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Vies et récits d’un territoire Portraits du décolletage

Vies et récits d'un territoire : portraits du decolletage

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Plonger dans l'histoire d'un territoire et de son parcours industriel au travers de récits de vies : appréhender l'intime pour comprendre comment une vallée est devenue un district industriel singulier.

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Vies et récits d’un territoirePortraits du décolletage

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Première installation de l’exposition à Cluses, au musée de l’horlogerie et du décolletage,

Décolletage :

Processus d’usinage de pièces par enlèvement de matièreà partir de barres métalliques.

L’industrie du décolletage est héritière de la fabrication horlogère. Elle a connu un développement exceptionnel pendant les Trente Glorieuses, prenant la forme d’un district industriel singulier dans la vallée de l’Arve.Les pièces sont destinées aux marchés automobile, médical, aéronautique, électroménager....

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Photographe, je fréquente le territoire de la vallée de l’Arve depuis une dizaine d’années. J’avais souvent entendu parler de « décolletage », mot énigmatique pour les non-initiés, et la succession des ateliers et usines déclinant ce mot m’avait interpelée.

Je voulais en savoir plus sur ce territoire à la culture industrielle méconnue : comment le développement du décolletage a influencé le visage de la moyenne vallée de l’Arve, et dans le même temps comment l’industrie a trouvé dans ce lieu un terreau favorable pour fructifier.

Pendant près de deux ans, je me suis engagée dans une démarche de recueil de la mémoire, avec le parti pris de replacer l’homme dans cet environnement industriel. L’idée a donc été de parcourir l’histoire des 60 dernières années au travers d’une trentaine de témoignages. Loin d’une démarche historiographique, il était important pour moi que cette mémoire soit incarnée par des personnes que je puisse interviewer.

Au final, ce sont 24 portraits qui sont présentés : autant de rencontres, visuelles et sonores, qui chacune à sa manière raconte l’époque récente, et dont l’ensemble présente un paysage contemporain de la moyenne vallée de l’Arve.

J’ai abordé chaque personne avec une même approche, sans égard spécifique pour son statut, sa fonction. La démarche, et notamment le traitement photographique, ont été identiques pour chacun : nous avons réalisé un entretien enregistré, à l’issu

duquel j’ai fait un portrait de plain pied de la personne dans son environnement. Enfin, j’ai photographié un objet personnel qui venait illustrer notre échange.

Si, dans les portraits, l’individu est au cœur de l’image, le contexte dans lequel il est placé a toute son importance. Il permet de montrer les différents univers de ce lieu : ceux de l’usine, de la machine, de la montagne…

Pourquoi ces personnes en particulier ? J’avais bien une idée des profils que je souhaitais interviewer : chefs d’entreprise, ouvriers, syndicalistes, élus….Ces personnes, je les ai rencontrées au fil d’un cheminement qui aurait pu m’amener vers d’autres.

« Les gens d’ici et les décolleteurs sont avares de paroles » m’avait-on dit. A quelques exceptions près, ma démarche a été entendue et accueillie très favorablement.

Outre l’exposition, l’ensemble des matériaux sonores et photographiques recueillis seront versés aux archives municipales et à Paysalp.

Caroline Houal

Mémoires d’une vallée qui est aussi un territoire industriel unique

par la concentration de l’activité de «décolletage»Haute Savoie

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Chefs d’entreprise, syndicalistes, élus, médecin du travail, responsable de l’urbanisme, immigrés, enfants de ....

rapportent la mémoire d’un écosystème caractérisé par l’entre-soi.

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Alain et Christiane Dubin, Albert Felisaz, Gilles Fongeallaz, Pierre Lacroix, Mino Faïta

Louis et Pauline Mirigay, Alain Cruaz, Pierre Lathuile, Claudy Paratte, Lionel Delaunay et Pascal Saussays

Marcel Million, M.Ballout et M. Khatimi, Julie Gnuva, Amicaledes anciens élèves de l’Ecole d’Horlogerie, Jean-Claude Léger

Jean-Pierre Marty et Tino Daïta, Anne Vuarchex, Marcel Bernard, Reda Radoui, Jacques Venjean

Luis Olearain, René Nantua, Jérôme Akmouche

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«J’ai eu une vie professionnelle à SNR tout à fait passionnante, toujours dans l’innovation. Mais la découverte du monde du décolletage a été pour moi une sorte de révélation.»

René Nantua, ingénieur, a fait sa carrière au sein de SNR : une société annécienne spécialisée dans les roulements.En 2008, il prend la direction du Pôle de compétitivité, une structure de soutien au développement industriel local : une expérience passionnante grâce à laquelle «il découvre le monde du décolletage». «J’ai découvert que le décolletage est partout, dans tout. Quand vous vous réveillez le matin et que vous touchez l’interrupteur de votre chambre à coucher, il y a déjà du décolletage ; vous regardez l’heure, il y en a ; la machine à café est faite de produits de décolletage…. ; votre stylo, votre voiture, le train...»

[...]

Sur le Pont Vieux de Cluses au-dessus de l’Arve. Derrière lui s’étend la ville contemporaine construite à partir de années 50.

Jean-Claude LégerMaire de Cluses de 1983 à 2014

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Mino FaïtaOriginaire du sud de l’Italie, il immigre en France à l’’âge de 14 anspour chercher du travail à Cluses.Il réussira à devenir titulaire d’une maîtrise d’Histoire, et est aujourd’hui l’un de ceux qui écrivent sur l’histoire du bassin de Cluses.

«Mon histoire d’italien à Cluses est sans doute l’une des plus simples. J’arrive pour la première fois à Cluses le 15 août 1958, j’ai 14 ans. Je passe avec des papiers en règle : un laissé passé, un permis de séjour touristique de 3 mois ; c’est une astuce que tout le monde connait. Trois mois sont suffisants pour se faire connaitre et trouver du travail. La plupart du temps, lorsque nous arrivions, nous étions sûrs de trouver du travail dès le lendemain. C’est bien ce qui s’est passé : le surlendemain, je travaillais.»

[...]

Ci-contre :A son arrivée en 1961, sa valise contient peu de choses : quelques vêtements, des photos, et ce dictionnaire d’italien, symbole pour lui de l’importance de continuer à parler sa langue natale.

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Louis et Paulette MirigayLouis démarre son activité après-guerre sur une petite machine au fond de la forge de son père. De rien, avec l’aide de la famille, Il créera son entreprise qu’il cèdera ensuite à son fils.

Pour interviewer Louis et Paulette Mirigay, il faut parler fort : en 40 ans de décolletage, le volume sonore des machines a eu raison de leur audition ; mais pas de leur enthousiasme et de leur couple !

Leur fils, Pierre, a convaincu Louis de me rencontrer pour me raconter son parcours dans l’industrie du décolletage. Il est présent pendant l’entretien, et lui aussi enregistre nos échanges pour conserver cette mémoire d’un homme qui, comme nombre de ses « copains » de l’époque, est un patron-décolleteur qui s’est fait par lui-même : bricoleur, débrouillard, pragmatique, avec l’envie d’avoir sa propre affaire.

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Parmi leurs clients, Singer leur commandait des bobines pour machines à coudre. Pièces dont Mme Mirigay, qui a toujours «donné la main» dans l’entreprise, fait encore bon usage.

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Reda RadouiSon père, marocain, arrive à Cluses en 1969.Réda grandit dans le quartier des Ewües, il est aujourd’hui coach scolaire

Pour Réda, le rothring, ce stylo avec lequel on réalise des plans et des dessins industriels, est un objet qui témoigne de sa relation avec le monde industriel du décolletage mais aussi de le domaine du bâtiment dans lequel il a étudié.

«Juste avec la main on est capable de faire un document technique compliqué».

C’est dans l’appartement familial situé dans le quartier des Ewües que je rencontre Réda Radoui. C’est un quartier qui souffre d’une mauvaise réputation, mais dont les premiers occupants parlent avec attachement. Réda a grandi ici et durant notre entretien j’entends le bruit des enfants qui jouent dans le jardin en bas de l’immeuble.

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Marcel BernardL’un des membres fondateurs et ancien directeurde la société coopérative COMEHOR

Ci-contre, dans les locaux de l’entreprise qui est toujours en activité. On distingue derrière lui les barres de métal qui seront décolletées.

Originaire de Nîmes, «c’est en passant par la case Plateau d’Assy», ce village de la haute vallée de l’Arve où sont soignés les malades de la tuberculose, que commence son histoire industrielle. Une histoire, qu’il me raconte avec son accent du sud, de sept garçons qui se rencontrent au sanatorium et qui par le hasard de la vie deviennent patrons décolleteur.

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Les sept sociétaires autodidactes, et au-milieu d’eux la «mémé», une mamie du village de l’Arberroz, qu’ils avaient embauchée sur sa proposition pour leur faire à manger.

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Au milieu des années 90, Lathuille-Hudry fabrique son propre produit : une pièce destinée aux façades vitrées architecturales, telle celle qui habille l’entrée des locaux de l’entreprise .

Pierre LathuillePrésident directeur général de l’entreprise Lathuille-Hudry

Au milieu des années 90, Lathuille-Hudry fabrique son propre produit : une pièce destinée aux façades vitrées architecturales, telle celle qui habille l’entrée des locaux de l’entreprise devant laquelle se trouve Pierre Lathuile.

Parmi les dirigeants qui me reçoivent dans mon travail de « porte à porte », je suis accueillie par Pierre Lathuile, PDG de l’entreprise Lathuille-Hudry : la filiation est évidente. C’est un homme qui parle calmement en prenant le choix des mots. Il me reçoit dans des locaux très lumineux et silencieux.

Les origines de Lathuille-Hudry remontent au milieu des années 20, lorsque Joseph Lathuille, son grand-père, construit le premier bâtiment et pose ainsi les premières pierres de l’entreprise. Les regroupements familiaux, puis les séparations, douloureuses, ont amené cette entreprise à prendre en 1956 le nom qu’elle porte aujourd’hui.

Partie d’une activité « traditionnelle », «avec un atelier de reprise, et le recours aux tours à cames et aux poulies à renvoi», cette entreprise prend au début des années 80 un virage fondamental pour son développement.

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«J’ai eu une vie professionnelle à SNR tout à fait passionnante, toujours dans l’innovation. Mais la découverte du monde du décolletage a été pour moi une sorte de révélation.»

René Nantua, ingénieur, a fait sa carrière au sein de SNR : une société annécienne spécialisée dans les roulements.En 2008, il prend la direction du Pôle de compétitivité, une structure de soutien au développement industriel local : une expérience passionnante grâce à laquelle «il découvre le monde du décolletage». «J’ai découvert que le décolletage est partout, dans tout. Quand vous vous réveillez le matin et que vous touchez l’interrupteur de votre chambre à coucher, il y a déjà du décolletage ; vous regardez l’heure, il y en a ; la machine à café est faite de produits de décolletage…. ; votre stylo, votre voiture, le train...»

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«En 1985, un ingénieur, pris alors pour un fou, invente le premier produit mécatronique de l’entreprise : un roulement qui associe mécanique, électronique, et plus tard informatique. Ce sont des concurrents qui vont faire prendre conscience à la direction de SNR l’intérêt de cette innovation. Celle-ci va changer le devenir de l’entreprise.»

René NantuaIngénieur dans une entreprise spécialisée dans les roulements à billes.Ancien Directeur du Pôle de Compétitivité Arve Industries

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.Ballout et M. KhatimiAnciens travailleurs de l’industrie du décolletage, originaires d’Afrique du Nord.

Début septembre 2014, j’appelle au Foyer Alfa 3 de Marnaz, un foyer d’hébergement à caractère social. Je souhaite avoir l’orthographe précise du nom de M.Ballout que j’ai interviewé quelques mois auparavant et qui y est résident. Je souhaite lui adresser sa photographie par la poste. La responsable me répond très gentillement : «il est rentré au pays, mais nous gardons son courrier pour son retour».

M. Ballout est arrivé à l’âge de 17 ans à Cluses, c’était en 1966. Il est originaire de Sétif en Algérie, qui était alors française, et sa famille était venue chercher du travail en Haute Savoie. Depuis il n’a plus quitté la vallée de l’Arve où il a travaillé pendant 42 ans dans l’industrie du décolletage.

[...]

Depuis ce jour,quand je suis arrivé là, je suis resté là

Ci-dessus, devant l’entrée du Centre d’accueil des demandeurs d’asile de Marnaz, où ils vivent tous deux. M.Khatimi , lui, est arrivé en 1962 à Cluses.

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Conception, réalisationCaroline Houal, photographe

FinancementsDirection régionale à l’action culturelle Rhône AlpesRégion Rhône AlpesConseil Général de Haute-SavoieCommunauté de Communes Cluses Arves et montagnesSyndicat national du décolletage

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