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Frabce/Japon : vers des tendances politiques partagées ?

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France / Japon : vers des tendances politiques partagées ?

N°1 Octobre 2011

Tôru YoshidaChercheur invité

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Centre de recherches politiques

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« Une démocratie pas comme les autres », ce lieu commun était employé pour décrire la vie politique japonaise depuis les années 801. Il est devenu obsolète avec l’alternance de 1993 puis l'alternance de 2009 qui a vu la victoire du Parti démocrate et la défaite du Parti libéral démocrate et la mise en œuvre de réformes profondes. Durant cette même période, le système politique français se normalisait et prenait une place « ordinaire dans l’Europe »2 .Les deux démocraties japonaise et française ont un régime et une culture politiques très différents, différences bien exprimées par le grand poète japonais Sakutarō Hagiwara (1886-1942) : « Je pense vraiment me rendre en France, mais la France paraît si loin ». Notre propos est, en premier lieu, de décrire les images de la France vue du Japon telles qu'elles se construisent dans les médias et les commentaires des analystes japonais. Nous aborderons ensuite les tendances propres aux deux systèmes politiques qui présentent plutôt des similitudes. Ainsi, en dressant cet état des lieux, pourrons-nous saisir à quels enjeux la démocratie doit répondre aujourd'hui en France et au Japon.

1/ Deux images de la France

Pour les Japonais, la France est souvent associée à la notion de « grandeur » et à une politique du « verbe » où l'éloquence tient toute sa place. Ainsi, Shôko Yamaguchi, correspondante de longue date à Paris du quotidien Sankei-Shimbun, a publié une biographie de Charles de Gaulle3, qui ne cache pas son admiration pour le « grand homme » incarnant le pouvoir républicain et illustrant cette poli t ique de la « grandeur ». Par ailleurs, pour certains, la République est aussi marquée par une autre spécificité. Comme l'avait rappor té le correspondant à Paris du prestigieux quotidien national Asahi-Shimbun, la France est perçue comme étant parfois ingouvernable avec sa « démocratie de la rue » qui fait obstacle aux réformes nécessaires, voire conduit à l’immobilisme4.Dans un registre plus actuel, le couple Nicolas Sarkozy-Carla Bruni a suscité de nombreux commentaires dans la presse japonaise, tout comme la personnalité et les propos du président de la République. Mais au-delà de ces commentaires médiatiques, nombre d'analystes japonais ont insisté sur la crainte d'un désintérêt d'une France qui se rapprocherait de plus en plus

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1 PEMPEL (T.J), (ed.), Uncommon Democracies, Cornell University Press, 1990, 371 p. [ISBN 0801 496969]2 MACHIN (Howard), ”Introduction,” Hall, (A.Peter), Hayward, (Jack) and Howard (Machin) (ed.), Developments in French politics, Revised Edition, Macmillan, 1994, p.1. [ISBN 03336 15638]3 YAMAGUCHI (Shoko), La France avec de Gaulle (en japonais), Kodeshoboshinsha, 2010.4 KUNISUÉ (Norito), La France rongé par le populisme (en japonais), Soshisha, 2005.

France / Japon : vers des tendances politiques partagées ?

Les deux démocraties, japonaise et française, ont un régime et une culture politique très différents. Cependant, ces systèmes connaissent aujourd'hui des convergences notables s’agissant de la bipolarisation, de la personnalisation du pouvoir, de la cartellisation des partis et de la crise de la confiance politique.

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de la Chine, apparemment, à la grande différence de la politique menée précédemment sous le mandat de Jacques Chirac. Une visite très courte du Président lors du Sommet du G7 au Japon en 2008 (sans son épouse), et le G20, projet cher à Nicolas Sarkozy qui réduira encore plus la marge de manœuvre du Japon, donnèrent du crédit à ce type de commentaires. Si le président de la République fut le premier chef d’État à visiter l’archipel après le séisme du 11 mars 2011, ses propos vantant « la sûreté nucléaire » avaient été plutôt mal perçus par les commentateurs. En somme, aujourd'hui, les relations diplomatiques ne semblent pas se doubler de liens politiques étroits entre les deux pays.

2/ Des tendances communes : bipolarisation, personnalisation du pouvoir, cartellisation des partis et crise de la confiance politique

Si le régime politique et le système partisan de la France et du Japon diffèrent, nous pouvons tout de même observer des tendances communes dans le fonctionnement de la vie démocratique.

L'un des traits majeurs de l'évolution du système de partis dans les pays industrialisés, au Japon mais aussi en Allemagne, en Italie, en Autriche ou en Irlande, est la tendance à la bipolarisation de la compétition électorale et politique. Ce trait est aussi l'une des caractéristiques de la vie politique française sous la Ve République5. Au Japon, depuis 1996 et la réforme du Code électoral pour les élections à la Chambre basse, un scrutin uninominal majoritaire à un tour

(auquel s’ajoute une élection à la proportionnelle pour près d’un tiers des sièges), a remplacé un scrutin majoritaire plurinominal à vote unique non transférable (SNTV - Single Non Transferable Vote) qui était en fait un mode électoral plus ou moins proportionnel. Le nouveau mode de scrutin a favorisé la bipolarisation qui s'est, depuis, confirmée6. La traduction institutionnelle de cette réforme a été spectaculaire : le nombre de partis d’opposition a diminué et celui des candidats lors des élections législatives a baissé de plus de 20% dans les circonscriptions.

A ce trait s’ajoute une personnalisation du pouvoir politique. Dans des campagnes électorales de plus en plus personnalisées, que ce soit dans le cadre du parlementarisme japonais ou du présidentialisme français, les rivalités entre candidats prennent le pas sur la confrontation des programmes. On pourrait, dans ce sens, parler de « présidentialisation »7 des régimes parlementaires. Cette personnalisation peut déboucher sur une véritable « théâtralisation » de la scène politique. Le phénomène Koizumi de 2001 à 2007 ou encore la « peopolisation » de la campagne présidentielle française de 2007 sont autant de symptômes de cette fusion entre le politique et le médiatique. Il serait étonnant que 2012 y échappe. L'intense recours aux médias des différents candidats des primaires socialistes de 2011 est là pour le démontrer.

Au sujet de cette présidentialisation, ajoutons qu’au Japon, la possibilité d’une élection directe du Premier ministre (Shûsho kosen), à l'instar d’Israël qui avait entrepris la même réforme, était débattue formellement au début des années 2000. La réforme n’aboutira pas pour plusieurs

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5 MAIR (Peter), “Party System Change.”, KATZ (Richard S.) and CROTTY (William J.) (eds.), Handbook of Party Politics, London, Sage, p. 70. [ISBN 978-0-7619-4314-3]6 Pour un aperçu, Cf. REED (Steven R.), “Duverger's Law is Working in Japan”, Senkyo-Kenkyu (electoral Studies), vol. 22, 2007, et de VIRGILIO (Aldo di) et KATÔ (Junko), « Factionalisme, coalitions et fragmentation politique : Qu’est-ce qui a vraiment changé dans le système partisan au Japon et en Italie dans la décennie 1990 ? » , Revue française de science politique, vol. 51, n°4, août 2001, p.587-619.7 POGUNTKE (Thomas) et WEBB (Paul), The Presidentialization of Politics: a comparative study of modern democracies, Oxford University Press, 2005, 361 p. [ISBN 0-19-925201-7 alk. paper]

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raisons, notamment, parce qu’elle s’accordait mal avec le statut de l’Empereur, défini dans la Constitution comme le « symbole » de l’État et de l’unité du peuple japonais. Une réforme pour établir une plus grande légitimité démocratique est toujours en attente, avec par exemple, la possibilité d’un recours au référendum. De ce point du vue, la pol i t ique f rançaise « référendaire », est un modèle envié par nombre de réformateurs japonais.

Une troisième tendance commune au Japon et à la France est l'évolution des partis politiques vers un modèle où ils paraissent de plus en plus coupés de la société civile et deviennent des « partis cartels » se répartissant entre eux les diverses ressources publiques comme le financement public ou l’accès aux médias. Ces grands partis politiques semi-étatiques, monopolisant les ressources publiques, sont peu à peu devenus la forme dominante du phénomène partidaire en France et au Japon8. A titre d'exemple, au Japon, le Parti démocrate japonais (PDJ) a bénéficié d’importantes dotations publiques rendues possibles grâce à la réforme de 1994. Ainsi, 90 % des revenus du PDJ étaient issus de ce type de financement public avant son accession au pouvoir en 2009.

Les vicissitudes et les tensions au sein de l'appareil partisan que ce soit chez les socialistes français ou chez les démocrates japonais, conduisent aussi à une plus grande ouverture vers les militants de base et vers l’opinion publique pour retrouver une certaine légitimité. Le PDJ organisa en 2002 une « primaire » où tous les électeurs pouvaient voter pour élire le leader. Ce genre de contournement des

organisations partisanes et de tentative de se ressourcer à l'extérieur du parti est un phénomène de plus en plus fréquent dans les démocraties9.

Enfin, dernière tendance commune aux deux pays : la crise de confiance politique. La politique japonaise était et est souvent considérée comme instable et fluctuante, produisant des « bulles politiques » en permanence, entre espoir et déception démocratiques. Les raisons évoquées de cette démocratie fluctuante et hésitante résident en partie dans des décisions de leaders politiques figées dans le court terme, des organisations politiques très détachées du corps social et des électorats vigilants et souvent très critiques de la vie politique. Déjà dans les années 60, le politologue Maruyama Masao analysait, en la critiquant, cette tendance. Il regrettait que la vie politique japonaise ne privilégie pas les questions de l'intérêt général et que les désirs de consommation et de jouissance privés l'emportent.Remarquons enfin que cette tendance se déploie aujourd'hui dans les démocraties les plus avancées du monde, qualifiées par certains de « post-démocraties »10.

Ainsi, tout en gardant des caractéristiques spécifiques de chaque côté, les styles et les formes de la politique française et japonaise deviennent-ils « ordinaires », avec leurs avantages et leurs inconvénients. Quoi qu'il en soit, d'un point de vue politique, pourrait-on dire que ce Japon en tant qu’« Empire des signes » tel que le décrivait Roland Barthes en 1970, et dont il avançait qu'il s'agissait d'un « système symbolique inouï, entièrement dépris du nôtre », n’est plus un cas isolé ? Dans une démocratie en pleine mutation, les frontières politiques entre les deux systèmes, l'un présidentiel, l'autre parlementaire, s'étiolent.

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8 KNAPP (Andrew), « Ephemeral Victories? France’s Governing Parties, the Ecologists, and the Far Right » , MAIR (Peter), MÜLLER (Wolfgang C.), PLASSER (Fritz) (eds.), Political Parties and Electoral Change: party responses to electoral markets, Sage, 2008, 280 p. [ISBN 978-0-7619-4719-6]. Sur le concept du « parti-cartel » suscitant débat, Cf. AUCANTE (Yohann) et DÉZÉ (Alexandre) (dir.), Le système des partis dans les démocraties occidentales, Presses de Sciences Po, 2008 [ISBN 978-2-7246-1055-0 br.]9 ROSANVALLON (Pierre), La Contre Démocratie : la politique à l’âge de la défiance, Seuil, 2008, 344 p. [ISBN 978-2-7578-0793-4]10 COLIN (Crouch), Post-Democracy, Polity Press, 2004, 135 p. [ISBN 978-0-7456-3315-2]. En revanche, le clivage sur l’immigration est quasi inexistant au Japon.

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