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19 Santé conjuguée - avril 2001 - n° 16 CAHIER Des représentations de la maladie DES SAVOIRS QUI S’IGNORENT

VOIRS QUIS’IGNORENT CAHIER Des représentations de la …...captif de sa souffrance que dans le monde de la prévention et de l’éducation. Confronter sans préjugé ni hiérarchie

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19Santé conjuguée - avril 2001 - n ° 16

DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

CAHIER

Des représentations de la maladie

DES SAVOIRS QUI

S’IGNORENT

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C A H I E R

La représentation que le soignant se fait de lamaladie est loin d’être une question théorique.Pour prendre un exemple caricatural, lespsychiatres soviétiques fondaient la« rééducation » des opposants au régime surune représentation évidente de la santémentale : le régime communiste étant le meilleurrégime possible pour l’homme, il fallait être foupour s’y opposer...

La vie du vivant ne reconnaît les catégories de santé et de maladieque sur le plan de l’expérience

qui est d’abord épreuve au sens affectif du termeet non sur le plan de la science.

La science explique l’expérience, elle ne l’annule pas pour autant.Canguilhem

« Comment peut-on être persan ? » demandait Montesquieu, étonné de l’appareil des ambassadeursvenus de cette lointaine contrée rendre hommage au Roi. Les gens qui ne pensent pas comme noussont bien étranges. C’est qu’il est tellement évident que nos représentations sont universelles etcorrespondent à la nature des choses ! Pourtant, si nous entretenons ce délicieux défaut qu’est lacuriosité, la rencontre avec l’autre nous fait prendre conscience que la façon dont il vit les chosesest nourrie de son expérience personnelle et relationnelle et reflète des normes et valeurs auxquellesil se réfère implicitement, qui ne sont jamais exactement, loin s’en faut, nos expériences et nimême nos normes. Et peut-être soupçonnerons-nous que cet autre doit éprouver les mêmessentiments à notre égard...

Il en va ainsi pour les représentations de la santé et de la maladie. Dans la relation entreprofessionnel et usager de la santé, les attentes et les références de l’un comme de l’autre sont toutsauf évidences et consensus implicite. Dès lors, pour le professionnel, (et in fine pourquoi paspour l’usager), ces représentations se constituent en outil mais aussi l’incitent à se retourner surce qu’il met en œuvre dans sa pratique.

Outil de prévention et d’éducation à la santé, elles éclairent comment les concepts sont perçus ettransformés par les publics cibles, et améliorent la communication.

Outil dans le domaine curatif, elles aident le soignant àdécoder la plainte qui lui est présentée, déterminent cequi se passe dans le décours de la relation médecin-malade, et peuvent améliorer la compliance du patientaux procédures diagnostiques et thérapeutiques.

Mais, comme l’outil transforme le bras qui l’emploie,les représentations peuvent transformer les acteurs dela santé. Les professionnels ont une tendance naturelle às’imaginer détenteurs du bon savoir et à l’imposer auxpatients « pour leur bien ». Les médecines lointaines oupassées leur chuchotent pourtant que le savoir moderneest lui aussi basé sur des représentations, au même titre

que les savoirs profanes. Ces représentations « savantes » méritent attention tout autant que lesautres et conduisent à questionner le savoir dominant.

En route pour donc pour une représentation sur les représentations...

Si nous avons choisi de centrer notre sujet sur les représentations de la maladie plutôt que surcelles de la santé (sans bien sûr les isoler radicalement), c’est parce que le monde curatif, refermésur sa science et ses nécessités « vitales », est moins perméable à ces notions que des secteursqu’il considère comme littéraires, tels que la prévention, l’éducation à la santé ou la santé publique.Or, si bio-pouvoir il y a, il se déploie bien plus violemment dans le domaine curatif où l’usager estcaptif de sa souffrance que dans le monde de la prévention et de l’éducation.Confronter sans préjugé ni hiérarchie les représentations profanes et les représentations« savantes » de la maladie, c’est alors questionner le sens de cette gigantesque machine curativequi nous agit.

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

Des représentations

La santé, la maladie comme « représentations » page 24Sylvie Carbonnelle, anthropologue au Centre de diffusion de la culture sanitaireet au Centre de sociologie de la santé de l’Université libre de BruxellesLa santé et la maladie sont des objets dont la définition ne va pas de soi. Que se cache-t-il sousles représentations que s’en font professionnels et usagers ?

Des théories subjectives de la santé page 27Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneQuelle conception les sujets se font-ils de la maladie ? Alors que les pays de langue françaisedéveloppent l’étude des représentations sociales, dans les pays de langue allemande onprivilégie, pour répondre à cette question, l’observation des théories subjectives.

Cultures

Tout est relatif ?Quelques réflexions à propos de la maladie comme représentation page 31

Miguelle Benrubi, médecin généraliste à la maison médicale la PasserelleLa rencontre avec les patients d’autres cultures n’est pas que sujet d’étonnement : elle peutaussi interpeller nos propres représentations.

Entendre l’autre et rester soi page 33Isabelle Aujoulat, chercheur à l’Unité d’éducation pour la santé et d’éducation du patient del’Ecole de santé publique de l’université catholique de LouvainQue faire quand, en plus des représentations de la maladie, les références culturelles diffèrententre soignant et soigné ?

Regards de l’anthropologie sur les représentations de la maladie page 35Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneLes approches qu’a développé l’anthropologie médicale sur les représentations de la maladiesont multiples et parfois antagonistes. Toutes ont leurs richesses et leurs défauts. Et, d’unemanière ou d’une autre, toutes nous parlent de nos pratiques d’acteurs ou d’usagers du systèmede santé.

Représentations du corps et de la maladie page 39Louis Ferrant, médecin de famille à Bruxelles et assistant au Centrum voorHuisartsgeneeskunde, Universiteit van AntwerpenA la découverte progressive de l’importance des représentations de la maladie au travers del’expérience de terrain d’un médecin généraliste.

Représentations profanes

Les modèles de Laplantine page 45Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneQuels sont les modèles de base de la maladie que l’on peut repérer dans n’importe quellesociété sous l’une ou l’autre forme ? Présentation d’une recherche de François Laplantine.

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C A H I E R

Représentations et perceptions de la maladie chez les personnes âgéespage 49France Libion, chercheur principal, Isabelle Aujoulat, chercheur, Alain Deccache, directeuret avec la collaboration de Philippe Meremans, docteur en santé publique, chercheur, unitéd’éducation pour la santé, RESO-UCLDans le cadre d’une enquête exploratoire sur leurs besoins de promotion de la santé, unesoixantaine de personnes âgées ont été interrogées sur leurs représentations et perceptions dela maladie.

La colonie familiale page 52Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneSur les représentations sociales de la maladie mentale dans un milieu rural qui héberge desmalades mentaux.

Logiques de santé et maladie chronique page 56Pierre Bizel, licencié en sciences de la santé publique, orientation promotion-éducation santéLes maladies chroniques modifient radicalement les résentations des patients qui en souffrent.Leur chronicité et le relatif échec de la médecine moderne à les prendre en charge en font pourles malades une source d’angoisse et un déterminant incontournable de leur qualité de vie.

Pourquoi Dieu nous envoie-t-il des maladies ? page 62Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneLes représentations ancestrales de la maladie en Occident chrétien se fissurent au dix-huitièmesiècle. L’intuition du progrès proche naît dans un monde où la religion demeure le principalsecours contre le mal absolu incarné dans la maladie, l’épidémie et la mort.

Comportements et attentes des femmes de 50 à 69 ansface au dépistage du cancer du sein page 65

Jean-Luc Collignon, licencié en éducation de la santé, directeur du Centre d’éducationdu patient et Nathalie Martin, sociologue, chargée de recherche au Centre d’éducationdu patientUne enquête sur les comportements en matière de prévention face au cancer du sein a étémenée en 1999-2000 auprès de quatre mille femmes de 50 à 69 ans en province de Namur(Belgique). Cette enquête s’est attachée, entre autres, à l’étude des croyances relatives aucancer du sein.

Des représentations savantes

Traduction ou interprétation dans la relation médecin-malade page 72Julie Morel, anthropologueDans la consultation, le médecin fait-il une traduction ou une interprétation de la plainte ? Lesreprésentations de la maladie peuvent être très différentes entre deux médecins travaillantdans le même service d’un même hôpital...

Grandeur et décadence de l’hypothèse psychosomatique page 79Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneL’histoire de l’hypothèse psychosomatique montre combien les concepts étiologiques de lamaladie chronique sont construits.

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

De la construction des maladies page 81Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneIl y a les maladies de médecin : elles ont un nom, on peut les décrire, les mesurer, les identifierchez différents patients. Il y a les maladies de malades : ils s’en plaignent, en souffrent etparfois en meurent. Et puis il y a les maladies qu’ils fabriquent ensemble...

Représentation de la maladie et kinésithérapeutes page 86Bénédicte Dubois, kinésithérapeute à la maison médicale l’AsterDes kinésithérapeutes discutent de leur représentation de la maladie et de l’influence de cettereprésentation sur leur façon d’aborder le patient.

Sens et démence page 88Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneLa démence fait peur. Elle nous confronte au vide du sens. Pouvons-nous nous représenterl’insensé comme humain ?

Confrontation

Profanes... page 89Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethunePar rapport à l’expert, l’homme de la rue serait celui qui déforme et fait des erreurs. Ne serait-ce pas plutôt que leurs prémisses et représentations sont différentes et conduisent à des modesde pensée différents...

Le généraliste et la médecine : un couple illégitime ? page 91Monique Boulad, médecin généraliste à la maison médicale la Glaiseet présidente du comité d’éthique de la Fédération des maisons médicalesMédecine : lieu où se construit la représentation de la maladie, lieu d’où les malades tirentleur légitimité de patients et les médecins leur légitimité de soignants ?

Retournons-nous un instant... page 95Julie Morel, anthropologueQuand un bref retour à l’histoire nous invite à un vrai retour au malade.

La nouvelle alliance page 98Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneQuand les représentations de la maladie mettent à la question la hiérarchie des savoirs...

Conclusion page 100Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethunePour un regard différent sur notre système de soins à la lumière des représentations de lasanté.

Bibliographie page 103

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C A H I E R

La santé, la maladie comme «␣représentations␣»

SylvieCarbonnelle,anthropologue auCentre dediffusion de laculture sanitaireet au Centre desociologie de lasanté del’Université librede Bruxelles.

Les représentations sociales de la santé et de lamaladie font l’objet depuis une vingtained’années d’une attention accrue, que ce soit

« Dès qu’elle éclôt dans un corps,la maladie voit-elle s’édifier ailleurs son

double, sa représentation, apparemmentinsaisissable mais aussi solide que le mal

chevillé dans l’organe atteint ».Jean Benoist1

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La santé et la maladie sont des objetsdont la définition ne va pas de soi. Quese cache-t-il sous les représentationsque s’en font professionnels etusagers ?

(1) Benoist J.,« Une médecineou desmédecines ? Apropos de ladimensionculturelle de lamaladie »,Nouvelle Revued’Ethnopsychiatrie,n°30, 1996, p.148.

(2)L’anthropologiemédicale utilisel’anthropologiepour éclairer lapratiquemédicale par uneconnaissance desfaits de culture.

(3)L’Organisationmondiale de lasanté définit lasanté comme unétat de completbien-êtrephysique, mentalet social, alorsque la professionmédicale mettral’accent surl’absence demaladie ou deperturbationbiologique.

Une création de sens

Des conceptions spécifiques de la santé et dela maladie sont véhiculées par le discoursmédical. Cependant santé et maladie ne sontpas que des constructions médicales, issues ducheminement de la pensée scientifique. Cesnotions renvoient aussi à une autre réalité, celledes acteurs sociaux pour qui la maladiereprésente une figure du malheur, un événementqui menace ou modifie, parfois irrémédiable-ment, leur vie personnelle, leur insertionsociale, le sens de leur existence. Santé etmaladie sont loin d’être univoques, leur contenupouvant varier considérablement selon lesépoques, les sociétés, les cultures, les individus.Elles sont des « constructions sociales »élaborées collectivement et irréductibles auxdéfinitions médicales institutionnelles ouprofessionnelles3.

Les travaux sur les représentations de la santéet de la maladie se distinguent nettement ducourant anglo-saxon du Health Belief Model quis’efforçait de mettre en relation simple et directeles croyances et les attitudes en matière de santéet de maladie avec des comportements derecours aux soins et de prévention, ceux-ci étant

dans le domaine des sciences socialesou celui des sciences médicales et dela santé. La littérature scientifiquefait état - et ceci tant dans les sociétésoccidentales que non-occidentales -de nombreuses études portant sur cesquestions des représentations et desconceptions en matière de santé et demaladie (qu’il s’agisse de la maladieau sens générique ou d’un type demaladie particulier) propres àcertaines « populations » : groupesethniques, classes sociales, classesd’âge, malades atteints d’unepathologie particulière. L’analysecomparative de ces représentations etdes pratiques thérapeutiques propresaux diverses sociétés a d’ailleurslargement contribué au développe-ment d’une discipline à part entièresituée au croisement de préoccupa-tions médico-sanitaires et anthropo-logiques, à savoir, l’anthropologiemédicale2.

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sacré, le profane, etc. Sans oublier égalementle domaine des émotions et des sentimentscollectifs7.

Un processus social

La santé et la maladie sont dès lors des objetsdont la définition ne va pas de soi. Ils sont lerésultat d’élaborations intellectuelles qui sontdes processus sociaux8. Dans ses travaux, lasociologue française Claudine Herzlich a bienmontré combien ces notions sont indépendantesdu savoir médical ; que le langage dans lequelon s’exprime à propos de la santé et de lamaladie, dans lequel on en interprète les causes,les manifestations et les conséquences n’est passeulement un langage du corps, mais un langagedu rapport de l’individu à la société. Ainsi, dansnotre société, la maladie objective souvent unrapport conflictuel au social. Les théoriescausales qui sont élaborées par les patientsmettent généralement en avant la sociétéagressive, le mode de vie malsain, le rythme devie stressant, l’air pollué, la nourriturechimique, le bruit, etc., autant de facteurssupposés faire violence à l’individu considéré,lui, comme fondamentalement sain, et quis’opposeraient à une nature perçue commeintrinsèquement bonne9.

Les travaux d’Herzlich ainsi que ceux ded’Houtaud et de Pierret ont également mis enévidence la considérable variation desreprésentations de la santé selon les différentsgroupes sociaux. Si pour les classes moyennes,elle est évoquée en termes d’équilibre, plutôtassimilée à l’accomplissement de soi et auplaisir, par contre, pour les classes populaires,la santé sera davantage perçue en termesd’absence de maladie, celle-ci étant plutôtconsidérée en tant qu’instrument, que capacitéde travail.

Dans notre société en outre, plus que des critèresbiologiques, ce sont généralement des critèressociaux comme l’activité ou l’inactivité, laparticipation sociale ou l’exclusion, qui serventà définir l’état du bien-portant ou du malade.La construction de l’idée même de maladies’élabore le plus souvent sur la base d’unemodification de la vie du malade et de son

essentiellement envisagés selon leur distanceavec le savoir bio-médical4. Ce savoir y faisaiten quelque sorte figure d’« étalon » auquel semesuraient les autres savoirs, jugéshiérarchiquement « inférieurs ». Nombreuxsociologues et anthropologues avaient dénoncécette perspective largement médico-centrique,et dans la pratique souvent fort peu efficacepour parvenir à induire des changements decomportement dans le chef des populationsvisées par les actions éducatives.

La notion de représentations sociales diffère decelles, couramment utilisées, d’opinions, deperceptions, ou encore, d’images, d’attitudes,etc. Les représentations constituentvéritablement des systèmes cognitifs, desthéories. Elles manifestent un processusd’interaction entre l’individu et la collectivité,le social, dans la mesure où l’individu lesintériorise par la socialisation autant qu’il neles crée, construisant ainsi sa propre réalité. Unereprésentation sociale constitue un système devaleurs, de notions et de pratiques ayant unedouble vocation : d’une part d’instaurer unordre qui donne la possibilité aux individus des’orienter dans l’environnement social etmatériel, et de le dominer ; d’autre part,d’assurer la communication entre les membresd’une communauté en leur proposant un codepour leurs échanges et un code pour nommer,classer, catégoriser de manière univoque lesparties de leur monde, de leur histoireindividuelle ou collective5.

En tant que phénomènes, les représentationssociales se présentent sous des formes variées,plus ou moins complexes. Il s’agit à la foisd’images qui condensent un ensemble designifications, de systèmes de référence quinous permettent d’interpréter ce qui nous arrive,voire, de donner un sens à l’inattendu ; ouencore, de catégories qui servent à classer lescirconstances, les phénomènes, les individusauxquels nous avons affaire. Les représen-tations peuvent dès lors être entendues commeune manière d’interpréter et de penser notreréalité quotidienne ; il s’agit donc d’une formede connaissance sociale6. Celle-ci ne se limitepas au seul domaine cognitif comprenant lesavoir et les croyances. Elle inclut égalementle domaine des valeurs : le bien, le mal, le juste,l’injuste, le désirable, le permis, l’interdit, le

(4) Herzlich Cl.,« Représentations

sociales de lasanté et de la

maladie et leurdynamique dans

le champ social »in Doise W.,

Palmonari A. (ssla dir.), L’étude

des représen-tations sociales,

Neuchâtel, Paris,Delachaux et

Niestlé, 1986, p.163.

(5) Moscovici S.,« Préface », in

Herzlich Cl.,Santé et maladie.

Analyse d’unereprésentationsociale, Paris,Mouton, 1969,

p. 10.

(6) Jodelet D.,« Représentation

sociale :phénomène,

concept etthéorie », in

Moscovici S. (ssla dir.),

PsychologieSociale, Paris,PUF, 1984, p.

360.

(7) D’HoutaudA.,

« Comportementset représentations

dans lesdomaines de laprévention » in

Aïach P., Bon N.,Deschamps J.P.,Comportements

et santé.Questions pour la

prévention,Nancy, Presses

Universitaires deNancy, 1992,

p.114.

(suite sur page suivante)

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identité sociale, et non sur celle de l’état ducorps. A cet égard, en s’entretenant avec desmembres des classes moyenne et supérieure,Herzlich a distingué trois types dereprésentations de la maladie, à savoir : lamaladie « destructrice », la maladie« libératrice », et la maladie « métier ».

La maladie est perçue comme « destructrice »lorsqu’elle s’accompagne de la destruction desliens sociaux, d’une perte de rôle et d’activités,soit d’une forme de désintégration sociale. Acontrario, la maladie est vécue comme« libératrice », lorsqu’elle offre à l’individu lapossibilité d’échapper à un rôle social perçucomme étouffant, insupportable. Loin dereprésenter un malheur, une destruction, lamaladie est alors vue comme l’opportunité deretrouver un sens à sa vie, de découvrir selonl’expression de Canguilhem, de « nouvellesnormes de vie » conduisant à un enrichissementet un accomplissement de la personne. Enfin,lorsqu’elle est grave, la maladie est parfoisvécue comme un « métier » : la gestion, la lutte,le combat prennent la place d’une activitéprofessionnelle et deviennent l’élément centralde l’existence.

Un concert opératoire

La notion de représentations sociales de la santéet de la maladie apparaît en définitiveparticulièrement heuristique dans le domainede la santé publique pour comprendre lesattitudes et les pratiques des individus et desgroupes face aux soins médicaux. Par rapportaux approches classiques portant sur lesdéterminants des états de santé et de maladie,elle offre une ouverture importante vers lacompréhension des dynamiques sociales etculturelles en jeu dans la gestion des problèmesde santé, et dans les relations entre soignants etsoignés. L’individu n’est plus considéré commeétant seulement objet d’influences et de facteursexternes qu’il convient de maîtriser (conceptionqui a parfois conduit à considérer la culture elle-même comme un facteur causal de maladies aumême titre que peuvent l’être par exemple lesmicrobes ou les bactéries), mais au contraire,comme un créateur perpétuel de sens, designifications.

Ces catégories que constituent la santé, lamaladie, la prévention, et auxquelles recourentlargement les éducateurs de santé pour justifierleurs pratiques, que ce soit pour empêcherl’apparition de la maladie, ou promouvoir lasanté, restent des catégories qui demandent àêtre maniées avec grande prudence. Leurcontenu profane peut en effet se trouverextrêmement éloigné des références bio-médicales et constituer de la sorte une profondesource d’incompréhension entre publics etprofessionnels. Il n’est point de conduites sanssignification sociale, et viser un changement deconduite de la part de telles communautés, telsgroupes sociaux, tels individus appellenécessairement la prise en considération de lacomplexité des liens structurels et symboliquesqui font leur insertion dans le monde.

La santé, la maladie comme «␣représentations␣»

(8) Moscovici S.,ibidem.

(9) Adam Ph.,Herzlich Cl.,Sociologie de lamaladie et de lamédecine, Paris,NathanUniversité, 1994,p. 64.

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?Des théories subjectives de la santé

Axel Hoffman,médecin

généraliste à lamaison médicale

Norman Bethune.

Les théories subjectives de lamaladie

Dans la vie quotidienne, le sujet émet, commele scientifique, certaines hypothèses sur lui-même et sur le monde. Reliées entre elles parleur thématique, ces hypothèses constituent untout cohérent : une théorie. Les théoriessubjectives constituent une construction idéelledes malades sur l’essence, l’origine et letraitement de leur affection. Elles incluent desaspects émotionnels, des pensées magiques, desreprésentations sur le savoir des médecins surla maladie et peuvent varier en fonction ducontexte.

Grâce à ces théories, le sujet peut définir lasituation dans laquelle il se trouve, expliquerou prévoir des événements, formuler desrecommandations, contrôler son action etoptimiser le sentiment de sa propre valeur. Il seforme des schémas d’explications qui seglissent ensuite dans sa conduite et devient ainsiexpert de sa vie. Les théories subjectives

Quelle conception les sujets se font-ilsde la maladie ? Alors que dans les paysde langue française on recourt plutôt àl’étude des représentations sociales,dans les pays de langue allemande onprivilégie, pour répondre à cettequestion, la construction de théoriessubjectives.

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constituent à la fois le point de départ et lerésultat d’interaction entre l’individu etl’entourage. La structure argumentative etdynamique des théories subjectives lesdistingue donc de simples connaissances ouattitudes.

Pour illustrer le concept de théories subjectivesde la maladie, parcourons quelques étudesréalisées dans ce cadre.

La genèse de la maladie

En 1986-87, Petra Mattes a interrogé quaranteAllemands et quarante Britanniques à l’aided’un questionnaire standard portant sur lesfacteurs auxquels ils imputent la maladie.Premier constat : alors que la plupart desAllemands ont trouvé la question trèsimportante, un tiers des Britanniques latrouvaient peu importante.

Les Allemands insistent beaucoup surl’importance des facteurs psychiques et sur laresponsabilité du milieu familial et social dansla genèse de la maladie. Sur le plan social large,ils incriminent la contrainte de la performance.Les Britanniques considèrent commedéterminantes les conditions matériellesdéfavorables au sein de la famille, l’alcool (alorsque la consommation d’alcool par habitant estplus élevée en Allemagne qu’en Grande-Bretagne) ainsi que la solitude et la carence derelations sociales ; ils craignent beaucoupl’infection et voient un risque de contagion àpartir du cercle d’amis et relations. Sur le plansocial large, ils incriminent un sentimentd’impuissance face à l’État et à la bureaucratie.

Quand on les interroge sur les possibilités desoigner un ulcère de l’estomac, tous prônent unchangement de conditions de vie, mais lesAllemands envisagent sérieusement l’utilitéd’une psychothérapie alors que les Anglais nele mentionnent pas ou trouvent cela inadapté.De même, les Allemands sont bien davantageprêts à recourir aux médecines douces que lesAnglais.

Sur le plan médicamenteux, les Allemandsauront aisément un comportement restrictif,

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délaissant une partie des produits ordonnés alorsque les Anglais prendront scrupuleusement tousles médicaments prescrits et s’en remettententièrement à leur médecin en lequel ils ont, demanière très caractéristique, une plus grandeconfiance.

Plus de 50 % des Anglais ont une image positivedu groupe professionnel des médecins, ce quin’est le cas que d’un quart des Allemands, quistigmatisent surtout le manque de compétencedes médecins. Les Anglais se plaignent plutôtde l’insuffisance structurelle de leur système(en 1987 !). L’auteur avance une interprétationde cette différence de confiance : en Angleterre,le système fait que l’on choisit souvent unmédecin « pour la vie », ce qui permet à cedernier de devenir en quelque sorte le« spécialiste » du patient.

Les nuisancesenvironnementales

En 1986-87, Franck Ruff a exploré les théoriessubjectives sur les maladies respiratoires desenfants dans lesquels la pollution de l’air et lesmog sont incriminés (Allemagne).

L’interrogatoire des parents révèle que larecherche d’une cause environnementale n’estpas spontanée : elle n’apparaît que si lesépisodes se répètent, s’il y a concordance avecdes périodes de smog et si des informations sontobtenues de médecins, de media ou deconnaissances. Le plus souvent, les hypothèsescausales énoncées sont incertaines et vagues.

Au-delà de l’aspect purement cognitif, lespersonnes sondées manifestent des sentimentsd’angoisse liés au fait que la maladie toucheleur enfant, et d’impuissance à l’endroit de lacause présumée, la pollution. Presque tous lesparents conscients d’un lien entre pollution etmaladie de leur enfant ont limité les activitésde plein air pendant les périodes critiques(attitude que nous avons retrouvée quand desparents ont demandé à exempter leurs enfantsde natation lors de la récente affaire du chloredans les piscines).Un quart des familles a organisé ses vacancesde manière à quitter leur habitat lors de cespériodes. La moitié a arrêté ou diminué letabagisme. Quelques-unes unes ont adopté desattitudes plus actives pour diminuer leurproduction personnelle de pollution :organisation plus écologique du ménage,transports en commun... Certaines ontabandonné le désir d’avoir des enfants ; un tiersa des projets sérieux de déménagement. Malgrécela, la plupart estiment inutile un engagementsocial ou politique et adoptent une attitude derésignation.

Lors d’études ultérieures, Ruff constate que, àl’exception des maladies respiratoires attribuéesà la pollution, la plupart des gens n’introduisentpas de distinctions dans le concept global denuisances environnementales. Un quart despersonnes ne fait aucune différence entremaladie due à l’environnement et maladieordinaire ; pour les autres, la différence la pluscitée est... qu’on ne peut prévenir ces maladies.

Des théories subjectives de la santé

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

Le sentiment d’une lourde menace est relié à lagravité de ces maladies, à l’accumulation desdéclencheurs dans l’organisme et à l’absencede possibilité de contrôle personnel.

Il s’agit donc d’un savoir peu solide, où seprojettent de nombreux problèmes compriscomme contraintes sociales, « malaise de lamodernité ». Mais ce savoir remet en cause lesreprésentations culturelles « éprouvées » de lamaladie : les maladies perdent leur caractèrepresque individuel et naturel, la médecine perdsa fonction thérapeutique et tranquillisante.

Le stress

Déjà au début du siècle, Osler parle du stresscomme constitutif de l’angine de poitrine. En1939, Selye introduit ce terme en biologie eten médecine au sein d’un « syndrome générald’adaptation ». Dès les années 60, le mot entredans les dictionnaires et devient un mot à lamode.La conviction qu’il existe un lien entre stresset maladie, notamment mentale, fait maintenantpartie du savoir de notre société. Dans l’étudede Hambourg (Angermeyer 1985), les patientsatteints de différentes formes de psychose« fonctionnelle » expliquent leur problème parla situation sociale (chômage, solitude,pauvreté) et par le stress, c’est-à-dire lespressions psychosociales. La popularité du« stress » est interprétée par Angermeyercomme une tentative d’échapper à l’opprobrede la maladie mentale : être malade descontraintes psychosociales est connotépositivement. Peut-on être fier de sa maladiedes managers... ?

Théories subjectives etinteraction avec lepsychothérapeute

En 1990, Marianne Krause Jacob a réalisé uneétude sur le recours à une aide professionnelledans les maladies où intervient une composantepsychique. On s’attendait à rencontrer chez cesmalades un certain nombre de schémasexplicatifs psychologiques : c’est peu le cas.

L’étude constate que l’assimilation desconceptions psychologiques de la maladie lorsdu contact avec des professionnels ne peut avoirlieu que si deux conditions sont remplies : ilfaut arriver à créer des domaines de significationcommune et accepter de concevoir la relationcomme structurellement asymétrique. Le clientdoit apprendre la psychologie comme forme depensée inhabituelle pour lui, apprentissage quise fait au sein de relations caractérisées par lasupériorité des professionnels. Il doitreconnaître le statut d’expert et le contexte del’interprétation « psy » : ce qui se négocie, c’estla définition du problème mais pas le contexted’explication où cette définition se situe.

Les personnes en quête de soins règlentprogressivement leurs conceptions et théoriessubjectives sur celles du consultant, pourconstruire une théorie subjective sur elles-mêmes. La modification des théoriessubjectives a lieu à un moment « décisif » oùles personnes acceptent un nouveau contexted’interprétation, mais les nouvelles conceptionsne se substituent pas d’un trait aux anciennes :elles s’y superposent graduellement, sanss’exclure mutuellement et ce dans le contextede la relation asymétrique.

Interrogeant d’anciens patients d’un service depsychothérapie, Gerd Mutz et Irene Kühnleinont essayé de déterminer comment ilscombinent le savoir psychologique acquis etleur ancien savoir pour reconstruire leurévolution. Ils ont mis en évidence que lespatients utilisent les interprétationspsychologiques de manière très sélective : ilspersistent en fait dans les interprétationsquotidiennes et traditionnelles sur l’essentiel etse servent des interprétations psychologiquespour normaliser à un niveau plus élevé lesdéveloppements et ruptures biographiquesqu’ils ne pouvaient expliquer avec les savoirsdont ils disposaient jusque là.

Il y a une véritable reconstruction de la réalitésociale dans laquelle s’interpénètrent demanière variable des savoirs médicaux, sociauxet psychologiques. Les récits des patientsmontrent une « expérience » de la biographie.A partir des événements de leur vie, ils formentun tout cohérent, une biographie personnelle,mais pas dans le sens subjectif, bourgeois : leur

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histoire devient un cas généralisable, unscénario socialement acceptable. Cette formegénéralisée et admise dans la société leur permetd’intégrer l’expérience subjective de la maladie,les libère de la responsabilité et rend possibleune contemplation distancée à un niveau deréflexion supérieure.

Apport des théories subjectives

La perception quotidienne de la maladie parl’individu et son entourage a toujours servi àdiscerner et traiter les maladies si bien qu’unegrande partie des problèmes n’arrive pas auxprofessionnels de la santé, mais sont réglés dansle cercle famille-amis-relations.

Ce système de santé invisible est souventl’apanage des femmes : elles ont laresponsabilité de maintenir un environnementdomestique favorable (health provider), detransmettre les attitudes pour maintenir la santéou lutter contre la maladie (health negociator),d’entrer en contact avec le systèmeprofessionnel (health mediator).

Il y a ainsi un établissement graduel de la culturedes thérapeutes, que l’on peut décrire en cinqstades :

1. expérience des symptômes, recherched’une explication par le malade et sonentourage ;

2. je suis malade, diagnostic et traitement parle sujet et son entourage ;

3. je dois aller voir un docteur, attributionprofane de cette nécessité ;

4. je suis patient, la coopération-confiance-compliance avec les professionnels de lasanté dépendra de la perception quotidienneexistant dans l’entourage ;

5. est-ce que je vais guérir ?

C’est donc un véritable monde de gestion de lamaladie, oblitéré par la science mais totalementprésent, que l’étude de ces théories met enlumière. Elles nous permettent de comprendrecomment les connaissances scientifiquespénètrent dans le sens commun ou se placenten porte à faux face à lui (avec les problèmes

Des théories subjectives de la santé

de compliance que cela génère).

L’intérêt des chercheurs pour ces théories, outrel’aspect scientifique (ou académique) estd’identifier ce qui relève de la santé et de lamaladie dans le milieu profane et d’utiliser cetteconnaissance pour mieux les influencer. Cetespoir est souvent déçu, car on s’aperçoit queles théories subjectives de la maladiefonctionnent rarement comme déterminantsd’une action.

Rolf Verres propose de prendre de la distanceavec ces théories. A la maxime desprofessionnels : « Plus on dépiste un cancer tôt,mieux cela vaut pour le patient », il oppose lamaxime d’un patient : « Plus on dépiste lecancer tard, mieux c’est : ce que je ne sais pasne me tracasse pas. Laissez-moi tranquille avecvos sermons ». La croyance en une hiérarchiedes savoirs dominée par le rationnel rejette aurang de vérité inférieure le sens que le sujetconstruit dans sa vie. Verres suggère que leréformisme missionnaire auquel se livrentcertains chercheurs et spécialistes (enpromotion de la santé notamment) cède la placeà un dialogue respectueux avec les profanes. Ilforme le vœu que les chercheurs accèdent plussouvent au niveau de l’art de vivre, qu’ilspuissent concevoir la vie comme une œuvred’art originale à laquelle on travaille, avec sonpassé, son avenir, son intemporalité tout engardant une conscience claire de l’ici etmaintenant. Le savoir profane n’est pas un objetde manipulation ; il questionne ceux qui leconfrontent.C’est dans l’interaction entre savoirs profaneset professionnels que pourront s’ouvrir denouvelles voies de gestion de la santé et de lamaladie.

La bibliographie des auteurs cités renvoie enfin de ce cahier.

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?Tout est relatif ?

Quelques réflexions à propos de la maladie comme représentation

On me propose, en qualité de médecingénéraliste formé à l’anthropologie, d’écrire untexte sur les représentations de la maladie. Lachose semble aller de soi : je parlerai de cultureséloignées de la nôtre, y trouvant à coup sûr denombreux exemples d’interprétation de lamaladie nous confrontant à des registres decroyances très différents.

Plusieurs cas me viennent aussitôt à l’esprit.Ainsi, je me sens totalement impuissante devantla passivité de madame R., patiente haïtiennede septante ans, qui subit une hémiplégieinvalidante comme dépendante de la volontédu Vaudou. De même madame K., patientebéninoise, n’a surmonté la douleur d’une faussecouche que deux ans après l’événement, quandelle est retournée au pays et a pu réaliser lesoffrandes rituelles appropriées. Dans ces deuxexemples, la relation entre culture et maladieest évidente : elle laisse perplexe et impuissantle thérapeute occidental qui ne serait passensible au contexte culturel en lequel s’inscrittoute maladie. L’anthropologie semble être làpour nous permettre de penser de tellesdifférences : les sociétés dites traditionnellesparaissent privilégier la part sociale,symbolique, surnaturelle de la maladie. Al’inverse, en Occident, nous aurions appris delongue date à faire la part du rationnel et del’irrationnel. Tel serait, depuis au moins leXIX ème siècle, le rôle de la médecine

MiguelleBenrubi, médecin

généraliste à lamaison médicale

la Passerelle.

La rencontre avec les patients d’autrescultures n’est pas que sujet d’éton-nement : elle peut aussi interpeller nospropres représentations.

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

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scientifique : introduire un principe de stricteobjectivité dans l’analyse des phénomènesmorbides. Comme si nous pensions possibled’exclure de la mise en œuvre scientifique dela notion de maladie toute connotation d’ordreculturel…

L’Autre éloigné – ma patiente haïtienne oubéninoise - est-il le seul à vivre dans un systèmede représentations à ce point dépendant de sescroyances culturelles ? A bien y réfléchir,pourtant, je me sens tout aussi perplexe etimpuissante devant des croyances, moinsspectaculaires, sans doute, mais tout aussisingulières, de patients culturellement beaucoupplus proches de moi.

Que penser ainsi du cas de madame H., patientebelge de soixante ans, qui ne va plus chez lecoiffeur depuis six mois car elle a subi uneintervention chirurgicale qui empêcherait lapermanente de « prendre » ? Et que dire de montrouble lorsque madame L., patiente belge decinquante ans, respire beaucoup mieux depuisqu’elle s’est fait « élargir le thorax » par unostéopathe ? Plus incompréhensible encore,madame X., âgée de quarante cinq ans, refusede se faire opérer d’une tumeur maligne du seinet fait totalement confiance aux médecinesparallèles et à son travail en psychothérapie.Monsieur D. pèse cent trente kilos et m’assurequ’il ne mange presque rien : « Le matin un painavec un pot de Nutella, à midi… ». MonsieurP., quatre-vingt trois ans, vomit « comme unchien » chaque fois qu’il va au restaurant etdéroge ainsi au régime alimentairerigoureusement biologique issu de sonagriculture « dynamisée ». Enfin, mon hommeme dit qu’il se trouve en bien meilleure formedepuis qu’il boit tous les matins un petit pot deYakult, qui « renforce l’être humain »…

Tous ceux-là vivent apparemment dans le mêmemonde que moi mais, de toute évidence,n’appréhendent pas ce monde exactement dela même manière. Leurs représentations de lasanté et de la maladie sont constitutives de leurhistoire, et sans doute d’une expérience du corpsà chaque fois singulière. Les médecinsd’ailleurs et les firmes pharmaceutiquessemblent l’avoir bien compris. Ainsi, par

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hypertendu, n’a pas pour intention de discréditernaïvement et systématiquement la sciencebiomédicale et son arsenal thérapeutique. Ilnous permet seulement de poser question et deprendre ce recul minimal qui nous met en facede nos propres réalités : autant que ma patientehaïtienne ou béninoise, autant que mon hommeau Yakult, nous sommes, nous tous, médecinset patients, inscrits dans un système dereprésentations et déterminés par une histoire– une culture – qui nous fait voir le monde telque nous le voyons et qui nous permet d’en faireusage ainsi que nous en faisons usage.

Tout ainsi serait-il relatif ? Non ! Tout estrelation, c’est-à-dire que tout – et jusque dansnos certitudes – est socialement ethistoriquement déterminé : jamais nousn’échapperons, pour le meilleur comme pourle pire, à l’héritage qui fait de nous ce que noussommes. La maladie, comme représentation,fait pleinement partie de cet héritage.

exemple, la firme Lilly vient-elle de mettre surle marché un équivalent du Prozac®, maisdistribué sous un autre nom commercial :Fontex®. « Cette information, vous lecomprenez bien, concerne exclusivement lesprofessionnels de la santé »1. C’est que le nomProzac®, trop médiatisé, surinvesti, ne plaîtplus à tous les patients dépressifs et quel’industrie du médicament a jugé opportun delui substituer une alternative plus « neutre ».Lequel de ces deux médicaments – Prozac®ou Fontex® - choisira le médecin déprimé, quiconnaît la supercherie ? Le médecinéchapperait-il vraiment à toute inscription dela maladie dans l’ordre des « représentations » ?

Les antagonistes du calcium sont deshypotenseurs bien connus. Un bon indice deleur efficacité est qu’ils diminuent les chiffrestensionnels. L’attention des médecins arécemment été attirée sur le fait que, chez lediabétique hypertendu sous antagoniste ducalcium, de bons chiffres tensionnels nediminuent en rien la mortalité cardio-vasculaire2. Le chiffre tensionnel - indiceobjectif d’efficacité et confirmation du bien-fondé de l’intervention thérapeutique –, necorrespond donc ici à aucune améliorationeffective de la santé du patient… Que penserdès lors de la confiance a priori dépourvue detoute ambiguïté que nous accordonsspontanément à cette « valeur sûre » qu’est lecontrôle de la pression artérielle ? Il est bienentendu que l’hypertension n’est pas dans cecas le seul facteur de risque à considérer. Maisun tel exemple ne nous aide-t-il pas surtout àpenser, par l’espèce de troublequ’inévitablement il fait naître en nous ? Voiciqu’une mesure « objective » de la diminutionde la tension artérielle ne traduit en rienl’amélioration « objective » de la santé dupatient, tout en légitimant la prescriptionmédicale, aux yeux du médecin comme à ceuxde son patient ! Ne se trouve-t-on pas, ici aussi,dans un registre de « représentation » de lamaladie ? Régime particulier d’objectivation dela maladie qui en passe nécessairement par unsystème de croyances : ici, notamment, la toute-puissance du chiffre et de la courbe statistique !

Qu’on me comprenne bien : la mise en évidencede l’illusion thérapeutique, dans ce cas précisde l’antagoniste du calcium chez le diabétique

Tout est relatif ?

(1) Dépliantpublicitaire de lafirme Lilly envoyéaux médecins enfévrier 2001.

(2) voir parexemple LaRevue Prescrire,n°195, tome 19,p. 379.

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

La représentation est définie, lors du travail enatelier, comme un « objet mental construit àpartir d’une interprétation de la qualité et faisantréférence - consciemment ou non - dans le choixdes conduites ». La représentation serait, parrapport à la réalité, ce que la carte routière estpar rapport au territoire.Comme dans toute rencontre, le médecin ainévitablement une représentation de sonpatient, plus ou moins adaptée à la relation desoins… Et heureusement qu’il en est ainsi :c’est le signe que le médecin est un être humain,qu’il n’est pas un robot. Néanmoins, uneperception claire des représentations qu’on ade l’autre facilite la communication. Uneconnaissance réciproque des codes permet decomprendre certains malentendus, certainescontradictions ou incompatibilités.Dans la relation de soins, il n’y a pas toujoursadéquation entre les représentations du médecinet du patient. Il faut aussi admettre qu’une partde subjectivité intervient dans la perception quel’on a de ses propres représentations. Enfin, lesreprésentations individuelles et collectives sontsouvent intriquées. Pour toutes ces raisons, unedistanciation doit être recherchée afin d’éviterde fixer l’image de l’autre dans une typologieou une catégorisation insuffisamment fondéeou trop partielle.

Entendre l’autre et rester soi

IsabelleAujoulat,

chercheur àl’Unité

d’éducation pourla santé et

d’éducation dupatient de l’Ecolede santé publique

de l’universitécatholique de

Louvain.

Atelier sur lareprésentation dela santé, dans le

cadre del’Université d’été

de 1996 duComité françaisd’éducation à la

santé, dont lesactes sont parus

dans L’éducationpour la santé en

médecinegénérale : de la

fonction curativeà la fonction

éducative.

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○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Que faire quand, en plus desreprésentations de la maladie, lesréférences culturelles différent entresoignant et soigné ?Voici les réflexions de quelquessoignants réunis dans le cadre d’unatelier consacré à ce casse-tête devenuquotidien dans leur pratique.

Entendre l’autre

Les écarts de représentations, voire lesoppositions, sont accentués dans les situationsd’inter-culturalité. Ces décalages pourraient êtreamoindris par une approche qui ne sefocaliserait pas exclusivement sur l’histoire dela maladie, mais qui s’intéresserait aussi àl’histoire du sujet. La communication, dans larelation de soins comme dans toute relation,repose avant tout sur l’écoute. Il est inutiled’aller chercher des outils très élaborés dansl’anthropologie médicale, si on est capable defaire un véritable travail d’écoute.L’anthropologie médicale est avant tout un outilde travail. Ce qui est important, c’est d’entendreun discours, culturellement teinté, où le patientinterprète sa maladie. Mais il faut se garder devouloir réduire le patient à ses référencesculturelles. L’altérité, c’est aussi la capacité àverbaliser des modèles explicatoires… Jamaisaucun migrant ne conteste la valeur d’un savoirnosographique. Il s’intéresse aux deux : lesavoir nosographique et ses référencesculturelles.

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Rester soi

Reconnaître le système de pensée de l’autre,en particulier dans les situations d’inter-culturalité, ne signifie pas que l’on doive entrerdedans. En réponse, par exemple à la plainted’une patiente africaine souffrant de céphalées« à cause des esprits qui envoient la maladie »le rôle du médecin reste de pratiquer lamédecine, non de devenir un marabout…« Comment faire pour rester dans noscatégories, qui nous permettent de travailler, etentendre la singularité du discours del’autre ? ». Le médecin aurait un rôle de« passeur » à jouer pour, en favorisantl’expression et la communication, trouver lepoint d’ancrage entre deux catégories dereprésentations qui s’opposent.La confusion induite par certains patients quise présentent avec en plus de leurs symptômes,leur interprétation de la cause de la maladie (enfonction de leur propre système de référence),peut induire, chez le médecin, un sentiment demalaise et d’angoisse. Se peut-il que la relationde soins en soit modifiée ? Le problème médicalest influencé par le regard que pose le médecinsur la personne et la représentation qu’il se faitd’elle et qui n’est pas toujours juste.Outre la représentation que le médecin se faitdu patient et de sa maladie, il y a lareprésentation qu’il se fait de son métier et quil’oblige à prescrire, à décider rapidement. Leserreurs de représentation peuvent être lourdesde conséquences mais il ne faut pas perdre devue que les représentations, en fin de compte,ne constituent qu’un outil de compréhension del’individu parmi d’autres et que le médecin, quipeut se trouver confronté à des situationsd’urgence, à la mort et à ses propres angoisses,peut avoir des raisons objectives de ne pastravailler suffisamment sur les représentations.Quelle attitude adopter, quelles réponsesapporter quand la demande adressée n’est pasdu strict domaine médical ? Reconnaître,respecter, accompagner, prendre du recul ets’ajuster, tout en restant dans son rôle et enacceptant ses limites pour ne pas tomber dansun excès qui conduirait à un « dépassementcapacitaire » et à l’usure mentale dumédecin.

Entendre l’autre et rester soi

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

Croyance et connaissance

L’intérêt pour les cultures différentes de la nôtrea longtemps justifié une opposition tranchéeentre croyance et connaissance. Observant lesAzandés et leurs conceptions de la maladie,l’anthropologue Evans Pritchard suggérait, en1937, que le langage de la croyance exprimedes idées peut-être raisonnables mais fausses,et que celui de la connaissance décrit la réalitéobjective, comme la pratique médicale quidéduit le diagnostic des symptômes. Pour lesanthropologues plus modernes comme JeanneFavret-Saada, à l’observation de la sorcellerieen France rurale des années 1970, la science nedécide pas de ce qui est empiriquement réel et

Axel Hoffman,médecin

généraliste à lamaison médicale

Norman Bethune.

Regards de l’anthropologie sur lesreprésentations de la maladie

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

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L’anthropologie médicale a développéde nombreuses conceptions de ce quesont les représentations de la maladie.Toutes ont leurs richesses et leursdéfauts. Et, d’une manière ou d’uneautre, toutes se retrouvent dans nospratiques d’acteurs ou d’usagers dusystème de santé.

de ce qui est mystique, mais constitue ce qu’elleappelle les « théories officielles du malheur »que soutiennent des agents sociaux puissants :l’Ecole, l’Eglise, l’Ordre des médecins. Lelangage de la maladie n’est pas une suited’énoncés neutres sur le monde, que pourraitvalider le scientifique, mais ce par quoi une lutteacharnée s’engage entre des forces mauvaises.

L’anthropologie nous fait ainsi comprendre quele savoir humain est modelé par la culture etqu’il se constitue à partir des modes de vie etd’organisation sociale. Des cultures différentesformulent la réalité de façons différentes. L’idéeque la bio-médecine propose une peinturedirecte et objective de l’ordre naturel,universelle, extérieure à la culture, doit êtrecritiquée, et les normes du paradigmebiomédical ne peuvent servir d’étalon pourjuger des conceptions différentes.

Comment alors pour les anthropologues parlerdes représentations de la maladie, dans ce jeudissymétrique entre ceux qui les vivent dansleur culture et ceux qui les observent à partird’une autre culture ? Avec Byron Good, nousdécrirons plusieurs vagues successives deréponses à cette question.

Les théories rationalistes etrelativistes

Dans les années 40, les croyances et pratiquesdes peuples non-occidentaux ont étéinterprétées comme des stades primitifs dusavoir médical, une sorte de proto-sciencequalifiée de prélogique, mystique, magique,populaire. Mais les auteurs empiristes sontconscients déjà de la difficulté à user desclassifications contemporaines de la maladiepour étudier leurs variantes dans les croyancesculturelles. Ces théories suscitent dès lors uneréaction d’auteurs relativistes, qui fonderontleurs critiques sur des éléments tirés de lapsychiatrie.

Sapir mettra en évidence que les mondes danslesquels vivent les diverses sociétés sont desmondes distincts et pas simplement un même

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monde portant des étiquettes différentes. RuthBenedict soutiendra qu’aucune institution ouconduite sociale ne peut être interprétéeisolément mais seulement par rapport à uneconfiguration culturelle. C’est ainsi que telleorganisation de la personnalité qui nous sembleanormale sert, dans d’autres civilisations, defondement à la vie institutionnelle, et qu’àl’inverse, des traits de caractère appréciés cheznous sont aberrants dans des cultures organiséesautrement (pensons à la théorie de laschizophrénie des chamanes). La normalité etl’anormalité sont des concepts éthiques, desvariantes du concept de « bien ».

L’affirmation de Benedict selon laquelle lapathologie en soi est inséparable de la culturegarde son actualité, mais on n’accepte plusaujourd’hui la manière dont elle appliquait auxsociétés des termes propres aux descriptions desindividus (l’argument selon lequel, parexemple, la psychose fait partie ducomportement humain normal et est valoriséeà l’extrême par certaines sociétés).

Les représentations de lamaladie comme croyancespopulaires

Ces théories perpétuent la ligné de la traditionempiriste. Elles reproduisent la perceptionconventionnelle de la société tout enintroduisant la culture dans le paradigmemédical.

Trois éléments les caractérisent :

• l’analyse des représentations commecroyances (voir supra) ;

• une conception de la culture commeensemble de croyances permettant des’adapter à la maladie qui préexiste commeentité ;

• une vision de l’individu comme un êtrerationnel qui fait des choix pour s’adapter àla maladie.

Ce type d’analyse fonde les modèles decroyances de la santé (health belief model) quel’on peut décrire sous forme mathématique :

ce qui est perçu comme prédisposition à lamaladie

+ ce qui est perçu comme gravité de la maladie+ ce qui est perçu comme bénéfice des actions

préventives- ce qui est perçu comme obstacle à ces actions= probabilité d’adopter un comportement

préventif ou curatif correct.

C’est un utilitarisme subjectif qui réduit lamultitude des significations associées à lamaladie à un ensemble d’énoncés individuelsévalués par rapport au savoir biomédical.

Le modèle du malade rationnel, autonome,décidant du traitement qui maximisera lesbénéfices perçus n’est pas neutre : il dit la façondont les membres de la société sont censés agiret fait reposer le poids des décisions de santésur les croyances subjectives ou les facteurscognitifs plutôt que sur les facteurs sociauxinégalitaires.

Ce modèle prête flanc à d’autres critiquesencore.La maladie y est considérée comme une réalitéobjective, séparée de la conscience humaine,ce qui autorise les biosciences à fournir desreprésentations neutres et objectives et réduitla culture populaire à des métaphores fausseset dangereuses.Les représentations étant des activitésrationnelles, instrumentales de l’individu, lacréation de sens comme qualité distinctive etconstitutive de l’homme n’y est pas prise enconsidération.

Les représentations de la maladiecomme modèles cognitifs

Ce courant étudie comment le langage et laculture, en tant que savoirs partagés, structurentla perception et l’ordre apparent du mondenaturel et social. Il pose la question « Qu’est-ce que les gens doivent connaître pour agircomme ils le font, et pour interpréter leurexpérience comme ils le font ? ». Sur cette basepeuvent se construire des théories relatives à lamaladie et à la guérison qui ne feront pasintervenir les catégories biomédicales.

Regards de l’anthropologie sur les représentations de la maladie

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

Les premières études ont fait progresser notreconnaissance du savoir médical quotidien, maisen sont restées à un point de vue empiriste dulangage, comme instrument de description dumonde qui nous entoure. Leur intérêt est surtoutclassificatoire. Ces études se basaient sur lessymptômes pour décrire la maladie. Unenouvelle génération de cognitivistes y a ajoutéd’autres critères modelant les croyances sur lamaladie tels que sa gravité, ses causes, sacurabilité, la foi dans les traitements populairesou officiels ou encore les mécanismes de prisede décision. En combinant les méthodesformelles d’explication et l’analyse du discoursnaturel, ils aboutissent ainsi à une descriptionfine du savoir populaire et tentent d’en dégagerdes schémas simplifiés qui donneront sens auxéléments culturels découverts.

Bien que reconnaissant que les représentationssont plus un savoir qu’une croyance, cesthéories continuent de renvoyer à « ce qu’unindividu doit savoir » pour être membre qualifiéd’une société. Les modèles de la maladie sontétudiées en termes formels, indifférents au statutépistémologique de la maladie. C’est le mental,le cerveau de l’individu qui demeure le premierlieu de culture et de signification, sans qu’il soit

porté attention aucontexte intellectuel,social et traditionnel danslequel ces significationsse déploient.

Lesreprésentationsde la maladiecomme réalitésculturellementconstituées : latradition centréesur le sens

Ce courant veut dépasserle niveau des croyances etmodèles cognitifs pourrendre compte descontenus interprétatifs et

des processus symboliques associés à la maladiedans les cultures populaires.Le rapport de la culture à la maladie passe aucentre de l’analyse. L’idée fondamentale est quela maladie n’est pas une entité mais un modèleexplicatif, un « syndrome de significations etd’expérience ». La culture n’est pas seulementun moyen de représenter la maladie mais elleest essentielle à sa constitution en tant queréalité humaine. Des phénomènes humainscomplexes sont définis comme maladies etdeviennent objet de pratique médicale. Lamaladie a ainsi son fondement dans l’ordre dusens et de la compréhension humaine : elle perdde son statut de phénomène naturel pour entrerdans l’ordre de la culture.

Position interactionniste et perspectiviste donc :la biologie, les pratiques et les significationsinteragissent dans l’organisation de la maladieen tant qu’objet social et expérience vécue.L’interprétation de la nature d’une maladie esttoujours porteuse de l’histoire du discours quil’a constituée comme maladie. La cultureconstitue la passerelle symbolique entre lessignifications intersubjectives et le corpshumain. Un corps « mémoire phénoménolo-gique qui ouvre une nouvelle voie à

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l’interprétation de la souffrance et de lamaladie ».

Séduisant, ce point de vue offre le flanc auxcritiques d’excès de théorie, d’indifférence à labiologie, de manque de rigueur scientifique etd’esprit critique face au savoir médical,considérant les processus interprétatifs commetrop consensuels.

Les représentations commemystification : l’anthropologiemédicale « critique »

Ce modèle envisage les questions de santé à lalumière des forces politiques et économiques(au sens large) qui modèlent les rapports entreles personnes, fixent les comportements ensociété, engendrent les significations socialeset conditionnent l’expérience collective. Il secentre sur la production sociale des pathologiespar opposition à leur construction culturelle.

Les cultures ne constituent pas de simplesréseaux de signification qui dirigent les hommesdans leur univers. Elles font pénétrer dans lasociété civile tout un système de valeurs, decomportements, de croyances, de morale qui,d’une manière ou d’une autre, soutient l’ordreétabli et les intérêts de la classe dominante.Dans la mesure ou cette conscience couranteest intériorisée par les masses, elle fait partiedu sens commun.

Les cultures sont des réseaux de mystificationautant que de signification. S’inspirant deGramsci et de sa théorie de l’hégémonie,l’anthropologie critique pose la question dumoment où les représentations deviennent desreprésentations erronées au service du pouvoir.Elle s’intéresse à la mystification des originessociales de la maladie, aux conditions socialesde production du savoir, à la transformation desproblèmes politiques en troubles relevant dudomaine médical. Et suivant l’idée de Foucaultselon laquelle là où il y a pouvoir, il y arésistance, l’anthropologie critique développedes études sur les arts de la résistance (Scott).Ces travaux soulignent notamment les formesque prend cette résistance contre lamédicalisation croissante de la vie ou contre

Regards de l’anthropologie sur les représentations de la maladie

les conditions de vie (citons, pour illustrer, lesépisodes de possession violente par un espritdans des usines appartenant à des multina-tionales en Malaisie, décrits par Ong).

La position critique suscite de nombreusesobjections. Associer l’écriture macro-sociétaleet historique à l’écriture ethnographique est unegageure. Difficile aussi de faire coexister cetteposition avec le fait que la médecine n’est pastoute entière guerre ou exploitation, mais aussidialogue, recherche de signification, techniquequi soulage. Le risque encore est de ne voir dansles sujets que les dupes d’un systèmehégémonique (tout en donnant autorité à lavision de l’observateur). Et enfin de délégitimerles maux physiques en les déformant dans unroman de la résistance.

Mais l’appel de la position critique n’est pasvide. Les médecins anthropologues devraients’associer à la lutte pour une répartition pluséquitable de moyens et services de santé et pourune pratique plus proche des patients.Comment formuler des théories qui donnent ausujet crédit pour résister de façon créative aupouvoir de ceux qui contrôlent une partimportante de nos vies, sans soit attribuer à cesujet une forme de conscience ou une visionpolitique qui ne font pas partie de son vécu,soit dévaloriser ses pratiques en les considérantcomme pré-politiques ou primitives ? (Abu-Lughod, 1990). Comment reconnaître laprésence du social et de l’histoire dans laconscience humaine sans déprécier le savoirlocal ?

Le discours de l’anthropologie sur lesreprésentations de la maladie est, on le voit, loind’être unifié, singulier et fermé. Et c’est bienainsi : la maladie et la souffrance ne peuvent secomprendre dans une seule optique. ●

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

Le médecin face au patient

Je prends la plume avec quelque réticence. Eneffet, c’est bien grâce à mes patients qu’il m’estpossible de partager ici mes expériences et leursenseignements. Dans ce sens, je comprendsaisément que certains médecins résistent plusque moi avant de publier. Ce dont ils fontl’expérience dans le cadre de la consultationmédicale quotidienne relève de l’intime :médecins de famille, ils sont en effet confrontésà de nombreuses interrogations et sont lestémoins de vies entières.Ou plutôt de parties de vies, tant il me paraîtimportant d’accorder à la personne la libertéde changer de médecin de famille, et ce, à toutmoment - crucial ou banal - de son existence.De sorte que, témoin privilégié, le médecin a,selon moi, l’obligation de se retirer à temps.Certains éléments d’une biographie, parfoisobscurs à mes yeux, impliquent, en effet, qu’unindividu puisse dire, à la suite d’une crise ouau cours d’un parcours apparemment banal :« je change de médecin de famille ».

Les lignes qui précèdent me permettentd’avancer que je vais traiter d’un sujet certespassionnant et intéressant, mais égalementdélicat. En effet, grand est le risque destigmatiser non seulement les individus donton parle, mais aussi la culture de provenanceou celle du pays d’accueil, et d’arriver ainsi àdes préjugés et des recettes de cuisine. Ce que

je transmettrai, c’est un bref aperçu d’un modede perception de la santé et de la maladie, telqu’il est développé par les soignants etpersonnes concernées par le bien-être despatients.Pour commencer, j’aimerais retracer une partiedu parcours que j’ai effectué afin de mieuxsituer l’origine de mes interprétations de laréalité.

Le fait que diverses cultures se côtoient dansun quartier populaire de Bruxelles m’étaittotalement inconnu en fin d’études de médecine.Cette ignorance peut paraître aberrante. Maisni l’économie ni ses retombées sur le mondeouvrier et la migration des populations à larecherche de travail ne figuraient au programmedes études de médecine d’alors. Tout cela setrouvait laissé à l’intérêt de chacun. Aussi lesthèmes « coûts de santé », « gestion de budgetde santé » - à la mode aujourd’hui - ne faisaientl’objet d’aucun cours. A cette époque, on étaitformé comme médecin, on était investi d’unpouvoir et d’un savoir qu’on mettait en pratiquepresque indépendamment des conditionssociales et économiques dans lesquellesvivaient les patients qui nous consultaient. Onétait encore moins au courant des différencesculturelles qui étaient la conséquence del’immigration du sud de l’Europe, du nord del’Afrique, de la Turquie et de nombreuses autresrégions de notre monde qui s’ouvrait de plusen plus après la seconde guerre mondiale parles découvertes techniques et les modes decommunication variées mais inégalementréparties.Pendant deux ans, j’ai pataugé, ou plutôt plusou moins nagé sur les vagues des plaintes demes patients. Après deux ans, j’ai finalementfait surface pour constater que certainesplaintes, apparemment vagues ou imprécises,m’étaient très difficiles à comprendre. J’étaisalors frustré de ne pouvoir apporter de solutionsà plusieurs de mes patients. Mes difficultés neprovenaient pas seulement d’unecommunication parfois compliquée du fait dedifférences linguistiques. Elles étaientégalement dues à une non-compréhension dupatient en profondeur.Grâce à des contacts avec des psychologues etanthropologues, des assistantes sociales,infirmières et diététiciennes, j’ai constaté queje ne pouvais parvenir à comprendre le patient

Représentations du corps et de la maladie

Louis Ferrant,médecin de

famille àBruxelles etassistant au

Centrum voorHuisartsgeneeskunde,

Universiteit vanAntwerpen.○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

A la découverte progressive del’importance des représentations de lamaladie au travers de l’expérience deterrain d’un médecin généraliste.

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uniquement avec mon œil médical. C’est dansce sens qu’une intervision continue m’estapparue éminemment importante. Ne permet-elle pas, en effet, lorsque tout semble nouéplutôt qu’ouvert, de réunir des cas dits« difficiles » pour en discuter ?L’anthropologie médicale est une approche quipeut faire découvrir des horizons cachés à l’œilde celui qui ne cherche que ce qu’il voit.L’anthropologie peut être définie comme unescience de l’homme qui s’intéresse à ce quel’homme vit, à la manière dont il se représenteet articule les différentes relations à sa vie,c’est-à-dire les relations avec lui-même, soncorps, ce qui l’entoure, les autres, les animaux,le monde et ce qui le dépasse. L’anthropologietrouve une application dans le domaine del’anthropologie médicale, domaine où lescomportements de l’homme, à la fois dans sasanté et sa maladie, sont étudiés. Très peudévéloppée en Belgique, l’anthropologiemédicale parvient aujourd’hui progressivementà éclairer médecins, psychologues, psychiatreset autres intervenants dans le monde de la santé,en les aidant à mieux saisir ce qui se joue dansla vie du patient.En tant que médecin on est fortementconditionné par le visible. On regarde, onobserve, on attache une importancegrandissante à l’image, comme en témoignentle nombre impressionnant de scanners en tousgenres auxquels se soumettent avec unecomplicité interpellante nos patients. Lafascination exercée par le corps qui n’est plusouvert par le scalpel mais par des rayons, desultrasons et autres champs électromagnétiquesdonne l’impression que l’homme est à larecherche d’une image de lui-même qu’il auraitoubliée ou perdue.Le piège qui guette chaque médecin est de seruer la tête la première vers cette mise enévidence du corps qui cacherait un secret àvisualiser.Personnellement, j’ai connu et j’ai cédé à cettetentation du visuel. Dans la plupart des cas, cettedémarche fût fort frustrante et pour moi et pourle patient. En fin de parcours je devais avoueret en plus annoncer au patient qu’on ne voyait(mal)heureusement rien sur les clichés.

Après cette première période, où le regard étaitessentiel dans mon parcours, j’ai appris àécouter.

Par écouter, je veux dire écouter non seulementavec une autre oreille, mais aussi avec l’oreilled’une autre. Ce furent les différentesmédiatrices interculturelles qui m’ont ouvert lesyeux au monde du vécu personnel et cultureldu patient.Elles étaient la deuxième oreille dans laconsultation, le second regard, le miroir, et ce,surtout pour les femmes immigrées marocaines.Mais elles l’étaient parfois également pour lesfemmes belges qui, pour étrange que cela puisseparaître, étaient rassurées par la présence d’unetierce personne dans la consultation.Mes propos sont là quelque peu schématiques.Pourtant, il s’agit d’un mystère qui continue dem’interpeller, de la même façon qu’il interpellele pouvoir médical. En effet, travailler avec unemédiatrice, c’est partager un certain pouvoir -ce que certains médecins n’apprécient guère.C’est aussi partager une certaine responsabilité,dont nous sommes finalement, en tant quemédecins, les uniques détenteurs.Cette démarche, je crois, devrait être plusapprofondie qu’elle ne l’est à présent. En aucuncas, elle ne devrait se limiter à de l’interprétariatoù seuls des mots sont traduits. De sorte qu’ilnous soit donné d’entendre l’histoire d’unindividu, telle qu’elle est vue et entendue parle regard et l’oreille de quelqu’un qui, de façonhorizontale dirais-je, peut être proche del’individu.La consultation médicale effectuée avec l’aided’une médiatrice représente une deuxièmephase dans ma vie de médecin. Cette phase seprolonge aujourd’hui, heureusement.

La troisième dimension émerge doucement etelle n’en est qu’à ses débuts. Elle réside dansl’écoute du cœur, écoute que l’on ne peutposséder, je crois, sans une certaine maturité, àla fois dans le domaine médical et sur le planpersonnel.

Cette dimension apporte à l’écoute du cœur etle ressenti de ce qui se passe dans la vie del’autre, une dimension nouvelle et spécifique.Pourtant, j’ai le sentiment qu’ici encoresubsistent d’importantes lacunes. En effet, bienque nous, médecins, soyons largement encontact avec la maladie et la mort, nous nepouvons pleinement saisir ce que toutes deuxreprésentent. Ainsi une grande majorité dessoignants a été heureusement épargnée de toute

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

maladie grave. C’est pourquoi on se trouvelimité dans la compréhension du cœur d’unepersonne malade, dépressive ou sur le point deperdre un proche.

La maladie et sa représentation

La maladie peut être définie de deux manièresdifférentes.Elle peut être conçue comme un moment de lavie où survient un déséquilibre dans le fonction-nement corporel et où la santé peut disparaître.Elle peut également être appréhendée de façonbien plus large et positive, comme un passage,une croissance de la santé, un état d’équilibreentre différents niveaux de vie.

dirigeons le processus de guérison ! ».Plus encore, je crois essentiel, dans la maladiecomme dans l’état de santé, de parler de tellesorte que les gens puissent prendre en main leurbien-être. Notre rôle me paraît ainsi être celuid’un accompagnant censé.En tant que médecins, nous pouvons poser lesfeux rouges et les feux verts : agir ainsi est plusimportant que de développer une visionculpabilisatrice, comme le font certainsmédecins qui jettent la balle dans le camp dupatient en avançant, par exemple, que des sujetsdévelopperaient des cancers du fait d’un vécupassé. Un autre défaut de communication seraitde dire au patient qu’il a un grave problème, enajoutant que si les conseils du médecin sontsuivis, tout s’arrangera. Comme en toute chose,il existe un juste milieu : celui où santé et

C’est un point important : en faisant référenceau terme de « santé » ainsi compris, on parvientalors mieux à montrer aux individus ce que peutreprésenter la maladie - certes avec toute lasouffrance qu’elle peut comporter : cela on nepeut le nier.Il me semble qu’il est nécessaire de ne pasévacuer la maladie en affirmant, en tant quemédecins : « nous nous chargeons de lamaladie. Bien sûr, vous coopérerez. Mais nous

maladie demeurent entre les mains du patient,celui où le patient possède le droit d’êtreaccompagné dans son cheminement vers lasanté ou la guérison.

La pathologie des allochtones revêt parfois uncertain exotisme et peut susciter de la curiositéparmi mes confrères qui me demandentoccasionnellement s’il existe des maladiesspécifiques à certains milieux.

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Il est possible de distinguer trois types depathologies : les pathologies d’importation, lespathologies d’acquisition et cellesd’adaptation. L’intérêt de mes confrères semanifeste surtout pour la maladied’importation. Je dois dire que celle-ci est d’uneimportance très limitée : par exemple, en tantque médecin de famille, en soignant plus oumoins mille familles marocaines, on rencontreenviron cinq cas de maladies d’importation paran. Je pense ici à la malaria, la schistosomiase(...). Au retour des vacances, on peutdiagnostiquer impétigos et tuberculoses. Cettedernière pathologie est néanmoins liée auxsituations de vie ici, plus qu’à l’importationmême.Lorsque l’on détermine plus en profondeur latypologie des maladies, on peut parfois parlerde pathologie d’acquisition.Ce terme désigne des maladies dues à desconditions de vie spécifiques, telles l’adaptationà une alimentation différente, un nouveauclimat, un logement moins salubre, un milieude travail nouveau. Ici, je pense aux pathologiesrespiratoires, à certaines affections dermatolo-giques, à certains accidents et à l’intoxicationau monoxyde. De telles affections sont plusimportantes chez les enfants et les personnesqui, du fait de leurs conditions de travail et devie, sont plus exposées aux accidents. Dans lesintoxications au monoxyde de carbone, parexemple, la nature du logement (souventprécaire) ainsi qu’un défaut d’information surles questions de sécurité sont toutparticulièrement responsables de tellesintoxications.

La pathologie d’adaptation nous concerneautant que les personnes issues d’autres culturesque la nôtre. Liée au stress de la migration, auxefforts d’adaptation, elle s’exprime sur un planpsychique et social.Il faut noter que la plupart des étudesn’établissent pas de différence entre ce que l’onnomme psychosomatoses - maladies où deslésions organiques sont trouvées - et fixationssomatiques – qui sont l’expression d’uneinsatisfaction psychosociale dans un langagecorporel et ne s’accompagnent pas de lésions.Un ulcère d’estomac (lésion organique), parexemple, constitue l’une de ces maladies quipeut être la traduction d’un stress corporelimportant et d’une plus grande fragilité du

patient. Et ceci reste vrai à un moment où onaurait tendance à réduire l’ulcère à une maladieinfectieuse.En revanche, pour les maladies du type« fixation somatique », on peut dire en quelquesorte que le corps commence ici à parler sonpropre langage. Il devient un moyen d’exprimerdes émotions et des insatisfactions à l’encontrede nos sociétés. En tant que médecins, nous netrouvons pas de lésions organiques : noussommes face à de vagues plaintes, dessyndromes - où différents symptômes seretrouvent dans un seul être.Certaines rencontres avec des patients sont àcet égard très interpellantes. En effet, on sentque règne une douleur dans la vie de cesindividus : on pense avoir affaire à une« dépression » - dans notre terminologieclassique -, mais il n’en est rien. On tented’approfondir l’examen : en vain ! Cespersonnes ont les mains remplies de radios, derésultats de laboratoires. Leur problème,néanmoins, ne trouve aucune solution.Je pense plus particulièrement à une femmemarocaine à qui j’ai souvent rendu visite avecma médiatrice interculturelle. Vivant unepériode apparemment banale de sa vie, celle-cidemeurait sans réaction dans sa famille. A nosyeux, elle était dépressive.Aussi avons-nous tenté d’en savoir plus sur lasituation familiale, pour finalement découvrirun problème avec le fils aîné. Ce problème plusou moins résolu - puisque le fils retournait àl’école et avait réintégré le noyau familial -,nous avons constaté qu’un désarroi et undécouragement subsistaient chez la patiente,liés à un déménagement récent. En effet, ledéménagement avait eu lieu dans un nouveauquartier, tout un réseau social manquait à cettefemme. Une moins bonne entente régnait alorsentre la patiente et son mari.C’est à la suite d’un nouveau déménagementque les plaintes ont tout simplement disparu.Tout n’était pas réglé, mais l’état de la patientes’en était trouvé amélioré, lui permettant ainside bien vivre une grossesse.Néanmoins, certains éléments de la vie de cettefemme continuent à m’échapper et le resteronttant que le niveau d’une communicationprofonde n’aura pas été atteint.Parler d’« affection » plutôt que de « maladie »en tant qu’entité médicale me semblepréférable. En effet, c’est bien ce qu’elle vit que

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la personne vient présenter au médecin, selonles termes qu’elle juge acceptables pour lui.Dans cette ligne d’idée, je n’ai jamais été aussisurpris que par la réaction d’une dame, issued’un quartier résidentiel et qui était venue meconsulter, en me disant en entrant dans lecabinet : « Docteur, il y a une telle angoisse cesoir dans votre salle d’attente, parmi les gensqui attendent ! ».Je m’étais alors demandé si mon souci deréduire la distance médecin-patient pouvaitsupprimer l’angoisse. Certes, même lorsqu’onse place au niveau du patient, même si l’ontravaille avec un tiers, la peur demeure toujoursdu côté du patient. Peur que soit découvertquelque chose, peur que le médecin necomprenne pas ce qu’on cherche à lui dire.Aussi le patient transforme-t-il son ressenti dansun discours - que l’on pourrait qualifier de« médical » - afin que le médecin puissecomprendre ce qui se passe.Ecouter véritablement le ressenti des personnesn’est alors pas chose aisée : tout est déjà filtréet traduit dans un langage médical. Ce langageest souvent plaisant pour le médecin, mais il nedonne pas toute l’information nécessaire.Je voudrais soulever un dernier point. Du faitde notre intervention, certains patients évoluentdans leur comportement vers un statut demalade, ce qui leur procure certains avantages.D’autres, en revanche, se retrouvent dans unesituation-limite et perdent beaucoup de leurspossibilités. De tels comportements de santé, ilest bon de le savoir, se trouvent largementdéclenchés par la société et son système desécurité sociale.

Représentation du corps

Il est intéressant d’observer de quelle manièrela relation au sang est ressentie dans chaqueculture. Ainsi, dans la culture turque, parexemple, il existe une grande familiarité àl’égard du sang. En effet, les saignées n’y sontpas exceptionnelles. Le sang s’y trouve perçucomme un constituant précieux. De la mêmefaçon, il apparaît comme un élément dont onpeut disposer sans que le principe de vie s’entrouve diminué.Ce type de conception est beaucoup moinsdéveloppé dans les cultures du Maghreb, voire

même en Sicile, où l’entourage émetfréquemment des commentaires concernant lesprises de sang. Si celles-ci devenaient troprapprochées, on conçoit que le principe de vies’en trouverait amoindri et les possibilités dupatient diminuées.Précisons que dans une culture comme la nôtre,de nombreux commentaires sont souventdonnés sur le type de sang, sa couleur, lamanière dont il coule. De nombreuses questionssont également posées au médecin. Aussi lesang n’y est-il pas neutre non plus : véhiculepour l’oxygène et les éléments nutritionnels, ilconstitue également un symbole.

Au début de ma carrière, j’ai souvent étéconfronté à des pathologies de l’estomac,devenues moins récurrentes aujourd’hui. Je mesuis largement interrogé sur la place del’estomac dans un corps. J’en ai découvertl’importance en faisant dessiner à certainspatients ulcéreux chroniques leur estomac. Dansune culture sicilienne, l’estomac est représentéde façon tellement grande qu’il remplit toutl’abdomen : le foie ou les intestins ne trouventpresque plus de place sur le dessin. On noteraque l’importance accordée à l’estomac par cetteculture se trouve confirmée dans le fait qu’ilest possible pour le médecin de demander unexamen de l’estomac, mais non l’examen durectum ou du gros intestin. En fait, toute unepartie du corps est ressenti comme noble etessentiel. Le reste du corps est considéré commepratiquement inexistant. Il est bon de le savoiren tant que médecin.

On peut se demander si la signification de lapeau est identique dans chaque culture.En fonction du vécu des individus, il est possiblede distinguer trois peaux différentes : celle ducorps, constituée par les habits, cellereprésentée par la maison et, enfin, celleconstituée par l’entourage que la personne secrée, essentielle dans sa vie, selon moi.A cet égard, il me semble possible que d’iciquelques décennies, l’évidence apparaîtra dudroit de l’Homme à posséder sa propre maison,et de n’être ainsi pas à la merci de compagniesou de propriétaires qui voudraient l’en déloger.Cette idée me paraît si essentielle que j’espèrequ’à côté des personnes qui, par leur mode devie ou du fait de leur profession, ont décidéd’être toujours en mouvance, les autres pourront

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disposer définitivement de cet acquis,indépendamment de leurs possibilitésfinancières.La peau du nourrisson turc est investie de toutel’attention de la grande famille si bien qu’uneczéma séborréique banal donne parfois lieu àdes consultations aux quatre échelons de nossoins de santé (mal) organisés : à la consultationde l’ONE, chez le médecin de famille, chez ledermatologue et parfois même à l’hopitaluniversitaire.

Je crois que de nombreuses pathologiesdorsales traduisent un déséquilibre. En effet,on a pu constater que de nombreuses personneséprouvent des difficultés majeures à assumerleurs responsabilités, leurs difficultés sereflétant alors dans des douleurs de dos.On a également noté une augmentation dunombre des personnes qui, parce qu’elles neparviennent plus à effectuer leur travail du faitde plaintes de dos, pressentent que leur relèvesera assurée. En effet, la demande d’emploiétant plus importante que l’offre, l’individu quise plaint est plus rapidement mis sur une « voiede garage »... Je ressens bien chez mes patientscette menace de notre société puisque 50 %d’entre eux, hélas, se trouvent actuellement auchômage et se sentent exclus.

A propos des reins, je dirais qu’à la différenced’autres cultures, nous Européens du Nord,accordons peu d’importance à cet organe.Les expressions judaïques, en revanche,véhiculent l’idée que le principe de vie se situedans les reins. On retrouve cette idée égalementau Maghreb, comme dans d’autres cultures, oùune plus grande attention se trouve accordéeau fonctionnement du rein.Les Européens attachent de l’importance à latête et au cerveau. Ils perçoivent le cœur commeun moteur essentiel : une telle perception estmoins présente dans d’autres cultures.

Je voudrais terminer mon propos par uneréflexion anthropologique et je poserai laquestion suivante : comment l’anthropologiemédicale peut-elle aider à adopter une visionde la personne plus globale que cellecouramment véhiculée dans l’univers médical ?Je répondrai de la façon suivante : en admettantque la personne se trouve impliquée en sa

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totalité dans un système familial et, pluslargement, dans un système de vie allant del’environnement proche à l’idéologie (opinionmorale, religieuse, culturelle) on comprend quetoute interaction entre ces systèmes, harmo-nieuse ou déséquilibrée, se reflétera dans le stylede vie de la personne.Si l’individu tient compte de cette réalité, il luiest plus facile, à mon sens, de gérer sa santé.

Par exemple, lorsque j’ai un patient avecd’importants problèmes d’estomac, avec dessensations d’un estomac noué et fermé, telleune boule, il m’est possible de constater qu’àla maison, le patient se met parallèlement dansune position de fermeture. Il n’est plusaccessible. Il ferme sa maison, de sorte que lemédecin finit par être le seul à pouvoir encoreentrer chez lui.Un système reflète l’autre, l’un est symbole del’autre. Aussi peut-on parfois tourner son regardvers l’un des systèmes (...) pour avoir la clefd’une explication. Plus précisément, lorsquel’on n’est pas certain de ce qui se déroule dansle corps d’un patient, et lorsqu’un examen bienorienté ne parvient pas éclairer le médecin, ilpeut être intéressant et utile d’observer les deuxautres systèmes dans leur configuration.

J’ai employé le terme de « somatisation » enévoquant la maladie. Pourtant, je pense que lanotion de « douleur » est plus juste etessentielle. Dans ce sens, je pense qu’il estnécessaire au médecin d’écouter avant tout, etde bien faire préciser par le patient quel typede douleur l’afflige.En effet, on sait que la douleur revêt unesignification au niveau purement organique etqu’elle représente un signal d’alarme. Ce quel’on oublie plus souvent, c’est que la perceptiond’une douleur diffère selon les individus etparfois même selon les cultures. A cet égard, jene suis pas prêt d’oublier qu’après avoir étéappelé un soir chez une dame vietnamienne quise plaignait d’« une petite douleur au ventre »,j’ai diagnostiqué une appendicite perforée.Si la réaction à la douleur est donc bien souventculturelle, ajoutons qu’elle peut égalementvarier d’un moment de la vie à un autre, et ce,en fonction du cheminement personnel.●

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Le travail de Laplantine lui permet d’identifierquatre modèles d’explication sur l’origine desmaladies, modèles étiologiques formés decouples antinomiques : ontologique ourelationnelle, exogène ou endogène, sous-tractive ou additive, bénéfique ou maléfique.Ces modèles ne représentent pas des structuresrigides mais des noyaux de significationssusceptibles de se combiner, d’évoluer ou mêmede se transformer l’un dans l’autre.

De même, il dégage quatre modèles de ce quepeut être l’action thérapeutique, fonctionnanteux aussi en couples : modèle allopathique ouhoméopathique, exorcistif ou adorcistique,additif ou soustractif, sédatif ou excitatif.Généralement, l’explication de la maladie induitla manière de la soigner, la représentationétiologique commande la représentationthérapeutique.

Les modèles de Laplantine

Axel Hoffman,médecin

généraliste à lamaison médicale

Norman Bethune.

Bien que notre société privilégiel’étiologie scientifique des maladies audétriment de l’explication subjective etsociale, la médecine ne monopolise pasle discours sur la maladie. Dans unouvrage paru en 1986, FrançoisLaplantine dégage les modèles de basede la maladie que l’on peut repérerdans n’importe quelle société sous l’uneou l’autre forme. C’est une multitudede manière de penser et d’interpréterla maladie qu’il relève ainsi dansl’histoire de la médecine, dans lesentretiens avec les malades et avec lesmédecins, dans la littérature médicalegrand public ou dans les texteslittéraires.

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Les modèles étiologiquesontologiques et relationnels

Les modèles ontologiques se centrent sur lamaladie en tant qu’entité autonome.Sur le plan descriptif, on peut leur opposer lesmodèles relationnels qui se préoccupent de lasanté et de sa détérioration en termes de relationsatisfaisante ou perturbée avec soi-même, lesautres, la société, le monde.

La médecine moderne se retrouve dans lemodèle ontologique : elle objective la maladie,la situe dans le corps (séparé de l’esprit depuisDescartes), la nomme, l’isole, travaille sur desdonnées positives et intervient de manièreprécise.

Elle a succédé aux théories relationnelles plusanciennes telles que la médecine humorale,d’inspiration hippocratique, qui appréhende lasanté, appelée « crase », comme un équilibrespécifique à chaque personne (« idiosyn-crasie ») entre quatre humeurs (le sang, laphlegme, la bile jaune et la bile noire). Lamaladie est une rupture de cet équilibre proprechez une personne donnée : il n’y a decompréhension médicale que de l’individu.Autre approche relationnelle, la médecine dessignatures, qui connaît son apogée avecParacelse (XVIème siècle), interprète la santécomme une harmonie entre le microcosme etle macrocosme. La guérison s’obtient par uneré-équilibration cosmique à laquelle on arriveen intervenant sur des éléments naturels.Nombre de médecines populaires mais aussi demédecines traditionnelles non occidentales,telle que l’acupuncture, s’appuient sur cemodèle.

Dès le développement de la connaissanceanatomique (Vésale, XVIème siècle) apparaît lamédecine des lésions, de type ontologique,basée sur le principe qu’il n’y a pas de maladiedont on ne puisse rendre compte dans le corps.La microscopie qui prend son essor au XIXème

siècle renforce cette conviction. La médecinedes spécificités affine le lien entre lésion etsymptômes en rapprochant la maladie de sacause spécifique : la découvertes des bactériesassurera le succès de cette approche. La

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maladie apparaît alors comme une ruptured’harmonie entre le corps et le moi qui l’habite,un vacarme intérieur qui rappelle la santé vécuecomme le silence des organes.

L’exogène et l’endogène

Dans le modèle exogène, la maladie est unaccident du à l’action d’un élément étranger quidu dehors vient s’abattre sur le malade. L’agentextérieur peut être réel ou symbolique,manifestation d’une volonté mauvaise ouphénomène naturel, qu’il s’agisse de la natureproprement dite (microbe, etc.) ou d’unphénomène culturel ou social (mode de vie,pollution, pression sociale, financière, etc.).

Ainsi les aliments sont fréquemment connotésen bons ou mauvais : le sel, les graisses, le sucre,l’alcool seraient pathogènes, alors que l’eauminérale, les fruits et les légumes seraient bonspar nature. Bien que le discours scientifique soitplus nuancé (les graisses et le sucre sontindispensables à la vie, ce sont les excès quisont considérés comme pathogènes), il tend àlégitimer ces simplifications.Dans les représentations populaires, on retrouvesouvent une dichotomie entre deux couples :nature et santé d’une part, culture et maladied’autre part. C’est sur ce principe que reposepar exemple la stratégie publicitaire vantant lesqualités naturelles de produits connotésnégativement : la bière est associée aux champsde houblon, le gaz naturel à une énergie saine.Les métaphores littéraires exprimant cesentiment d’exogénéité de la maladie sontabondantes : maladie possession, maladieblessure ou morsure, maladie attaque. Lesquestions que posent les patients vont dans lemême sens : « D’où cela vient-il ? »,« Comment ai-je attrapé cela ? ». L’attente estque le médecin identifie l’agresseur et le metteen déroute à l’aide de ses armes chimiques.

Le modèle endogène situe l’origine de lamaladie à l’intérieur du sujet : son tempérament,sa constitution, son signe zodiacal, son hérédité.Le « vitalisme médical » enseigné jadis à lafaculté de Montpellier en est une illustrationsavante.De nos jours, cette approche se manifeste dans

thérapeutique consiste alors à restituer ce quiest perdu ou à extirper ce qui est entré. Lapersonne devient le point de rencontreaccidentel entre des forces étrangères aumalade, par exemple des microbes ou desremèdes.

Les modèles relationnels gardent néanmoinsleur intérêt. Ainsi la pathophysiologie apparueavec Harvey au XVIIème siècle recherche lacause de la maladie moins dans l’agentpathogène que dans la réaction de l’organismepour lui répondre. La pathologie est uneréaction de l’organisme, une exagération ou uneatténuation du fonctionnement normal : c’estle désordre de la fonction qui cause la lésionanatomique et non l’inverse. Les travaux deClaude Bernard sur le diabète vont dans ce sens(XIX ème siècle).L’ homéopathie s’attache à comprendre ladynamique intérieure de la maladie, dans lasuccession temporelle (et non plus spatiale) dessymptômes et à individualiser la cure.La psychanalyse met en relation l’expérienceactuelle de la maladie avec la fantasmatiquepassée et explore cette continuité qui a étéperturbée.L’efficacité des guérisseurs tient en grandepartie à ce qu’ils permettent au malade des’insérer corps et âme dans un systèmeexplicatif global.Les théories sur la sociogenèse des maladiesdéplacent le champ d’interprétation, notammentdes maladies mentales, au-delà du corps etmême de la personne pour le situer dans ledomaine social, l’éducation, la politique, laculture (Wilhem Reich, école de Palo Alto etapproche systémique...).

Le discours des malades est souvent plusnuancé que celui des savants et mêle volontiersontologique et relationnel. Ainsi il parle souventde la maladie et même du corps malade commed’une chose distincte, d’un non-moi : cespierres à la vésicule qu’il faut retirer, cet organequi fait souffrir et semble se révolter contre lemoi. La maladie peut être décrite comme unêtre anonyme qui agresse, comme le cancer quientre dans le corps et le ronge ou comme unechose contre laquelle il faut combattre sansrépit. Mais ces descriptions ontologiquesdérivent cependant souvent vers desconsidérations de type plus relationnel : la

Les modèles de Laplantine

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

la médecine psychosomatique ou lapsychanalyse, ou, de manière détournée, dansle devoir de chacun de maintenir sa santé enobéissant aux règles de la prévention. Lediscours de l’éducation à la santé n’échappe pastoujours à ce schéma : l’agresseur extérieur doitêtre combattu, mais en n’usant pas des bonscomportements conseillés, la personne prendsa part de responsabilité sans son malheur.La médecine « officielle » connaît des étiolo-gies endogènes dans les maladies héréditaires,génétiques, ou les dégénérescences, mais tendà refouler de son horizon l’apport du champpsychologique dans son abord des troublesorganiques.La littérature décrit aussi des maladies héritage,des maladies « création du sujet » qui sont sonmode d’expression ou le chemin de sonépanouissement.

Modèle additif et soustractif

Depuis Pasteur et le développement de lamicrobiologie, la maladie est souvent décritecomme une présence ennemie à juguler. Cettereprésentation « additive » est en continuitéavec les croyances anciennes sur la sorcellerie,la possession par le diable dans la traditionchrétienne, le mauvais œil, les pratiquesmagiques qui font pénétrer le mal dans le sujet.Les modèles thérapeutiques font appel à l’idéede chasser ce mal, de l’exorciser, de le« purger ».

Dans notre société d’abondance, l’excès,l’excroissance et la prolifération sontconsidérés comme cause de bien des maladies.Paradoxale-ment, au plan psychologique, lalittérature incrimine un manque (le refoulementaffectif de l’éducation bourgeoise crée lamaladie de Fritz Zorn) alors qu’au siècle passél’excès de passion et de sentiments était associéà la tuberculose.

Dans le modèle soustractif, le malade souffred’avoir quelque chose en moins, qui s’estéchappé de lui, comme dans le cas d’ulcère oud’un évanouissement (perte de connaissance).Ce modèle est très présent dans la culture arabeoù par exemple le fait de perdre du sang rendimpur et le bon thérapeute est identifié à celui

qui restitue (médicaments...) alors qu’à l’inversela saignée était un moyen thérapeutique naguèretrès prisé dans les sociétés occidentales.

Modèle maléfique et bénéfique

Nous identifions généralement la maladie aumal, au non-sens, à l’injustifiable. On peut s’yrésigner, s’y soumettre ou la combattre, la haïrou s’en sentir humilié, ou se révolter contre sonhorreur.Mais la maladie peut aussi être vécue sur unmode bénéfique.Il y a les bénéfices secondaires de la maladie :du maternage par les proches auxcompensations financières en passant parl’exonération des obligations et parfois lanouveauté d’exister en tant que personne, lesavantages et le statut social qu’elle confèrepeuvent être recherchés, à tort ou à raison.L’absence de reconnaissance d’une souffranceréelle peut être ressentie comme une injusticedouloureuse.Il y a la maladie-dépassement ou exploit :l’artiste peut tirer parti de ses angoisses ou deses douleurs pour nourrir son art et mieux seconnaître, le handicapé peut vouloir prouverqu’il est toujours capable.

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C A H I E R

Il y a la maladie-guérison, celle dont on sortrenouvelé, fort d’un nouvel équilibre.La maladie-volupté, celle avec laquelle on apassé une alliance parce qu’elle maintient unéquilibre et dont on ne veut pas guérir, cas bienconnu des psychanalystes.La maladie-salut, vécue comme un chemininitiatique dans la quête de son âme ou commeune épreuve de sainteté (la souffrancerédemptrice).La maladie-liberté, où le droit à disposer de soncorps se gonfle en droit à la maladie, dans unrefus de l’impérialisme de la santé et descommandements de la médecine.

Les modèles thérapeutiques

Dans le couple allopathie-homéopathie, lapremière tend à juguler les symptômes et lescauses et adopte une attitude frontale contre lamaladie tandis que la seconde au contraireréactive les symptômes par les semblables.Pourtant la médecine allopathique emprunte desattitudes à la seconde, telle que la vaccinationou la désensibilisation des allergies où le patientest mis en contact avec l’agresseur pourdévelopper son adaptation à cette rencontre.

Les modèles thérapeutiques additif etsoustractif correspondent au plan du traitementaux modèles expliquant la maladie commequelque chose en trop ou en moins.

Le modèle thérapeutique exorcistique, plusrépandu, vise à chasser la maladie tandis que lemodèle adorcistique trouve son fondement dansl’ambiguïté de la maladie qui n’est pasconsidérée comme seulement mauvaise maispeut être porteuse de sens. La psychanalyseprésente des aspects adorcistiques.

Le modèle thérapeutique sédatif-excitatifrépond souvent à un modèle étiologiqueendogène et relationnel : il s’agit d’atténuer oude stimuler un fonctionnement interne ourelationnel excessif ou insuffisant. On retrouvece modèle par exemple dans le traitement desdéséquilibres immunitaires ou endocriniens(hyper et hypothyroïdie, etc.) ou encore dans

l’acupuncture qui vise à exciter une énergiepositive (yang) ou à atténuer une énergienégative (yin).

Tendances principales dudiscours sur la maladie

Deux groupes de modèles sont actuellementdominants.

La conjonction ontologique + exogène +maléfique avec réponse allopathique, souventsoustractive et exorcistique domine à la fois lamédecine contemporaine et le discours desmalades. Cette combinaison donne accès austatut de vrai malade, de vraie thérapeutique.La prédominance du modèle ontologique donnepriorité à la recherche d’agents pathogènesspécifiques, ce qui privilégie les argumentairesstatistiques et mono-factoriels (une cause pourun effet).

Le modèle fonctionnel + endogène + bénéfiqueavec réponse homéopathique, adorcistique etadditive, correspond à une vision où le maladeest son propre thérapeute, dans la positioncentrale. Ce complexe où l’on retrouve nombrede médecines « parallèles » est actuellementmarginalisé mais connaît un succès croissanten raison peut-être de l’absence de légitimationdes troubles fonctionnels par les tenants dupremier groupe.

Cette brève description pèche par sa sécheresse.La recherche de Laplantine apporte cependantplus qu’une théorisation. Elle met en lumièredes schémas de pensée et d’action à l’œuvreaussi bien dans la relation médecin-malade quedans la conception du système de soins et de lasanté publique. A ce titre, elle nous proposed’identifier quels préjugés nous agissent etouvre la réflexion à des alternatives susceptiblesde nous dégager des impasses et desincompréhensions auxquelles la prééminenced’un modèle unique peut nous conduire.

Les modèles de Laplantine

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

« Je crois qu’on est maladede ce que l’on croit avoiret pas de ce que l’on a. »

Les dires des personnes âgées interrogées surleurs représentations et leurs perceptions de lamaladie reflètent trois grandes tendances :

• La maladie est décrite comme une « chosehorrible ». Les deux tiers des personnes quifont ce type de description sont elles-mêmesmalades et dans une logique de maladie.Seule une petite minorité de ces personnesadopterait des comportements de prévention.

• La maladie est décrite comme faisant partienaturellement du processus de vieillissementpar des personnes qui, pour la plupart, sontmalades tout en étant apparemment dans deslogiques de santé. Les personnes qui sesituent plutôt dans cette catégorie semblentelles aussi peu enclines à adopter descomportements de prévention.

• Quelques rares personnes ont hiérarchisé leurperception de la gravité d’une maladie enfonction justement de la possibilité ou nond’adopter des comportements de préventionen conséquence : « il y a des maladies gravescontre lesquelles on ne peut rien faire et des

Représentations et perceptions de lamaladie chez les personnes âgées

France Libion,chercheurprincipal,

IsabelleAujoulat,

chercheur, AlainDeccache,

directeur, et avecla collaboration

de PhilippeMeremans,

docteur en santépublique,

chercheur,Unité

d’éducation pourla santé, RESO-

UCL.

Dans le cadre d’une enquêteexploratoire sur leurs besoins depromotion de la santé (projet « AînésSanté 2000 »), une soixantaine depersonnes âgées ont été interrogées surleurs représentations et perceptions dela santé et de la maladie. Nous vousproposons un survol de leurs dires parrapport à la maladie.

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maladies moins graves parce qu’on a lapossibilité d’agir » (par exemple, arrêter defumer quand on a des problèmes cardio-vasculaires).

Parmi les problèmes de santé survenantfréquemment chez les personnes âgées, le risquede chute et de fracture consécutives àl’ostéoporose, la dépression, l’incontinence etla grippe ont fait l’objet d’une attentionparticulière. Les personnes âgées ont étéinterrogées sur leurs représentations etperceptions de ces problèmes de santé, maisaussi sur les éventuels comportements deprévention qu’elles mettent en œuvre.

Les chutes

Environ quarante personnes, soit les deux tiersde l’échantillon, se sont exprimées sur lesrisques de chutes et de fractures. Parmi elles,un tiers a déjà fait l’expérience d’une chute,avec ou sans fracture, et un quart déclare avoirpeur de tomber.

Des comportements de prévention afin d’éviterles chutes ou les fractures sont adoptés par deuxtiers des répondants : éviter les travaux à risque,faire attention aux tapis, aux marches, auxcarrelages glissants, aménager son logement,faire attention quand on se relève d’un fauteuil,ne pas se pencher en avant, ne pas monter surun escabeau, se tenir à la rampe, bien sechausser, éviter les feuilles mortes et les pavésmouillés, ne pas sortir quand il y a du verglas.A l’extrême, on relève qu’une personne évitede sortir de la maison pour ne pas prendre lerisque de tomber. Il s’agit d’une personne quisouffre de vertiges. Plusieurs personnes ontémis le souhait que les trottoirs soient mieuxentretenus pour faciliter la circulation despersonnes âgées.

D’autres comportements sont déclarés pouréviter une fracture en cas de chute (préventionde l’ostéoporose) : manger des laitages, prendredu calcium en comprimés, faire des visites chezle gynécologue (traitement hormonal), de lakinésithérapie et des exercices physiques.

Extrait durapport : « AînésSanté », enquêteexploratoire sur

les besoins depromotion de la

santé despersonnes âgées,

partiedescriptive,

février 2000, avecle soutien de la

Communautéfrançaise de

Belgique.

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« Statistiquement, il y a plus de dépression chezles personnes âgées que chez les jeunes ». « Etla déprime d’une personne âgée n’est pas lamême que celle d’une personne jeune ». « Iln’y a pas de lien entre les personnes âgées et ladépression, c’est le caractère qui joue ».

Représentations et perceptions des personnesdéprimées au moment de l’entretien : « Depuisma retraite, je n’ai plus beaucoup envie devivre ». « Quand on n’a plus de travail, la vieest difficile. Je n’avais pas imaginé que ce seraitcomme cela, que je serais tout seul. Rien nem’intéresse. Je regarde mon passé en pensant àce qui va m’arriver ». « Je n’ai plus le goût àrien, je ne fais plus confiance en personne carmon fils et ma fille m’ont fait signer des papiersconcernant des prêts à mon insu. J’ai maintenantdes difficultés financières et je dois décider sije dénonce ma fille pour avoir falsifié masignature ». « La déprime est liée à la solitude ».

Représentations et perceptions des personnesnon dépressives ou qui ne se sont pas expriméessur leur état au moment de l’entretien : « Il y abeaucoup de dépressifs. J’en ai pitié ». « Je croisque la déprime est liée au non-épanouissementde la personne ». « La dépression de la personneâgée est liée au problème de solitude. J’en aiconnu des gens qui se sentaient fort seuls ». « Ladéprime, c’est fréquent chez les personnesâgées parce que les enfants les oublient ».

La dépression, dont souffrent les personnes del’échantillon au moment des entretiens, estressentie comme un problème sérieux qu’il fautprendre en considération par une aide adéquate.Pourtant, la dépression n’est jamais mentionnéepar les personnes âgées au moment où elles sontinterrogées sur les maladies qui les touchent.D’ailleurs, les comportements de préventioncités par les personnes âgées concernent larecherche d’un soutien dans le cadre du réseausocial et des activités de loisirs : « Il fautpouvoir demander du soutien, de l’aide, éven-tuellement déménager ». « Avoir des contactssociaux, des loisirs, aller dans les clubs... ». « Ilfaut essayer de rire le plus possible, téléphonerà quelqu’un, ne pas rester seul ». « Écouter dela musique, avoir des activités ».

Le recours aux soins et aux médicaments estplus rarement mentionné : « Certaines maladies

Représentations et perceptions de la maladie chez les personnes âgées

Une personne fait remarquer que pour elle, c’esttrop tard pour la prévention : « Ce n’est pas àquatre-vingt ans que tu dois soigner tonostéoporose ; c’est avant ».

La dépression

Environ un tiers des personnes interrogéesdéclarent avoir connu des épisodes dedépression ou des coups de cafard.

Les motifs identifiés sont de plusieurs ordres :décès d’un proche (« il m’arrive d’avoir descoups de cafard, surtout certains jours commel’anniversaire de la mort de mon mari »), sapropre maladie (infarctus, cancer), interventionmédicale, déprime saisonnière, solitude (« jedéprime quand je suis loin de mes enfants troplongtemps »).La dépression n’est pas vue comme unproblème spécifique aux personnes âgées maisplutôt comme pouvant toucher tout le monde,quoique les motifs seraient différents.

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entraînent la dépression. Quand tu as un coupdur sur ta tête il faut se lever au-dessus duniveau de l’eau et de temps en temps faire appelà un antidépresseur. Mais attention àl’accoutumance ».

Parmi les souhaits exprimés, on retientnotamment : qu’il y ait plus de lieux prévuspour l’écoute des personnes âgées et que l’onprenne les dépressions plus au sérieux. Demanière générale, les personnes âgéessouhaitent qu’il y ait plus de relations decommunication possibles pour elles.

L’incontinence

On note une représentation très négative del’incontinence tant par les personnesincontinentes que par les personnes âgéescontinentes. Certaines d’entres elles ont refuséd’en parler mais presque tout le monde (75 %)se sent concerné par ce problème : « Avoir deslanges... pour être comme ça, je préfèremourir ». « L’incontinence, c’est épouvantable,ça sent mauvais et je n’y pense pas trop car j’aipeur ». « L’incontinence c’est terrible, ça gâcheles sorties ». « J’ai fait pipi dans ma culotteaprès une séance de scanner. J’en ai pleuré ».« On n’a pas ça par plaisir. Et je n’en suis paslà. Et si un jour ça m’arrive, je seraicatastrophée ».

Pourtant, très peu de comportements deprévention sont rapportés. Une personneseulement parle de rééducation sphinctériennepar la kinésithérapie. D’autres types decomportements de « prévention » sontrapportés par des personnes vivant déjà leproblème de l’incontinence : se rendre souventaux toilettes, même quand on n’a pas envie ; seprotéger la nuit et pour les sorties ; changer sescouches plusieurs fois par jour pour éviter lesodeurs.

L’incontinence est un problème sur lequel lespersonnes âgées pensent qu’elles n’ont pasbeaucoup de pouvoir : « L’incontinence est unefatalité qui vient avec l’âge suite à l’usure destuyaux ». « Je suis révoltée à l’idée que l’onpuisse subir ça. On ne sait rien faire à partattendre l’heure de la mort ».

C’est aussi, pour certaines, un sujet qui estdifficile à aborder : « Parler de sesincontinences, c’est comme parler de sonrâtelier, ce sont des sujets tabous ». « Ca metracasse beaucoup mais je n’ai encore rien osédire » (une personne qui perd ses selles depuispeu). Une personne a exprimé le souhait qu’ily ait plus d’information à ce sujet.

La grippe

Plus de la moitié de l’échantillon se fait vaccinercontre la grippe. « Les personnes âgées sontplus sensibles aux maladies » (idée citée parplusieurs personnes). « Je dois être très prudentecar mon système immunitaire, ce n’est plus toutà fait ça depuis mon cancer ». « Tout le mondedevrait se faire vacciner, pas seulement lespersonnes âgées ». « La vaccination contre lagrippe, c’est une bonne chose ». « Toutes lespersonnes âgées se font vacciner, j’en suissûre ».

Un quart des personnes interrogées déclarentexplicitement ne pas se faire vacciner. Soit parcequ’elles ne se sentent pas concernées : « Levaccin est important pour les gens qui sont dansdes bureaux, qui sont toujours en contact avecd’autres ». « Le vaccin, c’est pour les personnesplus âgées. Moi, je ne suis pas exposé, je neprends pas de transports publics et en plus levaccin, ça me donne une vraie grippe ». Soitparce qu’elles ont une représentation négativedu vaccin : « Mon ordonnance est dansl’armoire. Le vaccin est utile mais j’ai peurd’une allergie éventuelle ». « Je suis anti-vaccins. Si on a la grippe on se soigne et onreste au chaud. Je crois que c’est une peur qu’onnous inculque ». Soit parce qu’elles ne croientpas en l’efficacité du vaccin : « Certains font levaccin et ont quand même le gros rhume, doncje ne me fais pas vacciner, c’est à la grâce deDieu ». Ou encore par négligence.

Le dernier quart de l’échantillon, ne s’est paspositionné clairement par rapport à lavaccination contre la grippe. Il s’agit parfoisde personnes ayant recours à des « vaccins »homéopathiques. ●

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C A H I E R

Une véritable industrie

Créée en 1900, la « colonie familiale » est unsystème de placement de malades mentaux dansles familles d’une communauté rurale au centrede la France.Les malades, sous le contrôle d’un hôpitalpsychiatrique, sont confiés aux habitants, essen-tiellement des paysans, pour l’hébergement,l’entretien, la surveillance et les soins. Ils viventet circulent librement, associés à la vie socialeet professionnelle de ceux qui les accueillent.Des infirmiers visiteurs assurent la liaison entrefamilles et hôpital, contrôlent les placements,arbitrent les conflits, transmettent les demandeset attentes de la population.

La colonie couvre treize communes dans unrayon de vingt km autour de l’hôpital psychia-trique. Près de quatre cents familles ditesnourricières reçoivent dans leurs logements,appelés placements, entre mille et mille deuxcents malades appelés pensionnaires. Lespensionnaires représentent entre 2 et 30 % dela population des communes, les fortesconcentrations s’observant dans les zonesproches de l’hôpital.

L’hébergement des malades mentaux est unecoutume enracinée de longue date dans cette

La colonie familiale

Axel Hoffman,médecingénéraliste à lamaison médicaleNorman Bethune.

Denise Jodelet, maître de conférence àl’École des hautes études en sciencessociales, a étudié pendant près dequatre ans les représentations socialesde la maladie mentale dans un milieurural qui héberge des malades mentaux.Nous vous présentons quelques-unsunes de ses observations.

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région et a généré des préoccupationscollectives, objets d’échange, d’opinions, dereprésentations et conduites consensuelles,transmises de génération en génération. Lacommunication de recettes et d’informations estune pratique constante. Nous sommes enprésence de groupes co-actifs qui partagent lemême type d’activité et élaborent dans ledialogue le système normatif et notionnel quirégit leur vie quotidienne. Tous ces élémentsont forgé avec le temps une vision homogènede ce que sont les malades et de ce que doiventêtre les relations avec eux, vision surnommée« l’habitude du pays ».

La colonie constitue un enjeu économiqueimportant : les malades sont placés contrerétribution de la famille et constituent une maind’œuvre gratuite ou bon marché. Ce stimuluspour l’économie locale endigue la paupérisationet le dépeuplement rural et a préservé desstructures foncières abandonnées ailleurs. Lacolonie est devenue, selon le terme des familles,« l’industrie du pays ».

Cette industrie entre en tension avec laprotection d’une identité sociale menacée parla présence des malades et les peurs qu’ilsinspirent. L’opposition à cette industrieargumente autour de thèmes identiques dans letemps : nuisance sociale représentée parl’étalage du handicap, reproche de tirer profitdes malades et de leur misère, crainte d’uneassimilation entre eux et la population. Laprésence des malades constitue un symbole destigmate (comme on dit symbole de prestige)qui génère un processus de dénégation : on faitcomme si on ne les voyait pas. Cette dénégationa pour effet positif une grande tolérance pourles conduites aberrantes des malades maisconduit à ne plus les voir comme des personnes.

« Presque nous »

La proximité des malades va faire découvrir àla communauté que ceux-ci ne sont pas sidifférents des autres personnes, que la maladieest proche et renforcer la crainte d’être assimiléaux malades. Cela conduit à une quête dedifférenciation, de signes de distinction : jadis,les malades avaient un uniforme.

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

de celles des hôtes. Les enfants sont considéréscomme particulièrement vulnérables à lacontagion : 70 % des familles, sans se concerter,attendent que leurs enfants atteignent l’âgescolaire pour prendre des malades.

Les représentations semblent unir dans unemême vision la maladie et le malade, la folie etle fou. Elles ont été forgées par le milieunourricier lui-même, dans une sorte de vide deconnaissances savantes.

L’implant étranger devient ainsi un péril interneet génère de subtiles barrières. La communautéa inventé des moyens d’ajuster cette populationexogène sans l’assimiler. Les pensionnairessont un « presque nous », avec une différenceprivative : ce sont des non-civils, à la foismarchandise dans l’échange avec l’hôpital etpersonnes en ce qu’elles doivent respectercertaines normes.

Au départ, les malades étaient étroitementassociés à la vie des familles nourricières. Dixans après la création de la colonie, 10 % desfamilles pratiquaient la séparation des repas et88 % dans les années 80. Même ségrégationpour l’association à la vie familiale (fêtes,promenades, soirées télé). Très vite, leslogements des pensionnaires ont été séparés :leurs chambres furent d’abord isolées dans lecorps de logis, puis on aménagea des logementsspéciaux pour eux dans les dépendances. Desrègles de circulation dans la propriété furentinstaurées. Les malades furent relégués auxmarges de l’univers privé et leurs droitsdélimités.

Cet ordre partitif, contraire aux demandes del’hôpital, fut progressivement imposé par lapopulation. Le « respect de l’écart » constitueune véritable éducation faite au malade, etréclame l’exercice d’une autorité sourcilleuseet l’emploi de techniques de manipulations etde contrôle psychologique très élaborées.

Une peur profonde

La rigueur de ce processus de partition estadossée à la peur, mais une peur d’un autre ordreque celle liée aux dangers sociaux attribués auxmalades, vis-à-vis desquels la populationaffiche un sentiment de sécurité acquis au filde l’expérience, avec l’aide des réassurancesde l’hôpital, du choix des malades placés et desmesures de contrôle qu’elle a elle-même misen place.

Cette peur a trait au contact avec la folie. Il nes’agit pas seulement de manifester au maladeson extériorité par rapport à la famille maisaussi d’éviter la contagion de la folie. La lessiveet la vaisselle des pensionnaires sont faits à part

L’hôpital a en effet pour règle de necommuniquer aucune information concernantles malades et leur affection, interdit acceptéd’autant plus aisément que la population estréservée par rapport au savoir du spécialiste,considéré comme ésotérique. Dès lors, le statutlégal des ressortissants des hôpitauxpsychiatriques et le fait qu’ils ont un « dossier »fait l’objet de suppositions imputantéventuellement leur internement à des causescriminelles dont on ne veut rien savoir pourpréserver sa tranquillité. Les psychiatres sont

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C A H I E R

investis du pouvoir de reconnaître les cas defolie non perceptibles par d’autres, et paranalogie d’un don de clairvoyance et d’unecompétence policière. Mais au-delà de l’inves-tigation diagnostique, dans celui du rapportd’écoute thérapeutique, leur compétence estdéniée par la population au nom de celle qu’ellea acquise dans son commerce avec les fous.C’est la population qui « sait ».

Un savoir pratique

Car la population s’enorgueillit d’uneconnaissance pratique et efficace dans lemaniement des pensionnaires, basée surl’observation directe et la transmission socialede recettes. La maladie mentale est considéréecomme différente des maladies « normales » :elle est de l’ordre de l’être et non de l’avoir. Ilsn’ont pas de maladie, ils sont des malades, cequi se lit dans des signes variés : tics, nervosité,gestes incohérents, difficultés d’élocution,regard sombre, etc. La maladie est unique,substantielle dans ses diverses manifestations.

A côté de causes culturelles acquises etmodifiables, la maladie mentale a des causesnaturelles inscrites dans l’être et inchangeables.Souvent à la base des manifestations patholo-giques est imaginé un processus organique :« ça monte », « ça prend » dans le corps, dansle sang ou le cerveau. Il s’agit d’un étatradicalement différent. La seule communautépossible avec les malades est une communautéd’espèce, d’organisme. Une théorie naïve surles malades s’est développée : elle incrimine ledysfonctionnement d’un noyau tripartitearticulant l’organique (l’espèce), le cerveau (laculture) et les nerfs (la nature). C’est sur cenoyau fonctionnel élémentaire que portel’impact de la maladie. La maladie est tenuepour diminuer le contrôle du cerveau ce quilaisse le champ libre à la domination des nerfs.Cela se traduit par le débridement des fonctionset appétits corporels, une moindre coordinationmotrice, une insuffisance des capacités detravail, d’organisation, etc.

Cette théorie n’est pas exprimée telle quelle,mais elle fonctionne et sert de guide pourévaluer, juger et trouver comment interagir. Si

l’on pense que les troubles d’un pensionnairesont liés à une dominance des nerfs, susceptiblede violence, on ne sanctionnera pas une bêtisepar une réprimande directe de crainte que cemalade ne réagisse brutalement, mais on feraappel aux responsables de l’hôpital ou onprivera le pensionnaire de quelque chose qu’ilaime. Selon le niveau de développementcérébral attribué au pensionnaire, on usera derécompenses appropriées à un enfant, un animalou à un adulte.

Le modèle tripartite permet aussi d’interpréterles potentialités du malade. En raison del’insuffisance du contrôle cérébral, on supposechez les malades des besoins immodérés,notamment dans le domaine alimentaire.Manifester sa faim à table sera interprétécomme une déficience régulatoire signant lecaractère irrécupérable du malade... ce quiautorise à ne pas répondre à des revendicationsde salaire ou de liberté et le condamne à nejamais sortir de son statut d’aliéné.

L’innocent et le méchant

La distinction entre atteinte du cerveau etatteinte des nerfs prend son sens quand on sepenche sur l’étiologie de la maladie mentale.On distingue les maladies de naissance et lesmaladies survenant à l’âge adulte lors d’un chocaffectif ou nerveux ; ces dernières sontconsidérées comme bénignes. Les maladies denaissance correspondent à deux typesd’affection différente selon l’âge de la prise encharge psychiatrique. S’il y a eu hospitalisationavant l’âge scolaire, c’est qu’il y a déficiencedu cerveau, arrêté dans son développement : lemalade est comme un enfant, c’est un innocent.Par contre, si l’internement est survenu aprèsl’entrée à l’école (signe que le cerveau estnormalement développé) et avant l’entrée dansla vie adulte (époque où le malade est capablede se plier à une norme), il s’apparente plutôt àun emprisonnement pour délinquance : ce sontdes « gars de cabanon », atteints d’une maladiedes nerfs. Violence, crises, excitation, bestialitéet mauvaiseté caractérisent ces malades. Onretrouve là l’innocence et la méchanceté, lesdeux figures ancestrales de la folie véhiculéespar la tradition judéo-chrétienne.

La colonie familiale

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

Les cas de méchanceté nerveuse sont considéréscomme héréditaires et inscrits dans l’organismedégénéré. Nerfs et sang ayant toujours étérapprochés dans la médecine populaire, cettefolie peut se transmettre par le sang. La traditionlocale étant encore tributaire de la théorie deshumeurs, sang et milieu corporel interne ne sontpas distingués. Il s’ensuit que l’on croit la folietransmissible par les liquides du corps : salive,transpiration, morve, sperme, etc. bien que lapopulation, consciente du décalage avec lesthéories modernes, occulte cette croyance. Làréside le fondement de la peur qui se manifestedans les procédures de cloisonnement etd’interdit de contact. Les règles d’hygiènepréconisées à l’égard des pensionnaires n’ontdonc rien à voir avec la saleté mais renvoient àl’univers symbolique de la souillure avec pourenjeu la protection du corps humain et du corpssocial contre une intrusion étrangère etdangereuse.

La contagion et l’ordre social

Dans les années 50, l’apparition desneuroleptiques a modifié la perception de lamaladie en l’organicisant. Ces médicaments ontrassuré la population mais aussi désigné lesmalades des nerfs, nerveux et méchants,auxquels on les administre.

Ainsi malgré le progrès des connaissances, lesstrates de savoir appartenant à divers tempssociaux continuent à coexister (ce queMoscovici appelle la polyphasie cognitive) sansentamer les angoisses enfouies dans la mémoirecollective. Dans de nombreux établissementspsychiatriques aussi survivent des attitudestelles que le refus de partager le repas avec lesmalades et les rituels obsessionnels pour lelavage de leur vaisselle et de leur linge.

En fait, les croyances et les mesures concernantles pollutions interviennent toutes les fois qu’unordre social est mis en cause. Le recours à l’idéede pollution organique permet de légitimerl’arbitraire de la ségrégation.On sait depuis Freud que les sentiments associésà l’archaïque tabou du toucher sont rationalisésdans la phobie de l’infection et que l’idée decontamination a à voir avec une défense contre

la sexualité. L’histoire de la colonie regorged’exemples de rapprochement sexuel avec lespensionnaires, désignant les enfants et lesfemmes comme maillon faible de lacommunauté, et condamnant ceux quimanifestent une trop grande proximité avec lespensionnaires. C’est toujours la même terreurassimilant l’étranger à la contamination que l’onretrouve dans l’assimilation entre étranger etsidaïque qu’affectionne le Front national oudans la crainte de contamination du SIDA parla salive.

Sans le support d’un système d’interprétationlégitimé par la science, et face à l’inconnu queconstituent les malades, la communauté a faitappel aux ressources d’information fournies parson environnement quotidien, aux manières defaire, dire et penser établies collectivement etconsignées dans le patrimoine culturel.Ces représentations élaborées en marge dusavoir en ont perverti le sens. On perçoit làl’intérêt que présente l’étude des représentationspour rendre compte de la réponse publique auxpolitiques de santé et pouvoir intervenir surelles.

Source principale : Denise Jodelet, « Lesreprésentations sociales de la maladie mentaledans un milieu rural » in Flik (bibliographieen fin de ce cahier).

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La maladie chronique

Une des définitions pouvant donner une mesurede la diversité et de l’étendue de la maladiechronique est la suivante :

« Toute altération ou déviation de la normalequi présente au moins une des quatrecaractéristiques suivantes :

1. permanente ;2. laissant une invalidité résiduelle ;3. engendrant une altération pathologique

non réversible ;4. nécessitant une rééducation du patient et

un long suivi d’observation ou de soins ».

A présent 80 % des actes médicaux concernentdes patients porteurs d’affections chroniques,donnant ainsi la mesure de la demande enmatière de soins et de prise en charge. Cettepart importante amène logiquement à sepencher sur la nature des rapports « malades –soignants », au regard de la spécificité de cesmaladies.

Les patients sont souvent démunis face à la luttepermanente qu’ils doivent mener avec et contrela maladie. Parfois ils se découragent, serévoltent, refusent de prendre leurs traitements,

tentent des « médecines alternatives », changentde médecin, multiplient ou négligent lesconsultations, attendent le dernier moment pourse soigner, associent souvent les événementsde leur vie à leur maladie, etc.

Ensuite, soigner et prendre en charge unepersonne qui ne guérira pas ne peut pass’envisager de la même manière que dans lesaffections non chroniques. La médecinecurative, efficace par ailleurs, se trouverelativement démunie dans une prise en chargeau long cours supposant une éducation dumalade, la mise en place d’une relationparticulière avec lui et des stratégies préventivesen particulier au cours des périodesasymptomatiques.

Vivre avec une maladie chronique et avoir àfaire à des services de soins ayant plutôtl’habitude des affections aiguës génère parfoisdes situations d’incompréhensions entresoignants et soignés. Les uns peuvent attendredes réponses à des situations de gestion de leurmaladie et de leur vie quotidienne sur le longterme, les autres assurent plutôt le traitementefficace des phases douloureuses, sans aborderforcément des questions de prévention parexemple.Des échecs thérapeutiques peuvent semanifester alors sous forme de perte decompliance ou de mise en place de stratégiesd’évitement des consultations ou d’adoption decomportements à risques.

Ces comportements peuvent être considéréscomme le produit de la relation soignant-soigné,chacun adoptant des points de vue et logiquesspécifiques sur la maladie et la santé.

La problématique

Le constat de différences dans les attentes etles comportements entre soignants et maladeschroniques induit une série de questionsintégrant le concept de relation sur le longterme. Les logiques de santé s’inspirent-ellesde représentations de la santé différentes ? Est-ce parce que les uns ne traitent principalementla maladie qu’à l’aide d’outils bio-techniquesalors que les autres privilégient les domainesconditionnant leur santé comme l’acquisition

Logiques de santé et maladie chronique

Pierre Bizel,licencié ensciences de lasanté publique,orientationpromotion-éducation santé.

Les maladies chroniques recouvrent desréalités diverses. Le relatif échec de lamédecine moderne à les prendre encharge en font pour les personnes quien sont porteuses une source d’angoisseet un déterminant incontournable deleur qualité de vie.

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

ainsi de construire une relation thérapeutiqueplus riche.

La perception de la chronicité fait apparaîtrequelques paradoxes. La situation du malade esten effet contradictoire puisqu’il attend unerémission, sinon une amélioration, enconsidérant le temps comme un allié, mais aussicomme un ennemi, car c’est aussi au fur et àmesure que le temps passe que des complica-tions ou dégradations peuvent apparaître etaggraver son état.

La guérison, toujours espérée, alimente d’autrescontradictions comme le déclare ce patientasthmatique de longue date : « Guérir, ce n’estpas, ne plus développer de crise d’asthme, c’estoublier jusqu’à la possibilité qu’ellesurvienne ». Un autre dit : « Je ne suis pasmalade, en vérité, je suis asthmatique, et c’estlà toute la différence. L’asthme n’est pas pourmoi une maladie, c’est un état, une évidence etplus que cela une définition. Alors guérir,qu’est-ce que cela supposerait ? Le deuildéfinitif de cette définition de moi-même ? ».

Ces témoignages illustrent la difficulté à vivrela chronicité mais aussi certaines divergencesavec la vision de la maladie que peut avoir lemédecin.

Une autre source de difficultés est aussi àsignaler entre le soignant et le soigné.Le patient vit en permanence avec sa maladie.Il sait plus ou moins que la guérison ne peutpas être immédiate, sinon impossible. Lemédecin, professionnel qui a la charge deplusieurs patients tous différents, doit au coursdes consultations mesurer le temps mis àdisposition de chacun. Les moments derencontre n’ont donc pas toujours la mêmevaleur, voire le même sens, pour l’un et pourl’autre, l’un souvent « technicisant » larencontre à une fin de diagnostic, l’autrerecherchant un soulagement et des réponses àdes problèmes de tous ordres.Anne Lacroix situe le problème du soignant dela manière suivante : « Le professionnel desanté est par définition une « personne »pressée. Il a été formé selon un paradigme dela santé - le modèle bio-médical - selon lequel,la maladie est un accident, un trouble passagerqu’il convient de réparer rapidement.

ou le maintien d’une vie professionnelle, la viede loisirs ou la recherche d’une vie familialeou de couple harmonieuse, etc. ? Peut-onexpliquer et isoler les déterminants des logiquesde santé adoptées par les soignants et lesmalades ?

Une des explications possibles à ces concetionset attitudes diverses face à la santé revientprobablement à l’énorme place faite au curatifet à la réduction des symptômes, proportion-nellement au secteur préventif. Les maladeschroniques se retrouvent fréquemment soignésou « traités » par la médecine d’urgence où ilfaut faire vite pour soulager le malade et où letemps compte.Il en résulte que, dans l’environnementparticulier que constitue l’hôpital, ou mêmeparfois le cabinet médical, la relation soignant-soigné est encore difficilement considéréecomme un outil thérapeutique à part entière,au regard de la technologie médicale etpharmacologique à disposition.

Aborder le thème de logiques de santé autourde la maladie chronique revient à comprendrecomment agit un malade dans son contexte desoin, dans les domaines suivant :

• les moments, et les situations, où les logiquesde santé sont à l’œuvre ;

• l’idée que l’état de malade chronique est unétat de santé particulier à part entière ;

• le droit et l’espace à la santé à l’intérieur dela maladie.

Remarque et paradoxe

Il est à remarquer que le fait d’identifier un écartde représentation de la santé entre soignants etsoignés n’a pas pour objectif de réduire cet écartet de faire en sorte que médecin et patient aientla même logique de santé. Il semble en effetimpossible que deux personnes partagent lesmêmes expériences dans le domaine de lamaladie et de la santé, présentent les mêmescaractéristiques de personnalité ou possèdentles mêmes connaissances des phénomènesrégulant l’organisme ! Par contre, faire donc leconstat de points de vue différents peutcontribuer certainement à connaître l’autre, àaccorder une valeur à sa vision et permettre

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Logiques de santé et maladie chronique

Il ne peut guérir de sa maladie, mais peut lacontrôler. Il doit gérer son traitement selondivers facteurs liés à sa vie personnelle. Samaladie est souvent silencieuse en dehors descrises. Il doit accepter une perte de sonintégrité et dès que sa vigilance diminue lamaladie resurgit. Celle-ci est d’évolutionincertaine et peut-être liée au mode de vie.

Il a besoin de soulagement immédiat et selaisse traiter. Il collabore passivement et lemauvais moment passé, oublie l’épisodepénible.Il est souvent reconnaissant et admiratif pourles soignants.

Il prescrit le traitement mais ne contrôle lamaladie qu’indirectement. Il doit former sonpatient pour le traitement et doit partager sonpouvoir médical.Il doit gérer une maladie souvent dans saphase silencieuse et doit être vigilant pourdétecter les complications tardives.Enfin il doit assurer un support psychologiqueet social et doit accepter une nouvelle identité

PATIENT

Phase chronique Phase aiguë

MEDECIN Il est conscient des aspects très spécifiques àla crise. Il dirige lui-même l’approchediagnostique, le choix et le contrôle dutraitement.Il gère la crise par une approche de type bio-technique.Il a besoin d’un patient qui se laisse traiter,d’un patient « passif ».Il n’a souvent plus de lien avec le patient unefois la crise passée.Il oublie souvent la dimension psychologiquedu malade et ne sait souvent pas qui est sonpatient.

TRAITEMENT Il est important pour la survie et/ou le confortquotidien mais a des effets variables. Ilnécessite souvent de former le malade pouren assurer la gestion.Il implique une discipline quotidienne et prendsouvent du temps au malade.Il interfère enfin souvent avec la vie sociale.

Il est codifié, souvent avec un algorithme préciset nécessite une évaluation horaire et/ouquotidienne. Il est de courte durée et en rapportdirect avec la crise.

MALADIE Elle est souvent non guérissable et silencieuseen dehors des crises. S’il y a douleurs, ellestendent à persister. Il y a souvent peu de liensentre les plaintes et les données biologiques.Les conséquences de la maladie dans la viesociale sont souvent importantes.

Elle présente des signes et symptômes quisont d’apparition brusque et évidente. Ledéséquilibre ou la crise représente un risqueimportant, souvent vital. Il y a, à ce momentlà, urgence pour un diagnostic rapide et undébut de traitement. L’approche est de typeréductionniste, on ne s’occupe que del’essentiel.

Quelques différences dans l’approche d’une atteinte « aiguë » et « chronique »

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

L’émergence des maladies de longue duréebouleverse ce système de pensée ou le tempset la dimension éducative sont très présents ».

Comment alors aborder ceproblème ?

Dans le modèle médical, le concept de maladieest décrit sous forme de séquences précisesdéfinissant une étiologie, une pathologie, desmanifestations somatiques. Ce modèle, trèsefficient par ailleurs, ne permet pas de prendreen considération toutes les dimensions desmaladies chroniques comme celles associés àla vie de la personne malade et qui fontrésonance à sa personnalité, à son histoire, àson expérience de la maladie dans unenvironnement psychosocial particulier. Cettedémarche intègre la vie de relationsqu’entretient le malade et débouche sur uneprise en compte de ses perceptions propres.Alain Deccache nous le décrit plusprécisément : « Des études ont régulièrementmis en évidence des différences, voire descontradictions entre les visions des médecinset celles des patients. Elles ont aussi démontréla difficulté (et l’incapacité) des médecins àévaluer correctement les niveaux d’adhésiondes patients aux traitements, surtout dans lesmaladies chroniques. Or, cette connaissance estnécessaire tant pour l’évaluation adéquate desbesoins, que pour la réalisation des soins, etque pour l’établissement d’une relation (d’aideet de soutien) adéquate à la situation et auxattentes des patients ».

La contribution du concept delogique

Au vu des écarts d’attentes qui semblent semanifester tout au long du suivi du maladechronique, il apparaît qu’il faut regrouperautour d’un seul concept un certain nombre devariables qui contribuent à expliquer les« dysfonctionnements » dans les relationssoignants-soignés. Les six points suivants sonten mesure de constituer les facteurs individuelsde base (patients et soignants), déterminant leconcept de logiques de santé tout au long de la

relation thérapeutique.

1- Les logiques culturelles de la santéL’appartenance sociale et culturelle est unpuissant déterminant des attitudes, des attenteset des représentations chez les patients et lesmédecins.Ces logiques peuvent être rassemblées suivantdes logiques d’abandon (le sujet attend lasolution du problème de santé de l’extérieur :l’expert, le professionnel) et logiques de gestion(la solution peut venir du sujet, qui est gérantde sa santé).

2- Les structures familiales de santéLes modèles familiaux de santé auxquels seréfèrent patients et médecins sont desdéterminants des logiques conditionnant leurrencontre. Ils peuvent s’exprimer dans lesdimensions suivantes :

• la famille dite « Energisée », terme référantau degré avec lequel les membresinteragissent entre eux pour stimuler leurscroissances personnelles ; dans ce type defamille, le pouvoir est partagé et les rôlesflexibles ;

• la famille « diversité-communauté » : lesstructures de type diversité, à bas niveaud’exclusivité ethnique, de solidarité entreamis et d’adhésion à la tradition et à l’autoritésont associées à une plus grande connaissancemédicale, peu de scepticisme par rapport auxsoins médicaux et à une moindre dépendanceface à la maladie ; les structures de typecommunauté, à haut niveau d’exclusivitéethnique, de solidarité entre amis etd’adhésion à la tradition et à l’autorité sontassociées à une plus faible connaissancemédicale, au scepticisme par rapport auxsoins médicaux et à plus de dépendance faceà la maladie ;

• l’intégration sociale des mères en terme departicipation sociale : c’est le meilleur moyende prédire l’engagement dans un comporte-ment de prévention.

3- Le lieu de pouvoir par rapport à la santé(HLC-Health Locus of Control)

Le lieu de maîtrise de la santé se définit commele niveau de maîtrise qu’une personne croitavoir sur les événements qui la concernent.C’est un élément qui chez le patient comme

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chez le médecin détermine sa manière d’agirsur la santé.Un lien peut être établi entre lieu de pouvoir etattribution causale de la maladie : repérer à quoile patient et le médecin attribuent la maladiepermet d’interpréter la logique dans laquellel’un et l’autre se placent. Les attributionsréfèrent à des causes internes, à des causesexternes ou à la malchance.

4- Les logiques et représentations de lasanté et de la maladie

Trois aspects de la représentation de la santépeuvent être explorés pour le patient et lemédecin, et être analysés en termes de « Faire »de la santé, d’« Avoir » la santé et d’« être » ensanté.

5- Les modèles explicatifs de la maladieselon les normes sociales perçues

Les modèles explicatifs de la maladie peuventêtre explorés au regard des normes sociales dansles réponses aux questions suivantes :l’étiologie, le moment, le contexte d’apparitionde la maladie, sa pathophysiologie, sonévolution, son traitement.

6- La représentation des rôles desprofessionnels de santé

Pour le patient et son médecin, l’étude des rôlesque chacun attribue au personnel de santé estune information précieuse. Le repérage de cesreprésentations peut se faire au travers de quatrecatégories. Le soignant se perçoit et est perçucomme le : détenteur d’un savoir scientifique -représentant d’un ordre social - vecteur deprincipes de conduite - médiateur de forces deguérison.

A partir de ces six points on peut analyser lessituations et ainsi mieux comprendre la naturedes divergences et des échecs de prise en charge.

Mais tous ces points n’ont certainement pas lamême importance suivant les moments de lamaladie et des patients (et des soignants). Onpeut en effet se demander s’il n’y a pas suivantles histoires et les personnalités, les types demaladie, des variables plus prégnantes que

d’autres individuelles, sociales, etc. Sur cettebase, on peut relever au regard des échecs etdes succès thérapeutiques passés, quelleslogiques de santé ont prévalu.

Logiques de santé et maladie chronique

Une nouvelle prise en charge

L’intérêt d’une analyse des logiques de santéest de permettre aux soignants, de mesurer lanature et la valeur de la représentation de l’autre,comme d’avoir conscience de leur proprelogique de fonctionnement, dans la relationthérapeutique. La prise en charge peut être, danscette perspective, modifiée et la dimensionéducative de la médecine prend toute sa valeur.

Dans cette perspective, l’unité de prévention etd’éducation du centre hospitalier de Dreuxpropose en cela, trois axes de travail dans laprise en charge du malade chronique.

Le premier axe est celui de la prise en chargeglobale. Il s’agit de ne pas limiter la relationthérapeutique à la surveillance biométrique,

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

mais de prendre en considération l’ensembledes déterminants bio-psycho-sociaux pouvantinfluer sur l’évolution de la pathologie.

Le deuxième axe de prise en charge est celuide la durée de la maladie. L’absence de priseen charge pendant la période intercritique parexemple est un obstacle à la mise en place d’unvéritable projet thérapeutique conclu entre lepatient et son médecin. L’impossibilité pour lepatient d’accepter la chronicité de sa maladie,l’incapacité du soignant à expliciter un projetde vie, sont des facteurs d’échec thérapeutique.

Le troisième axe de l’accompagnement est celuides moyens de l’autonomie du patient.Accompagnement d’autant plus aléatoire quetous les patients, et tous les soignants, ne sontpas forcément désireux ou compétents, pours’impliquer dans une démarche d’autonomieréciproque. Élaborer un diagnostic éducatif,négocier les objectifs thérapeutiques,développer des apprentissages, nécessite despré-requis éthiques et pédagogiques qui sontles conditions du succès de l’adhésionthérapeutique.Ces trois axes permettent de repenser la priseen charge. Ils repositionnent malades etsoignants, à qui ils donnent d’autres rôles surune base de réciprocité dans la relation.

Conclusion

Reconnaître l’autre et accorder une valeur à sesreprésentations, est sans doute le premier pasvers une transformation de la pratiquethérapeutique où :

• la notion d’accompagnement thérapeutiqueremplace la stricte prescription théra-peutique ;

• l’objectif est la santé (et non seulement lalutte contre la maladie) ;

• le malade est davantage pris en compteque la maladie. Le patient devient plus unsujet à part entière, différent, et simplementporteur d’une affection spécifique (l’appel-lation personne porteuse d’une affection

chronique au lieu de malade chroniqueprenant là tout son sens) ;

• la maladie est intégrée à un projet de vieporteur de sens pour le malade.

La reconnaissance des logiques de santé, estsans doute le point de départ d’une prise encharge nouvelle des malades chroniques àlaquelle il faut maintenant sensibiliser lessoignants.

Ce texte est issu d’un mémoire présenté pourl’obtention de la licence en sciences de la santépublique, orientation promotion-éducationsanté, à l’unité RESO de l’université catholiquede Louvain en 1999.La bibliographie détaillée en est disponible àla rédaction de Santé conjuguée.

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Châtiment et rédemption

Au XVIII ème siècle, le sens de la maladie estinséparable du sentiment religieux. Dans sonmanuel publié en 1677 pour les besoins de sondiocèse, Claude Joly, évêque d’Agen, consacreune « instruction » à la maladie.« Pourquoi Dieu nous envoie-t-il des maladies ?C’est pour mortifier notre corps et le rendreobéissant à l’esprit, pour nous détacher del’amour des créatures et pour nous convertir àlui, pour nous préparer à bien mourir. »« Pourquoi Dieu permet-il qu’il nous arrive degrands maux ?Parce qu’il est expédient pour sa gloire et pourle bien de notre âme. Dieu purifie par-là sesélus : ce n’est pas un juge qui punit, c’est unpère qui corrige et qui châtie. Ainsi les mauxdeviennent de grands biens. »

Quelques années plus tard, dans un Essaid’exhortations pour les différents états desmalades qui connut un gros succès, AntoineBlanchard, prêtre en Vendôme, développe lavaleur curative de la maladie qui est à la foischâtiment et rédemption. Si nous étionspénétrés de la bienveillance de Dieu, « nousconsidérerions le péché comme la sourceprimitive des maux auxquels nous sommesexposés, nous serions convaincus que c’est lamaladie de l’âme qui cause celle du corps... ».« Ce mal... afflige le corps, mais il contribue à

la guérison de l’âme. C’est un don de Dieu,beaucoup plus avantageux pour son salut que lasanté même qui contribue souvent à sa perte. »

L’aide des professionnels n’est pas mieuxappréciée que la santé qui mène à la perte dusalut. Lors de la peste en 1720, un bourgeoisde Marseilles écrit : « Le nombre et l’habiletédes médecins ne servaient qu’à faire voir quetoutes nos industries et les secours humains nepeuvent rien contre la sévérité d’un Dieu encolère ».

Avertissement ou châtiment, la maladie esttoujours un don de Dieu et le devoir du chrétienest de la supporter non seulement avec patiencemais même avec joie, comme un signed’élection. En 1703, Louise-Marie Grignoireécrit à sa sœur tombée malade au cours de sonnoviciat : « ... je me réjouis d’apprendre lamaladie que le Bon Dieu vous a envoyée pourvous purifier comme l’or dans la fournaise.J’envie quasi votre bonheur... »

Une telle attitude risquerait de mener àl’indifférence à son propre corps et au refusd’intervenir par des moyens humains pourrecouvrer la santé. L’enseignement de l’Églisedécourage toutefois cette extrémité. Le curéMarchais prêche que « les malades et lesinfirmes peuvent et doivent chercher leurguérison dans les remèdes naturels, se servirde ceux que Dieu a créés à cette fin et employertout ce qu’ils croient pouvoir leur être utile pourse soulager ». Mais il n’est pas question decautionner les moyens surnaturels relevant dela magie : « Pourvu que dans ces remèdes, iln’y ait rien que de bien légitime, sans parolesni autres moyens extraordinaires, ce qu’onappelle superstition. »

La question des remèdes acceptables est fortcontroversée. Ainsi la pratique de l’inoculationde la petite vérole au début du XVIIIème siècle(traitement préventif distinct de la vaccination)provoque l’embarras de l’Église. Une partie duclergé la condamne sans appel car « c’est tenterDieu que de donner à une créature humaine unemaladie qui ne lui serait pas venue naturel-lement ». Par contre les jésuites se montrentpartisan de cette pratique. En fait, l’Église nese prononcera jamais de manière catégoriquepour ou contre l’inoculation, mais elle réprou-

Pourquoi Dieu nous envoie-t-il des maladies␣?

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Axel Hoffman,médecingénéraliste à lamaison médicaleNorman Bethune.

Le XVIIIème siècle marque l’ébranlementdes représentations ancestrales de lamaladie en Occident chrétien.L’intuition du progrès proche naît dansun monde où la religion demeure leprincipal secours contre le mal absoluqui s’incarne dans la maladie,l’épidémie et la mort.

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vera l’éloge qu’en feront certains philosophes,tel que Diderot, parce qu’ils y voient « letriomphe de l’art sur la nature », Dieu restantseul maître de la santé et de la maladie.

Les humeurs et le goupillon

A cette époque, médecin et prêtre sontétroitement associés au chevet du malade. Lepremier devoir du médecin est de veiller à cequ’un malade se confesse. Une déclarationroyale de 1712 interdit aux médecins deretourner chez un malade dangereusementatteint après la troisième visite si celui-ci neproduit pas un certificat du confesseur. Le prêtrelui-même a un rôle thérapeutique : à côté deses effets spirituels, l’administration del’extrême onction peut rétablir la santé du corps.

Le discours des médecins s’inscrit dans celuide l’Église : Dieu est la cause première,pénitence et purification des âmes sont lespremiers remèdes. Le savoir médical neconcerne que les causes secondes de l’irruptionde la maladie, et se nourrit davantage du respectdes médecins de l’Antiquité et d’une conceptionnaturaliste de l’univers que de l’observationclinique. La théorie des humeurs faitcorrespondre aux quatre éléments quicomposent l’univers (l’eau, la terre, l’air, le feu)quatre liquides qui se trouvent dans le corpshumain (le sang sécrété par le cœur, la pituitesécrétée par le cerveau, la bile sécrétée par lefoie et l’atrabile sécrétée par la rate). Ceshumeurs sont en quantité et qualité normaleschez l’homme en bonne santé, mais deviennent« peccantes », c’est-à-dire qu’elles ont « de lamalignité ou l’abondance » chez le malade etque l’équilibre entre elles est altéré. Dans lecadre de cette théorie, deux grandes écoles

s’opposent sur le rôle du médecin : la médecineagissante et la médecine expectante (du latinexpectare, attendre). La première tente derétablir l’équilibre rompu entre les humeurs àl’aide de purges et saignées, la secondeconsidère que la nature est bien faite (NatureMedicatrix) et que le rôle du médecin est de lalaisser faire et de l’aider... avec les mêmesmoyens, mais plus discrètement que pour lestenants de la première école. Souventimpuissants à comprendre et à guérir, lesmédecins du XVIIIème siècle font preuve debeaucoup de fatalisme et alignent leur attitudesur celle de l’Église.

Le souffle du progrès

Pourtant, à partir de 1750, et sans que l’art deguérir ne fasse de progrès sensible, apparaît laconviction que les possibilités de la médecinesont infinies. C’est que, sous l’influence desphilosophes, l’optimisme des Lumières aconquis les esprits longtemps avant de modifierles pratiques. Passionné de biologie, Diderotassocie des médecins à l’écriture del’Encyclopédie (publiée de 1751 à 1766). Lesmédecins se mettent à rédiger des ouvrages tels quele célèbre Dictionnaire portatif de santé deVandermon-de (publié en 1759) ou L’avis aupeuple sur sa santé de Tissot (1761). Laconviction qui anime ces textes, c’est que biendes maux jugés inévitables jusque là ne le sontpas, que des règles d’hygiène et l’art de vivrepermettent de lutter contre la maladie et quel’homme acquerra toujours davantage depouvoir dans son combat contre la mort. Buffonparle de la vieillesse comme d’un « préjugé, uneidée contraire au bonheur de l’humanité » etCondorcet affirme que « la nature n’a mis aucunterme à nos espérances ».

Cet enthousiasme n’exclut pas la lucidité. LeChevalier de Jaucourt, élève du grand médecinhollandais Boerhaave, conclut l’articleMédecine de l’Encyclopédie par cetteréflexion : « Si l’on vient à peser mûrement lebien qu’ont procuré aux hommes, depuisl’origine de l’art jusqu’à ce jour, une poignéede vrais fils d’Esculape, et le mal que lamultitude immense de docteurs de cetteprofession a fait au genre humain dans cet

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espace de temps, on pensera sans doute qu’ilserait beaucoup plus avantageux qu’il n’y eûtjamais de médecins au monde ». Ce discoursne contredit pas la foi dans le progrès : leshommes des Lumières sont conscients deslimites, voire de la nocivité de l’art de guérirquand il est pratiqué par des inconscients bardésde faux principes, mais en même temps, ils sontpersuadés qu’une saine philosophie permettraà l’homme de faire les progrès nécessaires etqu’en attendant, la diffusion de simples mesuresde bon sens peut faire reculer la mort.

Le peuple entre religion et magie

Mais ces nobles idées n’atteignent pas le peuple.Le savoir populaire s’exprime au traversd’innombrables proverbes traitant des maladieset des attitudes à adopter. Certains thèmesdominent. Ils disent que la maladie est le fléausuprême, pire que la pauvreté (Santé vaut mieuxque richesse). Que pour la combattre, il vautmieux compter sur Dieu (la foi qui guérit), surses saints (Devant Saint Blaise, tout mals’apaise), sur les herbes des champs (L’herbede la véronique au médecin fait la nique) ousur soi-même (Bon médecin qui se guérit soi-même) que sur la médecine officielle et sesreprésentants (Dieu guérit et le médecinencaisse).

Les almanachs reflètent ce savoir populaire etvantent les recettes du peuple pour se guérirpar des moyens simples et à la portée de tous,des remèdes composés d’ingrédients communs(et même dégoûtants dit dom Alexandre, auteurde Médecine et Chirurgie des pauvres paru en1714), bien différents des remèdes appréciéspar les riches dans lesquels « il n’entre que desdrogues rares, venues des Indes et à grands frais,et dont très souvent l’effet le plus sensible estde vider leur bourse sans leur rendre la santé ».La cohérence de ce savoir populaire tient à uneinterprétation animiste du monde, qui allie lesdonnées du christianisme à des éléments pré-chrétiens et nie la frontière entre l’ordre naturelet le surnaturel : Dieu et Satan sont maîtres dela santé et de la maladie, qui est l’irruption dansle corps de forces néfastes surnaturelles. Ce

savoir complète en fait le discours du clergépar l’intervention d’un suppôt de Satan. Cetteconception, loin de déboucher sur le fatalisme,ne laisse pas les hommes désarmés devant lesforces mystérieuses qui les agressent. Leurspratiques mêlent médecine, christianisme etmagie : l’emploi des décoctions d’herbe va depair avec les prières, les pénitences et lesconjurations magiques. Si les armes naturellestelles que les plantes se révèlent insuffisantes,c’est que la maladie, divine ou diabolique, nepeut céder que grâce au pouvoir desthaumaturges ou des saints, à la foisintercesseurs auprès de Dieu et eux-mêmesfaiseurs de miracles.

Le fossé des vérités

Même quand il y a dissonance entre les troisdiscours (ecclésiastique, savant et populaire),ceux-ci se situent à l’intérieur d’une mêmeconception du monde que la pensée scientifiqueva jeter bas. Bientôt la médecine empirique etrationnelle rayera les « croyances » du discoursofficiel sur la maladie, reléguant les représen-tations anciennes dans les marges honteuses oùelles sédimenteront sans disparaître. Appuyéesur ses premières victoires pour promettre - etsouvent tenir - toujours davantage, elle élimine-ra son partenaire de toujours dans le combatcontre la maladie et la mort : la religion. Peu àpeu elle s’érigera en critère absolu, détentricede seule vérité, et créera le monde « tel qu’il est »sur les ruines du monde « tel qu’il est vécu ».

Il y a peu à regretter des temps obscurs où seulela soumission à un ordre médico-religieux auxfins parfois détournées consolait de l’impuis-sance devant le malheur. Mais il y a à regretterque les possibilités nouvelles, sous le couvertinattaquable de leur objectivité et de leur opéra-tionnalité, ont si bien envahi notre conscienceque nous en avons oublié de recréer un nouveaulien au monde et d’y faire place au sujet,particulièrement au sujet malade. C’est la fauteà Rousseau, c’est la faute à Voltaire ?

Pourquoi Dieu nous envoie-t-il des maladies␣?

Source principale : Françoise Lebrun. Voirbibliographie en fin de cahier.

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

Les croyances de santérelatives au cancer du sein

Nous présentons quelques résultats de l’étudeen les intégrant dans le modèle des croyancesrelatives à la santé (Health Belief Model). Cemodèle a été formulé, à l’origine, afind’expliquer pourquoi les gens acceptaient ourefusaient de passer un test de dépistage, c’est-à-dire un test destiné à des personnes qui neprésentent aucun symptôme. Les déterminantsqui entrent en jeu dans la décision d’agir sontla perception d’une menace pour la santé et lacroyance en l’efficacité de l’action àentreprendre pour réduire cette menace

● Perception des menaces : vulnérabilité etgravité

La perception d’une menace pour la santé estdéfinie par deux croyances spécifiques : d’unepart, l’individu peut se considérer commepotentiellement vulnérable à une maladie ;d’autre part, il peut percevoir des conséquencesnégatives, sévères ou dangereuses de cettemaladie.

Vulnérabilité

Environ la moitié des femmes préfère ne pas seprononcer quand au fait qu’elle puisse un jourêtre atteinte d’un cancer du sein. Parmi cellesqui émettent un avis, la majorité se sentvulnérable, mais 16 % pensent qu’elles ne lasont pas (soit 179 femmes). La vulnérabilité neressort donc pas de manière tranchée chez lamajorité des femmes.

Cette absence de sentiment de vulnérabilité estassociée d’une part à une désinformation, etd’autre part, à des comportements qui ne sesituent pas dans une démarche préventive (pasde consultation chez le gynécologue, pas demammographie).

Gravité

La majorité des femmes répondantes a parfoispeur du cancer du sein. Une proportion nonnégligeable a souvent ou très souvent peur(17 %). Environ la même proportion n’a jamaispeur ! Il semble ici un peu plus clair que lamajorité des femmes ressent la gravité desconséquences de la maladie.

Si dans la première question le sentiment devulnérabilité ne ressort pas de manière clairechez la majorité des femmes, il apparaîtcependant mieux lorsqu’on aborde le sentimentde peur face au cancer du sein. Cependant, uneproportion non négligeable des femmesinterrogées ne se sent pas concernée et n’a pas

Comportements et attentes des femmes de 50 à69 ans face au dépistage du cancer du sein

Extrait d’unarticle paru dans

le Bulletind’éducation dupatient, Vol 19,

n°2/2000.

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Une enquête sur les comportements enmatière de dépistage du cancer du seina été menée en 2000 par questionnairepostal auprès de quatre mille femmesde 50 à 69 ans en province de Namur(Belgique). Cette enquête s’estattachée, entre autres, à l’étude descroyances relatives au cancer du sein.Santé conjuguée vous en proposequelques extraits.

Parmi celles qui ne pensent pas pouvoir être atteintesd’un cancer du sein, on retrouve une sur-représenta-tion de femmes :• qui ne consultent pas régulièrement le gynécologue

(54 % contre 35 % parmi l’ensemble des femmesrépondantes) ;

• qui n’ont jamais peur du cancer du sein (18 %contre 14 % parmi les femmes répondantes) ;

• qui n’ont pas reçu d’information claire sur le cancerdu sein (36 % contre 26 % parmi les femmesrépondantes) ;

• qui n’ont jamais passé de mammographie (23 %contre 9 % parmi les femmes répondantes) ;

• qui ne sont pas informées correctement (intervalle,etc.).

Jean-LucCollignon,licencié en

éducation de lasanté, directeur

du Centred’éducation du

patient etNathalie Martin,

sociologue,chargée de

recherche auCentre

d’éducation dupatient.

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peur de la maladie. Cette absence de sentimentest associée au fait de ne pas consulterrégulièrement un gynécologue et au fait de nepas avoir passé de mammographie.

par une proportion de femmes beaucoup plusréduite (moins de 10 %) : à ce propos, c’est lemanque de délicatesse pendant l’examen quipose le plus de problème lors de l’accueil et dupassage de la mammographie (61 femmes).Enfin, la douleur intervient pour 7 % del’échantillon soit 97 femmes.

La majorité (80 %) des femmes répondantespensent que la mammographie est un examenfiable. Pourtant, un peu plus d’un tiers (36 %)estiment qu’un cancer peut se développer entredeux mammographies et 13 % qu’un cancerpeut ne pas être détecté lors de lamammographie. La perception de l’efficacitéde la mammographie semble positive. Parmiles répondantes, c’est le moyen le plus cité pouréviter le cancer du sein, la quasi-totalité desfemmes y voit au moins un avantage et presquela moitié ne lui associe aucune difficultéparticulière.

Déterminants des comportementsrelatifs au dépistage du cancer dusein

● La survenue d’un cancer

Cinq pour cent des femmes répondantes sontou ont été atteintes d’un cancer du sein. Douzepour cent des femmes répondantes ont, soit leurmère, soit leur sœur, qui est, ou a été atteinted’un cancer du sein.

On constate tout d’abord que la proximitéaffective avec quelqu’un ayant développé uncancer du sein augmente la perception devulnérabilité des femmes. Ces 145 femmespensent plus que les autres être susceptibles dedévelopper un cancer du sein un jour (le facteurde risque concernant l’hérédité est par ailleursidentifié par 75 % des femmes de l’échantillongénéral). Parallèlement, ces 145 femmes sedisent mieux informées et se sentent pluscapables d’éviter le cancer du sein, proba-blement en recourant régulièrement à lamammographie. En effet, elles sont plus enordre de date dans leur pratique du dépistageque les autres femmes en général. Enfin, quequelqu’un de leur entourage ait développé uncancer du sein est bien identifié comme

Comportements et attentes des femmes de 50 à 69 ansface au dépistage du cancer du sein

Parmi celles qui n’ont jamais peur, on trouve une sur-représentation de femmes :

• qui ne consultent pas régulièrement leur gynécologue(49 % contre 35 % parmi les femmes répondantes) ;

• qui ne pensent pas pouvoir être atteintes (18 % contre5 % parmi les femmes répondantes) ;

• qui ne souhaitent pas passer une mammographieactuellement, alors qu’elles n’en ont jamais passé(12 % contre 4 % parmi les femmes répondantes) ;

… et une sous-représentation de femmes qui comptentrepasser une mammographie (65 % contre 76 % parmiles femmes répondantes).

● Efficacité

La croyance en l’efficacité de l’action devantla menace est issue de l’évaluation desavantages et des désavantages associés àl’adoption des comportements préventifsrecommandés.

Parmi les femmes qui ont le sentiment depouvoir faire quelque chose pour éviter lecancer du sein, on cite d’abord le dépistage parmammographie.

Même si les femmes de l’échantillon ne sontpas toutes dans une démarche systématique dedépistage, on constate que la majorité desrépondantes perçoivent des avantages à lamammographie : être rassurée pour 61 % et,pour moins de la moitié, pouvoir mieux sesoigner (43 %), connaître la vérité (41 %) etpréserver sa santé (33 %). Seules huit femmesne perçoivent aucun avantage.

Quarante cinq pour cent des femmesrépondantes ne relèvent aucune difficulté quipourraient les empêcher de passer unemammographie. La difficulté évoquée le plussouvent, la négligence (22 %), ne peut êtreattribuée qu’aux femmes elles-mêmes. Lesfemmes citent ensuite la peur de savoir (11 %).Les aspects pratiques du dépistage (gêne,douleur, coût, temps, distance...) sont évoqués

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

l’événement déclencheur pour aller passer unemammographie.

● Cue to action

Le modèle prend en compte également desévénements déclenchant la décision d’adopterles comportements préventifs (cue to action),en l’occurrence, la décision de passer unemammographie de dépistage.

Les raisons pour lesquelles les femmes ontdécidé ou pourraient décider de passer unemammographie ont parfois une importancevariable suivant le statut de ces femmes auniveau du dépistage (voir tableau I).

Le rôle du gynécologue se révèle tout à faitprimordial, surtout lors des examens antérieurs.Il apparaît au long de la recherche que laconsultation régulière du gynécologue estassociée à différentes attitudes et comporte-ments préventifs. Dans ce cas-ci, nousconstatons son influence directe sur la décisionde passer une mammographie.

Ensuite, le médecin traitant a également un rôleimportant à jouer dans la décision d’aller passercet examen. Son rôle semble même devenir plusimportant que celui du gynécologue dans legroupe des femmes qui n’ont jamais passé demammographie et qui ne désire pas clairementen passer une. Parmi les femmes qui ont passéune mammographie parce que leur médecin

généraliste leur en avait fait la prescription, onretrouve une sur-représentation de femmesfaiblement scolarisées.Il faut noter que chez celles qui n’en ont jamaispassé, beaucoup (58 %) n’ont reçu aucuneproposition pour se rendre à ce dépistage, maisce n’est pas la seule explication. L’influencedes médecins semble moins forte chez lesfemmes qui ont déjà passé un examen et quin’en repasseraient pas.

Ce qui pourrait décider les femmes qui ne sontpas prêtes à (re)passer une mammographierelève de la perception d’une menace

Parmi celles dont la mère ou la sœur ont développéun cancer du sein (12 % soit 145 femmes), onretrouve une sur-représentation de femmes :

• qui pensent plutôt pouvoir être atteintes du cancerdu sein (23 % contre 12 % parmi les femmesrépondantes) ;

• qui ont le sentiment de pouvoir faire quelque chosepour éviter le cancer du sein (50 % contre 42 %parmi les femmes répondantes) ;

• qui ont reçu une information claire sur le cancer dusein (55 % contre 47 % parmi les femmesrépondantes) et sur la mammographie (63 % contre55 % parmi les femmes répondantes) ;

• qui ont passé une mammographie car quelqu’un deleur entourage a développé un cancer du sein(35 % contre 11 % parmi les femmes répondantes) ;

• qui sont en ordre de mammographie (1999) (55 %contre 43 % parmi les femmes répondantes).

Incitants à passer Nombre de femmes répondantes (%)une mammographiede dépistage Parmi celles qui n’en ont

jamais passé (N = 127)

Pour les mammographies Pour une Pour uneantérieures mammographie future mammographie(N = 1.153) (femmes qui n’en (femmes qui n’en

passeraient pas d’office) passeraient pas d’office)(N = 1.153) (N = 104)

Prudence NP 305 (26 %) 25 (24 %)Gynécologue 623 (45 %) 202 (18 %) 30 (29 %)Médecin traitant 284 (21 %) 140 (12 %) 53 (51 %)Problème au sein 231 (17 %) 209 (18 %) 87 (84 %)Cancer chez l’entourage 155 (11 %) NP NPRien NP NP NPUne campagne 100 (7 %) 23 (2 %) 12 (12 %)

Tableau I

Parmi celles qui en ont déjà passé une (N = 1.153)

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(prudence) pour un cinquième d’entre ellesenviron. Mais, ce qui frappe surtout, c’est quele facteur le plus important pour celles qui n’ontjamais passé de mammographie ne relève pasde la prévention ou du dépistage, mais de laprésence d’un problème au sein (grosseur,écoulement, douleur, etc.). Cet incitant estégalement présent chez les femmes qui ont déjàpassé une mammographie, mais de manièrerelativement moindre.

Comportements et attentes des femmes de 50 à 69 ansface au dépistage du cancer du sein

La survenue d’un cancer chez un procheconstitue un élément amenant un certainnombre de femmes à se faire dépister,confirmant en cela les résultats exposés plushaut. La proximité soudaine avec la maladiepeut faire prendre conscience de la vulnérabilitéde chacun et encourager un acte de dépistage.

Les autres événements sont choisis par unnombre moins important de femmes (<100) :campagne de prévention, influence del’entourage, lettre d’invitation.

● Health Locus of Control (lieu de maîtrisede la santé)

Le modèle des croyances de santé conçoit lesactions préventives des individus sous l’angleexclusif des croyances liées à la santé et à lamaladie, ce qui constitue une limitationimportante. Nous avons donc élargi les élémentspris en compte.Le lieu de maîtrise est une attente générale, quiintervient dans diverses situations et quiconcerne le niveau de maîtrise qu’une personnecroit avoir sur les événements qui la concernent.Le lieu de maîtrise peut être interne, externe ouExterne (Dieu ou « la chance ») selon quel’individu pense maîtriser la situation ou qu’ilconsidère que la situation est maîtrisée pard’autres personnes ou événements que lui, ouencore par Dieu ou « la chance » (voir tableau II).

Comme dans de nombreux cas, le Health Locusof Control n’est pas seulement interne (ouexterne). Les femmes expliquent leur état desanté à la fois par une responsabilité person-nelle, mais aussi par des facteurs externes(médecin, famille, entourage, aspects finan-

L’état de santé dépend... Nombre de répondantes (%) NR(N = 1.359)

De la manière dont je prends soin de moi 998 (90 %) 255De mon moral 977 (90 %) 273De ma constitution 921 (86 %) 285De mon âge 708 (67 %) 305Des médecins qui me soignent 602 (63 %) 407De la chance ou de la malchance 509 (54 %) 424De ma famille ou mon entourage 504 (55 %) 449De mes possibilités financières 370 (41 %) 460

Tableau II

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

ciers, etc.) et Externes (chance et malchance).Nous constatons que 87 % de l’échantillon(chiffres à relativiser car provenant d’unéchantillon « optimiste ») pense avoir uneinfluence sur sa santé future et donc se situedans une démarche active. S’impliquer pourrester en bonne santé correspond à la démarchepréventive et donc à la pratique d’examens dedépistage comme la mammographie. Onremarque d’ailleurs qu’une attitude moinsactive vis-à-vis de la santé s’associe àdifférentes caractéristiques (moins scolarisées,moins informées) et comportements (moins deconsultations).

Connaissances pratiques parrapport au dépistage

Il ne suffit pas d’être motivé et d’avoirl’intention d’entreprendre le dépistage pourautant adopter les comportements adéquats. Ilest nécessaire de disposer d’un minimumd’informations et de connaissances pratiquesconcernant celui-ci et notamment : à quis’adresse-t-il ? A quelle fréquence faut-ill’adopter ?

Le programme « Europe contre le cancer »recommande que le dépistage soit effectué chezles femmes de 50 à 69 ans. On constate uneconfusion chez les particuliers (mais dans lespratiques médicales également). Seul un tiers(30 %) des femmes connaît l’âge à partir duquelle dépistage est recommandé. Plus de la moitié(52 %) pensent que c’est dès avant 50 ans. Cecipourrait amener une population plus importantede femmes à recourir à la mammographie dedépistage, avec les inconvénients connus liés àcette pratique chez les femmes en dessous de50 ans. C’est peu étant donné le biais lié auxrépondantes.Globalement les femmes plus jeunes et plusscolarisées sont mieux informées que lesfemmes âgées et faiblement scolarisées.L’intervalle entre deux mammographies,recommandé par le programme « Europe contrele cancer », est de deux ou trois ans. La moitiéseulement (54 %) de l’échantillon donne uneréponse correcte à cette question. Cetteinformation est essentielle puisqu’elle concernela fréquence du comportement que les femmes

Parmi les femmes qui ne pensent pas avoir une influencesur leur santé future, on retrouve une sur-représentationde femmes :

• faiblement scolarisées (71 % contre 57 % parmi lesfemmes répondantes) ;

• qui ne consultent pas un gynécologue régulièrement(48 % contre 35 % parmi les femmes répondante) ;

• qui ne pensent pas pouvoir éviter le cancer du sein(44 % contre 25 % parmi les femmes répondantes) ;

• qui disent ne pas avoir reçu une information claire surle cancer du sein (27 % contre 19 % parmi les femmesrépondantes).

Le sentiment de pouvoir faire quelque chosepour éviter le cancer du sein est partagé par45 % (567) femmes répondantes ; 27 % (342)pensent ne rien pouvoir faire et le mêmepourcentage (339) n’arrive pas à se situer.Celles qui pensent pouvoir agir citent d’abordla mammographie mais parlent également devie et de nourriture saines et dans une moindremesure de l’autopalpation et d’éviter letabagisme.

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doivent adopter. On constate ici que l’intervalleentre deux mammographies est loin d’êtreconnu.

On sait que connaître le bon comportement nesuffit pas pour l’adopter. Lorsque, mêmethéoriquement, les faits importants ne sont pasconnus de la moitié du public concerné,l’adoption du comportement adéquat nécessiteprobablement encore beaucoup de démarches,d’attention et d’efforts.

Information

Moins des deux tiers (61 %) des répondantesestime avoir reçu une information claire sur lamammographie et 17 % n’a pas reçu du toutd’information.L’information sur la mammographie provientsurtout du médecin généraliste (29 %) et dugynécologue (28 %).

On constate que les personnes non informéessur la mammographie passent moins demammographies que les autres. Les personnesmoins bien informées sont également plusfaiblement scolarisées.

Conclusions

Parmi les femmes répondantes, certains facteurspeuvent entrer en compte dans l’explication despratiques de dépistage du cancer du sein chezles femmes de 50 à 69 ans. Il ressort que certainssemblent plutôt favorables alors que d’autresrisquent de constituer des freins importants.

Ainsi, la perception de gravité du cancer du seinest bien présente chez les répondantes alors quela croyance en la vulnérabilité ressort moinsclairement.Les femmes répondantes pensent pour la grandemajorité que la santé dépend au moins en partiede la manière dont elles prennent soins d’elles-mêmes. La perception d’efficacité de lamammographie est également bien présente. Onretiendra également que les deux élémentsdéclencheurs les plus importants sont desinvitations du gynécologue et du médecintraitant à passer une mammographie.

Cependant, on constate que des éléments deconnaissance pratiques comme l’âge desfemmes concernées et l’intervalle entre deuxmammographies sont mal connus de cesfemmes. Moins de deux tiers des femmesrépondantes ont reçu une information claire,celle-ci provient principalement des médecinsgénéralistes et des gynécologues.

Lorsque nous nous attardons sur le fait d’avoirou non passé une mammographie, on observeque parmi celles qui en ont déjà passé une, uncertain nombre ne se situe pas dans unedémarche systématique de dépistage du cancerdu sein mais dans un acte ponctuel lié à descirconstances particulières. Elles sontglobalement moins bien informées, moins biensuivies médicalement et se sentent moinsvulnérables que celles qui comptent repasserune mammographie.

Si les femmes qui n’ont jamais passé demammographie constituent la partie la plusfaible de notre échantillon, elle n’en est pasmoins celle qui doit le plus retenir notreattention. Parmi les raisons justifiant leur non-participation, nous observons certainescroyances relatives à l’efficacité del’autopalpation, le sentiment de non-

Comportements et attentes des femmes de 50 à 69 ansface au dépistage du cancer du sein

Parmi celles qui n’ont pas reçu d’information surla mammographie, on retrouve une sur-représentation de femmes :

• faiblement scolarisées (69 % contre 57 % parmiles femmes répondantes) ;

• qui n’ont jamais passé de mammographie(19 % contre 9 % parmi les femmes rrépondantes) ;

• qui n’ont pas reçu d’information sur le cancerdu sein ;

• qui ne savent pas quel est l’intervallerecommandé entre deux mammographies (13 %contre 7 % parmi les femmes répondantes) ;

• qui ne savent pas quels sont les traitements(13 % contre 6 % parmi les femmesrépondantes) ;

• qui ne savent pas si elles peuvent éviter le cancer(39 % contre 25 % parmi les femmesrépondantes) ;

• qui ne savent pas s’il est possible qu’elles soientelles- mêmes atteintes (60 % contre 46 % parmiles femmes répondantes).

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

vulnérabilité, la non-perception des avantagesde cet examen et au contraire, la peur desexamens, des résultats et des traitements. Onobserve aussi l’absence d’incitants queconstitue la proposition du médecin de passerune mammographie. Enfin, ces femmes sontmoins informées que l’ensemble desrépondantes, elles sont moins bien suiviesmédicalement et semblent issues d’un milieumoins favorisé.

Le taux satisfaisant de retour de notre enquête(34 %) ne doit pas occulter la présence d’unbiais important : ce sont les femmes sensibili-sées à la problématique et qui s’inscrivent dansune démarche de dépistage qui répondent leplus. Il suffit pour s’en convaincre de se référeraux enquêtes moins biaisées qui estiment destaux de participation au dépistage chez nous à42 % (CROSP*, 1997).

Pour être efficaces, les campagnes de dépistageorganisées doivent non seulement répondre àun certain nombre de critères de qualité(assurance de qualité) mais la participation desfemmes doit atteindre 60 % du public cible. Desstratégies de sensibilisation, d’information,d’éducation, doivent donc être mises sur piedet tenir compte de données permettant decomprendre le comportement des femmes encette matière.Cette recherche met en avant des difficultésrelatives aux croyances en la vulnérabilité faceau cancer du sein, en l’efficacité del’autopalpation, aux désavantages (peurs, etc.),au manque de connaissances pratiques (âge,intervalle, etc.) au manque d’information claireliées au dépistage… Ces différents élémentspeuvent constituer des freins importants et sontcertainement plus fréquents dans la populationgénérale que parmi les répondantes del’enquête.

Les stratégies éducatives devront inclure laparticipation des médecins gynécologues etgénéralistes qui constituent des intervenantspouvant apporter des informations aux femmes,participer au processus éducatif et influencerfortement leur comportement de dépistage ducancer du sein.

Ces éléments ne constituent que quelques pistesde réflexion qui doivent être affinées afin

d’aider les prises de décision pour la mise surpied des futures campagnes. Ils sont d’autantplus importants que la littérature relative auxcampagnes menées dans différents pays sontpeu explicites quant aux stratégies, moyens etobjectifs éducatifs.

Le travail dont est tiré cet article présentequelques résultats préliminaires d’unerecherche menée en collaboration entre laprovince de Namur et le département deChampagne-Ardenne français. Ce projet a reçule soutien des Communautés européennes et dela Communauté française de Belgique dans lecadre du projet Interreg II Axe 1 Mesure 4. Cetterecherche vise à améliorer le dépistage parmammographie du cancer du sein chez lesfemmes de 50 à 69 ans.

*CROSP =Centre derecherche

opérationel ensanté publique.

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Consultations du docteur A.

Le docteur A. fait une investigation de la plaintesur un plan personnel, il fait le lien entreproblèmes physiques et problèmes d’ordreprivé, ainsi que le montre ce dialogue avec unpatient.

Docteur : Vous avez quel âge ?Homme : 48 ans.D : Qu’est-ce qui vous amène chez moi ?H: Ben, en fait, ce qui m’amène chez vous,c’est une douleur dans la poitrine et une fatigue,

je vais dire, inhabituelle.D : Depuis combien de temps ?H: J’avais fait une dépression et depuis unedizaine de jours que j’ai repris le travail, je quittemon travail, je rentre à la maison, je donne àmanger à mes animaux, je m’endors et je meréveille juste pour retourner à mon travail. Jedois dormir dix à douze heures par jour et jeme réveille fatigué.D : Oui…H: Je me réveille pratiquement en dormantD : Et c’est venu brutalement ou c’est venuprogressivement ?H: Ça a été frappant à partir du moment oùj’ai repris mon travail quoi, j’ai été six mois encongé de maladie.D : Oui…H: Et j’ai voulu reprendre le travail maisapparemment…D: D’accord.H : C’est difficile à expliquer parce que jem’attendais à être fatigué mais pas à ce pointlà.D : Quel est votre travail monsieur ?H: Employé dans un dispatching taxi,téléphoniste quoi !D : C’est très stressant ?H: Euh, oui quand même.D: L’ambiance de travail est bonne ?H: Entre collègues ça va, mais entre ladirection et nous c’est plutôt tendu. Je peuxparler de harcèlement socio-économique quoi.D : Ah, à ce point là ?H: Oui, oui… Je suis d’ailleurs en période depréavis, uniquement pour des raisonséconomiques mais inavouables.D : Vous fumez ?H: Oui.D : Beaucoup ?H: Vingt, vingt cinq cigarettes par jour.D : Et vous fumez autre chose que du tabac ?Haschisch, cocaïne, héroïne…H: Non, non.D : Excusez moi de vous poser ces questions…H: Non, je comprends.D : Point de vue alcool, vous buvez beaucoup ?H: Oh, une demi à une bouteille de vin parjour.D : Vous prenez des médicaments ?H: Du Cipramil® et du Mopsoralen®.

Traduction ou interprétation dans larelation médecin-malade

Julie Morel,anthropologue.

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○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

Lors d’une étude réalisée sur « lesusages des représentations du corps etde l’esprit dans les réponses médicalesà la plainte », j’ai interrogé deuxmédecins internistes d’un grand hôpitalbruxellois, assisté à leurs consultationset interrogé leur patientèle. Ceci pourrépondre à plusieurs questions : quelssont les moyens utilisés dans laconsultation ? Le médecin fait-il unetraduction ou une interprétation de laplainte ? Qu’est-ce qui est importantdans une consultation, qu’est-ce qui estmis en avant ? Nous arrivons à desréponses, des représentations et à uneinterprétation de la maladie trèsdifférentes malgré le fait que ces deuxmédecins proviennent du même serviced’un même hôpital.

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D: D’accord, vous avez eu d’autres maladiesdans votre vie ? La tuberculose ?H : Non, mon père a eu la tuberculose.D : D’accord.H : Moi, personnellement des maladies… àpart deux, trois bleus dans ma vie… J’étaismarin moi ! Non, je ne me souviens pas… Ahoui, un ulcère à l’estomac en 93… Faut pas quej’oublie.D : Quand est-ce que vous avez cessé d’êtremarin ?H: En 80.D : Et c’était sur des lignes internationalesou… ?H: Oui, enfin c’était des longues lignes… ducommerce quoi !D : Vous êtes marié ? Vous avez des enfants ?H: Non.D : Vous vivez seul ?H: Oui.D : Est-ce que vous toussez monsieur ?H: Non.D : Vous n’avez jamais craché de sang ?H: Non.D : Est-ce que vous êtes très vite essoufflé ?H: Oui, je peux dire que oui.

L’investigation de la plainte porte sur le planphysique : lieu de la douleur, sa nature, sesconséquences, traitement en cours… Mais ellene se limite pas à cela, le médecin demande aupatient des informations quant à sa situationfamiliale, son travail, son rythme et seshabitudes de vie. Il permet au patient de dires’il vit quelque chose de difficile qui pourraitentrer en compte dans sa maladie. Sa manièred’écouter permet aussi au patient de parler dece qui le préoccupe. Il l’encourage par des « oui »,« d’accord », montrant son attention et sapréoccupation. On pourrait qualifier son écoutedu patient comme appuyée et empathique.

Le docteur A. fait une interprétation de la plaintedu patient dans le sens où il doit mettre les motsdu patient en rapport avec sa connaissancemédicale pour faire un diagnostic. Cependant,il ne reprend pas les termes du patient dans unautre type de discours. On peut dire qu’il y ainterprétation mais non-traduction. Le discoursdu patient lui reste propre et intact.

Le médecin nous dit : « Je me suis déjà renducompte que je parlais des langues différentes etje pense que j’ai des accents différents avec desgens différents. J’essaye d’être une personnedifférente avec des patients différents pouressayer d’être dans le même registre que lepatient ». Cette idée nous paraît essentielle pourqu’une communication et une compréhensions’établissent dans la relation.

Pour les patients, plusieurs points sontimportants dans une consultation, principale-ment : les prescriptions du médecin (« je doisfaire un examen pour mon cœur »), lesoulagement de savoir qu’ils n’ont pas ce qu’ilscroyaient avoir (« je suis soulagé, je croyaisavoir encore un ulcère ») ou le soulagementd’enfin savoir ce qu’ils ont et d’avoir reçu untraitement (« maintenant que je sais ce que j’ai etce que je dois prendre, je suis moins angoissé »).

Beaucoup de patients m’ont dit combien lesexplications du médecin étaient importantes :« Il explique bien, il est simple dans sesexplications parce que moi je ne comprends rienau jargon médical », « il est franc, simple, facileà comprendre, on peut lui parler et lui faireconfiance », « il est très bien, il explique… ».

Les patients ont tous l’impression d’avoir euassez de temps pour parler de ce qui lespréoccupe, et d’avoir reçu les explicationsnécessaires à la compréhension médicale de leurmal. Le médecin prend le temps de donner desexplications simples et claires en s’aidant depetits dessins si besoin est.

A la question de ce qui est important dans uneconsultation, le docteur A. répond :« La première chose qui m’est venue à l’espritc’est le sourire, la seconde c’est le regard...Sinon, il y a une notion que j’aime beaucoupqui est la notion d’aventure : on sait d’où onpart mais on ne sait jamais où on va arriver, onne sait pas ce que l’on va trouver… parfois onne trouve pas d’ailleurs… parfois y’a rien àtrouver ».

Ce médecin donne la priorité à la relationhumaine dans sa consultation. Il nous dit

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d’ailleurs avoir choisi la médecine « pourcomprendre l’homme... Ce qui me saute auxyeux, c’est très compliqué, c’est unecombinaison d’intonation dans la voix et demimiques au moment où il parle ».

il n’a plus jamais eu mal au ventre. Il avait dûpercevoir, en lisant les journaux ou en écoutantla télévision, qu’il avait franchi un interdit. Etc’était peut-être ça l’origine de ses douleursabdominales ».

Ce médecin ne fait pas appel uniquement à sesconnaissances médicales mais aussi à sesqualités humaines qui lui procurent une écouteattentive, de la compassion, de l’intérêt pourl’autre… Il y a une place pour la psycho-somatique dans sa consultation : la divisionentre le corps et l’esprit, le physique et le mentaln’est pas tranchée.

Ce médecin nous expliquera : « il fautcommencer par laisser parler le patient mais àun moment, il faut se mettre à dirigerl’interrogatoire parce qu’il y a des choses dontle patient ne sait pas qu’elles peuvent avoir unesignification ». A ce sujet, un patient nous dit :« il est très attentif, prend bien son temps etpose les bonnes questions… c’est importantparce que souvent, quand je sors de chez lemédecin, je me dis ‘oh, j’ai oublié de demanderça’ tandis qu’ici, j’ai beaucoup parlé et lesquestions qu’il m’a posées m’ont faitréfléchir ».

Le patient dans sa globalité semble ici avoir laplace principale dans la consultation. Lacommunication se base sur les problèmesmédicaux autant que les sensations, lesémotions du patient. Le médecin amène à unecommunication ouverte et permet au patientd’exprimer librement sa plainte et ce qu’ilressent. Se sentir écouté permet au patient de« s’épanouir » dans la consultation et de ne passe sentir « diminué » dans la relation aumédecin.

Pour le médecin, les qualités importantes danssa profession sont : « la souplesse etl’adaptabilité. La rigidité est extrêmementtoxique dans notre métier. Il faut pouvoirs’adapter et négocier avec le patient ». Cettevision des choses permet au patient de se sentirreconnu dans sa plainte et dans sa souffrance.Le médecin s’adapte à la manière de parler etde voir de son patient, il reste dans le registrede celui-ci, ne lui faisant pas sentir « qu’il nesait rien et que moi médecin, je connais toutesles réponses » comme le stéréotype du médecin

Traduction ou interprétation dans la relation médecin-malade

A ce sujet, il nous relate cette histoire :« Un jour, je reçois un homme de 28 ans quiavait des crampes dans le ventre. J’ai l’habituded’interroger mes nouveaux patients sur leursantécédents, leurs habitudes de vie, etc., et doncje lui demande s’il a une petite amie. Il me dit‘oui, j’ai une petite amie’ et je lui dis ‘tiens,vous accentuez le petite’. ‘Mais, il me dit, ellea 11 ans’. Et bien voilà, j’ai tiqué sur uneintonation un tout petit peu différente et peutêtre une mimique un petit peu particulière.C’était à l’époque d’un procès de pédophilie etje pense que cet homme… je ne pense pas quec’était un pervers, je pense qu’il se concevaitlui-même comme appartenant au monde del’enfance. Et bien, on a du gérer ça avec unpédopsychiatre et toute une série de choses, et

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d’hôpital le fait trop souvent penser. Le patientpeut avoir le sentiment d’être traité en tant quesujet de la maladie et non comme objet.

Certains patients arrivent avec l’idée qu’ilsparticipent à leur guérison. D’autres s’enremettent complètement au système médicalscientifique et ne conçoivent pas qu’ils soientpour quelque chose dans leur maladie. Certainsne cherchent pas à comprendre le pourquoi dece qui leur arrive. Donc, selon le type defonctionnement du patient, sa vision de lamaladie, il prendra une place active ou passivedans la consultation. Chez ce médecin-ci, lepatient a la possibilité de prendre cette place,c’est une porte que le médecin laisse ouverte etque le patient a le choix d’emprunter ou pas.

Il me semble pertinent d’ajouter ce que cemédecin exprimait quant à sa formation : « J’aicommencé à travailler à l’Institut Bordet.C’était dur psychologiquement mais passion-nant. Les patients étaient des gens jeunes quiavaient une maladie grave, qui le savaient, quise battaient contre elle, avec nous, et on avaitdes contacts passionnants avec ces patients.Mais je n’ai jamais eu de formation à l’écoute,ni au contact avec le malade. On apprend sur letas, en stage, en regardant les autres ».

Confronté, au début de sa carrière, à dessituations difficiles, il n’a pas « appris » à faireface à cela. La formation du médecin à l’humaindépend donc des situations qu’il a vécues maissurtout de sa sensibilité, de sa compassion, deson intérêt envers les autres.

Consultations du docteur B.

La consultation du docteur B. est en grandepartie axée sur le traitement de patientsdiabétiques. Il s’agit d’accompagner le patientdans sa prise en charge de sa maladie et non derechercher ou d’apporter une solution en termede diagnostic, puisque celui-ci est déjà posé.

La plainte n’est pas exprimée par les patientsdiabétiques. Le médecin les connaissant bien,il sait ce qu’il en est de leur situation. Ilsn’exposent pas une plainte mais des résultatsd’analyse. On peut cependant dire, même pour

les patients non diabétiques, qu’il n’y a pas deplace pour la plainte. Plusieurs exemples nousmontrent que le médecin ne laisse parler lespatients que très peu et a tendance à lesinterrompre rapidement.

Docteur : C’est la première fois que vous venezchez moi ?Patiente : Oui.D : Alors, votre dossier… vous n’êtes plusvenue depuis 96, donc il y a quatre ans que vousn’êtes plus venue ici ?P : Oui.D : Bon, alors, expliquez-moi un petit peu,pourquoi vous êtes venue ?P : J’ai des crises de nerfs comme ça et ledocteur à côté m’a dit qu’il faut que j’aille…D: Mais qui vous soigne pour le diabètemaintenant ?P : Personne, je suis arrivée chez legynécologue pour une opération et il m’a dit…D: Mais qu’est-ce que vous prenez commemédicament pour le diabète ?P : Oh, j’ai oublié de les prendre avec !D : Parce que normalement, en 96, vouspreniez du Glucophage®.P : Oui.D : C’est toujours ça que vous prenez ? TroisGlucophage® ?P : Oui.D : Et qui vous prescrit cela ?P : Le docteur en face.D : Le gynécologue prescrit le Glucophage® ?P : Oui.D : Et c’est lui qui suit le diabète ?P : Non, c’est personne.D : Oh, personne ne s’occupe du diabète ! Bon,ben alors on va un peu remettre les choses enroute…P : J’ai été chez mon gynécologue, d’abord ilm’a donné des prises de sang et il a trouvé quej’ai beaucoup de sucre et que j’ai maigri…D: Combien est-ce que vous aviez de sucre ?P : Je ne sais pas.D : Ok, on va un petit peu voir combien vousaviez. Je vais voir si on ne peut pas avoir ledossier d’en face. (Il sort de son cabinet et vachercher son dossier chez le gynécologue quiconsulte en face. En revenant, il ouvre le dossieret s’exclame…) 398 ! Madame S. va un peus’occuper de vous alors.P : Combien ?D: Oui, presque 400, je vais demander à

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l’infirmière de s’occuper de vous et on va voirce qu’on va faire… c’est énorme… vous pesezcombien ?P : 54 kilos.D : Donc elle pèse 54 kilos (en notant dans sondossier) et quelle taille ?P : Un mètre cinquante trois je crois…D: Et vous prenez toujours le Glucophage® ?P : Oui.D : On va voir combien vous avez de glycémieet puis on va voir s’il ne faut pas vous garderaussi.P : Me garder ! c’est pas possible… Je n’ai rienavec moi et mon boulot…D: On va voir avec Madame S.(Le médecin sort de la pièce et va voirl’infirmière pour exposer le cas de la patiente.Pendant ce temps là, la patiente me dit « dites,c’est quand même pas possible, ils ne vont pasme garder, moi, il faut que je m’organise…Ohnon, dites », visiblement angoissée de cetteéventualité. Le médecin revient avec MadameS.).D : Vous allez avec l’infirmière qui va faire unbilan et puis on verra.La patiente suit l’infirmière et la consultationen reste là.

On remarque que la patiente n’a pas eubeaucoup l’occasion de s’exprimer, étantcoupée par le médecin au milieu de ses phrases,ni de poser des questions malgré l’angoisseressentie à l’annonce de son état. Sa premièreplainte (« j’ai des crises de nerfs ») ne semblepas avoir été entendue. Le médecin B. ne faitpas d’investigation autre que physique, lesquestions qu’il pose concernent uniquementl’état physique de la personne.

Pour le docteur B., l’important se mesure enterme de « stratégie », d’« objectif à atteindre »…Il nous dit : « Pour chaque consultation, il y aun objectif qui est soit une modification detraitement, soit éducationnel. On demande unecoopération du patient à domicile et donc, danschaque consultation, il doit y avoir un pas enavant. Il faut si possible que la consultation aitservi à quelque chose… et la consultation aservi à quelque chose si soit on a modifié lastratégie de traitement, donc, un changementde stratégie qui vise évidemment la bonne santépour être très global, mais un autre objectifpourrait être simplement une amélioration de

la prise en charge du patient, de sa maladiechronique par lui-même. Il faut donc qu’à lafin de la consultation il y ait une avancée, soitque moi j’ai proposé quelque chose, soit que lepatient propose quelque chose, soit qu’il aitcompris ce que je lui ai enseigné. Bon, pour lesautres consultations, c’est très général : onavance dans le diagnostic, ou on avance dansle traitement. Pour le diabète, il y a un trajet,un parcours dans la prise en charge du patientet dans l’amélioration de la coopération, dansl’éducation. Il y a un message éducatif qui estpris en charge par moi ou l’infirmière ».

Dans ce que dit ce médecin, nous voyons cequ’il veut faire passer au patient. Premièrement,l’accent est mis sur le fait que médecin et patienttravaillent à deux à l’amélioration desconditions du patient. Deuxièmement, il n’y apas de guérison mais un apprentissage de la vieavec la maladie. Ceci entraîne une coopérationà long terme entre le médecin et le patient durantlaquelle ils mettront au point une « stratégie »de traitement sans cesse réévaluée. Le médecindemande par exemple, à l’arrivée du patient,« A votre avis ? Quelles sont les prévisions ?On est dans le mieux ou dans le moins bien ? ».Troisièmement, la consultation a pour but defaire passer un message éducatif, c’est-à-direque le médecin va intervenir dans la vie de tousles jours du patient en lui disant quel mode devie il devrait adopter.

Ce message éducatif peut être ressenti commemoralisateur : « Bien, alors, c’est pas brillant,brillant, hein… donc régime, régime… vousavez déjà quatre médicaments alors… », « Bon,discrète amélioration, je peux pas dire autrechose… c’est mieux mais c’est pas encore ça,il faut être au moins en dessous de sept. Et votrebilan lipidique, y’a vraiment trop de graisse, çaveut dire que vous n’avez pas suivi la feuillede régime… ». « Le fait que votre poids restestable avec une glycémie qui s’améliore indiquequand même qu’il y a un effort de votre part ! ».Le discours du médecin est éducatif mais aussiassez directif et proche du jugement.

Pour faire le bilan de la situation etéventuellement changer de stratégie, le médecinse base sur les feuilles d’analyses du patient etopte pour un discours très technique : « Donc,vous avez 8.8 au lieu de 9.9, vous avez donc

Traduction ou interprétation dans la relation médecin-malade

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perdu ou gagné un point de moins », « On vaadapter les taux d’insuline, c’est-à-dire qu’onva monter l’Insulatard®, « Alors la glycémieest de 243, hémoglobine 9.3, le poids aaugmenté de cinq kilos… ».

La consultation diabétique se doit d’évaluerl’évolution de la prise en charge de la maladiepar le patient, néanmoins, il nous sembleimportant, étant donné que le patient vit avecsa maladie, que le patient se sente écouté, dansun climat de confiance et de possibilité des’exprimer sur les difficultés rencontrées. Or,il est rare dans les consultations observées quedes considérations plus humaines entrent en jeuet quand cela arrive, c’est le patient qui en parleen premier. L’unique exemple est celui d’unmonsieur d’âge mûr dont « les moyennes sontmoins bonnes » :

Patient : Le stress ne peut pas jouer parce quepersonnellement j’ai des histoires de famille là ?Docteur : Ce n’est pas un facteur prédominantmais ça peut.P : Le stress est quotidien avec ma femme…D: Raison de plus.P : Oui mais c’est pire qu’avant, elle ne veutplus me parler, elle ne dit rien.D : Il faut qu’elle essaye de parler.P : Oui mais je ne peux pas la forcer.D : Vous n’avez aucune emprise ?P : Rien. Je vais aller chez le docteur C., elleaime parler avec elle, elle a une influence surelle, je ne sais pas…D: Bon, on va voir la suite, notre rôle est derester en dessous de sept.

Ces considérations personnelles importantespour le patient et jouant sur son moral n’ontpris qu’une petite place dans la consultation etont vite été remplacées par un retour à lastratégie de mise au point. Le patient a comprisqu’il n’aurait pas plus d’attention de la part dumédecin : « C’est un bon médecin mais il estfort pressé, on n’a pas beaucoup le temps deparler mais bon, c’est pas trop le but, hein ! ».Pour le patient, il est normal de ne pas parlerde soi dans une consultation. D’une certainemanière, il a assimilé que la médecine se doitd’être scientifique et que le médecin fait bienson travail en ne s’intéressant qu’aux causesobjectives et physiques de la maladie.

La place du patient est active dans le sens où ildoit participer, coopérer, faire un effort pour queson état s’améliore. En même temps, lors de laconsultation il est passif pendant que le médecinénonce une série de moyennes reflétant son état.La communication est superficielle et abstraitepuisqu’elle se base sur des colonnes de chiffreset que la parole du patient est peu écoutée. Dèsque, dans ses propos, le patient s’éloigne de lasituation médicale étudiée, le médecin revientsur le sujet en coupant sa parole.

Le docteur dit à un patient : « Je voudrais bienque vous alliez chez ce médecin pour qu’il fasseun peu la synthèse, parce que le résultat de cettedernière piqûre, je ne l’ai pas, ça, c’est lui quil’a. Donc, c’est pas tout à fait résolu et il devraitretourner. Alors maintenant, les autresproblèmes me paraissent un peu accessoiresmais je vais quand même écouter…(soupir) ».

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Les autres problèmes étant une perte d’appétit,des insomnies, la tête qui tourne, mal partout.Le fait qu’il considère ces problèmes (premièresplaintes du patient qui n’ont pas étéapprofondies lors de la consultation) comme« accessoires » renvoie déjà à un jugement devaleur sans même essayer de comprendre oud’approfondir la plainte. Dans les consultationsdu docteur B., il n’y a finalement que très peude place pour la parole du patient et donc pourle patient.

Conclusions

Notre enquête en hôpital montre deux manièresde gérer la pratique selon les expériences queces médecins ont eues durant leur carrière, selonleur vision personnelle de la maladie (la manièredont ils ont été éduqués, leur propre expériencede la douleur, leur histoire sont des critères dedifférences) mais aussi leur personnalité, leurcaractère (capacité à compatir, à écouter,sociabilité, adaptabilité…). On se trouve faceà deux manières d’exercer la médecinetotalement différentes même si la formation etle milieu de travail sont semblables. Cela a desconséquences sur la manière dont les patientsvivent leur souffrance et gèrent leur maladie.

L’un se permet de s’écarter des schémashabituels de la science médicale pour percevoirson patient dans sa globalité, il prend du tempspour se préoccuper de sa situation personnelle,familiale ou professionnelle. Cela lui permetd’avoir accès à des données importantespouvant faciliter la prise en charge du patient.C’est également un moyen de se rendre comptes’il ne serait pas utile de proposer unealternative, qu’il n’est peut être pas utile detraiter sa souffrance de manière médicale.

L’autre éprouve des difficultés à sortir dudomaine strictement médical, non pasprobablement qu’il soit insensible à la douleurdes gens mais peut-être qu’il n’en a pas lesmoyens, se sent mal à l’aise vis-à-vis de quelquechose qu’il ne maîtrise pas ou qu’il pense nepas être de son ressort. En appliquant à la lettrece qu’il a appris, il pourra soigner les gens et

Traduction ou interprétation dans la relation médecin-malade

leur donner des informations correctes mais ilne pourra pas les soulager des questions qu’ilsse posent, il ne leur permettra pas de relier leurexpérience de la maladie à leur vie de tous lesjours.

Les patients semblent avoir assimilé lamédecine en tant que science, c’est-à-dire entant qu’outil rationnel et efficace. Ils exprimentun contentement quand on leur propose unedimension en plus mais ne se plaignent pas d’unmanque si celle-ci ne leur est pas proposée.

Les représentations du corps et de l’esprit sontthéoriquement et généralement dissociées enmédecine occidentale, autant pour les patientsque pour les médecins, mais pratiquement celadépend énormément du médecin en face duquelon se trouve. Les médecins ne sont pas formésà une prise en charge du malade ni à une écoutefavorisant la compréhension de la personne. Ilssont laissés à eux-mêmes dans cette difficilerelation. Il semble donc important qu’uneformation se mette en place à ce sujet et qu’uneaide leur soit proposée par l’intermédiaired’équipes pluridisciplinaires par exemple.

De plus en plus de médecins se rendent comptede l’importance de l’écoute du patient mais dansla pratique, il faut pouvoir disposer des moyenspour la mettre en place. Le risque est de passerà côté d’éléments importants permettant aupatient d’aller mieux, d’engager celui-ci dansune recherche physique de sa douleur qui n’estpeut-être pas utile alors qu’une compréhensionde son fonctionnement psychique, familial ousocial pourrait le soulager et l’empêcher de« tomber » dans la maladie à chaquedifficulté. ●

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Flux…

Le numéro 1 de Psychosomatic Medecine,publié en 1939, définissait la médecinepsychosomatique comme l’étude des relationsentre vie émotionnelle et processus corporels.Dans les années 50, le concept se rétrécit et onréserva le terme psychosomatique aux maladiesspécifiquement causées par des processusmentaux. On y rangea l’asthme, l’hypertension,la recto-colite (maladie altérant les parois del’intestin) et d’autres maladies chroniques auxcauses à l’époque inconnues.

Le prestige de la psychanalyse n’était pasétranger à l’émergence de la médecine« psychosomatique », en réaction contre lecaractère réducteur des hypothèses mécanistesqui monopolisaient jusque là la parole sur lamaladie.

L’analyste freudien Franz Alexander proposaun modèle explicatif des phénomènespsychosomatiques qui emporta l’adhésion denombreux médecins : un trouble émotionnelchronique provoque un trouble fonctionnel(sans lésion matérielle) d’un organe végétatif ;ensuite le trouble fonctionnel entraîne desmodifications des tissus et une maladieorganique. Sur cette base, Alexander élaborades théories déterministes permettant de prédirechez qui et comment une maladie particulièreallait se manifester.La tentation était grande d’attribuer une valeursymbolique aux symptômes des maladiespsychosomatiques. Ainsi Alexander supposaque la diarrhée des patients atteints de recto-colite se substituait à l’accomplissement réeld’un acte refoulé. Mais sa théorie n’impliquaitpas un rapport symbolique obligatoire entreconflit psychologique et pathologie organique :une cascade physiologique pouvait rendrecompte des symptômes (par exemple, unetension psychique entretenant une déchargesympathique chronique avec constrictiond’artérioles et hypertension artérielle, sansrelation symbolique). Cette distance prise avecla psychanalyse rapprocha les médecins de sonhypothèse, d’autant que les maladiesconsidérées comme psychosomatiques étaientcelles pour lesquelles il n’existait pas de théorieexplicative satisfaisante, ni de traitement.

…et reflux

Dès les années 60, l’hypothèse perdit du terrain.Ses partisans éprouvaient de grandes difficultésà la rendre opératoire. Des études échouèrent àmontrer une association entre les maladiesconsidérées comme psychosomatiques et destraits de personnalité ou des pathologiespsychiques. L’apparition de traitementsefficaces pour ces maladies porta un rude coupà l’hypothèse psychosomatique. Ainsi le succèsdes corticoïdes dans la recto-colite remit enavant une explication purement somatique. Lesthéories auto-immunitaires, attribuant la genèsede certaines maladies à des anticorps produitspar l’organisme contre ses propres constituants,prirent le haut du pavé.

Grandeur et décadence de l’hypothèsepsychosomatique

Axel Hoffman,médecin

généraliste à lamaison médicale

Norman Bethune.

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L’hypothèse psychosomatique surl’origine des maladies a connu unefaveur croissante suivie d’une assezsoudaine désaffection. Son histoirenous montre combien lesreprésentations de la maladie, même« savantes », sont tributaires d’uneconstruction qui ne dépend pasuniquement de données scientifiquesobjectives.

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C A H I E R

L’hypothèse psycho-somatique fut critiquée : onlui reprocha son potentiel àblâmer le patient pour samaladie, on la jugea pré-scientifique et « sorcière »car elle rappelait le temps oùles traitements consistaient àchasser les démons du corps.Les éléments psycholo-giques ne furent pasexcommuniés, mais unebarrière les isola deséléments scientifiquesnobles : on continua à lesassocier au trouble dupatient mais non à lamaladie, au déroulement dela maladie mais non à sacause. Le développement dela médecine scientifique etl’attrait croissant pour lesspécialités s’opposent àtoute résurgence de cettehypothèse et s’attaquentmaintenant à son bastionultime, la psychiatrie, qui

Grandeur et décadence de l’hypothèse psychosomatique

délaisse la psyché pour s’enfoncer dans laneurochimie.

L’histoire de l’hypothèse psychosomatiquemontre combien les concepts étiologiques dela maladie chronique sont socialementconstruits. Elle illustre la difficulté de concilierles préoccupations holistes avec le modèlespécifique des maladies. L’aspect « soit/soit »,soit psychologique soit somatique, déforme enfait la conception des phénomènespathologiques, mais le recours à une approche« pluricausaliste » reste un pieux souhait : onen sait encore très peu sur les chaînes causalescomplexes susceptibles de relier événementsmentaux et modifications somatiques.

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Art et science

Le discours sur la maladie est multiple.On peut considérer, dans une perspectiveontologique, « platonique », que les maladiessont des entités spécifiques, universelles,mesurables, qui existent indépendamment deleurs manifestations chez un individuparticulier. Cette perspective exclut tout intérêtpour les différences individuelles (seul existeun individu « moyen ») et pour les facteurssociaux.La perspective « physiologiste » ou « holiste »insiste en revanche sur l’individu, sesparticularités et son adaptation, tant psycholo-gique que physique, à un environnementchangeant (son idiosyncrasie). Elle donnepriorité à la façon dont la maladie est ressentiepar le patient.L’anglais sépare ces deux types de discours endésignant la maladie par des termes différents,selon que l’on parle de maladie spécifique,comme la connaît la science biomédicale

(disease) ou de trouble individuel (illness, lamaladie telles qu’elle est vécue par l’individuou sickness, qui se reporte aux conditions danslesquelles la maladie est vécue, à sonacceptation par l’entourage, au besoin d’aide,à la dépendance).

La perspective ontologique a acquis uneprééminence durable avec la théorie des germesà la fin du XIX ème siècle, tempérée au XXème

par les questions sur la prédispositionindividuelle à la maladie et sur la base socialede certaines tendances dans la morbidité et lamortalité. C’est l’émergence de la maladiechronique qui a rendu visible la dimensionindividuelle.

En fait, les notions sous-jacentes aux deuxperspectives sont mutuellement constitutivesdans la pratique médicale. Entre la réalité duspécialiste confronté à un patient qui ne rentrepas parfaitement dans ses catégories morbideset la critique holiste, il existe une inéluctablefusion des perspectives. S’attarder à unedichotomie entre universalité et idiosyncrasie,c’est se priver d’une approche de soinsdavantage centrée sur le patient en élevant unebarrière artificielle entre science et « art » de lamédecine.

La maladie, une constructionsociale

L’approche bio-psycho-sociale nous permet derésorber cette dichotomie entre le scientifiqueet l’existentiel, mais les praticiens en limitentsouvent la portée à la dynamique de la relationmédecin-patient. Cette approche nous suggèrepourtant que le problème de la« déshumanisation » ne tient pas seulement àdes médecins insensibles, à une exigenced’efficacité, à la nature technologique de lapratique médicale, mais également à la façondont est généré, classifié et diffusé le savoirmédical.

En général, ni les médecins ni les profanes neconsidèrent comme problématique l’apparition,la dénomination et la définition d’une maladie.Pourtant, la science sociale constructivistecontemporaine nous montre qu’il s’agit là d’une

De la construction des maladies

Axel Hoffman,médecin

généraliste à lamaison médicale

Norman Bethune.

Il y a les maladies de médecin : ellesexistent, elles ont un nom, on peut lesdécrire, les mesurer, les identifier chezdifférents patients. Il y a les maladiesde malades : elles existent, ils s’enplaignent, en souffrent et parfois enmeurent. Et puis il y a les maladiesqu’ils fabriquent ensemble...

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construction sociale, d’un événement où entrenten interaction des déterminants sociaux et desdéterminants biologiques concourant pour fairesens de la maladie.

Le terme « construction sociale de la maladie »réfère tout ensemble aux approches de typehistorique et sociologique (attitudes, croyances,relations sociales et idées) et aux connaissancesbiologiques qui déterminent l’apparition, ladéfinition ou la modification de la significationd’une maladie.Le point de vue constructiviste critiquenotamment l’idée de pure « découverte » d’unemaladie, attitude qui présente la maladie commeune entité biologique constante, atemporelle,non influencée par le contexte social, quirenforce la croyance que notre compréhensionactuelle est exacte et supérieure auxprécédentes, et permet de classifier sur base deprésupposés implicites dans la communautébiomédicale. Cette attitude objectivante n’estpas dénuée d’effets sociaux positifs (le refusde considérer la maladie comme une métaphorea permis un « nettoyage » des stigmates sociauxassociés aux maladies) mais elle a entretenul’illusion que nous pouvons appréhenderdirectement le noyau biologique des maladies,indépendamment des attitudes, croyances etconditions sociales.

L’affirmation que la définition et la significationde la maladie dépend, même partiellement, defacteurs sociaux suscite des réactions hostiles.Souvent l’argument constructiviste estcaricaturé comme s’il soutenait qu’une maladiedonnée est une « pure » construction sociale,arbitraire, ce qui reviendrait à nier les évidentesréussites de la science biomédicale. Une autrecritique consiste à considérer le constructivismecomme une approche humaniste bienintentionnée, nourrie de platitudes bio-psycho-sociales.

C’est que l’optique constructiviste et l’approchebio-psycho-sociale gênent quand elles nousinvitent à remettre en cause la séparation desdeux sphères d’expertise : celle du savoir, dela technologie et de la pratique clinique, dévolueaux chercheurs et aux cliniciens spécialisés, etcelle de la délivrance de soins personnels et dessystèmes d’organisation des soins soumis à lacritique des profanes et des sciences sociales.

Car cela signifie non seulement étendre laportée des sciences sociales vers la médecine,mais aussi prendre conscience des influencessociales agissant sur les croyances et lecomportement biomédical.

Deux exemples nous montreront mieux en quoiune maladie peut être construite et quelle est laportée de cette vision.

De l’encéphalite myalgique ausyndrome des yuppies

En 1934, une épidémie de poliomyélite sedéclare au Los Angeles County GeneralHospital. La maladie présente des particularitésétonnantes : elle a un décours particulièrementbénin, n’évolue quasiment jamais vers laparalysie ou la mort (évolution habituelle chez10 % des patients atteints de poliomyélite),touche un pourcentage anormalement élevéd’adultes et s’accompagne d’une fréquenceaccrue de plaintes névrotiques. La plupart desvictimes (notamment le personnel médical etinfirmier de l’hôpital) partagent certainescaractéristiques telles que l’habitude d’un excèsde travail et une grande fatigabilité, facteursconsidérés comme favorisant la contamination.Les analyses réalisées à l’époque ne concordentpas avec les critères connus de la poliomyélite.L’épidémie fait grand bruit, la presse titre surl’héroïsme des infirmières et des médecins, desaides publiques et privées sont engagées, despensions sont allouées aux victimes.Quinze ans plus tard, les doutes sur le diagnosticde cette épidémie (et d’autres similaires surgiesensuite en différents points du globe)conduisent à considérer qu’il s’agissait d’unenouvelle entité clinique distincte de lapoliomyélite, que l’on baptisera « encéphalitemyalgique épidémique ».

Dans les années 80, une publication mentionnequelques cas d’une maladie persistante de typeviral, se manifestant par de la fatigue et dessymptômes subjectifs. Les tests sanguinsévoquent une infection par le virus de Epstein-Barr, responsable de la mononucléoseinfectieuse. Il semble même y avoir uneépidémie dans la région du lac Tahoe.L’hypothèse de « mononucléose chronique » est

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cependant vite écartée et un nouveau tableauappelé « syndrome de fatigue chronique » estlabellisé. Des critères diagnostiquessophistiqués sont proposés. L’intérêt du publicet des media est immense et les patients à quice diagnostic est attribué le soutiennent avecdétermination. Pourtant, sa base somatique estde plus en plus contestée et une originepsychiatrique est sérieusement évoquée enraison de la proximité des plaintes entresyndrome de fatigue chronique et état dépressif.

Le syndrome de fatigue chronique etl’encéphalite myalgique épidémique partagentun certain nombre de facteurs non biologiques.• Les attitudes et croyances médicales et

profanes ont joué un rôle important dans ladéfinition de ces maladies. Le diagnostic depoliomyélite fut aisément accepté parce queles victimes, bien que ne répondant pas auxcritères classiques de la maladie, présentaientun facteur prédisposant : l’excès de fatigue.

• La couverture par les media propagearapidement l’intérêt pour ces deux maladies.

• Le caractère ubiquitaire des symptômes, danslesquels nombre de personnes pouvaient sereconnaître, contribua à populariser cessyndromes.

• Les personnes atteintes défendirentvigoureusement leur diagnostic.

• L’agitation diagnostique etthérapeutique autour de cespathologies en augmenta lacrédibilité.

• Des facteurs économiques telsque des intérêts commerciaux oudes questions d’indemnisationconsolidèrent ces diagnostics.

Un étrange duel

La controverse sur la légitimité deces maladies illustre les tensionsentre autorité médicale etconstruction sociale de la maladie,entre définitions phénoménolo-giques et définitions subjectives dela maladie.

Le débat entre médecins porte surle fait de savoir si ces maladies sont

provoquées par un virus ou résultent d’untrouble psychique (c’est-à-dire « n’existentpas ! »). Les défenseurs de la réalité de cesmaladies sont déforcés par l’absenced’anomalies mesurables, par le manque dedéfinition précise et par la présence fréquented’éléments dépressifs chez les victimes. Lesoutien qu’ils reçoivent de ligues de maladesles met en position de faiblesse : lesprofessionnels n’apprécient guère que lespatients se mêlent de définir les pathologies oules revendiquent. Le rôle du stress commefacteur prédisposant n’est pas mieux perçu : lesyndrome de fatigue chronique s’est vu affublédu surnom de grippe des yuppies, les patientsatteints ont été décrits comme ayant des« capacités quatre étoiles et des ambitions cinqétoiles », on a proposé comme critèrediagnostique le fait d’avoir un revenu à sixchiffres à l’âge de trente ans (en dollars).

Les défenseurs (notamment profanes) de lamaladie n’admettent pas que la responsabilitéd’une maladie retombe sur le dos des malades :les individus souffrant de troubles psychiquesne sont pas plus responsables de ce qui leurarrive que ceux qui présentent des syndromesphysiques. Ils soulignent aussi le dommage subipar les patients qui se voient rejetés par lamédecine. Au scepticisme du médecin, ils

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opposent la certitude de souffrir de quelquechose de bien réel : l’expérience phénoméno-logique qu’a le patient de la maladie et de lasouffrance devrait être aussi importante, sinonplus, que les critères objectifs de la médecinedans la définition et le diagnostic des maladies.

Cette position présente une faiblesse nativequand, contestant l’autorité médicale, c’est àcette même autorité qu’elle demande dereconnaître la maladie comme une maladie« ordinaire ». Ce faisant, elle s’affirme commepartageant les mêmes présupposés sur la prioritédes mécanismes biologiques spécifiques dansla définition des maladies et manque l’occasiond’aborder les questions épistémologiquessoulevées par ces maladies.

De Charybde en Scylla ?

Les modèles holistes proposent d’échapper auréductionnisme scientifique. Mais dès que leschercheurs essaient de donner à ces modèlesune dimension scientifique, c’est-à-diremesurable et reproductible, ils tombent dansune forme de réductionnisme (voir article surla psychosomatique). Le remodelage desnotions holistes en termes réducteurs rendcompte de la perte d’intérêt des professionnelset des profanes pour ces notions, même sil’importance de facteurs psychosociaux dansl’étiologie des maladies est reconnue.

C’est ainsi que le syndrome de fatiguechronique a été construit sur base dessymptômes rapportés par les patients et non surdes tests objectifs, et ce pour rendre compte dechoses qu’on ne parvenait pas à expliquerautrement. Mais son émergence était soutenuepar l’espoir secret d’isoler un phénomèneidentifiable (le virus d’Epstein Barr parexemple) et dès que cet espoir fut démenti,l’enthousiasme s’est mué en scepticisme (et unvaste marché de patients a vu sa cotationofficielle s’effondrer : on les retrouvera sur lesmarchés/médecines parallèles).

Entre un modèle holiste qui peine à prendre sesmarques et un modèle ontologique quin’accepte la parole du patient que pour mieuxl’objectiver, où est la place du malade ?

L’histoire de l’angine de poitrine nous le montrefort bousculé dans un débat qui n’est pasvraiment le sien.L’angine de poitrine a longtemps été décritecomme une expérience spécifique du patient,faite de douleurs thoraciques et de craintessurgissant chez certains individus dans descontextes sociaux particuliers. Quand la miseen évidence d’une maladie des artèrescoronaires rendit scientifiquement compte dessymptômes et permit des traitements, l’anginede poitrine fut re-classifiée en maladie pourcardiologues. Mais l’individu, chassé de samaladie par l’objectivation des lésions, y futréintroduit grâce à la connaissance, à l’époquenaissante, des facteurs de risque (sédentarité,tabagisme, etc.).

L’approche des facteurs de risque représente latentative la plus récente de réconcilier lestensions holistes et ontologiques (avec denouveaux dangers réductionnistes tels quel’impérialisme du life style) : les facteurs derisque, jadis idiosyncrasie, lien individuel à toutun réseau de facteurs culturels, psychologiques,constitutionnels et écologiques, sont envisagésaujourd’hui comme des liens mono-factorielset spécifiques entre comportement etpathologie. C’est ainsi que la dislocationsociale, le stress, l’insécurité économique, lasuralimentation sont reformulés comme liensspécifiques entre comportements et pathologies.

On peut synthétiser ainsi ces différentestentatives de résoudre les tensions entre lesarchétypes ontologique et holiste :

• remodelage des approches holistes en termesindividualistes mono-factoriels (réduction-nisme) et perte d’intérêt ultérieure pour cetype d’approche ;

• médicalisation de l’idiosyncrasie ;• échec des définitions de la maladie centrées

sur le patient face une pratique de plus enplus technologique et spécialisée ;

• paradoxe de reformuler les croyances holistessur les contributions sociales et individuellesde la maladie en termes de facteurs de risquedistincts et spécifiques.

On retrouve, agrémentées de coloris politiques,un certain nombre de ces caractéristiques dansle syndrome de la guerre du Golfe et dans lesyndrome des Balkans.

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Réconcilier le trouble individuelet la maladie spécifique

Le point de vue dominant, fondé sur un noyaubiologique inaltérable considéré comme la vraiemaladie, est erroné ; en fait la reconnaissance,la dénomination et la classification d’unemaladie sont une construction sociale, commele montre l’histoire des maladies évoquée plushaut, comme nous l’apprennent lesanthropologues quand ils nous disent que lelangage de la maladie ne coïncide pas avec lelangage du corps. Dans le même ordre d’idées,on voit reconnues de plus en plus de maladiesdéfinies par des anomalies physiologiques maisqui ne provoquent pas de symptômes au-delàd’un risque statistique (la « maladie » ducholestérol par exemple). Avec la constructionde ces maladies, le savoir du patient et lediagnostic personnel sont devenus orphelins(voir l’angine de poitrine).

Tant que le modèle ontologique est tenu commecritère, on presse les individus de comprendreleur souffrance en ces termes, quitte à ce que labio-médecine crée des diagnostics (fatiguechronique) quand elle ne trouve rien d’autre.La médecine (et les patients) n’accepte pasqu’une grande part de la souffrance soit, dansles limites des connaissances actuelles, àaccepter comme idiosyncrasique.

L’émergence de nouvelles maladies est plus unprocessus de re-classification qu’une accumu-lation de savoirs (re-classification aveclégitimation des données quantitatives etréductionnistes au détriment des donnéesqualitatives et holistes, avec déplacement de lacatégorie dont le point de vue prévaut : patient,clinicien, scientifique). Ces changementsconditionnent toute la pratique, de la relationmédecin-patient jusqu’aux politiques de santépublique.L’idéal ontologique comme critère ultimeconstitue ainsi un obstacle à des pratiquescliniques et de santé publique efficace : il fautredéfinir la validité de nos définitionsnormatives de la maladie. Si le médecinacceptait comme légitime le compte-rendu dupatient sur sa souffrance, au lieu de chercher àle légitimer par une anomalie, le besoin dediagnostic diminuerait.

Le véritable problème est la dichotomie elle-même entre maladie réelle et la maladiesocialement construite. Nous avons à porter unregard plus critique sur les façonsconventionnelles de reconnaître, nommer etclasser les maladies et leurs causes si nousvoulons des pratiques cliniques et des politiquesde santé publique solides.

Vie et mort d’une maladie

Il existe des cycles caractéristiques d’intérêt et de désintérêtpour certaines nouvelles maladies.Enthousiasme initial : l’intérêt du scientifique pour une nouvelletechnologie ou un chaînon explicatif manquant, l’intérêt duclinicien à diagnostiquer ou prévenir une nouvelle maladie,celui du patient à trouver une explication à sa souffrance, toutconcourt à ce que la maladie se propage à travers la penséecollective et chez les patients.Puis apparaissent des écarts entre les profits qu’espéraient lesdifférents groupes : les chercheurs deviennent sceptiques, lescliniciens sont gênés par le marketing agressif des firmes oul’exigence de diagnostic des patients, ces derniers sedésintéressent d’une maladie qui leur échappe quand leurplainte est détournée par une définition excluante ou quandle manque de reconnaissance du diagnostic les dévalorise.Il y a toujours une « négociation sociale » sous-jacente auxmaladies.

Sources principales : Aronowitz, Herzlich,Leclef et Stengers. Voir la bibliographie en finde cahier.

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Le patient qui arrive chez le kinésithérapeuteest une personne reconnue « souffrante ». Cettereconnaissance « est matérialisée » par uneprescription médicale. La souffrance peut-êtredue à une maladie, un handicap, un accident.Elle peut être légère ou importante, passagèreou chronique.Elle pourra être amplifiée par un contextesocial, familial ou professionnel difficile, parun mal-être.

Comment allons-nous accueillir le patient ?Quelle interprétation donnerons-nous auxsymptômes qu’il nous décrira ? A quels critèresferons-nous références ? En fonction de quoi ?En d’autres termes, comment confronterons-nous notre représentation à celle du patient ?Quelques idées, réflexions ouvertes peuventêtre dégagées de la discussion.

L’« étiquetage » est dangereux. Nous nevoulons pas recevoir les patients commel’asthmatique ou le lombalgique ou ledépressif... Chaque patient est une personne.En venant chez le kinésithérapeute, il demandeune réponse à un problème. Il nous demande

de poser un acte concret, de soulager sasouffrance quelle que soit l’interprétation quel’on pourrait ou serait tenté de lui attribuer.

Néanmoins, il ne nous semble pas possible detravailler sans confronter notre représentationavec celle du patient :« Ces douleurs qui voyagent et reviennent àintervalles réguliers, ça ne vous interpellepas ? ».« J’ai du mal à comprendre pourquoi c’esttoujours lors de la dernière séance programméeque les douleurs reviennent ? Vous pouvezm’aider à comprendre ça ? ».« Tout ce que vous vivez là est très lourd àporter ». « C’est normal que vous en ayez pleinle dos ». « Ne pensez-vous pas qu’unpsychothérapeute pourrait vous aider ? ».

Ces réflexions seront amenées au cours dutraitement quand la confiance s’installe. Ellesviseront à aborder la globalité et à remettre lesymptôme initial dans un contexte plus large.L’objectif sera d’amener le patient à mieuxcomprendre sa souffrance et l’accompagnervers plus d’autonomie. Le cadre de travail dukinésithérapeute, la fréquence des rencontres,le toucher nous paraissent constituer un bonatout pour faire ce chemin.

De ces contacts, ces discussions, lareprésentation que nous nous faisons de lasouffrance se trouvera modifiée. Ce patientchronique que l’on suit depuis x années, dontnous avions des difficultés à accepter l’absenced’évolution, « Il ou elle sera toujours malade,il ou elle ne veut rien entendre sur les causes desa souffrance... ». Et à partir du moment où l’onaccepte cette situation, où l’on modifie notrereprésentation, on pourra aborder ce patientautrement et des résultats s’en suivront.

Que faire quand la confrontation desreprésentations s’avère être un échec ? Quandchacun reste sur sa position ? Nous pensonsparticulièrement aux sur-consommateurs. Pources patients, définir un cadre de travail bienprécis avec une durée limitée dans le temps peutaider. Il y a aussi les incompatibilités d’humeurpour lesquelles nous suggérons la référencequand c’est possible.

Représentation de la maladie etkinésithérapeutes

BénédicteDubois,kinésithérapeuteà la maisonmédicale l’Aster.

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Un petit groupe de kinésithérapeutess’est rencontré pour discuter autour dela représentation de la maladie.Quelle est la représentation de lamaladie des kinésithérapeutes ?Comment influence-t-elle leur façond’aborder le patient ?

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Quelques pistes

• Le travail en équipe, les supervisions sont unbon outil pour interpeller nos représentations,les faire évoluer. Nous apprendre à reculerles limites du normal.

• Les représentations de la santé, de la maladiedevraient être abordées dans les formations.

• La démédicalisation permettrait auxpersonnes de pouvoir exprimer autrementleur trop plein. Actuellement, la maladie estle seul moyen dont elles disposent pour« s’arrêter ».

Voici en quelques mots la synthèse d’uneébauche de réflexions autour de lareprésentation de la maladie. Nous neprétendons pas avoir abordé l’ensemble de laquestion, n’y refléter l’avis de tous leskinésithérapeutes des maisons médicales. Noussouhaitons que ces quelques réflexionspuissent être alimentées par tous ceux qui lesouhaitent.

Étaient présents : Christelle Bovy (maisonmédicale le Cadran), Fabien Lerminiaux(centre de santé du Miroir), Michel Penne etBéatrice Florence (centre médical du vieuxMolenbeek), Isabelle Maréchal (maisonmédicale Santé Plurielle) et Bénédicte Dubois(maison médicale l’Aster).

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Les représentations que les soignants se fontde la maladie modèlent leur comportement desoin. Voici quelques réflexions empruntées àNathalie Rigaux qui a interrogé différentesattitudes face à la démence en institution.

Pour la pensée scientifique, la démenceconstitue la limite du pensable. La détériorationirréversible des fonctions intellectuelles et laperturbation des conduites sociales qui enrésulte mettent à mal l’image « humaine » dumalade. La désorientation dans le temps et dansl’espace, la dégradation de la mémoire, cellesdu jugement, du raisonnement, de lacompréhension et du langage détruisent lareprésentation cartésienne de l’homme : ducorps « animal » et du noble esprit, la part quifait valeur s’en est allée.

Dans un sursaut d’orgueil curatif, on rechercheune cause organique au trouble du dément, onmodélise des types de mémoire, on tente desauver ce qui reste d’humain en stimulant lescapacités restantes. L’idée qu’il y a toujours àrééduquer se nourrit de la volonté d’encoremaîtriser. Supposé adhérer au projet dessoignants, le dément se voit dénier tout droit àl’autonomie, ses comportements dérangeantsont contrecarrés au nom du bien collectif. Ilest disqualifié dans sa subjectivité et sonhumanité, qui se réduisent à un souvenirrespecté.

Sens et démence

Axel Hoffman,médecingénéraliste à lamaison médicaleNorman Bethune.

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La démence fait peur. Elle nousconfronte au vide du sens. Pouvons-nous nous représenter l’insensé commehumain ?

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La démarche scientifique légitime ces prises encharge. Le paradigme dominant aime lespathologies normalisables et délaisse ce qui nepeut être normalisé. Ce paradigme basé sur unmodèle organique-exogène-maléfique dévalori-se la maladie comme non-sens, inaccessible àl’échange avec le normal, et rejette la possibilitéd’entendre d’autres récits.

Certains centres alternatifs approchent ledément dans une autre philosophie. On y penseque l’humain reste quand la raison s’en va, qu’ilreste dans le corps vécu, un corps qui est lesupport de l’ouverture au monde. Il y a uneimmanence de la vie en nous, même s’il n’y aplus de réflexivité. Le dément vit une autreexpérience d’être au monde, il continue à nousparler par son corps. Tant que la relationdemeure, l’humain demeure. On essaie donc dereconnaître le dément comme un partenaire, onvise à maintenir une relation de qualité et unequalité de vie tenant compte de la singularitédes personnes, en termes de bien-être et deplaisir plutôt que de stimulation aveugle desfonctions. Même si c’est lourd matériellement(donc financièrement, donc politiquement), ontente de rendre possible une autonomie (ne pasimposer l’heure du coucher en raison decontraintes institutionnelles, etc.), d’accepterl’émergence du conflit (qui exprime le droit dene pas adhérer au projet du soignant), de gérerles comportements dérangeants dans larecherche d’un compromis entre les bien-êtrerespectifs.

Nous sommes ce que nous sommes pour lesautres : c’est le regard qui fait les sous-hommes,qui déshumanise. La lutte frontale contre lesymptôme revient à dire au dément qu’on nepeut accepter qu’il est comme il est, qu’on nepeut écouter ce dont il nous parle avec son corpsqui est sa dernière possibilité d’être pour autrui :de notre rejet de la vieillesse, de l’abandon, dela déshumanisation et de la mort

La première approche est-elle un totalitarismemédical, la seconde une « gentillothérapie » ?Ces deux approches ne dialoguent pas aisément,car elles n’ont pas les mêmes prémisses, lamême représentation de l’humain. ●

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Axel Hoffman,médecingénéraliste à lamaison médicaleNorman Bethune.

Profanes...

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Par rapport à l’expert, l’homme de larue serait celui qui déforme et fait deserreurs. La théorie des représentationssociales pose contre cela que cesfacteurs ont une origine sociale dansla division du travail entre novices etexperts et qu’il faut attribuer cesdéformations aux prémisses à partirdesquelles chacun tire ses déductions.Ces prémisses et représentationsconduisent à des modes de penséedifférents.

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La mentalité des profanes, comme celle des« primitifs prélogiques », se caractériserait pardivers traits les distinguant des experts et descivilisés :

• Les profanes demeurent imperméables àl’expérience et aux informations objectives.Ils essaient de tirer parti du monde réel enétablissant, là où il n’y en a pas, descorrélations entre actes, personnes etévénements. Pensons au sentimentd’insécurité attribué au comportement de lajeunesse.

• Au lieu d’analyser et de raisonner, ils usentde raccourcis pour aboutir à des solutionsrapides. Leur expérience personnelle prévautsur l’analyse statistique. Cela dispense del’abstraction et parait suffire aux besoins dela vie courante. Ces simplificationspermettent en outre de confirmer unereprésentation qu’ils partagent avec d’autres.

• Ils tendent à attribuer à des personnes lescauses des changements qui se produisent,aux dépens des facteurs extérieurs desituation. Alors que la science représente laréalité de manière à subordonner les relationsde personne à personne à la relation auxobjets, « hors de la science » les gensrétablissent la représentation qui subordonne

la relation aux objets aux relations entrepersonnes. Le lien de cause à effet est chargéd’intention et de sens.

La hiérarchie du travail mental

On attribue aisément le déficit cognitif à l’espritde l’homme moyen plutôt qu’à la hiérarchieinhérente à la division du travail mental. Ladivision du travail mental représente uneéconomie de pensée incontestable mais elleinstaure une hiérarchie sur l’échelle de valeurssociales. Les savoirs des initiés sont considéréscomme des normes par rapport auxquelles onjuge les performances intellectuelles deshommes ordinaires.

Les matériaux de la science ont un statutexclusif de vérité. A côté de ces savoirs enexistent pourtant d’autres qui entretiennent desrapports différents à la raison. Ce secondensemble de matériaux dépend étroitement desreprésentations. Le présupposé de l’uniformitédes savoirs dénie l’autonomie de ces savoirsamateurs et les traite comme des déviations descanons normatifs du savoir professionnel.

On voit dans les formes de pensée prélogiqueun défaut de science, une vacance de raison.Cependant, devant la maladie, la mort,l’accident, l’expert ne peut répondre à unequestion s’il obéit à la logique de sa profession,sauf à passer par un détour prélogique.« Pourquoi moi ? » Il n’y a de science que dugénéral... L’individu veut trouver un sens,expliquer un cas unique. Seul le recoursprélogique permet de donner un semblantd’intelligibilité, d’alléger la responsabilité, derétablir un équilibre.

Cette façon de voir met en jeu notre propensionà croître que la vie a une signification et l’idéeque nous sommes pour quelque chose dans cequi nous arrive. Ce n’est pas un organe qui estmalade, c’est le moi, tout l’individu. L’épicentrede la maladie se transporte vers la personne,l’individu rassemble les éléments qui l’accusentou l’absolvent, se rétablit ainsi comme référencede la pensée, montrant qu’il y a quelque chosede précieux dans sa propre vie. Dans lamentalité prélogique, il n’y a pas de rapport dontles individus sont absents.

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La logique ne résiste pas à unhomme qui veut vivre

Il y a donc le « que faire » qui obéit auxprescriptions de la médecine, et celui qui surgitquand la médecine n’a pas de solution. Plus elleest scientifique, plus la médecine accroît notremaîtrise commune, et plus elle restreint la

Profanes...

maîtrise individuelle, requérant même lapassivité. Mais si elle renonce, nous avonsbesoin d’un surplus de puissance en nous-mêmes pour aller au-delà, nous fabriquer unmonde possible quand le monde réel est, àterme, refusé. Kafka disait : « la logique nerésiste pas à un homme qui veut vivre ».

Peu importe que la connaissance soit logiqueou prélogique, si son contenu est tel que lesindividus mobilisent leur énergie pour

accomplir quelque chose au lieu de se résigner.On peut renoncer à tout sauf à un monde quisignifie. La mentalité prélogique concerne lescontenus que l’on élabore quand la sciences’efface aux frontières des questions « pourquoimoi » et « que faire ».

La médecine restera donc une pratique duale,amenée à faire coïncider des univers opposés.Il y a une médecine muette devant la réalitédes choses et une autre qui ne reste pas sourdeaux demandes de la personne au-delà de lafrontière tracée par la science. La divergencene se décrit pas comme une descente des notionsdans l’esprit des gens, mais comme unetransformation au cours de laquelle se créentde nouvelles significations. C’est dans sesreprésentations que prend relief l’individuséparé des autres.

D’après l’article de Serge Moscovici, « Lamentalité prélogique des civilisés » paru inFlick (voir bibliographie en fin de cahier).

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91Santé conjuguée - avril 2001 - n ° 16

DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?Le généraliste et la médecine␣:

un couple illégitime␣?

Monique Boulad,médecin

généraliste à lamaison médicale

la Glaise etprésidente du

comité d’éthiquede la Fédération

des maisonsmédicales.

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Médecine : lieu où se construit lareprésentation de la maladie et dutraitement, lieu d’où les malades tirentleur légitimité de patients et lesmédecins leur légitimité de soignants ?

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

Vous souvenez-vous de nos études demédecine ? Combien de matières inutilesn’avons-nous pas ingurgitées ! Et combien nousfont défaut certaines connaissances que nousavons du acquérir sur le tas alors qu’il auraitété si simple de nous les enseigner !L’inadéquation des programmes saute auxyeux.Mais peut être ne sont-ils pas si inadéquats quecela. Au-delà du contenu de l’enseignement etde son utilité et de son inutilité, le choix, laproportion, la structuration des matières a unsens. Ce qui est transmis au futur médecin àtravers cela ce n’est pas seulement un savoirmais c’est l’image que la médecine a d’elle-même, l’idéal de la médecine, la Médecine.J’entends par Médecine, le lieu où se construitla représentation de la maladie et du traitement,le lieu d’où les malades vont tirer leur légitimité

de patients et les médecins leur légitimité desoignants.

Si nous acceptons l’hypothèse que le contenude la formation a pour but de signifier laMédecine, ses fondements et sa logique propre,le décalage entre nos études et notre pratiquede généraliste n’est pas du à l’incompétence deceux qui ont conçu les programmesuniversitaires mais à l’hiatus qui existe entre legénéraliste et la Médecine.

Je voudrais d’abord cerner à travers la structurede nos études l’image que la Médecine se donned’elle-même et ensuite voir les conséquencesqu’à cette représentation sur notre place et notrefonction de généraliste.

Les études de médecine etl’idéal de la Médecine qu’ellesvéhiculent

Le programme des trois candidatures comprend(programme de cours de l’université libre deBruxelles 1997-98) :

185 h. de physiologie,125 h. d’anatomie,125 h. de biochimie,110 h. d’histologie et d’anatomie pathologique,95 h. de chimie,90 h. de physique,55 h. de microbiologie,45 h. de mathématiques et statistiques,45 h. de biologie,30 h. d’immunologie,25 h. de pharmacologie,25 h. de génétique,25 h. d’embryologie.

Cet enseignement théorique est complété parsix cent quatre-vingt heures de laboratoires ettravaux pratiques.

A côté de cela, nous trouvons quelques autresbranches :

15 h. d’épistémologie en première candidature,25 h. de psychologie,15 h. santé et société en deuxième candidature,15 h. d’épidémiologie en troisième candidature.

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C A H I E R

elle resterait fondamentalement semblable à sanature. Les ruptures, les choix, les alliances quil’ont constituée ne sont jamais abordés.

En candidatures, nous avons donc appris quela science est le socle sur lequel repose laMédecine. Seule la science est garante de lavalidité d’une pratique thérapeutique. Toutetechnique de soin qui s’adresse au corps et nerelève pas de la science usurpe son titre de« thérapeutique ». Il faut partir de la science etrien que d’elle : aucune alternative n’estproposée ou même simplement évoquée.

L’enseignement de la pathologie s’étale sur lesquatre années de doctorat.Très peu d’autres matières sont abordées :

Médecine sociale 35 h.,Hygiène sociale 10 h.,Organisation de la sécurité sociale et des

soins de santé 10 h.,Déontologie médicale 10 h.,Médecine légale 10 h.,Épistémologie 10 h.,Psychologie 25 h.

Les cours théoriques sont associés à unefréquentation intensive des services hospita-liers : mille heures en deuxième doctorat, millesix cents en troisième et mille six cents enquatrième doctorat.

La médecine s’apprend à l’hôpital, lieu parexcellence de la Médecine. Les étudiants quise destinent aux spécialités n’auront aucuncontact avec la médecine extra hospitalière aucours de leurs études. Quelle représentation dumalade, du médecin et de la maladie l’hôpitalconstruit-il ?

Pour répondre aux exigences de la science, lamédecine a limité son champ au corps dans samatérialité physique, seule partie de l’hommeaccessible à l’étude scientifique. Elle s’intéresseuniquement à la maladie en temps quephénomène visible, objectivable à l’œuvre surle corps.Tant le personnage du médecin que celui dumalade sont en trop par rapport à la maladie.Ils doivent lui laisser le champ libre.A défaut de laboratoire, la Médecine a inventéles hôpitaux pour séparer la maladie du malade,pour mettre en scène la maladie.

En troisième candidature, 60 h. de sémiologieet propédeutique médicales préparent l’étudiantà l’abord de la pathologie et des stageshospitaliers qui commenceront en doctorat.

Soit plus de mille heures de matièresscientifiques assorties de six cent quatre-vingtheures de laboratoire et de travaux pratiquescontre septante-cinq heures « d’autre chose ».Disproportion flagrante… Qu’a-t-on voulunous signifier par-là ?Pourquoi tant de science ? Pourquoi rien quede la science ? Les autres matières par leur peude présence et de consistance, au lieu de fairecontrepoids, d’éveiller la curiosité et l’envied’aller voir ailleurs renforcent le sentimentqu’en dehors de la science, il n’y a rien de bienintéressant.

La science n’est pas uniquement un moyenprivilégié de développer des techniques de soinsefficaces. Pour la Médecine, elle est bien plusque cela : elle est le lieu de sa légitimité. Toutepratique de soin a besoin pour s’exercer delégitimité. Elle tire son autorité d’un systèmede valeurs établi et partagé par une commu-nauté. Dans toutes les cultures sauf dans cellequi s’est développée en Occident à partir duXVIII ème siècle, médecine et religion separtagent le terrain de la maladie et se fondentmutuellement. Les pratiques de soin mêlent auxtechniques et aux remèdes des prières, desincantations et des rituels religieux.Au XVIII ème siècle, la médecine occidentale sesépare de l’église et se laïcise. Par ce divorce,elle ne peut plus se référer à la religion et seprive de légitimation. D’où va-t-elle désormaistirer son autorité ? Sur quoi basera-t-elle sondroit à parler de la maladie et à la traiter, droitqui au fil du temps va être érigé en monopole ?La Médecine va se rallier à la science et trouveren elle le moyen de fonder son savoir.

L’histoire de ce choix et de la manière dont laMédecine s’est imposée en jetant aux oubliettescertaines théories, en en annexant d’autres, passcientifiques du tout, et en s’alliant aux pouvoirspolitiques n’est jamais abordée au cours desétudes.La Médecine nous est présentée commescientifique par essence. De pré-scientifique,elle serait devenue scientifique. Elle évolueraitau rythme du progrès et des découvertes mais

Le généraliste et la médecine␣: un couple illégitime ?

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

A l’hôpital, le malade est normalisé : toutes sescaractéristiques individuelles sont gommées. Ilest transformé en malade-type.Toutes choses étant égales (hygiène,alimentation, etc.) on peut observer la maladieelle-même, la regarder évoluer, en étudier lesétapes, les conséquences sur le corps en général,sur le corps anonymisé, sur le corps brut.L’influence que le médecin pourrait exercer surle patient du fait de sa personnalité, de sonimplication, du lien affectif qui se serait établientre eux est minimale : le médecin ne connaîtpas les malades ; il ne les rencontre que dans ledécor neutre de sa blouse blanche et des locauxde l’hôpital.Les thérapeutiques et leurs effets sur le coursde la maladie seront objectivables dans lesmeilleures conditions possibles, les facteursindividuels qui en influencent l’efficacité ayantété supprimés.

L’hétérogénéité de chaque individu par rapportà la maladie est transformée en unehétérogénéité seulement psychologique. Elle esttransportée sur un autre plan où elle pourra êtreconsidérée comme subjective et dès lors êtrenégligée.Débarrassée de ces artefacts et de ces facteursdéformants, la maladie peut se déployer,s’exhiber.

Le généraliste et la Médecine

Que subsiste-t-il des principes de la Médecinedans notre pratique de généralistes ?Nous sortons de l’université, des livresscientifiques et de l’hôpital et nous découvronsune réalité très différente : nous rencontrons -oh stupeur ! - des malades. La relation médecin-malade négligée tout au long des études prendtout à coup une place essentielle. Nous n’avonsplus affaire à un corps muet et immobile. Lapersonne du malade sort de l’ombre de lamaladie et par le fait même met en lumière lapersonne du médecin.

Il vient nous raconter des tas de choses, despicotements, des sensations de brûlures, desmalaises étranges, l’histoire du cancer de sonami qu’il a peut-être attrapé, les déceptions quirongent le ventre et les espoirs qui empêchentde dormir. Et de tout cela, nous, les généralistes,nous devons faire une maladie, une vraie, avecson étiologie, ses symptômes, son diagnostic,son traitement. Il faut épurer le discours dumalade pour l’intégrer dans la logiquescientifique. Dans l’énorme masse de souffran-ces, de sensations, de peurs, nous allons repérercelles auxquelles la médecine peut donner unnom et apporter une solution.Puis il nous faudra faire le chemin inverse : ilfaudra faire du traitement médical une denréeacceptable par le patient. Il faudra l’intégrer auxconseils de la voisine, aux principes écolos, auxremèdes hygiénistes, aux prières de l’imam. Ilfaudra convaincre le patient que l’efficacitéthérapeutique du médicament qu’il ressent estbien la guérison qu’il attendait, qu’elle esteffectivement la seule solution rationnelle à sonproblème, donc la meilleure.

Tout au long de la démarche diagnostique etthérapeutique, il nous faut prendre en comptele patient avec ses peurs, ses attentes, sesmoyens financiers, ses capacités, ses priorités.Il faut y confronter les nôtres, celles del’entourage, celles des autres intervenantssociaux, psy, religieux…Et de tout ça, il fautfaire « quelque chose » qui soit susceptibled’infléchir le cours de la maladie et si possiblede l’infléchir dans le bon sens. Travail deconstruction et de déconstruction permanentes.Travail de remaniement, d’intégration.

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Le généraliste et la médecine␣: un couple illégitime ?

Quel rapport entre ce mixte instable etindéfinissable et la pureté cristalline de ladémarche scientifique ? La part de « science »que nous faisons réellement se réduit à la lecturecritique de la littérature et à la rigueurméthodologique avec laquelle nous l’appli-quons dans nos diagnostics et nos prescriptions.Elle est dérisoire par rapport à « cela » quiconstitue le gros de notre activité.

« Cela »

C’est sur notre capacité à faire « cela » que notrecompétence de médecin sera évaluée par nospatients.Et c’est sur notre compétence à taire « cela »que notre statut de médecin nous sera accordépar nos confrères et maîtres.Paradoxe du généraliste : nous tirons notrelégitimité d’une science que nous ne pratiquonspas et nous pratiquons une activité dont nousne pouvons pas parler.

En effet, qu’est-ce que c’est ce « cela » à quoinous passons notre temps ? De quels outils, dequels mots, de quels chiffres disposons-nouspour parler et penser ce que nous faisons ? Nousdisposons d’une somme colossale de termesscientifiques dans lesquels nous nous figeonset de quelques notions empruntées à lapsychanalyse ou à la psychologie danslesquelles nous nous diluons.Comment traduire en mots ou en chiffres notreexpérience ? Comment la sortir de l’anecdote -le discours des généralistes est truffé d’histoiresde cas - pour en faire un savoir cohérent ettransmissible ?

Nous pratiquons l’art de guérir. Mais tout arts’appuie sur de solides bases techniques. Lebagage du généraliste contient une sommeimpressionnante de connaissances médicalespeu utilisables et un non moins impressionnantinterdit de rendre compte de ce qu’il fait.Et pour cause : dans son discours seretrouveraient des traces de la part desubjectivité, d’aléatoire, d’instabilité, de magie,d’influence que comporte toute expérience demaladie et de guérison. La Médecine, pourexister et devenir ce qu’elle est a déployé uneimmense énergie à supprimer tous ces

composants, à les enfermer dans la boîte noiredu placebo pour les considérer comme desartefacts négligeables. Ces artefacts sont nosoutils de travail, à nous généralistes. Nousmanions la persuasion, l’écoute, l’implicationpersonnelle, la capacité de se sentir et des’élaborer du patient. En faire état constitue uneréelle menace pour la Médecine. Donner un rôlepositif au généraliste est difficile à penser. Illui est demandé ce qui va à l’encontre de ceque les autres médecins partagent.

Nous ne serions pas scientifiques ? Nousserions les détenteurs d’un savoir autre quescientifique et qui ne serait pas accessoire,quantité négligeable ?Oser soutenir cela nous mettrait au ban de laMédecine et remettrait en cause notre aptitudeà soigner.

Il est vrai que les postes de gestionnaire dudossier médical et de portier du système desoins sont à pourvoir et que notre profil convientbien.Confier aux généralistes la mise en œuvre desprogrammes de prévention, la gestion desdonnées médicales concernant le patient etéventuellement le suivi de chroniques et lesconfiner dans ces tâches résout tout : ce travailindispensable et mal assumé jusqu’à présentsera enfin correctement exécuté. La qualité dela médecine générale sera évaluée en fonctiondes résultats obtenus dans ces domaines c’est-à-dire en fonction de sa capacité à mettre enœuvre des objectifs définis selon les seulscritères de la Médecine. Le corpus scientifiquegardera le monopole de la définition de lamaladie et de son traitement.

Mon but n’est pas du tout de faire un lamentosur la triste évolution de la médecinecontemporaine et notre sort de pauvregénéraliste. Je voudrais plutôt vous convier àélaborer ensemble un discours qui rendraitcompte de notre expérience de la maladiecomme aventure humaine avec tout ce que celacomporte de hasards, d’aléas, d’incertitudes,d’implications personnelles. Je voudraissouligner les aspects subversifs de notrepratique, ceux par lesquels nous pourrionsinterpeller la Médecine, lui proposer plus denuances, plus de densité et de relief. ●

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

Julie Morel,anthropologue.

Retournons-nous un instant...

Quand un bref retour à l’histoire nousinvite à un vrai retour au malade.

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Il est souvent reproché à notre médecine den’être pas assez tournée vers la personne maladeet trop vers la maladie. On revendique des soinsplus humains, une meilleure communicationentre patients et médecins, un meilleur accueil,etc.Pour comprendre ce malaise actuel, il est utiled’étudier ce qui peut bloquer la prise en comptedu patient en tant que sujet. Les différentsproblèmes rencontrés par la médecine actuellepeuvent s’expliquer en jetant un regard surl’évolution de la médecine. En effet, les grandesdécouvertes médicales et l’avènement de lamédecine scientifique ont petit à petit creuséun fossé entre les attentes des patients et lapratique médicale.

Hippocrate, considéré comme le père de notremédecine, ne disposait que de peu de moyenstechniques pour appréhender la maladie, c’estpourquoi il se devait de tenir compte du discoursdu patient. Jean-Pierre Lebrun nousexplique : « Il est vrai qu’Hippocrate n’avaitpas les moyens adéquats pour regarderobjectivement la maladie, mais loin deconsidérer ceci comme un défaut dans sonsavoir, nous devons repérer que c’est ce défautmême qui constitue sa spécificité et qui ledétermine comme savoir hippocratique. Lamédecine hippocratique n’est pas seulementune médecine ignorante de ce que la science

lui permettra d’apprendre par la suite, c’est unemédecine qui, de ce fait, ne pouvait faireautrement que de « compter avec l’ignorance ».Compter avec l’ignorance voulait alors dire êtreobligé de tenir compte du patient et de sondiscours car c’est lui seul qui pouvait renseignerle médecin sur son état. La médecinehippocratique était une médecine déductive,basée sur l’observation et sur le patient.

Comment le malade devient lecorps du délit...

Qu’est-ce qui a fait qu’au fil des siècles, lepatient ait perdu la place principale et ne soitplus au centre de la consultation ?

Tout d’abord l’avènement de la science, suiteau discours de Descartes, apporte à la médecineun support de rationalité et l’écarte de tout cequi est considéré comme « superstition » ou« miraculeux ». La médecine peut alors sedétacher du religieux. Cependant, en détachantl’âme du corps, la médecine considère celui-cicomme une simple machine. Le médecin duXVIII ème siècle voyait le malade comme unobstacle à neutraliser pour avoir accès à lamaladie. Maladie qu’on devait pouvoirreconnaître selon des types précis et relier à deschaînes de causalité.

La clinique voit le jour à la fin du XVIIIème sièclemême si la formation du médecin au lit dupatient était déjà pratiquée depuis longtemps.Mais le regard du médecin va changer à partird’une restructuration de la clinique et uneintégration de celle-ci à l’intérieur du savoirmédical. Le symptôme deviendra un signe parl’intermédiaire du regard du médecin. Commele dit Foucault (1963), il y a alors rencontre entreles mots et les choses et l’homme devient à lafois objet et sujet de sa propre connaissance.La clinique est devenue plus que del’observation (au sens où Hippocrate lapratiquait) et a mené à l’expérimentation. Celle-ci a sa place dans le modèle clinique à conditionque le langage et le vocabulaire qu’elle utilisesoient semblables à ceux avancés parl’observation. Or, nous verrons que la médecineexpérimentale de Claude Bernard organisel’observation en fonction de l’expérimentation,

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C A H I E R

Le dualisme entre âme et corps ne fera ques’intensifier avec la médecine expérimentale deClaude Bernard au milieu du XIXème siècle. Cecourant est basé sur la physique et la chimie.Bernard veut prouver qu’il est possible d’agirsur les corps vivants comme sur les corps bruts.Il « considère que la maladie, la lésion, est dueà des altérations fonctionnelles dont on peutrepérer clairement les mécanismes et les effetsen chaîne » (Adam & Herzlich, 1994). Bernardveut faire de « l’art de guérir » d’Hippocrate,une science précise capable de posséder lavérité. Seulement, la médecine n’est pas unescience exacte et on ne peut agir sur un êtrehumain comme on le fait sur une substance ouun matériau. Ce courant pousse encore plus lemédecin à n’observer que les phénomènesorganiques et non le sujet de ceux-ci.

... et le corps, une fédérationd’organes

Quand Claude Bernard met en place un discoursmédical axé sur la réalité de la maladieobjective, il demande implicitement auxmédecins de se passer de communication avecle patient. En effet, la médecine expérimentaleest telle qu’elle permet aux médecins de savoirà l’avance ce qu’ils pourront observer, ils n’ontpas besoin de l’avis du malade, encore moinsde ses sentiments et impressions. Le médecin aalors tendance à nier le sujet qui est en face delui et n’adopte que très rarement la conceptionde la maladie comme faisant partie intégrantede l’individu et étant liée à son psychisme. Al’opposé de la médecine hippocratique quiacquérait sa connaissance par ce qu’elle voyait,la médecine expérimentale a déjà la connais-sance et l’applique à ce qu’elle voit. Son regardse pose sur ce qu’elle connaît. Selon Lebrun,c’est à partir de Bernard que les différencesentre le normal et le pathologique deviennentquantitatives et non plus qualitatives (la théoriehippocratique par exemple était basée sur uneopposition entre équilibre et déséquilibre).

Suite à ces évolutions épistémologiques, lamédecine fît de nombreuses découvertes qui larendirent toute puissante et avec un sentimentd’infaillibilité. Ces modifications dans la priseen compte du patient n’ont pas provoqué de

ne laissant que peu de place à ce qui n’est pasmédical ou inconnu.

Au début du XIXème siècle, l’anatomo-cliniquevoit le jour ce qui permet à l’œil médical devoir plus profondément dans le corps. Ilacquiert, en plus, un espace d’observationinvisible à analyser par les leçons de l’ouverture

Retournons-nous un instant...

des corps. Le médecin se rapproche alors ducorps malade. On ne cherchera plus alors àclasser les maladies mais à les localiser dansun corps. Ainsi, la maladie devient repérable,elle possède son espace propre. Elle est alorsobjective, autonome et extérieure au patient. Leregard de médecin se fait effectivement plusobjectif, c’est-à-dire moins centré sur lapersonne malade et plus sur la maladie ou mêmel’organe malade. Ce qui était invisible pour laclinique, les organes, devient visible pourl’anatomo-clinique par un regard localisateurassocié à l’audition et au toucher. C’est doncla clinique combinée à l’anatomo-pathologiequi permettra l’objectivation des corps et leregard rationnel.

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DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

malaise rapidement car, ainsi que le faitremarquer Monique Van Dormael (1995),jusque dans les années 1950, malgré toutes lesmodifications apportées à la médecine etl’objectivation de celle-ci, le médecingénéraliste parvenait à garder une imageglobale de son patient et à répondre à sesdemandes de sens. Il y parvenait parce qu’ilpartageait avec celui-ci une culture semblableet une vision du monde assez proche. Jusquedans ces années, le médecin était un « médecinde famille » faisant partie du même milieu queles patients venant le consulter. Le fait quecertaines croyances et valeurs étaient partagéesainsi que la connaissance de l’histoire familialedu patient (souvent, le médecin avait déjà euaffaire aux parents ou grands-parents du patient)facilitait la prise en charge de celui-ci en tantque sujet. Le médecin de famille écoutait laplainte en connaissant le cadre de vie de lapersonne, il n’avait pas à faire d’effort pourcomprendre son fonctionnement et ses valeurscar ils étaient proches culturellement etsocialement.

Depuis les années 1950, la médecine s’estfortement spécialisée et technicisée, on nesoigne donc plus un organisme dans sa totalitémais un organe en particulier. Spécialisation ettechnologie ont poussé la médecine à devenirun acte plus technique que relationnel.L’individualisation croissante de nos sociétésrend également les rapports aux autres plusdifficiles, elle mène à la diminution du partagede croyances et de valeurs communes, ainsiqu’à une plus forte différenciation sociale etculturelle. Ces phénomènes récents ontaccentué le malaise des patients se sentant traité« comme des numéros » et les ont poussés àrevendiquer une certaine humanité.

Un non-savoir à re-connaître

De nombreux médecins se recentrent sur le sujetdans un courant médical qui se veut plushumain et proche des patients mais dans laformation médicale, rien ne les prépare à larencontre avec l’autre, à l’écoute de l’autre et àla communi-cation. La formation médicalerejette toute forme d’individualité et desubjectivité, que ce soit celle du patient ou celle

du médecin.Autrement dit, quand on écrit que les médecinsne tiennent pas compte du sujet qu’ils ont enface d’eux et voient uniquement l’organismemalade, nous devrions plutôt écrire que lamédecine ne tient pas compte du sujet. Ce n’estpas l’homme-médecin qui est mis en cause maisplutôt la science médicale et ce qu’elle transmetcomme savoir ou comme non-savoir sur la priseen compte de l’individu-sujet qui serait àdévelopper.

Il est donc grand temps que la médecine et laformation médicale se recentrent sur l’élémentcentral de leur pratique qui fût délaissé en coursde route : l’individu. ●

La bibliographie des auteurs cités renvoie enfin de ce cahier.

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C A H I E R

Du langage du corps auxdiscours collectifs

Le langage de la maladie n’est pas le langagedu corps. Le langage du corps est souventpauvre, souvent réduit à un mot ou à unelocalisation (c’est le foie !). L’organique nes’exprime pas dans le langage du mondeintérieur qu’est le corps, mais dans son rapportavec le monde extérieur, socialisé.Le langage de la maladie se tisse dans le langagedes relations de l’individu à la société, il seconstruit sur les valeurs de la société danslaquelle il s’exprime pour aboutir à discerner

La nouvelle alliance

Axel Hoffman,médecingénéraliste à lamaison médicaleNorman Bethune.

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Quand les représentations de lamaladie mettent à la question lahiérarchie des savoirs...

des normes du bien-portant et du malade et desconduites qu’ils doivent adopter dans cettesociété. Dès lors l’individu interprète la maladiecomme produite et imposée par le mode de vie :l’origine de la maladie est attribuée à la sociétéagressive dont l’individu est en quelque sortevictime.

Cette attribution n’est pas propre à lamodernité : déjà les sociétés primitives avaientassimilé l’exclusion du groupe à la maladie età la mort et considéraient le bannissementcomme une peine majeure. En retour, le statutde malade a toujours entraîné des comporte-ments spécifiques de la part de la société :jusqu’à l’apparition des systèmes de solidaritéet de sécurité sociale, les sociétés occidentalesont conditionné l’aide aux pauvres à deuxconditions, celle d’appartenir à leur collectivitéet, sine qua non, celle d’être dans l’incapacitéde travailler pour des raisons de santé (Castel).

La maladie est donc toujours l’objet d’undiscours collectif : elle est l’événementmalheureux qui altère la vie de l’individu, soninsertion sociale et donc l’équilibre collectif.Spontanément l’individu se considère commesain et recherche à l’extérieur la responsabilitédes malheurs qui interrompent son parcours :c’est aux interprétations collectives qu’il vademander la réponse à ses questions « pourquoimoi, pourquoi maintenant ». Les réponsesproposées ont varié au cours de l’histoire etaujourd’hui, notre vision du corps a intégré descatégories du savoir médical et la médecineconstitue un pôle d’expertise. Néanmoins lesreprésentations collectives ne se sont pasassujetties ou assimilées au savoir scientifique ;il y a entre pensée savante et pensée profanedes aller-retour variés, des circulationscomplexes et contradictoires.

L’ère de la négociation

Depuis peu de temps, on assiste à unphénomène de « santéisation de la société ». Lasanté est devenue une super catégorie aux sensmultiples et aux champs d’intervention de plusen plus étendus. Elle est dans tout, et parler desanté est aujourd’hui une façon de réclamer lebonheur.

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99Santé conjuguée - avril 2001 - n ° 16

DES SAVOIRS QUIS ’ I G N O R E N T ?

* L’article deDelor que vouspouvez lire en

rubrique page 8de ce numéro en

est uneillustrationlumineuse.

Mais l’extension du concept de santé ne l’a pasdétaché du champ médical. La nouvelle normedu « devoir de santé » ou du « devoir deguérison » implique toujours prioritairement lerecours au médecin. La maladie ne se conçoitplus en dehors du rapport à la médecine.

La représentation de la maladie s’est en quelquesorte étendue pour inclure la médecine elle-même. La médecine - et non plus seulement lamaladie - est devenue métaphore du social etlieu d’expression privilégié de notre rapport àlui. Autour d’elle se cristallisent de nombreuxconflits culturels et sociaux*, parmi lesquelson peut citer les interrogations autour de la placecroissante de la science et de la technique (lesquestions bioéthiques entre autres) et autour durôle de l’expertise.

Cette évolution a transformé deux paramètresfondamentaux du rapport à la médecine. Toutd’abord, la santé et la maladie ne sont plusaffaires strictement individuelles, ellesdeviennent l’objet de débats et de mouvementscollectifs. Ensuite le discours profane, lareprésentation sociale, a acquis un nouveaustatut : son existence et sa pertinence prennentpoids et légitimité face à la pensée médicale.Des sociologues anglais (Armstrong) ontmontré l’importance croissante que prend lepoint de vue du patient dans les manuelsmédicaux. A l’idée d’une perception profanecomme distorsion et appauvrissement du savoirmédical succède la notion d’un mode de penséeautonome, d’une logique profane, d’un discourscollectif légitime.

Désormais le rapport de dépendance aumédecin est battu en brèche. Les patients nesont plus passifs, ils choisissent leursthérapeutiques (médecines parallèles), prennenten charge certains de leurs problèmes(diabétiques, dialysés) et s’organisent(associations de malades, groupes de self-help).Contre l’agression médicale qui redoublel’agression du social monte le succès desmédecines douces qui mettent en avant lacapacité de guérir du malade.

Même si ces phénomènes sont circonscrits àcertaines classes sociales, ils jettent une lumièreneuve sur la dynamique des représentationscollectives et rendent compte du nouveau

Représentation sociale : ce concept de Durkheim, réintroduitpar Moscovici en 1961 en psychologie sociale, réfère à uneforme de connaissance « de sens commun », socialementgénérée et par tagée. I l correspond à une activitéd’appropriation et d’élaboration de la réalité extérieure avecune visée pratique de maîtrise de l’environnement (matériel,social, idéel) et d’orientation des conduites. Guide d’action,il définit le rapport au monde et aux autres. Grille de lecture,il fournit les cadres et les codes de la communication etcontribue à forger une vision commune au service des valeurs,désirs, besoins et intérêts des groupes.

La représentation a un rôle constitutif dans l’organisation socialeet une efficacité propre dans le devenir et les transformationsde la société. Moscovici a ainsi montré la façon dont unethéorie scientifique - la psychanalyse - se transforme à mesurede sa pénétration dans la société, transformant à son tour lesvisions du groupe qui se l’approprie.

La prise en compte de la représentation sociale marque la findu problème du « grand partage » entre pensée scientifiqueet naturelle, logique et illogique, rationnelle et affective... Laconnaissance naïve ne peut être invalidée comme fausse oubiaisée ainsi que le postulent certains courants cognitivistes :elle est adaptée à et corroborée par l’action sur le monde.

rapport à la médecine qui n’est plus de l’ordrede la sujétion mais de celui de la négociation.On voit ainsi émerger une logique socialefondée sur l’alliance du savoir technique et dela représentation commune qui ne voit pas dansla maladie qu’un état organique mais aussi uneforme de vie incluant travail, loisirs et relationsavec autrui.

Les réflexions présentées ici sont nourries destextes de Claudine Herzlich dont vous trouverezla bibliographie en fin de volume.

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Conclusion est un bien grand mot. Épiloguepeut-être ? Disons plus simplement quelquesvagabondages suite à la lecture de ce cahier.

Notre promenade à travers les représentationsde la maladie nous a détournés d’une idée toutefaite : il n’y a pas à opposer d’un côté uneconnaissance scientifique animée par unedynamique de vérité et de l’autre des imagesprofanes aux couleurs de simplicité etd’ignorance.Le savoir médical a pour matière le corps ensouffrance et pour but de le soulager. C’est unsavoir d’abord opérationnel. Comme tout savoirscientifique, il construit ses objets (il « inventeune maladie », une description nosologique,pour rendre d’une souffrance) et s’y accrochejusqu’à ce que la confrontation avec uneexpérience différente les falsifie et fonde unnouveau paradigme, une nouvelle constructionappelée au même destin.Le savoir profane, loin de se réduire à unedéformation du discours savant ou à unensemble de superstitions, parle de l’expériencevécue des personnes et « construit » le mondedans lequel ils naissent, déploient leur vie,souffrent et meurent. Il y cherche un sens : quem’arrive-t-il et pourquoi ?

Des savoirs qui s’ignorent ?

Ces deux savoirs semblent s’ignorer. Ce ne futpas toujours le cas. Jadis médecine et religionalliaient combat terrestre contre le mal et sensqu’il fallait lui donner. L’avènement de laméthode scientifique effondra leurs liens. Lascience développa un discours de « vérité » surles maladies, d’une telle efficacité qu’elle putisoler la question du sens et la renvoyer àd’autres instances avec lesquelles ellen’éprouva plus le besoin de dialoguer.Dans le même temps, on assista à un doublephénomène : les religions perdirent leur mono-pole du discours sur le sens du malheur et de lamaladie et l’éclosion de l’individualismefavorisa la sacralisation des valeurs person-nelles.Le sujet, d’assujetti, devint un individu et seretrouva seul avec ses questions.

Il n’est pas innocent de remarquer que l’essorscientifique coïncide avec l’ascension d’unesociété de type libéral, qui hypertrophie lesvaleurs individuelles, l’instrumentalisation dumonde, l’activité marchande finalisée par leprofit. Cette société a imposé son efficacitéscientifique, colonisé la planète et, pour revenirau sujet qui nous occupe, fait des peupladesdites primitives une sorte de laboratoire desorigines offert à la curiosité des premiersanthropologues. Elle légitime ce que l’onnomme « pouvoir médical », c’est-à-dire ladomination d’un savoir nourri de loisproclamées naturelles, celles de la biologie, dela chimie, de la physique. Ce pouvoir n’a quefaire d’un dialogue avec les malades qui enattendent les bienfaits : il n’a pour eux deconsidération que s’ils se montrent« compliants », consommateurs zélés etobéissants, et, comme au bon vieux temps del’alliance avec la religion, rejette dans lasuperstition leurs réflexions « profanes ».

Nous nous trouvons alors devant une doubleproblématique. La première : où peut se gérerla question du sens pour qui n’adhère pas auxconcepts métaphysiques « établis » ? Certainsont attendu de la science qu’elle comble cemanque. N’a-t-on pas écrit : « hors de lascience, point de salut ? ». Il fallait pourtant s’endouter, même si elle donne à réfléchir, ce n’estpas le propos de la science de répondre à cesquestions.La seconde : quelle est la place du sujet maladedans l’imposant édifice-médecine construitpour sa maladie et non pour lui ? La questionsemble incongrue. Aucune place n’est préparéepour le sujet, si ce n’est comme objet de samaladie ou comme variable impertinentedérangeant les théories.

Alors oui, le savoir savant et le savoir profanes’ignorent. Pire, le savoir savant domine unsavoir profane dont... il ne veut rien savoir.

Il n’y a pas de neutralité du savoir

L’étude des représentations de la maladiebouleverse ce rapport de forces. Commencée

Conclusion

Axel Hoffman,médecingénéraliste à lamaison médicaleNorman Bethune.

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sur les croyances des « primitifs », elle acheminé à travers le temps et l’espace,remontant comme dans une hiérarchiefantasmatique à l’étude des sociétés nonoccidentales, puis aux classes dévalorisées del’Occident (les paysans, les pauvres), ensuiteaux consommateurs avertis et s’attaque enfinau sommet de cette pyramide imaginaire : lesreprésentations que la médecine se fait de lamaladie. Ainsi se perpètre le crime de lèse-majesté : les affirmations de la science sont ellesaussi une représentation (en chemin, on aremplacé le terme « croyance » par celui dereprésentation...).

Entre science des maladies et représentationsde la maladie, il y a donc autre chose qu’unehiérarchie.

Il y a d’abord une différence d’objet : le savoirprofane est interrogation et expression de lacondition humaine, le savoir scientifique estconstruction autour du comment : commentarrive la maladie, comment la combattre.La « santéisation » à laquelle nous assistonsactuellement se calque parfois sur le modèlemédical instrumentalisant de savoir et de luttecontre la maladie et risque de faire du bien-êtredes corps l’ultime raison d’agir, de faire lit d’unbio-pouvoir. Si critiquée soit-elle, la définitionde l’Organisation mondiale de la santé de lasanté (bien-être physique, psychique, socialetc.) nous rappelle fort à propos que la santééchappe au médical, qu’elle parle de nosaspirations en tant qu’être humains, qu’elle esten fait du domaine dit « profane ». Le savoirmédical n’a pas à imposer sa vérité au profane,il a à l’écouter et à se mettre à son service.

Il y a un aussi un continuum: le discoursprofane est nourri du discours savant et leréinterprète en permanence, lui renvoyant sonimage en miroir, exhibant crûment sescontradictions et ses incohérences, sasuperficialité et son manque d’humanitéparfois.

Il y a une autre continuité, sous-jacente à lapremière. Toute société se reflète dans lessavoirs qu’elle choisit de développer. Lessociétés religieuses incorporent leurs

représentations des maladies à leurs visionseschatologiques, nos sociétés inspirées dumodèle libéral façonnent les leurs sur le modèledu marché. Nous ne voulons pas dire que lamédecine est entièrement polarisée par le profit,mais que les valeurs ambiantes imprègnent nosreprésentations tant profanes que savantes.Quelques manifestations de cette imprégna-tion : pour les usagers, la maladie est souventvécue sur le mode de la perte de la capacité detravail avec toutes les conséquences que celaentraîne, ou comme réaction aux nuisances dela société. La place du patient est trop souventréduite à celle d’un consommateur passif.

Du côté des professionnels, les modèles decroyance de la santé (health belief model)fonctionnent comme une théorie de marketingau service de la prévention ; l’organisation dessoins est structurée sur leur valeur d’échange,tout comme la recherche privilégie les objetsthérapeutiques commercialisables (médica-ments par exemple) plutôt que les alternativescomportementales ou relationnelles. Quoid’étonnant à ce que la question du sens de lamaladie n’ait droit de cité que dans le cadreindividuel de la relation médecin-malade et nonà un niveau collectif.

Du sable dans les rouages

L’intérêt, somme toute récent, pour lesreprésentations de la maladie nous amène ainsià reconsidérer la place du patient dans lamédecine et le rôle que tient la médecine dansla société. Il nous pose la question : quellemédecine et pour qui ?

Prendre conscience de la valeur du discours duprofane, c’est ne pas le réduire à ses anecdotesamusantes faites « d’erreurs » et d’incompré-hension, c’est ne pas l’instrumentaliser pourmieux réaliser les objectifs des « experts ».C’est en écouter les questions et sortir lediscours savant de sa tour d’ivoire pourcomprendre quel rôle il joue, avec ses aspectspositifs et négatifs, dans l’organisation de lasociété.

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Cette prise de conscience peut transformer larelation entre les acteurs, à la fois au niveau dela rencontre entre professionnels et usagers maisaussi à celui de la politique de soins. Elle nouschuchote que le système de soins est sans douteorganisé davantage pour les soignants que pourles usagers et que peut-être cela vaudrait lapeine de reconsidérer cela.

Rendre sa place au sujet malade, pieuseincantation ? Non, plutôt une tâche immensemais qui en vaut la peine. Les moyens existent.Déjà les malades s’organisent en associations.Déjà le désir de s’autonomiser du tutoratmédical se concrétise dans la prise en chargede leurs soins par les patients (l’auto-contrôledu diabète en est un exemple). De plus en plus,la première ligne de soins s’oriente vers uneapproche globale de la santé, et non une gestionexclusivement médicale de la maladie. Petit àpetit mûrît la conviction que la médicalisationdes problèmes de société nous conduit àl’impasse. Même le politique tend l’oreille...

Les représentations de la maladie ne sont pasune curiosité pour anthropologue ou un champd’inculture. Elles interrogent notre manièred’aborder la maladie et le sens de notre action.Des questions qui dépassent le cadre des soinsde santé et les relient à la société entière.Questions ouvertes pour des savoirs appelés àse parler...

Conclusion

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Castel Robert, Les métamorphoses de la question sociale, Editions Fayard, collection L’espace dupolitique, Paris, 1995.

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Jodelet Denise, Folie et représentation sociale, Paris, PUF 1989.

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Bibliographiedes auteurs ou ouvrages cités dans ce cahier

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