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Vieillissement des centrales nucléaires :les conditions de la poursuite d’exploitation

Comme toutes les installations industrielles, les centralesnucléaires sont sujettes au vieillissement. L’ASN s’assure

qu’EDF prend en compte ce phénomène, en cohérence avecsa stratégie générale d’exploitation, afin de main-tenir un niveau de sûreté satisfaisant pendanttoute la durée de service des installations. Maisau-delà de la seule maîtrise du vieillissement, sepose également la question du relèvement duniveau de sûreté d’installations conçues selon desréférentiels différents des réacteurs plus récents.

Le vieillissement des installations

Les centrales nucléaires actuellement en fonction-nement en France ont été mises en service entre1979 et 2000. Leur âge moyen est donc de vingt-sept ans. Les plus anciennes d’entre elles ont étérécemment soumises à leur troisième visite décennale et lesplus récentes, à leur première visite décennale. Le vieillisse-ment progressif des installations nécessite que les exploi-tants nucléaires prennent en compte des problématiquesspécifiques en complément des mesures qui constituentl’approche «quotidienne» de la sûreté nucléaire.

Pour appréhender le vieillissement d’une centrale nucléaire,différents facteurs doivent être pris en compte :• L’existence de matériels non remplaçables, comme la cuve

ou l’enceinte de confinement des réacteurs électronu-cléaires, qui font l’objet d’une surveillance étroite permet-tant de s’assurer que leur vieillissement est bien conformeà celui anticipé.

• Les phénomènes de dégradation des matériels liés auvieillissement, tels que l’usure des pièces mécaniques, ledurcissement et la fissuration des matériaux polymères, lacorrosion des métaux, etc. De telles dégradations doiventêtre prises en compte lors de la conception et de la fabri-cation, et faire l’objet d’un programme de surveillance etde maintenance préventive adapté, ainsi que de répara-tions ou de remplacement si nécessaire.

• L’obsolescence des matériels ou de leurs composants.Certains équipements utilisés dans les centrales nucléairesfont l’objet d’une «qualification» visant à s’assurer que cesmatériels sont aptes à remplir leurs fonctions dans toutesles situations pendant lesquelles ils sont requis, notam-ment en conditions accidentelles.

• La disponibilité des pièces de rechange pour ces équipe-

ments. Elle est fortement conditionnée par l’évolution dutissu industriel des fournisseurs ; l’arrêt de la fabricationde certains composants ou la disparition de leur construc-

teur peuvent générer des difficultés d’approvi-sionnement en pièces d’origine pour certains sys-tèmes.

La prise en compte du vieillissement desmatériels

Le vieillissement des installations nécessite lamise en place d’une démarche visant spécifique-ment à prendre en compte l’ensemble des phéno-mènes décrits précédemment. L’ASN s’assuredonc que l’ensemble des actions permettant degarantir la maîtrise des phénomènes de vieillisse-ment soient mises en œuvre.

Les dégradations liées au vieillissement doivent en premierlieu être prévenues dès la conception et la fabrication deséquipements, par le choix de matériaux adaptés et l’assu-rance que les équipements sont utilisés dans les conditionsd’exploitation pour lesquelles ils ont été prévus. La robustes-se des équipements doit être garantie en tenant compte desvitesses d’évolution des dégradations connues ou supposées.

Pendant la période d’exploitation, les équipements doiventfaire l’objet d’une surveillance permettant de détecter l’ap-parition de phénomènes de dégradation, y compris d’effetsnon prévus au moment de la conception. Les programmesde surveillance périodique et de maintenance préventive, etles examens de conformité réalisés périodiquement visent àdétecter ces phénomènes.

Enfin, les matériels susceptibles d’être affectés doivent êtreréparés ou remplacés. De telles actions nécessitent d’avoirété anticipées, compte tenu notamment des délais d’appro-visionnement des nouveaux composants et du temps de pré-paration de l’intervention. Les exploitants doivent égale-ment s’assurer du maintien dans le temps de leur capacité àmener des programmes de remplacement, parfois de grandeampleur, en prenant en compte les risques d’obsolescence decertains composants ou de perte de compétences techniquesdes intervenants.

Dans le cas des centrales nucléaires d’EDF, l’ensemble de ces

Sébastien CROMBEZ(CM05)

Directeur des équipe-ments sous pression

nucléaires de l’Autoritéde sûreté nucléaire

(ASN)

Dossier PRODUCTION D’ÉNERGIE ET PRÉVENTION DES RISQUES

Mines Revue des Ingénieurs • Novembre/Décembre 2012 • # 464 41

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Le processus de réexamen de sûreté se déroule en plusieursétapes successives :• L’examen de conformité qui consiste à comparer l’état

réel de l’installation au référentiel de sûreté et à la régle-mentation applicables. Le maintien dans le temps de cetteconformité est une condition essentielle pour garantir larobustesse et la capacité des installations à faire face auxaccidents dans le cadre de leur référentiel de sûreté.

• La réévaluation de sûreté qui vise à apprécier la sûretéde l’installation et à l’améliorer au regard des objectifs etdes pratiques de sûreté les plus récents, du retour d’expé-rience d’exploitation d’installations nucléaires en Franceet à l’étranger et des enseignements tirés des autres instal-lations ou équipements à risque. L’ASN se prononce sur laliste des thèmes choisis pour faire l’objet d’études de rééva-luation de sûreté. À l’issue de ces études, des modificationspermettant des améliorations de sûreté sont définies.

• Le déploiement des améliorations issues du réexamende sûreté, dont la plupart sont mises en œuvre lors desvisites décennales des installations.

La poursuite d’exploitation au-delà de 40 ans

En 2010, EDF a annoncé qu’elle envisageait d’étendre ladurée de fonctionnement de son parc nucléaire à soixanteans. Or, la durée de vie envisagée par EDF pour les cen-trales, lors de leur conception, était de quarante ans. Celasignifie qu’un certain nombre de marges de sûreté ont étéinitialement dimensionnées pour quarante années d’exploi-tation. En réponse, l’ASN a demandé à l’exploitant dedéployer un programme d’études visant à garantir la confor-mité des réacteurs, notamment par un examen des compo-sants non remplaçables, pour lesquels l’exploitant devrafournir la preuve de leur tenue dans le temps.

L’ASN considère que la poursuite de l’exploitation des réac-teurs au-delà de quarante ans nécessiterait de reprendre lesdémonstrations de sûreté, de remplacer une partie des maté-riels des centrales par des matériels neufs et d’apporter desaméliorations significatives à leur niveau de sûreté (en par-ticulier vis-à-vis du risque d’accident grave) en prenant encompte le retour d’expérience de l’accident de Fukushimaavec pour référence les objectifs de sûreté assignés aux nou-veaux réacteurs (EPR) puisque dans les années à venir, lesréacteurs actuels cohabiteront avec des réacteurs de typeEPR ou équivalent, dont la conception vise un niveau desûreté significativement plus élevé.

Les objectifs de sûreté des nouveaux réacteurs dits de troi-sième génération, comme l’EPR, ont été définis au débutdes années 2000. Ces objectifs prévoient une réductionsignificative de la probabilité des accidents graves et desrejets radioactifs pouvant résulter de toutes les situations

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points sont vérifiés par le biais d’un programme spécifiquede gestion du vieillissement visant à identifier et répertoriertous les modes de dégradations redoutés, qu’ils soientpotentiels ou avérés, et à étudier pour chaque matériel labonne adaptation des dispositions de surveillance et demaintenance en vigueur ainsi que les possibilités de répara-tion. Les équipements pour lesquels la maîtrise des phéno-mènes de vieillissement apparaît la plus difficile font l’objetd’études spécifiques.

La sûreté nucléaire :un processus d’amélioration continue

La problématique de la poursuite d’exploitation des cen-trales nucléaires ne peut être résumée à la seule maîtrise desphénomènes de dégradation liés au vieillissement. La sûreténucléaire s’inscrit en effet dans un processus d’améliorationcontinue. L’ASN y veille depuis plusieurs décennies. Cetteamélioration se fonde principalement sur deux piliers com-plémentaires : les réexamens périodiques et le retour d’ex-périence.Tous les dix ans, les exploitants nucléaires sont tenus deréexaminer la sûreté de leurs installations, sous le contrôlede l’ASN. Ce réexamen décennal est l’occasion de contrôleren profondeur la conformité d’une installation aux exi-gences qui s’appliquent à elle. Il a aussi pour but d’apporterdes modifications à l’installation afin d’améliorer son niveaude sûreté en prenant pour référence les exigences applicablesaux installations les plus récentes. Le réexamen de sûretépermet à l’ASN de juger de la possibilité (ou non) de pour-suivre l’exploitation de l’installation jusqu’à son prochainréexamen décennal.

En complément et de manière continue, les événements,incidents et anomalies détectés sur les installations, enFrance et dans le monde, sont analysés afin d’en tirer lesleçons utiles pour la sûreté. Ce retour d’expérience, qui peutconduire à des modifications concernant les installations, lesprocédures ou l’organisation des exploitants, permet de ren-forcer la sûreté nucléaire et la radioprotection. Il s’intéresseaussi bien aux accidents majeurs qu’aux faits et événementsqui, bien que n’ayant pas eu de conséquence sur la sûreté,peuvent néanmoins apporter des enseignements utiles.

Les réexamens de sûreté

L’article L593-18 du code de l’environnement impose auxexploitants d’une installation nucléaire de réaliser périodi-quement un réexamen de la sûreté de leur installation. Lesréexamens de sûreté constituent l’une des pierres angulairesde la sûreté en France, dont l’objectif n’est pas seulement lemaintien du niveau de sûreté des installations mais sonamélioration.

Mines Revue des Ingénieurs • Novembre/Décembre 2012 • # 46442

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ter à des événements majeurs (séisme, inondation, etc.)d’une ampleur très supérieure à celle des événements pris encompte pour déterminer le niveau de résistance des installa-tions, même s’ils ne sont pas considérés comme plausibles.

La trentaine de nouvelles exigences imposées par l’ASNimpliquent la réalisation de travaux considérables et desinvestissements massifs, qui ont commencé dès 2012 ets’étaleront sur plusieurs années. L’ASN vérifiera que la miseen place des modifications se fait avec toute la rigueurnécessaire et dans les délais prévus.

L’ASN a également demandé à EDF de faire évoluer sonréférentiel interne afin de prendre en compte les enseigne-ments tirés de l’accident de Fukushima. Ceci impliquera :• un réexamen du référentiel relatif à la protection des ins-

tallations vis-à-vis du séisme, pour prendre en compte lesconnaissances les plus récentes et les meilleures pratiquesinternationales ;

• l’application de nouvelles dispositions de protection desinstallations nucléaires contre le risque d’inondation ;

• la réévaluation des exigences de protection des centralesnucléaires contre les agressions climatiques, dans le cadredes réexamens de sûreté en cours ou à venir.

Conclusion

La question de la poursuite de l’exploitation d’installationssoumises à des phénomènes de vieillissement est souventréduite à la maîtrise des dégradations causées par le temps.Dans le cas des réacteurs nucléaires, le champ des thèmes àexaminer s’étend largement au-delà de cette seule problé-matique et doit intégrer la question de l’augmentation per-manente du niveau de sûreté des installations.

L’ASN considère que la poursuite d’exploitation des réac-teurs au-delà de quarante ans n’est envisageable que si elleest associée à un programme volontariste et ambitieuxd’amélioration au plan de la sûreté, en cohérence avec lesobjectifs de sûreté retenus pour les nouveaux réacteurs, lesdispositions imposées à la suite de l’accident de Fukushimaet les meilleures pratiques internationales.

En France, comme dans de nombreux pays européens, cetteaugmentation continue du niveau de sûreté repose sur lapratique des réexamens de sûreté. Les premiers enseigne-ments de la catastrophe de Fukushima confortent l’opinionde l’ASN sur l’importance de ces réexamens. Ils doiventconduire à des améliorations significatives, en tenant comp-te des objectifs de sûreté et des connaissances les plusrécents, et aboutir à la fermeture des installations dont leniveau de sûreté serait insuffisant. ●

d’accident concevables. La conception de ces réacteurs doitdonc intégrer des dispositions pour faire face à l’éventualitéd’accidents graves et aux combinaisons d’agressions.Réévaluer le niveau de sûreté des réacteurs au regard decelui exigé actuellement pour les réacteurs de type EPR ouéquivalent impliquera la mise en œuvre d’améliorationsambitieuses au plan de la sûreté. Dès à présent, les effortsde recherche et développement en France comme à l’étran-ger dégagent des pistes de réponse, et des améliorations quilimiteraient significativement les rejets en cas d’accidentgrave sont à l’étude.

La poursuite d’exploitation des réacteurs impliquera égale-ment la prise en compte des enseignements tirés de l’acci-dent de Fukushima. Les évaluations complémentaires desûreté (ECS), réalisées après l’accident de Fukushima, ontconduit l’ASN à imposer aux exploitants, par des décisionsdu 26 juin 2012, un ensemble conséquent de mesuresdevant permettre de doter les installations de moyens leurpermettant de faire face :• à un cumul de phénomènes naturels d’une ampleur excep-

tionnelle et surpassant celle des phénomènes retenus lors dela conception ou du réexamen de la sûreté des installations ;

• à des situations d’accidents nucléaires graves consécutifs àla perte prolongée des sources électriques ou du refroidis-sement et pouvant affecter l’ensemble des installationsd’un même site.

Ces mesures prévoient, entre autres, la mise en place d’un«noyau dur» de dispositions matérielles et organisation-nelles permettant de maîtriser les fonctions fondamentalesde sûreté dans des situations extrêmes. Le but est de sanc-tuariser les fonctions vitales des installations, avec pourobjectifs de prévenir un accident grave, de limiter les rejetsradioactifs massifs (dans le scénario d’un accident qui n’au-rait pas pu être maîtrisé) et de permettre à l’exploitant d’as-surer, même dans des situations extrêmes, les missions quilui incombent dans la gestion d’une crise. Les matériels quiferont partie de ce noyau dur devront être conçus pour résis-

Explosion de la centrale à Fukushima

Mines Revue des Ingénieurs • Novembre/Décembre 2012 • # 464 43