien a 2 chapitres. Bon, nous sommes une personne et demie ...pourquoi tout ça? Qui n'a pas d'influence comme un élément principal pour le changement ou pour influencer la société ici» (Répondant 9).
Nous avons déjà mentionné que la communauté libanaise est composée
des personnes issues de différentes vagues migratoires: la première est
arrivée vers la fin du 1ge siècle, la deuxième arrive après la Deuxième
Guerre mondiale et la troisième à partir de la période de la guerre du Liban
(1975-1990). Ceux qui sont arrivés durant les années 50 et 60 ont su
bénéficier du contexte économique en plein essor au Canada et au Québec,
tandis que ceux des années 1980 ont dû être confrontés aux difficultés
d'emploi. La venue de sous-groupe d'immigrants libanais s'est fait sentir
au sein même de la communauté par des tensions et des oppositions. Les
valeurs, les principes et les croyances de chaque groupe entrent en
compétition puisque ces groupes s'identifient culturellement d'une façon
différente et cela crée des divisions au sein de la communauté. Ces
divisions viennent nous rappeler celles du pays d'origine à un point tel que
les propos de ce répondant reflètent ce que plusieurs pensent:
167
«Ceux qui viennent du Liban ont des maladies ou bien confessionnelles, ou de l'extrémisme idéologique. Lorsqu'ils arrivent ici, ces gens-là trouvent d'autres personnes de la même confession et de la même idéologie. Ils sont tous ici. Alors là, ils vont les rejoindre. Au lieu de dire je vais sortir de ces difficultés que j'avais au Liban, non ils vont l'accentuer. Il n'y a pas de conscience politique, il n'y a pas de conscience sociale. Ils laissent ces gens dans l'ignorance, tous ceux qui travaillent dans le politique veulent que les gens restent imbéciles, c'est plus facile pour eux, les chefs. Je parle des responsables libanais qui ne veulent pas que les gens comprennent et deviennent conscients, ils veulent qu'ils restent cons. La communauté n'est pas solidaire» (Répondant Il).
«Je sens qu'il ya des divisions énormes, mais franchement je n'ai pas le goût d'en parler, je ne sais pas pourquoi. C'est comme si je m'insultais. C'est désolant, je le sens même entre chiites et sunnites, mais pour ne pas me faire du mal, je ne vais pas en parler» (Répondant 15).
«J'ai l'impression que plusieurs veulent reproduire et reproduisent le même clivage que là-bas et en ça moi je n'ai pas envie d'entrer, un étudiant au doctorat qui travaille sur le Liban m'apprend que toutes les factions politiques du Liban sont représentées ici» (Répondant 16).
«J'entends souvent sur les Libanais, qu'ils continuent à transporter les conflits du Liban et ils continuent à se rivaliser, je ne sais pas, j'entends parfois ma mère et je me dis, ah non ça continue les problèmes» (Répondante 26).
Il semble que les organisations ou les responsables de ces organisations
cherchent à projeter auprès de leurs membres et de leurs partisans une
image de responsabilité envers la communauté et le pays d'origine, ce qui
leur permet de leur inculquer le sens du devoir ou de la culpabilité. Or, ces
organisations par le clivage ordonnent un processus d'inclusion et
d'exclusion, fondé sur l'appartenance confessionnelle ou sur l'appartenance
à une conduite idéologique politique. «Ce système d'alliance est fondé sur
168
la solidarité et la réciprocité ou aussi ce système est basé sur 1'homogénéité
et la différenciation» (Abou, 1986 :79).
La communauté libanaise constitue une mosaïque religieuse complexe
à l'intérieur d'une vaste mosaïque culturelle. «Certaines valeurs sont
maintenues pour l'intérêt de la collectivité comme le maintien de la vie
sociale et communautaire autour de la famille» (Lenoir-Achdijian, 2001).
Malgré les oppositions internes au sein de la communauté, les institutions
religieuses, laïques et médiatiques rassemblent les Libanais, les sensibilisent
aux problèmes existants dans la société d'accueil et promeuvent le
rapprochement intercommunautaire.
«Je ne généralise pas, il y a des gens qui sont bien intégrés. Il y a aussi des gens que je ne fréquente pas. Ils disent sur les Québécois qu'ils n'ont pas le sens de la famille et qu'ils ont des relations sexuelles précoces. Il faut que des deux côtés apprendre l'un de l'autre. Il ya les mariages mixtes qui aident à çaje trouve» (Répondante 14).
«Les associations libanaises aident à fonctionner ici et aussi à comprendre ce qui se passe dans la société et aussi ce qui se passe au Liban» (Répondante 13).
Les différences au sein de la collectivité libanaise et les conflits entre
chacun des sous-groupes influencent leur niveau d'identification. Surtout
que la communauté est alimentée perpétuellement de nouveaux arrivants
présentant la complexité de la société libanaise. Ce flux aide d'un côté les
membres de la communauté libanaise à maintenir des points d'ancrages
culturels importants et d'un autre côté, ce flux diversifié pousse les mieux
installés à s'éloigner en raison du problème de la reproduction d'une
conduite rappelant les conflits perpétuels de la société d'origine.
169
«Les trois quarts ne sont pas bons. Ils sont malhonnêtes pourquoi? Parce qu'ils pensent que le Canada nous a pris le Liban. Ils ne disent pas merci pour ce que nous sommes ici et c'est à cause du Canada. Le Canada nous a accueillis. Les gens disent par exemple, je déteste la journée où je suis arrivé ici au Canada, mais pourquoi? Personne ne vous a obligé de venir, vous pouvez retourner au Liban. On était en train de travailler beaucoup, aucune assurance n'était pour nous làbas» (Répondante 2).
L'importance que ces aînés confèrent à la vie familiale contraste avec
leur désintérêt à l'égard de la vie communautaire de leur communauté
d'origine. La dimension communautaire de l'identité ethnique, qui
comprend la formation de réseaux d'amis, mais aussi la participation à des
associations, commerces et entreprisês, ainsi que les intérêts économiques
et politiques pouvant mobiliser le groupe, est réduite à l'élément
rassemblement dans les lieux religieux offrant un service communautaire
chez les aînés, surtout ceux arrivés après la guerre du Liban.
Tous nos répondants disent n'avoir que de très rares rapports avec leur
communauté de Montréal. Certains vont même remettre en question
l'existence des associations. Pour plusieurs, cette communauté, entendue
comme organisation, avec un leadership bien défini, des institutions solides
et des lieux d'identification, n'existe pas chez les Libanais.
«Afin de faire une critique politique, il y a une radio en arabe, il y a une télévision qui diffuse quelques heures et qui est vue par 14 personnes seulement. Tout ça, c'est problématique. Avec désolation, l'autre critique touche les intellectuels de la communauté, sont rares qui écrivent des critiques dans les journaux afin de défendre une cause ou bien pour critiquer une loi. Il y a des gens qui disent que c'est à cause du volume
170
restreint de la communauté, la communauté est jeune, je pense que ceci n'est pas une excuse... le problème c'est aussi, nos communautés ne sont pas séculières, elles sont toujours religieuses. Par exemple, si tu fais quelque chose à la mosquée, il y aura 2000 personnes, à l'église la même chose, mais si tu fais quelque chose sur les droits de la personne tu auras quatre personnes. Ou bien les experts des affaires sociales des communautés n'arrivent pas à transmettre comme il faut le message, ou bien c'est la communauté qui n'est pas intéressée ou bien c'est une combinaison des deux. J'espère qu'un jour, ces difficultés deviennent chose du passé. Maintenant le rêve qui doit être réalisé, je ne sais pas si ce sera dans mon vivant c'est d'avoir un centre culturel pour les communautés arabes qui parlent de tous les groupes et qui comporte un service communautaire et social, service juridique, bureau pour la production d'un journal francophone et arabe, salle pour les conférences et les réunions, je pense que la communauté est capable de faire cela, mais ça prend une conscience et une solidarité» (Répondant 9).
Plusieurs facteurs expliquent cette situation, selon les personnes
rencontrées. Nous en nommons cmq: le manque de solidarité,
l'hétérogénéité de la communauté, la méfiance des membres, le manque
d'associations libanaises et le rôle des médias.
Les personnes interviewées n'hésitent pas à dénoncer ce phénomène
dans la communauté. Pour certains, l'implication est comprise comme un
geste politique. Pour d'autres cela est dû particulièrement à l'état de guerre
que le Liban a traversé et la création d'une instabilité politique et surtout
sociale.
«On a réussi ici dans les affaires, je trouve que les Libanais travaillent, ils sont bien, ils travaillent vite, ils sont débrouillards, mais ils ne sont pas unis, ils apportent leurs problèmes. Il ne faut pas parler politique c'est très sensible, mais lorsque tu es avec un Libanais, c'est tout de suite la politique qui embarque et on n'est plus capable de s'entendre
171
et il Y a des divisions. Je pense que les Libanais peuvent faire mieux pour être plus solidaire» (Répondant 8).
«Je pointe notre communauté, je la critique parce qu'il ne faut pas à Montréal, qu'il y ait une dizaine de journaux, qui écrivent en arabe seulement. Notre voix n'est pas entendue ailleurs, on parle entre nous, on se critique entre nous et on rit de nous même, et on diffuse seulement nos histoires. Ceci est un problème sérieusement, et il faut changer cela. Il faut que notre voix soit entendue. Il faut avoir un journal francophone qui doit être écrit par la communauté» (Répondant 9).
«Dans la communauté, chacun a son opinion, je ne suis plus capable de me chicaner avec qui que ce soit» (Répondant 10).
4.3.2 L'hétérogénéité de la société libanaise
La vague de migration de l'après-guerre civile a mis en évidence la
pluralité de la communauté libanaise. Les raisons de migrer des différentes
vagues sont diverses. Les causes économiques occupent la première place
surtout chez les migrants d'avant-guerre du Liban, suivies par le drame de
la guerre.
«.J'ai l'impression que plusieurs veulent reproduire et reproduisent le même clivage que là bas et en ça moi je n'ai pas envie d'entrer» (Répondant 15).
«Il y a ici des gens qui appartiennent à des partis politiques et extrémistes plus que dans le pays d'origine. Et ça, c'est une catastrophe, l'écho est négatif sur la communauté et dans la société d'ici» (Répondant 9).
Le rôle des associations communautaires semble être marginal pour les
répondants. La majorité interrogée ne connaît pas les associations. Cette
répondante décrit le travail des associations comme étant un endroit pour
les élites:
172
«Il n'y a pas d'associations, je ne les connais pas. Ceux qui sont dans les églises il faut s'en éloigner. Même là-bas lorsque je vais à l'église ils se prennent pour d'autres, il y a de la jalousie entre eux, il y a de l'envie entre eux. Tout le monde est en compétition» (Répondante 2).
«Peu, il y a peu d'organismes, et il faut travailler sur ça. Il y a un vide énorme dans ce domaine. On voit dans leur charte que parfois ils décident qui doit entrer là-dedans et déjà on comprend ce qui se passe» (Répondant 9).
«Combien ils représentent ces gens (représentants d'organismes communautaires), ils ont des ententes avec Emploi Québec, c'est quoi leur succès. C'est un lieu ou les élites en profitent et les gens simples ne trouvent pas leur compte» (Répondante 14).
<<Je pense qu'elles font des choses, mais pas comme il le faut. Elles doivent faire mieux. Les Libanais suivent encore les partis politiques et ils ne sont pas encore libérés de ce comportement néfaste et de cette pensée. Ils n'ont pas essayé de comparer quel est le meilleur comportement pour nous les immigrants» (Répondant 15).
Parmi tous les répondants, ce sont les personnes âgées récemment
arrivées au Québec qui consomment les médias libanais ou arabes en
général, dont les chaînes de télévision captées par satellite. Ils préfèrent
s'informer sur l'actualité libanaise à partir des chaînes du pays d'origine ou
à partir des journaux arabes et la radio du Moyen-Orient. Cette exposition
aux médias influence, à notre avis, très peu le mode de vie de nos
répondants. Quoique parfois les nouvelles ne soient pas encourageantes sur
le Liban, ils trouvent que leur situation est bien meilleure ici que là bas.
Pour cette répondante qui regarde la télévision à travers le satellite, les
informations sont parfois difficiles à regarder. Les images de la guerre et la
173
situation misérable des familles sont désolantes. Elle relate le contenu d'une
émission qui présente l'état social des Libanais et trouve que la situation des
aînés est loin d'y être enviable.
<<11 Y avait une maison d 'hébergement pour aînés. Après une nuit de bombardements, le foyer a disparu, personne n'est venu voir ce qui s'est passé. Des histoires comme ça c'est plein...mais ici, on ne verra jamais ces histoires» (Répondante 2).
«Il ya la radio d'ici que j'écoute et les journaux, sinon il ya l'église qui nous réunit deux fois par semaine et moi je participe comme ça» (Répondant 3).
«J'ai vu l'autre fois à la télévision LBC comment les aînés sont traités au Liban, j'avais pitié pour eux autres. Les aînés sont à la charge de leurs enfants et ça commence à être difficile tout cela. Ils sont dans des situations très difficiles» (Répondant 29).
En fréquentant les différents types de médias arabes, les aînés
cherchent à satisfaire leurs besoins informationnels et affectifs. En effet, la
fréquentation des médias ethniques leur permet de soulager un peu la
nostalgie du pays d'origine.
Le recours aux médias est inégal chez nos répondants. Les aînés venus
avant la guerre du Liban ne semblent pas être intéressés par l'information
en direct. Ils consomment davantage les médias d'ici. Cette différenciation
s'explique par le lien plutôt faible avec le pays d'origine chez les
répondants d'avant la guerre civile. La plupart relatent qu'ils n'ont presque
pas de famille ou s'ils en ont, les liens ont été interrompus.
Nos résultats montrent qu'en dépit de cette frilosité face au mode de
VIe communautaire, ils reconnaissent le dynamisme des Libanais. Cette
174
personne confinne que les Libanais font l'apprentissage de la connaissance
de la société d'accueil.
«Les Libanais sont très actifs, beaucoup de choses positives, les Libanais et les Arabes ont compris que le vote est important, leur relation avec les dignitaires de la communauté est importante. Dans chaque réunion, il y a un ministre, une députée. Il y a une sorte d'amitié libano-québécoise qui est forte» (Répondant 25).
«Les Libanais fonctionnent très bien, s'adaptent, s'intègrent. Parce que dans le pire des cas, ils parlent deux langues, parfois trois langues surtout la nouvelle génération. Ils s'adaptent tout le temps partout. Ils réussissent aussi partout» (Répondante 1).
Les rapports avec les enfants et surtout les petits-enfants sont envisagés
par le biais des dimensions suivantes: la transmission de la langue et des
valeurs. Dans les relations intergénérationnelles, les grands-parents parlent
la langue arabe à leurs petits-enfants. La transmission de la langue est
importante. Les répondants ont le souci de transmettre à leurs enfants et
petits-enfants le sentiment d'être Libanais et les valeurs libanaises.
«Je parle à mes petits-enfants en arabe, je leur dis, c'est le pays où vos parents et vos grands-parents sont nés, et je leur dis, vous voyez le Liban c'est comme le Canada» (Répondante 2).
«Je parle arabe aux petits-enfants et je leur chante la chanson sur le Liban et sur Jésus, je leur raconte sur le Liban et je les habille d'une façon traditionnelle. Je n'encourage pas la politique, mais surtout le social. J'encourage beaucoup le dialogue et la communication entre les jeunes et les gens de différentes cultures» (Répondante 13).
175
«À l'école, mes enfants participent aux associatlOns de l'environnement, mais je n'essaie pas de transformer le Liban en une religion comme beaucoup d'autres ont fait. Je me dis que leur appartenance est avant tout une appartenance humaine» (Répondant 9).
La transmission des éléments culturels se fait par le maintien et la
perpétuation à la maison des us et coutumes de la vie quotidienne comme la
reproduction de mode de rencontre, les rites de visites entre voisins, les
rencontres chez le barbier, la participation à diverses activités de
célébrations de fêtes religieuses.
Une certitude domine: les petits-enfants sont mieux ici qu'au Liban. Ils
ont accès à toute une série d'activités aussi bien physiques qu'intellectuelles
nécessaires au développement des enfants. Outre cela, ils sont aussi
protégés par la loi, aspect qui est différent du Liban où les mesures de
protection de l'enfance sont absentes.
«C'est bien ici, mes enfants n'ont pas eu des difficultés à trouver un emploi, j'ai une fille qui travaille dans une école, elle est psychologue, et une autre elle est secrétaire dans une agence de voyages. Elles sont bien, elles ont des enfants, leurs enfants vont à l'école et moi je leur parle en arabe parce que sinon ils vont perdre la langue ...Jinane (nom fictif), ma fille aînée, parle plus avec les enfants en arabe, mais c'est difficile, il faut parler aux enfants, il faut l'inscrire dans une école, il faut faire beaucoup d'effort» (Répondante 4).
«Mes enfants travaillent beaucoup, je leur parle en arabe et à mes petits-enfants aussi et on leur raconte des histoires sur le Liban. Je ne parle pas beaucoup de la guerre parce que ce n'est pas ces histoires que je veux transmettre» (Répondante 37).
«Je maintiens peu de relations avec le Liban, J'ai un frère et une sœur là bas. Mais je ne vais pas régulièrement. Mes enfants ne connaissent pas tous les villages, mais je me dis une chance que
176
je l'ai amené ici, nous nous sommes sauvés, mais parfois je me dis qu'ils ne connaissent pas très bien le pays. Lorsque je suis allée la dernière fois, je me suis dit que je peux retourner pour visiter, mais pour vivre non jamais» (Répondante 2).
Dans l'ensemble, les personnes ayant participé à notre recherche sont
satisfaites de leurs relations avec les enfants et les petits enfants. Après tout,
leur présence à Montréal s'est faite dans le but de revivre en famille unie.
Leur satisfaction ressentie exprime la cohérence avec leurs valeurs
familiales: vivre dans une structure familiale stable et sécurisante. Après
tant d'années d'attente, la réunification familiale à Montréal demeure la
réalisation d'un rêve jamais achevé au Liban à cause de plusieurs guerres
qui ont duré longtemps.
4.3.3 La vie sociale à Montréal
La migration est un événement qui a transformé profondément la vie
quotidienne des répondants en plus d'être un facteur de modification majeur
du tissu relationnel. Les relations sociales se limitent au développement
d'un réseau de connaissances, l'engagement, le rapport au voisinage et le
lien avec la société d'origine.
Le réseau
L'immigration constitue une rupture avec la société d'origine. À
Montréal, les répondants s'organisent autour d'un réseau de parenté et des
amis. La majorité des répondants parle d'un réseau de la communauté
rencontré dans un lieu religieux ou dans le quartier.
177
«Je vais à l'église. Elle signifie beaucoup de choses. Je me retrouve là-dedans, je trouve mon esprit, mon âme, mon hlll11anisme, j'aime beaucoup aller à l'église, j'ai des amies là bas» (Répondante 1).
«J'ai des amies canadiennes dans l'immeuble, mais ce n'est pas pareil avec elles» (Répondante 4).
«Je vais à la mosquée, j'aide mes petits-enfants c'est tout» (Répondant 7).
«Je lis les journaux arabes, je regarde la télévision du MoyenOrient, et je participe aux réunions chrétiennes des témoins de Jehovah.» (Répondant 11).
L'engagement
Durant les premières années de séjour au Canada et pendant toute la
période de l'enfance de leur progéniture, les répondants, malgré le peu
d'organisations culturelles et religieuses existantes à cette époque, étaient
engagés à différents niveaux. Leurs engagements allaient de l'église
jusqu'aux luttes politiques dans le cas de certaines personnes.
«Mes relations ne sont pas seulement avec les Libanais, j'ai d'autres relations avec d'autres, je suis responsable d'une organisation littéraire, ma relation est importante avec ce groupe qui regroupe des penseurs et écrivains de tout le monde. J'étais membre d'un autre groupe d'étude sur les relations ethniques. Mes activités avec les Libanais prennent un peu plus de temps. Malgré les problèmes avec eux, il y a ce pont à construire avec la société d'accueil. Je leur dis n'ayez pas peur de perdre votre identité, cela les aide à s'impliquer davantage» (Répondant 9).
«Il y a des Libanais qui sont arrivés avant la guerre 50 et 60 ils ont été capables de construire quelque chose, de s'intégrer mieux, mais ceux qui arrivent maintenant, à peine ils sont
178
capables d'améliorer leur sort, à peine, je pense parce qu'il ya beaucoup de gens, leur nombre est grand (les immigrants)>> (Répondant Il).
Rapport au voisinage
En ce qui a trait aux relations de voisinage, les aînés adoptent une
attitude beaucoup plus distante et formelle à l'égard de leurs voisins de
Montréal. Habituellement, les migrants ne connaissent pas très bien les
voisins, encore moins s'ils ne sont pas d'origine libanaise. Contrairement au
Liban, les relations nouées avec les voisins vont au-delà des relations de
politesse.
«Je ne côtoie pas les gens d'ici. Je viens à l'église, je suis avec mes compatriotes, je suis chez nous, nos invités sont des gens parmi nous que nous connaissons très bien» (Répondant 3).
«Mes voisines au Liban font partie de ma famille. Je suis plus proche de ma voisine que de ma sœur. Toutes les fêtes et les confidences étaient partagées. J'ai vu nos enfants grandir ensemble. Ce n'est pas pareil ici» (Répondante 1).
179
4.4 Les options identitaires postmigratoires
Afin d'identifier les options identitaires adoptées par les répondants,
nous avons adressé une question portant sur leur sentiment identitaire et s'il
y a eu une transformation quelconque dans la description de leur identité.
4.4.1 L'identité Québécoise
Plusieurs perSOlll1es surtout ceux qui sont arrivés dans les alll1ées 50 et
60, ont participé de près à la construction de la société québécoise. Pour
eux, le Québec conespond à leur vision et de vivre. L'espace québécois
leur offre une expression de citoyenneté valorisée.
«Je suis heureux d'être ici, alors si la question t'intéresse, comment je me sens? Je me sens Libano-Québécois, sans ambiguïté. Même dans notre famille cette question s'est posée depuis quelques semaines alors je suis Québécois ...par ma descendance je suis encore Libanais» (Répondant 16)
«Je vit très bien avec ma québécitude, je la valorise et je l'affiche» (Répondante 14).
«Mais ils ont ouvert la porte (les québécois) et on était traité comme des humains, nous ne sommes pas de seconde classe, le Liban n'a pas fait cela. Je suis plus québécois que libanais» (Répondant 15).
Parmi les répondants, surtout ceux arrivés au Québec depuis longtemps
ont affirmé une appartenance ouverte et sans ambigüité à la société
québécoise. En examinant leurs témoignages, nous pouvons identifier
plusieurs facteurs qui semblent expliquer cette facilité à s'identifier à la
société québécoise.
180
«J'ai vécu 40 ans ici, tandis que j'ai vécue 25 au Liban, j'ai plus de vie ici qu'au Liban. Je me sens plus Québécoise que libanaise. La guerre est venue raser tout ce qu'il y avait de libanité en moi. J'ai trouvé horrible ce qui s'est passé au Liban. J'avais honte de voir cette violence, je disais à mes amis: ça ne se peut pas ce qui se passait au Liban» (Répondante 12).
«Lorsque je suis arrivé au Canada dans les années 60, le débat sur la politique et l'identité québécoise était à ses débuts. J'ai grandi avec les tensions linguistiques et avant ça c'éta.it la religion et tout ça. J'ai participé politiquement aussi dans le parti libéral des années 70. C'est pour ça, aujourd'hui quand tu me poses cette question je te réponds que je suis québécois. Je ne dirai pas pure laine, je ne le suis pas ... mais presque. Mes enfants ne connaissent pas le Liban, ils ont connu le Québec, ils parlent avec un accent québécois» (Répondant 21).
Ces répondants ont construit facilement leur réseau de contacts. Leur
ascension professionnelle leur a permis de s'identifier davantage à la classe
moyenne québécoise. Leur maîtrise de la langue a facilité l'acquisition des
codes culturels et les protocoles d'interaction avec la population d'accueil.
Leur jeune âge lors de leur arrivé au Québec a facilité leur participation à
l'édification de la société québécoise, ceci nous permet de dire qu'ils se sont
sentis faire partie de la société à titre de citoyens à part entière et finalement,
nous pensons que la faible présence d'une communauté d'origine jusqu'aux
années 1990 a contribué à s'identifier rapidement à la majorité politique.
4.4.2 L'identité Canadienne d'origine libanaise
Parmi les répondants, plusieurs avaient une affectivité pour les valeurs
canadiennes. Pour eux, le Canada et les Canadiens représentaient des
valeurs humaines et familiales auxquelles s'identifiaient les répondants.
«Les valeurs universelles familiales, j'étais littéralement éblouie par la vie à la maison et je trouvais que cela nous
181
ressemblait. Je m'identifie aux Canadiens, mais je suis aussi d'origine libanaise» (Répondante 14).
«Je te donne un exemple, si tu arrives devant quelque chose de bien tu ne peut que soupirer du confort. Je les aime les Canadiens parce qu'ils me font vivre, c'est honteux de nier ce qu'ils me font, je me sens canadien» (Répond<!.!1t Il).
<<moi je suis d'accord avec cette vision de société qui se construit de cette façon et qui tend à être humaine le plus possible. Il y a de la place pour tout le monde sans arrogance» (Répondante 22).
«Logiquement, je suis citoyen canadien et je suis d'origine libanaise. Qu'est-ce que je peux dire plus que ça? Je ne peux pas me nommer autrement. Je ne peux pas dire que je suis Libanais. Le problème chez quelqu'un qui immigre et passe 39 ans la citoyenneté ne signifie pas grand-chose pour moi. Ce qui est important c'est les valeurs humaines. C'est l'Humain qui dans un endroit peut interpréter ces valeurs» (Répondant 9).
<Je suis Canadien d'origine libanaise. Je ne peux pas nier, je suis très satisfait, ici il y a des conservateurs plus que chez nous et j'ai essayé ... (Répondant 15).
Suivant leurs expériences vécues dans leurs interactions avec la société
d'accueil, les répondants définissent différemment ce que c'est pour eux leur
sentiment d'appartenance et leur transformation identitaire. En ce sens, leur
perception du présent reflète une vision rétroactive de leur identité et en
même temps leur souhait pour l'avenir de leurs enfants. Plusieurs répondants
évoquent les limites dans leur contact avec la société d'accueil. Toutefois, ces
limites n'ont pas empêché une identification à la société d'accueil. Les
valeurs canadiennes demeurent pour plusieurs un élément très valorisant.
L'accueil, le confort et la reconnaissance sont les valeurs les plus appréciées
par les répondants.
182
4.4.3 L'identification à la société libanaise
Les entrevues ont révélé une certaine opposition de la part de quelques
répondants à la culture d'ici. L'héritage de la culture d'origine les
accompagne quotidiennement et conditionne leurs perceptions, leurs
jugements et leurs interactions. Deux zones semblent être fragiles et remises
en question et sont les rapports de genre et la solidarité entre les voisins. La
compréhension et l'apprentissage de nouveaux valeurs et codes sont parfois
difficiles pour certains et comportent une complexité dans l'exécution.
4.5 Liens avec le pays d'origine
Tous nos répondants arrivés pendant ou après la guerre du Liban
(1975-1990), gardent un lien familial avec le pays d'origine. Le contact est
maintenu par les moyens des télécommunications ou bien par des visites:
«J'ai des contacts avec le Liban, j 'y vais chaque année. Le Liban c'est mon pays, je ne peux pas effacer cela après 20 ans. Tu peux le faire avec les jeunes qui naissent ici. Le Canada s'intéresse aux jeunes parce qu'ils deviennent des Canadiens» (Répondante 13).
«J'ai quelques liens avec les proches là-bas. Je retourne pour la visite seulement» (Répondant Il).
Les aînés sont unanimes quant à la fonction du séjour. L'établissement
au Liban semble être une réalité difficile à réaliser. Le mode de vie des
Libanais au Liban n'est pas enviable:
183
«Je suis allé dernièrement, je suis allé avec des amis, on est parti au parc et on a joué comme anciennement. Moi ça me fait beaucoup mal de voir ce qui se passe au Liban. Je ne pense pas que ça va guérir avant ma mort. La débilité, l'énergie, et l'hystérie qui existent dans ce pays, aucun être humain ne peut l'imaginer. Comment et quoi et pourquoi on est arrivé à ça? Je peux te dire que quatre millions de personnes vivent avec des importants troubles psychologiques. Ils sont tous, je pense, déconnectés de ne pas voir ce qui se passe dans le monde. Ils sont pris dans l'urgence et les problèmes et les stupidités» (Répondant 9).
Une autre répondante ne semble pas être encouragée de retourner au
Liban sauf pour une visite exploratoire pour les enfants qui n'ont pas connu
leur pays d'origine:
«Non, je vais un peu chaque année, mais je ne vais pas retourner pour toujours. Je n'irai pas tout seul. Mon fils aussi, il me dit la même chose, si je veux aller au Liban il faut que ce soit avec mes enfants» (Répondant 15).
La filiation familiale est forte chez les aînés. Notre répondant est
conscient qu'un retour au Liban ne se fera pas sauf pour des raisons
sporadiques. L'engagement envers les petits-enfants dans leur pays (la
société d'accueil) est fort et maintenu:
«J'aimerai faire une session d'enseignement au Liban pas plus, je ne suis pas intéressé d'aller vivre au Liban. J'ai des enfants ici et je reviendrai. J'ai des obligations envers les enfants et ma famille, j'ai six petits-enfants» (Répondant 3).
D'autres répondants sont plus tranchants par rapport à cette question.
Le retour définitif ne se fera pas. Plusieurs ont vendu leurs biens au Liban
afin de distribuer l'héritage à leurs enfants installés au Québec.
184
«Je fais des visites au Liban, j'ai encore une propriété, une grande propriété au Liban, j'ai des terrains encore...ma femme et ma fille iront cet été afin de vendre les terrains» (Répondant 3).
«Moi je ne retourne pas au Liban pour rester, je retourne seulement pour visiter, c'est mon pays d'origine, c'est très important de garder cette mémoire et le contact, on ne peut pas oublier le pays des ancêtres» (Répondant 5).
«J'ai tout vendu avant de venir ici. J'ai vendu a rabais parce que je voulais me sauver» (Répondante 31).
Le but de cette section était de mettre à jour les différentes causes de
satisfaction des aînés libanais à Montréal vis-à-vis leur sociabilité locale.
Quels sont les éléments susceptibles d'influencer la qualité de leur vie
sociale? La présence des enfants et petits-enfants, le soutien familial qui en
découle, la possibilité d'une vie sociale «libanaise» intéressante malgré un
certain écart par rapport à celle du Liban figurent parmi les plus importants.
Les associations etlmiques, en tant que lieu de socialisation, jouent un
rôle important dans la formation identitaire et le maintien de l'identité
culturelle et donc, par corrélation dans la cohésion des membres d'un
groupe ethnique en question. À ce sujet, Radeki (dans Labelle, Therrien et
Lévy, 1994) fait remarquer qu'au Canada, l'objectif premier de la majorité
des associations etlmiques ne vise pas à faciliter l'insertion de leurs
membres à la société d'accueil, mais elles cherchent plutôt avant tout à
maintenir leur identité etlmique et nationale. En ce qui nous concerne, si les
associations de la communauté représentent et diffusent les valeurs des
communautés libanaises, ces associations sont également représentantes de
185
la division qui existe entre les différents sous-groupes (confessionnelles,
politiques et idéologiques).
Plusieurs auteurs travaillant sur la migration libanaise dans le monde,
principalement aux États-Unis, ont noté que les divisions de toutes sortes
freinent le développement d'une communauté libanaise et de ses institutions
(Kayal et Kayal 1975). La situation observée à Montréal diffère quelque
peu. Il est vrai qu'on ne peut proprement parler de l'existence d'une et
unique communauté libanaise à Montréal, qu'aucune institution ne regroupe
tous les Libanais et que des divisions persistent. Les associations libanaises
laïques se sont multipliées au cours des dernières années, mais elles se
distinguent par leur durée de vie généralement très courte. Elles mobilisent
peu d'individus et ne parviennent jamais à regrouper toutes les confessions
en raison des divergences idéologiques et politiques. Toutefois, chaque
communauté religieuse présente à Montréal, au fil des années, a développé
ses propres associations et institutions religieuses. De toutes les institutions
libanaises à Montréal, ce sont elles qui rassemblent en grand nombre les
Libanais.
L'absence de participation communautaire, la faible présence
d'organismes communautaires et culturels libanais tout comme les
déficiences relationnelles de la communauté libanaise contribuent
étroitement à une nouvelle reconfiguration de l'identité. Ce vide
communautaire oblige à être investi par des référents stables, valorisants et
solides. Dans ce sens, l'espace associatif de la communauté est loin, ne
serait-ce que symboliquement, ou dans l'imaginaire des répondants comme
étant reproductif de la rupture d'où on remarque ce dégagement de la
collectivité afin de créer une nouvelle façon d'être citoyens en se tournant
186
davantage vers l'extérieur (la communauté d'accueil). Nous pensons que les
aînés libanais vivent une tension entre une forme de répulsion de l'intérieur
et une attraction vers un extérieur répondant davantage à leurs aspirations.
Cette dialectique s'exprime par une forme de comparaison sociale entre le
ici-maintenant et là-bas-maintenant. Aussi, il se dégage une autre forme de
comparaison temporelle entre le moi du présent et le moi du passé.
187
CHAPITRE V
SYNTHESE ET DISCUSSION
-Pourquoi m'avoir parlé de Romain ? -Je devais absolument partager avec quelqu'un ce lourd secret que je porte depuis des années. Arrivé au terme de ma vie, je me devais de me réconcilier avec mon passé. Si tu écris mon histoire et que Romain la lit un jour, il comprendra qui je suis, qui il est, d'où il vient. J'espère qu'il assumera sans complexe cette double appartenance, cette double identité.
Alexandre Najjar25
Dans le dernier chapitre de notre thèse, nous exposons une synthèse des
aspects saillants se dégageant des données cueillies spécifiquement en ce
qui a trait à la recomposition identitaire des aînés libanais.
Corrune nous l'avons répété, l'examen de la situation identitaire des
aînés d'origine libanaise ne peut être concluant que si nous tenons compte
de leur perspective et des significations qu'ils accordent eux-mêmes à leur
25 Extrait du roman: Najjar, Alexandre. 2005. Le roman de Beyrouth. Paris: Plon.
VIe antérieure. Comme Malewska le confirme, «les valeurs liées à la
socialisation première de l'éducation sont au fondement de l'identité»
(2002 :21). En retour, leur expérience en tant qu'immigrants est aussi
cruciale. En nous basant sur le récit de leurs histoires, plusieurs éléments
sont évoqués pour désigner le changement ou la reconstruction identitaire.
Après interprétations et contextualisations, il nous paraît clair que leurs
perspectives peuvent être le mieux appréhendées à partir de ce qu'ils ont
exprimé au sujet de leur perception de la construction identitaire d'origine
et de leur idéal d'intégration à la société d'accueil.
Nous avons avancé l'idée que la compréhension de la construction
identitaire se fait étroitement en lien avec les phénomènes sociaux comme
la religion, les rapports de classe sociale et de genre, la migration et d'autres
encore. L'analyse que nous avons faite a confirmé une partie de cette idée.
La portée de nos résultats de recherche résiderait dans le fait que nous
avons tenté de mettre en œuvre une approche originale, associant l'individu
et les rapports dynamiques avec la société d'origine et la société d'accueil.
Nous présentons quatre thèmes majeurs qui se dégagent du processus
identificatoire des aînés libanais à Montréal:
1- La société d'accueil: une adhésion personnelle et réfléchie.
2- Le Liban: nostalgie et colère, avec perspective de non-retour dans la
patrie.
3- Famille et religion: des socs centraux apaisés.
4- Un procès de subjectivation très prégnant.
189
La société d'accueil: une adhésion personnelle et réfléchie.
Certains facteurs attractifs font en sorte que nous avons remarqué une
grande ouverture à la société canado-québécoise de cette première cohorte
d'immigrants libanais.
Dans le désordre, on invoque la constitution d'un appareil d'État fort
offrant la liberté, la sécurité et une conception humaniste de l'organisation
du vivre ensemble. Le rôle des institutions, programmes et services publics
ne cesse d'être vanté. Ce qui est mis en exergue se rapporte au rôle des
aînés qu'ils estiment reconnu, valorisé, à la sécurité de la vieillesse et au
traitement en général respectueux (cela va du personnel du clsc, des
chauffeurs de taxi, de la travailleuse sociale parlant arabe et même d'un
ministre en titre), à la gratuité et à l'accessibilité des services. Rappelons
l'importance que mettent Portes et Zhou (1993), Berry (1989, 1994) et
Martiniello (1995) sur les politiques et programmes gouvernementaux quant
à l'incorporation segmentée. Nous affinnons leur influence très grande sur
la refonnulation identitaire des aînés d'origine libanaise. Le processus de
comparaison sociale fournit l'argumentation.
On ne tarit pas d'éloge sur la citoyenne canadienne. L'égalité de chance
avec tous semble être le plus prisée.
«Tout est question de droit, c'est bien ... au Liban ça prend des connaissances (wasta) pour avoir tes droits» (Répondante 33).
Dans leurs rapports de recherche sur l'incorporation citoyenne des
québécois d'origine arabe, Oueslati, Labelle et Antonius remarquent que «
le choix du Canada comme option identitaire devient donc une posture
190
défensive contre les Québécois issus de la majorité francophone à cause de
rapports de pouvoir qui leur sont défavorables et du rejet ressenti.»
(2006 :151). Dans le cadre de notre recherche auprès des ainés d'origine
libanaise, nous arrivons à des résultats différents. Quoique plusieurs des
répondants ne font pas une distinction claire entre le contexte canadien et
celui du Québec quant à la question de la citoyenneté, nous pouvons
toutefois affirmer que plusieurs personnes, arrivées dans les années 50 et
60, ont participé de près à la Révolution tranquille, ont frémi aux aspirations
de souveraineté, ont vécu les débats acerbes sur la religion et la langue. Le
Québec correspond à leur vision du bien-vivre.
«Je suis heureux d'être ici, alors si la question t'intéresse, comment je me sens? Je me sens Libano-Québécois, sans ambiguïté. Même dans notre famille cette question s'est posée depuis quelques semaines alors je suis Québécois, mais par ma descendance je suis encore Libanais» (Répondant 16).
«Je suis une citoyenne québécoise tout court avec une expérience particulière. J'ai assez de matériaux dans ma vie. Je suis une citoyenne québécoise, mes racines sont dans mes poches. Je suis enracinée ici et je compte bien vivre mes dernières années ici. Je vais vivre ma vie ici» (Répondante 14).
Ces répondants ont une particularité quant au niveau d'étude. Ils ont
des diplômes universitaires, ce qui contribue à {<un positionnement
favorable de Soi par rapports aux appartenances alternatives» (Mokounkolo
et coll. 2002). Nous arrivons aux mêmes résultats décrits par ces auteurs
qui affirment que plus les sujets sont instruits, moins ils privilégient leur
appartenance traditionnelle.
Ces répondants ont construit facilement leur réseau de contacts. Leur
ascension professionnelle leur a permis de s'identifier davantage à la classe
191
moyelU1e québécoise. Leur maîtrise de la langue a facilité l'acquisition des
codes culturels et les protocoles d'interaction avec la population d'accueil.
Leur jeune âge lors de leur arrivée au Québec a facilité leur participation à
l'édification de la société québécoise. Ceci nous permet de dire qu'ils se
sont sentis partie prenante de la société à titre de citoyens à part entière et
finalement, nous pensons que la faible présence d'une communauté
d'origine jusqu'aux alU1ées 1990 a aussi contribué à une identification
rapide à la majorité. Ces résultats sont différents de ceux de Oueslati,
Labelle et Antonius qui trouvent qu' <<une instrumentalisation de la
citoyelU1eté canadielU1e est plus évidente qu'un véritable sentiment
d'attachement affectif au Canada ou au Québec et de fierté d'être canadien
ou québécois» (2006: 152). Le même constat a été observé quant aux
expériences de discrimination. Tel que mentiolU1é au chapitre 4, les
répondants témoignent d'une vie paisible, libre de rapports discriminatoires
avec les natifs de la société d'accueil. Ces résultats sont distincts de ceux
mentiolU1és dans le rapport de recherche de Oueslatti, Labelle et Antonius
où les entrevues montrent que <des répondants d'origine arabe, tant
musulmans que chrétiens, considèrent que le racisme à leur égard est
omniprésent sous différentes formes» (2006: 153).
Nos résultats rejoignent celles d'Abdel-Hady (2005) sur le plan de la
construction identitaire des libanais en terre d'accueil. Telle que mentiolU1é
plus haut au chapitre 1, les résultats de la chercheure confirment que les
libanais construisent ou reconstruisent une identité à trait d'union,
Américains -libanais, canadiens- libanais, etc. Nous arrivons aux mêmes
résultats dans les choix identitaires des répondants participants à notre
recherche. Ils sont canadiens d'origine libanais, québécois d'origine
libanaise ou canado-libanais. De la même façon, nos répondants ne
192
s'identifient pas au pôle arabe. Nos résultats correspondent à ceux d'Abdel
Hady.
Le Liban: nostalgie et colère, mais perspective de non-retour dans la mère patrie.
S'interroger sur le processus de reconstruction identitaire des aînés
libanais de Montréal exige de bien prendre en compte le contexte au Liban
au moment de la décision d'émigrer. Presque tous les répondants
interviewés ont à un moment donné évoqué la situation difficile dans la
patrie et surtout les affres de la guerre. On évoque un Liban manipulé par
des forces étrangères, tiraillé entre les diverses factions communautaires
confessionnelles et les clans familiaux s'y activant. Il semble impossible de
faire sens de toute la division, la haine, la violence, la peur constante,
«l'enfer» comme le dit une aînée:
«Lorsque je suis sortie de cet enfer en 1989, je ne croyais pas mes yeux. Avec mes deux enfants, j'étais certaine que j'allais mourir avec eux. Lorsque je suis arrivée à Chypre, je regardais l'enfer de loin, j'entendais encore les bombardements. Je riais comme une folle et je ne savais pas si c'était de joie ou de choc.» (Répondante 31).
«C'était traumatisant ce que nous avons vécu. C'était inimaginable, la guerre entre les membres de la même famille, les divisions entre les membres de la même famille, les disputes entre les membres de la même famille. Je ne comprends pas comment l'humain peut être si bas. Probablement ce n'était pas humain.» (Répondant 25).
193
Enfin en sécurité ici, l'angoisse tiraillé encore jusqu'à même l'été
2006. Où sont certains jeunes, où sont les hommes particulièrement
exposés: frères, pères, oncles, proches?
Les entrevues ont révélé une certaine opposition de la part de quelques
répondants à la culture d'ici. L'héritage de la culture d'origine les
accompagne quotidiennement et conditionne leurs perceptions, leurs
jugements et leurs interactions. La compréhension et l'apprentissage de
nouvelles valeurs sont parfois difficiles pour certains et l'adoption d'autres
codes est exigeant. Pour ces raisons, l'attachement aux valeurs d'origine
relève davantage, à notre avis, d'une quête nostalgique. La libanité
exprimée par les répondants est composée d'émotions, de nostalgie,
d'attendrissement et de regret pour le pays d'origine.
Par contre, la colère gronde et la critique se fait virulente sur
l'organisation de la vie, l'État, l'absence de politique sociale universelle, la
désorganisation et le manque de structuration au Liban quand la méthode
comparative se met en branle: peu de sensibilité sociale pour aînés, pas de
services ou de soutien.
«Lorsque j'ai visité mon quartier natal en 1987, j'ai eu un choc. Ça faisait longtemps que je n'étais pas allé. Personne ne me connaissait. Il faut dire, le pays était en plein guerre aussi. J'avais des images d'horreur devant moi. Je n'étais pas capable de rester longtemps. J'ai coupé mes vacances et je suis retourné à Montréal» (Répondant 5).
«On change lorsqu'on immigre. Cela peut prendre du temps, mais on remarque lorsqu'on retourne au Liban. Je ne suis plus habitué au désordre, peut-être parce que j'ai vieilli. Mais là bas, les choses n'ont pas changé, les gens pensent de la même manière qu'avant mon départ à Montréal» (Répondante 14).
194
Nous pouvons affinner que l'expérience de Vie dans la société
d'origine et les liens transnationaux ont un impact majeur sur les
transformations identitaires. L'analyse de nos données indique que le
trauma vécu par les répondants au Liban en lien avec les crises qui ont
secoué le pays, l'image négative diffusée par les médias et la comparaison
sociale défavorable à l'égard du pays d'origine ont contribué à transfonner
l'identité des aînés d'origine libanaise. Nous rejoignons sur ce point les
travaux de Festinger (1954), Tajfel (1972), Cerclé et Sonat (2002), De La
Sablonnière (2007), et tel que mentionné dans le chapitre 2, Turner (1981)
et Moscovici (1984) affirment que la comparaison sociale est au centre de la
construction identitaire et de sa transformation et que sous l'influence de
plusieurs facteurs, notamment le lieu, la langue, le système des valeurs et le
temps, les stratégies identitaires individuelles peuvent être privilégiées par
rapport à celles du groupe d'appartenance. Ainsi, les personnes aînées
interviewées abordent cette question d'identification en faisant des
comparaisons diverses entre leur situation ici et celle dans le pays d'origine.
Nous en nommons trois importantes: 1) une comparaison sociale délimitant
les conditions de vie en tant qu'aîné ici et les conditions de vie des aînés du
Liban, 2) une comparaison temporelle mettant en exergue leur conditions de
vie à l'état actuel et ce qu'ils vivaient au Liban avant leur migration et,
finalement, 3) une comparaison entre deux systèmes (fonctionnement des
institutions et l'octroi de services, le rôle de l'État, les programmes
d'assurance et les droits et obligations, par exemple l'égalité des sexes).
Il yale problème des aînés au Liban qui n'ont pas de maisons et sont
obligés de vivre chez leurs enfants avec toutes les tensions qui peuvent
survenir. Ils se déplacent impuissants, sans ressource d'un fils à un autre.
Un répondant affirme:
195
«Tu sais, il n'y a pas de gouvernement au Liban, il faut que les gens s'arrangent par eux-mêmes et ça continue. Les aînés sont très pauvres à moins que la personne ait des terres à vendre pour payer des services, mais ce n'est pas facile la vie là bas.» (Répondant 3).
Contrairement à d'autres recherches (Abou, 1986, Le Gall, 2001),
l'hypothèse d'un retour au Pays des cèdres est presque nulle. Nous arrivons
à des résultats qui affirment que les liens transnationaux sont plutôt affaiblis
sans toutefois affecter l'unité familiale. Les aînés témoignent d'une
identification apaisée envers la famille d'ici et jouent un rôle auprès de leurs
petits-enfants, loin des bouleversements causés par la situation au Liban.
Selon nos données, les répondants semblent satisfaits de leur vie à
Montréal à un point tel que la notion de retour ne figure pas parmi les
projets à venir.
«Nous sommes venus ici au Canada et c'est notre pays, je ne veux pas que mes enfants retournent au Liban. Je suis Canadienne libanaise» (Répondante 2).
«Je ne peux pas renier mes origines, mais je suis reconnaissant pour le rôle du Canada. On est bien ici .. .Je ne pense pas que je retournerai définitivement au Liban» (Répondant 3).
Nos résultats correspondent aux résultats d'Abdel-Hady qui affirment que
l'option du retour définitif au pays d'origine des libanais en terre d'accueil
est loin d'être gagnée, au contraire, elle ne figure pas comme option
définitive.
196
Famille et religion: des socs centraux apaisés.
L'identité confessionnelle et l'ancrage familial profond ont constitué,
selon les répondants, des assises très significatives de leur identité dans la
mère patrie. Pour la première de ces strates identificatoires, Sélim Abou
(1997 :64) expliquait:
«Mais il n'est libanais qu'en tant que chrétien ou musulman, car la religion est ici un facteur d' ethnicité producteur de modèles culturels, comme la langue l'est ailleurs, que l'individu concerné soit croyant ou non. Ce n'est pas tout: il ne s'identifie aux traditions chrétiennes ou islamiques qu'à travers sa «communauté rituelle» qui fonctionne comme un groupe ethnoculturel restreint: le chrétien est maronite, grec orthodoxe, melkite, annénien, syriaque, latin, etc. Le musulman est sunnite, chiite, ou druze».
Hiérarchisées, les diverses communautés confessionnelles «coexistent
parfois dans la paix et la coopération et d'autres fois dans la discorde et la
concurrence entre les communautés» (Bdeir, 2005 :103). Selon Conn, le
phénomène communautariste empêchait toute tendance vers une société
égalitaire entre ses membres, «l'égalité des individus sera -estompée par la
revendication de l'égalité des communautés dans l'ordre politique et social»
(2003: 26). Cette configuration «ethnoculturelle» selon Abou (1997 :54) ne
peut plus exister dans le pays d'accueil. Non pas que les convictions
religieuses disparaissent - surtout chez les aînés libanais de la première
génération - mais la religion devient plus personnelle et son rôle ne
structure plus la libanité jusqu'à la violence, mais sert de creuset à une
socialisation «apaisée» nous pourrions dire. Dans ce sens, les recherches de
Camilleri et Cohen-Emerique (1989), Camilleri (1990), Sabatier et Berry,
(1994), Berry (2000) sur les stratégies d'acculturation chez des adultes
immigrants montrent une transfonnation identitaire qui n'est pas radicale et
197
définitive, malS con-espond à la recherche d'un équilibre. Les églises,
mosquées et autres sont tout autant des lieux de culte, que des espaces de
convivialité où il fait bon se retrouver ensemble, parler de la vie avant et
après, recevoir les conseils d'une diététiste, se faire des amis-es. Comme
l'exprime bien cette répondante:
«J'ai ma famille à côté de moi, mes enfants sont mariés et ont des enfants, j'ai tout sur le plan familial. Lorsque je viens ici à l'église, ce n'est pas seulement pour la prière, mais surtout pour jouer aux cartes avec les vieux comme moi, de discuter avec eux et de participer» (Répondant 35).
Même si les aînés demeurent des fervents pratiquants et que leur raison
principale d'avoir immigré est pour la réunification familiale dans un pays
sûr, préoccupé de justice sociale et d'égalité des personnes, on peut noter
pour l'identité familiale un peu le même processus que pour la confession:
une forme de «déprise», d'un nouveau rapport plus serein, plus détaché. Nos
résultats sur l'importance de la famille concordent avec les études de Sarah
Joseph (1993, 1998) portant sur la famille libanaise. La famille donc est,
comme nous l'avons vu, au cœur du projet migratoire. Les aînés
interviewés ne tarissent pas d'éloges devant la fierté et le réconfort de voir
leurs enfants travailler, vivre décemment; d'observer grandir leurs petits
enfants. Ce bonheur comble les espoirs si ardemment entretenus alors qu'il
a fallu fuir la guerre, l'insécurité économique et la peur de perdre les êtres
chers. Les aînés sont en lien quasi quotidiens avec leurs enfants. Habitant le
sous-sol ou à l'étage de leur famille, les aînés se mobilisent pour aider à
entretenir la vie: cuisiner, garder les petits, s'entraider, etc. Par contre,
l'existence de programmes sociaux de sécurité de la vieillesse ont fait en
sorte que les personnes âgées rencontrées se sont autonomisées de leurs
enfants: habitations autres, non-dépendance financière, choix de conduire
198
sa VIe sans le jugement des autres ou la surveillance rapprochée. Le fait
d'avoir une autonomie financière semble être un facteur déterminant et
prend un sens très important.
La plupart des aînés à Montréal se retrouvent en présence de leurs
enfants et leurs petits-enfants. Souvent, les aînés occupent un espace séparé
de leurs enfants, mais à l'intérieur de la maison par exemple, le bas d'un
duplex ou le sous-sol de la maison. Cette proximité est appréciée par les
répondants qui disent qu'elle est une source de motivation dans leur
établissement à Montréal. La présence de leurs enfants à Montréal a joué un
rôle indéniable dans leur adaptation à cette nouvelle vie. En situation de
migrants, les aînés disent ne pas avoir la possibilité de créer une ambiance
similaire à celle qui caractérisait leur vie au Liban. Malgré cela, ils disent
qu'ils ont tout le soutien nécessaire à Montréal.
Dans leurs démarches relationnelles, les aînés donnent la priorité aux
enfants et petits-enfants. Cette priorité ou plutôt cette exclusivité entrave le
développement de relations significatives avec l'extérieur. Contrairement au
Liban où les relations de voisinage et amicales occupent une très grande
place, à Montréal, le cercle restreint de la famille devient crucial. La famille
demeure un pôle essentiel de la sociabilité.
Proximité affective et physique dans un nombre élevé de cas, mais non
promiscuité, non-subordination, non-dépendance servile, non-sentiment
d'humiliation. Les anciens socles de la famille élargie se sont réduits et
l'accent se concentre sur les enfants et les petits-enfants dans un nouvel
espace permettant de vivre aussi pour soi, avec son conjoint, avec des amis
es, un espace donnant accès à la ville et à des projets personnels, à une
199
liberté nouvelle. Le socle familial comme strate identificatoire est toujours
tenace, mais des appels d'air, des trous d'hommes, des grilles d'aération ou
de ventilation rendent la maison plus habitable. On a vu plus haut, dans le
cas des femmes aînés libanaises, comment leur trajectoire d'individuation
tient à ce nouvel espace conquis non sans douleurs et tiraillements.
Un procès de subjectivation très prégnant
Un des éléments qui nous a le plus surpris, dès les premières entrevues,
fut les nombreuses femmes aînées libanaises qui affirmaient avoir la
maternité comme première identité. Au dessus des ancrages confessionnels,
familiaux, communautaires, de classe sociale ou autres, le fait d'être mère,
principale référence identitaire primait au Liban. Ce pouvait être une
réduction essentialiste compréhensible dans une société traditionnelle bien
encadrée. Ce pouvait être aussi une affirmation de l'importance de la vie, du
don, de la responsabilité d'êtres plus fragiles et un pied de nez à toutes les
querelles identitaires.
Mais encore plus étonnante fut l'affirmation par des aînés - hommes et
femmes, mais d'une façon plus insistante de la part des femmes - d'un
procès de subjectivation ou d'individuation provenant de la vie dans la
société d'accueil. Comme le souligne Touraine, entre autres dans
«Comment vivre ensemble égaux et différents», ce processus est un travail
sur soi permettant à quelques-uns-unes de devenir sujets-acteurs de leur vie
et des orientations de ce qui vient. Ce travail exige de se distancier des
codes et valeurs dominants ou imposés, de développer une estime et une
confiance en soi, et de reconnaître les autres comme travaillant aussi à
devenir sujets. Les façons d'exprimer ce procès se réfèrent à des espaces de
200
liberté et d'autonomie qui sont créés; à une façon de se «déprendre» de la
dépendance à 1'égard du mari, des enfants; à un sentiment de liberté et de
renouveau. Un répondant affirme:
<<À moins que la personne soit très riche, ce qui est rare, les aînés ne sont pas bien considérés, le gouvernement (libanais) ne les regarde pas, ils peuvent mourir de toute sorte de choses. Par contre ici je suis bien, je ne dépends pas de mes enfants et ça, c'est important. Ils veillent sur moi, mais je ne suis pas attaché à eux» (Répondant 36).
Deux autres répondantes expliquent:
«Je suis très intégrée ici. J'ai beaucoup changé. Lorsque je vais au Liban, je me trouve bizarre avec eux. Je me posais la question si c'était moi ou bien ce sont les autres qui ont changé, mais je pense que c'est moi qui a changé dans ma façon de voir le monde, mes droits, qu'est-ce que c'est d'être respectée» (Répondante 1).
«Ce qui a changé c'est que je me fais confiance. J'ai confiance en moi. Je peux prendre des décisions toute seule, des décisions qui me concernent, je ne suis pas obligé de prendre l'opinion de qui que ce soit. Cela est très important» (Répondante 32)
Deux autres femmes expliquent à quel point sont crucIaux le fait de
travailler à l'extérieur, avoir un salaire, circuler librement, etc.
«Ce que je trouve bien ici c'est la liberté de vivre. Je peux vivre comme je veux et faire ce que je veux. Je ne suis pas enchaînée dans la vie. Je ne suis pas prise dans le rythme traditionnel de vie.» (Répondante 1).
Ne plus être humiliée, ne plus être tributaire d'un frère, d'un mari, d'un
fils, apprendre à prendre des initiatives par soi-même, c'est sûrement
201
difficile, mais à terme c'est très valorisant. La thématique de la dignité ne
cesse de resurgir.
«C'est comme de la magie; ça fait deux ans que je reçois de l'argent du gouvernement ... Ce n'est pas pour l'argent, mais plutôt pour la valeur symbolique que le gouvernement m'accorde.» (Répondante 22).
Un répondant parle même de dignité:
<<À l'âge que j'ai, j'ai des besoins particuliers de médicaments, de certaines activités et de l'alimentation aussi. Lorsque je reçois le chèque du gouvernement, ça m'aide à ne rien demander à mes enfants. Je préserve ma dignité et celle de mes enfants aussi. Je suis encore capable de décider et d'avoir ce plaisir de consommer et de me déplacer sans attache.» (Répondant 23).
Il faut voir au terme de ce chapitre la preuve du caractère dialectique
de l'identité. La force des identifications varie selon les contextes. Ce n'est
pas parce que les sujets sont aînés que pour autant leur identité restera figée
ou encore qu'ils n'ont pas d'attachement avec la société d'accueil. Nous
présentons dans la conclusion qui suit, ce qui nous semble important dans
notre contribution à la connaissance sur la reconstruction identitaire des aînés
d'origine libanaise.
202
CONCLUSION
« Le ténor» prenait toujours les choses du bon côté, voyait la moitié pleine du verre. Il était si optimiste qu'il avait le plus grand mal à se représenter la vieillesse ou la mort. A l'âge de soixante-treize ans, il s'offusqua de me voir le classer dans la catégorie des personnes âgées. «Je ne suis pas vieux », me corrigea-t-il d'un ton sévère. Un jour, pendant la phase la plus critique de la guerre, alors que nous nous trouvions aux abris, confmés dans une salle obscure et malodorante, attentifs au bruit des explosions qui secouaient la ville au-dessus de nos têtes, nous vîmes papa débarquer avec une bougie et une pile de dossiers. -Qu'est-ce que tu fais, p'pa? - Des dossiers à terminer, me répondit-il en s'installant dans un coin de l'abri. - Quels dossiers? Le pays est dévasté. Il n'y a ni clients, ni tribunaux, ni juges, ni justice ... A quoi bon? Mon père hocha la tête et eut ces mots magnifiques - Demain la paix viendra, et je dois être prêt.
Alexandre Najjar26
Arrivé au terme de notre travail, nous sommes particulièrement fier
d'avoir recueilli la parole des aînés libanais. La richesse, la diversité de leurs
propos construisent une image panoramique hautement intéressante.
26 Extrait du roman Najjar, Alexandre. 2006. Le silence du ténor. Paris :Plon.
Nous sommes heureux d'avoir pns l'orientation de la dynamique
identitaire et aussi d'avoir conçu une hypothèse nécessitant une comparaison
rigoureuse entre expérience du pays d'origine et expérience du pays d'accueil.
Nous sommes ravi aussi d'avoir utilisé la méthode comparative qui s'est
avérée extrêmement riche.
Nous sommes très heureux aussi d'avoir contribué à l'examen de la
complexité de l'identité en puisant chez certains auteurs comme Portes, Berry,
Camilleri, Cerclé et Sonat la logique de la construction identitaire et ses
différents aspects en lien avec les politiques publiques, l'acculturation, la force
du réseau social, les liens transnationaux, la comparaison sociale, etc.
À travers cette recherche, nous avons réussi à comprendre la dynamique
entre l'expérience de la vie au Liban et celle dans la société d'accueil.
Également, nous avons réussi à comprendre l'importance du concept de la
comparaison sociale et son impact sur la reformulation identitaire des aînés.
Le concept de la comparaison sociale a été mis à contribution afin d'élucider
l'articulation entre la situation sociale à travers les politiques publiques de la
société d'accueil, par exemple, et la situation prégnante dans la société
d'origine. Nous avons aussi réussi à mettre en lumière l'importance de la
contribution concernant la subjectivation des femmes.
Notre surpnse fut grande en découvrant que, contrairement aux
différents discours des théoriciens, politiciens, historiens et sociologue, deux
options identitaires semblent être faibles même absentes. La première en lien
avec la religion, la deuxième est en lien avec l'identité arabe. En effet, le
discours des répondants ne révèle pas la présence d'une identité religieuse
204
marquée. À l'opposé de plusieurs auteurs qui affirment l'importance de la
religion comme mailloI) essentiel dans la construction de l'identité au Liban,
les répondants n'en accordent aucune importance à cette frontière identitaire,
malgré l'affirmation d'une présence de la pratique religieuse dans leur
quotidien et ce, autant dans la vie au Liban que durant leur vie au Québec.
Nous étions étonné de savoir que la place de la confession devenue apaisée et
les rapports familiaux étaient mises de l'avant dans les rapports de
quotidienneté chez les aînés.
Sur le plan de l'affirmation identitaire arabe, nous avons vu au premIer
chapitre comment le contexte géopolitique au Liban a influencé la
construction d'un discours autour de l'Oumma (la mère patrie), affirmant d'un
coup l'émergence d'un nationalisme arabe fort. Le Liban a contribué à sa
manière au renforcement de cette identité valorisée par les uns décriée par les
autres. Fait remarquable, le pôle identitaire arabe n'a pas été manifesté par les
répondants malgré leur diversité d'appartenance (religion, sexe, classe
sociale).
La dynamique de rupture dans leur discours alimente positivement leur
insertion et acceptation de la société d'accueil. Ces expériences viennent
questionner leur identité dans un moment où ils ont eu le sentiment d'être mis
à l'écart dans leur pays d'origine ou bien d'avoir le sentiment que des
personnes âmées sont mises à l'écart dans le pays d'origine, comme certains
l'ont bien mentionné. Ils ont trouvé les valeurs recherchées en même temps
que les habitudes de vie familiale, sociale et culturelle libanaise. L'aspect
dynamique de l'identité se trouve questionnée entre une identité collective
reformulée sinon remise en question et une autre, personnelle renforcée.
205
Nous ne pouvons pas à partir des données recueillies auprès des
répondants prétendre que les résultats de notre recherche sont généralisables à
l'ensemble des aînés d'origine libanaise, et ce, malgré l'émergence de
plusieurs points en commun dans leurs récits et dans leurs expériences en pays
d'accueil. Toutefois, plusieurs questions restent en suspend. Si le facteur
religieux ne représente pas un indicateur d'homogénéisation dans la
communauté en général, quel rôle exact jouent ces espaces de
rassemblement que sont les lieux de culte? Les répondants semblent avoir un
attachement très significatif pour les valeurs familiales. Quelle configuration
prennent les pratiques des jeunes de la deuxième génération à cet égard?
Les récits des répondants montrent la présence d'une expérience
d'ouverture à la société d'accueil. La faiblesse d'événements de discrimination
et de racisme joue un rôle important dans cette reconfiguration positive de
l'identité. Si l'on interrogeait des aînés dans d'autres conditions objectives et
subjectives, par exemple pris en charge dans les réseaux privés et publics de
résidences pour personnes âgées, arriverions-nous à des résultats semblables?
Finalement, nous avons remarqué également que les aînés échangent
avec le pays d'origine. Il serait intéressant d'approfondir la problématique des
rapports transnationaux afin de comprendre l'impact de celle-ci sur leur
trajectoire identitaire. Voici donc un certain nombre de questions qui seraient
bon d'explorer afin d'approfondir nos connaissances. Considérant l'apport
positif de la migration sur l'identité des aînés d'origine libanaise, quelles
relations les enfants et les petits-enfants des familles libanaises entretiennent
ils avec la société d'origine er avec la société d'accueil? Sachant que les aînés
qui sont arrivés dans les années 50 et 60 étaient actifs dans la société
québécoise, qu'en est-il aujourd'hui de leurs enfants et petits-enfants?
206
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225
ANNEXE 1
CONSENTEMENT DES PARTICIPANTS-ES
VIEILLIR AILLEURS.
OPTIONS IDENTITAIRES ET PAROLES D'AINES D'ORIGINE LIBANAISE.
Je suis étudiant au doctorat en sociologie à l'UQAM.
Je fais une enquête pour savoir comment les aînés libanais de Montréal vivent et reconstruisent leur identité. J'aimerais vous poser quelques questions.
Votre participation est volontaire, bien entendu. Si vous acceptez de répondre à mes questions et que vos réponses soient enregistrées, je peux vous assurer de la confidentialité. Nous tenons ces cassettes sous clé et non-identifiées.
L'entrevue prendra environ Ih3ü et comporte quelques sections ou parties.
D'abord, je vais vous poser quelques questions personnelles.
Répondant-e
226
ANNEXE 2
GRILLE D'ENTRETIEN
1) Caractéristique du répondant
D'abord je vais vous poser quelques questions persOlmelles pour nous aider à décrire notre échantillon.
1.1.Sexe
Masculin 0 Féminin 0
1.2. Âge:
1.3.a) Quelle est la ou les langue(s) que vous avez apprise(s) en premier lieu à la maison dans votre enfance et que vous comprenez encore?
Français o Anglais o Arabe 0 Autre ..
b) Quelle est la seconde langue que vous avez apprise?
Français o Anglais o Arabe 0 Autre ..
1.4. Parlez-vous d'autres langues?
Français o Anglais o Arabe 0 Autres langues: ..
1.5. Quel est votre pays de naissance?
227
1.6. Quelle année êtes-vous arrivé(e) au Canada si vous êtes né(e) ailleurs?
1.7. a) Quel est votre statut au Canada
- Immigrant reçu D - Citoyen D
1.9. Si vous avez la citoyenneté canadienne, quelle autre citoyenneté possédez-vous?
1.10. Quels sont vos diplômes et où les avez-vous obtenus? Aucun D Diplôme d'études secondaires D ................................................ Baccalauréat D ................................................
Maîtrise D ................................................ Doctorat D
Autre .
1.11.Quelle est votre religion actuelle?
Catholique D Chrétienne autre( précisez) D
Musulmane (précisez Sunnite, Chiite... ) D Sans religion D Autre .
1.12. Est-ce la religion dans laquelle vous avez été élevé(e) ?
Oui D Non D
1.14. Vous considérez-vous comme une personne pratiquante?
228
1.15. État civil Marié(e) D Célibataire D Divorcé(e) D Veuve,veuf D Autre (préciser)
1.16 Quel était votre premier emploi au Liban? 1.17 Yen a t-il eu d'autres? Expliquez. 1.18 Premier emploi au Québec 1.19 Travaillez-vous encore? Si oui, quel est votre emploi actuel?
II) Expérience de la société d'origine
• Options identitaires
2.1 Comment vous définissiez-vous au Liban? 2.2 Parlez-moi de votre enfance? 2.3 Est-ce que vous viviez à Beyrouth? 2.4 Avez-vous fait des études au Liban? 2.5 Avez-vous travaillez au Liban? 2.6 Quels sont les événements marquants de votre vie au Liban?
• Projet migratoire
2.7 Votre projet migratoire? Pourquoi avez-vous décidé de quitter? 2.8 Votre situation familiale? 2.9 Votre situation économique? 2.10 Avez-vous passé par d'autres pays avant d'arriver au Canada et au Québec? 2.11 Dans quelles circonstances avez-vous quitté?
III) Expérience de la société québécoise
• Les institutions publiques de la société d'accueil
3.1 Qu'en pensez-vous des institutions publiques du Québec? programmes liés à l'immigration (Sélèction, francisation, santé, éducation, emploi, lutte contre le racisme)
3.2 Est-ce que vous croyez que les institutions politiques québécoises reflètent la diversité ethnoculturelle de la population?
229
3.3 Que pensez-vous du programme d'accès à l'égalité en emploi? 3.4 Estimez-vous que les programmes canadien et québécois pour la lutte contre
les discliminations sont efficaces? 3.5 Êtes-vous satisfait ou insatisfait de votre situation au Québec?
• L'accueil et l'intégration
3.6 Sentez-vous accepté, reconnu dans cette société? 3.7 Comment décririez-vous votre intégration sociale, économique, politique? 3.8 Votre expérience du racisme? 3.9 Avez-vous rencontrez des difficultés au travail? 3.10 Est-ce que vous croyez que c'est important de maintenir des relations avec des
québécois d'Oligine libanaise? Pourquoi?
• Structuration de la communauté libanaise
3.11 Votre perception de la communauté libanaise du Québec? 3.12 Êtes vous impliquer dans la communauté libanaise du Québec? 3.13 Comment décriliez-vous le rôle des associations communautaires dans
l'intégration des Québécois d'origine libanaise au Québec et au Canada? 3.14 Comment vous vous situez dans la société québécoise/canadienne? 3.15 Comment décririez-vous le rôle des associations communautaires libanaise
dans le maintien des relations entre groupes de Québécois d'origine libanaise au Québec
• Options identitaires
3.16 Les gens peuvent se décrire de nombreuses façons. Par exemple:
Libanais, o Libanais ... -canadiens o Canadiens o Canadiens d'origine libanaise, o Libanais ... - Québécois o Québécois o Québécois d'origine libanaise, o Arabes o Musulmans o Chrétiens o Juif o
230
Autre .
Si vous aviez à en choisir une, comment vous identifiez-vous personnellement et comment vous sentez-vous surtout? Expliquez.
3.17 Avez-vous entendu des histoires de personnes qui cachent leur identité pour éviter la discrimination?
3.18 Est-ce que vous maintenez des contacts (échanges de vœux pour fêtes, visites, téléphones, lettres, envoi d'argent ou de colis) avec des membres de la famille dans votre pays d'origine?
Montréal Ailleurs au Québec
Ailleurs au Canada Pays d'origine
Etats-Unis Ailleurs dans le monde
3.19 Trouvez-vous important de maintenir des liens avec votre pays d'origine et les communautés libanaises établies ailleurs dans le monde? Pourquoi?
3.20 Que représente le pays d'origine pour vous? Comptez-vous vous y établir de façon temporaire ou permanente un jour?
3.21 Avez-vous un projet de retour au Liban 3.22 Gardez-vous un lien avec le Liban? Ce lien est -il important? Participez-
vous à des activités (religieuses, politiques, bénévoles, etc.) Est-ce que vos enfants sont impliqués dans des activités (sociales, politiques, etc.) Comment s'identifient vos enfants ou les enfants de votre entourage? Impliquez-vous vos enfants et petits-enfants dans l'apprentissage sur le pays.?
231
Annexe 3: Tableaux sur les aspects sociaux démographiques des répondants.
Répondant 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Lieu de naissance
Liban-Nord
Liban-Sud
Liban-Sud
Montag ne
Beyrout h
Beyrout h
Beyr Liban-Sud
Montag ne
Montagne
Sexe F F H F H H H H H H
Age 67 65 72 74 76 66 65 85 66 70
Langue d'origine
Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe
Seconde langue
Français Français - Françai s
Français Français , Anglais
- - Anglais, Français
-
Arrivée Canada
1990 1989 1999 1988 1976 1996 1996 1992 1968 1992
Statut
Diplômes au Liban
Citoyenne
Non
Citoyen ne Non
Citoye n Non
Citoyen ne Oui
Citoyen
Non
Citoyen
Oui
Citoy e Non
Citoye
Non
Citoyen
Non
Citoyen
Non
Religion au Liban
Ch-Maronite
Ch-Maronit e
Ch-Maron ite
Ch-Maronit e
Ch-Maronit e
Ch-Orthodo xe
M-Chiite
M-Chiite Ch-Maronit e
Ch-Maronite
Religion ici
Etat civil
Ch-Maronite
Veuve
Ch-Maronit e Séparée
Ch-Maron ite Marié
Ch-Maronit e Mariée
Ch-Maronit e Marié
Ch-Orthodo xe Marié
M-Chiite
Marié
M-Chiite
Veuf
Ch-Maronit e Marié
Ch-Maronite
Marié
Emploi au Liban
Non Non Militai re
Non commer ce
enseigna nt
Milita ire
Construct ion
Non Chauffeur
Emploi Québec
Nbre enfants
Aide fruiterie.R etraitée
3
Commer ce. Retraité e
4
Non
3
Non
2
Propriét ai Restaura nt. retraité 2
Restaura nt. retraité
3
Non
2
Non
4
Prof.
J
Non
5
Lieu résidence Montréal
NDG Ahuntsi c
St-Lauren t
Ahuntsi c
Ahuntsi c
Ahuntsi c
Mtl-Nord
Mtl-Nord Pierrefo nds
St-Laurent
Classe sociale
Pop. Pop. Pop. Moyen ne
Moyenn e
Moyenn e
Pop. Pop. Moyenn e
Pop.
232
Répond Il 12 13 14 15 16 17 18 19 20 an! Lieu de Montagn Beyrout Montag Beyrou Beyrout Liban- Beyrou Beyro Montagne Libannaissanc e h ne th h Nord th uth Sud e Sexe H F F F H H F F F F Age 83 65 69 76 81 73 71 69 66 69 Langue Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe d'origin arméni e en Seconde Non Français Français França - Françai Françai Non Non Anglais langue i turc s s Arrivée 1996 1967 1990 1984 1994 1958 1988 1992 1997 1977 Canada Statut Citoyen Citoyen Citoyen Ci!oye Citoyen Citoye Citoye Citoye Citoy Citoyen
ne ne nne ne Diplôm Oui Oui Non Oui Non Oui Non Non Non Oui es au Liban Religio Maronit Ch- Ch- Ch- M- Ch- M M- Ch-maronite Mn au e Catholiq Maronit Orthod Sunnite Maronit Sunnite Chiite Chiite Liban ue e e Religio Témoins Ch- Ch- Ch- M- Ch- M M- Ch-Maronite Mn ici de Jehov Catholiq Maronit orthod sunnite Maronit sunnite Chiite Chiite
ue e e Etat Marié Mariée Mariée Mariée Marié Marié Mariée Veuve Mariée Mariée civil Emploi Syndical Non Enseign Profess Comme Profess Non Non Commerce Non au iste an rce eur Liban Emploi Non Professe Non Directr Non Profess Non Non Restaurantlr compta Québec ure 1 eur etraitée ble Nbre 3 2 3 - 3 4 3 2 2 2 enfants Lieu Kirkland St- Pierrefo St- DDO DDO St- St St-Laurent Ahuntsi résidenc Laurent nds Lauren Laurent Lauren c e t t Montréa 1
Classe Moyenn Moyenn Pop. Moyen Moyenn Moyen Pop. Pop. Pop. Moyen sociale e e e ne ne
233
Réponda 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 nt
Lieu de Beyrout Liban- Liban- Montagne Montagne Lib-Sud Lib-Sud Beyrouth Lib- Libnaissance h Nord Sud Nord Sud
Sexe H F H H H F F F H H
Age 79 67 71 65 73 67 65 72 78 69
Langue Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe d'origine
Seconde Français Françai Non Anglais Français Non Français Français Anglai langue , anglais s , s
anglais.
Arrivée 1960 1996 1994 1995 1996 1990 1989 1970 1969 1995 Canada
Statut Citoye citoyen Citoyen Citoyen Citoyen Citoyen Citoyenne Citoyenn Citoyen Citoye ne ne e n
Diplômes Oui Non Non Non Non Non Non Non Non Non au Liban
Religion M M M-Chiite Ch-Maronite Druze Ch M-Sunnite Ch- Commer Mau Liban sunnite Sunnite Maronit Maronite ce Chiite
e
Religion M M M-Chiite Ch-Maronite Druze Ch M-Sunnite Ch- M M-ici sunnite Sunnite Maronit Maronite Chiite Chiite
e Etat civil Marié Mariée Marié Marié Marié Mariée Mariée Mariée M- Marié
Chiite Emploi Ingénieu Non Commerç Restaurateur Construct Non Non Non Non Co mm au Liban r ant ion erce
Emploi lngénieu Non Non Prop.boulang Non Commer Prop.comme Enseigna Commer Comm Québec r erie ce rce nte ce erce
I\l"bre 3 2 3 2 3 2 3 1 2 1 enfants
Lieu outremo St Mtl-Nord St-Laurent Laval laSalle St-Laurent Laval St- Strésidence nt Laurent Laurent Lauren Montréal t
Classe Moyenn Pop. Pop. Moyenne Pop. Pop. Moyenne Moyenne Moyenn Pop. sociale e e
234
Répondant 31 32 33 34 35 36 37
Lieu de Lib-Sud Lib-Nord Lib-Ouest Beyrouth Lib-Nord Lib-Nord Beyrout naissance h
Sexe F F F H H H F
Age 73 69 70 68 69 67 71
Langue Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe Arabe d'origine
Seconde Français Français Français Français Français, Anglais Français langue anglais
Arrivée 1989 1992 1976 1995 1992 1993 1982 Canada
Statut Citoyenne Citoyenne Citoyenne Citoyen Citoyen Citoyen Citoyen ne
Diplômes Non Non Oui Oui Oui Non Oui au Liban
Religion Ch- Ch- Ch-Maronite Ch-Maronite Ch M-Sunnite Ch-au Liban Maronite Maronite Maronite Catho
Religion Ch- Ch- Ch-Maronite Ch-Maronite Ch M-Sunnite Ch-ici Maronite Maronite Maronite Catho Etat civil Veuve Mariée Veuve Marié Marié Marié Mariée
Emploi au Non Non Pharmacienne Ophtalmologu Enseignan Constructio Banque Liban e t n
Emploi Boulangerie Commerc Pharmacienne Propop. Ecrivain Commerce Banque Québec / e Lunetterie
retraitée
I\lbre 2 2 3 3 2 4 2 enfants
Lieu résidence
Mont-Royal Ahuntsic Ahuntsic St-Laurent St-Laurent . Pierrefonds Pierrefo nds
Montréal
Classe Pop. Pop. Moyenne Moyenne Moyenne Pop. Moyenn sociale e
235