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Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2010 -Grenoble 7-9 juillet 2010 VOIE FERRÉE TANGER – PORT MEDITERRANNÉE : IMPORTANCE DES ETUDES DE CONCEPTION POUR LA MAITRISE DES TRAVAUX TANGER – “MEDITERRANEAN PORT” RAIL LINK : IMPORTANCE OF SURVEY AND DESIGN STUDIES FOR A PROJECT UNDER CONTROL Bruno MAZARÉ Egis Structure Environnement – Egis Géotechnique – Grenoble- France RÉSUMÉ – La liaison Tanger – "Port Méd" traverse une région montagneuse siège de glissements de terrains. L’article présente les difficultés de réalisation découlant d’études de conception imprécises, quelques actions entreprises pour assurer en urgence la stabilité d’ouvrages, et certaines conséquences en termes d’impact environnemental et de développement durable. Il propose des pistes d’amélioration. ABSTRACT – The Tangier – "Mediterranean Port" rail link crosses a mountainous region. Many landslides affect slopes. The article discusses the difficulties encountered during the construction (related to choices and inaccuracies in design studies), measures taken to provide emergency stability of certain works, and some consequences in terms of environmental impact. It provides improvements trails. 1. Introduction La réalisation d’un projet d’infrastructure linéaire nécessite de prendre en compte dès les premières études de conception les contraintes géotechniques des terrains traversés. Pour cela il est indispensable de disposer au plus tôt de reconnaissances adaptées, en nombre suffisant et judicieusement localisées. Dans le cas contraire il s’avère difficile de revoir la conception en phase travaux, notamment en raison des contraintes de délai. Le présent article fait état de difficultés rencontrées lors des travaux de la liaison Tanger – Port Méditerranée liées aux choix pris en phase conception sur la base d’études et de reconnaissances imprécises ; il présente quelques actions entreprises pour assurer en urgence la stabilité de certains ouvrages et les conséquences en matière d’impact environnemental et développement durable. 2. Le projet La liaison ferroviaire pour la desserte du Port Tanger-Med consiste en la construction d'une voie unique électrifiée, de 45 km de longueur, prenant son origine sur le réseau ferroviaire existant à Tanger. Le doublement de la voie est envisagé ultérieurement. Sa construction s’est achevée en 2009. Le tracé retenu permet d'envisager des vitesses commerciales de l'ordre de 140 à 160 km/h. Cette infrastructure franchit une zone de moyenne montagne fortement accidentée, qui a nécessité la réalisation de 9 viaducs et 2 tunnels. Le projet ne peut longer la côte escarpée du littoral du détroit de Gibraltar puisque la pente admissible pour une voie ferrée est limitée à 15‰. En quittant la ville de Tanger, par le Sud-Est, le tracé s’oriente d’abord à l'intérieur des terres, en direction 981

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VOIE FERRÉE TANGER – PORT MEDITERRANNÉE : IMPORTANCE DES ETUDES DE CONCEPTION POUR LA MAITRISE DES TRAVAUX TANGER – “MEDITERRANEAN PORT” RAIL LINK : IMPORTANCE OF SURVEY AND DESIGN STUDIES FOR A PROJECT UNDER CONTROL Bruno MAZARÉ Egis Structure Environnement – Egis Géotechnique – Grenoble- France RÉSUMÉ – La liaison Tanger – "Port Méd" traverse une région montagneuse siège de glissements de terrains. L’article présente les difficultés de réalisation découlant d’études de conception imprécises, quelques actions entreprises pour assurer en urgence la stabilité d’ouvrages, et certaines conséquences en termes d’impact environnemental et de développement durable. Il propose des pistes d’amélioration.

ABSTRACT – The Tangier – "Mediterranean Port" rail link crosses a mountainous region. Many landslides affect slopes. The article discusses the difficulties encountered during the construction (related to choices and inaccuracies in design studies), measures taken to provide emergency stability of certain works, and some consequences in terms of environmental impact. It provides improvements trails.

1. Introduction

La réalisation d’un projet d’infrastructure linéaire nécessite de prendre en compte

dès les premières études de conception les contraintes géotechniques des terrains traversés. Pour cela il est indispensable de disposer au plus tôt de reconnaissances adaptées, en nombre suffisant et judicieusement localisées. Dans le cas contraire il s’avère difficile de revoir la conception en phase travaux, notamment en raison des contraintes de délai. Le présent article fait état de difficultés rencontrées lors des travaux de la liaison Tanger – Port Méditerranée liées aux choix pris en phase conception sur la base d’études et de reconnaissances imprécises ; il présente quelques actions entreprises pour assurer en urgence la stabilité de certains ouvrages et les conséquences en matière d’impact environnemental et développement durable.

2. Le projet

La liaison ferroviaire pour la desserte du Port Tanger-Med consiste en la

construction d'une voie unique électrifiée, de 45 km de longueur, prenant son origine sur le réseau ferroviaire existant à Tanger. Le doublement de la voie est envisagé ultérieurement. Sa construction s’est achevée en 2009.

Le tracé retenu permet d'envisager des vitesses commerciales de l'ordre de 140 à 160 km/h.

Cette infrastructure franchit une zone de moyenne montagne fortement accidentée, qui a nécessité la réalisation de 9 viaducs et 2 tunnels.

Le projet ne peut longer la côte escarpée du littoral du détroit de Gibraltar puisque la pente admissible pour une voie ferrée est limitée à 15‰. En quittant la ville de Tanger, par le Sud-Est, le tracé s’oriente d’abord à l'intérieur des terres, en direction

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de Tétouan. Il grimpe pendant 14 km pour atteindre son point culminant à une altitude de 170 m et franchit le col de Lecheba par le tunnel de Ras R'Mel long de 2600 m. A flanc de collines, il rejoint le littoral au droit de la ville de Ksar Sghir, avant de longer la mer en pied de coteau jusqu’à atteindre le nouveau port « Tanger-Med ».

La profondeur des déblais peut atteindre 45 m et la hauteur des remblais 25 m ; les plus hautes piles de viaduc atteignent 40 m et la couverture du tunnel de Ras R'Mel dépasse 150 m.

En profil en travers, la plateforme à voie unique est large de 7 m sous le ballast. Sa structure se compose d'une couche de forme de 50 cm d'épaisseur en matériau granulaire 0/80, surmontée d'une sous-couche (couche sous ballast) de 35 cm en matériau granulaire 0/40. La couche de ballast est d’épaisseur 35 cm.

Ajoutons que l’infrastructure est parallèle à celle de « l’autoroute du Port » reliant également Tanger au nouveau port. Les travaux de ces deux infrastructures ont été réalisés de manière concomitante.

Egis est intervenu sur ce projet en phase travaux, dans le cadre d’une mission d’assistance à maîtrise d’œuvre (AMoe). 3. Les conditions géologiques

L’infrastructure traverse la région du Tangérois, constituée géologiquement par

l'empilement de nappes de charriage d'âge secondaire et tertiaire. Il s'agit de collines au relief mou mais qui s'affirme en progressant vers l'Est.

Les terrains correspondent au flysch constitué d'argilites (ou pélites) et marnes, et de niveaux gréseux intercalés. Morphologiquement, les niveaux gréseux, moins érodables, forment les buttes topographiques. Les niveaux argilo-marneux sont caractérisés par des reliefs mous, peu pentés.

Les nappes de charriage sont de tectonique très calme et souple à l'ouest ; la stratigraphie est alors subhorizontale et les terrains sont affectés par des diaclases verticales. En allant vers l'est, ces terrains se plissent et peuvent présenter des pendages de 30 à 60° sur l'horizontale.

D'un point de vue hydrologique, on remarque la présence de réseaux aériens (oueds) secs en été, et la présence de quelques nappes aquifères en fond de vallées ou dans les colluvions de pente.

Les grès, du fait de leur fracturation, sont très perméables. De nombreux puits sont donc localisés sur les pentes, à proximité de l'interface entre formations gréseuse et argilo-marneuses sous-jacentes. Ils captent des nappes aquifères perchées, localisées à la base des grès, et qui s’écoulent dans les formations argileuses sous-jacentes en hydratant leur frange altérée.

Les argilites (ou pélites) présentent la particularité d'être sur-consolidées, très sensibles à l'eau et très altérables une fois mises au jour par les terrassements. De ce fait, de nombreux versants naturels montrent des signes morphologiques de glissements plus ou moins actifs.

Deux types d'instabilité naturelle sont constatés : des mouvements de reptation superficielle (solifluxion) et des glissements de terrains (instabilités de grande masse ou de versant).

Les reptations superficielles se développent généralement dans les terrains altérés temporairement saturés, sur 2 à 3 m d'épaisseur.

Le projet recoupe de nombreux glissements de versant préexistant aux travaux ; ces instabilités intéressent généralement une dizaine de mètres de terrains argileux

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(argilites) ou marneux. La pente des versants instables est en général relativement faible (10° à 15°). Ces mouvements sont souvent liés à la saturation des terrains argileux par l'émergence, en amont, de la nappe aquifère des grès. 4. Comportement mécanique

Les argilites (ou pélites) en place se présentent comme un terrain rocheux, à la

fois dur et fracturé ; elles sont classées R31 ou R32 suivant le GTR (Guide des Terrassements Routiers). A l'extraction, qui peut localement nécessiter l'usage du ripage ou du brise-roche, les argilites se fragmentent fortement et seuls quelques blocs rocheux subsistent. Soumis aux agents atmosphériques les blocs éclatent et se dégradent très rapidement en évoluant en argile. Cette formation s'avère non réutilisable en remblai sans traitement particulier.

En phase conception, des sondages pressiométriques et carottés ont été réalisés ainsi que des puits de reconnaissance. Les échantillons prélevés ont fait l'objet d'essais en laboratoire: identifications, essais de cisaillement à la boîte de Casagrande ou essais triaxiaux, ainsi que quelques œdomètres.

La stabilité au grand glissement des ouvrages en terre (déblais et remblais) étant la principale problématique de ce projet, la détermination fiable de l'angle de frottement interne et de la cohésion à long terme des argilites et des marnes est apparue particulièrement importante. Les caractéristiques mécaniques de cisaillement, obtenues lors des études de conception par essais en laboratoire, se sont avérées généralement non représentatives d'un comportement à long terme (angles de frottement mesurés faibles et cohésions fortes), cela probablement en raison de vitesses de cisaillement trop élevées par rapport à la perméabilité des échantillons ou de contraintes d’essais non adaptées à un sol sur-consolidé. En phase travaux, les délais ne permettant pas de refaire ces essais, les angles de frottement interne ont dû être réévalués à partir de corrélations avec les résultats d'essais d'identification, et de calculs de stabilité à rebours en cas d'instabilité déclarée.

Il a finalement été retenu dans les terrains en place : Argilites - Pélites : Ø' = 23 à 27° ; c' = 3 à 6 kPa ; Marnes : Ø' = 22 à 25° ; c' = 0 (frange altérée). En cas de glissement déclaré, l'angle de frottement résiduel a été pris en compte, associé à une cohésion résiduelle nulle. Concernant les grès, l'angle de frottement a été évalué à 30°, associé à une cohésion variable selon l'importance de la fracturation. 5. Les contraintes du projet

Les contraintes du chantier étaient d’ordre géométrique, géologique,

géotechnique, hydrogéologique, mais également liées à la proximité et au phasage des travaux de l’autoroute implantée à proximité.

Du point de vue géométrique, les contraintes liées aux faibles pentes des lignes ferroviaires et aux grands rayons de courbure ne laissent que peu de latitude de tracé dans un contexte montagneux. La présence du projet d’autoroute à proximité, dont le tracé était déjà figé, s’est avéré être une contrainte supplémentaire.

D’autre part, une plateforme ferroviaire est nettement moins large qu’une plateforme autoroutière ce qui laisse peu de facilité d’accès pour ré-intervenir sur les talus après réalisation de la voie ferrée si une sur-largeur n’est pas prévue dès la conception du projet ; or celle-ci ne l’était pas.

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A noter également que le tracé, non abouti dans la dernière partie du tracé en raison de l’évolution du projet du port, a fait l’objet de nombreuses modifications alors que les travaux étaient engagés.

Du point de vue géologique, géotechnique et hydrogéologique, les principales difficultés ont résulté de la présence de marnes et pélites très sensibles à l’eau et à la décompression liée aux terrassements, de la présence de nappes perchées dans les horizons gréseux, et de la présence de terrains instables (solifluxion et glissements de versant).

Le projet n’ayant pas étudié le réemploi des terrains argileux par traitement, le projet terrassement a généré 23 millions de m3 de déblai dont 22 millions de m3 ont dû être mis en dépôt.

Enfin, chaque maître d’œuvre ayant ses propres impératifs de délai, la coexistence des deux infrastructures (autoroute et voie ferrée parfois très proches l’une de l’autre) sans réelle coordination a été à l’origine de difficultés : incidence du phasage des terrassements des deux infrastructures sur la stabilité des terrains. Cette problématique n’avait pas été étudiée en phase conception. 6. Exemples de difficultés rencontrées

6.1 Stabilité des dépôts

L'excédent important des matériaux de déblais et leur caractère non réutilisable a

nécessité de disposer de nombreuses et vastes zones de dépôts le long du chantier. En effet, le volume à placer en dépôt définitif atteignait environ 22 millions de mètres cubes. Cette recherche était confiée contractuellement aux entrepreneurs. Simultanément, le chantier de l'autoroute avait besoin de zones de dépôts importantes d’où un stockage définitif de 50 millions de m3 au total sur une quarantaine de kilomètres.

Dans ce relief de collines où de nombreux versants sont à l'état limite de stabilité, il s’est avéré difficile de trouver dans un laps de temps très court des sites acceptant de telles surcharges. Ces importants dépôts ont été à l’origine de nombreux glissements de terrains de très grande ampleur ou de coulées boueuses. Certains d’entre eux ont notamment interféré avec l’infrastructure ferroviaire implantée en aval. Des barrages se sont formés dans certains oueds.

Ce stockage définitif, même réparti sur une quarantaine de kilomètres, ne pouvait passer inaperçu. Devant le bouleversement attendu du paysage, le simple accord des propriétaires concernés et des mairies n'était plus suffisant ; les autorités provinciales ont alors installé une commission chargée d'instruire et de valider les projets de dépôts remis par les entrepreneurs. Elles ont aussi exigé, dans le secteur proche de Ksar Sghir, que les dépôts ne soient pas visibles des voies de communication (route autoroute et voie ferrée), ce qui a conduit les entreprises à s’éloigner des tracés.

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Photo 1. Glissement d’un dépôt formant barrage. 6.2 Franchissement d’un versant instable non identifié en phase conception

Sur le flanc nord du col de Lecheba, le tracé franchit sur 300 ml à flanc de colline

une zone à la topographie mamelonnée. Le projet prévoyait un remblai haut de 20 m environ sans précautions particulières, car cette zone n’avait pas été identifiée comme instable en phase conception. A la demande de l’assistant maître d’ouvrage, une inspection géologique et géomorphologique du projet a été confiée à Egis Géotechnique au démarrage de la phase travaux. Cette inspection a été réalisée par un expert spécialiste en stabilité de pente. Elle a permis de conclure que ce secteur à ossature argilo-marneuse hydratée par l’émergence en amont de la nappe aquifère des grès, était le siège de mouvements lents semi-profonds (une dizaine de mètres). En conséquence, des précautions particulières étaient requises pour tous les travaux de terrassement, pour éviter d’accélérer les mouvements existants.

Malgré cette mise en garde, des travaux de terrassement préparatoires furent engagés ; rapidement un glissement de terrain très actif réactiva partiellement cette zone instable.

L'analyse de la zone en glissement actif, s’appuyant sur quelques sondages disponibles, confirma que la surface de glissement devait se situer vers 10 m de profondeur. Pour garantir la stabilité du remblai initialement prévu, il fallait s'assurer de la purge totale sous le remblai de tous les terrains en glissement et prévoir leur substitution par un matériau frottant et drainant. La nappe émergeant à l’amont devait être captée. Ce dispositif devait être complété par un «cavalier» en pied de remblai et la zone amont devait être renforcée par inclusions rigides pour s’assurer de la stabilité des terrassements provisoires.

Les travaux des ouvrages proches étant déjà réalisés, toute modification du tracé s’avérait impossible.

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Photo 2. Versant en mouvement lent réactivé par les premiers terrassements.

Devant l'importance des travaux à réaliser, le maitre d’ouvrage demanda l’étude rapide d’une variante de type ouvrage d'art pour le franchissement de ce glissement.

Les coûts et les délais étant comparables pour l’ouvrage en terre renforcée et pour l’ouvrage d’art, le Maître d'Ouvrage décida de retenir la solution viaduc en béton armé, solution jugée préférable pour la pérennité de l’ouvrage et la maîtrise des délais.

Les études de projet du viaduc furent alors lancées en urgence. Elles furent délicates puisqu'il fallait à la fois stabiliser les sols en mouvement et fonder l'ouvrage en dessous de la zone glissée. Les alternatives pour fonder l'ouvrage sur le terrain en glissement étaient les suivantes :

• concevoir des fondations qui résistent aux efforts engendrés par le glissement ;

• se fonder au-dessus de la surface de glissement et prévoir la possibilité de réaliser des réglages corrigeant les mouvements du sol ;

• se fonder dans le terrain stable et protéger les piles des efforts horizontaux par des viroles ;

• se fonder dans le terrain stable après purge en déblai des terrains instables au droit de l'ouvrage ; le déblai de purge étant conforté par des soutènements ancrés et drainages subhorizontaux définitifs.

Une importante campagne de reconnaissance géotechnique complémentaire, consistant notamment en la mise en place d’inclinomètres, a donc été réalisée sur site dans le but de mieux connaître la géométrie de la surface de glissement. Malgré le court délai accordé à l’auscultation, l'analyse des résultats inclinométriques (en corrélation avec les résultats de sondages carottés et pressiométriques) permit de confirmer la profondeur de la surface de glissement (entre 8 et 10 m de profondeur selon les appuis).

Les deux premières alternatives de fondation évoquées ci-dessus furent rapidement écartées en raison des efforts importants amenés par le glissement sur l’ouvrage, et parce que la vitesse du glissement ne pouvait être déterminée de façon

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fiable (période d’auscultation insuffisante) ; dans ces conditions, il n'était pas possible de définir les dispositifs de réglage des contre-déplacements.

Le principe d'isolation des fondations par rapport au sol en mouvement, proposé par l’assistance à la maîtrise d’œuvre, consistait à construire des viroles de protection largement dimensionnées autour des fûts de piles De telles viroles permettraient d’une part de s’affranchir de poussées parasites sur l’ouvrage, et d’autre part de réaliser à partir des puits de viroles des drains subhorizontaux rayonnants (drains contribuant à ralentir, voire à stabiliser l’activité du glissement). Cette solution était d’autant moins onéreuse que la longueur des travées pouvait être augmentée pour réduire le nombre de fondations en terrain instable moyennant une adaptation de la conception du viaduc.

Le Maître d’Ouvrage retint finalement la quatrième solution, consistant en un ouvrage sur pieux réalisé à l’aval d’un soutènement cloué (clous de 16 à 36 m de longueur) permettant le terrassement de toute l’épaisseur des terrains en glissement.

Un nouveau marché comprenant les études d’exécution ainsi que la réalisation du soutènement et du viaduc a dû être passé. Le phasage de construction prévoyait normalement l’exécution du soutènement avant celle des piles situées au cœur du glissement. Mais le délai extrêmement court pour la réalisation du viaduc, qui était alors sur le chemin critique de la mise en service de la voie ferrée, et les retards accumulés dans la mise au point des études du soutènement, ont conduit l’entreprise à proposer et réaliser un blindage de protection provisoire au droit de chaque appui afin de permettre le terrassement des appuis sans attendre la réalisation de l’ensemble du soutènement cloué. Ce blindage a consisté en une rangée de pieux de gros diamètre ancrés dans le substratum. Cette solution, jugée risquée par l’assistance à maitrise d’œuvre, a néanmoins permis de dégager la construction du viaduc du chemin critique. Cependant, des déplacements significatifs des parois ont été observés lors des excavations.

6.3 Interaction entre les deux infrastructures Dans la dernière partie du tracé, les deux plateformes ferroviaire et autoroutière

sont accolées sur un versant de nature instable descendant jusqu'au niveau de la mer. La voie ferrée étant implantée en contrebas de la voie autoroutière.

Dans cette zone, le projet ferroviaire prévoyait des murs de soutènement sous le remblai autoroutier, et un remblai ferroviaire accolé sous le remblai autoroutier pour quelques rares zones sans mur. La logique de construction de cette zone aurait voulu que la plateforme ferroviaire, étant au niveau inférieur, soit construite avant la plateforme autoroutière, tant pour les remblais que pour les murs de soutènement. Mais la programmation très serrée des travaux autoroutiers conduisit au phasage inverse, ce qui entraîna plusieurs situations de glissements très critiques.

Par exemple, un glissement de terrain fossile avait été réactivé par la montée du remblai autoroutier, à un endroit où la voie ferrée (projetée également en remblai) devait être réalisée à proximité aval. L’ensemble du terrain situé à l’aval de l’autoroute se trouvait donc en état de stabilité très précaire et la présence du remblai autoroutier ne permettait plus de réaliser les purges nécessaires pour asseoir le remblai ferroviaire sur des terrains stables. Après de nombreuses expertises, études, et concertations entre les Maîtres d’Œuvre et d’Ouvrages, la solution radicale qui consistait à démonter le remblai autoroutier et à remonter l’ensemble des deux plateformes après purge ou stabilisation des terrains en

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glissement s’est avérée impossible en raison de la mise en service prochaine de l’autoroute. La solution finalement retenue consista à réaliser une paroi moulée, avec des tirants actifs en pied du remblai autoroutier pour permettre l’exécution des purges des terrains glissés au droit de la plateforme ferroviaire et pérenniser la stabilité de l’autoroute.

Photo 3. Paroi moulée en cours de terrassement à l’aval du remblai autoroutier. 7. Conclusion : pistes d’amélioration

Au vu des difficultés rencontrées sur ce chantier, voici quelques pistes

d’amélioration visant à améliorer les études de conception d’une telle infrastructure ferroviaire en site difficile sur le plan géotechnique, tout en prenant en compte le respect de l’environnement et le développement durable.

Concernant le tracé, celui-ci doit être établi en concertation avec le géologue géotechnicien, après visite détaillée du site, examen des photographies aériennes et établissement d’un modèle numérique de terrain (MNT : analyse géomorphologique assistée par ordinateur).

Le tracé étant fixé, il est préférable de ne pas le modifier en phase travaux car le temps nécessaire aux reconnaissances de sol et aux études de conception est en général incompatible avec le planning des travaux.

Le profil en travers doit prévoir une sur-largeur de plate-forme permettant aux engins de travaux de ré-intervenir sur les talus en cas d’instabilité et de faciliter l’entretien des caniveaux (rendu nécessaire par l’érosion de surface des talus de déblai).

Dans le cas présenté, une véritable concertation entre les équipes autoroutière et ferroviaire aurait permis de retenir le meilleur tracé pour chaque infrastructure : le moins contraignant et donc globalement le moins coûteux.

La prise en compte du phasage de réalisation de deux infrastructures très proches l’une de l’autre est également très importante et cela dès les études de conception.

Des solutions moins onéreuses auraient pu être trouvées si le planning de réalisation des travaux de ces deux infrastructures avait été établi en concertation.

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Il convient également de prévoir de planifier avant démarrage des terrassements la déviation des réseaux et les acquisitions foncières. Dans le cas présenté, des pylônes haute tension non déplacés ainsi que la présence d’occupants dans des maisons situées sur le tracé ont obligé les terrassiers soit à les contourner temporairement soit à différer leurs travaux.

Photo 4.Terrassement évitant un pylône en service.

Concernant la géotechnique, la conception de telles infrastructures en site difficile (dans le cas présent sensible aux glissements de terrains) nécessite de prendre en considération dans les plannings le temps nécessaire à la réalisation des campagnes de sondages et essais, puis celui de leur intégration dans les études géotechniques de conception.

Afin d’optimiser le nombre des sondages et essais dont la réalisation est toujours sur le chemin critique, une inspection géomorphologique préalable détaillée de l’ensemble du tracé est capitale. Celle-ci, pour être efficace, doit être confiée à un expert expérimenté en stabilité des pentes qui sait regarder et interpréter les indices présents sur le terrain. Cette inspection complète utilement l’analyse des photographies aériennes et les indications en provenance du modèle numérique de terrain (MNT). Elle permet de cibler rapidement les zones à problème, de concentrer les investigations dans ces zones, de les instrumenter et d’éviter de modifier la conception des ouvrages en cours de travaux, comme cela a été le cas sur ce projet.

Il convient de souligner qu’en matière de franchissement de zone instable préexistante, la fiabilité des solutions retenues peut être améliorée et des économies substantielles de travaux peuvent être trouvées dans la mesure où des investigations préalables permettent de connaître dès la conception du projet la profondeur des glissements, la vitesse des mouvements et les niveaux de nappe aquifère correspondants.

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Photo 5 : Glissement lent de versant réactivé par les travaux de terrassement Il en est de même en présence de terrains compressibles. Des reconnaissances

visuelles préalables permettent de localiser les zones à problème. Des reconnaissances peuvent ainsi être lancées très rapidement pour prélever des échantillons et procéder au plus tôt aux essais oedométriques avec mesure du fluage, essais qui nécessitent du temps. D’autre part, la réalisation de pré-chargements, associés ou non à des drains verticaux, peut permettre de s’affranchir de renforcements de sols coûteux (colonnes ballastées, inclusions rigides), s’ils sont prévus et mis en œuvre suffisamment en avance.

Par ailleurs, il est important d’étudier dès la phase de conception les ressources en matériaux et notamment en matériaux granulaires drainants afin d’exploiter et gérer au mieux les zones d’emprunt. La multitude de zones instables détectées en cours de travaux ainsi que la nécessité de protection contre l’érosion des talus argileux ont été à l’origine d’un besoin très important en matériaux de ce type, d’où des difficultés d’approvisionnement conduisant à la non-protection de talus argileux érodables.

En matière de respect de l’environnement et de développement durable, l’étude en phase conception de l’aptitude des terrains argileux au traitement (pélites et marnes argileuses) et de leur mise en œuvre aurait permis d’optimiser les réemplois de matériaux et ainsi d’éviter la mise en dépôts de millions de m3.

Ce non-réemploi des matériaux a conduit à des déplacements importants de matériaux (mise en dépôt et recherche de matériaux nobles). Le fait de ne pas avoir étudié ces mises en dépôt lors de la conception et d’avoir laissé les entrepreneurs trouver les sites disponibles a conduit à un fort impact environnemental et a été à l’origine des nombreuses instabilités déstructurant les versants.

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