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VOLTAIRE ET LES PROVINCES-UNIES : « CANAUX, CANARDS, CANAILLES » ? 1. Le jeune Voltaire (François-Marie Arouet) 2. Ses quatre séjours dans les Provinces-Unies (1713, 1722, 1736-37, 1740) 3. Ses connaissances livresques sur le pays 4. Ses écrits sur la République des Provinces-Unies 5. Conclusion LE SÉJOUR DE 1713 : OLYMPE DU NOYER, DITE «PIMPETTE» LE SÉJOUR DE 1722 : AVEC M me DE RUPELMONDE Voltaire à 24 ans (1718) par Nicolas de Largillierre La comtesse de Rupelmonde (1688-1752) par Nicolas de Largillierre Jean Le Clerc (1657-1736) théologien remonstrant et historien

VOLTAIRE ET LES PROVINCES-UNIES : «CANAUX, CANARDS ... ET... · Chap. 19. Le nègre de Surinam […] je vois de loin une ville que je soupçonne être Surinam, appartenant aux Hollandais

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Page 1: VOLTAIRE ET LES PROVINCES-UNIES : «CANAUX, CANARDS ... ET... · Chap. 19. Le nègre de Surinam […] je vois de loin une ville que je soupçonne être Surinam, appartenant aux Hollandais

VOLTAIRE ET LES PROVINCES-UNIES :

« CANAUX, CANARDS, CANAILLES » ?

1. Le jeune Voltaire (François-Marie Arouet)

2. Ses quatre séjours dans les Provinces-Unies(1713, 1722, 1736-37, 1740)

3. Ses connaissances livresques sur le pays

4. Ses écrits sur la République des Provinces-Unies

5. Conclusion

LE SÉJOUR DE 1713 :

OLYMPE DU NOYER, DITE « PIMPETTE »

LE SÉJOUR DE 1722 :AVEC Mme DE RUPELMONDE

Voltaire à 24 ans (1718) par Nicolas de Largillierre

La comtesse de Rupelmonde (1688-1752) par Nicolas de Largillierre Jean Le Clerc (1657-1736) théologien remonstrant et historien

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Jacques Basnage, seigneur de Beauval (1653-1723)théologien et historien

Lettre à Nicolas –Claude Thiriot (La Haye, 2 octobre 1722)Je monte ici tous les jours à cheval, je joue à la paume, je bois du vin de Tokai, je me porte si bien que j’en suis étonné.

Lettre à Mme la Présidente de Bernières (La Haye, 7 octobre 1722)Il n’y a rien de plus agréable que La Haye, quand le soleil daigne s’y montrer. On ne voit ici que des prairies, des canaux, et des arbres verts ; c’est un paradis terrestre depuis La Haye jusqu’à Amsterdam. J’ai vu avec respect cette ville, qui est le magasin de l’univers. Il y avait plus de mille vaisseaux dans le port. De cinq cent mille hommes qui habitent Amsterdam il n’y en a pas un d’oisif, pas un pauvre, pas un petit-maître, pas un insolent. Nous rencontrâmes le Pensionnaire à pied, sans laquais, au milieu de la populace. On ne voit là personne qui ait de cour à faire. On ne se met point en haie pour voir passer un prince. On ne connaît que le travail et la modestie. […] je vois des ministres calvinistes, des arminiens, des sociniens, des rabbins, des anabaptistes, qui parlent tous à merveille, et qui, en vérité, ont tous raison.

LE SÉJOUR DE 1736-1737 :

RÉFUGIÉ EN

HOLLANDE A CAUSE DU MONDAIN

Voltaire à 42 ans par Maurice Quentin de La Tour (1736)

Herman Boerhaave (1668-1738)professeur de médecine à l’université de Leiden

Pieter van Musschenbroek (1692-1761), professeur de physique aux universités d’Utrecht et de Leiden

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Willem Jacob s’Gravesande (1688-1742)professeur de physique à l’université de

Leiden

à Nicolas-Claude Thiriot , à Leyde, le 17 janvier 1737

Je suis venu à Leyde consulter le docteur Boerhaave sur ma santé, et s’Gravesande sur la philosophie de Newton. […]

Le libraire Ledet, qui a gagné quelque chose à débiter mes faibles ouvrages, et qui en fait actuellement une magnifique édition […] m’a forcé de loger chez lui quand je viens à Amsterdam voir comment va la philosophie newtonienne. Il s’est avisé de prendre pour enseigne la tête de votre ami Voltaire.

Au même, le 28 janvier 1737

Ce bon dévot de [Jean-Baptiste] Rousseau a semé le bruit que j’étais venu prêcher l’athéisme à Leyde, et que j’en serais chassé comme Descartes, que j’avais eu une dispute publique avec le professeur s’Gravesande sur l’existence de Dieu, etc. Il a fait écrire cette belle nouvelle à Paris, par un moine défroqué qui faisait autrefois un libelle hebdomadaire intitulé le Glaneur. Ce moine est chassé de La Haye, et est caché à Amsterdam. JIl se fait ici, parmi quelques malheureux réfugiés, un commerce de scandales et de mensonges, qu’ils débitent chaque semaine dans tout le Nord pour de l’argent. On paie deux, trois cents, quatre cents florins par an à des nouvellistes obscurs de Paris, qui griffonnent toutes les infamies imaginables, qui forgent des histoires auxquelles les regrattiers de Hollande ajoutent encore. Ces messieurs-là sont une engeance à étouffer.

LE SÉJOUR DE 1740: AU SERVICE DE FRÉDÉRIC II

SES CONNAISSANCES LIVRESQUES SUR LES PROVINCES-UNIES

Jacques Basnage de Beauval (1653-1723), auteurdes Annales des Provinces-Unies

(La Haye, Ch. Le Vier, 1719-1726)

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Jean Le Clerc (1657-1736) théologien remonstrant et historien

Samuel von Pufendorf (1632-1694), auteur de l’Introduction à l’histoire

des principaux états de l’Europe (1684), dont Voltaire possède les éditions d’Amsterdam (1722 et 1743-45)

Guillaume-Thomas Raynal (1714-1796), auteur d’une Histoire du stathoudérat (1747)

Balthasar Bekker (1634-1698), théologien, auteur de De Betoverde Weereld (1691)

Bernard Nieuwentyt (1654-1718), auteur deL’Existence de Dieu démontrée par les merveilles de la Nature

(1715)

LES ÉCRITS DE VOLTAIRE

SUR LES PROVINCES-UNIES

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L’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations

(1753-1775)

Essai sur les mœurs et l’esprit des nations ch.164

CHAP. 164 Fondation de la république des Provinces-Unies.

[..] cet État, auparavant presque inconnu, devenu bientôt si puissant […] s’est formé sans dessein et contre toute vraisemblance. […] un petit coin de terre presque noyé dans l’eau, qui ne subsistait que de la pêche du hareng, est devenu une puissance formidable,

[…] les Pays-Bas étaient un assemblage de plusieurs seigneuries […] chacune avait ses lois et ses usages;

[…] les anciennes constitutions du Brabant: « Si le souverain, par violence ou par artifice, veut enfreindre les privilèges, les états seront déliés du serment de fidélité, et pourront prendre le parti qu’ils croiront convenable.

[…] Les Flamands sont naturellement de bons sujets et de mauvais esclaves.

Essai sur les mœurs et l’esprit des nations ch.164

[…] Amsterdam, aujourd’hui si fameuse, était alors peu de chose. […] Cette ville était alors occupée d’un commerce nouveau et bas en apparence, mais qui fut le fondement de sa grandeur. La pêche du hareng et l’art de le saler ne paraissent pas un objet bien important dans l’histoire du monde; c’est cependant ce qui a fait d’un pays méprisé et stérile une puissance respectable. […]

Ces sept provinces, que nous appelons aujourd’hui du nom général de la Hollande, contractent (29 janvier 1579) par les soins du prince d’Orange cette union qui paraît si fragile, et qui a été si constante, de sept provinces toujours indépendantes l’une de l’autre, ayant toujours des intérêts divers, et toujours aussi étroitement jointes par le grand intérêt de la liberté, que l’est ce faisceau de flèches qui forme leurs armoiries et leur emblème.

Essai sur les mœurs et l’esprit des nations ch.164

Les moeurs, la simplicité, l’égalité, étaient les mêmes dans Amsterdam

qu’à Sparte, et la sobriété plus grande.

On n’avait que le simple nécessaire, et ce n’était pas la peine de l’enfermer: on ne craignait point ses compatriotes; on défendait ses troupeaux et ses grains contre l’ennemi. Les maisons, dans tous ces cantons maritimes, n’étaient que des cabanes où la propreté fit toute la magnificence. Jamais peuple ne connut moins la délicatesse: quand Louise de Coligny vint épouser à la Haye le prince Guillaume, on envoya au-devant d’elle une charrette de poste découverte, où elle fut assise sur une planche.

Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, ch.187

CHAP. 187 De la Hollande au XVIIe siècle

La Hollande mérite d’autant plus d’attention, que c’est un État d’une espèce toute nouvelle, devenu puissant sans posséder presque de terrain, riche en n’ayant pas de son fonds de quoi nourrir la vingtième partie de ses habitants, et considérable en Europe par ses travaux au bout de l’Asie.

[…] Le travail et la sobriété furent les premiers gardiens de cette liberté. On raconte que le marquis de Spinola et le président Richardot allant à la Haye, en 1608, pour négocier chez les Hollandais, ils virent sur leur chemin sortir d’un petit bateau huit ou dix personnes qui s’assirent sur l’herbe, et firent un repas de pain, de fromage et de bière, chacun portant soi-même ce qui lui était nécessaire. Les ambassadeurs espagnols demandèrent à un paysan qui étaient ces voyageurs. Le paysan répondit: « Ce sont les députés des États, nos souverains seigneurs et maîtres. »

Essai sur les mœurs et l’esprit des nations ch.187

La douceur de ce gouvernement, et la tolérance de toutes les manières d’adorer Dieu […] peuplèrent la Hollande d’une foule d’étrangers et surtout de Wallons que l’inquisition persécutait dans leur patrie, et qui d’esclaves devinrent citoyens.

La religion réformée, dominante dans la Hollande, servit encore à sa puissance. […] On avait l’exemple de l’Angleterre, qui était d’un tiers plus peuplée, depuis que les ministres des autels jouissaient de la douceur du mariage, et que les espérances des familles n’étaient point, ensevelies dans le célibat du cloître.

Amsterdam, malgré les incommodités de son port, devint le magasin du monde. Toute la Hollande s’enrichit et s’embellit par des travaux immenses. Les eaux de la mer furent contenues par des doubles digues. Des canaux creusés dans toutes les villes furent revêtus de pierres; les rues devinrent de larges quais ornés de grands arbres. Les barques chargées de marchandises abordèrent aux portes des particuliers.

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Essai sur les mœurs et l’esprit des nations ch.187

Mais cette république fut près de détruire elle-même la liberté pour laquelle elle avait combattu […] Gomar et Armin disputèrent dans Leyde avec fureur sur ce qu’ils n’entendaient pas, et ils divisèrent les Provinces-Unies […] d’une controverse scolastique il se forma deux partis dans l’État. […]Barnevelt eut la tête tranchée dans la Haye (1619) […] Grotius, fut condamné à une prison perpétuelle, dont sa femme eut la hardiesse et le bonheur de le tirer. […]Amsterdam [;;;] favorisa toujours les arminiens, et embrassa le parti de la tolérance. […] Le souvenir de la mort de Barnevelt ne contribua pas peu dans la suite à faire exclure du stathoudérat le jeune prince d’Orange, Guillaume III, qui fut depuis roi d’Angleterre. […]

Cette manoeuvre de Witt fut enfin la cause funeste de sa mort et de celle de son frère: mais voilà à peu près toutes les catastrophes sanglantes causées en Hollande par le combat de la liberté et de l’ambition.

Essai sur les mœurs et l’esprit des nations ch.187

La Compagnie des Indes: […] La Hollande, marécageuse et stérile en plus d’un canton, se faisait un royaume dans la contrée la plus fertile de la terre, où les campagnes sont couvertes de riz, de poivre, de cannelle, etoù la vigne porte deux fois l’année.

[Au 18e s] quoique affaiblie [la République] subsiste par le seul commerce, qui a servi à sa fondation, sans avoir fait en Europe aucune conquête que celle de Maëstricht […] on ne l’a point vue s’agrandir depuis la paix de Munster.

Candide

Candide

Chap. 19. Le nègre de Surinam

[…] je vois de loin une ville que je soupçonne être Surinam, appartenant aux Hollandais. En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? -- J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. -- Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ? -- Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe.

C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. […]

Conclusion

• Une vision globalement très positive de la vie dans les Provinces-Unies, de leurs institutions et de leur économie

• Malgré quelques mentions moins favorables sur le commerce de la librairie

• Exemple: lettre à Frédéric II (20 juillet 1740)

« Un peuple gai et mercenaire […]

Vend aux voyageurs l’air et l’eau

[…] fripon de libraire

Canaux, canards, canailles ?

On ne le retrouve pas sous sa plume.

Peut-être une plaisanterie faite oralement et rapportée dans les salons ?

1ère mention écrite dans une lettre de 1821 d’Alfred Duvaucel ?

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

• Voltaire en son temps (R. POMEAU dir.) , Paris-Oxford, Fayard-Voltaire Foundation, 1995

• R. TROUSSON, Voltaire, Paris, Tallandier, 2008

• Dictionnaire général de Voltaire (R. TROUSSON, J. VERCRUYSSE dir.) , Paris, Honoré Champion, 2003

• Inventaire Voltaire (J. GOULEMOT, A. MAGNAN, D. MASSEAU dir.), Paris, Gallimard, 1995 (coll. Quarto)

• A. VERSAILLE, Dictionnaire de la pensée de Voltaire par lui-même, Bruxelles, Editions Complexe, 1994