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JOURNÉE À MARTEL 1 er avril 2012 ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Page 1 Jean-Pierre Lazarus Le voyage du 1 er avril m'apparaît comme une occasion de sortir de chez moi, de rompre avec la monotonie de l'écoulement des jours, occasion de célébrer un printemps estival et de découvrir les extrêmes confins de ma région. En vérité, je ne sa- vais pas où se situait Martel ni ne me souvenais l'avoir déjà traversé il y a plus de dix ans. Sans même connaître le détail du programme, l'envie de sortir et de voir du pays m'a donc poussé à m'ins- crire à ce voyage d'une journée. C'est un dimanche d'été qui se prépare en se- cret dans la nuit encore fraîche. Lorsque je sors de chez moi, la Grande Ourse achève sa circonvolu- tion nocturne. À 6 h 33, alors que la Station Spa- tiale Internationale traverse le ciel de Pessac en- core noir, le bus approche de l'arrêt Madran. En ce premier avril, le Comité du Monteil ne nous pro- pose pas la visite d'un aquarium mais celle d'un village du Quercy situé entre Brive et Padirac. Au- toroute 89, direction le piémont du Massif Cen- tral… Le Périgord n'est que forêts de chênes non encore habillées de printemps mais je suis sûr qu'au cœur de ces massifs, dans le silence de ces forêts, on doit entendre grandir les feuilles neuves et bouillonner la chlorophylle. Ce n'est déjà plus l'hiver : dans les haies, les épineux, les pruneliers, les aubépines offrent leurs couronnes de fleurs blanches au soleil printanier. 10 h. Dans ce paysage souriant, apparaissent les sept tours du vil- lage de Martel. Le bus se pose devant la gare, en bas du village. Autrefois sur la ligne ferroviaire Bordeaux - Aurillac, Martel était un centre commercial par lequel transitaient les productions de la montagne que l'on descendait vers Bordeaux et celles de la côte qui remontaient sur les Causses et les plateaux. Le chemin de fer, construit dans les années 1880 - 1884 mit fin à la noria des gabares qui assuraient le transport des marchandises sur la rivière Espérance 1 ; la guerre de 1914 porta un coup brutal à la voie ferrée. Les rails furent dépo- sés puis remis lorsque les Américains en offrirent de nouveaux. Entre les deux guerres, ce train transportait les truffes vers Sarlat, d'où son surnom de Truffadou. Puis tout fut supprimé au grand pro- fit des camions et des voitures particulières. En 1991, une association se créa pour remettre en état les six kilomètres de la portion ferroviaire reliant Martel à Saint-Denis-les-Martel. Le hall de la gare, alors en ruine, fut entièrement rénové ; six ans de travaux furent nécessaires pour restaurer la plate-forme, les rails, les voitures et les machines. C'est le résultat de ce travail remarquable que nous observons depuis le quai ensoleillé de la "nou- velle" gare de Martel. Une locomotive 030 à va- peur crache une épaisse fumée noire dans le hall de réparation. Une autre 030 nommée Trambouze est exposée à la sortie du hall, seule rescapée d'une série de quatre locomotives construites en 1891. Atteignant la vitesse faramineuse de 40 km/h, cette ancêtre ne fut radiée qu'en 1961. Ses trois sœurs se prénommaient Espérance, Avenir et Progrès. Qu'en Note n° 1 : Les explications fournies aux voyageurs par les haut-parleurs nous apprennent que cette lutte d'influence entre les transports fluviaux et ferroviaires fut l'occasion de grandes difficultés, les bateleurs ne vou- lant pas mourir sans combattre. La ligne ferroviaire subit quelques sabo- tages mais finit par vaincre le transport séculaire par le fleuve. Mise en place du train près du quai

Voyage à Martel par JP LAZARUS

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récit d'un voyage à Martel

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Page 1: Voyage à Martel par JP LAZARUS

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Le voyage du 1 er avril m'apparaît comme une occasion de sortir de chez moi, de rompre avec la monotonie de l'écoulement des jours, occasion de célébrer un printemps estival et de découvrir les extrêmes confins de ma région. En vérité, je ne sa-vais pas où se situait Martel ni ne me souvenais l'avoir déjà traversé il y a plus de dix ans. Sans même connaître le détail du programme, l'envie de sortir et de voir du pays m'a donc poussé à m'ins-crire à ce voyage d'une journée.

C'est un dimanche d'été qui se prépare en se-cret dans la nuit encore fraîche. Lorsque je sors de chez moi, la Grande Ourse achève sa circonvolu-tion nocturne. À 6 h 33, alors que la Station Spa-tiale Internationale traverse le ciel de Pessac en-core noir, le bus approche de l'arrêt Madran. En ce premier avril, le Comité du Monteil ne nous pro-pose pas la visite d'un aquarium mais celle d'un village du Quercy situé entre Brive et Padirac. Au-toroute 89, direction le piémont du Massif Cen-tral… Le Périgord n'est que forêts de chênes non encore habillées de printemps mais je suis sûr qu'au cœur de ces massifs, dans le silence de ces forêts, on doit entendre grandir les feuilles neuves et bouillonner la chlorophylle. Ce n'est déjà plus l'hiver : dans les haies, les épineux, les pruneliers, les aubépines offrent leurs couronnes de fleurs blanches au soleil printanier.

10 h. Dans ce paysage souriant, apparaissent les sept tours du vil-lage de Martel. Le bus se pose devant la gare, en bas du village. Autrefois sur la ligne ferroviaire Bordeaux - Aurillac, Martel était un centre commercial par lequel transitaient les productions de la

montagne que l'on descendait vers Bordeaux et

celles de la côte qui remontaient sur les Causses et les plateaux. Le chemin de fer, construit dans les années 1880 - 1884 mit fin à la noria des gabares qui assuraient le transport des marchandises sur la rivière Espérance 1 ; la guerre de 1914 porta un coup brutal à la voie ferrée. Les rails furent dépo-sés puis remis lorsque les Américains en offrirent de nouveaux. Entre les deux guerres, ce train transportait les truffes vers Sarlat, d'où son surnom de Truffadou. Puis tout fut supprimé au grand pro-fit des camions et des voitures particulières.

En 1991, une association se créa pour remettre en état les six kilomètres de la portion ferroviaire reliant Martel à Saint-Denis-les-Martel. Le hall de la gare, alors en ruine, fut entièrement rénové ; six ans de travaux furent nécessaires pour restaurer la plate-forme, les rails, les voitures et les machines. C'est le résultat de ce travail remarquable que nous observons depuis le quai ensoleillé de la "nou-velle" gare de Martel. Une locomotive 030 à va-peur crache une épaisse fumée noire dans le hall de réparation. Une autre 030 nommée Trambouze est exposée à la sortie du hall, seule rescapée d'une série de quatre locomotives construites en 1891. Atteignant la vitesse faramineuse de 40 km/h, cette ancêtre ne fut radiée qu'en 1961. Ses trois sœurs se prénommaient Espérance, Avenir et Progrès. Qu'en

Note n° 1 : Les explications fournies aux voyageurs par les haut-parleurs nous apprennent que cette lutte d'influence entre les transports fluviaux et ferroviaires fut l'occasion de grandes difficultés, les bateleurs ne vou-lant pas mourir sans combattre. La ligne ferroviaire subit quelques sabo-tages mais finit par vaincre le transport séculaire par le fleuve. Mise en place du train près du quai

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est-il de l'espérance pour cette ligne ferroviaire amputée par l'A20 ? Qu'en est-il de l'avenir pour ces petites associations qui tentent (et réussissent) à maintenir "vivants" quelques tronçons ferroviai-res tels des morceaux d'histoire le long desquels nous pouvons cultiver notre nostalgie des temps anciens ? Qu'en est-il du progrès qui nous trans-porte à 300 km/h d'un point à l'autre du pays sans irriguer le tissu vital de la communauté ?

Dans la locomotive, le chauffeur jette le char-bon dans la chaudière pour mettre en pression la machine. Bientôt les quatre wagons ouverts sont déplacés par une petite draisine, la locomotive à vapeur est attelée : le train constitué prend place devant le quai : nous embarquons dans la voiture dédiée.

11 h : coup de sifflet. Le convoi s'ébranle, poussé par la locomotive. Les six kilomètres de rail descendent à 20 ‰ entre Martel et Saint-De-

nis-les-Martel. PK 631 : le village de Martel glisse doucement au-delà des belles prairies verdoyantes et des haies fleuries. Puis le train s'engage dans une profonde tranchée taillée dans le calcaire du Causse de Martel, passe sous un pont de pierre à l'appareillage particulièrement bien soigné. Une courbe sur la gauche débouche dans un premier tunnel de 260 m de long. Les haut-parleurs expli-quent qu'une série de cinq tunnels nous attend : en vérité, je n'espérais pas un tel parcours. C'est en sortant du tunnel de Mirandol, long de 400 m, que se déploie toute la beauté de cette ligne taillée en corniche dans la falaise, au-dessus d'une vallée de la Dordogne en plein éveil printanier. On aperçoit les boucles du fleuve au pied de spectaculaires fa-laises au sommet desquelles est construit le châ-teau de Mirandol. Le train s'arrête sur cet à-pic magnifique ; les voyageurs descendent et, depuis le mirador aménagé, admirent la belle vallée de la Dordogne qui serpente entre les causses de Martel et de Gramat. J'envie les touristes anglais qui dé-couvrent de cette manière un si beau pays…

Second départ. Sur le côté gauche, construit à flanc de falaise, un muret canalise les eaux de ruis-sellement afin éviter une dégradation de la ligne. Troisième tunnel de 40 m puis un cinquième de 116 m qui débouche sur le viaduc des Courtils. L'on nous fait remarquer, caché dans le feuillage qui borde le fleuve, le pont métallique construit

Martel vu depuis le train

Viaduc de CourtilsHalte panorama au tunnel de Mirandol

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Une halte inespérée est offerte à la cabane des Courtils, entre viaduc et tunnel. Halte commerciale – cartes postales, affiches et souvenirs divers – mais aussi somptueux panorama sur la vallée de l'Espérance. Occasion de remarquer que la loco-motive polonaise s'appelle Marine, qu'elle con-somme cinq mille litres d'eau pour parcourir ces douze kilomètres (information obtenue auprès de l'un des employés) et qu'elle brûle 420 kg de char-bon qui lui aussi vient des pays de l'Est. À 12 h 13, le train entre en gare de Martel : fin du voyage.

par Eiffel en 1864 pour faire franchir la Dordogne à la ligne Paris - Rodez. Exposée plein sud, pas-sant en balcon dans la falaise calcaire, la voie est bordée de buis et de chênes encore nus.

Passage à niveau N° 369 bis et point kilomé-trique 636 : nous sommes arrivés à Saint-Denis-les-Martel. Il est 11 h 42. Le train est à l'heure, l'arrêt bref car aussitôt, la locomotive souffle, sif-fle, halète et repart pour remonter la pente. Cette

Le repas est proposé à la ferme auberge du moulin à huile, au cœur des plantations de noyers du Périgord, noyers qui proviennent de la région de Grenoble. Deux grandes tables sont dressées dans une salle neuve qui voudrait rappeler – au moins de l'extérieur – les anciens séchoirs à tabac qui étaient autrefois une des caractéristiques archi-tecturales du pays. Deux vitraux modernes rappel-lent cette activité ainsi que des feuilles de tabac suspendues au plafond. Repas très satisfaisant, puisant ses racines dans les traditions locales et les produits de la ferme, autant qu'il est possible en ce début de printemps. Soupe aux oignons, salade ac-compagnant une rondelle de pâté de canard, ma-gret et pommes de terre rissolées dans la graisse de canard, salade verte aux cerneaux de noix, cantal

fois, elle nous tire et déjà l'on peut prévoir que la traversée des cinq tunnels ne sera pas aussi agréa-ble que lors de la descente. Les haut-parleurs nous préviennent donc que nous allons goûter au plaisir de la vapeur… Ah ! le bon temps de la traction à vapeur lorsqu'il était difficile d'ouvrir les fenêtres sans que le compartiment ne soit rempli de fumée, lorsque pencher la tête par la fenêtre exposait aux scories dans les yeux – pericoloso sporgersi – et lorsque, fatigué par un trop long trajet (en ce temps-là les trains s'arrêtaient aux gares et le voyage durait ; on voyageait même de nuit !), lorsque donc, fatigué par un trop long trajet, on descendait en se tenant aux poignées extérieures pour constater avec déplaisir d'avoir les paumes noircies par le charbon gras collé aux poignées.

Panorama sur la vallée EspéranceEntrée dans le tunnel de Courtils

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et chèvre de Rocamadour, gâteau aux noix, vin de Cahors et, pour commencer ce festin, vin de noix ou de pêche.

Nous visitons le moulin à huile qui jouxte la salle du restaurant : tout a été électrifié pour facili-ter la tâche mais auparavant, le moulin se trouvait près d'un cours d'eau. La meule écrase les cer-neaux "invalides", c'est à dire brisés. Les cerneaux entiers ont davantage de valeur car ils servent pour décorer les pâtisseries. La pâte obtenue est chauf-fée puis mise en presse. Une rondelle en paille placée sous la pâte sert de filtre. Le vieil homme

Il reste peu de temps pour visiter le village et c'est un peu dommage. Une visite organisée nous aurait sans doute beaucoup appris sur Martel, beau village "médiéval", riche de tours, de clochers et de jolies demeures aux façades de pierres, parcou-ru de ruelles sinueuses. Au centre du village, la halle est en excellent état et ses quatorze piliers de pierre supportent la très belle charpente de chêne. Deux ou trois mesures de grains intriguent le visi-teur attentif… Au cœur du palais de la Raymondie, une jolie cour entre porte cochère et fenêtres à me-neaux. Dommage que la tour de l'horloge soit en partie enfermée dans des échafaudages… L'église

qui nous explique son travail et ses machines est fier de dire que la presse exerce une pression de cent tonnes, sans que je comprenne sur quelle uni-té de surface. Les rondelles de tourteaux complè-tent la nourriture du bétail. J'apprends qu'avant l'électrification de ces machines, il arrivait que les ânes fassent tourner la meule en marchant indéfi-niment autour de l'installation. Ils devenaient fous mais pour faire durer davantage leur supplice, on leur crevait les yeux. Ils pouvaient ainsi servir un peu plus longtemps. La fée électricité a mis fin à ces maltraitances animales.

Saint-Maur, plus grand monument du village, dresse son haut clocher et ses mâchicoulis haut vers le soleil printanier. La messe des Rameaux étant dite dans la grande nef, nous ne pouvons vi-siter. De toute façon, nous n'en aurions pas le temps.

16 h 30. Il est temps de reprendre la route vers chez nous pour terminer cette très belle journée et cette découverte d'un coin de pays fort original.

Texte et photos : Jean-Pierre Lazarus

La cour intérieure du palais Raymondie (XIV e siècle)La presse du moulin à huile de noix