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Comparaison des modèles météorologiques, climatiques et économiques : quelles capacités, quelles limites, quels usages ? Alain Grandjean 1 , Gaël Giraud 2 . Mai 2017 Contact : Alain Grandjean, [email protected] 1 Expert associé à la Chaire Energie et Prospérité. 2 Agence Française de Développement, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d’Économie de la Sorbonne, Chaire Énergie et Prospérité, CNRS, Paris, France. Working Paper

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Comparaisondesmodèlesmétéorologiques,climatiquesetéconomiques:quellescapacités,quelles

limites,quelsusages?

AlainGrandjean1,GaëlGiraud2.

Mai2017

Contact: AlainGrandjean,[email protected]

1ExpertassociéàlaChaireEnergieetProspérité.2AgenceFrançaisedeDéveloppement,UniversitéParis1Panthéon-Sorbonne,Centred’ÉconomiedelaSorbonne,ChaireÉnergieetProspérité,CNRS,Paris,France.

Working Paper

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La Chaire Energie et Prospérité

LachaireEnergieetProspéritéaétécrééeen2015pouréclairer lesdécisionsdesacteurspublics et privés dans le pilotage de la transition énergétique. Les travaux de rechercheconduitss’attachentauximpactsdelatransitionénergétiquesurleséconomies(croissance,emploi, dette), sur les secteurs d’activité (transport, construction, production d’énergie,finance)etauxmodesdefinancementassociés.HébergéeparlaFondationduRisque,lachairebénéficiedusoutiendel’ADEME,d’AirLiquide,del’AgenceFrançaisedeDéveloppement,delaCaissedesDépôts,deMirova,deSchneiderElectricetdelaSNCF.

Lesopinionsexpriméesdanscepapiersontcellesdeson (ses)auteur(s)etnereflètentpasnécessairementcellesdellaChaireEnergieetProspérité.Cedocumentestpubliésousl’entièreresponsabilitédeson(ses)auteur(s).

LesWorkingpaperdelaChaireEnergieetProspéritésonttéléchargeablesici:http://www.chair-energy-prosperity.org/category/publications/

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Comparaisondesmodèlesmétéorologiques,climatiquesetéconomiques:quellescapacités,quelleslimitesquelsusages?

AlainGrandjean,ExpertassociéàlaChaireEnergieetProspérité

Gaël Giraud, Economiste en chef de l’Agence Française de Développement, Directeur deRecherchesauCNRS,Co-directeurdelaChaireEnergieetProspérité.

Résumé

Lediagnosticduchangementclimatiqueetdesesconséquencesphysiquesreposesurunereprésentationmodéliséeetassezsolidedesphénomènesencause.Leseffetséconomiquesdu changement climatique, de diverses stratégies d’atténuation et d’adaptation, peuventégalement être modélisés, en recourant alors à des théories économiques pas toujoursexplicitéesetdontlavaliditéestplusdiscutable.Touscesmodèles,influentsdansladécisionpublique,ontdescapacitésetdeslimitesbiendifférentes,etcepourplusieursraisonsquelaprésente note a pour but de mettre en lumière. Elle se conclut par une série derecommandationsrelativesaubonusagedesmodèleséconomiques.

Remerciements

CettenoteabénéficiédescommentairesetsuggestionsdeThomasBrand,FrançoisMarie-Bréon, Marion Cohen, Gaël Callonnec, Eloi Laurent, Florent Mc Isaac, Mireille Martini,ValérieMasson-Delmotte,EloiLaurent,Marie-LaureNauleau,AdrienNguyenHuu,AntoninPottier,BaptistePerrissin-Fabert,CédricPhilibert,DidierRoche,Marie-NoëlleWoillez.Nousles en remercions chaleureusement tout en assumant l’intégralité de son contenu et deserreursoumanquesrésiduels.

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SOMMAIRE

Introduction

1 Qu’est-cequ’unmodèle?Commentsetestet-il?Aquoisert-il? 5 1.1 Qu’est-cequ’unmodèle? 5 1.2 Commentsetestet-il? 6 1.3 Aquoisertunmodèle? 7

1.3.1 Testerquantitativementunethéorieouunehypothèse 7 1.3.2 Fairedesprévisions. 9 1.3.3 Aideràladécision. 12

2 Quelquesexemplesdemodèlesdanslestroisdomaines 13 2.1 Climat 13 2.2 Météo 13 2.3 Economie 14

3 Différencesentremodèlesclimatiquesetmodèleséconomiques 20 3.1 L’extensionetl’exhaustivitédelareprésentation 21 3.2 Laqualitédesdonnées 24 3.3 Lapertinenceetlareprésentativitédesindicateursdesortiedesmodèles 26 3.4 Lavaliditédesrelationsquereprésententleséquationsmathématiques 29 3.5 Lapertinenceetlarobustessedestests 34 3.6 Lepoidsducalibrageetdel’estimationdesparamètres 36 3.7 Ladynamiquedumodèle 38

4 Lesdifficultésspécifiquesdesmodèleséconomiquesd’évaluationduchangementclimatique 41 4.1 Laquestiondutauxd’actualisation 41 4.2 Lesfonctionsdedommage 43 4.3 Lesdifficultésdel’approchecoûts-efficacité 44

5 Dubonusagedesmodèles 45

6 Annexes 48 6.1 Enquoiconsistentlesmodèlesclimatiques? 48 6.2 Quellessontlesméthodesd'évaluationetdevalidationdesmodèlesclimatiques? 49 6.3 ComparaisonprévisionduPIB/réalisationsur2001-2015selondonnéesduFipeco 52 6.4 Quelquescontroversesenmacroéconomie 53

6.4.1 Lesécolesdepenséeréférentesenmatièredemodélisationmacroéconomique 53 6.4.2 Retoursurlesfaitsstylisésdelacroissance 55 6.4.3 Créationmonétaireetneutralitédelamonnaie. 56 6.4.4 Multiplicateurdedépensespubliquesetéquivalencericardienne 57 6.4.5 Lesrendementsdécroissantsouconstants 58 6.4.6 Lesdifficultésdel’usagedefonctionsd’utilité 59 6.4.7 Lathéoriedesanticipationsrationnelles 59 6.4.8 L’existenced’unefonctiondeproductionagrégée 60 6.4.9 L’équationd'accumulationducapital:lavariationducapital=investissement-dépréciation(constante)*capital. 61

6.5 Lesmodèlesénergétiques 61

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Introduction

Lesmodèlesmathématiquessontd’unusagetrèsgénéraldansdenombreusesdisciplines.Ils sont très développés en économie et couramment utilisés par les grandes institutionsnationales ou internationales. Dans le domaine du changement climatique, deux grandstypes de modèles sont utilisés, les modèles physiques représentant le climat et sonévolution et les modèles macroéconomiques visant à évaluer l’impact économique duchangementclimatiqueàveniretlespolitiquesàenvisager.EnFranceparexemple,leCGDD(rattachéauministèredel’environnement)vientd’évaluerl’impactdelaStratégieNationaleBasCarbone1,àpartirdumodèleThree-ME2.Ilaffirmequ’ellepourraitsetraduireparunehausse de 1,6 point de PIB en 2035 par rapport au scénario tendanciel. Leministère desFinances avait auparavant évalué l’impact du Grenelle de l’environnement 3 (plusexactement du plan tel qu’il a été présenté à l’époque), une grande consultation surl’environnementconduisantàdes loisetdesprogrammesd’actions.CetteévaluationavaitétéfaiteenutilisantlemodèleMésangedontlesrésultatsmontraientaucontraireuneffetrécessif à moyen terme. Les modèles sont aussi utilisés dans le groupe III du GIEC pourévaluer lespolitiquesclimatiques,etenparticulier leniveausouhaitabled’une tarificationducarbone(voir§4).

Lesmodèles permettant de faire des simulations et des évaluations quantitatives ont unimpact significatif et souvent ignoré dans notre vie économique. Ces modèlesmacroéconomiques sont-ils fiables ? Comment les utiliser ? Quelle est leur limite devalidité?

Cette note de synthèse a pour but de comparer les modèles utilisés respectivement enmétéorologie/climatologieetenéconomie4,leurscapacités,leurslimitesetleurusage.Eneffet, c’est bien parce que la météorologie utilise des modèles qu’elle peut faire desprévisionssurquelquesjoursetavecunindicedeconfiancechiffré.Demême,lesmodèlesdeclimat,quipartagentuncertainnombredecaractéristiquesaveclesmodèlesmétéo,sontutiliséspourdesprojectionsàlongtermeetmontrentquelatempératuremoyenneglobalevacroître,etaugmenterdeplusdedeuxdegrés(objectifdel’accorddeParis)parrapportàla situation préindustrielle, si les émissions de gaz à effet de serre (GES) ne sont pasrapidementetfortementdiminuées.

Lesmodèles,utiliséspourlaprévisionopérationnelledutempsqu’ilfera,sontconstammentévaluésparcomparaisondesprévisionsauxobservations.Demême,lesmodèlesdeclimatsontévaluésd’unepartsurleurcapacitéàsimulerleclimatprésentoupasséetd’autrepartàreproduirelesvariabilitésduclimatàtoutesleséchellesdetemps.Notonsparailleursquelatendanceauréchauffementquiestobservéeaujourd’huiestconformeauxprojectionsqui

1 Cf. Stratégie Nationale Bas Carbone: une évaluation économique (Nov. 2016) sur le sitewww.developpement-durable.gouv.fr/collection-thema#e52Cf.infra,note45.3Cf.https://alaingrandjean.fr/2010/12/19/bercy-tacle-le-grenelle-la-revanche-de-gribouille/4En simplifiant, les premiers sont ou pourraient être utilisés dans les travaux du groupe I et II duGIEC;lesderniersdanslegroupeIII.Nousn’évoqueronspasicilemodèleWorld3deMeadows,créépouruneétudeduClubdeRomeparue sous le titreThe Limits toGrowth (en français,Halteà lacroissance?)en1972.Cf.l’entrée«World3»surWikipédia.org.

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avaient été faites il y a une vingtaine d’années, ce qui apporte une certaine validité auxmodèlesutilisésàl’époque.Mêmesicesmodèlesétaientmoinscomplexesqueceuxutilisésactuellement, avec une résolution spatiale plus faible, les principaux processus physiquesgouvernant le climat (notamment les termes du bilan d'énergie) étaient correctementrésolusau1erordre.

Ces modèles (météorologie et climat) ayant donc une capacité prédictive permettent decontribueràfonderunedécisionpolitique.Enest-ildemêmeenéconomie?Laquestionestsensiblepourdeuxraisons.D’abord,ilestreconnuqu’aucunmodèleéconomiquen’aprévula crise économique de 2008 ce qui a suscité une remise en cause de la discipline.Evidemment la sciencemétéorologique n’est pas non plus à l’abri d’erreurs de prévision.Mais l’ampleur du problème n’est clairement pas de même nature, comme on le verra.D’autre part, les évaluations économiques du changement climatique ont pendantlongtempsconduitàunimpactfaible,peumobilisateurpourl’actionimmédiate.Ellessontmaintenant considérées largement comme erronées. C’est ce qui a conduit l’économisteAntoninPottier àmontrerdansun livre récent « comment les économistes réchauffent laplanète»5.

Nousnous limiterons iciàunecomparaisonentredesmodèlescomplexes :pourclimatetmétéorologie, les « gros » modèles planétaires; pour l’économie, les modèlesmacroéconomiques6. Nous n’évoquerons pas dans cette note les modèles énergétiquessectoriels (voir annexe 6.5) alors que leur emploi est fréquent dans le traitement de laquestion climatique, car ils posent des questions de nature (microéconomique) assezdifférentesdesmodèlesmacroéconomiques.

Notons qu’il y a différents types de modèles en macroéconomie, construits en fonctiond'unequestionposéeetquidiffèrentstructurellemententreeux,bienplusquelesmodèlesclimatiques/météo qui, quelles que soient les échelles de temps, cherchent tous àreprésenterlesmêmestypesdeprocessusphysico-chimiques.

Tous cesmodèles complexes, qu’ils soientmétéorologiques, climatiques ou économiquescomportent de nombreuses équations, de nombreux paramètres et potentiellement denombreusesdonnéesd’entréeetdesortie.Cesonteuxquisontutiliséspourrépondreauxquestions politiques centrales que pose le changement climatique.Mais cette complexitéfait qu’il est généralement impossible pour un non-spécialiste de comprendre le modèlesansun investissementtrès lourdentemps(afinqu’ildeviennelui-même“spécialiste”).Lenon-spécialiste ne connaît pas les hypothèses dumodèle, son domaine de validité, et nepeutdoncpasconnaîtrelafiabilitédesesprojectionspourdesétudesspécifiques.

Nous allons donc tenter de clarifier le paysage et, en conclusion, de proposer un moded’emploiraisonnédecesmodèles.

5Titredesonlivresortien2016auSeuil,CollectionAnthropocène.6Lafinance,l’économiedutransport,del’énergie,labiologie,l’architectureetlaconstruction,…denombreuses disciplines utilisent desmodèlesmathématiques. Nous nous limitons ici à un champ(déjà très vaste) de la modélisation dans les trois domaines que sont la météo le climat et lamacroéconomie. Pour une discussion épistémologique d’ordre général sur la modélisation, cf. Lamodélisationcritique,NicolasBouleau,Quae,2011.

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1 Qu’est-cequ’unmodèle ?Comment se teste t-il ?Aquoisert-il?

1.1 Qu’est-cequ’unmodèle?Nous appelons dans cette note modèle un système d’équations mathématiques (et deprocéduresderésolution)quipeuventavoirdesbasesthéoriques(physiques)ouempiriquesintégrantdesparamètres7quipeuventêtreajustés sur labased’études théoriquesousurunebaseempirique.

Les modèles ingèrent ensuite des données d’entrée (conditions ou choix dont on veutanalyser l’impact). Ils génèrent des donnéesde sortie qui doivent aider à répondre à unequestionposée.

Laplupartdeséquations,dansledomainemétéorologiqueouclimatique,sontissuesdeloisphysiques, chimiques ou biologiques8. Certaines équations sont empiriques (elles nedérivent pas d’une théorie générale mais de l’observation des faits) et permettent dereproduiredesphénomènesdepetiteéchelle(dite«sousmaille»),c’est-à-direintervenantàdeséchellestroppetitespourêtrereproduitesexplicitement.

Chacunpeutpercevoir les limitesdesmodèlesmétéorologiques, le tempsobservédéviantsouvent de ce qui était annoncé. Les limites des prévisions sont en partie liées àl’initialisation : l’aspect chaotiquede l’atmosphère vaamplifierunedifférenceentre l’étatinitial“vrai”etlaconnaissancequenousenavons.Parailleurs,leséquationsdumodèlesontdesapproximationsdelaréalité,enparticulierpourlesprocessusdepetiteéchelle.Malgréleurslimites,cesmodèlesmétéorologiquesontuneréellepuissanceprédictive.

Lesmodèleséconomiquescomportentengénéralunmixd’équationscomptables (c’est-à-diredeséquationscohérentesentermesdestocksetdefluxderevenus;lesmodèlessontdits alors« stock-flux cohérents» :parexemple, lesdettesdesuns sont les créancesdesautres ; leschargesdesunssont lesproduitsdesautres…),d’équationsdecomportementissuesdelathéorieéconomiquedontilsdérivent(voir§3.4).

Voiciquelquesexemplesdeceséquations:

-la«courbedePhillips»(dunomdel’économistequiafait9,en1958,unecourbemettanten évidence une relation négative entre la hausse des salaires (l’inflation en fait) et lechômagedansl'économiebritanniquesurlapériode1861-1957),quifaitunlienentretauxdechômageethaussedessalairesnominaux10.L’hypothèsesous-jacenteestquelessalariéssontmoinscapablesd’obtenirdeshaussesdesalairesencasdechômagequ’ensituationdepleinemploi.D’autreséconomistesintroduisentdeséquationsd’équilibre:enl’absencede

7Unparamètreestunevaleurnumériquequin’estpascalculéepar lemodèleetquin’estpasunevariabled’entréemesuréeouobservée.Cf.DavidMakowski,Estimationdesparamètresdesmodèles«Principesgénéraux»,2005,Téléchargeableicihttp://bit.ly/2pNOBV58Cf.Annexe6.19IrvingFisheravantluiavaitdéjàremarquécetterelation.10Cf.Hervé LeBihan,1958-2008,Avatarset enjeuxde la courbedePhillips, Revuede l’OFCE,111,Octobre2009.http://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2009-4-p-81.htm

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« rigidités»duprixdu travail, lemarchédu travail s’équilibrerait11et iln’ yauraitpasdechômagestructurel(maisqueduchômageconjonctureldûauxdélaisd’ajustement)…

-leniveaudel'élasticitédelapartdelaconsommationdanslerevenuparrapportaurevenu(inférieure à 1, car, en général, plus notre revenu est élevé, plus nous épargnons,relativementànotrerevenu).

-lesfonctionsdeproductionagrégées,quirelientmathématiquementlaproductionréaliséeen volume à des quantités d’intrants (les facteurs de production), comme la fonction deCobb-Douglas(voir§3.4).

Il existe plusieurs manières d'attribuer des valeurs aux paramètres d'un modèle enéconomie.Ondistinguel’estimationetlacalibration(oucalibrage)(voir§3.6).L'estimationviseàsefondersurdesdonnéesobservéesenutilisantdesoutilsstatistiquesplusoumoinssophistiquésdetypesalgorithmesdeminimisationdansdesespacescomplexes(ex:fairedumaximum de vraisemblance). Le calibrage est une méthode plus sommaire, parfoisinévitable (si par exemple les données sont de faibles profondeurs temporelles ouadministrées)quiconsisteàsefondersurun«dired’expert»ouàprendre,parexemple,unemoyennehistorique.

1.2 Commentsetestet-il?

Lesvérificationsetlestestsdevalidationd’unmodèlesontengénérallessuivants:

• contrôledelalogiquemathématiqueetdelacohérenceinterne(pasdepropositionscontradictoiresau seindumodèleouquipourraientenêtre inférées),enparticulierpourlesmodèleséconomiquesrespectdeséquilibrescomptables;

• discussionsurleséquationsetlesparamètres,confrontationaveclalittérature;

• confrontationdesdonnéesdesortieaveclesdonnéesobservéessurdifférentspasdetemps.

Ces tests permettent d’évaluer la capacité du modèle à reproduire le passé, ou, aprèscalibrage, à réaliser des prédictions confirmées. Pour être convaincants, ils doivent êtreexplicitésdemanièretransparente,soumisàlacritiquedespairsetsipossibleproduitsdansdes revues spécialiséesoùcette lecturecritiqueest formalisée.Notonsquecelanécessitequelestiersaientaccèsàtoutesleséquationsetparamètresdumodèlemaisaussiaucodeinformatique dumodèle sans quoi ces vérifications extérieures sont impossibles en touterigueur.Ace jour,Bercyréviseetpublietoutes leséquationsdeMESANGEmaisnedonnepasaccèsauxcodesdumodèlequ’ilutilisepourfairelesprévisionsdePIBàcourtterme,siimportantesdanslaviepolitique.

Onpeutaffirmerqueces3testssontfaitspourlesmodèlesclimatiquesetmétéorologiques.PourlamétéolestravauxduCentreeuropéenpourlesprévisionsmétéorologiquesàmoyenterme (l’ECMWF)12montrent très clairement que la qualité des prévisions est réelle ets’amélioreavec le temps.Pour leclimat, lacomparaisondesprojectionsde JamesHansen

11Cf.www.crest.fr/ckfinder/userfiles/files/pageperso/roux/Cours/Philips_Transp.pdf12 Cf. Evaluation of ECMWF forecasts, including 2014-2015 upgrades, Haiden et al. (2015).Téléchargeableici:http://bit.ly/2eM0dEh

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faites en 1988 et ce qu’on observe aujourd’hui (sur la Température globale) est plutôtcorrecte13. Demême, une analyse rétrospective des projections faites dans les différentsrapportsduGIECmontreunassezbonaccord,malgrélesvariabilitésinterannuelles1415.

Onpeutdireaussiquepourlesmodèleséconomiques,lesdeuxpremierstestssontfaitsengénéral (qui ne sont néanmoins pas tous «stock-flow cohérents».Mais le troisième test(celuide laconfrontationdesdonnéesdesortieavec lesdonnéesobservéessurdifférentspas de temps) est plus difficile à interpréter, notamment parce que des décisions depolitiquepubliquepeuventmodifiersensiblementlecontexte.Nousyreviendrons.

L'exercice fait habituellement avec les modèles DSGE (voir §2.3) est d’ailleurs un peudifférent:danslepapierfondateurdesDSGE16, lesauteursdéveloppentunmodèlesimpleet comparent les performances prédictives de ce modèle à celles d'un modèle VAR17structurelutiliséenpolitiquemonétaire. Ilsmontrentque lesperformancesduDGSE sontaussi bonnes que celles du VAR et concluent que la nouvelle génération de DSGE estsuffisammentrichepourcapturercertainespropriétésdesdonnéespassées.Cetteméthodede comparaison est souvent réutilisée ensuite. La plupart des économistes, y comprisWouters, font aujourd'hui des prévisions avec leur modèle DSGE en partant de 2008,comparentlesdonnéessimuléesauxdonnéesvraies,etmontrentquelesmodèlesn'étaientpas armés pour expliquer la crise. Ils modifient alors leur modèle de base et refont cetexercicedeprévisionàpartirde2008.Celamarchebeaucoupmieux.Ilsconcluentqueleurnouveaumodèle estmeilleur.On verra plus loin que le test clef est celui du back-testing(voir§3.5)

1.3 Aquoisertunmodèle?

Unmodèlepeutavoirlesdifférentesfonctionssuivantes.

1.3.1 Testerquantitativementunethéorieouunehypothèse

Exemple : La modélisation du climat terrestre sur les 150 dernières années permet desimulerl'évolutionduclimatavecousanspriseencompteduforçageradiatifcauséparlesémissionsdeGESd'origineanthropique.En comparant les résultatsavec lesobservations,on peut ainsi quantifier la part anthropique dans le réchauffement. Cette approche a

13 Cf. What do we learn from James Hansen's 1988 prediction? Consultable sur le site:skepticalscience.com/Hansen-1988-prediction-advanced.htm14Cf.ContrarytoContrarianClaims,IPCCTemperatureProjectionsHaveBeenExceptionallyAccurate.Voirici:skepticalscience.com/contary-to-contrarians-ipcc-temp-projections-accurate.html15 Stouffer & Manabe (2017). Assessing temperature pattern projections made in 1989. NatureClimateChange,7,163-165.16F.SmetsetR.Wouters,Anestimatedstochasticdynamicgeneralequilibriummodelofeuroarea,JournaloftheEuropeanEconomicAssociation(2003).17Les modèles statistiques du type VAR (vecteur auto-régressif) visaient initialement à faire desextrapolationsstatistiques,àpartirdesvaleurspasséesdesvariablesdontonchercheàprévoir lesvaleurs futures, sans ambition a priori de représenter une théorie économique. Ils se sontcomplexifiésetquandlesDGSEsontapparusilsservaientderéférencedanslemilieuacadémique.Cf. VAR et prévisions conjoncturelles, E. Clément et J.-M. Germain (1993), Téléchargeable ici:http://bit.ly/2qm6bkA.

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contribuéà l'attributionduréchauffementdepuis1960à l'influencehumaineetnonpasàl'influencedeforçagesnaturelsouàlavariabiliténaturelle.

La démarche consiste, en partant d’un modèle physique représentant les différentsprocessus qui pilotent le climat de la planète, à introduire ou non le changement deconcentration en GES résultant des émissions anthropiques. On constate alors que lescandidats alternatifs à l’explication du phénomène observé (la hausse de la température,son gradient selon l’altitude, un réchauffement plus important aux pôles…) tels qu'unchangement d'activité solaire, le volcanisme, les modifications d’usage des sols, ou lavariabiliténaturelle,nepermettentpasde rendrecomptedesobservations.A l’inverse, sil’on introduit en plus des forçages naturels la hausse des concentrations en GES dans lemodèle, celui-ci reproduit convenablement les tendances observées18. Insistons ici sur laquestionducalibrage:cetexerciceneseraitpasconvaincantsi l’ajustementdesdifférentsparamètres déterminait les résultats dumodèle. En l’espèce, le lien entre concentration,effetdeserreetimpactsurlebilanénergétiquedelaTerreestbasésurdesloisphysiques,quipeuventêtretestésenlaboratoire.Celiennedépendpasd’uncalibragequelconque.Ilest cependant exact que certaines composantes du modèle nécessitent un calibrage. Eneffet, la variété et la complexité des processus physiques simulés dans les modèles declimats,ainsique leurs interactionsàdifférenteséchellesspatialeset temporelles,doiventêtre résumées dans une série de sous-modèles approximatifs. La plupart de ces sous-modèles dépendent de paramètres incertains. Il est donc nécessaire de procéder à unajustementdecesparamètres(i.e.uncalibrage)afind’obtenirunesolutionglobalementenaccordavecleclimatobservé.C’estunaspectessentieldelamodélisationclimatique,quiasespropresproblématiques. La communauté scientifiqueapportedece faituneattentiondeplusenplusgrandeàlatransparencedecetexercicecrucialetsophistiqué19.L’utilisationde la capacité du modèle à représenter les tendances observées au cours des dernièresdécennies, soulève effectivement la question de l'indépendance entre données utiliséespourévaluerlemodèleetdonnéesutiliséespourlemettreaupoint.Acetitre,lasimulationdesclimatsanciensestdoncparticulièrementintéressante,puisqu'ellepermetdetesterlesperformancesdesmodèlespourdesconditionstrèsdifférentesdel'actuel.

En économie, il est difficile de valider ou invalider explicitement et formellement unethéorie,d’aborddanslamesureoùdesdécisionspolitiques(etleschangementsdedoctrineéconomiquesous-jacentesauxdécisionspolitiques),pasfacilesvoireimpossiblesàprévoir,impactent la situation économique. Prenons l’exemple actuel du Brésil. Le gouvernementTermervientdefairevoteruneloistipulantquelesdépensesgouvernementalesde2018à2038(éducations,santé,etc.)resteraientauniveauréelde2018.Autrementdit,lapartdesdépensesgouvernementalesdanslePIBbrésiliendevraitbaisserchaqueannéeàlavitessedelacroissanceduPIB.Lesrésultatsattendusdecettemesure(saluéeparleFMI…)sont:1)labaissedel'endettementpubliqueparrapportauPIBet2)uneprivatisationdel'économie.Mais lemodèleGEMMESBrésilconclutàunehaussedeladetteprivée,auralentissementde lacroissanceetàunehaussede ladette totale (publiqueplusprivée).Leseffetsdece

18Pourunevisualisationparlante:www.bloomberg.com/graphics/2015-whats-warming-the-world/19Cf.Hourdin et al. (2017).Theart and scienceof climatemodel tuning. AmericanMeteorologicalSociety.http://dx.doi.org/10.1175/BAMS-D-15-00135.1

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programme sont donc massifs. Mais comment les prévoir avant l’élection du nouveauprésidentetprévoiràl’avanceuntelrevirement?

C’estdifficile,d’autrepart,carlecomportementdesagentséconomiquespeutanticiperdeschangementsdepolitique.CepointestconnusouslenomdecritiquedeLucas20surlaquellenous reviendrons : les relations empiriques entre paramètres d’un modèle pourraientchanger si la politique change et ne pourraient donc pas servir à prédire l'effet d'unepolitique. Dit autrement l’idée de Lucas est que les agents économiques ajustent leurcomportementàunchangementdepolitiqueéconomiquecarilsenanticipentseseffets.Apartir de là (c’est-à-dire depuis 1976) lamodélisation a privilégié desmodèles d’équilibregénéralintégrantdes«anticipationsrationnelles»21.

En revanche, les modèles économiques peuvent servir à justifier une théorie ou plusglobalement une vision du monde, un « paradigme ». Les modèles d’équilibre généralwalrasiens22postulentquel’économieestàl’équilibredepleinemploi,etontétéconstruits,au départ23, pour représenter la théorie selon laquelle l’économie est à équilibre ou yretournespontanémentsuiteàunchoc.Plusprofondément,cesmodèlespeuvent justifierdesmesuresdepolitiqueéconomiquequidonnentdesrésultatspositifsdanscesmodèlesetpasdansd’autres,ouinvaliderdesmesuresquin’enontpasdanscesmodèlesmaisenontdansd’autres.Onacitéplushaut lecasduGrenellede l’environnementmaisonpourraitciter celui des « mesures structurelles » de flexibilisation du marché du travail, qui sontnécessairement légitimées par des modèles conçus pour conduire au plein emploi, souscondition qu’il n’y ait pas de rigidités sur le marché du travail. On verra aussi que lesmodèles DSGE ont sans doute contribué à la thèse de la GrandeModération (voir §3.4).Dernier exemple, l’effet d’une relance budgétaire, dans un modèle qui suppose que lesagentssont«ricardiens»,estnul.Onpourraitalorstirerdesconclusionssurcetterelanceau vu des résultats du modèle, alors que ce sont les partis pris dès sa construction quiconduisentàcesconclusions(voirannexe6.4.4).

1.3.2 Fairedesprévisions.

Exemple : lesmodèlesmétéorologiques permettent de faire des prévisions à court termepouruncertainnombred’indicateurs24. Ilexisteaussidesprévisionsdites«saisonnières»qui donnent des grandes tendances en température et précipitation à quelque mois enavance25. Pour la météorologie, on dispose d’un très grand nombre de situations quipermettentdoncdequantifierlaperformancedesprévisions26.Laqualitédecesprévisionspeutêtrecomparéeà l’hypothèsedepersistance(il feradans lesprochains jours lemêmetempsquecequiestobservéaujourd’hui)etàl’hypothèsedeclimatologie(ilferalemêmetempsquelamoyenneobservéepourlamêmedatedanslepassé).Surquelquesjours,les 20Cf.l’entrée«CritiquedeLucas»surWikipédia.org21Lathéoriedesanticipationsrationnellesestpourlemoins…étonnante.Cf.annexe6.4.7.22Cf.annexe6.4.123Ilspeuventmaintenantêtreutilisésetdéveloppésautrement,cf.§2.3.24Cf.l’entrée«Prévisionmétéorologique»surWikipédia.org.25Aujourd’hui,cetypedeprévisiondonnedesrésultatsintéressantsdansleszonestropicales,maispasauxmoyenneslatitudes.26Cf.EvaluationofECMWFforecasts,including2014-2015upgrades,op.cit.

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prévisionsmétéorologiques faitesavecdesmodèles complexesontuneperformancebiensupérieureàcelledelapersistanceoudelaclimatologie.

Lesmodèlesdeconjoncture(parexemple,MésangeenFrance)fontdesprévisionsàcourtterme (trimestre et année) très importantes pour la gestion budgétaire de l’Etat. Lesmodèlesutilisésparlesgrandesinstitutionsinternationaleslefontàpluslongtermeetontétéviolemmentcritiquéspournepasavoirprévulacrisede2008.

Lesmodèlesclimatiquespermettentdefairedesprojections27.Cesprojectionssont:

- conditionnelles : « si les émissions deGES sont de tel niveau, ou si la concentration deGES/CO2estdetelniveau,alorslatempératuremoyenneplanétairevaaugmenterdetant(etd’autresindicateursvontvarierdetellemanière)».

-probabilistes:laréalitéfutureseralajuxtapositiondelatendancelente«forcée»etdelavariabilité naturelle du climat. Les observations reflètent une réalisation de l’évolutionclimatique.Ainsi,sil’onregardeaposteriorilesprojectionsclimatiquesquiavaientétéfaitespourlesannées90,aucunen’avaitprédit l’événementElNinode1998.LesévénementsElNino,quoiquerelativementpériodiques,relèventdelavariabiliténaturelle.Enrevanche,onattenddesmodèles climatiquesqu’ils soient capablesde simuler le climat avec variabilitéinterannuelle et qu’ils puissent donc nous renseigner sur la fréquence à laquelle un typed’événement particulier pourra se produire. Ainsi, l’évolution de la fréquence et del’intensitédesévénementsElNinodansunmondeglobalementpluschaudestunimportantsujetderechercheactuel.

Ces deux caractéristiques les différencient fondamentalement de «prévisions», au sensmétéorologiqueduterme.

Cesprojectionsconditionnellesdépendentdesmodèlesmaisl’analysedel’ensembledecesprojectionspermetd’en faireuneconsolidationen fourchette (si la concentrationenCO2double par rapport à son niveau préindustriel (280 ppm), lamoyenne de la températureplanétaireaugmentedeAàBdegrésd’ici2100,avecundegrédeconfiancedeX%).Notonsque,pourarriveràces intervallesdeconfiance, lesclimatologuesutilisentunensembledemodèles qui ont été développés par des équipes différentes. Ces modèles ne sont pasentièrement indépendants les uns des autres et partagent certaines paramétrisations,parfoiscertainscomposants(moduled'atmosphèreoud'océanparexemple).Aucunmodèlen'estmeilleurquelesautressurtous lesaspects.Onfait l’hypothèsequecetensembledemodèlesreproduit lagammed’incertitude.C’est làunehypothèsefortepuisqu’onnepeutpasexclurel’existenced’unprocessusquin’estmodéliséparaucundesmodèles.C’estparexemple le cas pour la stabilité des calottes polaires. La dynamique de ces calottes estencoremalconnue,etcertainsproposentdesprocessusauto-amplificateurs,quipourraientconduireàune fonte rapided’unepartiedescalottes, conduisantàunehausseduniveaumarinbeaucoupplus rapidequecequiétaitenvisagédans ledernier rapportduGIEC. Lecaractère potentiellement instable des calottes est suggéré par l'analyses d'archivesclimatiques indiquant un niveau marin supérieur à l'actuel de plusieurs mètres lors dudernier interglaciaire (il y a environ 100 000 ans), période à peine plus chaude que

27Pourdiscussionapprofondiesur laconfianceque l’onpeutavoirdans lesprojectionsclimatiquesvoir Baumberger et al. (2017). Building confidence in climate model projections: an analysis ofinferencesfromfit.WIREsClimateChange,Vol.8,issue3.

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l'actuelle28. Par ailleurs, les archives paléoclimatiques ont également mis en évidencel'existenced'épisodesdedéchargesmassivesd'icebergsdansl'AtlantiqueNordaucoursdela dernière période glaciaire, épisodes coïncidents avec des changements climatiquesbrutauxdanscertainesrégions.

Il devrait être possible en économie de faire ce type de projections conditionnelles. Pourreprendrel’exempleduBrésilcitéci-dessus,ildevraitêtrepossible,àprogrammepolitiqueconnu,detesterlesperformancescomparéesdesprévisionsdesdifférentsmodèles.

Fairedesprojectionsquipermettentd’évaluerunepolitiquepubliqueoud’évaluerdescoûtsdescénarios

De nombreuxmodèles évaluent des scénarios et proposent des projections qui ont deuxcaractéristiques:

-ellesontpasséletestdecohérence,

-elles sont évidemment le résultat de l’ensemble des hypothèses du modèle et duscénarioretenu.

Cenesontpasdesprévisionsausensoùsitoutesleshypothèsesduscénariosevérifiaientalors les données de sortie du modèle seraient conformes aux données réelles. Dans ledomaineéconomique,onnepeut jamaisaffirmercelamêmeenordredegrandeur. Il yadeuxgrandesraisonsàcela.

D’unepart l’économie implique l’humainquipeutavoirdes comportements collectifsnonmodélisables:quipouvaitprévoirlaguerrede1914etsadurée?Commentmodéliserdesanticipations,qui jouentunrôleévidentdans lesdécisionséconomiquesmaisnesontpasnécessairementstablesdansletemps?Commentprévoirtelleoutelledécisiondepolitiqueéconomiquequipeutavoirunimpactéconomiquemajeur(onacitél’exempleplushautdel’inflexiondelapolitiquebrésilienne)?Commenttenircompted’interactionsnombreusesetcomplexes,deruptures innombrables(commel’apparitiond’une innovationtechnologiquepar exemple) et du fait que les agents prennent des décisions en situation d’informationimparfaite et d’incertitude forte avec des critères de choix qui ne sont pas exclusivementéconomiques.

D’autrepart,iln’yapasoutrèspeu,mêmeenpériodederelativestabilité(etdecontinuitéde politique économique), de lois économiques universelles, au sens où la loi de lagravitation l’est sur laplanète.Notonscependantque l’incapacitédesmodèlesdominantsen2007àprévoirlacriseestdueaussiàdessimplificationsintrinsèquesetexcessivesdecesmodèlesquelesmodélisateurstententdecorrigerencemoment(voir§3.4).

Dansledomaineclimatique,lesprojectionsfaites,conditionnellesauxscénariosd’émissionde GES ont une propriété stratégique dans le débat public : on peut affirmer que, si leshypothèsesduscénarioprojetésontréalisées,alorslesdonnéesdesortiedumodèleserontconformesaveclesdonnéesréelles,avecuncertaindegréd’incertitude,quipeutêtrechiffréenfonctionde l’horizondetempsetde ladonnéedesortiechoisie.C’estverscethorizonquelamodélisationéconomiquedoittendre. 28Hansen et al. Icemelt, sea level rise and superstorms: evidence frompaleoclimate data, climatemodeling, andmodern observations that 2 °C global warming could be dangerous, Atmos. Chem.Phys.,16,3761-3812,doi:10.5194/acp-16-3761-2016,2016.

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1.3.3 Aideràladécision.

Lesdécideurspolitiquespeuvent souhaiter évaluer les conséquences (souvent sous formede«coûts»)detelleoutelledécisionetintégrerdansleurréflexionlesévaluationsfourniesparunmodèle.Onpourraitsoutenirl’idéequedanscecas,lesmodèlesutilisésnedoiventpasnécessairementchercheràreproduirelaréalitédanssonensemblemaisàseconcentrersur la question posée. C’est le cas des modèles utilisés par les banques centrales pourapprécier leseffetsde leurdécisiondepolitiquemonétaire.C’estaussi lecasdesmodèlesutiliséspourévaluerleniveauduoudesprixcarbonenécessairespourqu’unpaysrespectesesengagementsdetrajectoired’émissionsdeGES.

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2 Quelquesexemplesdemodèlesdanslestroisdomaines

2.1 Climat

-modèles climatiques globaux visant à estimer température, et autres données physiques(pluviométrie,vitessedesvents…)àl’avenir,enfonctiond’hypothèsessurlesémissionsdeGES;cesmodèlessontfaitsàpartird’unereprésentationdel’atmosphère,desocéans,dessurfacescontinentalesetdeleursinteractions.23centresderecherchedanslemonde(dont2enFrance29)ontfournidesrésultatsdesimulationpourlesinter-comparaisonsduGIEC30.

Ex:Lecentredemodélisationduclimatdel'IPSL31développeunmodèleintégrédusystèmeclimatique à travers une approche multidisciplinaire couvrant les différentes parties dusystème climatique et les différents processus qui le régissent. Il développe et amélioreconstammentsonmodèleetlesdiversespartiesquileconstituent:

• lemodèled'atmosphèreLMDZquidécritladynamiquedel’atmosphère,lagénérationdes nuages, et les interactions entre l’atmosphère, le rayonnement solaire et lerayonnementinfrarouge,quipilotentlebilanénergétiquedelaTerre;

• lemodèled'océan,deglacedemeretdebio-géochimiemarineNEMO;

• le modèle de surfaces continentales, qui décrit la dynamique de la végétation eninteractionavecleclimatetlesdifférentsfluxdesurface,ORCHIDEE;

• lesmodèlesdechimietroposphériqueINCAetstratosphériqueREPROBUS

Lecouplageentrelesmodèlesatmosphériqueetocéaniqueestréaliséàl'aideducoupleurOASISdéveloppéauCERFACS.

2.2 Météo

Lesmodèlesmétéorologiques visent à estimer température, et autres données physiques(pluviométrie,vitessesdesvents…)pourunavenirproche,endécrivantunedécompositionfine de l’atmosphère, à l’échelle territoriale visée. Ces modèles ont bien sûr des pointscommunsaveclesmodèlesclimatiques,notammentpourlamodélisationdel'atmosphère.Cependant,contrairementauxmodèlesdeclimat,ilsnécessitentdeconnaîtrel'étatinitialdusystème avec précision. La qualité de la prévisionmétéo dépend donc entre autres de laqualité des observations disponibles et du schéma d'assimilation de ces observationspermettantdeconstruirelameilleureestimationpossibledecetétatinitial.Parailleurs,ils

29LesdeuxmodèlesdéveloppésetutilisésparlacommunautéscientifiquefrançaisesontauCNRM(Météo-FranceetCERFACS)etàl’IPSL(InstitutPierreSimonLaplace).Unprogrammecomplémentaire,nomméCordex(CoordinatedRegionalDownscalingExperiment),définitlecadregénéralpourlarégionalisationdessimulationsclimatiquesetl’inter-comparaisondesrésultatsàpetiteéchellesurdesdomaineslimités.cfhttp://www.insu.cnrs.fr/files/onerc_decouvrir_scenarios_giec.pdf30Ces résultats sontcoordonnés dans le cadre du projet CMIP5 (Coupled Model IntercomparisonProject,phase5),cf.cmip-pcmdi.llnl.gov/cmip5/availability.html.31Cf.https://www.ipsl.fr/Organisation/Les-structures-federatives/Le-Centre-de-modelisation-du-climat

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nenécessitentpasdeprendreencompteladynamiquedescomposantesquiévoluentsurlesgrandeséchellesdetemps.Ainsi,unmodèledeprévisionmétéorologiquenechercherapas à simuler la dynamique des calottes de glace ou l’évolution de la végétation avec lechangementclimatique.

ex:enFranceMétéo-Francedisposedetroismodèles32:unmodèleplanétaire(ARPEGE),unmodèlerégionalàplusfineéchelle (ALADIN),etenfin lemodèleAROMEdont l’échelleestencoreplusfineafindereproduirelesprocessusdepetiteéchellesurlaFranceetlespaysvoisins.

2.3 Economie

• modèlesstatistiquesdutypeVAR33;

• modèlesdeprévisionconjoncturelle(Mésange,EgéeetOpaleàBercy):valeursfuturesduPIB,del’emploi,del’inflation,etc.àhorizondequelquesmoisàdeuxans.

• modèles «d’évaluation intégrée» (Integrated Assessment Models, IAM) visant àévaluer les effets économiques du changement climatique et analyser les questionsd’atténuation. Aujourd’hui, il existe deux grandes classes de modèles IAM dans ledomaine énergie-climat. D’une part, les modèles dit «process-based integratedassessment models» 34 , parfois appelés modèles E3 pour économie-énergie-environnement, qui représentent les déterminants et mécanismes en jeu dansl’évolution des systèmes énergétiques et économiques. Ils se placent dans un cadrecoût-efficacité.Onpeut citer l’exempled’Imaclim-Rdéveloppépar le CIRED.D’autrepartlesmodèlesIAMd’analysecoûts-bénéfices(commeDICEdéveloppéparWilliamNordhaus qui en est le précurseur, PAGES35, FUND, etc.) qui représentent dans unmême cadre impacts et atténuation du changement climatique. Ils reposent, d’unepart,surunefonctiondebien-êtresocial,leplussouventbaséesurunemaximisationintertemporelledel’utilitéinspiréedumodèledeRamseyetsurunereprésentationdel’économieagrégée,et,d’autrepart, surunemodélisationdes interactionsentre lesémissions de GES, les hausses de température et les dommages économiques. Cesmodèlespassentpardesfonctionsd’abattementetdedommages,surlesquellesnousreviendrons(§4.3).

• modèles macroéconomiques théoriques visant à élucider tel ou tel phénomèneagrégé. A la différence des précédents, ces modèles ne sont pas nécessairementestimésoucalibréssurdesdonnéesempiriques.Iln'empêchequ'ilssontgénéralementconsidéréscommeunepremièreétapeavantlaconstructiond'uneversionestiméeetexercentuneinfluencenon-négligeablesurlesdébatsentreéconomistes.Parfois,cesmodèles sont considérés en regard de données empiriques dont ils sont supposésfournir une interprétation ou "raconter l'histoire". C'est le cas, par exemple, des

32VoirsurlesitedeMétéoFrance:http://bit.ly/2gMGpn433Cf.note17.34Voir Sathaye, Jayant, et P. R. Shukla. 2013.Methods andmodels for costing carbonmitigation.AnnualReviewofEnvironmentandResources38:137-68.35Qui a été utilisé par Nicholas Stern en 2006 dans son célèbre rapport Stern Review on theEconomicsofClimateChange.

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modèlesinvoquésdanslestravauxdeThomasPiketty,parexemple,dontaucunn'estestimé sur des données réelles. Cette pratique peut s'avérer fructueuse lorsqu'ellepermetl'identificationde"faitsstylisés"corroborésàlafoisparlesdonnéesetparlalogique du modèle. Cependant, il ne peut s'agir, au mieux, que d'une étapeintermédiaire destinée à faciliter la confrontation méthodique du modèle avec lesdonnées. En effet, comme le remarque Antonin Pottier, cette juxtaposition d'unmodèleabstraitetdedonnéesempiriquessansquelepremiernesoitconfrontéauxsecondesautorise lesépistémologies lesmoins rigoureuses,dissimuléesderrièredes"histoirescommeça"(sostories).

Dans cette catégorie de travaux, nous intéressent tout particulièrement les modèles quirelèventdelatouterécente"macro-économieécologique"36.Laplupart,eneffet,s'efforcentde rendre compte de l'interaction entre les ressources naturelles et l’économie au sensnéoclassiqueduterme.

• modèles macroéconomiques visant à estimer les effets de telle ou telle politiquepublique : Mésange (Bercy), Three-Me (OFCE/ADEME), Imaclim (CIRED), Nemesis(Erasme),Gemini (Lausanne),GEME3 (CommissionEuropéenne),Markal,GEMMES(AFD, chaire énergie et prospérité), etc. Certains d’entre eux sont utilisés pourdéterminer, via un arbitrage « coût-efficacité », les actions les moins coûteusespermettantd’atteindrelesobjectifsderéductiondeCO2préalablementfixés.Ilssontengénéralmultisectoriels.

Touscesmodèles sont faitsà lamaillenationale, régionaleoumondiale,etpeuventavoiruneouplusieurspériodesdeprojections. Lesmodèles représentent soit lecomportementd’unagentéconomique (voiredeux)dit représentatif (c’est le casdesmodèlesd’équilibregénéralcalculable)soitdesfonctionsagrégées(commeparexemplelademandeagrégée).

Onpeutdistinguerens’inspirantd’unenotedeFrance-Stratégie37:

A-Lesmodèlesmacroéconomiquesd’équilibre38

*A1Lesmodèlesd’inspirationnéo-keynésienne39

Cesmodèles s’appuient sur un schémanéo-keynésiend’ajustement à court termepar lesquantités,etprolongentlescomportementspassés(enFranceparexemple,onpeutciterles

36Cf. lenuméro121(216)delarevueEcologicalEconomicsetsonintroductionparArmonRezaietSigrid Stagl,Ecologicalmacroeconomics: Introductionand review (pp 181-185) et l’article de LukasHardt et Daniel W. O'Neill, Ecological Macroeconomic Models: Assessing Current Developments,EcologicalEconomics134(2017)198–211.37Cf.LesmodèlesmacroéconomiquesTome2,A.AyongLeKamaetQ.Roquigny,2013,Téléchargeableicihttp://bit.ly/2pBkdSD,etUnecomparaisondesmodèlesmacro-économétriquesetDSGEdansl’évaluationdespolitiqueséconomiques,J.-P.Laffargue,2012,www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES451F.pdf,etenfinVARetprévisionsconjoncturelles,op.cit.38Cf.égalementLanouvellemodélisationmacroéconomiqueappliquéeàl’analysedelaconjonctureet à l’évaluation des politiques économiques, A. Épaulard , J.-P. Laffargue et P.Malgrange (2008),ÉconomieetPrévisionn°183-184,www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-2008-2.htm39Lestermesdésignantlesécolesd’inspirationsontexplicitésdansl’annexe6.3.1.

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modèlesNEMESISetMESANGE).Lademandefinaledebiensestleprincipaldéterminantdufonctionnementdel’économie.Dufaitdesdélaisd’ajustementsdesquantités,cesmodèlespeuvent admettre des déséquilibres temporaires : sous-utilisation des capacités deproduction,chômageinvolontaire,etc.»

*A2Lesmodèlesd’équilibregénéralcalculableinspiréedelaNouvelleéconomieclassique

Ces modèles s’appuient sur une représentation walrasienne de l’économie, donc sur unschéma néoclassique d’ajustement par une parfaite flexibilité des prix. Ils décriventexplicitement les préférences des consommateurs et les possibilités techniques desentreprises.Unefois lemodedeformationdesanticipationsdecesagentsdécriteneffet,cesmodèlesoptimisentleurutilitéetleurprofit,cequipermetd’endéduirelesoffresetlesdemandes.Lesagentséconomiquessontsupposés«rationnels»,parfaitementinformésetoptimisentunefonctiond’utilité40.

Ilyatouteunediversitédemodèlesdecetype(lesquestionshybrides/top-downbottom-up) dans laquelle nous n’entrerons pas ici. Globalement, ces modèles fournissent desinformations sur la croissanceduPIB, emploi, prix, coût, et sur les variationsdebien-êtreéconomique des consommateurs. Les modèles IAM sont en général des modèles CGEincorporant une «boucle climat», d’où l’adjectif «intégré». Outre ceux cités plus haut(DICE,PAGESetFUND)onpeutciter lemodèleEPPA41deJohnReilly (MIT)quiaservià laChineetauMexiquepourfaireleurNDC42.LemodèleGEMINIfaitaussipartiedelafamilledesmodèles«walrasiens».

LesmodèlesDSGE43sontdesCGEdynamiquesetstochastiques.Laphilosophieinitialedecesmodèles, maintenant très variés, est de représenter l’effet sur l’économie de chocs, ensupposant des agents économiques réagissant par anticipations rationnelles. Ce sont desmodèles d'équilibre inter temporel, qui résolvent toute la trajectoire en même temps.Techniquement, les simulations dans de telsmodèles reviennent à perturber demanièreextérieure l'équilibre (via un choc exogène) qui va éloigner le système de l'équilibre, àreprésenter comment se propage ce choc, puis se résorbe pour retourner in fine àl'équilibre.Commeditplushaut, lepostulat impliciteàcettereprésentationdel’économiec’estqu’ellerevientàl’équilibre.

Lesgrandesinstitutionsinternationales(leFMI,laBCE)utilisenttoujourscettecatégoriedemodèles, même si elles disposent toujours de modèles, de natures différentes, qui sontcomparés:unDSGEestimé(GIMFauFMI,NAWMàlaBCE)etunmodèle«néokeynésien»(FSGMpourleFMI,MCMàlaBCE);labanquemondialeutiliseunmodèleCGE.

40Cf.annexe6.4.41Cf.TheMITEmissionsPredictionandPolicyAnalysis(EPPA)Model:Version4,Paltsevetal.(2005),ledsgp.org/wp-content/uploads/2015/09/MIT-EPPA-model1.pdf42Contribution nationale volontaire, en préparation de la COP21 qui donne une indication de latrajectoirecarbonedupays.43Cf.l’entrée«Modèlesd'équilibregénéraldynamiquestochastique»surWikipédia.org.

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Notonsque leCepremap44développe l'outilDynarepour résoudre, simuleretestimerdesmodèles DSGE mais aussi d'autres types de modèles. L'équipe intègre aujourd'hui desapprochesnouvellesqui répondentàunepartiedescritiques faitesàce jourauxmodèlesDSGE. Ces innovations sont utilisées avant tout par les chercheurs et par certainesinstitutionspubliquescommelesbanquescentrales.

44CentrepourlaRechercheEconomiqueetsesApplications.

LesmodèlesDSGEdanslemonde

Bonnombresdepayseuropéensdétiennentaujourd'hui leurpropremodèleDSGEvisantàreprésenterleuréconomiedansleurensemble:

-Allemagne:Pytlarczyk(2005)

-Brésil:modèleSAMBAdelaBancoCentraldoBrasil

-Canada:ToTEMdeMurchisonetRennison(2006)

-Espagne:BEMODdeAndrésetal.(2006)etMEDEAdeBurrieletal.(2010)

-Etats-Unis:SIGMAdeErcegetal.(2006)

-France:entreautres,OMEGA3deCartonetGuyon(2007)etrécemmentAdjemianetDevulder(2011)

-Finlande:AINOdeKilponenetRipatti(2006)

-Norvège:NEMOdeBrubakketal.(2006)

-Portugal:Almeida(2009)

-Royaume-Uni:BEQMdeHarrisonetal.(2005)etDiCecioetNelson(2007)

-Slovaquie:Senajetal.(2010)

-Suède:CurdiaetFinocchiaro(2005)etRAMSESdeAdolfsonetal.(2007b)

-ZoneEuro:onpeutrecenserdeuxmodèlesutilisésparlaBCE,NAWMdeChristo_eletal.(2008)etceluideChristianoetal.(2010),etunparlaCommission,QUESTIIIdeRattoetal.(2009).D'autresmodèlesencores'intéressentplusparticulièrementàlapolitique budgétaire dans la zone euro, comme FIMOD de Forni et al. (2009) ouStahleretThomas(2011)

- International et blocs de pays: GIMF de Botman et al. (2008) et Kumhof et al.(2010)pourleFMIetEAGLEdeGomesetal.(2010).

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B-Lesmodèlesmacroéconomiquesdedéséquilibre

Le modèle Three-ME 45 est, dans le choix terminologique retenu ici, un modèled’inspiration«post-keynésienne». Contrairement auxmodèles CGE standards, il n'y a pasd'ajustementoffre/demandepar lesprix, lesquelss'ajustentsuivantuneautredynamique,celle,justement,descoûtsunitaires(plusunmark-up).LaproductionestmultisectorielleetlessalairessontdéterminésparunecourbedePhillipsdecourtterme.Ilaétéréalisépourpermettre l’évaluation pour la France des impacts des politiques énergétiques etenvironnementales.

Lesmodèlesmacroéconomiques«àlaGoodwin-Keen»46,commelemodèleGEMMES47,beaucoupmoinsrépandus,contiennentdeséquationsnonlinéairesetunedynamiquehorséquilibre inter-temporelle (ils peuvent diverger ou converger selon les cas et leshypothèses). Ils s’inspirent des équations de Lotka-Volterra représentant des dynamiquesproies-prédateurs48et intègrentd'entréede jeu ladetteprivée, la répartitionde la valeurajoutée (entre salaires et revenus du capital) et le sous-emploi comme variablesdéterminiantesducyclemonétaireendogène.Ilspeuventainsirendrecomptedecrashsdesurendettement dans la logique de Hyman Minsky49, et de dépressions déflationnistes.RichardGoodwinproduitunpremiermodèledecetypeen1967.GeorgesAkerlofetJosephStiglitzenontfaitunen1969,entenantcompteducaractèrenon-substituableexpostdesdifférentes générations de capital installé. Ces modèles prennent en compte desdynamiques chaotiques et autorisent l'émergence de comportements agrégés(d'investissement,deconsommation,defixationdessalaires)quineseréduisentpasàunesomme de comportements micro-économiques. Ils sont en revanche en général assezfrustres faceà la complexitéd’uneéconomie réelle, instableset sensiblesauxparamètres(carcesontdesmodèlesnon-linéaires)voirinfra.Ilsn’ontàcejourpasétéutiliséspourfaire

45Développé depuis 2008 par l’OFCE et l’Ademe, c’est un modèle multisectoriel : il considère 24secteurs économiques (agriculture, services non marchands, sidérurgie, transport ferroviaire,productiond’énergie,etc.),cequipermetd’analyserleseffetsdestransfertsd’activitéd’unsecteuràunautre(entermesd’emploi,d’investissement,d’importations,etc.).Ilconsidèrequatrefacteursdeproduction(lecapital,letravail,lesconsommationsintermédiairesetl’énergie)et17typesd’énergie(pétrole, biocarburant, nucléaire, gaz, géothermie, éolien, etc.) plus ou moins substituables. Cf.https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/documents/threeme/doc1.pdf46Cf. l’entrée «Goodwinmodel (economics) surWikipédia.org et Steve Keen, AMonetaryMinskyModel of the Great Moderation and the Great Recession, Journal of Economic Behavior andOrganization,2013.47Cf.lestravauxdeconstructiondumodèleGEMMESàl’AFD,etCopingwiththeCollapse:AStock-FlowConsistentMonetaryMacrodynamicsofGlobalWarming,Giraudetal.,Papiersderecherchedel’AFDn°29,2017.48Enquelquesmots,cetypedemodèlesmetdanssoncœurlatensionsuivantedanslarépartitionprofit-salaires: des salaires trop élevés et des profits trop faibles conduisent à des sous-investissements défavorables à terme à l’activité économique; à l’inverse des salaires trop faiblesdéprimentlesventeset,àterme,lesprofitsetlacapacitéd’investissementdesentreprises.49Dans les années1960,HymanMinskyadéveloppéune interprétationde l'instabilité intrinsèqued'une économie marchande qui radicalise les intuitions de Harrod-Domar et contraste fortementaveclastabilitépostuléedumodèledeSolow.VoirHymanMinsky,Stabiliseruneéconomieinstable,InstitutVeblen,Lespetitsmatins,2016.

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desprévisions50.L’économisteSteveKeenparexempleavaitprédit(nonpasensefondantsur les résultatsexplicitesdumodèle,maisenappuyant son raisonnementsur sa logique)que l’effondrement du système financier était possible, il n’avait pas dit que ceteffondrementarriveraiten2008.

Ce n’est que très récemment que des travaux de recherche visent, à partir de ces idéesconceptuelles,àreprésenterl’ensembledelavieéconomique51,maisducoup,avecpeudedétails sectoriels, à ce stade Il faut donc attendre avant d’en savoir plus sur la capacitéprédictive (éventuellement conditionnelle comme pour le climat) de ces modèles. Enrevanche,onpeutespérerdèsmaintenantqu’ilspuissentapportermatièreàréflexionfaceàdesrisquesdecrisesfinancièresetpuissentdevenirdesoutilsdegestiondecesrisques.

50Bienque"CopingwithCollapse"(op.cit.)développeuneversionestiméeàl'échellemondialequipermetted'analyserdesscenariimacro-économiquesdépendantdudérèglementclimatique.51Néanmoins, "A Multisectoral, Monetary and Stock-Flow Consistent Framework for Brazil”, D.Bastidas,etal.(2017)proposeunepremièreapprochedel'économiebrésiliennedansuneversionà8secteursenéconomieouverte.

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3 Différences entre modèles climatiques et modèleséconomiques

Notonsd’aborddeuxdifférencesessentielles.

La climatologie et la météorologie représentent des interactions complexes entre deséléments complexes dont la réaction en fonction des observables est certes probabilistemais peut être décrite par des équations dont les bases physiques ont été validées. Plusprécisément, les modèles de climat reposent sur de nombreuses équations physiquesfondamentales décrivant par exemple la conservation du moment et de l’énergie, laconduction de la chaleur, le transport radiatif…etc. La résolution numérique de ceséquationsrequiertleurdiscrétisationspatialeettemporelle,uneméthodenumérique,ainsiquediverseshypothèsesetapproximationsafinderendreleproblèmesoluble,mêmeavecl’importante puissance de calcul actuellement disponible. Ces choixméthodologiques ontbiensûrunimpactsurlesrésultatsetsontdiscutésauseindelacommunautéscientifique.Cependant, ce ne sont doncpas les lois physiques debase, validées par ailleurs, qui sontdiscutéesmaisbienlafaçondontellessontimplémentéesetrésolues.

L’économie représentedes interactions complexes (système) entre des unités dedécision(les humains) complexes dont la description du comportement par des équationsmathématiquesresteàvalider.Parailleurs,silatotalitédesmodèlesutiliséspourleclimatou la météorologie est compatible avec les deux premières lois thermodynamiques52, enrevanche,latrèsgrandemajoritédesmodèlesutilisésenéconomieviolecesdeuxlois53,enaffirmant, par exemple, qu'il est possible de créer du PIB sans extraire de ressourcesnaturelles(énergiedissipéeoumatièretransformée54).Sil'onencroitSirArthurEddington, 52Qui s’expriment simplement: la quantité d'énergie se conserve à travers tous les processusphysiquesmais laqualitéentropiquedel'énergiesedégradenécessairement.Unexemplesimpleàl'usage des non-physiciens : l'énergie contenue dans un litre d'essence brûlé par un moteur àexplosionnedisparaîtpas.Unepartieestconvertieenénergiecinétiquequipermetdedéplacer lavoiture, une autre est dissipée sous formede chaleur. L'énergie cinétique elle-même finira tôt outard par être également dissipée (e.g., au niveau des freins); les ingénieurs travaillent pour enrécupérerunepartiedans les voituresetdans les trainset tramways (voirhttp://bit.ly/2pw7nQv).Maislachaleurémiseinfinenepourrapasêtrerécupéréedanscecas(ellepeutl’êtreenpartieparexempledansdesdispositifsdechauffage«àcondensation»)pourfournirànouveauuntravail.Elleestdoncperdue.Celasetraduitparuneaugmentationdel'entropieassociéeauxactivitéshumaines.53Iln'enapas toujoursétéainsi : lesphysiocrates français -aupremier rangdesquels,CantillonetsonEssai sur laNatureduCommerce inGénéral (1730) etQuesnay avec sonTableauEconomique(1759)-considéraientlaTerreetsesressourcescommel'uniquesourcedelavaleur.Postulerl'unicitéest sans doute aussi exagéré que le monisme de la valeur travail marxienne.Mais supprimer lesressources naturelles de la liste de ce qui contribue à donner une valeur et un sens aux choses,comme le fait lamajorité de l'économie néo-classique, est absurde. L'école de Piero Sraffa, et enparticulierIanSteedman,estl'unedesseules,enéconomie,quitient,àjustetitreselonnous,quelesressourcesnaturellesetletravailcontribuentàlavaleur.54LaseulefaçondontunetelleopérationpourraitavoirlieuseraitquelePIBgonfleparleseuleffetdes prix sans relation aucune avec les fondamentaux réels de l'économie. Ce n'est pas impossiblemaisc'estjustementcetypedephénomènedepurerentequelathéorienéo-classiqueexclutdesonchampd'étude.

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pareilleeffraction,nonseulementn'estpasanecdotiquemaisencoreobère la scientificitédespropositionsissuesdetelsmodèleséconomiques:

“Thelawthatentropyalwaysincreasesholds,Ithink,thesupremepositionamongthelawsof Nature. If someone points out to you that your pet theory of the universe is indisagreementwithMaxwell'sequations—thensomuchtheworseforMaxwell'sequations.If it is found to be contradicted by observation—well, these experimentalists do bunglethings sometimes. But if your theory is found to be against the second law ofthermodynamics I can give you no hope; there is nothing for it but to collapse in deepesthumiliation.55“

«Je pense que la loi selon laquelle l'entropie augmente toujours tient la place suprêmeparmi les loisdelaNature.Siquelqu'unfait ladémonstrationquevotrethéoriefavoritedel'univers est en désaccord avec les équations de Maxwell, alors tant pis pour lesditeséquations. Si l'on trouve qu'elle contredit l'observation, eh bien, disons que lesexpérimentateursfontparfoisdesratés.Maiss'ilsetrouvequevotrethéorieviolelasecondeloi de la thermodynamique, je n'ai aucune espérance à vous offrir : votre théorie estcondamnéeàs'abîmerdansl'humiliationlaplusprofonde.»

Raressontlestravauxd'économistesquitententderemédieràcettedifficulté.Georgescu-Roegen, Ayres et Kümmel comptent parmi les pionniers de cette préoccupation, pourlaquellelesdonnéesdefluxréels(matière,énergie)fontengrandepartiedéfautousontencours d'élaboration. Hall et al. (2001) plaident pour la prise en compte rigoureuse descontraintesissuesdumondephysiquedansl'analyseéconomique56.

Au-delàdecesdifférencesd’ordregénéral,voicimaintenantdesdifférencesplusprécises,quipermettentdemieuxcomprendreleslimitesdesunsetdesautres.

3.1 L’extensionetl’exhaustivitédelareprésentationDu fait des connaissances accumulées en physique et en biologie, les modélisateurs enmétéo ou en climatologie affinent progressivement leurs modèles. Ainsi, les premiersmodèlesdevégétationnemodélisaientque le cycleducarbone.Onaensuite introduit lecycle de l’azote, qui peut être un élément limitant pour la productivité végétale danscertainesrégionsetainsimodifierlesrésultatsdumodèle.Cettecomplexificationsefaitparun retour permanent entre les résultats et les observations. Ainsi, c’est la découverterécente des mécanismes d’instabilité et d’écoulement rapide des calottes de glace qui amotivélapriseencomptedecesphénomènesdanslesmodèleslesplusrécentsetintensifiélarecherchepourlecouplagedynamiquedesmodèlesdeclimatetdecalottes.Parailleurslesclimatologuessaventdécriredes«conditionsauxlimites»souventclefsdanslafiabilitédumodèle.

55SirArthurStanleyEddington,TheNatureofthePhysicalWorld(1915),chapter456GiraudetLantremange(2017)fournissentunetentativedanscettedirection,compatibleaveclesmodèleshorséquilibredutypeThreeMeouGemmes.

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Les modèles macroéconomiques les plus généralement utilisés (les modèles d’équilibregénéral)sontquantàeuxinsuffisammentexhaustifs.

-Lesagentssonttrès(trop!)agrégés(avecunoudeuxagentsreprésentatifsdesménagesoudesentreprises).Enparticulier, l’impactdes inégalitéssocialesestsouventdecefaitsous-estimé,parconstruction.QuelquesmodèlesDSGEintègrentdesagentshétérogènes,maisilssont longtemps restésmarginaux57. Cen'est qu'assez récemmentqu'ils sont repris parunplusgrandnombredechercheurs58.

-Le secteur bancaire n’est majoritairement pas représenté en tant que tel (car pour denombreuxéconomistes,monnaieetfinancesontneutres59)

-La monnaie est souvent exogène (pour la même raison) alors qu’il est clair qu’elle estendogène60.

-Les dettes des agents privés ne sont souvent mal représentées (du fait de l’unicité del’agentreprésentatif).Ilestparfoisargumentéquecen’estpastrèsgravepuisquecesdettesontforcémentdescréancesencontrepartie,lesannulantauniveaumacroéconomique.Lestravaux d’économistes comme Irving Fisher puis plus récemment Steve Keen61sur le liendette-déflation,montrentlesrisquesdecepartipris.

-Ilsn’intègrentpaslefaitquedesfacteursdéterminantsdel’évolutionéconomique(commelescoursdetitresboursiers,desénergies fossilesoudesmatièrespremièresminéralesouagricoles) peuvent connaître des évolutions «chaotiques» et perturber massivementl’ensembledel’économie.

-Ilsnetiennenttrèsgénéralementpascomptedescontraintesderessourcesnaturelles(parexemple risquede tension sur l’approvisionnementde l’argentmétal et d’autresmineraisrares)etrarementdelaquestionclimatique.

Cedernierpointestparticulièrementimportantpournotrepropos.Ilestassezintuitifdesedirequelaproductiondebiensetservicesdépend,enplusdutravailhumain,detroistypes

57Cf. Uninsured Idiosyncratic Risk and Aggregate Saving, S. Aiyagari, the Quaterly Journal ofEconomics, 1994, etQuantitativemacroeconomicmodelswith heterogeneous agents, P. Krusell etA.A. Smith, Econometric SocietyMonographs, 2006.CitonségalementDebt, deleveraging, and theliquiditytrap:AFisher-Minsky-Kooapproach,G.EggertssonetP.Krugman,TheQuarterlyJournalofEconomics.58Avec les travaux de E. Challe et X. Ragot, par exemple Fiscal policy in a tractable liquidity-constrainedeconomy,X.ChalleetX.Ragot,Economic Journal,2011.VoiraussiQuantitativemacromodelsofwealthinequality:Asurvey,MariacristinadeNardi,voxeu.org/article/quantitative-macro-models-wealth-inequality-survey59Cf.Debt-DeflationversustheLiquidityTrap:theDilemmaofNonconventionalMonetaryPolicy,G.Giraud et A. Pottier, Economic Theory, 2016 et de Gaël Giraud, Illusion financière, Editions del’atelier,2014ainsiquelaprésenteannexe6.4.3.60 Cf. Illusion Financière,op. cit., et alaingrandjean.fr/2016/11/03/creation-monetaire-expliquee-economistes-de-banque-centrale-d-angleterre/61Cf.AMonetaryMinskyModeloftheGreatModerationandtheGreatRecession,op.cit.Enunmotsi l’excès d’endettement privé est une cause d’un problème aussi important qu’une situation dedéflation,ilestpourlemoinsanormalquecetendettementnesoitpasreprésentédansunmodèlemacroéconomique.

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decapitaux:lecapitalnaturel(l’énergie,l’eau,lessols,labiosphère,lecapitalmatériel(lesmachines)etlecapitalimmatériel(lesconnaissances,lesbrevets,lesmarques).Lespremiersmodèles de croissance développés par les économistes (la référence en la matière étantceux de Solow puis de Ramsey) n’intégraient comme « facteurs de production » que letravail et le capitalmatériel. Le capital naturel n’était pas représenté en tant que tel. Onpeutcomprendre lesoucidesimplification;maispourcertainséconomistes il s’agitd’unehypothèse, parfois explicitée, de substituabilité parfaite du capital naturel et du capitalmatériel ;hypothèsemanifestement faussedanssagénéralité,mêmes’ilpeutyavoirunecertaine substituabilité, commedans le casde l’efficacitéénergétique :produire lemêmeserviceénergétiqueavecmoinsdeconsommationénergétiquemaisuncapitalmatérielplusperformant.

JosephStiglitz62apubliéunmodèleavecénergiedans la fonctiondeproductionen1974.Desmodèles sont depuis construits avec une fonction de production KLEM (pour capital,travail,énergieetmatière).Etlesmodèlesmultisectorielsintègrentl’énergieetlesmatièrespremières. Mais les économistes néoclassiques considèrent que l’élasticité du PIB parrapportàl’énergieestégaleàlapartnominaledel’énergiedanslePIB(selonlethéorèmedu cost-share). Dès lors, la critique est inévitable: cette part étant faible, il ne serait paspertinentdefairedel’énergieunfacteurdeproductionensoi.Orcethéorèmeestfauxetl’élasticité du PIB à la consommation de l’énergie (en volume) serait plutôt de l’ordre de60%63.

NB:

-Il existe des modèles sectoriels énergétiques (voir annexe 6.5) qui peuvent être trèsdésagrégés (par secteurs de consommation et par sources et vecteurs d’énergie). Ils nereprésententen revanchepas leseffetsde rétroactionmacroéconomique.Parexemple, ilest biendocumentéquePIB et consommationd’énergie primaire sont aumoins corrélés,danstous lespaysdumonde,voire«co-intégrés64».Orpour lesmodèlesénergétiques, lePIBestunevariableexogène,doncindépendantedel’énergieproduiteetconsommée.Pourreprésenter convenablement cette boucle de rétroaction il faut donc coupler un modèlemacroéconomiqueetunmodèleénergétique.

-Le modèle GEMMES (voir note 42) a été mis au point pour répondre aux principalescritiquesévoquéesci-dessus(iln’yapasd’agentreprésentatif,lamonnaien’estpasneutre,le secteur bancaire et les dettes privées sont représentées, les rendements peuvent êtrecroissants, l’énergie est un facteur de production, la rétroaction climatique est partieintégrantedumodèleetc.)

-C’estaussi lecasdumodèleThree-MEdontuneprochaineversionvacomporterenoutreunereprésentationdumarchéobligataire.

62Cf. J.E. Stiglitz,Growth with Exhaustible Natural Resources: Efficient and Optimal Growth Path,ReviewofEconomicStudies,1974.63Cf. G. Giraud et Z. Kahraman,How Dependent is Growth from Primary Energy ? Output EnergyElasticity in 50 Countries, 2014, www.parisschoolofeconomics.eu/IMG/pdf/article-pse-medde-juin2014-giraud-kahraman.pdf64Idem,etcf.annexe6.4.

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3.2 LaqualitédesdonnéesLamise au point et le calibrage desmodèlesmétéorologiques et climatiques bénéficientd’un ensemble de mesures de plus en plus sophistiquées depuis plus de 100 ans. Laprécision et la diversité des mesures permettent de tester de plus en plus finement lacapacité des modèles à rendre compte des réalités. C’est particulièrement le cas desobservationsparsatellitequipermettentunecouvertureglobaleetenquasicontinu.

Notonsque la diversité et la précisiondesobservations sont particulièrementnécessairespour lesprévisionsmétéorologiquesquidépendenttrèsfortementdesconditions initiales.Lesmodèles climatiques, à l’inverse, sontutiliséspourétudierunétatmoyendu système(distribution statistique des variables) sur de longues périodes temporelles. Ils sontbeaucoupmoinssensiblesauxconditions initialesetpeuventdoncpartird’unedescriptiongrossière de l’état initial, en tout cas pour les composantes du système climatique quivarient sur des échelles de temps beaucoup plus courtes que les échelles de tempsauxquellesons’intéresse.

Lesmodèles économiques dépendent de données « construites socialement » et dès lorsdépendantes des performances d’institutions, parfois très faibles dans certains pays. Lespays en voie de développement qui manquent de ressources humaines ont un appareilstatistique parfois très insuffisant et hétérogène. Les pays à pouvoir politique « fort »,peuventproduiredesdonnéesstatistiquesdiscutablesetdiscutées,dufaitd’unmanquedetransparencedeleurproductionetd’undoutesurl’influencedupouvoirsurcesdonnées.

Même dans des pays démocratiques et bien organisés administrativement, les donnéesposentdesérieuxproblèmesdeméthode.Qu’onpenseparexempleàl’inflation(ausensdehausse des prix à la consommation). Cet indicateur est construit à partir de donnéesstatistiquesretraitéespourtenircomptedel’évolutionqualitativedesproduits(passageduyaourt nature au yaourt aux fruits ?), ce qui pose de redoutables questionsméthodologiques. La prise en compte du coût des logements (pour les propriétairesoccupants) pose aussi de gros problèmes méthodologiques65. On évoquera au §3.3 laquestion,essentielledanslesmodèlesdecroissance,deladéfinitionetlamesureducapital,et de sa dépréciation et, par ailleurs, celle du chômage. On peut également mentionnertoute l’économie«parallèle»quiéchappeauxstatistiquesofficielles,mêmesidesétudespermettent de faire des estimations et que Eurostat66va même jusqu’à recommanderqu’ellesoitintégréedanslescomptesnationaux,cequelaFrancearefusédefaire.

Concernantladéfinitionducapital,cemotestemployépar leséconomistesdansdessensvariés.Parfois,ils’agitdefluxd’argentquicirculentetfinancentlesentreprises(onparledelibre circulation du capital) ; parfois il s’agit au contraire des capitaux « physiques »(immeubles,machinesetc.),que lescomptablesappellentdes immobilisationscorporelles.Maisquandonparledesrevenusducapitaldequoiparle-t-on?S’ils’agitdesrevenusdesépargnants(sousformed’intérêtsoudeplus-valuesobligataires)etdesactionnairesd’uneentreprise (sous forme de dividendes ou de plus-values de cessions), ils dépendent aussid’actifs incorporels (les marques notamment) qui sont essentielles à la formation de ces

65Cf.l’entrée«Indicedesprixàlaconsommationharmonisé»surWikipédia.org.66www.lemonde.fr/economie/article/2014/06/18/l-insee-n-integrera-pas-le-trafic-de-drogue-et-la-prostitution-dans-le-calcul-du-pib-francais_4440160_3234.html

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revenus... L’OCDE a réalisé en 2001 un épais manuel67(remis à jour en 2009) sur cettequestiondontonvoitcombienelleestdélicate.Maisla«controversedesdeuxCambridge»amontréqu’ilyaunedifficultéfondamentaleàagrégerles«bienscapitaux»,commeilyena une à agréger les fonctions de production (voir §3.4 et annexe 6.4.8). Enfin, dans lapratiquedemodélisationmacroéconomique,onbutesurunobstacle importantdequalitédesdonnéesaccessibles,pourunproblèmeliéàladifficultédemesurerladépréciationducapital. Il est souvent considéré qu’elle est constante, ce qui est certainement faux. Lescomptables ne recalculent pas le capital chaque année. Ils le font sur des années deréférence, puis appliquent la "méthode dite des inventaires", c’est-à-dire, appliquentl'équationdK/dt=I-deltaKavecundeltaconstantetI,lefluxd'investissementannuelqui,lui,estobservé.Cetteéquationestdeuxfois fausse:d'abord letauxdedépréciationn'estpasconstantdanslavraievie;ensuite,ilyaungapentrel'investissementetl'accroissementdecapitalquiestsouventsupérieurà1an.68

Les modèles macroéconomiques qui servent à faire des projections dépendent aussi dedonnéesd’entrée futuresquipeuventêtredéterminantesmaisdifficilesà connaître.Voicipar exemple, les prévisions successives relatives au prix du pétrole faites par l’AgenceInternationalede l’Energie,dontonnepeutdouterde lacompétenceetde l’information,dans la première décennie de ce siècle. La figure ci-dessous montre les différentesestimations faites entre 2000 et 2009. Les projections considéraient que le prix du barilatteintl’annéeNallaitsemaintenirpratiquementinchangésurlelongterme.Cesprévisionsétaientmanifestementfaussespuisqueleprixdubarilafortementaugmentésurlapériode.A l’inverse, la prédiction de 2008, probablement échaudée par les échecs des annéesprécédentes,estimaitqueleprixdupétroleallaitcontinueràaugmenter.Cetteprédictiona,elleaussi,étécontrediteparl’évolutionconstatée.

Prixréelsdubarilen$2009etprévisionsdel’AIEde2000à2008.AnalyseCarbone4.Source

AIE 67Cf.https://unstats.un.org/unsd/nationalaccount/docs/OECD-Capital-f.pdf68RemarquonsqueKaleckiavaitfaitcetteremarqueilyalongtemps.Cf.annexe6.4.

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3.3 Lapertinenceet lareprésentativitédes indicateursdesortiedesmodèles

Même si la notion un peu abstraite de températuremoyenne annuelle à la surface de laplanètesuscitequelquesdébatsdanslacommunautédesclimato-sceptiques,lesindicateursdesortiedesmodèlesclimatiquesetmétéorologiquesreposentsurlessciences«dures»,etne seront pas remis en cause avant longtemps. Sur un plan plus sociologique,même s’ilssontabstraitsetparfoismalcompris,ilssontsocialementpertinents:lecorpssocialsaitcequesontetreconnaît l’importanced’unetempératuremoyenne,de lapluviométrieetsonévolution, de la fréquence des événements climatiques extrêmes etc. Inversement, desnotions économiques comme le PIB, le coût d’une politique, le taux de chômage, quipeuventsemblerallerdesoidans ledébatpublic,sontbeaucoupplusdiscutables,auplanscientifique,commenousallonslevoir.

PIB,coûtd’unepolitique,tauxdechômage:desnotionsquenevontpasdesoi1-LePIB

LePIB(etsacroissance)donneuneidéedudéveloppementdel’économiemarchande(doncrien sur le reste, qui peut être très important, comme les activités associatives ou «domestiques»).Maispeut-onconsidérerquelacroissanceduPIBestunemesurepertinentedelasantéd’unpays?Ilyaunelittératuretrèsabondantesurlesujet69.Fairedel’impactsurlacroissanceduPIBlecritèrede«coût»d’unepolitiquedeluttecontrelechangementclimatique est pour le moins discutable70. Or c’est ce que font l’immense majorité desmodèleséconomiques«intégrés».Plusmodestement,etc’estcequerappelleThomasPiketty71, lePIBdevraitaumoinsêtreremplacéparleRevenuNationalNet72.LeProduitIntérieurBrutestsurvalorisépuisqu’ilnetientpascomptedeladépréciationducapital,etquandcettecorrectionestfaiteonobtientalors leProduit IntérieurNet.LepassageduProduitauRevenuconduità tenircomptedufait que les revenus issus de la production intérieure (en particulier les bénéfices desentreprises)peuventpartiràl’étranger(etréciproquement).C’estentermesderevenusqueseposelaquestiondesinégalitéssociales.Enfin notons que les inter-comparaisons des PIB et leur addition posent des problèmesdélicatsdufaitdelavariationdescoursdechange.Pourneprendrequ’unexemple,de2014à 2015, selon le FMI73, le PIB mondial exprimé en dollars courants a décru de 5,7% (en

69Cf. Faut-il attendre la croissance, Florence Jany-Catrice et DominiqueMeda , La documentationfrançaise,2016,quifaituneexcellentesynthèsesurlaquestion.70www.lemonde.fr/planete/article/2016/12/01/les-solutions-economiques-empechent-de-prendre-a-bras-le-corps-la-defense-de-l-environnement_5041570_3244.html71www.liberation.fr/futurs/2009/10/06/fini-le-pib-retournons-au-revenu-national_58593372Le RNN se définit comme le produit intérieur brut (PIB) plus les revenus nets des salaires etinvestissements à l'étranger, moins l'amortissement du capital fixe (habitations, bâtiments,équipement, matériel de transport et infrastructure physique) par usure et obsolescence. Cf.www.revolution-fiscale.fr/annexes-livre/TableauxGraphiques/TableauxGraphiques(Livre).pdf73CfPerspectivesdel’économiemondiale,octobre2016,TableauA1,http://bit.ly/2qSHqPY

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passantde78,04à73,7Tr$)alorsqu’expriméenPPAilacrude4,2%(passantde109,5à114,1Tr$).Dèslorsilestdifficiledesefaireuneopinionclaireetprécisesurlaquestionducontenuenénergieetdel’éventueldécouplageduPIBetdelaconsommationd’énergie.2-Lecoût74d’unepolitique

Il sembleallerdesoiqu’un raisonnementd’économisteviseàchercherdesoptimums«àmoindrecoût».EdmondMalinvauddéfinit l’économiecomme : "(…) la sciencequiétudiecommentdesressourcesraressontemployéespourlasatisfactiondesbesoinsdeshommesvivantensociété.»75Or du fait que la comptabilité ne fait qu’empiler des revenus (ou des coûts, ce qui est lamême chose vue de l’autre côté), du travail et du capital (rentes foncières,minières, ouprofit), le coût au sens comptable n’intègre pas les destructions de ressources raresnaturelles.Lanaturenesefaitpaspayerpourlesservicesqu’ellerend,nipourlespréjudicesqu’elle subit. Le moindre coût ne peut donc être in fine que le moindre coût pour leshommes(enposantimplicitementquepourunhommeletravailestuncoût,cequipeutsediscuterbiensûr).L’économiste,enfait,raffine,enintégrantdanssadéfinitionducoûtdeséléments non marchands et définirait plutôt le coût comme une « désutilité », uneinsatisfaction et ferait un continuum entre dépenses monétaires (en négatif du côté descoûts)etsatisfactionnonmonétaire(enpositif).C’estpourcelaquedanscertainsmodèles(commeDice déjà cité et plus généralement les IAMCoûts-Bénéfices), la fonction qui estoptimiséec’estcelled’unefonctiondebien-êtresocial,diteutilité76.Onpeutfaireplusieursremarquesdefondfaceàcechoix.-D’unepart,lararetéprincipaleaujourd’huin’estpasletravailhumain,quiestaucontrairesurabondant.Leproblèmesocialleplusimportantestsansdoutel’inutilité77.Nefaut-ildoncpasconstruiredesmesuresdelararetéquinesoientpasassimilablesàdescoûtspourleshumains ? Les raretés à gérer sont clairement aujourd’hui les ressources naturelles, àcommencer par les ressources biologiques et la biodiversité. Par ailleurs, la stabilité d’unclimatrelativementfavorableauxêtrehumainsestunbiencommunàgérerentantquetel(cettestabilitéestrare,etmêmeunique!etinfinimentprécieuse).-Lafonctiond’utilité(utiliséedanslesmodèlesd’équilibregénéral)estengénéralcroissanteavec laconsommationetn’apasd’autredéterminant ;maximiser l’utilité intertemporellec’estmaximiser la consommationmaisdemanière intergénérationnelle.Rienn’estdit surleslimitesàcetteconsommationetsurtoutsurlepoidsd’autressourcesdesatisfactionnonmarchandes.-L’agrégation des préférences des consommateurs (nécessaire pour qu’elles soientreprésentéesparuneseulefonctiond’utilité)butesurplusieursquestionsdefondsoulevéesenparticulierparKennethArrow.

74Lanotiondecoûtposedenombreuxproblèmesdansuneperspectivemacroéconomique,quenousn’aborderonspasici.Voirsurleblogd’AlainGrandjean:http://bit.ly/1UoeMeC75Leçonsdethéoriemicroéconomique,E.Malinvaud,Dunod,quatrièmeédition,1982.76Le plus souvent basée sur unemaximisation inter-temporelle de l’utilité inspirée dumodèle deRamsey,voirl’entrée«ModèledeRamsey»surWikipédia.orgetl’annexe6.4.77Cf.P.-N.GiraudL’hommeinutile,OdileJacob,2015.

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-Mélangerdansunmêmeindicateur,despertesdesatisfactionetdescoûtsmonétaires(etàl’inversedessatisfactionsetdesrevenusmonétaires)estpourlemoinsoséetdiscutable.-Enfinilseraitplusconformeàl’intuitiondepiloterl’optimisationéconomiqueparunoudesindicateurstentantdereprésenterla«satisfaction»collective,souscontraintepremièredelimitationdes«vraies»ressourcesraresetenoptimisant,sipossible,laquantitédetravail,car iln’estquandmêmepasanecdotiquede«préférer»touteschoseségalesparailleursune solution avec moins de contenu en travail (donc, même si c’est au détriment del’équilibreclimatique,enpoussantleraisonnementaubout!)àunesolutionquiaugmentelechômage!(silesgainsdeproductiviténepeuventêtreabsorbésparailleurs).

3-Tauxdechômageettauxd’emploi

Letauxdechômageestunindicateurdiscutableettrèsdiscutépourtroisraisons:-onpeutdistinguerplusieurscatégoriesdechômeurs78;

-il y a plusieurs mesures qui ne donnent pas les mêmes résultats79(des déclarationsadministrativesdepôleemploietdesenquêtesstatistiquesdel’Insee);-danstous lescas,cet indicateuraunecomposanteconventionnelleforte80(lechômageestun«statut»pasuneréalité«physique»,exemple: jepeuxêtresansemploietnepasêtrechômeur…);lapartdeschômeursdécouragés,inscritsounonàPôleEmploi,trèsvariableselonlespays,fausseégalementleniveaudutauxdechômage.»;

Letauxd’emploiestunpeumoinsmauvais:«Denombreuxéconomistes,etparexemplel'OCDE,estimentqueletauxd'emploiestunemesure plus pertinente que le taux de chômage pour évaluer la situation dumarché dutravaild'unpays.Eneffet, letauxdechômage,mêmedéfiniselonlanormeinternationaleduBIT,peutêtremodifiépardifférentesmanipulationscomptables(chômeurscatégorisésàtortcommehandicapés,incitationaurenoncementpourlesdemandeursd’emploienfindedroits,…)etparticularismeslocaux(faibleparticipationdesfemmes,…)81.LaFranceavotéen2015uneloi(diteSAS82)dunomdeladéputéequil’aportée,EvaSAS,pourcompléterlePIBdenouveauxindicateursderichessedansladéfinitiondespolitiquespubliques.L’ensembleformeun«tableaudebord»delanation,plusreprésentatifqueleseulPIBdesasantéetdesesprogrès.LeCESEatravaillésurcetableaudebord83etenaproposéunqui incorporedes indicateursdestock,des indicateursécologiquesetsociaux.Concernantlechômage,parexemple,ilopte,àjustetitreànosyeux,pourletauxd’emploietnonpourletauxdechômage.

78Cf.JacquesSapir,Chômage:manipulationetmensonges,Russeurope,http://bit.ly/2qmOlhr79Cf. l’entrée«ChômageenFrance»surWikipédia.orgetsasection«Catégorisationdes inscritsàPôleemploi».80LaBCE vientdepublierunenotequi remeten cause lamesuredu chômagedans la zoneEuro.Selon ses experts le tauxde chômage (plus précisément le «labourmarket slack»)serait de18%dans la zone euro, soit presque le double du chiffre officiel fourni par Eurostat de 9,5%, ce quiexpliqueraitleparadoxeactueld’uneinflationnecroissantpasmalgréunepolitiquemonétairetrèsaccommodante(quantitativeeasing).TéléchargementsurlesitedelaBCE:http://bit.ly/2q2bVBz81Cf.l’entrée«Tauxd’emploi»surWikipédia.org.82Cf.www.senat.fr/petite-loi-ameli/2014-2015/363.html83Cf.www.lecese.fr/sites/default/files/communiques/20151017%20CP_PIB.pdf

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3.4 La validité des relations que représentent les équationsmathématiques

Les modèles météorologiques et climatiques reposent d’une part sur des équationsphysiquesdontlavaliditéàleuréchelled’usageestprouvéedepuisdesdécennies(commela dynamique des fluides) et d’autre part sur des équations plus empiriques pourreprésentercertainsphénomènesspécifiques.Ilssontdéveloppésparunecommunautéquia un intérêt propre. Les modèles de climat ont évolué au cours du temps, à la fois ensophistication et en résolution spatiale, en fonction de l'avancée des connaissances, desproblématiques abordées et de la puissance de calcul disponible. Il existe actuellementdifférentstypesdemodèles,ayantchacunleursavantagesetinconvénients.Lechoixdeteltypedemodèleenparticulierdépendradelaquestionquel'onsouhaitetraiter.Parexemplelamodélisationdescalottespolairesestassezspécifique,et tous lesmodèlesn’ontpas lemême niveau de développement sur cet aspect. Du coup, les projections des modèlesreprésentanttropsuperficiellementvoirepasdutoutladynamiquedescalottespolairesnesont pas très pertinentes sur le sujet de l’évolution du niveau de la mer… Le couplagemodèle de climat-modèle dynamique de calotte fait parti des chantiers actuels desmodélisateurs.

C’estpourcelaquelacommunautéscientifiquedoitfairedescomparaisonsentremodèles84pourpouvoir tirerdes leçonsd’ordregénéral,etc’estaussipourcelaquecesmodèlesnedonnent pas tous la même réponse à une question donnée (exemple de la sensibilitéclimatique,oùl’ontestelesmodèlesàundoublementdelaconcentrationpréindustrielleenGES).Néanmoinslefaitquecesmodèlesreposentlargementsurdes«briques»liéesàdesloisdelanature,validéespardesexpériencesfaites«ailleurs»etavecuntrèshautdegréde confiance, permet de tirer des leçons solides des conclusions qu’ils donnent dans leurensemble.

Levonsiciundoublemalentendu.Commel’undenous(GaëlGiraud)l’aécritdanslapréfaceau livredeSteveKeen85«dans sonmanuelquiest l'unedes référencesuniversitairesauxEtats-Unis (et donc dans le monde), Greg Mankiw, professeur de macro-économie àHarvard, et l'un des ténors de l'économie contemporaine explique, en effet, que lesphysiciensontunemarged'erreurdanslamesuredeladistanceTerre-Soleilquivade-50%à + 100%. Puisqu'une telle imprécision est tolérable dans le monde bien réglé de lamécaniquecéleste,suggère-t-il,riend'alarmantsinousautres,économistes,avonsquelqueshésitationssurlevrainiveaud'unenotionaussidifficileàcernerqueleNAIRU86,non?

84 Les modèles de climat font l'objet d'un ensemble de projets d'intercomparaison (CMIP),coordonnés par le Programme Mondial d'Etude du Climat (WCRP), et de confrontations à desobservations actuelles et passées, ou encore des tests par rapport à leur représentation desprocessus.Cf.http://www.geosci-model-dev.net/special_issue590.html85op.cit.86Le NAIRU est littéralement le taux de chômage n’accélérant pas l’inflation. Il s’agit en fait unethéorievivementcontestéeselonlaquelle,toutetentativedefairetomberletauxdechômagesousle seuil duNAIRU par des politiques budgétaires etmonétaires de relance serait vaine et n'auraitcommeconséquencequed'augmenterletauxd'inflationsansfairediminuerlechômage.Cf.l’entrée«Tauxdechômagen'accélérantpasl'inflation»surWikipédia.org.

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Peut-être,saufqueladistanceTerre-Soleilestconnueavecuneprécisiondel'ordrededixchiffres après la virgule (https://fr.wikipedia.org/wiki/Terre). Comment un professeurd'université(quellequesoitsadiscipline)peut-iloserécrireunetelleaberration?»

Dans l’autre sens, l’exceptionnelle précision de certaines constantes physiques etéquations87neconduitpasàuneprécisionéquivalenteenmatièredeprévisionclimatiqueetmétéorologiquepour lesdifférentes raisonsévoquéesprécédemment liéesauxdifficultésdelamodélisation.Ilneseraitpasdonclégitimed’oublierlesincertitudesencoreélevéesquirestentinhérentesàcestravauxaumotifquelaphysiqueestunescienceexacteetparfoistrèsprécise.

A l’inverse, leséquationsdecomportementet les théorieséconomiquesutiliséesdans lesmodèleséconomiquessontpresquetoujoursdiscutablesettoujoursdiscutées.Prenonstroisexemples(voirl’annexe6.4pourundéveloppementpluscomplet,sansqu’ilsoitexhaustif).

Premier exemple, celui de la question de l’équilibre général dans l’économie et de sastabilité.AucundesmodèlesDSGEd’équilibregénéraln’aprévulacrisede2008.Etilsnelepouvaient pas. Ils ne peuvent, en effet, pas rendre compte de crash ou de criseséconomiquesmajeures,carfondamentalementcesontdesmodèlesd’équilibregénéralavecanticipations rationnelles: les agents sauraient à l’avance qu’ils agissent de sorte qu’uncrashvaseproduire,doncilsn’agissentpasainsi,carcen’estpasdansleurintérêt.Laseuleexception imaginable (et imaginée88) est celle où le crash est un cygne noir (hautementimprobable).C’estd’ailleurscequeretientlaprofessionquivoitgénéralementdanslacrisede2008unévénementhautementimprobable.Leproblèmeestplusprofond.Enraisonnantparanalogieaveclathermodynamique,lesmodèlesDSGEsontdesmodèlesdontlalogiqueest celle de la thermodynamique au voisinage de l’équilibre89alors qu’on peut envisagercommeenthermodynamiquehorsde l’équilibre90uneéconomiequipeutnepasreveniràl’équilibre, et ce pas uniquement demanière complètement exceptionnelle. Cesmodèlessont critiqués91fondamentalement parce que la théorie sous-jacente soutient que les 87Il est sans doute utile de rappeler que de nombreux invariants (intervenant dans des équationselles-mêmesvalidéesavecunetrèshauteprécision)sontconnusavecdesprécisionsextraordinaireset pas qu’enmécanique classique. Qu’on songe entre autres au facteur de Landé des particules,grandeurphysiquesansdimensionquipermetderelierlemomentmagnétiqueaumomentcinétiqued'unétatquantique.Cf.l’entrée«FacteurdeLandé»surWikipédia.org.88Cf. A. Pottier et G. Giraud, Krachs financiers ou trappe à liquidité Le dilemme des politiquesmonétairesnonconventionnelles,Revueéconomique,2013.89Cf.l’entrée«LarsOnsager»surWikipédiaetlasectionconcernantsestravaux.90Cf. K. Mallick, Systèmes hors d'équilibre : quelques résultats exacts, thèse de doctorat, 1996,www.theses.fr/1996PA06674791 Cf. par exemple G. Giraud, L’économie malade de ses modèles,(lejournal.cnrs.fr/articles/leconomie-malade-de-ses-modeles) et P. Romer, The Trouble withMacroeconomics,2016(paulromer.net/wp-content/uploads/2016/09/WP-Trouble.pdf).Ledébatestanimé: deux prises de position récentes d’Olivier Blanchard: The Need for Different Classes ofMacroeconomic Models (piie.com/blogs/realtime-economic-issues-watch/need-different-classes-macroeconomic-models)etFurtherThoughtsonDSGEModels (piie.com/blogs/realtime-economic-issues-watch/further-thoughts-dsge-models) après l’article Do DSGE Models Have a Future?(piie.com/publications/policy-briefs/do-dsge-models-have-future) publié sous couvert de l’InstitutPeterson.

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marchés s’équilibrent spontanément et conduisent à des optimums. Or de nombreuxarguments théoriques, y compris issus dudomainede recherche concerné,montrent quec’estfaux92.CesmodèlesDSGEontpuasseoirl'idéedelaGrandeModération93desannées1990et2000oùl'inflationetlacroissanceduPIBfluctuaientcertes,maisautourd'unsentierstable : lorsqu'elles s'écartaient trop du sentier, des forces d'ajustement semettaient enplace pour les ramener à l'équilibre. Robert Lucas, alors président de l’Association deséconomistes américains94, conclut en 2003: «Le problème central de la prévention desrécessionsest résolu,danstoutesses implicationspratiques,et il l’estpourdenombreusesdécennies95.»LaGrandeModérationafiniparlacrisede2007-2008etunesévère«GrandeRécession»post-crise,provoquantd’énormesdégâtséconomiques. C’estunbonexempleillustrant le propos ci-dessus (§1.3) selon lequel les modèles issus de choix théoriquespeuventcontribueràlesconforter,dumoinsenapparenceetpendantuncertaintemps!

Deuxièmeexemple: celui dumultiplicateurbudgétaire96. Il est décisif enmatièrede luttecontrelechangementclimatiquedontlestravauxdelaNewClimateEconomy97ontmontréqu’elle nécessitait des investissements privés et publics massifs. La part publique de cesinvestissements aura-t-elle un effet de relance de l’économie? Si oui ces investissementssontdoublementbénéfiques.DepuisKeynes,leséconomistesconsidéraientqueladépensepubliqueétaitfavorableàlacroissanceavecuneffetmultiplicateurchiffrable.L’économisteRobert J. Barro a remis en cause cette idée en introduisant la notion d’équivalencericardienne.L’idéeenestquefinancerunedépensepubliqueaujourd’huiparempruntseraitéquivalentpourlesménagesàleverunimpôt,caranticipantl’impôtfuturilsvontépargneraujourd’huilessommesnécessairespourpayerl’impôtdemain.L’empruntexerceraitdonc,commel’impôt,uneffetd’évictionsurl’investissementprivé.Laquestions’estinvitéedansledébatpublicquandOlivierBlanchard(alorséconomisteenchefduFMI)areconnu98,enpleine crise grecque, que lesmodèles du FMI sous-estimaient fortement lemultiplicateurbudgétaire.

Troisièmeexemple:bienqu’utiliséestrèssouventlesfonctionsdeproduction(commecellesde Cobb-Douglas), font l’objet d’un débat de fond99car elles n'ont pas de fondement 92Cf.Illusionfinancière,op.cit.93PourcettenotiondeGrandeModération,cf.EtsilaGrandeModérationnes’étaitjamaisachevée?VoirsurleBlogIlusio:http://bit.ly/2r8qR2G.94L’AmericanEconomicAssociationestlaplusimportanteassociationprofessionnelled’économistesaméricains; elle est notamment influente pour décider des publications qui permettront à leursauteursd’obtenirdespostesd’enseignementetuneréputation.95R.E. Lucas Jr.Macroeconomicpriorities,discoursà l’AmericanEconomicAssociation,WashingtonDC,4janvier2003.96Cf.annexe6.4.4.97Cf.newclimateeconomy.net.98Onsesouvientdel’aveud’OlivierBlanchard,(cf.http://lemde.fr/1Xd26bD)Voirannexe6.4etLeserreurs de prévision de croissance et les multiplicateurs budgétaires (blog Annotations:http://bit.ly/2r1FrpG)99Ils’agitd’unecélèbrecontroversedesannées1960,ditedesdeuxCambridge,tranchéedefaitparPaul Samuelson dans un article de 1966 (en faveur du Cambridge anglais) Cf. P. Samuelson, A Summing Up,QuarterlyJournalofEconomics,1966).LedébatestégalementtranchédansunlivrerécentdeFelipeetMcCombieTheaggregateproductionfunctionandthemeasurementoftechnical

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empirique ni de justification théorique profonde. Ce sont de simples commodités dereprésentation,maisquipeuventinduiredesbiaisd'analyse.

Ilestimportantdedireiciqu’aucunethéorieéconomiqueglobalenefaitconsensus100.Dèslors, les modèles sont nécessairement «anglés», si ce n’est biaisés, et font appel à unappareil théoriquequiestrarementréfutable101ausensdeKarlPopper102. Insistons icisurl’idée que ceci est à la fois un défi de fond posé à la science économique (on aimeraitdisposerd’uncorpusthéoriqueunpeuplusrobuste!),uneévidentelimiteauxleçonsàtirerdesmodèleséconomiques,maisquecen’estpasuneraisonsuffisantepourverserdanslenihilismeoulerelativismeabsolu.Quellesquesoientles limitesdelamodélisation,duesàceproblèmethéoriquede fond, le faitqu’ellecontribueàproduireunensemblecohérentestunecontributionpositiveàlaréflexion.Maisceslimitesinvalident,etilfautlesavoiretledire,desproposdetype«lemodèleditcela,doncc’estvrai»103…

Lesdeuxexemples citésplushaut (courbedePhilips et élasticitéde l’épargneau revenu)sontdescasplutôtexceptionnelsd’équationsrobustesetreconnuescommetellesdans lacommunauté104.Encorefaut-ilpréciserqueleurrobustessenevautpasprécisionausensdela physiquemais se comprend en ordre de grandeur. Citons un autre exemple proche denotre sujet : il est établi que la croissance du PIB s’accompagne d’une croissance de laconsommationd’énergieavecuneélasticité inférieureàun105.Maiscettecorrélationresteassez imprécise,etonnepeutendéduireune loi«éternelle»quivoueraità l’avenirtout«progrès» (pour être plus général que toute croissance du PIB ou du RNN) à uneconsommation corrélative de la consommation d’énergie. En conclusion, les modèleséconomiquesnedisposentpasd’unsocledeloisphysiquessurlequels’appuyersolidement.

change.Not evenwrong, Edward Ellgar, Chelenham (2013), dont on trouve une synthèse dans B.GuerrienetO.Gun, En finir, pour toujours,avec la fonctiondeproductionagrégée? Revuede larégulation,2014.SteveKeenreprendcetimportantsujetdans l’Impostureéconomique,Editionsdel’atelier,2014.Cf.annexe6.4.100Pournepasdireplus.Lesdébatspeuventêtrevifs,auseindelaprofession,commeentémoigneSteveKeen,l’Impostureéconomique,op.cit.101Une affirmation est dite réfutable s'il est possible de consigner une observation ou de meneruneexpériencedont le résultat entrerait en contradiction avec cette affirmation. La démarchescientifique,auxyeuxdeKarlPopper,c’est lacritiqueet larecherchede l’infirmationplutôtque ladéfensed’unethèse.L’accumulationd’argumentsenfaveurd’unethèsenerésistepas(auplandelalogiquescientifique)àl’identificationd’uncontre-exempleoud’uneexpériencequiladément.102Cf.K.R.Popper,LaLogiquedeladécouvertescientifique,1935,trad.fr.1973,rééd.Payot,coll.«Bibliothèquescientifique»,1995.103Lamodélisationcritique,op.cit.104Cf.l’annexe6.4.105Cf.EnergyandEconomicGrowth:TheStylizedFacts,Z.Csereklyei,M.d.MarRubioVarasetD.I.Stern,2014,(PDFàtéléchargerici:http://bit.ly/2r1HKt0)etannexe6.4.

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L’articulationmicro-macro

Faut-il,etest-ilpossible,que les loisou leséquationsmacroéconomiques reposentsurunfondementmicroéconomique,relatifaucomportementdesagentsindividuels?Autrementdit les lois macroéconomiques peuvent-elles et doivent-elles dériver d’équations decomportementsindividuelsetnonderelationsentrevariablesmacroéconomiques.

Ledébatalongtempsfaitragechezleséconomistes,lesmodèleskeynésiensdesannées50et 60 n’étant pas alors « micro-fondés ». Cette critique faite par l’école des nouveauxéconomistes classiques (Lucas, Sargent et Wallis) a conduit aux modèles DSGE dont la«cohérence» a semblé supérieure aux modèles précédents et qui ont été considéréslongtempsparlemondeacadémiquecommelesseulscrédibles.Ladifficultés’estdéplacéealorssurlacapacitédecesmodèlesàrendrecomptedesfaitsempiriques,quiaétémiseencausemassivement après la crise de 2008.Du point de vue défendu ici, c’est pourtant laquestion centrale: même si c’est en ordre de grandeur, et même si c’est sous certainesconditions (par exemple de continuité d’une politique économique) les modèleséconomiquessontutiless’ilsontunecapacitéàrendrecomptedesfaits.

Laphysiqueestégalementtraverséepardesdébatssurlesquestionsderéductionnismeetles phénomènes d’émergence (ou de composition). Pour ne prendre qu’un exemple : lespropriétés de la molécule eau sont-elles déductibles des propriétés des atomes qui laconstituent(hydrogèneetoxygène)?

Laphysiquestatistiqueestunegranderéussite :onestarrivéàpartirde loisrelativesauxchocsentreparticulescomposantungazàretrouverdesloisrelativesaucomportementdugaz et à des paramètres (température, pression etc.). Mais à l’inverse les propriétésquantiquesnes’observentqu’àl’échellemicroscopique…etlesloismacroscopiquesnes’endéduisentpasfacilement.Et lespropriétésde l’eaunes’expliquentpasfacilementàpartirdecellesdesatomeslaconstituant…

Dans le domaine météo et climat, les débats méthodologiques de cette nature sontcirconscrits. Les lois de la physique appliquées sont connues à la bonne échelle et sontl’objetdevérificationstrèsprécisescommedéjàdit.S’ilyadesenjeuxd’émergenceetdecomposition, c’est d’une part autour des questions des phénomènes extrêmes et des «effets papillon », qui limitent l’horizon de prévisibilité enmatièremétéo. Sur la questionclimatique de long terme la question principale est celle des effets de seuil et desirréversibilités liées par exemple au dégagement possible des hydrates de méthane enArctique,àlafontedupergélisolouàl’effondrementdelacalotteOuestAntarctique.

Enmacroéconomie,ledébatn’estpasencoretranché,auseindelacommunautédanssonensemble.Pourtant, au seinmêmede la traditionnéoclassique, lanécessitéde recourir àdesvariablesmacroéconomiques«émergentes»(nonréductiblesàdesvariablesmicro)estdémontréeen1975dansunecélèbreséried’articlesdeHugoSonnenschein,RolfManteletGérardDebreu106, quiprouventque lademandenette globale (sommationdesdemandesnettesindividuelles)peutavoiruneformequelconque.Ilestalorsimpossiblededéduiredescomportementsmaximisateursdesentreprisesetdesménagesdesconditionssurlaforme

106Cf.l’entrée«ThéorèmedeSonnenschein»surWikipédia.org.

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deleurfonctiondedemandenetteglobale.L’économisteAndreuMas-Colellobtiendraplustardlemêmetypederésultatpourlafonctiondeproduction107.

SteveKeensouligne la réalitéet l’importancedesphénomènesémergents.Laquestiondel’agrégationdespréférences individuellesenune fonctiondepréférence collectiveposentdesproblèmesthéoriques(bienidentifiés)etpratiques,déjàévoquéesci-dessus,etàcejourtrèsdifficilesàrésoudre108.

Lesmodèles à laGoodwin-Keenne sont pasmicrofondés et ce choixméthodologique estassumé. Lamacroéconomie ne peut se ramener à lamicroéconomie parce qu’il n’est paspossiblededéduiredesfonctionsagrégéesd’utilité,dedemandeetdeproductionàpartirdesfonctionsindividuelles;etparcequ’elleestlethéâtredephénomènesémergents.

3.5 LapertinenceetlarobustessedestestsDu fait de la qualité des données, on peut tester la performance d’un modèlemétéorologiqueouclimatique.Parailleurs leséquationsphysiques restent stablesdans letempsetconnuesdesphysiciens«tiers».Enfin, lesmoyensinformatiquesdeplusenpluspuissants peuvent permettre de réduire la maille d’analyse pour mieux résoudre lesprocessusdepetiteéchelleetaméliorerlesrésultatsàl'échellerégionale,sanspourautantchanger la structure du modèle (ex: un maillage plus fin permet de beaucoup mieuxcapturerleseffetsdereliefdansleszonesmontagneuses).

Lesmodèles économiques sont beaucoup plus difficiles à tester :moins de données sontdisponibles,etdemoinsbonnequalité.Etcommedéjàdit,ilyadesdébatsthéoriquesentreéconomistes.Lesmodèlesdeprévisionconjoncturellesemblentfacilesàtester: ilsuffitdecomparerrégulièrementleursprévisionsetlesobservations.Iln’estcependantpassifaciledetrouvercetypedetravaux…

La très sérieuse association FIPECO a ainsi comparé les prévisions faites par Bercy et lesréalisationsetlescommentesobrement:«Enmatièreéconomique,laréalitéobservéen’estjamaisconformeauxprévisions»109.Peut-onprécisercejugement?

En faisant la différence entre les années N et N-1 pour le prévu et l’observé, on obtientdirectement une comparaison de performance de la modélisation « persistance » (quiconsisteàdirequeN=N-1)àlamodélisationréelle.Eneffet,ladifférencepermetdecalculerl’écartàlapersistance.Onconstate110quelamodélisationnefaitpasmieuxstatistiquementquelemodèledepersistance.Leseulcasoulemodèlefaitsignificativementmieuxestpourlasortiedecrisede2009.Lemodèleprévoitbienqu’onrevientàunecroissancepositiveen2010, après la forte chute de 2009 Lemodèle persistance, lui, parie sur une croissance ànouveaunégativeet se trompedonc lourdement.Apartcetteannée2010, lemodèle faitparfoismieuxetparfoismoinsbienquelapersistance.

107Cf.AndreuMas-Colell,CapitalTheoryParadoxes:AnythingGoes, in JoanRobinsonandModernEconomicTheory(ed.byG.R.Feiwel),NewYorkUniversityPress,1989.108cfannexe6.4109CitationissueduFipeco.fr–Encyclopédiedesfinancespubliques(http://bit.ly/2q2XxcN)110Cf.letableauenAnnexe6.3.

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Onpeut citer ici le travail relatif à la« stagnation séculaire». LawrenceSummersmontredans un article sur le sujet111à quel point lesmodèles des institutions les plus reconnuescommeleFMIsesonttrompés.

111Cf. Reflections on the new 'Secular Stagnation hypothesis', Larry Summers, (octobre 2014)http://voxeu.org/article/larry-summers-secular-stagnation.

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Il estpossibleet souhaitablepourtantdeprocéderàun testde validationassez solide, leback-testing. Comment? En estimant et calibrant le modèle sur une période donnéepasséeet en comparant ensuite des projections faites sur les années suivantes (maistoujourspassées)quipeuventensuiteêtrecomparéesauxdonnées réelles (passées,doncconnues).Nous insisterons en conclusion sur ce test de validation, central, seul capable ànosyeuxdes’assurerquelesmodèlessontrobustes,etpascalibrésetrecalibrésdemanièreadhoc.

3.6 Lepoidsducalibrageetdel’estimationdesparamètres

Lesmodèleséconomiques comprennent très souventplusdeparamètresqued’équationsoudedonnéesdisponiblespourendéterminer lavaleurdemanièreunivoque.Dès lorsseposelaquestiondelamanièredontonlesdétermine.

Précisons ce point en suivant l’économiste Edward C. Prescott112et en considérant unmodèle qui repose sur n variables. En gros, tôt ou tard, lemodèle va se ramener à uneéquationaffinedutype:

x_{t+1}=Ax_t+B,où

x_testlevecteurdesvariables,dedimensionn,àladatet

Aestunematriceréellenxn

Bestunvecteurconstantdetaillen.

Pourestimerempiriquement lemodèle, il fautdonctrouverunevaleurauxn2coefficientsde lamatriceAetauxncoefficientsduvecteurB.Apriori cela faitn2+n=n(n+1)valeur.Lorsque lesélémentsdiagonauxde lamatriceA sontnuls, il n’y aplus "que"n2 valeurs àidentifier.Or,engénéral,ondisposedensériestemporellesempiriques(uneparvariable).Donc,onastructurellementunesous-déterminationdesvariablesdumodèle.Aumieux,onpeutidentifiernvaleurs.Ilenrestedoncaumoinsn2-n=n(n-1)quisontindéterminées.

Danslecasoùn=10(commec'estsouventlecas),celafait…90valeursqu'onnesaitpasdéterminer.PaulRomerentireargumentpourdirequec'estlaraisonpourlaquelle,depuis40 ans, beaucoup de macro-économistes inventent des modèles difficiles à réfuter etutilisantdesvariablesinobservables,(commelafonctiond'utilitédesménages,voirannexe6.4.6)pourfixercesn(n-1)valeursd'unemanièrequisemblefondéescientifiquementmaisquiest,enfait,arbitraire.Onpeutmêmeajouterquecesvaleurssontfixéesdemanièreàgarantir que les conclusions que donnera le modèle seront conformes aux attentes dumodélisateur.

AndrewC.Prescottavaitsoulevéleproblèmeetditquelesmacro-économistesauraientàlerésoudre. Paul Romer fait valoir qu'au lieu de le résoudre, les macro-économistes«mainstream»l'ontplutôtdissimulé.

Lesmodèleséconomiquessontdonc,defait,fortementdépendantsducalibragequipermetdelesfixer.

112ArgumentquereprendPaulRomerdansThetroublewithmacroeconomics,op.cit.

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Laplupartdesgrandsmodèlesnéokeynésienssontestiméséquationparéquation,àpartird’analyseséconométriquesdupassé.LesmodèlesDSGEsontquantàeuxsouventestiméscommedessystèmes.Laméthodebayésienneestalorslaplusutilisée.Ils'agitdefournirdesa-priori sur la moyenne et la distribution de chaque paramètre estimé. La valeur finaleretenueestcellequi,compte-tenudesvaleursdesautresparamètresestimés,maximiselavraisemblancedumodèleparrapportauxdonnéespassées.

Cetteapprochen'estpasexemptedecritiques,querappelletrèsbienOlivierBlanchard113.LaplupartdesmodèlesDSGE,mêmes'ilssontdetaillemoins importanteque lesmodèlesnéokeynésiensprésententtantdeparamètresquel'estimationdetousserévèleimpossible.Ilestnécessairedanscecasd'encalibrercertainsen fixantdirectement leurvaleurplutôtqu’enl’estimantenmêmetempsquetouslesautres.Certainsparamètresàcalibrerpeuventêtrebiendocumentésempiriquement(cequineveutpasdirequ’ilssoientestiméssurdesséries statistiques passées), comme la part du travail dans la valeur ajoutée dans unefonction de production. Mais pour d'autres, cette tâche est beaucoup plus difficile. Desstandardsdanscecaspeuventémerger,maissansfondementempiriquerobuste.Rappelonsicil’exempledéjàévoqué(§3.1)del’élasticitéduPIBparrapportàl’énergiepriseégaleàlapartdel’énergiedanslePIB,cequiestfaux.Uneautrecritiqueencoreestquelesapriorides distributions etmoyennes des paramètres estimés demanière bayésienne sont aussidifficilesàdéterminerempiriquement.Ditautrement,lesdistributionsàpriori(l’informationdonnéeparlestatisticienavantlaprocédured’estimation)surlesparamètressontsouventcomme«tiréesduchapeau»et,parconséquent,peuventaboutiràdesrésultatsbiaisés.

De ce fait, qu’unmodèle économique reproduise convenablement des séries de donnéeshistoriquesn’estpasunepreuve114nimêmeunindicequ’ilestapteàreprésenterlasuitedecesdonnéesniqu’ilait lamoindrecapacitédeprévisionmêmeconditionnelle (voir§1.3).Cecifaitparfoisdireàdeséconomistesquelesmodèlesclimatiques,étanteuxaussicalibrés,«disent»cequelemodélisateurveutqu’ils«disent».

C’estfauxcarlaplaceducalibragedanslamodélisationduclimat,quiestnonnulleestbieninférieureàcequisepasseenéconomie.D’unpointdevuegénéral,laphysiqueoulachimie– qui sert de base aux modèles climatologiques- n'a pas de problème systématiqued'identificationparcequ’elledécomposesesmodèlesenrelationsquisontmajoritairementtestéesexpérimentalementunesàunes, indépendammentdumodèled'ensemble,etqui,une fois testées, ne sont plus remises en cause. Par exemple, personne ne réestime laconstantedeBoltzmanndanstouslesmodèlesdethermodynamiqueoùelleintervient.

Les modèles climatiques reposent cependant aussi en partie de leur calibrage, qui estinévitable.Maiscettedépendancedecesrésultatsaucalibrageestbeaucoupplusfaiblequepourlesmodèleséconomiques.Parexemple,ladiffusionverticaledelachaleurdansl’océanestmal comprise, et relativement critique. La circulation océanique dépend en partie decettediffusion.L’océanestchauffépar ledessusmais lacouchedechaleurensurfaceestrelativementbienmélangéesurquelquescentainesdemètresd’épaisseur.Puisqu’ilyaungradient suivant les latitudes, une circulation peut se mettre en place. L’équation dediffusion de la chaleur dans les couches supérieures de l’océan requiert un paramètre,lequeln’estpasmesurabledirectementparexpérimentation.Lavaleurdeceparamètreest 113DoDSGEModelsHaveaFuture?op.cit.114CequeRobertSolowditdepuislesannées1980.

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doncajustée,dansunegammeraisonnable,afind’obtenirdestempératuresenaccordaveclesobservations.

Maisautotal,commeleditHervéleTreut(directeurdel’IPSL):

«Contrairementàuneidéesouventexprimée115,iln’estpasfaciled’optimiserlesrésultatsd’unmodèleen jouantavec lesparamètresqui serventà ledéfinir.Parexemple,onpeutdétériorergravementlesprécipitationsneigeusessurlesrégionspolairesenaméliorantlescirculations océaniques tropicales car il s’agit d’un système composé d’une myriade deprocessusinterdépendants.»116

Enéconomie,cequidevraitaideràréduire legapd'identification(detaillen(n-1),commeonl’avu),cesont:

- lescontraintesde lacomptabilité.C'estcequ'onappelle, la«cohérencestock-flux»,quiconsisteà s'assurerqu'à tout instant, chaque stockestbien le résultatde l'historiquedesflux,qu'iln'yapasdisparition,nicréation(saufpourlamonnaie)dequoiquecesoit.

- les contraintes de la physique et, en particulier, les deux premières lois de lathermodynamique,dontlerespectn’estpasnonplustoujoursgaranti.

- l'estimation d'un certain nombre de briques de base (l'analogue de la constante deBoltzmann):laconsommationagrégéedesménagesd'unpays(enfonctiondesrevenus,parexemple),lacourbedePhillipsdecourtterme,etc.

3.7 Ladynamiquedumodèle

Lesmodèlesmétéorologiques reposent sur des équations non linéaires, qui conduisent àunedivergencedes trajectoiresmétéorologiquesetdoncune impossibilitédeprévoirunetrajectoire (auboutdequelques joursàquelquessemaines).Eneffet lamétéorologieest,elle,déterminéeparlesvariationsdel’écoulementatmosphériqueaujourlejour.Ilssontenoutresensiblesauxconditionsinitiales117etàlaprécisiondel’informationqu’onleurdonneenlamatière.

Dès lors, leur capacité prédictive (à la précision socialement souhaitée) s’affaiblit avec letemps.Pourêtreplusprécis,sidesmodèlesmétéosecontententdedire,àunhorizondequelques mois, que la température variera dans une région donnée à l’intérieur desfourchettes connues de variation depuis que les mesures de température sont faitescorrectement,ilestclairquecette«prévision»n’apporterien.Enrevancheleurcapacitéàfaire une prévision même à court terme meilleures que la prévision de référence(persistance: il faitdemain lemêmetempsqu’aujourd’hui)aététestéeetprouvée118.Lesqualitésdesprévisionsprogressent:surles20dernièresannées,onagagnéenviron2joursde capacitédeprévision, c’est-à-direque laprévisionà7 joursa lamêmequalitéque les

115ExpriméeparexempleparHenriAtlan,cf.sursciences.blogs.liberation.fr(http://bit.ly/2q2EEGp).116www.climat-en-questions.fr/reponse/fonctionnement-climat/modele-climat-par-herve-treut117C’est Lorenz qui a mis en exergue cette question en popularisant l’effet papillon; on doit àPoincarélespremierstravauxsurcesquestions.118Cf.EvaluationofECMWFforecasts,including2014-2015upgrades,op.cit.

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prévisionsà5joursquiétaientfaitesilya20ans(Figure2danslanotedebasdepagecitéeplushaut).

Lesmodèlesclimatoreposentégalementsurdeséquationsnonlinéaires,maisleurobjectifestdifférentdeceluidesmodèlesmétéo.Ilnes'agitpasdeprévoiravecprécisionletempsqu'ilferaeffectivementàunedatedonnéedansunfuturplusoumoinslointain,maisd'êtrecapabledesimulerl'étatmoyenduclimat,autrementditlaprobabilitéd'occurrencedeteloutelétatdesvariablesatmosphériques.Probabilitéquel'onpeutdéterminereneffectuantdesstatistiquessur lessortiesmulti-annuellesdumodèle.Cesontcesstatistiquesquisontpas –ou beaucoup moins – sensibles aux conditions initiales. On ne peut pas dire aveccertitudequele15Avrilde2017serapluschaudquele15Janvierdelamêmeannée,maison peut affirmer queAvril sera plus chaud que Janvier. Le forçage du soleil, différent surAvril et Janvier, fait qu’on peut prévoir qu’il y aura une différence sur la moyenne destempératures.

Lesmodèleséconomiquessontsur leplande l’analysede ladynamiquetrèsdifférents lesunsdesautres.Orilestfaciledecomprendrel’importancedel’enjeu:lesmodèlespeuvent-ils rendre compte de la manifeste instabilité de l’économie119et de ces cycles, ou aucontraire doivent-ils recourir à des chocs exogènes pour ce faire? Ceci revient à dire,qu’alors ils n’ont pas de pouvoir explicatif de cette instabilité et probablement peu decapacitéprédictive(mêmeconditionnelle).

Le modèle historique de Solow est dynamique mais, dans la pratique, est utilisé pourcaractérisersonétatdeconvergencedetrèslongterme(l’étatstationnaire).Cettepratiquen'est évidemment pas scientifique car il faudrait d'abord démontrer que nous avons debonnesraisonsdepenserquel'économieréelleadéjàatteint l'étatstationnairedeSolow.Or rien à ce jour ne démontre que nous avons atteint la "fin de l'histoire macro-économique"…

Lesmodèles CGE calculent un équilibre statique pour l’année (ou le trimestre) n, puis unautreéquilibre statiquepour l'année (ou le trimestre)n+1. Parfois, lepassageden àn+1nécessite l'introduction d'un choc exogène. La faiblesse de cette approche, c'est qu'elleconfond la cinématique avec une succession d'équilibres.Or n'importe qui ayant appris àfaireduvélo saitque,pour rouler, il ne faut surtoutpasessayerde se tenird'abordàunéquilibre statiquepuis tenter depasser à un autre équilibre statique. La vraie dynamiquepassepardesprocessusquinesontpasunesuccessiond'équilibres.

DanslesmodèlesDSGE,l'économieestsupposéeavoirdéjàatteintl'étatstationnairedetrèslongterme(commedans laplupartdes interprétationsdeSolow)etelleenestdéviéepardeschocsaléatoiresexogènes.Selon lemodèle,ceschocspeuventaffecter laproductivitédutravailoulesgoûtsdesménagesoulapolitiquemonétaire,etc.LesmodèlesDSGEsontalorsconstruitsdetellesorteque,quellequesoit lanatureduchoc, l'économieperturbéeretournetoujoursàl'équilibre.Toutelaphilosophiedel'exerciceconsisteàétudierdequellemanièreelleyretourne.Evidemment,lafaiblessedecetteapproche,c'estqu'ellen'estpascapabled'expliquercommentuneéconomieparvientàunétatstationnaire(àladifférence

119HymanMinsky amontré que la finance était intrinsèquement génératrice d’instabilités (qui nerésultent donc pas uniquement de chocs extra-économiques); voir notamment Stabiliser uneéconomieinstable,Ed.LesPetitsMatins/Inst.Veblen,2016.

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d'unmodèledeSolow)et,surtout,qu'elleest incapablederendrecompted'unesituationhors équilibre durable comme la déflation que connaît le Japon depuis 25 ans. Dans le«mondedesDSGE», lesdéviationshorséquilibre sont toujours temporairesetde courtedurée(inférieureà2-3ans).

LesmodèlesdetypeThree-ME,ou«Goodwin-Keen»(ou"Akerlof-Stigitz")sontdesmodèlesréellement dynamiques par construction (généralement en temps continu, etmaintenantcertainsen tempsdiscret) qui décrivent la cinématiqued'uneéconomiehors équilibre. Ilspermettentdecomprendreàquelleconditionuneéconomiepeut finirparconvergerversun état stationnaire (comme dans lemodèle de Solow), à quelles conditions cet état estrobusteauxperturbationsexogènes (commedans lesmodèlesDSGE).Mais ilspermettentaussidecomprendrepourquoicesbonnespropriétéspeuventn'êtrepasvérifiéespartelleéconomieréelle: ilsepeutfortbienqu'aulieudeconvergerversunétatstationnaire,ellecycleinfiniment,ouencorequ'elles'approchedecetétatstationnairedemanièrechaotique(ausens techniquedu terme). Il sepeutaussiqu'iln'yaitpasqu'unseulétat stationnairemaisplusieurs(cequelemodèledeSolowexclutabsolumentetcedontlesmodèlesDSGEontgrandepeineàrendrecompte).

Lamanièrelaplussimpledesereprésenterlasituationestdepenseràunebillequirouleàlasurfacedelalune.Ilyadescollinesetdescratères.Auboutd'unmoment,labillevasestabiliserquelquepart (siellenecyclepas indéfiniment).Siellesestabilisesur lesommetpointud'unecolline,cetéquilibreneserapasstable:lamoindrepichenettelaferatomber.Si elle se stabilise au creux d'un cratère, il est au moins localement stable. L'énergied'activation nécessaire pour l'en déloger est significative et dépend de la géométrie dubassinversant.Et,évidemment,ilpeutyavoirplusieurscratères-certainsintéressantsd'unpointdevuesocial,d'autresnon.Lescratèresetlessommetsdescollines,cessontlesétatsstationnaires de long terme. La bille, c'est l'état de l'économie. Lemodèle de Solow, parexemple, postule qu'il n'y a qu'un seul cratère et aucune colline, et que ce cratère estsocialement désirable. Et, en pratique, les économistes ne l'utilisent qu'en postulant quel'économies'estdéjàstabiliséeaufondducratère.C'est lecas,parexemple,dutravaildeThomas Piketty120. Lesmodèles CGE postulent tantôt que l'économie est depuis toujoursstabiliséeaufondd'uncratèreetyresteradéfinitivement,tantôtqu'ellebonditdecratèreen cratère sans expliquer comment elle transite de l'un à l'autre. Les modèles DSGEpostulent, eux aussi, que l'économie est déjà stabilisée au fond d'un cratère et neconsidèrent que des perturbations qui ne la font jamais sortir de son bassin versant. Lesmodèles du type Goodwin-Keen sont les seuls, à notre connaissance, qui décrivent unmonde avec plusieurs cratères, plusieurs collines, et des billes capables d'effectuer destrajectoireshorsd'uncratère.Cepointdevueéconomie

120 Cf. G. Giraud, Quelle intelligence du capital pour demain ? Une lecture du Capital au xxie siècle de Th. Piketty, Revue française de socio-économie, 2014/1(n°13)

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4 Les difficultés spécifiques des modèles économiquesd’évaluationduchangementclimatique

Outrelespointsprécédentsquimettentenlumièrelesdifférencesentremodèlesphysiquesetmodèles économiques, l’évaluation économique des conséquences du climat pose desdifficultés spécifiques. Les deux premières (le taux d’actualisation et la fonction dedommage)sont liéesauxmodèles IAMcoûts-bénéfices.Ellessont tellesqu’unéconomistecommeRobertS.Pindyck121considèrequ’ils sont inutilesetdangereux,en fournissantdeschiffres largement illusoires. Rappelons que dans ces modèles, l’analyse fait (dite coûts-bénéfices ou coûts-avantages) consiste à peser, pour chaque action, le total des coûtsattendusfaceautotaldesbénéficesescomptés(principalementlaréductiondesdommagesengendrésparlechangementclimatique).Onverraau§4.3lesdifficultésposéesparl’autreapproche,ditecoûts-efficacité,utiliséedanslesmodèlesIAME3«process-basedintegratedassessment models» (cf &2.3) qui consiste à déterminer l’action la moins coûteusepermettantd’atteindre lesobjectifsde réductiondeCO2préalablement fixés, considérantqueladéterminationdecetobjectifn’estpasduressortdelascienceéconomique.

4.1 Laquestiondutauxd’actualisationTous les modèles économiques servant à faire des projections additionnent des fluxfinanciers à venir et utilisent pour ce faire un taux d’actualisation. Une violentecontroverse122a fait suite à la publication du premier rapport Stern en 2006123; NicholasSternutilisait(enl’argumentantsoigneusement)untauxde1,4%paranplutôtbas(WilliamNordhausleprenaitàl’époqueà4,5%)cequiluiaétéreprochéaumotifquecelafavorisaitsadémonstration(visantàmontrerquelecoûtdel’inactionétaitplusélevéquelecoûtdel’action).

L'équation de Ramsey (1912) stipule, au sein d'un cadre d'équilibre inter temporel néo-classiqueque le tauxd'escomptedevrait êtreégal à la sommedu tauxdepréférencepurpour le présent et du produit entre le taux de croissance de l'économie réelle et le tauxd'aversionaurisque.Quandbienmêmeonadopteraitl'équationdeRamsey,ledébatn’estpasprèsd’êtretranchéconcernantlavaleurqu'ilconvientd'attribuerauxtroisparamètresquilacomposent124.La"préférencepourleprésent",unefoisdébarrasséedesesoripeauxpsychologiques relève de grands choix éthiques : la vie d'un humain aujourd'hui a-t-elleintrinsèquement une valeur distincte de celle des prochaines générations ? Beaucoupd'économistesetd'éthiciensadmettentaujourd'huiqueletauxdepréférencepurepourleprésent devrait donc être nul. Les deux autres paramètres relèvent de la théorieéconomique.Doivent-ils être calqués sur les tauxde financementde long termeobservés

121Cf.TheUseandMisuseofModelsforClimatePolicy,R.S.Pindyck,2015,www.nber.org/papers/w21097.122Cf.LeRapportSternsurl’économieduchangementclimatiqueétait-ilunemanipulationgrossièrede laméthodologie économique ?,O.Godard,www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2007-4-page-475.htm123Cf.TheSternReview,op.cit.124Cf.Commentleséconomistesréchauffentlaplanète,op.cit.

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sur les marchés financiers ? Jean-François Mertens et Anna Rubinchik125fournissent debonnesraisons126,àl'intérieurduparadigmenéo-classiqueetutilitariste127,denormaliserletauxd'aversionaurisqueà1.Desortequ'autotal,letauxd’actualisationdevraitêtreégalautauxdecroissancedel’économieréelle.

Quel que soit le raisonnement adopté, le tauxde croissance anticipé joueun rôlemajeurdanslecalculdutauxd'escompte.Enparticulier,cederniernedevraitêtrepositifquesil'ona de bonnes raisons de penser que la vie, demain, sera meilleure qu'aujourd'hui.L'hypothèse de la stagnation séculaire, par exemple, oblige à considérer sérieusement lapossibilitéd'untauxd'escomptenulou,aumoins,décroissantdansletemps128.Allonsplusloin : certains scénarios de décroissance contrainte (ceux deWorld3 ou de Gemmes) ouchoisie invitent à envisager un taux d'escompte négatif. Enfin, la plupart des modèleséconomiquesn'envisagentpasdedéclinaisongéographiquedu tauxd'escomptealorsqueles travaux des climatologues montrent, au contraire, que le dérèglement climatiqueaffecterademanièretrèsdifférenciée lespaysduSudetceuxduNord,et,à l'intérieurdechaquepays,lesdifférentescatégoriessociales.Qu'est-cequiinterditdeconsidéreruntauxd'escomptedifférencié?

Pourtoutescesraisons,nouspensonsquesurlessujetsdelongtermecommeleclimat, ilfaut retenir des taux d’actualisation très proches de zéro et probablement nuls, voirenégatifs pour certains types de population. Quoi qu’il en soit, il est essentiel dans toutesimulationdefaireapparaîtreexplicitementleniveauchoisietlesraisonsdecechoix.

N.B.: Le taux d’actualisation utilisé par le monde financier, pour des calculsmicroéconomiques, doit être égal au «coûtmoyenpondéré du capital» (qui pondère lesdifférentes sources de financement, dettes, fonds propres et quasi-fonds propres enfonction de leur coût). Cette vision microéconomique ne suffit malheureusement pas àtrancherledébatmacroéconomiquecarlecoûtobservéducapitalreflèteengrandepartielesanticipationsdemarchéssurl'évolutionfuturedel'économie,lesquellesnousrenvoientprécisémentauxquestionsprécédentes:aversionaurisque,stagnation,décroissance...

125Intergenerational Equity and the Discount Rate for Cost-Benefit Analysis, J.-F. Mertens et A.Rubinchik,MacroeconomicDynamics,2012.126UneexplicationtrèsclaireenestdonnéeparGillesRotillondanssarecensiondulivresurletauxd’actualisationdeChristianGollier (PricingthePlanet’sFuture:TheEconomicsofDiscounting inanUncertain World, Princeton, 2012.) Cf. http://www.laviedesidees.fr/Peut-on-fixer-le-prix-du-futur-de.html#nb12127L'utilitarismepeutseprévaloird'unelonguetraditionquiremonteaumoinsàJeremyBenthametàJohnStuartMill,etquiserésumeauxyeuxdebeaucoupd'économistesnéo-classiques(demanièreréductionniste)à lamaximisationde lamoyennedubien-êtredes individusconcernés.MertensetDhillon,RelativeUtilitarianism,Econometrica,1999)fournissentuneaxiomatiqueordinaleducritèrenormatifutilitariste.128Cf Thomas Sterner, Discounting in a world of limited growth’, Environmental and ResourceEconomics4,527-534,(1994)etCédricPhilibert,DiscountingthefutureinDiscountinganddiscountratesintheoryandpractice,DavidJPannell,StevenSchilizzi,Cheltenham:EdwardElgar,2006

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4.2 Lesfonctionsdedommage129

De nombreux travaux ont tenté d’estimer des « fonctions de dommage » mais lesincertitudes demeurent très élevées. D’une part, les modèles climatiques comportent denombreusesincertitudesenmatièred’impacts.Onsaitquelaplanètevaseréchauffer,queleniveaude lamervaaugmenter,que lesrégimesdepluievontchanger,quedesrégionscomme le pourtour méditerranéen vont subir plus de canicules. Mais la précision desimpactsauplanphysiquerestefaible(etbiensûrdépendantesdesscénariosexaminés).Enoutremalgré d’énormes progrès dans lamodélisation climatique, la sensibilité climatiquequi caractérise l'évolution de la température de l'atmosphère terrestre en réponse à unforçageradiatifdonné,esttoujourstrèsincertaine.Elleestgénéralementexpriméecommelavariationdetempératureen°Cassociéeàundoublementdelaconcentrationdedioxydede carbone dans l'atmosphère terrestre. Plus précisément les scientifiques parlent deréponseclimatiquetransitoire(TransientClimateResponse,TCR)quiestl’augmentationdelatempératureaumomentoùledoublementdelaconcentrationdeCO2estatteint.Etdesensibilité climatique d’équilibre (Equilibrium Climate Sensitivity, ECS) qui représentel’élévation atteinte lorsque les températures se seront totalement stabilisées, ce quiintervientplustard.LaTCRsesitueraitselonledernierrapportduGIECdanslafourchette1°C à 2,5°C, une incertitude élevée tant les impacts sont différents en fonction de latempérature.

QuantàlamesuredesimpactssurlePIBdelahaussedestempératures,elleestensoitrèsdifficile.Ellereposeengénéralsuruneoudesfonctionsdedommagetrèsdifficilesàvérifier.Lespremierstravauxpubliésconduisentàdeschiffresfaibles:unemultiplicationpardeuxdesconcentrationsdeCO2 induitunepertedePIBde l’ordrede1%pourDICE (Nordhaus1993).Des travaux récents (Dietz et Stern, 2015) reprennent lemodèleDICE etmontrentqu’en relâchant certaines hypothèses discutables concernant la modélisation desdommages,tellesquelaformefonctionnelledelafonctiondommage,lesrésultatschangentsignificativement.Leniveauderéductionoptimaldesémissionsparrapportauscenarioderéférenceseraitainside16%en2015et27%en2055danslaversionstandarddeDICEmaispourrait aller jusqu’à 48% en 2015 puis 100% en 2055 avec le jeu d’hypothèses le pluscontrasté. Le coût social du carbone en 2015 (en dollar 2005) passe lui de $44/tCO2 à$329/tCO2.Une revue récente (janvier 2017) des résultats des différentsmodèles utilisésdanslestravauxdugroupeIIIduGIECconduitàdestrajectoiresdeprixducarbonevariantàcourt terme entre 15 et 360 USD2005/tCO2e en 2030, àmoyen terme entre 45 et 1000USD2005/tCO2een2050etentre140à8300USD2005/tCO2eàhorizon2100.Lesauteursexpliquent les écarts considérables entre ces évaluations130.Afin de mieux fonder lesfonctions de dommage, une littérature émergente tente enfin d’estimer, de manièreéconométrique, l’effet d’une hausse des températures sur les variables économiques enutilisant lesdisparitésrégionalesoutemporelles131.Cetteméthodesembleconduireàdes

129Lesdeuxparagraphesquisuivents’inspirentdetrèsprèsdel’articledeMarie-LaureNauleauparudanslarevueVariances,http://variances.eu/?author=32.Nousl’enremercions.130Cf.C.GuivarchetJ.Rogelj,Carbonpricevariationsin2°Cscenariosexplored,131Pour une revue de littérature cf. Dell et al.,What DoWe Learn from theWeather? The NewClimate–EconomyLiterature,JournalofEconomicLiterature,2014.

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dommagesbeaucoupplusélevésmaisn’estpasexemptedelimites,concernantnotammentlareproductibilitédesrésultats.

Plusfondamentalement,cetravailseheurteàdeuxdifficultésfondamentales.

Les dommages affectent des stocks et des biens publics non marchands qu’on ne peutmonétariser.Ledommageliéàladéforestationexcèdedebeaucouplaperted’activitédelasylviculture. Les tentatives demonétarisation sont contestables. Par exemple donner unevaleurmonétaireauvivant,c’estlaissercroirequ’ilestsubstituable.

Deuxièmement,faceà l’incertitude, ilestessentieldemieuxreprésenter lesconséquencessocialesetéconomiquesd’unscénario«catastrophique»nonimpossible,mêmesicen’estpaslescénario«leplusprobable».Nousneprenonspasl’avionsinoussavonsqu’ila10%de chance de s’écraser, car les conséquences sont pour nous mortelles. Le mêmeraisonnementdoits’appliquerenmatièredeconséquencesduchangementclimatique,carnousn’avonsqu’uneplanèteetlechangementclimatiqueestirréversible.

4.3 Lesdifficultésdel’approchecoûts-efficacitéContrairementauxprécédentsmodèles(IAM-CGE),lesmodèlesutiliséspourcetteapproches’efforcent surtout de représenter de manière explicite les liens entre les activitéséconomiques et les émissions de Gaz à Effet de Serre. Ils contribuent notamment auxtravaux synthétisés dans le chapitre 6 du rapport du GIEC «Assessing TransformationPathways»132.

Lesprincipalesdifficultésdecesmodèlesrésidentdansladésagrégationdel’économieetlareprésentation des substitutions à l’énergie et du progrès technique, désagrégation enfonctions de production sectorielles qui permet de répondre, partiellement, aux critiquespesant sur la fonction de production agrégée133. Le même travail de désagrégation estnécessaire du côté de la consommation.Un exercice récent de comparaisondesmodèlesmacroéconomie-climatfrançaisconduitparFranceStratégieen2015134illustrebienl’impactdes différents choix de modélisation: la réduction des émissions de CO2 obtenue estdifférente d'un modèle à l'autre, résultant davantage d’une plus grande efficacitéénergétique(danslesprocessusdeproductionouenlienavecunemoindreconsommationd’énergiepourlesménages),oud’unerecompositionendogènedumixénergétique.

132ModèleWITCHhttp://www.witchmodel.org/,modèleIMACLIMdéveloppéparleCIRED,etc.133Cf.ci-dessusetl’annexe6.4.8.Lesdifférentstypesdecapitauxphysiquesétantincommensurablesentreeux, l’agrégationauseind’uneuniquefonctiondeproductiondecescapitauxestréaliséeenvaleuret estdonc fonctiondu systèmedesprix, làoùune relationphysiqueentre les facteursdeproduction devrait être indépendante du système des prix. L’usage de fonction de productionagrégée ne renseignerait donc en rien sur les possibilités techniques de substitution entre lesfacteurs de production (cf également Antonin Pottier, A. L’économie dans l’impasse climatique :développementmatériel,théorieimmatérielleetutopieauto-stabilisatrice,EHESS,CIRED,2014).134Cf. Boitier et al., La transition énergétique vue par les modèles macroéconomiques, PDF àtélécharger:http://bit.ly/2qZfsyf

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5 Dubonusagedesmodèles

Lesmodèlesmétéorologiquessontfaitspourrépondreàunedemandesocialeclaireetforte: la fournitured’une informationprévisionnelle,deplusenpluspréciseetàunhorizondeplus en plus long. Cesmodèles permettent d’orienter l’activité des particuliers (tourisme)mais aussi des entreprises (construction, transport) ou des agriculteurs. Ainsi, laconnaissancedelacirculationatmosphériquepermetd’optimiserlestrajectoiresdesavions.La prévision météorologique permet aussi d’anticiper les évènements extrêmes, certes àcourtterme(dufaitdelasensibilitéauxconditionsinitiales,voir§37)

Lesmodèlesclimatiquesvisentàrépondreàd’autresdemandes.

• Lesdemandesdediagnostic relatif auchangementclimatique. L'influencehumainesur le climat est établie (température globale ou régionale, recul de la banquisearctique,montéeduniveaudesmers).Enrevanche,ilresteencorebeaucoupàfairepour identifier lesmécanismes responsables des changementsdynamiquesdans lacirculationatmosphériqueàgrandeéchelleou lescourantsmarins,de lavariabilitérégionaleetdel'occurrencedesévénementsextrêmes.

• Les demandes d’évaluation des conséquences du changement climatique, enfonction de scénarios d’émissions de GES, mais aussi d'émission d'aérosols et dechangementd'usagedesterres(lesquelspeuventavoirdesconséquencesrégionalesmajeures), avec une exigence accrue de finesse de la maille géographique ettemporelle(dutype:queseraleclimatdelarégiondeBarceloneen2040dansunscénarioconduisantàunetempératuremoyennedelaTerreaugmentéede3°C?);

• Les demandes concernant les effets des politiques d’atténuation et d'adaptationenvisagées:sont-ellessuffisantesparrapportauxobjectifsvisés?

Lesmodèleséconomiquesnepeuventenaucuncasprétendreproduireuneprévisionsurunhorizonunpeulong.Commeonl’avu,desdécisionspolitiquesmajeuresoudesévénementsgéopolitiquespeuventmodifierradicalementlesconditionsdelavieéconomiqued’unpays.Or ilestcrucialaujourd’huideprendre lesmoinsmauvaisesdécisionspossibleparrapportau défi colossal que représente le changement climatique. Cela concerne notamment lesinvestissements à réaliser—qui nous engagent sur longue période— et la tarification ducarbone—quiorientecesinvestissements—maisaussidesdécisionsdelavieéconomiquecourante.Onnepeutsepasserd’outilsdemodélisation,quipeuventservirà:

• bâtirdesscénarioscohérents;

• éclairerdesdécisionspolitiques;

• révélerdesimpassesoudescontradictionsdansunepolitiqueéconomique;

• alerterledécideursurunproblèmerestéinaperçu.

A l’instar des modèles climatiques, les modèles économiques peuvent notamment êtreutiliséspourfairedes«projectionsconditionnelles».Sitelleoutellepolitiqueestmiseenœuvre,ettouteschoseségalesparailleurs,quepeut-ilsepasser(enordredegrandeurpourdesvariablesmacroéconomiques,sociologiquesouphysiquesclefs)?

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Les recommandations qui se dégagent de l’analyse précédente nous semblent être lessuivantes.

1. Mettre à disposition en accès libre les modèles et toute leur documentation, àcommencer par lesmodèles utilisés dans l’administration et les institutions nationales etinternationales(FMI,OCDE,BanqueMondiale,Banquescentrales,MinistèresdesFinances,FSB),enqualifiantlesmodèlesenfonctiondescritèresexplicitésauxpoints2et3ci-après.

2.Conformémentàlarecommandation3durapportCanfin-Grandjean135,intégrerleclimatdans lesmodèlesmacro-économiques,de façonàassurerunemeilleurecohérenceentrel’analyse et la prévision de court terme et l’objectif de décarbonation de long terme. Lesrésultats de modèle ou les prévisions (par exemple dans les analyses des marchés del’énergie) incompatibles avec le respect de l’impératif des 2 degrés, adopté à la COP21doiventêtresignalés.

3. Les «gros» modèles visant à éclairer les enjeux de bouclage macroéconomiques –notammentceuxdesinstitutionsinternationales—doivent:

-êtrecohérentsentermesdestocksetdeflux(stock-flowconsistent);

-êtrecompatiblesaveclesloisdelaphysiqueetnotammentlesdeuxpremièresloisdelathermodynamique;

-fournirdesrésultatsenquantitésexplicites(quecesoitsurlaconsommationd’énergie,de ressources non renouvelables, de ressources renouvelables, sur les quantités dedéchetsémises,dontlesGES,surl’emploi,lesdettesprivéesetpubliques,etc.);

-expliciter les circuitsmonétaires de l’économie considérée, et nepas postulerex anteque la monnaie est neutre à court ou long terme; lorsque le secteur bancaire estformalisé,sonpouvoirdecréationmonétaireendogènedoitêtreexplicité;

-pouvoir rendre compte des “paradoxes” contemporains qui caractérisent la macro-économie mondiale depuis presque dix ans : le multiplicateur monétaire (qui relie laquantité de monnaie banque centrale circulant sur le marché interbancaire et M1, laquantité de monnaie élémentaire circulant dans l’économie réelle) n’est pasnécessairement supérieur ou égal à 1 ; la quantité demonnaie (M1) en circulation etl’inflationnesontpasnécessairementcorrélés;ladettepubliqued’unpaysetsonspreadsurlesmarchésinternationauxdeladettenesontpasnécessairementcorrélés;

-subir des tests rétro-actifs de validité (back-testings) et les fournir explicitement à lacritique;laconfrontationdesdonnéesdesortiesdesmodèlesauxdonnéesobservablesestlepremiercritèredevaliditéd’unteltypedemodèle;

-leurs concepteurs doivent limiter aumaximum le recours à des variables cachées nonobservables (comme les fonctions d’utilité). Et ils doivent être aussi peu sensibles quepossibleàlacalibrationdeleursparamètres.

-êtresoumisàdestestsdesensibilitéàlacalibrationdeleursparamètres.

135 Cf.alaingrandjean.fr/2015/06/18/rapport-canfin-grandjean-disponible/

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4. Le résultat d’unmodèlemacroéconomique seul, sans contexte, ne peut et ne doit pasfournirun«argumentd’autorité».Nousdevonsabandonner l’idéequeseuls lesmodèlesacceptésparlesrevuesd’économielesplusréputéessontpertinentspourlaproblématiqueclimatique.Eneffet,àcejour,ilestpresqueimpossibledepublierdansletop10desrevuesacadémiques comité de lecture d’autresmodèles que desmodèles d’équilibre, dont nousavonsvupourtantleslimites(ilsneseprêtentpasautestdelastock-flowconsistency,sontincompatiblesaveclathermodynamique,négligentleplussouventlerôledelamonnaie,afortiori celui du secteur bancaire, sont très rarement soumis aumoindre test empirique).Ceci n’autorise pas à éviter la nécessaire revuepar les pairsmais conduit à refuser l’idéequ’un résultat issu d’une revue réputée est en soimeilleur qu’un autre issu d’une revuemoins réputée ! Compte tenu de la faible pertinence des travaux publiés dans les «meilleures » revues depuis plusieurs décennies, il est vraisemblable, en effet, que nousassistions dans les années à venir à une réorganisation profonde de la hiérarchie de cesrevues àmesure que la société civile augmentera son exigence de recevabilité auprès dumondeacadémique.

5. Face à une demande forte, comme celle de l’évaluation des tarifications du carbonecompatibles avec une trajectoire 2 degrés, il faut comparer les résultats fournis par desmodèles différents, en ne retenant que ceux qui ont passé avec succès les tests du pointprécédentetenexigeantdesmodélisateursqu’ilsexplicitent : lastructuredumodèle; lesscénarios climatiques qu’il utilise; la manière dont il a été estimé/calibréet testé; lesdonnéesd’entrée.

6. Il est souhaitable de continuer à travailler et à tester des briques de raisonnementéconomique de base par l’intermédiaire de « petits modèles » (toy models) non testésglobalement mais qui peuvent éclairer un mécanisme central d’un gros modèle. Enrevanche,un«petitmodèle»nesauraitsuffireàétayerunargument.Laconfrontationaveclesdonnéesempiriquesvial’estimationetlacalibrationdumodèleestindispensable.

7. Il est illusoire au stade où en est la science économique de prétendre construire unmodèle qui prétendrait rendre compte de tous les phénomènes à lui seul. C’est en outreprobablementcontre-productif :tropgros,unmodèledevientuneboitenoire inaccessibleetnonopposableàdesrevuescritiquespardestiers,etoùl’expériencemontrequ’ilpeutêtre manipulé par des variables ancillaires connu des seuls ingénieurs en charge de lamaintenanceduditmodèle.

Ilestpréférabledeconstruireuneouplusieursarchitecturesdemodélisationquipermettentdecréerdespontsetdesinterfacesentremodèles.Enparticulierilseraitutilededisposeren France d’une plate-forme permettant cettemise en relation demodèles aux objectifsdifférentsmaissusceptiblesdedialoguer.

8. Il faut favoriser la formation (y compris la formation continue) sur les difficultésthéoriques / pratiques / déontologiques de la modélisation en macroéconomie, tellesqu’évoquéestrèsrapidementici.

9Letravailderechercheenmodélisationdoitêtredéveloppéenvued’affronterleslimitesbien identifiées des modèles actuels, y compris en ayant recours à des innovations derupture, comme celles proposées notamment par le modèle GEMMES. Des moyensfinanciers et humains doivent être mis à disposition pour que ces travaux avancentrapidement.

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6 Annexes6.1 Enquoiconsistentlesmodèlesclimatiques?

Lesmodèlesnumériquesconstituent l’outiluniqued’estimationdesévolutionsclimatiquesfutures.Leurrôleetleurnaturesontcependantsouventmalcompris.

Lesmodèlesnumériquesduclimatutilisent les loisde laphysique,de lamécanique,de lachimieoudelabiologiepourreproduiredemanièreinformatiquelesprocessusprincipauxdu système climatique, c’est-à-dire du système complexe composé par les fluidesatmosphériques et océaniques, les glaciers ou la biosphère continentale et marine. Cesdifférentsmilieuxéchangentcontinuellementde lamatière,de l’énergieoude laquantitédemouvementautraversdeprocessusquimettentaussienjeulescomposanteschimiquesoubiochimiquesde l’atmosphèreetdesocéans.Leséchangesd’énergiese fontbeaucouppar rayonnement (solaire et infrarouge). Matière et rayonnement interagissent enpermanenceet demanière trèsnon linéaire136. Lesmodèles climatiques constituentdoncunesortedemaquette informatiqueaniméede laplanèteTerre.L’idéesouventrépanduequelesmodèlesdeclimatsontdesoutilsstatistiquesextrapolantlesdonnéesdupasséverslefuturestdoncfausse:lesmodèless’appuientsurdesloisphysiques,etpassurl’histoirerécenteduclimat.

Les modèles prennent en compte deux grandes catégories de processus : les échangesd’énergie, en particulier sous forme de rayonnement électromagnétique, entre la terre,l’océan, l’atmosphère et l’espace ; et la dynamique des écoulements atmosphérique etocéanique.Leséquationscorrespondantessontdiscrétiséessur lesnœudsdumaillagequicouvre l’ensemble du globe, c’est-à-dire qu’elles sont résolues sur chacun desmilliers depointsdumaillage(Figure1).

La composante atmosphérique, par exemple, calcule sur une maille d’une centaine dekilomètresl’évolutiondeparamètrescommelevent,latempérature,l’humidité,lesnuages,lesprécipitations,l’eaudusol—pourneciterquelesvariablesprincipales.Lacomposanteocéanique opère des calculs semblables sur une grille souvent plus fine. Le choix de cesgrillesderésolutiondépendenpremierlieudelacapacitédecalcul,etdoncdelapuissancedesordinateursutilisés,quiconstituentainsilepremierfacteurdeprogrèsdansledomainede lamodélisationnumérique.Mêmesi lesmodèles reposent surdesprincipesphysiqueséprouvésdepuisplusieursdécennies, lamultiplicationde lapuissancedesordinateursparunfacteurconsidérable(del’ordredumillionen15ou20ans)apermisunprogrèscontinudans leur qualité et leur complexité et une ouverture considérable de leurs domainesd’application.La finessedumaillagedépendaussiduproblèmeétudié.Pouruneprévisionmétéorologique à 10 jours, onpeut aujourd’hui avoir une grille avecunpoint tous les 20kilomètres.Pourétudierl’évolutionduclimatliéeauxactivitéshumaines,ilfautsimuler300ansd’histoireduclimat,etlespointssontespacésde200à500kilomètrespourquecalculsoitpossiblesurlesordinateursactuels.

136 Un bon exemple est l’interaction entre l’eau atmosphérique et le rayonnement solaire:L’atmosphèregazeuseestpratiquementtransparenteaurayonnementsolaire.Mais ilsuffitqu’unepetitepartiedel’eauvapeursecondenseenunnuagepourqu’unefractionimportantedecemêmerayonnementsolairesoitrenvoyédansl’espaceetneparticipepasauchauffagedelaTerre.

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Découpagedel’atmosphèreengrille

Crédits:IPSL/LMD,LaurentFairhead.

Crédits:OlivierMarti-LaboratoiredesSciencesduClimatetl'Environnement(LSCE)

HervéLeTreut-LaboratoiredesSciencesduClimatetl'Environnement(LSCE)

6.2 Quelles sont les méthodes d'évaluation et de validation desmodèlesclimatiques?137

Les exigences sur la qualité des simulations climatiques ne cessent de croître. Denombreuses observations, tests théoriques et simulations rétrospectives permettent devérifier si les grandes caractéristiques climatiques, ainsi que lesmécanismes et processusmisenjeu,sontbienreprésentés.

L’évaluation de la capacité des modèles à représenter les différentes caractéristiques duclimatactueloupassé consisteà confronter les résultatsd’une simulationauxdifférentesobservations ou reconstructions disponibles. Les méthodes utilisées vont de simplescomparaisons de cartes de moyenne et de variabilité (température, pluies…) à des

137CfQuellessont lesméthodesd'évaluationetdevalidationdesmodèlesclimatiques?àconsultersurlesiteclimat-en-questions.fr(http://bit.ly/2q5YIGw)

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estimationsplussophistiquéesdel’accordmodèles-données,faisantappelàdesméthodesstatistiques complexes. Ces méthodes plus avancées permettent de donner une mesureobjective,entenantcomptenotammentdesincertitudesàlafoissurlesobservationsetsurlessimulations,enparticuliercellesliéesàunéchantillonnagetemporellimité.

Comparaisonmodèles-donnéespourlesprécipitations-Source:A.Voldoire

Précipitations moyennes annuelles observées (à droite) et simulées par l’ensemble desmodèlesCMIP5(àgauche)surlapériode1979-1999.

Chaquecomposanted’unmodèledeclimat(océan,atmosphère,banquise,végétation…)estd’abord validée séparément avant d’être intégrée au système complet. Cette premièreétape permet de juger des performances intrinsèques de chaque élément. Le système

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complet,oucouplé,estensuiteévaluésurdiversaspects:représentationduclimatmoyen(répartition des nuages, principaux vents, température…), capacité à reproduire lescaractéristiquessaisonnièresduclimatdanschaquerégion(aptitudeàsimulerlesmoussonstropicales,l’englacementdel’Arctiqueenhiver…),maisaussicapacitéàsimulerlavariabilitéinterannuelle à décennale observée dans l’océan, l’atmosphère. Pour illustration, lesmodèles actuels sont ainsi capables de simuler et même de prévoir, jusqu’à 6 mois àl’avance,l’émergencedetempératuresdesurfacedelameranormalementchaudesdanslePacifique,phénomèneconnuetobservésouslenomd’ElNiño.Enrevanche,lesmodèlesdeclimatontengénéralbeaucoupdedifficultéàreprésenterdefaçonsatisfaisantelesnuagesdansl’atmosphère,etenparticulierlesnuagesbasquiontuneextensionverticalefaible.Or,ilestbienétablimaintenantquelesincertitudessurl’évolutionduclimatauXXIesièclesontprincipalement liées à la représentationmêmedesprocessusnuageuxet que l’effort doitêtre porté, entre autres, sur ce sujet. La communauté française a beaucoup œuvré cesdernières années pour améliorer la représentation des nuages. Par ailleurs, de nouvellestechniquesdevalidationutilisantlesdonnéessatellites,essentiellesauxétudesclimatiques,commencent à être utilisées afin d’échantillonner les caractéristiques des nuages simulésdansunmodèledemanièrecorrecte.

Les capacités des modèles à représenter les tendances récentes du climat observé(réchauffementglobalauXXesièclede0.74°C,hausseduniveaudesmersde17cm) fontaussi partie des critères de validation. Les simulations paléo-climatiques sont égalementappelées à la rescousse pour vérifier que l’on peut avoir confiance dans la capacité desmodèles à reproduire les changements de climat importants déduits des enregistrementsclimatiques(carottesdeglace,sédimentaire…)etrésultantdeforçagesexternesconnus.

Les modèles français (IPSL138et CNRM139-Cerfacs140) qui ont participé au dernier exerciceinternationaldecomparaisondesimulationsdeclimatactuels,passésetfuturs(CMIP5)ontété évalués intensivement par les équipes françaises pendant environ 2 années. Cesmodèlesontensuiteétéexaminésdefaçonindépendantepardeséquipesdumondeentierqui analysent l’ensemble des simulations CMIP141disponibles. Chacune de ces études sefocalisesurunaspectparticulierdusystèmeclimatiqueetpermetdebrosseruneévaluationobjectiveetmultifacettedesmodèles.

http://www.insu.cnrs.fr/files/plaquette_missterre.pdf : climat : modéliser pour agir etanticiper

138Institut Pierre-Simon Laplace (CNRS /UPMC /UPEC / Ecole Polytechnique/ CNES / IRD / ENS /UniversitéParisDiderot/UVSQ/CEA)139Centrenationalderecherchesmétéorologiques(MétéoFrance/CNRS)140Centreeuropéenderechercheetdeformationavancéeencalculscientifique(CNRS/CERFACS/TotalSA/Safran/EDF/EADSFranceSAS/CNES/Météo-France/ONERA)141CMIP5 : Coupled Model Intercomparison Project, Phase 5 : projet international proposant unprotocolecommunpourréaliserdessimulationsclimatiquesetmettreàdispositionlesrésultats

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6.3 Comparaison prévision du PIB /réalisation sur 2001-2015 selondonnéesduFipeco

Année Vert(Obs) Bleu(Prev) Persistance Prev-ObsPersistance-Obs

2001 4 4,7

2002 3,2 4,2 4 1 0,8

2003 2,7 3,9 3,2 1,2 0,5

2004 4,4 3,4 2,7 -1 -1,7

2005 3,6 4,3 4,4 0,7 0,8

2006 4,6 3,9 3,6 -0,7 -1

2007 5 4,3 4,6 -0,7 -0,4

2008 2,6 4 5 1,4 2,4

2009 -2,8 3,1 2,6 5,9 5,4

2010 3 1,9 -2,8 -1,1 -5,8

2011 3 3,6 3 0,6 0

2012 1,3 3,6 3 2,3 1,7

2013 1,4 2,6 1,3 1,2 -0,1

2014 1,2 2,3 1,4 1,1 0,2

2015 1,9 1,9 1,2 0 -0,7

Source:http://www.fipeco.fr/pdf/0.48968300%201464608610.pdf

Calculs:François-MarieBréon

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6.4 Quelquescontroversesenmacroéconomie

Larecherchede«vérités»enmatièremacroéconomiquen’estpasnouvelle,maiselleestmanifestementdifficile.Et,assezcurieusementpourunespritscientifique,l’éliminationdeserreurs tout autant. Nous allons illustrer ce point par quelques-unes des controverses enmacroéconomie,sansvolontéd’exhaustivité,bienévidemment.

6.4.1 Lesécolesdepenséeréférentesenmatièredemodélisationmacroéconomique

Lesmodèlesmacroéconomiquesseréfèrentimplicitementouexplicitementàdesécolesdepensée.Celles-cisontnombreusesmaisnousnouslimiteronsiciaux4principalesenmatièredemodélisation. Nous suivons ici l’économiste Steve Keen dans cette typologie142. Notreprésentationserabiensûrtrèssimplifiée.

LesNouveauxclassiques

Pour les économistes classiques puis de la nouvelle économie classique (Robert Lucas,Robert Baro, Thomas Sargent, Neil Wallace), l’économie est en équilibre ou y revient«naturellement» après un choc exogène. Leur représentation de l’économie est«walrasienne».L’offreestégaleàlademande(touslesrevenussontsoitconsommés,soitinvestis).L’ajustemententrel’offreetlademandesefaitparuneparfaiteflexibilitédesprix.Lesagentséconomiquessontsupposés«rationnels»,parfaitementinformésetoptimisentune fonctiond’utilité143.Dans laversion laplusélaborée, lesagentssontsupposés formerdesanticipationsrationnelles(voirannexe6.4.7).Iln’yapasdeproblèmededébouchés:onproduit aumaximum avec tous les facteurs de production disponibles (équilibre de pleinemploi).Ducoupilyauneffetd’évictionentreladépensepubliqueetladépenseprivéequirendl’interventiondel’Etat inutilevoirnéfaste.Cettevision“walrasienne”s’enracinedansla “révolution” dite néo-classique des économistes marginalistes des années 1870 aveclaquelle elle partage unemême réduction de l’économie au comportement optimisateurd’agents individuels, unemême confiance dans l’aptitude de prix parfaitement flexibles àégaliseroffreetdemandeet,cefaisant,àallouerefficacementlesressourcesetlecapitaletunmêmeattachementàladescriptiond’unmondeéconomiqueexclusivementàl’équilibre.

Danscettevision lamonnaieestneutre144. L’économieest financéegrâceà l’épargne,quiestentièrementmobilisée.Lavariationdestauxd’intérêtassurel’équilibreentrel’épargneet l’investissement.Globalement lesmodèlesd’équilibregénéralcalculables«walrasiens»sont issusdecetteécole,mêmes’ilestpossibled’utiliser l’architecturedesDGSEenétantpost-keynésiens!

La“synthèsekeynésienne”

Suite à la crise de 1929, qui a montré que l’économie ne revenait pas spontanément àl’équilibre.L’interventiondel’Etatetplusgénéralementcelledelapuissancepubliquesont

142L’impostureéconomique,op.cit.:ChapX,Pourquoiilsn’ontpasvuvenirlacrise,p241-306.143Cf.annexe6.4.6144Jean-BaptisteSAY,dès1760,faisaitdelaneutralitédelamonnaieLAconditiondelavéracitédelaloiselonlaquellel’offrecréesapropredemande,connuesouslenomdeloidesdébouchésquifutremiseencauseparKeynes.Ducoupdanslesmodèlesnéoclassiquesiln’yapasd’empruntbancairenidecréationmonétaire.Voirannexe6.4.3

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alors apparues comme indispensables, et pas seulementpour fixer les règlesdu jeude laconcurrence.JohnMaynardKeynesathéoriséunenouvellevisiondel’économie,quin’étaitcependant pas complètement aboutie. Une synthèse de la vision keynésienne et del’économiemarginalistenéo-classiquefutinitiéeparJohnR.Hicks145dès1937etdéveloppéepar P.A. Samuelson après guerre. Cette synthèse reposait essentiellement sur le modèlemacro-économiqueIS-LM(Investment,Saving,Liquidity,Money).

Apartirdesannées1960,cependant,RobertLucasetcertainsdesesépigonesontconsidéréque lemodèle IS-LMn’était pas réductible à l’étude de comportements individuels (alorsque Hicks, en 1981, affirmera le contraire). Dès lors, ils estimèrent le modèle IS-LMdiscrédité, et entreprirent de refonder l’économie sur des hypothèses entièrement néo-classiques portant sur le comportement optimisateur des individus (cf. Les Nouveauxclassiques).Surtout, lagrandedifférenceentre la”synthèsekeynésienne”etcesNouveauxClassiquesestque l’interventionde l’Etatdevient inutile,voirenocive,dans laperspectivedes Nouveaux Classiques alors qu’elle était considérée, dans la synthèse keynésiennecommepouvantcontribueràalimenterlademandeagrégéeenpériodederécession.

Aujourd’hui,iln’existequasimentplusd’équipedechercheursenéconomieseréclamantdelasynthèsekeynésienne.Laplupartontoptésoitpourl’écolenéo-keynésiennesoitpourlespost-keynésiens.

Lesnéo-keynésiens

Onappellenéokeynésiens,lessuccesseursdeKeynessereconnaissantnonseulementdansla“synthèsekeynésienne”maisencoretentantdelarendrecompatibleaveclesdesiderataformulés par Lucas, entre autres, en termes de fondements micro-économiques deséquationsmacro-économiques.Danscettesynthèse,lesprixsontformésparl'égalitéoffre-demandemaisavecdesviscositésdeprix,contrairementàlavisionclassique«pure»,doncavecdes«imperfections»demarché.Danscetteoptique,lesimperfectionsdemarchésnepermettentpasàcesderniersd’allouerimmédiatementdemanièreefficacelesressourcesetlecapital,cequilaisseuneplaceàl’interventionpubliquepourpallierdesdéfaillancesdemarchés.Maiscetteplaceestlimitéeàcesseulesdéfaillanceset,pardéfinition,temporaire.OlivierBlanchardouPaulKrugmanfontpartiedeséconomistescontemporainsquiadhèrentàceprogrammeanalytique.Pourcesauteurs,lamonnaien’estpasneutreàcourtterme(àcausedelaviscositédesprix)maisellel’esttoujoursàlongterme.Enrevanche,laplupartd’entre eux, à de très rares exceptions près, considèrent que la monnaie est émise demanièreexogèneparlaBanqueCentrale,alorsquenoussavonsqu’elleendogène146.

Lespost-keynésiens

Représentés initialement par des auteurs commeMichal Kalecki, Joan Robinson, NicholasKaldor,etPieroSraffa,essentiellementlesacteursdeCambridgeUK147danslaquerellesurlecapital,lespost-keynésiensconsidèrentquel'ajustementdel’offreetdelademandenesefait pas par les prix mais par les quantités (avec des règles de rationnement).Dans les

145JohnHicks,Mr.Keynesandthe ‘Classics’:ASuggested Interpretation,Econometrica,vol.5,1937,p.147-159.146Cf.annexe6.4.3147Cf.annexe6.4.8

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modèles d’inspiration post-keynésienne, les prix ne sont pas aussi flexibles que dans lesmodèlesnéo-keynésiens.

Parailleurs,pourlespost-keynésiens,lamonnaien’estneutreniàcourt,niàlongterme,etla plupart d’entre eux considèrent qu’elle est endogène, point sur lequel Keynes ne s’estjamaisprononcé.C’estdans ce courantque s’inscriventdes auteurs comme Josef Steindl,HymanMinskyouSteveKeen.

6.4.2 Retoursurlesfaitsstylisésdelacroissance

NicholasKaldor,afindedésigner certains faits "typiques"de l'économie,quipeuventêtresignificatifssanspouvoirêtrechiffrésrigoureusement,emploieen1957l'expressionde"faitsstylisés". Ces derniers portent sur des grandeurs macro-économiques (des agrégats). llrepère6faitsstylisés:

1)laproductivitédestravailleursaugmentedefaçoncontinue

2)lecapitalpartêteaugmentedefaçoncontinue

3)larentabilitéducapitaleststableaucoursdutemps

4)leratioentrelecapitaletlaproductioneststableaucoursdutemps

5)letravailetlecapitalreçoiventchacununepartdurevenutotalquieststableaucoursdutemps

6)ilexisted'importantesdifférencesdetauxdecroissancedelaproductivitéetdurevenuparhabitantentrepays.

Il pourrait sembler aisé de savoir si ces faits en sont. Le débat en cours sur la stagnationséculaire148(relatif à la question du ralentissement de la croissance de la productivité)montre que ce n’est pas le cas du premier. Le 6 estmanifestement vrai. Les 2, 3, 4 et 5posentunvraiproblème,celuide ladéfinitionetde lamesureducapital, sur lequelnousreviendronsàl’annexe6.4.9.

En1989,PaulRomerreprendcesfaitsstylisés,etenajoute5nouveaux:

1)letauxdecroissancemoyenn'estpasfonctiondurevenupartête

2)lacroissancedelapopulationestcorréléenégativementavecleniveauderevenupartête

3) la croissance du commerce international est positivement corrélée à celle de laproduction

4)lacroissanceducapitaln'estpassuffisantepourexpliquerlahaussedelaproduction

5)lestravailleursqualifiésounontendentàmigrerversleséconomieslesplusriches(làoùladotationenprogrèstechniqueetlarémunérationdutravailsontlesplusfortes)

148SelonletermeAlvinHansen(en1939)reprisavecbeaucoupdesuccèsdansIMFEconomicForum:PolicyResponsestoCrises,LarrySummer, IMFFourteenthAnnualResearchConferenceinHonorofStanleyFischer,Washington,2013.

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Lefait2eststatistiquementfauxdanssagénéralité149.Lesfaits3et5sediscutentbeaucoupencemoment,le4posedesproblèmesdéjàsignalés.

Plus récemment, Charles Jones a récemment cherché (en 2015) à identifier tous les faitsempiriques susceptibles d’ éclairer pourquoi les populations des pays les plus riches sontplusrichesqu’ilyaunsiècleetpourquoicertainspayssontplusrichesqued’autres150.

Concernant la question de la relation entre énergie et PIB, David Stern et al. identifientquelquesfaitsstylisés151.Voicilerésumédeleurpapier:

“Wesummarizewhatweknowaboutenergyandeconomicgrowthinasetofstylizedfacts.Wecombineanalysisofapaneldatasetof99countriesfrom1971to2010withreviewofsomelongerrundata.Ourkeyresult isthatoverthelast40yearstherehasbeenastablecross-sectionalrelationshipbetweenenergyusepercapitaandincomewithanelasticitylessthanunityofenergywithrespecttoincome.Thisimpliesthatenergyintensityhastendedtodecreaseincountriesthathavebecomericherbutnotinothers.Overthelasttwocenturiestherehasbeenconvergenceinenergyintensitytowardsthecurrentdistribution.Inthelongrun, per capita energy use tends to rise an though evidence is limited, the cost share ofenergydeclines.”

6.4.3 Créationmonétaireetneutralitédelamonnaie.

Laquestiondelacréationmonétaireafaitcoulerbeaucoupd’encrechezleséconomistes.Ya-t-ilvraimentcréationmonétaire?Siouiquienestàl’origineetparquelprocessus?Faut-ilinterdireàl’Etatlacréationdemonnaieetconfieràunebanquecentralelemonopoledelacréation de monnaie «centrale» et des billets de banque? Par ailleurs, le rôle de lamonnaieestaussitrèsdébattu.Est-ellecommeleprétendentlesclassiquesun«simplevoilesur leséchanges»selon lacélèbre formuledeJ.B.Say?N’a-t-elled’effetsquesur lesprixrelatifs(ducouptropdemonnaieauraitpourconséquencesunehaussedesprix)etaucuneffetd’entraînementsurl’économie?

Comme on l’a vu dans l’annexe 6.4.1 ces questions sont centrales pour distinguer lesdiverses«écolesd’économistes».Cesquelqueslignesnevontpasreprendrel’ensembledesargumentsdudébat, cequinécessiteraitun livreentier.Nousnous limiteronsàquelquesremarquesessentielles.

Lacréationdelamonnaieditescripturale(quis’inscritsurlecomptebancairedesménageset des entreprises) est faite par les banques secondaires (notamment mais pasexclusivement à l’occasion des prêts qu’elles concèdent). Elle est donc endogène puisquedépendantdelaproductiondeprêtsquidépenddel’activitééconomique.Ceprocessusest

149Cf. par exemple Croissance démographique et développement économique dans les pays peudéveloppés de 1960à 1972www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1975_num_30_6_15883pour uneétudesurlapériode1960-1972.150 Cf. Les faits de la croissance économique, www.blog-illusio.com/2015/12/les-faits-de-la-croissance-economique.html151Cf.EnergyandEconomicGrowth:TheStylizedFacts,op.cit.(PDF-http://bit.ly/2q2uhlY)

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trèsbiencompris,expliquépar lesbanquescentralesetdétaillépar lemenuparexempledanslestravauxdeséconomistesdelaBanqueCentraled’Angleterre152.

Les banques centrales dans les pays de l’OCDE et l’immensemajorité des pays créent lamonnaie «centrale» (celle qui circule dans les échanges inter-bancaires) et les billets quisontdiffusésparlesbanquesdesecondrang.CertainspaysougroupesdepayscommelespaysdelazoneEuroontchoisi,enl’occurrencepartraité,d’interdirelacréationdemonnaiepar l’Etat et le prêt direct de la Banque Centrale à l’Etat. Ce choix repose sur des choixdoctrinaux que nous qualifierons de conformes à la pensée classique, mais ne sont pasfondésscientifiquement.

Ilestpossiblededistinguer153monnaied’endettement(crééeencontrepartied’unedette)etmonnaielibre(sanscettecontrepartie)etilaétédémontréqu’unepartiesignificativedeladettetotale(privée+publique)estliéeàcettemonnaied’endettementqu’ilestpossibledesubstituerprogressivementpardelamonnaielibre,désendettantainsi l’économied’unimmensefardeaudéflationniste.

Quant à la neutralité de la monnaie, chère à J.B. Say, elle est infirmée par les faits. Al’évidence des excès de création monétaire peuvent soit être à l’origine de processusinflationnistes,soitlesentretenirvoirecontribueràlesamplifier.C’estparticulièrementclairdans le domainede l’immobilier, et c’est cequemontrebien LordAdair Turnerdans sondernier livre. L’insuffisance demonnaie en circulation peu, à l’inverse, être à l’origine ouentretenir des processus déflationnistes, du fait de la destruction monétaire qui se faitquand lesagentsveulentsedésendetter.Enfin,créerde lamonnaiequand lesmoyensdeproductionsontloindelasaturationpeutavoiruneffetd’entraînementdel’économie,toutsimplement par le pouvoir d’achat généré qui stimule l’offre, qui, ne butant pas sur descontraintesdecapacitépeutsedévelopper.

6.4.4 Multiplicateurdedépensespubliquesetéquivalencericardienne

Au cœur du débat politique sur les dépenses publiques la question de leur impact sur lacroissance est cruciale. Depuis Keynes, les économistes considéraient que la dépensepubliqueétaitfavorableàlacroissanceavecuneffetmultiplicateurchiffrable.L’économisteRobert J. Barro a remis en cause cette idée en introduisant la notion d’équivalencericardienne.

Dequois’agit-il?154

Lathéorieselonlaquelleilyaéquivalenceentredettepubliqueetimpôtaétédéveloppéepar l’économisteaméricainRobertJ.Barrodansunarticle intitulé«Aregovernmentbondsnet wealth?» et publié en 1974. L’idée en serait que financer une dépense publiqueaujourd’huiparempruntseraitéquivalentpourlesménagesàleverunimpôt,caranticipantl’impôt futur ils vont épargner aujourd’hui les sommes nécessaires pour payer l’impôtdemain.L’empruntexerceraitdoncuneévictionsurl’investissementprivécommel’impôt.

152Cf.A.RadiaetR.Thomas,Moneycreationinthemoderneconomy,M.McLeay,,Bank’sMonetaryAnalysisDirectorate,(PDFàtéléchargersurlesitedelaBankofEnglandhttp://bit.ly/1l2Bz1h)153Cf.https://alaingrandjean.fr/2016/12/20/monnaie-libre-desendettement/154Cf.https://www.fipeco.fr/pdf/0.65496900%201460121223.pdf

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L’intuition de cette théorie est attribuée à l’économiste anglais du 19ème siècle DavidRicardo, d’où sa désignation par l’expression «équivalence ricardienne». Si cetteéquivalence était en pratique vérifiée, il n’y aurait aucun effet à attendre d’uneaugmentation du déficit public sur l’activité économique, mais elle repose sur deshypothèses peu réalistes et n’est pas validée de manière convaincante par les étudesempiriques.

BercydisposededeuxmodèlesMésangeetMédéequi se distinguent sur cettequestion.Voicicequ’enditJean-PierreLaffarguedansunpapierd’analyse155.

«Lecomportementdeconsommationdesménages,principaledifférenceentrecesmodèles,repose dans Mésange, modèle macro-économétrique keynésien, sur une fonctiond’inspiration keynésienne : la consommation y est très sensible au revenu courant desménages. Dans Egée, modèle dynamique d’équilibre général, une majorité de ménages,qualifiésdericardiens,optimisentleursdécisionsintertemporellement: leurconsommation,très sensibleà leursanticipationsde l’évolution futurede l’économie,dépenddoncpeudeleur revenu courant. Si tous les ménages étaient ricardiens, Egée n’aurait pas demultiplicateurkeynésien.»

Laquestionestcentraleets’estinvitéedansledébatpublicquandOlivierBlanchard(alorséconomisteenchefduFMI)areconnu156,enpleinecrisegrecque,quelesmodèlesduFMIsous-estimaient fortement le multiplicateur budgétaire. « En octobre 2012, en effet, àl'occasiondesonassembléeannuelleàTokyo, leFondsavaitpubliédansson"Rapportsurlesperspectivesdecroissancemondiale"unencadrédanslequelilaffirmaitquelapuissancedes multiplicateurs utilisés pour apprécier l'impact des mesures budgétaires sur lacroissanceavaitétésous-estimée.Lemultiplicateurnesemblaitpasêtrede0,5commeonlecroyaitavantlacrisede2008-2009,maisêtrecomprisentre0,9à1,7enraisonde"lagravemorositééconomique,d'unepolitiquemonétairecontraintepardestauxprochesdezéroetpardesajustementsbudgétairessynchronisésdansdenombreuseséconomies"157.

Des travaux de recherche ont confirmé depuis que, dans les périodes de sous-emploi, lemultiplicateur budgétaire pourrait être compris entre 1,5 et 2,5, c’est–à-dire qu’uneréductiond’1pointdedéficitpublicréduiraitleniveaudePIBenvolumede1,5à2,5points.

En France, économie ouverte (depuis 1992, avec le marché unique) le multiplicateur atoujoursétéestiméentre1.2et1.5.C’estlecasdansMESANGEetdansThree-ME.

6.4.5 Lesrendementsdécroissantsouconstants

Les principaux résultats issus de la théorie néo-classique reposent sur l’idée que les «rendementssontdécroissants».C’estcequipermetdejustifierquelaconcurrence«libreetnonfaussée»estoptimaleetque lesmonopolessont inefficaces.L’idéederendementdécroissant est facile à comprendre dans lemonde de l’agriculture (qui inspirait la visiond’un économiste comme Ricardo) : les terres aux meilleurs rendements sont mises encultureavant lesterresmoinsbonnes.Lerendementducapital foncierpour laproductionagricoleestdécroissant.Onalamêmeintuitionpourlesminesetlesgisementspétroliers: 155http://www.insee.fr/fr/statistiques/1377575?sommaire=1377587156Cf.Note98.157Idem.

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on sedit que l’exploration commencepar les gisements auxmeilleurs rendements…Pourautant, il y a de nombreux secteurs d’activité où les rendements sont croissants. C’estnotammentlecasdudigital.Quandunéditeurdelogicielsaréalisésesprogrammesetsesinvestissementscommerciaux,sesrevenussontcroissantsaveclesventes,lecoûtmarginaldu dernier logiciel vendu étant quasiment nul. Mais c’est aussi le cas des énergiesrenouvelables:lesoleilnesefaisantpaspayerquandlespanneauxsolairessontinstallés,lecoûtmarginaldukWhesttrèsfaible(c’estcequiexpliquelefaitquesurlemarchéeuropéendel’électricitéleprixdeventesurlemarchédegrospeutêtrenul).C’estbiensûraussilecasdes infrastructures de réseau. Michel Volle158a étudié en détail les conséquences desrendementscroissantsdansleraisonnementéconomique.Danslessecteursconcernésceladoit conduire à envisager que la meilleure solution au plan économique n’est pasl’émiettement de la concurrence dite parfaite mais au contraire obéit soit au régime demonopoleoud’oligopole159.

6.4.6 Lesdifficultésdel’usagedefonctionsd’utilité

Pourunindividu,lafonctiond’utilitéreliemathématiquementunpanierdeconsommationàsasatisfaction(ouutilité).Unindividuestsupposérationnels’ilmaximisecettefonctionsouscontrainte budgétaire. De nombreux modèles macroéconomiques reposent sur unprogrammedemaximisationd’unefonctiond’utilitépourunagentditreprésentatifsupposéprécisémentreprésenterl’ensembledesagentséconomiques.

Ceciposetroisproblèmesprincipaux.D’unepart,quecesoitauniveaumicroéconomiqueoumacroéconomique,une fonctiond’utilitén’estpasobservable. Il estdonc impossibled’endéterminerlaformeempiriquement.D’autrepart, l’hypothèsederationalitéestfortementremiseencausepartouslestravauxd’économieexpérimentaleetdepsychologieappliquée.

Enfin, comme déjà indiqué plus haut (§3.3), l’agrégation des préférences individuellesposentderedoutablesproblèmes,déjàidentifiésparKennethArrow.

6.4.7 Lathéoriedesanticipationsrationnelles

C’est l’économiste Robert Lucas qui a popularisé en 1972160le concept d’anticipationsrationnelles,introduitparl’économisteJohnMuthen1961,puispousséparThomasSargentet Neil Wallace. L'idée est que les agents seraient capables de tirer parti de toutel'information disponible pour former leurs anticipations, de sorte qu'en moyennestochastique,ilsnesetrompentpas.Autrementdit,ilsévaluentlesgrandeurséconomiquesfuturesàleurespéranceconditionnelleauxinformationsconnues.Cettethéorieaconnuunsuccèsremarquable(elleestà l’originedesmodèlesDSGE),alorsqu’elleestpour lemoinsdiscutable, et invalide empiriquement. La crise de 2008, ni prévue ni anticipée par lesmodèlesfondéssurcettehypothèseaportéuncouptrèsduràcettehypothèse.Maisfallait-ilunteleffondrementpourladiscuter?Reprenonsunargumentdéjàavancé161:«Certesles 158Cf.www.volle.com/ouvrages/e-conomie/rendements.htm159EnsuivantE.H.Chamberlin(1933)letermedeconcurrencemonopolistiqueestparfoisemployé.Ils’agitenfaitd’uneconcurrenceentredesproducteursquicherchentàéviteràêtreenconcurrence(vialadifférenciationdeleursproduits)etàresterdansunesituationmonopolistiquedefait.160Cf.R.E.LucasJr.,ExpectationsandtheNeutralityofMoney,JournalofEconomicTheory,1972.161Extraitdel’interviewhttp://bit.ly/2qSMZ0F

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économistes néoclassiques ne croient pas que tout lemonde connaît à l’avance le degréd’enneigementàChamonixdurantlapremièrequinzainedefévrier2020.Ilssontplussubtilsquecela.Ilscroientqueleprixdelaremontéemécaniquesurlespistesàcettepériodepeutêtredéduit,sil’onestsuffisammentmalin,parexempledesobligationsmétéoquiprotègentcontre le risque d’une insuffisance de neige dans les Alpes, en 2020… Folie plus soft enapparence,mais qui n’en reste pasmoins de la folie. Car, dans cemonde où les prix demarchésontsupposéstransmettreàtoutinstanttoutel’informationpertinente,ilsuffitbeletbiend’observerlesprixd’aujourd’huipourendéduirel’avenir.»C’estévidemmentfaux,maisc’estbiencequesupposecettethéorie.

6.4.8 L’existenced’unefonctiondeproductionagrégée

En économie de l’entreprise ou microéconomie, une fonction de production relie desfacteursdeproduction (le travail et le capital, engénéral) à laproductionde l’entreprise.Une fonctiondeproductionagrégée, enmacroéconomie, relie l’ensembledes facteursdeproductionauPIB.Laquestiondesavoirsicetteopérationest«licite»oupasafaitcoulerbeaucoupd’encredanslalittérature.

On sait pourtant aujourd'hui que les justifications empiriques des fonctions standards (enparticulier Cobb-Douglas) sont spécieuses et ne démontrent nullement que le secteurproductif d'un pays correspond vraiment à de telles fonctions.Mais si l'on renonce à cesfonctions,ilfautenreveniràdesmatricesinput-output,etredonnerraisonauxBritanniqueskeynésiensdanslaquerelledeCambridgede1960162.Cequiestdifficilementenvisageablepourlesnéo-classiquesnord-américains.

Voiciunextraitdupapier163citédeGuerrienetGun:

«Parmilesinnombrableshypothèsesfaitesparlaplupartdesthéoriciensnéoclassiques,ilyenatroisquisontundéfiaubonsenstoutenétantfondamentalespoureux.Ilyad’abordcellequiditqu’enconcurrenceparfaitetouslesagentssontpreneursdeprix–cequisupposeun système très centralisé, aux antipodes dumonde que lemodèle prétend décrire. Vientensuite l’hypothèse de l’« agent représentatif » dont le choix intertemporel est censéreproduireceluidel’économietouteentière.Ilya,enfin,lafonctiondeproductionagrégée,sortederecensiondesdiversestechniquesdontdisposeuneéconomieàunmomentdonné.

L’argument ultime – en fait, le seul – avancé pour justifier les hypothèses de concurrenceparfaite et de l’agent représentatif est qu’elles permettent d’obtenir des résultats(théoriques)incontestables,puisquefruitsdedéductionsmathématiques–sansquecelanelesrendepertinentspourautant.Lasituationestdifférenteencequiconcernelafonctiondeproduction agrégée : indéfendable sur le plan théorique – elle n’a, ni ne peut avoir, de «fondementmicroéconomique»–,elletireraitsalégitimitédesonadéquationauxdonnées.LelivredeFelipeetMcCombiemontrequecettelégitimation«parlesfaits»estunleurre.En dépit de cette démolition en règle, les fonctions de production agrégées continuent, etvont sans doute continuer, à peupler les manuels ainsi que les travaux théoriques etappliqués.Enfait,depuisbellelurettelaquestiondel’agrégationdesbiensetdesfonctions

162Cf.note99etP.-N.Giraud,Principesd’économie,Ladécouverte,2016,page384ethttp://www.gaelgiraud.net/wp-content/uploads/2013/11/ConcoursBLDossier6.pdf163Citéplushaut,note99.

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n’est plus à l’ordre du jour. Elle a pratiquement disparu dans l’enseignement. Une bonnepartiedelaprofessionsembleconsidérer,commePiketty,qu’elleaétéréglée–notammentparSolow.Iln’enestrien,évidemment.Deuxraisonspeuventexpliquerunetelleattitudedela part de ceuxqui ne cessent pourtant d’affirmer leur attachement à la « rigueur » dansleursanalyses. L’uneestd’ordre idéologique. Il est réconfortantdepouvoiraffirmerque leproblème(délicat)delarépartitiondurevenuestrésoludefaçonsimple–etefficacepourlasociété – par la rétribution de chacun selon sa productivité marginale, pourvu que lesmarchés soient « concurrentiels ». L’autre est d’ordre pratique : l’« industrie » qui s’estconstruite autour de la fonction de production agrégée est tellement importante que laremettre en cause serait catastrophique pour ceux qui vivent d’elle, tout en la faisantprospérer.»

6.4.9 L’équation d'accumulation du capital : la variation du capital = investissement -dépréciation(constante)*capital.

Cette équation est fausse en toute rigueur car la dépréciation n'a aucune raison d'êtretoujoursetpartoutconstante.Maiscommeelleestutiliséepourconstruirelessériessurlecapital, elle est devenue quasiment une équation comptable164 . Les statisticiens neréévaluentpaschaqueannéelestockdecapitalmondialmaislecalculentàpartirdecettehypothèse (fausse). Les modélisateurs ne peuvent qu’utiliser les bases de donnéesexistantes et s’appuient donc sur ces données. Du coup il est difficile de comprendre surquellesdonnéesreposent lestravauxstatistiquesapprofondissur lecapitalet lesrelationssupposées valides par Kaldor entre capital et la production, tout comme il est difficile decomprendrecommentonpeutévaluerlarentabilitéducapitalsurlonguepériode.

6.5 Lesmodèlesénergétiques

Cesmodèlesreprésentent l’offred’énergieouunéquilibre(partiel)offre-demande,et leurévolution. Ils sont généralement très désagrégés et incorporent de nombreuses donnéestechnico-économiques.Lesprixdesénergiessontsoitexogènessoitcalculésparlemodèle.En revanche, ces modèles ne sont pas macroéconomiques (c’est pour cela qu’on parled’équilibrepartiel)etnecontiennentpasdebouclederétroactionaveclesautressecteursd’activitéet lePIB. Ils contiennent souventdes fonctionsd’optimisationetpermettentdeproposer des chroniques d’investissement et des choix de politique énergétique, toutcomme des coûts associés aux dites politiques. Ils servent à éclairer les décisions depolitiqueenlamatière(quelssontlesinvestissementsàprivilégier?Lesmesuresàprendrepourlesprivilégier?Aquelniveaufaut-ilporterunetaxecarbonepourlimiteràtelniveaulesémissionsdeGES?etc.

On peut citer Poles165(créé par le LEPII (Laboratoire d'Economie de la Production et del'Intégration Internationale) et détenupar Enerdata), LEAP166(développépar le StockholmInstitute), Primes167(développé par le E³M-Lab de l'Université polytechnique nationaled'AthènesetutiliséparlaCommissioneuropéenne),Markal-Timesutiliséparl’AIE.

164Cf.QuelleIntelligencepourlecapitalauXXIesiècle?,op.cit.165Cf.l’entrée“ProspectiveOutlookonLong-termEnergySystems”surWikipédia.org.166www.energycommunity.org/default.asp?action=introduction167Cf.l’entrée“PRIMES”surWikipédia.org.