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La fille du comte Hugues 1

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La fille du comte HuguesISBN 2-203-11767-2

Transcription intégrale du texte de l’édition originale – ARIAL 20Adaptation des images

Service de Transcription et d’Adaptation de Documents SITE du NEUHOF Centre Louis Braille – 80 Av. du Neuhof - 67100 Strasbourg

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Ouvrage adapté pour une personne empêchée de lire

Copie Interdite

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La fille du comte Hugues

Évelyne Brisou-Pellen

illustré par Natalie Louis-Lucas

Casterman, 1995

Pour Annie et Stéphane

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Chapitre 1 – Une incroyable révélation

- Vite, éteins la chandelle !

D'un mouvement vif, Jehanne souffla la flamme, puis

elle demeura immobile, écoutant les bruits de la forêt.

- Il n'y a personne, mère, chuchota-t-elle.

- Ne rallume pas, j'ai trop peur.

Jehanne s'approcha de la femme allongée sur la

paille.

- Que craignons-nous ? demanda-t-elle. Nous n'avons

plus rien.

- Nous avons le cheval. N'as-tu pas vu tous les yeux

qui l'ont suivi quand nous avons traversé le village ?

- Mais le cheval est à nous, mère, ils ne peuvent le

prendre.

- La faim, ma fille, fait commettre bien des folies,

transforme l'honnête homme en larron et le sage en

démon.

Jehanne ramena sur ses épaules son épaisse cape

de drap. Dans la petite cabane où elles avaient trouvé

refuge, il faisait aussi noir que dans un puits. L'air était

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humide, avec une odeur d'écorce et de mousse. Il

avait plu toute la journée.

- Mère, me direz-vous enfin pourquoi nous avons

quitté notre maison du bourg ? Depuis, nous n'avons

fait que marcher. Où allons-nous ?

- Je te le dirai bientôt.

Jehanne secoua la tête :

- Je ne vous comprends pas. Quels sont ces mystères

que vous entretenez ? Ce que vous voulez me dire

bientôt, pourquoi ne pas le dire dès à présent ?

- Parce que le temps n'est pas venu.

Jehanne posa sa main sur le front brûlant de sa

mère :

- Maintenant, vous voilà malade, et nous n'avons plus

rien à manger. Je vous en prie, retournons à la

maison.

- C'est impossible... il faut bien que tu le saches,

petite : la mort de ton père nous a ruinées.

- Mais... notre commerce de drap ?

- C'était un héritage. Il appartenait aussi à tes oncles.

Tes oncles ont préféré vendre, et le peu d'argent qui

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nous en est revenu a été englouti dans le loyer de la

maison. Il ne nous reste plus rien.

Suffoquée, Jehanne resta un moment sans bouger.

- Vous auriez dû me le dire, murmura-t-elle enfin.

J'aurais pu m'engager comme servante, ou...

- Toi ? Servante ? Jamais !

Jehanne soupira : il était inutile d'essayer de

comprendre. Sa mère avait toujours des raisons

mystérieuses. Quelles raisons ? Il y avait des

« choses qu'elle lui dirait un jour ». Quelles choses ?

Jehanne s'enveloppa dans sa cape et s'allongea près

de la malade. Ainsi, elles n'avaient plus de maison,

plus rien. Rien que la faim au ventre. Les larmes

emplirent ses yeux. Qu'allaient-elles devenir ?

Elle sentit soudain la main de sa mère lui agripper le

bras.

- Regarde, Jehanne, regarde la lune !

Jehanne tourna la tête vers la porte béante de la

cabane. Les nuages s'étaient déchirés, et il régnait

dehors une étrange clarté rouge ; la lune semblait

couverte d'un voile de sang.

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- Malédiction, souffla la mère. Malédiction sur les

hommes. Le Dieu tout-puissant nous avertit d'un

terrible malheur.

- Un malheur ? interrogea Jehanne. Le monde n'est-il

pas déjà au fond du malheur ? Nous avons croisé ce

matin sur le bord du chemin une femme exténuée, qui

serrait dans ses bras son bébé mort de faim. Nous

avons vu deux enfants squelettiques, que leurs

parents enterraient au fond d'un champ. Les portes

des maisons se ferment. On nous a chassées à coups

de pierres, de peur que nous volions le peu qu'il reste.

Même la jarre de grain que chacun conservait pour

les semailles a été dévorée. On dit que des femmes

ont mangé leur propre enfant.

- Tais-toi, Jehanne.

- Y aurait-il plus grand malheur ?

- Dieu nous punit de nos péchés.

- Quels péchés, mère ? Quels péchés mériteraient

telle punition ?

La malade marmonna des mots incompréhensibles.

Jehanne s'approcha et lui prit la main. Sa mère n'allait

pas bien, non, pas bien.

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La jeune fille ferma les yeux et murmura une prière. Il

ne fallait pas que sa mère meure. Dieu ne pouvait

vouloir cela.

- Il fait jour maintenant. Va, ma fille. Essaie de glaner

quelques baies, ou des champignons.

Jehanne sortit de la cabane. Dans la clairière qui

s'ouvrait là, elle remarqua de nombreuses petites

buttes de terre et de branches qui avaient été

éventrées. Des restes de charbon noircissaient le sol

alentour. Au fond, deux buttes intactes dégageaient

encore une mince fumée.

- Cela m'ennuie de vous laisser toute seule, dit

Jehanne. D'après ce que je crois, nous sommes ici

dans la cabane d'un charbonnier.

- Que veux-tu qu'il me fasse ? soupira la mère. Le

risque le plus grand, aujourd'hui, est de mourir de

faim.

- Qu'allez-vous faire, seule ?

- À t'entendre, on croirait que je suis un nourrisson !

Va vite, ma fille. Emmène le cheval avec toi, et fais-y

très attention ; il est plus important que tu ne crois.

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- Il a toujours été mon meilleur ami, dit Jehanne, et...

Elle laissa sa phrase en suspens : elle venait de

comprendre que sa mère faisait sans doute allusion à

autre chose. Sans poser de question, elle saisit le

cheval par la bride, et s'éloigna. Que trouverait-elle à

manger dans cette forêt ? Ne risquait-elle pas de

s'empoisonner, comme beaucoup d'affamés ? Déjà, le

pain de poudre d'écorce qu'elles avaient acheté leur

avait fait à l'estomac plus de mal que de bien.

Immobile dans l'ombre de la cabane, la mère la

regarda partir. Maintenant, il ne fallait pas faiblir, ne

plus penser au mal qui la rongeait, à ses mains qui se

tordaient, à ses jambes qui brûlaient. Elle s'enveloppa

dans sa capeline de drap, et s'en fut sur le chemin

boueux.

Depuis l'orée de la forêt, elle aperçut le château. Il lui

sembla plus petit que dans ses souvenirs. Elle s'arrêta

un moment pour respirer profondément. Se détendre.

Sourire. Lutter. Surtout, elle ne devait pas avoir l'air

d'être malade, sinon, jamais ils ne la laisseraient

entrer.

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- Halte-là !

Au pont de bois jeté sur les douves qui défendaient le

château, deux gardes lui barraient la route.

- Qui es-tu et que veux-tu ?

La femme abaissa sa capuche, découvrant son

visage.

Tu ne me reconnais pas, Gauthier ? demanda-t-elle

d'une voix douce.

Le garde la dévisagea.

- Ça alors... dame Hersende ! Que faites-vous ici ?

- Je viens voir le seigneur de ces lieux.

- Le comte Jean ? Que lui voulez-vous ?

- Lui demander du travail.

- Hélas, il n'y a pas d'emploi ici. Chaque jour, les

miséreux défilent, maigres et blancs, tout comme

vous. Ils veulent manger, mais on ne peut les nourrir ;

déjà, nos propres rations fondent comme neige au

soleil !

- Je t'en prie, Gauthier, laisse-moi tenter ma chance.

- Bon ! Après tout... passez, dame Hersende, vous

connaissez le chemin...

Dame Hersende s'éloigna à travers la première cour.

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- Qui c'est, celle-là ? s'enquit le plus jeune des

gardes.

- L'ancienne nourrice d'Anne, la fille du comte

Hugues. Une dame de petite noblesse. Je crois

qu'elle était mariée à un marchand de drap. Elle a

quitté le château après la mort de la petite.

- Ça fait longtemps, alors !

- Ça fait... treize ou quatorze ans. Cette année-là... -

le garde se signa - la maladie a ravagé le château.

D'abord la comtesse est morte, puis le comte Hugues,

et enfin la petite. Les cuisinières, les gardes, les

serviteurs, tout le monde y passait. Ceux qui n'étaient

pas touchés fuyaient dans la forêt, comme si ça les

mettait à l'abri. Quand le comte Jean est arrivé au

château pour prendre la succession de son frère, il ne

restait plus que moi et le vieux...

- Le vieux Olérius.

- Chchch ! Tu sais bien qu'il est interdit de prononcer

ce nom !

De là où ils se tenaient, les gardes ne pouvaient la

voir. Au lieu de traverser la cour d'honneur pour

gagner le logis du seigneur, dame Hersende s'aplatit

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contre la muraille, glissa jusqu'à la porte basse qui

s'ouvrait à droite, et s'engouffra dans la vieille tour.

Lorsque Jehanne rentra, sa mère était allongée sur la

couche de paille, les traits creusés et l'air épuisé.

- Mère, vous ne vous sentez pas bien ?

- Ne t'inquiète pas ; il n'est plus temps. Tout est fini

pour moi. Écoute seulement ce que j'ai à te dire.

- Mère !

- Écoute seulement. Si nous sommes ici, c'est que tu

y es née.

- Nous sommes près du château du comte Hugues ?

- Nous y sommes. Mais, comme tu le sais, le château

appartient aujourd'hui au comte Jean, son frère.

Dame Hersende tendit alors vers Jehanne un paquet

informe.

- Ouvre ceci, et regarde bien...

Jehanne dénoua le linge gris avec appréhension. À

l'intérieur, il n'y avait que de vieux vêtements

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d'enfants : une chemise et un petit bliaud (1), tous

deux marqués d'un « A » rouge.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle.

- Ces vêtements sont à toi.

Jehanne fronça les sourcils :

- Non, c'est impossible. Vous voyez bien que c'est de

la soie. Père disait souvent que la soie va aux

seigneurs et la toile aux manants.

- La soie va aux seigneurs... souffla dame Hersende,

et ceci est à toi, car tu es la fille du comte Hugues et

de la comtesse Béatrice.

- Voyons, mère...

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1. Bliaud : longue tunique.

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- Je ne suis pas ta mère. Écoute bien ce que je vais te

dire : ce n'est pas la fille du comte Hugues, qui est

morte de la terrible maladie, c'est ma fille Jehanne,

ma petite fille. J'étais comme folle. Le comte et la

comtesse venaient de trépasser tous deux. Alors j'ai

dit que la petite comtesse venait de mourir à son tour,

et je suis partie avec toi, en te faisant passer pour ma

fille. Comprends-moi, vous aviez le même âge...

personne ne fait vraiment attention aux petites filles

de trois ans. Pardonne-moi, ma petite, pardonne-moi.

Tu es Anne, la comtesse Anne. Va au château. Dis-

leur...

- Mère... bredouilla Jehanne.

- Anne... Tu es Anne.

Dame Hersende ne prononça plus un mot. Sa tête

tomba de côté.

Un moment, la jeune fille resta pétrifiée, puis des

larmes roulèrent sur ses joues, et elle se mit à

sangloter, la tête contre l'épaule de la morte :

- Mère... mère... ne me laissez pas.

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Chapitre 2 – La porte derrière la tenture

Jehanne observa de loin les tours massives du

château. Cela ne lui rappelait rien. Elle essuya ses

yeux dans un coin du linge gris qu'elle tenait contre

elle, et appuya sa tête contre les naseaux tièdes du

cheval. Il ne fallait plus pleurer. Anne. Elle était Anne.

Sans doute aurait-elle dû éprouver de la colère contre

dame Hersende qui l'avait enlevée, mais elle ne

pouvait pas. Elle ne pouvait que pleurer sa mort. Elle

n'avait pas vécu dans un château, mais elle avait

vécu entourée de tendresse, et pour cela, elle bénirait

toujours la nourrice.

Ses yeux se reportèrent sur le petit paquet de

vêtements qu'elle tenait contre elle, et, pour la

première fois, elle parvint à se formuler la question qui

lui avait souvent effleuré l'esprit depuis qu'elle avait

mis dame Hersende en terre : pourquoi n'avait-elle

auparavant jamais vu ce paquet ? Comment dame

Hersende avait-elle pu le dissimuler si bien toutes ces

années ? Lorsqu'elles avaient quitté la maison,

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comment ne l'avait-elle pas remarqué dans le pauvre

bagage que portait le cheval ?

- Viens, souffla-t-elle à l'animal. Il faut avoir du

courage, sinon nous allons mourir tous les deux.

Elle leva les yeux vers les hautes tours. Aujourd'hui

elle était seule, elle n'avait plus le choix.

- Halte ! Qui es-tu ? cria le garde.

- Je souhaite voir le comte Jean.

- Que lui veux-tu ?

Jehanne hésita :

- Il ne m'est pas possible de vous le dire.

- Alors, tu ne passes pas.

- Je vous en prie...

- Va ton chemin.

- C'est très important !

Comme le garde allait la repousser, une voix venant

de l'intérieur de la cour cria :

- Qu'est-ce que c'est ?

Le garde se retourna :

- Une fille, seigneur Thierry. Avec un cheval.

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L'homme que le garde avait appelé « seigneur

Thierry » s'avança sous la grande porte :

- Tiens tiens... dit-il en se frottant le menton, un cheval

noir à paturons blancs... c'est un cheval du château,

ça !

- Il est né ici il y a quinze ans, dit Jehanne.

Et en prononçant ces simples mots, elle comprit le

sens des paroles de dame Hersende.

Elle baissa les yeux. Il émanait de ce jeune seigneur

quelque chose qui l'incommodait. Peut-être était-il trop

gras pour ce temps, ou peut-être était-ce ce rictus

désagréable figé sur son visage...

Quand Jehanne releva les yeux, elle s'aperçut

qu'auprès du seigneur Thierry venait d'apparaître un

autre jeune homme, qui lui sembla beaucoup plus

avenant. Elle aurait préféré s'adresser à lui, mais elle

ignorait qui il était.

- Allons, lança Thierry en l'examinant avec une

grossièreté déplacée, laissons-la passer. On manque

de femelles, ici, elle ne sera pas de trop.

Jehanne pâlit :

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- C'est de moi que vous parlez ainsi ? demanda-t-elle

en se redressant.

- Oh ! Oh ! ricana Thierry, on est susceptible.

Regardez-moi ces yeux noirs... Beaux yeux tout de

même... dommage que le reste soit un peu

maigrichon.

Jehanne fixa le gros homme :

- Par ces temps de famine, ma conscience

s'accommode mieux de la maigreur.

- Ça par exemple... quelle insolence ! Tu entends ça,

Guillaume ?

Le visage dur, Thierry leva son fouet. Alors seulement

son compagnon intervint :

- Arrête, Thierry, tu ne vas pas fouetter une femme !

Le seigneur retint son mouvement :

- Tu as raison, mon fouet pourrait se corrompre à

frapper si vil objet.

Sa bouche se tordit en un vague ricanement, et il se

contenta finalement de toucher l'épaule de Jehanne

du bout de son fouet. Cette fille n'était pas ordinaire.

Certainement pas une paysanne. Qu'est-ce qui

pouvait bien l'amener ici ?

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- Et que veut cette furie ?

- Parler au comte Jean.

- Alors, tu me parles à moi, c'est pareil : je suis son

neveu.

- Je suis désolée, mais sans vouloir vous offenser...

cela m'est impossible.

- Impossible... se moqua Thierry. Mon oncle est

malade, petite sotte, et n'a que faire des

quémandeurs. Alors, si tu ne veux pas parler, tu files.

Jehanne baissa la tête. Parler à ce seigneur ? Non,

elle ne voulait pas, elle n'avait pas confiance. Elle leva

un regard inquiet et dérouté sur l'autre jeune homme,

qui la considérait avec un sourire intrigué. Guillaume...

c'était ainsi que Thierry l'avait appelé... Allait-il faire

quelque chose ?

- Écoute, Thierry, accompagnons-la, proposa aussitôt

le jeune homme. Ton oncle est malade, c'est vrai,

mais au moins elle le verra. Elle verra aussi qu'il ne

peut la recevoir et alors, c'est à toi qu'elle devra

parler.

Il finit sa phrase en adressant à Jehanne un fin

sourire : Thierry semblait convaincu.

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Il avait gagné, cette jeune fille ne s'en retournerait pas

d'où elle venait, songea Guillaume. D'ailleurs, d'où

venait-elle ? Il ne l'avait jamais rencontrée sur les

terres du comte Jean : un si joli visage, une telle

grâce, et en même temps une telle volonté... il s'en

serait souvenu !

Jehanne ne vit rien de la cour, étonnamment calme

depuis qu'on avait mangé jusqu'à la dernière volaille,

elle ne prit pas garde au regard plein de curiosité des

cuisinières et des palefreniers qui la suivaient des

yeux avec insistance. Elle se sentait mal, oppressée.

L'escalier sombre, les deux jeunes gens. Leur pas sur

la pierre glissante. Jehanne n'entendait plus que ce

pas, et son cœur qui battait épouvantablement. Il lui

semblait qu'elle ne pouvait plus respirer. Elle ne sut

comment elle se trouvait maintenant devant le comte

Jean.

Il lui parut encore plus malade qu'elle. Le teint cireux,

les yeux enfoncés dans leurs orbites, les mains

décharnées serrant les accoudoirs de son fauteuil, il

la regardait sans rien dire. Elle eut même l'impression

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qu'il ne la voyait pas. Au mur, les torches éclairaient à

peine la pièce dont presque toutes les meurtrières

avaient été bouchées à cause du vent.

Jehanne ferma les yeux un court instant. Non, il ne

fallait pas avoir peur. Elle s'agenouilla.

- Je m'appelle Anne... dit-elle.

Elle parla avec simplicité, se contentant de répéter

exactement les paroles de sa mère. Puis elle montra

le paquet et se tut.

Un peu de vie semblait être revenue au visage du

comte Jean, qui paraissait maintenant à la fois

suffoqué et indécis.

- Sais-tu que c'est grave, ce que tu affirmes ?

prononça-t-il enfin.

- C'est une folle, grogna Thierry derrière elle en

commençant à regretter d'avoir cédé et de l'avoir

amenée jusqu'ici.

- Sais-tu que c'est grave ? répéta le comte ; car je n'ai

pas d'enfant, et si tu dis vrai, ce château et ces terres

t'appartiennent.

- Je rapporte simplement ce qu'on m'a confié.

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- Sais-tu que c'est grave ? reprit à son tour Thierry en

enflant peu à peu la voix ; car si tu as menti, tu seras

brûlée. Le sais-tu ?

- Je ne veux prendre la place de personne... souffla

Jehanne.

Thierry la saisit par l'épaule.

- Du vivant de mon oncle, non ! Mais tu as entendu

raconter qu'il va mourir : tout le comté est au courant.

C'est ce qui t'amène, hein ?

- Thierry, souffla Guillaume en retenant le bras de son

compagnon. Tu ne sais plus ce que tu dis.

Le comte Jean eut un petit rictus ironique :

- Cela fait si longtemps que mon neveu attend de

prendre possession de ces terres...

- Excusez-moi mon oncle, mais ce n'est pas du tout

ce que vous croyez ; je ne veux que vous être utile, et

j'ai horreur des imposteurs. Que prouvent ces

quelques vêtements ? Sa mère aurait fort bien pu les

emporter en quittant le château.

Le comte se tourna vers Jehanne, l'interrogeant des

yeux.

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- ... C'est vrai, murmura-t-elle en baissant la tête. Cela

ne prouve rien.

Il y eut dans la pièce un silence surpris. La jeune fille

n'avait pas élevé la voix, pas protesté. Elle ne

revendiquait rien. Elle se contentait de répéter les

paroles qu'elle avait entendues.

Le comte Jean la fit approcher et l'examina

longuement. La fille de son frère, il ne pouvait se la

rappeler : il ne l'avait jamais vue ; mais cette jeune fille

lui plaisait. La fille de son frère...

- Peut-être est-ce toi, soupira-t-il enfin, peut-être pas...

Thierry s'approcha et se planta devant Jehanne :

- Regarde ceci... Ce sont les Livres Saints. Même si tu

ne sais pas lire, tu les reconnais !

- Je sais lire, dit simplement Jehanne.

- Alors jure sur ces Livres Saints que tu es bien Anne,

fille unique du comte Hugues.

Jehanne leva les yeux sur Thierry, puis sur le comte

Jean, et pâlit :

- Ce... ce n'est pas possible.

- Ah ! éclata Thierry. Voyez, mon oncle : la voilà

démasquée.

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- Attends, interrompit Guillaume.

Et, s'approchant de la jeune fille, il s'enquit avec

bienveillance :

- Pourquoi ne pouvez-vous jurer ?

- C'est trop grave, souffla Jehanne. Comment jurer

que je suis la fille du comte ? Je pourrais seulement

jurer que dame Hersende me l'a affirmé.

Elle regarda autour d'elle avec inquiétude. Soudain la

pièce lui parut curieusement familière. Sa main se

leva vers la tenture accrochée au mur.

- Derrière cette tenture, murmura-t-elle, n'y a-t-il pas

une porte, un escalier ?

Un grand silence se fit dans la pièce. Enfin, le comte

Jean hocha la tête et interrogea d'une voix faible :

- Où mène cet escalier ?

- Je... je ne sais pas... C'est juste une bribe de

souvenir... Peut-être va-t-il à la chambre des enfants,

c'est pourquoi je le connaîtrais... Je n'avais que trois

ans, seigneur Jean...

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Chapitre 3 – Une traîtrise

Thierry quitta la pièce d'un pas triomphant, et le comte

Jean se prit la tête dans les mains. Il se sentait vieux

et malade. Son neveu avait encore une fois raison ; le

fait que cette jeune fille connaisse l'escalier dérobé ne

constituait pas une preuve, car en tant que fille de la

nourrice, elle aurait tout aussi bien pu l'avoir

emprunté. Dommage.

Sans pouvoir s'expliquer pourquoi, le comte Jean

aurait aimé que cette jeune personne fût sa nièce.

Bien sûr, ce n'était pas une raison pour qu'elle le fût

vraiment...

Il songea soudain que dans ses paroles imprudentes,

son neveu Thierry avait émis une vérité : sa vie

touchait à sa fin. Avait-il fait ce qu'il fallait pour les

hommes qui vivaient sur ses terres ? Pouvait-il sans

crainte se présenter devant Dieu ?

Le doute l'avait soudain saisi lorsque la jeune fille,

Anne ou Jehanne - qui le savait ? -, immobile devant

la table dressée, avait contemplé le rôti de daim et les

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lièvres farcis sans y toucher, avec des yeux brûlant de

faim et de reproche. Ce regard, il ne pouvait l'oublier.

Oui, Dieu lui demanderait peut-être compte de ces

rôtis, quand son peuple se mourait. Pourtant, il avait

réduit le nombre de ses plats, et fait distribuer à

chaque famille une livre de pain, le mois passé.

Devait-il lui aussi se laisser mourir de faim ?

De l'idée de nourriture, sa pensée revint vers son

goinfre de neveu Thierry - voilà un homme qui serait

bien dépité si Jehanne se trouvait être vraiment la

petite comtesse - et cette pensée ne lui fit aucune

peine. Il n'avait jamais eu beaucoup d'affection pour

son neveu. Le comte était veuf, il n'avait pas d'enfant,

du moins il n'en avait plus, car les deux petits que sa

femme avait mis au monde n'avaient pas vécu. Son

héritier était donc finalement Thierry. Pourtant, celui-ci

n'avait pas vraiment de droit sur le comté : il n'était

que le neveu de sa femme, pas le sien...

S'il se trouvait qu'Anne soit vraiment la fille d'Hugues,

elle prenait place avant Thierry dans l'ordre de

succession au comté, et même avant lui, Jean. Mais

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cela n'avait plus guère d'importance, car sa vie

aujourd'hui touchait à sa fin.

Le comte Jean ferma les yeux. Dormir. Il avait besoin

de dormir.

Quand le comte fut réveillé par la voix de Thierry, il

s'aperçut qu'il se trouvait de nouveau dans sa

chambre. Guillaume, sans doute, l'y avait fait porter.

- Dois-je faire dresser la table du souper dans votre

chambre, mon oncle ? Cela vous fatiguera moins.

- Je n'ai pas faim... soupira le comte.

- Un peu de bouillon, mon oncle, vous fera du bien. Il

faut que vous repreniez des forces.

- Peut-être... Peut-être...

Le comte tourna la tête vers l'étroite meurtrière qui

s'ouvrait dans le mur. Il faisait sombre, la nuit allait

tomber. Il entendit vaguement les pas de Thierry sur

les barreaux de l'échelle menant de la chambre à la

grande salle.

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Thierry traversa la grande salle du château, jeta un

regard vers le haut siège réservé au seigneur, mais

ne s'arrêta pas. Il fallait qu'il trouve Jehanne au plus

vite.

Il descendit d'un pas vif jusque dans la cour. Où

pouvait donc se trouver cette maudite femelle ?

... Dans l'écurie, à coup sûr, aux côtés de son satané

cheval.

Pourquoi avait-il eu la bêtise de faire remarquer qu'il

s'agissait d'un cheval du château ? ... Bah ! Cela

n'aurait sans doute rien changé.

Elle était bien dans l'écurie.

- Ho ! dit Thierry qui se refusait à prononcer son

prénom, mon oncle souhaite que vous lui apportiez un

bol de bouillon.

- Moi ?

- Vous. Il a des choses à vous dire. Suivez-moi aux

cuisines.

Un peu mal à l'aise, Jehanne lui emboîta le pas. Ce

qui la surprenait, c'était que Thierry se donne le mal

de l'accompagner, puise lui-même le bouillon dans la

marmite accrochée à la crémaillère de l'immense

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cheminée. Il était peut-être moins indifférent envers

son oncle qu'il ne le paraissait...

Il la laissa dans la grande salle, et ressortit, tandis

qu'elle montait l'échelle abrupte, avec le bol de

bouillon sur un plateau de bel argent.

Il lui sembla que le comte Jean était un peu étonné de

la voir. Il remercia pour le bol de soupe, mais ne lui dit

rien de plus.

Un instant, elle demeura là, à ne savoir quelle attitude

prendre. Devait-elle partir ? Rester ? Enfin, la gorge

un peu nouée, elle demanda :

- Vous aviez, messire, quelque chose à me dire ?

Reposant son bol vide, le comte lui adressa un regard

surpris. Puis ses yeux devinrent fixes. Il pâlit. Son

visage se tordit. Enfin, brusquement, il porta sa main

à son estomac.

Que lui arrivait-il ? Affolée, Jehanne se précipita vers

lui. Il semblait souffrir, souffrir abominablement. Il se

plia en deux et tomba sur le sol.

Jehanne dévala l'échelle :

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- Quelqu'un ! cria-t-elle. Que quelqu'un vienne ! Le

comte se trouve mal !

Thierry déboucha en trombe dans la grande salle.

- Mon Dieu ! s'exclama-t-il. Il m'a pourtant semblé en

bonne santé, tout à l'heure !

Et repoussant Jehanne, il grogna :

- Allez-vous-en, je vais m'en occuper.

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- On a empoisonné le comte ! On a empoisonné le

comte !

Assise sur le banc de pierre, dans un renfoncement

du mur, Jehanne leva la tête.

Dans l'escalier de la tour, des pas précipités. Une

porte s'ouvrit dans un grand fracas d'armes, et deux

gardes en cotte de maille la saisirent violemment par

les bras.

Elle ne comprit rien. On ne lui laissa pas dire un mot.

On lui fit dévaler l'escalier, puis d'autres escaliers.

Une descente sans fin, folle, effrayante. Et la voix de

Thierry qui criait :

- Elle a empoisonné le comte !

Puis elle entendit encore le mot « cachot » et la

terreur entra dans son cœur.

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Chapitre 4 – Un inconnu dans le cachot

- Tiens ! De la visite, souffla une voix cassée.

Jehanne recula contre les pierres gluantes du cachot

souterrain.

- Il ne faut pas avoir peur, dit encore la voix.

- Je... je ne vous vois pas...

- C'est que tu n'es pas habituée. Moi, je te vois très

bien.

Jehanne scruta la nuit sans rien distinguer, puis elle

leva les yeux vers là-haut, vers la grille de fer qui

fermait le cachot. Son cœur se souleva. Était-ce de

terreur ? Était-ce seulement à cause de l'odeur

écœurante qui régnait ici ?

- Ainsi... tu as empoisonné le comte.

- Mais... non ! non !

Jehanne passa ses mains sur son visage.

- Je crois que c'est ce qu'on me reproche... mais ce

n'est pas vrai... pas vrai... Pourquoi aurais-je ?... Oh !

c'est terrible !

Des larmes roulèrent sur ses joues. Elle les essuya

vite. Voilà qu'elle ne savait plus où elle en était...37

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- Ce n'est pas moi... ce n'est pas moi !

- Calme-toi, le jugement n'est pas encore prononcé. Il

te reste peut-être une petite chance.

Jehanne respira profondément. Il ne fallait pas se

laisser envahir par le désespoir. Si elle était accusée,

pleurer ne servait à rien, il fallait penser à sa défense,

c'est ce qu'aurait dit dame Hersende.

- Dis-moi, reprit la vieille voix, je crois que l'hiver

approche, les murs suintent davantage. Peux-tu

m'indiquer quel jour nous sommes ?

- Mon Dieu... murmura Jehanne en tentant de

retrouver ses esprits, nous sommes dans le mois de

novembre, je crois... Mais pourquoi imagine-t-on que

j'ai pu faire une chose pareille ?

- De quelle année ? interrompit le vieil homme.

Jehanne plissa le front. Ses problèmes ne semblaient

aucunement toucher son interlocuteur, et il n'avait pas

tort : s'il se trouvait, lui, déjà emprisonné depuis

longtemps, comment pouvait-il s'intéresser à ses

gémissements ?

Il fallait se reprendre.

- ... de l'an 1045, murmura-t-elle enfin.

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- Ah ! c'est vrai, Guillaume me l'avait dit ! Décidément,

j'oublie de plus en plus de choses.

Jehanne devinait maintenant une forme sur le mur

d'en face et cette forme se rapprochait peu à peu.

Instinctivement, elle recula encore. Enfin elle distingua

un visage mangé par la barbe, une barbe blanche.

- Êtes-vous... enfermé... depuis si longtemps ?

demanda-t-elle enfin pour tromper la peur qui lui

serrait le cœur.

- Je suis là depuis le printemps de 1031.

- C'est horrible !

- Mais non. Pas tant que cela. C'est horrible

seulement au début. Maintenant ça m'est égal.

Comment est la vie, dehors ?

- Oh... mauvaise, mauvaise. La famine, qui dessèche

la peau et creuse les yeux. L'homme devient loup.

C'est affreux.

Jehanne fixait intensément le visage émacié, guettant

chacune de ses expressions. La voix n'était pas

agressive, ni même désenchantée, mais détendue,

presque gaie. Elle acheva de dissiper ses craintes.

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Le vieil homme ne disait plus rien. Il se contentait de

hocher la tête d'un air pensif et soudain, sans savoir

pourquoi, Jehanne se prit à songer non plus à ses

propres ennuis, mais au drame qui se jouait dans le

monde de dehors.

- Pourquoi, demanda-t-elle, le monde est-il ainsi fait ?

L'homme ne peut-il que gémir sous les coups ? Cela

ne devrait pas être. Il faudrait...

- Que faudrait-il ?

- Je ne sais... Quand je vois la faim qui nous torture

depuis si longtemps, je ne peux m'empêcher de

penser... Dites-moi, n'est-ce pas le rôle du seigneur

de prévoir ? Il devrait, les bonnes années, garder

assez de grain au château pour faire face aux

mauvaises, il devrait conserver de quoi planter aux

semailles suivantes, n'est-ce pas son rôle ?

Le vieil homme considéra la nouvelle venue avec

intérêt.

- Sans doute, ce devrait être son rôle... dit-il enfin.

- Et ce mal qui ronge... pourquoi ne pas accueillir les

malades, tenter de les soigner, les nourrir un peu pour

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qu'ils résistent mieux ? Oh non, dehors la vie n'est

pas belle.

Elle frissonna. Ici non plus, rien n'allait. Le désespoir

lui nouait de nouveau la gorge.

- De quel mal parles-tu ?

- De... quel mal ? Eh bien... des douleurs terribles

dans les membres, comme s'ils brûlaient. J'ai vu ma

mère mourir, et depuis...

- Et avant les douleurs, coupa le vieil homme, ça

commence par des frissons, et des bouffées de

chaleur, et puis des maux de tête, et même du

délire ?

Jehanne fixa avec étonnement cet homme qui brisait

sans cesse le fil de ses angoisses.

- Des bouffées de chaleur... articula-t-elle. Oui...

- Alors, c'est le mal des ardents.

Il hocha longuement la tête avant de conclure :

- Une maladie de pauvres, une maladie qui s'abat sur

ceux qui mangent du mauvais pain (1).

___________________________________________

1. En réalité, ceux qui mangent du pain de mauvais

seigle.

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Jehanne contempla le vieil homme, sans arriver à

bien saisir le sens de ses paroles :

- Qui êtes-vous donc ?

- Olérius, médecin et astrologue.

Il s'inclina légèrement en prononçant ces mots, puis il

se mit à rire silencieusement et ajouta en levant le

doigt :

- Un mauvais astrologue, sans doute, car je n'avais

aucunement prévu ce qui m'est arrivé... Tu ne me

demandes pas pourquoi je suis là ? Je vais te le dire.

C'est à cause de cette maudite épidémie qui a ravagé

le château, qui s'en est pris à tout le monde.

- La même que maintenant ?

- Non. Les gens avaient d'abord des maux de ventre,

puis des diarrhées épouvantables. Ensuite ils

vomissaient, la soif les brûlait, et enfin leur corps se

refroidissait. En trois jours ils étaient morts. Je n'ai

jamais su de quelle maladie il s'agissait. Bien sûr

j'étais médecin, mais pas très courageux. Et puis je

me disais que j'étais encore jeune, et qu'il était trop

bête de mourir alors qu'il me restait tant à apprendre.

J'ai filé en vitesse du château le jour où le comte

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Hugues est tombé malade. Il m'a fait rattraper et jeter

ici.

- Mon Dieu, souffla Jehanne, quel sort terrible ! Est-il

possible que ce soit également le mien ?

- Non. Toi, ou on te relâche, ou on te pend.

Jehanne se sentit une crispation dans la mâchoire.

C'était comme si une main glacée lui serrait le cou, à

l'étouffer.

- Allons, reprit le vieil homme, il ne faut pas se laisser

impressionner, il faut simplement se préparer à tout.

Tu vois, je parle de te relâcher ou de te tuer, et tu ne

retiens que « tuer » !

- ... Vous avez raison je ne suis pas très brave... Que

faire pour influer sur le sort qui sera le mien ?

Olérius soupira :

- Si je suis là, c'est que j'ai moi-même échoué.

Jehanne secoua la tête d'un air fatigué.

- C'est vrai... mais pourquoi le comte Jean ne vous

a-t-il jamais relâché ?

- Il me traite comme si j'avais tué son frère de mes

propres mains. Des bruits ont couru, disant même que

j'avais appelé la maladie sur le comte... - il secoua la

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tête - la maladie, elle se passe bien de moi ! Mais j'ai

failli être brûlé.

Jehanne ferma les yeux. Soudain, la pensée lui était

venue que...

Sa voix trembla un peu :

- Messire Olérius... vous avez connu le comte

Hugues, et sa femme... et sa fille.

- Je les ai connus : je leur dois ce cachot.

- Messire Olérius, ce que vous allez me dire est très

important. Regardez-moi : est-ce que je peux être

Anne, la fille du comte Hugues et de la comtesse

Béatrice ?

- Anne est morte.

- Et si elle avait miraculeusement survécu ?

Jehanne baissa la voix et raconta son histoire, sans

rien cacher de ses doutes et de ses craintes. Elle ne

voulait pas prendre une place qui ne serait pas la

sienne, elle avait besoin de savoir.

Tout le temps qu'elle parla, le vieil homme examina

son visage avec une grande attention. Enfin il dit :

- À mon avis, tu pourrais bien être Anne.

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Un verrou grinça. Un bruit de porte, Jehanne serra

convulsivement ses mains l'une contre l'autre.

- N'aie pas peur, souffla le vieillard, c'est Guillaume.

Puis, élevant la voix :

- C'est gentil, là-haut, de m'envoyer de la compagnie,

mais ici, ce n'est pas la place d'une jeune fille !

- Je suis d'accord avec vous, dit Guillaume.

Et son visage apparut de l'autre côté de la grille.

- Il faut vous rassurer, ajouta-t-il en s'adressant à

Jehanne. Le comte n'est pas mort.

- Me rassurer... vous ne croyez donc pas que je sois

coupable ?

Guillaume contempla longuement le visage de la

jeune fille :

- Je ne le crois pas, damoiselle.

Le vieil homme leva le doigt :

- Si le comte a été empoisonné, à ta place, je

regarderais plutôt du côté du vorace.

- Qui appelez-vous « le vorace » ? demanda Jehanne.

- Thierry, le neveu, et ses yeux pleins de convoitise

qui guettent l'héritage.

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- Taisez-vous, maître Olérius, souffla Guillaume. Vous

allez vous attirer des ennuis.

- Quels ennuis ? Le seul ennui que je me vois pour

l'instant, c'est que je n'ai plus de chandelle pour lire. Y

as-tu pensé ?

- J'y ai pensé, maître Olérius. Je vous fais descendre

le panier. J'ai mis aussi une bouteille de vin et un

reste de pâté de lièvre.

- Tu vois, dit le vieil homme en se tournant vers

Jehanne, la vie n'est pas si mauvaise, ici ; que

demander de mieux qu'une chandelle et un livre ?

Tandis que le panier se rapprochait lentement du sol

humide, l'espoir renaissait dans le cœur de Jehanne.

Elle ne quittait pas des yeux le visage de Guillaume.

- Je vous en prie, osa-t-elle enfin, je voudrais voir le

comte. Qu'il sache que ce n'est pas moi... Quel intérêt

aurais-je eu à le tuer ? Lui seul peut décider si je suis

bien Anne. Je n'ai rien à gagner à sa mort, et au

contraire tout à perdre.

- N'ayez pas peur, dit Guillaume. Vous pouvez

compter sur moi.

- Qu'allez-vous faire ?

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Pour toute réponse, Guillaume sourit.

Jehanne resta là, à contempler ce visage derrière la

grille.

Voilà que la confiance lui revenait.

- Pouvez-vous obtenir que je voie le comte ?

- Ce n'est pas impossible. Je vais lui en parler.

- Il acceptera de m'écouter ? ... Je veux dire : de

m'écouter vraiment ?

- Le comte Jean est un homme juste et, aux portes de

la mort, je crois qu'il tient plus encore à se montrer

équitable.

- Oh ! je vous remercie pour ces paroles. Je vous

remercie d'accepter de m'aider.

Guillaume sourit :

- Je ne crois pas avoir beaucoup de mérite. C'est moi

qui suis très heureux de pouvoir vous aider. Avez-

vous besoin d'autre chose ?

- D'autre chose ? Mon Dieu non. Tout me semble

tellement moins grave maintenant. Pourtant...

- Pourtant ?

- Puis-je vous demander... mon cheval... Qu'a- t-on

fait de mon cheval ?

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- Je m'en occupe aussi, n'ayez aucune crainte !

- Surtout, il ne faut pas qu'on lui fasse de mal, n'est-ce

pas ? C'est un bon cheval, si doux.

- Ça, grogna Olérius, il n'y a aucun risque. Les

chevaux sont ici mieux traités que les hommes.

Guillaume eut encore un sourire :

- Je suis désolé, dit-il, il faut que je m'en aille. Gardez

l'espoir, damoiselle, je ferai tout pour que rien de

fâcheux ne vous arrive.

Et, de l'autre côté de la grille, son visage disparut.

- S'il vous plaît ! appela Jehanne. Mon cheval... Dites-

lui mon nom, qu'il sache que je ne l'ai pas abandonné.

- Je le lui dirai ! lança la voix en s'éloignant.

On entendit une porte, un verrou. Un long moment,

Jehanne écouta décroître le bruit des pas sur

l'escalier de pierre. Dans les sous-sols du château,

tout redevint morne et froid.

- Maître Olérius... qui est ce seigneur ? demanda

enfin Jehanne à voix basse.

- Guillaume ? Un orphelin que le comte a recueilli

quand il était tout jeune. Le fils d'un de ses anciens

compagnons d'armes. Il est chevalier, maintenant.

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- Croyez-vous qu'il puisse faire quelque chose ?

- Il va essayer, puisqu'il te l'a dit...

Le vieil homme réfléchit, puis finit :

- ... encore que certains jours, je le trouve bien léger :

il lui arrive de me rapporter de la bibliothèque du

comte des livres que je connais déjà par cœur !

Il se mit à rire doucement, et Jehanne se demanda s'il

n'était pas un peu fou.

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Chapitre 5 – Le jugement de Dieu

Deux servantes redressèrent les oreillers, tandis qu'un

valet s'occupait à remettre des bûches dans la vaste

cheminée.

- Mettez mon fauteuil tout près du feu, souffla le

comte Jean, et aidez-moi à m'y installer.

- Je vous en prie, intervint Guillaume, ne bougez pas

de votre lit. Si vous avez froid, nous allons vous faire

monter des briques brûlantes pour réchauffer vos

draps.

- C'est cela... c'est peut-être mieux... Allez, vous

autres !

Sur l'ordre du comte, les trois serviteurs quittèrent la

pièce.

- Guillaume...

- Oui, messire Jean.

- Que penses-tu... de la jeune fille... ?

Guillaume monta sur l'estrade qui soutenait le lit et

referma légèrement les rideaux de drap, puis il s'assit

sur les chaudes fourrures qui couvraient le malade.

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- Que vous dire, messire Jean ? Dès que je l'ai vue,

sans même savoir pourquoi elle venait, j'ai eu

l'impression qu'elle était à sa place dans ce château.

- Hum... Tu es jeune... Tu te fies aux apparences...

- Pas vous, messire Jean ?

- Hum... peut-être, oui... mais ce n'est sans doute pas

très sage. Et puis, elle est jolie, n'est-ce pas ? Je suis

sûr que tu es prêt à croire tout ce qu'elle prétendra.

- Je suppose qu'on pourrait le dire ainsi, oui... Mais

pas seulement parce qu'elle est jolie. Il y a quelque

chose en elle...

La porte s'ouvrit sur Thierry :

- On me dit, mon oncle, que vous voulez voir la fille ?

Le comte ne répondit pas. Il laissa aller sa tête sur

l'oreiller et ferma les yeux.

- Vous prétendez qu'elle ne vous a pas empoisonné,

et pourtant, convenez-en, c'est elle, et elle seule, qui

vous a apporté ce bouillon.

- Elle ne m'a pas empoisonné, Thierry, pourquoi

l'aurait-elle fait ?

- Une vengeance, peut-être ! N'importe quoi ! Que

savons-nous d'elle ? Croyez-moi, mon oncle, au

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moins, ne prenez plus de risque, renvoyez-la !

Pourquoi vouloir la faire paraître ? Elle tenterait de

vous séduire encore, par des procédés où je verrais

volontiers de la sorcellerie.

Le comte se redressa péniblement sur son oreiller.

- Qu'en penses-tu, Guillaume ?

- Tout accusé a le droit de s'expliquer devant son

seigneur.

- S'expliquer sur quoi ? gronda Thierry. Vous êtes

déjà tous deux convaincus de son innocence ! La

bonté a ses limites. Ne tombons pas dans la

faiblesse.

- J'aimerais tant savoir, reprit le comte en

réfléchissant, qui elle est vraiment...

- Attendez, messire Jean, il me vient une idée.

Guillaume s'approcha du malade et chuchota :

- Un homme sait peut-être : celui que vous tenez au

cachot depuis si longtemps. Demandez-lui. Imaginons

que la petite comtesse ait possédé une

caractéristique physique que nous puissions

contrôler ; maître Olérius était médecin de ce château.

Peut-être pourrait-il nous éclairer ?

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- Tu... Tu as raison. Mais cet homme...

Le comte réfléchit un moment avant de finir :

- Enfin, tant pis. Fais-le chercher.

- Rien ! lança Thierry. Il n'y a rien.

Guillaume eut un geste pour contrer le neveu du

comte :

- Tout de même, Thierry, maître Olérius croit que c'est

elle, que c'est bien Anne. Il l'a dit clairement.

- Et quelle preuve donne-t-il ? Qu'est-ce qui lui permet

de le croire ? Nous a-t-il fourni une seule

caractéristique physique ? Aucune. Il n'en sait au fond

pas plus que nous : ce qu'il prétend reste du domaine

de l'impression.

Le comte Jean ne répondit pas. Il se sentait si mal, si

fatigué. Il chercha sa respiration et chuchota enfin :

- Faites entrer la jeune fille.

Quand Jehanne pénétra dans la pièce, la lumière des

torches lui blessa les yeux. Elle maîtrisa le

tremblement qui l'avait saisie pour se tenir droite.

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- Bien, dit faiblement le comte. Messire Guillaume a

plaidé ta cause. Je ne vois pas la raison pour laquelle

tu aurais pu vouloir me tuer, mais le doute subsiste.

Enfin, tout cela n'est peut-être qu'un accident dû à ma

maladie.

Le souffle court, le comte ferma les yeux. Tandis que

la douleur lui tenaillait les entrailles, il avait soudain

compris que seul son neveu avait intérêt à son trépas

rapide, seul son neveu pouvait craindre qu'il vive

assez longtemps pour reconnaître la jeune fille pour

unique héritière du comté. Mais il n'avait aucune

preuve, et Thierry était sa seule famille...

Il rouvrit les yeux :

- Mettons que le doute te soit bénéfice, et que je ne

t'accuse pas de crime, reprit-il en s'adressant à

Jehanne, mais reste à résoudre le problème de ta

filiation. Aucune des preuves que tu as apportées

n'est décisive, reconnais-le.

Jehanne respira profondément.

- Je le reconnais.

Les mots d'Olérius lui revenaient à l'esprit : « ... délire,

avait-il dit. Le mal des ardents se caractérise par du

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délire. » Et si les paroles de sa mère n'avaient été que

l'expression d'un début de folie ?... Il fallait qu'elle s'en

aille. Elle n'aurait jamais dû venir.

- Je vois ma fin proche, reprit le comte, et rien ne peut

parler définitivement pour ou contre toi. Il ne m'est

donc guère possible...

- Messire Jean, pardonnez-moi, intervint soudain

Guillaume, mais puis-je dire quelque chose ?

- Dis.

- Dans le cas qui nous occupe, il est très important de

décider le plus justement possible. Comme nul ne

peut le faire, laissons le jugement à Dieu.

- C'est inutile ! s'opposa Thierry. Mon bon oncle vient

de trancher, et il serait trop grave de prendre une

décision qui pourrait nuire au comté tout entier.

- ... Douterais-tu... du jugement de Dieu ? s'insurgea

le comte en s'étouffant à moitié.

- Que nenni, mon oncle, mais je trouve que c'est bien

compliqué. Et d'ailleurs, qui voudrait combattre et

risquer sa vie pour elle ?

- Moi, dit Guillaume, je le ferai.

Un silence emplit la pièce.

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- Oh non ! s'exclama enfin Jehanne. Je vous en prie,

ne faites pas cela, je ne voudrais pas être

responsable de votre mort. Je vais m'en aller, et tout

rentrera dans l'ordre.

- Ah ! éclata Thierry. Elle avoue ! Elle a menti !

Guillaume se dressa devant lui, de la colère dans les

yeux. Mais le comte Jean l'avait devancé :

- Cette jeune fille, dit-il, a peur pour la vie de

Guillaume, et c'est tout à son honneur. Je m'étonne

que tu ne comprennes rien à ses scrupules, mais

laissons cela, qui t'échappera toujours, et écoutez ce

que j'ai à dire.

Le comte reprit sa respiration et, se redressant

lentement, il prononça avec calme :

- Je déclare solennellement que nous nous en

remettons, pour décider si cette jeune personne est

bien Anne, fille du comte Hugues mon frère, au

jugement de Dieu. Guillaume défendra la vérité de

cette affirmation, Thierry défendra le contraire. Vous

vous battrez comme c'est l'habitude, d'abord en joute

à la lance, puis à l'épée dès que le premier

combattant sera désarçonné, et enfin à la masse

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d'armes. Toutefois, par égard pour cette jeune fille,

pour moi-même et pour le comté tout entier, je

souhaite que ce combat ne voie la mort d'aucun de

vous deux. Que Dieu rende son jugement.

Thierry se redressa, un rictus mauvais sur le visage :

- Je ne veux pas ta mort, Guillaume, mais tu perdras,

car elle ment.

Guillaume ne répondit pas. Il se tourna vers Jehanne,

qui était d'une pâleur mortelle, et mit un genou en

terre :

- Ce sera un honneur pour moi que d'être votre

champion.

Jehanne ferma les yeux. Du fond de son cachot, où

elle avait elle-même demandé à retourner pour

attendre la sentence, elle percevait douloureusement

l'agitation qui régnait dans le château. Étaient arrivés

des chevaux, des charrettes, des attelages dont les

roues ébranlaient le pont sur les douves et

résonnaient jusqu'à l'intérieur du sombre réduit. Un

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brouhaha permanent emplissait l'air ; les appels des

serviteurs, des menuisiers, qui clouaient à grands

coups sourds l'estrade des invités, des tapissiers, qui

accrochaient les tentures, des tisserands, qui

tendaient les toiles multicolores pour délimiter le

terrain de la joute, sur l'esplanade, devant les

remparts. Un instant, on avait oublié la dureté des

temps.

Tous ces bruits de fêtes ne furent pour Jehanne que

des signes terrifiants. Elle aurait voulu dire à

Guillaume... que pouvait-elle lui dire ? S'il mourait...

Mais s'il mourait, elle ne lui survivrait pas, et cela la

consolait presque.

Puis le calme revint, distillant un peu plus de terreur

dans le cœur de la prisonnière. Le château accueillait

ses amis, ses vassaux, les seigneurs voisins. Tous

rassemblés ils devaient voir, être témoins, ils devaient

connaître le jugement de Dieu.

Les cors. Les trompes. Leur cri terrible. Il résonna

longtemps aux oreilles de Jehanne, comme un coup

dans la poitrine, comme une brûlure dévorante.

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Elle n'avait rien voulu voir, et elle voyait tout. La nuit

du cachot se peuplait d'images violentes.

- Ils se battent, gémit-elle en serrant son front dans

ses mains. Ils se battent en ce moment à cause de

moi. Oh ! Pourquoi suis-je venue ici ? Pourquoi ai-je

écouté ma mère ?

- Se lamenter ne sert de rien, dit Olérius.

- Je voudrais que le temps s'arrête. Marcher à

rebours.

- Qui ne le voudrait souvent, pour tout recommencer

autrement ? Mais c'est impossible, n'est-ce pas ?

Alors, prends la vie dans le sens où elle va.

- ... Je les vois... chuchota Jehanne d'une voix

tremblante. Du plus profond de ce cachot, je les vois.

Leurs chevaux soufflent dans le matin froid, énervés

par leur harnachement de guerre. Leurs sabots font

jaillir la boue, ils se jettent l'un contre l'autre. Les

lances frappent les boucliers. Oh ! maître Olérius, je

ne vois que les visières baissées de leur heaume, leur

cuirasse luisante. Aidez-moi, maître Olérius, dites-moi

ce qui se passe !

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Appuyé au mur, les yeux fermés, le vieil homme ne

répondit pas.

Dehors, Guillaume était à terre. Il était tombé sans

réussir à désarçonner Thierry : à cheval, le neveu du

comte avait l'avantage, car il était plus lourd, mais à

pied, Guillaume pourrait le battre. Voilà que le cheval

revenait sur lui au grand galop. Il roula pour éviter la

lance qui arrivait droit sur sa poitrine, se retourna

violemment pour attraper le pied du cavalier et tira de

toutes ses forces. Thierry chuta lourdement.

Une exclamation s'éleva des tribunes.

- Avez-vous entendu, maître Olérius ?

- Je crois qu'ils sont tous deux à terre. Écoute... c'est

le cliquetis des épées.

Jehanne se laissa glisser le long du mur. Elle serra

ses jambes entre ses bras et posa la tête sur ses

genoux. Prier. Elle ne pouvait que prier.

Les épées gisaient sur l'herbe. Les masses d'armes

s'arrachaient du sol pour frapper encore. Les deux

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hommes étaient forts. Les cris dans les tribunes

éprouvaient les nerfs...

- Mon Dieu, souffla Jehanne, ne permettez pas qu'ils

meurent.

- Les coups sont terribles, dit Olérius, mais si les

adversaires ne se frappent pas à la tête, ils n'en

mourront sans doute pas.

- ... S'ils ne se frappent pas à la tête... S'ils... oh ! je

vous en supplie maître Olérius, vous qui êtes

astrologue, ne pouvez-vous dire l'issue du combat ?

- J'ai bon espoir, articula pensivement le vieil homme.

Il y eut comme une rumeur, un souffle vivant qui

s'enfla en courant dans les coursives du château. On

disait :

- Guillaume... Guillaume...

On disait :

- Guillaume a gagné ! C'est Guillaume qui a gagné !

Jehanne s'effondra sur le sol luisant du cachot.

- Allons, s'exclama Olérius. Ce n'est pas la peine de

pleurer, maintenant !

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Chapitre 6 – Entre Thierry et Guillaume

- Dépose-moi sur ce lit. Ça ira.

Guillaume ôta le heaume de Thierry et délaça son

armure.

- La blessure n'est pas profonde, dit-il. Je vais te faire

un bandage.

- Tu es satisfait, hein ?

- Pourquoi prends-tu ce ton ? Dieu a donné son

jugement, c'est tout. Réjouissons-nous qu'Il nous ait

tous deux laissés en vie.

- Bien sûr, que tu es heureux ! Je me suis longtemps

demandé pourquoi tu risquais ta vie pour cette fille.

Mais tu n'es pas bête, hein ? Il y avait des risques,

mais tu as finalement bien manœuvré.

- Que veux-tu dire ?

- Ne fais pas l'innocent. Au fond, je te comprends :

maintenant que tu es le héros, l'épouser te plairait

bien... Épouser une comtesse !

- Tu délires, Thierry.

- Ah ! ricana le blessé. Il est inutile de prendre un air

sombre, je ne crois rien de ta tristesse.65

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- Écoute, Thierry, tu te méprends totalement.

Réfléchis : maintenant que Dieu a rendu son

jugement et l'a reconnue pour notre comtesse, quel

espoir pourrait avoir un simple chevalier de devenir

son époux ?

Thierry resta un moment muet. Voilà qui n'était pas

faux... mais avec les femmes, on ne savait jamais...

Qui pouvait comprendre les ressorts de leur

raisonnement ? Mieux valait prendre ses précautions.

Il respira avec précipitation et grimaça de douleur :

- Oh ! mon bras me fait souffrir...

- C'est une belle entaille, concéda Guillaume, mais la

coupure est nette. Ça ne devrait pas être si

douloureux.

- Ne touche pas, ne fais pas de bandage. Il me faut

des plantes. Va chercher la guérisseuse.

- Je t'assure, Thierry, ce n'est rien du tout.

- Va, je te dis. Veux-tu ma mort ?

- Bien. Je vais envoyer Gauthier.

- Tu es fou ? Vas-y toi-même, sinon la guérisseuse

refusera de se déplacer.

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Guillaume contempla un moment le visage grimaçant

de son compagnon. Il aurait voulu aller voir Jehanne,

lui dire... Mais non, c'était aussi bien ainsi. Elle aurait

pu croire qu'il cherchait des remerciements, de la

reconnaissance...

- Bon, j'y vais, dit-il.

Et il tourna les talons.

Dès qu'il entendit son pas s'éloigner, Thierry se

redressa et appela un serviteur.

- Va prévenir la jeune fille que je veux la voir.

- C'est que messire Jean l'a fait demander, et je ne

puis...

- Alors va l'attendre devant sa porte. Dès qu'elle

sortira, amène-la-moi. Immédiatement, tu m'entends ?

Le serviteur sortit en acquiesçant de la tête et se

dirigea vers la grande salle.

Tassé dans son fauteuil, au coin du feu, le comte

Jean paraissait fatigué, mais moins pâle. Il avait

réussi à descendre seul de sa chambre, et pourtant,

l'échelle qui menait de celle-ci à la grande salle était

bien mal commode. Il demeura songeur : depuis

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longtemps, de solides remparts de pierre avaient

remplacé les palissades de bois qu'avait élevées son

père. Le château était donc bien défendu, et le donjon

à l'abri. On pourrait peut-être changer les échelles,

faciles à retirer en cas d'attaque mais bien fatigantes,

pour un escalier. Il faudrait qu'il lui en parle, à la

nouvelle petite comtesse.

Au bruit de la porte qui s'ouvrait, il tourna la tête.

- Ah ! damoiselle ma nièce... car c'est ainsi que je dois

vous appeler dorénavant, n'est-ce pas ?

Mal remise de toutes ses émotions, Jehanne ne

réussit qu'à esquisser un pâle sourire.

- Nous voici au soir d'un jour bien mémorable, et je

veux vous dire combien je suis heureux du jugement

que Dieu a bien voulu rendre en votre faveur. Je tiens

à ce que ce soir, vous paraissiez à la fête devant tous

mes vassaux réunis, pour qu'ils connaissent l'héritière

du comté.

Il observa un instant la jeune fille, avec le sentiment

qu'elle avait quelque chose à lui dire et n'y parvenait

pas.

- Comment vous sentez-vous ? demanda-t-il.

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- Je ne sais, messire comte... je suis comme

terrorisée.

- Je comprends vos sentiments, je comprends.

Il respira lentement.

- Quant à Thierry... prononça-t-il enfin.

Il sentit Jehanne se tendre. Devait-il lui faire part de

ses doutes concernant son neveu ? Il ne s'en sentait

pas le courage. D'ailleurs, il était maintenant persuadé

que Thierry n'avait pas vraiment voulu sa mort ; s'il

avait réellement souhaité le faire disparaître, il aurait

utilisé une dose de poison beaucoup plus forte. Non,

ce qu'avait voulu Thierry, c'était juste pouvoir faire

accuser la jeune fille, et du même coup s'en

débarrasser et garder ses droits sur l'héritage tant

convoité.

Le comte eut un geste las de la main, comme pour

effacer son long silence, et reprit :

- Notre voisin le jeune duc de Normandie semble avoir

quelques problèmes avec ses barons. Il m'appelle à

son secours. Je vais lui dépêcher Thierry. Mon neveu

se battra aux côtés du duc, pour cela je lui fais

confiance. Tel que je le connais, il finira bien par

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obtenir un fief, pour services rendus. N'est-ce pas

mieux ainsi ?

- Messire... Je voudrais vous dire... J'ai bien réfléchi

dans ma prison : votre neveu Thierry s'est toujours

considéré comme l'héritier de ce domaine. Je ne me

sens pas le droit de le lui prendre. Aussi, même si

vous me faites la bonté de me reconnaître pour votre

nièce, je vous demande de ne rien changer aux

dispositions précédentes.

- Si Dieu vous a désignée comme la fille de mon frère,

c'est pour que vous héritiez de ce comté.

- Messire...

- Écoutez-moi, ma nièce : Thierry n'est pas mon

neveu par le sang, c'est celui de ma défunte femme. Il

n'a donc aucun droit direct sur ces terres. S'il se

considérait comme mon héritier, c'est que je n'avais

personne de plus proche. Toutefois, je sais fort bien

qu'en le nommant faute de mieux, je ne faisais pas le

bonheur de ce comté.

Comme Jehanne baissait les yeux, il finit :

- Aussi, grands furent mon soulagement et mon

bonheur de vous voir paraître. Grands furent mon

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soulagement et mon bonheur du jugement de Dieu.

J'ai immédiatement fait préparer l'acte par lequel je

vous désigne pour héritière.

Avant que Jehanne n'ait pu répondre, il reprit :

- Je comprends votre sentiment et je voudrais vous

rassurer ; le peu de force qui me reste, je le mets à

votre service, pour vous instruire de tout ce qui

concerne le comté. Guillaume aussi saura vous aider ;

il connaît mieux que quiconque les limites du

domaine, nos vassaux, ceux en qui nous pouvons

avoir confiance, ceux de qui il faudra se méfier, il sait

le nom et la situation de chacun de nos paysans.

C'est un homme précieux, et je crois pouvoir affirmer

qu'il ne vous abandonnera pas.

Jehanne se sentit rougir, et elle dit aussitôt :

- Vous parlez comme si vous deviez nous quitter. Il ne

le faut pas, je vous en prie.

- Sans doute la mort patientera-t-elle un peu, mais elle

guette, à portée de main.

- Oh ! faites-la patienter encore, que deviendrais-je

sans vous ?

Le comte eut un vague sourire.

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- Allez, ma nièce, dit-il d'un ton bienveillant, et je sais

que vous me ferez honneur ce soir.

En quittant la pièce, Jehanne se sentait si troublée

qu'elle buta presque contre le serviteur qui l'attendait

derrière la porte. Voir messire Thierry ? Elle eut

comme un recul. Mais comment l'éviter ? Avec au

cœur un pincement d'inquiétude, elle s'y résolut.

- Ah ! Vous voici enfin !

Jehanne se força à sourire.

- On m'a dit que vos blessures n'étaient pas trop

graves, messire Thierry, et j'en suis heureuse.

- Ce n'est que le jugement de Dieu...

Le ton de Thierry était tout différent de celui

qu'attendait Jehanne. Il lui parut aimable et détendu.

- Voyez-vous, comtesse Anne, le ciel a prouvé que je

m'étais trompé en ne vous faisant pas confiance.

J'espère que vous me pardonnerez. Croyez que vous

aurez désormais en moi le plus fidèle des serviteurs.

- Je vous remercie, messire Thierry, bredouilla la

jeune fille avec étonnement.

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- Toute mon aide, je vous l'accorderai. Tous les

conseils dont vous pourrez avoir besoin, je vous les

prodiguerai.

- Je...

- Ne me remerciez pas, c'est mon devoir. Et...

comment le dire... Depuis le premier jour où je vous ai

vue ici, mon cœur s'est ému... Je ne suis pas très

adroit en paroles... Voilà, il me serait doux de vous

seconder en tout, et même de vous consacrer ma vie.

De plus en plus surprise, Jehanne ne trouvait mot à

répondre.

- Je vous ferai une vie dorée, continuait le jeune

homme. Je saurai être bon époux. J'ai projet de

rénover le château, de le rebâtir plus grand et plus

beau.

- Ah, bien... dit enfin Jehanne en reprenant ses

esprits. L'argent coule-t-il donc ici en abondance ?

Thierry eut un petit rire :

- Non, bien sûr, pas pour l'instant. Mais nous lèverons

de nouveaux impôts.

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- De nouveaux impôts... Les paysans de ce comté ne

me semblent guère en état d'en payer davantage.

Thierry se mit à rire.

- Ah ! si vous les écoutez, bien sûr, ils en payent

toujours trop !

- Ils n'ont plus rien à manger.

- Chère comtesse Anne... Je vois que vous avez une

petite âme fragile... mais je suis là pour vous aider à

voir clair. Ne savez-vous pas qu'un paysan se plaint

toujours ? C'est dans sa nature.

- Ah ! s'exclama Jehanne, je comprends. Ainsi, ces

pauvres gens que j'ai croisés ne sont morts de faim

sur le bord du chemin que pour m'impressionner...

Heureusement que vous êtes là pour m'éclairer,

messire Thierry, j'étais vraiment par trop ignorante.

Maintenant excusez-moi, mais vous êtes blessé, et je

ne voudrais pas trop vous fatiguer.

Elle disparut avant que Thierry n'ait pu faire le

moindre geste pour la retenir.

Jehanne dévala l'escalier du sous-sol :

- Maître Olérius, vous êtes là ?

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- Et où veux-tu que je sois ?

Dans la pénombre de la cave, Jehanne se pencha au-

dessus du cachot :

- Le comte Jean a été très bon, maître Olérius. Il a dit

qu'il me reconnaissait pour la comtesse Anne, et qu'il

était heureux. Je ne désespère pas de vous faire

libérer.

- Bah ! Rien ne presse. Je suis sur un document fort

intéressant, et j'aimerais le finir avant de sortir.

- Maître Olérius, il y a une autre nouvelle.

- Ah !

- Messire Thierry a eu la bonté de me demander en

mariage.

Et Jehanne étouffa un rire.

Une voix, derrière elle, lui fit tourner la tête. Une voix

qui demandait :

- Et qu'avez-vous répondu ?

- Oh ! Messire Guillaume, c'est vous...

Jehanne se releva. Elle se sentait le souffle un peu

court.

- Messire Guillaume... je ne sais comment vous

exprimer...

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- Surtout ne dites rien. Ce jour aura été le plus beau

de ma vie. Je voulais seulement vous assurer que

vous me trouverez toujours quand vous aurez besoin

de moi. Je suis et demeure votre serviteur.

- Mais je ne veux pas que vous soyez... Oh, excusez-

moi, je ne sais plus ce que je dis.

Guillaume contempla un moment la jeune fille, puis il

insista :

- Qu'avez-vous répondu à messire Thierry ?

- « Non », bien sûr, « non » ! Comment pourrais-je

épouser un... Ce n'est pas lui que...

Jehanne rougit. Sa phrase inachevée lui résonnait

aux oreilles. Elle détourna son regard.

- Aujourd'hui vous êtes comtesse, dit Guillaume, vous

épouserez quelqu'un de votre rang.

- De mon rang ? qu'est-ce que cela signifie, « de mon

rang ». Un homme comme Thierry, prêt à saigner le

comté pour s'enrichir ? Oh non, Guillaume, je

n'épouserai qu'un homme que j'aime, et en qui j'ai

confiance.

Du fond du cachot, une voix lança :

- Tu as raison, et tu aimes qui il faut aimer.

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Jehanne trembla un instant qu'Olérius n'en dise plus,

mais le vieil homme conclut sur un autre ton :

- La vie est d'une insondable richesse.

Suivit un long silence, empli seulement de cette petite

phrase, prononcée à voix presque basse. Les deux

jeunes gens se regardaient sans rien dire. Enfin,

Guillaume s'approcha et saisit doucement les mains

de Jehanne.

- Vous êtes comtesse, prononça-t-il avec gravité.

Jehanne serra les mains qui tenaient les siennes.

- C'est vrai, murmura-t-elle. Dieu a rendu son

jugement. Mais Il l'a rendu par votre main, Il vous a

donc choisi aussi.

Maître Olérius trempa sa plume dans son encrier.

Guillaume avait passé ses bras autour des épaules de

Jehanne. On n'entendait plus un, bruit. Tout était bien.

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Chapitre 7 – Épilogue

Anne appuya sa tête contre le mur du créneau. Aussi

loin que portait le regard, le blé avait été fauché.

Partout, les paysans, avec leurs grands râteaux,

petites taches sombres dans l'immensité dorée.

Partout les meules, comme des gardiens tranquilles

de la vaste plaine.

Vers l'ouest, quelques nuages sur l'horizon.

S'avançaient-ils par ici ? Anne fronça les sourcils. S'il

pleuvait avant que le blé ne soit rentré, tout serait

compromis : tant de travail gâché ! Il faudrait abattre

les meules, défaire à nouveau chaque gerbe et étaler

les épis en priant pour que le ciel leur laisse le temps

de sécher et que le grain ne pourrisse pas. Il

faudrait... pourvu qu'il ne pleuve pas !

- Dame Adélaïde !

- Oui, madame la comtesse...

- Où sont mes enfants ?

- Je crois qu'Olivier est à son cours de latin. Maître

Olérius l'a retenu plus longtemps car il ne savait pas

sa leçon. Charles se trouve dans la cour principale, 79

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avec messire Guillaume votre époux, qui lui montre

comment dresser le jeune poulain, celui qui est né

l'hiver dernier. Hugues et Romaric jouent aux échecs

dans la grande salle.

- Bien. Pouvez-vous aller les prévenir que la pluie

menace, et qu'il faudrait d'urgence qu'ils aillent aider

aux champs ?

- Je vais le leur dire.

- Attendez, dame Adélaïde. Demandez à Romaric de

prendre le vieux cheval. Je n'ai pas le temps de le

faire sortir aujourd'hui et malgré son grand âge, il a

besoin de prendre l'air, sinon il va s'étioler.

La dame de compagnie acquiesça :

- Romaric va être ravi. Vous savez comme il adore ce

cheval.

Anne sourit et demeura pensive. Elle aussi adorait le

vieux cheval, mais il avait aujourd'hui vingt-cinq ans et

sans doute était-il près de sa fin. Cette pensée lui

serrait le cœur. Elle se revoyait comme si c'était hier,

sur le pont de bois du château, tenant d'une main les

rênes du cheval noir, et serrant contre sa poitrine un

petit paquet de vêtements.

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Son regard rêveur revint vers la tour d'angle. Là était

autrefois la chambre des enfants... Sa chambre

d'enfant.

Anne longea le chemin de ronde, pénétra dans la

vieille tour et descendit l'escalier de pierre. Lorsqu'elle

ouvrit la porte, elle fut désagréablement surprise par

l'odeur de renfermé et de moisissure qui régnait dans

la pièce abandonnée. Elle appela un serviteur et

demanda qu'on allume un feu dans la cheminée, puis

elle débloqua l'étroite fenêtre pour faire entrer un peu

d'air frais. Ce n'est pas sous prétexte qu'une pièce ne

servait pas qu'on devait la laisser se dégrader.

D'ailleurs, elle devrait peut-être faire réparer la tour,

maintenant que le comté était prospère. Cela

donnerait du travail aux maçons.

Il faudrait aussi aérer ces coffres pleins de vieilleries.

Anne attendit que le serviteur ressorte, et ouvrit le

coffre poussiéreux qui dormait depuis si longtemps

contre le mur. Elle savait qu'il ne contenait que de

vieux vêtements attaqués par la moisissure. Peut-être

était-il temps de se décider à tout jeter ?

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Elle souleva une à une les étoffes fatiguées. Sous la

cape mangée par les mites, il n'y avait plus que des

vêtements d'enfants. Anne arrêta sa main et les

caressa avec tendresse. Ils avaient été les siens : ils

étaient tous brodés du « A » de son initiale.

Elle sortit avec précaution les petits bliauds, les fines

chemises, et trouva au fond du coffre une paire de

minuscules souliers, portant le « A » sur le côté.

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Elle les contempla en souriant. Puis son sourire

s'estompa peu à peu et son visage se figea. Les

souliers... l'un avait une semelle plus épaisse que

l'autre... Plus épaisse ! La petite comtesse Anne

boitait... La petite comtesse Anne avait une jambe

plus courte que l'autre !

La jeune femme demeura pétrifiée. Elle leva

lentement les yeux. Sur le pas de la porte, le vieux

maître Olérius la considérait sans bouger.

- ... Vous le saviez, n'est-ce pas, souffla-t-elle enfin.

Il ne répondit pas.

- Vous étiez le médecin du château... vous le saviez...

Oh ! maître Olérius, pourquoi ne me l'avoir pas dit ?

Lentement, le vieil homme s'approcha de l'étroite

fenêtre et fit un geste de la main vers les paysans,

tout là-bas.

- Ce matin... dit-il enfin, j'ai fait réciter à votre fils aîné

le sixième chapitre des lois régissant le domaine...

- Maître Olérius, interrompit Anne, il fallait me le dire.

Le vieux maître secoua la tête :

- Pourquoi ? Pour laisser le domaine à Thierry ?

Voyez : la vie est douce sur les terres de la comtesse

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Anne. La justice règne et la faim a disparu. Et puis,

Dieu n'en avait-il pas décidé ainsi ?

La jeune femme serrait nerveusement ses mains l'une

contre l'autre.

- Et Guillaume, demanda-t-elle soudain, il ne connaît

pas la vérité, n'est-ce pas ?

- Il ne la connaît pas, mais cela ne changera rien pour

lui, vous le savez bien.

- ... Mon Dieu... Ma mère a fait cela... Ma mère a

menti.

- Elle a fait plus que cela : elle a choisi de mourir avec

ce mensonge sur la conscience.

- ... Vous avez raison. Ma mère a compromis son

salut éternel... pour moi.

- Et pour quoi croyez-vous qu'elle se soit sacrifiée

ainsi, Jehanne ?

- ... Pour me sauver. Pour me sauver de la misère...

Oh, ma mère ! ma mère ! Il ne fallait pas !... Mon

Dieu... Que vais-je faire maintenant ? Il faut que je

confesse...

Le vieux maître se redressa :

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- Vous ne ferez rien. Vous ne direz rien à personne,

car personne ne vous demande rien. Le sacrifice de

votre mère n'aura pas été vain, il aura même porté

ses fruits au-delà de ce qu'elle imaginait. La paix,

comtesse Anne, la paix est sur ce comté, comprenez-

vous ?

Anne ferma les yeux. Elle entendait au loin le chant

des paysans, les sabots du vieux cheval sur le pont

de bois, le battoir des lavandières.

Elle tourna le dos à la fenêtre et fit quelques pas vers

la cheminée. Le feu dansait maintenant, avec des

petits craquements gais. D'un mouvement vif, elle se

pencha et déposa, au milieu des flammes, les deux

petits souliers.

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Les auteurs

Évelyne Brisou-Pellen a publié son premier texte

dans un magazine pour enfants. C'était en 1980.

Quinze ans plus tard, la bibliographie d'Évelyne

Brisou-Pellen compte plus d'une trentaine d'ouvrages

qui, peu à peu, ont assuré sa grande renommée

(Prisonnière des Mongols, Le Vrai Prince Thibault,

Rageot Éditeur ; Le Défi des druides, Gallimard).

Évelyne Brisou-Pellen emmène souvent ses lecteurs

au Moyen Âge, époque qu'elle aime et connaît bien.

Née en Bretagne, Évelyne Brisou-Pellen vit

actuellement à Rennes.

Natalie Louis-Lucas est née à Dijon, mais elle a fait

ses études d'illustration à Strasbourg, à l'École des

arts décoratifs, dans l'atelier de Claude Lapointe. On

connaît surtout Natalie Louis-Lucas pour ses

aquarelles aux couleurs transparentes et délicates

(les « Contes de toujours » de Bruno de La Salle,

Kassala, de Jean Sauvy, Vite ! vite ! de Fanny Joly,

tous chez Casterman) ; ici, son trait noir et dépouillé 87

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illustre idéalement le texte plein de sensibilité

d'Évelyne Brisoul-Pellen.

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Table des matières___________________________________________

Chapitre 1 – Une incroyable révélation.......................5

Chapitre 2 – La porte derrière la tenture...................17

Chapitre 3 – Une traîtrise..........................................29

Chapitre 4 – Un inconnu dans le cachot...................37

Chapitre 5 – Le jugement de Dieu............................51

Chapitre 6 – Entre Thierry et Guillaume....................65

Chapitre 7 – Épilogue................................................79

Les auteurs...............................................................87

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« - La soie va aux seigneurs... souffla dame

Hersende, et ceci est à toi, car tu es la fille du

comte Hugues et de la comtesse Béatrice.

- Voyons, mère...

- Je ne suis pas ta mère. Écoute bien ce que je

vais te dire… »

Bouleversée par l’annonce du terrible secret

que lui a révélé sa mère avant de mourir,

Jehanne se met en route pour le château. Elle

veut savoir qui elle est vraiment, d’où elle vient.

Mais là-bas, qui va la croire ? Et quel accueil

va-t-elle recevoir ?

Aux temps rudes du Moyen Âge, le destin

singulier d’une jeune manante à la recherche

de ses origines.

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