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© Joseph Gagné, 2020 VOIX DE GUERRE: Le renseignement au sein de l'armée française lors de la guerre de Sept Ans en Amérique du Nord Thèse Joseph Gagné Doctorat en histoire Philosophiæ doctor (Ph. D.) Québec, Canada

Voix de guerre: Le renseignement au sein de l'armée française ...troupes de la France et celles de la Grande- Bretagne est inégal. Se trouvant dans la position Se trouvant dans

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© Joseph Gagné, 2020

VOIX DE GUERRE: Le renseignement au sein de l'armée française lors de la guerre de Sept Ans en Amérique du

Nord

Thèse

Joseph Gagné

Doctorat en histoire

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

La partie coloniale de la guerre de Sept Ans commence en 1754 et prend fin officiellement

en 1763. Alors que la guerre avance, il devient évident que le rapport de force entre les

troupes de la France et celles de la Grande-Bretagne est inégal. Se trouvant dans la position

faible, l’état-major français doit donc pallier ce déséquilibre par tous les moyens possibles.

Parmi ceux-ci, l’administration coloniale s’appuie sur le renseignement militaire afin de se

mettre au courant des plans de l’adversaire et afin de maintenir la cohésion de sa propre

armée éparpillée sur le territoire. Jusqu’à quel degré peut-on accorder une utilité à ces

« voix de guerre » en Amérique sous le Régime français? Abordée thématiquement, cette

thèse examine la création et la cueillette d’informations, leur dissimulation et leur

extirpation de l’adversaire, les réseaux de communication par lesquels elles circulent, sont

disséminées et acheminées dans la hiérarchie de l’armée française et enfin, les entraves à

leur interprétation. En somme, tous les moyens sont bons—parfois même de véritables

élans de désespoir—pour surmonter les défis d’une infrastructure fragile afin de maintenir

les communications et la cohésion interne. Malgré ses nombreuses failles et faiblesses, le

renseignement a permis à l’armée française de mener sa défense sur une plus longue durée,

démontrant également encore une fois que l’état-major a fait ce qu’il a pu avec ce qu’il

avait à sa disposition.

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ABSTRACT

The colonial portion of the Seven Years’ War began in 1754 and officially ended in 1763.

As the war progressed, it became evident that the balance of available troops between the

armies of France and Great Britain was uneven. Being in the weaker position, the head of

the French army therefore had to make up for this imbalance by all possible means. Among

these, the colonial administration relied on military intelligence to uncover the opponent’s

plans and to maintain the internal cohesion of its own army scattered over the territory. To

what extent were these “voices of war” of use in America under the French Regime?

Applying a thematic approach, this thesis examines the creation and gathering of various

informations of use to military intelligence, their concealment and their extirpation from the

adversary, the communication networks through which they circulated, were disseminated,

and were dispatched throughout the hierarchy of the French army, and finally, the obstacles

to their interpretation. In short, any and all means were necessary—sometimes representing

nothing less than true leaps of faith—to overcome the intrinsic challenges of an already

fragile infrastructure in order to maintain communications and an internal cohesion. Despite

their many flaws and weaknesses, these logistics of military intelligence were used to

bridge the power gap between French and British forces by enabling the French army to

maintain its defensive position over a longer period of time, demonstrating once more that

the head of the army did what it could with what it had at its disposal.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé ................................................................................................................................... ii Abstract .................................................................................................................................. iii Table des matières ................................................................................................................. iv Abréviations ......................................................................................................................... vii Remerciements .................................................................................................................... viii Cartes des principaux forts et lieux français et britanniques ................................................. xi Introduction ............................................................................................................................ 1

Les échos d’une conquête ............................................................................................. 1 Historiographie ............................................................................................................. 6 Problématique ............................................................................................................. 13 Sources et méthodologie ............................................................................................. 16 Présentation de la matière abordée ............................................................................. 21 Sur les ethnonymes utilisés ......................................................................................... 22

CHAPITRE 1 Consolider l’emprise impériale : Prendre connaissance du territoire ........... 24

Introduction : La fin d’une paix armée ....................................................................... 24

Un front nouveau : connaître la géographie de la guerre au XVIIIe siècle ............... 28

1.1 Réformes cartographiques au milieu du XVIIIe siècle ........................................... 30 1.2 « Borner le Canada et le separer de l’Anglais » : Identifier la frontière contestée

.......................................................................................................................................... 35 1.3 Se familiariser avec le Canada et le nouveau front .............................................. 40 1.4 Les secrets du Saint-Laurent ................................................................................. 46 Conclusion .................................................................................................................. 50

CHAPITRE 2 « Écrire, voilà mon occupation » : Le renseignement et la culture de l’écrit en Nouvelle-France............................................................................................................... 54

Introduction : Les papiers de Braddock et l’écrit au sein du renseignement .............. 54 2.1 Alphabétisme et formation en Nouvelle-France ................................................... 59 2.2 Un service de renseignement centralisé, mais divisé ........................................... 68 2.3 Le processus d’écriture ......................................................................................... 70 2.4 Secrets internes et interception ............................................................................. 76

2.4.1 Discrétion et confidentialité ........................................................................... 77 2.4.2 Messages codés.............................................................................................. 79 2.4.3 Documents interceptés ................................................................................... 81

2.5 Gazettes et imprimeries ........................................................................................ 83 Conclusion .................................................................................................................. 88

CHAPITRE 3 La géographie de l’information : Surmonter l’espace et la distance............. 92

Introduction : Un réseau humain avant tout ............................................................... 92 3.1 Correspondance atlantique ................................................................................... 97

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3.1.1 Franchir l’Atlantique à partir de la France .................................................... 99 3.1.2 Franchir l’Atlantique à partir de l’Amérique ............................................... 102

3.2 La poste et l’armée ............................................................................................. 107 3.3 Les courriers et messagers .................................................................................. 110

3.3.1 Déplacements des courriers ......................................................................... 113 3.3.2 Le coût d’un courrier ................................................................................... 117 3.3.3 Sécurité des courriers ................................................................................... 119

3.4 Convois ............................................................................................................... 122

3.4.1 Lac Champlain ............................................................................................. 123 3.4.2 Les Grands Lacs .......................................................................................... 123 3.4.3 Le Mississippi .............................................................................................. 124

3.5 Routes et chemins ............................................................................................... 128 Conclusion ................................................................................................................ 134

CHAPITRE 4 Surveillance et « Lettres vivantes » : Troupes légères, guerre de partisans et prisonniers .......................................................................................................................... 137

Introduction : La « Petite guerre » au service du renseignement ............................. 137 4.1 Qui forment les troupes légères en Nouvelle-France? ........................................ 142

4.1.1 Les troupes de la colonie ............................................................................. 143 4.1.2 Les Autochtones .......................................................................................... 146 4.1.3 La cavalerie .................................................................................................. 152

4.2 Les troupes légères en action .............................................................................. 154 4.3 Rapports d’observation ....................................................................................... 163 4.4 Prisonniers : interrogations et contrôle d’information ........................................ 166

4.4.1 Interrogation et dépositions de prisonniers .................................................. 167 4.4.2 Ne pas devenir prisonnier ............................................................................ 174 4.4.3 Fugitifs britanniques et fuites d’information ............................................... 179

Conclusion ................................................................................................................ 185

CHAPITRE 5 Des loups devenus bergers : espions, traîtres et collaborateurs .................. 187

Introduction : « Le » traître de Québec ..................................................................... 187

L’arbre qui cache la forêt ...................................................................................... 189

5.1 L’espion : indispensable d’abord et avant tout ................................................... 191 5.2 Qui sont les espions en Nouvelle-France? .......................................................... 195

5.2.1 Espions autochtones .................................................................................... 197 5.2.2 Les civils ...................................................................................................... 201 5.2.3 Religieuses et religieux ................................................................................ 207 5.2.4 Déserteurs .................................................................................................... 211

5.3 Se dissimuler pour infiltrer ................................................................................. 214 5.4 Capturer et écarter les espions ............................................................................ 216

5.4.1 Mieux vaut prévenir que guérir ................................................................... 216

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5.4.2 Capturer et punir les espions ....................................................................... 220 5.4.3 L’espion Kennedy........................................................................................ 224

5.5 Contrebandiers et parlementaires ....................................................................... 231

5.5.1 Un marché d’information ............................................................................ 232 5.5.2 La Louisiane et les parlementaires .............................................................. 233

Conclusion ................................................................................................................ 239

CHAPITRE 6 Mentir comme un diable : Mensonges, rumeurs et désinformation ............ 242

Introduction : tromper et empêcher de se faire tromper ........................................... 242 6.1 Mensonges et subterfuges au XVIIIe siècle .......................................................... 245 6.2 Les rumeurs ........................................................................................................ 251 6.3 Propagande et guerre psychologique .................................................................. 260 6.4 Le renseignement « ésotérique » ........................................................................ 269

6.4.1 Jonglerie et rêves chez les Autochtones ...................................................... 270 6.4.2 L’influence du surnaturel chez les Français ................................................ 275

Conclusion ................................................................................................................ 278

Conclusion .......................................................................................................................... 280 Bibliographie ...................................................................................................................... 289

Sources...................................................................................................................... 289

A - Sources manuscrites ....................................................................................... 289 B – Sources imprimées ......................................................................................... 290 C – Cartes et plans ................................................................................................ 296

Répertoires et outils de recherche ............................................................................. 297 Ouvrages généraux et de référence ........................................................................... 298 Études ....................................................................................................................... 299 Articles de journaux .................................................................................................. 312 Communications ....................................................................................................... 313 Romans et littérature ................................................................................................. 313 Sites web, Baladodiffusions et blogues .................................................................... 313

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ABRÉVIATIONS

AN : Archives nationales de France ANOM : Archives nationales d’outre-mer BAC : Bibliothèque et Archives Canada BAnQ-Q : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, centre d’archives de Québec. DBC : Dictionnaire biographique du Canada LaRC : The Louisiana Research Collection (Tulane University, Nouvelle-Orléans) PRDH : Programme de recherche en démographie historique (Université de Montréal) PRO : Public Record Office (maintenant National Archives, Angleterre) RAC : Rapport sur les archives du Canada RAPQ : Rapport de l’Archiviste de la Province de Québec

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REMERCIEMENTS

Le hasard a fait que j’ai passé sept longues années à écrire cette thèse sur… la guerre de

Sept Ans, justement! Après tant de temps consacré à ce travail, il est impossible de

remercier tous ceux et celles qui m’ont porté conseil, qui m’ont encouragé ou qui ont

simplement partagé mon parcours, mais j’ose m’essayer. D’abord et avant tout, je dédie ce

travail à ma mère qui nous a tristement quitté pendant la rédaction de cette thèse. Je n’avais

jamais réalisé auparavant à quel degré ses encouragements et son amour alimentaient ma

verve. Ceci dit, je remercie particulièrement mes tantes Ida et Fernande qui se sont

occupées d’elle, m’encourageant de continuer mes recherches malgré tout pendant cette

période difficile. Je garde également une pensée pour le grand historien franco-ontarien

Gaétan Gervais et pour le géographe Dean Louder qui nous ont malheureusement quittés

eux aussi. Sans Gaétan, je n’aurais jamais songé devenir historien, tandis que Dean, lui

aussi un grand voyageur, s’enquérait toujours de mes récentes aventures sur la route à

poursuivre les traces de l’Amérique française.

Je suis immensément redevable à Alain Laberge qui a été encore une fois un directeur

patient, généreux et exceptionnel. Dans la même veine, je remercie Rénald Lessard pour

son encouragement et sa compagnie lors de nos nombreux voyages : nos discussions et nos

expériences ont été la genèse de cette thèse. Je remercie entre autres : Donald Fyson, pour

ses conseils et pour m’avoir appuyé avec mes innombrables demandes de bourses; l’équipe

de BAnQ à Québec pour leur expertise et leur générosité (en particulier Sylvie et Jean-Paul,

toujours les premiers à m’accueillir et à s’enquérir de mes nouvelles); la Fondation Baxter

& Alma Ricard (même si la fondation n’a pas contribué directement à mon doctorat, son

soutien financier pendant la maîtrise m’a permis de faire d’une pierre deux coups et de

profiter de nombreux centres d’archives pour la recherche derrière cette thèse); le Conseil

de recherches en sciences humaines (CRSH) qui m’a octroyé une bourse de doctorat;

Stéphane Genêt qui a toujours porté bon conseil au sujet de l’espionnage au XVIIIe siècle; le

Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ) à l’Université Laval, en particulier

Philippe Desaulniers, Étienne Rivard, Émilie Lapierre Pintal, Mélanie Lanouette, Laurent

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Richard et Marc Saint-Hilaire—le centre a toujours été là pour m’appuyer financièrement et

professionnellement, mais votre amitié est ce qui m’a été le plus précieux.

Je suis redevable à de nombreux amis américains aussi: Tom & Robin Davis, who are

like parents to me: your love and affection gave my work more purpose than you’ll ever

know; David “Mac” MacDonald for always looking out for me—I’m not sure I could have

completed this thesis without your immense generosity and friendship (I’ll never be able to

thank you enough for everything. Including the rum!); Greg Waselkov for welcoming me at

the Center for French Colonial Studies’ 2017 meeting in Mobile, Alabama—your insights

on Louisiana were very much useful; and finally Greg Rogers, a doctoral candidate at the

University of Maine, who, through his Twitter account 7 Years’ War in N.A.

(@7YWinNA), helped me discover many newspaper sources—our exchanges have always

been enjoyable.

Cette thèse n’aurait jamais pu voir le jour sans la généreuse contribution de plusieurs

individus. Autant j’essaie d’être un « self-made-man » comme disent les anglophones,

autant je me suis fait rappeler que ce qualificatif n’existe pas réellement. Alors que mes

épargnes s’épuisaient vers la fin de la rédaction de ma thèse, j’ai ravalé ma fierté et j’ai

lancé un appel à l’aide sous la forme d’un GoFundMe. Ils ont été nombreux à répondre. Un

énorme merci revient à : (en ordre alphabétique des prénoms) Anne Marie Lane Jonah;

Arnaud Balvay; Becky Lantz Bailey; Beth Voltmer; Capucine Coustere; Caroline Côté;

Catherine Lapointe; Cathrine Davis; Claudette Parent; Dar Darley; David St-Martin; Denis

et Linda Martel; Denys Joannette; Élodie Morin; Eric Thierry; François-Bernard Côté;

François-Olivier Dorais; Gail Moreau; Greg Waselkov; Guillaume Teasdale; Helen Crist;

Ian Castle, Paul Margott et William Raffle (‘To the memory of Colin Spicer of New France

Old England’); Jacques Boudreau; Jean-Louis Trudel; Joannie Houle Beaudoin; Kassey

Demers; Laurent Richard; Leslie Choquette; Lise Lafrenière-MacCarthy; Liz King; Lloyd

Baker; Luc et Natalie Tessier; Mairi Cowan; Marc Blanchet; Mario Lafrenière; Mark

Barbeau; Martin Pâquet; Michel Andrieu; Michelle Beauvais; Mona Andrée Rainville;

Nancy Forest; Nicole St-Onge; Norman Renaud; Olivia Kurajian; Pascale Thévenin et

Michel Thévenin; Patrick Noël; Pierre Dubeau; Raphaël Savary-Gareau; Ray Aumont;

Robert et Heather Englebert; Romain Martiny; Sandrina Henneghien; Shyam Morjaria;

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Sophie White; Susan Riegler et Valérie Drainville. Je remercie particulièrement Mario

Lafrenière qui m’a surpris en m’achetant un nouvel ordinateur.

Je remercie ceux que j’appelle mon « fan club » : Élodie Morin, pour son sourire et son

enthousiasme contagieux; Sophie Imbeault, pour ses encouragements dans mes pires

moments aux prises avec le « syndrôme de l’imposteur »; le « Club des 7 Ans », pour les

nombreuses bières et discussions sur la guerre de Sept Ans; Dave Noël, un vrai moulin à

inspiration; Cathrine Davis, compagnon de route infatigable sur la trace de l’histoire

coloniale des États-Unis; Robert Englebert et Guillaume Teasdale, pour leurs

encouragements perpétuels aux moments où j’en avais le plus besoin; Laurent Veyssières

pour sa générosité qui a placé de nombreux livres importants entre mes mains; René

Chartrand, pour m’avoir aidé à dégager mes réflexions préliminaires; Louise Lainesse et

René Laliberté pour m’avoir éclairé sur certaines sources au sujet des prisonniers de guerre

(et en particulier Louise pour les biscuits en plus!); Dhyana Robert pour son aide sur la

contrebande; Marie-Hélaine Fallu, Jacinthe De Montigny, Kevin Gélinas, Frédéric Demers

et Alyssa Zuercher Reichardt : nos discussions ont toujours été agréables et productives.

Poe, mon chat qui, depuis 2009, n’a toujours pas compris pourquoi il ne faut pas

marcher sur mon clavier, mais, d’un autre côté, sait toujours quand il est temps de

m’éloigner de l’ordinateur et de m’obliger à prendre une pause pour le nourrir ou jouer un

peu avec lui.

Et enfin, Michel Thévenin, mon voisin de bureau qui est rapidement devenu un de mes

plus précieux amis et une source d’inspiration importante—nos nombreuses discussions ont

grandement amélioré ma thèse, en particulier l’angle européen. Sans oublier sa générosité

en m’offrant de relire mon texte et d’y corriger de nombreuses coquilles et phrases

bancales. Je nous souhaite de nombreuses collaborations à l’avenir et encore plus de

voyages sur les traces de cet empire fantôme.

Pour paraphraser Bougainville, je souhaite de tout mon cœur que vous soyez content de

l’histoire et de l’historien.

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CARTES DES PRINCIPAUX FORTS ET LIEUX FRANÇAIS ET BRITANNIQUES

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INTRODUCTION

LES ÉCHOS D’UNE CONQUÊTE Pays d’en Haut, octobre 1760.

La houle ondule tranquillement sur la rive du lac Michigan. Sur la grève est érigé le fort

Michilimackinac1. Situé à l’intersection des lacs Huron et Michigan, le poste est le

carrefour principal où l’on entrepose toutes les fourrures des postes du nord avant de les

envoyer à Montréal. Le long de la plage, quelques canots d’écorce sont entassés. Quelques-

uns font l’objet de réparations alors que deux hommes, un Outaouais et un voyageur, leur

appliquent à certains endroits un goudron à base de graisse d’ours et de sève d’épinette. Au

sein de la palissade en pieux se trouve une trentaine de maisons « d’apparence propre et

relativement confortables2 ». À l’intérieur de l’une d’entre elles s’impatiente le

commandant de la place, le capitaine Louis Liénard de Beaujeu de Villemonde : il est avide

de nouvelles du front de guerre. Il y a quelques mois, il avait envoyé son second, Charles-

Michel Mouet de Langlade, accompagné de nombreux Canadiens et de guerriers

« sauvages3 », porter secours à Montréal entouré par les Britanniques. Bien que Beaujeu ne

connaisse toujours pas le dénouement de ce dernier assaut majeur contre la Nouvelle-

France, il soupçonne sans doute que la plus grande crainte des Canadiens est tombée

d’aplomb sur la colonie.

Le fort est à court d’hommes et de marchandises. Outre quelques dizaines de soldats

des troupes de la Marine, il ne reste plus à ce poste que la portion de ses habitants

canadiens qui n’est pas allée au front, composée en majorité de femmes, d’enfants et de

vieillards. La plus grande part des ressources de la colonie, tant humaines que matérielles, a

été consacrée à sa défense, comme les Canadiens qui servent justement de milice. Alors que

1 Reconstruit pendant les années 1960, on peut aujourd’hui visiter le fort à Mackinaw City, au Michigan. Voir http://www.mackinacparks.com. 2 Alexander HENRY, L’Attaque de 1763 : De Montréal à Michillimakinac, Québec, Septentrion, 2011, p. 52-53. 3 Il s’agit du terme contemporain pour désigner les Autochtones, utilisé ici selon le point de vue de Beaujeu. Un éclaircissement sur les termes utilisés dans cette thèse se trouve à la fin de la présente introduction.

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le début du conflit avait causé une augmentation importante d’engagements pour la traite

des fourrures pour s’éloigner du devoir militaire, depuis deux ans il n’y a presque plus

d’engagés qui arrivent à Michilimackinac. Avec l’armée britannique au seuil de la victoire,

l’état-major français ne peut plus se permettre d’être indulgent envers les absentéistes, ses

miliciens étant nécessaires pour renflouer ses forces combattantes nettement inférieures4.

Beaujeu a une autre raison de s’impatienter : il possède un ordre secret de la part de ses

supérieurs de se replier au Pays des Illinois, doivent-ils perdre le Canada5. Effectivement,

Bougainville avait déjà présenté un plan auprès de Versailles proposant la retraite d’une

partie de l’armée française vers le Pays des Illinois, quitte à défendre la Louisiane en s’en

prenant aux deux Carolines et à la Virginie. Alors que le plan fut admiré, celui-ci fut rejeté,

faute de fonds. Qu’importe : le chevalier de Lévis, à la tête de l’armée, continue d’épouser

cette possibilité6. On peut donc imaginer Beaujeu, debout à l’entrée du fort, épiant

l’horizon d’azur au loin, tout en manipulant nerveusement entre ses doigts la lettre

contenant ses instructions, réfléchissant sur sa situation présente.

La plus grande crainte qui hante Beaujeu en ce moment est que les voies navigables

seront bientôt bloquées par les glaces d’hiver. La plupart des feuillus de la région sont déjà

dénudés de leur apparat multicolore et un vent frisquet vient narguer les narines, signes que

les premières neiges s’en viennent à grands pas. Si un messager arrive trop tard à l’orée de

l’hiver avec la nouvelle d’une défaite, il ne pourra pas rejoindre les forces françaises à

4 Bien que les chiffres de la base de données des voyageurs ne soient pas absolus, ils sont néanmoins de bons indicatifs des tendances d’engagements liés à la traite. Effectivement, entre 1754 et 1758, il y a respectivement au moins 342, 101, 193, 280 et 129 engagés de Montréal qui se dirigent à ou par Michilimackinac. Ce nombre chute à 52 et 25 individus seulement pour 1759 et 1760 après « un resserrement du recrutement et de la discipline. » Jacques MATHIEU et Sophie IMBEAULT, La guerre des Canadiens : 1756 1763, Québec, Septentrion, 2013, p. 22. Voir aussi Louise DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre au Canada sous le Régime français, Montréal, Boréal, 2008, p. 317-318 et Base de données des engagements des Voyageurs, Société historique de Saint-Boniface. En ligne : http://shsb.mb.ca/engagements_voyageurs. Je remercie Nicole St-Onge et Robert Englebert de m’avoir laissé consulter la base de données maîtresse. 5 Deux sources d’archive semblent confirmer que Beaujeu possédait effectivement cet ordre secret. PRO, War Office 34, Vol. 49, F°27-27v. Copies of french Letters wrote by the Missionaries at Michlimakinak to those at the Detroit, le 15 janvier 1761. Attachée à PRO, War Office 34, Vol. 49, F°25-26. Donald Campbell à Amherst. À Détroit, le 10 mars 1761 et PRO, War Office 34, Vol. 5, F°146-147. Thomas Gage à Amherst. À Montréal, le 7 juin 1761. 6 François-Gaston de LÉVIS (Édité par Robert LÉGER), Le journal du Chevalier de Lévis, Montréal, Éditions Michel Brûlé, 2008, p. 236.

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temps7. Soit il sera prisonnier des neiges, ou celui de l’ennemi… Non plus ne peut-il

envoyer quelqu’un pour s’informer rapidement : le trajet le plus court vers Montréal est par

la voie de la rivière des Français et celle des Outaouais, prenant en moyenne une vingtaine

de jours et le double pour le retour. Sans compter que cette voie, bien que la plus directe et

la plus utilisée des voyageurs, comporte tout de même sa part de dangers : chutes, rapides,

marais, animaux sauvages...

Alors que Beaujeu se distrait un instant en suivant de vue une volée de bernaches qui

fuient l’hiver imminent, il remarque de vagues formes sur le lac. Au fur et à mesure

qu’elles s’approchent, il s’aperçoit que ce sont des canots d’écorce. À bord, ce sont presque

tous des Autochtones, parmi lesquels certains individus que Beaujeu reconnaît. Ils se

dirigent sans doute vers leur territoire de chasse hivernale. Les habitants du fort, dont

certains sont parents, les accueillent vivement. Il leur souhaite la bienvenue et s’informe

des nouvelles qu’ils apportent de loin. À ce sujet, toutefois, leurs visages soudainement

mornes n’augurent rien de bon.

En effet, Beaujeu apprend que son état-major vient de capituler le 8 septembre

précédent. Cette reddition sonne le glas pour la colonie française. Il est terrassé : il pense à

sa femme, Marie Geneviève Lemoine de Longueuil Soulanges, ainsi qu’à ses enfants,

abrités à Montréal depuis le siège de Québec. Il songe à ce qui va leur arriver. Seront-ils

déportés comme les Acadiens? Et lui, sera-t-il fait prisonnier? Est-ce la fin pour de bon?

Soudainement, il se souvient du document qu’il a entre ses doigts : son ordre de se

replier en Louisiane.

Au diable le fort Michilimackinac. Il doit maintenant se diriger vers les Illinois pour

rejoindre son état-major et possiblement renverser ce malheur. L’honneur, le devoir et un

sentiment vindicatif l’animent. Il appelle alors immédiatement ses soldats et miliciens de se

préparer pour le long trajet qui les attend. Avant la fin du mois, ses hommes et lui seront en

7 Du moins, non sans grande peine. Un danger évident de poursuivre une campagne d’hiver est le risque d’avoir les pieds gelés, comme ce fut le cas de Benoît [Fori], dit La Violette, servant justement sous Beaujeu. ANOM, Colonies, D2C 48, F°387v. Etat des officiers Soldats Et Soldats provenant des Trois Gouvernements du Canada, Arrivés à la Rochelle sur les Parlementaires le Brisque gallet, Le Roy, Le Grandville, le Malbeck, Et Le Dauphin, Et a Royant et Bordeaux les Parlementaires Le Charlesthon et Rebecca les qu’els ont tous étés licencies a Rochefort depuis le 12 [7/X].bre jusqu’au 23 [1760] Inclusivement.

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route pour le fleuve Mississippi. D’ici le printemps, il rejoindra le fort de Chartres, où il

doit rencontrer la faction de l’armée française qui devrait s’y retrouver avec Lévis8.

Ce que Beaujeu ignore à son départ toutefois, c’est que les messagers autochtones ne lui

ont pas tout communiqué… Ceux-ci ne savent pas que deux messagers officiels lui ont été

envoyés pour l’informer que la retraite de l’état-major n’aura pas lieu. Ils ne savent pas que

Beaujeu doit plutôt se rendre et confier le fort à l’ennemi victorieux, avant d’être envoyé

lui-même en France avec tous les autres officiers de la colonie. Interceptés par l’hiver, ces

messagers officiels ne rejoindront jamais Michilimackinac avant le printemps. Quant à

Beaujeu, cette bévue de communication lui coûtera huit ans d’exil aux Illinois… Huit

longues années à redouter l’administration britannique qui le soupçonnera d’avoir désobéi à

l’acte de capitulation, l’empêchant de rentrer chez lui avant que ne retombent les poussières

de la guerre…

La scène précédente, telle qu’on peut la reconstituer et l’imaginer à partir de différentes

sources9, illustre parfaitement les défis intrinsèques au renseignement pendant cette mi-

XVIIIe siècle, c’est-à-dire au relais d’information entre les factions de l’armée française

éparpillées sur le continent nord-américain pendant le Régime français. Dans ce cas-ci, la

retraite prématurée de Beaujeu a été causée par l’intersection des principales entraves à la

communication en Nouvelle-France. En effet, les nouvelles instructions qui devaient le

rejoindre et l’empêcher d’abandonner son poste ont été gravement retardées par les

événements, la géographie, le changement de saison, la fiabilité des messagers, le temps et

surtout, la compétition entre l’information « officielle » et « officieuse ». Rappelons

également que ces défis de communication s’appliquent en sens inverse aussi : les

premières nouvelles de Michilimackinac arrivent à Montréal au compte-goutte sous forme

de rumeurs. Ce n’est que tardivement que les Britanniques réussissent à confirmer que

Beaujeu les a semés pour rejoindre la Louisiane. Dans ce cas-ci, un autre problème se

8 Il se peut que Beaujeu ait appris que le plan fut avorté. Nous savons que l’Abbé Picquet, qui devait suivre Lévis en Louisiane, procède quand même en passant par Michilimackinac. Nous ne savons pas, toutefois, s’il rejoint Beaujeu à temps. Si c’est le cas, cette nouvelle n’empêche pas Beaujeu de rejoindre la Louisiane tout de même pour y continuer de servir le roi. Voir Joseph GAGNÉ, Inconquis. Deux retraites françaises vers la Louisiane après 1760, Québec, Septentrion, 2016, p. 32-42. 9 Puisque nous n’avons aucun témoignage direct de la plume de Beaujeu, nous nous sommes permis d’imaginer ce que l’officier ressentait à ce moment.

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glisse : celui de la dissimulation d’information. Effectivement, les missionnaires de

Michilimackinac ainsi que la famille de Beaujeu affirment aux Britanniques que celui-ci

n’est pas coupable d’insubordination puisqu’il avait bel et bien reçu l’ordre de se replier

aux Illinois. Cependant, l’état-major français n’a jamais mentionné cet ordre aux

Britanniques. Évidemment : il s’agissait d’une mission secrète! Impossible non plus de le

questionner plus tard à ce propos, puisque tous les dirigeants français sont retournés en

France. Ayant été cependant témoin du gouverneur Vaudreuil qui avait écrit à tous les

commandants des postes de se rendre, Jeffery Amherst, le commandant en chef de l’armée

britannique, ne peut que conclure que Beaujeu est coupable de trahison par insubordination.

L’officier français n’a donc aucun recours pour se disculper. Notons, pour en finir avec son

cas, que les rumeurs qui circuleront au sujet de Beaujeu (toutes fausses) en feront tantôt un

supporteur de Pontiac et tantôt un espion pour les Espagnols, attisant la méfiance des

nouveaux maîtres du Canada et retardant le retour de l’officier parmi les siens10.

Comme l’explique Stéphane Genêt, historien français de l’espionnage sous Louis XV :

« le renseignement militaire apporte, croit-on, une sécurité, un avantage, et constitue une

arme supplémentaire11. » Contrairement au front européen, celui de l’Amérique du Nord

pose ses propres défis : « les combattants amérindiens sont omniprésents, les distances y

sont plus écrasantes, le terrain moins maîtrisé et les lignes de communication plus

lâches12. » Et pourtant, le sujet du renseignement est mal connu : suivant une

historiographie surtout penchée sur les événements et les conséquences de la Conquête, ce

n’est que récemment qu’un sujet comme le renseignement commence à attirer l’attention

des historiens. Nous proposons donc par cette thèse de lever le voile sur cet aspect d’une

importance primordiale au sein de l’armée française en Amérique pendant la guerre de Sept

Ans.

10 Pour l’histoire complète de Louis Liénard de Beaujeu, voir GAGNÉ, Inconquis, 258 p. 11 Stéphane GENÊT, « Le renseignement militaire sur les théâtres coloniaux : les enseignements de la guerre de la Conquête », dans Bertrand FONCK et Laurent VEYSSIÈRE (dir.), La fin de la Nouvelle-France, Paris, Armand Colin et Ministère de la Défense, 2013, p. 205. 12 Ibid.

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HISTORIOGRAPHIE Cette thèse suit les sillons du renouveau de l’histoire militaire. Comme le rappelle Jean-

Pierre Bois, « l’histoire militaire a su bénéficier des entrées récentes de l’histoire

générale13. » Par conséquent, la récente diversification des sujets d’étude au sein de cette

branche d’histoire lui a donné un nouveau souffle de vie. Parallèlement, la guerre de Sept

Ans en Amérique a également profité d’un renouveau semblable depuis son 250e

anniversaire, souligné entre 2004 et 2013. Pour paraphraser l’historien Dave Noël, le retour

sur les questions militaires de la Conquête permet entre autres de dissiper des mythes

tenaces comme « celui de la supériorité martiale du milicien canadien14 » et la supposée

incompétence du général Montcalm. De plus, « l’histoire bataille15 », auparavant dédaignée

comme étant strictement événementielle, est dépoussiérée à son tour :

Le moment est arrivé d’en revenir à la guerre, et d’entrer dans la bataille en se plaçant au cœur de cet événement crucial de la vie militaire, même si l’on n’oublie pas que l’armée existe hors des guerres, et que la guerre ne consiste pas qu’à se battre, mais aussi à occuper des territoires, administrer des hommes, établir et maintenir la paix qui est, au fond, son seul objectif.16

En étudiant les batailles, certains éléments en ressortent et se rapprochent dorénavant de

l’histoire sociale de la guerre. C’est notamment le cas du renseignement militaire qui

s’insère dans la sphère de la communication. Armand Mattelart rappelle à ce sujet : « La

communication, cela sert d’abord à faire la guerre17 », mais « La communication, c’est

aussi la culture18 ». Dans le même ordre d’idées, André Corvisier et Hervé Coutau-Bégarie

notent : « Les armées sont, en règle générale, le reflet des sociétés dans lesquelles elles

évoluent. À ce titre, elles ont beaucoup à apporter à l’histoire sociale19. » Ces deux

observations peuvent être appliquées à ce présent sujet d’étude, en ce que les réseaux de

communication en temps de guerre en Nouvelle-France dépendent en grande partie des

voies préexistantes : ainsi, ils deviennent un reflet des réseaux civils déjà établis. Après

13 Jean-Pierre BOIS, « Plaidoyer pour une histoire tactique de la guerre au XVIIIe siècle », dans Geneviève GOUBIER-ROBERT (dir.), L’armée au XVIIIe siècle (1715-1789), Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1999, p. 19. 14 Dave NOËL, Montcalm, général américain, Montréal, Boréal, 2018, p. 12. 15 André CORVISIER et Hervé COUTAU-BÉGARIE, La guerre : Essais historiques, Paris, Perrin, 2005, p. 4. 16 BOIS, « Plaidoyer… », p. 20. 17 Armand MATTELART, La communication-monde, Paris, Éditions la Découverte, 1991, p. 5. 18 Ibid., p. 8. 19 CORVISIER et COUTAU-BÉGARIE, La guerre…, p. 5-6.

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tout, l’histoire militaire de la colonie française n’a-t-elle pas souvent été dépendante de ses

établissements civils et vice-versa? Par exemple, si la fondation d’un fort attire une

présence civile, l’inverse peut être tout aussi vrai. Depuis l’apparition des premiers coureurs

de bois qui se sont aventurés dans les profondeurs des forêts en quête de castors, l’armée

sous une forme ou une autre s’est souvent implantée peu après le passage de ces civils.

Néanmoins, les structures et la logistique des réseaux de communication en Nouvelle-

France demeurent mal comprises. Comme l’explique Kenneth Banks:

Studies of the relationship of communications to imperialism have not been well received by historians until recently. For example, the later work of Harold Adams Innis on the relationship between communications media and imperial systems has long been recognized by communications researchers as an innovative set of studies, but few historians have appeared interested in his work. However, studies emphasizing communications have slowly trickled into historians’ consciousness.20

À cet égard, s’entendre sur l’utilisation des termes « communication » et « renseignement »

avant d’avancer plus loin. La « communication », en particulier, est un terme au sens large,

très large, même... Il est donc important de la définir, la délimiter et lui imposer un cadre à

respecter, sinon nous risquons de nous perdre dans les méandres d’un sujet aussi vaste. En

compilant leurs définitions dans les dictionnaires au fil des années, on peut observer que les

deux mots ont évolué. En premier lieu, la communication décrit l’acte de faire parvenir une

information à autrui, ou comme l’illustre le Dictionnaire de l’Académie française de 1762 :

« Donner communication d’une affaire à quelqu’un21 ». Cette thèse cherche donc à décrire

l’état des réseaux d’information de l’armée française en Amérique. Il ne faut pas s’étonner

que les réseaux de transmission d’information soient mal compris pendant la guerre de Sept

Ans alors que la simple histoire de la poste en Nouvelle-France n’a que récemment fait

l’objet de quelques études plus approfondies. La critique qui revient est que les historiens

se sont surtout intéressés au contenu des lettres plutôt qu’aux moyens par lesquels elles ont

été transmises22. Bien que cette thèse ne se penche pas sur la définition de la

20 Kenneth J. BANKS, Chasing Empire across the Sea: Communications and the State in the French Atlantic, 1713-1763, Montreal & Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2002, p. 10. 21 ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire de l’Académie françoise, Tome 1, Paris, Veuve B. Brunet, 1762, p. 344. 22 Francine BROUSSEAU et John WILLIS, « Forward », dans Jane E. HARRISON, Until next year: letter writing and the mails in the Canadas, 1640-1830. Hull, Québec, Canadian Postal Museum and Canadian Museum of

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communication dans le sens du transport de l’armée et de ses ravitaillements, il existe

nécessairement certains parallèles entre la communication de vivres et de munitions, d’un

côté, et le déplacement d’informations de l’autre. Par exemple, la construction d’une route,

bien que faite d’abord et avant tout pour le déplacement d’une armée, peut aussi raccourcir

le temps de transmission d’un courrier. Ainsi, si cette thèse n’examine pas directement la

communication de ravitaillement pendant la guerre de Sept Ans, le sujet est tout de même

soulevé au besoin et illustre le potentiel pour une étude éventuelle par quiconque voudra

bien s’y pencher en profondeur—après tout, en France tout comme en Nouvelle-France,

« les approvisionnements restent mal connus23 ». En effet, peu de recherches portent sur la

question, même si elle a été évoquée dans le contexte colonial entre autres par Jay Cassel et

Louise Dechêne, ou traitée par le biais de la biographie comme l’étude d’André Côté sur le

munitionnaire Joseph-Michel Cadet24. Pourtant, les sources à ce sujet sont riches et n’ont

pas été exploitées à leur plein potentiel25. Il faut noter que le chapitre de David Preston sur

le voyage de Daniel-Hyacinthe-Marie de Beaujeu vers le fort Duquesne peut servir de

modèle parfait26.

Quant au « renseignement », il s’agit selon les premières définitions d’un simple indice

pour savoir où aller. Il faut d’ailleurs attendre jusqu’en 1932 avant que le Dictionnaire de

l’Académie française reconnaisse à ce terme une connotation militaire, ou à tout le moins

de défense nationale, à l’image de l’Intelligence des cercles militaires anglophones. Par

Civilization, 1997, p. ix et Jay CAPLAN, « Introduction », dans Jay CAPLAN (dir.), Postal culture in Europe, 1500-1800, Oxford, Voltaire Foundation et Oxford University, 2016, p. 1-2. 23 Voir Oliver CHALINE, « Approvisionnements militaires », dans Michel FIGEAC (dir.), L’ancienne France au quotidien : Vie et choses de la vie sous l’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 2007, p. 21-24. 24 Jay CASSEL, « Troupes de la marine in Canada, 1683-1760: Men and Material », thèse de doctorat, Toronto, University of Toronto, 1987, 624 p.; DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, 664 p. et André CÔTÉ, Joseph-Michel Cadet, 1719-1781 : négociant et munitionnaire du roi en Nouvelle-France. Québec, Septentrion, 1998, 400 p. 25 Quiconque s’intéresse purement à la logistique militaire de la communication de munitions et de ravitaillement pendant la guerre de Sept Ans doit noter que le Fonds Pierre Pécaudy de Contrecœur dans le fonds Viger-Verreau (P32) au Séminaire de Québec est une source incontournable. Une partie de la collection a été publiée en 1952. Voir : Fernand GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur et autres documents concernant le conflit anglo-français sur l’Ohio de 1745 à 1756. Vol. 1, Québec, Presses de l’Université Laval, 1952, 485 p. Voir aussi entre autres la Série V7, Commissions extraordinaires du Conseil aux ANOM. 26 David PRESTON, Braddock’s Defeat: The Battle of the Monongahela and the Road to Revolution, New York, Oxford University Press, 2015, p. 127-164. Voir aussi : Jeannine POZZO-LAURENT, « Le réseau routier dans le gouvernement de Québec (1706-1760) », mémoire de maîtrise, Université Laval, 1981, 107 p. et Larry Dale GRAGG, « Transportation and Communication », dans Jacob Ernest COOKE et al. (dir.), Encyclopedia of the North American Colonies, Vol. I, New York, C. Scribner’s Sons, 1993, p. 495-510.

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ailleurs, l’historiographie du renseignement militaire s’est penchée principalement sur les

deux guerres mondiales et les conflits subséquents. Il ne faut pas s’en étonner : la nécessité

d’être au courant de l’évolution des technologies de communication monopolise la

littérature à son sujet. Même l’éminent historien militaire John Keegan, dans son ouvrage

Intelligence in War, fournit une bibliographie sélective exclusivement dédiée aux conflits

du XXe siècle alors qu’il se donne pourtant la peine d’inclure quelques chapitres portant sur

les guerres antérieures à cette période. En somme, pour les besoins de cette thèse et pour

refléter l’utilisation du terme aujourd’hui, le mot « renseignement » sera privilégié pour

décrire l’ensemble de la création et de la cueillette d’informations diverses, leur

dissimulation et leur extirpation de l’adversaire, les réseaux de communication par lesquels

elles circulent, sont disséminées et acheminées dans la hiérarchie de l’armée française et,

enfin, les entraves à leur interprétation.

Si l’historiographie portant sur le service du renseignement en Nouvelle-France est

quasi inexistante, en particulier l’espionnage, il ne faut pas s’en étonner. Comme l’affirme

Stéphane Genêt, outre-Atlantique, elle n’est guère plus développée : « les recherches

historiques françaises sur le thème de l’espionnage se montrent bien rares27. » Nous

observons, encore une fois et à l’instar de Genêt, que la masse des œuvres qui traitent du

sujet du renseignement et de l’espionnage portent sur les conflits du XXe siècle. C’est un

domaine qui est également dominé par les historiens anglophones. Genêt commente : « Ce

tropisme s’explique par le fait que l’espionnage y est depuis toujours, et contrairement à la

France, un thème de recherche respecté (« intelligence studies »). Les documents d’archives

y sont aussi plus faciles d’accès qu’ailleurs28. » Ce n’est que dans les deux dernières

décennies que le thème de l’espionnage a fini par intéresser les historiens français

professionnels, faisant l’objet de nouvelles thèses et de colloques. Il n’empêche que,

comme l’observe Genêt, « Dans toute cette production, française ou étrangère, ancienne ou

récente, il n’existe aucun ouvrage, ou presque, évoquant la question de l’espionnage

27 Stéphane GENÊT, Les espions des Lumières. Actions secrètes et espionnage militaire au temps de Louis XV, Québec, Septentrion, 2017 (2013), p. 17. 28 Ibid., p. 17-18.

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militaire au XVIIIe siècle. La plupart du temps, les écrits historiques s’intéressent à la

période antérieure ou postérieure29. »

Depuis ce commentaire de Genêt publié à l’origine en 2013, le XVIIIe siècle commence

tout de même à retenir enfin l’attention de plus en plus d’historiens. En effet, bien que

toujours sous-représenté dans les recherches sur le sujet, le nombre d’études sur le siècle

des Lumières augmente. À preuve, pendant l’écriture de cette thèse, au moins deux

colloques se sont déroulés portant sur le renseignement et le secret au XVIIIe siècle30.

Néanmoins, cette historiographie est fragmentaire, c’est-à-dire que les études portent

chacune sur un seul thème puisque le renseignement en lui-même comporte de nombreux

sous-sujets (par exemple l’utilisation de codes secrets31). Rares sont les études à l’image de

l’œuvre de Banks, Chasing Empire Across the Sea, qui représente sans doute l’étude la plus

étoffée sur la communication sous ses multiples formes dans le monde atlantique français

entre 1713 et 176332. De surcroît, l’intérêt pour le renseignement au XVIIIe siècle est

fortement marqué par l’avatar qui lui est le plus étroitement associé : l’espion. Il serait

d’ailleurs plus précis de souligner qu’il s’agit de l’espion pendant la Révolution

américaine : entre autres, on songe à l’œuvre de Kenneth A. Daigler33 ou bien celle

d’Alexander Rose, dont le livre a même su piquer l’intérêt du grand public en inspirant la

création de la série Turn: Washington’s Spies34. La guerre de Sept Ans, quant à elle, n’a pas

encore attiré autant d’engouement pour le sujet du renseignement. Pourtant, il y a matière à

aborder, comme le démontrait déjà Lee Kennett dans les années soixante par rapport à la

29 Ibid., p. 19. 30 Le premier, « Le secret de l’État. L’étude du renseignement en France (XVIIe-XXIe siècle) : recherches récentes et nouvelles perspectives », était organisé par les Archives nationales de France et l’université Paris-Sorbonne entre le 4 et 5 mars 2016. L’autre, « Secret/s & Surveillance », avait été tenu par la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle à Kingston, du 26 au 29 octobre 2016. 31 Nicole CASTÉRAN, « Sous le sceau du secret-correspondance chiffrée en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans », dans John WILLIS (dir.), More Than Words. Readings in Transport, Communication and the History of Postal Communication, Gatineau, Canadian Museum of Civilization, 2007, p. 141-157 et Donald E. PUSCH, « Kerlérec’s Cipher: The Code Book of Louisiana’s Last French Governor », Louisiana History: The Journal of the Louisiana Historical Association, Vol. 49, No. 4 (Fall 2008), p. 463–480. 32 BANKS, Chasing Empire across the Sea, p. 12. 33 Kenneth A. DAIGLER, Spies, Patriots, and Traitors: American Intelligence in the Revolutionary War, Washington, Georgetown University Press, 2014, p. 317 34 Diffusée en quatre saisons sur les ondes d’AMC entre 2014 et 2017. Alexander ROSE, Washington’s Spies: The Story of America’s First Spy Ring, New York, Bantam Dell, 2006, 370. p.

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France35. Plus près de nos platebandes coloniales se trouve évidemment les études de

Stéphane Genêt qui s’est intéressé à l’espionnage sous Louis XV tant en Europe qu’en

Nouvelle-France36. Il n’empêche qu’en gros, outre Genêt et les quelques études

biographiques de l’espion Pichon37, il n’y a que Peter MacLeod38 qui se soit intéressé

quelque peu à l’espionnage pendant la guerre de la Conquête.

Le deuxième sous-sujet du renseignement le mieux étudié porte sur les gazettes. Alors

que Guy Frégault s’était appuyé principalement sur les gazettes britanniques pour son étude

sur la Conquête (aucune presse n’existant en Nouvelle-France), la nouvelle génération

d’historiens semble particulièrement intéressée par la communication et les médias pendant

cette période. Entre autres, le Français Edmond Dziembowski s’intéresse au rôle des

gazettes au sein de la diplomatie franco-britannique; l’Américaine Alyssa Zuercher

Reichardt se penche dans sa thèse doctorale sur les gazettes et la formation de réseaux de

communications au service de la compétition territoriale entre les pouvoirs français,

britanniques, iroquois et cherokees; enfin, au Québec, la doctorante Jacinthe De Montigny

compare la propagande de guerre au sein de diverses gazettes britanniques et françaises39.

Du même souffle, notons que les parallèles entre la propagande et les rumeurs obligent à

faire un détour par l’histoire de ces dernières, l’œuvre de Gregory Evans Dowd étant une

lecture primordiale pour quiconque aborde la question de leurs effets sur le renseignement

au XVIIIe siècle40.

35 Lee KENNETT, « French Military Intelligence, 1756-1763 », Military Affairs, Vol. 29, No. 4 (hiver 1965-1966), p. 201-204. 36 GENÊT, Les espions des Lumières, 532 p. et Idem, « Le renseignement militaire… », p. 205-225. 37 Voir entre autres les sources dans : T. A. CROWLEY, « Thomas Pichon », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 682-684. 38 Peter MACLEOD, « Treason at Quebec: British Espionage in Canada during the Winter of 1759-1760 », Canadian Military History, Vol. 2, No. 1, (1993), p. 49-62. 39 Edmond DZIEMBOWSKI, « Transparence ou désinformation? La perte du Canada dans la presse gouvernementale française », dans Bertrand FONCK et Laurent VEYSSIÈRE (dir.), La fin de la Nouvelle-France, Paris, Armand Colin et Ministère de la Défense, 2013, p. 372-385; Jacinthe DE MONTIGNY, « Le Canada dans l’imaginaire colonial français (1754-1756) », French History and Civilization. Volume 7, Vol. 7 (2017), p. 80-92; Alyssa Zuercher REICHARDT, « War for the Interior: Imperial Conflict and the Formation of North American and Transatlantic Communications Infrastructure, 1727-1774 », thèse de doctorat, New Haven, Yale University, 2017, 425 p. et Guy FRÉGAULT, La guerre de la conquête 1754-1760, Montréal, Fides, 1955, 514 p. 40 Gregory Evans DOWD, Groundless: Rumors, Legends, and Hoaxes on the Early American Frontier, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2015, 391 p.

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Enfin, notons que l’historiographie sur le renseignement chez les Autochtones est, pour

citer Sylvain Fortin, « à toutes fins utiles, inexistante41 ». Comme le souligne l’historien,

Dowd et Gilles Havard sont les seuls à consacrer quelques pages à cette la question. Outre

l’étude de Fortin touchant la question mais pour le XVIIe siècle, les études sur les

Autochtones pendant la guerre de Sept Ans se penchent plutôt sur les batailles et les

relations diplomatiques.

La présente thèse se différencie de cette historiographie de nombreuses façons, la

première étant en se concentrant sur le terrain colonial plus large, incluant l’Acadie et la

Louisiane. En effet, le renouveau de l’histoire militaire de la Nouvelle-France se recalibre à

la lumière de l’histoire du monde atlantique : on ne peut plus mener une étude qui se replie

strictement sur la vallée du Saint-Laurent. Il faut dorénavant tenir compte des autres régions

de la colonie, comme le corridor des lacs Champlain et George, la Louisiane, les fourches

de l’Ohio et l’Acadie, en comparant le tout à ce qui se passe en Europe42. Par exemple,

comme il sera traité plus tard, la petite guerre n’apparaît plus comme une invention

purement nord-américaine mais une continuité de tactiques déjà utilisées tant en Europe

qu’en Amérique. D’autre part, même si les recherches de Genêt et de MacLeod ont été

parmi les études les plus utiles pour cette thèse, une relecture de leurs sources permet de les

intégrer dans de nouveaux thèmes abordés et de déterrer de nouvelles pistes qui,

curieusement, n’ont pas retenu l’attention des deux historiens (l’espion Kennedy, dans le

chapitre 5, en est le plus bel exemple). Par ailleurs, le rôle des Autochtones est approfondi :

plus que de simples agents pour les Français et les Britanniques, ils sont profondément

investis dans le renseignement pour leurs propres fins diplomatiques. Enfin, bien que nous

aurions pu inclure la guerre de succession d’Autriche dans notre cadre temporel, le choix

d’étudier la guerre de Sept Ans a permis de borner et d’encadrer notre recherche dans une

chronologie spécifique sans s’éparpiller. Rien n’empêche qu’une étude semblable puisse se

faire à l’avenir pour la décennie précédente, ce qui permettrait non seulement d’élargir la

portée du sujet, mais également de voir son évolution entre les deux guerres.

41 Sylvain FORTIN, Stratèges, diplomates et espions. La politique étrangère franco-indienne. 1667-1701, Québec, Septentrion, 2002, p. 26-27. 42 Remerciements à Stéphane Genêt qui a généreusement fourni plusieurs pistes de recherche au début de nos reflexions. Stéphane GENÊT, correspondance par courriel, le 9 mars 2014.

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PROBLÉMATIQUE Depuis les débuts de la civilisation, les chefs militaires ont toujours cherché à s’informer

sur leurs ennemis. George Washington, lui-même un vétéran de la guerre de Sept Ans,

rappelle que l’importance du renseignement est évidente et qu’il n’y a nul besoin de

débattre de la question43. En effet, si l’artillerie et les munitions sont les principales armes

d’un général, le renseignement n’est tout de même pas négligeable : ce n’est d’ailleurs pas

anodin qu’en anglais on puisse dire « To be armed with the right information44 »… Qu’il

s’agisse d’exploiter la connaissance des faiblesses de l’ennemi afin de mieux le diviser pour

le subjuguer, ou bien de miner sa résistance mentale en l’accablant de rumeurs des

violences qui lui seront infligées, les plus brillants leaders militaires de l’histoire ont su tirer

avantage des différents éléments du renseignement et de la communication45. Mais jusqu’à

quel degré peut-on accorder une utilité à ces « voix de guerre » en Amérique sous le

Régime français et pourquoi s’y intéresser?

Tout d’abord, les historiens du Régime français ont longtemps cherché à comprendre la

chute de la Nouvelle-France et par conséquent ont avancé plusieurs explications. Comme le

rappellent Sophie Imbeault et Jacques Mathieu :

La perception historienne de cette guerre illustre bien la mouvance des sensibilités. Dès le départ, on a rejeté la faute sur le traître qui s’était laissé surprendre à son poste de garde au sommet du promontoire de Québec et sur le pilote de navire qui avait guidé la flotte britannique d’Halifax à Québec. On a par la suite insisté sur les malversations de l’intendant Bigot. Puis, la mésentente profonde entre le gouverneur Vaudreuil et le général Montcalm a fait conclure aux erreurs et aux lacunes de la stratégie militaire. Finalement, l’historien Guy Frégault, s’élevant au-dessus de ces éléments factuels, a attribué au succès de colonisation britannique l’aboutissement d’un conflit armé qui opposait une colonie de 70 000 habitants aux colonies britanniques d’Amérique qui comptaient un million et demi d’habitants. Le titre même de son livre, paru il y a plus de 50 ans, témoigne clairement du changement de paradigme. Il a délaissé l’appellation traditionnelle de « la guerre de Sept Ans en Amérique du Nord » et opté pour une formule plus draconienne : « La guerre de la Conquête ».46

43 « The necessity of procuring good intelligence is apparent and need not be further argued. » Cité dans John KEEGAN, Intelligence in War. Knowledge of the Enemy from Napoleon to Al-Qaeda, Toronto, Key Porter Books, 2003, p. 10. 44 Un grand merci au traducteur Frédéric Demers de nous avoir signalé ce clin d’œil linguistique. 45 KEEGAN, Intelligence in War..., p. 10. 46 MATHIEU et IMBEAULT, La guerre des Canadiens…, p. 257.

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Dans cette recension rapide, il ne faut pas oublier l’historien américain Fred Anderson qui a

su bien démontrer que le dénouement de cette guerre en Amérique dépendait en grande

partie de l’appui des nombreuses nations autochtones47. Louise Dechêne, quant à elle, s’est

intéressée à la supposée bellicosité des Canadiens et a fini par dégonfler leur réputation de

férocité48. En somme, il existe autant d’hypothèses que d’historiens qui ont tenté

d’expliquer à divers degrés le tournant du conflit, sans réussir à l’expliquer à 100% (du

moins, ceux qui espéraient le faire49). En réalité, plutôt que le résultat d’un seul facteur, la

perte de la colonie par la France est la somme de ses composantes sociales, géographiques,

démographiques, technologiques, militaires et politiques. Ce qui suit n’est donc pas une

autre quête pour une explication absolue, mais plutôt la contribution d’un élément de plus

qui nous sert à comprendre cette période et les rouages de la machine militaire en Amérique

au XVIIIe siècle.

Afin de ne pas sombrer dans la simple compilation d’anecdotes et pour bien se

démarquer des autres études sur le renseignement, cette thèse vient s’appuyer sur l’étude

Intelligence in War de John Keegan et sa question centrale : « how useful is intelligence in

war?50 ». Comme nous le rappelle l’auteur, même l’armée la mieux informée sur l’ennemi

ne va pas forcément gagner une bataille : « Intelligence may be usually necessary but not a

sufficient condition of victory51 ». Plusieurs conditions, en effet, sont nécessaires pour

remporter un engagement; rares sont les facteurs uniques qui déterminent l’issue d’un

conflit. « Foreknowledge is no protection against disaster. Even real-time intelligence is

never real enough. Only force finally counts52. » Pourtant, dans le contexte colonial,

Keegan se ravise. Si la conclusion de son ouvrage démontre par de nombreux exemples des

XIXe et XXe siècles que les batailles se gagnent le plus souvent par la puissance brute d’une

47 Fred ANDERSON, Crucible of War. The Seven Years’ War and the Fate of Empire in British North America, 1754-1766, New York, Alfred A. Knopf, 2000, p. 862. 48 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, 664 p. 49 Par exemple, voir l’introduction du chapitre 5 de cettte thèse sur la question du « traître de Québec » qui, supposément, aurait été la cause de la chute de la colonie. 50KEEGAN, Intelligence in War..., p. 1. 51Ibid., p. 383. 52 Ibid., p. 399.

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armée53, l’auteur porte une conclusion différente en ce qui concerne les guerres coloniales

en Amérique, étrangement sans donner d’autre exemple que celui-ci :

In their wars outside Europe, particularly in the North American Forests, where Red Indian allies knew the ground intimately and were masters of the arts of scouting and surprise, European armies were to suffer shocking defeats in the depths of the woods. General Braddock’s disaster at the Monongahela, near modern Pittsburgh, where a large British force was wiped out in a few hours in 1755, was entirely the result of walking blind in an ambush prepared by the French, led by their native American allies, in uncharted and unscouted woodland. In what both sides came to call ‘American warfare’, intelligence remained at a premium and usually provided the basis of victory or defeat. In the familiar campaigning grounds of Europe, during the great wars of the French Revolution and Napoleonic empire (1792-1815), intelligence rarely brought victory solely by its own account.54

Cette affirmation sans développement supplémentaire évoque donc cette question :

l’exemple de l’armée française pendant la guerre de Sept Ans confirme-t-il ou infirme-t-il

qu’une victoire militaire dans le milieu colonial nord-américain dépend du renseignement?

Comme il est démontré dans la précédente historiographie, jusqu’ici l’étude du sujet du

renseignement pendant la guerre de Sept Ans a été fragmentaire, chaque étude portant sur

un élément différent. Ce qui suit cherche à rassembler les thèmes qui nous ont parus les

plus évidents après lecture des sources, le fil conducteur étant, évidemment, le

renseignement militaire en Nouvelle-France. De plus, cette thèse ne se penche pas tant sur

les décisions de l’état-major prises à la lumière de ce renseignement, mais plutôt sur le

mécanisme et la logistique de ce dernier. Au centre de la problématique se trouvent les

officiers, les premiers intéressés étant les membres de l’état-major jusqu’à qui son

acheminées les informations recueillies afin de prendre des décisions55. Par

l’échantillonnage de journaux, de correspondances et d’autres documents connexes, nous

cherchons à reconstituer le parcours des informations, soit les méthodes de recueil et les

réseaux par lesquels elles circulent en Nouvelle-France.

53 Ibid. 54 Ibid., p. 17-18. 55 De toute manière, il n’existe qu’un seul journal écrit de la main d’un soldat français au Canada. J.C.B. (Édité par l’abbé H.R. CASGRAIN), Voyage au Canada dans le nord de l’Amérique septentrionale fait depuis l’an 1751 à 1761 par J.C.B., Québec, Imprimerie Léger Rousseau, 1887, 255 p.

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SOURCES ET MÉTHODOLOGIE Alors que les méthodes du renseignement évoluent et s’adaptent aux conditions de chaque

conflit, les bases demeurent constantes, peu importe s’il s’agit du XVIIIe siècle ou de l’ère

du numérique. Paraphrasons Keegan qui résume cinq « stades fondamentaux » du

renseignement56 :

• L’acquisition : souvent menée par l’entremise de l’espionnage et d’autres méthodes

clandestines, elle sert à intercepter et décrypter les messages de l’ennemi.

• La transmission : sans doute le stade le plus difficile, en particulier si l’information a été

recueillie par un espion. Ce dernier risque en tout temps de se faire démasquer. Le temps

compte aussi : l’information doit être transmise rapidement avant qu’elle ne devienne

« dépassée par les événements ».

• L’acceptation : il s’agit ici d’être capable de faire confiance à la fois à l’information et à

son porteur. Est-ce que ce dernier, plus souvent un espion, est toujours fidèle? Même s’il

l’est, est-ce que l’information est sûre, ou bien s’agit-il d’une désinformation propagée par

l’ennemi?

• L’interprétation : les renseignements sur l’ennemi parviennent fréquemment à l’état-

major sous forme de bouchées d’informations incomplètes. Il faut donc assembler ces

indices épars en espérant y reconstituer un message cohérent. Dans de nombreux cas, il faut

se fier à la déduction pour combler certains détails manquants. Dans ces cas, on risque de

devenir vulnérable au hasard.

• Mise en œuvre : Enfin, il reste à convaincre les officiers supérieurs de la validité des

informations acquises. Comme le souligne Keegan, il n’existe aucun « secret doré », c’est-

à-dire un « renseignement pur » qui peut effacer le moindre doute dans l’esprit d’un

général. Au final, ce qui compte est la confrontation entre la théorie et la réalité.

Ceci dit, nous nous pencherons surtout sur les trois premiers stades, les moins étudiés

pour cette guerre, en nous fondant sur un corpus manuscrit et imprimé. Le plus important

fonds est la collection Casgrain, composée de onze tomes publiés entre 1889 et 1895

56 KEEGAN, Intelligence in War..., p. 3-4.

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recueillant les papiers du chevalier de Lévis. Cette collection contient entre autres des

journaux, des dépositions, ainsi qu’une grande partie de la correspondance de l’état-major.

Celle-ci ouvre donc la plus grande brèche sur les pratiques de renseignement de l’armée

française. Maintenant numérisés, ces documents sont d’autant plus précieux, étant

disponibles en format PDF et permettant la recherche par mots clés dans le texte.

Le deuxième pilier de notre recherche est la masse de correspondance manuscrite de

l’état-major. Le principal fonds consulté est la correspondance en provenance du Canada,

soit la série C11A aux Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence et dont les copies

numérisées et micofilmées sont non seulement consultables chez BAnQ et BAC, mais font

l’objet de quelques inventaires détaillés ainsi que d’outils numériques57. Il nous est paru

redondant de consulter la correspondance vers les colonies contenue dans la série B,

premièrement à cause de la richesse du fonds C11A, mais surtout par la quantité de lettres

provenant de Versailles déjà retranscrites dans le troisième tome de la collection Casgrain.

Par ailleurs, alors que l’Acadie est souvent incluse dans les documents du Canada, en ce qui

concerne la Louisiane, l’accès à sa correspondance manuscrite, même officielle, n’est pas

toujours aisé. Même s’il existe à La Nouvelle-Orléans un fonds de documents du Régime

français, il n’est pas aussi complet ni aussi bien catalogué que ceux trouvés à Québec et à

Montréal58. Le fonds C13A aux ANOM est donc la collection à privilégier, bien que le

lecteur doive noter que, contrairement à BAC, BAnQ ne possède qu’une partie des

reproductions du fonds microfilmé59.

En Louisiane comme au Canada, la correspondance officielle entre l’état-major et le

gouvernement en France inclut rarement les copies originales des rapports de sous-officiers.

À la place, l’information trouvée dans ces relations passe par le filtre du gouverneur, du

général et de tout autre membre de l’administration coloniale, qui vont en résumer la

teneur. Comme le souligne Patricia Galloway au sujet de Vaudreuil lorsqu’il était

57 L’outil le plus facilement consultable est le site Archives de la Nouvelle-France de Bibliothèque et Archives Canada à cette adresse : https://nouvelle-france.org/. 58 Voir à ce sujet Patricia GALLOWAY, « Louisiana Post Letters: The Missing Evidence for Indian Diplomacy », Louisiana History: The Journal of the Louisiana Historical Association, Vol. 22, No. 1 (1981), p. 31-44 et GAGNÉ, Inconquis, p. 243-244. 59 Il existe un inventaire du fond C13A : Marie Antoinette MENIER, Etienne TAILLEMITE et Gilberte DE FORGES, Correspondance à l’arrivée en provenance de la Louisiane, Paris, Archives Nationales, Inventaire des Archives coloniales, 1976, 2 tomes, 771 p.

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gouverneur de la Louisiane, le temps que l’information soit transmise au gouverneur,

distillée et interprétée par ce dernier, la correspondance « officielle » est criblée de

nombreuses distorsions des faits60. C’est pourquoi les collections de lettres de sous-

officiers, lorsqu’elles existent, sont importantes : par exemple, les papiers de Claude-Pierre

Pécaudy de Contrecœur, déjà mentionnés ci-haut, sont une véritable fenêtre sur

l’occupation et la militarisation de la rivière Ohio. Dans la courte période de paix entre la

guerre de Succession d’Autriche et la guerre de Sept Ans, ils représentent une véritable

mine d’or d’exemple de correspondances produites au bas de l’échelle hiérarchique de

l’armée en Amérique.

Néanmoins, même les meilleures collections de correspondance contiennent certains

vides. C’est le cas notamment des manuscrits du chevalier de Lévis, qui regroupent non

seulement son courrier entrant, mais aussi des copies de ses lettres envoyées. L’année 1758

est plutôt dégarnie en comparaison aux années précédentes. L’été 1759, quant à lui, est

presque totalement absent. Le journal de Bougainville, une des sources les plus riches sur

cette guerre, est également bref au sujet du siège de Québec. S’agit-il d’une année où on est

trop occupé par la guerre pour écrire? Pourtant, il existe d’autres journaux beaucoup plus

bavards sur l’année 1759. Donc, il est difficile de dire pourquoi au juste certaines sources

sont plus garnies que d’autres. Par ailleurs, la question des habitudes d’écriture des officiers

sera abordée plus loin au chapitre 2.

Au XVIIIe siècle, surtout en Nouvelle-France, la cloison entre les militaires et les civils

n’est pas aussi étanche qu’elle ne l’est aujourd’hui. Ainsi, les potins courent vite entre les

deux sphères sociales. Ces bribes d’informations transparaissent dans les écrits civils.

D’une part, les lettres de Mme Bégon, par exemple, datent d’avant la guerre, certes, mais

nous offrent un coup d’œil sur l’atmosphère qui plane tout juste avant sa déclaration—

prophétisant d’ailleurs qu’elle veut se « tirer de ce pays avant que la guerre

recommence61 ». D’autres civils, anonymes, nous ont légué des témoignages du siège de

Québec, parmi les plus précieux. Sans oublier les écrits civils britanniques : comme leurs

contemporains militaires, leurs journaux et leurs correspondances peuvent également ouvrir

60 GALLOWAY, « Louisiana Post Letters », p. 35-37. 61 Élisabeth BÉGON, Lettres au cher fils, Montréal, Boréal, 1994, p. 185.

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des brèches intéressantes sur la Nouvelle-France, qu’il s’agisse de marchands comme

Alexander Henry ou bien de captives comme Mary Jemison62. Les journaux de prisonniers

britanniques sont une source sous-exploitée en général dans les études francophones de la

Conquête. Entre autres, nous avons consulté le journal du Ranger Thomas Brown et du

civil John Witherspoon, révélateurs de nombreux sous-entendus dans les sources

françaises63. Ces sources permettent donc d’avoir entre autres des témoignages sur le

traitement et l’interrogation des prisonniers. D’autre part, alors que nous avions accès à de

nombreuses sources britanniques, soit des journaux et des anthologies de correspondance

publiés, nous n’avons malheureusement pas pu fouiller les gazettes britanniques de manière

approfondie. Ces collections de périodiques anglophones du XVIIIe siècle ne se trouvent pas

parmi les bases de données disponibles dans notre institution de recherche. Par la générosité

de certains collègues américains et des quelques numéros glanés sur internet, nous avons

quand-même pu retenir un certain échantillonnage (bien que largement aléatoire)

permettant de démontrer le type d’informations qu’on peut y trouver.

L’historien de la Nouvelle-France se doit d’intégrer les Autochtones à l’histoire de cette

colonie. Qu’il s’agisse des premières explorations, des balbutiements de la colonisation, du

commerce ou bien des guerres coloniales, les peuples autochtones sont indissociables de

l’aventure française en Amérique. En ce qui concerne ce conflit, Peter MacLeod est

catégorique : « La guerre de Sept Ans n’aurait jamais eu lieu s’il n’en avait tenu qu’aux

Iroquois du Canada64. » Rappelons encore une fois que Fred Anderson, dans son œuvre

fondamentale Crucible of War, pousse davantage l’implication autochtone au-delà de celle

62 HENRY, L’Attaque de 1763, 212 p. et James Everette SEAVER, A Narrative of The Life of Mary Jemison, The White Woman of The Genesee, New York, The American Scenic & Historic Preservation Society, 1918, 453 p. Notons également un exemple suédois, le naturaliste Pehr Kalm, qui nous lègue un des plus beaux témoignages de la vie en Nouvelle-France après sa visite dans la colonie en 1749. Pehr KALM, Voyage de Kalm en Amérique. Traduction, Montréal, Société historique de Montréal et T. Berthiaume, 1880, 256 p. Nous tenons à rassurer le lecteur que nous connaissons la traduction à jour de Guy Béthune et Jacques Rousseau de 1977; toutefois, les mésures en œuvre pour combattre la pandémie de 2020 nous ont empêché de la consulter. 63 Thomas BROWN, « A Plain Narrativ of the Uncommon Sufferings and Remarkable Deliverance of Thomas Brown, of Charlestown, in New England [...] », dans The Magazine of History, Vol. 1, No. 1-4, New York, William Abbatt, 1908, p. 207-221 et John WITHERSPOON, « Journal of John Witherspoon », dans Collections of the Nova Scotia Historical Society For the Years 1879-80. Volume II, Halifax, The Morning Herald Office, 1881, p. 31-62. 64 D. Peter MACLEOD, Les Iroquois et la guerre de Sept Ans, Montréal, VLB, 2000, p. 9.

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des Cinq-Nations65, illustrant que l’issue d’une victoire, qu’elle soit française ou

britannique, dépend d’avec qui les diverses Premières Nations décident de s’allier,

d’attaquer ou d’exprimer leur neutralité66. Cependant, étudier la communication selon un

contexte autochtone est un défi particulier. Les témoignages écrits directement de la main

d’Autochtones sont excessivement rares. Par exemple, pour la bataille des plaines

d’Abraham, Peter MacLeod n’en recense qu’un seul, recueilli 65 ans après les faits67. La

masse des témoignages des Premières Nations est donc indirecte, ne nous parvenant que par

le filtre des chroniqueurs européens. Qu’il s’agisse de transcriptions imparfaites de conseils

de guerre, de rapports d’éclaireurs ou de dialogues transcrits, tous sont paraphrasés. Il est

important de lire entre les lignes et de soulever la dissonance cognitive de certains auteurs

comme Bougainville qui peut un moment critiquer les actions des alliés et pourtant, au

prochain paragraphe, noter leurs justifications légitimes. Tenant compte de ces attitudes

envers les alliés autochtones, il est parfois possible de percer à travers le brouillard des

préjugés et de se faire une idée, quoiqu’imparfaite, de l’expérience autochtone. Ceci dit, les

mémoires de Pouchot sont particulièrement intéressants. Fils d’un marchand, les

observations de Pouchot sur les alliés autochtones sont plus candides, dégagées de la

pompe du jugement d’une éducation classique typique de plusieurs membres de la noblesse

comme Bougainville. Ses observations sur les guerriers autochtones sont parmi les plus

sobres et réfléchis des témoignages contemporains68.

En 1955, Guy Frégault écrivait au sujet de la guerre de Sept Ans : « Ce conflit comporte

tant d’aspects que l’étude en est, à vrai dire, inépuisable69 ». Plus de soixante ans plus tard,

ces paroles sont toujours vraies et s’appliquent également à ce sous-sujet en particulier.

Dans son ensemble, notre corpus de source nous a permis après lecture de rassembler six

chapitres représentant autant de thèmes qui nous ont parus évidents. Par manque de temps

65 Techniquement appelées les Six-Nations après 1722 avec l’inclusion des Tuscaroras. Même plus de trente ans après, les sources françaises ont tendance à interchanger le nom avec Cinq-Nations. 66 Voir : ANDERSON, Crucible of War, p. 862. 67 « Indian Lorette. The story of Oui-ha-ra-lih-te or Petite Etienne, the old Chief », The Star and Commercial Advertiser / L'Étoile et journal du commerce, No. 11 (13 february 1828) et No. 13 (27 février 1828), cité dans D. Peter MACLEOD, Northern Armageddon: The Battle of the Plains of Abraham, Vancouver & Toronto, Douglas & McIntyre, 2008, p. 73. 68 Pierre POUCHOT, Mémoires sur la dernière guerre de l’Amérique septentrionale, Québec, Septentrion, 2003 (1781), 322 p. 69 FRÉGAULT, La guerre de la conquête…, p. 10.

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et par le hasard des découvertes dans les sources, certaines pistes prometteuses, comme

l’utilisation de signaux, n’ont pas encore fourni assez de notes pour mériter un chapitre à

elles seules, mais pourront tout de même servir à l’avenir. Nous comptons, par exemple,

compléter une étude sur le rôle des interprètes au sein des relations entre l’état-major et les

chefs de guerre autochtones.

Si l’angle thématique de cette thèse nous a semblé être la meilleure façon de ratisser le

sujet de manière large pour en dégager un bon regard d’ensemble, de nouveaux angles

d’approche pourront y contribuer et la compléter. Un chercheur qui le veut pourrait mener

par exemple des études de cas afin d’approfondir le rôle du renseignement sur des

campagnes comme celle du siège d’Oswego, sous-étudiée comparativement au siège de

William Henry. Par ailleurs, bien que nous avons cherché à intégrer l’angle autochtone le

plus souvent possible, quiconque s’y intéresse peut noter que cet aspect du renseignement

mérite à lui seul d’être approfondi davantage dans une étude subséquente à l’image de

l’œuvre de Sylvain Fortin qui porte sur le XVIIe siècle. La recherche pour cette thèse a

également été menée à l’aide des sources à notre disposition à Québec et glanées des

quelques voyages de recherche menés aux États-Unis pendant notre maîtrise. La

consultation de sources auxquelles nous n’avions pas accès pourra approfondir de nouvelles

avenues d’études sur le renseignement en Nouvelle-France : il ne s’agit que de penser aux

sources britanniques comme les gazettes contemporaines et la collection cartographique

confisquée par Amherst, aujourd’hui disponible à Londres.

PRÉSENTATION DE LA MATIÈRE ABORDÉE Comme discuté dans notre méthodologie, le sujet du renseignement militaire au sein de

l’armée française pendant la guerre de Sept Ans en Amérique sera abordé thématiquement.

Chaque chapitre représente un des six thèmes qui nous ont parus évidents à la lecture des

sources. Pour commencer, le premier chapitre porte sur la connaissance de la géographie du

front de guerre. En se familiarisant avec celle-ci, l’état-major cherche à anticiper la

stratégie ennemie tout en identifiant les entraves du terrain à éviter. L’accumulation et la

protection de ces nouvelles informations est au centre de cette préoccupation. Le deuxième

chapitre porte sur la culture de l’écrit qui est au sein du renseignement militaire. Nous

examinons la création et l’utilisation des documents qui forment l’échine du renseignement.

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Le troisième chapitre est la suite logique du précédent, se penchant sur la transmission de

ces informations sur l’ensemble de la géographie coloniale et des relais entre ce front et

Versailles. Le quatrième chapitre porte à la fois sur l’utilité des troupes légères comme outil

du renseignement militaire et sur les captifs qu’elles recueillent. D’une part, les partisans de

la « petite guerre » sont envoyés en partis de raid pour s’informer sur les positions

ennemies et de l’autre, pour capturer des prisonniers qui sont la principale source

d’informations au sujet de l’adversaire. Le cinquième chapitre est également le plus long,

portant sur l’espionnage, les traîtres et les collaborateurs. Ce chapitre démontre non

seulement les activités de ceux-ci dans la colonie, mais également comment l’état-major

instrumentalise la chasse aux espions pour ses propres fins. Enfin, le dernier chapitre porte

sur la désinformation et les problèmes qui en découlent. Nous examinons la rumeur, la

propagande et le renseignement « ésotérique » qui viennent brouiller les plans de l’état-

major qui peine déjà à tirer le vrai du faux dans les rapports.

SUR LES ETHNONYMES UTILISÉS Avant de poursuivre, une note d’éclaircissement s’impose : tout au long de cette thèse, nous

parlerons de différentes nationalités et d’origines ethniques. Pour éviter la confusion,

mentionnons que le terme « Français » servira le plus souvent d’indicatif général pour toute

personne d’origine européenne rattachée à la France, tant métropolitain que colon. Nous ne

mentionnerons le terme « Canadien » ou « habitant » que lorsqu’il sera nécessaire de

différencier entre ceux nés dans la colonie et ceux arrivés d’outre-mer, les

« métropolitains ». Également, en parlant des Créoles de la Louisiane et du Pays des

Illinois, nous faisons référence aux colons. Il ne s’agit pas ici d’individus nés de mariages

mixtes—entre Blancs, Noirs et Autochtones—tel qu’on le conçoit aujourd’hui, mais bel et

bien d’un synonyme louisianais pour « habitants »70.

Rappelons au passage que les « Britanniques » ne forment pas une masse homogène; à

elles seules, les colonies britanniques ont chacune des factions politiques et religieuses

70 Carl J. EKBERG, French Roots in the Illinois Country: The Mississippi Frontier in Colonial Times, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1998, p. 33

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compliquant la prise de décisions militaires et économiques pendant ce conflit71. Le nom

« Britannique » sera donc également utilisé comme terme générique. Nous ne

mentionnerons les Anglais, les Écossais, les Irlandais et les colons qu’au besoin lorsqu’il

sera important de spécifier leurs origines géographiques.

Enfin, au sujet des Premières Nations, nous nommerons lorsque possible leurs

affiliations respectives. Toutefois, pour éviter toute confusion et pour éviter tout risque

d’anachronisme produit par l’évolution des identités autochtones ou de la refonte de

certaines populations depuis les derniers deux siècles et demi, nous nous en tiendrons aux

noms contemporains au conflit. Néanmoins, contrairement à ce qui est indiqué par

l’historiographie traditionnelle et la mémoire populaire, Gilles Havard rappelle que le terme

« Sauvage » ne porte plus depuis longtemps la connotation innocente d’homme libre ou

d’habitant les forêts :

Au XVIIe siècle, au Canada, le terme “sauvage” s’est rapidement désolidarisé de l’antique figure européenne de l’homo sylvestris couvert de poils. Couramment utilisé pour désigner les autochtones, il renvoie alors à leur supposée ignorance, à leur caractère jugé incivil, rustre et grossier, à leur indiscipline aussi. La sauvagerie est associée à la bassesse, à la vulgarité et à l’incivilité. D’ailleurs, en France même, la civilité est mal partagée. Comme le note Furetière (1690), “les paysans ne sont pas civilisez comme les bourgeois, et les bourgeois comme les Courtisans”; “il n’y a que les paysans, les gens grossiers qui manquent à la civilité”. Au fond, le “Sauvage” américain, dans l’imaginaire des élites, ne constitue que le double exotique du frustre paysan de France, auquel il est explicitement comparé.72

Bien qu’il nous arrivera à l’occasion de citer des documents d’époque utilisant le terme—

on ne peut y échapper—ou pour illustrer la pensée d’un acteur d’époque, dans un souci

d’éliminer toute ambigüité reliée à l’adjectif, nous éviterons le terme « sauvage » qui

aujourd’hui est péjoratif de toute manière. Enfin, à la différence du mot « soldat », nous

utilisons le terme « guerrier » à la fois pour rappeler l’appartenance du combattant

autochtone à une culture martiale différente de celle de l’Européen, et pour le différencier

des miliciens et des soldats européens.

71 Pour un excellent exemple, consulter Brady CRYTZER, War in the Peaceable Kingdom: The Kittanning Raid of 1756, Yardley, Pennsylvania, Westholme Publishing, LLC, 2016, 226 p. 72 Gilles HAVARD, Histoire des coureurs de bois: Amérique du Nord, 1600-1840, Paris, Les Indes savantes, 2016, p. 152-153.

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CHAPITRE 1

CONSOLIDER L’EMPRISE IMPÉRIALE : PRENDRE CONNAISSANCE DU TERRITOIRE

INTRODUCTION : LA FIN D’UNE PAIX ARMÉE Le 18 octobre 1748, la ratification du Traité d’Aix-la-Chapelle met fin à près d’une

décennie de guerre. La nouvelle de la cessation des hostilités tarde à circuler en Nouvelle-

France : ce sont d’abord des prisonniers capturés en Acadie pendant l’été 1748 qui

informent que la paix est survenue73. Cette nouvelle devance la lettre du ministre, pourtant

écrite le 8 février 1748, informant le commandant général Roland-Michel Barrin de

La Galissonière des négociations de paix qui ont eu lieu74. La correspondance

transatlantique souffre de décalages importants : l’officier ne reçoit qu’en 1749 des lettres

écrites en juin 174875. Après lecture des deux lettres du ministre datées du 28 octobre 1748

et du 28 février 1749 confirmant la signature du traité final du 18 octobre entre la France,

l’Angleterre et les Provinces-Unies, La Galissonière (agissant comme gouverneur par

intérim de Québec en l’absence de La Jonquière) et l’intendant François Bigot annoncent

l’accord de paix au public presque neuf mois après les faits76. L’évêque de Québec fait

chanter le Te Deum et on procède aux « cérémonies et réjouissances accoutumées

conformément à la lettre du Roy77 ». La nouvelle de la paix se propage jusqu’aux marges

de la colonie : à Michilimackinac seul, le gouvernement dépense pas moins de 7 570 livres

sur divers produits de traite « tant pour les réjouissances que pour les presents a faire au[x]

sauvages a l’occasion de la paix », dont au moins 173 pots de vin, 173 pots d’eau de vie et

585 livres de tabac78.

73 ANOM, Colonies, C11A 91, F°143-144v. La Galissonière au ministre. À Québec, le 5 octobre 1748 et Donald CHAPUT, « Joseph Marin de La Malgue », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 553-556. 74 ANOM, Colonies, C11A 93, F°76-77v. La Galissonière au ministre. À Québec, le 4 juillet 1749. 75 Ibid., F°76. 76 ANOM, Colonies, C11A 118, F°175-176v. La Galissonière et Bigot au ministre. À Québec, le 26 juin 1749. 77 ANOM, Colonies, C11A 93, F°76-77v. La Galissonière au ministre. À Québec, le 4 juillet 1749. 78 ANOM, Colonies, C11A 119, F°169-172V, 174-175, 180, 185. Divers certificats de François Lefebvre Duplessis Faber, commandant à Michilimackinac, « tant pour les réjouissances que pour les presents a faire

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La colonie a raison de célébrer : le statu quo ante bellum en Amérique est rétabli et

toutes les prises anglaises sont retournées dont la plus importante, Louisbourg, capturée en

1745. Tout juste sortie de la guerre de Succession d’Autriche—son volet américain est

surnommée « King George’s War » par les colons britanniques—, la Nouvelle-France

demeure néanmoins sur le pied d’alerte « dans le cas d’une nouvelle Guerre avec

l’Anglais79 ». Même en Europe, on ne se fait pas d’illusions. On se doute que cette période

de « paix » n’est qu’une pause permettant aux belligérants de mieux se préparer pour la

reprise des hostilités. À vrai dire, les colonies continuent d’être le théâtre de nombreuses

escarmouches, particulièrement en Acadie dans la région de l’isthme de Chignectou80. Tant

chez les Français que chez les Britanniques, cette « paix » est donc plutôt l’occasion de

mener une course à la militarisation du front entre leurs colonies. Entre 1749 et 1755, pas

moins d’une cinquantaine de nouveaux forts et lieux fortifiés vont être érigés en Amérique

du Nord81.

Le summum de cette escalade va se porter sur la vallée de l’Ohio. Traditionnellement,

la chaîne montagneuse des Appalaches agissait à la fois comme une frontière politique et

comme une barrière géologique naturelle entre les territoires revendiqués par la France et la

Grande-Bretagne en Amérique du Nord. Néanmoins, les colons britanniques sont nombreux

à avoir franchi celles-ci et lorgnent ces nouvelles terres—le « Ohio Country », comme le

surnomment les Virginiens, les principaux intéressés. Cette migration s’accélère après 1744

à la suite du Traité de Lancaster signé entre la Virginie et les Cinq-Nations iroquoises82.

Les Français n’ont toutefois pas l’intention de se laisser faire. Le 15 juin 1749, Pierre-

Joseph Céloron de Blainville quitte Montréal en direction de la vallée de l’Ohio,

accompagné par 213 hommes, soit un assortiment de soldats des troupes de la Marine, de

au[x] sauvages a l’occasion de la paix », réglés par Bigot. À Michilimackinac, le 17 septembre au 2 octobre 1749. 79 ANOM, Colonies, C11A 118, F°171-172v. Mémoire de Chaussegros de Léry fils. À Québec, le 24 octobre 1749. 80 Voir à ce sujet Edmond DZIEMBOWSKI, La guerre de Sept Ans : 1756-1763, Paris, Perrin et Ministère de la défense, 2015, p. 34-37. 81 Voir la carte « Localisation des lieux fortifiés sur le continent nord-américain jusqu’au dernier tiers du XVIIIe siècle » en annexe dans Michel DUFRESNE, Historique et survol des fortifications françaises en Amérique du Nord, Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1983, 17 p. 82 ANDERSON, Crucible of War, p. 23-24 et Alan AXELROD, Blooding at Great Meadows: Young George Washington and the Battle that Shaped the Man, Philadelphia, PA, Running Press, 2007, p. 38.

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miliciens, et d’alliés autochtones. L’officier doit enterrer des plaques de plomb pour borner

le territoire au nom de la France et chercher à imposer le contrôle de la région en nouant

des alliances avec les peuples autochtones locaux. La présence au sein de cette expédition

de Joseph-Pierre de Bonnécamps, le professeur d’hydrographie du collège de Québec, est

importante : la cartographie de la vallée de l’Ohio est toujours imparfaite, voire « peu

connue des François et par malheur trop connue des Anglois83 ». Bien que le jésuite va se

plaindre de l’inexactitude de ses notes liée au fait qu’il n’ait pu qu’estimer ses mesures

longitudinales, sa relation de la rivière Ohio lui obtiendra une certaine réputation auprès de

la communauté savante84. Mais le missionnaire n’est pas le seul cartographe dans la

région… George Washington, alors âgé de 22 ans et encore loin de devenir le légendaire

premier président des États-Unis, est embauché par la Ohio Company of Virginia pour

arpenter la vallée de l’Ohio à partir de 1750. En plus, comme le souligne l’historien David

A. Clary, « Washington knew a little about geography in 1753 but next to nothing about the

history and interests of the people inhabiting it85. »

Au cours des prochaines années, l’érection de nouveaux forts français dans la région

vient reconsolider l’influence de la France en offrant à la fois un meilleur accès aux

marchandises françaises et une protection contre les Britanniques. En effet, si ces derniers

offrent des prix plus avantageux, certaines nations de l’Ohio préfèrent traiter avec les

Français, ne percevant pas chez eux une même obsession d’expansion territoriale86. Le 16

avril 1754, une quarantaine de Britanniques, menés par William Trent, capitaine de milice

de la Virginie, fonde un petit poste fortifié au confluent des rivières Allegheny et

Monongahéla. Contrecœur, accompagné par 1 000 hommes, somme Trent de quitter la

région. Ne se trouvant pas dans une position pour contester, le capitaine acquiesce. Les

83 Joseph-Pierre de BONNÉCAMPS, « Relation du voyage de la Belle rivière fait en 1749, sous les ordres de M. de Celoron, par le P. Bonnecamps », dans Reuben Gold THWAITES (ed.), The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Volume 69, Cleveland, The Burrows Brothers Company, 1900, p. 184. 84 Joseph COSSETTE, « Joseph-Pierre de Bonnécamps », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 83-84. Voir aussi Joseph-Pierre de BONNÉCAMPS, Carte d’un voyage fait dans la Belle Rivière en la Nouvelle-France, carte manuscrite, s. l., 1749. Collection Ministère de la Défense, Service historique, Département Marine, Recueil 67, No. 21 et Idem, « Relation… », p. 150-199. 85 David A. CLARY, George Washington’s First War: His Early Military Adventures, New York, Simon & Schuster, 2011, p. 29. 86 Eric HINDERAKER, Elusive Empires: Constructing Colonialism in the Ohio Valley, 1673-1800, New York, Cambridge University Press, 1997, p. 139.

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Français reprennent le poste et le rebaptisent le fort Duquesne. Entretemps, toutefois,

Washington avait été envoyé porter secours à Trent, tout en poursuivant sa recension du

territoire débutée en 1750. Le 27 mai, il apprend qu’un détachement français se trouve dans

les parages. Effectivement, Contrecœur, le commandant du fort Duquesne, avait envoyé un

parti de 35 hommes menés par Joseph Coulon de Villiers de Jumonville pour intercepter

Washington et le sommer de quitter lui aussi la région. Toutefois, Washington ignore qu’il

s’agit d’une mission diplomatique. Croyant qu’il s’agit d’un piège, il mène une partie de

son propre détachement, soit 47 hommes accompagnés par quelques guides autochtones—

dont Tanaghrisson, qui cherche à faire pencher les alliances des Tsonnontouans de l’Ohio

du côté des Britanniques—, pour s’en prendre à Jumonville. Le 28 mai 1754, après une

courte escarmouche, dix Français gisent morts, dont Jumonville. Bien que l’officier français

fut tué par Tanaghrisson, le blâme tombera sur Washington87. Se repliant en direction de la

Virginie, le jeune officier de milice érige avec ses hommes un petit fort qu’il baptise

« Necessity », conscient qu’il devra s’attendre à une réplique française.

Effectivement : le 3 juillet 1754, précisément à 20h, le jeune George Washington signe

la capitulation du fort Necessity88. Lui et ses 400 hommes viennent de subir une défaite

cuisante aux mains de Louis Coulon de Villiers, frère de l’officier français tué, et ses 500

soldats des troupes de la Marine accompagnés par près de cent alliés autochtones. Bien que

ces représailles françaises soient principalement un acte de vengeance, Coulon de Villiers

accorde aux miliciens, après un échange d’otages, de se retirer de l’Ohio à la condition de

ne pas y revenir pendant un an. Le jeune officier virginien ne réalise pas (ou du moins, va

dorénavant nier savoir) que le document qu’il signe pour confirmer cet accord lui impute le

blâme de la mort du frère de l’officier français89. Washington est d’ailleurs très laconique

dans son journal sur ce point, indiquant seulement « Nous tuames M.r de Jumonville90 ».

Par la mort de Jumonville, la poudrière du front américain venait d’être allumée. Si la

guerre ne va pas éclater officiellement en Europe avant 1756, l’année 1755 signale l’arrivée

87 Pour une analyse approfondie des événements ayant mené à la mort de Jumonville, voir ANDERSON, Crucible of War, p. 50-65. 88 Aujourd’hui près de Farmington, Pennsylvanie. 89 Capitulation du fort Necessité. Le 3 juillet 1744, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 203. 90 Journal de Washington. Le 28 mai 1754, dans Ibid., p. 157.

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en masse de soldats français et britanniques en préparation d’une nouvelle campagne qui ne

se contentera plus cette fois-ci de quelques escarmouches limitées « principalement [à] la

Nouvelle-Écosse, l’arrière-pays new-yorkais et la frontière septentrionale de la Nouvelle-

Angleterre91 ». Aux 2 400 soldats des troupes de la Marine trouvés au Canada et à

Louisbourg—un chiffre comparable aux 2 500 militaires maintenus dans les colonies

britanniques à la fin des années 174092—s’ajoutent dorénavant les troupes de Terre, une

première depuis l’arrivée du régiment de Carignan-Salières en 1665. En avril 1755, ils sont

2 820 soldats et 189 officiers qui attendent l’embarquement à Brest en direction de la

Nouvelle-France. Il ne s’agit là que de la première vague de soldats : en tout, ils seront

7 450 militaires qui arriveront entre 1755 et 176093.

Mais comme le démontre l’Affaire Jumonville et les frictions encourues dans la vallée

de l’Ohio, avant que la guerre n’éclate officiellement en Amérique, elle sera d’abord

pratiquée sur les cartes…

UN FRONT NOUVEAU : CONNAÎTRE LA GÉOGRAPHIE DE LA GUERRE AU XVIIIe SIÈCLE

Les incursions dans la vallée de l’Ohio et les engagements subséquents entre les colonies

françaises et britanniques sont le résultat de deux facteurs importants. D’abord, grâce au

Saint-Laurent, les Français ont l’avantage d’avoir accès à un riche réseau hydrographique

sur lequel se fonde le monde fluvial de la Nouvelle-France. Deuxièmement, chaque côté

cherche à se familiariser avec le territoire contesté et à le borner : si les Britanniques

commencent enfin à franchir la barrière naturelle formée par les Appalaches, les Français

connaissent à peine mieux la géographie de la région. Ce qu’il faut retenir de l’Affaire

Jumonville alors est que les opérations dans la vallée de l’Ohio sont non seulement

militaires, mais cartographiques. Cartographier, c’est la première étape pour s’approprier le

territoire94. Comme le rappelle Gilles Havard : « La toponymie et la cartographie sont ainsi

91 VAN RUYMBEKE, L’Amérique avant les États-Unis, p. 628-629. 92 Ibid., p. 512. 93 Luc LEPINE, « La défense de la Nouvelle-France : la situation en 1755 », dans Marcel FOURNIER (dir.), Combattre pour la France en Amérique. Les soldats de la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France 1755-1760, Montréal, Société généalogique canadienne-française, 2009, p. 21 et Marcel FOURNIER et Micheline PERRAULT, « Tableau général des effectifs des troupes de terre en Nouvelle-France », dans Ibid., p. 91. 94 Sur les liens entre la cartographie et le pouvoir, voir J. B. HARLEY, « Maps, knowledge and power », dans Denis COSGROVE et Stephen DANIELS (dir.), The Iconography of Landscape. Essays on the symbolic

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des armes impériales. Désigner les lieux et les espaces, les rivières et les lacs, c’est déjà, un

peu, les posséder, ou à tout le moins projeter son désir de prendre95. » Keegan avance quant

à lui :

Conquerors had therefore to be explorers also and geographers before they could be traders and settlers. For their own security they had to build forts but forts built in the wilderness were useless unless they commanded a natural line of communication or penetration into the interior. When the venturers came to fight each other, as they did as soon as their legal claims to territory and material spheres of interest clashed, they needed topographical knowledge, above all maps, all the more. It is not accidental that Champlain, the founder of French Canada, was a skilled mapmaker or that George Washington, the victor of the War of American Independence, was by profession a surveyor who had recorded the topography of wide areas of the back country over which he was later to campaign.96

En somme, avant même de rencontrer l’ennemi sur le champ de bataille, il faut d’abord

connaître ce dernier. Comme le rappelle Ewa Anklam, « les guerriers de l’ancienne Chine

d’il y a plus de 2 000 ans […] croyaient que la connaissance du terrain était un atout; ce

n’était rien de nouveau pendant le siècle des Lumières97. » Dans son essai sur la guerre

publié en 1754, Lancelot Turpin de Crissé écrit : « Il n’est point de Projet de Campagne, il

n’est point de manœuvre dont on puisse garantir le succès sans une connoissance exacte du

païs sur lequel on veut les mettre en exécution98. » Ainsi, comme le rappellent André

Corvisier et Hervé Coutau-Bégarie, « Le souci de bien connaître le champ de bataille ou,

d’une manière plus générale le terrain d’opération est très ancien et constant. Il fait partie

de ce que l’on appelait la science des grands capitaines. L’utilisation du terrain est si banale

qu’elle n’est plus ruse de guerre, mais connaissance élémentaire de l’art militaire, voire de

la tactique élémentaire99. » C’est une vérité qui est appliquée de nombreuses façons en

Amérique pendant la guerre de Sept Ans. L’état-major doit se familiariser avec la

géographie du front pour anticiper la stratégie ennemie, mais surtout pour ne pas lui-même

representation, design, and use of past environments, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 277-312. 95 Gilles HAVARD, Empire et métissages : Indiens et Français dans le Pays d’en Haut, 1660-1715, Québec, Septentrion, 2017 (2003), p. 188. 96 John KEEGAN, Fields of Battle: The Wars for North America, New York, Alfred A. Knopf, 1996, p. 8-9. 97 Notre traduction. Ewa ANKLAM, « Battre l’estrade: Military Reconnaissance in the German Theatre of War », dans Mark H. DANLEY et Patrick J. SPEELMAN (dir.), The Seven Years’ War: Global Views, Boston, Brill, 2012, p. 213. 98 Lancelot TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, Paris, Chez Prault fils l’aîné, 1754, p. 23. 99 CORVISIER et COUTAU-BÉGARIE, La guerre…, p. 67-68.

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s’embourber dans les entraves du terrain. Après tout, avant même les Britanniques, le

premier obstacle qui se dresse devant l’armée française est le territoire. Comme le souligne

Guy Omeron Coolidge : « It must be said that the real enemies of the French were the

obstacles of nature, forest, rivers, lakes, climate, and ever threatening famine100. »

S’ajoutent à ces défis le manque de connaissances approfondies sur cette géographie

coloniale, les dépenses nécessaires pour la défendre et le manque de familiarité des

ressources pour lesquelles on se bat. En effet, Bougainville écrit au sujet du Canada : « On

n’en connaît pas encore les richesses, les plus beaux endroits ne sont pas encore établis, la

gloire du Roi semble exiger qu’on conserve un pays si étendu malgré les dépenses

immenses qu’on y fait […]101 ». En somme, la nécessité de bien connaître le territoire en

prévision d’une reprise des hostilités fait que la période entre 1748 et 1755 voit une

production accélérée de cartes de l’Amérique du Nord.

Ce chapitre porte donc sur le renseignement cartographique de la Nouvelle-France.

D’abord, il faut comprendre les réformes au milieu du XVIIIe siècle qui dirigent la

production et la qualité cartographique en Europe comme en Nouvelle-France. Suivant

cela, on se penche sur la question centrale des nouvelles cartes produites à l’orée de la

guerre de Sept Ans en Amérique : la frontière entre la Nouvelle-France et les treize

colonies britanniques. Nous examinons par la suite les moyens par lesquels les nouveaux

arrivés dans la colonie se familiarisent avec le milieu colonial. Enfin, l’importance du

Saint-Laurent mérite qu’on s’y attarde pour examiner d’une part ce que les Français font

pour cacher les secrets de sa navigation et de l’autre, les efforts des Britanniques de percer

ses mystères.

1.1 RÉFORMES CARTOGRAPHIQUES AU MILIEU DU XVIIIe SIÈCLE La centralisation de l’administration en Nouvelle-France établit déjà un avantage par

opposition aux treize colonies britanniques. En effet, comme une hydre aux têtes en

constant désaccord, celles-ci comportent des populations hétéroclites non seulement entre

elles, mais au sein même de leurs administrations. Par exemple, l’organisation de la défense

100 Guy Omeron COOLIDGE, The French Occupation of the Champlain Valley From 1609 to 1759, Harrison, New York, Harbor Hill Books, 1979 (1938), p. 35-36. 101 Louis-Antoine de BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, Québec, Septentrion, 2003, p. 41.

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de la Pennsylvanie contre les raids français doit d’abord passer par le débat entre les

quakers pacifistes et les non-quakers comme Benjamin Franklin102. Contrairement à ses

voisins donc, l’administration coloniale à Québec peut consolider ses informations

cartographiques plus rapidement avec la France. On peut même avancer l’argument que

l’organisation dans la colonie dépasse celle en Europe :

By the 1750s a number of European states were beginning to feel the need for some central organization which would supervise the administration and movement of large bodies of soldiers, make ready in peace plans for possible future campaigns, and in particular prepare the more detailed and accurate maps which were now increasingly seen to be needed for successful operations. As communications slowly improved and armies became more mobile, as written orders slowly supplemented and replaced verbal ones, the advantage to be gained from better staff-work gradually became more apparent.103

D’ailleurs, la succession de guerres génère toujours des réformes en matière de tactiques et

de renseignement. Par exemple, en réaction au soulèvement jacobite supprimé à Culloden

en 1746, l’état-major britannique produit une carte détaillée de l’Écosse104. La France

reprend pareillement ses propres efforts cartographiques à la même période105. Ce

renouveau de recherche et de développement cartographique fait partie du besoin ressenti

de rationaliser l’armée et son fonctionnement pendant les années 1750106, reprenant de plus

belle le tournant scientifique de la cartographie commencé au siècle précédent sous le règne

de Louis XIV. Ces efforts rivalisent et dépassent ceux des concurrents de la France,

particulièrement l’Angleterre107. Les colonies, bien entendu, font partie de ces premiers

exercices cartographiques108. Néanmoins, il ne faut pas s’étonner que l’état des

connaissances géographiques de la Nouvelle-France laisse à désirer au seuil de la guerre de

102 CRYTZER, War in the Peaceable Kingdom, 226 p. 103 M.S. ANDERSON, War and Society in Europe of the Old Regime 1618-1789, Montreal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1998, p. 176. 104 Jeremy BLACK, European Warfare, 1660—1815, Londres, Yale University Press, 1994, p. 235. 105 Ibid. 106 ANDERSON, War and Society..., p. 176. 107 Paul W. MAPP, The Elusive West and the Contest for Empire, 1713-1763, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2011, p. 173. 108 Voir Jean-François PALOMINO, « L’État et l’espace colonial : savoirs géographiques entre la France et la Nouvelle-France aux XVIIe et XVIIIe siècles », thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, 2018, 525 p.

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Sept Ans : comment espérer autrement alors que la France ne complète une première carte

exacte de son propre territoire qu’en 1744109?

L’Ouest en particulier demeure mal compris malgré les efforts aux XVIIe et XVIIIe siècles

de combler le vide de connaissances à son sujet. Avant la guerre de Sept Ans, la plupart des

cartographes, dont Guillaume Delisle et J. B. Nolin, imposent une représentation imaginée

de l’Ouest où s’y trouvent tantôt une mer intérieure, tantôt le fameux passage du Nord-

Ouest et même une Californie détachée du continent110. Si les Français possèdent de loin

les meilleures cartes de l’intérieur du continent, elles ne sont donc pas pour autant des

représentations précises et fidèles du terrain : les cartographes doivent se fier sur des

informations imparfaites et souvent « supposée[s]111 ». Sans oublier que le siècle des

Lumières marque une évolution de la technique cartographique toujours en cours :

les cartes reflétaient encore sur le plan scientifique les insuffisances techniques et les lacunes de la connaissance géographique. La cartographie souffrait d’abord de l’incapacité à calculer correctement la longitude, c’est-à-dire du manque d’instrument fiable susceptible de conserver la mesure du temps au méridien choisi comme origine. Ce n’est qu’en 1738 que le Britannique John Harrison, suivi de peu par les Français Leroy et Berthoud, mit au point une horloge marine ou chronomètre qui permit peu à peu de « fixer » sur les cartes des îles lointaines à la position jusque-là incertaine, et de « toiletter » une cartographie encombrée de doublons générés par les erreurs dans le calcul des longitudes.112

La production cartographique à la veille de la guerre de Sept Ans évolue donc sur le

plan de la rigueur qui lui est naturelle en ce siècle des Lumières. La pensée géographique

du milieu du XVIIIe siècle n’a plus rien à voir avec celle des générations précédentes. Les

dessins de monstres et de peuples mythiques nés de la naïveté des premiers explorateurs des

XVIe et XVIIe siècles ont été évacués des cartes. Même chose pour les suppositions sans

fondement : au lieu d’indiquer sur les cartes de l’Amérique la possible présence de mines et

de mers intérieures menant au Pacifique dont l’existence ne repose que sur la spéculation,

les cartographes, sans s’en satisfaire, choisissent plutôt de laisser un vide là où les

109 MAPP, The Elusive West..., p. 173-175. Sur la comparaison des avancées en cartographie européenne, voir p. 166-193. 110 Ibid., p. 6-15. 111 « Mémoire Sur les Pays & la mer situés à l’ouest du Canada. Par M. D.L.G.D.C. », Le Mercure de France, mai 1754, p. 33-34. 112 Christian HUETZ DE LEMPS, « Carte, cartographie », dans Michel FIGEAC (dir.), L’ancienne France au quotidien, p. 95

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connaissances du territoire laissent à désirer113. Dorénavant, la quête de chimères

géographiques cède à la quête de vérité, de données concrètes.

D’autre part, on n’accorde plus le même poids aux témoignages autochtones en ce qui

concerne les contrées lointaines. Pourtant, dès ses premières explorations au début du XVIIe

siècle, Samuel de Champlain avait établi les bases méthodologiques à suivre en explorant le

Canada à l’aide des connaissances géographiques des alliés autochtones114. En consultant

ces derniers, les premiers explorateurs avaient un raccourci pour maîtriser la reconnaissance

du territoire. Bravant mort et moustiques, kilomètres et climat, ils avaient fourni au final

une esquisse de la première cartographie du continent. Tirés de l’expérience autochtone,

soit de leurs traditions orales et leurs cartes d’écorce de bouleau et de peaux115, les traits de

chaque rivière et chaque lac apprivoisent non seulement l’inconnu mais rapetissent les

distances en leur attribuant une familiarité sans précédent pour le colon. Sans l’aide des

Autochtones et de leurs connaissances géographiques, jamais les Français n’auraient pu se

fixer sur le territoire aussi rapidement116 : les lieues et les lieux se succèdent à coup de rame

et sont dorénavant tracés sur les cartes. Néanmoins, beaucoup d’erreurs, d’approximations

et parfois carrément des mensonges se glissent dans ces premières cartes. Même si les

témoignages autochtones demeurent précieux et indispensables, les nouveaux explorateurs

comme La Vérendrye insistent dorénavant d’aller double vérifier les informations reçues

avant de les déclarer certaines117.

Au-delà de la nature politique intrinsèque et première de ces cartes produites en cette

mi-XVIIIe siècle, les curiosités scientifiques y sont parfois indiquées118. D’ailleurs, la quête

113 Voir par exemple la carte de Jacques Nicolas BELLIN, « Carte de l’Amérique septentrionale Depuis le 28. Degré de Latitude jusqu’au 72 », 63 x 94,5 cm. Paris, 1755. 114 HAVARD, Empire et métissages, p. 87 et Conrad E. HEIDENREICH et K. Janet RITCH (ed.), Samuel de Champlain Before 1604 : Des Sauvages and other documents related to the period, Toronto, Champlain Society et McGill-Queen’s University Press, 2010, p. 81. 115 Jean-François PALOMINO, « Entre la recherche du vrai et l’amour de la patrie : cartographier la Nouvelle-France au XVIIIe siècle », Revue de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, No. 1 (2009), p. 84. 116 Sur la cartographie autochtone, voir G. Malcolm LEWIS, « Maps, Mapmaking, and Map Use by Native North Americans », dans David WOODWARD et G. Malcolm LEWIS (dir.), The History of Cartography, Volume Two, Book Three: Cartography in the Traditional African, American, Arctic, Australian, and Pacific Societies, Chicago, The University of Chicago Press, 1998, p. 51-182. 117 MAPP, The Elusive West..., p. 194-196 et p. 361. 118 Par exemple, sur une carte de 1744 figure une indication où « on a trouvé des os d’Elephant ». Il s’agit de fossiles de mastodontes à Big Bone Lick, au Kentucky. Jacques Nicolas BELLIN, « Carte de la Louisiane,

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de connaissances mène plusieurs à se déplacer dans les colonies pour des observations

scientifiques. Le plus célèbre visiteur de la Nouvelle-France est Pehr Kalm, un envoyé du

naturaliste Carl von Linné. Le souvenir de son passage en 1749 attire l’attention de

Bougainville, un membre de la Royal Society de Londres, qui note dans son journal :

La cour de Suède envoya, du temps que M. de La Galissonière était gouverneur général, le sieur Kalm, de l’Académie des curieux d’Upsal, faire des observations astronomiques et physiques. Ce savant était persuadé qu’il devait y avoir une communication entre l’Europe et l’Amérique et que les Sauvages avaient une origine commune avec les Tartares. Il se fondait sur ce qu’il assurait que beaucoup de mots d’un usage commun, tels que ceux de couteau, feu, etc., étaient les mêmes en langue abénaquise qu’en langue tartare.119

Si la période entre 1748 et 1755 voit une croissance fulgurante de la production

cartographique, il n’empêche qu’à l’image du père Bonnécamps dans la vallée de l’Ohio,

les explorateurs et officiers militaires « sont parfois contraints d’opérer de larges

reconnaissances par eux-mêmes afin d’établir des cartes de qualité120. » Même à celà, si la

précision de la pensée géographique européenne au XVIIIe siècle est supérieure à celle du

siècle précédent, il va de soi qu’elle n’est pas aussi développée ni aussi complète qu’elle le

sera au siècle suivant121 : de nombreuses erreurs et questions géographiques perdureront

entre temps malgré les efforts pour les supprimer et les résoudre. Parmi les plus flagrants

exemples sont deux îles fictives « situées » sur le lac Supérieur, soit les iles Phelipeaux (ou

Philippeaux) et Pontchartrain. Bien qu’elles ne soient pas présentes sur toutes les

représentations des Grands Lacs, Jacques Nicolas Bellin, l’ingénieur de la Marine, reprend

l’erreur et note ces deux îles dans ses cartes et son mémoire en 1755122. Un autre exemple

particulièrement curieux porte sur le principal lieu contesté : l’Ohio. Si le fort Duquesne sur

la Belle Rivière est le poste le plus important à défendre dans la région, on ne s’entend

cours du Mississipi et Pais voisins », 39 x 55 cm, Paris, 1744. Pour l’histoire complète de cette référence au mastodonte, voir : Pascal TASSY, L’invention du mastodonte : aux origines de la paléontologie, Paris, Bélin, 2009, 159 p. 119 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 97. 120 GENÊT, « Le renseignement militaire… », p. 206. 121 MAPP, The Elusive West..., p. 6. 122 Jacques Nicolas BELLIN, Remarques sur la carte de l’Amérique septentrionale comprise entre le 28e et le 72e degré de latitude avec une description géographique de ces parties […], Paris, Imprimerie de Didot, 1755, p. 70. Sur l’histoire de ces iles fictives qui vont exister sur les cartes pour près d’un siècle, voir Seymour I. SCHWARTZ, The Mismapping of America, Rochester, The University of Rochester Press, 2003, p. 193-197.

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même pas sur sa position : dans sa carte de 1755, l’ingénieur et géographe du roi Georges-

Louis Le Rouge le place à deux endroits! En effet, le fort y paraît à deux reprises le long de

la rivière Oyo (Ohio), indiqué respectivement « selon Danville » (situé plus au nord-est) et

« selon Jefferys » (plus près du fort Cumberland)123.

Le continent tardera donc à être cartographié complètement. Le mot « inconnu » n’est

d’ailleurs pas étranger sur ces nouvelles cartes124. Même cent ans plus tard, les participants

de la guerre de Sécession devront faire face à un manque de connaissance cartographique

des États-Unis. À ce sujet, il faut retenir que le manque de précision dans les cartes

conférera un important avantage aux Confédérés du Sud qui profiteront du fait que l’Union

sera moins familière avec les routes par le Nord125. C’est un même avantage qu’exploitent

les Français en Amérique pendant la guerre de Sept Ans : ils connaissent le front mieux que

les Britanniques. Moins de chance en Europe, toutefois, où au contraire, la France est

désavantagée sur le front prussien qui lui est étranger.

En revanche, si les nouvelles cartes sont dressées à la fine pointe des connaissances et

de la technologie géographique, les cartographes sont moins préoccupés par l’exactitude

scientifique de leur sujet que par la nécessité d’indiquer les revendications territoriales

européennes. Avant même de se battre pour les ressources d’un territoire, le premier

élément qui est en cause entre deux belligérants est d’abord et avant tout la frontière qui les

sépare…

1.2 « BORNER LE CANADA ET LE SEPARER DE L’ANGLAIS » : IDENTIFIER LA FRONTIÈRE CONTESTÉE Si le XVIIe siècle est l’ère des grandes explorations géographiques pour « [les] motifs

d’honneur, de gloire et de Religion126 » par le biais de personnages comme Jolliet et

Marquette ou bien Cavelier de La Salle, le XVIIIe en est la consolidation pour des fins

politiques. En effet, la cartographie à la veille de la guerre de Sept Ans rassemble les

123 Cette carte était d’ailleurs publicisée « pour l’intelligence des affaires actuelles en Amérique ». Mercure de France, septembre 1755, p. 103 et Georges-Louis LE ROUGE, Canada et Louisiane, Paris, 1755. 124 Voir, par exemple : Jean Baptiste NOLIN (1686-1762), Carte du Canada et de la Louisiane qui forment la Nouvelle France, et des colonies angloises, 50 x 70 cm. Paris, Chez Daumont, 1756. 125 KEEGAN, Intelligence in War..., p. 87 et p. 90. 126 Roland-Michel Barrin de LA GALISSONIÈRE, (Édité par Roland LAMONTAGNE), Mémoire sur les Colonies de la France dans l’Amérique septentrionale, Montréal, Université de Montréal, 1963 (1750), p. 5.

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données accumulées depuis le siècle dernier afin d’essayer de démontrer d’une façon

tangible où se situent les frontières revendiquées par chaque camp pendant la « paix

armée » qui sévit depuis la fin de la guerre de Succession d’Autriche. Les dernières

négociations de paix avaient négligé de régler une fois pour toutes la question des limites

des possessions en Amérique. Après tout, il est difficile de négocier ce qu’on ne connaît pas

précisément127…

Dans l’inquiétude qu’une autre guerre n’éclate, on confie donc aux administrateurs

coloniaux de soumettre ce qu’ils peuvent pour élucider la question128. Par exemple, en

1750, le gouverneur Jacques-Pierre de Taffanel de La Jonquière et l’intendant François

Bigot envoient pas moins d’une trentaine de documents concernant les divers arguments

liés aux prétentions frontalières de la Nouvelle-France depuis 1670129. De son côté, le

commandant général La Galissonière fournit un des mémoires les plus utiles pour

démontrer la nécessité de maintenir et de défendre le Canada. En effet, il devance les

critiques de la colonie en évoquant « l’espoir de stimuler l’immigration au Canada,

d’aménager l’industrie et le commerce et d’augmenter les effectifs de troupes130 ». Malgré

sa plaidoirie, le commandant général demeure réaliste et ne craint pas de souligner les

faiblesses des possessions nord-américaines de la France. Entre autres, la taille de la

Nouvelle-France pose un sérieux problème pour sa défense : « [l’]étendue immense [du

Canada et de la Louisiane] empêche souvent qu’elles ne puissent être régies par le même

esprit et qu’elles ne puissent s’entreprêter les secours dont elles ont mutuellement

besoin131. » De plus, le mémoire souligne la fragilité de l’économie coloniale qui dépend de

deux ports seulement, soit Québec et La Nouvelle-Orléans : « L’intérieur du pays peut être

exposé à de grandes disettes de marchandises de France et à être surchargé des siennes, si

127 DZIEMBOWSKI, La guerre de Sept Ans, p. 32. Sur les « frontières » de la Nouvelle-France, voir Catherine DESBARATS et Allan GREER, « Où est la Nouvelle-France? », Revue d'histoire de l'Amérique française, Vol. 64, No. 3-4 (2011), p. 31-62. 128 Il existe un fonds entier des Archives nationales d’Outre-Mer dédié à la question des limites et des postes de la Nouvelle-France, soit la sous-série C11E. 129 ANOM, Colonies, C11A 94, F°19-22v. Vaudreuil au ministre. Inventaire des papiers collationnés et légalisés envoyés par La Jonquière et Bigot au ministre Rouillé. 1750. 130 LA GALISSONIÈRE, Mémoire sur…, p. 2. 131 Ibid., p. 3.

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une puissance maritime telle que l’Angleterre entreprend de garder les deux seuls

débouchés de ce vaste continent132. »

En effet, le Canada n’est pas la seule colonie de la Nouvelle-France à occuper les

priorités des penseurs stratégiques. Ironiquement, alors que c’est le Canada qui va occuper

la majorité des efforts de guerre, c’est la Louisiane qui va croître en importance dans la

pensée des métropolitains, à tel point qu’un autre mémoire à la fin du Régime français va

brandir l’argument que le Canada est sacrifiable pour conserver sa précieuse colonie

sœur133. Cet engouement renouvelé pour la Louisiane semble être le fruit de la plupart des

mémoires à son sujet envoyés à Versailles : alors qu’il doit être question de ses frontières,

on finit par s’y intéresser plus pour son développement économique134. Pour l’instant

toutefois, même si le Canada sert d’abord et avant tout de « boulevard à la Louisiane135 »

dans l’esprit de La Galissonière, l’idée n’est pas d’abandonner une colonie pour l’autre,

mais de s’assurer de leur appui mutuel. En effet, le commandant général décrit le Canada

comme « la plus forte digue que l’on puisse opposer à l’ambition des anglais », ajoutant

que « cette colonie n’est pas moins essentielle pour la conservation des possessions des

Espagnols dans l’Amérique et surtout du Mexique »136.

Même après la soumission de son mémoire et de son retour en France, La Galissonière

s’occupe pendant l’hiver 1754-1755 de passer au peigne fin les cartes du Canada. La vallée

de l’Ohio est au cœur de ses préoccupations :

Voilà tout ce que j’ai pu rassembler de cartes des différentes parties du Canada. Vous y verrez qu’il n’y en a aucune, ni ancienne ni moderne, qui laisse aucun équivoque sur la possession de l’Ohio et de toutes les rivières qui tombent dans le fleuve Mississipi à sa gauche. Vous y verrez aussi que toutes ces cartes ont placé les bornes des possessions angloises au sommet des montagnes des Apalaches. La carte angloise de People [Popple], que je n’ai pas, mais que M. le duc de Mirepoix trouvera facilement,

132 Ibid., p. 4. Il est intéressant de noter que Louisbourg ne fait pas parti des « débouchés » du continent dans l’esprit de La Galissonière. 133 ANONYME, « Mémoire sur le Canada », Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 8, No. 1 (1954), p. 119-125. 134 MENIER, TAILLEMITE et DE FORGES, Correspondance…, 2 tomes, p. 467, p. 501, p. 502, p. 514, p. 538, p. 540 et p. 545, entre autres. 135 La métaphore n’évoque pas une voie entre colonies, mais plutôt « un ouvrage extérieur au corps de la place, garni d’artillerie et opposant la première résistance lors d’un siège ». LA GALISSONIÈRE, Mémoire sur…, p. 9 et Michel THÉVENIN, « Une guerre “sur le pied européen”? La guerre de siège en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans », mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2018, p. 55, note 165. 136 LA GALISSONIÈRE, Mémoire sur…, p. 6 et p. 8.

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puisqu’elle a été faite sous les yeux et par les ordres du gouvernement, n’est pas plus favorable aux nouvelles prétentions de l’Angleterre.

On peut voir par ces mêmes cartes que nous n’avons plus de bornes à opposer aux prétentions angloises, si on leur laisse franchir celles que la nature du terrain semble leur avoir prescrites, et que notre possession non contestée jusqu’ici sembloit devoir assurer pour jamais.

Enfin on peut dire que par une ambition aussi imprudente qu’injuste, ils se préparent à attirer pour toujours le fléau de la guerre et des incursions sauvages sur leurs colonies qui jusqu’à présent avoient joui d’une paix profonde, ce qui, quelque traite qu’on fasse, et quelque précaution qu’on prenne, ne pourra plus subsister si une fois il leur est permis de venir faire le commerce en concurrence avec nous dans les villages sauvages des environs de l’Ohio.137

Les Autochtones sont d’ailleurs instrumentalisés par l’Angleterre pour fixer leurs

revendications territoriales. Les Britanniques « entendent établir la base de toute

négociation » sur l’extension de leurs possessions jusqu’au Saint-Laurent et les lacs Ontario

et Érié138. Le fort Chouaguen, cette épine dans le flanc du Canada139, est au cœur du débat

territorial du lac Ontario : l’Angleterre se fonde sur un article du traité d’Utrecht de 1713

qui stipule que les Autochtones ont la liberté « de visiter indistinctement les Colonies des

Deux Nations140 », arguant donc que Chouaguen repose sur un territoire revendiqué par les

Iroquois. Pourtant, les Français revendiquent son emplacement à leur tour, s’appuyant sur

un précédent : « la nécessité d’en revenir à la question préliminaire, savoir qui le premier

s’est mis en possession de ce territoire? et alors la question ne peut être ni douteuse, ni

équivoque en faveur de la France141 ». La Galissonière conteste davantage en rappelant que

les Cinq-Nations sont non seulement indépendantes des Britanniques, mais que leur

concept d’occupation du territoire ne repose pas sur les mêmes assises de propriété comme

le sont les revendications coloniales européennes142.

137 ANOM, Colonies, C11A 100, F°324-325. La Galissonière à Rouillé. À Paris, le 7 mars 1755 et dans H. R. CASGRAIN (dir.), Extraits des archives des Ministères de la Marine et de la Guerre à Paris : Canada, correspondance générale, MM. Duquesne et Vaudreuil, gouverneurs-généraux (1755-1760), Québec, L.-J. Demers & Frères, 1890, p. 297. 138 Mémoire sur la dépêche de M. le duc de Mirepoix. Le 6 avril 1755, dans CASGRAIN (dir.), Extraits des archives…, p. 299. 139 Ou comme La Galissonière le décrit dans son mémoire : « Chouaguen, […] est une des usurpations des plus manifestes et en même tems des plus nuisibles au Canada. » LA GALISSONIÈRE, Mémoire sur…, p. 16. 140 Ibid., p. 17. 141 Ibid., p. 17-18. 142 Ibid., p. 17.

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La plupart des informations recueillies et envoyées à Versailles servent une commission

d’enquête fondée en 1750 pour éclaircir la question des frontières. Il en résulte les

Mémoires des commissaires du Roi et de ceux de Sa Majesté britannique sur les

possessions & les droits respectifs des deux Couronnes en Amérique, publiés à partir de

1755143. Mais en vain : ces efforts pour se renseigner ne règlent en rien la grogne mutuelle

ni le manque de connaissance du territoire nord-américain par la France, tout de même

mieux informée que la Grande-Bretagne. Néanmoins, comme le souligne Edmond

Dziembowski, l’ambassadeur Gaston Charles Pierre de Lévis, duc de Mirepoix, est quant à

lui curieusement mal informé, contrairement à son homologue britannique : « sa profonde

inculture géographique lui interdit d’aborder les détails de ce sujet144 ». Le fait que

personne n’ait prit la peine de familiariser davantage l’ambassadeur sur la géographie du

territoire qu’il doit négocier se trouve à être un manquement grave à l’égard d’une base

élémentaire du renseignement « honteux d’ignorer145 ». Cependant, il semble que cette

mauvaise expérience mènera le duc à chercher lui-même à combler ses connaissances

lacunaires pendant la guerre. En 1757, le chevalier de Lévis est étonné par la familiarité que

démontre Mirepoix, son cousin, au sujet de la guerre en Amérique : « […] mais j’ai été

surpris que vous eussiez des connoissances aussi justes de l’Amérique septentrionale, et de

vous voir si au fait de la façon dont nous devrions diriger et y conduire la guerre146. » Il

n’empêche que l’initiative s’avèrera trop tardive. Sentant que les négociations sont en train

d’échouer, le ministre français des Affaires étrangères Antoine-Louis Rouillé écrit à

Mirepoix le 17 mars 1755 : « Nous voyons avec regret, Monsieur, que la guerre peut seule

terminer nos discussions […]147 ».

143 Étienne de SILHOUETTE, Roland-Michel Barrin de LA GALISSONNIÈRE et Jean Ignace de LA Ville, Mémoires des commissaires du Roi et de ceux de Sa Majesté britannique sur les possessions & les droits respectifs des deux Couronnes en Amérique […], Paris, Imprimerie royale, 1755-1757. 4 tomes. 144 DZIEMBOWSKI, La guerre de Sept Ans, p. 62. 145 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 24. 146 Lévis à Mirepoix. Au camp de Carillon, le 4 septembre 1757, dans H. R. CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis concernant la guerre du Canada (1756-1760), Montréal, C. O. Beauchemin & Fils, 1889, p. 135-136. 147 Rouillé à Mirepoix. À Versailles, le 17 mars 1755, dans Theodore Calvin PEASE, Anglo-French Boundary Disputes in the West. 1749-1763, Springfield, IL, Illinois State Historical Library, 1935, p. 161. Au sujet des négociations, voir Daniel A. BAUGH, The Global Seven Years War, 1754-1763: Britain and France in a Great Power Contest, New York, Routledge, 2011, p. 83-91.

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Ainsi, la question des frontières divisant la Nouvelle-France des colonies britanniques

demeure nébuleuse tout au long de la guerre, bien que l’on continue d’y chercher

réponse148. Bougainville écrit en 1757 : « J’ai aussi travaillé sur ce qui regarde nos limites

dans ce pays avec les colonies angloises : cette matière est embrouillée, obscure, hérissée

de difficultés. J’ai cherché à prendre toutes les connaissances que le pays peut fournir et j’ai

commencé à cet égard un mémoire que je n’aurai le temps de finir qu’au retour de cette

campagne149. » D’ailleurs, Bougainville n’est ni le premier ni le dernier officier qui va

s’informer sur le Canada…

1.3 SE FAMILIARISER AVEC LE CANADA ET LE NOUVEAU FRONT Pour les officiers français, le front en Amérique du Nord pose ses propres défis. Les

militaires, qui pour arriver dans la colonie ont dû franchir la distance et le temps nécessaire

pour se rendre d’une rive à l’autre de l’océan Atlantique150, n’ont pas fini de connaître la

démesure de leur nouvel environnement. L’étendue d’eau qu’ils viennent de franchir cède

la place à l’étendue de forêts vierges des colonies. Alors que la vallée du Saint-Laurent leur

semble plus familière avec son centre de population et sa chaîne d’habitations le long du

fleuve, les militaires se retrouvent tour à tour sur divers fronts en marge de la colonie qui ne

s’apparentent presque jamais à la géographie qu’ils ont connue en Europe. Seule

Louisbourg sur l’Île Royale—aujourd’hui l’Île du Cap-Breton—est l’établissement qui

s’apparente le plus au familier européen des officiers. Bien que faisant partie de la colonie,

le Cap-Breton peut être perçu comme étant simplement l’île française la plus éloignée des

côtes de la France151. Pour ces nouveaux arrivants, le reste du continent américain est

synonyme de démesure : les forêts y sont interminables (« ces déserts immenses », comme

148 Pour l’histoire complète des négociations entre 1748 et 1756, voir François TERNAT, Partager le monde. Rivalités impériales franco-britanniques (1748-1756), Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2015, 584 p. 149 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 368. 150 Une expérience que Nicolai décrit, très justement, de « purgatoriale ». Martin L. NICOLAI, « Subjects and Citizens: French Officers and the North American Experience, 1755-1783 », thèse de doctorat, Kingston, Queen's University, 1992, p. 83. 151 Ibid., p. 75.

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les décrit Bougainville152), les corps d’eau vastes, les chutes gargantuesques et la distance,

incommensurable. Comme l’explique Martin Nicolai :

Geography had an important impact on officers’ perceptions of North America, and in some ways the land’s physical appearance was more significant in contributing to impressions of the continent than its actual inhabitants. In an age when the entire economy depended on the whims of the weather, it was difficult for most Europeans to ascribe success at survival to anything but the favour of an omnipotent God. No matter how strongly the Enlightenment emphasized the individual’s control of his own life, members of the French officer corps could not entirely escape the realities of their time. Old World Europeans had in some respects tamed the land, but in the New World French officers came face to face with raw, unconquered nature. […] And none of Montcalm’s officers, surveying the fragile strip of cleared land along the St. Lawrence River, could claim that French settlers had conquered the continent. Only in the American Colonies, according to information the French army received, did it seem that geography and nature were being subdued.153

Si en cette mi-XVIIIe siècle le Nouveau Monde ne relève plus du domaine exclusif des

explorateurs et des missionnaires, son exotisme séduit ou à tout le moins frappe toujours

l’imaginaire des nouveaux arrivants qui en font enfin l’expérience après tant d’années à en

entendre parler ou à en lire les descriptions dans les journaux et récits de voyage. Dans le

cas des officiers, le territoire ne leur est donc pas totalement étranger. En ce qui concerne

les membres de l’état-major, il va de soi que ces messieurs ont étudié les cartes, les

relations et les descriptions de la colonie afin de se familiariser avec les nouveaux défis qui

les attendent. Il ne faut pas non plus oublier que ces officiers ont l’habitude d’être

confrontés à de nouveaux milieux en Europe. Tout comme la Nouvelle-France, l’Europe

comprend une variété de zones géographiques : pour la France seule, l’aspect physique du

pays varie de province en province et pose un défi propre à chacune. D’ailleurs, cette

expérience avec les divers types de terrain en Europe devient utile pour cette nouvelle

guerre. Par exemple, Montcalm, un vétéran de la guerre de Succession d’Autriche, s’est

battu en Allemagne dans la région de la Rhénanie, en Bohème et, plus significatif, en Italie.

En effet, l’expérience de la défaite française à la bataille d’Assietta le 19 juillet 1747 lui

sert de modèle pour défaire à son tour l’armée d’Abercromby devant le fort Carillon en

1758.

152 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 49. 153 NICOLAI, « Subjects and Citizens… », p. 83-84.

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Mais, encore une fois, l’Amérique demeure tout de même un monde différent de

l’Europe. La Nouvelle-France se trouve à la fois à la marge du monde connu et en marge de

la « conscience européenne »154. Les officiers français sont non seulement isolés par la

distance physique qui les sépare de leurs proches, ils sont également isolés sur le plan

social : il s’agit d’un milieu relativement exotique, aux coutumes et pratiques souvent

étrangères, particulièrement en ce qui concerne les relations avec les Premières Nations. La

séparation des leurs par un océan leur pèse lourdement sur l’esprit. Par exemple, la peine de

Bougainville est palpable lorsqu’il écrit à son frère le 7 novembre 1756 : « Pour juger du

plaisir que j’ai ressenti quand on m’a annoncé des lettres de France il faut, mon cher frère,

se mettre à la place d’un malheureux expatrié que 1500 lieues séparent de tout ce qui lui est

cher, que l’inquiétude dévore et dont l’âme est sensible et tendre155. » En effet,

Bougainville va régulièrement passer des mois sans nouvelles de chez lui. Lorsqu’elles

arrivent, elles sont souvent mauvaises, comme celle de la mort de son père156. Si le mal du

pays afflige la majorité des militaires dans les colonies, certains y trouvent tout de même un

monde nouveau à leur goût : après tout, de nombreux soldats choisissent de se marier et de

rester dans la colonie.

Comment se préparer à rencontrer ce Nouveau Monde? Entre autres, on se familiarise

avec les récits de voyage comme celui de Lahontan157. Autre exemple, parmi les lectures

les plus importantes se trouve l’Histoire et description générale de la Nouvelle France de

François-Xavier Charlevoix, publiée en 1744. Bien qu’il soit difficile à dire au juste

combien d’officiers l’ont lu, il y a au moins Montcalm qui le mentionne à quelques reprises

dans son journal. Outre ces récits, on consulte les cartes, évidemment. Par exemple, avant

son départ pour le Canada, le gouverneur Vaudreuil fait une mise au point avec le ministre

de la Marine pour lui demander des cartes de l’Acadie qui lui manquent toujours158.

D’ailleurs, la mise à jour des cartes pour les officiers est une activité constante : on envoie

154 Ibid., p. 75. 155 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 362. 156 Ibid., p. 366. 157 Guillaume de Méritens de PRADALS (Édité par Raymond DOUVILLE), « Le Canada 1756-1758, vu par un officier du régiment de La Sarre », Cahier des Dix, Numéro 24 (1959), p. 115. 158 ANOM, Colonies, C11A 100, F°52-52v. Vaudreuil au ministre. À Brest, le 15 avril 1755.

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toute information géographique utile à Versailles. Par exemple, en 1758, le secrétaire d’État

de la Guerre est ravi des nouvelles cartes qu’on lui envoie :

La grande carte que M. le chevalier de Lévis m’a envoyée contient des détails qu’on ne trouve point sur celles que l’on a ici. J’attends celle du sieur Pouchot, que vous m’annoncez sur les environs du lac Erié. Elles serviront beaucoup à l’intelligence de ce que vous proposez pour le règlement des limites en Canada.159

Si la Nouvelle-France est colonisée par les Français, sa géographie n’est pas

nécessairement familière aux métropolitains. À l’inverse, l’officier canadien né dans la

colonie est naturellement familier avec ce Nouveau Monde et ses habitants. En effet, dans

son mémoire de 1758, Bougainville mentionne à plusieurs reprises l’importance des locaux

qui connaissent chaque région du front de guerre. Les officiers supérieurs qui arrivent au

Canada doivent donc entretenir une « bonne intelligence » avec les officiers qui y sont déjà,

c’est-à-dire se mettre à jour sur la situation de la colonie. C’est le cas, par exemple, du

gouverneur Vaudreuil qui arrive à Québec le 23 juin 1755. Bien qu’il soit lui-même

Canadien de naissance, il explique au ministre qu’il n’est pas familier avec l’Acadie et qu’il

mettra en œuvre les instructions de ce dernier une fois qu’il sera mieux informé de la

situation présente du Canada160. De surcroît, même après plus de cent-cinquante ans de

présence française sur le continent, il est impossible de se passer de l’aide des Autochtones

et de leurs connaissances géographiques. Un exemple probant est un journal anonyme de

1745 qui illustre très bien cette dépendance pour se déplacer dans la vallée de l’Ohio :

quittant le fort Détroit pour la rivière Ohio, un groupe de Français révèle leur itinéraire à un

groupe de Hurons à la pointe aux Cèdres161. Se dirigeant originalement à la rivière

Cuyahoga162, ils se font informer que le portage derrière le village Huron à Sandusky

menant à la rivière Scioto est une route plus courte (bien que le journal indique dans les

jours suivant qu’elle n’est pas nécessairement plus facile). En somme, quarante-quatre ans

159 Belle-Isle à Montcalm. À Versailles, le 4 juillet 1758, dans H. R. CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles au baron de Dieskau, au marquis de Montcalm et au chevalier de Lévis, Québec, L.-J. Demers & Frères, 1890, p. 117. 160 ANOM, Colonies, C11A 100, F°52-52v. Vaudreuil au ministre. À Brest, le 15 avril 1755 et ANOM, Colonies, C11A 100, F°53-53v. Vaudreuil au ministre. À Québec, le 27 juin 1755. 161 Aujourd’hui Cedar Point, en Ohio. 162 Dont l’entrée aujourd’hui est à Cleveland, en Ohio.

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après la fondation du fort Détroit, les Français ne font que commencer à découvrir les

routes les plus rapides vers l’Ohio163.

Ironiquement, parmi les moins familiers avec le territoire se trouvent les monarques

européens, ceux qui justement revendiquent ces colonies. Depuis 1492, ils se sont divisé les

Amériques sur papier sans se soucier de leurs réalités physiques. Ce sont des divisions

arbitraires, qui ne respectent pas les répartitions culturelles et à peine la topographie.

L’étanchéité de ces frontières est risible, particulièrement après 1763 lorsque le Mississippi

sert, sur la carte, à diviser la Louisiane récemment répartie entre la Grande-Bretagne et

l’Espagne. Comme le démontre entre autres la recherche de Robert Englebert, le monde

fluvial français établi par les habitants canadiens et créoles fera fi pendant plusieurs

décennies de la nouvelle carte politique post-Conquête164.

En somme, les efforts de l’état-major pour se familiariser avec la géographie de la

colonie doivent permettre la meilleure connaissance possible des endroits qui se prêtent

naturellement au combat. Toutefois, cette nouvelle cartographie, aussi avancée et

imprégnée de l’esprit des Lumières soit-elle, ne permet d’avoir qu’une connaissance tout de

même sommaire de l’environnement où s’implantera le front. Comme le note Turpin de

Crissé dans son traité sur la guerre :

Mais les Cartes ne peuvent pas tout détailler : un ravin, par exemple, y sera marqué; mais en connoîtra-t-on mieux la profondeur, sçaura-t-on s’il est facile d’y descendre ou d’en remonter? Un Général qui ne veut rein [sic] négliger, avant que de s’engager dans aucune manœuvre, doit s’informer par lui-même de toutes les particularités du païs, & suppléer ainsi à ce qui manque dans les Cartes. En effet comment asseoir un Camp dans une position forte par son assiette, si l’on ne la connoît pas, si l’on ignore ce qui peut appuyer les aîles, s’il y a quelque riviere qui la couvre, si elle est facile à passer, & quelle est la nature de ses bords.165 »

En effet, la reconnaissance du terrain en personne doit être entreprise par l’état-major. Le

chevalier de la Pause, affecté à l’organisation de l’armée et parfois à des missions de

163 Journal anonyme d’un voyage de Détroit à la rivière Ohio, du 22 mai au 24 août 1745, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 2. 164 Robert ENGLEBERT, « Beyond Borders: Mental Mapping and the French River World in North America, 1763-1805 », thèse de doctorat, Ottawa, Université d’Ottawa, 2010, 270 p. 165 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 25.

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reconnaissance166 décrit bien la situation du conflit dans la colonie : « La guerre du Canada

ne peut être considérée que comme une guerre de postes, attendu que pour communiquer de

cette colonie avec les colonies angloises et pouvoir y porter la guerre offensivement, il faut

suivre les lacs ou rivières […]167 ». Par conséquent, on cherche les endroits qui se prêtent

mieux aux batailles le long des voies fluviales qui mènent au cœur de la colonie. Dans le

cas du siège de Québec, Montcalm et ses officiers se préparent déjà en 1757 à « recevoir »

les Britanniques : ils évaluent les meilleurs endroits d’où peut se faire un débarquement

ennemi, cherchant donc à prédire les mouvements de l’adversaire168. À la veille de la

campagne en 1759, l’Île d’Orléans fait l’objet d’une évaluation à la dernière minute par

Bougainville et l’ingénieur Pontleroy pour examiner s’il y a moyen de poser un obstacle

quelconque contre l’arrivée de la flotte britannique169. Dans le cas de la vallée des lacs

Champlain et George, le choix de bons terrains de bataille pendant la guerre est encore plus

limité : la chaîne montagneuse n’offre pas beaucoup de lieux propices. Au final, les forts

William Henry et Carillon sont donc à peu près les seuls emplacements qui s’y prêtent

naturellement, fait vérifié dans le déroulement de la guerre. En somme, ce sont autant de

détails à prendre en compte qui ne sont pas sur les cartes préparées et que les membres de

l’état-major doivent vérifier en personne.

Encore une fois, Turpin de Crissé explique cette « Régle générale : c’est sur le terrein

même, & non sur les Cartes, qu’il faut reconnoître les chemins où l’on veut faire marcher

une Armée, & la situation des lieux où l’on veut asseoir un Camp & choisir un Champ de

bataille170. » Et comme nous le rappellent Corvisier et Couteau-Bégarie, il existe « des

lieux stratégiques qui semblent prédestinés à être des champs de bataille171. » Néanmoins,

si certains points géographiques sont indéniablement des sites qu’il faut défendre, à

166 Jeannine POZZO-LAURENT, « Jean-Guillaume Plantavit de Lapause de Margon », dans DBC, Vol. V de 1801 à 1820, Québec, Presses de l’Université Laval, 1983, p. 744-746. 167 Jean-Guillaume-Charles de PLANTAVIT DE LA PAUSE DE MARGON, « Les “papiers” la Pause », RAPQ 1933-1934, Québec, Rédempti Paradis, 1934, p. 162. 168 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 243-244. 169 Louis-Joseph de MONTCALM (Édité par Robert LÉGER), Le journal du Marquis de Montcalm, Montréal, Éditions Michel Brûlé, 2007, p. 432. 170 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 29-30. 171 CORVISIER et COUTAU-BÉGARIE, La guerre…, p. 131.

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l’inverse, d’autres peuvent malheureusement donner la mauvaise impression d’être

infranchissables par l’adversaire…

1.4 LES SECRETS DU SAINT-LAURENT De tous les secrets d’état que l’armée française cherche à cacher aux Britanniques

concernant le Canada, nul n’est plus important que le moyen de remonter le Saint-Laurent.

Celui qui détient ces informations détient la clé du continent. Les Français s’imaginent

d’abord que la navigation du fleuve est trop difficile pour que la flotte britannique ne le

remonte172. Après tout, la flotte de Walker qui s’échoue en 1711 à l’Île-aux-Œufs n’en est-

elle pas la preuve? La marine française, quant à elle, peut compter sur ses pilotes du Canada

pour éviter de pareils désastres. D’ailleurs, apprenant l’envoi de navires portant des troupes

de Terre au début de la guerre, le gouverneur Duquesne mobilise d’abord et avant tout tous

les pilotes du Saint-Laurent afin de les assister173. Néanmoins, si les Français ont

certainement l’avantage d’avoir cumulé des connaissances sur la navigation du fleuve

depuis le passage de Jacques Cartier, ce savoir intime n’est pas garant de sécurité. Malgré

tout, les navires français risquent toujours le danger, même pendant cette guerre. C’est le

cas entre autres du navire de 150 tonneaux la Nouvelle-Société qui s’échoue contre une

batture près de Beaumont en 1757174 et pareillement du Lion-d’or, un navire de Bordeaux,

entre l’Isle-aux-Coudres et l’Île aux Basques175. Néanmoins, aucun naufrage français ne

saurait être un désastre comparable à celui d’une flotte ennemie en rade devant la capitale

coloniale.

Les secrets de la navigation du Saint-Laurent doivent donc être jalousement gardés.

D’ailleurs, les capitaines de vaisseau ont recours à des coffres à mécanisme plus complexe

qu’une simple serrure pour empêcher l’espionnage des cartes à bord de leurs navires176.

Mais en vain : même s’il est possible de douter que plusieurs capitaines vont préférer jeter

172 On écrit : « la navigation [du Saint-Laurent], la plus dangereuse et la plus difficile qu’il y ait, [fait] le meilleur rempart de Québec. » BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 242. 173 Duquesne au Ministre. À Montréal, le 12 juin 1755, dans CASGRAIN (dir.), Extraits des archives…, p. 11. 174 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 259 et Charles Vianney CAMPEAU, « 1757 », Navires venus en Nouvelle-France. Gens de mer et passagers, des origines à la Conquête. [ En ligne : http://naviresnouvellefrance.net/vaisseau1700/html/page1757.html ] Consulté le 19 décembre 2017. 175 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 302. 176 Catherine HOFMANN, Hélène RICHARD et Emmanuelle VAGNON (dir.), L’âge d’or des cartes marines : Quand l’Europe découvrait le monde, Paris, Seuil et Bibliothèque nationale de France, 2014, p. 70.

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leurs cartes par-dessus bord que de les laisser tomber entre les mains de l’ennemi, au

nombre de navires français capturés, il n’est pas étonnant que les Britanniques réussissent

enfin à se munir de cartes maritimes. Ce sont de telles cartes qui vont aider le contre-amiral

Philip Durell à mener sa reconnaissance secrète du Saint-Laurent avec l’assistance de

James Cook177. Ces cartes, originalement saisies par le capitaine James Douglas, servent à

Cook pour dresser sa propre carte du passage, permettant à la flotte du vice-amiral Charles

Saunders d’arriver à Québec sans mauvais parti178. Ces cartes lui permettent non seulement

de déjouer les obstacles naturels du fleuve, mais également les tentatives françaises de

tromper la flotte en enlevant certaines balises et d’en poser des fausses ailleurs179.

Décrivant la prouesse démontrée par le vice-amiral Saunders en remontant le Saint-Laurent,

Keegan avait raison d’écrire que l’opération « stands as the rashest of all the Royal Navy’s

victories, a defiance of nature as much as of the enemy180. » L’exploit des Britanniques

impressionne également leurs contemporains : « avouons à notre honte qu’ils sont à présent

meilleurs pilottes de la rivière que nous et d’ailleurs favorisés par les vents181. »

Au-delà de la quête pour ces cartes maritimes, les Britanniques ciblent la source la plus

importante de renseignements sur le Saint-Laurent : les pilotes. Comme le rappelle Peter

MacLeod : « The best known of these collaborators were the pilots who guided British

fleets up the St. Lawrence in 1759 and 1760, thereby earning themselves a small but

prominent place in Canadian demonology182. » La réalité est plus complexe, toutefois : les

pilotes ne seront pas tous automatiquement des collaborateurs183.

177 Thomas HAYNES, « “Memorandum of Collonial French War A.D. 1758-” », The Bulletin of the Fort Ticonderoga Museum, Vol. 12, No. 3 (octobre 1967), p. 198. 178 W. A. B. DOUGLAS, « Philip Durell », dans DBC, Vol. III de 1741 à 1770, Québec, Presses de l’Université Laval, 1974, p. 223-225. 179 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 432. 180 KEEGAN, Fields of Battle, p. 79. 181 ANONYME (Édité par Bernard ANDRÈS, Patricia WILLEMIN-ANDRÈS et Aegidius FAUTEUX), Journal du siège de Québec du 10 mai au 18 septembre 1759, Québec, Presses de l’Université Laval, 2009, p. 70. Avis : selon une nouvelle édition de ce livre parut pendant l’écriture de cette thèse, l’auteur de ce texte serait finalement François-Joseph de Vienne, le garde-magasin du Roi à Québec. 182 MACLEOD, « Treason at Quebec », p. 58. 183 Pour les noms connus des pilotes capturés, voir Denis VAUGEOIS et Mario MIMEAULT, « Les pilotes transfuges de l’amiral Saunders », dans Gaston DESCHÊNES et al. (dir.), Vivre la Conquête à travers plus de 25 parcours individuels, tome 1, Québec, Septentrion, 2013, p. 112-115.

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Dès les débuts de la guerre, les Britanniques cherchent à enlever de force les pilotes de

la Nouvelle-France. L’Acadie est une des premières cibles :

Le 8. fevrier [1756] un Bâtiment Anglois vint dans le bas de la Riviere S.t Jean, il fit des signaux françois et envoya sa chaloupe à terre pour demander un pilote disant qu’il revenoit de Loüisbourg chargé de vivres. Un acadien eut la legerté d’aller a son bord; mais il n’y fut pas plutôt que le capitaine fit hisser son pavillon et fit une decharge de son artillerie sur les Acadiens qui êtoient a terre, aprés quoy il se rendit dans le havre. Mais les acadiens s’embusquerent, et firent un feu si vif de leur mousqueterie qu’ils l’obligerent à s’en retourner à Port Royal.184

Lors de sa remontée du Saint-Laurent en 1759, la flotte britannique hisse le pavillon

français afin d’attirer les pilotes environnants. Knox écrit : « […] when a number of canoes

had put off with Pilots, and those who remained on shore did not see their friends return,

but, on the contrary, saw the White colours struck, and British flags hoisted in their place:

——their consternation, rage and grief were inconceivable […]185 ». Encore une fois, la

collaboration des pilotes ne vient pas facilement. Knox témoigne d’un individu qui refuse

de prêter son aide le 25 juin 1759 :

At three P.M. a French Pilot was put on board of each transport, and the man, who fell to the Goodwill’s lot, gasconaded at a most extravagant rate, and gave us to understand it was much against his inclination that he was become an English Pilot. The poor fellow assumed great latitude in his conversation; said ‘[…] Canada should be the grave of the whole army, and he expected, in a short time, to see the walls of Quebec ornamented with English scalps.’ Had it not been in obedience to the Admiral, who gave orders that he should not be ill used, he would certainly have been thrown over-board.186

Malgré la bravade du pauvre pilote, celui-ci s’étonne du capitaine qui, sans avoir jamais

auparavant remonté le fleuve, réussit à naviguer sans son aide. Il n’empêche que ce pilote

anonyme n’est pas le seul à chercher à déjouer les Britanniques. Au moins un individu

réussi à s’évader, soit le sieur Dusault (Dussault), « arrivé de la rade de quebec » en 1760 et

envoyé témoigner auprès du gouverneur à Montréal187. Les pilotes capturés ne sont

d’ailleurs pas tous Français : quelques jours après la prise de Québec, alors que l’armée

184 ANOM, Colonies, C11A 101, F°382. Feuille au roi à propos de ce qui s’est passé en Amérique depuis le mois de février (lettres apportées par la frégate la Sauvage). Juillet 1756. 185 John KNOX, An Historical Journal of the Campaigns in North-America, for the Years 1757, 1758, 1759, and 1760 [Etc.]. Vol. 1, Londres, W. Johnston, 1769, p. 282. 186 Ibid., p. 290. 187 Dumas à Vaudreuil. À Trois-Rivières, le 18 juin 1760, dans « Lettres de Vaudreuil, de Lévis et de Dumas En 1760 », dans RAC. 1905. Vol. I. Ottawa, S. E. Dawson, 1906, 4ème partie, p. 35.

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britannique s’occupe de désarmer les habitants de Beauport, ils capturent et enchaînent un

dénommé Long, « A noted rebel […] by birth a Briton, and formerly a pilot in our service,

[…] this fellow was a great partisan among the French banditti of Nova Scotia, where he

has frequently proved a desperate thorn in the sides of his countrymen188. »

Malgré tout, la réalité est que les menaces viennent à bout de forcer la collaboration de

plusieurs pilotes. Les trois qui jouent un rôle déterminant à la remontée britannique sont

Augustin Raby, Théodose-Matthieu Denys De Vitré et Martin Chenneque, tous capturés

avant 1759189. Dans le cas de Raby et Vitré, les deux sont même ramenés en Angleterre. Au

seuil de la campagne de Québec, « le vice-amiral Saunders demandait aux gouverneurs de

New York et du Massachusetts de lui envoyer tout pilote au fait de la navigation sur le

Saint-Laurent. Un certain nombre furent tirés des prisons d’Angleterre190 », dont ces trois.

Après les événements entourant la prise de Québec, Vitré semble être celui dont la

réputation a le plus souffert. Si les deux autres demeurent au Canada et poursuivent leur

carrière de pilotes après quelques arrangements avec le nouveau régime pour assurer leur

sécurité, Vitré, au contraire, se voit obligé de s’exiler en Angleterre, craignant des

répercussions pour sa collaboration. Déshérité par sa famille, Vitré souffre de la réputation

d’un vendu. En effet, Pierre-Georges Roy l’inclut dans sa galerie des « traîtres de 1759191 ».

Aujourd’hui, toutefois, les historiens mitigent la portée de ce titre qui lui a été fixé par la

mémoire populaire; après tout, comme ses collègues, avait-il le choix de faire autrement?

On débat toujours sur la question192. Peu importe la vérité, la réputation de Vitré est vite

ruinée par la rumeur qui se propage chez ses contemporains. Dès juin 1759, le mot cours :

188 John KNOX, An Historical Journal of the Campaigns in North-America, for the Years 1757, 1758, 1759, and 1760 [Etc.]. Vol. 2, Londres, W. Johnston, 1769, p. 86. 189 J. S. PRITCHARD, « Augustin Raby », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 703-704; Idem, « Théodose-Matthieu Denys De Vitré », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 226-227 et David ROBERTS, « Martin Chenneque », dans DBC, Vol. VI de 1821 à 1835, Québec, Presses de l’Université Laval, 1987, p. 147-148. 190 J. S. PRITCHARD, « Théodose-Matthieu Denys De Vitré », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 226-227. 191 Pierre-Georges ROY, « Les traîtres de 1759 », Cahier des Dix, No. 1 (1936), p. 43-45. 192 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 156-157, note 85 et VAUGEOIS et MIMEAULT, « Les pilotes… », p. 118.

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« Ils rapportent […] que le Sieur de Vitré est à la solde du Roy d’Angleterre et qu’il les

pilotes193 ».

Denis Vaugeois et Mario Mimeault concluent que l’accélération de l’arrivée de la flotte

britannique était due « surtout [à l’armée coloniale qui] n’a pas su s’y prendre à temps pour

rapatrier ses pilotes à Québec de manière à les soustraire à une éventuelle capture194. » Le

problème avec cette hypothèse est que les Français ont tout autant besoin de leurs pilotes

pour remonter le fleuve195. De plus, les pilotes les plus importants ont tous été capturés

avant 1759. Néanmoins, un an après la remontée des Britanniques sur le Saint-Laurent

jusqu’à Québec, l’état-major tient effectivement à éliminer le risque de perdre d’autres

pilotes au profit de la flotte ennemie. Le 27 mai 1760, le chevalier de Lévis donne l’ordre

de faire « rassembler tous les pilotes cotiers depuis la Rivière du Cap Rouge jusqu’à

Dechambeau le plutôt qu’il sera possible […] » avant « qu’ils nous deviendroient nuisibles

si les anglais s’en emparoit196. » Il n’empêche que l’ordre est un dernier effort donnant trop

peu, trop tard : par la reproduction des cartes françaises, les sondages des profondeurs et la

transmission des connaissances des pilotes canadiens, les Britanniques sont depuis peu

devenus maîtres de la navigation du fleuve.

CONCLUSION La période entre 1748 et 1755 en est une de production cartographique remarquable où le

Canada, l’Acadie, Terre-Neuve197, la Louisiane et même les « Terres Angloises » sont le

sujet de nombreux mémoires et cartes nouvelles et rectifiées. Ces cartes servent non

seulement au gouvernement : elles sont également annoncées au public. Par exemple, la

Gazette de France publie que « Le sieur Danville, de l’Académie Royale des Belles-

193 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 65. 194 VAUGEOIS et MIMEAULT, « Les pilotes… », p. 118. 195 Duquesne au Ministre. À Montréal, le 12 juin 1755, dans CASGRAIN (dir.), Extraits des archives…, p. 11. 196 Lévis à Dumas. À Trois-Rivières, le 27 mai 1760, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 7. 197 Voir par exemple Joseph-Bernard de CHABERT, Voyage fait par ordre du roi en 1750 et 1751 dans l’Amérique septentrionale, pour rectifier les cartes des côtes de l’Acadie, de l’Isle-Royale et de l’Isle de Terre-Neuve; et pour en fixer les principaux points par des observations astronomiques, Paris, Imprimerie royale, 1753, 288 p.

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Lettres, & Secrétaire du Duc d’Orléans, présenta le 11 [avril 1756] au Roi une nouvelle

Carte, en quatre feuilles, intitulée Canada, Louisiane, & Terres Angloises.198 ».

Théoriquement, les Français auraient dû être avantagés par une connaissance plus

poussée de leur propre colonie, contrairement aux Britanniques, étrangers.

Malheureusement, l’effort de consolidation du renseignement cartographique se fait trop

tard pour être d’une réelle utilité diplomatique : la guerre réglera la question de la frontière

entre les colonies françaises et britanniques avant même que leurs cartographes respectifs

ne puissent résoudre le problème. Sur le terrain, les métropolitains nouvellement arrivés

dans la colonie se dépêchent quant à eux de reconnaître le territoire et de combler leurs

connaissances géographiques. Pour ce faire, leur principale activité est d’opposer la

représentation cartographique de la Nouvelle-France à leurs observations sur place afin de

prendre connaissance des réalités physiques qui échappent aux cartes. Ceci permet de

maîtriser autant que possible la connaissance des champs de batailles potentiels.

Néanmoins, le cas le plus urgent est celui du Saint-Laurent : une reconnaissance plus

poussée aurait depuis longtemps démontré l’insuffisance des préparatifs contre l’arrivée de

la flotte ennemie. Montcalm résume la situation et sa frustration en juin 1759, quelques

mois avant la conquête britannique de la capitale coloniale :

Je ne suis pas surpris que les pilotes abusent de la confiance; mais notre marine française, depuis la découverte du pays? N’a-t-on pas pu sonder et connaître la rivière? La Traverse, cet obstacle invincible, n’avait que cent quatre-vingts à deux cents toises et les gros vaisseaux anglais la font à toutes les heures. La ridicule sécurité avait fait négliger de s’instruire jusqu’à présent de l’éloignement où les gros vaisseaux et les frégates pourraient mouiller de la plage de Beauport; c’est depuis quelques jours qu’on s’en est instruit.199

En plus des lacunes sur le plan du renseignement cartographique, la principale fragilité

de la stratégie française est la taille de la colonie. Si l’état-major français maintient un

certain succès jusqu’en 1758, l’assaut répété des Britanniques, aux effectifs plus facilement

renouvelables, fini par rogner son armée divisée sur les divers fronts. C’est un problème qui

198 La Gazette de France (1756), p. 191. 199 Il ajoute d’ailleurs qu’il « a déterré une ancienne carte aux jésuites, qui marque six brasses de fond partout dans la Traverse. Concluons que nos pilotes sont menteurs et fanfarons et que nos marins négligent bien leur métier. » MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 457-458.

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n’échappe pas à Versailles. En prévision à la campagne de Québec de 1759, le secrétaire

d’État de la Guerre, le maréchal de Belle-Isle, écrit à Montcalm :

Comme il faut s’attendre que tout l’effort des Anglois va se porter sur le Canada et qu’ils vous attaqueront par les différents côtés à la fois, il sera nécessaire que vous borniez votre plan de défensive aux points les plus essentiels et les plus rapprochés, afin qu’étant rassemblés dans un plus petit espace de pays, vous soyez toujours à portée de vous entre-secourir, vous communiquer et vous soutenir. Quelque médiocre que soit l’espace que vous pourrez conserver, il est de la dernière importance d’avoir toujours un pied dans le Canada car, si nous avions une fois perdu ce pays en entier, il seroit comme impossible d’y rentrer.200

L’occupation de la colonie par les Britanniques fournira également l’occasion rêvée

pour s’informer sur la géographie du Canada en personne. En effet, une fois que Montréal

capitule, les officiers britanniques s’empressent de prendre connaissance du territoire

conquis. La première étape est de s’approprier les documents relatifs à la description de la

Nouvelle-France. Toutefois, par l’article 12 de la capitulation de Montréal, le gouverneur

Vaudreuil insiste pour embarquer « avec lui ses papiers sans qu’ils puissent être visités ».

Amherst refuse ce point, demandant « les archives qui pourront être nécessaires pour le

gouvernement du pays »201. Dans son commentaire sur l’article suivant, Amherst ordonne

que le gouverneur « et tous les officiers, de quelque rang qu’ils puissent être, […]

remettront de bonne foi toutes les cartes et plans du pays202 ». Le général anglais laisse aux

officiers français leurs papiers personnel « qui ne seront point visités » à la seule condition

que les « papiers qui concernent le gouvernement du pays […] doivent [être remis] »203.

La frontière floue entre la Nouvelle-France et les colonies britanniques continue de

hanter le gouvernement à Londres qui ne connaît pas l’étendue exacte de son nouveau

territoire. Sans savoir que la France se prépare secrètement à céder la moitié de la Louisiane

à l’Espagne en 1762, la Grande-Bretagne espère quant à elle démarquer la séparation entre

les deux empires à l’aide du Mississippi204.

200 Belle-Isle à Montcalm. À Versailles, le 19 février 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles…, p. 182. 201 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 242. 202 Ibid. 203 Ibid., p. 242-244. 204 Paul MAPP, « British Culture and the Changing Character of the Mid-Eighteenth-Century British Empire », dans Warren R. HOFSTRA (dir.), Cultures in Conflict. The Seven Years’ War in North America, Toronto, Rowman & Littlefield Publishers, Inc., 2007, p. 47.

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D’autre part, on ne se fait pas d’illusions : il y a tout de même une chance que le

Canada soit restitué à la France. L’état-major britannique s’empresse donc d’envoyer des

partis de reconnaissance sur le territoire conquis et de mener ses propres sondages

géographiques. Entre autres, Amherst tire un plan et une description de l’Île aux Noix205,

point stratégique bloquant l’accès à Montréal par la voie de la rivière Richelieu. De tous ces

relevés, nul n’est aussi impressionnant que celui dirigé par James Murray en 1761 à l’aide

de huit ingénieurs, produisant 74 cartes qui, une fois assemblés, composent une

représentation de la vallée du Saint-Laurent d’une longueur de 45 pieds sur 36 pieds206. S’il

advient que le Canada revienne effectivement à la France, la Grande-Bretagne connaîtra le

territoire aussi intimement que ses habitants.

Le milieu diplomatique est tout aussi occupé à régler les questions géographiques

toujours irrésolues. Il existe de nombreux mémoires comme celui de Dumas écrit en

1761207 qui cherchent à imaginer les conséquences de telle ou telle cession territoriale au

profit des Britanniques. Prévoir ce qu’occasionnerait la perte ou le gain d’un territoire mène

nécessairement la ligne des négociations. Alors que la question de la restitution du Canada

fait encore débat au sein de Versailles en 1761, un mémoire en particulier souligne :

Mais l’ouvrage de nos Ministres Sera-t-il durable? faute d’avoir des connaissances locales seront-ils en état de bien ménager les interets du Roi et de la Nation à cet égard? préviendront-ils les subterfuges dans lesquels la souplesse anglaise ne manquera pas de s’envelopper? […] Par une fatalité qui ne Se peut comprendre, les anglais connaissoient mieux que nous même avant la Guerre, la Carte topographique de nos possessions. aidés d’un pareil Secours quel avantage n’ont-ils pas pour nous faire prendre le change?208

L’auteur ne croit pas si bien dire : le 10 février 1763, le traité de Paris est signé et scellé. Si

la guerre pour la colonie française a débuté sur une carte, elle s’y termine également avec la

disparition du nom de la Nouvelle-France.

205 Jeffery AMHERST (Édité par J. Clarence WEBSTER), The Journal of Jeffery Amherst Recording the Military Career of General Amherst in America from 1758 to 1763, Toronto, Ryerson Press, 1931, p. 218. 206 S. Max EDELSON, « Using Mapscholar.org to put the Murray Maps of Canada ca 1761 online », GéoHist.ca, le 27 février 2017. [ En ligne : http://geohist.ca/2017/02/the-murray-maps-online/ ] Consulté le 22 mars 2019. 207 DUMAS, « Mémoire sur les limites du Canada. 5 avril 1761 », Bulletin des recherches historiques, Vol. 25 (1919), p. 50-57. 208 ANOM, Colonies, C11E 8, F°195v. Mémoire sur les limites du Canada. Paris. À Brest, le 5 avril 1761.

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CHAPITRE 2

« ÉCRIRE, VOILÀ MON OCCUPATION » : LE RENSEIGNEMENT ET LA CULTURE DE L’ÉCRIT EN NOUVELLE-FRANCE

INTRODUCTION : LES PAPIERS DE BRADDOCK ET L’ÉCRIT AU SEIN DU RENSEIGNEMENT La période précédant la guerre de Sept Ans n’est rien de plus qu’une « paix armée » où la

construction de forts s’accélère. Dès 1753, le gouverneur Ange Duquesne de Menneville,

marquis Duquesne, fait construire entre autres les forts Presqu’Île (sur la berge du lac Érié),

Le Bœuf (sur la rivière aux Bœufs) et Machault (entre la rivière aux Bœufs et l’Allegheny).

De ces nouveaux postes armés, le plus important est le fort Duquesne, au confluent de la

Monongahela (ou « Mal engueulé » comme la surnomment les Français209) et de

l’Allegheny. Celui-ci agace particulièrement la Grande-Bretagne : au-delà de sa présence

qui concrétise les revendications françaises du territoire, de nombreuses expéditions y sont

lancées pour attaquer et décourager les colons britanniques de franchir les Appalaches.

Cependant, contrairement à ce que s’imagine le gouvernement français en pleines

négociations territoriales avec la Grande-Bretagne, les représailles se préparent210…

En effet, le major général Edward Braddock est envoyé en Amérique pour mener une

expédition au cœur de la vallée de l’Ohio en vue de capturer le fort Duquesne. À la fin mai

1755, l’expédition quitte le fort Cumberland211. Braddock se voit bientôt obligé de diviser

son armée de 1 469 hommes en deux moitiés. La première prend les devants pour

construire un chemin, alors que l’autre transporte les réserves d’approvisionnements et de

matériel. C’est à la deuxième semaine de juin que le corps s’approche enfin de sa cible. Le

convoi, la plus grande expédition militaire menée jusqu’ici en Amérique, est

impressionnant : il s’étire sur 8 km et comprend quatre canons de 12 livres, quatre obusiers

de 8 pouces, deux canons de 6 pouces et trois petits mortiers212. La bataille éclate le 9

209 Il s’agit d’une déformation de Mehmonawangehelak , le nom autochtone original de la rivière. 210 BAUGH, The Global..., p. 106-107. 211 Aujourd’hui Cumberland, Maryland. 212 Eric HINDERAKER et Peter C. MANCALL, At the Edge of Empire: The Backcountry in British North America, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2003, p. 107-108.

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juillet 1755 lorsque le convoi est intercepté par 108 membres des troupes de la Marine

française, 146 miliciens canadiens et entre 600 et 700 guerriers autochtones. Le tout se

termine avec la défaite de l’armée britannique, dont 457 membres sont tués (incluant

Braddock) et 583 blessés. L’adversaire, quant à lui, compte tout au plus 33 morts et 29

blessés213.

Contrairement à ce que l’historiographie traditionnelle avance, les deux partis ne

s’étaient pas rencontrés accidentellement. Il s’agissait réellement d’une attaque planifiée

contre le convoi214. De plus, contrairement à une autre notion fausse215, Braddock n’avait

pas rejeté l’idée d’une assistance autochtone. Néanmoins, comparativement au côté

français, le nombre de participants autochtones était risible : à peine 24 guerriers avaient

accepté de se joindre aux Britanniques216. Les seuls éclaireurs en service pendant

l’approche du fort étaient les six cavaliers virginiens et une poignée de guides (tous blancs),

devançant à peine de 180 mètres le corps principal217. Dans son analyse de la bataille, la

plus récente et la mieux documentée, David Preston conclut : « […] Braddock did not gain

significant intelligence of French strength at Fort Duquesne even as he drew near it in

early July218 ». Il faut noter toutefois que Contrecœur était à peine plus informé : aucun de

ses découvreurs, soit près de 500 Français et Autochtones, ne lui avait rapporté de

précisions sur l’approche du corps britannique avant que l’expédition ne soit plus qu’à trois

jours de marche du fort219. Il n’empêche, l’échec britannique sur le plan du renseignement

s’ajoutait à la somme d’éléments problématiques liés à la défaite de Braddock. Sans oublier

que la Virginie avait envenimé ses relations avec les alliés autochtones potentiels sans pour

autant être elle-même prête à faire la guerre et à appuyer le général adéquatement220.

L’ensemble du butin et de l’artillerie capturés suivant cette bataille ne se comparaient

pourtant pas à la valeur d’une prise en particulier faite ce jour-là : les documents de

Braddock. Tout bien considéré, si les Français avaient effectivement réussi à repousser ce

213 Pour des précisions, voir PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 264. 214 Ibid., p. 175, p. 182, p. 222, p. 277 et p. 285. 215 Reprise entre autres par Keegan. KEEGAN, Intelligence in War..., p. 17-18 216 PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 81 et p. 112. 217 Ibid., p. 226. 218 Ibid., p. 51-52, p. 185. 219 Ibid., p. 187 et p. 205. 220 Ibid., p. 8.

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premier assaut britannique en Amérique, leur coup le plus important n’avait pas été tant le

fait d’armes en lui-même, mais l’acquisition des informations contenues dans ces papiers.

En effet, Contrecœur fait envoyer les documents à Montréal au début d’août 1755221 où le

gouverneur Vaudreuil les fait traduire par Louis-Amable Perthuis222, pour finalement en

envoyer trois copies en France. Les preuves sont indéniables. Le gouvernement britannique

ne peut plus cacher qu’il soit passé à l’action alors que les deux pays étaient toujours en

train de négocier la frontière séparant leurs territoires coloniaux. Entre autres, les papiers de

Braddock contiennent trois cartes (curieusement écrites sur l’endos de partitions

musicales) : l’une du fort Cumberland, l’une du fort Duquesne et enfin, l’une des travaux

prévus sur ce dernier devaient-ils le capturer223. Plus accablante encore est la présence de

« l’Instruction du Roy d’Angleterre à ce General, une Instruction […] de la part du Duc de

Cumberland, plûsieurs lettres écrites par ce même General aux ministres d’Angleterre, […]

et beaucoup d’autres pieces qui prouvent bien manifestement les projets du Gouvernement

Britannique224 ». À la lumière de ces documents, les événements précédents, soit l’Affaire

Jumonville, la prise de l’Alcide et du Lys, la capture de Beauséjour et Gaspareau en Acadie

et les nombreuses escarmouches coloniales, n’étaient plus de simples incidents sans liens,

mais faisaient bien partie d’un même ensemble, d’un coup planifié par l’Angleterre225. Ces

documents élucident non seulement ces événements en rétrospective, mais vendent la

mèche en confirmant qu’on « avait résolu en Angleterre l’invasion générale du Canada226 »

sur trois fronts : le lac Ontario, le lac Champlain et le fleuve Saint-Laurent.

Les papiers de Braddock donnent donc à la France un avantage stratégique en

Amérique et une arme diplomatique redoutable pour manipuler l’opinion publique. Les

documents sont immédiatement publiés dans les gazettes et reproduits afin de dénoncer les

221 Contrecœur à Vaudreuil. Au fort Duquesne, le 3 août 1755, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 409. 222 Perthuis ne connait pas que l’anglais. Dans les actes notariés chez BAnQ, il est décrit tour à tour comme « interpète de la nation sauvage iroquoise », « interprète pour le Roi » et sous le Régime britannique, devient « interprète des Sauvages et employé au service de Sa Majesté britannique ». Voir la base de données Parchemin. 223 PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 266. 224 ANOM, Colonies, C11A 100, F°310-310v. Mémoire ou feuille au net de Vaudreuil. Décembre 1755. 225 FRÉGAULT, La guerre de la conquête…, p. 140-141. 226 Jacob-Nicolas MOREAU, Mémoire contenant le précis des faits, avec leurs pièces justificatives, pour servir de réponse aux observations envoyées par les ministres d'Angleterre dans les cours de l'Europe, Paris, Imprimerie Royale, 1758, p. 25.

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actions des Britanniques227. Enfin, le gouverneur Vaudreuil se sert des papiers de Braddock

contre les Cinq-Nations comme preuve de leur collusion avec les Anglais228.

L’histoire de Braddock est l’un des événements marquants d’une historiographie de la

guerre de Sept Ans qui s’est surtout penchée sur les faits d’armes. Et pourtant, une armée

ne roule pas que sur des munitions : son bon fonctionnement repose sur la cohésion interne

entre ses membres. L’échine de cette cohésion, ainsi que du renseignement, est la culture de

l’écrit. Comme les papiers de Braddock l’illustrent, l’écriture peut être aussi redoutable que

le plus puissant des canons : plus que de simples mots sur papier, un document peut

permettre de découvrir les plans de l’ennemi, forcer sa main en diplomatie et orienter

l’opinion publique. À l’image du mouvement des Lumières, l’écriture a une place de plus

en plus importante au sein de l’armée au XVIIIe siècle. Des deux côtés de l’Atlantique,

l’évolution de la place de l’écrit reflète les avancées de la rationalisation de l’armée.

Comme l’explique Patrick J. Speelman :

For the educated European officer corps and men of letters the Seven Years’ War proved to be a boon. An energized “Military Enlightenment” emerged that was built upon an outburst of military literature, both history and theory, motivated by reflections on the late conflict. Histories of the war appeared in nearly all its former belligerents.229

Qu’il s’agisse de l’essor de la publication de traités de guerre230 ou de la scientifisation de

l’armée, la culture de l’écrit imprègne le corps des officiers. La plus importante innovation

est la transmission d’ordres par écrit, plutôt que de manière verbale. La distance et la taille

de l’armée obligeant, la méthode écrite de faire passer les ordres assure un meilleur

contrôle de la transmission et de l’interprétation de ceux-ci231. Par le moyen de lettres

circulaires, de courriers privés, de rapports, de registres, de permissions, de journaux

227 « Relation De ce qui s’est passé cette année en Canada », La Gazette de France (1755), p. 3 et MOREAU, Mémoire contenant le précis des faits…, p. 121-166. 228 ANOM, Colonies, C11A 100, F°99v. Réponses de Vaudreuil de Cavagnial aux paroles que les Cinq-Nations lui ont envoyées par des députés de la mission de La Présentation. Le 22 octobre 1755. 229 Patrick J. SPEELMAN, « Father of the Modern Age », dans Mark H. DANLEY et Patrick J. SPEELMAN (dir.), The Seven Years’ War: Global Views, Boston, Brill, 2012, p. 534. 230 « Il est assez logique qu’il ait fallu attendre le XVIIIe siècle pour que s’épanouisse l’écriture militaire théorique. Avant cette époque, les blocages de la guerre ne sont pas encore sensibles. C’est au moment exact où ils observent son caractère déroutant que les officiers réfléchissent sur leur guerre. » BOIS, « Plaidoyer… », p. 23. 231 ANDERSON, War and Society..., p. 176 et Lancelot TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 2, Paris, Chez Prault fils l’aîné, 1754, p. 20.

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personnels, d’édits, etc., les rouages d’une armée divisée sur plusieurs fronts sur un vaste

territoire dépendent du mot écrit. Sans oublier que la prolifération de gazettes pendant la

guerre de Sept Ans sert à faire fléchir l’opinion publique. Comme le note un contemporain :

« L’Anglois a été l’aggresseur par ses écrits ainsi que par ses armes232 ».

La mise à l’écrit des informations n’a pas toutefois que des avantages… Justement, il

est facile de s’imaginer le défi que représente le maintien d’une cohésion entre différents

forts et postes alors qu’une tâche aussi élémentaire que de tenir compte des salaires payés

pose elle-même un défi monumental aux trésoriers. Par exemple, dans une lettre écrite en

février 1755, l’ancien agent des trésoriers généraux au Canada, Jacques Imbert233, présente

un mémoire au sujet des nombreux problèmes de consolidation des soldes à payer aux

soldats234. Entre autres, le manque de suivi précis sur l’emplacement de soldats mutés de

poste en poste peut créer des dédoublements de soldes. Ces types d’erreurs prennent des

mois avant d’être corrigées. Au-delà des erreurs administratives, figer ses informations sur

papier les rend vulnérables à l’exploitation par l’ennemi advenant l’interception d’un

courrier. La découverte des papiers de Braddock est l’exemple le plus frappant des

répercussions suivant l’interception de documents pendant la guerre de Sept Ans en

Amérique. N’empêche, malgré ces problèmes, on peut pasticher le dicton en affirmant que

la plume est tout aussi nécessaire que l’épée. Alors qu’il se prépare à faire passer son

courrier outre-Atlantique, Montcalm commente : « écrire, voilà mon occupation […]235 ».

Le marquis n’est donc pas qu’un général, mais également un administrateur qui doit

s’assurer du bon fonctionnement interne de son armée.

Si l’historiographie s’est appuyée sur ces sources écrites pour étudier la guerre de Sept

Ans, il est tout de même ironique qu’elles-mêmes n’aient pas fait l’objet d’études

approfondies sur leur création et leur transmission, exception faite de certains journaux de

campagne, dont celui de Wolfe. Il faut admettre toutefois que les sources au sujet du

232 Jacob-Nicolas MOREAU, Lettres d’un François à un Hollandois au sujet des differends survenus entre la France et la Grande-Bretagne, touchant leurs possessions respectives dans l’Amérique septentrionale, Paris, chez P. la Rive, 1755, p. 5. 233 André LACHANCE, « Jacques Imbert », dans DBC, Vol. III de 1741 à 1770, Québec, Presses de l’Université Laval, 1974, p. 322-323. 234 Imbert au Ministre. À Paris, le 25 février 1755, dans CASGRAIN (dir.), Extraits des archives…, p. 121-127. 235 Montcalm à Bourlamaque. À Montréal, le 22 février 1758, dans H. R. CASGRAIN (dir.), Lettres de M. de Bourlamaque au chevalier de Lévis, Québec, L.-J. Demers & Frères, 1891, p. 200.

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renseignement ne sont pas des plus passionnantes. Comme Keegan le rappelle : « Much

intelligence practice is mundane and bureaucratic, unamenable to treatment in readable

form. Even the most mundane, however, is essential if intelligence is to be useful236 ». Ce

chapitre examine donc la création et l’utilisation de ces documents pour transmettre des

éléments de renseignement. D’abord et avant tout, il faut aborder la question à savoir qui

les produit. Après tout, la capacité de lire et d’écrire n’est pas donnée à tout le monde au

XVIIIe siècle, même au sein de l’armée. S’enchaîne par la suite une discussion sur la gestion

du renseignement en Nouvelle-France, une section assez courte par la nature élémentaire de

la hiérarchie militaire coloniale, visualisée essentiellement comme un entonnoir

d’information dirigé vers l’état-major. Notre regard porte ensuite sur le processus d’écriture

afin d’examiner la nature des documents créés et les habitudes d’écritures des officiers. Il

est ensuite logique, dans un contexte de guerre, de s’attarder sur les moyens d’assurer la

sécurité de ces documents au contenu sensible. Enfin, nous posons notre regard sur la place

de l’imprimé en Nouvelle-France, les gazettes étant de précieuses sources de renseignement

auprès des officiers.

2.1 ALPHABÉTISME ET FORMATION EN NOUVELLE-FRANCE Qui écrit? Pour répondre à cette question, on peut tout autant se demander d’abord : qui

peut écrire? Dans la colonie, les officiers des troupes de la Marine sont nettement moins

éduqués que leurs comparses des troupes de Terre. Comme l’observe Jay Cassel, les rares

journaux intimes tenus par des membres des troupes coloniales ont tous été écrits par des

militaires d’origine française : « Their education did not stress writing; it stressed physical

exertion and military expertise. There was no strong literary tradition in the military. This

was partly a reflection of conditions in Canada. There was no press; there were no

newspapers and few books237. » En effet, le niveau d’éducation des officiers de la Marine

d’origine canadienne rejoint à peine celui des civils nobles, déjà moins éduqués que leurs

homologues métropolitains. La compétence (ou « expertise », évoqué par Cassel ci-haut) se

forge généralement par l’expérience et la transmission de connaissances de père en fils. À

236 KEEGAN, Intelligence in War..., p. 3. 237 CASSEL, « Troupes de la marine... », p. 184-185.

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moins d’aller en France pour son instruction, ce qui se fait rarement238, un officier ne peut

pas compter sur une éducation militaire formelle239. Les seules institutions d’éducation

secondaire et universitaires au Canada se trouvent à Québec, sous l’égide du collège des

Jésuites et du Petit séminaire240. Bien que la plupart des officiers sachent lire et écrire, il est

difficile de parler d’une réelle formation en lettres. La situation a peu évolué depuis 1737

lorsque l’intendant Gilles Hocquart écrivait ces mots :

Toute l’Éducation que recoivent la plupart des Enfans d’officiers et des gentilshommes se borne à très peu de chose, à peine scavent ils lire et Ecrire, ils Ignorent les premiers Elémens de la geographie, de l’histoire; il seroit bien a désirer qu’ils fussent plus instruits. Le Professeur d’Hydrographie a Québec est si occupé de sa charge de Principal de Collège, même des fonctions de Missionnaire qu’il ne peut vaquer autant qu’il est necessaire a sa charge de Professeur. A Montréal la Jeunesse est privée de toute Education; les Enfans vont à des Ecoles publiques qui se tiennent au Seminaire de St. Sulpice et chez les freres Charrons ou ils apprennent les premiers Elemens de la grammaire seulement. des Jeunes gens qui n’ont d’autres secours ne peuvent jamais devenir des hommes utiles. On Estime que si dans chacune des villes de Quebec et Montreal Sa Majesté vouloit bien Entretenir un [maître] qui Enseignat la geometrie, les fortifications, La geographie [etc] aux cadets qui sont dans les troupes, et que ces Cadets fussent tenus d’Estre assidus aux Lecons qui leur seroient données, cela formeroit par la suite des sujets Capables de rendre de bons services, les Canadiens ont communement de l’Esprit, et on croit que l’Establissement proposé auroit le succès qu’on en peut espérer.241

En effet, l’instruction est si lacunaire que certains écrivent de façon phonétique, comme

Louis du Pont Duchambon de Vergor242. Même parmi ceux à la plume mieux soutenue,

l’orthographe peut changer d’un individu à l’autre. Il n’est pas toujours aisé de juger la

238 Illustrant l’exception que sont les ingénieurs, dont il sera question plus tard, Michel Chartier de Lotbinière est l’un des rares officiers canadiens envoyés en France pour « aprendre les matématiques et se perfectioner dans se metier ». BAC, MG18-H64, R11500-0-7-F, Fonds de la famille Chartier de Lotbinière. 3063601 : Certificat ou lettre du comte Du Montal, lieutenant général des armées du roi - atteste que Michel Chartier de Lotbinière est venu acquérir une formation d’ingénieur en France et prie les gouverneurs et commandants des places de lui faciliter la visite des places. Signé Montal avec cachet. c1752. En ligne : http://data2.archives.ca/e/e005/e000102607.jpg. Consulté le 13 novembre 2019 et BÉGON, Lettres au cher fils, p. 317. 239 Sur l’éducation des officiers de la Marine en France et la guerre de Sept Ans, voir Michel VERGÉ-FRANCESCHI, Marine et éducation sous l’Ancien Régime, Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, 1991, p. 229-251. 240 Gilles HAVARD et Cécile VIDAL, Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2008 (2003), p. 181. 241 ANOM, Colonies, C11A 67, F°106v-107. Détail de toute la colonie par Hocquart. 1737. 242 Vergor est un cas quasi caricatural, ses contemporains le traitant entre autres « [d’]épais », « [d’]imbécile » et d’être « sans esprit et sans éducation ». BÉGON, Lettres au cher fils, p. 177 et Bernard POTHIER, « Louis du Pont Duchambon de Vergor », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 268-269.

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qualité de l’instruction de chaque officier à partir des archives puisque certains s’appuient

sur l’aide d’un secrétaire. Il arrive néanmoins qu’un officier glisse un commentaire écrit sur

l’endos ou dans la marge d’une feuille qui trahit son niveau de maîtrise de l’écrit. L’écriture

quasi phonétique de Contrecœur, qui se fie généralement à un secrétaire, en est un exemple

probant243. Bougainville est d’ailleurs assez cynique lorsqu’il décrit le niveau d’instruction

des Canadiens en général :

Instruction publique.— On est peu occupé de l’éducation de la jeunesse, qui ne songe qu’à s’adonner de bonne heure à la chasse et à la guerre; cependant outre des écoles particulières, les jeunes gens vont apprendre un peu de latin aux Jésuites de Québec. Messieurs du séminaire de Québec, tenu par des prêtres des Missions Étrangères, ont un pensionnat avec des répétiteurs, et les jeunes gens vont au collège des Jésuites. […] [Les Canadiens] ne savent pas écrire […].244

Bonin abonde en observant que les Canadiens « sont généralement peu instruits245 ».

Effectivement, la société de la Nouvelle-France est essentiellement rurale, à l’exception des

quelques villes, soit Québec, Trois-Rivières, Montréal, Louisbourg et La Nouvelle-Orléans.

Savoir écrire n’est pas une priorité pour l’habitant labourant sa terre. Comme le résume

cyniquement Roger Magnuson, « Canadiens were felled by pestilence, fire, famine,

tomahawks, and muskets, but as far as can be determined no one died of illiteracy246 ».

Bien qu’il soit difficile de connaître précisément le taux d’alphabétisation au Canada, les

actes de mariage canadiens pour la période entre 1750 et 1765 démontrent qu’à peine le

quart de la population totale de la colonie peut au moins signer son nom (soit 41% en

milieu urbain et 10% en milieu rural)247.

Comment alors transmettre des instructions écrites avec un peuple majoritairement

analphabète? Il est difficile de connaître les méthodes exactes de communication entre le

243 Pour illustrer, on peut noter qu’il griffonne à l’endos d’une lettre: « de ce qui regarde lés sanglois de la sommation quille son fait a mr de st piére a la riviére au beuf ». Copie de la Lettre ecrite au Gouverneur de La Virginie, par le S.r de S.t Pierre » Le 16 décembre 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 84. Voir aussi, comme autre exemple : Contrecœur à sa femme. À Rivière aux Bœufs, le 19 mars 1754, dans Ibid., p. 110-111. 244 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 86. 245 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 49. 246 Roger MAGNUSON, Education in New France, Montréal & Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1992, p. 105. 247 Sans oublier qu’en France, le taux d’alphabétisation varie aussi selon la géographie. Ibid., p. 90-91 et Roger CHARTIER, Dominique JULIA et Marie-Madelaine COMPÈRE, L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Société d’édition d’enseignement supérieur, 1976, p. 91.

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gouvernement et la population puisque les archives de la correspondance officielle

comportent surtout les messages à diffuser plutôt que les moyens de les transmettre248.

Quelques indices servent néanmoins à éclaircir la question. D’abord et avant tout, lorsqu’il

y a des annonces à faire au public, on fait « battre le ban », c’est-à-dire un « Mandement

fait à cri public249 ». Bien que la mémoire populaire retienne l’image d’un crieur public, qui

existe certainement, le titre ne semble pas exister dans les actes notariés du Régime

français250. Toutefois, même sans le titre, nombreux sont ceux à en remplir le rôle selon un

un édit de 1728 qui « ordonne à tous colonels, capitaines et autres officiers de milices et à

tous huissiers, sergents, praticiens et maîtres d’école de recevoir tant les ordres du roi et des

intendants que les arrêts du Conseil supérieur et d’en faire lecture au peuple251 ». Kenneth

Banks recense un exemple en Louisiane en 1751 où l’huissier Marin (ou Marain)

Lenormand doit annoncer les nouveaux articles concernant l’ordre public. Accompagné par

deux tambours, celui-ci se présente devant l’église après la messe pour faire l’annonce de

vive voix et clouer une copie écrite sur la porte. L’action se répète devant le magasin du

Roi et, sans doute, à d’autres endroits de réunion importants. Le circuit se répète au moins

une autre fois le lendemain pour s’assurer de faire passer le message252. Une vérification

dans l’inventaire du personnel militaire de la Louisiane dressée par Carl Brasseaux révèle

qu’au moment de sa retraite en 1763, Lenormand aura passé 27 ans en tant que crieur

public253.

Non seulement se sert-on de la criée de nouvelles, mais on a également recours aux

affiches254. En effet, le « Placard » est utilisé pour rejoindre la population, principalement

248 BANKS, Chasing Empire across the Sea, p. 109. 249 ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire…, Tome 1, 1762, p. 147. 250 Voir la base de données PARCHEMIN. 251 Philippe FOURNIER, La Nouvelle-France au fil des édits. Chronologie reconstituée d’après les principaux édits, ordonnances, arrêts, lois et règlements émis sous le Régime français, Québec, Septentrion, 2011, p. 428. 252 BANKS, Chasing Empire across the Sea, p. 109. 253 Carl A. BRASSEAUX, France’s Forgotten Legion. Service Records of French Military and Administrative Personnel Stationed in the Mississippi Valley and Gulf Coast Region, 1699-1769, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 2000, fichier numérique. 254 Le 24 juin 1759 : « On vient de battre un banc et mettre des affiches aux endroits accoutumés pour prévenir tous les citoyens de la Basse Ville ainsi que des fauxbourgs, de prendre leur[s] précautions pour se retirer à la Haute Ville ou ailleurs avec leurs effets, sitôt que les vaisseaux anglois paroitroient, étant informés que leurs projet étoit de canonner et de bombarder la place. » ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 78.

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par affichage sur la porte des églises. Néanmoins, le réseau habituel des paroisses comme

voie de dissémination d’information est parfois rompu à cause de la guerre. Par exemple, à

Saint-Antoine-de-Tilly, les messes ne sont pas célébrées à la chapelle, mais « à l’occasion

[...] chez un particulier255 ». Les Britanniques feront également usage des placards, comme

Wolfe qui va afficher des messages adressés aux habitants de « ne prendre directement ni

indirectement aucune part à une dispute qui ne regarde que les deux couronnes256 ». En

somme, si plusieurs ne savent pas lire ni écrire, ceux qui le peuvent s’assurent de

transmettre les mandements du gouvernement à l’oral.

En ce qui concerne les soldats—tant de la Marine que des troupes de Terre—, ils sont

un peu plus instruits que la moyenne. Selon l’étude de Michel Verrette, les soldats à

Québec démontrent un taux d’alphabétisation d’environ 31%257. Pourtant, les traces de

correspondance et de rapports de soldats sont excessivement rares à avoir survécu dans les

archives. Les Papiers Contrecœur sont le plus remarquable exemple de ce type de

documents du bas de la hiérarchie militaire. Plus rares encore sont les traces de l’utilisation

de l’instruction des soldats en dehors de leurs fonctions militaires. Par exemple, certains

vont créer des pièces de théâtre dans leur temps libre258. Louise Dechêne relève d’ailleurs

quelques exemples de soldats qui, pour passer le temps, enseignent l’écriture aux enfants au

XVIIe siècle259, une tradition qui se maintient au XVIIIe siècle260.

Savoir écrire est une chose, être cultivé en est une autre. Contrairement à leurs

homologues de la Marine, les officiers des troupes de Terre écrivent plus souvent et

démontrent pour la plupart une culture intellectuelle plus développée. Si la formation

255 MATHIEU et IMBEAULT, La guerre des Canadiens…, p. 79. 256 Jean-Claude PANET, Journal du siège de Québec en 1759, Montréal, Eusèbe Senécal, 1866, p. 6. 257 Michel VERRETTE, « L’alphabétisation de la population de la ville de Québec de 1750 à 1849 », Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 39, No. 1 (1985), p. 66-67. 258 C’est le cas à Niagara avec la composition originale Le Vieillard dupé, présenté en mars 1757. MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 152. 259 Louise DECHÊNE, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, Montréal, Boréal compact, 1988 (1974), p. 468. 260 Bougainville rapporte d’ailleurs une anecdote assez sordide au sujet d’un tel éducateur : « Le Sr de Montdardier, jeune homme de condition, du Languedoc, lieut. au régnt de Berry, ayant eu une conduite indigne de son nom, avait abandonné son employ et était réduit à montrer à lire au cap Moraska [Kamouraska]. Voulant aller à Gaspé, il a été assassiné par un déserteur du même régiment qui est ensuite mort dans les bois de faim et de froid. » BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 252.

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militaire n’est pas universelle ni uniforme parmi les officiers261, il n’empêche que la

noblesse se doit, en théorie, d’être bien éduquée en général. Néanmoins, dans son étude sur

le livre et la lecture chez la noblesse canadienne, Mario Robert démontre que même si elle

possède généralement plus de livres que la population moyenne, ses membres en possèdent

moins que leurs homologues français. Il conclut que « Les nobles canadiens

n’appartiennent vraisemblablement pas à la “République des Lettres”262 ». Aucune librairie

n’existe au Canada et la Louisiane n’est pas mieux lotie, puisque ce n’est qu’en 1762 qu’on

demande enfin l’autorisation d’ouvrir une librairie à La Nouvelle-Orléans263. C’est cette

absence de culture littéraire développée que Bougainville évoque lorsqu’il écrit au sujet de

l’éducation de Montcalm :

Quelle gayeté seroit à l’épreuve de ce climat et de ces habitants? Sans Montaigne, Horace, Virgile, Tacite, Montesquieu, Corneille, les conversations et les bontés de mon général, l’ennui m’auroit consumé. Il est bon que vous sachiez Mr l’Académicien, que Mr le Mis de Montcalm est très savant et surtout dans le genre de l’Académie des belles-lettres. Il a prodigieusement lu et sa mémoire est étonnante, on la peut citer.264

De son côté, Bougainville, par souci de rester à jour sur le monde littéraire et scientifique,

se fait envoyer des « livres nouveaux curieux et les pièces de théâtre qui peuvent avoir paru

depuis [son] départ265 ». Alors que l’aide de camp n’a pas encore atteint sa future célébrité,

Montcalm le remarque parmi les autres jeunes officiers éduqués et le décrit ainsi :

C’est un jeune homme qui a de l’esprit et de belles lettres, grand géomètre, connu par un ouvrage sur le calcul intégral; il est de la Société Royale de Londres, aspire à être de l’Académie des sciences de Paris, où il aurait une place, s’il n’avait pas préféré d’aller

261 NICOLAI, « Subjects and Citizens… », p. 35. 262 Mario ROBERT, « Le livre et la lecture dans la noblesse canadienne 1670-1764 », Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 56, No. 1 (2002), p. 25-26. 263 François MELANÇON, « La circulation du livre au Canada sous la domination française », Cahiers de la Société bibliographique du Canada, Vol. 37, No. 2 (automne 1999), p. 47 et ANOM, Colonies, C13A 37, F°223. Extraits des lettres communes de Kerlérec et Foucault, gouverneur et ordonnateur. 26 juillet 1762, No. 7. Transmission d’un mémoire de Brau, sollicitant l’autorisation d’ouvrir une librairie à La Nouvelle-Orléans. 264 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 395. 265 Ibid., p. 365. François Melançon écrit au sujet des livres disponibles à la vente dans la colonie : « L’absence de romans, pièces de théâtre, poésies et autres textes de fiction laisse entrevoir un conformisme face au discours ecclésiastique, par trop apparent et uniforme pour ne pas soupçonner à l’occasion une certaine sélection avant le passage du notaire et du huissier ont des omissions. ». MELANÇON, « La circulation du livre… », p. 48.

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en Amérique apprendre le métier de la guerre et donner des preuves de sa bonne volonté.266

Effectivement, après la campagne canadienne, Bougainville poursuivra sa curiosité

scientifique en devenant l’un des grands explorateurs français de la fin du XVIIIe siècle.

Certes, la professionnalisation militaire établie au siècle précédent permet une

standardisation de l’armée jamais vue auparavant. Néanmoins, il ne faut pas confondre

professionnalisation avec formation professionnelle : la réforme éducationnelle sur

l’ensemble de l’armée tardera longtemps à se généraliser. Bien que la professionnalisation

requière en théorie un corps d’officiers instruits dans l’art de la guerre, l’instruction va

demeurer fragmentaire dans l’ensemble des forces. La France ne connaît son prototype

d’académie militaire qu’en 1606, deux ans à peine avant la fondation de Québec.

L’éducation y est limitée aux « armes savantes ». Comme le rappellent André Corvisier et

Hervé Couteau-Bégarie, « ce fut seulement au XVIIIe siècle que les effets de la révolution

mathématique des années 1620 se firent sentir avec la maîtrise du langage mathématique

nouveau267 ». Bien que la France ouvre d’autres écoles, dont une académie navale en 1729

et 1752, la majorité des officiers continuent de recevoir leur formation de père en fils268.

Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, l’instruction des militaires n’est pas une

priorité au sein de l’armée. Les ingénieurs et les artilleurs sont la seule exception,

progressant considérablement dans le domaine de la formation de leurs membres avec la

fondation en 1679 d’une première école d’artillerie. Leur importance, en particulier dans la

guerre de siège, nécessite une éducation des plus récentes avancées dans les techniques

militaires. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la meilleure école d’ingénieurs est fondée en

1748 à Mézières, première école de la sorte rêvée par Vauban, mais jamais réalisée de son

vivant : en plein siècle des Lumières, l’armée ne peut se permettre de traîner de la patte en

matière de sciences martiales269. Le XVIIIe siècle est donc une période d’effervescence pour

les officiers instruits. Et pourtant, le paradoxe demeure que malgré la fondation de

nouvelles académies militaires, dont l’École Royale Militaire de Paris en 1751, une

266 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 33. 267 CORVISIER et COUTAU-BÉGARIE, La guerre…, p. 101. 268 BLACK, European Warfare, 1660—1815, p. 130 et p. 236-237. 269 Lire à ce sujet : THÉVENIN, « Une guerre… », 162 p.

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éducation formelle n’est toujours pas vue comme nécessaire, même au contraire : la

tradition maintient l’avantage des officiers issus de la noblesse sur les militaires de

formation et d’expérience. À preuve, alors que la priorité de cette nouvelle école est de

former 500 membres de la noblesse pauvre270, il faudra encore attendre plusieurs décennies

avant de voir les débuts de l’implantation d’une hiérarchie militaire strictement fondée sur

le mérite et l’éducation. Bien que la guerre de Sept Ans soit précédée par le développement

de nouvelles écoles militaires qui viennent donner un souffle nouveau à la profession

militaire, il faudra attendre les guerres napoléoniennes avant que la formation scientifique

et mathématique professionnelle soit dorénavant indispensable, peu importe les origines des

officiers271. Entretemps, la possibilité d’acheter sa charge ou son office crée des tensions au

sein de l’armée entre la noblesse et la bourgeoisie qui se font compétition272. Pire, bien que

l’officier soit généralement instruit, le simple soldat n’a même pas besoin de savoir écrire

pour être recruté, bien que d’Espagnac écrive dans son Essai sur la science de la guerre

que « tout engagement qui n’est pas signé par celui qui sçait écrire ne vaut rien273 ».

Les militaires ne sont pas les seuls à manier le mot écrit au bénéfice de l’armée. Comme

l’explique Céline Melisson : « en 1756, la Nouvelle-France possède son intendant des

colonies, qui relaie directement des informations au ministre de la Marine. Ce dernier gère

alors plusieurs officiers dits “de Plume”, soit une petite quarantaine de titulaires en poste

entre l’île Royale et la Louisiane274. » La guerre augmente d’ailleurs le travail de gestion

d’information :

les officiers civils des colonies doivent redoubler de diligence dans l’exécution de leurs tâches de surveillance, d’information et surtout de gestion des vivres ou munitions de la colonie. De celle-ci dépend la vigueur des troupes, ainsi que l’explique L.-A. de Bougainville dans son journal le 3 février 1757 : « La circonstance est critique et fâcheuse; les ennemis surtout paraissent vouloir entrer

270 CHARTIER, JULIA et COMPÈRE, L’éducation en France…, p. 217. 271 CORVISIER et COUTAU-BÉGARIE, La guerre…, p. 99-102. 272 Franz A.J. SZABO, The Seven Years War in Europe, 1756-1763, Londres, Pearson Education Limited, 2008, p. 32 et ANDERSON, War and Society..., p. 179-180. 273 Jean-Baptiste-Joseph Damarzit de Sahuguet d’ESPAGNAC, Essai sur la science de la guerre ou recueil des observations de différens Auteurs, sur les moyens de la perfectionner. Vol. 1, Paris, Chez Ganeau, 1753, p. 58. 274 Céline MELISSON, « Procurer la paix, le repos et l’abondance : les officiers civils de la Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans », dans Bertrand FONCK et Laurent VEYSSIÈRE (dir.), La fin de la Nouvelle-France, Paris, Armand Colin et Ministère de la Défense, 2013, p. 166.

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de bonne heure en campagne. » Pour parer aux difficultés, le personnel se fait alors plus mobile.275

Chez les Autochtones, bien entendu, la connaissance de l’alphabet romain n’est pas

répandue276. Pour la majorité des guerriers en Nouvelle-France, l’écriture demeure un code

insondable, comme l’illustre l’anecdote rapportée par le père Bonnécamps pendant son

voyage dans la vallée de l’Ohio : « Le 8e. [du mois d’août 1749] au matin, M. de Celoron

m’envoya avec un officier pour examiner certaines écritures que nos sauvages avoient

apperçue la veille sur un rocher, et qu’ils s’imaginoient contenir quelque mystère.

L’examen fait, nous lui rapportames que ce n’étoit rien autre chose que trois ou quatre

noms Anglois grifonnés avec du charbon277. » En effet, comme l’écrit Gilles Havard au

sujet du XVIIe siècle :

L’écrit est évidemment un médium qui place les Français dans une position favorable, et leur donne même une certaine supériorité sur les Amérindiens. Faute de pouvoir se rencontrer, des Français laissent parfois sur place des messages, un peu comme des bouteilles à la mer, mais avec le ferme espoir qu’ils soient trouvés et la certitude qu’ils ne seront pas compris par les autochtones.278

Néanmoins, au XVIIIe siècle, les Autochtones sont nombreux à s’adapter tout de même et à

tirer profit des Français sachant écrire, s’en servant au besoin comme intermédiaires pour

envoyer à leur tour des lettres et des rapports au lieu de se déplacer en personne279. De plus,

ils conservent précieusement certains documents, qu’il s’agisse de traités ou bien de reçus

275 Ibid., p. 172. 276 Ajoutons que lorsque les missionnaires prennent la peine d’enseigner à écrire aux Autochtones, ils ne le font pas à l’aide de lettres latines mais d’un alphabet complexe à base de caractères logographiques. Procédant ainsi, ils s’assurent que les Autochtones « connaissent par cœur un certain nombre de discours à réciter dans les circonstances rituelles telles que le baptême ou la messe », sans risque de causer « de grans maux parmi la nation, tant par rapport à la religion et aux bonnes mœurs, qu’au gouvernement politique ». Pierre DÉLÉAGE, Le geste et l’écriture. Langues des signes, Amérindiens, logographies, Paris, Armand Colin, 2013, p. 93-94. Voir aussi plus largement sur l’écriture chez les Autochtones sous le Régime français : Paul-André DUBOIS, Lire et écrire chez les Amérindiens de Nouvelle-France, Québec, Presses de l’Université Laval, 2020, 720 p. 277 BONNÉCAMPS, « Relation… », p. 174. 278 HAVARD, Empire et métissages, p. 224. 279 Notons deux exemple pour illustrer : Pierre Joseph Neyon de Villiers, commandant aux Illinois, reçoit en 1763 un messager autochtone portant une lettre de la part de Pontiac. Bougainville soulève aussi qu’en 1757 les Cherokee contactent l’état-major à l’aide d’une lettre écrite pour eux par le dénommé Decoigne, un « Canadien pris et adopté chez eux depuis dix ans ». Ibid., p. 225; Mémoire de Pierre Joseph Neyon de Villiers, le 27 octobre 1763, dans The Favrot Papers, 1695–1769. Volume 1, La Nouvelle-Orléans, Louisiana State Museum, 1940, p. 41 et BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 170.

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pour des esclaves capturés280. L’écrit leur est donc utile même s’ils sont rares à lire et écrire

le français. Néanmoins, même sans l’écrit, et outre l’oral, les Autochtones ont des moyens

efficaces pour se tenir informés. Par exemple, alors que les Européens tiennent des listes de

contrôle de leurs hommes, Bougainville note la manière ingénieuse avec laquelle les

guerriers font le calcul de leurs nombres après chaque expédition : « Les chefs qui

marchent en découverte […] [apportaient] autant de bûchettes qu’il y a d’hommes dans le

parti […] C’est le contrôle du détachement. […] Au retour chacun reprenait la sienne, et le

nombre de celles qui restaient indiquait la perte qu’on avait faite281 ». Il ne faut donc pas

sous-estimer l’ingéniosité autochtone pour trouver des moyens physiques pour noter des

informations282.

En somme, même si le taux d’alphabétisation varie selon les origines géographiques, les

classes sociales, l’instruction, l’emploi et la culture, l’écriture demeure néanmoins centrale

dans la transmission du renseignement pendant la guerre de Sept Ans en Amérique.

2.2 UN SERVICE DE RENSEIGNEMENT CENTRALISÉ, MAIS DIVISÉ En France, le renseignement est centralisé. Toutes les sources sont dirigées vers le

secrétaire d’État de la Guerre comme par un entonnoir. Stéphane Genêt rappelle le

« Paradoxe important : alors que le ministre est souvent très éloigné des champs

d’opération, il est le mieux informé, car situé au cœur de la convergence des

informations283. » Il en est de même en Nouvelle-France avec l’état-major. Bien qu’il

n’existe pas dans la colonie de service formel dédié au renseignement, toute l’information

recueillie finit par filtrer jusqu’au haut de la hiérarchie de l’armée. L’absence d’un service

de renseignement est d’ailleurs un fardeau pour le général et son secrétaire, soumis à écrire

de nombreux duplicatas à Versailles284.

280 Ibid., p. 210. 281 Ibid., p. 201. 282 Lire à ce sujet Cornelius J. JAENEN, « Les premiers contacts des nations autochtones avec la culture de l’imprimé », dans Patricia Lockhart FLEMMING, Gilles GALLICHAN et Yvan LAMONDE (dir.), Histoire du livre et de l’imprimé au Canada. Volume 1  : Des débuts à 1840, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2004, p. 13-23. 283 GENÊT, Les espions des Lumières, p. 158. 284 Une lettre datée de novembre 1757 témoigne de la lourdeur des tâches d’écriture de Montcalm : « J’achève cette lettre qui a été interrompue ce matin par des ennuyeux oisifs qui trouvaient fort extraordinaire que je ne fusse pas visible ayant eu à écrire par triplicata : neuf lettres à Paulmy, avec divers mémoires, dix au Moras,

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Néanmoins, ce filtre est imparfait. Le problème principal repose sur l’animosité entre le

gouverneur et le général. Sur ce point, il faut rappeler que l’historiographie traditionnelle a

trop généralisé la division « ethnique » entre les Canadiens et les Français. Montcalm lui-

même écrit pourtant au sujet de ses soldats : « Le Canadien et le soldat s’accommodent très

bien ensemble285. » Le « petit refroidissement286 » entre Montcalm et Vaudreuil se fonde

plutôt sur des différends professionnels287. Vaudreuil, à qui C.P. Stacey reproche de faire

appel à des « stratèges amateurs288 », a des vues plus agressives sur les opérations alors

qu’il épouse l’idée d’une offensive. À l’inverse, les ordres de Montcalm indiquent

clairement qu’il doit simplement défendre la colonie289. Leur rivalité se propage même

chez les officiers, certains aussi loin que le Pays d’en Haut, divisés entre suivre les

recommandations de l’un ou de l’autre290. Cette friction divise non seulement sur les

tactiques à mettre en œuvre, mais sur le renseignement en soi, qui doit pourtant éclaircir les

méthodes à employer. Bougainville confie cette critique dans son journal en février 1757 :

« C’est le public qui le plus souvent l’instruit [c’est-à-dire Montcalm] des opérations de

guerre arrêtées par Mr de Vaudreuil291. » En juin 1758, la situation ne s’est toujours pas

améliorée : Vaudreuil néglige toujours de garder Montcalm au courant de ses nouvelles et

de ses plans292. En mars 1759, le marquis de Montcalm doit toujours argumenter avec le

gouverneur général pour avoir des informations aussi élémentaires que l’état des vivres et

des munitions, réponse qui ne lui arrive qu’en avril, retardant donc l’élaboration d’un plan

de campagne293. En se préparant pour celle de 1759, Montcalm se plaint à plusieurs reprises

dans son journal : « Au reste quelque étonnement que doivent en avoir ceux qui liront ce

soixante-quinze au moins par duplicata à des particuliers. » Cité dans CASTÉRAN, « Sous le sceau du secret », p. 152. 285 Autre exemple, le chevalier de Johnstone a des propos semblables. MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 114 et NICOLAI, « Subjects and Citizens… », p. 233. 286 Massiac à Montcalm. À Versailles, le 23 septembre 1758, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles…, p. 125. 287 Pour la plus récente analyse de la question, voir NOËL, Montcalm, général américain, p. 50, p. 94-94 et p. 288-289. 288 C. P. STACEY, Quebec, 1759: The Siege and the Battle, Montréal, Robin Brass Studio, 2002 (1959), p. 20. 289 « Ces opérations doivent avoir pour principal objet la défense du Canada contre les entreprises des Anglois. » Mémoire du roi pour servir d’instruction au sieur marquis de Montcalm, maréchal de camp. À Versailles, le 14 mars 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles…, p. 40. 290 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 466. 291 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 168. 292 Ibid., p. 262 et MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 310. 293 Ibid., p. 411 et p. 417.

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journal, le marquis de Montcalm n’est jamais instruit de ces sortes de dispositions que par

les officiers particuliers avec qui il a des relations294. » Bref, comment être bien informé sur

le déroulement de la guerre alors que l’état-major peine constamment à s’entendre?

D’ailleurs, si la division entre Montcalm et Vaudreuil est devenue célèbre dans la mémoire

populaire, la Louisiane n’est pas plus unie : le gouverneur Kerlérec et l’ordonnateur

Rochemore (l’équivalant de l’intendant au Canada) méritent pareille réputation avec leurs

échanges d’accusations de conseils secrets et la formation de cliques d’officiers divisant

tout autant leur gouvernement à La Nouvelle-Orléans.

Il n’empêche que malgré tout, la hiérarchie interne de la colonie est plus stable que celle

des voisins : le manque de cohésion britannique n’échappe pas aux Français. Ces derniers

espèrent continuer à en tirer profit et jouent même avec l’idée de s’en servir comme arme

diplomatique295, du moins, jusqu’à ce que le gouvernement de William Pitt réussisse à

rallier ses colonies pour mener un effort de guerre plus uni à partir de 1758296.

2.3 LE PROCESSUS D’ÉCRITURE Qu’écrit-on? La masse des écrits de l’armée se compose d’une variété de documents, les

plus importants pour le renseignement étant les journaux d’officiers et la correspondance.

Même en tenant compte de la disparité entre la survie des sources françaises et anglaises, la

prise de note ne semble pas être aussi systématique dans l’armée française que chez les

Britanniques297. Les supérieurs doivent parfois formellement en donner l’ordre. Par

exemple, aux Illinois, Claude Joseph de Favrot reçoit l’instruction de tenir un journal de

294 Ibid., p. 420-421. 295 « Je ne conçois rien à ces mouvemens contraires à moins que le vice intérieur du gouvernement de colonies anglaises, toutes indépendantes les unes des autres, toutes divisées d’intérest, de police et de façon de penser, n’occasionne cette incertitude dans les manœuvres et ne rende inutiles des forces réellement considérables et qui seraient plus que suffisantes pour nous écraser. Je ne doute pas qu’en s’y prenant avec adresse on ne fit accepter à la Pensylvanie et à la Virginie une neutralité telle qu’on la leur dicterait. » BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 188. 296 Au sujet de la division chez les colonies britanniques, voir VAN RUYMBEKE, L’Amérique avant les États-Unis, p. 631-635 et pour un exemple plus approfondi, voir CRYTZER, War in the Peaceable Kingdom, 226 p. 297 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 288-293. Sur le taux l’alphabétisation de l’armée britannique en Amérique du Nord, voir Stephen BRUMWELL, Redcoats: The British Soldier and War in the Americas, 1755-1763, New York, Cambridge University Press, 2006, p. 82-84.

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son voyage « marquant tous ce qui méritra attention298 », le journal étant destiné à

Vaudreuil299.

Les journaux d’officiers sont parmi les sources les plus importantes pour étudier la

guerre de Sept Ans, et avec raison : ils rassemblent des relations quotidiennes des

événements vécus par leurs auteurs. Mais l’entretien d’un journal n’est pas un exercice

strictement personnel. Plus qu’un simple journal intime, il s’agit en soi d’un exercice de

renseignement, décrivant minutieusement le territoire, partageant ses observations et

suggestions. Certains officiers espèrent même publier leurs notes300, soit pour le plaisir

d’informer et de divertir, comme un Joseph-Charles Bonin, alors que d’autres les

transforment en mémoire pour se défendre, comme Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de

Ramezay pour expliquer sa reddition de Québec301. D’ailleurs, la publication d’un journal

peut être un outil pour rectifier la propagande dans les gazettes d’Europe, même des

décennies après les faits. Comme le souligne l’éditeur des mémoires de Pouchot en 1781,

« […] le langage des camps n’est pas toujours celui de la tribune aux harangues302. »

Même sans l’intention de publier, les journaux d’officiers, comme leur correspondance,

ne sont pas privés : dans les deux cas, ils sont sujets à être repris comme preuve à l’appui

lors de disputes internationales. C’est notamment le cas avant l’éclatement de la guerre

lorsque la France mène une campagne de propagande pour dénoncer les mouvements

britanniques sur les territoires qu’elle revendique en Amérique du Nord. Parmi les

documents reproduits au sujet de l’Affaire Jumonville se trouve le journal de

Washington303. La réimpression de ces journaux n’est cependant pas toujours conforme aux

originaux : par exemple, dans sa reproduction du journal de Washington, le publiciste

Moreau censure l’extrait de phrase indiquant que l’officier n’avait été chassé de la région

298 Instructions militaires de Jean-Jacques Macarty à Claude Joseph de Favrot. Aux Illinois, le 25 février 1757, dans The Favrot Papers, 1695–1769. Volume 1, p. 28. 299 Vaudreuil à Favrot. Le 2 septembre 1757, dans Ibid., p. 29. 300 NICOLAI, « Subjects and Citizens… », p. 2-3. 301 Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de RAMEZAY (Édité par Édité par la SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE ET HISTORIQUE DE QUÉBEC), Mémoire du sieur de Ramezay, commandant à Québec, Au sujet de la reddition de cette ville, le 18e Septembre 1759, Québec, Presses de John Lovell, 1927 (1861), 84 p. et 38 p. 302 POUCHOT, Mémoires..., p. 17. 303 MOREAU, Mémoire contenant le précis des faits…, 275 p.

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que pour une année seulement304. D’ailleurs, au sujet de la conformité, les auteurs eux-

mêmes vont parfois ajouter des détails après les faits, comme Bougainville qui agrémente

son journal de la bataille de Carillon de plusieurs anecdotes305.

Il arrive fréquemment que des extraits entiers de journaux soient tirés de ceux d’autres

officiers. Par exemple, dans sa correspondance, le chevalier de Lévis envoie un rapport de

la prise du fort William Henry de la main de Montcalm et de Bourlamaque306.

Curieusement, ces mêmes officiers ne vont pas toujours garder une copie de leurs propres

rapports, le manque de temps les y contraignant sans doute. Par exemple, le 6 septembre

1759, le chevalier de Lévis écrit à Montcalm : « Je vous envoie, mon cher général, la copie

de tout ce que j’écris à M. le marquis de Vaudreuil. Vous me ferez le plaisir de me la

conserver, car je n’en garde pas de minute307. »

À l’inverse, Montcalm doit souvent confier à ses subalternes la tâche de faire la

chronique des événements308. En effet, une lecture parallèle entre le journal de Montcalm et

celui de Bougainville révèle de nombreux extraits presque identiques, à la différence que

l’aide de camp agrémente le sien de quelques élaborations personnelles. Malgré sa

contribution au journal, Bougainville n’est pas le secrétaire de Montcalm : il s’agit plutôt

du lieutenant Pierre Marcel, le troisième aide de camp du général. Celui-ci transcrit les

paroles du général et s’occupe de transcrire des extraits de relations de subalternes, dont

Bougainville309.

Parmi les officiers qui tiennent des journaux, la majorité aime décrire ce qui lui semble

exotique. Bougainville est reconnu aujourd’hui pour son œil de proto-ethnologue. Pouchot

mérite la même admiration, bien qu’il n’ait pas bénéficié de la même renommée. Même

Montcalm se plaît parfois à faire de petites remarques sur son environnement. Néanmoins,

304 GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 204, note 1. 305 Dont les chiffres officiels du nombre des forces ennemies, ou bien ce qui advient de la dépouille de Howe. BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 274-275. 306 Lévis à Mirepoix. À Carillon, le 10 septembre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 165. 307 Lévis à Montcalm. Le 6 septembre 1759, dans Ibid., p. 234. 308 Bougainville lui-même écrit en 1757, « [je suis] chargé par mon général, qui n’en a pas le temps, d’en écrire les détails [de la guerre] aux ministres ». BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 376. 309 Pour une analyse approfondie du journal de Montcalm, voir NOËL, Montcalm, général américain, p. 201-206.

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chaque officier a un style d’écriture différent. Il y a un écart entre, d’une part, Montcalm et

Bougainville qui écrivent d’une plume plus philosophe310, et les officiers comme Lévis, qui

écrivent avec un pragmatisme martial, s’en tenant au nécessaire pour le service. Ce qui unit

la majorité des journaux de campagne, toutefois, est le fait qu’ils sont à peu près tous écrits

par des métropolitains, et dans certains cas, carrément des étrangers. Les journaux de ces

derniers sont particulièrement crus et francs. Comme le rappelle Martin Nicolai, le

chevalier Johnstone, un Écossais, a moins de réticence à critiquer la discipline des soldats

de Montcalm que ne le feraient d’autres chroniqueurs français311. En somme, ils écrivent

avec le point de vue de nouveaux venus plus facilement prêts à mettre sur papier ce qu’ils

considèrent exotique ou choquant.

Bien que les habitudes d’écriture entre officiers ne soient pas du tout uniformes, les

documents du chevalier de Lévis et les papiers Contrecœur sont de bonnes sources pour

relever certaines tendances dans la composition des correspondances. Par exemple, l’envoi

de duplicatas n’est pas toujours systématique et dépend du risque de se faire intercepter ou

de l’empressement nécessaire312. Même si plusieurs copies d’une même lettre sont

envoyées, il arrive parfois qu’aucune ne parvienne à destination313 ou, à l’inverse, que

toutes arrivent en même temps314. En ce qui concerne la correspondance transatlantique, les

officiers peuvent attendre un moment plus propice et tranquille pour répondre à leur

courrier. Par exemple, le 6 août 1757, le chevalier de Lévis reçoit une lettre de son cousin,

le maréchal de Mirepoix, datée du 26 juillet de l’année précédente315. Toutefois, Lévis ne

peut lui répondre immédiatement, étant préoccupé par le siège du fort William Henry entre

les 3 et 9 août 1757. Il va attendre le 4 septembre pour répondre. De toute manière, toute

correspondance transatlantique doit attendre le départ d’un navire.

310 Sur la rhétorique et la culture classique de Bougainville, voir Jean-Olivier RICHARD, « Bougainville à la lumière de ses lectures : les références classiques dans les Écrits sur le Canada », Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 64, No. 2 (automne 2010), p. 5-31. 311 NICOLAI, « Subjects and Citizens… », p. 5-6. 312 Duquesne à Contrecœur. À Montréal, le 27 janvier 1754, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 92. 313 Moras à Montcalm. À Versailles, le 10 février 1758, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles…, p. 96. 314 Duquesne à Contrecœur. À Québec, le 14 octobre 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 75. 315 Lévis à Mirepoix. Au camp de Carillon, le 4 septembre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 135.

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On remarque dans sa correspondance que Lévis écrit souvent plusieurs lettres dans la

même journée, indiquant qu’il réserve des moments précis pour se consacrer à la

correspondance. Bien sûr, il est difficile de connaître au juste les habitudes d’écriture

complètes des officiers. Dans le cas de Lévis, cette estimation est fondée sur les copies que

l’officier avait gardées et reproduites dans la collection éditée par l’abbé Casgrain.

Pourtant, Lévis semble curieusement ne pas avoir gardé beaucoup de copies de ses lettres

destinées à Montcalm. Est-ce qu’il néglige de garder des copies par exprès, de peur que ses

lettres tombent entre de mauvaises mains ou par souci de temps? Ou est-ce que ces copies

ne se sont simplement jamais retrouvées dans une collection archivée? En effet, il faut se

rappeler que les archives du XVIIIe siècle, aussi impressionnantes soient-elles, ne

représentent qu’une fraction de la correspondance produite à l’époque316.

L’hiver n’est pas de tout repos : si l’armée n’est plus occupée au combat actif, elle se

prépare néanmoins pour la prochaine campagne. C’est notamment le cas pour la

correspondance de l’état-major. En novembre 1756, par exemple, Montcalm « écrit

plusieurs lettres aux commandants de bataillon sur la police de leurs quartiers, les

permissions à donner à leurs officiers et soldats qui auraient affaire à la ville, les logements

accordés aux officiers, ainsi que pour les permissions à donner aux soldats pour se

marier317. » Malgré l’augmentation du temps disponible, on s’épargne le plus d’écriture

possible. Le chevalier de Lévis, par exemple, ne juge pas nécessaire de décrire les activités

de l’hiver afin d’éviter de répéter ce qu’auront pu écrire Vaudreuil, Bigot et Montcalm318.

Au-delà du souci de ne pas ennuyer le destinataire avec de l’information redondante, il y a

également la question de la sensibilité des informations : Lévis l’évoque très souvent dans

sa correspondance d’outre-mer. En effet, il faut souvent se méfier d’être trop bavard dans

ses lettres. Alors que Lévis écrit au secrétaire d’État de la Guerre au sujet de la campagne

de 1757, il hésite à aller trop en profondeur : « L’incertitude du sort de ma lettre fait que je

n’ose pas entrer dans de plus grands détails319. »

316 Au sujet de l’acte d’écrire une lettre et des outils d’écriture, voir HARRISON, Until next year, p. 7-50. 317 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 114. 318 Lévis à d’Argenson. Le 15 avril 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 111 et Lévis à Paulmy. Le 8 octobre 1757, dans Ibid., p. 172. 319 Lévis à Paulmy. Le 20 juin 1757, dans Ibid., p. 114.

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Quelques indications peuvent nous servir à savoir si un officier écrit de sa propre main.

Un des cas les plus amusants, pour le lecteur du moins, est encore une fois celui du

chevalier de Lévis, à Carillon, qui se voit forcé de dicter sa correspondance pour quelques

temps : « Je ne vous écris pas de ma main, parce que, hier, j’ai été sur la montagne de

l’autre côté de la rivière, vis-à-vis de notre camp, à l’endroit où sont venus les découvreurs

ennemis; j’ai fait une chute je me suis foulé le poignet et j’ai été fort heureux de ne m’être

pas cassé le col320. »

Enfin, on peut se demander ce qu’il en est au sujet du dessin. En vérité, il est difficile de

juger au juste de son importance dans les rapports. Alors que du côté britannique les

croquis de Townsend sont célèbres321, aucun dessin de la main d’officiers français ne

semble survivre dans les sources. Au contraire, Bougainville va même se plaindre qu’il n’y

a pas de dessinateurs pour aider les ingénieurs322. Pourtant, l’utilisation du dessin est

attestée. À la fin de l’été 1756, Lévis envois à ses supérieurs en France des croquis de sa

position et celle de ses troupes323. Il envoie également au comte d’Argenson les duplicatas

des lettres écrites à son intention pendant l’année précédente et y inclut un croquis amélioré

des positions pendant la campagne324. Mais à l’évidence, ces types de croquis et de dessins

sont des documents éphémères, victimes du temps, et ne survivent que rarement dans les

archives325.

320 Lévis à Bigot. Le 4 août 1756, dans Ibid., p. 66. 321 Le Musée McCord possède des croquis de Wolfe attribués à Townsend. Stephen Brumwell est le premier historien à avoir sérieusement remis en question leur authenticité. Des huit, seuls deux seraient authentiques. Les autres seraient probablement des contrefaçons du XIXe siècle pour profiter de la popularité croissante de Wolfe au Canada anglais. En effet, leur style diffère des croquis du Townsend Album, contenant les dessins de l’officier entre 1751 et 1758. Stephen BRUMWELL, Paths of Glory: The Life and Death of General James Wolfe, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2007, p. 182, p. 226, p. 371 (note 17) et figure 14. Voir aussi Eileen HARRIS, The Townsend Album, Londres, National Portrait Gallery et Her Majesty’s Stationery Office, 1974, 26 p. 322 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 25, p. 28 et p. 52. 323 Lévis à Machault et d’Argenson. Le 20 août 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 57. 324 Lévis à d’Argenson. Le 26 octobre 1756, dans Ibid., p. 99. 325 On ne s’étonne donc pas de l’engouement des historiens pour les croquis britanniques, plus nombreux, dont les gravures de Richard Short ou les aquarelles de Thomas Davies, par exemple.

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2.4 SECRETS INTERNES ET INTERCEPTION Encore une fois, l’interception de documents est un danger constant. D’Espagnac le

rappelle dans son Essai sur la science de la guerre :

L’art de cacher ses desseins n’est pas une des moindres vertus d’un Général d’Armée; car comment pourroit-il être assuré du succès d’une entreprise dès que le projet en est éventé? Un petit mot de confidence lâché mal à propos, un témoin caché dont on ignore la présence, l’addresse d’un espion qui hazarde tout pour découvrir un mistere, des raisonnemens un peu libres & ouverts, un air embarassé & inquiet qui fait lire dans les yeux d’un Général ce qui se passe dans son ame, mille spectateurs qui l’environnent continuellement & qui sont attentifs à étudier ses mouvements & à deviner ses desseins; voilà bien des canaux par lesquels les secrets transpirent.326

Le secret est donc primordial au succès possible des opérations. En ce sens, la Nouvelle-

France a tout de même un avantage important sur ses voisins britanniques. Comme l’écrit

Edmond Dziembowski, « en temps de guerre, les secrets y sont bien mieux gardés que dans

les treize provinces britanniques où les gouverneurs, en mendiant les subsides auprès des

représentants des colons, se voient forcés de dévoiler une partie de leurs projets de

campagne327. » Malgré tout, l’appel au secret est souvent lancé dans la correspondance

française. Après tout, dans les camps, il y a toujours le danger que les soldats eux-mêmes

disséminent des secrets et des rumeurs autour du feu de camp328. Tant du côté français que

britannique, les commandants de détachement vont parfois mentir à leurs hommes afin de

leur cacher le but véritable d’une opération329. Les fuites d’informations, toutefois, seront

communes.

Il n’y a pas que les langues des soldats desquelles on doit se méfier : l’état-major

dénonce à quelques reprises ce genre d’indiscrétion de la part de l’Église canadienne.

Montcalm critique sévèrement l’évêque :

Du 1er mai 1759.—Le saint évêque de Québec vient de donner un mandement pour ordonner des prières publiques, pour demander à Dieu notre conversion et nous corriger de nos péchés, vrai moyen d’obtenir du ciel la bénédiction des armes. […] Il aurait dû aussi entrer dans moins de détails sur le danger où est la colonie. Il est inutile

326 ESPAGNAC, Essai sur la science de la guerre... Vol. 1, p. 101. 327 DZIEMBOWSKI, La guerre de Sept Ans, p. 22. 328 Stephen BRUMWELL, White Devil: A True Story of War, Savagery, and Vengeance in Colonial America, Cambridge, MA, Da Capo Press, 2005, p. 169. 329 Ibid., p. 137 et p. 168-169.

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d’apprendre aux simples habitants que les Anglais ont au moins six fois plus de troupes que nous, et qu’ils peuvent envahir le Canada par quatre côtés.330

En effet, contrôler les mauvaises nouvelles signifie aussi contrôler la peur des gens. À

quoi bon saper le courage du peuple alors que la campagne requiert un effort total de la

population pour soutenir l’armée à la fois sur le plan logistique et moral331? Le secret

permet également d’éviter les mutineries, particulièrement en matière de payes retardées332.

Bref, inutile de s’attarder ici sur l’importance du secret. La question devient plutôt :

comment protéger le contenu de ses documents?

2.4.1 DISCRÉTION ET CONFIDENTIALITÉ

Protéger les documents est donc un souci constant. Alors que la guerre rejoint Québec en

1759, on fait « passer aux Trois-Rivières tous les papiers concernant le service333 » pour les

soustraire à l’ennemi. Les Britanniques ne sont pas les seuls à qui on cherche à cacher des

documents : parfois on cherche à dissimuler sa pensée à l’interne. Par exemple, par le fruit

du hasard, une partie de la correspondance de Montalm a survécu malgré sa requête auprès

de certains récipiendaires de brûler ses lettres une fois lues334. Comme il écrit à la fin de

l’une de ces correspondances, « Je vous parle […] avec la liberté d’un soldat, qui sait mal

farder la vérité335. » D’ailleurs, après la mort de Montcalm, la question s’impose : que faire

de ses papiers? Lévis les fait mettre sous la garde d’un sergent. Et avec raison : pressé de

savoir ce que le général avait écrit contre lui, Vaudreuil veut bien les ouvrir

immédiatement. Lévis lui rappelle toutefois qu’il revient à lui seul de les lire, selon les

ordres de Montcalm et du major général336.

330 Italiques dans l’original. MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 421. 331 Sur le contrôle de l’information et le peuple, voir DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 434-438. 332 Lévis aux commandants de bataillon. Lettre circulaire, le 15 juin 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 350-351. 333 ANOM, Colonies, C11A 104, F°342. Charles-François Pichot de Querdisien Trémais au ministre. Du Canada, le 22 septembre 1759. 334 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 379. Notons ce commentaire sarcastique de C. P. Stacey : « History seems to prove that the surest method of ensuring the permanent preservation of a piece of paper is to beg the recipient to destoy it. » STACEY, Quebec, 1759, p. 21. 335 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 379. 336 Au sujet des papiers de Montcalm après sa mort, voir Laurent VEYSSIÈRE, « L’honneur de Montcalm (1759-1761) », dans Bertrand FONCK et Laurent VEYSSIÈRE (dir.), La fin de la Nouvelle-France, Paris, Armand Colin et Ministère de la Défense, 2013, p. 157-161.

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La correspondance est particulièrement vulnérable et à risque d’être interceptée lors de

la livraison. Le secret dans la correspondance prend donc plusieurs formes. D’abord, peut-

on parler d’un système d’honneur lorsqu’on confie des lettres à un officier ou un messager?

En principe, oui, bien qu’en pratique, pour paraphraser Jay Caplan, seuls les épistoliers les

plus naïfs imaginent leurs correspondances inviolables337. La sécurité d’un message n’est

pas garantie par son sceau. Il arrive même qu’on mentionne simplement dans sa

correspondance que la lettre en question est à « cachet volant », c’est-à-dire qu’elle n’est

pas fermée, puisque le contenu n’est pas dangereux s’il tombe entre de mauvaises mains.

Mais qu’en est-il des lettres au contenu sensible? Au-delà du risque d’espionnage, quelques

« accidents » peuvent se glisser dans la livraison du courrier. En Louisiane, Sébastien

François Ange Le Normant confesse un tel cas à Claude Joseph de Favrot : « Je dois vous

avouer à cet égard qu’en décachetant votre paquet, j’ai décacheté aussi la lettre de

M.r Bienville par mégarde, mais j’y ai remis une autre envelope au moyen de quoi ce mal a

été réparé sans que vous ayez rien à craindre de mon indiscretion338. » Il faut se demander

si de telles « indiscrétions » sont chose commune... Effectivement, certains commentaires le

laissent sous-entendre, comme celui du gouverneur de la Louisiane, Kerlérec, qui écrit à

l’officier Favrot : « Si le papier Etoit moin babillard, Je pourois Entrer avec vous Dans bien

des Détails339 ». Si de telles indiscrétions accidentelles ont lieu au sein de l’armée, il est à

se douter qu’elles sont d’autant plus communes pour les lettres qui circulent chez l’ennemi :

malgré la guerre, chaque côté se fait un devoir de faire circuler le courrier. Amherst, par

exemple, informe Montcalm qu’il transmet de nombreuses lettres « de vos messieurs, à

leurs familles et amis en Canada, qui me sont parvenues depuis peu de jours340 ». En

Louisiane, où le blocus britannique paralyse la circulation libre des navires français, le

337 CAPLAN, Postal culture in Europe…, p. 104. 338 Normalement nous respectons la composition originale des extraits cités. Pour ceux tirés des papiers Favrots, nous avons fait exception et avons porté certains changements nécessaires, surtout en matière d’espaces, pour en faciliter la lecture. Sebastian [sic] François Ange Le Normant à Claude Joseph de Favrot. À La Nouvelle-Orléans, le 22 septembre 1747, dans The Favrot Papers, 1695–1769. Volume 1, p. 14-15. 339 Kerlérec à Favrot. À La Nouvelle-Orléans, le 1er mai 1757, dans Ibid., p. 31. 340 Amherst à Montcalm. Du camp de Crown-Point, le 10 septembre 1759, dans H. R. CASGRAIN (dir.), Lettres et pièces militaires, instructions, ordres, mémoires, plans de campagne et de défense, 1759-1760, Québec, L.-J. Demers & Frères, 1891, p. 258. Ce ne sera pas la dernière fois : il acceptera également de transmettre la correspondance de Lévis pour madame de Mirepoix, veuve du cousin du chevalier. Amherst à Lévis. Le 21 juin 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 352.

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gouverneur Kerlérec se voit obligé faire passer ses messages par des détours tant par Saint-

Domingue ou l’Espagne, entre autres. L’encryption est donc particulièrement importante341.

2.4.2 MESSAGES CODÉS

En effet, le moyen le plus évident de protéger le contenu d’une lettre est d’avoir recours à

un code secret, ou « chiffre ». L’encodage n’est pas réservé qu’aux Français ni aux

Britanniques342. En Europe, l’utilisation de messages codés est si commune que, comme

l’explique Simon Singh, « au XVIIIe la cryptanalyse devint une véritable industrie, avec des

équipes de cryptanalystes travaillant de concert pour venir à bout du chiffre alphabétique le

plus complexe343. » D’ailleurs, le terme « chiffre » dans les sources dénote à la fois le texte

crypté et la clé permettant de le déchiffrer. En Amérique, le mécanisme de la clé repose sur

deux tableaux. Le premier est une liste alphabétique de noms, de chiffres et de lettres qui

sont associés au hasard à un numéro chacun, avec quelques-uns ajoutés en surplus ou

associés à un vide, afin de brouiller les pistes à quiconque chercherait à identifier des mots

répétés (comme des articles). Cette liste sert donc à coder le message dont le produit fini est

une suite indéchiffrable de numéros. Le deuxième tableau liste les numéros en ordre avec

les mots ou termes associés. Bref, il ne reste plus au récipiendaire qu’à s’en servir pour

reconvertir le code en message lisible344. Il est à noter toutefois que la clé n’est pas garante

d’une conversion parfaite : l’étude de ces documents, même décryptés, mérite une double

vérification par les historiens intéressés, comme le démontre Donald E. Pusch qui a révélé

quelques erreurs où l’officier de plume en charge de la transcription des chiffres de

Kerlérec s’est trompé ou a manqué d’attention345.

L’utilisation de messages chiffrés n’est pas une nouveauté en Nouvelle-France : déjà en

1686, le gouverneur Denonville demandait au ministre de lui envoyer un code346.

Curieusement, les messages codés semblent être surtout réservés pour la correspondance

transatlantique. Il semble n’exister qu’un seul exemple de l’utilisation du chiffre dans un

341 PUSCH, « Kerlérec’s Cipher », p. 464. 342 Amherst lui-même possède un chiffre. BRUMWELL, White Devil, p. 145. 343 Simon SINGH, Histoire des codes secrets. De l’Égypte des Pharaons à l’ordinateur quantique, Paris, J.-C. Lattès, 1999, p. 75. 344 PUSCH, « Kerlérec’s Cipher », p. 468-469. 345 Ibid., p. 472. 346 ANOM, Colonies, C11A 8, F°16v. Denonville au ministre. À Québec, le 8 mai 1686.

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contexte terrestre, soit la proposition de s’en servir pour se tenir informé de la situation du

fort Carillon en 1759347. En Europe comme en Amérique, malgré le danger réel de se faire

intercepter un message, la majorité des commandants français négligent de coder leurs

documents par souci de temps348. Pour cette même raison, les lettres chiffrées ne sont pas

nécessairement entièrement cryptées : le plus souvent, on n’encode que les passages

sensibles afin d’épargner le temps d’écriture.

En 1756, Vaudreuil et Montcalm reçoivent chacun une version différente de la « clef du

chiffre » du secrétaire d’État de la Marine349. Dans un souci de sécurité, on leur en envoie

un nouveau l’année suivante350. Lorsque Belle-Isle remplace Paulmy en tant que secrétaire

d’État de la Guerre en 1758, il informe Montcalm qu’il peut continuer de se servir du

chiffre original qui lui avait été confié, tandis que de son côté, le secrétaire d’État de la

Marine lui en envoie un nouveau351. Pourquoi envoyer un nouveau code et courir le risque

de le perdre entre les mains des Britanniques? Est-ce par souci que ceux-ci auront eu le

temps de déchiffrer le premier code, moins complexe que celui du ministère de la

Guerre352? En Louisiane, pourtant, Kerlérec se sert du même chiffre qui lui a été fourni par

la Marine tout au long de la guerre353 Mais encore : est-ce que blocus britannique empêche

la transmission d’un nouveau code en Louisiane? Après tout, le danger qu’un chiffre se

fasse intercepter est très réel : Vaudreuil lui-même avait perdu le sien lorsque le navire

transportant ses documents, l’Alcide, fut capturé en 1755354.

347 Mémoire sur la défense du fort Carillon. Le 10 février 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres et pièces militaires…, p. 119. 348 Kenneth rappelle : « In truth, the system was cumbersome and time consuming. ». Au lieu, comme le soulève Castéran, « Pour obvier aux dangers d’interception, l’on se contentait, semble-t-il, d’expédients. On parlait à mots couverts ». KENNETT, « French Military Intelligence... », p. 204 et CASTÉRAN, « Sous le sceau du secret », p. 153. Voir aussi CASSEL, « Troupes de la marine... », p. 285. 349 Ibid., p. 240; CASTÉRAN, « Sous le sceau du secret », p. 149 et ANOM, Colonies, C11A 101, F°105-105v. Vaudreuil de Cavagnial au ministre. À Montréal, le 2 septembre 1756. 350 Paulmy à Montcalm. À Versailles, le 10 avril 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles…, p. 64 et Moras à Montcalm. À Versailles, mai 1757, dans Ibid., p. 71. 351 Belle-Isle à Montcalm. À Versailles, le 6 août 1758, dans Ibid., p. 119-120; Moras à Montcalm. À Versailles, le 3 mars 1758, dans Ibid., p. 103 et ANOM, Colonies, C11E 10, F°285-290v. Chiffre ou code de Montcalm et de Vaudreuil au cours des deux années 1757 et 1758. 352 CASTÉRAN, « Sous le sceau du secret », p. 149. 353 Néanmoins, ce chiffre ne semble pas survivre dans les archives. PUSCH, « Kerlérec’s Cipher », p. 465 et p. 469-470. 354 Sur l’histoire complète du fonds des Documents Vaudreuil conservé à la Huntington Library, voir Guy FRÉGAULT, Le Grand Marquis : Pierre de Rigaud de Vaudreuil et la Louisiane, Montréal, Fides, 1952, p. 15-

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Seuls Vaudreuil, Drucour (le gouverneur de l’Isle Royale), Kerlérec (celui de la

Louisiane), Montcalm et le commissaire ordonnateur des guerres (André Doreil, succédé

par Benoît-François Bernier) ont accès à au moins un des codes de l’Armée et de la Marine

pour créer ces chiffres355. Ni Bigot, ni même Lévis, le second de Montcalm, n’ont de clé.

Ce dernier devra d’ailleurs attendre la mort de son général avant d’avoir accès à ses clés.

De semblables avertissements sont communs dans la correspondance transatlantique :

« L’incertitude où je suis du sort de ma lettre, nayant pas de chiffre, m’empêche d’entrer

dans de plus grands détails356. » Au lieu, ces officiers vont mentionner que les détails seront

justement présents dans les lettres de Montcalm ou de Vaudreuil. Autrement, on demande

aux officiers qui ont des documents sensibles à adresser aux ministres de les faire passer

par le gouverneur357.

Il existe également des chiffres particuliers, c’est-à-dire utilisés entre deux individus.

Montcalm se fait remettre une clé de la part de Paulmy pour maintenir une correspondance

personnelle. Bougainville et Montcalm s’écrivent avec leur propre chiffre alors que l’aide

de camp est en France en 1758. Querdisien de Trémais, espion de Berryer qui a la mission

d’observer et de noter les abus de Bigot, transmet des rapports codés. Enfin, le comte

Dubois de la Motte, en charge de l’escadre à la défense de Louisbourg, a également un

chiffre358.

2.4.3 DOCUMENTS INTERCEPTÉS

Malgré toutes ces précautions, certains documents tombent inévitablement entre les mains

de l’ennemi. Une partie du renseignement français se fonde justement sur les documents

interceptés de l’adversaire. Si le plus gros coup des Français au début de la guerre fut de

capturer les plans de Braddock, à l’inverse, les Français ne sont pas immunisés contre de

telles fuites d’information. Au cours du conflit, plusieurs documents se font saisir, qu’il

17. Voir aussi l’inventaire des documents : Bill BARRON, The Vaudreuil Papers: A Calendar and Index of the Personal and Private Records of Pierre de Rigaud de Vaudreuil, Royal Governor of the French Province of Louisiana, 1743-1753, New Orleans, Polyanthos, 1975, 543 p. 355 CASTÉRAN, « Sous le sceau du secret », p. 150. 356 Lévis à Moras. Le 20 juin 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 115. 357 ANOM, Colonies, C11A 103, F°218-219v. Vaudreuil de Cavagnial au ministre. À Montréal, le 6 octobre 1758. 358 CASTÉRAN, « Sous le sceau du secret », p. 149 et Paulmy à Montcalm. À Versailles, le 10 avril 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles…, p. 64.

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s’agisse de journaux d’officiers359, de gazettes, d’ordres ou même de simple

correspondance360.

Ces documents tombent entre les mains de l’adversaire de multiples façons. La perte de

documents peut avoir lieu dans le feu de l’action, comme c’est le cas pour Robert Rogers

qui perd ses papiers et ses commissions lors de la bataille en raquette de 1758, ou bien en

juillet 1757 lorsqu’un parti de miliciens canadiens et de guerriers autochtones croise une

vingtaine de Britanniques qui, en fuyant, abandonnent « différens papiers »361. Pendant la

campagne de Québec, Joseph-Gaspard Chaussegros de Léry perd ses papiers et son épée

alors qu’il est surpris par l’ennemi et se voit obligé de fuir brusquement, laissant Monckton

les recueillir362. Wolfe va d’ailleurs le narguer à ce sujet, lui demandant « [s’il] avoit bien

eu peur à Beaumont lorsqu’il [les abandonna], et s’il n’avoit pas oublié aussi quelqu’un de

son détachement363 ». Autre exemple, suite au repli des Français après la bataille de Sainte-

Foy en 1760, John Knox met la main sur le journal d’un officier français « écrite de

manière épistolaire, comme s’il était destiné à être transmis en Europe364 ».

Parfois, la découverte de lettres peut se faire de manière macabre, comme celles

trouvées sur le cadavre d’un Français noyé pendant le siège de Louisbourg365. Plus

sournois, les messages peuvent être interceptés par des espions ou des agents doubles.

Toutefois, à ce sujet, un officier n’a pas toujours le choix d’être indiscret : la nécessité de

faire passer un message peut lui sembler plus importante que le risque de dévoiler son

contenu à l’ennemi. C’est le cas de Pouchot, défendant Niagara en 1759, qui cherche à

transmettre des instructions au corps de Lignery, en route du fort Machault pour le secourir.

359 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 282. 360 Une source sous-estimée de tels documents est le fonds des Prize Papers de la High Court of Admiralty aux archives nationales du Royaume-Uni. La collection est composée d’environ 160 000 lettres interceptées sur l’océan par la marine britannique entre le XVIIe et le XIXe siècle. Voir en ligne : http://www.prizepapers.de/. Je remercie Éva Guillorel pour la référence. 361 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 287 et BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 203. 362 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 182, note 183 et p. 186, note 196 et PANET, Journal du siège de Québec en 1759, p. 8. Le journal fait toujours partie d’une collection des papiers de Monckton et a été transcrit. Voir : Joseph-Gaspard Chaussegros de LÉRY, « Journal de M. de Léry, 15 Mai au 22 Juin 1759 », dans Collection Northcliffe, Ottawa, F.A. Acland, 1927, p. 210-217. 363 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 87. 364 Notre traduction de : « wrote in an epistolary manner, as if intended to be trasnmitted to Europe ». KNOX, An Historical Journal… Vol. 2, p. 327. 365 AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 62; J. S. MCLENNAN, Louisbourg: From its Foundation to its Fall 1713-1758, Halifax, Nimbus 2011 (1918), p. 273.

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Il fait donc transcrire quatre copies de sa lettre qu’il confie à autant de messagers

autochtones de diverses nations, espérant qu’au moins l’une d’entre elles se rendra à bon

port. Comme il l’écrit dans ses mémoires, il « ne doutait pas que les Anglais ne lussent sa

réponse au retour des Sauvages; mais il était content si elle pouvait seulement parvenir à sa

destination366 ». Rien ne confirme qu’une des copies fut menée à l’ennemi, toutefois un

rapport fait auprès du gouverneur de la Louisiane révèle que la réponse de Lignery, elle, fut

« portée à l’anglois »367.

2.5 GAZETTES ET IMPRIMERIES La machine de guerre a besoin du soutien du peuple. Ainsi commence une guerre

d’information et de désinformation entre la France et les autres belligérants368. En ce siècle

des Lumières, la presse fait partie du quotidien en Europe369. À Londres en 1750, le quart

des citoyens lisent des gazettes370. Sans oublier, bien sûr, que le contenu des gazettes de

Londres est une source d’articles pour les petits périodiques régionaux. En France, la presse

est tout aussi importante, bien que le plus souvent soumise à la censure de l’État. Pour les

gazettes et livres confondus, il existe quelques centaines d’imprimeries, dont une

cinquantaine à Paris371. Au contraire, le grand absent au sein de la cohésion et de l’unité

sociales en Nouvelle-France est la presse. Chez les colonies françaises, seules les Îles du

Vent et Saint-Domingue bénéficient d’une imprimerie avant 1763372. Au Canada, quelques

années avant la guerre, le gouverneur de La Jonquière avait proposé au ministre d’établir

une imprimerie dans la colonie. Loin est l’idée d’implanter une gazette, mais plutôt

d’épargner de l’argent sur les « écritures » en imprimant pour faire « passer promptement

des ordres dans toute la colonie373 ». La demande n’a jamais fait l’objet de suivi374. En

366 POUCHOT, Mémoires..., p. 116. 367 Brian Leigh DUNNIGAN, Siege - 1759: The Campaign against Niagara, Youngstown, N.Y., Old Fort Niagara Association, 1996, p. 87 et ANOM, Colonies, C13A 41, F°103-103v. Macarty à Kerlérec. Aux Illinois, le 30 août 1759. 368 DZIEMBOWSKI, La guerre de Sept Ans, p. 440-480. 369 Comme le note Alyssa Zuercher Reichardt, l’historiographie de la culture de l’imprimée en France et en Angleterre est « gargatuesque ». Voir à ce sujet REICHARDT, « War for the Interior », p. 13-14. 370 BAUGH, The Global..., p. 102. 371 Pierre BOTINEAU, « Atelier d’imprimerie », dans Michel FIGEAC (dir.), L’ancienne France au quotidien, p. 37. 372 BANKS, Chasing Empire across the Sea, p. 180-181. 373 ANOM, Colonies, C11A 97, F°260v. Canada. Demandes particulières. Le 17 octobre 1751.

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effet, l’utilisation de placards demeure le moyen le plus courant pour communiquer avec le

peuple375. Les particuliers ne sont pas plus intéressés de fonder une presse, le coût étant

prohibitif et les profits trop maigres pour une aussi faible population coloniale376. À

Québec, il faut attendre 1764 pour que soit fondé un premier périodique, la Gazette de

Québec377. À La Nouvelle-Orléans, il faut attendre 1794 avant que ne soit fondé le

Moniteur de la Louisiane378. Les seuls périodiques en Nouvelle-France, donc, proviennent

de l’extérieur de ses frontières.

Contrairement à la Nouvelle-France, les colonies britanniques ont depuis longtemps une

tradition journalistique. Le début du siècle avait vu la naissance de leur première gazette

régulière, le Boston Weekly News-Letter. Alors qu’il existe déjà onze publications au début

de la guerre de Sept Ans, leur nombre augmente au long du conflit pour subvenir aux

demandes du public d’être tenu informé379. Ces gazettes sont gourmandes de témoignages

de la guerre. Elles reproduisent non seulement des documents ennemis interceptés et des

extraits de lettres internes, mais parfois des relations entières du front, par exemple ce

journal de l’expédition britannique sur le fleuve Saint-Laurent jusqu’à Québec, publié le 31

décembre 1759 dans les pages du New York Mercury380. Autre exemple à mentionner, le

journal d’un Français décrivant le siège du fort Niagara est traduit et paraît dans le New

York Mercury du 20 août 1759. Le document original avait été trouvé dans une embrasure

du fort, sans doute cachée par son auteur381. Les grands périodiques reprennent également

l’information fournie directement du front. Entre autres, le Gentleman’s Magazine imprime

374 MELANÇON, « La circulation du livre… », p. 46. 375 Par ailleurs, contrairement à la rumeur dans les premières études sur l’imprimerie au Québec, il n’y a jamais eu de petite presse au service du clergé. Ibid., p. 39. 376 Ibid., p. 44. 377 Toutefois, contrairement à l’idée répandue aujourd’hui, la Gazette de Québec n’est pas le premier périodique sur l’ancienne géographie de la Nouvelle-France. Ce titre revient au Halifax Gazette. Nous remercions Donald Fyson pour cette clarification. 378 Samuel J. MARINO, « Early French-Language Newspapers in New Orleans », Louisiana History, Vol. 7, No. 4 (Autumn 1966), p. 310. 379 BRUMWELL, White Devil, p. 80. 380 ANONYME, Journal de l’expédition sur le fleuve Saint-Laurent contenant un rapport détaillé des mouvements de la flotte et de l’armée anglaises, depuis le moment de son embarquement, à Louisbourg, jusqu’à la reddition de Québec, en 1759, Québec, Journal de Québec, 1855, 16 p. 381 ANONYME, « Journal of the Siege of NIAGARA, translated from the French. 6th July, 1759 », The New York Mercury, No. 366, 20 août 1759.

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deux cartes au début du conflit : Fort Taken by the French (juillet 1754) et Fort Duquesne

(janvier 1755)382.

Si les nouvelles semblent vite publiées dans les gazettes américaines, cela ne veut pas

dire pour autant qu’elles soient exactes. Dès les débuts de la guerre, les détails sont souvent

exagérés. La propagande est d’ailleurs importante pour contrer le cynisme des colonies

britanniques, particulièrement en Virginie où l’effort de recrutement est perçu comme une

entreprise au bénéfice seul de la Ohio Company383. La propagande se fait tout autant chez

les Français. Bougainville avertit son frère en France : « Croyez toujours de préférence nos

journaux. Les Canadiens se vantent et mentent. Nous autres ne savons dire que la

vérité.384 » Ironiquement, l’officier doit pourtant souvent corriger les nouvelles

internationales lorsqu’il écrit à sa protectrice, madame Hérault de Séchelles. En effet, la

base journalistique française se fonde principalement sur ces périodiques : Le Mercure, La

Gazette, L’Observateur Hollandais (publié à Paris malgré son nom) et l’État politique

actuel de l’Angleterre385. Dans ces pages, en particulier pendant le début de la guerre, le

lecteur peut s’informer sur les nombreux aspects de la Nouvelle-France pour s’en

familiariser sur le plan géopolitique, mais toujours à travers le filtre du gouvernement386.

Par exemple, avant 1758, même si la presse française ne rapporte que peu de choses du

front nord-américain, elle tente néanmoins de convaincre la population métropolitaine de la

légitimité de protéger le Canada. Ce « vaste programme éducatif » n’est ni plus ni moins

qu’une propagande de la part du ministère387. Comme l’écrit Frégault : « Même lorsqu’ils

prennent la plume, les antagonistes ne s’appliquent pas à réfléchir, mais à vaincre; non pas

à se comprendre, mais à se battre388. » Ce mode de transmission de nouvelles, toutefois, a

ses limites comme l’illustre la disparition de L’Observateur Hollandais qui succombe à la

« crise frappant l’information de guerre389 ».

382 « British newspapers regularly published news about convoys, arrivals, privateering encounters and captures. » BAUGH, The Global..., p. 102 et p. 303. 383 PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 34. 384 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 374. 385 DZIEMBOWSKI, « Transparence ou désinformation? », p. 372. 386 Ibid., p. 372-373; DE MONTIGNY, « Le Canada… », p. 83 et BAUGH, The Global..., p. 531. 387 DE MONTIGNY, « Le Canada… », p. 82. 388 FRÉGAULT, La guerre de la conquête…, p. 23. 389 DZIEMBOWSKI, « Transparence ou désinformation? », p. 381.

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Malgré la guerre des gazettes, la colonie est souvent la dernière à être mise au courant

des nouvelles provenant de sa propre cour arrière, circulant plus rapidement dans le monde

atlantique britannique. C’est le cas des renseignements portant sur Robert Stobo, prisonnier

au fort Duquesne, dont le témoignage est publié dans la Maryland Gazette, avant d’être

transmis à Londres, d’où les réimpressions de ces informations transitent par Versailles

avant d’arriver finalement à Québec pour avertir les autorités locales de son espionnage390.

Si les informateurs des journaux britanniques divulguent des informations sensibles au

sujet de l’armée française en Amérique, le plus grand danger médiatique ne provient pas

toujours des publications anglaises, mais bien des gazettes françaises elles-mêmes. Par

exemple, l’opinion négative véhiculée au sujet des atrocités commises par les guerriers

autochtones vient jouer contre Vaudreuil et ses tactiques de petite guerre; l’opinion

appuiera davantage Montcalm qui veut prendre contrôle des forces en Amérique pour

mener une guerre plus européenne391. Par ailleurs, la censure des échecs de la France étire

les limites de la crédibilité. Ces problèmes viendront sans doute jouer une partie importante

derrière une décision particulière : suivant l’échec des négociations avec l’Angleterre à

l’automne 1761, le secrétaire d’État de la Guerre, le duc de Choiseul, opte pour une

stratégie jamais vue auparavant. Au lieu du traditionnel secret des pourparlers, il se livre à

la transparence avec la publication d’un mémoire dans lequel on lit la proposition de céder

le Canada, ouvrant donc la question à un débat public392.

En somme, si la Nouvelle-France n’a pas eu un impact direct sur le renseignement et le

contrôle d’information par le biais des médias, à l’inverse, la colonie aura subi de

nombreuses décisions militaires et politiques découlant directement des médias européens.

Les officiers notent dans leurs correspondances l’arrivée de nouvelles d’Europe par les

gazettes393. Ces publications sont importantes pour confirmer les stratégies à prendre pour

390 Robert C. Alberts, The Most Extraordinary Adventures of Major Robert Stobo, Cambridge, The Riverside Press, 1965, p. 120 et p. 140. 391 DZIEMBOWSKI, La guerre de Sept Ans, p. 257-258. 392 Idem, « Transparence ou désinformation? », p. 384-385. 393 Par exemple, Lévis au prince de Soubise. Au camp de la Chute, le 2 septembre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 134.

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l’année, particulièrement en 1759394. Parfois, les gazettes étrangères tombent entre les

mains des Français à la suite de combats maritimes. C’est le cas du Saint-Antoine qui, en

route pour Québec, fait « deux prises anglaises », interceptant « des gazettes et lettres

anglaises à bord de ces bâtiments »395. Dans ce cas particulier, les documents confirment

les suspicions de l’état-major à savoir si l’ennemi prévoyait attaquer Québec ou Louisbourg

en 1757 (bien qu’à la fin, l’information sera inutile : Loudon ne pourra pas mettre ce plan

en marche cette année-là).

Cependant, l’accès aux gazettes, surtout anglaises et américaines, plus communes, n’est

pas constant. Mais encore, faut-il être capable de lire les gazettes anglaises : le gouverneur,

par exemple, semble particulièrement gêné par la barrière linguistique, admettant dans une

correspondance avec un officier qu’il n’avait pas, à ce moment-là, eu la chance de faire

traduire ses plus récentes acquisitions, expliquant donc le fait qu’il n’avait rien à signaler

sur les nouvelles européennes396. En dépit de cela, rien n’empêche que tous les moyens

soient bons pour s’en procurer. Pendant l’hiver 1759-1760, ce sont des prisonniers français

arrivant de la Nouvelle-Angleterre qui rapportent des gazettes. Lévis, qui reçoit avec plaisir

ces périodiques, partage leurs nouvelles avec Murray : « j’ai l’honneur de vous [en]

envoyer, persuadé que, comme dans ce moment vous n’êtes pas à portée de recevoir des

nouvelles d’Europe, vous serez bien aise d’apprendre les dernières que l’ont ait reçues dans

ce continent397. » Cet échange d’information en temps de guerre peut surprendre. Pourtant,

le geste est typique de l’image que l’on se fait la « guerre en dentelles », où les officiers

peuvent s’envoyer des présents entre camps ennemis : que ce soit Wolfe qui fait envoyer

deux bouteilles de liqueurs à Bigot, Bougainville et Abercromby qui parient une bouteille

de champagne sur le dénouement du siège de Louisbourg398, ou bien Amherst qui envoie

394 « Par toutes les gazettes et les dépositions des prisonniers faits du côté des pays d’en Haut, nous fûmes certains que nous serions attaqués et que le siége de Québec était décidé. » PANET, Journal du siège de Québec en 1759, p. 4. 395 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 189-190. 396 Vaudreuil à Dumas. À Montréal, le 4 juin 1760, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 43. 397 Lévis à Murray. Le 29 décembre 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 271. Murray, d’ailleurs, lui en sera reconnaissant : « J’ai mille remerciements à vous faire des gazettes que vous avez eu la politesse de m’envoyer, et serai charmé de trouver les occasions de vous en témoigner ma reconnaissance. » Murray à Lévis. À Québec, le 10 janvier 1760, dans Ibid. 398 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 87.

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des ananas à la femme du gouverneur de l’île Royale399… ce sont autant de petites

politesses pour raviver la « civilité » au milieu d’une guerre atroce. Les nouvelles

internationales donc sont également partagées avec plaisir entre les états-majors ennemis.

Abercromby, par exemple, fournit à Bougainville les plus récentes nouvelles d’Europe lors

d’un échange de prisonniers en octobre 1758400. Les gazettes ne sont pas les seules

informations échangées. À l’occasion, on se partage des renseignements de base comme les

listes des prisonniers capturés afin de négocier leurs échanges401. L’ultime remerciement

est de démontrer une réciprocité, telle que démontrée par Murray qui envoie à son tour des

gazettes à Lévis pour tenir son adversaire informé de ce qui se passe en Europe. Il est

important de noter ici que ces publications sont précieuses, puisque Murray insiste dans sa

lettre à cet effet : « Comme l’occasion se présente de vous rendre le compte que vous avez

eu la politesse de me faire l’hiver passé, j’ai l’honneur de vous envoyer les gazettes qui me

sont arrivées en dernier lieu; ayez la bonté de me les rendre quand vous en aurez fait la

lecture402. » Sur cet échange de gazettes en particulier, Lévis et Murray s’étonnent

mutuellement du manque d’intérêt démontré par rapport à la prise de Québec en septembre

dernier403. En réalité, comme le recense Jacinthe De Montigny pour la période entre 1754 et

1756, « les nouvelles en provenance de la France qui aborde [sic] les territoires nord-

américains ne consistent qu’à environ 20% de l’ensemble des mentions […]404 ». Bref, si

les colonies au cœur des échauffements initiaux ne représentent qu’une fraction des

nouvelles au début de la guerre, il n’est pas étonnant que leurs fronts soient grandement

négligés au profit des nouvelles plus « urgentes » du théâtre européen qui occupent les

priorités de la métropole405.

CONCLUSION L’écriture demeure le moyen le plus sûr de transmettre des informations. Même si l’écrit

n’est pas bien maîtrisé par tous, son importance est universellement reconnue, même chez

399 MCLENNAN, Louisbourg, 2011, p. 276. 400 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 317. 401 Cramahé, capitaine d’infanterie et secrétaire de M. Murray, à Bellecombe. Le 1er mai 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 298. 402 Murray à Lévis. Le 10 mai 1760, dans Ibid., p. 301. 403 Lévis à Murray. Le 10 mai 1760, dans Ibid., p. 302 et Murray à Lévis. Le 11 mai 1760, dans Ibid., p. 303. 404 DE MONTIGNY, « Le Canada… », p. 85. 405 Ibid., p. 90.

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les cultures autochtones fondées sur la transmission orale. Néanmoins, les militaires, les

premiers concernés par le renseignement, n’ont pas une instruction uniforme. La disparité

est particulièrement prononcée entre les officiers canadiens et leurs homologues

métropolitains; ces derniers ont une meilleure formation en lettres. Pourtant, cet écart est

relatif puisque même en Europe, la pensée scientifique de l’armée poursuit son évolution et

la reconnaissance de l’importance d’une bonne éducation sur l’ensemble de l’armée tarde à

s’implanter avant les guerres napoléoniennes.

Aucun service de renseignement formel n’existe en Nouvelle-France. Chaque officier

est responsable de transmettre des informations qui convergent finalement vers l’état-

major. Ceci semble un avantage à première vue, mais les faits démontrent deux problèmes

importants. D’abord, les responsabilités administratives liées au renseignement peuvent

parfois noyer le général avec le nombre de rapports à lire et à écrire. Deuxièmement, la

centralisation du renseignement repose tout de même sur le tandem du gouverneur et du

général. Dès qu’une friction apparaît entre les deux individus, l’accès aux informations

devient inégal selon les humeurs de l’un ou de l’autre, affectant la prise de décisions.

L’écrit permet de transmettre des informations sans risque de dénaturer le contenu du

texte comme le risquerait un message oral. Néanmoins, si la mise sur papier du

renseignement assure son intégrité, elle le rend également vulnérable à l’interception.

L’armée doit donc s’assurer de la sécurité de son courrier et de tout autre document

sensible. Si on a recours à des codes secrets, ou chiffres, pour le courrier atlantique, la

sécurité des documents transmis sur le continent se fonde principalement sur la discrétion et

la confiance en ses messagers, sans plus de précaution.

Enfin, le renseignement en Nouvelle-France souffre d’un paradoxe important :

dépendante des gazettes étrangères, la colonie n’a pas pour autant ses propres périodiques.

L’ironie de cette réalité est d’autant plus prononcée lorsque la source de certaines

informations importantes pour l’état-major sur sa colonie ne provient pas de son propre

camp, mais de gazettes publiées outre-Atlantique en Angleterre.

L’expérience de l’utilisation de l’écrit pendant la guerre de Sept Ans va avoir des

conséquences directes sur l’avenir des Amériques. Si les tactiques militaires

s’européanisent pendant la guerre de Sept Ans en Amérique, par exemple en introduisant la

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bataille en ligne et en augmentant la taille du corps combattant, la culture de l’écrit s’adapte

et évolue tout autant, tant au Canada que chez les colonies britanniques. La guerre coloniale

suivante, celle de la Révolution américaine, transposera plusieurs leçons apprises pendant

ce conflit. En effet, de nombreux révolutionnaires ont fait leurs premières armes pendant la

guerre de Sept Ans. Du côté civil, il ne suffit que de penser à Benjamin Franklin qui a

développé son talent de propagandiste pour tenter d’unifier les treize colonies britanniques

contre les Français. Après la défaite de ces derniers, Franklin s’appliquera dorénavant pour

la cause américaine contre la Grande-Bretagne406. D’ailleurs, les gazettes en particulier

suivent une évolution, principalement leur nombre qui augmente entre le début et la fin du

conflit. La présence accrue de périodiques crée, par exemple, les premiers phénomènes de

médias de masse, dont la sensationalisation d’histoires nationales407. La propagande, au

cœur de la guerre des gazettes, va augmenter et devenir l’une des armes les plus

importantes pour diriger l’opinion publique408.

Les publications au sujet de l’Amérique du Nord augmentent également. Comme le

démontre Martin Nicolai, il y a une différence notable entre la génération d’officiers

accompagnant Montcalm et la génération suivante qui accompagnera Rochambeau : les

premiers n’ont pas accès à une masse de publications, livres et gazettes confondus, pouvant

les renseigner sur l’Amérique. Au contraire, pendant la Révolution américaine, les officiers

français pourront se réfèrer à une panoplie de sources au sujet de l’Amérique et du conflit

en cours. Sans oublier qu’entre les deux guerres s’effectue une transformation dans la

conscience politique et philosophique des officiers français. Alors qu’un Bougainville se

bat pour son roi, un Lafayette se battra pour ses principes cultivés à partir d’une littérature

406 Il ne faut pas oublier que la célèbre caricature d’un serpent fragmenté accompagné du slogan Join or Die brandie pendant la Révolution américaine avait d’abord été publiée par Franklin le 9 mai 1754 dans la Pennsylvania Gazette. 407 L’exemple le plus probant est l’histoire de la Bête du Gévaudan. Après la fin de la guerre, les gazettes, avides de nouvelles, amplifient et exagèrent des rapports d’attaques de loups provenant du Gévaudan entre 1764 et 1767. L’image d’un monstre mangeur d’hommes fascine le public. Comme le démontre la recherche de Jay Smith, la couronne française, va s’accrocher à cette histoire et va chercher à tuer la « Bête » dans un élan désespéré de redorer son image ternie auprès du public après avoir perdu la guerre. Bredouilles, puisqu’il s’agit d’une création des médias, les envoyés du roi devront improviser une bête à partir d’une carcasse de loup régulier pour sauver l’honneur du roi. L’histoire devient la risée de la Grande-Bretagne qui en profite pour narguer la France d’avoir perdu la guerre alors qu’elle ne peut même pas vaincre une vulgaire bête dans son royaume. Voir : Jay M. SMITH, Monsters of the Gévaudan. The Making of a Beast, Cambridge, Harvard University Press, 2011, p. 378. 408 Lire par exemple DOWD, Groundless, p. 187-201.

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des Lumières développée davantage depuis la dernière guerre409. Bref, l’instruction et

l’éducation des militaires, bien qu’ils ne seront toujours pas uniformisés dans l’armée en

entier, vont tout de même augmenter entre les deux guerres.

Les méthodes d’encryption vont également évoluer, faisant appel à des moyens plus

sophistiqués pour encoder les messages secrets pendant la Révolution américaine. On ne se

satisfait plus non plus de ne réserver l’encodage que pour la correspondance

transatlantique : les nombreuses innovations seront mises au service de l’armée

continentale entre les divers fronts de guerre. D’ailleurs, entre les deux conflits, le

changement le plus important devient l’implantation d’un corps dédié spécifiquement au

renseignement. Pendant la guerre de Sept Ans, tout indique que le système de

renseignement en Amérique est informel. Les informations, peu importe leurs sources,

remontent simplement la hiérarchie pour rejoindre les généraux qui s’occupent de les

rassembler et les analyser. Pendant la Révolution américaine, toutefois, des officiers seront

désignés responsables du renseignement.

Enfin, c’est le peuple au Canada qui vit le plus grand changement : dès 1763, la colonie

découvre un nouvel élan pour sa culture de l’écrit, particulièrement avec l’imprimé. À la

fois par la création de nouvelles gazettes et le développement de la poste, l’ancienne

colonie française est dorénavant branchée à un réseau de communications britannique plus

efficace que ce que la Nouvelle-France aurait jamais pu espérer sous l’administration

française. Bien que le gros du changement sera anglocentrique, il ne faut pas sous-estimer

son impact sur la population locale qui, au fil des décennies, va s’imprégner de la culture de

l’imprimé410.

409 NICOLAI, « Subjects and Citizens… », p. 406-407. 410 Sur le développement de l’imprimée au Canada, voir Patricia Lockhart FLEMMING, « Les Chemins de l’innovation », dans Patricia Lockhart FLEMMING, Gilles GALLICHAN et Yvan LAMONDE (dir.), Histoire du livre et de l’imprimé au Canada. Volume 1  : Des débuts à 1840, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2004, p. 65-97 et Michel BRISEBOIS, L’imprimerie à Québec au XVIIIe siècle, Québec, Éditions de la Huit, 2005, 323 p.

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CHAPITRE 3

LA GÉOGRAPHIE DE L’INFORMATION : SURMONTER L’ESPACE ET LA DISTANCE

INTRODUCTION : UN RÉSEAU HUMAIN AVANT TOUT En cette deuxième moitié du XVIIIe siècle, la France a la plus importante population

d’Europe411. Par conséquent, même ses régions les plus isolées sont habitées et réseautées

par d’innombrables chemins412. Ses villages ne sont jamais à plus de quelques heures de

route entre eux. Mais s’il ne faut que quelques jours tout au plus pour faire le relais entre

Versailles et le front de guerre allemand, une telle « facilité » ne se retrouve pas

nécessairement en milieu colonial. Au contraire, il faut plusieurs semaines pour

communiquer entre Québec et les régions marginales de la Nouvelle-France. Comme l’écrit

Vaudreuil : « Les communications sont longues par distance des lieux plus longues encore

et extraordinairement difficiles par la nature du paÿs413. » Surmonter la distance en

Nouvelle-France devient donc un défi monumental : s’étirant de l’Isle Royale (Cap-Breton)

depuis l’est jusqu’au fort La Jonquière à l’ouest414, suivant ensuite le cours du Mississippi

jusqu’à La Nouvelle-Orléans au sud, le territoire revendiqué par la France est immense. Et

pourtant! pour paraphraser Gilles Havard, la majorité des quelques 60 000 habitants vivent

le long du Saint-Laurent, à l’exception des quelques « îlots » français implantés dans cette

mer de forêts entre les Grands Lacs et le Golfe du Mexique415. De plus, la Nouvelle-France

à l’extérieur de la vallée du Saint-Laurent est plus autochtone que française. L’implantation

de forts et de postes de traite crée donc un réseau de communication intégrant le monde

autochtone dans le monde atlantique français :

411 En 1755, sa population s’élève à 25 millions. Louis HENRY et Yves BLAYO, « La population de la France de 1740 à 1860 », Population, Vol. 30, No. 1 (1975), p. 95. 412 NICOLAI, « Subjects and Citizens… », p. 85. 413 ANOM, Colonies, C11A 103, F°293v. Mémoire de Vaudreuil de Cavagnial. À Montréal, le 3 novembre 1758. 414 Situé possiblement près de Calgary en Alberta. 415 Gilles HAVARD, « L’Usage des catégories dans l’écriture de l’histoire des Pays d’en Haut », communication, Les Pays d’en haut, Centre de recherche en civilisation canadienne-française, Université d’Ottawa, Ottawa, 18 mars 2015.

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La volonté d’intégrer les Grands Lacs au sein de l’empire et celle, concomitante, de transformer le pays indien en province royale, aussi périphérique soit-elle, se manifesta par une appropriation d’ordre symbolique, par la création d’une chaîne de communication entre Versailles et les postes des Grands Lacs, et enfin par les tentatives de maîtrise locale du territoire.416

Cette superposition de colons français dans un monde autochtone transforme la relation

entre la distance et le temps, perçue différemment entre les métropolitains et les Canadiens.

Le Français s’étonne que pour les Autochtones, « un voyage de sept ou huit cents lieues y

est regardé comme on regarderait en France une promenade de Paris à Orléans417 ».

Pourtant, malgré la distance qui les sépare, la vallée du Saint-Laurent et les régions

périphériques de la colonie maintiennent une certaine proximité psychologique chez les

habitants, surtout chez les gens qui savent lire et écrire418. À quelques exceptions près, les

officiers canadiens qui se trouvent dans la région des Grands Lacs ou de la Louisiane (qui

inclut le Pays des Illinois) ont une résidence principale dans la région du fleuve, ou à tout le

moins, sont issus de familles qui y sont enracinées. Ces liens familiaux et administratifs

établissent donc un réseau de correspondance écrite qui surmonte les grandes distances

physiques. Par exemple, en 1749 à Trois-Rivières, Élisabeth Bégon, veuve d’un officier des

troupes de la Marine, est bien informée des activités qui ont lieu tant au fort Frontenac et à

Détroit dans le Pays d’en Haut, que le long du corridor de la rivière Richelieu et du lac

Champlain419.

Si le mécanisme de ces correspondances n’est pas bien compris (comme il en sera

discuté plus loin), une chose est certaine : la vitesse de leur transmission dépend des voies

empruntées et de la diligence de ceux qui transportent ces lettres. Au-delà de ces

correspondances, le colportage de rumeurs et de nouvelles de manière orale demeure le

moyen le plus rapide par lequel se propage l’information. Que la société soit lettrée ou non,

le passage de voyageurs suscite l’intérêt immédiat et la curiosité des gens avides de

nouvelles. Le réseau d’information au XVIIIe siècle est donc d’abord et avant tout un réseau

humain, c’est-à-dire que la vitesse de transmission d’une information est limitée par son

416 HAVARD, Empire et métissages, p. 188. 417 Lafitau, cité dans Ibid., p. 89. 418 Seuls 23% de la population de la colonie est alphabétisée. HAVARD et VIDAL, Histoire de l’Amérique française, p. 181. 419 BÉGON, Lettres au cher fils, p. 44-45 et p. 48.

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déplacement physique de messager en messager. Il faudra attendre la fin du siècle avec

l’invention du sémaphore de Claude Chappe utilisé pendant les guerres napoléoniennes

avant de pouvoir transmettre des messages plus rapidement420. D’autre part, alors que

l’infrastructure de la colonie française est moins développée qu’en Europe, les moyens de

déplacement de l’armée y sont identiques : après tout, comme le rappelle Paul Mapp,

Napoléon ne se déplacera pas plus vite que ne le faisait Jules César421. En effet, avant la

Révolution industrielle, la marche422, le cheval et la barque sont les trois méthodes de

déplacement disponibles. À elle seule, la marche n’offre qu’une progression d’environ

25 km par jour sur un terrain plat423.

Le réseau de communication de la Nouvelle-France est d’autant plus fragilisé par la

faible répartition démographique de la colonie sur un territoire aussi vaste. Le seul avantage

de la colonie par rapport à la France est son accès au riche réseau hydrographique qui

débute dans l’estuaire du Saint-Laurent, permettant un déplacement rapide au cœur du

continent, alors que les Britanniques doivent franchir les Appalaches à grands efforts. En

effet, comme le décrit si bien Gilles Havard, « Les circulations canadiennes [s’appuient] sur

des trésors d’hydrographie424 ». D’ailleurs, l’avantage en Europe sur ce point appartient à la

Prusse qui déclenche de nombreuses batailles à l’aide de sa géographie bien irriguée de

rivières, facilitant le déploiement de ses troupes425. Ainsi, même si le réseau routier est

relativement plus développé en Europe, il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour en voir

une utilisation plus poussée426. En somme, si l’homme de guerre est essentiellement un

420 Stéphane BÉRAUD, La révolution militaire napoléonienne. Volume 1 : Les manœuvres, Paris, Bernard Giovanangeli Éditeur, 2007, p. 198-199. 421 MAPP, The Elusive West..., p. 173. 422 Il va de soi que la marche est le mode de déplacement de base au XVIIIe siècle. Toutefois, il est étonnant de constater dans les sources le manque constant de souliers. Même les Autochtones en font grief auprès de l’état-major. En novembre 1757, Montcalm écrit : « Les Anglais ayant pris quarante mille souliers que l’on envoyait dans la colonie, les souliers et le cuir manquent; on tâche d’y suppléer en faisant faire aux soldats des souliers avec de la peau de loup marin pour la pluie et de peau de chevreuil pour la gelée. » MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 270 et BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 205. 423 CASSEL, « Troupes de la marine... », p. 66-67. 424 HAVARD, Histoire des coureurs de bois, p. 201. 425 BAUGH, The Global..., p. 14. 426 « Pendant longtemps on avait privilégié les transports fluviaux à cause de la faiblesse des réseaux routiers. Ceux-ci s’étant améliorés, on voit Napoléon pendant la campagne de France de 1814 faisant transporter ses fantassins par charrois pour réduire leur fatigue et par conséquent réduire le temps des étapes. » CORVISIER et COUTAU-BÉGARIE, La guerre…, p. 97-98.

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homme à pied en Europe comme en Amérique, les voies d’eau sont empruntées lorsque

possible.

Malgré l’avantage de l’hydrographie, la lenteur de la transmission de messages est

complexifiée par le manque de développement des marges de la colonie. Les trajets pour se

rendre au fort Carillon ou bien au fort Duquesne, ce dernier étant au cœur du territoire

contesté, en sont des exemples probant427. Bougainville résume la situation de la colonie en

1759 :

Nous avons 400 lieues de pays à conserver, nous n’avons à peine que 78 lieues établies, il faut monter le courant; le plus souvent le vent est contraire; les barques sont souvent un mois à monter à Montréal, autant pour aller à St-Jean, il faut faire un portage, c’est-à-dire, transporter par voitures les bateaux et la charge, et ensuite il y a 40 lieues pour aller à Carillon qui est le premier camp pour aller de Montréal à Soulanges, il y a 12 lieues, dont trois ou quatre sont des rapides il faut décharger en partie les bateaux, emporter dans ces mauvais pas la charge sur le dos.

Pour se rendre à Niagara on compte 120 lieues, un lac à passer que le moindre vent agite, ensuite il y a un portage considérable de trois lieues; on prend des pirogues pour aller à la Presqu’île, à la Rivière au Bœuf et au fort Duquesne, mais il y a surtout un portage de 4 ou 5 lieues au moins.428

Ainsi, le laps de temps entre l’action et la réaction ne peut pas toujours dépendre de

l’attente d’une réponse de l’état-major, surtout si celle-ci provient d’outre-Atlantique.

D’ailleurs, l’efficacité de la coordination à partir de Versailles requiert en sus que les

effectifs et les ordres qui les concernent arrivent en même temps. À quelques reprises, des

contingents d’hommes arrivent sans instruction quant à leur destination. Ce problème est

récurrent, comme dans le cas de 4 officiers et 14 soldats du Corps Royal de l’artillerie et du

génie arrivés en juillet 1757 sans connaître « leur destination, [ni] s’ils seront incorporés ou

non. » Entre temps, ceux-ci seront placés sous le commandement du chevalier Mercier429.

En Amérique, donc, rien ne garantit que les ordres, même s’ils sont écrits, mènent à une

cohésion parfaite de l’armée430. Une certaine liberté est alors permise aux officiers d’agir et

427 Pour une description plus approfondie du trajet vers le fort Duquesne, voir PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 127-163. 428 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 43. 429 Ibid., p. 207. 430 Un exemple a lieu pendant la bataille de Sainte-Foy : « J’avois fait mes dispositions pour porter le fort de l’action sur les hauteurs, comme le lieu qui devoit décider la victoire, mais un ordre mal rendu me priva dans cette partie de la brigade de la Reine, qui a resté dans l’inaction. » Lévis à Vaudreuil. Sous Québec, le 28 avril 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 293.

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de prendre des décisions quant aux éléments auxquels leurs supérieurs n’auront pas

pensé431. Comme l’écrit le chevalier de Lévis : « Quand on est aussi éloigné, il faut toujours

être d’accord avec tout le monde, lever les difficultés et n’avoir à cœur que le bien du

maître432. »

En somme, l’espace et la distance sont les principaux défis que l’armée française doit

surmonter avant même de confronter les Britanniques. Alors que le chapitre précédent

portait sur la création de la correspondance, ce qui suit se penche sur sa transmission. En

effet, les réseaux et les moyens de diffusion d’informations écrites sont mal connus dans

l’histoire de la Nouvelle-France. Tout comme en Europe, c’est le contenu de la

correspondance qui a retenu l’intérêt des historiens, plutôt que les moyens de sa

transmission433. La tâche de les découvrir n’est pas facile : bien que l’arrivée de nouvelles

soit souvent mentionnée dans les sources, on y mentionne rarement les moyens par lesquels

elles sont arrivées. Même les contemporains avouent le plus souvent ne pas connaître le

trajet exact de leur correspondance. L’épistolière Élisabeth Bégon, par exemple, sait que sa

correspondance vers la Louisiane passe par le Pays d’en Haut, mais elle n’en connaît pas

les détails434. Une fois déménagée en France, elle décrit également l’arrivée d’une lettre par

La Rochelle, mais sans savoir « par où elle est venue435 ». Heureusement, d’autres

témoignages trouvés dans le cadre de cette thèse peuvent apporter un nouvel éclairage sur

un système informel, mais tout de même complexe de communication où entrent en jeu de

nombreux relais d’une géographie sociale pour surmonter la géographie physique. Enfin,

431 Par exemple, le secrétaire d’État de la Guerre écrit à Montcalm : « […] c’est à vous à juger si la différence de l’état des choses en Canada et en France, en doit apporter dans certaines règles dont l’exécution par delà les mers pourroit être sujette à des inconvénients que l’on n’a point à craindre ici ». Paulmy à Montcalm. À Versailles, le 20 mars 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles…, p. 62. Voir aussi Bertrand FONCK, « “Joindre au système de tactique d’Europe l’usage à faire des sauvages” : le commandement des armées françaises en Nouvelle-France », dans Laurent VEYSSIÈRE et Bertrand FONCK (dir.), La guerre de Sept Ans en Nouvelle-France, Québec, Septentrion, 2012, p. 158-159. 432 Lévis à Paulmy. Le 20 juin 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 112-113. 433 Jay Caplan écrit : « The main reason for this gap in our knowledge probably lies in the methods that had long been used by historians and literary scholars to study the post and the epistolary. […] scholars had until recently tended either to take a formalist approach to the epistolary, by focusing upon the poetics and rhetorical aspects of letters, or to prepare critical editions of correspondence in a perspective derived from textual criticism. » Jay CAPLAN, « Introduction », dans Idem (dir.), Postal culture in Europe, 1500-1800, Oxford, Voltaire Foundation et Oxford University, 2016, p. 1-2. 434 BÉGON, Lettres au cher fils, p. 240. 435 Ibid., p. 247-248.

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bien que le but de cette thèse ne soit pas d’examiner le transport des ravitaillements de

l’armée française, il faut tout de même soulever certains parallèles liés à l’amélioration de

son infrastructure et son effet sur le renseignement. Après tout, la nature plus ou moins

vierge du territoire augmente la difficulté des déplacements, comme en témoigne

Bougainville : « Si les circonstances nous permettent de faire quelque entreprise, à la bonne

heure. Mais on ne transporte ici les munitions de guerre et de bouche qu’avec des peines et

des longueurs infinies. Ce ne sont pas les campagnes de Flandre436. » Au final, n’importe

quelle amélioration ou création d’une route pour franchir un portage, par exemple, facilite à

son tour le déplacement d’un courrier.

3.1 CORRESPONDANCE ATLANTIQUE Bien entendu, le plus grand obstacle à la coordination entre Versailles et la Nouvelle-

France est la vaste étendue d’eau qui les sépare. En premier lieu le Saint-Laurent, le fragile

cordon ombilical qui relie le Canada à la France, pose sa part de problèmes. Lorsque ce ne

sont pas les glaces qui menacent cette voie de communication, c’est la flotte ennemie qui

s’acharne sur les navires français. Comme l’écrit Lévis en 1757 : « c’est à nos forces

navales d’Europe à nous tenir cette porte ouverte sans quoi nous passerions mal notre

temps437 ». En effet, le fleuve est la seule voie où transitent les renforts, l’armement, une

bonne partie des ravitaillements et, bien sûr, les nouvelles d’Europe.

Il faut se rappeler qu’au final, le sort des possessions françaises se joue sur les mers.

Les liens entre la France et ses colonies reposent sur une flotte capable de franchir les

milliers de kilomètres d’océan. Pourtant, celle-ci est déjà fragilisée d’entrée de jeu : lorsque

la guerre est officiellement déclarée, la Grande-Bretagne a déjà capturé 300 navires

marchands438. La marine britannique continue ses déprédations sur la flotte française tout le

long de la guerre, resserrant l’étau sous la forme d’un blocus à partir de 1758. La situation

commence à ressembler dangereusement à celle de la guerre précédente au cours de

436 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 360. 437 Lévis à Mirepoix. Au camp de Carillon, le 4 septembre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 154. 438 Jonathan R. DULL, The French Navy and the Seven Years’ War, Lincoln, University of Nebraska Press, 2005, p. 38.

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laquelle la ponctualité du courrier avait été grandement affectée439. Bougainville écrit en

1757 : « Les Anglois ont jusqu’à présent pris la moitié des vaisseaux destinés à ce

continent. Encore s’ils rendoient les lettres440. » En effet, pendant la guerre de Sept Ans, la

Grande-Bretagne capture 52 bâtiments français, le double des prises du genre pendant la

guerre de Succession d’Autriche441. Tout de même, comme le souligne Nicole Castéran, les

Français réussissent à faire « quelques coups d’éclat » pour surmonter le blocus du Saint-

Laurent, comme en 1759 avec le capitaine du Machault qui, par quelques péripéties,

s’échappe en goélette pour mener à bon port la correspondance destinée à Versailles442.

Les messages destinés à la Cour sont envoyés en triplicata lorsque possible, chaque

copie se trouvant sur un navire différent443. Il est important que le destinataire lise toutes les

versions de ces copies puisqu’il arrive que l’auteur ajoute des détails importants aux

dernières versions envoyées444. Si un capitaine croit que son navire va se faire aborder par

l’ennemi, le courrier est largué par-dessus bord dans un sac. C’est ce qui arrive à une partie

de la correspondance du gouverneur Vaudreuil lorsque le capitaine du Pierre Alexandre se

voit obligé de jeter 22 paquets de lettres par-dessus bord devant le risque d’être capturé par

une frégate anglaise le 17 août 1755. Cette fois-ci, la précaution fut inutile, puisque le

navire arrive à Bordeaux sain et sauf445. D’autres seront moins chanceux, comme le

capitaine de la Geneviève qui, la même année et avant d’arriver à Nantes, se fait intercepter

par divers vaisseaux anglais et confisquer une partie de sa correspondance après ouverture

des lettres446.

Ironiquement, même après tous ces défis relevés, il arrive que la source la plus rapide

pour des nouvelles soit les Britanniques. D’une part, plus la guerre avance, plus l’état-major

439 Au sujet de la guerre de Succession d’Autriche et son effet sur le courrier transatlantique, voir HARRISON, Until next year, p. 82-85. 440 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 382. 441 Oliver CHALINE, « Bilan naval de la guerre de Sept Ans », dans Bertrand FONCK et Laurent VEYSSIÈRE (dir.), La fin de la Nouvelle-France, Paris, Armand Colin et Ministère de la Défense, 2013, p. 88. 442 CASTÉRAN, « Sous le sceau du secret », p. 146. 443 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 333. 444 Ibid., p. 387. Sans oublier qu’il est important aux historiens aussi de porter attention à ces copies! Carl Ekberg donne un exemple parfait illustrant ce besoin d’attention au sujet de l’historiographie de la Louisiane. Carl EKBERG, « The Exclusive Maxent-Laclède Trading Grant », Missouri Historical Review, Vol. 106, No. 4 (juillet 2012), p. 185-197. 445 ANOM, Colonies, C11A 100, F°72-73v. Le ministre à Vaudreuil. Le 5 septembre 1755. 446 CASTÉRAN, « Sous le sceau du secret », p. 145.

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dépend des nouveaux prisonniers britanniques pour s’informer des nouvelles

internationales; de l’autre, Versailles se renseigne souvent sur la situation en Amérique par

l’Angleterre qui reçoit des mises à jour ponctuelles de ses treize colonies447.

3.1.1 FRANCHIR L’ATLANTIQUE À PARTIR DE LA FRANCE

Le temps nécessaire pour transmettre le courrier d’un côté de l’Atlantique à l’autre varie

énormément. Selon la recension menée par Gilles Proulx, les traversées sous le Régime

français prennent entre 35 et 117 jours. Malgré les avancées en matière d’instruments de

navigation et de construction, les navires au XVIIIe siècle sont toujours soumis aux courants

et aux vents. Les traversées rapides sont d’ailleurs exceptionnelles. Même entre deux

navires partis en même temps, il peut y avoir un décalage important. Par exemple, la frégate

la Licorne arrive au Canada en 1756 après 37 jours de navigation tandis que la frégate la

Sauvage y met 19 jours de plus448. En théorie, il est plus rapide de rejoindre l’Acadie que le

Canada : à partir du Grand Banc de Terre-Neuve, il ne faut qu’une semaine environ pour

rejoindre Louisbourg au lieu des trois à six semaines nécessaires pour rejoindre Québec449.

Cependant, même une fois arrivé en Acadie, le courrier peut prendre plusieurs mois avant

de parvenir à Québec. Par exemple, les nouvelles d’Europe du 24 septembre 1757 arrivent à

Louisbourg le 6 novembre 1757 avant d’arriver à destination à Québec le 7 février 1758450.

Les circonstances de guerre obligent la suspension ou la modification de certaines

conventions : le 6 mai 1756, la Licorne, sur laquelle se trouve le marquis de Montcalm en

direction de Québec, se voit forcé de naviguer la nuit pour profiter du vent, et ce malgré

une ordonnance interdisant tout déplacement nocturne451. En chemin, des nouvelles

peuvent être transmises entre navires qui se croisent. C’est le cas notamment encore une

fois de la Licorne, appareillée près de l’Île du Bic le 7 mai 1756, qui croise une goélette.

447 ANOM, Colonies, C11A 100, F°72-73v. Le ministre à Vaudreuil. Le 5 septembre 1755. 448 Il est amusant de noter ces paroles de Montcalm : « Je ne conseille à personne de naviguer pour son plaisir. » Lévis ne peut que partager son sentiment, ayant été malade tout le long de sa traversée. Gilles PROULX, Entre France et Nouvelle-France, LaPrairie, Marcel Broquet et Parcs Canada, 1984, p. 67; MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 37, p. 40, p. 47 et Lévis à Montcalm. À Québec, le 31 mai 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 9. 449 BANKS, Chasing Empire across the Sea, p. 70 et p. 75. 450 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 250. 451 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 56.

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Cette dernière informe le général à son bord des derniers raids canadiens sur Chouaguen452.

D’autre part, bien qu’un édit du 20 juillet 1732453 interdit à quiconque d’aller chercher le

courrier d’un navire arrivé sur le Saint-Laurent avant son amarrage au port de Québec, la

guerre oblige encore une fois d’ignorer la règle. Dès qu’un navire arrive près des berges du

Saint-Laurent, on se presse de faire passer le courrier. Par exemple, le 11 juin 1757, le

David arrive à Québec avec de nouvelles recrues454. Bougainville, pourtant presque 500 km

plus loin au fort Carillon sur le lac Champlain, mentionne dans son journal l’arrivée du

navire un jour avant qu’il ne soit réellement en rade455. Le jeune officier est-il devin? Du

tout : le trajet entre l’entrée du Saint-Laurent jusqu’au port de Québec nécessite tout de

même 10 à 12 jours, selon la clémence du temps et du courant456. Après tout, les conditions

de navigation difficiles sur le Saint-Laurent peuvent paralyser un bâtiment pendant des

jours si les vents ne sont pas favorables. Les nouvelles de l’approche d’un navire peuvent

donc devancer ce dernier lorsqu’elles sont transmises par les habitantspar voie terrestre dès

Gaspé457. Pareillement, il arrive que le courrier soit plus rapide que les navires lorsque

ceux-ci permettent à leurs passagers de débarquer sur la rive. Par exemple, en 1759,

Bougainville remet en mains propres une lettre de France à Lévis bien que son navire ne

soit pas encore arrivé à Québec458. Devancer l’arrivée des navires en rade à Québec est

d’autant plus important lorsqu’il s’agit d’un « courrier extraordinaire », comme la nouvelle

de l’attentat contre Louis XV du 5 janvier 1757 qui devance le David, porteur de la

dépêche. L’empressement est relatif : la nouvelle n’arrive à Montréal que le 10 juin 1757,

donc cinq mois après l’événement459! En raison de cette dépendance des vents et du courant

de l’Atlantique, rien ne garantit donc un trajet plus rapide des nouvelles urgentes,

particulièrement entre les saisons.

452 Ibid., p. 58-59. 453 FOURNIER, La Nouvelle-France au fil des édits, p. 453. 454 Rénald LESSARD, « Le corps des Volontaires-Étrangers et la défense de la Nouvelle-France », dans Laurent VEYSSIÈRE et Bertrand FONCK (dir.), La guerre de Sept Ans en Nouvelle-France, Québec, Septentrion, 2012, p. 261. 455 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 187. 456 PROULX, Entre France et Nouvelle-France, p. 85. 457 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 177. 458 Lévis à Mme. de Mirepoix. Le 17 mai 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 224 et p. 227. 459 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 186 et BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 187.

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L’arrivée d’un navire n’est pas garante de nouvelles d’Europe, toutefois. On écrit

régulièrement que « [c]es bâtiments [apportent] fort peu de nouvelles460 ». Comme l’écrit si

bien un officier : « c’est toujours beaucoup d’avoir reçu des nouvelles directes461. »

D’ailleurs, l’attente de courrier de la France est interminable pour les militaires d’origine

française. Les officiers s’assurent d’informer leurs proches comment les rejoindre. Le

lieutenant Guillaume de Méritens de Pradals du régiment de La Sarre instruit son frère :

« Si vous voulez que je reçoive de vos nouvelles, il faut que vous affranchissiez mes lettres

jusqu’à Bordeaux ou à Rochefort. Priez le maître de poste de les faire passer par le premier

bateau qui passera en Canada. Si vous ne prenez ce moyen je ne recevrai aucune de vos

nouvelles462. » En effet, la poste peut s’occuper de mener le courrier aux ports, mais ne

s’occupe pas de l’envoyer outre-Atlantique463. On se sert donc d’agents pour gérer l’envoi

de correspondance au Canada. En général, les lettres sont confiées entre autres soit à Joseph

Bérard ou Abraham Gradis, tous deux négociants à Bordeaux, ou bien à Pierre le Griel et

Fils à La Rochelle464. Outre les négociants, on confie parfois sa correspondance

directement aux capitaines de navires. Les lettres en provenance d’Europe s’accumulent

donc dans les ports jusqu’à ce qu’un navire soit prêt à quitter pour le Canada465. Même

avec une traversée réussie, rien ne garantit l’arrivée de correspondance. Ce même Pradals

s’en plaint un an après avoir écrit à son frère : « Je vois avec douleur que tous nos

messieurs reçoivent des lettres de leurs parents, il n’y a que moi qui n’en reçois de

personne. Je sais que vous avez reçu mes lettres […]466 ». De toute façon, à lire

Bougainville, c’est à croire qu’il vaut mieux ne pas avoir de lettres : « J’ai enfin reçu des

lettres de France par le Rochelois qui a envoyé ses paquets à Québec. Quand on a été un an

460 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 186. 461 Dumas à Vaudreuil. À Trois-Rivières, le 13 juin 1760, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 34. 462 PRADALS, « Le Canada 1756-1758 », p. 121. 463 HARRISON, Until next year, p. 74. 464 Ibid., p. 72. Sur Gradis, voir aussi John WILLIS, « Les échelles de la communication postale en Nouvelle-France », dans Muriel LE ROUX et Sébastien RICHEZ (dir.), Postes d’Europe. XVIIIe-XXIe siècle. Jalons d’une histoire comparée, Paris, Comité pour l’histoire de la Poste, 2007, p. 131-134 et BANKS, Chasing Empire across the Sea, p. 159-160. 465 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 365-366. 466 PRADALS, « Le Canada 1756-1758 », p. 125.

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absent de sa patrie devrait-on souhaiter d’en avoir des nouvelles467? » En effet, l’officier

apprendra la mort de son père pendant son absence…

Au moins à une occasion, les dépêches de France qui ne peuvent arriver par le Saint-

Laurent font un détour remarquable par la Louisiane, prenant près d’un an pour rejoindre le

Canada. Comme l’explique Montcalm dans son journal le 1er juin 1759 : « Un bâtiment

chargé de vivres expédié pour le Canada a été forcé de relâcher à Gaspé, où le mauvais

temps l’a empêché d’entrer malgré plusieurs tentatives, la mer empirant tous les jours, et a

relâché à Saint-Domingue d’où on l’a envoyé à la Louisiane, afin de faire passer de là par

les Illinois les dépêches dont il était chargé468. » Bien que l’arrivée de nouvelles par le

Mississippi ne soit pas inhabituelle en soi, ces occasions sont rares. En Louisiane, l’effet

des corsaires britanniques dans le Golfe du Mexique est encore plus important que sur le

Saint-Laurent, à tel point que Montcalm écrit en novembre 1758 : « [La Nouvelle-Orléans

n’a] reçu aucun bâtiment [français] depuis trois ans469 ».

3.1.2 FRANCHIR L’ATLANTIQUE À PARTIR DE L’AMÉRIQUE

Bien qu’en général on prévoit envoyer en France le courrier à bord des derniers navires

avant le gel au début de novembre, il est possible d’en envoyer tant que l’absence de glace

le permet. Par exemple, en 1757, les derniers bâtiments partent le 6 novembre alors que le

début de l’hiver 1757 s’avèrera particulièrement doux470. Comme l’écrit Bougainville :

« On aurait encore pu le 12 [décembre] expédier des bâtimens en Europe, ce qui est presque

un phénomène471. » Il n’empêche que si les navires évitent généralement le risque, partir

tard dans la saison froide est toujours un pari. La goélette L’Extravagante, par exemple, se

fait arrêter par les glaces en décembre 1758 alors qu’elle porte des dépêches pour la

France472. Le printemps 1758 sera doux quant à lui, avec un dégel « revenu d’assez bonne

467 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 191 et p. 366. 468 D’ailleurs, Pouchot note en mai 1759 : « Le 20 arriva un courier des Illinois, portant de France des dépêches pour nos généraux et l’intendant. » MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 437 et POUCHOT, Mémoires..., p. 90. 469 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 402. Voir aussi BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 246. 470 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 269. 471 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 249. 472 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 406.

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heure473 » en avril. La disparition totale de la neige est constatée le 29 du mois474. En

revanche, avant la fonte complète de la glace, cette période est « temps de l’année le plus

difficile pour vivre et pour le commerce; on ne peut ni aller sur les glaces qui fondent

insensiblement, ni naviguer jusqu’à ce que la rivière ait repris son libre cours475. » Mieux

vaut ne pas tenter le sort, donc. Enfin, tant et aussi longtemps qu’un navire se trouve à

proximité des berges du Saint-Laurent, un passager peut toujours faire parvenir son courrier

à Québec. C’est le cas de Bougainville qui, en chemin vers la France en 1758, transmet des

lettres par l’entremise du pilote de l’Isle-aux-Coudres476.

En Louisiane, le courrier sortant de la colonie comporte sa part de délais entre l’écriture

et l’émission. Un bel exemple est cette note ajoutée à un message chiffré du gouverneur de

la Louisiane à l’intention du ministre : « Cette Lettre, quoi qu’Ecrite En mars, n’a pû partir

qu’En aoust […]477 ». Enfin, tout comme on évite les glaces du Saint-Laurent pendant

l’hiver, on évite de naviguer dans les Caraïbes au début de l’automne avec ses tempêtes478.

Complication supplémentaire : afin d’éviter les corsaires britanniques, le gouverneur

Kerlérec est obligé de transmettre sa correspondance à la cour par Saint-Domingue ou

l’Espagne479.

Bien que les navires à destination de la France transitent régulièrement par Louisbourg,

on y fait passer du courrier même si l’Acadie n’est pas la destination du vaisseau. On

procède dans ces cas-ci au relais, par exemple le 26 avril 1757 lorsqu’un bâtiment destiné

pour Miramichi confie aux officiers qui y sont postés la tâche de compléter le trajet jusqu’à

l’Isle Royale480. Néanmoins, même lorsque l’entrée du Saint-Laurent est toujours sous

contrôle français, l’état-major ne se satisfait pas d’envoyer son courrier pour Louisbourg ou

même pour Versailles uniquement par le Saint-Laurent, mais transmet également ses

messages en Acadie par voie terrestre afin de diminuer les risques d’interception dans la

473 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 253. 474 Ibid., p. 254. 475 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 162. 476 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 335. 477 ANOM, Colonies, C13A 42, F°11v. Kerlérec au ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 30 mars 1760. 478 GRAGG, « Transportation and Communication », p. 496. 479 PUSCH, « Kerlérec’s Cipher », p. 464. 480 Bien que le bâtiment ne quittera au final que le 9 mai. BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 180 et p. 184.

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même région de l’Atlantique481. Comme le démontre John Willis, la circulation océanique

est plus importante près de Louisbourg qu’à Québec, soit respectivement 130 à 150 bateaux

par année contre 20 à 25482. Il s’y trouve donc plus d’occasions pour transmettre le courrier

outre-Atlantique. Même à partir de Montréal, il arrive qu’un messager soit envoyé à

Louisbourg avec « [l’]ordre de faire partir de suite un bâtiment pour la France483 ».

Néanmoins, Louisbourg pose un problème constant dans l’esprit de l’état-major : par sa

position à l’extrémité est du continent, la forteresse est isolée de l’intérieur de la colonie484.

Bougainville est particulièrement cinglant dans sa critique en 1758 :

Louisbourg [est une] place mal fortifiée […]. Louisbourg nous est inutile comme clef du Canada. Il n’est pas sur la route ni à l’entrée du fleuve Saint-Laurent. Les vaisseaux du Roi n’y peuvent hiverner. Il ne peut servir pour doubler ni même allonger le temps de la communication avec Québec, enfin quand nous y serions bien établis, nous ne pourrions là empêcher les Anglais d’aller droit à Québec.485

Le jeune officier lui préfère Gaspé, qu’il surnomme la « clef du Canada ». Placer la porte

de la Nouvelle-France à Gaspé doublerait non seulement la vitesse de communication avec

l’Europe, mais Bougainville estime que le commerce serait pareillement affecté, éliminant

à la fois le besoin d’aller à Louisbourg et celui de passer 40 ou 50 jours de plus à naviguer

le Saint-Laurent pour rejoindre Québec en temps de paix486.

La suite des choses donnera raison à l’officier lorsque la perte de Louisbourg à l’été

1758 augmente la dépendance du parcours terrestre rejoignant Québec et l’Acadie. Celui-ci

emprunte le portage de Témiscouata puis la rivière Saint-Jean487. Ce trajet long de 1 400

481 Lévis à Paulmy. Le 10 octobre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 175. 482 Son analyse se base sur la décennie 1740 pour Québec et la décennie 1730 pour Louisbourg. Malgré la guerre de Succession d’Autriche qui affecte l’arrivée de bâtiments à Québec, les navires ne sont pas plus nombreux avant le conflit. WILLIS, « Les échelles… », p. 129 et CAMPEAU, Navires venus en Nouvelle-France…, en ligne. 483 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 282. 484 NICOLAI, « Subjects and Citizens… », p. 76. 485 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 36. 486 Ibid., p. 38. De plus, Thomas Bell décrit Gaspé ainsi : « The Bay is a very fine, good anchoring Ground any fleet may ride here in safety, the inward Bay formed by the sand is perhaps one of the best in the world, an excellent for a rendezs. for ships going to Quebeck […] ». Thomas BELL, « My Journal of the Gaspee Expedition & other Matters », dans J. S. MCLENNAN, Louisbourg: From its Foundation to its Fall 1713-1758, Londres, Macmillan and Co., Ltd., 1918, p. 418. 487 « In addition to providing a route from the south shore of the St. Lawrence River to the Bay of Fundy, the St. John River system has a number of branches that give access to the whole area. North of Grand Falls, the Grand River-Wagan portage route led to the Restigouche River and the Bay of Chaleur. Below Woodstock, at Meductic, an important portage route led west to the Eel River and, by a series of portages, to the

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kilomètres est utilisé par les Français au moins depuis 1716488. Son importance comme voie

secondaire est soulevée avant même l’éclatement de la guerre dans les mémoires de Bellin

et de La Galissonière489. Lévis décrit le chemin ainsi : « De cette ville [Québec], on

descend quarante lieues le fleuve Saint-Laurent, jusqu’à la Rivière du Loup on remonte

cette rivière après quoi, on fait le portage de Témiscosatac, qui a vingt lieues et au travers

des montagnes, et l’on arrive au lac Témiscosatac, qui a sa décharge par la Rivière

Madasaska dans la rivière Saint-Jean490 ». Il ajoute que la rivière Saint-Jean est difficile à

naviguer, et ce, uniquement à l’aide de canots ou de pirogues491. Pour faciliter le trajet, dès

1750, le chemin entre Rivière-du-Loup et le lac Témiscouata est refait et l’intendant Bigot

y fait mettre « deux gardiens avec un petit magasin de vivres ou [s’approvisionnent] les

courriers qui nous viennent de Chedaïk [Shédiac] et de la Rivière St. Jean492 ».

En 1755, une lettre de Vaudreuil au ministre propose que les messagers empruntant la

Saint-Jean doivent rejoindre Shédiac ou Cogagne493. Dans les faits, une vérification des

reçus pour services de courrier contenus parmi les billets de l’Acadie494 démontre que les

Passamaquoddy, Penobscot and Machias rivers in Maine. At Oromocto, a route along the Oromocto and Magaquadavic rivers gave access to the St. Croix and rivers in Maine. A little further downstream, the Lake Washademoak-Canaan River-Petitcodiac River route led to Nova Scotia and Prince Edward Island. » W. E. CAMPBELL, The Road to Canada: The Grand Communications Route From Saint John to Quebec, Fredericton, Goose Lane Editions et New Brunswick Military Heritage Project, 2005, p. 16. Sur la guerre de Sept Ans, voir Ibid., p. 25-32. 488 WILLIS, « Les échelles… », p. 135. Pour une superbe carte illustrant les liens entre l’Acadie et Québec par la rivière Saint-Jean et les autres voies fluviales entre les deux, voir ANONYME, Canada ou Nouvelle France, Nouvelle Angleterre, Terres des Abnaquis, 44 x 70 cm, Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GESH18PF124DIV1P3D. 489 « La Rivière S. Jean est considérable, […] faisant quelques portages, on peut se rendre à Quebek en peu de tems, n’y ayant gueres plus de 100 lieues par cette route, au lieu que le tour qu’on feroit par mer feroit plus de 400 lieues. L’entrée de cette Riviere est difficile, cependant des Fregates peuvent y entrer. » et « […] la Rivière Saint-Jean qui traverse ce pays est la seule voye par laquelle on puisse communiquer durant six mois de l’année de Louisbourg à Québec; c’est la seule par ou puissent pénétrer de faibles partis qui répandus dans les bois et soutenus par les Sauvages sont souvent capables de deconcerter les projets des Anglais, et de leur en rendre l’exécution dificile et meurtrière. » BELLIN, Remarques…, p. 41 et LA GALISSONIÈRE, Mémoire sur…, p. 12. 490 Lévis à Mirepoix. Au camp de Carillon, le 4 septembre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 148. 491 Ibid. 492 ANOM, Colonies, C11A 96, F°67. Bigot au ministre. À Québec, le 22 octobre 1750. 493 « En conservant la rivière Saint-Jean, je pourrai avoir en tout temps des nouvelles de Louisbourg, il ne s’agira que de traverser de l’isle Saint-Jean à Chedaïk, ou en suivant les terres, après avoir passé le passage de Fronsac, aller à Chedaïk ou à Cocagne. » Vaudreuil. À Montréal, le 18 octobre 1755, dans CASGRAIN (dir.), Extraits des archives…, p. 66. 494 Ces billets font parti du fonds de la Série V7, Commissions extraordinaires du Conseil aux ANOM.

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messages passent plutôt par Miramichi, plus au nord. En effet, depuis la perte du fort

Beauséjour en 1755495, le courrier pour l’Acadie provenant tant par la terre que par le

fleuve transite par cette rivière, plus précisément sur l’île Beaubears où, en 1757,

Boishébert fonde son nouveau quartier général qui sert de refuge à environ 1 500

Acadiens496. Néanmoins, après avoir conquis Louisbourg, les Britanniques remontent le

long de la côte et détruisent les établissements français. À son arrivée à Miramichi, James

Murray ne peut que constater que l’endroit fut évacué avant son approche à la vue de leurs

navires. L’importance de la rivière en matière de communication n’échappe pas à l’officier

qui note « That there is a Communication from the head of the Miramichi River to Québeck

by River & Lakes a few portages excepted497 ».

Bien que le courrier ne cesse pas totalement de circuler par Miramichi, il devient

pressant de trouver des voies alternatives où le faire passer. D’ailleurs, dans son mémoire

de 1758, Bougainville propose l’envoi de navires de la France malgré l’hiver afin de

transmettre les dépêches de la cour par l’Acadie pour les transmettre à Québec :

Si l’entrée du Golfe était fermée et qu’il fallût que les vaisseaux croisassent quelque temps sur les bancs, j’ai amené avec moi des Canadiens et pilotes pratiques de ces parages qui conduiraient un ou plusieurs bâtiments par le passage de Canceau et qui dans des anses à eux connues débarqueraient des gens ingambes auxquels j’ai fait vendre pour cet effet des raquettes et qui iraient au travers des bois porter aux généraux les ordres et intentions de la Cour.498

En effet, le détroit de Canseau (aujourd’hui Canso), ou de Fronsac, est évoqué dans le

mémoire de Bougainville comme solution obligée pour maintenir un lien avec Versailles

dans l’éventualité d’un blocus total du Saint-Laurent. Néanmoins, la dépendance de

Canseau démontre la faiblesse de la position française puisque cette voie comporte sa part

de dangers. D’abord, comme le rappelle Montcalm, « le détroit de Canseau […] [est] un

495 Avant la prise du poste, le courrier transitait sur le Saint-Laurent pour rejoindre la baie Verte, pour ensuite suivre un portage de trois lieues jusqu’au fort Beauséjour. Lévis à Mirepoix. Au camp de Carillon, le 4 septembre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 148. 496 Aujourd’hui il s’y trouve le lieu historique national Boishébert. A. J. B. JOHNSTON, 1758 la finale : promesses, splendeur et désolation de la dernière décennie de Louisbourg, Québec, Presses de l’Université Laval, 2011, p. 117-118; Phyllis E. LEBLANC, « Charles Deschamps de Boishébert et de Raffetot », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 230-232 et MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 147. 497 « Purport of Coll. Murray’s Report of his Proceedings at Miramichi », dans MCLENNAN, Louisbourg, 1918, p. 421-422. 498 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 30. Voir aussi Ibid.,p. 56.

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passage d’une demi-lieue de large au milieu des possessions anglaises; ce serait une marche

hardie, qui pourrait leur donner le change; mais elle aurait besoin du succès pour être

applaudie499 ». D’autre part, la quantité de lettres transmise est limitée par ce que peuvent

porter les courriers. Bougainville écrivait plus tôt en février 1758 au sujet d’un tel agent en

route pour Louisbourg : « Comme le courrier, porteur de ces lettres, est un phantassin qui

s’en va par les bois de l’Acadie, […] il ne sauroit porter qu’un petit nombre de lettres500 ».

L’évolution de la situation de l’Acadie et l’adaptation des routes pour faire passer le

courrier illustrent l’intrépidité nécessaire pour maintenir les voies de communication

malgré les gains de l’ennemi. On cherche à faire passer des nouvelles coûte que coûte,

donnant lieu à certains détours forcés. En 1760, alors même que la colonie est isolée de la

France, Malartic informe Lévis sans offrir plus de détails : « J’ai trouvé le moyen de faire

passer de nos nouvelles à M. le maréchal de Belle-Isle501. » En effet, avec la guerre qui

s’étire, il est de plus en plus difficile de tenir la France informée de l’état de sa colonie. Il

est parfois plus simple d’envoyer des officiers expliquer la situation à Versailles, comme le

feront Bougainville en 1758 et François-Marc-Antoine Le Mercier à l’hiver 1760502.

3.2 LA POSTE ET L’ARMÉE Existe-t-il un système postal officiel en Nouvelle-France? En France, la prise en charge du

transport de la correspondance officielle et privée par l’État commence sous le règne

d’Henri IV503. Sous la direction du surintendant général des Postes, le système postal

s’améliore et se développe à tel point qu’à partir de 1708, les Français peuvent dorénavant

se tenir informé des horaires et des itinéraires postaux grâce au guide Livre de Poste, publié

régulièrement504. Les relais de poste synchronisés s’enchaînent à chaque douzaine de

kilomètres, plusieurs étant des auberges où les courriers peuvent se reposer ou changer de

499 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 47. 500 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 394. 501 Malartic à Lévis. Le 25 mai 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 330. 502 Lévis à Belle-Isle. Le 10 novembre 1759, dans Ibid., p. 266. Voir aussi Jean PARISEAU, « François-Marc-Antoine Le Mercier », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 495-497. 503 MATTELART, La communication-monde, p. 13 et François GASNAULT, « Postes et messageries », dans Lucien BELY (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, Presses Universitaires de France, 2006 (1996), p. 1006. 504 Ibid., p. 1007.

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cheval505. Pendant la guerre de Sept Ans, l’armée met à profit ce système lorsque Rouillé,

l’ancien ministre des Affaires étrangères, combine la distribution du courrier général et

celle de l’armée en 1759506. Il est à noter d’ailleurs que malgré la guerre, les commerçants

et négociants continuent leurs correspondances en France comme en Nouvelle-France507.

Toutefois, dès sa création au siècle précédent, la poste devient la cible d’espions, et la

guerre de Sept Ans ne fait pas exception. Pendant toute la durée du conflit, les Prussiens

sont mieux informés sur les Français que l’inverse : ils sont tellement efficaces en matière

d’espionnage épistolaire qu’ils réussissent même à obtenir des copies de lettres

ministérielles508. De surcroît, la poste française n’est pas ciblée que par l’ennemi, mais

aussi par le gouvernement lui-même! La transgression de la confidentialité du courrier, par

crainte perpétuelle de conspiration contre le Roi, augmente à tel point que « Les cahiers de

doléances de 1789 dénonceront cette pratique comme “l’une des plus absurdes et l’une des

plus infâmes inventions du despotisme”509 ».

Le réseau postal en Nouvelle-France est loin d’être aussi bien organisé qu’en Europe.

Ce n’est qu’à partir de 1721 qu’il y a une tentative officielle d’établir une ferme liée au

courrier colonial. Dans une ordonnance à cet effet, le trajet des lettres entre Québec,

Montréal et Trois-Rivières est décrit comme n’ayant été mené jusque-là « que par des

canots, soit par occasion ou par express […] ce qui est sujet à des dépenses considérables et

à des retardements très préjudiciables au bien et au commerce de la colonie510 ». La

responsabilité d’établir « des bureaux de poste comme aussi des messageries et autres

voitures publiques, ainsi qu’ils le sont en France511 » est offerte à Nicolas Lanoullier de

Boisclerc, demi-frère du grand voyer Jean-Eustache Lanoullier de Boisclerc. Bien que cette

ferme lui octroie effectivement le monopole sur le courrier entre les trois principales villes

de la vallée du Saint-Laurent, l’affaire semble n’aller nulle part puisque Lanoullier néglige

505 On estime à environ 1 400 le nombre de relais en tout à la fin du XVIIIe siècle. Jean-Pierre POUSSOU, « Auberges et relais de poste », dans Michel FIGEAC (dir.), L’ancienne France au quotidien, p. 39. 506 GASNAULT, « Postes et messageries », p. 1008. Pour une discussion plus complète des responsabilités partagées entre la Ferme des Postes et l’armée, voir Eugène VAILLÉ, Histoire générale des postes françaises. Tome VI, Paris, Presses Universitaires de France, 1953, p. 336-370. 507 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 156. 508 KENNETT, « French Military Intelligence... », p. 203-204. 509 MATTELART, La communication-monde, p. 14. 510 FOURNIER, La Nouvelle-France au fil des édits, p. 365. 511 Ibid.

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d’enregistrer son brevet auprès du Conseil supérieur512. En Louisiane, la Compagnie des

Indes essuie un échec semblable en 1720 lorsqu’une proposition d’établir un relais de

postes entre Biloxi et le Pays des Illinois ne mène à rien513. Même à la fin du Régime

français, la faible population de la Louisiane, par sa faible répartition géographique,

excluent l’idée même d’élaborer un système de poste officiel514. Néanmoins, malgré

l’absence de preuves de l’existence d’un système développé dans la vallée du Saint-

Laurent515, le service entre Québec et Montréal demeure tout de même plus ou moins

régulier, la livraison prenant quatre jours516 (bien que dans les cas d’urgence, on puisse

réduire la durée à deux jours517), s’appuyant le plus souvent sur les voyageurs518 et en

partie sur des messagers professionnels (ces derniers seront traités plus en profondeur un

peu plus loin). Selon le témoignage d’Élisabeth Bégon, il arrive même à l’occasion qu’on

fasse appel à une livraison supplémentaire du courrier pour le jour de l’an519. D’ailleurs,

comme en France, la correspondance militaire et civile semble se mélanger, littéralement, à

en croire la plainte du gouverneur à ce sujet520.

Ailleurs sur le territoire, la poste en Nouvelle-France demeure rudimentaire et ne fera

l’objet de vraies améliorations qu’après la Conquête. En effet, à partir de 1763, la poste

canadienne devient une branche supplémentaire du réseau colonial britannique déjà sujet

aux réformes postales mises en œuvre par Benjamin Franklin, William Hunter et John

Foxcroft depuis 1753521. D’ailleurs, en réaction à la guerre, l’armée britannique mène ses

512 S. Dale STANDEN, « Nicolas Lanoullier de Boiscler », dans DBC, Vol. III de 1741 à 1770, Québec, Presses de l’Université Laval, 1974, p. 380-382 513 N. M. Miller SURREY, The Commerce of Louisiana during the French Régime, 1699-1763, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 2006 (1916), p. 91. 514 BANKS, Chasing Empire across the Sea, p. 181. 515 HARRISON, Until next year, p. 78-80. 516 GRAGG, « Transportation and Communication », p. 505. 517 À l’inverse, Pehr Kalm témoigne du retard possible selon le vent : « […] la violence du courant est telle que pour peu que nous eussions eu des vents contraires, nous aurions pu être retenus quatorze jours en route. » CASSEL, « Troupes de la marine... », p. 289 et KALM, Voyage de Kalm en Amérique, p. 199. 518 Voir par exemple Ibid., p. 196. 519 BÉGON, Lettres au cher fils, p. 76. 520 « Le courrier que vous m’avez expédié m’a remis toutes mes lettres en très mauvais état, ainsi qu’à Monsieur l’intendant. Je vous prie de recommander qu’on fasse un paquet séparé de ces lettres et qu’on ne les mêle pas avec celles du public. » Vaudreuil à Lévis. À Montréal, le 9 mai 1760, dans H. R. CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Vaudreuil au Chevalier de Lévis, Québec, L.-J. Demers & Frères, 1895, p. 178. Voir aussi sa lettre du 15 mai, Ibid., p. 185. 521 GRAGG, « Transportation and Communication », p. 505.

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propres changements à son réseau colonial en instaurant un service stable d’envoi

transatlantique mensuel, en plus d’augmenter la fréquence des livraisons et des routes

terrestres522. Franklin doit ainsi coordonner entre autres la livraison de courrier entre

Braddock et les gouvernements coloniaux523.

Au contraire, il ne semble pas y avoir d’indication que l’armée française ait cherché à

améliorer son réseau postal en Amérique. L’état-major prend en charge la transmission de

son propre courrier comme il le peut. Le tout se fonde sur un système plus ou moins

informel où le transport de courrier est souvent une tâche secondaire à la mission principale

du porteur524.

3.3 LES COURRIERS ET MESSAGERS Bien qu’il n’existe pas de corps dédié au service postal dans l’armée en Nouvelle-France, la

tâche de transmettre des ordres revient tout de même à certains individus désignés par leur

rang. Le dictionnaire militaire d’Aubert de La Chesnaye Des Bois de 1743 donne des

indications qui permettent de se douter qui, parmi l’état-major, gère l’envoi de courrier.

L’aide de camp, par exemple, « est un Officier qui reçoit & qui porte les ordres des

Officiers Généraux525 ». Le major porte aussi la responsabilité de transmettre les ordres.

Dans l’absence d’un major, les responsabilités « du détail526 » reviennent à l’aide-major,

présent dans chaque bataillon au Canada. Cet officier doit, entre autres, « veiller à tous les

événemens d’une Armée. […] Tous les soirs il va prendre l’ordre du Général; il écrit ce

qu’il ordonne sur des tablettes afin de n’y rien changer; […] Il y a chez lui un Sergent

d’Ordonnance par chaque Brigade, pour porter les Ordres quand il survient quelque chose

de nouveau527 ». En pratique, toutefois, les archives révèlent que les sergents d’ordonnance

ne sont pas les seuls à remplir la fonction de messager.

522 Ibid., p. 506. 523 PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 93. 524 Par exemple, en avril 1754, le gouverneur Duquesne achemine une lettre au sieur Contrecœur par l’entremise d’ouvriers qu’il envoyait de toute façon au poste de Chatakoin sur la rive sud du lac Érié. Duquesne à Contrecœur. À Montréal, le 27 avril 1754, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 119. 525 François-Alexandre AUBERT DE LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire militaire ou recueil alphabétique de tous les termes propres à l’Art de la Guerre, Lausanne et à Genève, Chez Marc-Michel Bousquet & Compagnie, 1743, p. 11. 526 Ibid., p. 11. 527 Ibid., p. 327.

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Cela dit, selon le Dictionnaire de l’Académie française de 1762, un messager est celui

« Qui fait un message, qui vient annoncer quelque chose, soit de lui-même, soit envoyé par

autrui. » Il est précisé qu’il « est aussi celui qui est établi pour porter ordinairement les

paquets & les hardes d’une ville à une autre. Le Messager de Poitiers à Paris. Le Messager

de Bordeaux. On a établi des Messagers dans toutes les villes du Royaume. Messager à

pied. Messager à cheval. Messager avec une charrette. Messager Juré. Portez ce paquet au

Messager. Il s’en est allé par le Messager, par la voie du Messager528. » Le courrier quant

à lui est simplement « Celui qui court la poste pour porter les dépêches529. » Alors qu’on

pourrait penser que les deux termes soient facilement interchangeables, ils ne semblent pas

être utilisés en même temps dans les sources. Pendant la période de la guerre de Sept Ans,

le terme « courrier » semble supplanter « messager530 ».

Qui sont ces messagers, ou plutôt, courriers? Il est difficile de dresser une liste. Les

formules habituelles des lettres cachent malheureusement l’identité des messagers jugée

sans importance et sous-entendue (par exemple : « Jay Reçue par le porteur de celle-cy une

lettre de...531 »). Sur les 405 instances du mot dans la collection Casgrain, seul deux

individus sont nommés spécifiquement comme « courriers »532. La base de données

Parchemin, qui recense les actes notariés du Régime français, permet quant à elle

d’identifier les professionnels mentionnés dans les greffes de notaire. En tout, six individus

portent le titre de « courrier ordinaire pour le Roi » ou « au service de Sa Majesté » (Simon

Barbaux et François Lachambre), « courrier pour l’Acadie » (Pierre-Noël Malbœuf),

528 ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire de l’Académie françoise, Tome 2, Paris, Veuve B. Brunet, 1762, p. 129. 529 ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire…, Tome 1, 1762, p. 427. 530 Le terme « messager » n’apparaît pas dans la collectin Casgrain. Une recherche de mots clés dans les actes notariés du Régime français énumérés dans la base de données Parchemin indique que les messagers professionnels sont rares dans la colonie. En effet, deux individus seulement portent le titre de « messager du roi » : Pierre Dasilva dit Portugais et Jean Moran ou Marand (le beau-fils de Dasilva). Toutefois, il est permis de se douter que d’autres individus peuvent être identifiés comme messagers à l’aide d’autres sources. Voir l’exemple de Jean Carrier, « Messager par eau », dans HARRISON, Until next year, p. 88, note 114. 531 Joncaire à Marin. À Rivière aux Bœufs, le 12 septembre 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 65. 532 Le premier, Layguirier, sergent de la Sarre, est proposé comme « poste-courrier » de Bourlamaque. Le deuxième, Barbot (Barbaux), « courrier », se plaint d’avoir fait six lieues à pied, les chevaux étant réservés au transport d’artillerie. Montcalm à Bourlamaque. À Québec, le 23 mai 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de M. de Bourlamaque…, p. 323 et Vaudreuil à Lévis. À Montréal, le 30 avril 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Vaudreuil…, p. 166.

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« courrier pour le roi au poste de Beauséjour » (François Migneau), « courrier pour le Roi

en la ville de Québec » (Nicolas Trudel) et enfin, tout simplement « courrier » (Nicolas

Tavaux). Bien entendu, il doit exister d’autres individus affectés au courrier : d’une part,

des individus nommés précédemment, seul Barbaux est mentionné dans la collection

Casgrain, et de l’autre, une poignée de noms supplémentaires est éparpillée dans les notices

du fonds C11A, principalement au Pays des Illinois pendant les années 1740. Les actes

notariés ne nomment donc pas tous les courriers de profession et surtout pas les courriers de

circonstance. Il est aussi à noter que le nombre de courriers professionnels augmente

considérablement après 1763 sous le Régime britannique, un phénomène sans doute lié aux

réformes postales implantées.

Encore une fois, il n’existe pas de branche de l’armée dédiée uniquement au courrier.

Selon le besoin, on s’appuie sur d’autres membres de l’état-major, des officiers, des soldats,

des miliciens, des guerriers autochtones et parfois des marchands occupés à ravitailler les

troupes. Sans oublier qu’il y a souvent un relais de différents messagers selon la distance.

Parfois, il s’agit de faire d’une pierre deux coups : par exemple, le chevalier de Lévis

profite d’un groupe d’Abénaquis rapportant des prisonniers capturés entre le fort George

(William Henry) et le fort Lydius (Edward) pour envoyer des lettres à Montcalm533.

Justement, en ce qui concerne les Autochtones, on demande souvent dans la

correspondance de s’assurer à ce que ses messages soient confiés à des « sauvages

affidés », c’est-à-dire à qui on peut se fier534. En effet, les courriers autochtones ne sont pas

toujours fiables : certains sont des agents doubles qui vont rapporter la correspondance à

leurs propres chefs de guerre. Bien sûr, la nation d’origine du messager compte pour

beaucoup. Par exemple, bien que le baron Dieskau n’aime pas les courriers autochtones et

se méfie de leur fidélité, il semble apprécier les Abénakis, parmi les plus proches alliés des

Français535. Mais les officiers n’ont pas toujours le choix du messager. Il arrive parfois

qu’un poste soit entièrement dépendant des Autochtones. Lorsque ceux-ci ne sont plus

disponibles pendant l’hiver, le débit de nouvelles arrive au compte-goutte, comme en

533 Lévis à Montcalm. Le 20 août 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 60. 534 Duquesne à Contrecœur. À Montréal, le 16 novembre 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 80. 535 BRUMWELL, White Devil, p. 67.

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témoigne Bonin en 1760536. Pourquoi une telle dépendance? Une lettre de Michel Maray de

La Chauvignerie, qui fait état d’un messager lui « ayant manqué », sous-entend que les

messagers autochtones sont le plus souvent choisis pour leur connaissance du trajet menant

au destinataire537. Effectivement, il ne faut pas oublier qu’au-delà des chemins aménagés

par les colons, l’Amérique est striée de sentiers autochtones préexistants, pour la plupart

des portages538. Mais dans ce cas-ci, La Chauvignerie se voit obligé d’envoyer une

nouvelle lettre, confiée cette fois-ci à deux officiers « qui [lui] assure[nt] Savoir les

chemins539 ».

Enfin, en dehors de la transmission régulière de la correspondance540, dans les cas

d’urgence on fait appel au « courrier extraordinaire ». Bien que le terme n’apparaisse

qu’une demi-douzaine de fois dans la collection Casgrain, on peut sous-entendre que ce

service est évidemment plus fréquent. En effet, hormis les urgences, on s’en sert également,

par exemple, pour avertir de l’arrivée de nouveaux navires au port de Québec.

3.3.1 DÉPLACEMENTS DES COURRIERS

Le messager, ou courrier comme il est nommé dans les sources de la guerre de Sept Ans,

est l’instrument essentiel derrière la cohésion de l’armée. Toutefois, la principale limite du

renseignement au XVIIIe siècle est le fait que l’information acquise doit être transmise à

l’état-major plus rapidement que l’ennemi ne peut se déplacer. Keegan rappelle que la

faiblesse d’un messager est le temps : alors qu’une armée à pied franchit environ 3 miles

(4.8 km) par heure et qu’un messager à cheval peut se déplacer six fois plus vite, cet

avantage est réduit du fait que le messager doit également entreprendre le chemin du retour.

536 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 184. 537 La Chauvignerie à Saint-Pierre. À Chiningué, le 26 février 1754, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 104. 538 Comme l’écrit le chevalier d’Aleyrac, « ils connaissent les chemins sous bois et ont ainsi un avantage considérable sur nous ». Jean-Baptiste d’ALEYRAC, (Édité par l’abbé Charles COSTE), Aventures militaires au XVIIIe siècle d’après les Mémoires de Jean-Baptiste d’Aleyrac, Paris, Editions Berger-Levrault, 1935, p. 44. En ce qui concerne ces sentiers dans la région des Grands Lacs pendant le XVIIIe à la fin du Régime français, voir Helen Hornbeck TANNER et al., Atlas of Great Lakes Indian History, Norman, University of Oklahoma Press, 1987, p. 40-41. 539 La Chauvignerie à Saint-Pierre. À Chiningué, le 26 février 1754, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 104. 540 La fréquence et l’horaire des courriers réguliers est difficile à cerner, mais quelques indices existent. Par exemple, un courrier part de Québec chaque lundi. Montcalm à Lévis. À Québec, le 21 mai 1756 et Montcalm à Lévis. À Montréal, le 6 janvier 1759, dans H. R. CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Montcalm au Chevalier de Lévis, Québec, L.-J. Demers & Frères, 1894, p. 11 et p. 144.

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Entre-temps, sur ce retour, l’ennemi continue de s’approcher541. L’urgence oblige et il n’y a

donc pas d’heure fixe pour recevoir les messagers. On peut tout aussi bien recevoir un

messager à minuit comme à 3h du matin542. Malgré cela, les courriers ne sont pas toujours

efficaces. Bougainville rapporte l’exemple d’un courrier parti, comme lui, de William

Henry avec 36 heures d’avance, mais arrivé à Montréal seulement trois heures avant lui543.

La transmission de correspondance passe de poste en poste. Comme le décrit si bien

Gilles Havard, « Chaque poste constitue l’une des ramifications d’une chaîne de

commandement centrée à Versailles et qui forme la charpente du pouvoir impérial544. » En

général, la correspondance suit un parcours à relais à partir de Québec et de Montréal vers

les principaux noyaux militaires pour enfin rejoindre leurs dépendances. Par exemple, la

lettre de Vaudreuil annonçant la capitulation de Montréal sera transmise séparément à

Michilimackinac et au fort Détroit, d’où elle sera envoyée à leurs dépendances comprenant

entre autres le fort Saint-Joseph et le fort Ouiatenon545. Dans son Mémoire sur l’état de la

Nouvelle-France (1757), Bougainville souligne l’importance de deux postes en particulier :

Détroit d’abord, pour ses liens vers les Illinois, mais surtout le fort Niagara, qui est « la clef

des Pays d’en Haut546 ». En effet, il ne s’agit que de capturer Niagara pour rompre la voie

la plus rapide entre les Pays d’en Haut et la vallée du Saint-Laurent.

Jay Cassel dresse un tableau du temps requis et de la distance à franchir entre les

destinations les plus importantes au Canada547. Quoiqu’approximatif, puisque les sources

de la guerre de Sept Ans sont remplies d’exemples de trajets plus rapides d’un jour ou

deux, on en retient tout de même une bonne moyenne. Plutôt que de s’attarder à le

reproduire ici, il suffit de retenir que le temps consacré au déplacement varie selon les

circonstances, particulièrement par les voies fluviales où le vent et le courant sont des

541 KEEGAN, Intelligence in War..., p. 21. 542 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 223 et p. 266. 543 Ibid., p. 232. 544 HAVARD, Empire et métissages, p. 200. 545 PRO, War Office 34, Vol. 8, F°57-58 (deuxième copie F°59-59v), Copy of a Lettre from the M.is of Vaudreuil to M.r de Belêtre Commandt of the Detroit: being Orders for the Execution of the Capitulation. Montreal 9.e September 1760. The same Letter wrote to M.r Beaujeu Commandant at Michillimakinac. Originals sent to Brig.r Monckton 12.th September. Copy Enclosed to M.r Secretary Pitt 4.th October. 546 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 62 et p. 70. 547 Voir le tableau 24, « Travel by Water in Canada », dans CASSEL, « Troupes de la marine... », p. 283.

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enjeux constants. Ces facteurs font en sorte qu’un courrier peut prendre moins de temps

pour revenir d’une destination que pour y aller. Le trajet Lachine-Michilimackinac, par

exemple, peut prendre en moyenne 45 à 52 jours, mais le retour requiert seulement 14 à 20

jours548.

Une fois qu’un message quitte Québec ou Montréal pour l’intérieur du continent, on

laisse aux commandants des forts la discrétion de choisir comment le transmettre à sa

prochaine destination549. Une fois arrivé chez le récipiendaire du message, le même

messager peut être réassigné par ce dernier vers un autre destinataire550. Le plus souvent, on

improvise le transport du courrier au besoin. Le hasard fait en sorte que ce dernier doit

profiter de toute opportunité qui se présente. Par exemple, le 7 novembre 1756,

Bougainville écrit : « Mr le Mis de Montcalm m’a donné ordre d’aller à Québec porter ses

dépêches aux derniers vaisseaux qui vont partir. Je me suis embarqué à 3 h. du matin sur

une goëlette qui descend à Québec chargée de pelleterie551. » Avant d’arriver à sa

destination, il doit débarquer à Trois-Rivières et poursuivre sa route successivement « en

calèche, à pied, [et] en charrette552 ».

L’illustration la plus éloquente de la distance que peut parcourir un courrier est le trajet

entre La Nouvelle-Orléans et le Canada, nécessitant des mois pour compléter le relais. En

1744, Vaudreuil, alors gouverneur de la Louisiane, reçoit une lettre du Canada envoyée

trois mois plus tôt, ce qu’il admet être rapide553 (pour comparer le sens inverse,

généralement plus rapide, Kerlérec, le successeur de Vaudreuil en Louisiane, apprend la

perte de Québec en décembre 1759 « par différentes voyes554 »). Vaudreuil ne prend pas de

548 Ibid. 549 Duquesne à Contrecœur. À Montréal, le 7 mars 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 23. 550 Joncaire à Marin. À Rivière aux Bœufs, le 12 septembre 1753, dans Ibid., p. 65. 551 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 156. 552 Ibid. 553 From Monsieur Vaudreüil, Governor of New Orleans, to the Commissary Director of the Marine at Canada, dated 1 March, 1744. Cité dans ANONYME. The Present State of the Country and Inhabitants, Europeans and Indians, of Louisiana, On the North Continent of America. By an Officer at New Orleans to His Friend at Paris [...], Londres, J. Millan, 1744, p. 31. 554 ANOM, Colonies, C13A 42, F°22. Kerlérec au ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 30 mars 1760. Dans une lettre ultérieure, Kerlérec précise que la flute portant le message est arrivée à La Balize le 30 décembre 1759, mais ne rejoint La Nouvelle-Orléans que le 18 janvier 1760. Tout comme au Canada, un message peut donc devancer l’arrivée du navire qui l’a transporté dès que celui-ci atteint l’embouchure du fleuve. ANOM, Colonies, C13A 42, F°56. Kerlérec au ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 4 août 1760.

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risque non plus dans sa réplique : il écrit au gouverneur du Canada à la fois par la voie des

Illinois et par celle de la France pour l’informer de l’état dans lequel il a trouvé la Louisiane

à son arrivée555.

Le trajet terrestre entre la Louisiane et le Canada impressionne même les

contemporains, comme Bougainville qui témoigne de son étonnement :

Il est arrivé ici le 9 [avril 1757], un homme venant de la Louisiane. Il en est parti le 1er juillet avec le convoi qui, tous les ans, est envoyé de cette colonie à l’établissement que nous avons aux Illinois. Il est reparti des Illinois la veille de Noël, et le voici enfin arrivé ayant eu pour guides, à travers les lacs et les bois, des Sauvages qu’il changeait de poste en poste. J’ai été étonné de voir ce courrier qui venait de si loin, d’une façon si peu commode, négligé à la porte de la chambre de Mr de Vaudreuil, et auquel on ne faisait pas plus d’attention qu’à un homme qui arriverait de Versailles à Paris.

Par les nouvelles qu’il a rapportées de la Louisiane, on y jouit d’une paix profonde. Les heureux habitants de ce beau pays ignoraient encore au mois de juillet que la guerre fût déclarée. Puissent-ils l’ignorer toujours!556

Un deuxième document nous éclaire un peu plus sur le parcours qu’emprunte le

courrier provenant d’aussi loin que les Carraïbes : au début de 1759, le Sieur Tardiveau

(commandant une corvette appartenant aux directeurs des Vivres du Canada) quitte Saint-

Domingue avec des paquets de courrier pour le marquis de Vaudreuil (gouverneur général

de la Nouvelle-France et gouverneur du Canada à cette date, rappelons-le). Le bâtiment

arrive à La Nouvelle-Orléans le 19 février. Le courrier est confié le lendemain au Sieur

Lavau (36 ans, enseigne en second) qui va jusqu’aux Arkansas. Le 20 mars, Lavau repart

« à pied557 » pour se rendre aux Illinois, où il y arrive le 15 avril. Monsieur de Macarty,

commandant du fort de Chartres, fait envoyer le courrier le 16 avril pour Montréal. À elle

seule, cette moitié de parcours nécessite au moins 3 mois558. À la lumière de ces distances

incommensurables pour les métropolitains, on ne s’étonne guère en lisant Pouchot qui

555 From the Governor of New Orleans, to the Governor of Canada. Cité dans ANONYME. The Present State of..., p. 43. 556 En effet, bien que sur le pied d’alerte, le gouverneur Kerlérec écrit à Versailles en octobre 1757 pour se plaindre qu’il n’avait pas eu de nouvelles de la cour depuis le 15 juillet 1755! BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 177 et ANOM, Colonies, C13A 39, F°277 et 280. Kerlérec au ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 21 octobre 1757. 557 Il est difficile de savoir au juste quand il s’agit littéralement de marcher ou bien si l’officier en question a emprunté des voies fluviales. D’ailleurs, lorsqu’un officier écrit qu’il se déplace à « marche forcée », il est difficile de savoir, sans contexte, s’il veut dire littéralement à pied ou simplement qu’il s’est empressé. 558 ANOM, Colonies, C13A 41, F°70-70v. Kerlérec au Ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 25 mai 1759.

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explique que traditionnellement « la qualité la plus estimable d’un officier et d’un soldat

dans ce pays, était d’y être réputé pour avoir une bonne jambe559. »

3.3.2 LE COÛT D’UN COURRIER

Lorsqu’un courrier arrive à destination, il est normal « [d’]exiger un reçu560 » pour

demander le remboursement de ses frais. Par contre, Bougainville ne dresse pas un portrait

reluisant en ce qui concerne les montants consacrés à faire porter des messages (ni des

dépenses de la colonie en général) : « Outre que le Roi est toujours volé, et qu’on ne

s’occupe pour l’ordinaire qu’à enrichir des particuliers, rien ne se fait en Canada par

corvée, et l’habitant est payé de ses travaux, soit pour voitures, voyages, transports,

charrois, exprès envoyés pour porter des ordres; on paye les frais de voyage à un homme

qui a l’air de voyager pour le service du Roi561 ». En effet, une comparaison des prix et

distances connues dans les billets de l’Acadie indique que faire porter un message coûte

entre 1 à 3 livres par lieue562. En dehors de ces exemples, les prix sont établis selon la

destination. Par exemple, 300 livres pour se déplacer du fort Ouiatenon à Détroit, 200 livres

de l’Isle Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard) à Miramichi, 200 livres de Restigouche à

Caraquette, etc. Alors que la plupart des prix semblent fixes à première vue, il y a, encore

une fois, certaines variations. Par exemple, de Détroit aux Illinois, un billet en date du 29

avril 1759 note 500 livres pour un individu, contre 142 livres pour deux individus sur un

reçu du 15 décembre 1760563. Pourquoi un tel écart? Sans doute car depuis la capitulation à

Montréal, il y a nettement moins d’urgence à relayer le courrier.

Bien sûr, outre le salaire, il y a d’autres dépenses liées aux courriers. Il faut également

s’assurer de fournir et de dédommager le coût de canots564, de raquettes565, de toboggans566

559 POUCHOT, Mémoires..., p. 35. 560 Duquesne à Contrecœur. À Montréal, le 19 mars 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 24-25. 561 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 87. 562 Pour les fins de cette thèse, nous avions accès au fichier Excel original des Certificats du Canada et billets de l’Acadie, dont les données sont enfin accessibles chez BAnQ. [En ligne : http://www.banq.qc.ca/archives/genealogie_histoire_familiale/ressources/bd/recherche.html?id=CERTIFICATS_2019.] 563 AN, Sections anciennes, V7 346, F°501v et F°397. 564 ANOM, Colonies, C11A 118, F°232. Certificat de François-Marie Picoté de Belestre, commandant au fort Saint-Joseph, déclarant que Claude Marin de La Perrière et Louis-Césaire Dagneau Douville de Quindre ont “fourni un canot d’écorce au Crapaud pour porter (des) lettres à Michillimakinac” (prix fixé à 125 l. par Bigot). Le 12 avril 1748.

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et tout « passage des rivières et louage des chevaux567 pour le service des courriers568 ». Le

simple transport d’un courrier entre la Pointe Lévy et Québec coûte au moins 1 livre569. Il

est à noter que les documents de la guerre de Succession d’Autriche semblent plus bavards

sur les fournitures nécessaires données aux messagers. Un bel exemple est le Mémoire et

emploi des fournitures faites au fort Saint-Joseph par Claude Marin de La Perrière du 28

juillet au 28 décembre 1747 qui énumère les types de provisions fournis aux courriers :

poudre, plomb, peaux de chevreuil (en Acadie, il peut s’agir de peaux de loup marin570),

couteaux, blé, viande, farine, etc571. La nourriture est d’ailleurs une des dépenses les plus

communes : dans les billets de l’Acadie, on retrouve plusieurs reçus pour le remboursement

de lard donné aux messagers, dont le montant dépend bien entendu de la distance

parcourue572. D’autres aliments fournis sont le pain573, la farine574, le maïs575 et de la

viande qui tend à être du bœuf ou du porc576. Parfois, on rembourse plutôt les habitants qui

fournissent des repas aux courriers577. Il n’est pas anodin de noter que les courriers seraient

en temps normal mieux nourris que les soldats, à en croire Montcalm en 1757 qui souligne

qu’il ne faut pas donner davantage de pain aux courriers alors que l’état-major donne lui-

même l’exemple au peuple en période de disette578. Enfin, il est également à noter que les

reçus pour les vivres dépassent amplement les reçus pour service de courrier en soi. Il est à

se demander si d’une part il y a plus de courriers actifs que ne l’indiquent les archives, ou

565 AN, Sections anciennes, V7 346, F°649. Voir aussi F°202; 213; 293 et 536. 566 Ibid., F°373. 567 Le terme « cavalier d’ordonnance » existe dans les sources, mais rien ne semble approfondir le sujet dans les archives. 568 ANOM, Colonies, C11A 116, F°136v-137. La Galissonière au ministre. Bordereau des dépenses générales dont les acquits ont été payés par le trésorier de Québec sur les fonds de l’exercice de l’année mille sept cent quarante-huit depuis le premier janvier jusqu’au dernier septembre de ladite année. À Québec, le 1er novembre 1748. 569 AN, Sections anciennes, V7 346, F°419. 570 Ibid., F°592v. 571 ANOM, Colonies, C11A 118, F°137-138. Mémoire et emploi des fournitures faites au fort Saint-Joseph par Claude Marin de La Perrière. Le 12 avril 1748. 572 AN, Sections anciennes, V7 346, F°650v; F°302v; F°293 et F°42v-43. 573 Ibid., F°42v-43; 45 et 393v. 574 Ibid., F°374v. 575 Ibid., F°88v-89; 128; 293; 364; 374v et 455. 576 Ibid., V7 346, F°128; 374v et 377. 577 Ibid., V7 346, F°39; 39v; 43; 90v; 194; 204v; 358v; 365 et 369. 578 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 259.

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bien si, comme Bougainville le relevait plus tôt, les gens se plaisent à exagérer le nombre

de reçus donnés au roi…

3.3.3 SÉCURITÉ DES COURRIERS

Déjà en 1754, même si la guerre n’est pas ouvertement déclarée, il devient de plus en plus

dangereux de faire passer des courriers dans la vallée de l’Ohio alors que chaque camp

cherche à s’informer sur les réelles dispositions de l’autre. Une lettre de Michel Maray de

La Chauvignerie, partageant les précautions mises en place pour protéger son messager, est

l’une des rares à démontrer non seulement un souci pour le paquet à livrer, mais aussi un

réel souci pour la vie humaine : « j’aurois a me reprocher toute la vie si je sacrifiois par

manque de precaution les interets du service en Exposant les Lettres a etre prises et la vie

de l’honnête homme qui les porte, lequel je Suis certain ne les abandonneroit qu’apres la

mort […] je ne seray tranquille qu’apres la nouvelle de son arrivée […]579 ».

En effet, l’état-major doit prévenir si possible tout malheur qui pourrait arriver à un

courrier et sa charge. En 1757, Vaudreuil tient à envoyer à M. de Moras, secrétaire d’État

de la Marine, « deux cartes et deux mémoires » de la main de Lévis580. Bien que le

gouverneur incite Lévis à envoyer ces informations au plus vite par messager à Louisbourg,

le chevalier ne juge pas prudent de confier ces documents à un seul courrier. Même si le

temps presse pour faire parvenir un message au prochain navire quittant la colonie, la

prudence doit prendre le dessus pour assurer la sécurité de cette information sensible. Lévis

prendra donc le parti d’attendre « une occasion plus sûre, qui sera le départ des premiers

vaisseaux [au printemps]581 ». Bien entendu, la sureté d’un messager n’est jamais garantie.

Il arrive qu’il se fasse tuer par des partis autochtones et que ses lettres tombent entre les

mains de l’ennemi. D’autre part, il arrive qu’un message doive passer les lignes coûte que

coûte. C’est le cas pendant le siège du fort Niagara alors que Pouchot reçoit le soir du 20

juillet 1759 des nouvelles du siège de Québec. Afin d’informer ses supérieurs qu’il est lui-

579 La Chauvignerie à Contrecœur. À Chiningué, le 11 mars 1754, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 109-110. 580 Lévis à Paulmy. Le 10 octobre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 178. 581 Ibid., p. 179.

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même assiégé, il fait envoyer un canot avec des dépêches pour Montcalm et Vaudreuil

malgré le bombardement582.

Bien entendu, les Français ne se limitent pas seulement à protéger leurs courriers, mais

cherchent également à intercepter le courrier ennemi. Entre autres, Boishébert en Acadie

charge des dizaines d’Acadiens d’embusquer les courriers de Halifax583. De plus, si

plusieurs courriers britanniques se font capturer ou tuer, un cas en particulier devient

célèbre : celui du messager intercepté par les alliés autochtones de Montcalm pendant le

siège du fort William Henry. La lettre qu’il portait devait informer Munro au fort William

Henry de l’incapacité de Webb au fort Edward à le secourir. Si sa mission fut un échec, sa

lettre fut tout de même immortalisée dans le roman Le dernier des Mohicans de James

Fenimore Cooper.

Malgré toutes les précautions, il arrive que les messagers en danger doivent se

débarrasser du courrier qu’ils transportent. Deux exemples britanniques illustrent le genre

de situation dans lequel ils peuvent se trouver : alors qu’il est capturé par des Abénakis, le

capitaine Kennedy ne trouve rien de mieux que de dévorer les lettres d’Ahmerst adressées à

Wolfe. Toutefois, il n’a vraisemblablement pas le temps (ou l’appétit!) de disposer

pareillement de lettres de confrères trouvées dans deux contenants de fer-blanc584. Un mois

plus tard, Amherst est toujours sans nouvelles de la prise de Québec. Alors que des

informations lui arrivent au compte-goutte, c’est Robert Stobo, parti le 11 septembre de la

Pointe Lévy, qui est chargé de lui mener des dépêches du front. À son approche de Halifax,

son sloop est intercepté par des corsaires. Ne prenant aucun risque, Stobo largue la

correspondance par-dessus bord. Amherst s’en plaindra dans son journal le 9 octobre, « so I

am not a whit the wiser585 ».

En général, un havresac ou un étui en cuir suffit amplement pour porter les lettres. Mais

comment protège-t-on un message sensible? Les idées ne manquent pas pour les dissimuler.

582 POUCHOT, Mémoires..., p. 113. 583 ANOM, Colonies, C11A 101, F°28-31v. Vaudreuil de Cavagnial au ministre. À Montréal, le 15 juin 1756 et ANOM, Colonies, C11A 102, F°22-23. Vaudreuil de Cavagnial au ministre. À Montréal, le 19 avril 1757. 584 BRUMWELL, White Devil, p. 154. 585 La nouvelle de la prise de Québec rejoint enfin Amherst le 18 octobre par deux voies : la première, par Thomas Gage à Oswego lui envoyant le rapport de prisonniers français et la deuxième, par le gouverneur de New York confirmant la nouvelle. AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 178 et p. 182.

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Parmi les nombreux exemples de cornes dites à poudre du XVIIIe, il existe au moins un

modèle survivant de nos jours dont la fonction était l’entreposage de messages plutôt que

de charge. En effet, par sa nature étanche, une petite corne avec un bouchon peut aisément

servir à protéger le message d’un courrier586. Sans oublier que le messager de Webb

pendant le siège du fort William Henry avait dissimulé le message destiné à Munro dans la

doublure de sa veste587. La découverte de ce message mérite d’ailleurs qu’on s’y arrête

quelques instants. Il existe plusieurs chroniqueurs de l’histoire, la plupart ne faisant que

répéter les faits élémentaires sans avoir été des témoins directs. Néanmoins, le témoignage

du jésuite Pierre-Joseph-Antoine Roubaud, missionnaire chez les Abénaquis d’Odanak et

accompagnant leurs guerriers au lac George, vient apporter un détail supplémentaire très

intéressant : « On se saisit d’une lettre insérée dans une balle creusée, si bien cachée sur le

corps du défunt, qu’elle auroit échappé aux recherches de tout autre qu’à celles d’un

militaire qui se connaît à ces sortes de ruses de guerre588. » Une balle creusée? Ce détail

peut sembler à première vue particulièrement étrange. Tous les témoins de l’affaire

s’entendent que le message était caché dans la doublure du manteau, mais Roubaud semble

être le seul à mentionner cette « précaution » supplémentaire. Comme il en sera question au

chapitre 5, Roubaud démontre qu’il peut au besoin faire appel à une imagination fertile et a

un penchant pour l’exagération. Quel poids accorder à ce détail, alors? Dans les faits, cet

exemple d’une « balle creuse » au XVIIIe siècle pour transmettre un message n’est pas un

cas isolé. Pendant la Révolution américaine, une balle en argent est utilisée pour

transmettre un message entre Henry Clinton et le général Burgoyne. La capsule d’argent,

ou « silver bullet » comme elle est connue dans l’historiographie de cette guerre, se

trouverait présentement dans les collections du fort Ticonderoga dans l’état de New

York589. Les Mémoires d’artillerie de Saint-Rémy, la bible des artilleurs de l’époque,

appuie une pratique semblable. On y lit : « Ce que l’on appelle boulets messagers, sont des

boulets creux dont l’on se servoit autrefois pour porter des nouvelles dans une Place de

586 John S. DU MONT, American Engraved Powder Horns: The Golden Age. 1755/1783, Canaan, New Hampshire, Phoenix Publishing, 1978, p. 34. 587 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 226. 588 Charles LE GOBIEN et al., Lettres édifiantes et curieuses écrites par des missionnaires de la Compagnie de Jésus, Montréal, Boréal, 2006, p. 205. 589 H. P. PELL, Fort Ticonderoga. A Short History, Ticonderoga, New York, Fort Ticonderoga Museum, 1975, p. 111.

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guerre, & l’on ne mettoit qu’une faible charge de poudre pour les faire tomber où l’on

vouloit, & ces sortes de boulets estoient d’ordinairement couverts de plomb, & la plupart

estoient de plomb sans mélange de fer590. » Preuve encore une fois que les idées ne

manquent pas pour dissimuler les messages, même au XVIIIe siècle.

Bien qu’habituellement un seul messager suffise pour transmettre le courrier, il n’est

pas inhabituel d’envoyer plusieurs hommes ensemble591. Non seulement ces

accompagnateurs peuvent-ils servir de guide ou de pilotes592, mais aussi de protection,

surtout s’ils profitent de la dépêche pour transférer des prisonniers. Par exemple, à

Chouaguen, le sieur Godet va porter « des dépêches à Mr le Mis de Vaudreuil avec un canot

armé de 6 hommes et il conduira 2 déserteurs anglais593 ».

À la fin, toutefois, le plus grand risque de fuite d’information n’est pas toujours

l’ennemi, mais les courriers eux-mêmes. Le 3 juin 1760, le gouverneur s’en plaint à un

officier :

Il importe dans les circonstances presentes que tout ce que vous aurez a m’apprendre du bas du fleuve ou de tout autre part, soit d’un secrêt impenetrable et je vous prie de ne pas heziter de punir les couriers et autres personnes qui parleront indiscretement des nouvelles dont ils seront porteurs. Ayez la bonté d’en avertir les couriers et que je chatierai ceux qui se mettront dans ce cas.594

3.4 CONVOIS De tous les moyens pour transmettre le courrier, le plus constant est le convoi. Après tout,

l’armée doit régulièrement s’assurer de bien fournir ses effectifs en ravitaillement,

équipement et munitions. On profite donc de ces mouvements d’hommes et de matériel

pour transmettre le courrier régulier. Au Canada, les convois sont gérés par une alliance

590 Pierre Surirey de SAINT REMY, Mémoires d’artillerie. Première partie. Estat où se trouve aujourd’huy l’Artillerie de France, Paris, Jean Anisson, 1697, p. 81. Nous remercions Cathrine Davis pour la référence. 591 Dans un cas, le gouverneur fait envoyer un dénommé Francheville Guadet « accompagné de deux Maitres hommes [c’est-à-dire fiable et obéissant] et un sauvage ». Duquesne à Contrecœur. À Montréal, le 27 janvier 1754, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 92. 592 Par exemple : AN, Sections anciennes, V7 346, F°651v; F°370v et F°371. 593 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 117. 594 Vaudreuil à Dumas. À Montréal, le 3 juin 1760, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 39.

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entre les intérêts publics et privés, gérée en grande partie par le négociant et munitionnaire

du roi Joseph-Michel Cadet595.

3.4.1 LAC CHAMPLAIN

Le relais du ravitaillement du lac Champlain suit une chaîne qui débute à Montréal,

rejoignant le fort Chambly puis le fort Saint-Jean, avant d’être transporté au fort Saint-

Frédéric et enfin au fort Carillon. Le segment entre le fort Saint-Jean et le fort Saint-

Frédéric fait 40 lieues à lui seul, soit un trajet prenant en moyenne trois jours596. Ce relais

régulier entre Montréal et le fort Carillon est assuré par le marchand Clément de Sabrevois

de Bleury, chef des services de transport de l’intendant597. De nombreuses barques et

canots sillonnent tant la largeur que la longueur du lac, mais il existe également de plus

gros bâtiments, dont une goélette de 80 tonneaux en construction pendant l’hiver 1756-

1757 à Saint-Jean par 25 charpentiers du roi, devant servir au transport de canons et ensuite

dédiée au convoi de vivres598. Ce convoi de ravitaillement peut comprendre à l’occasion

plus de 54 bateaux à la fois avec une capacité de trois tonnes chacun599. Néanmoins, il y a

toujours « une barque qui sert au va-et-vient pour les convois de St-Frédéric à Carillon600. »

Cette dernière est si régulière que les officiers notent leur surprise lorsqu’elle n’est pas

porteuse de lettres. Après la perte de contrôle du lac en 1759, il ne restera plus que trois

frégates françaises à l’embouchure du Richelieu sur le lac Champlain601.

3.4.2 LES GRANDS LACS

Le lac Ontario est le seul des grands lacs sur lequel navigue une flotte. En 1756, il y a

quatre barques armées sur celui-ci : la Marquise de Vaudreuil (20 canons), la Hurault (14

595 CÔTÉ, Joseph-Michel Cadet, p. 143. Voir aussi la section « Les transports vers les lieux de distribution », dans Ibid., p. 143-153. 596 Lévis à Mirepoix. Au camp de Carillon, le 4 septembre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 138. 597 Côté écrit que « Les sous-traitants [de Cadet entre Montréal et le fort Carillon] furent Joseph Demeule, Pierre Boileau et Joseph Paradis, de Chambly, Paul Perrot, de Deschambeault, et Louis Gouin, de Sainte-Anne de la Pérade. » Pourtant, seul Bleury figure dans le journal de Bougainville. CÔTÉ, Joseph-Michel Cadet, p. 145. 598 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 83. 599 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 151 et James S. PRITCHARD, « Clément de Sabrevois de Bleury », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 748-749. 600 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 129. 601 Lévis à Belle-Isle. Le 1er novembre 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 246.

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canons), la Lionne (6 canons) et le Saint-Victor (ou Victor, simplement) (4 pierriers)602.

Les Britanniques ont quant à eux au moins 6 barques. Les barques françaises mènent des

convois de munitions et on en profite sans doute pour le courrier aussi. Au fil de la guerre,

cette flotte va changer avec la capture et la construction de bâtiments. Par exemple, sur une

carte de 1757, la Lionne n’apparaît pas dans le dessin de la flotte française, remplacée par

la Louise603. D’ailleurs, au dénouement du siège de Chouaguen, les Français auront capturé

en tout un senau (20 canons), un brigantin (14 canons), une goélette (8 canons), deux

barques (10 et 4 canons) et un esquif (12 pierriers)604.

Malgré la présence de ces navires sur le lac Ontario, le canot est l’embarcation préférée

pour porter des lettres et des rapports605. De plus, il arrive souvent qu’un messager doive

devancer un convoi, particulièrement si ce dernier prend trop de temps à franchir un

portage. Il ne s’agit que de penser au portage de Niagara où un détachement de quelques

centaines d’hommes prend deux semaines pour franchir ses 12 kilomètres606.

3.4.3 LE MISSISSIPPI

Après près d’un siècle de présence française dans la vallée du Mississippi, les convois qui

suivent ce chemin fluvial demeurent quand-même de véritables expéditions qui n’ont rien

perdu du danger et des difficultés des premières explorations de Marquette et Jolliet et de

Cavelier de La Salle. Autochtones hostiles, animaux venimeux et chaleur pénible attendent

ces voyageurs. Hormis tout cela, les chroniqueurs contemporains s’entendent pour dire

qu’un des pires fléaux pour ces convois est les nuages de moustiques qui peuvent

transmettre le paludisme607. Se déplacer au cœur du continent par le fleuve et ses confluents

602 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 86. Dans un autre document, le nombre de canons et pierriers diverge quelque peu de ce que rapporte Montcalm. Voir : ANOM, Colonies, C11A 101, F°353v. Extrait des nouvelles en Canada, 1756. 603 La Louise existe au moins depuis 1756, selon Malartic. Pierre Boucher de LA BROQUERIE, Carte Du Lac ontario nouvellement Rellevé avec ces port a grand pois a bitté Lescadre Engloisse & francoisse Leur gremant Leur Cantité de Canon, 39 x 51 cm, 4 octobre 1757, British Library, Cartographic Items, King George III’s Topographical Collection, Maps K.Top.121.14, UIN : BLL01004987718 et MALARTIC, Journal des Campagnes au Canada…, p. 59. 604 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 98. 605 Par exemple, en juillet 1760, Pouchot rapporte : « Le 14, arriva le canot de la Force avec des lettres qui rendaient compte de sa reconnaissance de Chouegen, et dans lequel était un plan de la position des ennemis […]. » POUCHOT, Mémoires..., p. 162. 606 PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 141. 607 Ce n’est qu’au début des années 1950 que le paludisme, ou malaria, disparaît aux États-Unis.

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n’est donc pas une partie de plaisir. Cependant, le fleuve pose en lui-même le plus grand

défi à surmonter. Entre autres, ses courants forts et les branches et troncs d’arbres morts qui

parsèment la route sont un danger constant608.

Descendre le fleuve est plus rapide que de le remonter. Généralement, descendre des

Illinois vers La Nouvelle-Orléans requiert trois à quatre semaines alors que l’inverse

nécessite plutôt trois à quatre mois609. Néanmoins, à quelques rares occasions, la remontée

du Mississippi sur cette distance peut se faire très rapidement, soit sur un seul mois610. Cet

écart de temps dépend du niveau du fleuve selon la saison611. Autant celui-ci peut être

limpide un jour, il peut devenir par endroit un véritable torrent612 avec des fluctuations de

niveau de plus de 40 pieds613. Comme pour les voies du nord, le voyageur sur le

Mississippi peut tout de même bénéficier de l’inondation de portages qui raccourcissent

considérablement le trajet, épargnant par endroit une journée entière de voyage, mais sans

pour autant réduire le danger des arbres morts filant à toute allure dans le courant.

La fréquence des convois alterne selon les besoins : en temps normal, il n’y a qu’un

seul convoi par année de La Nouvelle-Orléans vers les Illinois. La guerre de Sept Ans

double leur fréquence ainsi que leur nombre de barques614. L’état de la colonie affecte

608 Le Père du Poisson raconte, en 1727, comment il dû faire demande pour une plus grande pirogue après avoir presque perdu un coffre et un passager lors d’une collision avec une grosse branche près de La Nouvelle-Orléans. LE GOBIEN et al., Lettres édifiantes..., p. 57. 609 EKBERG, French Roots…, p. 280. 610 Par exemple, une lettre du commandant du fort de Chartres, datée du 30 août 1759, est reçue le 24 septembre par le gouverneur à La Nouvelle-Orléans. Pierre Passerat de la Chapelle quant à lui va mener un convoi qui quitte La Nouvelle-Orléans le 24 avril et arrive au fort de Chartres le 24 mai 1761. Enfin, notons le sieur Bellenos qui fait l’allez-retour en 67 jours. ANOM, Colonies, C13A 41, F°103-103v. Macarty à Kerlérec. Aux Illinois, le 30 août 1759; GAGNÉ, Inconquis, p. 117 et Marc VILLIERS DU TERRAGE, Les dernières années de la Louisiane française : Le Chevalier de Kerlérec d’Abbadie – Aubry Laussat, Paris, E. Guilmoto, 1904, p. 117. 611 Il en est pareillement avec plusieurs rivières, dont la Rivière-au-Bœuf : « Cette rivière est très navigable le printemps, l’automne et souvent même l’hiver; l’été, l’eau y est très basse, il faut y traîner dans beaucoup d’endroits. » BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 68. 612 Nous ne pouvons nous empêcher de mentionner que nous avons eu la chance de voir ce phénomène en personne en visitant la région de l’ancien Pays des Illinois. Il ne s’agit que de prendre le petit traversier près de Sainte-Geneviève au Missouri pour constater la force du fleuve et le danger omniprésent des détritus sur ses flots en période d’inondation. Bien que la région bénéficie aujourd’hui de digues, de levées et de cloisons étanches, elle fait toujours périodiquement l’objet d’inondations graves, dont la pire a eu lieu en 1993. Il existe des photos du fort de Chartres—aujour’hui reconstruit—presque entièrement submergé. Ces problèmes d’inondation menèrent à l’abandon du fort en 1771. 613 LE GOBIEN et al., Lettres édifiantes..., p. 60 et p. 68. 614 SURREY, The Commerce of Louisiana…, p. 298-299.

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également leur fréquence. Au printemps 1760, la misère ressentie par la Louisiane met un

frein à la prochaine expédition prévue. Une lettre chiffrée du gouverneur Kerlérec décrit la

situation : « Le Convoy des illinois ne peut partir faute d’officiers pour en [destiner] pour

ce Poste, et de soldats pour y conduire ledit convoy et d’autres pour y [rester]

également615. »

Les convois sont généralement composés d’une série de bateaux à fond plat, soit une

vingtaine ou même plus616, escortés par des militaires en canot et en pirogues pour les

protéger. Même au Canada, on craint que les convois des Illinois ne soient attaqués par les

Britanniques, bien qu’il n’en sera rien617.

Le Pays des Illinois fournis déjà une partie de ses surplus agricoles à Détroit, mais à

partir de 1753, des convois sont également envoyés ravitailler la vallée de l’Ohio en

pénurie d’hommes et de blé618. Plusieurs officiers sont tour à tour chargés de les mener à

bon port, dont Claude Joseph de Favrot. Arrivé en Louisiane en 1732 à l’âge de 31 ans, il

dirige plusieurs convois pendant sa longue carrière dans « la province de la Louisiane619 ».

Les documents de Favrot sont d’ailleurs une belle fenêtre sur le déroulement de ces convois

et révèlent des détails intéressants qui méritent qu’on s’y attarde quelques instants620. Voici

quelques exemples tirés d’instructions qui lui sont données en 1754621 :

• Les voitures (c’est-à-dire les bateaux à fond plat) doivent se suivre le plus près possible

du même bord du fleuve et il est défendu aux Voyageurs de s’éloigner des camps.

615 ANOM, Colonies, C13A 42, F°10v. Kerlérec au ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 30 mars 1760. Néanmoins, le gouverneur trouvera l’équipage nécessaire par pure coïncidence. Voir : GAGNÉ, Inconquis, p. 115-118. 616 SURREY, The Commerce of Louisiana…, p. 45. 617 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 259 et p. 270. 618 Ces convois pour le fort Duquesne comportent une quinzaine de bateaux plats. SURREY, The Commerce of Louisiana…, p. 69 et p. 297; M. J. MORGAN, Land of Big Rivers. French & Indian Illinois, 1677-1778, Carbondale et Edwardsville, Southern Illinois University Press, 2010, p. 138 et EKBERG, French Roots…, p. 222-224. 619 Elle se termine avec son retour en France en 1767, où il meurt dix ans plus tard. The Favrot Papers, 1695–1769. Volume 1, p. ii. 620 La collection Favrot à la LaRC est une des plus importantes collections d’archives familiales aux États-Unis. Composée de correspondance tant militaire que civile, elle est d’un intérêt particulier pour quiconque s’intéresse à l’histoire de la Louisiane. La collection a été typographiée et est disponible en plusieurs volumes. Seul le premier tome touche le Régime français. 621 Instructions de Monsieur de Kerlérec, Gouverneur de la province de la Louisiane, pour M.r de Favrot, chargé du Commandement du Convoy des Illinois. Le 8 août 1754, dans Ibid., p. 20-26.

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• Pendant la saison chaude, l’empressement est découragé par peur de pousser certains

membres à déserter. Ceci dit, le convoi doit rejoindre la rive entre 10h et 11h du matin pour

ne repartir que lorsque la chaleur donnera un peu de répit. D’ailleurs, certains voyageurs

poursuivent leur parcours la nuit622.

• Afin d’éviter « les desordres de touttes especes », il est interdit de camper près des

habitants.

• Le commandant du convoi doit envoyer « un courrier pour donner avis au commandant

des natchés [Natchez] du jour par a peu près de son arrivée audit poste, et du nombre des

rationnaires compris dans le convoy du Roy, pour que le commandant ait le tems de

proceder a la confection du biscuit qui sera necessaire pour le convoy, et pour que enfin

tout soit prest au moment de son arrivée sans que rien puisse le Retarder. »

• En chemin, le commandant du convoi doit « hacher » [détruire] les voitures croisées en

chemin en faisant attention toutefois de vérifier « sy en certains parages elle ne puroient

[sic] pas appartenir a quelques uns de nos voyageurs ».

• Il y a un strict contrôle du déplacement des civils rencontrés en chemin : lorsque

possible, le convoi doit aborder toute embarcation croisée de son côté du fleuve (rejoindre

l’autre rive est déconseillé, car la traverse est « quasy impossible et qui pouroit les mettres

en perdition de corps et de biens »). Le commandant doit s’assurer que les Voyageurs

rencontrés soient « munis d’un passeport ou permis du commandant de l’endroit », tout en

notant leur identité. À partir de ce rapport, le gouverneur pourra punir au besoin les

Voyageurs sans permis. Le gouverneur clarifie toutefois qu’il se peut que certains

passeports soient légitimes malgré une date périmée... Les séjours sont souvent plus longs

que prévu, comme il le rappelle. Il revient donc à la discrétion du commandant du convoi,

alors, de juger ces cas.

• Enfin, (instruction qui peut nous faire sourire aujourd’hui), il est formellement interdit

de jurer, même en se plaignant pendant le travail. Le commandant du convoi devra faire

622 LE GOBIEN et al., Lettres édifiantes..., p. 65.

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« autant qu’il le sera possible contre certains blasphêmateurs de proffession et nous

comptons qu’il reprimera avec zele de tels attentats contre la divinité et la Religion ».

Dernier exemple, le 25 février 1757 au fort de Chartres aux Illinois, Favrot reçoit

l’ordre du commandant Jean-Jacques Macarty de mener le 1er mars un convoi pour le fort

Duquesne. Le convoi est formé de 3 officiers des troupes de la Marine, 2 officiers de milice

et 190 hommes, accompagnés de vivres pour trois mois de voyage (bien que la division ne

soit pas mentionnée, on peut estimer qu’il s’agit d’assez de victuailles pour l’aller-

retour)623. Les instructions y seront semblables, mais encore plus strictes.

3.5 ROUTES ET CHEMINS Si la colonie est autant dépendante de son hydrographie pendant cette guerre, c’est en

grande partie un effet de ses routes qui ne se comparent pas à celles de la Métropole. En

France, les chemins sont larges et « les routes royales sont pavées densément sur les axes

centraux624 ». Ces routes, qui existent depuis l’ère romaine, ont eu des siècles pour se

densifier, contrairement à celles de la colonie. Même s’il existe quelques voies principales

au Canada, dont le Chemin royal—une route carrossable à partir de 1735 au trajet prenant

quatre jours entre Québec et Montréal625—, leur état souvent lamentable fait qu’on préfère

le plus souvent se déplacer via le fleuve. De toute façon, tant et aussi longtemps que la

majeure partie de la population longe le fleuve, il est plus facile et moins coûteux de

transporter les marchandises par l’eau que par la terre626. Même au niveau colonial, le

réseau routier de la Nouvelle-France n’a rien de comparable aux colonies britanniques,

particulièrement dans le nord, où on publie déjà à New York des guides routiers à partir des

années 1730627. En Louisiane, le réseau routier est quasi inexistant et ne sera réellement

développé qu’après la Révolution américaine628.

L’état-major se plaint de l’état des routes à sa disposition. Dans les procès-verbaux des

grands voyers, l’impossibilité de transmettre les ordres du gouverneur et de l’intendant est

623 Instructions militaires de Jean-Jacques Macarty à Claude Joseph de Favrot. Aux Illinois, le 25 février 1757, dans The Favrot Papers, 1695–1769. Volume 1, p. 26-28. 624 Daniel ROCHE, Les circulations dans l’Europe moderne : XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2011, p. 221. 625 Guy FRÉGAULT, La civilisation de la Nouvelle-France (1713-1744), Montréal, Fides, 2014, p. 86-87. 626 POZZO-LAURENT, « Le réseau routier… », p. 7. 627 GRAGG, « Transportation and Communication », p. 499. 628 Ibid., p. 498.

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mentionnée à 42 reprises entre 1745 et 1750629. Le problème n’est toujours pas résolu alors

que Montcalm écrit à ce sujet : « […] il n’y a nulle police en Canada sur l’article des

chemins qui devraient être à l’entretien. On ne songe aux choses qu’au moment qu’on a

besoin; on fait alors de grosses dépenses et puis on néglige les ouvrages commencés630. »

Bien que le développement des voies de communication soit lié au développement et à

la stimulation économique, on peut s’étonner que la France n’ait pas entrepris plus d’efforts

pour améliorer les routes dans sa colonie. En réalité, il a d’abord fallu que la colonie

atteigne une population suffisante pour à la fois justifier la construction de chemins et avoir

la main-d’œuvre nécessaire pour l’entreprendre631. Outre le Chemin royal, les habitants

eux-mêmes consacrent leurs efforts et leurs demandes d’améliorations aux chemins de

descente, c’est-à-dire perpendiculaires au fleuve, et les chemins de traverse qui les

rejoignent632. Comme le note Jeannine Pozzo-Laurent :

L’intervention des habitants au niveau du chemin royal est variable selon qu’il répond ou non à leurs intérêts. Ils lui accordent une attention toute particulière sur la rive nord car il représente le lien le plus facile avec Québec. Ils vont donc travailler à l’améliorer, l’élargir et le maintenir ouvert sur toute sa longueur. Sur la rive sud, les habitants répondront moins bien aux demandes de l’administration qui voudrait une voie continue de Kamouraska à Lauzon. Ils accomoderont les tronçons qui leur sont utiles, mais privilégieront plutôt les chemins conduisant aux ports, toutes communications avec la ville les obligeant à traverser le fleuve.633

Le réseau routier a donc été développé selon les besoins immédiats des habitants et pas

nécessairement selon l’idéal des administrateurs qui peinent déjà à employer leur aide aux

corvées des chemins634.

Alors qu’à la fin du Régime français l’armée peut tout de même s’appuyer sur le

Chemin royal et sur un certain réseau rudimentaire autour des villes, le principal problème

est l’accès terrestre aux fronts de guerre. Dans les marges intérieures du Canada, les voies

de communication sont presque exclusivement liées à l’hydrographie, malgré les avantages

qu’on pourrait tirer de nouveaux chemins. D’une part, ce manque de développement est lié

629 POZZO-LAURENT, « Le réseau routier… », p. 57-58. 630 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 305. 631 POZZO-LAURENT, « Le réseau routier… », p. 6. 632 Ibid., p. 73. 633 Ibid., p. 78. 634 Ibid., p. 75.

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à l’absence d’une grande population civile justifiant et fournissant l’effort (comme dans la

région du lac Champlain, quasi-inhabitée malgré la présence de seigneuries). D’autre part,

plusieurs améliorations ont été négligées volontairement. Bougainville observe dans le cas

du parcours vers le fort Duquesne au cœur de la vallée de l’Ohio que le mauvais état de

cette voie est lié à la tentative de contrôler les alliés autochtones :

les Sauvages […] ont beaucoup [de chevaux], et leur secours est presque toujours nécessaire par la précipitation avec laquelle on est forcé de faire le portage afin de profiter des eaux de la Rivière-au-Bœuf; à la vérité, si les chemins étaient accommodés, il serait facile de se passer des Sauvages.

Mais la politique exige qu’on s’en serve, surtout en temps de guerre. Quand ils sont chargés du portage, ils empêchent les nations qui pourraient être mal intentionnées de troubler nos transports, d’ailleurs ce qu’ils gagnent par cela et les présents qu’on leur fait les mettent en état de s’habiller et de se fournir des choses qui leur sont nécessaires ; sans cette ressource ils s’adresseraient aux Anglais qui les traitent beaucoup mieux que nous, et il est essentiel qu’ils ne s’aperçoivent pas de cette différence.635

Ironiquement, une observation inverse se fait au sujet des Canadiens qui profitent de

certains chemins de terre au détriment des améliorations fluviales proposées :

à la Chine gros bourg à trois lieues de Montréal où sont les hangards, magasins du Roi, pour y embarquer tout ce qui va dans les Pays d’en Haut, la rivière n’est pas navigable depuis Montréal; on propose depuis longtemps de faire un canal qui épargnerait beaucoup d’argent au Roi obligé de tout faire transporter par terre, de Montréal à la Chine et ôterait aux plumistes écrivains et commis, le moyen d’avoir des équipages aux dépens du Roi.636

En somme, l’économie et la politique locale sont un contrepoids important contre les

aspirations infrastructurelles des autorités. Cependant, l’européanisation de la guerre

augmente dorénavant la taille des expéditions et pose un nouveau problème. Auparavant,

même dans les conditions les plus difficiles, les petits partis pouvaient se déplacer plus ou

moins rapidement. Mais les détachements de centaines d’hommes et le transport d’artillerie

compliquent la logistique du déplacement et ralentissent tout mouvement, d’autant plus si

le terrain est marécageux.

L’ennemi, quant à lui, fera de la construction de routes son principal outil pour mettre

en marche sa stratégie terrestre. Comme le rappellent Corvisier et Coutau-Bégarie,

635 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 69. 636 Ibid., p. 94.

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« L’envahisseur s’affaiblit en s’éloignant des bases et risque de diluer ses forces s’il veut

faire une occupation durable du pays637. » C’est une leçon appliquée par les Britanniques

tout au long de cette guerre. Si la bataille de la Monongahela en 1755 se solde par la défaite

de Braddock, la route qu’il s’y était faite construire établit néanmoins des bases

d’approvisionnement sur toute sa longueur, bases qui vont servir jusqu’à l’ultime conquête

du territoire. Même après 1763, cette route devient cruciale pour le développement local638.

La rapidité de la construction de ces chemins surprend les Français tant au sens propre que

figuré. Bien que François-Marie Le Marchand de Lignery, commandant le fort Duquesne

en 1758, résiste aisément à une attaque du major James Grant, l’arrivée des quelques 800

Britanniques l’étonne : « [Il] ne comptait point l’armée des ennemis si considérable et si

près de lui; il avait toujours envoyé ses découvreurs par la route de Braddock au fort de

cumberland; il ne pensait pas qu’il fût possible à l’ennemi de s’ouvrir un chemin dans une

autre partie639. » En effet, précédant l’attaque, de Lignery ignorait que l’armée de Forbes se

taillait une nouvelle voie « plus courte et moins difficile640 » que le chemin de Braddock

vers le fort français à l’aide de plus de 2 000 ouvriers. Réalisant que le parti de Grant n’était

que l’avant-garde d’une armée plus considérable, de Lignery décide d’abandonner

Duquesne en novembre641. Les autres régions conquises par les Britanniques font

également l’objet d’autres routes pour y avoir un accès direct à partir de leurs colonies642.

Les treize colonies, à quelques jours de marche de ces fronts, se servent donc de ces routes

successives pour fournir amplement et rapidement leur armée en vivres, tandis que les

Français doivent dépendre des voies fluviales reliant une poignée de postes de

ravitaillements, souvent situés à quelques semaines de pagaie et comprenant des portages

difficiles. Comble de l’ironie, la métropole, quant à elle, manque de voies fluviales, comme

le rappelle Claude Nières au sujet de son histoire militaire plus large : « En France, le

creusement de canaux à buts stratégiques devint indispensable dès lors qu’il fallut fournir

637 CORVISIER et COUTAU-BÉGARIE, La guerre…, p. 132. 638 GRAGG, « Transportation and Communication », p. 501. 639 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 121. 640 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 327. 641 C.J. RUSS, « François-Marie Le Marchand de Lignery », dans DBC, Vol. III de 1741 à 1770, Québec, Presses de l’Université Laval, 1974, p. 408-409. 642 Entre autres vers la vallée du lac George et du lac Champlain. Russell Paul BELLICO, Empires in the Mountains: French and Indian War Campaigns and Forts in the Lake Champlain, Lake George, and Hudson River Corridor, Fleischmanns, N.Y., Purple Mountain Press, 2010, p. 51, p. 157 et p. 193.

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les arsenaux maritimes, en évitant le plus possible les routes maritimes de l’Atlantique

menacées par les flottes espagnoles puis anglaises643. »

Néanmoins, bien que la construction de chemins doive faciliter les communications

britanniques, il ne faut pas oublier qu’ils ont potentiellement l’effet inverse aussi : le

chemin de Braddock ne mène pas que vers le fort Duquesne, mais ouvre également la voie

vers la Virginie aux Français et à leurs alliés644. Les Français sont conscients de ce dilemme

lorsqu’ils construisent leurs propres chemins de terre. Par exemple, Lévis écrit le 1er

septembre 1756 qu’il faudrait construire un chemin pour surmonter les rapides et les chutes

de la rivière entre le lac Champlain et le lac George. Du même souffle, il avertit que ce

même chemin pourrait être utilisé par les Britanniques contre les Français645. Cependant, le

chemin est tout de même complété en 1757, permettant le passage de 25 à 30 bateaux par

portage dans le lac George646.

En effet, si certaines politiques et pratiques économiques françaises empêchaient le

développement de l’infrastructure en marge de la colonie, le pragmatisme nécessaire pour

cette guerre prend le dessus et mène à certaines améliorations. Par exemple, Claude-Pierre

Pécaudy de Contrecœur supervise la construction d’un nouveau chemin débuté par Daniel-

Hyacinthe-Marie de Beaujeu pour faciliter le portage à Niagara en 1752647. Lors des sièges,

il y a également construction de chemins à proximité des forts pour conduire l’artillerie648.

Plusieurs officiers proposent l’amélioration des chemins dans leurs mémoires, comme

Pouchot ou Bougainville. Ce dernier songe justement aux réparations et aux améliorations

possibles après la guerre. Non seulement le transport en tirerait bénéfice, mais celles-ci

réduiraient aussi le temps de déplacement des communications649. Mais ces routes, par leur

643 Claude NIÈRES, Faire la guerre. La guerre dans le monde de la préhistoire à nos jours, Toulouse, Privat, 2001, p. 127. 644 PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 304. 645 Lévis à d’Argenson. Le 1er septembre 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 78. 646 Lévis à Vaudreuil. Le 11 juillet 1757, dans Ibid., p. 122-123. 647 Varin à Contrecœur. À Montréal, le 3 octobre 1752, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 13. 648 Pour l’exemple de Chouaguen, voir BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 121 et p. 126. 649 Dans le cas de la rivière Sorel, il écrit : « Examiner à la paix, si, en extirpant les roches, on ne pourrait pas y rendre la navigation aisée. » Il ajoute : « Communication de Montréal à St-Jean, dans l’état présent, lente, difficile, dispendieuses. À examiner à la paix, s’il faudroit faire le chemin de la Prairie à St-Jean directement par les savanes, ou de la Prairie, ou en prenant plus bas, de Longueuil à Chambly, et de ce fort à St-Jean, par terre ou en accommodant la rivière; ou s’il ne serait pas plus avantageux, en cas que cela soit possible, de

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existence récente, sont sujettes à de nombreux problèmes. Pour paraphraser David Preston

au sujet de la nouvelle route reliant le fort de la Presqu’île au fort Duquesne, il s’agit ici

plutôt d’une expérimentation que d’un lien véritablement fiable650.

On procède tant bien que mal aux améliorations selon les moyens disponibles,

particulièrement entre Montréal et le fort Saint-Jean (« Ce sont des chemins détestables;

nous avons presque tous fait des chutes dont aucune dangereuse651 », écrit Lévis). D’abord,

la portion entre La Prairie et la rivière Richelieu est un « chemin aussi utile que

nécessaire652 » long de six lieues. Celui-ci est plus rapide que d’emprunter l’embouchure de

la rivière au fleuve, soit un détour de 30 lieues (dont deux en portage) et dont la navigation

dépend des vents653. Mais le chemin jusqu’au fort Saint-Jean, hier comme aujourd’hui, est

régulièrement inondé. « Tant qu’on ne leur donnera pas d’écoulement la route sera toujours

impraticable654. » La réfection des chemins entre La Prairie et St-Jean est donc entreprise à

l’été 1756 par 200 hommes du régiment de Béarn, confiés à Pouchot. Le travail n’est pas de

tout repos, puisqu’une partie de la route se trouve sous 2 ou 3 pieds d’eau et requiert la

construction d’une « chaussée » fabriquée à partir des joncs de cèdre et de sapins extraits

des alentours655. L’année suivante, le chemin entre le fort Chambly et le fort Saint-Jean fait

toujours l’objet d’améliorations alors qu’on y consacre printemps, été et automne des

bataillons à sa réfection656.

Chaque nouveau sentier facilite non seulement le déplacement de l’armée, de ses vivres

et de ses fournitures, mais également le parcours des messagers porteurs d’information.

Néanmoins, la réalité est que pendant la guerre de Sept Ans, la Nouvelle-France n’a tout

faire un canal de la Prairie ou de Longueuil à St-Jean. Plusieurs rivières dans cette partie; terres excellentes, inutiles par les inondations, seraient desséchées par le canal, deviendraient un grenier à grain suffisant pour nourrir une grande armée. » Ibid., p. 266. 650 PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 136. 651 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 60. 652 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 191. 653 Lévis à Mirepoix. Au camp de Carillon, le 4 septembre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 137-138. 654 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 154. Voir aussi p. 129. 655 Ibid., p. 123. Pouchot écrit « [qu’]Il les fit arracher par les soldats de ce régiment, qui pendant 3 jours travaillèrent avec la plus grande ardeur, du matin jusqu’au soir, dans l’eau jusqu’à mi-cuisse, ainsi que cet officier. » POUCHOT, Mémoires..., p. 52. 656 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 176; BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 191 et Lévis à Maillebois. Le 1er septembre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 133.

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simplement pas les effectifs nécessaires pour améliorer son infrastructure routière

adéquatement de manière comparable aux treize colonies britanniques alors que la

construction et le maintien de ses défenses occupent la majorité de sa main d’œuvre

disponible.

CONCLUSION Havard écrit que « La maîtrise du territoire passe nécessairement par le contrôle de

l’information657. » Cependant, on peut également dire que le territoire contrôle

l’information : le principal défi en Amérique, encore une fois, est de surmonter la distance.

En Europe, le relais entre le front allemand et Versailles peut prendre une semaine; de la

Flandre, vingt-quatre heures; d’Alsace, quatre jours; du sud des Alpes, cinq jours et de la

Catalogne, dix jours, sans oublier que les ordres de Versailles doivent faire le chemin du

retour658. Si une information sur cette distance relativement courte risque déjà d’être

désuète dans ce laps de temps, il est chimérique de compter sur l’exactitude d’un rapport du

front américain après une traversée de l’Atlantique qui a duré plusieurs semaines. Même le

correspondant peut changer entre temps : par exemple, le 15 avril 1757, le chevalier de

Lévis écrit au comte d’Argenson, sans savoir que ce dernier a été remplacé en tant que

secrétaire d’État à la Guerre par son neveu, le marquis de Paulmy659.

Et pourtant, malgré les distances physiques, les Français en Amérique ont tout de même

un avantage contre les Britanniques : l’accès à une riche hydrographie. Comme le rappelle

Gilles Havard, « […] l’eau comprime l’espace, l’humanise et en rend la maîtrise moins

ardue660 ». Ce même réseau fluvial661 qui a permis aux Français d’étendre leurs

revendications aussi loin que le Texas au sud et aux pieds des Rocheuses à l’Ouest, permet

au tout d’être dirigé militairement à partir de Québec et Montréal. Si d’une part les

657 HAVARD, Empire et métissages, p. 222. 658 KENNETT, « French Military Intelligence... », p. 201 et Guy ROWLANDS, The Dynastic State and the Army under Louis XIV: Royal Service and Private Interest, 1661-1701, New York, Cambridge University Press, 2002, p. 275. 659 Lévis à d’Argenson. Le 15 avril 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 109-111 et Lévis à Paulmy. Le 20 juin 1757, dans Ibid., p. 112-114. 660 HAVARD, Empire et métissages, p. 216. 661 Ce « French River World », ou monde fluvial français, va d’ailleurs survivre à la Conquête; sa population va continuer d’exercer une influence sur le Midwest américain jusqu’au début du XIXe siècle. Voir : ENGLEBERT, « Beyond Borders… », 270 p.

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Britanniques dominent les océans, de l’autre, ils doivent d’abord franchir les Appalaches et

élaborer leur propre infrastructure pour naviguer le monde fluvial français662.

Le chevalier de La Pause soulève néanmoins le paradoxe de ce réseau naturel :

Toute la science de la guerre en Canada consiste dans l’attaque ou la défense des postes qui ferment ou ouvrent la communication d’une frontière à l’autre, par le cours des rivières ou lacs que l’on suit pour y parvenir et qui sont bordés par des bois, dont partie très fourrés et difficiles à pénétrer en quelques endroits par les arbres abattus qui s’y rencontrent, ou par les montagnes, marais ou rivières, ce qui rend toute autre route impraticable pour une armée.663

En effet, si l’hydrographie de la Nouvelle-France est le principal avantage des Français, ce

n’est pas par choix mais plutôt par obligation devant l’absence d’un réseau de chemins

terrestres développé. Autre problème au cours de la guerre, les Britanniques finissent par

rattraper l’avantage français, comme l’indique Bougainville :

Les Anglais nous donnent des lumières et des exemples dont nous ne savons ou ne voulons pas profiter. Les lacs et les rivières sont les seuls débouchés, les seules routes ouvertes dans ce pays; aussi l’Angleterre commence-t-elle à avoir une véritable marine sur le lac Ontario et, si nous lui eussions laissé quelques mois de plus, cette marine nous chassait des pays d’en haut.664

Il y aura de nombreux mémoires pendant et après la guerre regorgeant de suggestions

pour améliorer les voies de communication de la colonie, comme le Mémoire sur l’état de

la Nouvelle-France (1757) de Bougainville. Ce dernier espère augmenter la rapidité des

voies de communication de divers carrefours à l’aide de chevaux, de bateaux à fond plat et

d’une meilleure gestion du territoire665. Même une fois conquis par les armes et même

après le traité de Paris signé et scellé, rien n’empêche que le Canada puisse un jour

redevenir français par les armes ou par la diplomatie. Ainsi voit-on des mémoires de ce

genre proposant des améliorations pour éviter les erreurs du passé666.

662 Par exemple, Schenectady, ou Corlar comme l’appellent les Français, devient le principal centre de construction de barques pour Oswego. 663 LA PAUSE, « Projet pour la défense du Canada pendant la campagne 1759, relativement à ses forces et aux projets que peuvent avoir les Anglois pour l’attaquer », RAPQ 1932-1933, Québec, Rédempti Paradis, 1933, p. 369. 664 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 289. 665 Ibid., p. 60-98. 666 Jean-Daniel Dumas écrit en 1775 : « On a prodigieusement écrit sur les colonies depuis vingt ans. La fureur des mémoires est devenue une espèce d’épidémie. On ferait d’immenses volumes de ceux qui ont été

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Pour conclure, la diffusion du renseignement en Nouvelle-France se fonde sur un réseau

hybride, un amalgame improvisé du terrestre et du fluvial, où l’armée cherche tant bien que

mal à améliorer les voies de communication préexistantes sur le territoire, sinon à en créer

de nouvelles. Dans ces efforts, l’état-major ne peut que constater à son grand dam que la

mise en place de l’infrastructure routière ne s’est pas assez développée à son goût, résultat

d’un demi-siècle de développement assujetti au différend entre l’administration coloniale,

ses colons et ses alliés autochtones. Entre les trois colonies, c’est-à-dire le Canada, l’Acadie

et la Louisiane, le maillon le plus faible est celui qui rejoint La Nouvelle-Orléans à Québec.

Sur le front de guerre, même si l’armée française peut techniquement se fier à une

infrastructure préexistante mieux développée que celle des Britanniques, l’état-major,

limité par la main-d’œuvre disponible, ne peut rivaliser avec les efforts de l’ennemi qui

améliore son propre contrôle du front à l’aide de nouvelles routes et d’embarcations. Au-

delà du réseau physique, le transport du courrier s’effectue au moyen d’un tandem du privé

et du militaire. S’il n’existe aucun service formel de courrier ou de poste, on s’attend

toujours à ce que le relais d’information se fasse de manière plus ou moins régulière selon

les moyens disponibles. Par exemple, les paquets destinés pour l’outre-Atlantique ne sont

pas nécessairement confiés aux officiers de la marine, mais également aux capitaines

marchands667, et le messager militaire dépend de convois souvent menés par des bourgeois.

En somme, l’ombre de la guerre totale plane sur la colonie où tous les moyens sont bons—

certains de véritables élans de désespoir—pour surmonter les défis d’une infrastructure

fragile afin de maintenir les communications et la cohésion interne.

présentés aux ministres de la Marine qui se sont succédé depuis cette époque ». Russel BOUCHARD, Jean-Daniel Dumas : héros méconnu de la Nouvelle-France, Montréal, Michel Brûlé, 2008, p. 275. 667 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 291.

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CHAPITRE 4

SURVEILLANCE ET « LETTRES VIVANTES » : TROUPES LÉGÈRES, GUERRE DE PARTISANS ET PRISONNIERS

INTRODUCTION : LA « PETITE GUERRE » AU SERVICE DU RENSEIGNEMENT L’hiver n’est pas de tout repos en temps de guerre. Le 13 mars 1758, le « fameux

partisan668 » Robert Rogers dirige 183 hommes en mission contre le fort Carillon. Presque

arrivé au portage entre le lac George et le lac Champlain, son parti se fait surprendre par 96

guerriers autochtones et une poignée de Canadiens, l’avant-garde d’un groupe de 205

hommes qui ne tarde pas à venir en renfort. La bataille qui s’ensuit est meurtrière : en

moins d’une heure et demie, plus d’une centaine de Rangers gisent morts et trois sont fait

prisonniers. Chez les Français, seuls trois hommes sont légèrement blessés. Leurs alliés

autochtones, quant à eux, ont 17 blessés et 8 guerriers tués669. Incapable de repousser

l’assaut ennemi, la quarantaine de Rangers survivants se replient. Les papiers personnels de

Rogers, composés de ses ordres et de sa commission, sont retrouvés parmi les cadavres, ce

qui laisse supposer aux vainqueurs qu’ils ont abattu l’officier. La nouvelle du sort de

Rogers, qui fut une épine dans le flanc français depuis le début du conflit, se propage

rapidement au sein de l’état-major canadien. Toutefois, pour paraphraser Mark Twain, les

rumeurs de sa mort sont exagérées : en réalité, Rogers a pu semer ses poursuivants en

menant une glissade désespérée sur la surface d’un promontoire escarpé du lac George.

L’exploit est si spectaculaire et audacieux que le rocher porte toujours aujourd’hui le nom

de Rogers’ Rock670.

668 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 287. 669 Les chiffres varient selon les chroniqueurs. Par exemple, Bougainville écrit : « Les Sauvages ont rapporté 144 chevelures et fait 7 prisonniers. Nous avons eu deux cadets blessés, un Canadien blessé, 3 Iroquois et un Népissing tués, 18 Iroquois blessés presque tous dangereusement, un Abénaquis auquel il a fallu couper un bras. » BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 252. Voir aussi la prochaine note. 670 BELLICO, Empires in the Mountains, p. 135-139; LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 95; MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 287-288; POUCHOT, Mémoires..., p. 64-65 et Robert ROGERS, The Annotated and Illustrated Journals of Major Robert Rogers, Fleischmanns, New York, Purple Mountain Press, 2002, p. 89-113 (ce dernier inclut en complément des extraits d’autres sources contemporaines, tant françaises que britanniques).

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La manière dont Rogers survit malgré tout à l’escarmouche (l’une des plus célèbres du

conflit et surnommée Second Battle on Snowshoes ou Battle of Rogers’ Rock par les

Américains) fait partie des exploits qui cimentent sa réputation d’expert en matière de

petite guerre. Non seulement ce personnage va-t-il fasciner les historiens au fil des années,

mais sa vie mouvementée captive aussi la mémoire populaire, aidé par le cinéma américain

avec entre autres le film Northwest Passage (1940), la série télévisée du même nom (1958-

1959) et plus récemment la série Turn: Washington’s Spies (2014-2017). Au-delà de ses

hauts faits, si Rogers est si bien connu, c’est qu’il est un maître de l’autopromotion avec la

publication de son journal en 1765, l’écriture d’une pièce de théâtre et la création d’un

guide sur l’Amérique671. Pourtant, la réputation de Rogers et de ses hommes, les Rogers’

Rangers672, tend à faire oublier qu’il existe d’autres compagnies de troupes légères : entre

autres les Gorham Rangers (les « rôdeurs de bois » de Gorham, comme Montcalm les

appelle673) ou encore le tragique Hodges’ Scout674. D’ailleurs, Rogers n’est pas le seul

partisan de la petite guerre qui mérite une pareille réputation. En premier lieu se trouve le

Canadien à la tête du parti qui le défait en mars 1758 : Jean-Baptiste Levrault de Langis (ou

Langy) Montegron. Au fil de cette guerre, celui-ci devient en quelque sorte le principal

rival de Rogers, l’ayant contrarié à plusieurs reprises. Langis, qui a la réputation d’être « le

meilleur partisan des troupes de la colonie675 », est le seul officier de la colonie retenu dans

le cercle du chevalier de Lévis676. Au fil de la guerre, le Canadien se démarque en Acadie, à

Oswego et particulièrement dans la vallée du lac Champlain et du lac George. Les missions

de Langis le mènent à errer plus profondément dans le territoire ennemi que la moyenne

des officiers, rapportant même des prisonniers capturés à proximité d’Albany677.

671 Sur les publications de Rogers, voir l’introduction de Timothy J. Todish dans ROGERS, The Annotated and Illustrated Journals…, p. 13-22. 672 Bougainville les appelle « Rangers ou rôdeurs de bois du major Rogers », que l’historien Stephen Brumwell qualifie à son tour de commandos de l’époque. BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 274 et BRUMWELL, White Devil, p. 73 et 203. 673 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 449. 674 Au sujet de ce parti qui se fait entièrement défaire par les Français et leurs alliés autochtones, voir Len TRAVERS, Hodges’ Scout: a lost patrol of the French and Indian War, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2015, 301 p. Sur la création des troupes légères dans les colonies britanniques, voir PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 308-309. 675 POUCHOT, Mémoires..., p. 140. 676 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 83. 677 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 54.

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Néanmoins, malgré une vie extraordinaire et n’ayant pas laissé de journal ou de récit de sa

vie à l’image de Rogers, Langis languit relativement dans l’oubli678…

À l’image de Rogers qui, dans l’historiographie, jette une ombre sur les autres partisans

de la petite guerre en Amérique, le débat sur l’utilité offensive de la petite guerre679 cache

la réelle utilité des troupes légères pendant la guerre de Sept Ans. Alors que l’impact et le

potentiel de celles-ci pendant la Conquête ont été grandement mitigés dans

l’historiographie plus récente, cette évaluation des historiens porte son intérêt presque

exclusivement sur le « blocage tactique680 » entre Vaudreuil et Montcalm et laisse de côté

l’apport non négligeable, voire primordial, de la petite guerre comme outil du

renseignement militaire.

Tout d’abord, il est faux de croire que la petite guerre est une innovation purement

nord-américaine. Il faut noter également que bien qu’identique sur le plan des opérations,

celle-ci se distingue de la guérilla par son idéologie : la première se pratique au service du

roi, la deuxième par passion politique ou révolutionnaire681. Ceci dit, la petite guerre, ou

guerre de partis—soit la pratique d’envoyer des partis de guerre harceler l’ennemi—,

précède bel et bien 1754682. D’ailleurs, la guerre d’escarmouche a toujours fait partie des

678 Après une vie remplie de dangers et de péripéties, il se noie alors qu’il est à la chasse le 18 mars 1760 lorsqu’un banc de glace renverse son canot sur le Saint-Laurent. Gabriel de Maurès de MALARTIC (Édité par Paul GAFFAREL), Journal des Campagnes au Canada de 1755 à 1760, Dijon, L. Damidot, 1890, p. 313. Voir aussi POUCHOT, Mémoires..., p. 140. 679 Voir entre autres : Arnaud BALVAY, « La petite guerre au XVIIIe siècle », dans Alain BEAULIEU (dir.), Guerre et paix en Nouvelle-France, Québec, Les Éditions GID, 2003, p. 205-223; DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 167-187 et p. 291-293; Catherine DESBARATS et Allan GREER, « The Seven Years’ War in Canadian History and Memory », dans Warren R. HOFSTRA (dir.), Cultures in Conflict. The Seven Years’ War in North America, Toronto, Rowman & Littlefield Publishers, Inc., 2007, p. 166; Bernd HORN « Marin and Langis: Master Practitioners of La Petite Guerre », dans Idem et Roch LEGAULT (dir.), Loyal Service: Perspectives On French-Canadian Military Leaders, Kingston et Toronto, Canadian Defence Academy Press et Dundurn Group, 2007, p. 72; MACLEOD, Les Iroquois..., p. 17 et « Limites et carences de l’emploi des troupes légères », dans Laurent NERICH, La petite guerre et la chute de la Nouvelle-France, Outremont, Athéna Éditions, 2009, p. 159-174. 680 Boris LESUEUR, « Les mutations d’une institution : le corps des officiers des troupes de la Marine au Canada », dans Marcel FOURNIER (dir.), Les Officiers des troupes de la Marine au Canada. 1683-1760, Québec, Septentrion, 2017, p. 75. 681 Sandrine PICAUD-MONNERAT, La petite guerre au XVIIIe siècle, Paris, Economica et Institut de Stratégie Comparée, 2010, p. 39-40. Pour une discussion sur la terminologie liée à la petite guerre, voir aussi DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 167-168. 682 Arnaud GUINIER, L’honneur du soldat : Éthique martiale et discipline guerrière dans la France des Lumières, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2014, p. 95-98. Voir également PICAUD-MONNERAT, La petite guerre..., 685 p.

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tactiques de guerre en Europe. Toutefois, les tacticiens cessent graduellement d’y avoir

recours au XVIIe siècle devant la nouvelle « obsession » pour la guerre de ligne. Il faut

attendre les années 1740 avant de voir son retour en grand dans l’Europe occidentale683.

Des officiers qui arrivent au Canada, nombreux sont ceux qui justement ont acquis leur

expérience militaire durant la guerre de Succession d’Autriche pendant laquelle l’utilisation

de troupes irrégulières se fait à grande échelle. Par exemple, les forces françaises font face

aux Grenzer, soit les troupes légères Croates au service des Habsbourg. Ces derniers

servent principalement dans la guerre d’escarmouche en surprenant les avant-postes

ennemis, capturant des prisonniers et bouleversant les voies de communication. Tout

comme les guerriers autochtones et les miliciens en Nouvelle-France pendant la guerre de

Sept Ans, ceux-ci flanquent les champs de bataille en tant que tireurs d’embuscade. Même

l’équipement évoluera pour subvenir aux besoins de la petite guerre. D’une part, on modifie

l’uniforme au besoin selon les rigueurs du terrain et du climat local, et de l’autre, on adopte

les armes appropriées. Par exemple, si le casse-tête qui remplace l’épée est un exemple

d’adaptation nord-américaine, en Europe « Le fusil & la bayonnette sont les seules armes

nécessaires à l’Infanterie, l’épée n’étant que pour la parade684 ». Avant longtemps,

l’utilisation de tactiques semblables redevient une pratique répandue chez tous les

belligérants de cette guerre685. De plus, la petite guerre reçoit ses lettres de noblesse peu

avant la guerre de Sept Ans avec la publication en 1752 du premier traité entièrement

consacré à son sujet, le Traité de la petite guerre pour les compagnies franches, par

Armand-François de La Croix686. Mieux connu encore est La petite guerre, ou traité du

service des troupes légères en campagne de Thomas Auguste le Roy de Grandmaison,

publié en 1756. Après 1763, les traités sur le sujet ainsi que leurs origines continueront de

se diversifier afin d’alimenter le débat sur son utilité687. Comme l’écrit Jean-Pierre Bois :

« La petite guerre se présente d’abord comme le recensement de multiples pratiques

683 Martin L. NICOLAI, « A Different Kind of Courage: The French Military and the Canadian Irregular Soldier during the Seven Years’ War », Canadian Historical Review, Vol. 70, No. 1 (1989), p. 55. 684 Thomas Auguste le Roy de GRANDMAISON, La petite guerre, ou traité du service des troupes légères en campagne, 1756, p. 19. 685 NICOLAI, « A Different Kind of Courage... », p. 54-55. 686 PICAUD-MONNERAT, La petite guerre..., p. 43. 687 BOIS, « Plaidoyer… », p. 26.

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spontanées, conçues comme des actions de guerre qui viennent en complément de la grande

guerre, appelée encore grande tactique688. » Néanmoins, au-delà de leur importance dans le

combat, notamment pour protéger les flancs d’une armée689, les troupes légères sont un

atout important sur le plan du renseignement. L’utilisation des hussards à cette fin, par

exemple, croît pendant la première moitié du XVIIIe siècle690. Grandmaison écrit dans son

traité : « Si l’utilité des Troupes pour la petite Guerre, & des Chefs de Partie, a été reconnue

si généralement dans tous les tems & dans toutes les Nations, la nécessité en est bien mieux

prouvée dans le siécle où nous sommes, par le torrant des Troupes legeres & irrégulieres de

la Reine de Hongrie691 », ajoutant « […] cette espéce de Troupes n’a jamais été si connuë

& si nécessaire en France qu’aujourd’hui692 ». Turpin de Crissé, pour sa part, écrit :

[Les Hussards] doivent observer l’Ennemi de près, […] ils doivent être continuellement sur l’Armée ennemie, afin qu’il n’en sorte point de Détachement sans que le Général en soit instruit; lui rapporter promptement & exactement des nouvelles de tout ce qu’ils apperçoivent chez l’Ennemi, afin de l’empêcher de former des projets sur l’Armée, ou du moins afin de les faire échouer […].693

Le théoricien militaire pousse sa réflexion sur l’importance des troupes légères en général

pour le renseignement :

Dans quelque païs que ce soit, il est souvent nécessaire d’avoir des Corps détachés de celui de l’Armée, pour couvrir ou pour garder la communication avec une Place, […] Ce Corps est plus ou moins considérable suivant l’usage que le Général veut en faire; […] On verra dans la suite l’emploi qu’on doit en faire; mais dans quelque position qu’il soit placé, il faut que la communication soit gardée entre l’Armée & lui, qu’il puisse la joindre au premier ordre, & que son Camp soit assis de façon que le Général soit toujours informé par ce Corps des moindres mouvemens de l’Ennemi.694

En ce début de la guerre de Sept Ans, les Français et les Britanniques qui arrivent en

Amérique ont donc déjà une solide appréciation du rôle que peuvent jouer les troupes

légères contre les voies de communication ennemies, pour ralentir le mouvement de

l’adversaire, pour le distraire avec de fausses alarmes695 et servir de riposte contre les

688 BOIS, « Plaidoyer… », p. 26. 689 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 2, p. 123. 690 Ibid., p. 145-146. 691 GRANDMAISON, La petite guerre..., p. 2. 692 Ibid., p. 6. 693 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 2, p. 151. 694 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 89. 695 Ibid., p. 225-226.

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troupes légères opposées. Montcalm et Lévis, deux vétérans de la guerre de Succession

d’Autriche, sont particulièrement familiers avec cette forme d’offensive. Montcalm, par

exemple, a lui-même déjà dirigé une opération en terrain montagneux contre une milice du

Piémont696. Comme le souligne Dave Noël :

Le marquis est issu d’une génération d’officiers sensibilisée à l’importance des troupes légères affectées aux missions de reconnaissance, à la protection des flancs des armées et à l’attaque des convois de ravitaillement de l’ennemi. En Bohême, il a été confronté aux tactiques irrégulières des hussards hongrois et croates. […] Montcalm ne sera donc pas totalement dépaysé à son arrivée en Amérique, bien que le passage d’un continent à l’autre nécessite une période d’adaptation, comme il le reconnaîtra lui-même.697

Ce chapitre porte justement sur cette adaptation et la mise en œuvre de la petite guerre

au service du renseignement en Amérique du Nord. Avant de poursuivre, une discussion

s’impose sur l’identité des troupes légères qui sont envoyées en partis de raid pour capturer

des prisonniers et s’informer. Ce regard se posera surtout sur les Autochtones dont les

relations tendues avec l’état-major affectent la cueillette et l’échange d’informations entre

alliés. Le déroulement des opérations d’observation et de chasse aux prisonniers est ensuite

examiné en dressant de nombreux parallèles avec les traités d’époque sur la guerre de

partis. Enfin, la seconde moitié de ce chapitre démontre l’importance des prisonniers

comme source d’informations, mais aussi le risque important qu’ils posent doivent-ils

réussir à s’enfuir, rejoindre et informer le camp britannique.

4.1 QUI FORMENT LES TROUPES LÉGÈRES EN NOUVELLE-FRANCE? Le terme « troupes légères » est utilisé par l’état-major du Canada même s’il n’apparaît pas

dans le Dictionnaire de l’Académie française avant 1798 (où se trouve cette définition :

« On appelle Troupes légères, les troupes qu’on emploie hors de ligne, pour reconnoìtre,

harceler, poursuivre l’ennemi. Et on disoit autrefois, Cavalerie légère, par opposition à la

Cavalerie pesamment armée698 »). Le terme « léger » renvoie à l’aspect « Dispos &

agile699 » qui caractérise ces troupes. Celles-ci s’occupent de mener des partis, qu’Aubert

de La Chesnaye Des Bois définit dans son dictionnaire militaire comme étant « un corps de

696 NICOLAI, « A Different Kind of Courage... », p. 56. 697 NOËL, Montcalm, général américain, p. 29. 698 ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire de l’Académie françoise, Tome 2, Paris, Chez J. J. Smits et Ce., 1798, p. 17. 699 ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire…, Tome 2, 1762, p. 22.

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Cavalerie, ou d’Infanterie, qui va dans le païs ennemi; à la découverte, & au pillage. On

envoie des Partis à la guerre pour faire des Prisonniers, & avoir des nouvelles de

l’ennemi700 ». Soulignant une fois encore que les métropolitains connaissent bien

l’importance de la guerre de partis, deux « officiers partisans » sont envoyés expressément

au Canada pour la pratiquer : l’Allemand dénommé Wolff (parfois écrit Wolf), du régiment

d’Anhalt, et Carpentier, du régiment de Piémont. Le premier semble particulièrement actif

par sa forte présence dans les papiers de l’état-major. Bien que Vaudreuil ne semble pas

apprécier le caractère et la mauvaise maîtrise du français de Wolff701, le chevalier de Lévis

souligne en 1759 que « ses talents pour la guerre des partis l’ont rendu très nécessaire702 ».

Effectivement, Wolff dirige régulièrement des missions qui le mènent même jusqu’au

Massachusetts703. Non seulement rapporte-t-il de nombreux prisonniers et rapports sur

l’ennemi, mais il est aussi souvent choisi pour porter de la correspondance auprès des

Britanniques. Malgré la présence de ces deux « partisans » européens, ces messieurs sont

l’exception en Nouvelle-France où le rôle de troupes légères est occupé par les troupes de

la Marine, les guerriers autochtones et les miliciens volontaires.

4.1.1 LES TROUPES DE LA COLONIE

Dans son mémoire de 1750, La Galissonière énumère les avantages du Canada contre les

Britanniques. Parmi ses arguments, il mentionne « le nombre de Canadiens français qui se

sont accoutumés à vivre dans les bois comme les Sauvages704 ». S’il est vrai que certains

volontaires canadiens sont des combattants exceptionnels, les contemporains ainsi que les

historiens ont longtemps exagéré l’aspect belliqueux du reste de la milice canadienne. En

théorie, certes, tous les hommes âgés de 16 à 60 ans sont obligés de participer à la milice

(15 229 en tout selon le recensement de 1759705), augmentant donc les effectifs à la

disposition de l’armée, mais ceci ne fait pas d’eux une force combattante pour autant.

Comme Louise Dechêne l’a si bien démontré, renversant une historiographie quasi

700 AUBERT DE LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire militaire…, 1743, p. 385. 701 Vaudreuil à Dumas. À Montréal, le 27 mai 1760, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 38. 702 « Mémoire général des grâces demandées pour les huit bataillons des troupes de terre qui servent en Canada [Campagne de 1759] », dans Lettres du chevalier de Lévis…, p. 424. 703 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 289. 704 LA GALISSONIÈRE, Mémoire sur…, p. 7. 705 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 422-423.

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hagiographique qui exulte le mérite des miliciens, ceux-ci sont en réalité plus souvent

destinés aux corvées. Une partie non négligeable de la milice trouve également moyen de

se soustraire des combats, soit en s’engageant dans la traite ou en se payant une

substitution706. Dans les colonies britanniques, la situation de la milice est tout autre,

comme le soulève Dechêne :

En Nouvelle-Angleterre, au Connecticut par exemple, la milice fonctionne surtout comme une force défensive et une armée de réserve. Pour aller au devant de l’ennemi, les assemblées provinciales préfèrent lever et payer des compagnies de volontaires, encadrées par les notables, qui sont démobilisées à la fin de chaque campagne. Les Rangers, qui se signaleront au Canada pendant la guerre de Sept Ans, entrent dans cette catégorie mais d’autres unités militaires distinctes de la milice proprement dite ont existé dès le XVIIe siècle. Au Canada, la présence des troupes réglées empêche la milice d’évoluer vers des formes onéreuses mais plus efficaces de recrutement.707

Ainsi, la milice continue de servir à des fins militaires, mais sa vocation en tant que réelle

force de combat est depuis longtemps révolue. Il n’empêche que si la fonction combattante

de la milice a été remise en question dans l’historiographie récente, on ne peut négliger de

reconnaître son utilité grâce aux corvées qui, outre la construction de fortifications,

contribuent au renseignement en améliorant les réseaux de communications soit par la

réfection de chemins ou par leur apport au transport. Mais plus à propos du sujet présent, il

demeure qu’il existe tout de même une part de miliciens qui, effectivement, participent

activement au combat. Dans leur cas, toutefois, il serait plus précis de parler de ceux-ci

comme formant des « troupes irrégulières », se démarquant ici des troupes légères qui elles

disposent d’une formation militaire708. C’est la raison pour laquelle ils accompagnent

généralement les troupes de la Marine et ensemble sont qualifiés de manière ambiguë de

« troupes de la colonie ». Dechêne écrit :

Plus étroites qu’avec leurs officiers, les relations des miliciens avec les soldats des troupes de la Marine ont reçu peu d’attention. Les compagnies ponctuelles ou brigades créées pour les expéditions militaires de moyenne ou de grande envergure de la guerre de Sept Ans, ainsi que les petits partis de reconnaissance rassemblent ordinairement des miliciens et des soldats dans des proportions variables. L’habitude de les faire servir côte à côte est si répandue que les chroniqueurs finissent par les confondre. Tel officier parle de ses « hommes » sans faire de distinction et ceux des bataillons

706 Ibid., p. 318-322. 707 Ibid., p. 139. 708 NICOLAI, « A Different Kind of Courage... », p. 54.

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désignent volontiers sous l’appellation «troupes de la colonie» à la fois les miliciens et les soldats709.

Par leur expérience, les troupes de la Marine dirigent donc la majorité des partis.

Présentes dans la colonie depuis 1683, ces troupes sont l’unique force militaire

professionnelle au Canada jusqu’à l’arrivée des troupes de Terre en 1755. Boris Lesueur

écrit : « Pour les officiers venus d’Europe, ils faisaient penser aux troupes légères qu’ils

connaissaient déjà, d’autant qu’on leur reconnaissait un vrai courage710. » Bien que la

majorité des soldats de la Marine proviennent d’Europe, le corps des officiers coloniaux

quant à lui s’est canadianisé en moins d’un demi-siècle. C’est leur expérience dans les forts

de l’intérieur et de la diplomatie autochtone qui rendent ces officiers particulièrement

utiles. Quincy écrit dans son traité711 : « Ce n’est pas une chose aisée que de mener un Parti

d’Infanterie, ou une troupe de Cavalerie à la guerre; & l’on voit très-peu d’Officiers

capables de s’en bien acquitter712. » Le théoricien souligne à quelques reprises que les

meilleurs partisans sont ceux qui ont cumulé une expérience depuis leur jeunesse. C’est la

raison pour laquelle les officiers canadiens mènent généralement les détachements de

troupes légères. Comme le souligne Grandmaison dans son traité, « Il est absolument

nécessaire qu’un Colonel de Troupes legeres soit homme de service, & connoisse

parfaitement la partie de la petite Guerre […] [et qu’il ait] la connoissance parfaite de la

Carte du Païs […]713 ». Quincy, de son côté, entre plus en détail en spécifiant qu’un officier

« chargé de mener une troupe à la guerre, doit avoir une parfaite connoissance du païs : il

doit connoître les passages des Rivières, les défilez, les bois, les marais, les villages, censes

& hameaux des lieux où il doit marcher714 ». Les missions de découverte en particulier sont

donc confiées à des hommes d’expérience. Par exemple, alors que les Britanniques

709 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 375. 710 LESUEUR, « Les mutations d’une institution… », p. 74. 711 D’abord imprimé en 1726 dans le cadre de la série de livres sur l’Histoire Militaire Du Regne De Louis Le Grand, Roy De France, ce livre est imprimé en 1728, et réimprimé en 1745 après la mort de l’auteur. Louis Ph. SLOOS, Warfare and the Age of Printing. Catalogue of Early Printed Books From Before 1801 in Dutch Military Collections. Vol. 1, Leiden et Boston, Brill, 2009, p. 305 et p. 309. 712 Charles Sevin de QUINCY, L’art de la guerre contenant les instructions et maximes nécessaires pour tout Homme de Guerre, depuis le simple Soldat jusqu’au Général d’armée, Tant dans les Siéges & les Batailles, que dans les Marches, & généralement dans toutes les Expéditions militaires, La Haye, Chez Frédéric-Henri Scheurleer, 1745 (1728), p. 231. 713 GRANDMAISON, La petite guerre..., p. 31-32. 714 QUINCY, L’art de la guerre…, p. 232.

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explorent l’île aux Coudres à la fin de mai 1759, un parti de miliciens dirigé par l’officier

des troupes de la Marine Charles-François Tarieu de La Naudière est obligé de retraiter.

Néanmoins, « Quelques Canadiens » s’offrent de rester derrière pour observer l’ennemi.

La Naudière refuse, jugeant que ceux-ci sont « moins expers dans l’art militaire que luy » et

ne veut pas « exposer son monde à être tué ou fait prisonnier715 ». En effet, la petite guerre

n’est pas pour tout le monde. Le 20 juillet 1757, un tri important se fait parmi les troupes de

la Marine pour séparer les moins doués à la petite guerre et les destiner plutôt à augmenter

les rangs des troupes de terre. Montcalm écrit : « Les officiers qu’on attache à ce bataillon,

sont ceux qu’on sait être les moins propres à marcher avec les sauvages et à faire le métier

de partisans716 ».

4.1.2 LES AUTOCHTONES

En effet, les meilleurs partisans de la petite guerre en Amérique sont d’abord et avant tout

les guerriers autochtones. Turpin de Crissé écrit au sujet du théâtre de la guerre en Europe :

« La seule différence qu’il y a entre le Service des Troupes légeres à pied pendant la

Campagne, & celui des Hussards, c’est que ces derniers peuvent se porter plus légérement

& plus promptement partout où le Général les envoyes717 ». Pour les colonies, on peut ici

substituer le terme « guerrier autochtone » à « Hussard ». Effectivement, la comparaison se

fait régulièrement dans les témoignages d’officiers718. Montcalm écrit : « C’est qu’au

milieu des bois de l’Amérique, on ne peut pas plus se passer d’eux que de la cavalerie en

plaine719. » Comme le rappelle Stéphane Genêt : « Si les officiers européens [dont

Montcalm] peuvent douter de leur valeur militaire dans une guerre à l’européenne720, les

Amérindiens sont en revanche unanimement considérés comme d’utiles informateurs721. »

715 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 61-62. 716 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 205. 717 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 2, p. 175. 718 Par exemple. Bourlamaque écrit : « Les Sauvages sont bons pour la petite guerre, et lorsqu’ils seront de bonne volonté, un général en tirera grand parti pour avoir des nouvelles et faire des prisonniers, mais voilà tout. Les meilleurs sont tout au plus des hussards, d’ailleurs ils ne servent bien à leur manière que lorsque l’on a une supériorité décidée. Ils coûtent beaucoup, affament une armée, importunent et occupent trop les chefs et quoique méprisés du soldat, sont capables de le décourager à tout propos. » François-Charles de BOURLAMAQUE, « Un mémoire de M. de Bourlamaque sur le Canada », Bulletin des recherches historiques, Vol. 25 (1919), p. 260. 719 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 224. 720 Et pourtant! Lorsqu’ils ne se font pas confier des missions de reconnaissance, plusieurs guerriers au siège de William Henry s’adonnent à observer et même participer aux opérations de siège, pourtant vues comme

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Les alliés autochtones acceptent volontairement de mener des missions d’observation

pour déterminer s’il existe une présence ennemie dans les parages, mais vont être réticents

à faire une frappe sans s’être préparés, ce qui crée de nombreuses frustrations chez l’état-

major722. Il faut constamment négocier et dresser des plans. Il faut entre autres s’assurer de

bien indiquer les intentions derrière la mission. Autre source de frustration, la participation

des Autochtones est généralement saisonnière. Bien que certains vont tout de même rester

pour soutenir les Français en hiver, la majorité des guerriers retournent chez eux après la

campagne de guerre pour rejoindre leurs territoires de chasse723.

Le principal avantage qui est attribué aux Autochtones est leur endurance. Bougainville

et Bonin notent que des compétitions de courses se font tant au Pays des Illinois et au Pays

d’en Haut que dans la vallée de l’Ohio724. À la chasse comme à la guerre, franchir

d’énormes distances est non seulement une obligation, mais également un point d’honneur.

Comme le rapporte le Père Sébastien Rasles en 1723, « […] Ils sont si passionnés pour

cette gloire, qu’on les voit entreprendre des voyages de quatre cents lieues au milieu des

forêts, pour faire un esclave, ou pour enlever la chevelure d’un homme qu’ils auront tué. Ils

comptent pour rien les fatigues et le long jeûne qu’ils ont à supporter, surtout lorsqu’ils

approchent des terres ennemies [...]725. » Ces longues distances franchies permettent de

mieux surprendre l’ennemi726. À ces fins, l’attaque est toujours précédée par un parti

d’éclaireurs qui va épier l’adversaire pour en connaître le nombre, la condition et si celui-ci

se doute de quoi que ce soit727. Ces partis peuvent passer des journées entières à guetter un

poste sans se faire surprendre. S’il est jugé opportun d’attaquer, le couvert de la nuit permet

de faire une attaque plus efficace en surprenant le poste en question. En incendiant les

maisons à l’intérieur de l’enceinte, le chaos est semé et l’attaquant, organisé, peut donc

une activité « européenne » : ajustant le tir des canons, creusant des tranchées… ils s’adaptent et s’impliquent. BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 226 et LE GOBIEN et al., Lettres édifiantes..., p. 203. 721 GENÊT, « Le renseignement militaire… », p. 211. 722 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 304. 723 Ibid., p. 154. 724 Ibid., p. 139 et J.C.B., Voyage au Canada…, p. 221. 725 LE GOBIEN et al., Lettres édifiantes..., p. 26-27. 726 Par exemple, un parti composé de sept Abénaquis de Missisquoi capture une femme et des enfants à 20 lieues de Boston. BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 252. 727 LE GOBIEN et al., Lettres édifiantes..., p. 26-27.

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profiter des flammes pour tuer l’ennemi et faire des prisonniers728. Malgré leur réputation

d’endurance, il ne faut pas douter un instant que les activités de surveillance des guerriers

autochtones n’en sont pas moins épuisantes. Lévis décrit l’état de trois Iroquois revenus

d’Albany : « pendant deux jours qu’ils y ont été cachés pour attendre à faire coup; ils sont

arrivés excédés de fatigues, et à peine peuvent-ils marcher729 ».

L’information rapportée par ces partis n’est pas recueillie que pour les fins exclusives

de l’état-major français. Les alliés autochtones se fient sur le renseignement pour formuler

leur prochaine tactique. Dans les cas où un important camp de guerriers se trouve à

proximité d’un poste français, les rapports des éclaireurs transitent d’abord chez les chefs

de guerre, n’en déplaise aux officiers français. Les actions subséquentes peuvent également

se faire sans l’avis de l’état-major. Bougainville témoigne du retour d’éclaireurs

autochtones en septembre 1756, après avoir enquêté sur la source de plusieurs panaches de

fumée :

Après le retour un hérault, le long de la grève, a appelé au conseil les chefs des nations. Tous se sont rendus au camp des Iroquois, qui, comme supérieurs en nombre dans ce parti, donnaient le ton sans même prendre l’avis du commandant français. Les chefs, la couverte sur le corps et la lance à la main, se sont avancés gravement, ont pris leur place et fumé la pipe du conseil. Le harangueur a exposé l’objet du détachement, les rapports des découvreurs et sur cet exposé on a longuement délibéré en présence toutefois d’un interprète français. Le résultat a été qu’on envoyerait deux canots de découvreurs avec ordre de fouiller les isles, qu’à l’entrée de la nuit la flotte partirait et camperait à deux lieues au-dessus à la côte du sud, ce qui a été exécuté.730

Ces actions, indépendantes de l’état-major français, illustrent une fois de plus que la

participation des Autochtones se fait dans le contexte d’une guerre parallèle. Il est

nécessaire de faire ici un bref retour sur la diplomatie franco-autochtone pour comprendre

son influence sur le renseignement. En France, le roi entretient la notion erronée que les

Premières Nations alliées aux Français sont des sujets qui doivent être subordonnés à l’état-

major. En 1755, le roi écrit à Vaudreuil, nouvellement appointé gouverneur du Canada, lui

confiant des instructions des plus paternalistes pour augmenter la dépendance des peuples

728 Pour un cas qui a lieu en 1755 en Virginie, voir J.C.B., Voyage au Canada…, p. 118. 729 Lévis à Vaudreuil. Le 22 juillet 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 28. 730 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 135.

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autochtones tout en réduisant les coûts liés aux présents diplomatiques731. Le nœud de

l’affaire porte sur la liberté des Autochtones d’errer où bon leur semble et de faire affaire

avec qui ils veulent. Le roi conclut en observant « que depuis quelques années ils se font un

jeu de recevoir des Colliers et Pavillons anglois et ensuite de les porter aux françois pour en

recevoir des presents. Tout cela est fort couteux pour Sa Majesté et d’ailleurs indecent. Il ne

convient point d’être la Dupe de ces sortes de manœuvres732. » En réalité, le roi ne croit pas

si bien dire lorsqu’il dit qu’il est « la Dupe » : comme l’a bien illustré Fred Anderson, le

dénouement de la guerre de Sept Ans dépendra en grande partie des alliances autochtones

qui vont évoluer et se reforger selon les intérêts de chaque nation733. Si à partir de

Versailles il est facile de minimiser l’influence des Premières Nations et d’espérer leur

domination734, en pratique, les officiers français travaillent ardemment à nouer des alliances

militaires et à amadouer les conseils de guerre autochtones sur qui ils dépendent pour

obtenir la victoire dans de nombreuses batailles. La Galissonière, dans son mémoire de

1750, reconnaissait déjà que la position française dépend des alliés qui cherchent pourtant à

profiter d’une opposition égale entre les deux empires :

[Le] première [avantage du Canada] est le grand nombre d’alliances que les français entretiennent avec les Nations Sauvages ces gens qui ne se conduisent gueres que par instinct, nous aiment jusqu’à présent un peu plus qu’ils ne font les Anglais, et nous craignent beaucoup davantage : mais leur intérêt que quelques uns d’eux commencent à entrevoir, est que les forces des anglais et celles des français restent à peuprés [sic] égales, afin de vivre indépendans par la jalousie des deux Nations et de tirer des présens de l’une et de l’autre.735

Il en résulte qu’il y a autant de Nations impliquées dans cette nouvelle guerre qu’il y a

d’intérêts propres à chacun à défendre736. La guerre de Sept Ans voit donc la participation

de guerriers provenant d’une plus large étendue géographique qu’auparavant, qu’il s’agisse

731 Il est bon de rappeler encore une fois que ces pratiques ne sont pas exclusivement nord-américaines. À la fin du XVIIIe siècle, les Français font de même en Inde afin de soudoyer les chefs de guerre locaux contre les Britanniques. KEEGAN, Intelligence in War..., p. 18. 732 ANOM, Colonies, C11A 100, F°50-51bis. Extrait des instructions données à Pierre de Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial. 1755. 733 Voir : ANDERSON, Crucible of War, 862 p. 734 Sur la question de domination versus assujettissement par les Français, voir HAVARD, Empire et métissages, p. 267. Sur l’entretient des alliances et la logique d’empire, voir plus largement Ibid., p. 262-318. 735 LA GALISSONIÈRE, Mémoire sur…, p. 7. 736 Au sujet des embûches à éviter par quiconque veut étudier et comprendre les motivations des Autochtones, voir HAVARD, Empire et métissages, p. 32-38.

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de Malécites de la rivière Saint-Jean qui participent à la campagne de guerre de 1756 sur le

lac Champlain737, ou bien d’Aiouez (Iowa) provenant de l’ouest des Grands Lacs, jamais

vus au Canada avant 1757738. À large comme à petite échelle, les opérations autochtones ne

sont pas toujours menées par les membres d’une même nation : par exemple, Pouchot

rassemble trois individus pour une mission de reconnaissance, soit un Potéouatami, un

Sauteux et un Wendat739. Ainsi, si le renseignement est déjà compliqué par la querelle entre

Montcalm et Vaudreuil qui ne se partagent pas leurs informations également, la

participation d’autant de nations autochtones différentes, plusieurs ayant leurs propres

griefs respectifs entre elles, augmente la confusion possible740.

De plus, les attitudes des Français envers les alliés mettent déjà à mal l’intégrité du

réseau de renseignement autochtone. Comme le rappelle Gilles Havard, l’alliance franco-

autochtone, une « puissance militaire redoutable » forgée depuis le siècle dernier, constitue

« pourtant une coalition instable et fragile741 ». Un problème récurrent est le manque de

respect démontré de la part de plusieurs membres de l’état-major. En effet, la plupart des

officiers sont très critiques envers les guerriers autochtones742. Comme Genêt le note,

cependant : « Les préjugés [contre les Autochtones] semblent toutefois moins tenaces pour

les troupes de la Marine, davantage habituées à leur présence743. » Certaines nations

s’attirent néanmoins un peu plus de respect de la part de l’état-major, étant à ses yeux plus

fiables, comme les Abénaquis, les Micmacs et les Potéouatamis, entre autres. Il n’empêche

que les critiques surpassent les louanges. En effet, Bougainville se consacre page après

page à critiquer les alliés autochtones à tort ou à raison, souvent en se contredisant, qu’il

s’agisse de se plaindre constamment de leurs actions ou inactions, de leur violence, de leur

737 Lévis à Vaudreuil. Le 7 septembre 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 86. 738 ANDERSON, Crucible of War, p. 188. 739 POUCHOT, Mémoires..., p. 101. 740 Au sujet de l’exemple iroquois, voir MACLEOD, Les Iroquois..., 276 p. 741 HAVARD, Empire et métissages, p. 320. 742 Ils sont peu à écrire avec un certain esprit de relativisme culturel comme Pouchot, un des rares à se donner la peine d’expliquer l’art martial des alliés autochtones au lieu de simplement le décrire. Voir à ce sujet : POUCHOT, Mémoires..., p. 296-304. 743 GENÊT, « Le renseignement militaire… », p. 213.

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supposée indiscipline et, surtout, de la longueur et de la complexité de leurs conseils744.

Pour résumer sa pensée, on s’en tient à son euphémisme : « ils sont un mal nécessaire745 ».

L’instabilité de la coalition atteint son point culminant en 1757. Lors d’un conseil de

guerre à la veille du siège du fort William Henry, Bougainville démontre une véritable

dissonance cognitive en se plaignant constamment des Autochtones tout en notant dans son

journal leurs griefs pourtant légitimes qui auraient dû mitiger ses paroles :

Les Sauvages ont reçu les colliers et branches, promis de mieux observer à l’avenir la volonté de leur père, d’agir suivant sa parole et de concert entre eux, de ne plus se séparer, de demeurer tous au camp du Cher de Lévis et de s’occuper essentiellement des découvertes. Ils ont ensuite ajouté que, de leur côté, ils avaient aussi quelque chose sur le cœur; qu’on ne leur disait plus rien; qu’on ne rendait à leurs chefs aucun compte des mouvements qui se faisaient; que non-seulement on ne suivait pas leurs avis, mais qu’on ne leur exposait pas même les raisons pour lesquelles on ne les suivait pas; qu’on ne les consultait plus sur les découvertes; mais que, comme s’ils étaient des esclaves, on prétendait les faire marcher sans avoir délibéré avec leurs chefs et s’être concertés avec eux.746

Et pour effacer tout doute quant à leur utilité, les chefs de guerre rappellent à Montcalm :

« Mon père, […] tu as apporté dans ces lieux l’art de la guerre de ce monde qui est au-delà

du grand lac; nous savons que dans cet art tu es un grand maître, mais pour la science et la

ruse des découvertes, pour la connaissance de ces bois et la façon d’y faire la guerre nous

l’emportons sur toi. Consulte-nous et tu t’en trouveras bien747. » Alors que Montcalm met

fin au conseil en promettant de mieux prendre en compte leurs conseils et de les tenir au

courant de ses plans, le marquis ne tiendra pas parole. En négligeant d’inclure ses alliés

dans les négociations pour la reddition de William Henry, il s’ensuivra le célèbre

massacre748. Après ce fiasco, la fiabilité des alliances autochtones devient incertaine. Avec

raison : après tout, les guerriers participent à cette guerre avec l’intention expresse de

744 Sur les mauvaises impressions de Bougainville au sujet des alliés autochtones, voir entre autres : BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 21, p. 45, p. 134 et p. 142. Après le massacre à William Henry, Bougainville sera encore plus scandalisé : « Quel fléau! L’humanité gémit d’être obligé de se servir de pareils monstres, mais sans eux la partie serait pour nous trop inégale. » Ibid., p. 247. 745 Ibid., p. 150 et p. 231. 746 Ibid., p. 227. 747 Ibid., p. 227. 748 Bien qu’il va leur en informer après coup : « The assembled chiefs did not object to the terms and agreed to restrain their young warriors, but politeness may have been read as acquiescence. » Ian K. STEELE, Betrayals: Fort William Henry & the “Massacre”, New York, Oxford University Press, 1993, p. 110-111. Voir aussi p. 132.

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chasser l’ennemi du territoire et de rapporter des prisonniers et du butin dans leurs villages

respectifs. Montcalm, d’un trait, leur a refusé les deux, offrant les honneurs de la guerre au

vaincu libre de s’en aller—un non-sens aux yeux des Premières Nations. Cette

désintégration de la cohésion entre Français et Autochtones a un autre effet important sur le

renseignement. Bien que les Autochtones ne soient pas soumis aux Français, les

Britanniques menacent ces derniers de représailles pour leur manque de « contrôle » de

leurs alliés. Tout comme les gazettes en Europe critiqueront les Russes et leur emploi de

Cosaques et de Kalmouks749, la propagande anti-française va s’appuyer sur les actions

commises par les Autochtones. Si les partis autochtones continuent d’exister jusqu’à la fin

de la guerre, le dégoût mutuel qui se développe entre alliés après la campagne de 1757 va

dorénavant diminuer leur nombre de manière significative750.

4.1.3 LA CAVALERIE

Alors que les campagnes de 1759 et de 1760 ont lieu auprès des deux principales villes de

la vallée du Saint-Laurent, l’état-major décide de créer une cavalerie. Celle-ci peut être

considérée comme une troupe légère qui « selon l’usage, [est] moitié à pied moitié à

cheval751 ». Montcalm estime qu’il faudrait entre 600 et 1 000 chevaux pour que la

cavalerie soit utile au combat en plaine752. Devant l’impossibilité de compter sur autant de

cavaliers, il est donc décidé que la cavalerie servira simplement à « Faire des patrouilles le

long de la côte » et à intercepter toute tentative de débarquement de l’ennemi753. Bémol

supplémentaire, l’état-major ne peut compter que sur un petit nombre d’officiers qui a

749 À ce sujet, voir Marian FÜSSEL, « “Féroces et barbares?” Cossacks, Kalmyks and Russian Irregular Warfare During the Seven Years’ War », dans Mark H. DANLEY et Patrick J. SPEELMAN (dir.), The Seven Years’ War: Global Views, Boston, Brill, 2012, p. 243-262. 750 Montcalm va même se féliciter d’avoir pu se passer d’eux à la bataille de Carillon. Lévis confirme : « On n’avait point de sauvages pour envoyer en avant à la découverte » (9 juillet 1758). Si Montcalm cherche à gagner la guerre le plus possible sans l’aide des alliés autochtones, ce n’est pas le cas du gouverneur de la Louisiane, Kerlérec, qui peine à maintenir la fidélité de plusieurs nations. Les Chactas en particulier sont visités par les Britanniques. Il ne réussit à maintenir la paix qu’à coût de présents et en convainquant les Chactas de faire la guerre contre les Chicachas. MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 336 et p. 338-339; LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 104 et ANOM, Colonies, C13A 42, F°54. Kerlérec au ministre. À La Mobile, le 25 juillet 1760. 751 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 2, p. 176. 752 Il vaut la peine de noter que les Britanniques ont eux aussi quelques chevaux pendant la campagne de 1759. D’ailleurs, un des premiers prisonniers britanniques en monture n’est nul autre que le petit-fils de l’amiral Saunders. MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 440-441. 753 Montcalm, Points à décider par M. le marquis de Vaudreuil après en avoir conféré avec M. l’intendant. À Québec, le 17 juin 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres et pièces militaires…, p. 175-177.

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l’expérience nécessaire pour mener ces opérations. Selon le contrôle préparatoire pour la

bataille de Sainte-Foy, les 200 cavaliers sont tous des miliciens, menés par 5 officiers de

l’armée754.

En juin 1759, 200 chevaux sont placés à la disposition de M. de la Rochebeaucour755,

second aide de camp de Montcalm, et de Pierre-Grégoire de Gardies de la Baume de Saint-

Romme756. Ces bêtes sont décrites comme étant « uniquement bon[ne]s pour ordonnances,

patrouilles, [et] aller vite se battre à pied757. » La concentration d’autant de chevaux à la

disposition de l’armée est chose nouvelle puisque « Tous les selliers de la ville sont

occupés à faire des selles758. » Une fois organisée, la cavalerie se présente devant le château

du gouverneur le 13 juin. Touche finale quelques jours plus tard, on confectionne pour ce

corps des uniformes « bleu[s] avec paremens et collet rouge, et croise sur l’estomach759 ».

La cavalerie n’a pas de camp fixe, puisque son utilité dépend de sa mobilité

constante760. En peu de temps, d’ailleurs, elle se prouve utile : « jusqu’à présent, on tire

assez bien partie pour ordonnances et patrouilles; il n’en faut même guère attendre

d’autre761. » En effet, elle va empêcher de nombreuses tentatives de débarquement de

l’ennemi762. Elle va également servir à poursuivre les déserteurs, comme cet Italien du

régiment de Béarn qui réussit malgré tout à s’échapper le 5 août763. En Europe, les traités

rappellent que « […] le nom général de Cavalerie legere […] ne doit pas être confondu

754 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 193. 755 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 439. 756 Lire à leur sujet ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 162, note 105 et 106. 757 En 1765, il y a 13 488 chevaux au Canada. Malgré tout, leur utilisation se limite aux terres labourées et à voyager sur les rares routes. MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 457 et CASSEL, « Troupes de la marine... », p. 290-291. 758 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 64. 759 Originalement, Montcalm proposait : « Si l’on veut leur donner un air de guerre à peu de frais, il leur faudroit des bonnets avec des peaux d’ours, des capotes amples, uniformes, blanches ou bleues, et je préfèrerois le bleu; cependant, c’est indiférent; des sabres et des bons fusils ». ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 69 et Montcalm, Points à décider par M. le marquis de Vaudreuil après en avoir conféré avec M. l’intendant. À Québec, le 17 juin 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres et pièces militaires…, p. 77. 760 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 91. 761 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 464. 762 Voir par exemple BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 346-347. Voir aussi STACEY, Quebec, 1759, p. 93-94. 763 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 112 et p. 203, note 281.

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avec les Compagnies des Chevaux-Legers d’Ordonnance764 ». À Québec, au contraire, on

profite de la cavalerie pour mener les ordonnances et ce, en soulignant qu’on peut s’en

servir pour remplacer les messagers autochtones « quoique […] cela va aussi vite765 ».

Pendant la bataille de Sainte-Foy, la cavalerie se retrouve à pied766. Même sans

chevaux, ses opérations sont essentiellement d’observation, puisqu’elles « n’ont jamais eu

part à l’action767 ». Néanmoins, en septembre 1760, des volontaires sont à cheval à

nouveau, envoyés en mission d’observation de l’armée d’Amherst qui vient de rejoindre

l’Île Perrot. Les cavaliers arriveront à Lachine en même temps que les bateaux

britanniques768. Cependant, ces volontaires sont exceptionnels : composée de miliciens, la

cavalerie peinera à se réorganiser pour la défense finale de Montréal, bien qu’on chercha à

forcer sa participation769. En effet, les menaces d’Amherst sapent l’ardeur de la milice en

général qui abandonne l’état-major pendant cette dernière confrontation qui marque

également la fin de la courte vie de la cavalerie en Nouvelle-France.

En somme, malgré sa brève existence liée au manque de chemins de terre ailleurs dans

la colonie, la cavalerie est non seulement utile pour le renseignement de l’état-major au

Canada mais démontre encore une fois l’européanisation de la guerre.

4.2 LES TROUPES LÉGÈRES EN ACTION Bien que les troupes légères soient actives sur tous les fronts de guerre en Nouvelle-France,

Turpin de Crissé souligne dans son traité qu’elles sont particulièrement importantes dans

« un païs de montagne », où elles sont utiles pour maintenir « les communications entre

chaque Corps770 ». Effectivement, chaque région de la colonie pose ses propres problèmes

géographiques à surmonter et à maîtriser, mais parmi les plus difficiles à contrôler se trouve

764 François-Alexandre AUBERT DE LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire militaire ou recueil alphabétique de tous les termes propres à l’Art de la Guerre. Tome 1, Paris, Chez Gissey, Bordelet et David le jeune, 1745, p. 218. 765 Cette instruction souligne une fois de plus le dégoût de l’état-major de devoir avoir recours aux Autochtones. Montcalm à Lévis. Au camp de Beauport, le 11 juillet 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Montcalm…, p. 185-186. 766 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 198. 767 Ibid., p. 200. 768 Lévis accuse ses cavaliers d’avoir « voulu trop attendre ». Ibid., p. 228. 769 Roquemaure à Lévis. À La Prairie, le 1er septembre 1760 à huit heures du soir, dans CASGRAIN (dir.), Extraits des archives…, p. 134. 770 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 90.

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la vallée montagneuse du lac Champlain et du lac Saint-Sacrement (ou Lake George). Les

confrontations les plus violentes entre les troupes coloniales et autochtones contre les

Rangers britanniques y ont lieu. La région offre donc les meilleurs exemples de l’utilisation

de la petite guerre pendant la Conquête. Rejointe par la rivière Richelieu au nord et par la

rivière Hudson au sud (par un portage), la vallée est nichée entre les monts Adirondacks et

les montagnes Vertes (Green Mountains). Bien avant l’arrivée des premiers explorateurs

européens, ce couloir fut le théâtre de nombreuses guerres entre peuples autochtones et,

depuis le passage de Champlain, entre colonies. Même si le lac Champlain est six fois plus

petit que le lac Ontario (le moins imposant des Grands Lacs), la navigation de sa surface

n’est pas nécessairement plus aisée. Recouvrant 1 127 km2 sur 172 kilomètres de long et 23

kilomètres à son plus large771, le lac est plus propre à être navigué par une petite marine que

par des canots. Le lac George, quant à lui, fait 51 km de long et 5 km à son plus large772.

Un portage d’une lieue sépare les deux773. Si les Français maîtrisent plus ou moins le lac

Champlain, le lac George plus au sud est un véritable guet-apens par la présence de

nombreuses îles où les Britanniques maintiennent des postes retranchés774. Tant pour les

Français que pour les Britanniques, les montagnes de la vallée sont des points importants

d’où l’un peut observer l’autre. Comme Bougainville écrit dans son journal :

[…] Entre ces montagnes l’observateur suit les sinuosités des différentes coulées qui servent de chemin aux Sauvages et par lesquelles il faut nécessairement passer lorsqu’on veut aller par terre de St-Frédéric ou de Carillon aux Forts George, Lydius, Sarasto, etc., et réciproquement. Au reste pour se conduire dans ces routes obscures il faut ou un Sauvage ou une boussole pour guide. Dans ce dernier cas encore doit-on être parfaitement instruit de la position des lieux principaux, soit forts, soit cours de lacs ou rivières.775

Effectivement, en ce qui concerne le renseignement, les troupes légères servent d’abord et

avant tout à aller reconnaître le terrain et la présence de l’ennemi776. Leurs rapports sont ce

771 « Lake Champlain », Encyclopaedia Britannica. Encyclopaedia Britannica Online Academic Edition. Encyclopædia Britannica Inc., 2013. 772 « Lake George. », Encyclopaedia Britannica. Encyclopaedia Britannica Online Academic Edition. Encyclopædia Britannica Inc., 2008. 773 Lévis à Mirepoix. Au camp de Carillon, le 4 septembre 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 140. 774 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 132. 775 Ibid., p. 317. 776 NERICH, La petite guerre…, p. 151-153.

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qui se rapproche le plus du renseignement en temps réel à la disposition de l’état-major.

Comme Keegan le rappelle : « Sight is, of course, the principal and most immediate

medium of real-time intelligence. It was so in the pre-telegraphic age and it has become so

again in the age of electronic visual display777. » Toutefois, outre la longue-vue (utilisée

même par les alliés autochtones778), l’armée française n’a recours à aucun autre moyen

technologique pour observer l’adversaire. Comme le rappelle Ewa Anklam :

La distinction moderne entre la reconnaissance à longue distance et à courte distance, et la reconnaissance aérienne ainsi que la reconnaissance par le service de renseignement militaire, à être clairement distingués des premiers champs d’activité, ne s’appliquaient pas au temps de la guerre de Sept Ans. Le renseignement à courte distance et le renseignement de terrain ainsi que l’acquisition de renseignement sur l’ennemi étaient entreprises par des éclaireurs […] comprenant par exemple des ingénieurs géographes, ainsi que des troupes légères.779

C’est par ces opérations d’observation directe que l’état-major prend connaissance du

terrain, des effectifs ennemis, de l’état de leur armée, de leurs défenses et de toutes autres

informations en lien avec la logistique de guerre. Avant même d’envoyer des détachements

à partir des forts, on établit des camps avancés afin de permettre l’observation de toute

armée qui pourrait s’approcher. En 1756, le camp français le plus avancé à partir du fort

Carillon est à une demi-lieue en avant du camp du portage menant au lac George, composé

de 400 hommes menés par Contrecœur780. Grandmaison nous renseigne qu’à chaque camp,

le responsable des troupes légères doit s’assurer d’établir « une garde pour sa sûreté781, &

un homme d’ordonnance de chaque poste, pour porter ses ordres782 ». En effet, chaque

camp avancé fait partie d’une chaîne qui relie l’information de poste en poste jusqu’au fort

Carillon, puis au fort Saint-Frédéric avant d’être envoyée jusqu’à Montréal puis à Québec

au besoin.

777 KEEGAN, Intelligence in War..., p. 22. 778 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 134. 779 ANKLAM, « Battre l’estrade… », p. 214. 780 En 1756, les autres avant-postes importants du fort Carillon sont celui de Saint-Martin et de La Corne, en plus de quelques bivouacs environnants. François-Gaston de LÉVIS, Carte de la région comprise entre le lac Champlain et la rivière d’Hudson, avec les forts Saint-Frédéric, Vaudreuil, Georges et Lidius, dessin à la plume aquarellée sur papier 52,2 x 75 cm. 27 octobre 1756, Archives nationales, Outre-Mer, Colonies (Aix-en-Provence), Série F3 : Collection Moreau de Saint Méry, FR CAOM F3/290/071. 781 Témoin d’un camp temporaire, le captif Thomas Brown observe effectivement que les sentinelles crient « Tout va bien! » au quart d’heure. BROWN, « A Plain Narrativ... », p. 211. 782 GRANDMAISON, La petite guerre..., p. 70.

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Les partis de reconnaissance se divisent entre des expéditions en canots et des

expéditions à pied. Chaque jour, on envoie entre autres « deux bateaux bien armés [...]

[pour] observer les mouvements de l’ennemi dans le lac783. » Les bateaux et ces canots

envoyés quotidiennement sonder le fond du lac Champlain et les berges du lac George

courent toujours le risque de rencontrer des embarcations ennemies similaires784. Les îles

du lac George posent d’ailleurs un problème particulier puisque l’ennemi s’y réfugie et s’en

sert comme postes d’observation à sa propre avant-garde. Les partis à pied sont encore plus

à risque : les montagnes entourant fourmillent de partis ennemis. À de nombreuses reprises,

les missions d’observation se transforment en escarmouches lorsqu’un détachement tombe

sur une expédition britannique.

Grandmaison nous instruit que les partis ont mission « d’interrompre les

communications de l’Armée ennemie au commencement & à la fin d’une campagne785. »

En effet, le besoin de priver l’ennemi de ses propres canots et autres embarcations est

souvent soulevé dans les sources786. Tout au long des campagnes dans la vallée, les deux

côtés seront constamment en train de dissimuler, confisquer, brûler ou couler des canots et

d’autres embarcations. Les camps avancés français se font régulièrement reconnaitre à leur

tour par les découvreurs ennemis qui font parfois des victimes787. Il faut donc également

chercher à chasser les troupes légères qui rôdent près de ces camps. Par exemple, en 1757,

alors que le fort St-Frédéric est toujours surveillé par l’adversaire, Lévis espère éloigner

leurs découvreurs à l’aide d’un détachement de guerriers788. Si possible, les raids contre les

Français sont immédiatement suivis d’une riposte afin de tenter de capturer les

responsables. Mais par la nature furtive de cette petite guerre, il est souvent difficile de

porter des représailles à temps. Sans oublier que sur le plan tactique, le but premier des

raids est justement de semer la terreur et la confusion. Même l’état-major n’est pas exempt

783 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 132. 784 Par exemple les « Soldats canoteurs de Bradstreet ». Ibid., p. 200, p. 274 et LE GOBIEN et al., Lettres édifiantes..., p. 176-177. 785 GRANDMAISON, La petite guerre..., p. 308. 786 Voir par exemple : Lévis à Vaudreuil. Le 2 août 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 36. 787 Lévis à Machault et d’Argenson. Le 20 août 1756, dans Ibid., p. 58 et LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 45, p. 54, et p. 55. 788 Lévis à Vaudreuil. Le 11 juillet 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 121.

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de l’effet psychologique de ces agressions. Par exemple, le 3 septembre 1756, après la

découverte « [d’]une chevelure levée à deux lieues de la Prairie », Montcalm s’entoure

d’une escorte de 15 soldats et 30 guerriers outaouais en se rendant à Saint-Jean789.

Les officiers métropolitains sont nombreux à commenter les aspects de la petite guerre

en Amérique, dont la taille des expéditions. Par exemple, d’Aleyrac écrit : « Il est d’usage

chez [les troupes de la colonie canadienne] de faire la guerre par détachements appelés

découvertes, composés ordinairement de 2 ou 300 hommes, souvent moins, qui vont de

temps en temps avec les sauvages surprendre quelque parti anglais et amener des

prisonniers et rapporter des chevelures. C’est ce qu’ils appellent faire “coup”790. » Plus

précisément, ces partis de guerre sont de taille variable selon le besoin d’une mission et

peuvent dépasser le nombre soulevé par d’Aleyrac : des partis de 400791, 500, 700 et même

1 500 hommes peuvent être organisés792. Bien que les partis de reconnaissance puissent

donc être assez gros afin de riposter en cas de contre-attaque, avoir un grand nombre de

combattants pose souvent problème. D’abord, il n’est pas aisé de diviser ses effectifs pour

mener de la surveillance tout en maintenant le rythme de construction d’un lieu fortifié793.

Deuxièmement, les détachements de troupes légères sont normalement composés d’un petit

nombre d’hommes—en moyenne quelques dizaines, voire une centaine au plus—justement

pour demeurer discrets et se déplacer plus rapidement. Parfois, la taille des détachements,

qu’elle soit petite ou grande, ne satisfait aucun critère. Par exemple, Bougainville se plaint

789 Les coupables n’ont jamais été appréhendés. « Des Sauvages envoyés courir après ceux qui avaient fait le coup de la Prairie sont revenus n’ayant rien trouvé. » Il est intéressant de remarquer aussi par cette anecdote que Montcalm, en temps normal, se déplaçait donc avec des escortes inférieures au nombre ci-donné par Bougainville. BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 129-130. 790 ALEYRAC, Aventures militaires…, p. 43. 791 Dans un contexte où les ingénieurs sont rares, les Français ne prennent pas de risque et les font accompagner par une escorte importante de troupes légères. C’est ce qui explique que l’ingénieur Jean-Claude-Henri de Lombard de Combles est accompagné par plus de 400 hommes pour observer le fort Chouaguen. Ironie du sort, l’officier se fait tuer par un allié autochtone qui le méprend pour un Anglais. MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 85. Voir aussi la biographie de De Combles : F. J. THORPE, « Jean-Claude-Henri de Lombard de Combles », dans DBC, Vol. III de 1741 à 1770, Québec, Presses de l’Université Laval, 1974, p. 438-439. Sur la protection des ingénieurs par les troupes légères, voir Hervé DRÉVILLON, « Raison militaire, raisons d’État. 1660-1789 », dans Hervé DRÉVILLON et Olivier WIEVORKA (dir.), Histoire militaire de la France. Tome I : des Mérovingiens au Second Empire, Paris, Perrin et Ministère des Armées, 2018. p. 390. 792 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 124; Lévis à d’Argenson. Le 18 septembre 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 95 et MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 69. 793 Lévis à Bigot. Le 2 août 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 40.

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au sujet d’un parti dirigé par Belestre en octobre 1757 contre Schenectady : « On a fait

partir [un parti composé de] 8 offers, 12 cadets, 300 Sauvages, 15 soldats et 30 Canadiens

pour aller frapper du côté de Corlar [Schenectady]. Ce détachement est trop considérable

pour faire des chevelures et trop faible pour un coup de cette importance794. » D’ailleurs,

les Britanniques en font autant : par exemple, un détachement de 350 hommes mené par le

colonel Parker se déplace en embarcation sur le lac George pour « tâter [les] postes

[français] avancés795 ». L’expédition se fait embusquer, se soldant avec la capture de 200

hommes et la perte des autres.

Effectivement, en cherchant à se renseigner sur l’ennemi, il faut faire attention à ne pas

accidentellement signaler sa propre présence. Pour prévenir ce genre d’incident, les troupes

coloniales et les guerriers autochtones se laissent devancer par une avant-garde formée de

découvreurs. Les troupes s’arrêtent régulièrement pendant leurs marches pour attendre les

rapports de ces derniers avant de poursuivre leur marche796. La discrétion générale est

également le mot d’ordre alors qu’on cherche justement des traces de l’ennemi. Celles-ci

peuvent être détectées de plusieurs façons : empreintes, camps abandonnés, colonnes de

fumées provenant de feux de camp797... et même la présence d’animaux de compagnie798!

D’ailleurs, lorsqu’un parti composé exclusivement de guerriers mène un raid, celui-ci peut

rester « trois ou quatre jours sans manger », occupé à réduire ses moindres traces799. De

plus, alors que certains contemporains comme Bonin rapportent que les armes à feu ont

plus ou moins remplacé l’utilisation de flèches chez les Autochtones, « en sorte que la

flèche ne sert plus qu’aux enfants pour les former à l’adresse800 », cette observation ne

semble pas être universelle puisqu’en Louisiane on confie la chasse au gibier aux guerriers

accompagnateurs et leurs arcs afin d’éviter de signaler sa présence à l’ennemi par des coups

794 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 243. 795 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 216-217. 796 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 105 et POUCHOT, Mémoires..., p. 298. 797 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 134 et Lévis à Vaudreuil. Le 22 juillet 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 26. 798 Le 29 septembre 1756, un petit parti d’Abénaquis croise en chemin « deux chiens qui leur ont fait soupçonner qu’il y avait là, ou un détachement, ou des chasseurs, et prendre le parti de revenir à toutes jambes. » BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 139. 799 POUCHOT, Mémoires..., p. 298. 800 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 233.

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de feu801. La discrétion autochtone n’est pas générale, toutefois : au début de la campagne

de Québec, Montcalm se plaint que les éclaireurs autochtones à sa disposition ne

démontrent plus autant de soin à être discrets802.

Pour souligner encore une fois que la petite guerre n’est pas une invention purement

nord-américaine, on remarque que les instructions dans les traités sur ce que doivent faire

les troupes légères à proximité du camp ennemi, bien qu’écrites pour un contexte européen,

reflètent à peu près ce que font les troupes coloniales :

il fait bon le premier jour s’embusquer sur la communication, parce qu’il y a certainement une grande quantité d’Officiers, de Valets, de Vivandiers, qui vont en arrivant à la provision ou à leurs affaires particulières. S’il y a un camp-volant à quelque distance de l’Armée, on se place pareillement sur la communication de l’un à l’autre, pour intercepter de petits convois ou des Couriers, dont les dépêches sont souvent interressantes pour votre Général. Ces enlevemens sur des communications éloignées de votre Armée, se font orginairement par de petis Partis abandonnés à eux-mêmes, qui se rendent invisibles dans le Païs, en ne paroissant que pour faire leur coup. Ils passent le jour avec une Sentinelle sur un arbre, cachée à une certaine distance du chemin, pour découvrir & n’être point découvert. […] Quand ils marchent, ils ont toujours deux hommes en avant aux écoutes, afin d’éviter la rencontre de quelque Troupe, en se jettant de droite ou de gauche. […] S’il se présente une capture, comme […] un Courier […] il faut tomber dessus si brusquement, que personne n’ait le tems de se mettre en défense, ni même de se sauver […].803

En effet, les troupes de la colonie « se cachent en attendant que quelqu’un passe, ils

n’attaquent souvent qu’un homme seul ou une femme qui travaille, quelque soldat ou autre

personne804 ». Pendant la campagne contre Chouaguen en 1756, on confie aux

détachements de Canadiens et d’Autochtones la mission d’intercepter les courriers sur la

route entre ce fort et Albany805. Sur le lac George, la principale cible des partis —et surtout

alliés806—est la route reliant le fort William Henry au fort Edward (surnommé Lydius par

les Français). Comme Grandmaison l’écrit : « Ils forment leurs embuscades dans des

chemins serrés, dans les bois, près d’un mauvais passage, sur les bords d’une rivière

801 Macarty à Favrot. Aux Illinois, le 14 avril 1758, dans The Favrot Papers, 1695–1769. Volume 1, p. 31. 802 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 447. 803 GRANDMAISON, La petite guerre..., p. 302-305. 804 ALEYRAC, Aventures militaires…, p. 33. 805 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 120 et p. 125-126. 806 « La grande utilité dont les Sauvages nous doivent être, c’est d’inonder de petits partis le chemin de Lydius et les bois voisins, d’intercepter tout courrier ou convoi peu considérable et de nous avertir des grands mouvemens qui pourraient se faire au fort Lydius assez à tems pour nous mettre en état de prendre un parti sans être surpris. » Ibid., p. 226.

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navigable, pour arrêter les bateaux chargés d’effets & de munition pour l’Armée ennemie,

& même les barques publiques, où il y a souvent des Officiers & des équipages807. » Non

seulement rapporte-t-on de nombreux prisonniers du « chemin de Lydius », mais on y fait

une des plus belles interceptions d’information de la guerre. Le coup en question est dirigé

par Kanectagon, un guide iroquois décrit comme étant un « fameux chasseur808 ». Le 5 août

1757, celui-ci intercepte et tue le messager transportant une lettre entre le général Webb au

fort Edward et le lieutenant-colonel Monro au fort William Henry. La lettre, découverte

dans la doublure de la veste du messager, a un effet immédiat sur l’ardeur des efforts des

Français, maintenant au courant que le commandant du fort assiégé ne peut pas espérer

avoir un secours immédiat. « Cette lettre tombée aussi heureusement entre nos mains a

déterminé le Mis de Montcalm à pousser encore plus la construction des batteries809. » La

lecture de cette lettre auprès de Monro « engag[ea] les Anglais à se rendre plus tôt810 ».

L’événement est si remarquable que le Mercure de France prend la peine de le noter811 et

l’anecdote devient célèbre grâce au roman Le dernier des Mohicans de James Fenimore

Cooper812.

À l’inverse, il arrive souvent que ces détachements reviennent bredouilles pour de

nombreuses raisons. Par exemple, il peut arriver à un parti de rencontrer des circonstances

les obligeant de tuer leurs cibles plutôt que de les capturer. C’est le cas entre autres du parti

mené par Herbin fils, où la proximité de « gardes des ennemis » le pousse à tuer ses deux

prisonniers plutôt que de les ramener813. Le nombre de partis inefficaces de

reconnaissances est tout de même important, à tel point que Bougainville se plaint : « Le

Sr Outlas, cadet de la colonie, est envoyé à la découverte au fond du lac St-Sacrement. Il

s’en tient à cinq lieues, revient et dit : “J’ai découvert...”. Voilà comment se font ici les

découvertes par la plupart de ces messieurs814. » En effet, très souvent, les partis de

807 GRANDMAISON, La petite guerre..., p. 307. 808 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 220. 809 Ibid., p. 226. 810 Ibid., p. 228-229. 811 Le Mercure de France, novembre 1757, p. 192. 812 Une interception semblable a lieu à Chouaguen l’année précédente. MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 92. 813 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 113. 814 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 290.

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reconnaissance vont rejoindre un poste, sans nécessairement s’en approcher de peur de se

faire capturer. La frustration des membres de l’état-major est palpable lorsqu’ils décrivent

ces échecs du renseignement. Malgré la réputation belliqueuse des Canadiens et des

Autochtones, la peur affecte le jugement de plusieurs815. Parfois, la nervosité créée par la

crainte de tomber sur l’ennemi fait voir le danger où il n’y en a pas et l’état-major doit

souvent gronder les découvreurs816. La peur de tomber sur un parti ennemi est tellement

importante qu’elle marque même la toponymie : en effet, il existe déjà sur le lac Champlain

la « pointe à la Peur », nom qui d’après Montcalm remonte au début du XVIIIe siècle

lorsqu’une expédition française méprit le bruit d’un chevreuil dans les bois pour l’ennemi

et fut épouvantée817. À plusieurs reprises, les découvreurs reviennent avec de faux rapports

alimentés par de telles illusions. Par exemple, le 8 août 1757, des guerriers rapportent qu’un

« corps considérable d’ennemis » est en marche sur le chemin entre le fort William Henry

et le fort Edward. La nouvelle se révèle fausse, non sans avoir provoqué le déplacement

d’une large partie de l’armée pour en découvrir la teneur818. Heureusement pour les plus

nerveux, l’ennemi s’épouvante souvent tout aussi facilement819.

Malgré l’expérience des officiers canadiens, il ne faut pas négliger de prendre des

guides. Grandmaison écrit qu’il est utile d’intégrer des étrangers (lire plutôt des gens

originaires du pays où on se bat) dans les troupes légères afin de leur servir de guides,

d’espions et d’interprètes820. Le choix de certains guerriers comme guides s’impose donc.

Par exemple, lors des préparatifs pour le siège du fort William Henry, les Iroquois servent

de guides sur le lac Champlain, car, selon leurs propres paroles, ils sont « les enfants de

cette contrée821 ». En effet, ce ne sont pas toutes les nations qui sont familières avec la

géographie du théâtre de la guerre. Quelques-unes proviennent de régions si éloignées

815 Au sujet des guerriers autochtones et la peur, voir NOËL, Montcalm, général américain, p. 42-43. 816 Lévis à Montcalm. Le 20 août 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 62-63. 817 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 202. 818 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 230. 819 C’est le cas du matin 22 juillet 1757 alors qu’un parti composé d’une centaine de guerriers autochtones et d’une vingtaine de Canadiens sont en mission sur les côtes du lac George. « Huit d’entre eux ont rencontré 20 Anglais; mutuellement ils se sont fait peur et chacun s’est enfui de son côté ». Ibid., p. 203. 820 GRANDMAISON, La petite guerre..., p. 114. Voir aussi QUINCY, L’art de la guerre…, p. 234. 821 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 217 et p. 220. Voir aussi Kenneth E. KIDD, « Kisensik », dans DBC, Vol. III de 1741 à 1770, Québec, Presses de l’Université Laval, 1974, p. 353-354.

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« [qu’]aucun interprète canadien n’entend la langue822 ». Néanmoins, on doit se rappeler

encore une fois que les Autochtones participent essentiellement de leur propre gré et que,

même en tant que guides, ils ne sont pas soumis aux Français. Leur participation dépend

des alliances et de la confiance qui leur est accordée, faute de quoi il y a risque de se mettre

les guerriers à dos. Un des exemples les plus notoires d’un renversement d’alliance a lieu

en juillet 1758 alors qu’un détachement de 350 hommes, mené par le sieur Langis pour

patrouiller les montagnes de la vallée du lac Champlain, est abandonné par le « petit

nombre de Sauvages qui lui servaient de guides823 ». En conséquence, le parti s’égare

pendant une demi-journée avant de tomber, comble du malheur, sur un parti britannique. Ce

n’est que par les bruits de l’escarmouche que les renforts retrouvent le parti, lui venant en

aide non sans que le tout se solde avec la perte d’environ 150 hommes824.

Enfin, même après la reddition d’une place, on continue d’envoyer des partis

reconnaître les environs tant et aussi longtemps qu’il demeure des troupes ennemies à

évacuer de la place. Par exemple, les partis vont poursuivre leur quête de prisonniers dans

la région du lac Champlain même après la perte des forts Carillon et Saint-Frédéric, jusqu’à

l’été 1760825.

4.3 RAPPORTS D’OBSERVATION La principale faiblesse du renseignement rapportée par les troupes légères est le besoin de

tout double vérifier, particulièrement les « nouvelles Sauvages826 ». Déjà après une

première campagne de guerre en Canada, Bougainville se fatigue des rapports conflictuels

de la part des alliés autochtones : « Ils disent ce qu’ils veulent, et le plus sage est de ne faire

aucun fondement sur les découvertes des Sauvages et des demi-Sauvages827. » Le degré de

confiance accordé aux nouvelles des Autochtones, souvent les premiers informateurs,

822 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 190. 823 Ibid., p. 275. 824 Ibid. 825 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 179, p. 192 et p. 217. 826 « Tous les rapports des Sauvages sont faux, ils ne vont pas où l’on veut qu’ils aillent, mais où ils veulent aller, c’est-à-dire où il n’y a aucun danger; les dépositions des prisonniers sont incertaines, se contredisent et on ne peut d’après elles asseoir aucun jugement militaire. » BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 199. 827 Ibid., p. 146.

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dépend donc s’il y a concordance entre elles et les rapports d’officiers ou de prisonniers828.

Dans ce contexte particulier, les officiers métropolitains réévaluent constamment l’utilité

des guerriers autochtones et veulent s’inspirer des Britanniques : si les troupes de la Marine

sont les experts incontestés de la petite guerre au sein des forces françaises, les Rogers

Rangers sont des « gens d’élite829 » aux yeux de Montcalm, car ils éliminent en grande

partie la dépendance des Britanniques à l’égard d’agents autochtones830. Le 18 juillet 1757

à la veille du siège de William Henry, Bougainville souligne leur constance (nos italiques) :

« Les ennemis sont fort alertes. Ils ont continuellement des découvreurs en campagne. Le

mauvais succès de la plupart de ces détachements, la grande quantité de nos Sauvages, ne

les dégoûtent pas de la petite guerre : avantage d’avoir des compagnies de volontaires,

exemple que nous aurions dû suivre831. » Les Rangers inspirent cette réflexion chez l’aide

de camp :

En général, il me semble qu’on ne tire pas des Sauvages tout le parti qu’on en pourrait tirer. Avec moins de complaisance servile pour tous leurs caprices, moins de respect pour les sottises qu’ils font, plus d’indifférence extérieure pour les services qu’on attend d’eux, on les accoutumerait aux égards vis-à-vis des Français, à l’obéissance, je dirai même à une espèce de subordination. Enfin s’ils croyaient qu’on peut se passer d’eux, ils chercheraient à se faire valoir par des services réels. Des compagnies de volontaires, qui, à force de courir les bois, auraient appris à les connaître et à se passer de guides, seraient un merveilleux aiguillon pour piquer d’honneur ces barbares, car l’amour-propre est de tous les mondes et l’orgueil est la seule richesse de tout Sauvage.832

Toutefois, malgré ce jugement acerbe au sujet des alliés, il faut tout autant double

vérifier les rapports des découvreurs canadiens et les dépositions de prisonniers qui se

contredisent souvent. Par exemple, il y a certainement une différence entre le rapport de

découvreurs en danger de se faire repérer et celui d’un officier envoyé auprès de l’ennemi

sous la protection d’un pavillon parlementaire. Pour emprunter les paroles de Bougainville,

« il en faut croire plutôt le rapport de celui des deux qui certainement a vu de sang-

froid833 ». L’erreur la plus commune qui se glisse dans les rapports porte sur les effectifs

828 Duquesne à Marin. À Montréal, le 13 mai 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 39. 829 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 135. 830 Bien que les Rogers’ Rangers ont également des Autochtones et des Noirs dans leurs rangs. BRUMWELL, White Devil, p. 102. 831 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 200. 832 Ibid., p. 150. 833 Ibid., p. 308.

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ennemis834. De plus, même si on se méfie qu’une nouvelle soit fausse, on craint autant d’en

ignorer une qui soit vraie835, menant à de nombreuses fausses alertes836. Alors que la guerre

progresse, certains membres de l’état-major insistent pour vérifier eux-mêmes les dires des

troupes légères. Par exemple, à la fin de l’été 1757, Lévis décide de mener en personne une

reconnaissance du fond du lac Champlain « pour le bien du service837 », malgré les rapports

de ses hommes.

En dépit de l’européanisation de la guerre et du besoin constant de double vérifier et de

comparer les rapports des troupes légères, l’état-major est dépendant des troupes coloniales

et des alliés autochtones. Ceux-ci lui fournissent l’essentiel de son renseignement en

rapportant des confirmations visuelles et des prisonniers à interroger. De plus, si d’une part

les métropolitains se plaignent constamment des Autochtones, de l’autre, ils profitent tout

de même de leur expérience. Sans oublier que malgré l’admiration de Bougainville et de

Montcalm pour les Rogers’ Rangers, ceux-ci ne sont pas infaillibles : à vrai dire, le général

français doit sa victoire improbable au fort Carillon en 1758 en grande partie à une des

pires erreurs du renseignement britannique. Alors que Montcalm—grâce aux rapports de

prisonniers—soupçonne que les Britanniques préparent une offensive sur Carillon838, la

rumeur se précise et confirme la chose839. Entre temps, l’ennemi cherche toujours à

connaître le moment propice pour frapper. Le 8 juillet, après observation à partir de la

montagne opposée au fort, le lieutenant ingénieur Mathew Clerk et John Stark, un capitaine

des Rogers’ Rangers, rapportent à Abercromby que les Français sont en train de dresser un

abattis à peine de la hauteur d’un homme. Devant de si piètres défenses, le général juge le

moment opportun d’attaquer. Lorsque l’armée britannique arrive au pied de l’abattis, elle

réalise que les défenses, qui ne devaient être « pas plus haut que le menton840 », ont en

réalité neuf pieds de haut! Clerk et Stark avaient donc rapporté ce qu’ils avaient pu

observer de l’intérieur des défenses, mais pas de l’extérieur… Ainsi exposée au tir des

834 GENÊT, « Le renseignement militaire… », p. 220-221. 835 Duquesne à Marin. À Québec, le 10 septembre 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 64. 836 Voir par exemple Lévis à Bigot. Le 4 août 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 65 et Lévis à Paulmy. Le 1er septembre 1757, dans Ibid., p. 128-129 837 Lévis à Moras et Paulmy. Le 8 septembre 1757, dans Ibid., p. 161. 838 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 260. 839 Ibid., p. 263. 840 ROGERS, The Annotated and Illustrated Journals…, p. 126-127.

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Français majoritairement hors de portée, l’armée d’Abercromby subit une défaite cuisante,

malgré ses effectifs quatre fois plus nombreux. Les Français dépendent donc non seulement

de la qualité de leur renseignement, mais aussi de la pauvreté de celle de l’adversaire.

4.4 PRISONNIERS : INTERROGATIONS ET CONTRÔLE D’INFORMATION Le souci d’obtenir de nouveaux prisonniers—ou « lettres vivantes » comme les

surnomment les autochtones841—pour obtenir de nouvelles informations est omniprésent

dans les lettres de l’état-major. Leur capture est primordiale dans l’obtention de

renseignements. Il ne s’agit que de songer à la défaite de Braddock : la faiblesse de son

renseignement sur les forces françaises et autochtones qui l’attendaient reposait en grande

partie sur le fait qu’aucun déserteur ni prisonnier n’avaient été capturés tout au long de sa

marche vers le fort Duquesne842.

Les lettres vivantes sont une source d’information si précieuse que même pendant la

période de « paix » précédant l’éclatement de la guerre, on continue la quête de prisonniers.

En revanche, malgré leur utilité durant cette période, le gouverneur est sur le qui-vive afin

de limiter les dégâts politiques causés par les alliés autochtones qui ne se contentent pas de

prendre quelques individus à l’écart des forts ennemis périphériques, mais font

fréquemment des raids directement à l’intérieur des frontières des colonies britanniques. En

effet, ces partis parcourent souvent de très longues distances : en 1753, des Iroquois et des

Népissingues du Lac des Deux Montagnes (Oka) vont jusqu’en Caroline pour frapper843.

Une fois la guerre officiellement déclarée, le nombre de prisonniers va augmenter

considérablement. Par exemple, à Chouaguen en 1756, Montcalm fait entre 1 600 et 1 700

prisonniers, tous envoyés à Québec à l’exception des prisonniers retenus par les

Autochtones844. Un an plus tard, les détenus à Québec seront retournés aux Britanniques845.

841 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 179. 842 PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 119. 843 Duquesne à Contrecœur. À Montréal, le 30 janvier 1754, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 96. 844 Parmi les prisonniers se trouvent « les régiments de Shirley et de Pepperel venus de la Vieille-Angleterre et qui étaient à la bataille de Fontenoy; un détachement du régiment de Schuyler, milices du pays, environ 80 officiers, dont deux d’artillerie, deux ingénieurs, 12 officiers de vaisseau. » MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 97 et BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 123 et p. 128. Au sujet des prisonniers d’Oswego, voir Timothy J. SHANNON, « French and Indian Cruelty? The Fate of the Oswego Prisoners of War, 1756-1758 », New York History, Vol. 95, No. 3 (Été 2014), p. 381-407.

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Néanmoins, les circonstances feront que les Français ne pourront plus se permettre de

garder autant de prisonniers en captivité. À la prise du fort William Henry l’année suivante,

Bougainville évoque qu’il aurait été souhaitable de garder les quelques 2 000 hommes du

fort, mais le manque de vivres dans une colonie déjà aux prises avec la disette oblige de les

escorter à bon port (néanmoins avec interdiction de servir pour les prochains 18 mois)846.

Si la saisie de prisonniers en masse n’est plus désirable, celle de captifs individuels va

continuer vu leur utilité comme informateurs. Combien se font capturer? Difficile à dire :

les estimations se fondent sur différents relevés qui comportent souvent des écarts entre

eux. Dans le cas des captifs rapportés par les troupes légères et les guerriers à l’extérieur

des principaux affrontements, les sources sont encore moins précises. De plus, on ne tient

pas compte des nombreux prisonniers anonymes morts en chemin ou bien conduits aux

marges des colonies dans les villages autochtones. Dans le cas de ces derniers, le nombre

dépasse certainement les deux mille captifs847.

4.4.1 INTERROGATION ET DÉPOSITIONS DE PRISONNIERS

Le traité D’Espagnac publié en 1753 souligne « c’est […] une maxime reçue dans toutes les

Nations policées de traiter ses prisonniers avec douceur & avec bonté […]848 ». En effet, le

traitement des prisonniers au siècle des Lumières n’est pas pris à la légère comme le

démontre le Traité et conventions pour les malades, blessés & prisonniers de guerre des

troupes de terre de Sa Majesté Très-Chrétienne & de Sa Majesté Britannique, publié en

février 1759. Le 17 du même mois, le duc de Belle-Isle informe Montcalm qu’il lui envoie

plusieurs exemplaires de ce nouveau cartel entre la France et l’Angleterre qui « doit être

exécuté en Canada comme en France849 ». Amherst va d’ailleurs envoyer une lettre à

845 Par exemple, 200 sont envoyés en Angleterre à bord du Rameau à l’automne 1757 et le 5 novembre suivant, 250 autres prisonniers sont embarqués à bord du Robuste en direction de Londres. MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 260 et p. 268. 846 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 231. 847 Eric HINDERAKER, « Declaring Independence: The Ohio Indians and the Seven Years’ War », dans Warren R. HOFSTRA (dir.), Cultures in Conflict. The Seven Years’ War in North America, Toronto, Rowman & Littlefield Publishers, Inc., 2007, p. 117. 848 ESPAGNAC, Essai sur la science de la guerre... Vol. 1, p. 4. 849 Belle-Isle à Montcalm. À Versailles, le 17 février 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles…, p. 178.

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Montcalm à cet effet en juin850. Cet accord souligne entre autres la nécessité du bon

traitement des prisonniers, dont la permission qui leur est accordée « de donner avis de leur

détention, par une lettre ouverte851 ».

Néanmoins, on peut se demander quel écart il y a entre la théorie et la mise en pratique

des règles de la guerre. Après tout en Nouvelle-France, les officiers métropolitains doivent

souvent accepter, malgré leurs sensibilités, l’inacceptable pour les besoins du service,

particulièrement par rapport aux violences commises par les alliés autochtones852. On

rapporte régulièrement le mauvais traitement des prisonniers chez l’un comme chez l’autre

des belligérants853. Un exemple probant d’un médiocre traitement provient du journal de

John Whitherspoon. Préoccupé par la défense de Québec, l’état-major fait longtemps la

sourde oreille vis-à-vis des requêtes de l’auteur, emprisonné dans la ville pendant son

bombardement, avant de le transférer avec ses compagnons dans un lieu plus sécuritaire854.

Même avec un bon traitement, la vie d’un prisonnier n’est pas nécessairement plus aisée855.

On peut donc par la même occasion se demander si la torture est utilisée comme outil

d’interrogation des prisonniers malgré sa contestation graduelle pendant les Lumières... À

ce sujet, l’historiographie de la torture au XVIIIe siècle semble se pencher presque

entièrement sur la Question, c’est-à-dire la torture judiciaire. En effet, en France, la

« torture préparatoire » judiciaire est abolie en 1780, bien après qu’elle le soit en Grande-

Bretagne (1689) et en Prusse (1742). Si ce changement s’effectue finalement au sein de la

850 Anonyme, dans Le siège de Québec en 1759 par trois témoins, Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1972, p. 67-68. 851 SECRÉTARIAT D’ÉTAT AUX AFFAIRES ÉTRANGÈRES, Traité et conventions pour les malades, blessés & prisonniers de guerre des troupes de terre de Sa Majesté Très-Chrétienne & de Sa Majesté Britannique, Paris, Imprimerie royale, 1759, p. 17. En effet, l’échange de lettres se fait lorsque possible. Par exemple, le 10 septembre 1759, Bourlamaque envoie un capitaine de La Reine porter des paquets de correspondance au camp britannique près de Crown Point, brandissant un pavillon de trêve. Intercepté sur le lac Champlain, le paquet est transmis à Amherst qui le fait immédiatement envoyer à ses prisonniers, confiant à son tour à l’envoyé des lettres pour les prisonniers britanniques dans le camp français. AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 167. 852 Le témoignage de Bougainville à son frère est particulièrement marquant : « l’air qu’on respire ici est contagieux, et je crains qu’un plus long séjour ici ne nous fasse prendre les vices de gens auxquels nous ne communiquons aucune vertu. » BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 380. Sur l’assimilation des méthodes de torture autochtones avant 1715, voir HAVARD, Empire et métissages, p. 517-522. 853 Voir par exemple ALEYRAC, Aventures militaires…, p. 73. 854 WITHERSPOON, « Journal of John Witherspoon », p. 31-62. 855 Pour un exemple archéologique des misères vécues par les prisonniers à Québec, cette fois-ci dans le contexte de la guerre de Succession d’Autriche, voir Jerome S. CYBULSKI, « Skeletons in the Walls of Old Québec », Northeast Historical Archaeology, Vol. 17, No. 1 (1988), p. 81.

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justice française, le XVIIIe siècle entretient tout de même une prise de conscience que les

belligérants d’une guerre ne doivent plus avoir recours à la torture, et encore moins à

l’exécution de prisonniers856. D’ailleurs, les prisonniers sont souvent considérés comme du

butin : ils sont échangeables contre une rançon. Dans son Dictionnaire militaire, Aubert de

La Chesnaye Des Bois écrit que « parmi les Puissances de l’Europe les Prisonniers de

guerre, Officiers & Soldats sont bénignement traités; on se les rend les uns aux autres en

échange, ou après que la guerre est finie sans rançon857 ». Néanmoins, comme le rappelle

Edward Peters :

The kind of information that might now be provided by prisoners or captured spies could also prove to be crucial and was needed quickly. The interrogation of prisoners of war, carried out in the heat of battle, guided only the least enforceable rules against an enemy unprotected by a common law, marks the conduct of warfare in the modern world. Even the existence of a series of international conventions and a substantial literature and diplomatic agreement about the rights of prisoners, seems not to have prevented an autonomous military from developing its own rules for dealing with potentially informative prisoners. […] Although most states professed to recognize the humane responsibilities of warring enemies, few states possessed the capacity to regulate minutely the conduct of those participant.858

En effet, les sources permettent de se douter qu’à tout le moins, la menace de violence est

utilisée sur le front de guerre nord-américain. Le 2 juillet 1754, Louis Coulon de Villiers

prévient un prisonnier qu’il va le pendre s’il découvre que celui-ci lui ment859. Thomas

Brown, un Rogers’ Ranger, donne quant à lui l’une des rares descriptions d’une

interrogation : « ...their commanding Officer [...] came and took me away and carry’d me

to the Interpreter; who drew his Sword, and pointing it to my Breast, charged me to tell the

Truth, or he would run me through […] From thence he carried me to Captain Spikeman,

who was laying in the Place I left him; they had cut off his Head, and fix’d it on a Pole860 ».

L’intimidation de voir la dépouille d’un confrère ainsi traitée ne s’arrête pas là. Ses

interrogateurs tentent une dernière fois de l’intimider à l’aide d’une autre menace de mort :

856 John H. LANGBEIN, Torture and the Law of Proof. Europe and England in the Ancien Régime, Chicago, University of Chicago Press, 2006 (1976), p. 55 et p. 64. Voir aussi Alexander GILLESPIE, A History of the Laws of War: Volume 1. The Customs and Laws of War with Regards to Combatants and Captives, Oxford, Hart Publishing, 2011, p. 144. 857 AUBERT DE LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire militaire…Tome 1, 1745, p. 156. 858 Edward PETERS, Torture, New York, Basil Blackwell, 1985, p. 115. 859 Journal de la campagne de M. de Villiers au fort Necessité. Le 2 juillet 1754, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 199. 860 BROWN, « A Plain Narrativ... », p. 212-213.

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[…] we were immediately sent to the Guard House, and, about half an Hour after, brought before the Commanding-Officer, who, by his Interpreter, examined us separately; after which he again sent us to the Guard-House. The Interpreter came and told us, that we were to be hang’d the next Day, because we had kill’d the 7 Prisoners we had taken on the Lake; but was afterwards so kind as to tell us, this was done only to terrify us.861

Si la menace de violence n’intimide pas le prisonnier, il y a toujours la tactique de le

soudoyer : Thomas Brown poursuit son récit en indiquant que le sieur de Rigaud (frère du

gouverneur Vaudreuil) lui offre 7 000 livres pour le diriger au fort William Henry. Brown

refuse de se laisser amadouer. Le sieur Rigaud offre donc la même récompense à deux

autres prisonniers britanniques ayant moins de scrupules. Aussitôt sont-ils de retour de

l’expédition que les deux naïfs sont remis aux fers862.

Bonin confirme à son tour l’utilisation de menaces pour s’informer : « on ne se fiait pas

toujours à leurs rapports et lorsqu’on les suspectait mensongers, parce qu’ils se

contredisaient, on employait la menace qui procurait la vérité qui était confirmée par des

rapports subséquents863 ». En effet, la double vérification des informations fournies est plus

importante et efficace que les menaces pour juger leur fiabilité. Dans son Art de la guerre,

Quincy souligne d’ailleurs l’importance d’interroger les prisonniers séparément864. Aubert

de La Chesnaye Des Bois quant à lui explique comment procéder :

On questionne les prisonniers un peu plus, ou un peu moins durement, suivant leurs carrctères [sic], mais toujours séparés les uns des autres. On se conduit avec eux avec beaucoup de prudence : Ce n’est que par de longs détours de conversation, qu’on doit parvenir à la connoissance de ce qu’on veut sçavoir, afin qu’ils ne prennent pas garde eux-mêmes à ce qu’ils ont dit, & qu’après être renvoyés, ils ne puissent mettre leur Général sur les voies, au sujet des intentions qu’on peut avoir, parce qu’en ce cas le Général ne manqueroit pas de lâcher des Espions doubles, ou des transfuges pour donner des notions différentes sur ce qu’on a voulu pénétrer, & faire ainsi prendre de fausses mesures865.

Les Autochtones aussi traitent leurs prisonniers différemment selon le sort qui leur est

réservé. Bougainville est témoin des deux extrêmes à l’approche du siège du fort William

Henry : « Ils ont fait des visites fort tendres à leurs prisonniers les caressant, leur portant du

861 Ibid., p. 213. 862 Ibid., p. 214-215. 863 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 125. 864 QUINCY, L’art de la guerre…, p. 39 et p. 202. 865 AUBERT DE LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire militaire…, 1743, p. 481-482.

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pain blanc, voulant voir s’ils ne manquaient de rien. Cependant ils en ont mangé un dans ce

camp. Il est impossible de l’empêcher. […] Point de milieu avec ces barbares : ou des

cruautés inouïes ou les meilleurs traitemens qu’il (se) puisse imaginer866. » Comme les

Français, les guerriers autochtones interrogent leurs prisonniers. Toutefois, fournir de

l’information n’est pas un garant de vie sauve : ces prisonniers risquent tout de même d’être

tués par les alliés autochtones, d’autant plus si les interrogateurs ont perdu des membres de

leur famille867. Le danger de se faire tuer n’est pas limité aux autochtones : par exemple, en

janvier 1757, un parti de Rogers’ Rangers s’apprête à revenir au fort William Henry après

un raid auprès du fort Carillon. Se faisant surprendre par la presque entièreté des Français

du fort, ils tuent leur prisonnier français d’un coup à la tête afin de l’empêcher de

transmettre des informations pertinentes à ses confrères868.

Les informations fournies par les prisonniers sont donc constamment scrutées et

comparées entre elles. Au besoin, on interroge les prisonniers plus d’une fois. Par exemple,

Lévis confie au gouverneur deux prisonniers britanniques qu’il a déjà questionnés et lui

propose de les « faire questionner séparément et plus particulièrement869 ». Les officiers

mentionnent souvent leur degré de certitude sur la véracité d’une information selon leur

confiance qu’elle s’accorde à d’autres dépositions870. Outre la corroboration de diverses

sources, le ton du prisonnier est également perçu comme une bonne indication de la

sincérité d’une déposition. Par exemple, le 6 juillet 1757, Montcalm compare des

témoignages de prisonniers et écrit au sujet de l’un d’eux : « [L]e concert de celui-ci donne

866 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 210. 867 Ibid., p. 223. 868 Thomas Brown est le Ranger qui commet l’acte : « upon which I retir’d into the Rear, to the Prisoner I had taken on the Lake, knock’d him on the Head and killed him, lest he should Escape and give Information to the Enemy ». Les tactiques employées par les Rogers’ Rangers pour brouiller leurs pistes sont d’autant plus impitoyables, abandonnant leurs propres blessés sans l’annoncer afin d’éviter que, devenus prisonniers, ils ne révèlent leur direction. Ironiquement, c’est le cas de Brown qui est abandonné à son tour puis capturé en janvier 1757. BROWN, « A Plain Narrativ... », p. 210. Pour une autre situation semblable survenue le 10 juillet 1759 et dénoncée par son chroniqueur, Malcolm Fraser, voir Jacques LACOURSIÈRE et Hélène QUIMPER, Québec ville assiégée, 1759-1760 : d’après les acteurs et les témoins, Québec, Septentrion, 2009, p. 78-79. 869 Lévis à Vaudreuil. Le 11 juillet 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 124. 870 Par exemple : « Vous pourrez voir si tout ce que disent ces prisonniers s’accorde avec les dépositions de ceux que vous pouvez avoir d’ailleurs, et avec les autres nouvelles que vous pouvez avoir reçues d’autre part, d’après lesquelles vous jugerez s’il est bon que vous augmentiez les forces qui sont dans cette partie. Vous savez en quoi elles consistent. » Lévis à Vaudreuil. À Carillon, le 5 août 1758, dans Ibid., p. 45.

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plus de vraisemblance à cette [autre] déposition. Il l’a dit naturellement et sans aucun

soupçon qu’on m’en eût déjà parlé871. »

Les lettres d’officiers contiennent souvent la mention de dépositions de prisonniers

incluses avec leur correspondance vers l’état-major. Malheureusement, celles-ci sont

fréquemment absentes des sources, ayant été séparées des rapports par le destinataire. Les

dépositions de prisonniers, lorsqu’elles sont disponibles, sont néanmoins des sources

fascinantes qui nous révèlent non seulement des indices sur les plans et l’état de l’ennemi,

mais également sur l’individu qui a fourni l’information. Un bel exemple est la déposition

de John Shepherd872, capturé en 1756. Shepherd est intercepté par la compagnie de Beaujeu

alors qu’il dirigeait une avant-garde d’une douzaine d’hommes devançant une centaine de

miliciens envoyés « faire raccommoder les chemins873 ». L’individu en question est un

« Irlandois venu fort jeune à la Nouvelle-Angleterre874 », sans métier, mais d’une famille

aisée. Dans le document qui accompagne la déposition, Lévis décrit l’homme comme « un

capitaine [dans le régiment du New Hampshire], qui a de l’esprit, qui est intelligent et qui

est bon Anglois [c’est-à-dire fidèle à sa patrie][.] [C]’est un homme à garder avec soin875 »,

sans doute de peur qu’il ne s’échappe… On relève entre autres dans sa déposition :

• Les effectifs de l’ennemi dans le fort le plus près

• Les activités du prisonnier au moment de la capture

• Des détails sur la famille du prisonnier

• Le nombre d’hommes malades

• Les plans et les préparatifs les plus récents du camp ennemi

• Les effectifs et les mouvements des autres forts à proximité

• L’état des transports (Canots, etc.)

871 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 197. 872 Shepherd est épelé « Jheperd » dans le document. Déposition du Sieur John Jheperd, fait prisonnier par le détachement de M. de Beaujeu, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 46-49. 873 Ibid., p. 47. 874 Ibid., p. 46. 875 Lévis à Vaudreuil. À Carillon, le 5 août 1758, dans Ibid., p. 44.

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• L’état de construction du fort et comment il se compare à d’autres

• S’il existe des retranchements ou des fossés

• S’il y a eu des conseils pour délibérer au sujet d’attaques prochaines

• À quand remontent les dernières correspondances avec l’état-major britannique à New

York

• Que la guerre a été annoncée dans les gazettes à Albany

• Le déplacement des nouveaux effectifs arrivés de l’Angleterre

• Si l’ennemi est accompagné de guerriers autochtones, sinon, où ils se trouvent

• Les frictions entre officiers

• La présence de déserteurs français dans le camp ennemi

• Le nombre d’éclaireurs et leurs activités

Bien entendu, les Britanniques aussi enregistrent des dépositions de captifs français876. Une

différence notable de leur côté, toutefois, est que celles-ci peuvent être reproduites dans les

gazettes877.

Les dépositions mènent à des actions concrètes, comme la création de cartes

approximatives des forts878. Même si les rapports de prisonniers peuvent être ambigus ou

contradictoires, on les prend le plus souvent au sérieux. Par exemple, au début d’octobre

1758, Vaudreuil fait déplacer 500 Canadiens au fort Saint-Frédéric après avoir reçu la

déposition d’un déserteur du Royal American Regiment arrivé au fort Carillon et révélant

que l’armée britannique se préparait à riposter dans les prochains jours879. Pourtant, par le

temps que le prisonnier et sa déposition arrivent devant le gouverneur à Montréal, la faction

de l’état-major au lac Champlain a déjà conclu qu’aucune attaque n’aura lieu. Néanmoins,

876 Par exemple, la déposition d’un certain soldat Laverdure, des grenadiers de Languedoc, fait six pages de long. Comme Brumwell écrit: « Loudoun had recently written that one prisoner was worth ten scalps. » BRUMWELL, White Devil, p. 82. 877 Voir par exemple « The Examination of Thomas St. Leau… », dans The New-York Mercury. Le 23 août 1756. Première page. Remerciements à Rénald Lessard pour la référence. 878 C’est le cas des forts William Henry et Edward en janvier 1757. BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 166. 879 Ibid., p. 315 et p. 321.

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la rumeur a la vie dure. À l’arrivée de Bougainville à Montréal le 21 du même mois, il

constate que la ville est « dans la plus grande consternation880 » : les rapports provenant des

Cinq-Nations et de prisonniers britanniques capturés dans la vallée de l’Ohio indiquaient

que Carillon avait été capturé ou était près de l’être. La véracité des dépositions doit donc

être parfois confirmée au retour d’un messager envoyé porter des messages au camp

anglais : dans ce cas-ci, les dépositions d’autres prisonniers saisis entre Albany et le fort

Edward contredisaient clairement les craintes circulant à Montréal, fait vérifié lorsque le

sieur Wolff est envoyé porter des dépêches au camp anglais881.

La capture de prisonniers ne rapporte pas toujours de l’information882. Pire, lorsqu’un

prisonnier fournit une information qui se révèle fausse, il est difficile de savoir si le

prisonnier est un leurre ou bien s’il est honnête, le général du camp opposé ayant

simplement changé ses plans entre-temps. Un tel cas ambigu a lieu le 30 juin 1759

lorsqu’un prisonnier britannique se fait ramener au camp français par un parti de guerriers

autochtones. Celui-ci révèle que Wolfe planifie d’attaquer Beauport le soir même à l’aide

de 10 000 hommes. Par conséquent, les Français abandonnent leur projet d’attaquer la

position britannique sur la côte du sud et passent la soirée à attendre une descente anglaise

qui, en fin de compte, n’arrivera jamais883. D’autres prisonniers en feront de même,

fabulant. Comme l’écrit Jean-Claude Panet au sujet d’un prisonnier questionné autour du 3

juin, « rien ne se trouva si faux884 ». Néanmoins, alors qu’ils se méfient des fausses

informations transmises par les prisonniers, les Français se méfient tout autant des

informations que peuvent fournir leurs propres hommes capturés…

4.4.2 NE PAS DEVENIR PRISONNIER

Avant même de penser à chercher des prisonniers, il faut d’abord songer à ne pas devenir

prisonnier soi-même! À cet effet, des ordres sont régulièrement donnés aux soldats de ne

pas s’éloigner au-delà des gardes et des sentinelles. Une autre mesure importante pour

décourager l’ennemi est d’installer des postes de surveillance entre les camps français. En

880 Ibid., p. 324. 881 Ibid., p. 324-325. 882 Ibid., p. 250. 883 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 461-463 et ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 84. 884 PANET, Journal du siège de Québec en 1759, p. 9.

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1756, après la mort de deux soldats tués par des « sauvages anglois », Lévis fait monter un

camp composé de 120 soldats des troupes de la Marine à mi-chemin entre ceux de

La Corne et de Contrecœur situés sur la rive nord du lac George, « pour en assurer la

communication et pour pouvoir donner du secours à celui des deux qui seroit attaqué885 ».

La surveillance est amphibie avec la présence en sus de « canots d’écorce […] et des

détachements qui vont tous les jours dans le bois aux endroits par où l’ennemi peut venir ».

Lévis, se faisant rassurant, ajoute : « moyennant quoi, si tout le monde fait son devoir,

comme j’y compte, je ne saurois être surpris886. »

Toutefois, le zèle des sentinelles peut céder à la panique : on voit l’ennemi partout. Un

cas intéressant est celui d’un soldat tué et d’un deuxième blessé : alors que l’explication

officielle attribuait la faute à un parti ennemi, Lévis confie soupçonner qu’il s’agit

probablement d’une sentinelle qui « a tiré mal à propos887 », puisque la contre-vérification

n’a rien détecté pouvant révéler le passage de l’adversaire. À l’inverse, la peur influence

également les ravisseurs potentiels : tel est le cas à la fin juin 1757 lorsqu’un parti

britannique en quête de prisonniers se fait poursuivre après avoir saisi un Français : « Les

Anglais y sont venus en découverte le 17 au nombre de 24. Ils avaient pris un charpentier.

Mr de Bourlamaque envoya un détachement après eux. Un de ces détachemens, qui n’était

que de 7 hommes, les ayant rencontrés fit le cri de mort et les Anglais s’enfuirent aussitôt,

laissant le prisonnier et même leurs armes et bagages888. »

La perte d’hommes au profit de l’ennemi est particulièrement problématique à

l’approche des moments opératoires critiques qu’on souhaite garder secret, comme le

déplacement d’une armée. Par exemple, alors qu’il est posté au lac Champlain en mission

de reconnaissance à l’automne 1756, Bougainville écrit : « Il paraît que les Anglais veulent

absolument nous faire un prisonnier pour savoir à peu près le tems fixé pour notre

départ889. » Il confirme d’ailleurs : « Il y a de plus, comme nous l’avons dit, deux

compagnies de coureurs dont l’unique service est de faire des patrouilles fréquentes dans

885 Le 16 août 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 70. 886 Lévis à d’Argenson. Le 1er septembre 1756, dans Ibid., p. 79. 887 Lévis à Vaudreuil. Le 19 juillet 1757, dans Ibid., p. 127. 888 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 187. 889 Ibid., p. 150.

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les bois hors du fort890. » En effet, peu importe si la plus grande partie du lac Champlain se

trouve fermement en territoire français, l’ennemi trouve de nombreuses occasions pour

poser des guet-apens.

Si les soldats défendent les forts, ils ne sont pas nécessairement protégés par les

palissades. Plusieurs maisons, voire des villages entiers, s’érigent souvent à l’extérieur des

lieux fortifiés. Au fort Duquesne, il y existe « un espèce de petit village [longeant la berge

de la rivière Ohio] composé d’une soixantaine de cabanes en bois où [loge] une partie de la

garnison891 ». Autre exemple, au fort Carillon, il existe un petit village au pied de sa falaise.

Les soldats qui s’y trouvent sont donc exposés aux enlèvements. De plus, ils ne sont pas les

seules cibles de ces raids ennemis : les ouvriers civils en marge des forts (les bûcherons,

entre autres) sont particulièrement vulnérables, surtout lorsqu’ils partent à la chasse et à la

pêche. Dès l’été 1756, on fait envoyer autour du fort Carillon « des patrouilles pour la

sûreté de son camp et des postes avancés, et pour courir les travailleurs qui jusque-là

avaient été au loin avec trop de confiance892 ». Cette précaution est renouvelée chaque fois

qu’on observe des pistes laissées par l’ennemi dans les environs893. Pourtant, jusqu’à la fin

du conflit, plusieurs feront fi des avertissements. Malgré l’ordre de ne pas s’éloigner du

fort, certains continuent de désobéir, au prix de leur vie894. Le 6 septembre 1756, deux

officiers, les sieurs Biville et de Tarsac, montent en pirogue pour chasser le canard. Les

deux lieutenants se font surprendre par un parti britannique composé d’une cinquantaine

d’hommes. Ce dernier se fait pourchasser en vain par un parti de guerriers envoyé par

Lévis. Seule la tête scalpée du malheureux de Tarsac est retrouvée, les deux corps ayant été

sans doute jetés dans l’eau. Dans sa lettre au gouverneur, le chevalier de Lévis s’en lave les

mains. Malgré l’« accident très triste et très désagréable », de plus « tombé sur deux bons

sujets », le chevalier rappelle qu’il avait pourtant donné des ordres stricts895. Un an plus

tard, certains soldats continuent d’ignorer les ordres de ne pas s’éloigner. Le 11 juillet

1757, Lévis déplore la perte d’un autre soldat, un caporal, par un parti de six ennemis. Cette

890 Ibid., p. 166. 891 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 157 892 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 76. 893 Ibid., p. 392. 894 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 50. 895 Lévis à Vaudreuil. Le 7 septembre 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 86-87.

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fois-ci, le chevalier se fait moins de soucis pour la vie de l’homme, mais plutôt « que cet

homme peut instruire les ennemis de beaucoup de choses896 ». De nouvelles mesures sont

prises pour la discipline. De plus, alors que Lévis fait occuper la tête du portage entre le lac

Champlain et le lac George, il « fait occuper une petite île » qui agit non seulement comme

lieu d’entreposage des bateaux, mais comme poste de surveillance contre toute désertion

française ou tentative d’enlèvement par l’ennemi897. Et pourtant… les enlèvements

continuent année après année. Au début de 1759, averti de la présence de Rogers’ Rangers

près du fort Carillon par deux guerriers à la chasse, le commandant du fort fait « tirer deux

coups de canon pour avertir des charpentiers qui, contre ses ordres, avaient été ce jour-là

couper des pièces de bois898 ». Il s’ensuit une escarmouche entre les soldats du fort et les

Rangers. Ces derniers font cinq victimes et six prisonniers899.

Ce ne sont pas que les individus en périphérie des forts qui sont à risque d’être capturés.

Les Britanniques, par l’entremise de leurs propres alliés autochtones, réussissent à saisir des

prisonniers aussi loin que le lac Saint-François900. Dans de rares exceptions, se faire

attraper peut être un événement bénéfique pour le prisonnier : c’est le cas de quelques

Acadiens capturés au Massachusetts par un parti d’Abénaquis; ils sont immédiatement

libérés et ramenés en territoire français901.

Le risque de devenir prisonnier est particulièrement élevé pendant la campagne de

1759. À peine arrivés près de Québec, les Britanniques descendent déjà sur l’île aux

Coudres en quête de captifs pouvant les informer sur l’état de la ville902. Il est intéressant

de noter que deux jours plus tard, au même endroit, les Français vont tenter à leur tour de

capturer un prisonnier britannique903. Avec les habitations et les villages qui bordent le

Saint-Laurent, jamais au cours de cette guerre n’y a-t-il eu autant de potentiel pour capturer

des prisonniers, à tel point qu’on peut parfois devenir prisonnier par simple accident

896 Lévis à Vaudreuil. Le 11 juillet 1757, dans Ibid., p. 123-124. 897 Lévis à Vaudreuil. Le 19 juillet 1757, dans Ibid., p. 126. 898 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 126. 899 Ibid., p. 126-127. 900 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 305. 901 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 259-260 et MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 302. 902 Ibid., p. 435. 903 Ibid., p. 437.

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fâcheux. À la veille de la bataille de Sainte-Foy, la capture d’un Français révèle le secret de

l’approche de l’armée française sur Québec, ainsi raconté par Lévis : « Un de nos bateaux

d’artillerie descendant à Saint-Augustin ayant été écrasé par les glaces, un canonier, étant

sauté sur un banc, fut entraîné jusques à Québec, où les Anglois le retirèrent et furent

informés alors de notre marche, ce qui leur donna le temps d’envoyer retirer leurs postes

avancés904. » À l’inverse, on note que les militaires ne sont pas les seuls à capturer des

prisonniers : les habitants peuvent aussi le faire à l’occasion905.

S’il y a à tout le moins une maigre consolation devant le nombre de Français qui se font

capturer, c’est que ceux et celles qui s’échappent deviennent à leur tour d’utiles

informateurs. En effet, les autorités françaises notent souvent l’arrivée de compatriotes

s’étant échappés des prisons britanniques, particulièrement ceux qui arrivent de distances

incroyables. Le gouverneur de la Louisiane note un tel cas arrivé en 1755 qui illustre le

long parcours que peut faire un prisonnier et son rapport. En avril, un Canadien emprunte le

Mississippi à bord d’un convoi afin de revenir du Pays des Illinois au Canada. Deux jours

après le départ des voyageurs, ledit convoi croise un canot renversé. Le commandant, un

dénommé Rousselet, fait arrêter le convoi sur la berge pour récupérer l’embarcation. En

réalité, il s’agit d’une embuscade montée par des Cherokees. Rousselet906 se fait tuer et

scalper, tandis que le Canadien se fait capturer avec deux autres hommes. Les guerriers

après ce coup Conduisirent dans leur nation le dit Canadien avec ses deux autres Camarades, ou ils ont resté Et travaillé En qualité Et Comme des Esclaves, pendant Environ trois mois; au bout duquel temps les Cherakis les vendirent aux Anglois qui les Amenerent a la Caroline; ou le Gouverneur nommé M. Jacques Glaine [James Glen] les a fait Garder dans la ville Comme prisonniers. Ledit Canadien ayant trouvé le moyen de sortir de la ville en 1755. En partit le mois D’Aoust de laditte Année pour se rendre a travers les Bois, au Poste françois des Alibamons ou il parvint Sans accidents au Commencement d’otobre [sic].907

904 Lévis à Vaudreuil. Sous Québec, le 28 avril 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 292. 905 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 115, p. 119 et p. 120. 906 Il s’agit possiblement de Rousselet de Beauroger, nommé lieutenant en Louisiane le 1er octobre 1750 et mentionné à nouveau dans les registres en 1754. Le 9 décembre 1759, le ministre écrit au gouverneur pour lui fournir un certificat de décès. Donc, s’il s’agit du même Rousellet qui se fait tuer en 1755, la nouvelle de sa mort prend un certain temps avant de rejoindre sa famille en France. BRASSEAUX, France’s Forgotten Legion, fichier numérique. 907 ANOM, Colonies, C11A 125, F°538-540v. Déposition et rapport fait par un Canadien (François Mercier). À La Nouvelle-Orléans, le 1er décembre 1755.

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À son arrivée à La Nouvelle-Orléans, le Canadien rapporte au gouverneur ce qu’il a pu

glaner en chemin de la Caroline du Sud en passant par la Géorgie sur les effectifs des

Britanniques et la défaite de Braddock, ces dernières nouvelles provenant de la Virginie.

Ces fugitifs français s’échappent de différentes manières, quelques-unes dignes d’un

film. Malartic relate un tel cas survenu pendant l’occupation de Québec par les

Britanniques en 1759-1760 : « Vingt et un de nos soldats se sont évadés des prisons de

ville, ont trompé les sentinelles, s’étant habillés et coeffés à l’anglaise. On a envoyé à leur

poursuite un détachement qui en a ramené trois; le général [Murray] a paru à son retour très

fâché et a dit qu’il fera casser l’officier de garde et pendre les sentinelles908. » La réaction

de Murray est typique : la présence croissante de prisonniers français et l’augmentation

conséquente de fuites mène à une surveillance plus intense des prisonniers partout où ils

s’en trouvent dans les colonies britanniques909.

4.4.3 FUGITIFS BRITANNIQUES ET FUITES D’INFORMATION

Dans les forts de la Nouvelle-France, les prisonniers britanniques représentent à leur tour

un risque constant. D’une part, on doit se méfier de tout sabotage potentiel, principalement

par le feu. Le marquis de Montcalm écrit le 13 février 1757 : « Il est surprenant qu’à la

confiance et la liberté que l’on donne aux prisonniers anglais, Montréal ne soit pas déjà

réduit en cendres. Leurs propos décèlent leur mauvaise volonté. M. le marquis de Vaudreuil

est sourd à toutes les représentations qui lui ont été faites également par tout le monde sur

un article aussi important […].910 » Mais la principale inquiétude de l’état-major porte sur

les fuites d’informations, particulièrement commises par les captifs qui ne sont pas confinés

à des prisons. Selon leur logement, ils peuvent aisément espionner et attendre le moment

propice pour s’échapper, rejoindre l’ennemi et lui partager ce qu’ils ont observé.

Idéalement, il faudrait les renvoyer en Europe, ce qui n’est pas toujours possible.

Bougainville note en novembre 1756 que bien que la plupart des prisonniers aient été

908 MALARTIC, Journal des Campagnes au Canada…, p. 330-331. 909 Pour l’exemple des conséquences sur la surveillance des prisonniers au Massachusetts après la fuite de trois Acadiens et d’un Français de Boston, voir ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 61; MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 436 et RAC. 1905, Vol. II, Ottawa, C. H. Parmelee, 1909, p. 183-184. Le lien entre ces trois documents a été soulevé dans ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 150, note 56. 910 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 139-140.

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envoyés en France et en Angleterre, il en reste toujours environ 700 à Québec, un chiffre

tout de même considérable alors que la ville peine déjà à soutenir le surplus de population

due à la présence des troupes de Terre911. Lors des préparatifs en février 1757 pour assiéger

le fort William Henry, les prisonniers britanniques gênent l’état-major français. Il suffit

qu’un seul s’échappe pour que les plans des Français soient révélés à l’ennemi. « D’ailleurs

on voudrait surprendre et une foule d’Anglais qui se promènent librement dans la ville et

les côtes sont témoins de tous les mouvements qui se font, entendent tous les propos qui se

tiennent et peuvent savoir avec la dernière précision le nombre des troupes, le tems du

départ, le lieu du rendez-vous912. »

En effet, si le mot « espionner » évoque une observation dissimulée, il n’est pas

toujours nécessaire aux prisonniers d’avoir recours à la discrétion pour se faire une idée de

l’état de Québec : il est particulièrement difficile pour l’état-major de leur cacher la

situation embarrassante de la colonie. Par exemple, au sujet de la distribution de pain au

public, Bougainville écrit : « Elle présente l’image d’une famine. On se bat à qui

approchera du guichet par lequel on passe le pain. Ceux qui n’en peuvent approcher tendent

leur ordonnance au bout d’un bâton. C’est un spectacle dont il faudrait éloigner, surtout, les

prisonniers anglais qui viennent tous les jours y assister et qui ne manquent pas d’en tirer

les conséquences913. » L’automne suivant, l’officier s’exaspère toujours de la présence des

prisonniers : « Les Anglais connaissent parfaitement notre situation [de disette]. Il n’eût pas

été possible de la cacher à tous ces prisonniers qui ont ici leur liberté et qu’on va renvoyer à

Halifax914. » Même le simple transport des prisonniers peut attirer la méfiance de l’état-

major qui, selon les circonstances et les lieux, donnera des instructions de les faire passer

par un chemin alternatif afin qu’ils « ne voyent ny n’ayent aucune connoissance de nos

postes915 ». D’ailleurs, on ne se méfie pas que des prisonniers eux-mêmes : les échanges de

911 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 156-157. 912 Ibid., p. 167-168. 913 Ibid., p. 158. 914 Ibid., p. 241. 915 Vaudreuil à Dumas. À Montréal, le 3 juin 1760, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 40. Les Britanniques en font autant avec leurs prisonniers français. Voir par exemple : POUCHOT, Mémoires..., p. 122 et p. 126.

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captifs, au-delà de la simple récupération d’hommes, peuvent servir à l’occasion de prétexte

pour observer la situation dans laquelle se trouve l’ennemi916.

Il faut noter que le manque de place ou le statut social obligent d’accorder à certains

prisonniers une relative liberté, quoique plus ou moins bien surveillés. À Québec, une

véritable communauté de prisonniers et de captifs se forme et gravite autour du colonel

Peter Schuyler, commandant des forces du New Jersey (les « New Jersey Blues ») capturé

en 1756 à Oswego917. Frisant la cinquantaine, Schuyler s’était déjà démarqué comme un

chef compétent pendant la guerre de Succession d’Autriche, veillant toujours à la protection

de ses hommes et de ses compatriotes. Sa réputation est telle que pendant son séjour forcé à

Québec comme prisonnier, le Pennsylvania Journal publie qu’il est « un brave et loyal

sujet, qui dédaigna ses aises et les avantages d’une grande fortune pour se consacrer au

service de son pays918 ». Une première tentative d’échanger le colonel a lieu en octobre

1757, mais échoue faute de prisonniers français de même grade disponibles pour le cartel.

Avant de revenir à Québec de Newark, il trouve le moyen de recevoir des lettres de crédit

pendant sa captivité. Comme le décrit Robert C. Alberts, « In Quebec again, Schuyler kept

open house for the other English prisoners, lent them money, signed their notes, spent

freely in redeeming captives of the Indians, and conducted negociations for exchanges

between the French and English authorities919. » Mais plus important encore, il s’occupe

de « recueillir des renseignements d’ordre militaire920 » qu’il transmet à l’état-major

britannique à l’aide d’autres prisonniers échangés. Après la prise du fort Frontenac,

916 Ceci soulève les soupçons de plusieurs officiers, dont Amherst qui écrit : « I expected a flag of truce would be sent from the Enemy as a means of seeing what we were about, and I wrote to Col. Grand what he should do in case one came, but the French were this time too quick for me […] » AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 122. 917 De semblables communautés de prisonniers français se forment dans les colonies britanniques. Par exemple, après la prise du fort Lévis, Bonin est parmi ceux qui sont escortés à New York. « Débarqué je fus me loger ainsi que les autres à la maison qui nous était destinée et de laquelle nous avions la liberté de sortir à volonté pour nous promener dans la ville et ses environs. Cette maison se trouve située à l’extrémité de la place d’armes et fait face au port. » Bonin fait parti des prisonniers qui peuvent vivre à leurs dépens. Comme à Québec, il est possible de s’entretenir avec des citoyens de la même origine. Logé chez un aubergiste français, il passe son « séjour à New-York où [il] dépensai[t] [s]on argent sans rien faire que de visiter la ville et ses environs. » Cette liberté sera de courte durée toutefois avec l’augmentation de la sévérité de la surveillance des prisonniers. J.C.B., Voyage au Canada…, p. 189-200. 918 Cité dans John David KRUGLER, « Peter Schuyler », dans DBC, Vol. III de 1741 à 1770, Québec, Presses de l’Université Laval, 1974, p. 635-637. 919 ALBERTS, The Most Extraordinary Adventures…, p. 201-202. 920 KRUGLER, « Peter Schuyler », p. 635-637.

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Schuyler se fait enfin échanger en octobre 1758 pour le commandant du fort, Pierre Payen

de Noyan. Il servira pendant les deux prochaines années sous Amherst à Crown Point et

Niagara avant de mourir en 1762921.

Il faut se méfier également des espions implantés en guise de prisonniers. Lévis semble

soupçonner un prisonnier en particulier : « J’ai pris de M. de Bourlamaque toutes les

informations au sujet du nommé Jean Surbert [John Sherbert?]. J’ai l’honneur de vous

envoyer la réponse qu’il m’a faite. Cet homme ne s’est trouvé dans aucun état des

prisonniers, et personne n’a connoissance de l’avoir vu à Québec. J’aurai un vrai plaisir à

faire encore à cet égard toutes les recherches qui dépendront de moi922. »

Encore une fois, les autorités sont bien conscientes du danger que posent même les

prisonniers réguliers : dans une lettre datée du 16 février 1759, la France recommande au

gouverneur Vaudreuil « de faire sortir de la ville les Prisonniers [anglois] qui y sont et de

les placer dans un lieu [d’où] ils ne puissent voir aucune des dispositions que vous ferés

pour vôtre deffense923 ». Par conséquent, à l’approche de la flotte ennemie sur le Saint-

Laurent au mois de mai 1759, l’état-major ordonne le départ d’officiers anglais pour Trois-

Rivières924. Alors qu’il s’agit officiellement d’une mission d’échange de prisonniers, sans

doute s’agit-il également d’éloigner les prisonniers qui peuvent fournir des informations

sensibles dans l’éventualité qu’ils s’échappent ou soient sauvés par leurs compatriotes

pendant le siège de Québec.

L’ordre ne semble pas tenir compte des captifs, toutefois… En effet, ceux-ci se

distinguent des prisonniers militaires : ce sont des civils, surtout des femmes et des enfants,

qui ont été capturés et rapportés (le plus souvent vendus) dans la colonie française925. Bien

que Marcel Fournier recense 186 captifs entre 1726 et 1760926, il est difficile de cerner

exactement combien se trouvent dans la ville pendant la Conquête. Toujours est-il qu’ils y

921 Ibid. 922 Lévis à Murray. Le 26 janvier 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 273. 923 Les officiers britanniques seront menés à Trois-Rivières. ANOM, Colonies, C11A 104, F°28-28v. Le ministre (?) à Vaudreuil. Le 16 février 1759 et STACEY, Quebec, 1759, p. 46. 924 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 432. 925 Marcel FOURNIER, De la Nouvelle-Angleterre à la Nouvelle-France. L’histoire des captifs anglo-américains au Canada entre 1675 et 1760, Montréal, Société généalogique canadienne-française, 1992, p. 32. 926 Ibid., p. 52.

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sont bel et bien présents. Contrairement aux prisonniers militaires sous la charge de l’état-

major, les captifs civils doivent se débrouiller seuls pour survivre. Pour ce faire, ils

s’intègrent à divers degrés dans la société canadienne927. Certains s’immergent totalement

dans la culture, particulièrement ceux et celles capturés à un jeune âge, allant parfois

jusqu’à se marier et même adopter la religion catholique928. Qu’ils s’intègrent ainsi ou non,

plusieurs captifs britanniques acceptent de devenir des ouvriers. Par ce fait même, ils ont un

point de vue privilégié sur la ville, sa population et ses défenses.

Le captif britannique le plus célèbre dans l’historiographie de la Conquête est Robert

Stobo, un Écossais gardé en otage par les Français après l’affaire du fort Necessity en 1754.

Amené au fort Duquesne, il obtient du commandant le privilège de se promener librement

dans l’enceinte à la condition de ne pas révéler ses observations à son état-major. Il s’agit

d’une promesse rapidement brisée : un plan du fort dessiné de sa main circule rapidement

jusqu’en Angleterre où il est même imprimé dans les gazettes. La rumeur de l’existence de

cette carte rejoint le commandant Contrecœur qui se contente de confier Stobo à l’état-

major à Québec. Pendant près d’un an, l’Écossais a la liberté de se promener et de

marchander entre Montréal et Québec en attendant que se prépare l’échange d’otages.

Entretemps, toutefois, sa carte continue de circuler : bien que son identité soit camouflée

dans les gazettes en attribuant l’information à des « French Deserters929 », des copies

portant son nom sont découvertes dans les papiers de Braddock et rapportées au gouverneur

Vaudreuil. À la lumière de cette trahison, Stobo se fait envoyer à Montréal pour être jugé.

Le procès d’un espion au seuil d’une guerre potentielle (la poudrière européenne n’a pas

encore explosé à ce moment-ci, après tout) n’est pas anodin. Bien que Stobo est reconnu

coupable de haute trahison, la décision devra être d’abord envoyée à Louis XV pour être

ratifié. Elle ne le sera pas. Comme l’observe Stéphane Genêt :

927 Voir Hélène GRENIER, « Les étrangers sous le Régime français », dans André LACHANCE (dir.), Les marginaux, les exclus et l’autre au Canada aux 17e et 18e siècles, Montréal, Fides, 1996, p. 209-244. 928 Un des exemples les plus célèbres est Esther Wheelwright, enlevée au Massachusetts en 1703 alors qu’elle est enfant. Son étonnant parcours la voit devenir supérieure des Ursulines à Québec en 1760. Gérald M. KELLY, « Esther Wheelwright », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 830-831. Voir aussi Ann M. LITTLE, The Many Captivities of Esther Wheelwright, New Haven, Yale University Press, 2016, 304 p. 929 ANONYME, A Map of New England & ye country adjacent, extending northward to Quebec, & westward to Niagara, on Lake Ontario; shewing Gen. Shirley and Gen. Johnson’s routs, & many places omitted in other maps, 20 x 18 cm, Londres, General magazine of arts & sciences for W. Owen at Temple Bar, 1755.

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Le procès de Stobo […] apparaît donc surtout comme une opération de propagande interne, destinée à la population d’une colonie, consciente des tensions régionales et de la menace anglaise. Le roi cherche localement à montrer de la fermeté face à un sujet britannique reconnu coupable d’espionnage tout en limitant, par la suspension de la peine, l’impact que son exécution pourrait avoir en Europe.930

L’histoire de Stobo a été amplement étudiée, notamment par Robert C. Alberts dans sa

biographie The Most Extraordinary Adventures of Major Robert Stobo et par Stéphane

Genêt dans ses études sur l’espionnage au Canada931. Ainsi, ce qui précède n’est qu’un très

bref retour sur son passage au Canada et son procès. Néanmoins il est intéressant de

s’arrêter un instant sur l’identité des captifs et prisonniers qui l’accompagnent dans l’une

des plus importantes fuites de la ville de Québec. Le groupe est composé de Stobo; du

lieutenant Simon Stevens des Rogers’ Rangers; Elijah Denbo, l’ancien serviteur d’un

capitaine des Jersey Blues; Oliver Lakin, captif chez les Autochtones de Québec

(probablement les Wendats) et qui avait la permission de travailler en ville; et enfin

l’Écossais William Clark, sa femme et ses trois enfants, vivant à Québec. La famille Clark

avait été capturée par des guerriers autochtones qui leur avaient épargné la vie après que

William leur avait menti en se disant être un déserteur. Pour subvenir à leurs besoins, le

chef de famille s’était fait employer au chantier de construction navale après avoir feint de

se convertir au catholicisme. Après de longues délibérations pendant l’hiver sur comment

s’échapper de Québec, les futurs évadés choisissent de voler un gros canot afin de

descendre le Saint-Laurent. Le 1er mai 1759, sous le couvert de la nuit, ils s’activent. Après

36 jours de péripéties, le groupe finit par rejoindre Louisbourg, sous contrôle britannique.

Tous vont partager leurs connaissances sur Québec, en particulier Stobo qui rejoindra

Wolfe à Québec932.

Un autre cas particulièrement intéressant est celui du dénommé Davis, capturé et

ramené à Québec alors qu’il était enfant en Nouvelle-Angleterre. Après la conquête de la

ville, Davis, « conservant toujours son affection naturelle pour son propre peuple933 »,

rejoint le camp britannique pour offrir ses services comme domestique à James Murray. Sa

930 GENÊT, Les espions des Lumières, p. 457. 931 Voir « L’affaire Stobo », dans Ibid., p. 448-460 et Idem, « Le renseignement militaire… », p. 216-220. 932 ALBERTS, The Most Extraordinary Adventures…, p. 203-207 et p. 215-241. 933 Dans le texte original : « still retaining his natural affection for his own people ». KNOX, An Historical Journal… Vol. 2, p. 326.

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connaissance du français et de la région lui sont un atout. Le 28 avril 1760, Davis se fait

capturer à nouveau alors qu’il est en canot pour rejoindre une autre faction de la marine

britannique. Immédiatement accusé d’espionnage par les Français, il se fait menacer de

pendaison s’il ne révèle pas tout ce qu’il connaît au sujet du camp ennemi. Néanmoins, la

fin de la bataille de Sainte-Foy et le repli des forces françaises lui sont fortuits puisqu’il se

fait accorder la liberté de retourner chez les siens934. Bien que John Knox, le chroniqueur

de cette histoire, ne donne pas de détails sur l’identité ni l’âge de Davis, on peut noter qu’il

est possible qu’il s’agisse de Thaddeus Davis, capturé vers l’âge de 4 ans en septembre

1750 au fort Richmond935. Il aurait donc environ 14 ans en 1760.

CONCLUSION Des deux côtés de l’océan, l’état-major a besoin de s’informer sur le territoire du front de

guerre, des effectifs de l’adversaire et de l’état de ses défenses. En Europe, la

reconnaissance initiale et la capture de prisonniers aux fins du renseignement sont

traditionnellement confiées à la cavalerie, même si celle-ci s’oppose le plus souvent aux

missions plus dangereuses. Ces dernières sont donc plus souvent reléguées aux troupes

légères d’infanterie qui, contrairement à la mémoire populaire, se servent aussi de la petite

guerre, ou guerre de partis, pour accomplir ces missions936. En Amérique, aucune cavalerie

n’est dipsonible à grande échelle outre la petite bande à cheval menée par Rochebeaucour

en 1759 et 1760. Celle-ci sert strictement à remonter les chemins de terre pour surveiller les

berges près de Québec et Montréal, tout en servant de courriers d’ordonnances. Il revient

donc aux troupes coloniales—soit les troupes de la Marine, leurs alliés autochtones et les

miliciens—de mener les partis de reconnaissance en territoire britannique tout en étant prêts

à intercepter les partisans adversaires. Alors que les officiers métropolitains sont déjà

familiers avec la petite guerre, leur plus grande adaptation au théâtre nord-américain est

l’utilisation de guerriers autochtones. La friction entre l’état-major et les chefs de guerres

alliés va cependant affaiblir le plein potentiel de ce corps irrégulier, déjà fragilisé par les

griefs internes entre nations différentes. Les rapports subséquents aux expéditions de

934 Ibid., p. 325-326. Cité dans GENÊT, « Le renseignement militaire… », p. 208-209. 935 Emma Lewis COLEMAN, New England Captives Carried to Canada 1677-1760. Vol. 2, Portland, Maine, Southworth Press, 1925, p. 283. 936 GENÊT, « Le renseignement militaire… », p. 207 et KENNETT, « French Military Intelligence... », p. 202.

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découvertes des troupes légères sont acheminés à l’état-major qui doit faire un tri et une

évaluation de la pertinence et de la véracité des informations. Malgré les nombreuses

plaintes des officiers sur la qualité de ces rapports d’observations, il n’en demeure pas

moins que ceux-ci sont leurs sources premières d’information. À cet effet, les partisans les

plus efficaces vont rapidement se démarquer dans l’esprit de l’état-major. Enfin, bien que

les prisonniers attrapés à l’orée des postes soient les plus importantes sources de

renseignement sur l’adversaire, ils posent néanmoins un risque substantiel alors que les

fuyards et ses propres hommes capturés peuvent tout autant renseigner l’ennemi à leur tour.

L’état-major essaye donc tant bien que mal de contrôler ce que peuvent observer ses

prisonniers tout en cherchant vainement à limiter les fuites d’une part et la saisie de ses

propres hommes de l’autre.

Après ce qui précède, on peut maintenant redorer la contribution de la petite guerre

pendant la guerre de Sept Ans en Amérique du Nord. L’historiographie de la Conquête,

longtemps obsédée par le poids tactique de la guerre de partis—en sus intimement liée avec

la querelle entre Montcalm et Vaudreuil sur la stratégie à adopter—, finit par admettre que

l’adoption d’une conduite plus « européenne » est inévitable avec l’implantation d’une

guerre de sièges et de batailles en lignes937. Pourtant, s’ils ont raison de faire écho à

Bougainville qui écrit « Il ne s’agit plus ici de faire coup, mais de conquérir ou d’être

conquis. Quelle révolution! quel changement!938 », il est faux de minimiser l’importance de

la petite guerre pendant ce conflit. En réalité, s’il est vrai que la Nouvelle-France aurait

sombré plus tôt avec une utilisation exclusive de la guerre de partis, la colonie a tout de

même survécu aussi longtemps justement grâce au renseignement fourni par ses plus

vaillants partisans.

937 Voir par exemple HORN, « Marin and Langis », p. 72. 938 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 294.

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CHAPITRE 5

DES LOUPS DEVENUS BERGERS : ESPIONS, TRAÎTRES ET COLLABORATEURS

INTRODUCTION : « LE » TRAÎTRE DE QUÉBEC La ville de Québec devient la cible ultime de l’ennemi pendant la campagne de 1759. Après

deux mois passés à bombarder la ville, un échec cuisant à la bataille de Montmorency et

une campagne de terreur le long des côtes de la région, les Britanniques, menées par James

Wolfe, arrivent enfin le 13 septembre à surprendre et à repousser Montcalm et son armée

sur les plaines d’Abraham. Cinq jours plus tard, la ville capitule. Plusieurs défaillances en

matière de renseignement du côté français jouent un rôle important dans ce dénouement de

la campagne. Trop nombreuses à énumérer d’un coup, il faut certainement mentionner

quelques exemples probants. D’abord, Montcalm qui mord à l’hameçon tendu par Wolfe,

se laissant convaincre qu’un nouveau débarquement se prépare à Beauport plutôt qu’à

l’ouest de la ville. Ensuite, le matin même des opérations nocturnes de Wolfe, deux

déserteurs français se font intercepter par les Britanniques et les informent que l’armée

française attend l’arrivée d’un convoi d’approvisionnement. À l’avantage de Wolfe,

Bougainville néglige justement de transmettre aux autres officiers la nouvelle que le convoi

avait été annulé. La coïncidence offre donc à l’ennemi l’occasion de profiter de la nuit pour

se faufiler vers la berge sous le nez des sentinelles croyant qu’il s’agit du convoi attendu : à

chaque sommation de s’identifier dans la noirceur, Simon Fraser, un Écossais, leur répond

en Français. Enfin, aucun système de signalement n’avait été élaboré en cas d’attaque dans

les environs de l’anse au Foulon. L’état-major se fait donc avertir tardivement, le premier

messager prenant curieusement « une heure pour franchir […] trois kilomètres939 ». Sans

oublier qu’il faudra plus de trois heures depuis le débarquement britannique avant que

l’état-major ne se décide à réagir, et ce, toujours sans être parfaitement informé des faits.

Mais à la base de tous ces manquements, une question hante la mémoire populaire : qui est

responsable d’avoir révélé à Wolfe l’emplacement de l’anse au Foulon et ses faiblesses?

939 NOËL, Montcalm, général américain, p. 211.

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À l’occasion du 250e anniversaire de la bataille, la figure d’un « traître », ou plutôt

« du » traître des plaines d’Abraham avait été dépoussiérée, évoquée dans les médias,

trouvant même une place dans la littérature pour jeunesse940. Il n’y a là rien d’étonnant : le

personnage, peu importe son identité véritable, joue un rôle important dans la mémoire et la

littérature populaires, servant à simplifier la trame narrative de la Conquête. Il est plus

facile pour le public de blâmer la perte de la colonie sur les manigances d’un seul individu,

c’est-à-dire un antagoniste solitaire sur qui jeter ses foudres, plutôt que de comprendre la

complexité de la machine de guerre dans une période difficile de son histoire. À tort ou à

raison, de nombreuses personnes se sont fait imposer ce rôle de bouc émissaire au fil des

siècles dans l’histoire nationale du Canada français—après tout, « Dans des circonstances

normales les Anglais n’auraient pu vaincre les Canadiens941 », s’imagine-t-on! Ainsi, trois

noms sont régulièrement brandis devant ces accusations. En tête de file se trouve

l’intendant Bigot942. Certes, lui et sa bande sont des voleurs, mais tout de même pas des

traîtres, conclut Guy Frégault943. Pierre-Georges Roy, quant à lui, pointe du doigt Jean-

Baptiste Cugnet944. Il y a un léger hic, cependant : son accusé est décédé à Saint-Domingue

dix ans avant les faits945! Enfin, l’officier Louis Du Pont Duchambon de Vergor aurait été

soudoyé pour laissér libre cours aux Britanniques d’atteindre les plaines d’Abraham946.

Dans les faits, il n’en est rien : ses contemporains et ses blessures reçues en défendant

l’anse au Foulon contredisent les langues médisantes947.

940 Entre autres : Denis GAUMOND, « Pleurons 1759 et célébrons 1760! », Cyberpresse, mardi 10 février 2009; Louis-Guy LEMIEUX, « 1759 : Trahi par un des leurs », Le Soleil, samedi 5 septembre 2009, p. 14; Georges RIVARD, « Au-delà de la bataille des Plaines d’Abraham », La Voix de l’Est, jeudi 12 février 2009, p. 12 et Corinne DE VAILLY, Phœnix : Le Traître des plaines d’Abraham, Montréal, Trécarré Jeunesse, 2009, 184 p. 941 Maurice LEMIRE, « La trahison de Bigot dans le roman historique canadien », Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 22, No. 1 (juin 1968), p. 88. 942 Ibid., p. 65-88. 943 FRÉGAULT, La guerre de la conquête…, p. 55. 944 « Le traître Cugnet », dans Pierre-Georges ROY, Les petites choses de notre histoire. Vol. 3, Lévis, 1922, p. 247-253. 945 Marine LELAND, « Jean-Baptiste Cugnet, traître? », Revue de l’Université d’Ottawa, Vol. 31 (1961), p. 453. Voir aussi : Idem., « Histoire d'une tradition : “Jean-Baptiste Cugnet, traître à son roi et à son pays” », Revue de l’Université d’Ottawa, Vol. 31 (1961), p. 493. 946 Louis FRÉCHETTE, cité dans ROY, « Les traîtres de 1759 », p. 42. 947 Lire le témoignage de Sœur Marie-Joseph Legardeur de Repentigny, dans Le siège de Québec en 1759 par trois témoins, p. 17. La meilleure reconstitution des événements liés à l’anse au Foulon se trouve dans MACLEOD, Northern Armageddon, p. 135-153.

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L’ARBRE QUI CACHE LA FORÊT

En vérité, nul besoin de se rabattre sur un supposé traître agissant comme un espion pour

Wolfe : Stobo et les autres prisonniers britanniques évadés s’étaient montrés amplement

renseignés sur les faiblesses de la ville. Depuis Pierre-Georges Roy, la thèse « du » traître

de Québec a été réexaminée par les historiens successifs et ultimement rejetée. C. P. Stacey,

dans sa biographie de Wolfe, écrit : « À maintes reprises, on a prétendu que l’existence de

ce sentier avait été indiquée par un traître mais aucune preuve n’a jamais été avancée948. »

La récente réévaluation de Peter MacLeod met également de côté l’hypothèse du complot :

« The assault on the Anse au Foulon was a British success rather than a French failure.

Taken by surprise, the French recovered quickly and defended their posts until

overwhelmed by sheer numbers. The British, for their part, seized a crucial position quickly

and efficiently, and opened the road that would take them to the plains of Abraham949. »

Ceci dit, la déconstruction précédente du mythique « traître » des plaines d’Abraham ne

sert pas à indiquer qu’il n’y a aucune collaboration avec les Britanniques : bien au

contraire! Le message à retenir est que la figure « du » traître de Québec est l’arbre qui

cache la forêt. Même si les personnages accusés par la mémoire populaire avaient été

coupables de trahison, les fuites d’informations sont endémiques. Nul besoin donc d’un

bouc émissaire unique : les espions et les collaborateurs sont nombreux pendant la

campagne de Québec950. Et avec raison : Québec, la capitale coloniale dont la population

atteint plus de 8 000 citoyens au début de la guerre, devient l’épicentre du conflit en

Amérique. Pendant la campagne de 1759, la ville et ses environs accueillent 13 000

militaires et miliciens, 1 200 guerriers autochtones et 2 000 soldats de la garnison de

Québec951. En dehors de l’effort de guerre s’ajoutent les réfugiés, dont le groupe le plus

948 C. P. STACEY, « James Wolfe », dans DBC, Vol. III de 1741 à 1770, Québec, Presses de l’Université Laval, 1974, p. 721-730. Voir aussi STACEY, Quebec, 1759, p. 135. 949 MACLEOD, Northern Armageddon, p. 153. 950 Bien qu’on puisse s’attendre à ce que le mythe du traître des plaines d’Abraham continuera à avoir la vie dure. Comme l’écrit Gérard Bouchard : « On s’attend à ce qu’un mythe exerce une grande emprise lorsqu’il est étroitement articulé à un puissant archétype et qu’il met en œuvre un large éventail de répertoires discursifs. Certains archétypes sont plus aptes que d’autres à mobiliser les consciences. On pense tout particulièrement aux images du traître et du bouc émissaire ou aux théories du complot dans un contexte d’insécurité et d’impuissance. » Gérard BOUCHARD, Raison et déraison du mythe. Au cœur des imaginaires collectifs, Montréal, Boréal, 2014, p. 137-138. 951 Chiffres tirés de STACEY, Quebec, 1759, p. 48.

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important, les Acadiens, représente environ 2 000 individus arrivés dans la vallée du Saint-

Laurent, leur principale destination étant Québec952. Avec une population ainsi triplée par

les combattants, les prisonniers et les réfugiés, tous sont soumis à la disette et la misère. Il

est tout naturel que le lieu foisonne de gens prêts à collaborer avec l’ennemi en échange de

quelques douceurs durant cette période extrêmement pénible. Il faut donc mitiger le

qualificatif de « traître », qui a un bagage émotionnel et péjoratif, et ne l’appliquer qu’après

avoir bien établi que ces collaborations sont motivées par des sentiments autres que la

survie953. Bien entendu, les contemporains ne s’embarrassent pas avec de tels soucis

d’équité. Comme l’écrit le gouverneur : « Si j’avois des subsistances et des moyens de tenir

des partis autour de Québec, je traiterois avec la dernière rigueur les sujets du Roi qui

communiqueroient avec l’ennemi. Dans la position où nous sommes, ce seroit sacrifier tous

les habitants du voisinage de la ville, si je me servois de cette voie954. »

D’autre part, ces activités ne sont pas uniques à Québec. Si l’historiographie s’est

attardée principalement sur la campagne de Québec, les espions, les traîtres et les autres

collaborateurs font partie intégrale du renseignement militaire partout dans la colonie.

Encore une fois, inutile d’inventer un bouc émissaire unique : les informateurs sont

nombreux. S’il est impossible d’établir le chiffre exact de collaborateurs, il existe

heureusement des traces importantes pour se faire une idée de leurs activités. À l’instar de

Stéphane Genêt, il faut reconnaître ici qu’il y a un danger de n’en faire « qu’une suite

d’aventures individuelles955 ». Ce qui suit ne cherche donc pas qu’à reconstituer des

biographies d’individus, mais à examiner l’ensemble des activités d’espionnage en

Nouvelle-France. Il faut d’abord établir l’importance, l’utilité et même le coût des espions.

Ensuite, l’identité des espions est discutée; il ne s’agit pas ici nécessairement de tous les

identifier—tâche impossible après tout, vu leur nature secrète—, mais de dégager les

origines sociales et culturelles générales de tous ceux qu’on retrouve dans la colonie. Puis

952 MATHIEU et IMBEAULT, La guerre des Canadiens…, p. 237 et p. 240. 953 Ceci est encore plus vrai concernant un conflit civil comme la Révolution américaine où « trahison » et « patriotisme » s’interchangent à l’époque selon que la perspective soit américaine ou britannique. DAIGLER, Spies, Patriots, and Traitors..., p. 47-48. 954 Vaudreuil à Lévis. À Montréal, le 13 octobre 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Vaudreuil…, p. 124. 955 GENÊT, Les espions des Lumières, p. 21.

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notre regard se pose sur les moyens utilisés par les espions pour se dissimuler dans la

population. Par la suite, nous examinons comment l’état-major se protège et se méfie de

l’espionnage ennemi, avant de s’arrêter enfin sur les moyens par lesquels l’administration

coloniale instrumentalise les accusations d’espionnage dans le milieu de la contrebande.

5.1 L’ESPION : INDISPENSABLE D’ABORD ET AVANT TOUT Depuis les tout débuts de la fondation de la Nouvelle-France, l’espionnage joue un rôle

prépondérant dans le développement de la colonie. Il suffit de se rappeler que Champlain

avait lui-même été un « espion » pour la France pendant ses premiers voyages dans les

colonies espagnoles956. Au fur et à mesure que la Nouvelle-France et les colonies

britanniques voisines se développent, de même que les relations diplomatiques entre

Français et alliés autochtones, l’espionnage prend de l’ampleur. Même en temps de paix, le

monde de la traite est un terreau fertile pour les espions, particulièrement entre Montréal et

Albany à la fin du XVIIe siècle957. L’espionnage au profit du développement de la colonie a

également lieu en Europe : pour répondre aux demandes de la clientèle autochtone,

plusieurs innovations en production textile sont le fruit d’espionnage industriel entre la

France et l’Angleterre958. On ne s’étonne donc pas que les activités d’espionnage

augmentent de manière fulgurante pendant la guerre de Sept Ans alors que la survie même

de la colonie est en jeu.

Sur le plan militaire, les traités n’hésitent pas à soulever l’utilité des espions. En 1754,

au seuil de la déclaration de guerre en Europe, paraît l’Essai sur l’art de la guerre de

Lancelot Turpin de Crissé dans lequel il consacre une dizaine de pages sur l’utilisation des

espions et des moyens de se méfier de leur déloyauté potentielle959. L’auteur est

catégorique : « Un Général n’a pas moins besoin d’Espions pour s’instruire, qu’une Armée

n’a besoin d’Armes pour se battre960 ». Le tacticien pousse d’autant plus :

956 Ce passé est évoqué dans le titre même d’une nouvelle édition de ses premiers écrits. Voir Samuel de CHAMPLAIN (Édité par Éric THIERRY), Espion en Amérique. 1598-1603, Québec, Septentrion, 2013, 224 p. 957 COOLIDGE, The French Occupation…, p. 50. 958 Au sujet de l’espionnage industriel, voir : Philippe MINARD, La fortune du colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998, p. 214-218. 959 Voir « Des Espions », dans TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 235-245. 960 Ibid., p. 239.

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IL [sic] est comme impossible qu’un Général, & même qu’un Officier particulier, chargés du commandement d’un Corps détaché, puissent agir avec sûreté, s’ils n’ont des Espions ou des intelligences secrettes dans l’Armée ennemie; ils seroient exposés à voir échouer tous leurs projets, toutes leurs précautions seroient inutiles, parce qu’elles seroient prises mal-à-propos.961

Justement, puisque toute information menant à une victoire a une valeur inestimable, il

faut se rappeler que l’espionnage coûte cher à l’état-major. Turpin de Crissé rappelle non

seulement l’importance de rémunérer ses espions, mais de le faire généreusement :

« Strada, Turenne, Vauban exhortent à ne point négliger d’en avoir, quoi qu’ils doivent

coûter; Vauban ajoute qu’il vaut mieux se passer des choses les plus nécessaires que

d’Espions; on ne doit rien épargner, ajoute M. de Puységur, & même il faut garder à ces

sortes de gens la fidélité la plus scrupuleuse dans les promesses qu’on leur fait962. » Il

ajoute : « […] ce n’est qu’à force d’argent qu’on peut s’assurer de leur fidélité, & si le

Général n’est pas bien servi, c’est qu’il est trop ménager des fonds destinés par le Roi pour

cet objet […]963 ». Charles Sévin de Quincy n’hésite pas lui non plus à mettre l’accent sur

l’importance de se payer des espions : « On n’épargne point outre cela les espions, dont on

ne manque pas, si on les paye bien; & jamais argent ne peut être plus utilement

employé964. »

En Nouvelle-France, on ne fait pas exception à cette règle. Il est toutefois difficile de

connaître la rémunération exacte des agents. La nature secrète de leur occupation fait en

sorte qu’il est difficile de cerner les rouages de leurs activités dans les sources, outre

l’allusion à leur présence. Rares aussi dans les archives sont les instructions formelles à être

remises aux agents965. Sur leur rémunération, il est fâcheux que le gouverneur Duquesne

n’offre pas plus de détails sur sa « Dépense secrète pour des espions » à Montréal, soit un

montant de 660 livres966. À titre de comparaison, un interprète au Pays d’en Haut peut se

faire payer 500 livres pour un an de service selon son utilité et le poste où il se trouve.

961 Ibid., p. 235. 962 Ibid., p. 235-236. 963 Ibid., p. 239. 964 QUINCY, L’art de la guerre…, p. 236. 965 Un seul un document a été trouvé à ce sujet. Voir « Projet d’attaque sur Québec. Hiver 1759 », dans CASGRAIN (dir.), Lettres et pièces militaires…, p. 189-191. 966 Compte de la recette et dépense des postes des pays d’en haut, joint à la lettre de M. le marquis Duquesne, du 12 juillet 1755, dans CASGRAIN (dir.), Extraits des archives…, p. 22.

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Impossible ici de comparer proprement, toutefois : Duquesne ne mentionne ni le nombre

d’espions à son service ni la durée de leurs appointements permettant de connaître le

montant dépensé par espion. Après tout, selon le compilateur François-Alexandre Aubert de

La Chesnaye Des Bois, ces rémunérations font partie des « dépenses secrètes » d’une

armée, gérées à la discrétion du général qui, par la confiance qui lui est accordée, n’a pas

besoin d’en rendre compte à son souverain967.

Néanmoins, au fur et à mesure que la guerre avance et se rapproche des villes du

Canada, l’importance des espions s’accroit, ainsi que le budget pour en embaucher. Le 10

février 1759, le ministre de la Marine écrit au gouverneur Vaudreuil et au général

Montcalm :

Si vous pouvez vous promettre quelques succès particuliers par la voie des espions, Sa Majesté vous autorise à porter la dépense que vous y emploierez jusqu’à la somme de deux cent mille livres; et, si les services qu’ils pourroient rendre étoient d’une nature à rendre inutiles les efforts des ennemis pendant cette campagne, vous pourrez y employer jusqu’à cinq cent mille livres et même plus. M. Bigot sera suffisamment autorisé par cette dépêche à en fournir des lettres de change sur France. Mais vous devez comprendre avec quelle réserve vous devez user de cette permission pour n’être pas dans le cas d’avoir employé inutilement la moindre somme pour cet article. Sa Majesté en laisse la disposition à votre prudence, et je ne vous l’indique que pour ne pas vous laisser manquer de cette ressource, si le salut de la colonie peut en dépendre.968

Passer de 660 livres à un budget potentiel d’un demi-million de livres au cours de la guerre

illustre amplement l’importance que prend l’espionnage tout au long du conflit. À première

vue, la somme indiquée semble exorbitante considérant qu’elle peut potentiellement

surpasser les 140 000 livres que le Canada rapporte annuellement en fourrures969. Stéphane

Genêt, qui cite lui aussi cette lettre du ministre, ne remet pas en cause le montant

soulevé970. Pourtant, comment expliquer et même justifier une dépense aussi faramineuse?

Après tout, même si les dépenses annuelles de la colonie pendant les années 1740

quadruplent sous l’influence de la guerre de Succession d’Autriche, en 1749 elles dépassent

à peine deux millions de livres. Cependant, les dépenses pendant la guerre de Sept Ans ne

967 AUBERT DE LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire militaire…, 1743, p. 479-480. 968 M. de Berryer à MM. de Vaudreuil et de Montcalm. À Versailles, le 10 février 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles…, p. 168. 969 FRÉGAULT, La guerre de la conquête…, p. 402-403. 970 GENÊT, Les espions des Lumières, p. 114.

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sont pas comparables puisqu’elles dépassent de loin—très loin même—celles du conflit

précédent : dans une période de dix ans, soit entre 1746 et 1755, ce sont 36 millions de

livres en tout qui sont dépensées sur la colonie. Entre la déclaration officielle de la guerre et

l’année de la capitulation de Montréal, ce sont plus de 109 millions qui sont déboursés, soit

le triple en cinq ans! La somme réservée aux dépenses potentielles liées aux espions ne

représente au final qu’un montant relativement modique, soit 1,7% sur les 30.1 millions de

livres dépensées en 1759971. De plus, puisqu’elle doit contribuer à conserver un continent,

la somme accordée à l’espionnage ne paraît plus aussi improbable à la lumière du désespoir

de l’état-major prêt à faire flamber son budget de défense, parfois littéralement : à elle

seule, l’opération des brûlots sensé détruire la flotte britannique devant Québec est estimée

à près d’un million de livres972. Comme le rappelle Stéphane Genêt, la détresse des

Français transparaît dans ces dépenses qui démontrent la faiblesse de leur position973. Les

Britanniques dépenseront également de larges sommes pour l’espionnage, comme l’illustre

le cas de Thomas Pichon qui relate après les faits : « [Captain George] Scott, […] gave me

to understand that he could make my fortune, […] that I should have no cause for regret if I

accepted his proposal.974 » Rappelons toutefois qu’aucun compte trouvé jusqu’ici

n’indique combien les Français ont finalement dépensé sur l’espionnage.

Dans le premier tome de son Essai sur l’art de la guerre, publié en 1754, Turpin de

Crissé écrit : « Les Espions sont de plusieurs especes […]; mais tous ne sont portés à faire

ce métier que par l’avidité du gain975 ». Néanmoins, il faut noter que ce ne sont pas tous les

espions qui se font payer en argent, non plus qu’ils sont tous des professionnels (c’est-à-

dire des militaires affectés temporairement à cette occupation, par exemple) : il existe

971 Caculs fait à partir des chiffres dans Guy FRÉGAULT, « Essai sur les finances canadiennes (1700-1750) (suite) », dans Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 13, No. 1 (1959), p. 31 et ANOM, Colonies, C11A 105, F°499. Tableau des dépenses faites en Canada depuis 1750 jusques et compris l’année 1760. 1764. Voir aussi : Jean-Pierre POUSSOU, « Les conséquences économiques de la guerre de Sept Ans », dans Bertrand FONCK et Laurent VEYSSIÈRE (dir.), La fin de la Nouvelle-France, Recherches, Paris, Armand Colin et Ministère de la Défense, 2013, p. 433-448. Sur l’augmentation des dépenses de la Marine en général, voir DULL, The French Navy…, p. 114 et p. 158-159. 972 Montcalm à Bourlamaque. À Québec, le 21 juin 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de M. de Bourlamaque…, p. 330. 973 GENÊT, Les espions des Lumières, p. 184. 974 Pichon’s Memoir relating to his service in Nova Scotia. Le 27 juin 1756, cité dans MACLEOD, « Treason at Quebec », p. 52. 975 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 236.

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évidemment ce qu’on pourrait appeler des espions circonstanciels, c’est-à-dire des

individus prêts à révéler des informations soit en échange de mansuétude (les déserteurs) ou

de liberté (les prisonniers), entre autres. Ceux-ci pratiquent ce que Genêt appelle de

l’espionnage passif976. Ironiquement, bien que ces informateurs deviennent les outils des

généraux, l’inverse est également vrai : en échangeant des informations pour leur propre

gain, ceux-ci instrumentalisent les généraux977.

5.2 QUI SONT LES ESPIONS EN NOUVELLE-FRANCE? Précisons ici la définition du mot « espion » au XVIIIe siècle. La quatrième édition du

Dictionnaire de l’Académie française, publié en 1762, le définit ainsi : « ESPION. s.m. Qui

épie, qui se mêle parmi les ennemis pour épier, qui fait le métier d’épier. Nous avons de

bons espions dans le camp des ennemis, dans la ville. » Rappelant le péril inhérent à ce

type de métier, la définition ajoute pour faire bonne mesure : « On pend les espions, quand

on les découvre978 ». Bien que le recensement de Genêt sur la terminologie du XVIIIe siècle

indique que le terme ne semble se limiter qu’aux militaires, l’historien écrit :

Pourtant, le mot est polysémique et plus riche que cette seule acception. Ainsi, à l’exception du secret, quoi de commun entre le saboteur sur ordre, l’agent double, l’honorable correspondant tenté par l’aventure, l’agent envoyé en mission, l’officier informateur occasionnel, le paysan curieux, le diplomate conciliant ou encore le déserteur bavard?979

Encore une fois et comme nous l’avons déjà soulevé précédemment, il y a autant d’espions

potentiels qu’il y a de gens bien placés pour glaner des informations pour le renseignement

des armées, peu importent leurs occupations.

La nature secrète de l’espionnage brouille les traces des agents dans les sources. Ainsi,

rares sont les individus nommés. Généralement, le gouverneur ne va parler que de « ses

espions ». Pareillement du côté britannique : pour la campagne de Québec, seuls deux noms

ont été identifiés et même là, uniquement grâce à des documents écrits ultérieurement aux

976 GENÊT, Les espions des Lumières, p. 32. 977 MACLEOD, « Treason at Quebec », p. 58. 978 ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire…, Tome 1, 1762, p. 665. 979 GENÊT, Les espions des Lumières, p. 11.

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événements980. Les « agents » des armées sont pourtant bel et bien présents dans les

archives, mais de façon furtive. Comme le souligne Genêt, « La principale difficulté n’est

pas l’absence des espions mais plutôt la banalité de leur présence. En effet, ils apparaissent

très régulièrement dans les lettres adressées par les officiers au ministre. Mais trop souvent,

ils n’y sont que passim, des ombres dans les archives, sur lesquels le secret est gardé et

l’allusion systématique981. » De plus, il n’y a pas de service de renseignement centralisé ni

d’agent appointé à cette tâche comme le seront John André pour l’armée britannique et

Benjamin Tallmadge pour l’armée continentale pendant la Révolution américaine. Tant du

côté français que britannique, chaque général est chargé de rassembler ses informations par

diverses voies982. En Nouvelle-France, toute information pertinente recueillie doit transiter

le long de la pyramide hiérarchique vers le général et enfin au ministre de la Marine et au

secrétaire d’État de la Guerre983. Il est donc impossible d’espérer avoir une liste où seraient

nommés tous les espions à la solde des Français. De toute manière, leur embauche se fait

généralement par arrangement oral. Pour la même raison, il est également difficile

d’estimer le nombre d’espions actifs, même ceux à la solde des Britanniques. Il faut croire

néanmoins que ces derniers sont nombreux, puisqu’on écrit « nous sommes entourés

d’espions984 ».

Même si « l’avidité du gain985 » en attire plus d’un au métier d’espion, l’historien Lee

Kennett rappelle qu’en Europe, les Français ont de la difficulté à trouver et maintenir des

espions fiables. Généralement, l’information qui provient de ces « misérables » est

rudimentaire et souvent soupçonnée d’avoir été fabriquée986. L’état-major au Canada a le

même problème : l’information rapportée par les espions semble souvent se contredire ou

changer selon l’interprétation987. De plus, en Amérique, la difficulté d’entretenir des

espions repose en grande partie sur sa géographie. L’espace est vaste et la majorité du

980 Il s’agit du chirurgien Eli Laparre et le négociant Barthélemy Martin. Voir à leur sujet MACLEOD, « Treason at Quebec », p. 54-57. 981 GENÊT, Les espions des Lumières…, p. 20. 982 MACLEOD, « Treason at Quebec », p. 49. 983 GENÊT, Les espions des Lumières, p. 157. 984 Bourlamaque à Lévis. À Sorel, le 17 août 1760, à 5 heures et demie du soir, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de M. de Bourlamaque…, p. 97. 985 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 236. 986 KENNETT, « French Military Intelligence... », p. 202. 987 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 181.

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conflit a lieu en marge de la colonie, éloignée de la principale zone de colonisation. Ceci

fait en sorte que les espions les plus précieux ne sont pas nécessairement tirés parmi les

habitants ni les militaires, mais chez les alliés autochtones. Il faut attendre 1759, alors que

la campagne s’approche des milieux « urbains », pour observer une soudaine augmentation

des agents d’origine européenne.

5.2.1 ESPIONS AUTOCHTONES

Comme le souligne Sylvain Fortin : « La littérature a pris jusqu’à maintenant conscience de

la mise en œuvre de l’espionnage dans les relations franco-amérindiennes, mais aucune

étude ne s’est proposé d’en faire l’analyse988. » Pourtant, le sujet s’y prête bien : les espions

autochtones sont présents depuis les premières interactions avec les colons européens en

Amérique. Le plus célèbre exemple est celui d’Amonute, mieux connue sous le nom de…

Pocahontas989. Pareillement, en Nouvelle-France, les relations entre colons français et

Autochtones vont se développer non sans l’aide d’espionnage, atteignant son summum

pendant la guerre de Sept Ans. Bougainville est catégorique en écrivant le 12 juin 1757 que

les « [...] Sauvages [sont les] seuls espions qu’on ait ici990 ». Effectivement, avant la

campagne de 1759 et au moment où l’officier écrit ces lignes, les Autochtones sont la

principale source d’espions pour les Français. Comme Thomas Auguste le Roy de

Grandmaison l’écrit dans son traité La petite guerre, ou traité du service des troupes

légères en campagne, publié en 1756 : « Il seroit bon aussi d’avoir quelqu’un de l’endroit,

pour être encore plus sûr de la situation de toutes ces choses […]991 ». Qui de plus « de

l’endroit » que les Autochtones?

Le journal de Pouchot est particulièrement riche au sujet des espions autochtones, dont

plusieurs sont des agents doubles pour les Britanniques. Pour cette raison, entre autres, leur

qualité et leur fiabilité sont souvent remises en question par l’état-major. Montcalm pousse

sa réflexion à savoir s’il n’est pas possible de les remplacer tout simplement :

988 FORTIN, Stratèges, diplomates et espions..., p. 28. 989 Éric TALADOIRE, D’Amérique en Europe : Quand les Indiens découvraient l’Ancien Monde (1493-1892), Paris, CNRS Éditions, 2014, p. 66. 990 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 188. 991 GRANDMAISON, La petite guerre..., p. 221.

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On est toujours bien incertain des dispositions de l’ennemi dans un pays inhabité, et où il n’y a point d’espions et où l’on n’en peut pas avoir, et où je pense qu’il ne serait pas difficile d’en avoir par les sauvages, et encore mieux par des Canadiens ressemblant de figure aux sauvages, parlant comme eux et qu’on enverrait matachés et équipés comme eux.992

Toutefois, ceci n’empêche pas que, tant dans la vallée de l’Ohio qu’au Canada, les taupes

les plus prolifiques se trouvent chez les Premières Nations. Au seuil de l’éclatement de la

guerre, le terreau le plus fertile pour l’espionnage autochtone se trouve chez les domiciliés,

particulièrement au fort de La Présentation (aujourd’hui Ogdensburg, New York) qui est vu

comme étant le principal nid d’espions pour les Cinq-Nations. En effet, la proximité

physique et familiale entre le fort et la puissante confédération ouvre une voie de

communication naturelle entre le Canada et la colonie de New York. Alors que le

gouverneur Vaudreuil se sert de ces domiciliés pour ses négociations diplomatiques993, il

reconnait que cette voie est susceptible aux fuites d’information et n’hésite pas à soulever

ses suspicions devant les ambassadeurs des Cinq-Nations994. À l’inverse, l’état-major

cherche constamment à se mettre lui aussi au courant des négociations entre les Cinq-

Nations et les Britanniques. Les Français doivent donc simultanément amadouer et se

méfier de leurs alliés iroquois domiciliés tout au long de la guerre. Dans le camp

britannique, Amherst se méfie aussi des fuites d’information. Le 16 mai 1759, il écrit dans

son journal : « Sir William Johnson came to me in the morning, promised great things for

the Indians. I kept my intended operations secret. If the Indians know them the French will

have it; though ever so much an Indian Friend, it is their business to give intelligence on

both sides995. »

En dehors du monde diplomatique, il faut se méfier également des espions autochtones

dans les camps et les forts, dont plusieurs répondent aux Cinq-Nations. Comme l’indique

Marin à Dumas en 1753, « […] parmy les sauvages qui sont a Vôtre Camp. Il y En a qui

992 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 187-188. 993 Voir par exemple : ANOM, Colonies, C11A 100, F°98-107v. Réponses de Vaudreuil de Cavagnial aux paroles que les Cinq-Nations lui ont envoyées par des députés de la mission de La Présentation. Le 22 octobre 1755. 994 Bougainville souligne aussi que leurs ambassadeurs en particuliers sont souvent considérés comme des espions. Vaudreuil au Ministre. À Montréal, le 31octobre 1755, dans CASGRAIN (dir.), Extraits des archives…, p. 73 et BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 96. 995 AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 109.

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parlent Irocois996 ». Justement, dans la vallée de l’Ohio où le territoire est non seulement

contesté entre Français et Britanniques, mais également entre les Cinq-Nations et les

Autochtones qui s’y trouvent, les espions pullulent au seuil de la guerre afin de connaître

les intentions de chaque parti997.

S’il faut déjà se méfier des espions dans son entourage, encore faut-il s’assurer de la

fiabilité des siens. Par exemple, dans une lettre au ministre datée du 1er juin 1756, le

gouverneur Vaudreuil mentionne un espion Onneiout de La Présentation. Il confie à ce

dernier la mission de découvrir où se trouvent les entrepôts érigés par les Britanniques en

prévision de leurs assauts contre les forts Frontenac et Niagara. « J’eus de luy tous les

éclaricissemens que je pouvois souhaitter sur la Route que je pourrois faire tenir par terre à

un détachement Sans être decouvert998. » Bien que rien ne lui indique que son espion lui

ment, le gouverneur s’assure néanmoins de double vérifier l’information en consultant ses

alliés à la mission iroquoise de Sault-Saint-Louis (Kahnawake) et celle du Lac-des-Deux-

Montagnes (Oka). Même si l’information semble concorder en effet, Vaudreuil prend une

dernière précaution :

pour une plus grande Sureté, Je fis tracer en ma présence la carte de la Route; Je m’attachoy à connaitre la distance des Lieux et à marquer même les couchées du détachement, Je m’informay de cette Distance en Détail et Dans L’instant Je la Demanday en gros et je vis que cette onnoyotte ne Se méprenoit point et m’accusoit toujours juste.999

Impossible de savoir si le gouverneur a déjà lu Turpin de Crissé, mais ses précautions

reflètent cette instruction du tacticien: « Il faut étudier [le] caractère [de ses espions], & les

mettre à différentes épreuves, leur parler de choses dont on ne s’embarrasse point d’être

éclairci, & sur lesquelles le secret est de peu d’importance, les faire parler beaucoup, afin

de connoître leur esprit & son étendue, & surtout les faire souvent épier1000. » Au final, les

informations recueillies par l’espion mènent le gouverneur à organiser une expédition

dirigée par Joseph-Gaspard Chaussegros de Léry contre le fort Bull. Toutefois, tous ne sont

pas convaincus de la fidélité de l’espion : le 3 mars 1757, une députation du lac des Deux

996 Marin à Dumas. Le 26 août 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 43. 997 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 99-100. 998 ANOM, Colonies, C11A 101, F°15v. Vaudreuil au ministre. À Montréal, le 1er juin 1756. 999 Idem., F°16. 1000 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 236.

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Montagnes et de Sault-Saint-Louis se présente devant le gouverneur et lui fait part de ses

suspicions à l’égard de l’Onneiout. Vaudreuil écarte ces inquiétudes, la victoire au fort Bull

ayant affermi sa confiance envers son espion1001.

Tout comme pour les espions européens, il est difficile de connaître l’identité des

espions autochtones. Néanmoins, les sources peuvent détenir quelques surprises, comme ce

cas parmi les plus intéressants et révélateurs des activités d’espionnage autochtone au

service des Français. En avril 1760, le gouverneur demande à ce qu’on recueille le plus

d’informations possible au sujet de l’ennemi à Oswego. Pour ce faire, l’officier en charge

du fort Lévis à l’entrée du lac Ontario confie la mission à Charles Tegassetogen. Celui-ci

est décrit comme un « chef de la Présentation […] un de ceux qui vinrent en France en

1752 avec M. l’abbé Piquet » et « parlant assez bien français1002 ». Donc, fortement

partisan des Français, Tegassetogen est envoyé le 1er avril 1760 espionner Chouaguen sous

le prétexte d’y faire la traite de ses fourrures1003. À son retour le 19, Tegassetogen rapporte

plusieurs informations sur les plans des Britanniques et des intentions de certaines nations

autochtones. Faisant preuve d’initiative, il s’assure en plus de confier à certains confrères

demeurés à Chouaguen la mission de le tenir renseigné sur tout changement. C’est le cas le

7 mai alors que deux Autochtones de la mission de Saint-Régis (Akwesasne) viennent lui

relayer les dernières informations sur les préparatifs anglais et la neutralité toujours assurée

des autres guerriers autochtones1004.

Le cas de Tegassetogen démontre que plusieurs Autochtones sont d’excellents agents

malgré les critiques de la part de l’état-major. Néanmoins, cela n’empêche pas—on se le

rappelle encore—que leur utilisation va se faire supplanter en faveur d’espions d’origines

européennes alors que la guerre se tourne vers les villes fortifiées du Saint-Laurent entre

1759 et 1760. Contrairement aux fronts limitrophes de la colonie, les Français et les

Britanniques pourront cette fois-ci se tourner vers une population coloniale locale où puiser

leur plus récent lot d’espions.

1001 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 148. 1002 POUCHOT, Mémoires..., p. 146. 1003 Ibid. 1004 Ibid., p. 146 et p. 148.

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5.2.2 LES CIVILS

Bien que l’état-major va se méfier des espions britanniques tout le long de la campagne de

1759, il est ironique que dans les faits, comme l’écrit Peter MacLeod, « The British

strategists who planned the attack upon Quebec in 1759 had given little consideration to

gathering information regarding the deployment of French forces. No attempt was made to

recruit spies who might report upon conditions in Canada1005. » Au lieu de cela, la

principale source de renseignement britannique va provenir des rapports de prisonniers et

des écrits de Charlevoix. Ce n’est qu’après la prise de Québec, alors que les deux factions

s’installent pour l’hiver, que les officiers vont se tourner vers l’espionnage plutôt que les

prisonniers pour se renseigner. Les traités d’époque le rappellent : « Il y a une [autre] sorte

d’Espion, ou au moins des gens de qui on tire des connoissances certaines par les

conversations qu’on a avec eux. Ce sont des gens du pays, que leurs affaires particuliéres

attirent dans le Camp, ou dans les Villes […]1006 ». En effet, à l’hiver 1759-1760 alors que

le sort de la ville de Québec demeure incertain, les espions par excellence sont les

habitants, particulièrement les marchands. Pendant cette période, tous deviennent suspects

alors que les habitants tentent tant bien que mal de vivre et marchander entre la ville,

occupée par les Britanniques, et la campagne environnante, contrôlée par les Français.

D’ailleurs, pendant cette période, Murray confie à deux de ses officiers, James Barbutt et

Hector Theophilus Cramahé, la tâche d’embaucher et de gérer des espions. Ceux-ci vont

forcer la main de certains marchands à devenir des agents en échange de faveurs permettant

la survie de leur commerce1007. Entre la disette, la destruction de leurs demeures et le froid

de l’hiver, la survie oblige plus d’un à devenir espion pour un camp ou l’autre, ou même les

deux…

Il n’est pas facile de trouver des détails sur les activités ou les identités de ces agents.

De plus, comme le souligne Peter MacLeod, bien que l’armée se méfie des espions

potentiels, plusieurs habitants vont se faire accuser à tort par les Français d’être des espions

alors que les véritables agents pour l’ennemi vont vaquer à leurs affaires sans attirer

1005 MACLEOD, « Treason at Quebec », p. 49. 1006 AUBERT DE LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire militaire…, 1743, p. 481. 1007 Ibid., p. 52-53.

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d’attention1008. La collection de lettres de Jean-Daniel Dumas, major général et inspecteur

des troupes de la Marine au Canada, ouvre justement une brèche privilégiée sur les

mouvements d’espions, à la fois réels et soupçonnés1009. Alors que celui-ci est au fort

Jacques-Cartier à l’hiver 1759-1760 pour observer les Britanniques et bloquer leurs

moindres tentatives de remonter à Montréal, il accuse certains habitants d’espionnage. Un

cas fascinant est celui du dénommé Thomelet. Dumas écrit à son sujet le 4 avril 1760 qu’il

est un « habitant de quebec dont la famille partagée est moitié refugié à St Augustin [et]

l’autre partie reste toujours au faubourg St Jean ». Celui-ci s’attire des soupçons par sa

« navette continuelle et trop d’accointance [avec] les ennemis ». De peur que Thomelet ait

« été envoyé vers les trois rivières pour prendre […] connoissance de nos mouvemens »,

Dumas ne prend pas de risque et fait escorter l’individu au gouverneur1010.

Bien entendu, ce ne sont pas toutes les accusations d’espionnage qui sont retenues. Le 5

juin 1760, Dumas fait envoyer au gouverneur Joseph Bergue (ou Bergre) et François

Liberge, deux habitants des environs de Québec « arrêtés comme espions »1011. Après

interrogatoire, ces deux derniers seront disculpés par Vaudreuil1012.

Il est également intéressant de noter que les accusations d’espionnage peuvent servir à

réprimander ceux qui ont une mauvaise conduite : c’est le cas de Jean-Baptiste Chorette, un

habitant de Sainte-Foy qui menace un militaire après s’être vu refuser le passage pour

porter du blé à Charlesbourg. Dumas le fait donc envoyer « comme un homme suspect »

avec les deux autres « espions » mentionnés précédemment à Montréal, ajoutant dans sa

lettre « et puis ne faut-il pas reprimer ces sortes de license »1013.

L’Acadie est l’autre principal nid d’espions civils. Bien que techniquement neutres, les

Acadiens font l’objet d’un bras de fer politique et militaire entre les deux pouvoirs

1008 Ibid., p. 54. 1009 Dumas semble plus bavard que ses pairs sur l’identité de ses propres espions. Par exemple, il nomme un certain monsieur Gauthier, « qui est un garçon de bon sens » tâché à lui « apprendre quelque chose d’intéressant ». Dumas à Vaudreuil. Au fort Jacques-Cartier, le 12 avril 1760, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 25-26. 1010 « Ces soupçons pourroient etre sans fondemens, mais plusieurs personnes me les confirment, et il faut aller au plus sur. » Dumas à Vaudreuil. Au fort Jacques-Cartier, le 4 avril 1760, dans Ibid., p. 23-24. 1011 Dumas à Vaudreuil. À Deschambault, le 5 juin 1760, dans Ibid., p. 30-31. 1012 Vaudreuil à Dumas. À Montréal, le 7 juin 1760, dans Ibid., p. 44. 1013 Dumas à Vaudreuil. À Deschambault, le 5 juin 1760, dans Ibid., p. 30-31.

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impériaux qui cherchent à implanter et augmenter leur contrôle sur le territoire maritime.

Alors qu’on pourrait penser que la loyauté à la France soit assurée, les Français s’étaient

démontrés tout aussi agressifs pendant l’entre-guerres afin d’obliger les Acadiens à épouser

leur cause : par exemple, le gouverneur de Québec avait confié au père Jean-Louis

Le Loutre d’organiser et d’envoyer des raids micmacs pour brûler les villages récalcitrants.

Si plusieurs Acadiens finissent par se plier à ces pressions et acceptent de déménager dans

le territoire revendiqué par les Français, d’autres vont résister et rester chez eux1014. Il y a

donc raison de se douter que certains Acadiens vont collaborer avec les Britanniques.

Néanmoins, il faut noter que l’espion le plus célèbre de l’Acadie, le traître Thomas Pichon,

n’est pas Acadien, mais Français d’origine.

Né à Vire en France le 30 mars 1700, Pichon arrive en Acadie en 1751 comme

secrétaire du nouveau gouverneur de Louisbourg, Jean-Louis de Raymond. Bien placé pour

observer la colonie maritime, il subit entre temps plusieurs échecs alors qu’il cherche à

gravir les échelons de la hiérarchie bureaucratique coloniale. C’est pendant son séjour à

Louisbourg qu’il rencontre l’officier britannique George Scott. Avant que la guerre n’éclate

à nouveau, les deux vont se voir régulièrement alors que Pichon est affecté aux magasins du

fort Beauséjour, situé à proximité du fort Lawrence. C’est pendant ces visites jugées

inoffensives en temps de paix que Scott convainc Pichon de devenir son espion. Non

seulement le Français va-t-il régulièrement fournir des informations précises aux

Britanniques (sous l’alias de Tyrell1015), mais il va carrément et directement influencer le

dénouement du siège du fort Beauséjour de 1755 en encourageant les Acadiens à demander

au commandant Vergor de se rendre. Après la chute du fort, Pichon va feindre d’être un

prisonnier afin de continuer ses activités. Il quittera le Canada pour s’établir à Londres, où

non seulement espionnera-t-il la communauté acadienne locale, mais cherchera activement

à enrôler d’autres espions. Si son homonyme s’était vendu pour trente pièces d’argent, le

« Judas de l’Acadie » reçoit plutôt une pension annuelle de 200 livres pour ses services.

1014 BAUGH, The Global..., p. 26-44. Sur la question des serments, voir : A. J. B. JOHNSTON, « Borderland Worries: Loyalty Oaths in Acadie/Nova Scotia, 1654-1755 », French Colonial History, Vol. 4, No. 1 (2003), p. 31-48. 1015 Alias qu’il assumera pleinement, d’ailleurs, une fois déménagé en Angleterre.

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Enfin, pour couronner le tout, il publie ses observations sur l’Acadie en 17601016. Mort le

22 novembre 1781 sur l’île de Jersey, Pichon, « The Spy of Beauséjour », demeure

aujourd’hui l’espion et le traître le mieux connu de la Conquête1017.

Bien entendu, les Français peuvent compter sur leurs propres espions en Acadie. En

quête d’informations provenant d’Halifax, un individu en particulier se démarque, soit le

dénommé Gautier. Selon A. J. B. Johnston « Il s’agit presque à coup sûr de Pierre Gautier,

qui, à l’instar de son père, le regretté Joseph-Nicolas Gautier dit Bellair, et de son frère,

Nicolas, soutiendra activement la cause française pendant toute son existence1018. » En

effet, Gautier, accompagné d’un guerrier micmac, rôde régulièrement autour de Halifax

pour tuer et capturer des Britanniques pendant ses missions de reconnaissance. Au-delà de

l’espionnage, Gautier est également un messager accompli, franchissant en plein hiver la

distance entre Shédiac et Québec afin d’assurer la transmission de courriers officiels entre

1755 et 1756. Après la guerre, il travaillera entre la France et Saint-Pierre et Miquelon

avant de déménager à Gorée où il passera la fin de ses jours1019.

Même si tous les cas d’espions traités jusqu’ici ont été des hommes, il ne faut pas

omettre de songer que les femmes participent également à ce réseau d’information

souterrain. Comme le rappelle un traité : « On se sert même de femmes ou pour en

introduire dans une Ville, ou pour éprouver un Camp, ou pour porter des lettres, parce

qu’elles sont moins soupçonnées que les hommes1020 ». Vivandières, blanchisseuses,

prostituées, cuisinières… plusieurs postes font appel à la présence de femmes dans les forts

de l’armée. Et dans une ville occupée comme Québec, les femmes représentent tout de

même la moitié de la population civile. Alors que le rôle des femmes dans le renseignement

1016 Thomas PICHON, Lettres et Mémoires Pour servir à l’histoire Naturelle, Civile et Politique Du Cap Breton Depuis Son établissement jusqu’à la reprise de cette Isle par les Anglois en 1758, La Haye, Pierre Gosse, 1760, 327 p. Selon Crowley, son biographe dans le DBC, « Cet ouvrage demeure, néanmoins, l’une des rares sources fiables sur les Français en Acadie au XVIIIe siècle. » T. A. CROWLEY, « Thomas Pichon », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 682-684. 1017 Ibid.; JOHNSTON, 1758 la finale, p. 91, p. 105, p. 108, p. 142, p. 170, p. 235, p. 293 et p. 373; et GENÊT, Les espions des Lumières, p. 361-367. 1018 JOHNSTON, 1758 la finale, p. 129. 1019 Ibid., p. 129-131; Andrew C. RODGER, « Nicolas Gautier », dans DBC, Vol. V de 1801 à 1820, Québec, Presses de l’Université Laval, 1983, p. 371-372 et Bernard POTHIER, « Joseph-Nicolas Gautier dit Bellair », dans DBC, Vol. III de 1741 à 1770, Québec, Presses de l’Université Laval, 1974, p. 438-439. 1020 AUBERT DE LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire militaire…, 1743, p. 482.

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est loin d’être aussi important que celui des hommes dans les archives1021, il ne faut donc

pas négliger leur place comme informatrices1022. Cet extrait du journal de John Knox daté

entre le 24 et 26 avril 1760, alors que la ville est évacuée en prévision de l’attaque

française, illustre très bien l’ouverture de certaines à vouloir collaborer avec l’occupant :

« if the Governor [Murray] would rely on them, he should have the earliest intelligence of

the motions of the enemy; and would submit to any restrictions whatever, if he would

permit them to remain in their habitations1023 ».

Le renseignement peut également passer par la séduction. En effet, certains

Britanniques profitent des femmes pour s’informer : Robert Stobo, alors qu’il jouit toujours

d’une certaine liberté de se promener dans Québec, fait exprès de se rendre « agréable »

auprès des femmes afin d’obtenir des renseignements que les hommes lui cachent1024.

Outre Stobo qui ne fait que chercher des informations, de vraies relations mixtes entre

Françaises et Britanniques ont lieu dès 1759. Jean-Claude Panet témoigne : « Chaque

officier [britannique] a donné son nom aux belles prisonnières qu’ils avaient faites1025. »

Comme l’écrit Marcel Trudel, « Les Canadiennes se mêlent aux Anglais et leur réputation

ne tarde pas à en souffrir1026 ».

Bien qu’aucune source consultée jusqu’ici ne touche la question, il ne faut pas négliger

d’évoquer le rôle des prostituées dans le monde du renseignement. À Paris à la même

époque, alors que ce sont les bordels et les prostituées qui sont le plus souvent espionnés

par la police, l’inverse est tout aussi vrai1027. Il n’y a aucune raison de penser qu’il en est

1021 « Un premier obstacle, habituel, provient de la “masculinité” des archives : les lettres et mémoires sont écrits par des hommes pour des hommes. Les femmes sont généralement “oubliées”, surtout si elles occupent un rôle autre que celui de victime. Si le genre n’est pas un élément déterminant dans les correspondances, il ne plaide pas non plus en faveur des femmes, qui ne sont en aucun cas mises en valeur. De fait, les traces d’espionnes sont très rares et se dénombrent, dans la somme d’archives [françaises] consultées, à moins d’une dizaine. » GENÊT, Les espions des Lumières, p. 81-82. 1022 Lire au sujet des femmes et de l’espionnage au XVIIIe siècle : « Les espionnes, un mythe? », dans Ibid., p. 79-87. 1023 KNOX, An Historical Journal… Vol. 2, p. 287-288. 1024 ALBERTS, The Most Extraordinary Adventures…, p. 133. 1025 PANET, Journal du siège de Québec en 1759, p. 14. 1026 Marcel TRUDEL, L’Église canadienne sous le Régime militaire. 1759-1764. Tome 1 : Les Problèmes, Québec, Presses universitaires Laval, 1956, p. 155. Pour les mariages mixtes, voir Ibid., p. 151-174. 1027 Voir « Espionnage du personnel de police lui-même », dans Erica-Marie BENABOU, La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, Paris, Librairie académique Perrin, 1987, p. 175-176.

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autrement dans la colonie. Au Canada, la prostitution représente 27,3% des « crimes contre

les mœurs » sous le Régime français au XVIIIe siècle. André Lachance explique :

Ces pourcentages nous paraissent très en dessous de la criminalité réelle, surtout pour la dernière décennie du Régime français […] puisqu’il y a alors dans la colonie plus de six mille soldats, dont un certain nombre ont la réputation, selon les autorités coloniales, d’être des « mauvais sujets », « débauchés et libertins », bref une clientèle idéale pour la prostitution.1028

Si les cas de prostitutions ne sont pas la cible directe des sources criminelles pendant la

guerre, les prostituées sont tout de même évoquées à quelques reprises dans des causes sans

rapport à leur occupation. Lachance conclut « [qu’il] semble y avoir une grande tolérance

vers la fin du Régime français pour la prostitution. […]1029 ». Comme dans tous les conflits

majeurs, la prostitution est présente parmi les interactions entre civils et soldats. L’évêque

de Québec assure même qu’une « maison de prostitution [est] établie près du rampart de

Québec1030 ». Si elle existe bel et bien, il est à se demander si cette « institution » continue

ses opérations pendant l’hiver 1759-1760 sans avoir froid aux yeux quant à la clientèle.

Pour trouver un parallèle, il suffit de songer aux « tondues » de la fin de la Seconde Guerre

Mondiale, c’est-à-dire ces Françaises qui se font humilier pour avoir collaboré avec

l’ennemi et parmi lesquelles se trouvent des prostituées. Il n’est pas inimaginable, donc,

que pendant l’occupation de Québec pendant l’hiver 1759-1760, les deux plus vieux

métiers du monde se soient croisés…

Mais à l’inverse de la collaboration, les femmes les plus déterminées à résister à

l’occupation britannique sont les religieuses de la ville. Pendant la campagne de Québec,

elles sont 113 sœurs, toutes congrégations confondues, réfugiées à l’Hôpital général. Tout

en s’occupant des malades et des blessés1031, celles-ci contribuent à disséminer de la

désinformation chez les Britanniques…

1028 André LACHANCE, Crimes et criminels en Nouvelle-France, Montréal, Boréal express, 1984, p. 56. 1029 Ibid., p. 57 1030 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 421. 1031 Marcel TRUDEL, « Les Communautés de femmes sous le régime militaire (1759-1764) », Société Canadienne d’histoire de l’Église catholique, (1955, 1956), p. 34-35.

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5.2.3 RELIGIEUSES ET RELIGIEUX

Seule quelques ecclésiastiques prennent les armes contre les Britanniques1032. Cela ne veut

pas dire que d’autres—même cloîtrés—ne trouvent pas des moyens différents pour résister.

Par exemple, si les sœurs ne portent pas le fusil comme le font une poignée de curés, elles

savent néanmoins manier la désinformation tout autant comme une arme. La mère

supérieure Marie-Charlotte de Ramezay, dite de Saint-Claude de la Croix, se démontre

particulièrement douée, à tel point que les Britanniques vont la réprimander sévèrement1033.

En effet, les religieuses sont parmi les plus fidèles à la cause française puisqu’elles

craignent d’abord et avant tout l’imposition du protestantisme advenant un changement de

régime. La foi sert d’ailleurs à empresser les gens au service contre l’envahisseur. Par

exemple, un mémoire explique : « Pour se procurer des espions affidés, on pourroit

s’adresser aux jésuites. Ils sont propres à inspirer le zèle nécessaire pour risquer sa vie dans

une besogne où peut entrer le motif de la religion1034. »

De plus, les réseaux religieux ont toujours été d’une importance primordiale au

renseignement colonial. Dès les premières explorations du continent, les missionnaires

rapportent à l’État des informations cartographiques, ethnologiques, diplomatiques et

militaires. L’importance accordée à la correspondance écrite entre ces individus et leurs

communautés d’attache en fait des chroniqueurs de choix des événements et des situations

à l’extérieur de la vallée du Saint-Laurent. Les missionnaires sont donc parmi les premiers

« satellites » de l’administration. Au tout début de la guerre, le gouverneur se voit d’ailleurs

obligé à quelques reprises de faire appel à certains missionnaires à défaut de n’avoir pu

« trouvé aucun Canadien en état de satisfaire [sa] curiosité1035 ». Et bien entendu, les ordres

religieux, par leurs réseaux sociaux et épistolaires, sont des milieux propices à

l’espionnage, comme le reconnaissent les traités de l’époque1036. L’Hôpital général de

Québec, par exemple, devient une plaque tournante d’informations et surtout de rumeurs.

Lorsque les Britanniques s’empressent d’occuper la place le soir même du 13 septembre,

1032 À leur sujet, lire le chapitre Le comportement du clergé pendant les opérations militaires dans TRUDEL, L’Église canadienne... Tome 1, p. 46-65. 1033 KNOX, An Historical Journal… Vol. 2, p. 278-279. 1034 « Projet d’attaque sur Québec. Hiver 1759 », dans CASGRAIN (dir.), Lettres et pièces militaires…, p. 191. 1035 Duquesne au Ministre. À Montréal, le 12 juin 1755, dans CASGRAIN (dir.), Extraits des archives…, p. 11. 1036 AUBERT DE LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire militaire…, 1743, p. 482.

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c’est « pour retenir les officiers et soldats français et pour empêcher toute relation de

l’armée française avec ce poste avancé que constituait l’Hôpital général1037. » Les

Augustines, toutefois, vont leur donner du fil à retordre. Malgré les remontrances

britanniques, les religieuses vont continuer de propager des rumeurs. Comme le rappelle

Marcel Trudel, « la plupart d’entre elles étaient filles de militaires, elles avaient des pères,

des frères et des cousins dans l’armée de Lévis. C’est tout cela, sans doute, qui donna

naissance au mécontentement occasionnel des Anglais1038 ».

Au-delà de la communauté qui y réside, la nature même de l’Hôpital général en fait un

lieu propice à la circulation d’information. Après tout, les malades et les blessés des deux

armées s’y côtoient. Les principaux informateurs ne sont pas que les religieuses, mais bien

ceux—une fois guéris—qu’elles aident à rejoindre l’armée française malgré les risques1039.

La présence mixte de catholiques et de protestants à l’hôpital ouvre également la voie à

plusieurs jeux d’esprit pour avoir le dessus en matière de renseignement. Par exemple, dans

une tentative de dissimuler leurs discussions, certains officiers français à l’hôpital vont se

parler en latin, du moins jusqu’à ce que John Knox s’amuse à leur démontrer l’inutilité de

la tactique en leur lançant des citations latines1040.

L’impasse suivant la bataille de Sainte-Foy crée un moment de répit propice à la

correspondance entre généraux. Il se développe rapidement un échange régulier entre Lévis

et Murray au sujet du sort des malades à l’Hôpital général et la question d’échanges de

prisonniers. Alors que la mésentente semble toujours semée entre les deux au sujet du

cartel, Lévis avoue à son gouverneur qu’il s’agit en partie de gagner du temps1041. En effet,

si Lévis agit ainsi, c’est sans doute pour offrir aux officiers prisonniers dans le camp

britannique plus de temps à glaner des informations avant d’être échangés. Gagner du

1037 Marcel TRUDEL, L’Église canadienne sous le Régime militaire. 1759-1764. Tome 2 : Les Institutions, Québec, Presses universitaires Laval, 1956, p. 292. 1038 Ibid., p. 294. 1039 Le siège de Québec en 1759 par trois témoins, p. 23. Il faut noter, néanmoins, que l’état-major français va gronder et même renvoyer certains de ces militaires arrivés à Montréal en 1760 puisqu’ils « sont revenus sur leur parole s’avouant prisonniers ». MALARTIC, Journal des Campagnes au Canada…, p. 304. 1040 TRUDEL, L’Église canadienne... Tome 2, p. 295-296. 1041 Lévis à Vaudreuil. Au camp près de Québec, le 13 mai 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 306.

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temps est également important pour s’informer des nouvelles d’outre-Atlantique, puisque

Lévis s’inquiète pour les relations diplomatiques en Europe :

[…] il faut tenir le plus longtemps que nous pourrons, premièrement pour faire diversion aux forces des ennemis, secondement c’est que je crois que la paix est faite ou qu’on est en pourparlers, et troisièmement parce que, si elle ne l’est pas encore, la bataille de Québec déterminera les Anglois à la conclure, attendu qu’ils croiront Québec pris et qu’ils sauront cette nouvelle sans que la France la sache, ils croiront faire une bonne affaire, vu qu’il n’est parti depuis aucun bâtiment pour leur apprendre le contraire1042.

Entre temps, les pourparlers entre Lévis et Murray continuent d’être des occasions

d’essayer de se renseigner sur l’un et l’autre. Non seulement les Français se méfient-ils de

laisser des messagers ennemis s’approcher trop près de leur camp, mais leurs propres

messagers sont prudents en mission. Malartic, par exemple, prend garde d’être trop bavard

avec Murray lorsque Lévis l’envoie à l’hôpital en mai : « Il a voulu je crois me tirer le ver

du nez ce matin […]1043 ».

D’autre part, les Britanniques ne sont pas dupes quant aux réseaux de communications

souterrains des communautés religieuses1044. Une fois le régime militaire en place, on ne

s’étonne donc pas de l’hostilité des Britanniques contre les congrégations religieuses

catholiques. Cette surveillance du clergé ne sera pas sans antécédent : en Acadie, la

présence de prêtres était strictement contrôlée par les Britanniques. Dès 1749, alors que le

gouverneur Edward Cornwallis poussait les Acadiens à prêter serment de fidélité, il

exigeait également que les prêtres obtiennent un permis du gouvernement1045. Et pourtant,

pendant la guerre de Sept Ans, les missionnaires auront continué à espionner pour les

Français. Après la Conquête, donc, les Britanniques vont chercher à démanteler les réseaux

religieux en imposant un contrôle strict de la communauté ecclésiastique afin de minimiser

l’influence de la France sur les nouveaux sujets britanniques. L’expulsion des Jésuites en

sera l’exemple le plus dramatique.

À l’inverse, toutefois, le changement de régime pousse certains missionnaires à

chercher à profiter de la situation. Parmi ceux-ci se trouve le jésuite Pierre-Joseph-Antoine

1042 Lévis à Vaudreuil. Le 25 mai 1760, dans Ibid., p. 323. 1043 Malartic à Lévis. Le 26 mai 1760, dans Ibid., p. 331. 1044 TRUDEL, L’Église canadienne... Tome 2, p. 292-293. 1045 ANOM, Colonies, C11A 87, F°365-366. Ordonnance d’Edward Cornwallis. Le 12 août 1749.

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Roubaud. Né à Avignon le 28 mai 1724, il entre chez les Jésuites et devient au début de la

guerre de Sept Ans le missionnaire auprès des Abénaquis à Saint-François-du-Lac, ou

Odanak. Il s’agit d’un personnage étrange : pendant son noviciat, ses supérieurs avaient

noté « chez lui un sérieux manque de prudence et de jugement1046 ». C’est d’ailleurs le cas

lorsqu’il désobéit à l’ordre du gouverneur Vaudreuil qui le sommait de mener les

Abénaquis pour que ceux-ci se réfugient à Montréal, préférant à la place de se mettre en

sûreté à la mission du Lac-des-Deux-Montagnes par crainte des représailles des

Britanniques1047. Après la capitulation de Montréal, il change d’allégeance et informe

« Amherst qu’il était disposé à le renseigner sur le Canada et à prêter le serment de fidélité

à Sa Majesté britannique1048 ». Son offre de service ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd.

Devenu un conseiller de Murray, il est envoyé en Angleterre pour « renseigner les autorités

gouvernementales sur leur nouvelle colonie1049. » En conséquence, il s’attire les foudres de

ses supérieurs jésuites, d’autant plus lorsqu’ils apprendront qu’il s’est défroqué. Ses

rapports remis aux Britanniques seront considérés à divers degrés, mais Roubaud, jamais

satisfait des retombées pour ses services, ira jusqu’à profiter de la Révolution américaine

pour forger des documents afin de s’attirer de nouvelles grâces1050. Bien que la date de sa

mort soit inconnue, ce qui est certain est qu’il terminera sa vie endetté et dans la misère,

s’attirant la méfiance à la fois des Français et des Britanniques par son renseignement criblé

d’erreurs et d’inventions1051.

1046 Auguste VACHON, « Pierre-Joseph-Antoine Roubaud », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 743-745. 1047 Ibid. 1048 Ibid. 1049 Ibid. 1050 « Voyant que les événements d’Amérique influaient sur la scène internationale, Roubaud conçut l’idée de forger des lettres prophétiques dans lesquelles Montcalm prédisait à l’avance la prise du Canada par les Anglais et la rébellion des Treize Colonies. Ces lettres parurent à Londres en 1777 sous le titre de Lettres de Monsieur le Marquis de Montcalm, gouverneur-général en Canada : à Messieurs de Berryer et de La Molé, écrites dans les années 1757, 1758, 1759 [...]. Certains historiens se sont donné beaucoup de mal pour établir que ces lettres étaient forgées de toutes pièces, mais les documents de l’époque démontrent clairement que les contemporains n’en étaient pas dupes et l’auteur lui-même en admit la fausseté. » Ibid. 1051 Alors que la biographie de Roubaud nous a été d’abord signalée grâce à l’article de Lape, les biographies écrites par Vachon sont plus complètes et corrigent certaines erreurs factuelles. Jane M. LAPE, « Père Roubaud, Missionary Extraordinary », The Bulletin of the Fort Ticonderoga Museum, Vol. 12, No. 1 (mars 1966), p. 63-71. Voir aussi Auguste VACHON, « Pierre Roubaud. Ses activités à Londres concernant les affaires canadiennes. 1764-1788 », mémoire de maîtrise, Ottawa, Université d’Ottawa, 1973, 186 p. et

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5.2.4 DÉSERTEURS

Bien qu’il soit impossible de connaître le nombre exact de militaires qui s’esquivent de

l’armée, les désertions sont « une réalité presque banale de la vie des postes1052 ». En

Europe comme en Amérique, le problème est si répandu que les soldats à risque sont

souvent surveillés lorsqu’ils opèrent de menues tâches1053. Pour le siège de Québec seul,

1 500 Canadiens désertent1054. Les raisons pour déserter sont nombreuses chez les soldats,

les miliciens, les guerriers autochtones1055 et même le personnel civil1056. D’abord chez les

militaires, plusieurs ont été recrutés par racolage1057 ou bien ont été envoyés dans les

colonies contre leur gré1058 : la désertion est donc perçue comme étant le seul moyen de se

libérer d’une mauvaise situation. Les miliciens ne sont guère plus fidèles au poste, la

majorité n’ayant jamais connu un effort de guerre semblable1059. Au fur et à mesure que la

solde des troupes tarde à être réglée, les risques de désertion augmentent également1060,

particulièrement chez les militaires d’origines étrangères : Allemands, Italiens, Hongrois,

Irlandais et combien d’autres sont embauchés par les deux belligérants pour renflouer leurs

forces1061. Enfin, si la misère ressentie dans les camps est la raison première des

désertions1062, la démoralisation achève la décimation des rangs : au lendemain de la

Auguste VACHON, « Pierre Roubaud, missionnaire jésuite », dans DESCHÊNES et al., Vivre la Conquête, tome 1, p. 162-173. 1052 HAVARD, Empire et métissages, p. 244. 1053 Pendant la guerre de Sept Ans, l’armée de Frédéric II de Prusse souffre 80 000 désertions. En moins de trois ans, 12 000 hommes fuient la marine britannique. En France, la situation est moins grave, mais à peine : sur le front européen, plus de 10 000 Français désertent et rejoignent l’armée prussienne, mais comme l’explique Anderson, « they seem to have been half-hearted and useless recruits ». ANDERSON, War and Society..., p. 130 et p. 165. 1054 STACEY, Quebec, 1759, p. 158. 1055 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 218. 1056 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 100 et LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 165. 1057 Cette méthode implique d’enivrer ou de séquestrer le soldat potentiel jusqu’à ce qu’il accepte de s’enrôler. CASSEL, Troupes de la Marine..., p. 86-88. ANDERSON, War and Society..., p. 127 et p. 162-163. 1058 LESSARD, « Le corps des Volontaires-Étrangers... », p. 243-267. 1059 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 48. 1060 PANET, Journal du siège de Québec en 1759, p. 10. 1061 Rénald LESSARD, « Les compagnies franches de la Marine au Canada et à l’île Royale (1750-1760) », dans Marcel FOURNIER (dir.), Combattre pour la France en Amérique. Les soldats de la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France 1755-1760, Montréal, Société généalogique canadienne-française, 2009, p. 113-114; ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 112 et Montcalm à Lévis. À Québec, le 2 août 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Montcalm…, p. 212. 1062 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 262; Dumas à Vaudreuil. Au fort Jacques-Cartier, le 13 mars 1760, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 14 et Lévis à Belle-Isle. Le 28 juin 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 357-360.

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capitulation de Montréal, Lévis compte 927 désertions et absences parmi ses hommes, soit

plus du quart de son armée1063…

Puisque la quasi-totalité des soldats provient d’Europe, les déserteurs, sans réseau

personnel de secours, sont le plus souvent obligés de rejoindre le côté ennemi. Dans son

étude sur le renseignement militaire français en Europe, Lee Kennett conclut que les

déserteurs rapportent peu d’informations utiles1064. La même chose s’observe en

Amérique : il est rare qu’un déserteur fournisse une information aux résultats aussi

spectaculaires que celle qui a permis à Wolfe de dissimuler sa présence à l’anse au Foulon

sous la forme du convoi français annulé. La réalité est que l’état-major se méfie tout

simplement des déserteurs. Comme l’explique Stéphane Genêt, « Être capturé signifie être

un mauvais soldat; déserter est le propre des hommes sans fidélité. De plus, pour être bien

accueillis, les déserteurs risquent de dire ce que les officiers veulent bien entendre1065. » Le

dédain du témoignage de ces individus est ressenti en lisant Montcalm qui écrit : « Au

reste, ce sont des propos de déserteurs1066. » Il faut donc s’appuyer sur la concordance entre

les dépositions1067. Un autre problème complique la chose : même si les transfuges

nouvellement arrivés au camp adverse sont honnêtes, rien ne garantit la véracité de leurs

informations1068 : l’état-major soupçonne (correctement) Wolfe de tenir son armée

désinformée1069. À l’inverse, il n’y a aucun doute que certains déserteurs sont en réalité des

espions envoyés implanter une désinformation1070.

Si l’état-major se méfie donc des déserteurs britanniques, il cherche également à réduire

le nombre de ses propres désertions non seulement pour éviter la diminution de ses rangs,

mais pour éviter la transmission d’informations sensibles qui peuvent révéler l’état

vulnérable de sa position1071. La capture et la punition des déserteurs devient donc un enjeu

1063 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 238. Voir aussi p. 158 et p. 226. 1064 KENNETT, « French Military Intelligence... », p. 202. 1065 GENÊT, « Le renseignement militaire… », p. 208. 1066 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 486. 1067 Ibid., p. 484 et Dumas à Vaudreuil. Au fort Jacques-Cartier, le 24 mars 1760 vers minuit, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 19. 1068 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 107 et p. 199-200, note 266. 1069 Le siège de Québec en 1759 par trois témoins, p. 110. 1070 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 229-230. 1071 Duquesne à Contrecœur. À Montréal, le 15 avril 1754, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 116 et Lévis à Vaudreuil. Le 24 juillet 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 29-30.

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important1072, faisant même appel à l’aide des alliés autochtones1073. Selon Pierre-Georges

Roy, le déserteur et traître le plus ignoble est Jean-Marc Bouliane, celui qu’on dénomme

« le Suisse » 1074. Celui-ci ne fait pas que fournir des informations aux Britanniques, mais

s’engage carrément dans les opérations qui ravagent Baie-Saint-Paul. Ce qui rend la

trahison de Bouliane si étonnante est qu’il n’est pas un simple milicien, mais carrément un

officier de milice de longue date. Le 4 août 1759, un témoin anonyme écrit dans son

journal :

Je viens d’apprendre par des habitans de la baye St. Paul que le nommé Suisse officier de milice de cette paroisse avoit party en canot avec 6 habitans du lieu pour essayer à faire quelques prisonniers à l’Isle aux Coudres, et qu’aussitôt qu’ils furent à terre, le dit Suisse avoit déserté; les ennemis s’embarquèrent aussitôt pour venir couper chemin à nos gens, qui heureusement se sauvèrent.1075

Originaire de Suisse, justement, Bouliane est présent dans la colonie depuis au moins

17391076. Le journal de John Knox indique que l’individu est un capitaine de milice qui

s’était attiré la confiance du gouverneur Vaudreuil. Il n’est pas étonnant donc que ce

dernier, à la nouvelle de la trahison, ordonne que Bouliane soit pendu dès qu’on l’aura

capturé, « sans hésitation ni cérémonie1077 ». Toutefois, non seulement ne sera-t-il jamais

capturé, mais il s’établira d’ailleurs à l’Isle-aux-Coudres après la guerre!

1072 Dans son étude sur la punition pour désertion, Nicolas Fournier rassemble un corpus de 44 procès à ce sujet entre 1742 à 1758. Les trois quarts des condamnés sont fusillés, « une méthode d’exécution strictement militaire ». Toutefois, en ce qui concerne la guerre de Sept Ans, Fournier s’est « limité aux deux premières années, à l’exception d’un cas en 1757 ». Il est à se demander si une étude sur cette période démontrerait une préférence pour la pendaison ou la « tête cassée » d’une part pour imposer un sort plus infâme aux délinquants, et de l’autre, pour ménager la poudre. En effet, déjà en 1756, l’état-major limite l’utilisation de la poudre, ne s’en permettant même pas pour les exercices de tire. Nicolas FOURNIER, « Punir la désertion en Nouvelle-France : Justice, pouvoir et institution militaire de 1742 à 1761 », mémoire de maîtrise, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2013, p. 23, p. 64 et p. 131; Instructions pour MM. les commandants des bataillons à mesure qu’ils arriveront à Québec, en attendant les ordres de M. le marquis de Vaudreuil. Le 16 mai 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres et pièces militaires…, p. 8. Voir aussi Duquesne à Marin. À Montréal, le 27 avril 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 34. 1073 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 406-407 et KNOX, An Historical Journal… Vol. 2, p. 379-380. 1074 ROY, « Les traîtres de 1759 », p. 57. 1075 ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 110. 1076 ROY, « Les traîtres de 1759 », p. 58. 1077 KNOX, An Historical Journal… Vol. 2, p. 27. Voir aussi : MATHIEU et IMBEAULT, La guerre des Canadiens…, p. 75.

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5.3 SE DISSIMULER POUR INFILTRER Dans l’historiographie des rencontres et des échanges entre cultures autochtones et

françaises, l’importance accordée à l’habillement a été évoquée de nombreuses fois. Entre

autres, Louise Dechêne a soulevé l’importance de la présence du textile dans la traite des

fourrures et Sophie White a démontré le rôle du vêtement au cœur des alliances franco-

autochtones en Louisiane1078. L’emprunt de certains éléments du vêtement de « l’autre » est

d’abord pragmatique : par exemple, les textiles français sont rapidement adoptés par les

Autochtones par simple commodité—il est plus facile d’acheter un vêtement que de s’en

confectionner à partir de peaux. À l’inverse, les Français adoptent entre autres les mitasses,

portées par les voyageurs et miliciens en forêt. Sur le plan cérémoniel, le costume reflète le

statut et l’alliance. Qu’il s’agisse d’un dignitaire autochtone en Europe qui s’habille à la

française, ou bien d’un officier français « habillé et peint en sauvage » pour encourager ses

alliés autochtones à le joindre au combat, porter les habits de « l’autre » signifie un

rapprochement, une amitié entre peuples. Mais qu’en est-il du costume lorsqu’il est utilisé

au détriment de « l’autre »? En effet, en temps de guerre, plusieurs espions profitent du

déguisement afin d’infiltrer, espionner et intimider leurs adversaires. L’identité de la

majorité de ces espions demeurera à jamais inconnue. Néanmoins, certains agents se font

tout de même démasquer soit par malchance ou par incompétence, évoquant la fable de

Jean de la Fontaine, Le loup devenu berger1079. Dans cette histoire, l’antagoniste se déguise

en berger pour mieux s’approcher des brebis qu’il veut manger. Toutefois, le prédateur ne

réussit pas à imiter la voix du berger et se fait démasquer. C’est le même risque que court

l’espion : comment s’infiltrer chez l’ennemi, sans se faire démasquer à son tour?

Heureusement, les sources sont riches en exemples des méthodes utilisées pour tenter de se

dissimuler.

Pendant la guerre de Sept Ans, il n’y a pas plus pragmatique que d’emprunter

l’accoutrement de « l’autre » pour se déguiser et espionner. Par exemple, pendant l’hiver

1759-1760, les militaires britanniques vont se déguiser en habitants canadiens pour livrer

1078 DECHÊNE, Habitants et marchands…, p. 505 et Sophie WHITE, Wild Frenchmen and Frenchified Indians: Material Culture and Race in Colonial Louisiana, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2012, 329 p. 1079 Jean de LA FONTAINE et Charles-Philippe Monthenault D’ÉGLY, Fables choisies. Tome 1, Paris, Chez Desaint & Saillant, 1755, p. 93-94.

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leurs messages à leurs autres postes1080. Le traité de Grandmaison décrit l’utilisation de

costumes chez les soldats des troupes légères pour s’informer sur l’ennemi. Idéalement, il

faut envoyer un soldat à la fois fidèle et originaire de la région, « en lui coupant les

cheveux, & en lui donnant un habit de Païsan1081 ». Ceci est décidément plus facile pour les

Français, bien que pas toujours infaillible. Par exemple, le 24 juillet 1760, un sergent

français habillé en canadien se fait capturer alors qu’il longeait la rive sud pour s’informer

du nombre exact de l’effectif ennemi. Non seulement se fait-il saisir, mais ses ravisseurs

sont d’anciens frères d’armes passés au camp britannique l’ayant reconnu! Son cas est

particulièrement intéressant puisqu’il démontre qu’on ne se contente pas seulement de se

déguiser pour se dissimuler : l’agent est également porteur d’une lettre confirmant son

identité civile, signée par un capitaine de milice. Un gros problème s’impose, toutefois : le

capitaine en question est connu des Britanniques et on demande à ce dernier de

contrevérifier « sa » lettre. Celui-ci nie connaître le captif et déclare que la lettre n’est pas

de sa main et qu’elle est bel et bien une contrefaçon. En effet, selon les ravisseurs, le

sergent espionne depuis au moins un an. Alors qu’on s’apprête à pendre l’infortuné à un

arbre sur la rive, il parvient à négocier sa vie sauve en échange de toute information

demandée au sujet des forces françaises éparpillées entre Québec et Montréal. Le

chroniqueur de l’anecdote, John Knox, ne nous révèle pas le sort de l’individu après sa

confession1082.

Outre le déguisement et les faux papiers, connaître la langue locale est un atout

important pour tout espion. D’Espagnac écrit à ce sujet :

L’étude des langues est fort utile à un militaire & il en sent la nécessité à mesure qu’il parvient aux grands emplois. […] il est bon d’apprendre celle des peuples qui habitent les frontières où l’on fait d’ordinaire la guerre : ainsi la langue Allemande est fort nécessaire pour un François, & la langue Françoise pour un Allemand : l’Anglois & l’Italien sont aussi des langues fort intéressantes pour un homme de guerre.1083

1080 Murray à Hussey. À Québec, le 20 novembre 1759, cité dans MACLEOD, « Treason at Quebec », p. 59. 1081 GRANDMAISON, La petite guerre..., p. 125. 1082 KNOX, An Historical Journal… Vol. 2, p. 354-355. 1083 ESPAGNAC, Essai sur la science de la guerre... Vol. 1, p. 79.

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En effet, en France, on cherche des expatriés qui parlent allemand1084. Au Canada, la

maîtrise du français est particulièrement importante. L’inverse est moins évident, toutefois.

Après tout, au XVIIIe siècle, le français est devenu la langue de la haute société intellectuelle

et de la diplomatie internationale. Il est plus probable qu’un Écossais comme Simon Fraser

parle français qu’un Thomas Pichon puisse parler la langue de Shakespeare. Dans le cas de

ce dernier, il faut noter qu’il va collaborer avec les Britanniques pendant des années sans

même parler… un « traître » mot d’anglais1085!

Il existe au moins un exemple amusant où seule la langue et non le vêtement dissimule

un espion : le 1er septembre 1759, alors qu’un parti de Rogers’ Rangers cherche depuis des

jours à s’informer discrètement sur l’état des fortifications de l’Isle-aux-Noix, le sergent-

major Joseph Hopkins épie trois soldats français à la nage près des bateaux de guerre de

l’île. Saisissant l’opportunité, il ordonne à ses hommes de rester cachés dans les buissons

tandis qu’il se déshabille pour rejoindre les Français. Leur adressant la parole d’un français

impeccable, il réussit à les convaincre de le suivre où se trouverait « une quantité

prodigieuse de poisson » à attraper. Sitôt arrivés près de la berge, on peut dire que ce sont

plutôt ces soldats qui deviennent les poissons, puisqu’ils se font immédiatement pincer par

les Rangers et ramenés à Amherst pour se faire interroger1086.

5.4 CAPTURER ET ÉCARTER LES ESPIONS 5.4.1 MIEUX VAUT PRÉVENIR QUE GUÉRIR

Il n’est pas suffisant d’envoyer ses propres espions dans le camp ennemi. Il faut également

se méfier des taupes dans le sien. Les autorités sont particulièrement à l’affût des espions

potentiels pendant le siège de Québec. Comme il l’écrit dans son journal, « M. le marquis

de Montcalm a demandé par un Mémoire, manière dont il constate toutes ses démarches,

qu’il fût ordonné d’arrêter tous les coureurs, vagabonds, etc., pour prévenir la désertion et

arrêter les espions1087. » En effet, comme l’écrit Stéphane Genêt : « La porosité des

frontières dans un espace vaste et aux limites mal définies favorise la circulation des agents

1084 KENNETT, « French Military Intelligence... », p. 202-203. 1085 CROWLEY, « Thomas Pichon », DBC, Vol. IV. p. 682-684. 1086 The New-York Gazette, cité dans BRUMWELL, White Devil, p. 150-151. 1087 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 445.

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qui passent souvent d’une allégeance à une autre selon l’évolution des combats1088. »

Toutefois, même empêcher les espions d’entrer dans la ville n’est pas chose facile.

Montcalm écrit : « La ville de Québec ne sera pas fermée hermétiquement, mais tant bien

que mal, samedi au soir, Deo Juvante.1089. » En Louisiane, La Nouvelle-Orléans sans

palissade est encore plus vulnérable au va-et-vient des gens errants. Le 2 janvier 1760, un

conseil extraordinaire conclut qu’il faut demander au roi des fonds destinés à la

construction d’une nouvelle palissade pour arrêter ces allers et venues, ainsi que pour se

protéger des Britanniques qui, selon les rumeurs, pourraient surgir à n’importe quel

moment1090.

Les camps de l’armée sont tout aussi vulnérables à la circulation d’agents. Après tout,

même en Europe, ils ne sont pas hermétiques :

Much of the blame for the lack of security in the French armies can be laid at the door of their leaders. Headquarters was poorly policed; the camp was “like a fair, where anyone could come and go without the least question being asked.” This was hardly an exaggeration. On one occasion a German civilian was arrested at headquarters bearing a field glass and a plan of the French camp. General officers were notoriously prone to “leaking” information of a confidential nature.1091

Après la bataille de Sainte-Foy, Murray a des espions qui lui relaient que Lévis manque de

vivres1092. Soit pour les stopper ou simplement pour renforcer le contrôle de son armée,

Lévis ordonne le lendemain « de faire arrêter tous les soldats [des] régiment[s] qui ont

quitté l’armée sans permission, et de les faire mettre aux fers en lieu de sûreté, mon

intention étant de leur faire casser la tête à tous, et, s’ils sont en grand nombre, de les faire

décimer1093. » Cette précaution se rapproche de la consigne de d’Espagnac dans son traité :

« Si un espion rode dans votre Camp, faites rentrer pendant le jour tous vos soldats dans

leur tentes, & il est d’abord pris1094. »

De plus, il ne s’agit pas que d’écarter les espions provenant de l’extérieur, mais

également de prévenir la trahison de quiconque dans son camp a le potentiel d’être renégat.

1088 GENÊT, « Le renseignement militaire… », p. 206. 1089 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 465. 1090 ANOM, Colonies, C13A

42, F°22-25v. Kerlérec au ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 30 mars 1760. 1091 KENNETT, « French Military Intelligence... », p. 204. 1092 Malartic à Lévis. Le 30 mai 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 335. 1093 Lévis aux commandants de bataillon. Lettre circulaire, le 31 mai 1760, dans Ibid., p. 336. 1094 ESPAGNAC, Essai sur la science de la guerre... Vol. 1, p. 31.

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C’est le cas d’un dénommé Joseph, un matelot décrit par Dumas comme ayant « tombé

dans un movais cas, et que la honte auroit seurement engagé de passer à l’ennemi[. C’]est

un homme instruit qui pourroit faire tort1095 ». Par conséquent, Dumas fait passer l’individu

à Montréal, avec cette clarification : « n’y ayant point de plaintes portées contre lui je ne

l’envoye pas comme criminel; mais comme un homme […] suspect quil faut tenir

serré1096 ».

À l’été 1760, alors que la campagne de Montréal approche, les Français s’assurent de ne

plus engager d’espions le moindrement susceptibles de devenir des agents doubles et

choisissent dorénavant des agents « affidés », c’est-à-dire fiables. Ces agents doivent se

montrer particulièrement habiles puisque chaque camp redouble ses efforts pour démasquer

les espions. Dumas écrit : « La sévérité de M. de Murray [...] intimide tout le monde,

cependant nous avons toujours quelqu’un aux nouveilles [sic]1097. »

Il faut également tâcher d’éviter de donner aux gens la motivation nécessaire pour

vouloir collaborer avec l’ennemi. Bien que cette pensée de Turpin de Crissé s’applique

plutôt du côté des Britanniques qui cherchent à conquérir la Nouvelle-France, elle peut tout

aussi bien porter sur la population que l’on défend aussi :

Si l’on a usé contre les Habitants des païs qu’on subjuge de trop de sévérité, au lieu de Sujets fidéles, le vainqueur ne trouvera que des cœurs ulcérés & des ennemis, que la crainte retiendra plutôt que l’amour; les Païsans qui auront perdu leurs bestiaux, leurs récoltes & leurs biens, trouveront souvent les ressources dans leur désespoir, & s’ils n’osent se révolter ouvertement, il deviendront autant d’Espions dangeureux.1098

En effet, les officiers français doivent constamment chercher à éviter tout heurt avec la

population locale. En mars 1760, Lévis écrit qu’on accuse l’armée d’être trop sévère envers

les habitants. Il avertit donc ses officiers de les « traiter avec douceur1099 ». Même avant la

prise de Québec par les Britanniques, la fatigue du peuple s’était accumulée après plusieurs

années de guerres. Ce fait inquiète l’état-major. Bougainville observe en 1759 :

1095 Dumas à Vaudreuil. Au fort Jacques-Cartier, le 24 mars 1760 vers minuit, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 20. 1096 Ibid. 1097 Dumas à Vaudreuil. À Deschambault, le 3 juin 1760, dans Ibid., p. 30. 1098 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 2, p. 90. 1099 Lévis aux commandants de bataillon. Lettre circulaire, le 25 mars 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 284.

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Les peuples du Canada doivent naturellement être bien ennuyés de la guerre, plusieurs y ont péri, ils sont chargés des travaux les plus pénibles, ils n’ont point le temps d’augmenter leurs biens et même de rétablir leurs maisons, on leur a enlevé une partie de leur subsistance, plusieurs ont été sans pain pendant 3 mois, ils logent des troupes qui les incommodent, ils ne sont pas nourris pendant toute l’année, autant qu’ils croient en avoir besoin, on leur débite que les Anglais leur laisseraient la liberté de religion, qu’ils leur fourniraient à meilleurs marchés les marchandises, qu’ils paieraient largement le moindre travail.

Ces idées se répandent, quelques personnes au-dessus du peuple ne rougissent pas de parler sur le même ton, il est naturel que les peuples murmurent et qu’ils se laissent séduire, les habitants des villes le seront plus facilement.1100

Il n’est donc pas étonnant que certains habitants collaborent avec l’ennemi pour adoucir

leur misère. Comme le souligne Peter MacLeod, « Loyalty, however, can be an extremely

fragile commodity. Every society contains within it individuals who will betray their loyalty

to crown, state or collectivity for personal advantage. Canadians in 1759 and 1760 proved

themselves to be no better and no worse than any other people1101. » La réalité est simple :

l’instinct de survie dépasse l’attachement à son pays et sa patrie.

La discrétion est également l’arme par excellence contre les espions. Turpin de Crissé

écrit :

Comme un Général doit toujours avoir des Espions dans l’Armée ennemie, il doit aussi craindre que l’Ennemi n’en ait dans la sienne; ainsi il doit tâcher de les tromper, tenir ses desseins secrets, n’en parler qu’à très-peu de personnes, & ne publier que le contraire de ce qu’il projette.1102

Par exemple, pour s’éviter des mauvaises surprises le matin du 13 septembre 1759, Wolfe

limite le nombre d’officiers au courant de ses plans pour le débarquement de Québec. Si

certains officiers arrivent à bien garder les secrets de l’état-major, les fuites d’informations

sont pourtant communes1103. Par exemple, Vaudreuil va réprimander Dumas en juin 1760 :

« J’ai été surpris que les nouvelles dont vous m’avez fait part ayent été aussitôt repandues

dans la ville que sçües de moy, Vous voudrez bien à l’avenir prendre les plus justes

mesures pour que cela n’arrive plus1104. »

1100 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 47-48. 1101 MACLEOD, « Treason at Quebec », p. 57. 1102 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 244. 1103 Lévis à Dumas. À Montréal, le 1er juin 1760, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 10. 1104 Le gouverneur ajoute : « Il importe dans les circonstances presentes que tout ce que vous aurez a m’apprendre […] soit d’un secrêt impenetrable et je vous pris de ne pas heziter de punir les couriers et autres

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5.4.2 CAPTURER ET PUNIR LES ESPIONS

Que faire lorsqu’on capture un espion? Turpin de Crissé l’explique dans son traité :

Si […] cet Espion ne paroît point intelligent, ou qu’il affecte de la stupidité, il faut le punir de mort, & le faire pendre à la vûe de l’Armée, pour effrayer, par la crainte du même sort, ceux qui pourroient être répandus dans le Camp; il est inutile, de l’interroger sur l’Ennemi, parce qu’il semble qu’il y auroit de l’inhumanité à faire périr un homme qui auroit donné des avis importans, quoique par crainte, par force ou peut-être sous la promesse du pardon.1105

Effectivement, la majeure partie des espions capturés se fait exécuter. L’armée n’est pas

seule à garder l’œil ouvert pour des agents ennemis potentiels : les alliés autochtones sont

également soucieux de les démasquer. C’est le cas en février 1759 lorsqu’un Loup

(Delawares ou Lenape) est « soupçonné par d’autres sauvages d’avoir correspondance avec

les Anglais1106 ». D’ailleurs, les espions autochtones sont tout aussi sujets à se faire

exécuter s’ils sont pris. C’est le cas en juin 1759 lorsqu’un guerrier est intercepté par les

Britanniques près du fort Herkimer et mis à mort1107.

Généralement, les espions se font attraper suite à un comportement louche. Par

exemple, le 17 août 1760 à Sorel, un manchot se présente dans un camp français où il « fit

plusieurs questions et entre autres s’informa de combien d’hommes l’armée française

pouvait être composée ». Le soupçonnant par « son air libre et ses questions », les soldats

avertissent Bourlamaque. Après une interrogation infructueuse, « on lui ôta sa chaussure et

l’on trouva dans le pied de ses bas deux petites lettres [de Murray à Amherst] ployées du

chaussons et sans cachets1108 ». L’homme explique avoir été porteur de lettres ennemies

« pour avoir occasion de s’échapper ». Bourlamaque n’en croit rien et ordonne de lui faire

personnes qui parleront indiscretement des nouvelles dont ils seront porteurs. Ayez la bonté d’en avertir les courriers et que je chatierai ceux qui se mettront dans ce cas. »Vaudreuil à Dumas. À Montréal, le 3 juin 1760, dans Ibid., p. 39. 1105 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 239. 1106 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 124-125. 1107 « I had a letter sent me by Lt. Coventry from Lt. Browne at Fort Herkimer that he had taken up an Indian and on hanging him up had made him confess he was sent as a spy [...]. » Le dégoût d’Amherst envers les Autochtones transparaît encore une fois dans cet extrait de son journal : « I had a letter from Lt. Coventry, with one from Br. Genl. Prideaux enclosed, desiring the Indian might be released as the other Indians requested it. I wrote to Br. Prideaux and sent him the examination, sentence, and everything relating thereto and that he might assure the Indians I would serve every villain that deserved death as much as he did in the same way. I believe ‘tis the best way of treating Indians. » AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 128-129, p. 131 et p. 135. 1108 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 192-193.

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« casser la tête, parce qu’il a fallu le menacer de mort pour lui faire avouer sa mission ».

L’exécution doit servir d’exemple—« quoique rigoureux »—aux autres. Ce cas en

particulier est d’autant plus intéressant puisque l’officier se doute que le Canadien—

décidément un espion incompétent à la lecture des sources—avait été choisi par les

Britanniques dans l’espoir qu’il se fasse capturer et que Bourlamaque se laisse influencer

par le message secret d’abandonner sa position à Sorel1109.

Encore une fois, les pendaisons d’espions servent à la fois de punition, mais aussi

d’exemple aux autres qui songeraient à en devenir à leur tour. Cet exemple de 1757 illustre

très bien ce fait du côté de la colonie de New York, où un espion pour les Français s’est fait

démasquer :

You are herby directed to cause the Prisoner William Marshall, alias Johnson, in Custody of Capt. Horatio Gates, to be brought to the most publick part of the Streets of Albany & to be hanged till he is dead, for having been employed as a Spy by the Enemy, with a Label on his Breast in Dutch and English; For holding and Carrying on a Correspondence and having given Intelligence to the Enemy, for which this shall be a Warrant. I would have this Execution performed as soon as he arrives in Albany.1110

Les espions, néanmoins, ne sont pas automatiquement punis de mort. Il est possible de

récupérer un espion capturé et de le retourner contre son adversaire. Turpin de Crissé

explique l’importance de ces agents doubles :

Si l’on conduit au Général quelqu’Espion de l’Armée ennemie, il doit le prendre en particulier, l’interroger avec douceur, lui parler avec une espece de confiance, ne point le menacer, & lui promettre récompense s’il veut lui dire ce qu’il sçait de l’Armée ennemie; s’il lui trouve de l’intelligence, il doit tâcher de l’engager à le servir : s’il peut le gagner à force d’argent, ce qui n’est pas difficile, il peut tirer un grand avantage d’un tel Espion; mais il ne doit l’employer qu’après s’être bien assuré de lui, & sur de bonnes précautions.1111

Justement, certains individus font l’objet de surveillance accrue au cas où ils seraient des

agents doubles. Montcalm écrit à Lévis au sujet d’un agent soupçonné : « Je ne crois à rien

de votre homme. […] Je suis d’avis de garder stricte un homme qui nage si bien et que je

1109 Bourlamaque à Lévis. À Sorel, le 17 août 1760, à 5 heures et demie du soir, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de M. de Bourlamaque…, p. 97-98. 1110 William L. Clements Library, Military Papers of Thomas Gage, cité dans les transcriptions de Nicholas Westbrook du 5 juin 2001 dans les collections du fort Ticonderoga, Vol. 1. Loudon to the Commanding Officer at Albany. New York, le 18 avril 1757. 1111 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 237-238.

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soupçonne déserteur-espion pour s’en retourner1112. » Pendant l’hiver 1759-1760, Dumas se

méfie quant à lui des commerçants qui veulent franchir le blocus français entre Québec et

Montréal : « M. de Murrai est monté sur un ton de violence qui en impose et effraye tout le

monde, il n’a qu’a faire arrêter ces gens la sous quelque pretexte, des ce moment pour lui

prouver qu’il ne sont pas vos espions [c’est-à-dire de Lévis], ils deviendront les siens alors

il sçaura l’etat de toutes choses dans la colonie1113. » L’officier a raison de se méfier, mais

les agents les plus efficaces des Britanniques ne sont pas les quelques habitants qu’il fait

arrêter. Une des taupes les plus importantes, sinon la plus importante pendant cette période,

est le négociant Barthélemy Martin, un agent double pour Murray. Alors que la faction de

l’armée française au fort Jacques-Cartier a besoin de vivres, Martin, d’origine marseillaise,

informe l’intendant Bigot à Montréal qu’il peut lui obtenir 250 quarts d’eau-de-vie

entreposés à Québec. Avec la sanction de l’état-major, il rejoint le poste français à la rivière

Jacques-Cartier et reçoit la permission de passer à Québec. Ce que l’état-major ignore, c’est

que celui qui promit de « se prêter au besoins du Service dans tout ce qui peut dépendre de

lui1114 » est capable de leur fournir ces denrées justement parce qu’il en a reçu la

permission de Murray en échange de devenir un de ses espions! Alors qu’il s’acquitte de sa

mission, il informe le général britannique des préparatifs français pour leur attaque contre la

ville. Martin est un agent tellement efficace que même son biographe pour le DBC, José

Igartua, ne l’identifie pas comme un traître1115. Ce sera Peter MacLeod qui retracera ses

activités douteuses grâce à des sources anglaises ultérieures aux événements1116. Non

seulement ne sera-t-il jamais démasqué de son vivant, mais Martin va même servir de

témoin pendant l’Affaire du Canada. Seule maigre consolation pour les outrés : il semble

qu’il n’ait jamais été remboursé ni par les Français ni par les Britanniques pour ses

transactions entre les deux camps. Néanmoins, MacLeod termine son analyse du

1112 Montcalm à Lévis. À Québec, le 2 juillet 1759 dans CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Montcalm…, p. 170. 1113 Dumas à Vaudreuil. À Deschambault, le 2 juin 1760, dans « Lettres de Vaudreuil… », RAC, Vol. I, 4e partie, p. 29. 1114 ANOM, Colonies, C11A 105, F°121v. Mémoire de Barthélemy Martin concernant les 250 quarts d’eau-de-vie que Bigot lui demande de fournir pour l’armée qui doit assiéger Québec (conditions demandées). 24 mars 1760. 1115 José IGARTUA, « Barthélemy Martin », dans DBC, Vol. III de 1741 à 1770, Québec, Presses de l’Université Laval, 1974, p. 469-470. 1116 Voir MACLEOD, « Treason at Quebec », p. 55-57.

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personnage ainsi : « Martin may never have collected his money, but he emerged from the

financial scandals surrounding the fall of New France with his reputation intact, and

remained known to all but a few British officers as a loyal French subject who had done his

best to contribute to the defence of Canada under the most difficult conditions1117. »

Le Canada n’est pas le seul endroit où rôdent les agents doubles. En Louisiane, un agent

français se démarque par son influence politique chez les Autochtones : Pierre-Gaspard-

Antoine de Lantagnac. Fils d’un officier des troupes de la Marine au Canada, il est muté en

Louisiane en 1743. Deux ans plus tard, il se fait capturer par une bande de Chicachas.

S’était-il perdu dans les bois ou désertait-il? L’affaire est floue mais peu importe : l’officier

est enfin mené à Charleston, la capitale de la Caroline du Sud, où il passe trois années. Se

liant d’amitié avec le gouverneur, il obtient la permission de marchander avec les

Cherokees. Rapidement, il s’attire la confiance de ceux-ci, allant jusqu’à avoir un enfant

avec un membre de la nation. En 1754, après de nombreuses années d’absence, il se laisse

persuader de revenir au fort Toulouse où il se fait absoudre de toute accusation de

désertion. Après tout, Lantagnac se trouvait dans une position privilégiée grâce à ses liens

avec les Cherokees et ses connaissances de l’administration de la Caroline du Sud. Il

passera l’entièreté de la guerre à semer la division politique chez les Nations Cherokees,

conduisant même une faction à La Nouvelle-Orléans pour négocier des ententes

diplomatiques1118.

Même sans avoir recours à l’embauche d’agents doubles, la mansuétude évite à plus

d’un d’être exécuté. Par exemple, le 13 mars 1756, juste avant l’attaque sur le fort Bull, les

Français tiennent un « conseil avec les sauvages sur l’arrivée d’un Onontagué

[Onondagua], soupçonné d’être espion1119 ». Le 18 mars, « L’Onontagué […] s’enfuit », est

1117 Ibid., p. 57. Voir aussi « Barthélémy Martin et les marchands de Montréal », dans GENÊT, Les espions des Lumières, p. 367-374. 1118 Le prénom de Lantagnac porte à confusion dans l’historiographie. Une recherche dans le PRDH confirme que son prénom n’est pas Louis, mais bel et bien Pierre-Gaspard-Antoine. Gregory WASELKOV, « Introduction », dans Daniel H. THOMAS, Fort Toulouse: The French Outpost at the Alabamas on the Coosa, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1989 (1960), p. xxix et BRASSEAUX, France’s Forgotten Legion, Fichier numérique. Sur les Cherokees pendant la guerre de Sept Ans, voir Daniel J. TORTORA, Carolina in Crisis: Cherokees, Colonists, and Slaves in the American Southeast, 1756-1763, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2015, 288 p. 1119 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 109.

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ensuite ramené « et on lui fait promettre avec deux branches de porcelaine de ne plus

s’enfuir1120. » Turpin de Crissé exhorte d’ailleurs les généraux à ne pas démontrer trop de

zèle à démasquer les espions évidents : « Si l’on reconnoît des Espions, il ne faut pas

toujours les punir de mort; on peut en tirer quelqu’avantage en feignant de ne les point

connoître, surtout s’ils ne sont pas assez dissimulés1121. » Enfin, un espion capturé peut

parfois compter sur l’intercession de son employeur. C’est le cas d’un habitant capturé par

un parti français en février 1760. Surpris à transporter une « somme considérable d’argent

et plusieurs boisseaux de sel », l’individu est accusé d’espionnage. À cette nouvelle, le

camp britannique écrit à Vaudreuil pour contester l’accusation, soulignant que l’homme

n’est pas un militaire : il est simplement un habitant qui fait affaire avec eux. L’argument

passe puisque l’homme se fait immédiatement relâcher et on lui redonne la charge qu’il

transportait1122.

5.4.3 L’ESPION KENNEDY

Le sort d’un agent peut également dépendre d’un accord tacite entre les belligérants à

savoir si celui-ci est réellement un espion ou non. Le cas le plus détaillé est celui du

capitaine Quinton Kennedy1123. Outre Stobo, aucun espion étudié jusqu’ici n’a laissé autant

de traces dans les sources permettant de retracer ses activités du jour où il se fait embaucher

jusqu’à sa capture, ainsi que les conséquences qui en résultent.

En juin 1759, la chasse aux espions augmente. L’ordre est donné « d’arrêter tous les

coureurs, vagabonds, etc., pour prévenir la désertion et arrêter les espions1124. » Pendant ce

temps à Crown Point sur le lac Champlain, Amherst cherche à communiquer avec Wolfe

pour s’informer de son progrès sur Québec. La mission est dangereuse : l’agent à qui on

l’aura confiée devra se faufiler en territoire ennemi à partir du lac Champlain, trouver

moyen de rejoindre le front de guerre, passer la ligne française et rejoindre le camp de

Wolfe sans se faire surprendre. Quinton Kennedy, du 17th Foot, s’offre comme volontaire.

1120 Ibid., p. 110. 1121 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 240. 1122 KNOX, An Historical Journal… Vol. 2, p. 259-260. 1123 L’historien qui s’y est intéressé le plus est Stephen Brumwell. Bien que Kennedy n’est qu’un personnage secondaire dans son livre sur Robert Rogers et le massacre à Saint-François-du-Lac, l’historien rassemble la plus grande collection de sources à son sujet. Voir : BRUMWELL, White Devil, 335 p. D’autres éléments biographiques sont également éparpillés dans PRESTON, Braddock’s Defeat, 460 p. 1124 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 445.

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Un Écossais arrivé en Amérique en 1755 avec Braddock, Kennedy s’était rapidement

habitué à la petite guerre à l’américaine et, selon les gazettes européennes, s’était même

marié à une Autochtone1125. À l’image de Robert Rogers, sa compétence lui a acquis une

certaine réputation. Au final, c’est sa proposition de raccourcir le trajet en passant par la

terre qui convainc Amherst de lui confier la mission le 8 août 17591126. Transportant deux

boîtes de fer-blanc contenant des lettres d’officiers destinées à leurs confrères dans l’armée

de Wolfe1127, Kennedy quitte Crown Point accompagné du lieutenant Hamilton, le

capitaine Jacobs et quatre Autochtones1128.

Sur papier, les instructions que transporte Kennedy sont claires : il doit se rendre aux

villages des « Sauvages de l’Est » pour « marquer les bonnes dispositions » d’Ahmerst qui

leur offre son « amitié, aux conditions qu’ils demeureront neutres1129 ». Dans les faits,

cependant, la mission diplomatique chez les Abénaquis n’est qu’un prétexte pour camoufler

les vraies intentions du commandant-en-chef. Dans sa lettre adressée à William Pitt,

Amherst admet la chose: « this in all probability was the quickest method of conveying

intelligence to M. Genl. Wolfe1130 ».

Le 11 août, Amherst apprend que Kennedy avait préféré retourner le surplus de Rangers

qui l’accompagnaient, et qu’il en avait également profité pour envoyer une mise à jour sur

les effectifs navals français sur le lac Champlain1131. Quelques jours plus tard, Kennedy et

ses hommes se séparent du reste de l’escorte de Rangers dans la baie de Missisquoi1132.

1125 BRUMWELL, White Devil, p. 147. 1126 « Kennedy of late Forber’s offered to go through the Country a much nearer way to the River St. Lawrence […] » Extracts from Amherst’s letter to Pitt dated Camp of Crown point October 22d. 1759, dans A. DOUGHTY et G. W. PARMELEE (dir.), The siege of Quebec and the Battle of the Plains of Abraham. Sixth Volume, Québec, Dussault & Proulx, 1901, p. 43. 1127 Bigot à Lévis. Le 26 août 1759, dans H. R. CASGRAIN (dir.), Lettres de l’intendant Bigot au chevalier de Lévis, Québec, L.-J. Demers & Frères, 1895, p. 49-50. 1128 AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 153. 1129 BAC, MG 1, Archives des Colonies, Série F3, Collection Moreau de Saint-Méry, Vol. 15, partie 2, F°486-488 (images 1470-1472). C-10528. Copie de la traduction de l’Instruction de M. Kennedy cap.ne anglais. De Par […] Jeffery Amherst […], 8 août 1759, jointe à la lettre de M. de Vaudreuil du 5 octobre 1759. [ En ligne : http://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_mikan_100163 ] Consulté le 13 février 2019. 1130 Amherst à Pitt. À Crown Point, le 22 octobre 1759, dans John KNOX, The Journal of Captain John Knox. Volume III—Appendix, Toronto, The Champlain Society, 1916, p. 50. 1131 AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 154. 1132 Ibid., p. 158-159.

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Le 24 août, le parti se fait intercepter par des Abénaquis à la chasse. Selon le journal de

Montcalm, le groupe de Kennedy est composé de « Quatre sauvages Loups, servant de

guides à trois officiers anglais1133 ». Surpris, le groupe tente d’abord de s’enfuir, mais en

vain. Kennedy, porteur d’une ceinture de wampum pour faire passer son message

diplomatique, tente de convaincre les Abénaquis de le laisser rejoindre Wolfe, leur offrant

même en échange une somme d’argent considérable. Rien n’y fait. Au lieu de cela, les

chasseurs le rapportent à Saint-François-du-Lac où le jésuite Roubaud1134 fait chercher des

renforts à Trois-Rivières afin de récupérer les officiers. Les espions sont ensuite portés à

bord du navire du capitaine Kanon1135.

L’incident plaît grandement à l’état-major. Non seulement a-t-on capturé des espions,

mais alors que les Français peinent à maintenir leurs relations avec leurs alliés depuis

l’incident du fort William Henry, les Abénaquis d’Odanak « ont donné une grande preuve

de leur fidélité1136 ». « Les Abénaquis seront récompensés », écrit Montcalm1137. Vaudreuil

est tout aussi impressionné : « Vous jugez bien, Monsieur, que je leur donnerai beaucoup

au delà de la somme qu’ils ont refusée1138. »

Dans l’esprit de l’état-major, il ne fait aucun doute que Kennedy est un espion. Les

premiers rapports que reçoit Montcalm l’informent que le capitaine Kanon a mis Kennedy

et ses hommes « aux fers, procédé fort simple puisque les officiers étaient déguisés et

porteurs de lettres1139 ». N’aidant pas la cause de Kennedy, trois déserteurs britanniques

1133 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 487. Le 26, Vaudreuil fait plutôt état de « sept loups » et deux officiers. Vaudreuil à Lévis. Au quartier général, le 26 août 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Vaudreuil…, p. 89-90. 1134 Écrit Riverain dans la source, mais comme le rappelle Marcel Trudel, il n’existe aucun Jésuite de ce nom. Il est possible qu’il y a confusion avec le scolastique Rivalin, mais il est plus probable qu’il s’agisse de Roubaud, affecté aux Abénaquis. TRUDEL, L’Église canadienne... Tome 1, p. 49 et Tome 2, p. 132, voir aussi Ibid., note 17. 1135 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 487. 1136 Vaudreuil à Lévis. Au quartier général, le 26 août 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Vaudreuil…, p. 89-90. 1137 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 487. 1138 Vaudreuil à Lévis. Au quartier général, le 26 août 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Vaudreuil…, p. 89-90. 1139 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 487.

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avaient informé Bourlamaque de sa vraie mission1140. Même si l’officier transportait une

ceinture de wampum en cadeau, Vaudreuil soupçonne que la « mission diplomatique »

supposée de Kennedy n’est qu’un prétexte pour rejoindre Wolfe « car, à la vue de nos

Abénaquis qu’ils ont rencontrés dans les bois, ils ont fui. » Le gouverneur note aussi

« Parmi les papiers qui ont été trouvés sur ces officiers, il n’y a pas une seule lettre du

général Amherst. Il y en a plusieurs écrites par des officiers […]1141. » Bigot croit

également que les instructions au sujet des Abénaquis ne sont que du « verbiage ».

L’intendant écrit à Lévis : « Vous pensez bien que les instructions secrètes de M. Amherst

n’ont été données que verbalement à ces officiers aussi1142 ». François-Pierre de Rigaud, le

gouverneur de Montréal et frère du gouverneur général, note un détail des plus

incriminants : « le principal objet de la mission de ces officiers étoit de porter des lettres de

M. Amherst au général Wolfe. On n’a pas pu avoir ces lettres; les officiers ainsi que les

sauvages, à ce que l’on dit, se voyant arrêtés, ont mangé leurs lettres1143. »

Le gouverneur écrit donc à Amherst pour l’informer de la capture (nos italiques) :

Votre Excellence ne peut disconvenir que, suivant les lois de la guerre, les circonstances de la mission de ces deux officiers les mettoient dans le cas de n’être pas considérés comme tells [c’est-à-dire comme officiers] par nous. Mais que Votre Excellence se rassure sur la générosité inséparable de nos nations. Ils seront gardés avec l’exactitude qu’exige de s’être chargés de pareille commission mais ils seront renvoyés lors de l’échange avec tous les autres prisonniers.1144

Amherst reçoit la lettre le 10 septembre1145 et y répond immédiatement : « […] je m’attends

bien que Votre Excellence me les renverra, puisqu’elle ne peut les regarder que comme

prisonniers de guerre1146. »

1140 Il est à se demander si parmi les trois se trouvent les deux déserteurs mentionnés par Amherst le 19 août : « Two of Gages light Infantry deserted last night. » Ibid., p. 488 et AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 158-159. 1141 À la lecture de ces lettres, l’état-major conclut que les Britanniques ne sont toujours pas au courant des fortifications sur l’Île-aux-Noix. Vaudreuil à Lévis. Au quartier général, le 26 août 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Vaudreuil…, p. 89-90. 1142 Bigot à Lévis. Le 26 août 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de l’intendant Bigot…, p. 49-50. 1143 M. de Rigaud à Lévis. À Montréal, le 31 août 1759, dans H. R. CASGRAIN (dir.), Lettres des divers particuliers au Chevalier de Lévis, Québec, L.-J. Demers & Frères, 1895, p. 46. 1144 Vaudreuil à Amherst. Août 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres et pièces militaires…, p. 255-256. 1145 AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 167. 1146 Amherst à Montcalm. Du camp de Crown-Point, le 10 septembre 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres et pièces militaires…, p. 258.

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Même avant cet échange, la nouvelle de la capture se propage rapidement1147 : à peine

Montcalm avait-il inscrit le fait dans son journal le 25 août que le même jour, un témoin

anonyme du siège de Québec le notait dans le sien, à quelques détails près1148. Six jours

plus tard, soit le 31 août 1759, le camp britannique à la chute Montmorency apprend la

nouvelle par un déserteur français. John Knox note le traitement qu’ont subi les

prisonniers :

[…] two Officers, and four Mohawk Indians, who were coming express from General Amherst to this army, were taken by the enemy near Les Trois Rivières. […] Two of these Mohawks were roasted to death1149 by the French at Trois Rivieres, in presence of the other two, who were scalped alive, carried to Montreal, and hanged in chains; the Officers, I have been informed, were put in irons, and otherwise very rigorously treated.1150

Si aucune source française trouvée jusqu’ici ne corrobore ces détails directement, il est clair

qu’Amherst en est au courant dans une certaine mesure. En représailles, il déclenche ce qui

sera un des massacres les plus tristement célèbres de la Conquête… Le 12 septembre 1759,

afin de punir les Abénaquis de leur fidélité aux Français ainsi que leur traitement du parti

de Kennedy, Amherst confie une mission secrète à Robert Rogers : celle d’aller avec ses

hommes massacrer le village d’Odanak1151.

Entre temps, la trace de Kennedy se perd dans les sources. Lorsqu’il réapparaît, il est

prisonnier à Batiscan en octobre 1759. Il semblerait néanmoins que pendant ce temps, avec

1147 Amherst note capture de Kennedy également dans une lettre à William Pitt. Extracts from Amherst’s letter to Pitt dated Camp of Crown point October 22d. 1759, dans DOUGHTY et PARMELEE (dir.), The siege of Quebec… Sixth Volume, p. 44. 1148 Effectivement, l’auteur écrit que Kennedy était accompagné par 3 Autochtones plutôt que 4 et que les espions avaient été menés sur la frégate « l’Atalente commandée par M. Vauquelin qui est audessus de Richelieu ». ANONYME, Journal du siège de Québec…, p. 121-122. 1149 Stephen Brumwell explique qu’un des Loups accompagnant Kennedy est en réalité un Abénaquis adopté par les Mahicans de Stockbridge vers 1759. Son refus de renier sa nouvelle nation explique sans doute pourquoi il fut tué. BRUMWELL, White Devil, p. 155-156. 1150 KNOX, An Historical Journal… Vol. 2, p. 36-37. 1151 « As Capt Kennedy’s Journey was now over I ordered a detachment of 220 chosen men under the command of Major Rogers to go & destroy the St Francois Indian Settlements and the French settlements on the South side of the River St Lawrence, not letting any one but Major Rogers know what about or where he was going. » AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 168.

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Hamilton, il ait réussi à faire passer secrètement des messages aux Britanniques occupant

maintenant Québec1152. En effet, le 6 octobre 1759, Monckton écrivait à Lévis :

On m’a dit que le capitaine Kennedy et le lieutenant Hamilton, […] avoient souffert à cause de la manière dont ils avoient été pris. Lorsque ces officiers ont été pris, ils cherchoient, suivant ce qu’on m’a informé, à venir à notre camp et à éviter les vôtres. Ainsi, Monsieur, je ne conçois pas comment on a pu les regarder comme espions. En considération de ces deux prisonniers qui ont beaucoup souffert, je vous offrirai, Monsieur, de les échanger contre deux officiers du même grade […].1153

Vaudreuil se défend de la façon avec laquelle les officiers avaient été d’abord traités,

écrivant le 13 : « Ils avoient encouru les risques d’être traités différemment que les

prisonniers, étant venus en parti bleu, sans mission ni caractère d’autorité légitime1154. »

Cette accusation est particulièrement accablante : selon le dictionnaire de 1762, un parti

bleu est « Un parti de gens qui s’attroupent sans ordre pour piller de côté & d’autre ». Et

comme souligne la définition, « On pend les partis bleus quand on les attrape1155 ». Selon

cette mesure, Vaudreuil continue : « Ils pourroient être sujets aux plus grandes

rigueurs1156. » Les deux officiers sont donc chanceux de ne pas avoir été exécutés sur le

champ : le simple fait d’avoir été déguisés, sans uniforme, donne le droit de pendre les

agents pour espionnage. Néanmoins, Vaudreuil révèle ce qui leur sauve la vie : « Ils furent

d’abord mis aux fers mais ayant, peu après, été informé de leur naissance et de leur grade,

je les ai fait élargir et les ai traités depuis en officiers. Je les renverrai à M. Amherst, qui les

a réclamés1157. » En effet, il semblerait que la naissance plus que le grade ait épargné

Kennedy. Le 20 octobre, Bernier écrit à Lévis : « ce que j’ai appris, c’est qu’un des deux,

M. Kennedy, est parent de M. Murray et fort proche. J’ai eu l’honneur de vous marquer

1152 Bigot à Lévis. À Montréal, le 13 octobre 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de l’intendant Bigot…, p. 69. 1153 Monckton à Lévis. À Québec, le 6 octobre 1759, dans Ibid., p. 263. 1154 Vaudreuil à Monckton. À Montréal, le 13 octobre 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres et pièces militaires…, p. 266-267. 1155 ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire…, Tome 1, 1762, p. 183. 1156 Vaudreuil à Monckton. À Montréal, le 13 octobre 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres et pièces militaires…, p. 266-267. 1157 Ibid.

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l’espèce de nécessité à les envoyer ici, à moins d’un inconvénient très grand et que je ne

pense pas1158. »

Ainsi se terminent les péripéties de l’espion Kennedy, accompagné du lieutenant

Hamilton, lorsque les deux sont échangés et ramenés à Amherst le 15 novembre1159. Il

faudra attendre jusqu’au 29 août 1760 avant que le capitaine Jacobs, quant à lui, ne regagne

le camp britannique1160.

Que retenir de l’histoire de Kennedy? Après la découverte de son parti, Montcalm fait

redoubler les précautions le long de la frontière1161. D’ailleurs, Kennedy ne sera pas le seul

émissaire d’Amherst à se faire capturer. Le 29 septembre, Lévis note dans son journal la

capture à la Présentation d’un officier britannique et de ses hommes tentant de rejoindre

Chouaguen pour y porter des lettres d’Amherst à l’intention de Gage1162. Sans connaître le

sort de ces derniers, on peut toutefois affirmer que, contrairement à la majorité des espions

capturés, Kennedy eut la vie sauve grâce à son rang et sa parenté avec un membre de l’état-

major britannique. Pourtant, vingt-et-un ans plus tard, la même courtoisie entre officiers ne

sera pas appliquée pendant la Révolution américaine dans le cas célèbre du major John

André, lui aussi capturé déguisé en civil1163. De cette comparaison, il faut conclure que

Kennedy a eu de la veine à plusieurs reprises : d’abord, de s’être fait capturer par des

Autochtones sans se faire exécuter par eux sur le champ comme l’ont été d’autres espions,

et deuxièmement, d’avoir été gracié pour son appartenance à la noblesse, contrairement à

André, le fils d’un marchand suisse. Enfin, il ne faut pas oublier que le poste occupé par

André rendra l’officier une cible particulièrement alléchante pour porter un coup dur sur les

1158 Bernier à Lévis. À l’Hôpital général de Québec, le 20 octobre 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres des divers particuliers…, p. 19-20. 1159 AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 191. 1160 Ibid., p. 241. Au sujet du sort des Autochtones qui les accompagnaient, il est intéressant de lire dans les écrits de William Johnson, le 5 février 1762: « Two Caghnawaga Chiefs are come from their Castle with a Message from them & the Algonkins & Abenaquis requesting to have a meeting at Albany with me & the Stockbridge or New England Indians, in order to make up an affair concerning a Murther [Murder] committed by them on a River Indian who accompanied Capt. Kenney about 2 years ago to ye village of St. Francis, and which (when I was in Canada) I insisted on their making Satisfaction for. » William Johnson à Amherst. Au fort Johnson, le 6 février 1762, dans William JOHNSON, The Papers of Sir William Johnson. Volume 3, Albany, University of New York, 1921, p. 623. 1161 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 487. 1162 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 166. 1163 Stephen Brumwell fait la même comparaison entre les deux officiers. BRUMWELL, White Devil, p. 153.

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opérations de renseignement britannique, contrairement à Kennedy qui n’était qu’un simple

agent.

5.5 CONTREBANDIERS ET PARLEMENTAIRES Les colonies de la France et de la Grande-Bretagne n’existent pas dans un vacuum, chacune

dans son enclave. Loin de la dichotomie prônée par la mémoire populaire, la rencontre des

deux cultures ne date pas de la Conquête en 1759. L’Acadie est sans doute la colonie

française où cette réalité est la plus évidente : il suffit de fouiller les actes notariés du

Régime français pour constater un marché de navires entre Louisbourg et la Nouvelle-

Angleterre, par exemple. Tant bien que mal, le gouvernement colonial tente néanmoins

d’imposer des restrictions sur le marché libre entre les colonies. Le poste de Chouaguen,

sur les rives du lac Ontario, devient la cible du gouverneur en 1756 précisément à cause de

son influence sur la clientèle non seulement autochtone, mais française1164. En pratique,

toutefois, la réglementation sur papier n’arrivera jamais à surmonter la réalité : la

contrebande est tout simplement trop profitable. Ce n’est donc pas pour rien que les six

premières décennies du XVIIIe siècle sont considérées comme l’âge d’or du commerce

illicite dans les colonies américaines1165.

Les pratiques contrebandières ont libre cours dans une économie coloniale où les

dirigeants sont souvent directement impliqués. Même si la contrebande prend différentes

formes, son omniprésence démontre qu’elle ne peut exister autrement que par la corruption

institutionnalisée1166 : les plus hauts échelons de la société coloniale n’y échappent pas.

Une des meilleures illustrations de l’hypocrisie de l’administration se trouve dans la

1164 Effectivement, il y aura de nombreuses tentatives de restreindre l’accès au poste anglais. Par exemple, en 1753, le gouverneur écrit : « Les marchandises prohibées, Monsieur dont Montréal est infecté à cause de la liberté qu’on a jusqu’à présent donné aux Voyageurs de passer par Chouaguen pour racourcir leur route, me déterminent à défendre trés décidément qu’aucun canot ait à y passer Sous peine de confiscation, non Seulement du prohibé, mais de toute la Canotée. » Duquesne à Contrecœur. À Montréal, le 30 avril 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 35. 1165 Peter ANDREAS, Smuggler Nation: How Illicit Trade Made America, New York, Oxford University Press, 2013, p. 16. 1166 « Institutionalized corruption had a pacifying effect; informal financial accommodations meant that violence between smugglers and customs inspectors was rare. For the most part, bribing trumped bullying, producing a win-win situation for the smuggler and the customs agent – even if not for imperial coffers. Corruption was in fact competitive: colonial ports competed with each other to attract shipping business, and those ports that offered the most laxity in inspections and most bribable custom houses enjoyed a competitive advantage. » Ibid., p. 15 et p. 17.

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demeure même du gouverneur du Canada : le Château Saint-Louis est effectivement

partiellement meublé de pièces des colonies voisines. Philippe Halbert, historien de l’art et

de la culture matérielle, commente : « Levant le voile sur la réalité de l’ameublement

colonial au Canada avant 1760, la plupart de ces meubles “anglais” semblent avoir été

acquis à travers des réseaux de commerce et de contrebande entre la Nouvelle-France et les

colonies anglaises, notamment celles de la Nouvelle-Angleterre1167 ». En somme, même le

gouverneur profite de la contrebande.

Si un agent régulateur est autrement trop zélé, ses plaintes sont mitigées par le réseau de

marchands locaux qui refilent leur désaccord aux producteurs de la métropole, qui à leur

tour, font pression auprès des ministres afin de gronder l’administrateur colonial. Comme le

rappelle J. S. McLennan sur la contrebande à Louisbourg : « The impulses of commerce are

ever towards expansion and to profits1168. » Sans oublier qu’en période de guerre, il arrive

souvent qu’on n’ait guère le choix que de marchander simplement pour survivre—c’est

d’ailleurs l’argument qu’avancera le gouverneur de la Louisiane pendant la guerre de Sept

Ans pour justifier ses échanges avec l’ennemi1169.

5.5.1 UN MARCHÉ D’INFORMATION

Depuis toujours, les marchés illicites offrent non seulement un milieu où s’enrichir, mais

également s’informer, comme l’explique Keegan : « Markets are principal centres for the

exchange of information as well as goods and it was often a demand of marauders – by the

Huns of the Romans, frequently by the Vikings – that they should be allowed to set up

markets on the borders of settled lands. Commerce was commonly the prelude to

predation1170. » En effet, si le mercantilisme fuit comme une passoire, comme le décrit si

bien Peter Andreas, il en va de même avec l’information entre contrebandiers1171. Après

tout, même en temps de paix, le commerce est un prétexte pour espionner. Par exemple, en

1754, alors que la rumeur court que la guerre se prépare, les Français cherchent à

s’informer sur les effectifs réels des Britanniques et de la disposition des peuples

1167 Philippe HALBERT, « Chaises à l’anglaise et bureaux anglais, ou repenser la culture matérielle en Nouvelle-France », Blogue : Boréalia, 14 décembre 2015. 1168 MCLENNAN, Louisbourg, 2001, p. 225. 1169 ANDREAS, Smuggler Nation…, p. 22 et SURREY, The Commerce of Louisiana…, p. 459. 1170 KEEGAN, Intelligence in War..., p. 10. 1171 ANDREAS, Smuggler Nation…, p. 14.

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autochtones locaux. Deux officiers, les sieurs de Saint-Blin et La Force, se font donc

confier la mission d’observer l’établissement des Britanniques à l’embouchure de la rivière

Théya8indéoguin (la Monongahela). La mission est une réussite, facilitée par la présence

des deux commerçants Baby1172, déjà connus dans la région et attirant donc moins de

soupçons1173.

Le monde de la contrebande est un terreau fertile pour les tromperies : les marchands

coloniaux sont passés maîtres dans l’art de dissimuler leurs identités, leurs origines, leurs

routes et, bien sûr, la nature réelle de leurs cargaisons à l’aide de diverses ruses, comme de

faux papiers1174. Comme le rappelle Gilles Havard, « Dans ce contexte de contrebande, les

appartenances “nationales” et les loyautés des traiteurs, qui se lient à tel ou tel village

indien, peuvent avoir tendance à se brouiller1175. » La chasse aux espions crée donc des

tensions palpables tant en Nouvelle-France que dans les colonies britanniques. En Géorgie,

par exemple, trois marins espagnols se font arrêter et accuser d’être des espions

français1176. Le milieu de la contrebande crée également des agents doubles qui se

retrouvent souvent dans de curieuses situations. C’est le cas de Jean-Baptiste de Couagne

fils qui se fait arrêter à Albany en 1757 comme espion français potentiel et se fait pourtant

embaucher quelque mois plus tard pour espionner chez les Six-Nations à la solde

d’Abercromby1177.

5.5.2 LA LOUISIANE ET LES PARLEMENTAIRES

Bien entendu, il y a des limites et des obstacles intrinsèques liés à l’étude de la contrebande.

Vu la nature clandestine de leurs activités, les contrebandiers ne créent pas de rapports

1172 Il s’agit des deux frères Baby, Dupéron et Antoine. Voir à leur sujet et celui de leur famille marchande influente dans la région : Dale MIQUELON, « The Baby Family in the Trade of Canada, 1750-1820 », thèse de maîtrise, Ottawa, Carleton University, 1966, p. 5 et Idem, « Jacques Baby dit Dupéront », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 42-43. 1173 La Chauvignerie à Contrecœur. À Chiningué, le 11 mars 1754, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 106 et Saint-Blin à Contrecœur. À Chiningué, le 11 mars 1754, dans Ibid., p. 108. 1174 ANDREAS, Smuggler Nation…, p. 16. 1175 HAVARD, Histoire des coureurs de bois, p. 317. 1176 « Saturday last three Spaniards were taken up and examined before His Majesty’s Honoourable Council, suspected to belong to some of the French Privateers cruizing upon the Coast of Georgia, and to have come here for Intelligence: And, we hear, one or two of them have acknowledged being on board a French Privateer, of 2 Guns and 38 Men. » The New York Gazette, le 3 octobre 1757, p. 2. Merci à Greg Rogers pour la référence. 1177 Jane E. GRAHAM, « Jean-Baptiste de Couagne », dans DBC, Vol. IV de 1771 à 1800, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, p. 188-189.

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détaillés de production et de ventes1178. L’historien, alors, ne peut qu’estimer la valeur

réelle de la production contrebandière et des activités d’espionnage connexes1179. Malgré

tout, les archives de la Louisiane ouvrent une brèche importante sur ces dernières et offrent

un des exemples les plus probants. Cette histoire est d’autant plus fascinante puisqu’elle

sème la discorde chez l’état-major de la colonie : si au Canada la friction entre le

gouverneur Vaudreuil et le général Montcalm est depuis devenue légendaire à la fois dans

l’historiographie et dans la mémoire populaire, la rivalité entre le gouverneur Louis

Billouart de Kerlérec et le commissaire ordonnateur Vincent Gaspard Pierre de Rochemore

mérite pareille réputation.

La région de la capitale louisianaise comporte à ce moment-ci environ 5 500 colons1180.

Comme le décrit Vaudreuil alors qu’il est gouverneur de la Louisiane en 1744, le port de

La Nouvelle-Orléans accueille toujours au moins une vingtaine de navires provenant de

Saint-Domingue et de la Martinique, trois ou quatre navires de la France outre ceux du roi,

sans oublier que la présence d’Espagnols contribue au moins un million de piastres à

l’économie locale1181. Toutefois, pendant cette nouvelle guerre, l’activité portuaire en

Louisiane souffre énormément sous l’effet d’un blocus assuré par les nombreux corsaires

britanniques qui interceptent les navires français.

Le gouverneur Kerlérec se voit bientôt obligé de chercher des vivres pour la colonie là

où il peut, même si cela nécessite de faire appel à des navires marchands anglais, le tout

dissimulé sous l’apparence de la légalité1182. La décision n’est pas approuvée par tous : le

commissaire ordonnateur préfère faire arrêter les navires étrangers et confisque leurs

marchandises. Depuis l’arrivée de Rochemore en août 1758, les accusations de corruption

ne font qu’augmenter entre les deux administrateurs : d’une part se trouve l’ordonnateur

1178 Au sujet de la Louisiane, Shannon Lee Dawdy écrit : « Les historiens ont eu tendance à sous-estimer l’importance de la contrebande dans l’économie de La Nouvelle-Orléans durant la période française ». Shannon Lee DAWDY, « La Nouvelle-Orléans au XVIIIe siècle. Courants d’échange dans le monde caraïbe », Annales. Histoire, Sciences Sociales, No. 3 (mai-juin 2007), p. 679. 1179 ANDREAS, Smuggler Nation…, p. xii. 1180 Population en date de 1766. « […] 1,893 hommes en état de porter les armes, ce qui, avec 1,044 femmes et 2,615 enfants des deux sexes, fixe le chiffre de la population blanche de la Nouvelle-Orléans et des postes avoisinants à 5,452 âmes. » VILLIERS DU TERRAGE, Les dernières années..., p. 231 1181 From Monsieur Vaudreüil, Governor of New Orleans, to the Commissary Director of the Marine at Canada, dated 1 March, 1744, dans ANONYME. The Present State of..., p. 33-34. 1182 SURREY, The Commerce of Louisiana…, p. 459 et p. 462.

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qui, en vrai Bigot, fait gonfler le prix des produits importés de France, et de l’autre, le

gouverneur, qu’on accuse de collaborer avec l’ennemi. Un des proches de Rochemore,

l’officier François Marie de Reggio1183, prend l’initiative d’écrire directement au ministre :

[…] l’Anglois [s’]introduit depuis quelques années dans cette colonies, y fait un Commerce assuré […]. Ces anglois interlopes, passants pour Parlementaire sont aussi libre que nous, et Ses gens intriguants se répendent dans nos Campagnes, sous le pretexte de chercher à Travailler; et ce pour prendre connoissance du pays, puisque l’on en a vûe qui ont étés jusqu’au Lac Pontchartrain, qui est une entrée de la Colonie qu’ils ignoroient peut-être encore, n’etant pas l’entré ordinaire, qu’ils connoissent comme nous par leurs frequentes allés et venus.1184

Les « Parlementaires » auxquels Reggio fait référence sont des navires étrangers en mission

diplomatique, habituellement pour échanger des prisonniers. Afin de s’éviter les dépenses

liées au fret de ces transports, les administrateurs coloniaux, plutôt que de payer les

propriétaires des parlementaires, leur donnent à la place la permission de faire un profit en

comblant de marchandises la portion du navire qui n’est pas occupée par des prisonniers.

Les profits générés par cette pratique sont tels qu’on épuise le nombre de prisonniers

disponibles pour les échanges. Devant cette pénurie, on embauche des figurants qu’on

« libère » et avant longtemps, on abandonne cette supercherie pour une autre plus simple :

on invente carrément des listes de prisonniers imaginaires, s’en contentant pour justifier le

marchandage entre ennemis. D’ailleurs, certains gouverneurs, comme ceux de la

Pennsylvanie et du Rhode Island, s’enrichissent à vendre des permis pour ces « flag-of-

truce »1185. Vers la fin de la guerre, toutefois, les autorités vont chercher à supprimer ces

abus1186.

1183 Originaire du Piedmont, arrivé en Louisiane en 1750 où il passe quatre ans à commander le poste des Arkansas, devient à deux reprises commandant par intérim du fort Tombecbé, avant de se retrouver à La Nouvelle-Orléans. BRASSEAUX, France’s Forgotten Legion, fichier numérique. 1184 ANOM, Colonies, C13A 41, F°367v. De Reggio au Ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 14 octobre 1759. 1185 Abraham Phineas NASATIR et Leo SHPALL, « The Texel Affair », American Jewish Historical Quarterly, Vol. 53, No. 1 (1963), p. 9-10 et ANDREAS, Smuggler Nation…, p. 23. 1186 « The British Navy took over responsibility for prisoner-of-war exchanges in 1761, putting an end to the flags-of-truce trading scam. Illicit trade with the French was also carried out less directly through neutral Spanish, Danish, and Dutch Caribbean islands serving as intermediaries. » Ibid., p. 25.

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L e T e x e l

En février 1759, tandis qu’il séjourne à La Mobile, le gouverneur Kerlérec confie au major

François Simard de Belle-Isle1187 la tâche de gérer La Nouvelle-Orléans. Pour assurer le

débit de vivres au port, il instruit :

[qu’]aucun Battiment tel qu’il puisse Etre, pourvû de Vivres et de subsistances necessaires â la colonie ne soit inquiété en aucune façon par qui que ce soit; Entendons Comprendre dans le présent cas, tous Battimens armés en Parlementaire, soit anglois ou françois, tous autres pourvûs, et portant comission et Pavillon hollandois, ou Danois; […] [qu’]aucun Parlementaire anglois [ne] debarque et mette â terre aucunes marchandises prohibées par Les ordonnances qui puisse faire tort â nôtre Commerce, a moins qu’il ne fust pourvû de quelque article dont Le Roy, ou le public fust dans un pressant besoin.1188

De retour un mois plus tard, le gouverneur constate que ses ordres n’ont pas été suivis.

Pendant son absence, un navire de la Jamaïque, le Texel (parfois écrit le Tessel) arriva à

La Balize1189 le 16 mars, chargé de farine et d’une dizaine d’esclaves. Plus tard, le 13 avril

à La Nouvelle-Orléans, l’ordonnateur accusa le propriétaire du navire—l’Anglais David

Diaz Arias—non seulement d’être juif1190, mais aussi d’être un espion. Par conséquent, il fit

confisquer la cargaison à l’aide de Belle-Isle. Ceci est particulier, car comme Stéphane

Genêt note, « les cas de juifs servant comme espions ou simples informateurs se font plutôt

rares [en Europe]1191 ».

Toutefois, selon les témoignages qu’il recueille, le gouverneur soupçonne qu’Ariaz,

ayant pourtant passé dix jours dans la capitale sans se faire harceler, s’était fait saisir son

chargement après avoir refusé de le vendre à prix réduit à l’entourage de Rochemore. Il

observe également que le commissaire ordonnateur s’était démontré moins zélé avec

d’autres armateurs étrangers dans le passé…

Entre temps, Arias continue de nier être un espion, jurant avoir fait le signal convenu,

soit un coup de canon, pour demander l’assistance d’un pilote français pour naviguer

1187 Aussi épelé Scimars de Bellisle, Seymard de Bellille, etc. Arrivé en Louisiane en 1719. Mort à Paris en 1763. BRASSEAUX, France’s Forgotten Legion, Fichier numérique. 1188 ANOM, Colonies, C13A 41, F°30-30v. Copie de l’article des instructions de Kerlérec à M. de Belisle. À La Nouvelle-Orléans, le 26 février 1759. 1189 Village et poste gardant l’entrée du Mississippi. Il s’y trouve de nombreux pêcheurs et pilotes. N’existe plus de nos jours. 1190 Il faut se rappeler que le Code noir interdit la présence de Juifs en Louisiane. Néanmoins, cette règle est plus ou moins observée à la discrétion des gouverneurs. 1191 GENÊT, Les espions des Lumières, p. 73.

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jusqu’à La Nouvelle-Orléans. Le commandant à La Balize atteste d’ailleurs qu’Arias et son

équipage ont été menés dans la cale du navire afin de leur empêcher de cumuler la moindre

connaissance du fleuve et de ses défenses1192. Le 5 mai 1759, le gouverneur Kerlérec,

accompagné de Rochemore, fait assembler une quinzaine d’hommes au magasin du Roi

afin d’examiner les effets confisqués au corsaire et d’en dresser un procès-verbal1193. Deux

jours plus tard, le marchand reçoit la permission de vendre sa farine.

Si l’affaire semble réglée, elle continue d’avoir des conséquences. D’abord, il est à se

demander quel effet ce scandale a eu sur la santé d’Arias, qui meurt à La Nouvelle-Orléans

à la fin de juin. Deuxièmement, le gouverneur et l’ordonnateur vont continuer de s’accuser

l’un et l’autre de corruption ou de collaboration par rapport à l’histoire du Texel, bien après

leur retour en France. Même leurs cercles d’amis y prennent part : par exemple, le chevalier

Jean-Philippe Goujon de Grondel, du cercle de Rochemore, va accuser le gouverneur

d’avoir accepté 100 000 livres de la part d’Arias pour le droit de vendre sa marchandise. Au

final, Kerlérec remportera sa cause, à peine cinq jours avant sa mort en 17701194.

L e T r o i s - F r è r e s

L’affaire du Texel n’est pas unique. La même année, le Trois-Frères, une goélette du

Rhode Island, arrive à La Balize. L’identité du bâtiment est contestée lorsque le

commandant du poste, de Villiers1195, découvre qu’il ne contient aucun prisonnier de

guerre. Par conséquent, l’officier escorte le capitaine anglais, Bull de Roderland, à

La Nouvelle-Orléans où il est incarcéré. Pour éviter des ennuis avec Rochemore à nouveau,

Kerlérec fait renvoyer le bâtiment à La Balize sans son capitaine. Comme pour l’équipage

d’Arias, celui du Trois-Frères est confiné à la cale pour maintenir les secrets de la

navigation de l’entrée du Mississippi.

1192 NASATIR et SHPALL, « The Texel Affair », p. 20. 1193 Louisiana State Museum Historical Center Collections - Old Mint, French Translations, May 1759-Dec 24 1761, #7436, Declaration and Protest of Sr. Antoine Philippe de Marigny de Mandeville, Lieutenant of the Company of Mr. Derneville, Chevalier de St. Louis, le 5 mai 1759. 1194 Pour les détails complets de l’affaire du Texel et sur les échanges avec les Britanniques pendant la guerre de Sept Ans, voir : NASATIR et SHPALL, « The Texel Affair », p. 3-43; SURREY, The Commerce of Louisiana…, p. 458-433 et VILLIERS DU TERRAGE, Les dernières années..., p. 89-98. 1195 Balthasar Ricard de La Chevalleraye, chevalier de Villiers, arrivé en Louisiane en 1748. Commandant à La Balize entre 1754 et 1764. BRASSEAUX, France’s Forgotten Legion, Fichier numérique.

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Immédiatement, le cercle de Rochemore s’agite et accuse Bull d’être un espion. Selon

Reggio, Bull a déjà été prisonnier à La Nouvelle-Orléans dans le passé. Il le soupçonne

doublement en découvrant que Bull confère avec « quelqu’un de cette Colonie1196 ». Enfin,

Reggio ne croit pas le capitaine qui dit avoir vu le corsaire britannique responsable du

blocus du port (insinuant que ce n’est pas lui qui mène des raids sur les navires français).

Afin de contrer ces accusations, Kerlérec ordonne à l’enseigne en second La Lande de

chercher la commission et le passeport du capitaine. Toutefois, la rumeur veut que les

sieurs Lesassier1197 et Coue aient falsifié ces documents. Pour éclairer la question, Kerlérec

fait rassembler plusieurs officiers, incluant les sieurs de MacCarty, ancien commandant du

fort de Chartres au Pays des Illinois, et Louis de Trante [Trente]. Ces deux officiers

confirment que la traduction de Coue est conforme aux documents anglais originaux et que

Bull n’est pas un espion1198. Reggio décrit la suite :

quelle surprise pour le Publique en Général de voir ce Cap.e Bull Sortir de prison escorté par un aide major le S. Trudeaux et le S. Caüe Interprette et le faire entrer a Bord du Canot pour S’en retourner! quel murmure! Cet Anglois, notre Ennemis juré, paroit fouler aux pieds les fleurs de lïs, etant assis et ayant les pieds sur des tapis aux armes de notre Roy. le publique di-je qui regardoit cet homme comme un Espion et qui S’attendoit a le voir punir, Se recrie et s’ettend en propos de Toute Espece et ne doute pas qu’il ne retourne a bord de cette fregatte ou Corsaire rendre compte de notre faiblesse, miserre et division des deux chefs de cette Colonie, et que cette fregatte ayant toutes Ses connoissances ne S’empare de notre entré de port en nous privant de toutte esperance de Secours ne fut l’avant coureur d’une perte prochaine.1199

En effet, le gouverneur venait de libérer Bull, qui se dirigeait maintenant à son navire à

La Balize. Un revirement soudain a lieu, toutefois, lorsque le gouverneur se fait critiquer

par ses officiers pour avoir laissé échapper un ennemi. Ce n’est qu’après de fortes

remontrances de la part des officiers fidèles à Rochemore que Kerlérec fait chercher

l’Anglais à nouveau. Reggio confisque encore une fois le navire de Bull, ramenant le

capitaine anglais avec lui à La Nouvelle-Orléans. Curieusement, à son arrivée, Reggio se

1196 ANOM, Colonies, C13A 41, F°368v. De Reggio au Ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 14 octobre 1759. 1197 Possiblement Charles Le Sassier, officier de milice et futur membre du Conseil supérieur de la Louisiane. BRASSEAUX, France’s Forgotten Legion, Fichier numérique. 1198 Louisiana State Museum Historical Center Collections - Old Mint, French Translations, May 1759-Dec 24 1761, #7470, 57190, Report of Special Meeting, le 5 juillet 1759. 1199 ANOM, Colonies, C13A 41, F°369. De Reggio au Ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 14 octobre 1759.

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fait dire que le gouverneur ne veut plus « se mêler de cette affaire1200 », confiant plutôt le

dossier à l’ordonnateur. Démontrant plus de zèle dans cette supposée chasse aux espions,

l’ordonnateur condamne le sieur Bull à « perdre son batiment et carguaison1201 ».

Dernier rebondissement étrange dans cette affaire : convoquant trois jours à l’avance

« une assemblée de populasse pour le dimanche après la grande messe1202 », le gouverneur

déclare que la saisie menée par l’ordonnateur est nulle. Toujours selon le témoignage de

Reggio :

Sur la Gallerie de M.r Le Gouverneur, il fit lui même la lecture de ce papier qu’il Se fit presenter par un Cap.e de milice de la part du peuple, et alors il leurs demanda à haute voix, vous demandé mes enfans, que les parlementaires ayent l’entrée du port libre, et qu’ils fasse leurs vente tranquillement; le peuple ne répondant rien, il repondit lui-même, oüi mes Enfans, je vous l’accorde. vive Le Roy. L’assemblé finit par plusieurs signature d’une piece, que personne nu pû savoir ce qu’elle contenoit, et sans Egard aux ordonnances du Roi il écrivit a M.r L’ordonnateur qu’il jugait a propos par des raisons a lui connu, dont il rendroit compte au Roi, de donner main levés au Susd.t Boul[.]1203

Après ces deux cas, on peut se demander : la chasse aux espions en Louisiane est-elle

légitime? Certainement : les Britanniques ne connaissent toujours pas la véritable entrée au

Mississippi (s’agit-il de La Nouvelle-Orléans ou bien du lac Pontchartrain?). Mais Arias et

Bull sont-ils véritablement des espions? Difficile de conclure au juste. Néanmoins, il n’y a

nul doute que certains membres du gouvernement de la Louisiane cherchent des prétextes

pour justifier leur gain personnel et critiquer leurs adversaires politiques en

instrumentalisant les accusations d’espionnage à leurs fins1204.

CONCLUSION Espions, traîtres et collaborateurs : autant d’agents qui peuvent faire passer de l’information

d’un camp à l’autre. Mais est-ce que ces collaborations ont un effet significatif sur le

dénouement de la guerre? Il semble que non. Pour reprendre la conclusion de Genêt au

sujet des espions :

1200 Ibid., F°369v. 1201 Ibid. 1202 Ibid. 1203 Ibid., F°370. 1204 Pour l’histoire complete du Trois Frères, voir VILLIERS DU TERRAGE, Les dernières années..., p. 98-101.

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Cette étude a montré que l’action secrète ne décide pas de tout. Elle n’entraîne pas de bouleversements majeurs mais au contraire, s’inscrit dans une pratique tout à fait ordinaire (et parfois infructueuse) des armées. Loin d’incarner une image romanesque, l’espion joue un jeu dangereux mais somme toute habituel et ce dans tous les camps. Il est une arme d’une efficacité inégale, parfois utilisée en interne quand les informations qu’il peut découvrir servent les intérêts d’une partie dans un conflit de pouvoir.1205

En effet, les informations fournies par les collaborateurs semblent routinières. Il n’y a

jamais de pièce de renseignement qui mène à un grand coup d’éclat1206. Au contraire, ce

qui semble faire plus d’effet est moins la présence des espions que la simple suspicion

qu’ils existent : celle-ci cause amplement de dommages en semant la chicane au sein de

l’état-major en Louisiane, en causant l’instrumentalisation des accusations pour se

débarrasser d’indésirables, ou en menant à des arrestations accidentelles, par honnête

erreur.

En effet, il y a tout de même une zone grise entre « espion » et « traître ». Pour

pasticher Le loup devenu berger de La Fontaine, il faut se méfier d’être trop libéral avec les

accusations de trahison : plusieurs collaborateurs sont plutôt des brebis en peau de loup.

Ces « espions » sont souvent des habitants qui n’ont guère eu le choix de collaborer,

instrumentalisés par les deux côtés. La misère en pousse plus d’un à devenir

collaborateur1207.

De ceux qui ont collaboré plus librement, au point de mériter le titre de « traître », il

semblerait qu’il s’agit le plus souvent de gens qui ne sont pas nés dans la colonie :

Barthélemy Martin est Marseillais, Jean-Marc Bouliane est suisse, Thomas Pichon est né au

Calvados… Mais au-delà des origines, c’est d’abord et avant tout le caractère du traître qui

le mène à agir comme tel. Comme conclut la fable, « Quiconque est Loup, agisse en Loup;

C’est plus certain de beaucoup1208 ».

Il ne faut pas oublier non plus que les alliances sont fragilisées tant en temps de guerre

que pendant les changements de régimes. Par exemple, si Jacques Mathieu et Sophie

1205 GENÊT, Les espions des Lumières, p. 477. 1206 Remarque, les informations relevées par les espions servent toujours de nos jours. En 2018, l’archéologue Jonathan Fowler de la Saint Mary’s University se servait d’une carte d’un espion français pour retrouver l’emplacement de l’ancienne palissade de Halifax. Meghan GROFF, « How a French spy’s map could help archaeologists find Halifax’s early defences », HalifaxToday.ca, le 13 novembre 2018. 1207 MACLEOD, « Treason at Quebec », p. 57-58. 1208 LA FONTAINE et D’ÉGLY, Fables choisies, p. 93-94.

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Imbeault rappellent que « l’Angleterre a intégré des croix de Saint-Louis à son

administration, en passant par-dessus des préjugés défavorables, alors que la France, qui

avait décerné ces mêmes croix, n’a pas su les accueillir après la cession de leur

colonie1209 », l’intégration des croix de Saint-Louis au nouveau régime ne sera pas rapide :

la peur de l’espionnage ne se termine pas avec la guerre. Même après que le Traité de Paris

soit enfin signé, scellant le sort du Canada, l’administration britannique continuera de se

méfier pendant plusieurs années des vétérans canadiens. Plusieurs officiers seront la cible

de soupçons, principalement ceux qui ne seront pas encore revenus des marges de la

colonie. L’exemple le plus probant est celui de Louis Liénard de Beaujeu, accidentellement

exilé au Pays des Illinois pendant huit ans. Il sera une des cibles des suspicions de la

nouvelle administration britannique qui le croit un espion pour les Espagnols en

Louisiane1210. La Révolution américaine sera l’occasion parfaite pour faire ses preuves de

fidélité alors que les événements pousseront les divers vétérans canadiens à s’aligner avec

leur gouvernement local1211.

1209 MATHIEU et IMBEAULT, La guerre des Canadiens…, p. 208. 1210 Voir GAGNÉ, Inconquis, p. 131-151. 1211 Donald CHAPUT, « Treason or Loyalty? Frontier French in the American Revolution », Journal of the Illinois State Historical Society (1908-1984), Vol. 71, No. 4 (novembre 1978), p. 247-251.

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CHAPITRE 6

MENTIR COMME UN DIABLE : MENSONGES, RUMEURS ET DÉSINFORMATION

INTRODUCTION : TROMPER ET EMPÊCHER DE SE FAIRE TROMPER Le 7 septembre 1760, soit la veille de la capitulation de Montréal, le chevalier de Lévis—le

successeur à la tête de l’armée du marquis de Montcalm tué l’année précédente à la bataille

des plaines d’Abraham—fulmine devant le refus du gouverneur Vaudreuil de lui permettre

de mener un dernier combat contre Jefferey Amherst, le commandant en chef de l’armée

britannique en Amérique. Malgré la défaite assurée de ses quelque 2 000 combattants dans

la ville contre environ 17 000 Britanniques, Lévis veut préserver l’honneur de son armée en

combattant jusqu’à la mort si nécessaire1212. Face à la résolution de son gouverneur qui

préfère conserver des vies civiles plutôt que son honneur, Lévis se voit obligé de se rendre.

L’armée est doublement humiliée lorsqu’Amherst lui refuse les honneurs de la guerre,

imputant directement à l’état-major le comportement de ses alliés autochtones au fort

William Henry1213. Insulté, Lévis va préférer brûler ses drapeaux plutôt que de les rendre à

l’adversaire. Son geste est noté à quelques reprises dans les sources françaises, la première

dans son journal1214. Toutefois, cet acte osé sera dissimulé des Britanniques. Deux jours

plus tard, Amherst note dans son journal la rancune de Lévis qui ne s’est pas joint à lui et

au gouverneur Vaudreuil pour diner. De plus, bien que les Français aient déposé leurs

armes de manière satisfaisante, Amherst ne peut s’empêcher de remarquer l’absence de

1212 « [J]e pense qu’il faudra nous défendre pied à pied, et nous battre jusqu’à extinction. Il sera encore, s’il le faut, plus avantageux pour le service du Roi que nous périssions les armes à la main que de souffrir une capitulation aussi honteuse que celle de l’Ile Royale. » Lévis à Belle-Isle. Le 17 mai 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 222. 1213 Douglas R. CUBBISON, All Canada in the Hands of the British: General Jeffery Amherst and the 1760 Campaign to Conquer New France, Norman, University of Oklahoma Press, 2014, p. 204. 1214 Lévis écrit le 8 septembre 1760 : « M. le chevalier de Lévis voyant avec douleur que rien ne pouvait faire changer la détermination de M. le marquis de Vaudreuil, voulant épargner aux troupes une partie de l’humiliation qu’elles allaient subir, leur ordonna de brûler leurs drapeaux pour se soustraire à la dure condition de les remettre aux ennemis. » LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 232. Voir aussi « Relation de la suite de la campagne de 1760, depuis le 1er juin jusqu’à l’embarquement des troupes pour la France ». Non signé, dans H. R. CASGRAIN (dir.), Relations et journaux de différentes expéditions faites durant les années 1755-56-57-58-59-60, Québec, L.-J. Demers & Frères, 1895, p. 260 et ALEYRAC, Aventures militaires…, p. 83.

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leurs drapeaux. Plus tard, dans une lettre à William Pitt, il écrit : « the Marquis de

Vaudreuil, Generals, and the Commanding Officers of the Reg.ts, giving their words of

honour, that the Battalions had not any Colours; they had brought them six years ago with

them, they were torn to Pieces, and finding them troublesome in this Country, they had

destroyed them…1215 ». Dans son journal, toutefois, Amherst laisse transparaître ses doutes

initiaux : « I made all the enquiry I could about this. It would be so scandalous for them to

hide them after what they have said that I must believe them1216. » En fin de compte, si la

guerre en Amérique avait débuté avec un mensonge sur les intentions cachées de la Grande-

Bretagne, elle se termine aussi avec un autre mensonge pour protéger l’honneur de la

France.

Que penser du fait que Lévis ait clairement menti à Amherst? Après tout, la mémoire

populaire a développé au fil des années une image caricaturale de la guerre en dentelles au

XVIIIe siècle où la notion d’honneur atteint son paroxysme, où les règles de guerre entre

gentilshommes prônent une rigueur morale frisant le ridicule1217. Cette idée est tellement

répandue que même l’incident des drapeaux de Lévis est remis en question par certains

vulgarisateurs d’histoire1218. En réalité, toutefois, le mensonge, la ruse, le subterfuge, bref,

la désinformation font bel et bien partie des armes psychologiques dont disposent les

officiers des Lumières pour mener à bien leurs devoirs, sans oublier que les Autochtones se

servent également depuis longtemps de la désinformation comme outil de dissuasion ou de

défense1219.

1215 « General Amherst to Pitt. Quebec, October 4th 1760 », dans Gertrude Selwyn KIMBALL (dir.), Correspondence of William Pitt when Secretary of State with Colonial Governors and Military and Naval Commissioners in America. Volume 2, New York, The Macmillan Company, 1906, p. 335. 1216 AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 248. L’histoire des drapeaux se fait parler d’elle entre les officiers britanniques, comme John Knox qui commente : « If we may rely on their word, this must be since the memorable 13th of September, […] because it is notorious they had their colours that day in the field; […] they were a white silk flag, with three fleur de lys, within a wearth or circlet, in the center part, and two tassels at the spear-end, all of gold. » KNOX, An Historical Journal… Vol. 2, p. 441. 1217 Il ne s’agit que de penser au « remake » du film Fanfan la Tulipe (2003). 1218 Voir par exemple la baladodiffusion de Jean-François BLAIS, « Lévis a-t-il réellement brûlé ses drapeaux sur l’Île Sainte-Hélène? », 104 histoires de Nouvelle-France, 4 mai 2009. [ En ligne : http://104histoires.com/019-lvis-atil-rellement-brl-ses-drapeaux-sur-lle-saintehlne ] Consulté le 1er février 2018. 1219 Par exemple, pendant les guerres franco-iroquoises, les Iroquois se sont servis de désinformation pour se protéger de raids ennemis. Fortin, Stratèges, diplomates et espions..., p. 214.

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La désinformation, toutefois, ne provient pas toujours de mensonges créés par exprès et

de manière réfléchie pour nuire à l’ennemi. A beau essayé de contrôler l’information qui

veut, les rumeurs sont souvent les premières à déjouer les efforts de renseignement ou à

devancer les tentatives de tromper l’ennemi. Les craintes de la population amplifient les

bruits qui courent, trouvant leur plus grande traction dans « [l]’imagination collective1220 ».

Bien que l’adversaire puisse certainement profiter de ce terreau fertile pour implanter une

graine de désinformation, de nombreuses rumeurs naissent spontanément et prolifèrent en

période de stress social.

Ce chapitre porte sur la circulation de telles faussetés, tant forgées que spontanées1221.

Vu la ténacité de l’image de la guerre en dentelles dans la mémoire populaire, un détour

s’imposera d’abord par la perception du mensonge et de son utilisation chez l’élite

militaire. Après tout, comme le soulève l’historien Jean-Pierre Cavaillé :

Le mensonge politique, le recours massif du mensonge dans la diplomatie, pour conduire la guerre mais d’abord pour gouverner, est un problème quasi obsessionnel dans les lettres entre [le] XVIe et XVIIIe siècle, alors qu’il n’en est plus un aujourd’hui, et depuis longtemps, même si rien n’est plus courant que la dénonciation du recours au mensonge dans la vie politique.1222

La section suivante sera une exploration de la rumeur et des problèmes qui en découlent,

notamment des efforts de l’état-major pour estomper celles qui nourrissent le

mécontentement populaire. Par ailleurs, si d’une part l’administration cherche à contrôler la

rumeur, de l’autre, elle se plaît à implanter ses propres désinformations : s’ensuit donc une

discussion sur la propagande et de son utilisation dans la guerre psychologique, portant

principalement sur la réputation violente des Autochtones. Cette dernière, comme il sera

démontré, est maniée tant contre les Britanniques que par ceux-ci contre les Français.

Enfin, ce tour de table sur la désinformation portera un regard sur un élément rarement

abordé dans les études sur la guerre de Sept Ans : la religion. Comme on le sait bien, la

1220 Jean DELUMEAU, La peur en Occident (XIVe -XVIIIe siècles) : une cité assiégée, Paris, Fayard, 1978, p. 171. 1221 Sur le mensonge au XVIIIe siècle, voir entre autres Jon R SNYDER, Dissimulation and the Culture of Secrecy in Early Modern Europe, Berkeley, University of California Press, 2012, 312 p.; Perez ZAGORIN, Ways of Lying: Dissimulation, Persecution and Conformity in Early Modern Europe, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1990, 337 p. et Toon VAN HOUDT et al., On the Edge of Truth and Honesty: Principles and Strategies of Fraud and Deceit in the Early Modern Period, Leiden, Brill, 2002. 292 p. 1222 Jean-Pierre CAVAILLÉ, « Mensonge et politique au début de l’âge moderne », Les Dossiers du Groupe de Recherches Interdisciplinaires sur l’Histoire du Littéraire, 2000. [ En ligne : http://dossiersgrihl.revues.org/5936 ] Consulté le 15 février 2017.

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religion de l’un est la superstition de l’autre : alors que les Français vont se plaire à

critiquer la dépendance de leurs alliés autochtones envers ce qu’on peut appeler ici le

« renseignement ésotérique », ceci ne les empêche pas d’en faire autant à travers le

catholicisme et la superstition populaire. Dans les deux cas, les « informations » glanées du

surnaturel sont perçues comme étant plus utiles qu’elles ne le sont en réalité.

6.1 MENSONGES ET SUBTERFUGES AU XVIIIe SIÈCLE La question du mensonge et de son atteinte à l’honneur au XVIIIe siècle n’a rien de nouveau.

L’exemple classique puisé de la mythologie nationale américaine est l’histoire bien connue

du jeune George Washington, âgé de six ans, qui aurait confessé à son père avoir coupé un

cerisier avec une hachette reçue en cadeau. Le courroux du père se serait adouci devant

l’honnêteté de son fils, la morale de l’histoire étant donc qu’il vaut mieux dire la vérité que

mentir. Toutefois, cette histoire a été inventée de toute pièce : il s’agit en réalité d’une

fabulation insérée dans la cinquième édition (1806) d’une biographie de Washington écrite

par Mason Locke Weems. À l’aide de cette invention parmi tant d’autres, Weems cherchait

à mouler la mémoire populaire du premier président des États-Unis pour en former un

modèle pour la jeunesse du XIXe siècle1223. Bien entendu, même si le fait que cette histoire

ait été inventée, diffusée et bien ancrée dans l’imagination américaine en dit plus sur la

société des XIXe et XXe siècles que sur celle du XVIIIe1224, rien n’empêche qu’elle a contribué

à mouler l’image que se fait la mémoire populaire de l’honneur pendant les Lumières.

Alors, est-ce que mentir est nécessairement manquer à l’honneur? Autrement dit, le

mensonge est-il un tabou devant l’honneur de la noblesse d’épée? Pour répondre, il faut

d’abord se demander, qu’est-ce que l’honneur? Dans son Essai sur la science de la guerre,

Jean-Baptiste-Joseph Damarzit de Sahuguet d’Espagnac consacre un chapitre entier—le

premier, de surcroît—à cette question : « Le terme d’honneur est une expression vague, à

laquelle l’usage a donné plusieurs sens différents. » En effet, il s’agit d’une vaste question

dans laquelle les auteurs de la littérature normative du XVIIIe siècle se perdent. On s’en tient

1223 Jay RICHARDSON. « Cherry Tree Myth », Mount Vernon. [ En ligne : http://www.mountvernon.org/digital-encyclopedia/article/cherry-tree-myth/http:/www.mountvernon.org/digital-encyclopedia/article/cherry-tree-myth/ ] Consulté le mardi 20 février 2018. 1224 Sans oublier qu’elle est régulièrement ressuscitée pour rappeler à chaque nouveau président l’importance de l’honnêteté...

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donc, pour simplifier, à cette extrait d’Espagnac : « L’honneur consiste dans la pratique

constante de la vertu1225 ». Le mensonge devrait-il être vu comme un manque à la vertu,

alors? Ou bien peut-il parfois être considéré comme une vertu selon son utilisation?

Cavaillé rappelle que ces deux adages se contredisent : d’un côté, « La bouche qui ment,

tue l’âme », mais de l’autre, « Qui ne sait dissimuler ne sait régner »1226. En réalité, les

notions de « vérité » et de « mensonge » perdent leur définition absolue pendant le siècle

des Lumières et font dorénavant l’objet d’une plus grande nuance. Par exemple, le

philosophe et juriste Emer de Vattel note : « On n’appelle mensonges que les discours

qu’un homme tient contre sa pensée, dans les occasions où il est obligé de dire la vérité; et

on réserve un autre nom, en latin, falsiloquium, pour les discours faux, tenus à [des] gens

qui, dans le cas particulier, n’ont aucun droit d’exiger qu’on leur dise la vérité1227. » En ce

qui concerne mentir à son adversaire, il écrit : « On doit encore dire la vérité à l’ennemi

dans toutes occasions où l’on s’y trouve naturellement obligé par les lois de l’humanité,

c’est-à-dire lorsque le succès de nos armes et nos devoirs envers nous-mêmes ne sont point

en conflit avec les devoirs communs de l’humanité, et n’en suspendent pas la force et

l’exercice dans le cas présent1228. » Vattel, en somme, signale que d’une part le mensonge

est répréhensible s’il est utilisé, par exemple, dans les traités entre combattants (à quoi bon

les promesses alors?), mais qu’à l’inverse, le mensonge peut servir de stratagème utile en

guerre, qu’il s’agisse entre autres de la ruse, de l’utilisation d’espions, de déguisements ou

de semer une désinformation à son avantage. Un petit bémol s’impose toutefois, puisque le

philosophe souligne qu’une victoire sans l’aide du mensonge a plus de mérite et s’en trouve

encore plus glorieuse. Encore faut-il que cette utilisation ne soit pas, comme il dit,

« perfide ». Son exemple à ce sujet est celui de se servir en mer de drapeaux pour signaler

sa détresse auprès d’un ennemi qui, altruiste, viendrait à son secours, mais qui en guise de

remerciements se ferait surprendre et attaquer par la suite. La nuance repose donc sur le fait

qu’il ne faut pas utiliser le mensonge pour abuser des bonnes intentions de l’ennemi.

1225 ESPAGNAC, Essai sur la science de la guerre... Vol. 1, p. 1. 1226 CAVAILLÉ, « Mensonge et politique… ». 1227 Emer de VATTEL (Édité par M. P. PRADIER-FODÉRÉ), Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et des souverains. Vol. 3, Paris, Librairie de Guillaumin et Cie, 1863, p. 54. 1228 Ibid.

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Malgré cet exemple souligné par le philosophe, il y a tout de même une dissonance

entre la théorie et la pratique : les sources d’époque regorgent d’exemples de navires

utilisant justement cette tactique. Sur mer, les navires français peuvent se servir de

drapeaux britanniques ou de puissances neutres (comme le pavillon hollandais) pour

dissimuler leur identité. À son tour, la flotte britannique se sert aussi à l’occasion du

« French Jack » en espérant leurrer des vaisseaux français. Amherst lui-même atteste de ce

fait lorsqu’il traverse l’Atlantique en 17581229. Le leurre est si répandu que les vaisseaux

d’une même nation se méfient les uns des autres avant de confirmer leurs identités

réelles1230. Une série d’instructions à cet effet est publiée par le Secrétaire d’État à la

Marine et remise aux capitaines de navires français. Celle-ci énumère les drapeaux à

présenter selon la direction du navire, le jour de la semaine, ainsi que les signaux lumineux

(« avec des feux ou des fusées1231 ») et les réponses verbales à donner s’il fait nuit. Les

instructions changent annuellement pour réduire le risque qu’elles ne soient utilisées par

l’ennemi. D’ailleurs, à la fin des instructions, on souligne expressément (italiques dans

l’original) : « Les Capitaines tiendront ces signaux sous la clef, dans une boîte de plomb,

pour les jeter à la mer s’ils venoient à être pris1232. » Si l’utilisation de faux drapeaux est

bien documentée pour les navires de guerre, aucune source consultée jusqu’ici ne témoigne

d’une tactique semblable sur terre. Néanmoins, il y a raison de croire qu’elle soit utilisée :

par exemple, à l’été 1759, le garde-magasin du fort de la Presqu’île vend une aune et demie

(1,773 mètres) de taffetas rouge pour « faire un Pavillon anglois1233 ». On peut facilement

1229 AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 41-42. 1230 À l’inverse, il faut se méfier sur qui on tire, comme l’illustre le récit de l’ex-esclave Olaudah Equiano. Vu la rareté des témoignages d’esclaves pendant la guerre de Sept Ans, nous jugeons à propos de le citer : « One evening, off the Havre de Grace, just as it was growing dark, we were standing off shore, and met with a fine French built frigate. We got all things immediately ready for fighting; and I now expected I should be gratified in seeing an engagement, which I had so long wished for in vain. But the very moment the word of command was given to fire, we heard those on board the other ship cry, ‘Haul down the jib;’ and in that instant she hoisted English colors. There was instantly with us an amazing cry of —’Avast!’ or stop firing; and I think one or two guns had been let off, but happily they did no mischief. We had hailed them several times, but they not hearing, we received no answer, which was the cause of our firing. » L’auteur de ces lignes est également présent à la prise de Louisbourg. Olaudah EQUIANO, The life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African. Written by Himself, Boston, Isaac Knapp, 1837, p. 66. 1231 Montcalm fait d’ailleurs l’éloge de la « façon ingénieuse de se faire entendre » par la Marine. MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 46. 1232 Historic New Orleans Collections, MSS 184, Journal de Navigation de la Frégate du Roy L’Opale, Signaux de Reconnoissance, pour servir à tous les Vaisseaux du Roi, Pendant l’année 1757. 1233 AN, Sections anciennes, V7 346, F°253v.

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soupçonner la raison du besoin d’avoir un pavillon ennemi… D’ailleurs, Bougainville

relate l’histoire amusante d’une telle « ruse » déjouée par un parti de guerriers autochtones :

« Aujourd’hui nos Sauvages avaient cru voir un pavillon blanc sur une montagne à quelque

distance du portage. Ils ont pensé que ce pouvait être une ruse des ennemis et y ont marché

en forces au nombre de cinq ou six cents. Ce pavillon était une pierre blanche1234. » Moins

amusant est le cas d’un malentendu meurtrier rapporté par Pouchot, survenu pendant la

bataille de Carillon :

M.de Bassignac, capitaine de Royal-Roussillon, pour s’amuser, mit son mouchoir qui était rouge, au bout de son fusil, et s’en servait pour faire signe aux ennemis d’avancer. La tête de la colonne ennemie, qui était vis-à-vis Guyenne, voyant cette espece de drapeau, imagina que c’était un drapeau parlementaire, et que nous avions envie de nous rendre. Fort contens d’être débarrassés de la position où ils se trouvaient, les ennemis partent en courant pour venir au retranchement, tenant leur fusil haut en travers à deux mains, et criant, quarter. Nos soldats qui ne savaient pas l’aventure du mouchoir, crurent qu’ils venaient pour se rendre, montent tous debout sur le retranchement avec leurs armes, pour les voir arriver. Cela occasionna une courte cessation de feu.1235

Pouchot, réalisant l’erreur, rappelle ses hommes à l’ordre, ce qui entraîna au moins deux ou

trois centaines de Britanniques touchés par la volée française. L’erreur sera perçue par

l’ennemi comme étant une ruse odieuse : « Ils nous ont depuis reproché de leur avoir fait

une supercherie impardonnable1236. »

Il est surprenant de voir la facilité avec laquelle d’autres feintes peuvent avoir effet.

Malartic relate dans son journal en juin 1760 ce qui est sans doute l’aventure la plus

chanceuse d’un soldat en particulier : « Un parti anglois a brûlé, il y a deux jours, quelques

maisons à Sainte-Thérèse, et a emmené vingt hommes prisonniers. Un grenadier du

régiment de la Reine, qui étoit dans le bois, a mis en fuite ledit parti en criant : “Avançons,

camarades!”1237 » Outre cette histoire digne d’un Fanfan La Tulipe, l’état-major cherche à

faire des feintes semblables, qu’il s’agisse de Vaudreuil divisant une partie de son armée

pour faire croire aux Britanniques qu’il va attaquer le lac George alors qu’il assiégera plutôt

Oswego, ou bien Wolfe qui déjoue Montcalm le 13 septembre 1759 en lui faisant croire

1234 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 211. 1235 POUCHOT, Mémoires..., p. 73. 1236 Ibid., p. 74. 1237 MALARTIC, Journal des Campagnes au Canada…, p. 334-335.

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qu’il allait tenter une nouvelle descente sur Beauport. En somme, ces histoires ne sont que

quelques exemples parmi tant d’autres des ruses tactiques utilisées pendant cette guerre.

Le mensonge ne sert pas qu’à tromper l’ennemi, comme le démontre le philosophe

Samuel von Pufendorf, dont la réédition de son œuvre, publiée à l’origine au XVIIe siècle,

perpétue sa place dans la prise de conscience et l’évolution de la pensée sur le droit naturel

de l’homme. Comme Vattel, il nuance ce qu’on peut considérer être un mensonge :

LE […] MENSONGE, au contraire [de la Vérité], consiste à s’exprimer, de propos délibéré, d’une maniere qui ne réponde pas à ce que l’on a dans l’esprit, quoique celui à qui l’on parle ait droit de connoître nos pensées, & que l’on soit obligé de lui en fournir les moyens, autant qu’il dépend de nous.

D’où il paroît, pour le dire en passant, que l’on ne ment pas toutes les fois qu’on parle, même de propos délibéré, d’une manière qui n’est pas conforme ou aux choses, ou à nos propres pensées, & qu’ainsi la Vérité Logique, qui consiste dans une simple conformité de paroles avec les choses, ne répond pas toûjours à la Vérité Morale.1238

Pufendorf inclut de plus une discussion sur les « Fictions innocentes » utiles à la guerre : un

général est encouragé de mentir « pour relever le courage abbattu des Soldats ou d’autres

gens effrayez; […] pour cacher les secrets de l’Etat; pour empêcher qu’on n’ait le vent de

certaines entreprises dont il importe de dérober la connoissance au Public […]; pour

tromper par quelque stratagême un Ennemi contre qui l’on a plein droit d’agir à force

ouverte […]1239 ». Voltaire aussi a son mot à dire : « Le mensonge n’est un vice que quand

il fait du mal; c’est une très grande vertu, quand il fait du bien. Soyez donc plus vertueux

que jamais. Il faut mentir comme un diable, non pas timidement, non pas pour un temps,

mais hardiment et toujours1240. » Rien n’illustre aussi bien ce fait en Nouvelle-France que

Montcalm qui essaie tant bien que mal de cacher à la population la véritable situation

désespérée de la colonie1241. Pour paraphraser Louise Dechêne, l’importance est surtout de

donner au peuple l’impression que l’administration partage les nouvelles au fur et à

1238 Samuel von PUFENDORF, Les devoirs de l’homme et du citoyen, tels qu’ils lui sont prescrits par la loi naturelle. Tome premier, Trévoux, Imprimerie de S. Altesse Serenissime, 1741, p. 284-287. 1239 Ibid. 1240 Lettre à Thiriot, 21 octobre 1736 de François Marie Arouet, dit Voltaire, dans VOLTAIRE, Œuvres complètes de Voltaire. 34. Correspondances II. Années 1736-1738, Paris, Garnier Frères, 1880, p. 453. 1241 « Il est inutile d’apprendre aux simples habitants que les Anglais ont au moins six fois plus de troupes que nous, et qu’ils peuvent envahir le Canada par quatre côtés. » Italiques dans l’original. MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 421.

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mesure1242. En réalité, toutefois, l’état-major fait souvent appel au mensonge pour

maintenir le moral des troupes. Par exemple, après la capitulation de Québec, celui-ci ment

par omission aux détachements éloignés de la ville en leur cachant pendant quelques jours

le dénouement du siège1243.

Au-delà des philosophes des Lumières qui débattent le mérite ou le préjudice du

mensonge, les théoriciens militaires instruisent les officiers de l’utilisation de la

désinformation. Par exemple, Turpin de Crissé suggère—faute d’espions pour tromper

l’ennemi—d’envoyer de fausses lettres entre officiers par les voies moins sécuritaires.

Ainsi, une lettre interceptée pourra induire l’ennemi en erreur avec son contenu fabulé1244.

L’exemple sans doute le plus important a lieu en janvier 1755 alors que le ministre français

des Affaires étrangères, Antoine-Louis Rouillé, croit avoir acheté d’un espion une copie des

instructions remises à Braddock. En réalité, le précis qu’il reçoit est un faux devant faire

croire à Versailles que les intentions militaires britanniques sont simplement et uniquement

défensives. La bataille de la Monongahela qui aura lieu quelque mois plus tard fera éclater

la vérité au grand jour1245.

Bien entendu, les mensonges ne remplissent pas toujours le but de leurs auteurs. Par

exemple, les capitaines de milice vont tenter de tromper Murray sur les positions françaises,

mais celui-ci est trop bien informé par ses propres agents pour se laisser duper1246. Parmi

les subterfuges les plus souvent déjoués sont les nombreuses tentatives de s’informer sur

l’ennemi sous la guise d’échanges de messages. Par exemple, à la fin de juin 1758, soit

quelques jours avant la bataille de Carillon, le sieur Wolff est accompagné par une

vingtaine d’hommes pour aller porter des lettres de Vaudreuil à Abercromby afin de régler

des questions sur la capitulation du fort William Henry et d’échanger des prisonniers.

L’officier britannique n’est pas dupe pour autant et interdit au sieur Wolff de retourner

1242 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 435. 1243 Nicolas RENAUD D’AVÈNE DES MÉLOIZES, « Journal militaire tenu par Nicolas Renaud d’Avène Des Méloizes, Cher, seigneur de Neuville au Canada [du 19 juillet au 30 octobre 1756 et du 8 mai au 21 novembre 1759] », RAPQ 1928-1929, Québec, Rédempti Paradis, 1929, p. 76. Note : cette référence fut trouvée dans DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 645, note 23; celle-ci comporte une coquille, faisant référence à la page 78 au lieu de 76. 1244 TURPIN DE CRISSÉ, Essai sur l’art de la guerre. Tome 1, p. 242-243. 1245 BAUGH, The Global..., p. 106. 1246 MACLEOD, « Treason at Quebec », p. 55.

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immédiatement à son camp. Ceci, de concert avec les informations recueillies chez les

prisonniers, éveille chez l’état-major français le soupçon qu’une attaque est imminente. En

effet, le messager Wolff ne revient que le 10 juillet, deux jours après le désastreux assaut

britannique contre Carillon1247. Un autre épisode pendant la campagne de Québec, survenu

le 4 juillet 1759, mérite d’être noté pour son côté absurde :

A une heure après midi, une berge anglaise se détache des vaisseaux, ayant à son pavillon derrière [sic], et pavillon français devant, ce qui fait juger qu’elle vient pour sommer la ville de se rendre. Elle arrive près de la ville et arrêtée par 2 ou 3 de nos carcassières, qui, n’ayant point reçu d’ordre du commandant de la place, lui ont demandé pourquoi elle venait. L’officier leur a dit qu’il apportait une lettre de son général à M. de Vaudreuil […] Comme ce sujet de députation nous a paru fort léger, il a été regardé comme un prétexte, dont se sont servis les Anglais pour examiner de près l’état de la place. Et en effet nos gens ont jugé qu’il y avait 3 ou 4 officiers ou ingénieurs sous l’habit de matelot et cela à leur physionomie et à la blancheur de leurs mains. Ce qui a donné lieu à M. le Mercier, pour user de représailles, de prendre avec lui 2 ou 3 capitaines de navire habillés en matelots pour mieux reconnaître la position de la flotte ennemie et son état. Une autre raison qui a persuadé que ce message n’était qu’un prétexte, c’est […] que par ce moyen ils se sont assurés que M. le général n’était point dans la ville, mais à Beauport, et que sans doute nos plus grandes forces étaient là.1248

Le comble de cette histoire est que la même tactique sera reprise immédiatement par les

Français « en représailles »! En somme, l’envoi d’officiers pour porter des messages chez

l’ennemi afin de s’en informer va atteindre son paroxysme alors que les Britanniques

infiltrent la vallée du Saint-Laurent et y maintiennent une présence entre 1759 et 17601249.

6.2 LES RUMEURS Contrairement au mensonge—une désinformation forgée—, la rumeur prend forme en

quelque sorte de manière organique et naturelle, créant sa propre réalité : provenant de

sources anonymes, elle véhicule le plus souvent des idées ou des sentiments contraires au

discours dominant1250. Pour qu’une rumeur se propage, peu importe sa véracité, il lui faut

un terreau fertile, un médium social. La propagation d’une rumeur n’est pas la somme d’un

1247 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 284 et LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 98-99 et p. 105. 1248 Jean-Félix RÉCHER, cité dans LACOURSIÈRE et QUIMPER, Québec ville assiégée..., p. 70-71. Voir aussi Le siège de Québec en 1759 par trois témoins, p. 76-77. 1249 Voir par exemple AMHERST, The Journal of Jeffery Amherst…, p. 140. 1250 Anjan GHOSH, « The Role of Rumour in History Writing », History Compass, Vol. 6, No. 5 (septembre 2008), p. 1235-1236.

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seul individu, mais d’un groupe, d’une « collection d’esprits au travail », d’une masse de

propagateurs de rumeurs, et pour ce faire, particulièrement si elle est fausse, une rumeur

doit s’aligner avec les craintes et les préjugés de la société1251. Ceci affecte également

l’état-major qui n’opère pas simplement à base de correspondance militaire séparée des

murmures populaires. Au contraire, loin d’être tout simplement ignorée ou carrément

rejetée automatiquement par l’administration, la rumeur est notée et devient une part non

négligeable de son renseignement. D’autre part, la rumeur est une source importante pour

les historiens aussi, comme le rappelle Tabetha Leigh Ewing : « Studying rumor is a

corrective to historical studies that focus exclusively on literate or bourgeois populations.

The orality of on-dits gives […] a certain social fluidity, but should not be placed in

necessary opposition to print so that we assume that the latter is intended for an educated

audience and the former a popular audience1252. » Pour l’historien, la rumeur—même si

elle se révèle fausse—peut éclairer et aider à comprendre à la fois la façon dont ceux qui la

véhiculent perçoivent leur monde et à discerner le clivage entre la perception des

colonisateurs et des colonisés1253. D’ailleurs, la rumeur ne fait pas que porter sur des

événements, mais peut aussi en créer1254, comme le démontrent les recherches de Gregory

Evans Dowd sur les rumeurs pendant la guerre de Sept Ans et la Révolution américaine1255.

Encore une fois, alors que les rumeurs circulent certainement dans les gazettes

européennes, il ne faut pas sous-estimer la part de l’oral dans leur transmission,

particulièrement en Nouvelle-France où il n’existe aucune presse1256. Comme le célèbre

auteur américain Mark Twain l’aurait dit : « Un mensonge peut voyager à mi-chemin

autour du monde dans le temps que la vérité ne mette ses souliers1257 ». Qu’il s’agisse

1251 DOWD, Groundless, p. 3. 1252 Tabetha Leigh EWING, Rumor, diplomacy and war in Enlightenment Paris, Oxford, Voltaire Foundation et Oxford University, 2014, p. 14-16. 1253 GHOSH, « The Role of Rumour… », p. 1237. 1254 Ibid., p. 1236. 1255 Voir Gregory Evans DOWD, « The Panic of 1751: The Significance of Rumors on the South Carolina-Cherokee Frontier », The William and Mary Quarterly, Vol. 53, No. 3 (juillet 1996), p. 527-560 et DOWD, Groundless, 391 p. 1256 Bien que Robert Darnton ait démontré que les nouvelles au XVIIIe siècle se distinguent à peine des commérages. Cité dans DOWD, Groundless, p. 300, note 8. 1257 « A lie can travel half way around the world while the truth is putting on its shoes. » Ironiquement, bien que cette maxime soit attribuée à l’auteur, l’extrait n’existe nulle part dans ses écrits! Garson O’TOOLE « A Lie Can Travel Halfway Around the World While the Truth Is Putting On Its Shoes », Blogue : Quote

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d’une Mme Bégon qui reçoit constamment des nouvelles du Pays d’en Haut et du lac

Champlain avant son départ pour la France en 17491258 ou bien d’un Beaujeu qui apprend à

Michilimackinac la capitulation de Montréal en 1760 par la bouche d’Autochtones avant

même l’arrivée d’une lettre officielle, le colportage de rumeurs et de nouvelles de manière

orale demeure le moyen le plus rapide par lequel circule l’information en Nouvelle-France.

Se propageant de bouche à oreille sur un relais parfois ininterrompu, ces informations

prennent de l’avance sur un contenu papier qui, le plus souvent, est confié à un seul

messager qui doit fréquemment s’arrêter en chemin entre autres pour se reposer. L’état-

major doit donc se méfier des rumeurs qui devancent les nouvelles officielles. Par exemple,

le chevalier de Lévis, stationné au lac Champlain en 1756, attend des nouvelles du siège

contre Chouaguen sur le lac Ontario. Les rumeurs du dénouement ne sont pas rares, mais il

s’en méfie au cas où elles seraient fausses, même s’il s’agit potentiellement de bonnes

nouvelles. En somme, que la société soit lettrée ou non (voir le chapitre 2), il en demeure

que le passage de voyageurs suscite l’intérêt immédiat et la curiosité des gens avides de

nouvelles et propage la rumeur comme un virus1259.

Même la déclaration de guerre, avant qu’elle ne devienne officielle, n’est d’abord

qu’une rumeur : avant le mois de mai 1756, le bruit court qu’elle ne tardera pas à éclater.

L’humeur politique européenne se fait sentir jusqu’en Louisiane. Dans une lettre à

l’intention de son beau-frère Vincent Guillaume Le Sénéchal Dauberbille, commissaire de

la Marine à La Nouvelle-Orléans, Augustin Seigne écrit à partir de Nantes : « Nous

sommes toujours dans l’inquietude de la guerre[.] [D’]un courier a l’autre, il y a guerre Et

paix, je vous assure que je ne suis point tranquil ainsy que bien d’autres1260 ». La lettre

mentionne également que la Marine se prépare à envoyer des vaisseaux au Canada. Dans la

vallée de l’Ohio, la rumeur circule depuis longtemps déjà. Par exemple, en 1753, les

Investigator, 13 juillet 2014. [ En ligne : http://quoteinvestigator.com/2014/07/13/truth/ ] Consulté le 2 février 2018. 1258 Dans le cas de Mme Bégon, elle répète souvent la formule « On dit... » appliquée aux dires de voyageurs qui arrivent d’aussi loin que Détroit. BÉGON, Lettres au cher fils, p. 140. 1259 DOWD, Groundless, p. 39. 1260 Tulane University, LaRC, Collection 600, Rosemonde E. & Emile Kuntz Collection, I. French colonial period, 1655-1768, Box 2. Augustin Seigne à Vincent Guillaume Le Sénéchal Dauberbille. À Nantes, le 16 avril 1756.

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Tsonnontouans (Sénécas) affirment que les Français sont déjà en guerre1261. Dans ce climat

politique tendu, la rumeur oblige l’état-major à être prêt à toute éventualité, comme en

témoigne un Duquesne qui peine à démêler le vrai du faux : « vous aurés trouvé Monsieur,

bien des changements dans mon projet; mais comme vous connoissés mieux qu’un autre ce

païs qui fourmille des circonstances inopinées par des Bruits qui se rependent trés souvent

sans nul fondement, mais qui cependant obligent celuy qui est responsable des Evenemens

a précautions pour se garantir de tout accident1262. »

Une fois déclarée, la guerre ne fait qu’aggraver le pullulement des rumeurs : On dit…

on dit…. Les « on dit » sont si répandus dans les sources que même Bougainville souligne

à quelques reprises dans son journal suivant une information : « mais c’est un “on

dit”1263 ». L’aide de camp est particulièrement cynique par rapport aux nouvelles

internationales : « Quelle foi ajouter à des on dit qui viennent de 1800 lieues?1264 » En effet,

si les rumeurs abondent dans la sphère locale, elles ont tout autant une emprise outre

Atlantique. Par exemple, un Rogers’ Ranger capturé au début de 1759 informe l’état-major

français que « les Hollandais se sont déclarés pour la France1265 ». Pourtant, il n’en est rien

en réalité1266. D’autres fois, les rumeurs portent directement sur les membres de l’état-

major, comme celle qui circule à l’hiver 1758-1759 comme quoi Montcalm serait mort

empoisonné1267.

Dans tous les cas, il est difficile de savoir si une rumeur est simplement une

déformation de nouvelles à l’image du jeu du téléphone arabe, ou s’il s’agit d’une

propagande concoctée exprès pour démoraliser les troupes, comme il en sera discuté dans la

prochaine section1268. En Europe comme en Amérique, ce que rapportent les racontars et

1261 Conseil tenu par des Tsonnontouans venus de la Belle-Rivière. Le 2 septembre 1753, dans GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 53-58. 1262 Duquesne à Contrecœur. À Montréal, le 3 mai 1753, dans Ibid., p. 36. 1263 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 134. Sur l’analyse des « on-dits » dans la sphère parisienne pendant la guerre de Succession d’Autriche, voir EWING, Rumor…, p. 19-43. 1264 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 138. 1265 LÉVIS, Le journal du Chevalier de Lévis, p. 127. 1266 Lire à ce sujet Alice Clare CARTER, « The Dutch as Neutrals in the Seven Years’ War », International and Comparative Law Quarterly, Vol. 12, No. 03 (1963), p. 818-834. 1267 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 410. 1268 Voici un autre exemple de nouvelles ambiguës tirées du journal de Pouchot : « Le 6 Mai [1757], un Sauvage Iroquois et un Anglais qui s’était domicilié parmi eux, vinrent à Niagara. Ils dirent à M. Pouchot que

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les commérages vient brouiller les plans de l’état-major. Comment éviter cela alors qu’une

information aussi simple que le nombre d’effectifs ennemis repose sur des avis

conflictuels1269? Comme l’observe Lee Kennett :

The size and composition of the enemy forces were matters of utmost importance, but estimates of enemy strength were always widely divergent for want of adequate information. It is not surprising that French generals in the field tended to prefer the larger figures while Versailles insisted on the smaller. In 1760 the court put the enemy forces at 30,000 to 40,000 men; the French commander [...] held them to be 70,000.1270

Si l’état-major peine déjà à séparer le vrai du faux, il doit de surcroit s’assurer de contrôler

l’effet de la rumeur sur son armée et sur la population civile. Comme le soulève Jean

Delumeau, la tâche n’est pas facile :

Impossible, s’agissant du moins de la civilisation préindustrielle, de séparer rumeurs et séditions, quelles qu’aient été les dimensions chronologiques et géographiques de celles-ci. […] Autrefois, […] il était difficile de désamorcer les rumeurs. Car elles obtenaient assez souvent créance à tous les niveaux de la société, y compris dans les sphères dirigeantes. Et, même si tel n’était pas le cas, les autorités ne disposaient ni des moyens d’information (journaux, radio, télévision) grâce auxquels on peut tenter d’apaiser une inquiétude collective par une sorte de « clinique de la rumeur », ni des moyens policiers suffisants pour empêcher les rassemblements et l’autoexcitation de la foule.1271

Tant bien que mal, l’état-major fait tout de même des efforts pour mitiger la panique et les

frustrations dues aux rumeurs. D’abord et avant tout, il se doit d’être vigilant et d’empêcher

que son armée ne se laisse embobiner par celles-ci. La rumeur peut pousser à la panique, la

désertion, la mutinerie et, à tout le moins, la démoralisation. S’il est frustrant de n’avoir

presque aucun témoignage écrit de la part de soldats français pendant cette guerre, les écrits

homologues du côté britannique peuvent éclairer à quoi peut ressembler ce climat de

rumeurs. Dans son journal pour l’année 1758, le soldat Amos Richardson laisse

transparaître sa fatigue des fausses rumeurs alors qu’il écrit au sujet du « Lie of the Day »,

le roi de France avait été tué, et que le roi de Prusse avait pris la reine d’Hongrie, quoiqu’il ne fût encore arrivé aucun vaisseau de France. Ce commandant [Pouchot] trouva ces nouvelles si extraordinaires qu’il crut devoir en faire part à M. de Vaudreuil. Il fut vérifié que le roi avait été blessé, et que la reine de Pologne avait été arrêtée par le roi de Prusse. » POUCHOT, Mémoires..., p. 55. 1269 Un exemple probant est le nombre de scalps que les guerriers rapportent, plus nombreux que le chiffre précis de morts : « c’est que d’une ils savent en faire deux et même trois. » MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 216. 1270 KENNETT, « French Military Intelligence... », p. 203. 1271 DELUMEAU, La peur en Occident, p. 171.

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avant d’écrire plus loin : « I went uppon Gard all Day and at Night I Came off: and Glad

was I: and there was a Grat [Great] Deal of Nues [News] more Then was True1272 ». Les

rumeurs s’aggravent avec la progression de la guerre. Si Montcalm et Bougainville se

plaisent déjà à écrire leurs commentaires sur la corruption de l’élite de la colonie en charge

d’approvisionner l’armée, les soldats en font pareillement de bouche à oreille : « Le

murmure, le mécontentement même sont extrêmes dans toute l’armée1273. » Au fort

Carillon seul, l’état-major doit dissiper les menaces de mutineries annuellement1274.

Parfois, l’état-major en vient même à correspondre avec l’adversaire pour dissiper des

rumeurs de conduite contraire aux règles de la guerre, source d’animosité dans son armée.

Par exemple, après la bataille de Sainte-Foy, un convoi de blessés français se fait

accidentellement tirer dessus par les Britanniques. Lévis, se doutant d’une bévue, se presse

d’écrire à Murray pour s’assurer du fait puisque ses troupes propagent déjà la rumeur que

les Britanniques sont de mauvaise foi et, de surcroît, déjà responsables pour la mort de

« prisonniers, qui ont été enfermés dans une maison où il y avoit de la poudre, qui a sauté ».

Sur cette histoire, le chevalier conclut sa lettre : « Je vous rends trop de justice, et à votre

nation, pour avoir ajouté foi un instant à un procédé si inhumain, dont j’ai déjà détruit

l’opinion qu’en avoit mon armée1275. » Murray confirmera que les deux incidents étaient

accidentels, tout en le remerciant d’avoir démontré du recul1276.

Ceux qui se permettent d’accepter les rumeurs trop facilement s’exposent d’ailleurs à la

punition. Au fort Saint-Jean, on célèbre prématurément une victoire française sur le lac

Ontario avant même d’en avoir eu la confirmation. Le 31 août 1756, alors que Lévis

cherche à s’informer des faits auprès du gouverneur, il mentionne que M. de Sacquespée

(Sacquepée) a ordonné des réjouissances : « Si cela n’est pas vrai, il mérite punition d’avoir

1272 Amos RICHARDSON, « Amos Richardson’s Journal, 1758 », The Bulletin of the Fort Ticonderoga Museum, Vol. 12, No. 4 (septembre 1968), p. 281. 1273 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 320. 1274 Sans oublier que l’évêque de Québec cherche de son côté à calmer les esprits mécontents en insistant que les denrées sont distribuées avec égalité « pour les riches comme pour les pauvres ». MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 74, p. 278, p. 407 et « Mandement [du 20 août 1757] qui ordonne de chanter un Te Deum en actions de grâce de la prise du fort George », dans H. TÊTU et C.-O. GAGNON (dir.), Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec, vol. 2, Québec, imprimerie Côté, 1888, p. 123. 1275 Lévis à Murray. Le 30 avril 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 296. 1276 Murray à Lévis. Le 30 avril 1760, dans Ibid., p. 297.

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porté ici une pareille nouvelle, que j’ai toujours beaucoup de peine à croire, puisque je ne

reçois rien de votre part qui me le confirme1277 ». Le lendemain, Lévis reçoit la

confirmation de la prise d’Oswego de la part du gouverneur et, à son tour, permet enfin de

« faire une réjouissance générale1278 ».

À l’inverse, il ne faut tout de même pas prendre la rumeur à la légère. Même en

Louisiane, on ne prend pas de risque avec les murmures d’une invasion prochaine : le

gouverneur Kerlérec, « Informé d’ailleurs depuis peu, par differents Sauvages que les

anglois se Vantoit de prendre la Nouvelle orléans par les hauts du fleuve1279 », fait fortifier

la ville en 1760. D’autre part, les conséquences les plus fréquentes des rumeurs prises au

sérieux sont les fausses alertes. À chaque fois qu’une rumeur circule au sujet de la présence

possible d’un détachement ennemi, l’armée doit forcément répondre. Il est coûteux et

fastidieux d’entreprendre ces opérations qui risquent souvent d’être un gaspillage de temps

et d’efforts. On tente donc de limiter le nombre de fausses alertes. Par exemple,

Bougainville écrit le 28 juillet 1758 : « [...] beaucoup de terreurs paniques dans les camps

avancés. En 1756 où les mêmes troupes occupaient les mêmes postes, on fut obligé d’y

établir un détachement de nos bataillons qu’on relevait tous les quatre jours pour mettre fin

aux fausses alarmes1280. » Néanmoins, peu importe le front, les fausses alertes sont

communes, si communes même que l’état-major finit par en développer une méfiance qui

va mener à la pire erreur du renseignement militaire français… Comme l’enfant qui criait

au loup, la fatigue des fausses alarmes tourne au désastre le matin fatidique du 13

septembre 1759, le matin même où un Canadien, le seul rescapé de la descente britannique

sur l’anse au Foulon, vient avertir l’état-major à ce sujet. « […] [O]n ne crut pas un mot du

récit d’un homme à qui nous crûmes que la peur avait tourné la tête1281. »

L’état-major doit également contrôler l’effet des médisances chez ses alliés. Alors qu’il

peine déjà à garder une mainmise sur la diplomatie autochtone, la rumeur sert

d’amplificateur et empire les négociations précaires où le moindre changement de la donne

1277 Lévis à Vaudreuil. Le 31 août 1756, dans Ibid., p. 76-77. 1278 Lévis à Vaudreuil. Le 1er septembre 1756, dans Ibid., p. 83. 1279 ANOM, Colonies, C13A 42, F°22-22v. Kerlérec au ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 30 mars 1760. 1280 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 293. 1281 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 499.

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peut faire basculer les alliances. Tout comme les colons britanniques craignent la violence

des Autochtones, ces derniers craignent autant de se faire éradiquer par l’ennemi1282. La

rumeur d’une force ennemie supérieure n’est pas la seule à compliquer les relations entre

les Français et les nations autochtones. La peur de la maladie peut paralyser un effort de

guerre. Bougainville écrit le 11 juillet 1756 (nos italiques) :

À midi est arrivé à Montréal, Mr Marin, officier de la colonie, qui a passé l’hiver au poste de la baye des Puants, et qui a amené 500 Sauvages à la Presqu’isle, rendez-vous donné à tous les Sauvages des pays d’en haut. Tous sont repartis sur-le-champ, ayant ouï dire que la petite vérole était dans tous nos forts. Les Sauvages ne redoutent rien tant que cette maladie.1283

Mais les rumeurs les plus sournoises sont celles de complot français contre les alliés. Une

telle rumeur est soulevée à l’été 1757 au fort Rouillé (ou Toronto1284) où un parti de 90

Missisakés (Mississagués) se rassemble au fort gardé par une dizaine de soldats seulement.

Bien que ce parti de guerriers devait se rendre à Montréal, il y a des murmures que la

France envoyait de nouvelles troupes « pour les tuer », « avait fait la paix avec les têtes

plates leurs ennemis », que les officiers leur cachaient que les Anglais avaient remporté la

guerre « et autres raisons de cette espece ». Inquiétés par ces « mauvaises nouvelles », les

Mississagués décident de planifier le massacre des occupants du fort et le pillage de ses

marchandises. Pouchot, à Niagara, se fait avertir par un « français domicilié chez eux ».

Immédiatement, l’officier envoie un contingent de 61 soldats confronter les guerriers qui

confessent tout1285.

Finalement, l’état-major doit gérer la rumeur auprès des civils. La rumeur qui suscite le

mécontentement de l’habitant augmente selon le degré de misère présent dans la colonie.

C’est notamment le cas avec la disette de 1757. Montcalm écrit à ce sujet :

La disette paraît encore plus grande qu’on le croirait. Le Canadien a un mauvais ton à cette occasion; il y est un peu excité par quelques curés; on se plaint nommément de celui de l’Assomption. Le grand mal vient de ce que le Canadien n’a pas de confiance

1282 Par exemple, les guerriers alliés aux Français ont peur des « sauvages ennemis qu’ils disent en grand nombre ». Lévis à Vaudreuil. Le 31 août 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 75. 1283 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 108. Sur les rumeurs entourant la petite vérole et les couvertures infectées, voir le chapitre « Pox: The Blanket Truth », dans DOWD, Groundless, p. 38-62 et aussi Philip RANLET, « The British, the Indians, and Smallpox: What Actually Happened at Fort Pitt in 1763? », Pennsylvania History, Vol. 67, No. 3 (été 2000), p. 427-441. 1284 Ou Taronto, comme l’écrit Pouchot, chroniqueur de l’événement. 1285 POUCHOT, Mémoires..., p. 55-56.

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dans le gouvernement, et reste toujours persuadé que la disette est artificielle et suggérée par l’avidité de certaines personnes. Je pense que le fait n’est pas vrai ; mais le malheur est que l’opinion du peuple est fondée sur l’expérience du passé.1286

Malgré les efforts de l’état-major de pair avec le diocèse1287, ces rumeurs ne se

dissiperont pas puisqu’en janvier 1759, le mot court que l’intendant veut imposer davantage

de restrictions sur les vivres. S’ensuit immédiatement « une émeute de quatre cents

femmes1288 ». Trois mois plus tard, l’évêque relance un avertissement contre les mauvaises

langues qui s’en prennent à l’administration1289. Si l’état-major peine au Canada à

maintenir la patience du peuple, les relations entre le peuple et l’État sont particulièrement

tendus en Louisiane. Le gouverneur Kerlérec écrit au sujet de l’ordonnateur :

M. de rochemore est si convaincû du peu d’estime qu’a pour Luy Le public, et du desir d’en être defait, qu’outre La Sentinelle que je Luy ay accordée; il a depuis Le Soleil Couché Jusqu’à Ce qu’il se leve un négre armé de deux fusils sur chacune de ses galleries et il â aussy fait faire une forte porte sur L’entrée de sa maison.1290

Enfin, le changement de Régime ne mitigera en rien les rumeurs. La conquête du

Canada a d’abord un effet psychologique dévastateur sur la population. D’innombrables

questions viennent attiser les peurs des habitants : la population va-t-elle être déportée

comme les Acadiens? La colonie va-t-elle être reconquise par la France? Qu’arrivera-t-il au

cours de l’argent papier de la colonie? Etc. En Louisiane, le mécontentement avec le

nouveau régime espagnol fait croître les rumeurs au fil des années au point où son premier

gouverneur espagnol, Antonio de Ulloa, se voit obligé de fuir dans la nuit en novembre

1768. La transition difficile de la Louisiane perpétuera la circulation de nouvelles rumeurs

dans le Pays des Illinois : les officiers canadiens et français y demeurant toujours se feront

accuser par la nouvelle administration britannique à Québec d’appuyer et d’aider les

1286 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 269. 1287 « Mandement [du 15 février 1756] pour des prières publiques—dispersion des Acadiens », dans TÊTU et GAGNON (dir.), Mandements… vol. 2, p. 108. 1288 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 407. 1289 « Mandement [du 18 avril 1759] pour des prières publiques à l’occasion de la guerre », dans TÊTU et GAGNON (dir.), Mandements… vol. 2, p. 135. 1290 ANOM, Colonies, C13A 41, F°25v-26. Kerlérec au Ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 3 mai 1759.

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guerriers qui participent à la rébellion de Pontiac. Dans les faits, ces officiers tenteront au

contraire d’exhorter les anciens alliés à la paix1291.

6.3 PROPAGANDE ET GUERRE PSYCHOLOGIQUE Si les notions de propagande et de guerre psychologique trouvent leur élan le plus

important à partir des deux guerres mondiales1292, ces deux tactiques ne relèvent pas

exclusivement du XXe siècle1293. Toutefois, inutile de reprendre ici la propagande

médiatique dans les gazettes européennes au sujet de la colonie, déjà abordée par d’autres

historiens1294. Ce qui suit s’en tient à l’effet de la propagande en Nouvelle-France. Comme

le rappelle Louise Dechêne, « Des deux côtés, les autorités coloniales font de leur mieux

pour enflammer l’opinion publique1295 ». Toutefois, l’étude de cette propagande n’est pas

aisée : les sources sur la propagande officielle dans la colonie sont à peu près

inexistantes1296, à l’exception des mandements de l’évêque1297. Il s’agit donc de la

reconstituer à l’aide de ces derniers et des bribes à ce sujet tirées ici et là dans les journaux

et la correspondance d’officiers.

L’état-major se sert de la propagande d’abord et avant tout pour affermir l’ardeur du

peuple. L’année où la guerre est officiellement déclarée, même le roi se met de la partie,

1291 Voir Joseph GAGNÉ, « Le Pays d’en Haut et le Pays des Illinois avant et après le traité de Paris », dans Laurent VEYSSIÈRE, Sophie IMBEAULT et Denis VAUGEOIS (dir.), 1763. Le traité de Paris bouleverse l’Amérique, Québec, Septentrion, 2013, p. 193-205 et GAGNÉ, Inconquis, p. 134-150. 1292 MATTELART, La communication-monde, p. 6. 1293 Voir par exemple : Edmond DZIEMBOWSKI, Gabriel-François Coyer, Jacob-Nicolas Moreau. Ecrits sur le patriotisme, l’esprit public et la propagande au milieu du XVIIIe siècle, La Rochelle, Rumeur des âges, 1997, 84 p.; Idem, Un nouveau patriotisme français, 1750-1770: la France face à la puissance anglaise à l’époque de la guerre de Sept ans, Oxford, Voltaire Foundation, 1998, 566 p.; DOWD, Groundless, 391 p. et Russ CASTRONOVO, Propaganda 1776: Secrets, Leaks, and Revolutionary Communications in Early America, Oxford, Oxford University Press, 2014, 247 p. 1294 Voir entre autres : DE MONTIGNY, « Le Canada… », p. 80-92; DZIEMBOWSKI, « Transparence ou désinformation? », p. 372-385 et FRÉGAULT, La guerre de la conquête…, 514 p. 1295 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 446-447. 1296 « Ces harangues n’ont pas laissé de traces. En l’absence d’imprimerie, donc de gazettes et de placards officiels, la nature des renseignements fournis au public nous échapperait tout à fait, sans cette série à haute teneur politique que forment les mandements épiscopaux. » Ibid., p. 435. 1297 La plupart furent publiés dans TÊTU et GAGNON (dir.), Mandements… vol. 2, 566 p. Dechêne note que plusieurs mandements absents de la collection sont reproduits dans Claudette LACELLE, « Monseigneur Henry-Marie Dubreuil de Pontbriand : ses mandements et circulaires », mémoire de maîtrise, Ottawa, Université d’Ottawa, 1971, 106 p.

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adressant une lettre aux habitants afin de les encourager et les rassurer1298. Comme

l’explique Dechêne, la propagande est un effort de pair entre l’État et l’Église : « Entre ce

qui est lu aux fidèles du haut de la chaire et le discours des officiers à l’armée, il y a

évidemment des écarts, dans le ton notamment car rares sont les membres de l’état-major

qui puissent rivaliser avec l’évêque en matière de rhétorique. Mais dans un cas comme dans

l’autre, on vise le même but et on s’entend sur ce qui mérite d’être publié1299. » Que les

mots d’encouragement viennent de l’État ou de l’Église, on amplifie d’abord les victoires

françaises. Il ne s’agit que de penser à l’exemple de Montcalm au fort Carillon qui est

propagé et promu pour remonter le moral des habitants. Alors que les officiers de l’état-

major ne se cachent pas entre eux la situation désespérée dans laquelle se trouve la

colonie1300, la victoire de Carillon est brandie et louée : on célèbre des messes, on chante

des chansons1301 et à son retour en France, Bougainville écrit à Montcalm que même « les

petits enfants savent votre nom, et le Te Deum chanté [ce qui] doit vous faire plaisir et aux

troupes1302 ».

Néanmoins, le principal sujet de la propagande porte sur la menace de violence que

peut infliger l’ennemi. Par exemple, pour renforcer l’ardeur de son armée et de la milice

devant l’ennemi à la bataille de Sainte-Foy, Lévis évoque « le salut de la colonie, la gloire

des armes du Roi et même celle de chacun en particulier », brandissant à la fois le spectre

de la déportation acadienne qui pèse lourd dans l’esprit des habitants1303 : « Tous ces motifs

sont assez pressants pour une nation généreuse et qui a l’honneur pour principe, pour nous

déterminer à nous sacrifier tous, s’il le faut, pour éviter la perte de la religion dans cette

colonie, les cruautés et l’esclavage que les Anglois ne manqueroient pas de faire subir aux

1298 Bien qu’on peut la soupçonner d’être générique et adressée à tous les diocèses du royaume, substituant les noms du gouverneur et de l’intendant local. « Lettre du Roi à M. l’évêque de Québec [du 21 juillet 1756] », dans TÊTU et GAGNON (dir.), Mandements… vol. 2, p. 120-121. 1299 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 435. 1300 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 282. 1301 Pour en lire les paroles, voir MALARTIC, Journal des Campagnes au Canada…, p. 186, note 3. Pour un autre exemple de chanson, voir Charles DOUTRELEPONT, « Les vers funèbres du fort Duquesne (12 juillet 1755) », Francophonies d’Amérique, No. 40-41 (2015-2016), p. 55-81. 1302 Bougainville à Montcalm. À Blaye, le 18 mars 1758, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles…, p. 109. 1303 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 448-449.

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Canadiens1304. » D’ailleurs, il se développe à l’été 1760 une véritable guerre de propagande

entre Murray et Vaudreuil. Bien que l’administration cultive depuis longtemps chez les

habitants des sentiments de méfiance contre les promesses britanniques potentielles1305,

Murray fait publier un manifeste adressé aux habitants pour les persuader entre autres « que

la France les avait abandonnés » et que la population a tous les avantages d’appuyer la

cause britannique en échange de stabilité économique1306. Le gouverneur est prompt à

répondre par une lettre circulaire, mais au lieu de se contenter de simples réfutations, il y

inclut des énormités comme la subordination prochaine des Anglais et des Prussiens devant

une France supposément en mesure d’imposer des conditions de paix, ou bien l’assurance

que les lettres de change de la colonie sont plus désirables que jamais, sans oublier un

dernier rappel de « l’intérêt à conserver leur religion et leur liberté »1307...

Toutefois, la propagande ne sert pas qu’à chercher à soudoyer l’adversaire, mais aussi

comme arme psychologique pour l’intimider. En effet, malgré l’image que véhicule la

mémoire populaire d’une « guerre en dentelles » au XVIIIe siècle et des efforts honnêtes

pendant les Lumières de mitiger la violence militaire, il en demeure qu’il s’agit bel et bien

d’une guerre avec toutes ses horreurs. Keegan, terne, écrit : « The war in Canada was not

nice1308 ». Dechêne, plus justement et sans euphémisme, rappelle que « toutes les guerres

sont atroces, hier comme aujourd’hui1309 ». Comme discuté précédemment, c’est d’ailleurs

ce climat de tension qui forme une matrice parfaite pour la propagation de désinformation

naturelle née des craintes des communautés affectées. Dans son œuvre La peur en

Occident, Jean Delumeau écrit : « Une rumeur naît […] sur un fond préalable d’inquiétudes

accumulées et résulte d’une préparation mentale créée par la convergence de plusieurs

menaces ou de divers malheurs additionnant leurs effets1310. » La rumeur peut paralyser :

1304 Lévis aux commandants de bataillon. Lettre circulaire, le 25 mars 1760, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 286. 1305 Par exemple, l’évêque de Québec instruit depuis le début : « ce qui vient de se passer dans l’Acadie rendrait suspectes toutes ces promesses ». « Mandement [du 15 février 1756] pour des prières publiques—dispersion des Acadiens », dans TÊTU et GAGNON (dir.), Mandements… vol. 2, p. 107. 1306 ANONYME, « Mémoire du Canada », RAPQ 1924-1925, Québec, Louis-A. Proulx, 1925, p. 174. 1307 Ibid., p. 175 et ANOM, Colonies, C11A 87, F°416-417v. Copie d’une lettre circulaire du gouverneur général Vaudreuil de Cavagnial. À Montréal, le 30 mai 1760. 1308 KEEGAN, Fields of Battle, p. 118. 1309 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 176. 1310 DELUMEAU, La peur en Occident, p. 174.

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par exemple, la terreur des raids autochtones potentiels est telle que les colons britanniques

refusent même de faire la récolte de leurs champs1311. À cause de cet effet sur l’esprit

combatif de l’adversaire, certaines rumeurs de violence sont amplifiées par exprès et

servent de propagande, la plus commune portant sur les Autochtones. Celle-ci tend à

exagérer leur violence, ou à tout le moins la souligner fortement. À l’approche du fort

Duquesne, le convoi de Braddock découvre de nombreux pictogrammes servant à faire peur

à ses hommes, illustrant des scalps et des prisonniers1312. En effet, tout au long de la guerre,

les Français vont se servir des Autochtones comme épouvantails de service et ce, malgré les

accusations de déshonneur soulevées par les événements de 1757 à William Henry. Par

exemple, deux ans après ce massacre, Pouchot à Niagara recommande à un détachement

destiné pour la Belle-Rivière de brandir le souvenir du massacre pour assujettir

l’ennemi1313. Pendant la campagne de Québec, Montcalm écrit : « On en tirerait encore un

bon parti en harcelant l’ennemi et en augmentant la crainte qu’il a des sauvages1314. » À la

bataille de Carillon, un officier, le sieur Marin, propose même d’essayer d’épouvanter la

ligne britannique en imitant dans les bois « le cri sauvage dont les Anglais ont une grande

frayeur1315 ». La proposition est rejetée, étant perçue comme relevant plutôt d’une stratégie

mal ficelée qu’autre chose. Pourtant, l’idée n’est pas nouvelle ni inutile. Pouchot rapporte

une anecdote survenue en 1758 où un chef de guerre d’Oswegatchie, accompagné par deux

autres guerriers, part en excursion contre le village Palatin (Germans Flatts, New York). À

leur arrivée, le trio s’en prend à la première maison du village. Afin de déjouer les onze

« hommes de garde » à l’intérieur, le chef profite de la surprise et saute par la fenêtre « tout

nud et barbouillé en noir, son fusil à la main, et faisant les cris ordinaires ». Rejoint par ses

confrères, les Britanniques ainsi confrontés et « les croyant plus en nombre » se rendent et

se font mener jusqu’à Montréal. Pouchot termine : « Si tout le monde n’avait pas vu ces

prisonniers, on ne pourrait croire cette aventure1316. » En effet, la propagande sert d’arme

dissuasive. Si l’ennemi croit son adversaire violent (dans certains cas plus qu’il ne l’est en

1311 Lévis à Vaudreuil. Le 31 août 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 74-75. 1312 PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 191. 1313 POUCHOT, Mémoires..., p. 96. 1314 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 472. 1315 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 284. 1316 POUCHOT, Mémoires..., p. 65-66.

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réalité), il sera moins enclin à résister. Cette réputation est également utile pendant

l’interrogation de prisonniers, comme l’illustre cette anecdote portant sur des prisonniers

capturés par des Outaouais :

les prisonniers furent débarqués sans tumulte et conduits au fort, sans même que la moindre huée les y accompagnât. Ils furent d’abord séparés; ils subirent l’interrogatoire, où il ne fut pas nécessaire d’user d’artifices, pour en tirer les éclaircissements qu’on souhaitoit. La frayeur dont ils n’étoient pas trop bien revenus leur délioit la langue, et leur prêtoit une volubilité qui apparemment n’auroit pas eu lieu sans cela. J’en visitai un dans un appartement du fort, occupé par un de mes amis. Je lui donnai par signe les assurances les plus propres à le tranquilliser; je lui fis présenter quelques rafraîchissements, qu’il me parut recevoir avec reconnoissance.1317

Néanmoins, malgré l’utilité de la propagande au sein de la campagne de terreur sur la

frontière des colonies britanniques, le risque de s’attirer des répercussions importantes

n’échappe pas aux Français. Bougainville, dans un mémoire sur la Nouvelle-France en

1759, craint l’effet que ceci aura sur les négociations de paix :

En vérité, la Nouvelle-Angleterre doit être bien ennuyée des guerres que lui font nos Sauvages, elle voit dans son sein près de 4000 familles de ses frontières qui pleurent les leurs qui ont été massacrés et dont les biens ont été ravagés, elle sait qu’en prenant le Canada elle sera délivrée de la cruauté des Sauvages et qu’elle jouira à jamais des douceurs de la paix.1318

Comme le souligne Nerich, « Après la Monongahela en effet, on peut clairement parler de

psychose amérindienne pour les soldats anglais […]1319 ». Encore une fois, si la peur causée

par la défaite de Braddock terrorise les colons britanniques, cette « psychose » atteint son

point d’ébullition lorsqu’elle cède à l’indignation devant les violences commises après la

capture du fort William Henry. Si à l’échelle individuelle la propagande pour semer la

terreur continue son effet, les rumeurs et la réalité s’embourbent ensemble sur le plan

politique, créant un cercle vicieux de violence qui se perpétue. Il suffit de penser à Wolfe et

ses représailles contre quiconque est capturé habillé en « Sauvage », ou bien à Amherst qui

refusera les honneurs de la guerre à Montréal en représailles pour William Henry. En effet,

plutôt que des acteurs séparés, les Autochtones sont vus comme des outils de la France pour

1317 L’auteur de ce texte, malgré l’attribution anonyme, est le père Roubaud. « Le Père ***, missionnaire anonyme chez les Abénaquis en 1757 », dans LE GOBIEN et al., Lettres édifiantes..., p. 181. 1318 Mémoire sur le Canada […] de janvier 1759, dans BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 46. 1319 Laurent NERICH, « Violence et terreur durant la Conquête » dans Bertrand FONCK et Laurent VEYSSIÈRE (dir.), La fin de la Nouvelle-France, Paris, Armand Colin et Ministère de la Défense, 2013, p. 132.

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semer la terreur et la mort. Parmi les nombreux textes de propagande anti-française de la

« guerre de pamphlets1320 » se trouve celui-ci qui dénonce le rôle des Français derrière les

déprédations autochtones sur la frontière des treize colonies britanniques : « [...] the French

have taken these Heathens into Alliance; and finds them arms and ammunition; and all

things necessary to destroy the English; [...] Many Hundreds of poor families they have

murdered in America since the War begun. They give no Quarters to Men, Women or

Children [...]1321 ». Cette image est empirée par l’habitude de plusieurs Canadiens de se

vanter et parfois même de s’inventer des prouesses guerrières selon une « volonté

d’impressionner l’ennemi1322 » (bien que les Rangers britanniques en fassent autant). Cette

tendance fait dire aux « Anglais […] que les Canadiens sont plus cruels que les Sauvages

mêmes1323 ». En effet, la peur ressentie par certains soldats britanniques en connaissance de

ce genre de propagande est si grave que le suicide semble préférable aux souffrances

possibles aux mains des Français1324. En somme, la propagande et les rumeurs au sujet de

la brutalité de l’un et de l’autre ne font qu’attiser le cycle de violence en incitant des raids

de représailles tant par les Français, les Britanniques que les Autochtones, que chaque côté

justifie pour venger les « atrocités » de l’autre. Comme l’écrit Laurent Nerich, « cette

violence était prévisible car il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une lutte à mort entre

deux colonies. […] En ce sens, la guerre de la Conquête peut être considérée comme le

paroxysme des violences séculaires perpétrées de part et d’autres1325 ».

Alors que la violence existe bel et bien1326—c’est la guerre après tout et l’Europe voit

également sa part de « boucheries héroïques »1327—, il y a certainement des exagérations et

1320 DZIEMBOWSKI, La guerre de Sept Ans, p. 442-444. 1321 Il n’y a pas de consensus sur l’année de publication de ce pamphlet. Néanmoins, il est probable qu’il a été rédigé entre la déclaration de la guerre et le siège de William Henry de 1757 qui, sinon, aurait certainement été mentionné. ANONYME, The Cruel Massacre of the Protestants, in North America;  Shewing how the French and Indians join together to scalp the English, and the manner of their Scalping, &c. &c. Londres, Printed and sold in Aldermary Church-Yard, c1756. 8 p. 1322 NERICH, « Violence et terreur... », p. 134. 1323 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 302. 1324 Malcom Fraser, en chemin pour Québec en 1759 sur la flotte de Saunders, note dans son journal: « I hear a Lieutenant on board one of the Men of War, has shot himself, for fear I suppose, the French should do it. » Cité dans LACOURSIÈRE et QUIMPER, Québec ville assiégée..., p. 40. 1325 NERICH, « Violence et terreur... », p. 130. 1326 Lire à ce sujet Ibid., p. 129-142 et HAVARD, Empire et métissages, p. 517-518. Pour un exemple parmi les nombreuses preuves archéologiques, voir Maria A. LISTON, et Brenda J. BAKER, « Reconstructing the

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de pures inventions. Les rumeurs véhiculées dans la propagande sur la violence franco-

autochtone sont tellement tenaces qu’il est souvent difficile pour l’historien de séparer la

vérité de la fiction1328. Cet aspect problématique ne devrait pas étonner : même les

contemporains ont de la difficulté à tirer le vrai du faux. Pouchot en donne un exemple :

« Les ennemis arrivèrent au fort du Quesne où ils trouvèrent tout détruit. Ayant aperçu dans

les débris quelques os calcinés, sans doute de quelques animaux, ils supposèrent que les

Français s’étaient amusés à brûler leurs prisonniers, ce qui est une des plus horribles

calomnies que la haine nationale ait pu inventer1329. »

Parmi les exagérations, on peut songer à la réputation anthropophage des guerriers

autochtones. Cette image terrorise les pionniers britanniques à la périphérie de leurs

colonies qui voient partout des Autochtones assoiffés de sang. Chez les Français, les

principaux témoins de ces actes, les détails rapportés à ce sujet dans les relations varient et

se contredisent. Par exemple, d’une part le père Roubaud—dans un des témoignages les

plus vifs de cette anthropophagie—décrit la participation d’Abénaquis domiciliés à ces

« festins1330 », mais de l’autre, Bougainville écrit « Au reste ce ne sont que [les alliés] d’en

haut qui commettent ces cruautés. Nos domiciliés n’y prennent aucune part. Ils se

confessent toute la journée1331. » Qui croire? En même temps, il est permis de se douter que

les expériences des deux hommes varient et ne rapportent après tout que ce qu’ils ont vu.

Néanmoins, il semblerait que la plupart de ces cas de cannibalisme sont des actes purement

symboliques. Pouchot—un observateur qui semble un peu plus mesuré contrairement à

plusieurs de ses contemporains comme Bougainville—mitige la teneur de la violence

autochtone. Bien que la torture de prisonniers existe bel et bien, il remarque

Massacre at Fort William Henry, New York », International Journal of Osteoarchaeology, Vol. 6 (1996), p. 28-41. 1327 VOLTAIRE, « Candide ou l’optimisme », dans Roger PEYREFITTE (dir.), Romans de Voltaire, Paris, Éditions Gallimard et Librairie Générale Française, 1961, p. 148 et DZIEMBOWSKI, La guerre de Sept Ans, p. 409. 1328 Le « massacre » de William Henry est l’exemple par excellence. Sur les récits contemporains conflictuels et leurs répercussions sur l’historiographie, voir STEELE, Betrayals, p. 149-185. 1329 POUCHOT, Mémoires..., p. 80. 1330 LE GOBIEN et al., Lettres édifiantes..., p. 185-186. 1331 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 218. Voir aussi Ibid., p. 188.

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qu’« heureusement ces événements deviennent un peu plus rares1332. » Sur

l’anthropophagie, l’officier écrit :

Souvent lorsque les vainqueurs ont perdu quelques chefs qu’ils considérent [sic] beaucoup, il est presque impossible de les empêcher de sacrifier quelques-uns de leurs prisonniers aux manes des morts. C’est alors que pour satisfaire leurs manes, ils mangent un prisonnier en cérémonie. On doit cependant assurer qu’ils ne goûtent de viande humaine qu’avec répugnance. On a vu plus d’une fois des jeunes gens la vomir; c’est uniquement par bravade et pour s’endurcir le cœur, qu’ils se repaissent quelquefois d’une semblable nourriture.1333

Pouchot est d’ailleurs l’un des rares observateurs contemporains à démontrer non

seulement un certain relativisme, mais également un degré de pragmatisme lorsqu’il

explique que ces actes ont un rôle psychologique important contre l’ennemi et comme rituel

de bravoure chez les guerriers : « Quoique ces horreurs leur répugnent beaucoup, ils s’y

livrent cependant pour s’animer au carnage et s’inspirer une espece de fureur; ce qui les fait

paraître plus braves entr’eux et les étourdit sur les périls1334. » Le témoignage de Bonin

appuie également la nature cérémoniale de l’acte qui sert aussi à cultiver la solidarité

guerrière1335. Plusieurs officiers reconnaissent en effet que le cannibalisme pratiqué en

temps de guerre est extraordinaire : pour s’en convaincre, il ne suffit de songer à la

répugnance normalement démontrée par les Premières Nations envers l’anthropophagie en

temps de paix1336. Il ne faut pas oublier non plus que l’aversion contre la violence

autochtone est en quelque sorte hypocrite dans une société européenne qui connaît sa part

de violence1337. La nuance apportée par Pouchot est donc importante. Alors qu’ici l’officier

1332 POUCHOT, Mémoires..., p. 302. 1333 Ibid. 1334 Ibid., p. 298. 1335 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 133. 1336 Cette aversion est exprimée particulièrement en hiver avec les récits du windigo, une figure redoutable de l’imaginaire algonquien. Mentionné dans les sources françaises depuis 1695 au moins, le windigo, selon la croyance, est une créature de forme humaine au cœur de glace rôdant les forêts pieds nus pendant l’hiver en quête de chair humaine. Beaucoup plus qu’un simple épouvantail ou croque-mitaine, on accuse d’être un windigo toute personne qui s’adonne à l’anthropophagie en période de famine. Comme l’écrit Gilles Havard, « [Les windigos] signalent […] la forte répugnance de ces autochtones envers le cannibalisme, puisque la faim les pousse parfois effectivement à braver l’interdit de l’anthropophagie. » HAVARD, Histoire des coureurs de bois, p. 573-574. Voir aussi Carolyn PODRUCHNY, « Werewolves and Windigos: Narratives of Cannibal Monsters in French-Canadian Voyageur Oral Tradition », Ethnohistory, Vol. 51, No. 4 (2004), p. 677–700. 1337 « We assume our revulsion at brutal death ceremonies is natural and instinctive, but it is not. On the contrary, not only were public executions not particularly shocking to those who witnessed them in the Middle Ages, they were not particularly shocking to those who saw them in the eighteenth, nineteenth or even

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cherche à comprendre et expliquer cette violence, la propagande, elle, l’amplifie et la

caricature (l’exemple le plus notoire étant le massacre de William Henry où le nombre de

victimes fut gonflé d’une cinquantaine à plus de 1 500 morts1338). Comme l’écrivent

Corvisier et Coutau-Bégarie, « Si on [prête à l’adversaire] une volonté hostile irréductible,

pour peu que cela paraisse possible, on est conduit à vouloir le supprimer1339. » La

propagande sert donc non seulement à porter un coup psychologique contre l’ennemi, mais

à justifier les représailles en le déshumanisant et le présentant comme un monstre à

conquérir1340.

La puissance de la propagande de cette guerre nous affecte d’ailleurs à ce jour. Sa

présence est bien ressentie dans nos romans et notre cinéma, ayant eu comme précurseurs

les écrits des contemporains. En effet, au sujet de la violence autochtone seule, on tend à

amplifier les atrocités commises par eux et non celles contre eux. Comble de l’ironie, la

violence autochtone perpétrée pendant la bataille de la Monongahela, par exemple, fut en

réaction à la propagande française auprès de leurs alliés selon laquelle les Britanniques

venaient les éradiquer1341. Graeme Davis, éditeur d’une anthologie littéraire intitulée

Colonial Horrors, commente la mémoire populaire américaine: « Tales of native

barbarism, violence, and cruelty were rife, with each fresh atrocity described in almost

salacious detail : unsurprisingly, reports of colonial violence against native communities

were briefer and more soberly expressed1342. » Une observation semblable se fait par

rapport à la mémoire populaire au Canada français qui se plaît aujourd’hui à se rappeler

constamment les horreurs perpétrées par les Britanniques le long des côtes du Saint-

Laurent, tout en oubliant par le fait même que certains des meilleurs officiers des troupes

twentieth centuries. » Frances LARSON, Severed: A History of Heads Lost and Heads Found, Londres, Granta, 2014, p. 101-102. Sur l’adoption des rituels de guerre autochtones par les Français, voir HAVARD, Empire et métissages, p. 517-522. 1338 STEELE, Betrayals, p. 118 et p. 124. 1339 CORVISIER et COUTAU-BÉGARIE, La guerre…, p. 26. 1340 Même l’évêque de Québec adopte un vocabulaire semblable pour combattre les « monstres d’iniquité » du protestantisme. « Mandement [du 15 février 1756] pour des prières publiques—dispersion des Acadiens », dans TÊTU et GAGNON (dir.), Mandements… vol. 2, p. 107. 1341 PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 115. 1342 Graeme DAVIS, « Introduction », dans Graeme DAVIS (ed.), Colonial Horrors: Sleepy Hollow and Beyond. New York, Pegasus Books, 2017, p. X.

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coloniales ont commis parmi les pires atrocités de la guerre1343. En fin de compte, peu

importe la vérité derrières ces histoires de violence autochtone, la moindre évocation de tels

actes—réels1344 ou inventés— répugne les sensibilités des colons, les portant donc à vouloir

fuir ou se venger. Encore une fois, si la défaite britannique de 1756 avait soulevé une

terreur générale, celle de 1757 mène à l’indignation totale. La propagande qui naît du

« massacre » de William Henry convaincra les Britanniques de se mobiliser et de mener un

effort de coordination entre le gouvernement de William Pitt et les treize colonies et se

soldera par la conquête de la Nouvelle-France.

6.4 LE RENSEIGNEMENT « ÉSOTÉRIQUE » Il n’est pas aisé de planifier une stratégie contre son adversaire. Les généraux doivent

estimer le mouvement et les actions de l’armée rivale en se basant sur de nombreux facteurs

concrets et tangibles : la taille de ses forces, les ressources qui lui sont disponibles, ses

mouvements et la géographie du théâtre des opérations, entre autres. Comme le souligne

Keegan, l’idée d’un renseignement en temps réel avant le XIXe siècle, bien que souhaitable,

tire en réalité vers l’ésotérisme1345. L’historien ne sait pas si bien dire alors que certains

tentent effectivement de s’informer à l’aide du surnaturel pendant la guerre de Sept Ans en

Amérique… Cette forme de « renseignement » comporte d’ailleurs des parallèles avec la

rumeur : comme discuté précédemment, la rumeur peut mobiliser ou désunir une société et

peut aider à éclairer et à comprendre la façon dont ceux qui la véhiculent perçoivent leur

monde, en particulier si celle-ci passe par le prisme de la religion et de la superstition.

Ainsi, en examinant la dissémination de désinformation forgée ou naturelle, il ne faut pas

négliger de poser un regard sur l’effet des croyances. Qu’il s’agisse d’une transmission

d’informations par les voies officielles d’un réseau religieux (par exemple un discours de

l’évêque de Québec auprès de ses ouailles sur l’état de la colonie1346), ou bien la

propagation de présages populaires (comme la circulation d’une rumeur de miracle),

1343 En effet, les ravages des troupes de Wolfe en 1759 reflètent les raids français de 1756 et 1757. NERICH, « Violence et terreur... », p. 130 1344 Par exemple, voir Jean-François LOZIER, « Lever des chevelures en Nouvelle-France: la politique française du paiement des scalps », Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 56, No. 4 (2003), p. 513–542. 1345 KEEGAN, Intelligence in War..., p. 21. 1346 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 435 et de manière plus large, p. 435-437.

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l’ésotérisme—pour parler ici de religions, superstitions et croyances toutes confondues et

peu importe la culture1347—est un vecteur important d’information, mais surtout de

désinformation.

6.4.1 JONGLERIE ET RÊVES CHEZ LES AUTOCHTONES

Dans les sources, la qualité et la quantité de commentaires au sujet des Autochtones varient

d’un officier français à l’autre. Certains, comme Bougainville1348 et Pouchot, commentent

en longueur les mœurs et pratiques des guerriers, tandis que d’autres, plus taciturnes

comme le chevalier de Lévis, se concentrent presque exclusivement sur les opérations de

guerre. Un thème récurrent dans la majorité de leurs écrits, toutefois, est la subordination

des alliés à ce qu’on peut appeler le « renseignement ésotérique », suivie presque toujours

par l’expression de la dérision et de la frustration des auteurs. La religion de l’un est la

superstition de l’autre, après tout1349.

Les Autochtones au XVIIIe siècle ont recours à divers moyens pour la divination « que

d’un terme général on appelle chez eux faire de la médecine1350. » D’abord et avant tout, la

figure centrale et principale de ces activités est celle que les Français surnomment le

« jongleur ». Présent dans chaque village, il s’agit généralement d’un aîné qui remplit la

fonction d’oracle1351. Malgré le nom péjoratif qui indique une charlatanerie, ce chaman ou,

plus précisément, homme-médecine, remplit des fonctions à la fois spirituelles et

médicinales. Par exemple, Pouchot reconnait qu’à part les activités divinatoires, le

« jongleur en titre1352 » peut tout de même se démontrer particulièrement doué pour la

médecine à base de plantes. L’officier se plaint d’ailleurs du manque d’intérêt des

1347 Ceci dit, nous ne prétendons à aucune analyse ni connaissance exhaustives des croyances des Autochtones outre la lecture des témoignages d’officiers du XVIIIe siècle. Le lecteur intéressé par le sujet peut se tourner entre autres vers le chapitre « Médiations spirituelles : baptêmes, offrandes et jongleries », dans HAVARD, Histoire des coureurs de bois, p. 493-504 et le chapitre « “Dans la grande Manitounie” : la rencontre des univers spirituels », dans HAVARD, Empire et métissages, p. 476-512. 1348 Sur Bougainville et la teneur de ses observations ethnographiques, voir RICHARD, « Bougainville… », p. 8-18. 1349 Sur le scepticisme de Bougainville, voir Ibid., p. 17. Sur celui des Autochtones envers les missionnaires, voir HAVARD, Empire et métissages, p. 498-503. 1350 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 202. 1351 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 134 et p. 230. Sur la compétition entre missionnaires et jongleurs, voir HAVARD, Empire et métissages, p. 493-490. 1352 POUCHOT, Mémoires..., p. 289.

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Européens vis-à-vis de leurs connaissances1353. Le dialogue entre le jongleur et les « entités

surnaturelles1354 » se fait principalement au moyen de jeûnes1355 et « par les sueurs et les

bains1356 », c’est-à-dire au moyen du rituel de la tente tremblante (ou tente agitée1357). Le

« devin1358 » se met « à l’écart » pour consulter le « maître de la vie1359 » ou tout autre

manitou, que certains Français accusent d’être le Diable1360. Bonin décrit la pratique ainsi :

[…] ils font une petite cabane avec des branches de bois piqués en rond dans la terre dont les bouts sont recourbés et croisés l’un dans l’autre par le haut, ce qui lui donne la forme d’une forte ruche à miel; ils la recouvrent bien avec des peaux de bêtes fauves ou des couvertures de laine, ensuite ils introduisent dedans une pierre rougie au feu; le jongleur y entre avec de l’eau qu’il verse sur la pierre, ce qui procure une fumée fort épaisse qui le fait suer et lorsqu’il a bien sué et qu’il se trouve affaibli, il sort et va se jeter à l’eau pour se laver. Il revient ensuite rendre son oracle qui consiste à annoncer aux guerriers qui l’ont consulté, s’ils auront un avantage ou un échec à la guerre, ou s’ils perdront quelqu’un des leurs, feront des chevelures et des prisonniers, ou enfin l’un et l’autre, séparément et définitivement le temps qu’ils doivent rester en route.1361

Les rituels sont exténuants, car ils font souvent l’objet de grandes privations afin de

provoquer les visions nécessaires1362. Il arrive également à l’occasion qu’un chien soit

sacrifié1363.

Outre ces rituels, les alliés autochtones considèrent que les rêves sont des sources

importantes de renseignement1364. Le rêve peut venir naturellement comme il peut être

induit, tel que rapporté par Pouchot : « L’habitude d’être seuls doit leur donner celle de

rêver; ce qu’ils appellent jongler. Un homme ou une femme qui se trouve dans cette

1353 Entre autres, il écrit : « Ils connaissent des plantes admirables, surtout pour les blessures. Il est certain qu’à moins qu’il n’y ait des os cassés, aucun chirurgien ne les pourrait traiter plus sûrement, avec moins de façon et plus promptement. […] Depuis que les Européens sont dans l’Amérique, ils ne se sont pas assez appliqués à se faire montrer ces remédes qui seraient d’un très bon usage dans notre médecine. » Ibid., p. 289-290. 1354 HAVARD, Histoire des coureurs de bois, p. 549. 1355 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 202-203. 1356 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 230. 1357 Sur les noms de cette cérémonie, voir Paul WATTEZ, « Les actualités de la tente tremblante chez les Eeyous : Transformations, continuités socioculturelles et enjeux anthropologiques », Recherches amérindiennes au Québec, Vol. 44, No. 2-3 (juin 2015), p. 160, note 1. 1358 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 134. 1359 ALEYRAC, Aventures militaires…, p. 37. 1360 Ibid. et BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 147. 1361 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 230. 1362 Par exemple : « Notre prophète était hâve et défait; il jeûnait depuis deux fois vingt-quatre heures, aussi a-t-il dévoré ce qu’on lui a donné à manger. » BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 147-148. 1363 Ibid., p. 197. 1364 Voir HAVARD, Histoire des coureurs de bois, p. 614.

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disposition, s’enveloppe dans sa couverte et y reste fort long-tems. Leur imagination

s’échauffe et saisis d’enthousiasme ils croyent voir les événemens futurs, et les annoncent

avec confiance1365. » Dans les sources, on ne rapporte généralement que l’interprétation des

rêves. La description de leur contenu est rare, La Pause semblant être le seul de ses

contemporains à la noter : « Lorsque les sauvages rêvent de petites bêtes, ils regardent cela

comme de bonne augure à la guerre, et, lorsqu’ils rêvent quelque gros animal, c’est

mauvais et ils ne vont point alors en guerre1366. » Le rêve stimule l’urgence chez les

guerriers et les officiers se dépêchent de les rassurer soit en désavouant le songe

carrément1367 ou bien en démontrant physiquement leur manque de substance en visitant,

par exemple, l’emplacement d’un camp ennemi imaginé1368. La deuxième option est assez

commune puisque, comme l’écrit Bougainville, « La politique ne veut pas qu’on paroisse

mépriser ces inspirations du Manitou1369. » D’ailleurs, la pratique est si commune que

certains officiers notent s’ils vont « où [les alliés] ont jonglé qu’il y a du monde1370 ».

Quelles sont les répercussions de mauvaises prédictions? Pouchot écrit au sujet des

jongleurs charlatans : « Ils s’enferment seuls dans une cabane, où ils se démenent comme

des possédés. En sortant ils débitent leurs prophéties. […] S’il produit un mauvais effet, le

soi-disant médecin est quelquefois bien battu ou tué, parce que les Sauvages sont fâchés

d’avoir été dupés1371. » Néanmoins, comme Aleyrac le note, « s’il arrive parfois des

événements contraires aux prédictions cela ne les empêche pas de rester attachés à leurs

superstitions1372. » De plus, bien que les officiers généralisent en notant que les

Autochtones n’entreprennent aucune action si une divination est négative ou demeurée sans

1365 POUCHOT, Mémoires..., p. 288. 1366 Jean-Guillaume-Charles de PLANTAVIT DE LA PAUSE DE MARGON, « Mémoires et papiers du chevalier de la Pause », RAPQ 1931-1932, Québec, Rédempti Paradis, 1932, p. 51. 1367 Par exemple Montcalm, le 21 juillet 1757 : « Cette nuit, l’un d’eux avait rêvé que le lac Saint-Sacrement était couvert d’Anglais. Alerte dans le camp sauvage; il a fallu réveiller le marquis de Montcalm, qui les a envoyés se coucher en les assurant qu’il n’en était rien. » MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 206. 1368 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 199. 1369 Ibid., p. 398. 1370 Montcalm à Lévis. À Carillon, le 20 juillet 1757, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Montcalm…, p. 49. 1371 POUCHOT, Mémoires..., p. 288-289. 1372 ALEYRAC, Aventures militaires…, p. 37.

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réponse1373, certains guerriers acceptent néanmoins d’accompagner des partis de guerre,

« bon gré mal gré1374 ».

À l’occasion, il peut sembler qu’un renseignement ésotérique se réalise plus ou moins

selon ses prédictions. Le 15 octobre 1756, des aînés potéouatamis demeurent au fort

Carillon pour faire de la médecine à l’aide de la tente tremblante. Comme le rapporte

Bougainville, « les jongleurs ont sué des gouttes de sang et le diable est enfin venu qui leur

a dit que leurs frères reviendraient incessamment avec des chevelures et des

prisonniers1375 ». Trois jours plus tard, après une autre séance de médecine, un des aînés va

retrouver Montcalm pour lui annoncer « que leurs frères reviendraient incessamment avec

des chevelures et des prisonniers1376 ». Quelques heures plus tard, les guerriers

Potéouatamis reviennent en effet, mais avec un seul prisonnier d’Albany. Bougainville ne

décrit pas s’il est impressionné ou non par leur arrivée prédite par l’homme-médecine (bien

que n’importe quel sceptique pourrait aisément évoquer une simple coïncidence).

Généralement, les officiers ne rapportent que les rares exemples de renseignement

ésotérique « fiables ». Le cas le plus notable survient en mars 1758 près du fort Carillon

lorsqu’un Outaouais choisi de « jongler » à l’écart de ses confrères. Avant longtemps, il

avertit ces derniers qu’il vient d’avoir la révélation de l’approche d’un parti britannique.

Une poignée de découvreurs sont immédiatement envoyés confirmer l’information reçue et

trouvent effectivement des traces dans la neige. Décidant de confronter la menace, ils

avertissent le commandant du fort Carillon et partent accompagnés d’officiers, de soldats et

de miliciens. Le groupe surprendra en effet un parti de Rangers : l’escarmouche qui en

résulte n’est nulle autre que la fameuse « seconde bataille en raquettes »1377. À quoi

attribuer le succès de ces quelques prédictions qui se réalisent? Si Pouchot semble

démontrer le même scepticisme que la plupart des officiers (« À la vérité souvent leur

prophétie ne se réalise pas, mais aussi plus d’une fois, ils devinent1378. »), du même souffle

il ajoute « Les Européens qui ont été parmi eux racontent à ce sujet des choses

1373 J.C.B., Voyage au Canada…, p. 134. 1374 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 199. 1375 Ibid., p. 147. 1376 Ibid., p. 148. 1377 Ibid., p. 398 et POUCHOT, Mémoires..., p. 64-65. 1378 Ibid., p. 288.

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surprenantes1379 » et donne deux exemples comme ce qui vient de précéder pour affirmer la

chose. Doit-on conclure à l’intervention d’un pouvoir surnaturel quelconque? Bien sûr que

non : au nombre de compagnies errantes dans les bois en quête d’information et de

prisonniers, il n’est pas étonnant que les éclaireurs soient tombés sur une bande de Rangers.

De plus, rien n’indique que la plupart des officiers accordent une réelle légitimité à ces

« prédictions » au-delà de simplement en noter la coïncidence. D’ailleurs, en lisant ces

anecdotes, il faut se méfier de présumer que tous les détails soient rapportés dans les

journaux d’officiers. À titre d’exemple, à lire uniquement Pouchot, on risquerait de

comprendre que le parti de guerre fut organisé sur les indications de la divination du

jongleur. Une comparaison avec Bougainville, cependant, révèle que le parti de guerrier a

d’abord vérifié la présence de traces dans la neige avant d’en avertir le commandant de

Carillon. On peut bien se demander si autrement ce dernier aurait accepté d’envoyer un

parti. De plus, bien que les officiers notent les rares fois où les faits semblent confirmer une

jonglerie, il faut noter que ces histoires sont toujours racontées après les faits : jamais un

officier ne va noter toutes les fois où on lui transmet des prédictions. Les cas retenus

soulignent le préjugé de confirmation (« confirmation bias ») où on ne note que les

divinations qui semblent s’avérer après coup. Dans les faits, il n’en est rien : si à première

vue le dénouement des prédictions semble confirmer les divinations, l’écart des détails

dément cette supposition. Par exemple, La Pause rapporte—de seconde main, de surcroît—

qu’un jongleur annonçait la mort d’un détachement composé de trois guerriers. En réalité,

un seul se fait tuer1380… dans une guerre aux milliers de morts…

La dépendance des alliés par rapport au renseignement ésotérique irrite les Français.

Ces derniers doivent toujours investir des efforts pour convaincre les guerriers autochtones,

en quête constante de signes, de se joindre à eux dans les opérations. Les alliés des Grands

Lacs sont considérés les plus « superstitieux1381 ». Tout peut devenir présage : « Il faut être

extrêmement sur ses gardes pour ne rien faire de ce qu’ils regardent comme présages

funestes. Par exemple, si l’on touchait aux armes d’un guerrier qui va en parti, il se croirait

1379 Ibid. 1380 LA PAUSE, « Mémoires et papiers… », RAPQ 1931-1932, p. 85. 1381 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 197.

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menacé de périr et ne prendrait aucune part à l’expédition1382. » À l’occasion, l’état-major

doit lui-même fournir un signe pour les pousser à l’action. Comme l’écrit Havard : « on

s’adapte à l’Autre pour le manœuvrer et pour le berner, chose que les Français font de

façon plus délibérée que les autochtones1383 ». En effet, lorsque possible, les Français à leur

tour tentent de manipuler leurs alliés par le surnaturel1384. C’est le cas de Montcalm qui

convainc le chef des Folles-Avoines de se joindre au siège du fort William Henry, profitant

de la chute d’un arbre pendant le conseil de guerre pour y trouver le symbole de la chute

prochaine du fort1385.

Somme toute, le renseignement ésotérique chez les Autochtones est au cœur de leur

culture martiale. Une fois le traité de Paris signé entre la France et l’Angleterre, les alliés

autochtones vont continuer leur guerre parallèle contre les Britanniques. Pendant ces

quelques années, la place du surnaturel ne va qu’augmenter sous l’influence de Neolin, un

prophète loup (Delaware) dont les enseignements et divinations vont diriger les activités de

ses adhérents1386.

6.4.2 L’INFLUENCE DU SURNATUREL CHEZ LES FRANÇAIS

Comme le note Edmond Dziembowski, « Présenter la guerre de Sept Ans comme une

guerre de religion semble de prime abord absurde1387. » Et pourtant! Si les divinations des

alliés autochtones attirent la dérision des Français, pour qui il s’agit de « paganisme brut et

encore dans son enfance1388 », ce n’est pas parce que ces derniers sont nécessairement plus

sceptiques du surnaturel. Alors que les religions autochtones ne sont que superstitions pour

1382 Ibid. 1383 HAVARD, Empire et métissages, p. 304. 1384 Voir à ce sujet Ibid., p. 299-305. 1385 ALEYRAC, Aventures militaires…, p. 65; BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 211, et LA PAUSE, « Mémoires et papiers… », RAPQ 1931-1932, p. 53. 1386 Sur l’influence de Neolin et la circulation de rumeurs autochtones au sujet des Français et des Britanniques, voir Howard H. PECKHAM, Pontiac and the Indian Uprising, Detroit, Wayne State University Press, 1994 (1947), p. 98-111 et Keith R. WIDDER, Beyond Pontiac’s Shadow: Michilimackinac and the Anglo-Indian War of 1763, East Lansing et Mackinac Island, Michigan, Michigan State University Press et Mackinac State Historic Parks, 2013, p. 98-100. 1387 DZIEMBOWSKI, La guerre de Sept Ans, p. 295. Voir aussi plus largement « Une guerre de religion au siècle de la raison? », dans Ibid., p. 295-302. 1388 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 206.

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les officiers métropolitains1389, chez les Français et les Canadiens qui les côtoient plus

étroitement, ces croyances ne sont pas nécessairement rejetés du revers de la main1390. Les

missionnaires en particulier prennent au sérieux les divinations autochtones qu’ils

perçoivent comme étant des entretiens avec le Diable1391. Somme toute, la vie spirituelle est

très active à la fois dans l’armée et la société coloniale. D’ailleurs, bien que le catholicisme

soit la religion d’État, on fait parfois appel aux croyances populaires afin de s’informer. Par

exemple, Montcalm relate dans son journal l’affaire du commissaire ordonnateur faisant

appel aux services d’une « sorcière » en février 1757 :

La commission du conseil souverain chargée d’informer contre les auteurs du vol fait au trésor du Roi, a tenu ses séances sans rien découvrir. M. Varin, commissaire-ordonnateur, a cru découvrir quelque chose par le moyen d’une prétendue sorcière. Cela a abouti à la faire décréter de prise de corps et à la faire traduire en prison, crainte qu’elle ne fût complice.1392

Bien sûr, faire appel au surnaturel ne se limite pas à la sorcellerie, mais à la religion en

général. Au-delà du recours à la superstition pour diviniser, on demande également la

protection divine : prières, aumônes, confessions, processions, messes, abstinence,

conversion… autant de moyens pour s’assurer « les faveurs célestes, obtenir le succès de

nos entreprises, anéantir les projets ambitieux de nos voisins, et procurer un vent favorable

à nos vaisseaux1393 ». D’autre part, le péché est partout et devient le bouc émissaire pour

expliquer l’origine des malheurs de la population : raison de plus de se confesser et de faire

« Ses dévotions », ce que certains font déjà au cas où l’intercession divine pencherait plutôt

en faveur de la précision du tir d’une balle anglaise comme cela est arrivé à Daniel-

1389 Sur la religiosité des officiers métropolitains en général : « They generally favoured state control of the church, but were not clearly committed to religious toleration or deism. The fact they did not seem to care a great deal about what the official, state-sanctioned religion in each country was however, suggests that by the 1750’s, if not much earlier, Roman Catholic orthodoxy was not particularly strong in the officer corps. » NICOLAI, « Subjects and Citizens… », p. 410. 1390 HAVARD, Empire et métissages, p. 510-512. 1391 « En partant [les Sauvages] ont laissé à leur camp un capot, un brayet, et une paire de mitasses suspendus à un arbre en sacrifice au Manitou. Deux Sulpiciens et un Jésuite, missionnaires dans cette armée, ont demandé s’il leur était permis de dire la messe dans un lieu où l’on sacrifiait au diable. Répondu par le général de l’armée, casuiste militaire, qu’il valait mieux la dire là que de ne la pas dire du tout. » BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 220. Sur la rencontre des univers spirituels, voir HAVARD, Empire et métissages, p. 476-512. 1392 Jusqu’ici, nos recherches n’ont pas réussi à identifier la « sorcière ». MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 146. 1393 « Mandement [du 12 juillet 1755] ordonnant des prières pour les besoins temporels et spirituels de la colonie », dans TÊTU et GAGNON (dir.), Mandements… vol. 2, p. 104-105.

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Hyacinthe-Marie Liénard de Beaujeu1394... La propagande de la chaire exagère la teneur des

victoires, soit en réduisant le nombre réel de combattants morts (l’évêque de Québec

annonce dix fois moins de morts à Chouaguen qu’il ne s’en trouve en réalité) ou en

gonflant l’importance de certaines opérations. Par exemple, on fait chanter un Te Deum en

honneur de l’expédition pourtant ratée de Monsieur de Rigaud contre le fort William Henry

en mars 1757, « une opération aussi obscure et médiocre1395 » dont Bougainville craint la

reprise par la propagande britannique1396. Tout devient symbole pour la propagande

religieuse, particulièrement les rumeurs de miracles. Par exemple, la mère Marie-André

Duplessis de Sainte-Hélène, supérieure à l’Hôtel-Dieu de Québec, rapporte que les

Britanniques auraient vu à la défaite de Braddock « une dame vêtue de blanc »—sous-

entendu la Sainte Vierge—sur laquelle ces derniers auraient tiré « 4,000 coups de

mousquets » perdant ainsi « tous leurs coups en l’air »1397. N’est-ce pas là la preuve ultime

d’une victoire assurée grâce à la protection divine?

Autant les Français, majoritairement catholiques, sont-ils souvent accompagnés de

prêtres et de missionnaires qui gèrent le discours religieux1398, autant les Britanniques sont

eux aussi fréquemment accompagnés de pasteurs. Tout comme les Français véhiculent des

histoires de miracles et de protection divine, les pasteurs britanniques de la Nouvelle-

Angleterre sont convaincus que cette guerre marque la confrontation finale entre le Christ

et l’Antéchrist, tout en espérant que leurs colonies deviendront le nouveau pays de Canaan.

En somme, outre un sentiment profondément anticatholique, les protestants, stimulés par la

guerre, cherchent eux aussi des signes divins pouvant guider une victoire britannique. À

défaut de quoi, les tremblements de terre, les sécheresses, les feux de forêts, bref, tous les

désastres naturels sont brandis comme des signes précurseurs avertissant qu’une victoire

1394 « Acte de sépulture de M. de Beaujeu », GRENIER (dir.), Papiers Contrecœur..., p. 389. 1395 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 645, note 20. 1396 Ibid., p. 435-436; « Mandement [du 20 août 1756] pour faire chanter dans toutes les paroisses un Te Deum en action de grâces des succès des armes du Roi arrivés [sic] depuis l’ouverture de la campagne », dans TÊTU et GAGNON (dir.), Mandements… vol. 2, p. 112; « Mandement pour Te Deum [du 2 avril 1757] », dans Ibid., p. 115-116 et BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 121 et p. 176. 1397 Mère Marie-André Duplessis de Sainte-Hélène, le 8 novembre 1756, cité dans FRÉGAULT, La guerre de la conquête…, p. 34. 1398 Voir DESBARATS et GREER, « The Seven Years’ War... », p. 169-171.

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française finale ne déclenchera rien de moins que l’Apocalypse1399… Cette religiosité est si

omniprésente que, comme Fred Anderson le décrit si bien, le nombre de sermons prononcés

pour célébrer la prise de Québec surpasse probablement le nombre de feux de joie1400.

Ironie du sort, alors que le diocèse de Québec aura passé la guerre à répandre de

nombreuses diatribes contre les protestants, la parole de l’Église canadienne sera

dorénavant utilisée pour faire circuler et célébrer les nouvelles de la couronne britannique

auprès des habitants1401.

CONCLUSION Les besoins du renseignement ne se limitent pas à chercher de l’information, mais aussi à la

dissimuler coûte que coûte à l’aide du mensonge et de la propagande. Que retenir de cette

brève incursion dans le débat de la place du mensonge dans le monde militaire du XVIIIe

siècle? C’est à la guerre comme à la guerre : sans manquer à l’honneur des officiers,

l’utilisation du mensonge sert d’arme tout autant que l’artillerie. La désinformation forgée

permet de cacher ses intentions, d’induire l’adversaire en erreur : espionnage, subterfuge,

distraction, omission… le mensonge sous presque toutes ses formes est un outil de plus au

service de la stratégie des officiers. De plus, la désinformation permet de réduire la

démoralisation de l’armée et de la population civile en lui cachant la gravité de la situation

présente… Tous les moyens possibles sont bons pour tenter de ne pas perdre une guerre où

les belligérants ne sont pas à armes égales.

En même temps, l’état-major cherche à étouffer les mauvaises langues et les rumeurs

qui circulent comme autant d’inquiétudes de la population. Malgré toutes les tentatives de

contrôler l’information et la rumeur, l’administration coloniale peine à garder une mainmise

sur le discours officiel. Comme Louise Dechêne le note, « ces précautions sont un piètre

1399 John Howard SMITH, « “The Glorious Day is Coming On”: The Seven Years’ War as an Apocalyptic Struggle », Twenty-Fourth Annual War College of the Seven Years’ War, Ticonderoga, New York, 17-19 mai 2019. Voir aussi John Howard SMITH, The First Great Awakening: Redefining Religion in British America, 1725–1775, Madison, Fairleigh Dickinson University Press, 2015, p. 226, plus largement p. 225-246. 1400 ANDERSON, Crucible of War, p. 373-376. 1401 Voir par exemple : « Mandement [du 1er février 1762] pour faire chanter un Te Deum dans toutes les paroisses du Gouvernement de Montréal à l’occasion du couronnement et du mariage de Sa Majesté le Roi Georges III », dans TÊTU et GAGNON (dir.), Mandements… vol. 2, p. 139. Voir aussi TRUDEL, L’Église canadienne... Tome 1, p. 233-239.

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barrage contre le flot d’informations qui circulent dans le pays1402 ». La colonie n’existe

tout simplement pas dans un vacuum. Paradoxalement, les rumeurs sont à la fois signe

d’une pénurie et d’un surplus de nouvelles1403 : comme une vraie passoire, il existe en

Nouvelle-France presque autant de sources qu’il y a de rumeurs. Au-delà des tentatives de

l’administration de contrôler la circulation d’information, les civils, les soldats et les

Autochtones ne sont pas aveugles ni sourds. Ils chuchotent entre eux, ils entendent les

paroles des prisonniers ennemis, ils lisent les journaux d’Europe, sans oublier qu’ils se

laissent influencer par des croyances populaires où divinations et prophéties viennent semer

encore plus de désinformation.

Pour l’historien, la vérification de mensonges et de rumeurs peut être tout aussi difficile

que pour les acteurs de l’époque. Les chroniqueurs ne notent pas toujours le dénouement

d’une rumeur et donc le chercheur doit souvent fouiller dans les sources de l’opposant pour

en connaître la substance, et ce, seulement s’il réussit à croiser l’information recherchée en

premier lieu. Les historiens doivent d’ailleurs se méfier de reprendre à leur tour et de

reproduire accidentellement des préjugés présents dans l’historiographie :

No less than our continental predecessors in the eighteenth century, we, professional historians, stitching our stories from ambiguous and incomplete data, sew with threads of ideology, with what passes for common sense. It should not surprise us that we sometimes advance culturally forceful but groundless stories as empirical history, that we propagate and legitimate them, that we rumor and spin yarns.1404

À lui seul, l’exemple du « massacre » de William Henry mène à des réévaluations

constantes sur les rumeurs et la propagande entourant les événements, contenant des biais

que ses premiers historiens n’ont pas pu éviter1405. En somme, l’étude de la circulation de

désinformation demeure une avenue de recherche fascinante pour les historiens du monde

atlantique français et doit se faire non seulement pour son intérêt intrinsèque, mais aussi

afin d’éviter de perpétuer à notre tour des on-dits…

1402 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 437. 1403 EWING, Rumor…, p. 28. 1404 DOWD, Groundless, p. 39. 1405 STEELE, Betrayals, p. 149-185.

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CONCLUSION

Pendant la campagne de 1759, Montcalm écrit à Lévis : « Tout ce que vous faites, mon cher

chevalier, est toujours très bien. S’il ne falloit que votre vigilance pour sauver le pays, la

besogne seroit sûre, mais il faut autre chose1406. » De nombreux historiens et autres

intellectuels ont cherché à trouver justement ce qu’est cette « autre chose » qui a déterminé

le sort de la colonie : était-ce le choix de tactique que Vaudreuil et Montcalm se sont

disputé jusqu’à la fin? S’agissait-il d’un abandon par la France? Ou bien était-ce le résultat

des manigances des administrateurs coloniaux1407? On aura même proposé une intervention

divine pour protéger la colonie des effets de la Révolution française1408… Que conclure

alors sur le rôle que joue le renseignement militaire dans la perte de la Nouvelle-France?

D’une part, John Keegan écrit : « War is ultimately about doing, not thinking. [...] War is

not an intellectual activity but a brutally physical one1409. » En effet, cette thèse a fourni de

nombreux cas illustrant que détenir une information cruciale n’est pas garant d’une

victoire : Murray, par exemple, va perdre contre Lévis à la bataille de Sainte-Foy malgré sa

connaissance de l’emplacement des troupes françaises. Toutefois, Keegan rappelle aussi :

« War is the arena of chance; furthermore, nothing in war is simple1410 », faisant écho au

chevalier de Lévis qui écrit au début du conflit « [qu’]à la guerre, il n’y a rien de plus

incertain que le succès1411. » Le recours au renseignement n’est-il pas donc, après tout, le

moyen le plus sûr de limiter le hasard en cherchant à s’informer le plus possible sur

l’adversaire pour déterminer la tactique à suivre? Informé qu’il a affaire à un adversaire

plus nombreux, l’état-major a d’autant plus besoin du renseignement pour se préparer.

Cette thèse appuie cette observation de Stéphane Genêt : « Le recours au renseignement

1406 Montcalm à Lévis. À Québec, le 5 juillet au soir 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du marquis de Montcalm…, p. 173. 1407 À ce sujet, Guy Frégault rappelle : « Bigot et sa séquelle porteraient-ils la responsabilité de la conquête? Non encore; c’étaient des voleurs, ce n’étaient pas des traîtres ». FRÉGAULT, La guerre de la conquête…, p. 55. 1408 Joseph-Octave PLESSIS, « La Conquête providentielle », dans COURTOIS (dir.), La Conquête, p. 176-183. 1409 KEEGAN, Intelligence in War..., p. 369. 1410 IBID., p. 374. 1411 Lévis à Vaudreuil. Le 2 août 1756, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 35.

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militaire apparaît en fait comme un aveu de faiblesse, un moyen incertain de pallier

l’inégalité des forces1412. »

En effet, jusqu’à la mi-XVIIIe siècle, le recours à la petite guerre est la stratégie de choix

des Français en Amérique. La guerre de Sept Ans, toutefois, rapproche soudainement la

méthode de guerre américaine de celle pratiquée en Europe. Avec le débarquement des

troupes de Terre du ministre de la Guerre, la défense de la Nouvelle-France fait appel à une

campagne de dimension jamais vue auparavant. Comme le souligne Genêt :

Désormais, seuls le nombre, la surprise ou l’habileté tactique du général peuvent faire la différence. Dans tous ces cas, pour estimer l’effectif de l’ennemi, dissimuler et protéger le sien, savoir où frapper voir [sic] comment éviter le combat, bref prendre l’ascendant sur l’autre, il faut donc détenir l’information.1413

Tout comme la taille des troupes, le rôle du renseignement va lui aussi prendre de

l’ampleur. Les méthodes de renseignement vont se transposer sur le théâtre militaire de la

colonie et vont être l’extension naturelle des pratiques déjà en cours en Europe1414. Ainsi, à

titre comparatif, la Nouvelle-France se distingue à peine d’un front limitrophe en Europe :

les tactiques de renseignement et de communication y sont semblables, qu’il s’agisse de se

dresser une cartographie à jour, de savoir communiquer ses instructions écrites, d’utiliser

des troupes légères pour observer l’ennemi et capturer des prisonniers, de faire appel au

service « d’indigènes »—c’est-à-dire d’Autochtones en Amérique ou de Cosaques et de

Kalmouks en Europe—pour suppléer aux troupes légères, d’avoir recours à des espions,

etc. Les seules différences marquées sont l’absence d’une production médiatique dans la

colonie, la forte influence de la divination autochtone et la démesure des distances

physiques. Sur ce dernier point, l’état-major au Canada comme en Louisiane se trouve

généralement isolé de Versailles, séparé par l’océan et en conséquence doit faire preuve

d’une plus grande autonomie décisionnelle.

Si le renseignement prend de l’ampleur des deux côtés de l’Atlantique, ses faiblesses se

transposent aussi. Sur l’état du renseignement français en Europe, Kennett écrit :

1412 GENÊT, « Le renseignement militaire… », p. 224. 1413 Idem, Les espions des Lumières, p. 16. 1414 Idem, « Le renseignement militaire… », p. 206.

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Historians generally attribute the reverses of the French armies in the Seven Years’ War to the incompetence, timidity, and indecision both of the government at Versailles and the generals it sent into the field. While these shortcomings were undeniable, it is probable that the handicaps from which the military intelligence system suffered were no small factor in the lackluster performance of the Armée du Roi.1415

Autant les Prussiens profitent des failles importantes dans la gestion de l’information chez

les Français en Europe1416, autant la Nouvelle-France profite du manque de cohésion du

renseignement chez l’ennemi pendant les premières années du conflit1417. Toutefois, malgré

cet avantage, celui-ci est relatif : la cumulation de rumeurs, de désinformation, ou tout

simplement des changements de plan de l’ennemi peuvent semer le doute quant à la

précision et l’authenticité du renseignement, surtout dans ce contexte colonial où la

distance et le temps amplifient ces problèmes. Il va de soi que le renseignement au XVIIIe

siècle n’est pas entièrement fiable : en moins de quelques heures, les nouvelles peuvent

changer du tout au tout. C’est le cas de Bougainville qui arrive à Montréal avec la bonne

nouvelle de la prise du fort William Henry, trois heures à peine après un courrier indiquant

le contraire1418. Pour reprendre l’image du colosse aux pieds d’argile, le problème que doit

affronter l’état-major est un continent où l’infrastructure déjà fragile est à peine optimisée

pendant la guerre. Si la vitesse variable de certaines correspondances atteste une tentative

d’empressement de la transmission de messages, celle-ci est exceptionnelle plutôt que

généralisée. Au contraire, le risque d’interception du courrier crée un réseau saccadé où les

nouvelles sont sujettes à être stoppées entre autres par des corsaires, des Rangers, des

guerriers autochtones ennemis et même les hasards de la nature. La dépendance par rapport

à l’hydrographie fait aussi en sorte que la transmission de message fluctue selon les saisons

et les conditions météorologiques. Même les améliorations proposées ne se comparent pas à

celles mises en œuvre par les Britanniques qui peuvent compter sur un nombre supérieur

d’ouvriers. Néanmoins, malgré toutes ses faiblesses, le renseignement demeure un des

outils les plus importants de l’armée française. Pour reprendre la conclusion de notre

troisième chapitre, « tous les moyens sont bons—certains de véritables élans de

1415 KENNETT, « French Military Intelligence... », p. 204. 1416 Ibid. 1417 Comme le dit si bien Stephen Brumwell, « addicted to bickering amongst themselves, the British were incapable of presenting a united front. » BRUMWELL, White Devil, p. 38. 1418 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 232.

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désespoir—pour surmonter les défis d’une infrastructure fragile afin de maintenir les

communications et la cohésion interne ».

En dehors des efforts des Français, il ne faut pas oublier que les Britanniques évaluent

leurs propres problèmes liés au renseignement et aux communications. Comme le souligne

David Preston, avant l’arrivée de Braddock en 1755, jamais quelqu’un n’avait-il été

mandaté pour consolider les efforts des treize colonies britanniques1419. En Nouvelle-

France, au contraire, le gouverneur de Québec a un droit de veto en matière de guerre sur

ses homologues en Louisiane et en Acadie. Mais le gouvernement de William Pitt va

accélérer la cohésion interne du côté britannique à partir de 1758, sans oublier que l’inverse

a lieu en Nouvelle-France : la discorde entre le général et le gouverneur s’intensifie à un

point tel qu’on en parle même dans une gazette de New York1420. Au fur et à mesure que

les sièges deviennent plus européens, l’avantage des Français en matière de renseignement

se dissipe au profit de l’ennemi tout simplement mieux adapté à mener une campagne

d’usure et, comme en Europe, de surnuméraires. Comme en témoigne Bougainville :

« Maintenant la guerre s’établit ici sur le pied européen. Des projets de campagne, des

armées, de l’artillerie, des sièges, des batailles. Il ne s’agit plus ici de faire coup, mais de

conquérir ou d’être conquis. Quelle révolution! quel changement!1421 » En somme, Genêt

distille très bien l’argument : « S’il est difficile de quantifier la différence de quantité et de

qualité en matière d’information secrète entre les deux camps, il est incontestable que la

force militaire – seule décisive – fut anglaise1422. » Ceci vient appuyer Keegan :

« Foreknowledge is no protection against disaster. Even real-time intelligence is never real

enough. Only force finally counts1423. »

Pour toute l’importance qu’on accorde à la « Conquête », on doit se rappeler que la

France a une présence faible en Amérique : le nombre de ses effectifs ne se compare pas à

ceux impliqués dans les affrontements en Europe. Par exemple, lorsque Amherst décide de

miser le tout pour le tout sur Montréal en 1760, il encercle la ville avec près de 17 000

1419 PRESTON, Braddock’s Defeat, p. 76. 1420 ANOM, Colonies, C11A 103, F°138-139v. Montcalm à Vaudreuil. Au fort Carillon, le 2 août 1758. 1421 Louis-Antoine BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, Québec, Septentrion, 2003, p. 294. 1422 GENÊT, « Le renseignement militaire… », p. 225. 1423 KEEGAN, Intelligence in War..., p. 399.

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hommes—soit la plus importante armée assemblée en Amérique jusque-là, cernant ainsi les

piètres 2 000 soldats français dans son enceinte. Pourtant, en Europe, cette opération est

facilement éclipsée par les 90 000 hommes mobilisés à la bataille de Minden, en

Allemagne, sous les commandements du marquis de Contades et du prince Ferdinand1424.

Pour une image encore plus vive, les effectifs totaux en Amérique ne se comparent même

pas au nombre de morts à la bataille de Zorndorf1425. Comme le décrit Laurent Veyssière au

sujet du front américain : « ces batailles, qu’on aurait alors qualifiées d’escarmouches en

Europe, décidaient de l’avenir d’un continent et du peuple canadien1426. » Néanmoins, il est

tout de même vrai qu’en fin de compte, c’est ce qu’on pourrait appeler le principe du bélier

britannique qui remporte la victoire grâce à ses effectifs supérieurs en hommes. D’une part,

il s’agit du résultat d’une inégalité démographique commencée au XVIIe siècle avec la

politique française limitant l’immigration vers sa colonie1427 et de l’autre, d’une priorisation

du front européen (après tout, Monsieur de Berryer, le ministre de la Marine n’avait-il pas

dit « [qu’]on ne cherchait point à sauver les écuries quand le feu était à la maison1428 »?).

La force des nombres tient donc un rôle important dans le dénouement de cette guerre.

De surcroît, il ne faut pas négliger l’importance de la logistique. Même si Montcalm,

par exemple, avait eu accès à toutes les connaissances possibles au sujet des effectifs et de

la position de l’ennemi, cela ne permet pas de nier cette simple réalité : l’adversaire est

mieux pourvu en hommes et en équipement. « Il est fâcheux que le manque de vivres nous

tienne en échec1429 », écrivait le général. En effet l’état-major n’est pas dupe : il est

conscient de la situation précaire de la colonie. Lévis écrit au sujet de la campagne de

1759 : « Les ennemis nous menacent, cette année, dans toutes les parties. Ils ont de grandes

1424 ANKLAM, « Battre l’estrade… », p. 218. 1425 « Le bilan humain est digne de la boucherie héroïque dépeinte par Voltaire : 16 000 tués et blessés chez les Russes pour une armée de 42 500 hommes, soit 37% des effectifs, 12 800 chez les Prusses sur un total de 37 000 hommes, soit plus du tiers de l’armée de Frédéric II. » DZIEMBOWSKI, La guerre de Sept Ans, p. 385. 1426 Laurent VEYSSIÈRE, « Introduction », dans Sophie IMBEAULT, Denis VAUGEOIS et Laurent VEYSSIÈRE (dir.), 1763 : Le traité de Paris bouleverse l’Amérique, Québec, Septentrion, 2013, p. 29. 1427 « The pincers were closing about French Canada, the inevitable outcome, once the British had chosen to make a major strategic effort in North America, of the failure of Paris to sponsor large-scale emigration to its dominions. Numbers tell, both in colonization and warfare, and the advantage in this imperial war was now passing to the more populous English-speaking regions. » KEEGAN, Fields of Battle, p. 116. 1428 BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 349. 1429 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 189.

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forces et de grands moyens; nous en avons peu. La campagne sera critique1430. »

Euphémisme de sa part... Comme Jay Cassel l’explique :

Transportation and communications reveal significant weaknesses in the military and economic structure of the colony. It is often said that climate and geography were assets to Canada, shielding it naturally from powerful enemies. […] But it was a two-edged sword. Geography and climate also placed severe strains on French transportation and communication and complicated operations.1431

De plus, si les Français ont su contrôler plus ou moins la Nouvelle-France par les voies

fluviales, les Britanniques l’ont conquise par les routes : la route de Braddock, la route de

Forbes et combien d’autres... autant de nouvelles voies scindant la forêt jusque-là

impénétrable afin d’imposer la volonté britannique sur la géographie de la colonie française

et maintenir un cordon ombilical vers ses propres colonies. Néanmoins, même si la Grande-

Bretagne atteint la victoire à la fin de la guerre de Sept Ans grâce entre autres au nombre

d’effectifs à sa disposition et le développement de son réseau de ravitaillement en

Amérique, elle n’arrivera pas à répéter ce même succès lors de la Révolution américaine.

Elle fera face cette fois-ci au même problème que la France pendant la Conquête : un

adversaire qui n’a pas à franchir comme lui l’océan pour se ravitailler1432.

Le statut réel de l’utilité du renseignement pendant cette guerre coloniale repose donc

non sur le dénouement de la guerre, mais de son effet sur la tactique et la stratégie. Comme

l’écrit Bois : « L’on sait que les batailles résultent toujours de la triple combinaison entre

1’objectif politique défini par l’État, les conceptions stratégiques mises en œuvre par les

chefs de l’armée, et l’exécution tactique qui se trouve dans la main des officiers

subalternes, bas-officiers et soldats. Dans la guerre du XVIIIe siècle, l’exécution tactique est

prioritaire1433. » Rappelons donc que la stratégie est la planification générale de la conduite

d’une guerre. La tactique, quant à elle, est l’art de mettre en œuvre cette stratégie à diverses

échelles, soit pendant un siège ou une bataille, en s’adaptant aux circonstances. Le succès

1430 Lévis à Belle-Isle. À Montréal, le 15 avril 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 219. 1431 CASSEL, « Troupes de la marine... », p. 293. 1432 En effet, pendant la guerre de Sept Ans, la Grande-Bretagne peut s’appuyer sur ses colonies et leurs nombreux ports libres de glace. Il s’agit d’un avantage considérable contre la Nouvelle-France, limitée à deux principaux ports : Québec et La Nouvelle-Orléans. Louisbourg, prise en 1758, faisait déjà l’objet d’une réévaluation de son importance. ANDERSON, War and Society..., p. 158 et BOUGAINVILLE, Écrits sur le Canada, p. 38. 1433 BOIS, « Plaidoyer… », p. 21.

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ou l’échec d’une seule tactique n’est pas nécessairement garant du dénouement de la

stratégie. Pour reprendre l’exemple de Keegan cité dans l’introduction, même si la bataille

de la Monongahela se termine par une des pires défaites britanniques en Amérique, cela n’a

pas empêché la Grande-Bretagne de remporter la lutte pour la domination du Canada. À

l’inverse, nous pouvons également dire que le dénouement de la stratégie n’invalide pas

l’utilité d’une tactique, incluant ici la dépendance de l’état-major de la Nouvelle-France sur

le renseignement. Comme l’écrivent André Corvisier et Hervé Couteau-Bégarie : « non

moins déterminant est le comportement des chefs des armées : l’histoire enseigne que, le

plus souvent, les victoires ou les défaites sont d’abord le résultat de décisions stratégiques

ou tactiques, c’est-à-dire de l’action du commandement.1434 » Cela dit, il ne faut pas oublier

que les décisions du commandement s’appuient justement sur ses connaissances au sujet de

l’adversaire. Le moindre renseignement devient donc un avantage stratégique. Ceci dit,

deux dilemmes s’érigent devant l’état-major français. D’abord, il faut accumuler de

l’information et s’assurer qu’elle soit exacte. Le deuxième dilemme est la décision à

prendre par rapport à ces informations. L’historiographie continue aujourd’hui de débattre

ces décisions, par exemple celle prise par Montcalm le 13 septembre 1759. Dans cette

thèse, nous avons choisi de laisser aux autres historiens ces ruminations sempiternelles pour

nous concentrer au lieu sur le mécanisme du premier dilemme. Sur ce, on ne peut nier

l’importance des activités de renseignement qui fournissent la matière brute

informationnelle qui permet à l’état-major de prendre des décisions, qu’elles soient bonnes

ou mauvaises.

Peut-on donc parler d’un échec misérable de la part des Français? Échec, oui.

Misérable? Certainement pas, tenant compte de leur remarquable résistance sur plusieurs

années due en grand partie à l’avantage que leur procure le renseignement. Pour reprendre

une parole de Montcalm qui s’applique bien au contexte plus large de cette guerre, « On

peut être battu, c’est un malheur ordinaire au plus faible; mais le comble de l’infortune,

c’est d’être surpris1435. » Il faut donc se méfier de commettre l’erreur élémentaire de tirer

une conclusion à partir d’un regard qui bénéficie de rétrospection. Si nous savons

1434 CORVISIER et COUTAU-BÉGARIE, La guerre…, p. 6. 1435 MONTCALM, Le journal du Marquis de Montcalm, p. 481.

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aujourd’hui ce qu’allait être le dénouement de la guerre, l’état-major, lui, ne le savait pas.

La perte de la colonie n’était pas nécessairement inévitable. Certes, ses membres cachaient

difficilement leur cynisme, particulièrement en 1759 alors que Montcalm écrit ces lignes

dans son journal : « On peut regarder ce pays-ci, et conséquemment la Louisiane, comme

perdus pour la France, à moins d’un miracle inattendu ou d’une paix, qui, suivant les

Anglois, est très éloignée1436. » Même l’éternel optimiste, Vaudreuil, n’est pas dupe alors

qu’il écrit l’année précédente : « D’ailleurs telle est notre situation, la bataille perdue

entraine la perte de la colonie : la bataille gagné ne fait que la differer1437. » Et pourtant,

voilà effectivement la stratégie française qui mise sur sa position défensive : il ne s’agit pas

de gagner, mais de ne pas perdre1438. La nuance est importante : le but ultime est de

survivre jusqu’à la déclaration de paix. Tant et aussi longtemps que l’état-major peut

retarder une conquête totale de la colonie, la conservation d’une partie du territoire français,

« si petite qu’elle soit », facilitera l’obtention de la rétrocession du Canada1439. En réalité,

donc, le vrai adversaire est le temps. Ceci dit, le renseignement a donc permis aux Français

de résister plus longtemps contre une armée beaucoup plus nombreuse aux ressources plus

abondantes. La France en Amérique se trouve finalement, métaphoriquement parlant, dans

un match de boxe contre la Grande-Bretagne, un poids lourd : comme un bon œil gardé sur

l’opposant en tout temps, le renseignement permet à l’état-major d’esquiver le plus de

coups possible de l’adversaire en attendant le son de la cloche. Mais entre-temps, comme

un athlète qui se fatigue, il en est ainsi avec la Nouvelle-France qui subit une guerre

d’usure.

L’argument final sur l’utilité du renseignement pendant la guerre de Sept Ans en

Amérique est son emploi qui augmente de manière significative pendant la Révolution

1436 Ibid., p. 411. 1437 ANOM, Colonies, C11A 103, F°294. Mémoire de Vaudreuil de Cavagnial. À Montréal, le 3 novembre 1758. 1438 « L’objet principal que vous ne devez pas perdre de vue doit être de conserver du moins une portion suffisante de cette colonie, et de vous y maintenir pour pouvoir se promettre d’en recouvrer la totalité à la paix, étant bien différent d’avoir à stipuler dans un traité la restitution entière d’une colonie ou seulement des parties dépendantes que les hasards de la guerre ont pu faire perdre. » Berryer à Vaudreuil et Montcalm. À Versailles, le 10 février 1759, dans CASGRAIN (dir.), Lettres de la cour de Versailles…, p. 167. 1439 ANOM, Colonies, C11A 103, F°452-455. Feuille au net (délibérations du conseil du roi). Le 28 décembre 1758.

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américaine1440. Les méthodes et les sources employées pour se renseigner sur l’ennemi et

pour transmettre et dissimuler des messages se diversifient et se complexifient. Cette

transformation et cet accès à une masse d’informations préexistantes sont le produit direct

des activités de renseignement pendant la guerre de Sept Ans qui ont permis à la nouvelle

génération d’officiers, ainsi qu’aux nombreux vétérans de la « French & Indian War »,

d’améliorer leur savoir-faire dans ce domaine1441.

Keegan avait raison d’écrire : « It has become part of the conventional wisdom that

intelligence is the necessary key to success in military operations. A wise opinion would be

that intelligence, while generally necessary, is not a sufficient means to victory1442. » Ainsi,

encore une fois, l’évaluation de l’utilité du renseignement en Amérique française ne repose

pas sur le dénouement de la guerre, mais sur ce qu’il a permis à l’armée française

d’accomplir contre un ennemi plus puissant. En somme, malgré ses nombreuses failles et

faiblesses, le renseignement a servi à pallier la différence entre les forces françaises et

britanniques : étant principalement utile à découvrir les intentions de l’adversaire, le

renseignement a permis à l’armée française de mener sa défense sur une plus longue durée,

démontrant également encore une fois que l’état-major a fait ce qu’il a pu avec ce qu’il

avait à sa disposition.

1440 DAIGLER, Spies, Patriots, and Traitors..., p. 241. 1441 NICOLAI, « Subjects and Citizens… », p. 406-415. 1442 KEEGAN, Intelligence in War..., p. 28.

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