6
Manuel Valls “Ce que je dénonce, c’est le poison salafiste qui ronge l'islam" Carole Barjon, Sara Daniel et Mathieu Delahousse Carole Barjon, Sara Daniel et Mathieu Delahousse Publié le 28 octobre 2017 à 10h08 L'ancien Premier ministre se réjouit qu'Emmanuel Macron, en qualifiant "d'ordre civilisationnel" le défi contre le terrorisme, ait enfin fait sa mue. Et réplique vertement à Jean-Luc Mélenchon Vous êtes d’origine catalane. Comment réagissez-vous à ce qui se passe en Catalogne ? Je suis inquiet car je sais la société catalane et chaque famille très divisées, alors que, pourtant, la Catalogne bénéficie d’un statut d’autonomie sans égal en Europe. Mais ni l’Espagne ni l’Europe ne peuvent accepter la violation d’une Constitution démocratique. L’indépendance est une impasse. On ne joue pas avec les frontières car tout est possible et l’histoire est tragique. Nous devons soutenir le gouvernement espagnol dans cette épreuve. J’espère que le dialogue et le bon sens l’emporteront. Emmanuel Macron a annoncé la semaine dernière son plan pour la sécurité. Est-il à la hauteur des enjeux de la situation française ? Parce que j’ai dû faire face au terrorisme et que j’ai une haute conception de la République, je me dois de soutenir l’action d’un gouvernement qui est et qui sera malheureusement confronté aux mêmes défis que j’ai dû affronter : une menace terroriste toujours présente, la radicalisation de milliers de jeunes, une idéologie totalitaire toujours à l’œuvre. Malgré les lourdes défaites de l’Etat islamique au Levant, le djihadisme prendra d’autres formes, en Asie, en Afrique, en Europe… Et en France, il peut frapper à tout moment. La réponse du président est la bonne. Que pensez-vous de la réaction du gouvernement après les dysfonctionnements qu’ont révélés les assassinats des deux jeunes filles à la gare Saint-Charles de Marseille ?

Web viewNous avons à faire la très belle démonstration que l’islam a toute sa place en France, ... la question de la vie collective est en jeu. Oui,

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Web viewNous avons à faire la très belle démonstration que l’islam a toute sa place en France, ... la question de la vie collective est en jeu. Oui,

Manuel Valls “Ce que je dénonce, c’est le poison salafiste qui ronge l'islam"

Carole Barjon, Sara Daniel et Mathieu Delahousse Carole Barjon, Sara Daniel et Mathieu Delahousse Publié le 28 octobre 2017 à 10h08

L'ancien Premier ministre se réjouit qu'Emmanuel Macron, en qualifiant "d'ordre civilisationnel" le défi contre le terrorisme, ait enfin fait sa mue. Et réplique vertement à Jean-Luc Mélenchon

Vous êtes d’origine catalane. Comment réagissez-vous à ce qui se passe en Catalogne ?

Je suis inquiet car je sais la société catalane et chaque famille très divisées, alors que, pourtant, la Catalogne bénéficie d’un statut d’autonomie sans égal en Europe. Mais ni l’Espagne ni l’Europe ne peuvent accepter la violation d’une Constitution démocratique. L’indépendance est une impasse. On ne joue pas avec les frontières car tout est possible et l’histoire est tragique. Nous devons soutenir le gouvernement espagnol dans cette épreuve. J’espère que le dialogue et le bon sens l’emporteront.

Emmanuel Macron a annoncé la semaine dernière son plan pour la sécurité. Est-il à la hauteur des enjeux de la situation française ?

Parce que j’ai dû faire face au terrorisme et que j’ai une haute conception de la République, je me dois de soutenir l’action d’un gouvernement qui est et qui sera malheureusement confronté aux mêmes défis que j’ai dû affronter : une menace terroriste toujours présente, la radicalisation de milliers de jeunes, une idéologie totalitaire toujours à l’œuvre. Malgré les lourdes défaites de l’Etat islamique au Levant, le djihadisme prendra d’autres formes, en Asie, en Afrique, en Europe… Et en France, il peut frapper à tout moment. La réponse du président est la bonne.

Que pensez-vous de la réaction du gouvernement après les dysfonctionnements qu’ont révélés les assassinats des deux jeunes filles à la gare Saint-Charles de Marseille ?

L’assassinat de Laura et Mauranne a profondément touché les Français et ému chacun d’entre nous. Même si cela est difficile pour le corps préfectoral, qui compte de grands serviteurs de l’Etat comme le préfet Comet, la décision prise par le ministre de l’Intérieur de le relever était incontournable, au nom de l’idée même de la responsabilité, car il y a eu une faute grave.

Le meurtrier de Marseille avait déjà été arrêté et relâché plusieurs fois, et on l’avait encore relâché la veille de son forfait, faute de place dans le centre de rétention le plus proche. Le limogeage d’un préfet est-il une réponse suffisante ?

Il faut préciser qu’il avait été interpellé pour des faits de délinquance et qu’il n’était pas fiché S. Les parcours sont souvent les mêmes : chaotiques, difficiles à repérer, inconnus des services. Cela posé, et sachant que je fais une distinction claire entre le statut des

Page 2: Web viewNous avons à faire la très belle démonstration que l’islam a toute sa place en France, ... la question de la vie collective est en jeu. Oui,

demandeurs d’asile et celui des migrants, il faut prendre les moyens nécessaires pour des reconduites à la frontière effectives. Sinon, le sentiment d’impuissance se diffuse. Je l’ai dit pendant la campagne des primaires, il faut des moyens très importants pour la défense, la justice et la sécurité. J’avais chiffré entre 15 et 20 milliards l’effort à fournir pour ce quinquennat pour assurer la sécurité des Français, soutenir nos armées et construire des prisons pour en finir avec la surpopulation carcérale. C’est une priorité nationale, car nous sommes en guerre et nous devons nous donner les moyens de la mener.

Le procès Merah révèle aujourd’hui, que, début 2012, on n’avait pas pris la mesure de la dangerosité de cet individu. Votre avis sur ce point ?

Dès mon arrivée place Beauvau, le directeur de la DCRI Patrick Calvar, successeur de Bernard Squarcini, m’a donné des informations sur l’ampleur de la menace terroriste. Il faut cependant souligner qu’à ce moment-là la France n’avait pas connu d’attentat depuis quinze ans et ne savait pas tout ce qu’on sait aujourd’hui. Cela dit, pour ma part, je n’ai jamais cru à la thèse du "loup solitaire". Merah, comme d’autres, était actionné par une idéologie qui servira de matrice aux attentats de 2015. Il s’est formé au Pakistan, il a bénéficié de complicités, et il a baigné, dans sa famille, dans la haine des juifs et de la France.

La gauche sous-estime-t-elle le risque terroriste ?

La gauche de gouvernement, non. Celle qui assume les responsabilités du pouvoir n’a aucune indulgence à l’égard des terroristes. Dans un pays démocratique, il n’y a aucune excuse à prendre les armes. Mais il y a ceux qui considèrent que la gauche doit se cantonner aux questions économiques ou sociales et éviter soigneusement les questions identitaires. Moi, je ne le crois pas. La gauche doit revendiquer la Nation, la République, le patriotisme qui n’est pas le nationalisme, et regarder en face les nouveaux défis du monde.

Dans son discours aux forces de sécurité, Emmanuel Macron affirme que "le défi qui est le nôtre pour la lutte contre le terrorisme est d’ordre civilisationnel". Cela conforte-t-il votre vision ?

Il est fondamental que le chef de l’Etat qualifie la réalité telle qu’elle est et emploie les mots justes. Le défi auquel nous sommes confrontés avec le terrorisme islamiste est que l’idéologie dont il s’inspire n’est pas extérieure à l’islam. Les actes antimusulmans existent et je les dénonce tout autant que la recrudescence des actes antichrétiens ou antisémites. Mais je m’opposerai toujours aux voix qui s’élèvent pour dire qu’il existerait un Etat raciste discriminatoire qui, sur fond de relents colonisateurs, stigmatiserait les musulmans. Dire cela, ou prétendre qu’ils sont les "nouveaux damnés de la terre", c’est admettre au fond que les musulmans n’ont pas leur place dans notre République. C’est nourrir l’islam politique. Et une partie de la gauche, je pense aux thèses d’Edwy Plenel, se trahit lorsqu’elle véhicule ce genre de discours.

Les islamistes ont fait de l’antisémitisme et de la haine de l’Occident un fonds de commerce. Ils ont commencé un travail de sape au sein des communautés musulmanes européennes et y sèment la graine du salafisme. Je suis donc très heureux d’entendre Emmanuel Macron dire aussi clairement que moi que l’antisionisme est une des nouvelles formes de l’antisémitisme et désigner, lors de la conférence des ambassadeurs, les responsabilités du

Page 3: Web viewNous avons à faire la très belle démonstration que l’islam a toute sa place en France, ... la question de la vie collective est en jeu. Oui,

Qatar et de l’Arabie saoudite. Lorsque j’avais nommé le mal en 2015, on m’avait reproché d’être anxiogène, mais j’estimais et j’estime toujours que le rôle d’un responsable politique est de nommer les maux de son époque. Nous devons sortir d’une période d’inconscience et d'insouciance.

Mais, après les attentats de 2015, on avait déjà parlé de "la fin de l’insouciance"…

Vivre, consommer, occuper l’espace public, se cultiver ou faire du sport, c’est aussi une belle réponse au terrorisme. Mais la menace est toujours là. J’ai pris conscience de l’inquiétante progression du fondamentalisme en France au ministère de l’Intérieur, dans le prolongement de l’affaire Merah. J’ai connu aussi à Evry, au début des années 2000, ces délinquants qui pour certains se radicaliseront ensuite. Je pense à Amedy Coulibaly que j’avais croisé dans ma ville et qui était connu, déjà à cette époque, comme un individu très violent. Il faut se souvenir aussi que, pour la première fois en France depuis la Libération, au cours de la manifestation organisée en soutien à la cause palestinienne, à l’été 2014, on a crié "Mort aux juifs !". Ni l’assassinat de Ilan Halimi ni les crimes de Toulouse n’ont provoqué de véritable choc. Il faudra attendre janvier 2015, les attentats contre "Charlie" et l’Hyper Cacher, pour que l’on prenne conscience de ce nouvel antisémitisme qui s’est diffusé dans nos quartiers populaires. Le combat sera donc long. Et c’est à la gauche de le mener d’abord.

Votre conception de la laïcité n’est-elle pas intransigeante ?

Trop souvent, on affuble la laïcité d’adjectifs pour mieux la tordre ou la soumettre à d’autres modèles qui ne sont pas la France : "apaisée", "ouverte" ou, au contraire, "fermée", "revancharde". On évoque aussi le "laïcisme" pour disqualifier certains d’entre nous. Je ne comprends pas ce que cela veut dire. La laïcité n’a pas besoin d’épithètes, de dérogations, ni d’accommodements. Il n’y a que la laïcité. Plutôt que d’affaiblir la notion de la laïcité au nom d’une vision multiculturaliste, n’oublions pas que nous formons une communauté nationale de femmes et d’hommes, libres et égaux en droits. Rappelons que ceux qui ont pensé la République, Jaurès, Clemenceau ou Briand, avaient une certaine idée de la France. Chacun a le droit de croire ou pas. Mais la religion n’a pas d’emprise sur la société. La laïcité n’est pas un glaive, mais un bouclier, comme l’a écrit justement Caroline Fourest. Nous ne pouvons pas céder aux revendications religieuses des uns et des autres. Nous avons à faire la très belle démonstration que l’islam a toute sa place en France, qu’il est compatible avec la République et la laïcité. Nous devons aider l’islam à rompre définitivement avec l’islamisme et l’islam politique.

Jean-Louis Bianco a été reconduit à la tête de l’Observatoire de la laïcité. Votre réaction ?

Je le regrette. L’Observatoire de la laïcité n’hésite pas à intervenir ou à signer des pétitions, et même à faire cause commune avec des organisations comme Coexister ou le CCIF (Collectif contre l’Islamophobie en France), proche des Frères musulmans. Nous ne devons rien céder face à cette mode, portée par des associations communautaires et certains responsables politiques, qui remet insidieusement en cause la laïcité. Je veux être clair avec vous. Certains s’emploient à faire croire que je stigmatiserais les musulmans. Parce que je veux soumettre l’islam aux mêmes exigences que les autres cultes, je serais

Page 4: Web viewNous avons à faire la très belle démonstration que l’islam a toute sa place en France, ... la question de la vie collective est en jeu. Oui,

antimusulman ? Je préférerai toujours le parler vrai plutôt que de détourner le regard face à l’essor des fondamentalismes. Je respecte profondément et j’ai la plus grande considération pour la religion et la culture musulmanes. Ce que je dénonce, c’est le poison salafiste qui la ronge. C’est aussi le devoir des musulmans de France de dénoncer le discours radical et celui de l’Etat de les y aider. Quand un patient refuse de se faire soigner par une femme, quand un conducteur de bus refuse de prendre le volant après une femme, ce ne sont pas des petits débats, la question de la vie collective est en jeu. Oui, c’est un enjeu civilisationnel. Quand de tels principes sont remis en question, c’est bien notre vision du monde, nos valeurs républicaines, notre manière de vivre ensemble que l’on piétine.

Qui sont ces "islamo-gauchistes" que vous vouez aux gémonies

Quand j’avais parlé des gauches irréconciliables, je pointais déjà une frontière entre une gauche réformatrice et une gauche qui n’est plus de gauche. Contrairement à la gauche de gouvernement, dont les valeurs se conjuguent avec celles de la République, cette gauche-là ne porte plus que la vision d’une société atomisée qui la conduit à accepter toutes les dérives : régression de la place de la femme, racialisation des combats, etc. C’est le fait du Bondy Blog, des Indigènes de la République ou de Lallab, cette association qui milite pour le port du voile et maintenant contre la pénalisation du harcèlement de rue.

Vous avez récemment fait l’objet d’une violente attaque de Jean-Luc Mélenchon, qui vous a rangé aux côtés de l’extrême droite israélienne. Vous le rangez également dans cette gauche qui n’est plus de gauche ?

Quand Mélenchon choisit des candidats aux opinions violemment antirépublicaines pour représenter La France insoumise aux législatives, il prend le risque de la complaisance avec des idéologies nauséabondes. La députée Danièle Obono, dans un véritable manifeste au lendemain des attentats de "Charlie", a ainsi expliqué qu’elle ne pleurait pas pour "Charlie", mais pour l’interdiction des spectacles de Dieudonné... Dieudonné n’est pas un humoriste controversé, encore moins une victime, c’est un raciste et un antisémite. Quand on procède ainsi, on finit par ressembler à ses candidats. Mélenchon laisse diffuser sur des sites ou des comptes Twitter proches de lui des images et des arguments contre moi qui figurent sur le site Egalité et Réconciliation fondé par Alain Soral, antisémite notoire. Chacun appréciera.

Propos recueillis par Carole Barjon, Sara Daniel et Mathieu Delahousse

Carole Barjon, Sara Daniel et Mathieu Delahousse

A retrouver sur http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20171026.OBS6530/manuel-valls-ce-que-je-denonce-c-est-le-poison-salafiste-qui-ronge-l-islam.html