143
Xavier Raufer, Menaces terroristes, criminelles, hybrides, la perspective large.” Conférence prononcée le 30 mai 2007 dans le cadre du colloque organisé par l’Université de Sherbrooke, “Le terrorisme : une perspective canadienne”. Longueuil, les 29-30 mai 2007. Introduction I. Menaces : qui ? Où ? Pourquoi ? Comment ? 1°) Menaces objectives : ce qui provient du chaos mondial 2°) Dans le chaos mondial, des terrorismes hybrides nouveaux 3°) Dans ce contexte, qu’est-ce qu’une « nouvelle menace » ? 4°) Les entités dangereuses 5°) Caractéristiques communes des entités dangereuses du chaos mondial II. La pénible traque de l’argent terroriste a) Bataille dans les espaces incontrôlés b) Bataille contre le temps Introduction Aujourd’hui, les cadres conceptuels dans lequel on étudie depuis la fin du XIX° siècle la criminalité ou le terrorisme sont devenus trop étriqués. Sa mutation depuis l’abolition de l’ordre bipolaire du monde fait que le terrorisme déborde largement du champ où naguère, on l’analysait. Le crime organisé, lui, s’est mondialisé et a pris une ampleur telle que la vieille criminologie à base psychologique ou sociologique ne permet plus de l’analyser ni même de le comprendre. Plus grave peut-être encore, l’actuel chaos mondial génère des entités hybrides, consubstantiellement terroristes et criminelles, comme ce réseau d’islamistes-braqueurs démantelé en décembre 2005 dans la région parisienne, 25 individus allant

Xavier Raufer.docx

Embed Size (px)

Citation preview

Xavier Raufer,Menaces terroristes, criminelles, hybrides, la perspective large.Confrence prononce le 30 mai 2007 dans le cadre du colloque organis par lUniversit de Sherbrooke, Le terrorisme: une perspective canadienne. Longueuil, les 29-30 mai 2007.Introduction I. Menaces: qui? O? Pourquoi? Comment? 1) Menaces objectives: ce qui provient du chaos mondial 2) Dans le chaos mondial, des terrorismes hybrides nouveaux 3) Dans ce contexte, quest-ce quune nouvelle menace? 4) Les entits dangereuses 5) Caractristiques communes des entits dangereuses du chaos mondial II. La pnible traque de largent terroriste a) Bataille dans les espaces incontrls b) Bataille contre le temps IntroductionAujourdhui, les cadres conceptuels dans lequel on tudie depuis la fin du XIX sicle la criminalit ou le terrorisme sont devenus trop triqus. Sa mutation depuis labolition de lordre bipolaire du monde fait que le terrorisme dborde largement du champ o nagure, on lanalysait. Le crime organis, lui, sest mondialis et a pris une ampleur telle que la vieille criminologie base psychologique ou sociologique ne permet plus de lanalyser ni mme de le comprendre.Plus grave peut-tre encore, lactuel chaos mondial gnre des entits hybrides, consubstantiellement terroristes et criminelles, comme ce rseau dislamistes-braqueurs dmantel en dcembre 2005 dans la rgion parisienne, 25 individus allant du gangster pur et dur au petit voyou en phase dislamisation radicale, mais tous proches du Groupe salafiste (GSPC, algrien) pour la prdication et le combat.Lexistence et les agissements de ces terroristes, mafieux et gangsterroristes imposent un champ conceptuel plus vaste, celui des menaces, hybrides, criminelles ou terroristes, pour cerner, pour penser, le chaos mondial.Cette rflexion initiale amne deux questions:- dabord, ces menaces nouvelles, que sont-elles? Comment sexpriment-elles? Quel diagnostic peut-on ici faire?- partant de ce concept de diagnostic, et allant vers sa consquence logique, lexamen de type radiographique: traquer largent terroriste, mthode prsente comme une panace par lactuel excutif amricain, est-ce efficace? Cela peut-il ltre? I - Menaces : qui ? O ? Pourquoi ? Comment ?1) Menaces objectives: ce qui provient du chaos mondial Hier l'ennemi tait connu, stable familier. Aujourd'hui il est fugace, bizarre, incomprhensible - mais tout aussi dangereux, sinon plus. Durant la Guerre froide, toutes les menaces stratgiques taient lourdes, stables, lentes, identifies - voire familires (Pacte de Varsovie). Le terrorisme elle-mme tait stable et explicable. Exemple, le Fatah-Conseil Rvolutionnaire dAbou Nidal: chacun savait qui lhbergeait, de quels armes et explosifs il usait. Et dcoder le sigle de circonstance dont il signait ses actions tait enfantin. Au contraire, la terreur est dsormais brutale, fugace, irrationnelle - voir la secte Aum ou le GIA algrien.Aujourd'hui, les menaces relles manent dentits hybrides, opportunistes, capables d'volutions foudroyantes. Les conflits rels (Balkans, Afrique, etc.) sont civils, le plus souvent ethniques ou tribaux. Vritables tourbillons criminels, ils mlangent fanatismes religieux, famines, massacres, piraterie maritime ou arienne, trafics dtres humains, de stupfiants, d'armes, de produits toxiques, et de gemmes (diamants de guerre).Ainsi et pour lavenir prvisible, la guerre, forme suprme du conflit, aura une dimension criminelle ou terroriste, ou hybride entre les deux. Elle affectera toujours plus les civils (populations, mtropoles, entreprises) comme nous lont montr le 9/11 et lattaque au bacille du charbon (ou anthrax), New York, lautomne 2001. Terroristes ou criminelles, ces guerres auront pour origine les zones hors-contrle de la plante:- Des pays chous ayant sombr, momentanment ou durablement, dans lanarchie (Afghanistan, Albanie, Liberia, Sierre Leone,...), - Des mgapoles anarchiques du sud du monde (Karachi, Lagos, Rio,...), immensits dont des quartiers et banlieues entiers - des milliers de kilomtres carrs, des millions dhabitants - sont sous le contrle rel de mafieux, de terroristes, de trafiquants, etc. Partant de tels fiefs [1], les entits dangereuses pourront aisment frapper les centres dvelopps et leurs cibles symboliques. 2) Dans le chaos mondial, des terrorismes hybrides nouveaux Aujourdhui, le terrorisme est partout. Il forme notamment l'une des composantes majeures de la guerre - aprs l'avoir lentement mais srement infecte au cours des trois dcennies passes. Au dbut du XXIme sicle, le terrorisme est ainsi pour nos gouvernements la proccupation centrale en matire de scurit. On peut mme dire quaujourd'hui, le terrorisme est devenu la guerre.Mais ce terrorisme envahissant tout - pour mille raisons des bombes explosent chaque jour, de par le globe - a galement subi une mutation importante. Ainsi, le terrorisme d'tat de la guerre froide, politique ou idologique, a quasiment disparu. Et depuis la fin de la Guerre froide, de nouveaux acteurs ont investi la scne terroriste : en son centre bien sr, des fanatiques comme les terroristes islamistes; aussi, des entits non-politiques et criminelles comme des mafias; des sectes millnaristes, dautres entits irrationnelles violentes encore.3) Dans ce contexte,quest-ce quune nouvelle menace? Observer la ralit des aires dangereuses, constater objectivement lorigine des attentats, o se droulent les conflits rels, do proviennent les flux de biens et services illicites (tres humains, stupfiants, armes de guerre, vhicules,...), montre que depuis la fin de lordre mondial bipolaire, les vraies menaces manent de :- Milices, gurillas mutantes, entits hybrides peuples de terroristes, de fanatiques, de bandits patriotes et de militaires dserteurs; - Aux ordres de gnraux dissidents, de seigneurs de la guerre, dillumins ou de purs et simples bandits; - D'entits mconnues ou insaisissables, capables de mutations et de changement d'alliances foudroyants, - Ignorant les lois internationales et d'abord celles qui relvent du respect de l'humanitaire; - Vivant en symbiose avec lconomie criminelle, dans le triangle narcotiques - armes de guerre - argent noir. 4) Les entits dangereuses La fin de l'ordre bipolaire a provoqu la mutation d'entits hier purement terroristes ou criminelles, leur glissement brusque et imprvu du champ du technomorphe a celui du biomorphe.Technomorphe: hier, le terrorisme transnational tait le fait de groupes rcuprs par des services spciaux pour le compte d'Etats. Sur ordre et au cachet, ces groupes agissaient mcaniquement, par impulsion marche/arrt.Biomorphe: aujourd'hui prolifrent de faon quasi-biologique, et ce jour incontrle, des entits dangereuses complexes, difficiles identifier, dfinir, comprendre; ce, dans des territoires et des flux eux-mmes mal explors.5) Caractristiques communesdes entits dangereuses du chaos mondial Tentons de dceler des similitudes entre la plupart des entits voques dans ce texte. Ce ne sont pas des organisations loccidentaleDabord, elles ont en commun de ntre pas des organisations, au sens pris par ce terme dans notre socit, cest dire des structures solides, voire rigides. Ces entits sont au contraire fluides, liquides mme - sinon volatiles.Prenons le cas de ce que lexcutif des Etats-Unis nomme al-Qaida et prsente obstinment comme une organisation formelle dote de numro 2 ou de numro 3 - donc dune hirarchie; et dont les deux tiers des cadres auraient t limins ce qui induit quelle aurait des effectifs stables. Propos repris par quelques experts, affirmant sans rire que les membres dal-Qaida seraient (par exemple) 1 200... Or un raisonnement enfantin permet de dmontrer qual-Qaida nest pas une organisation, au sens o, pour en rester au terrorisme, lIRA en est une. Que, pour dire les choses autrement, al-Qaida nest pas une sorte dIRA islamiste et non catholique.Entre le mois daot 1998 et ses deux premires attaques contre les ambassades amricaines Nairobi et Dar es-Salaam, et le printemps 2003, al-Qaida a vu se dchaner contre elle la pire vague rpressive de lhistoire mondiale. Selon notre base de donnes, prs de 5000 individus prsents comme ses membres ont alors t interpells dans 58 pays du globe; eux-mmes tant originaires dautant de pays, sinon plus. De plus, surtout dans le monde Arabe, des centaines dautres interpellations ont t opres en secret. Tout cela, notons-le, avant la guerre dIrak du printemps 2003 et les attentats conscutifs:- Riyad (Arabie Saoudite; mai 2003, 35 morts; novembre 2003, 17 morts) - Casablanca (Maroc, mai 2003, 45 morts) - Djakarta (Indonsie, aot 2003, 12 morts) - Istanbul (Turquie, novembre 2003, 69 morts) - Madrid (Espagne, mars 2004, 202 morts) - Taba (Egypte, octobre 2004, 35 morts) - Londres (Grande-Bretagne, juillet 2005, 58 morts) - Charm el-Cheikh (Egypte, juillet 2005, 90 morts) - Bali (Indonsie, octobre 2005, 30 morts) - Amman (Jordanie, novembre 2005, 60 morts) - Dahab (Egypte, avril 2006, 30 morts) Prenons maintenant deux grandes organisations (des vraies, elles) prsentes par besoin professionnel tout autour du globe: une multinationale et un service de renseignement extrieur. Disons General Motors et la CIA. Que resterait-il de ces deux gants si, mondialement, de 5 6 000 de leurs cadres et employs taient jets en prison ou assassins, leurs bureaux bombards, leurs archives pilles, leurs outils de travail, comptes en banque et fonds, confisqus? Rien. Autres caractristiques des entits dangereuses du chaos mondial. Leur nature est hybride, partie politique, partie criminelle; on constate aujourd'hui des changes pousss entre entits criminelles et terroristes: Camorra napolitaine avec l'ETA basque et le Groupe Islamique Arm d'Algrie ; gang de Dawood Ibrahim Karachi avec des islamistes (Jaish-i-Muhammad, Harakat-ul-Mujahideen) proches de Ben Laden; ainsi quentre les terroristes de l'IRA et la gurilla dgnre et proto-criminelle des FARC (Colombie),. Elles disposent dune capacit de mutation ultra-rapide en fonction du facteur dollar, dsormais crucial,- La plupart et le plus souvent, elles sont nomades, d-territorialises (ou implantes dans des zones inaccessibles) et transnationales,- Elles sont coupes du monde et de la socit civilise : leurs objectifs sont, soit criminels, soit d'ordre fanatique ou millnariste; soit factices, simplement destins abuser le monde extrieur (Liberia et Sierra Leone: la bande prdatrice de Foday Sankoh se disant Front rvolutionnaire uni); soit enfin (secte Aum) quasi-incomprhensibles,- Elles sont en gnral prives de tout sponsorship d'tat - ce qui les rend plus imprvisibles et incontrlables encore,- Elles ont une pratique extensive du massacre, la volont de donner la mort au plus de gens possible (ben Laden, le GIA algrien, la secte Aum, etc.).II - La pnible traque de largent terroristeQuen est-il vraiment de la rpression tatique du blanchiment dargent terroriste ou criminel? Sur le terrain, le criminologue constate quelle est peu efficace. Ainsi, les Etats, leurs lois, leurs policiers et magistrats semblent voluer dans une dimension, et les terroristes ou les mafieux, leurs rseaux, leurs trafics darmes, de stupfiants, dexplosifs et dargent, dans une autre. Les deux ne se rencontrant que rarement, lors de confiscations, arrestations ou saisies qui ne gnent pas vraiment ces malfaiteurs. Ces prises et captures, le terroriste islamiste, les vit avec fatalisme: nous sommes dans la main de Dieu; nous poursuivrons notre action proslyte en prison, ou l ou Allah jugera bon de nous conduire. Le crime organis, lui prend tout cela avec calme. Perdre 10% de sa cocane ? Bah, cest moins que limpt sur les socits. Les interpellations ? Elles rgnrent les lites criminelles - comme une chasse intelligente stimule le gibier sans lliminer: voir Darwin (survival of the fittest). Enfin, les intentions des Etats sont publies son de trompe, bien avant que leurs troupes ne sbranlent - lentement. Le monde criminel, lui, est rapide: le jour mme, une parade est trouve, les offshore risque remplaces par dautres, plus tanches. En ce dbut de XXI sicle, le champ de bataille majeur du chaos mondial est ainsi celui des interstices spatio-temporels. Traquer largent terroriste ou criminel, cest donc oprer dans deux dimensions: lespace et le temps.a) Bataille dans les espaces incontrls - Zones de non-droit, ou zones grises, espaces intermdiaires entre les territoires rellement polics par les tats-Nation rels.- Espaces en friche entre ministres, ou entre territoires particuliers des services (les stups; le trafic dtres humains, le terrorisme, la contrebande, etc.).b) Bataille contre le temps Les entits dangereuses, agressives, dotes de moyens hi-tech, ont aujourdhui une avance norme dans le domaine temporel, sur les Etats lourds, lents, paralyss par linertie administrative et juridique. Comment? Pourquoi?Une entit terroriste ou criminelle opre aujourdhui dordinaire depuis une zone hors-contrle (montagnes, mgapoles, etc.). L, elle accumule du cash, quelle doit recycler dans lconomie lgitime, pour, notamment, le faire circuler par voie lectronique. cette fin, elle dispose dexperts de la finance. Oprant grce des nues davocats et de conseillers financiers, ces pros recherchent sans cesse autour du globe des niches juridiques nouvelles, tudient les volutions lgislatives, avec un seul objectif : crer des socits-cran pour dissimuler lorigine relle des fonds. chaque grosse transaction, une offshore est cre puis crase sur le champ. Tout va vite. En prime, une incitation puissante ne pas se tromper. Le blanchisseur rpond sur sa vie des sommes gres pour le rseau ou la mafia. Seule peine prvue: la mort. Plus efficace que la dcoration ou la prime de fin danne...Ces pros savent enfin que les Etats et les organismes internationaux oublient, se lassent vite. Trop proches du monde virtuel des mdias, les politiciens croient que tout problme voqu par eux est ipso facto rsolu. Voyez les grand-messes mondiales cologiques ou sociales: dans cinq ans, les gaz effet de serre auront diminu de 50%, dans cinq ans les plus pauvres seront moiti moins nombreux. Cinq ans aprs? Rien na vraiment chang... Mais sur le terrain, loin des effets dannonce, que faire pour combattre cette criminalit mouvante et mutante quest le blanchiment dargent? Avant toute rpression, il faut un diagnostic raliste du mal; concevoir les normes difficults de lopration. Voici donc lun des principaux obstacles conceptuels qui, aujourdhui encore, handicapent la traque de largent terroriste.

Brian MYLES (2007)Les politiciens alimentent le terrorisme.Si la sottise irakienne n'avait pas t commise, tout ce qui ressemble Ben Laden et consorts aurait dclin trs viteLe Devoir, Montral, le 31 mai 2007, page A1Mots cls : religion, Administration Bush, politique, Gouvernement, Terrorisme, Irak (pays), tats-Unis (pays)N'tait l'aveuglment de la classe politique -- l'administration Bush en tte --, le terrorisme islamiste serait vite battu en brche. C'est du moins l'opinion de Xavier Raufer, un criminologue de rputation internationale qui tait de passage Longueuil hier pour un colloque de l'Universit de Sherbrooke sur le terrorisme. Selon M. Raufer, il suffirait que le conflit isralo-palestinien et la guerre en Irak trouvent un dnouement pacifique pour que le terrorisme islamiste entre dans une irrmdiable phase de dclin.Si la sottise irakienne n'avait pas t commise, tout ce qui ressemble Ben Laden et consorts aurait dclin trs vite, estime M. Raufer, charg de cours l'Institut de criminologie de l'Universit de Paris II. Les fanatiques sont en train d'tre renvoys ce qu'ils taient au dpart. Ils sont peu nombreux, historiquement, dans le monde musulman, a-t-il ajout.M. Raufer, auteur d'une vingtaine d'ouvrages sur le crime organis et le terrorisme, refuse de montrer du doigt les agences de renseignement des grands pays occidentaux pour les checs passs dans la lutte contre le terrorisme. Il souligne juste titre que les intentions d'Oussama ben Laden taient trs claires. Ds le mois d'aot 1996, il a publi une dclaration de guerre contre les tats-Unis que tout le monde pouvait trouver sur Internet. Il n'y avait aucun secret: les moudjahidin se sont retourns contre leur alli amricain aprs avoir russi chasser l'occupant sovitique de l'Afghanistan. L'administration amricaine n'a pas voulu voir le 11-Septembre, alors que sous son nez son alli en Afghanistan s'est transform en ennemi de l'Amrique, et c'tait public! lance Xavier Raufer. C'est pourquoi j'ai beaucoup d'hsitation quand j'entends dire que le problme, c'est le renseignement.Sur la question de l'Irak, c'est le mme constat de dsarroi. Dans son rcent livre, l'ex-directeur de la CIA, George Tenet, a rvl que la guerre a t lance sans rel dbat au sein de l'administration Bush. M. Tenet a tent de minimiser les accusations portes contre le rgime irakien au sujet de ses prtendus liens avec al-Qada, notamment parce que la CIA n'tait pas en mesure d'tayer certaines affirmations. Selon l'ex-patron de la CIA, cette attitude lui a valu l'hostilit du vice-prsident Dick Cheney et de la responsable du Conseil national de scurit de l'poque, Condoleezza Rice. Un des problmes du renseignement, c'est la prise en compte de ce renseignement par les autorits politiques, qui font souvent preuve d'aveuglment, rsume M. Raufer.L'ennemi invisibleContrairement ce que la classe politique veut bien croire, al-Qada n'est pas la centrale du terrorisme, une sorte de nouvelle incarnation de l'Internationale communiste, avec leaders, instances et structure de commande hirarchise. C'est beaucoup plus flou, anarchique et dsorganis qu'on veut le croire.Jamais, depuis les invasions barbares marquant la fin de l'Empire romain, le monde a-t-il t confront un ennemi aussi insaisissable, selon Xavier Raufer. En effet, les organisations terroristes sont moins stables ou structures que par le pass. Abou Nidal faisait partie du dcor en permanence dans les annes 70: les services de renseignement connaissaient ses revendications et son identit. Aujourd'hui, les groupes sont plus difficiles cerner. En Algrie, le Groupe islamiste arm (GIA) a chang de leader sept fois en sept ans, fait remarquer M. Raufer. On vit dans un monde o brutalement l'ennemi apparat, fait une srie d'actes meurtriers et disparat. Et aprs a, on ne le revoit plus, dit-il.Depuis les attentats du 11 septembre 2001, prs de 5000 individus prsums membres d'al-Qada ont t interpells dans 58 pays du globe, selon le calcul du criminologue. Et c'est sans compter les arrestations et les redditions extraordinaires menes dans le plus grand secret. Si al-Qada avait t une grande organisation centralise et hirarchise, ses capacits oprationnelles auraient t rduites nant. Or M. Raufer recense 11 attentats attribus al-Qada ayant fait 683 morts de 2003 2006. Les responsables de l'attentat de Madrid, en mars 2004, n'avaient jamais vu personne d'al-Qada de leur vie, dit M. Raufer.Cela tant dit, les groupes terroristes n'en sont pas moins dangereux pour autant. l'instar du crime organis, ils trouvent un creuset fertile dans les pays chous et les mgalopoles ayant sombr dans l'anarchie. En Afghanistan comme au Sierra Leone, Karachi comme Lagos, des milliers de kilomtres carrs de territoire et des millions d'habitants sont livrs au contrle des mafieux, des terroristes et des trafiquants de drogue.Quand les grandes puissances cesseront d'investir dans l'arsenal militaire, dans la logique dsute de la guerre froide, elles pourront se concentrer sur l'radication des phnomnes terroristes ds l'apparition de ses premiers symptmes. Il y a un problme intellectuel. Il faut oprer un changement de posture et faire de la dtection prcoce. Pour utiliser une image: il faut regarder les bourgeons et ne pas attendre que le baobab fasse 30 mtres de haut avant de s'y intresser. Xavier Raufer garde espoir. Tout phnomne terroriste a un dbut, un apoge, un dclin et une fin, conclut-il.

[1] Karachi, voir Etats chous, mgapoles anarchiques, Anne-Line Didier et Jean-Luc Marret, PUF, coll. Dfense & Dfis Nouveaux, 2001. Forteresses criminelles du Brsil, voir sur le site du Dpartement de recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines , la Note dAlerte N2, intitule Cocane sur lEurope: linondation approche.PlanEvaluer la menace terroriste et criminelleLes organisations criminelles et terroristes dans lEtat1.1 - L'existence des organisations criminelles et terroristes 1.2 - L'activit des organisations criminelles et terroristes De nouveaux acteurs des relations internationales? 2.1 - De nouveaux acteurs stratgiques? 2.2 - Terrorisme et criminalit organise, instruments ou enjeux des relations entre Etats? Texte intgralSignalerEvaluer la menace terroriste et criminelle1L'intgration du terrorisme et de la criminalit organise dans les problmatiques lies la dfense est un phnomne rcent, du moins pour ce qui concerne la France. Il faut remonter au dbut des annes 1980 pour trouver dans les dclarations officielles une premire forme d'assimilation du terrorisme la guerre1 et le dbut des annes 1990 pour que " les mafias " et " la criminalit internationale organise " soient rgulirement cites au titre des " nouvelles menaces " de dfense. Le Livre blanc sur la dfense de 1994 a officiellement consacr cette approche en reconnaissant que " certaines formes d'agression comme le terrorisme ou, dans plusieurs de ses consquences, le trafic de drogue, prennent des dimensions telles qu'elles peuvent menacer la scurit ou l'intgrit du pays, la vie de la population ou contrarier le respect de ses engagements internationaux. Elles relvent ds lors de la dfense au sens de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959 ". 1 Mauroy, 1982, p.28. 2 Lacoste, 1993; Pris, 1998; Salvan, 1995; de La Maisonneuve, 1997. 3 Bauer et Raufer, 1997. 2De nombreux auteurs se sont appliqus donner de la substance au postulat du changement de nature des phnomnes criminels et terroristes. On trouve parmi eux des militaires et des spcialistes des questions de dfense2, mais aussi des experts plus ou moins reconnus des questions mafieuses ou des violences politiques3. Une fracture assez nette existe en effet dans le monde de la recherche comme dans les services de l'Etat entre le champ de la dfense et celui de la scurit intrieure. On notera d'entre que les analyses produites dans ce dernier domaine mentionnent rarement un changement de nature. Elles se bornent souligner que, pour des raisons diverses gnralement lies aux bouleversements stratgiques observs partir de la fin des annes 1980, le crime organis sous toutes ses formes connat une expansion importante. 4 Cette analyse parat conforte par le fait que pour la premire fois, l'article 5 relatif (...) 3Le problme pos est loin d'tre politiquement neutre. Postuler que la criminalit organise et le terrorisme constituent aujourd'hui une menace, c'est envisager des transferts de comptences dans la lutte contre les groupes criminels et terroristes et une volution du droit applicable. La nature de l'agression constitue par l'organisation criminelle ou terroriste justifie-t-elle un amnagement substantiel des rgles de procdure? De nombreuses voix se sont leves pour affirmer que les attentats sans prcdent du 11 septembre 2001 plaaient les Etats-Unis dans une situation quivalente celle qu'ils avaient connue aprs le torpillage du Lusitania ou le bombardement de Pearl Harbor, c'est--dire une situation de guerre4. Le caractre criminel de l'infraction terroriste peut-il aboutir pour autant la reconnaissance du statut de combattant son auteur? Cette approche maximaliste de la menace ne manque pas de surprendre quand on sait que les " terroristes " du monde entier revendiquent justement ce statut, gnralement en vain. L'volution de la nature de ces " nouvelles menaces " doit-elle aboutir une modification des rgles d'attribution et de comptence des diffrents services concerns? Au-del de la mtaphore guerrire, dont l'vidence pourrait sembler justifie au vu des consquences des rcents attentats, il convient donc de se livrer une tude suffisamment prcise pour apprcier la nature de la menace. 5 Chantebout, 1968, p.25. 4Une telle recherche se heurte toutefois plusieurs difficults et avant tout des obstacles smantiques que l'on ne saurait contourner sous peine de vider l'tude de l'essentiel de son intrt. La premire tient l'apprciation de la notion de menace. La dfinition de la dfense telle qu'elle est donne par l'ordonnance du 7 janvier 1959 ouvre en effet la porte deux interprtations. La premire est extensive et tend privilgier la globalit et la permanence de la dfense qui a pour objet de faire face " toute forme d'agression ". Dans cet ordre d'ide, les phnomnes mafieux et terroristes relvent de la dfense. Mais entrer dans ce type de logique, c'est considrer que tout phnomne prsentant un danger pour la scurit ou pour la vie de la population, entendu au sens large, est du domaine de la dfense, ce qui aurait pour effet de diluer cette notion. " Si la dfense est partout, elle risque alors d'tre nulle part "5. Une approche plus restrictive et qui nous semble mieux correspondre l'esprit comme la lettre de l'ordonnance de 1959 se fonde sur la notion d'agression, laquelle suppose l'existence d'un agresseur, c'est--dire d'un acteur hostile disposant de moyens de concrtiser ses intentions. C'est sur une telle analyse que se fonde la distinction entre le risque, qui ne suppose pas d'intention hostile, et la menace. Evaluer cette dernire, c'est donc postuler l'existence d'un adversaire, voire d'un ennemi. 6 Parmi les entits politiques qualifies de terroristes un moment de leur histoire, on (...) 5Si la notion de menace repose sur l'interprtation d'un texte de valeur lgislative, il est beaucoup plus difficile de prciser la signification du terrorisme ou de la criminalit organise qui ne font pas, du moins en droit franais, l'objet de dfinitions univoques. La lgislation dans ce domaine est ce point empirique qu'il n'y a pas non plus d'clairage attendre des dfinitions trangres, quand elles existent, ni des dfinitions conventionnelles qui sont des cotes toujours mal tailles par le ciseau hasardeux des ngociations. Dans ce domaine, les fausses vidences ne manquent pas. Ainsi, le terrorisme se distingue clairement de la criminalit organise par son caractre politique. Sans doute, mais le terrorisme n'est pas une infraction politique, ce qui ferait obstacle aux procdures d'extradition. Du reste, des organisations de type mafieux recourent frquemment aux techniques du terrorisme. En outre, une organisation terroriste est juridiquement une organisation criminelle, mme si ses activits la distinguent des groupes censs ne rechercher que le profit. Mme sur ce point, il est parfois difficile d'oprer une distinction franche tant la criminalisation des groupes se livrant la violence politique s'est banalise avec la disparition progressive des aides fournies par les grandes puissances du temps de la bipolarit. S'agissant de la criminalit organise, le recours toujours facile au terme " mafia " permet de faire l'conomie d'une analyse des phnomnes. La ralit est pourtant complexe: qu'est-ce qui distingue une organisation mafieuse d'une bande organise ou de la simple pluralit d'auteurs dans la commission d'une infraction? Doit-on considrer le crime organis dans son ensemble comme un phnomne diffus, qui relverait alors du risque, ou doit-on identifier les organisations criminelles comme des acteurs hostiles qui caractrisent une menace? Le caractre apolitique de la dmarche mafieuse, qui serait uniquement dicte par l'intrt pcuniaire, est plus souvent voqu que dmontr: si elles ne revendiquent pas d'idologie politique prcise, les organisations criminelles les mieux structures ne sont pas neutres et vhiculent des valeurs gnralement conservatrices et sociales, souvent nationalistes. Par la voie de l'influence et de la corruption, elles contrlent galement certains membres de la classe politique et de l'administration, ce qui en fait des acteurs politiques au sens propre. Dans le cas des organisations terroristes, l'hostilit ne fait pas de doute puisqu'elle est revendique, mais se pose alors la question des moyens dont elles disposent pour concrtiser leur volont d'agression. La qualification de " terroriste " est pour sa part dfinitivement disqualifiante car le terrorisme ne peut tre qu'illgitime. Pourtant, nombre de " terroristes " sont devenus politiquement frquentables sans rien renier de leur pass6. Le qualificatif infamant de terroriste est indiffremment attribu des groupes arms pratiquant la gurilla, des organisations secrtes, voire des Etats. Ici encore, l'usage d'un mot doit tre considr comme une commodit de langage mais en aucun cas un repre suffisamment prcis pour servir de fondement une analyse objective. Quel point commun entre Action Directe, les Tigres tamouls, ETA et Armata Corsa? L'utilisation de l'intimidation, l'attentat l'explosif et l'assassinat sont des procds dont les organisations " terroristes " sont loin d'avoir le monopole. 6Dans cette confusion smantique, il convient donc de se garder de deux piges: celui de la simplification, qui tend rassembler des phnomnes complexes sous deux tiquettes approximatives que sont le terrorisme et la criminalit organise, et celui de l'amalgame qui consiste surestimer la porosit existant entre la violence politique et la criminalit de droit commun pour conclure la confusion pure et simple de ces phnomnes. Dans les pages qui suivent, le terrorisme sera considr sous son aspect instrumental, c'est--dire comme un simple moyen, un procd, sans rfrence particulire aux buts poursuivis qui peuvent tre politiques, pcuniaires, religieux ou totalement irrationnels. L'organisation criminelle sera considre comme un groupe suffisamment structur et ancr socialement pour assurer sa prennit indpendamment du sort de ses membres et de ses dirigeants. C'est en effet cette capacit de rsistance aux agressions extrieures qui diffrencie l'entit potentiellement hostile, susceptible de constituer un agresseur au sens de la dfense, d'un groupe de criminels momentanment runis autour d'un projet commun mais dont l'entente n'a pas vocation durer. 7Evaluer les capacits relles d'agression dont disposent les organisations criminelles et terroristes suppose d'envisager leurs activits sous plusieurs angles. En premier lieu, la menace peut s'analyser sous l'angle interne: dans quelle mesure des puissances mafieuses ou terroristes peuvent-elles, par leurs activits ou leur simple existence, mettre en cause les intrts essentiels de l'Etat au sein desquelles elles se sont formes? Le second niveau d'analyse est celui des relations internationales: avec l'intensification des activits criminelles et terroristes, assiste-t-on l'avnement d'un nouveau type d'acteur stratgique? Leurs activits constituent-elles, comme cela est souvent dit, un nouveau facteur des relations internationales? Dans quelle mesure ces phnomnes sont-ils instrumentaliss par certains Etats pour justifier certains aspects de leur politique trangre? Les organisations criminelles et terroristes dans lEtat8La premire crainte qui vient l'esprit lorsque l'on voque les " superpuissances du crime "7, c'est l'mergence de groupes suffisamment organiss, rationnels et puissants pour constituer un Etat dans l'Etat et remettre en cause le monopole de la contrainte lgitime tout en mettant en pril les institutions dmocratiques. La seconde est de voir leurs activits, qu'elles soient de nature terroriste ou orientes sur les trafics et la grande criminalit, mettre en pril la paix sociale, la prosprit conomique, voire la vie de la population. 7 Raufer, 1994. 1.1 - L'existence des organisations criminelles et terroristes 9Il n'existe pas d'organisations criminelles traditionnelles en France comme ce peut tre le cas en Italie du Sud, au Japon ou Hong Kong. Les formes les plus labores de la criminalit traditionnelle sont la bande organise ou le gang gnralement dsigns par le terme de " grand banditisme ". Celui-ci se caractrise notamment par la nature phmre des groupes impliqus qui se dissolvent spontanment aprs quelques oprations ou se dispersent aprs l'arrestation de certains de leurs membres. La prennit des organisations criminelles traditionnelles que l'on peut trouver l'tranger les distingue fondamentalement de ces associations ponctuelles. Cosa Nostra en Sicile, les Boryokudan au Japon, les Triades de Hongkong et de Taiwan sont formes sur une base ethnique et/ou rgionale, des traditions souvent sculaires et un sentiment fort d'appartenance une communaut. Lorsque l'un de ses dirigeants est arrt ou tu, l'organisation ne disparat pas. Elle se transforme et volue pour s'adapter aux agressions dont elle fait l'objet et aux opportunits qui s'offrent elle. Elle traverse des phases de contraction, voire d'hibernation, dans les priodes difficiles et d'expansion quand la conjoncture lui est favorable, mais elle demeure. Xavier Raufer a qualifi ce type d'organisation de biologique pour souligner son analogie avec un tre vivant distinct des organes qui le composent. On prfrera le qualificatif de communautaire tant le lien social qui unit, d'une part, les membres entre eux et, d'autre part, l'organisation son milieu semble essentiel pour comprendre la capacit de survie de ces entits. Ce type de distinction entre les bandes organises et les organisations criminelles n'est pas limit au champ de la criminalit de droit commun. Elle apparat galement dans le cas des groupes terroristes dont la disparition a t consomme avec l'arrestation de leurs dirigeants historiques, comme dans le cas d'Action Directe ou de la Fraction Arme Rouge allemande, tandis que d'autres entits inscrivent leur action dans la dure comme l'ETA, l'IRA ou certaines organisations islamistes. 8 Matard-Bonucci, 1994, p.122. 9 President William JClinton Remarks by the President on keeping America safe for the 21st century (...) 10L'existence de ce type d'organisation dans un Etat suscite plusieurs craintes, commencer par la remise en cause du monopole tatique de la contrainte. C'est le groupe lui-mme et sa capacit potentielle de violence qui suscitent la crainte plutt que l'exercice de ses activits. C'est ainsi que la premire guerre anti mafia livre par l'Etat italien contre Cosa Nostra a t conscutive la constatation faite par Bnito Mussolini, lors d'un dplacement en Sicile, que c'taient les Hommes d'honneur et non les services de l'Etat qui faisaient rgner l'ordre sur l'le8. La puissance mafieuse, dont l'origine est gnralement lie au contrle d'un territoire, est en effet fonde sur la capacit faire rgner son ordre. La rgle n'est toutefois pas intangible et en cas de grande faiblesse de l'Etat, les conflits internes entre factions criminelles acclrent souvent la drive vers un nouvel tat de nature o la seule loi est celle du plus fort comme on le constate au Libria et en Somalie ou dans certains rgions des Balkans. Applique aux groupes terroristes, la crainte de la remise en cause du monopole du recours la violence s'est largement amplifie au cours des dernires annes du fait du dveloppement souvent voqu des risques nuclaire, radiologique, biologique et chimique et des possibilits offertes par le " cyber-terrorisme ". Les Etats-Unis, quelle que soit l'administration en place, se sont fait une spcialit de multiplier les mises en garde et les discours alarmistes sur ces deux questions9. La nouveaut en la matire tient au fait que la capacit de nuisance d'un groupe dpend moins que par le pass de ses moyens humains ou financiers, ce qui rend la menace qu'il reprsente moins facilement dcelable. La destruction du World Trade Center a toutefois dmontr que le terrorisme de masse ne passait pas ncessairement par le recours la haute technologie, puisque les dtournements avaient t effectus par des hommes arms de ciseaux et de rasoirs. 10 On citera, parmi les diffrentes organisations horizontales la 'Ndrangheta calabraise, la (...) 11Le spectre de la menace constitue par des groupes arms demeure toutefois largement du domaine du fantasme, du moins en Europe occidentale. On a pu constater en Amrique du Sud, en Afrique ou en Asie l'mergence de vritables armes prives exerant un contrle effectif sur des territoires tendus. Ces puissances peuvent se situer la limite entre le criminel et le politique, comme la gurilla Shan en Birmanie/Myanmar ou les FARC en Colombie qui affichent des objectifs idologiques mais utilisent leurs territoires comme autant de bases de production et de transit de stupfiants. Certaines armes prives semblent essentiellement criminelles comme le celle du Cartel de Medellin avant la chute de Pablo Escobar, d'autres sont difficiles qualifier, comme les milices des war lords africains. Mais la monte en puissance de ce type de forces semble limite des rgions dans lesquelles le manque de moyen des autorits et surtout la nature du terrain contrl, gnralement trop difficile d'accs pour donner lieu des oprations militaires efficaces, garantissent une certaine impunit. En Europe occidentale et singulirement en France, la constitution d'armes prives susceptibles de tenir militairement en chec les moyens de l'Etat a donc bien peu de chance de se concrtiser, d'autant que la logique criminelle et terroriste pousse naturellement la division. Trop souvent prsentes comme des entits homognes (" la mafia ", " la mafia russe "), les organisations criminelles sont en fait animes par un perptuel esprit de concurrence. Pour prendre l'exemple de " la mafia " italienne, il s'agit en ralit de cinq groupes criminels distincts par leur histoire, leur origine gographique, leur mode d'organisation et de fonctionnement. Parmi eux, Cosa Nostra, la mafia sicilienne, est compose de plus de cent familles, dont les actions sont coordonnes de faon intermittente et chaotique par une instance suprme, la Coupole. D'autres groupes mafieux sont structurs sur un modle purement horizontal et se trouvent donc naturellement en concurrence quand ils exercent leurs activits en dehors de leur territoire10. Ce fractionnement des " mafias " est une constante observe dans toutes les organisations traditionnelles, et constitue un frein la structuration d'entits criminelles homognes. 11 C'est le cas en Irlande du Nord avec l'IRA vritable qui s'est oppose aux accords du Vendredi (...) 12Les organisations terroristes n'chappent pas cette tendance, pour des raisons diffrentes. Sans parler de concurrence, on soulignera tout d'abord que l'histoire de la plupart d'entre elles est marque par la multiplication des scissions et l'apparition des branches dures minoritaires quand on aborde une phase de ngociations politiques11. Mais le morcellement des organisations tient la nature mme de l'action terroriste qui s'analyse le plus souvent comme une alternative la gurilla et la guerre, faute de moyens. Quand un groupe n'a pas la possibilit de conduire des actions de type militaire, qui supposent des concentrations d'effectifs sur un objectif et par consquent une structure pyramidale, ce type de formation devient non seulement inutile mais dangereux. Former une organisation clandestine sur le mode militaire, c'est s'exposer des dmantlements massifs du type de ceux qu'a subi l'IRA avant de changer radicalement son mode de fonctionnement au dbut des annes 1970. Seule une organisation cloisonne, dans laquelle chaque individu ne connat qu'un nombre limit de camarades et de responsables, permet de limiter les risques d'identification et d'infiltration des filires. Mais elle limite d'autant les capacits de coordination et donc de formation d'une vritable force arme. Il reste toutefois valuer dans ce domaine les possibilits de coordination offertes par les moyens de transmissions modernes, rapides et difficiles contrler, qui peuvent modifier sensiblement les pratiques et faciliter une coordination oprationnelle " chaud ". 12 La " Kalle Boroka " est une forme de gurilla urbaine mene par des sympathisants (...) 13On objectera cette constatation des limites objectives de la force arme des organisations criminelles et terroristes que des exemples existent, dans les dmocraties occidentales, de territoires contrls par des organisations criminelles. Comment expliquer autrement qu'un Toto Riina ait pu vivre 18 ans Palerme alors qu'il tait recherch activement? Le contrle mafieux existe effectivement, mais il se distingue fondamentalement du contrle arm et militaire car il ne remet pas ouvertement en cause, du moins dans ses modalits traditionnelles, l'autorit de l'Etat. Le groupe terroriste, qui dnie l'autorit publique l'exercice de ses prrogatives mais n'a pas les moyens d'imposer ouvertement son ordre, exercera un contrle bref et parfois brutal de zones qu'il revendique: c'est la Kalle Boroka au Pays Basque12 ou, un degr moindre, les dmonstrations de force des groupes clandestins en Corse. Le contrle de type mafieux s'exerce, l'inverse, de faon souterraine. Il participe mme la prservation de la paix publique et l'ordre de la rue. Assurer la " protection ", ce n'est pas seulement s'abstenir d'agresser la personne rackette, c'est aussi s'engager prserver ses intrts, ce qui revient contrler effectivement l'ensemble des activits criminelles sur son territoire. Les petits dlinquants sont d'ailleurs frquemment la cible des organisations mafieuses. Rien ne doit troubler le fragile quilibre des apparences qui permet de se livrer aux trafics. La violence reste pour l'essentiel latente et la menace doit suffire. Les explosions de violence mafieuse sont de rares exceptions prs tournes vers l'intrieur: les affrontements entre groupes concurrents et les luttes intestines pour la conqute ou la prservation du pouvoir sont l'origine de la plupart des homicides. 13 De Brie, 2001. 14Un autre type de menace susceptible d'tre constitu par les organisations criminelles et terroristes est celui qui pse sur le fonctionnement des institutions dmocratiques. La pression impose par l'action terroriste et l'usage systmatique de la corruption par des groupes criminels disposant de moyens considrables sont-ils de nature mettre en cause, sinon l'indpendance nationale, du moins le fonctionnement normal des institutions et le respect des principes d'galit, de lgalit qui fondent tout systme dmocratique? La rvlation de nombreux scandales mettant en cause, dans toutes les rgions du monde, des dirigeants politiques et des responsables de l'administration, de l'arme ou de la justice, invite s'interroger sur la nature relle de l'influence exerce par des organisations criminelles sur les Etats. Le spectre d'une mafia omnipotente, d'une internationale criminelle contrlant ministres, policiers et juges est rgulirement agit par les partisans d'une guerre outrance la criminalit internationale. Elle l'est galement, et c'est plus rcent, par les adversaires de la mondialisation qui dnoncent la collusion objective entre les multinationales, les mafias et les gouvernements13. La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure les phnomnes de corruption manifestent le contrle des institutions par des organisations structures, ou si l'on assiste des processus distincts et confus de criminalisation des lites, l o les opportunits et les lacunes du contrle dmocratique et judiciaire le favorisent. Dans le cas d'un contrle exerc par des parrains, l'intentionnalit et la rationalit du processus visant au dprissement de l'Etat pourraient tre, dans certaines conditions, assimiles une forme d'agression et donc constitutives d'une menace au sens de la dfense. La corruption non organise constitue pour sa part un risque en raison de ses effets, et ne changerait pas fondamentalement de nature. Les personnes impliques activement ou passivement ne constituent chacune qu'un lment isol, sans qu'il soit possible de mettre en vidence l'existence d'un plan d'ensemble ni d'une volont de nuire. 14 L'opration " Juste Cause " a t conduite par les Etats-Unis en dcembre 1989 (...) 15 Le gouvernement Yilmaz a dmissionn notamment en raison de la rvlation des liens (...) 16 Cartier-Bresson, 1995. 15Les manifestations de la corruption sont trs diverses. Elles peuvent donner lieu des oprations spectaculaires comme " l'arrestation " par les forces amricaines du chef d'Etat du Panama, le gnral Noriga14. Elles peuvent provoquer la chute de gouvernements comme en Turquie15 ou se rvler aprs les changements de rgimes comme dans plusieurs Etats africains. Elles peuvent tre socialement tolres car conformes des pratiques communment admises, ou prendre des formes plus discrtes dans les socits o ces usages sont jugs inacceptables16. Dans ce contexte trs variable, la place tenue par les organisations criminelles est difficile valuer et en tout tat de cause suffisamment diffrencie pour que toute simplification soit hasardeuse. Sans que la distinction puisse tre considre comme dfinitive et absolue, on peut notamment distinguer deux grandes formes de criminalisation de l'Etat: la premire s'opre par le haut, les lites pratiquant titre quasiment ordinaire et d'initiative la corruption et la concussion. Dans la seconde forme, l'initiative de la corruption vient du bas, c'est--dire des organisations criminelles, voire d'oprateurs privs dont l'activit principale n'est pas criminelle par nature. 16Dans un systme de criminalisation " par le haut ", on assiste la mise en place d'oligarchies s'appliquant partager les prbendes tires de l'exercice du pouvoir. Qu'il s'agisse du dtournement des fonds publics et de l'appropriation des aides internationales comme dans le Zare de Mobutu ou les Philippines de Marcos, de la couverture des trafics comme dans la Birmanie du SLORC ou le Panama de Noriga, il semble que le principal attrait du pouvoir soit d'assurer l'enrichissement du clan en place par le contrle des ressources de toute nature. Dans cette configuration, qui ne s'observe que dans des rgimes autoritaires ou dans lesquels une vritable culture dmocratique ne s'est pas encore impose, la question du rle des organisations criminelles ne se pose pas, l'autorit publique tant elle-mme quasi criminelle. Noriga entretenait avec les cartels colombiens auxquels il facilitait l'accs au march amricain, des relations d'gal gal. La junte de Rangoon a ngoci la reddition de Khun Sa qui a dpos les armes aprs trente ans de gurilla pour se reconvertir dans le ngoce de pierres prcieuses. A un niveau moindre de responsabilits, les postes d'autorit publique sont particulirement priss car l'abus de pouvoir et les dtournements permettent d'assurer un niveau de vie sans commune mesure avec celui qu'autorisent des traitements notoirement insuffisants. 17 Le Cartel de Cali a particip au financement de la campagne lectorale du prsident Samper. (...) 18 Le gnral Guttierez Rebollo, principal responsable de la lutte contre les trafiquants au (...) 17La criminalisation " par le bas " semble l'inverse se dvelopper dans les pays dmocratiques o la corruption est gnralement moins tolre, encore que les pratiques sociales en la matire diffrent normment d'une socit l'autre. Dans cette hypothse, les titulaires de responsabilits de tous ordres ne sont pas a priori animspar la volont de s'enrichir. La ncessit de financer les campagnes lectorales, de s'attacher une partie de l'lectorat et plus rarement d'obtenir des avantages pcuniaires ou des services pousse certains nouer des liens interlopes avec des organisations criminelles. Dans des contextes trs diffrents, on citera les divers scandales rvls en Italie sur les relations existant entre des dirigeants de la Dmocratie chrtienne et des capi de Cosa Nostra ou celui, dj voqu, de la dmission du gouvernement Yilmaz en Turquie. La " mort politique " du prsident colombien Ernesto Samper ds le dbut de son mandat17 ou la multiplication des mises en cause aprs la perte du pouvoir par le Parti rvolutionnaire institutionnel au Mexique18 fournissent d'autres exemples dans lesquels des organisations structures sont parvenues exercer une influence suffisante sur l'Etat et ses reprsentants pour mettre en pril le fonctionnement normal de ses institutions. Dans la plupart des cas, les scandales lis ces affaires ont des consquences non ngligeables sur la politique trangre des Etats concerns. L'affaire de Susurluk tait particulirement malvenue alors que la Turquie ngociait avec les difficults que l'on sait son adhsion l'Union europenne. Quant au prsident Samper, son action a t en grande partie inhibe par l'exploitation des accusations de financement mafieux de sa campagne pour lesquelles il avait pourtant t blanchi l'issue de la procdure constitutionnelle. 19 Blanc et Resnik, 1996, Slavinsky, 1996. 20 Sapir, 1996; Mendras, 1994; Guy, 1995. 18La distinction entre la criminalisation par le haut et par le bas ne doit pas tre considre comme simple et dfinitive et dans de nombreux cas on constate des formes hybrides. La banalisation de la criminalisation induite par les activits mafieuses tend naturellement imposer, avec le temps, une forme de corruption ordinaire qui peut aboutir une forme de criminalisation complte des lites, comme cela a pu tre observ au Mexique sous le mandat du prsident Salinas. La situation peut tre suffisamment complexe, comme en Fdration de Russie, pour qu'on puisse s'opposer sur le fait de savoir dans quelle mesure la corruption est un phnomne institutionnel conscutif l'ouverture brutale et dsordonne l'conomie de march ou si ce sont " les mafias " qui sont l'origine du phnomne. Si certains auteurs considrent que les mafieux reprsentent un vritable pouvoir19, il semble qu'une majorit des observateurs analyse le dveloppement de la criminalit organise dans l'ancienne Union sovitique comme un symptme et non comme un facteur dclenchant20. En tout tat de cause, les organisations sont encore plus fragmentes et concurrentes en Fdration de Russie qu'ailleurs: aux bandes mafieuses traditionnelles s'ajoutent de nombreux groupes ethniques eux-mmes divises en multiples gangs, des rseaux forms par d'anciens apparatchiks ou de militaires et de " nouveaux entrepreneurs " particulirement bien adapts l'anomie relative dans laquelle ils voluent. Il n'existe de toute faon pas en Russie plus qu'ailleurs un pouvoir mafieux centralis et rationnel conduisant une politique dlibre de contrle des institutions et des centres de dcision conomiques. 19Le contrle mafieux sur les institutions est sans doute l'un des critres qui permet de distinguer la criminalit organise de la criminalit ordinaire qui, mme dans ses formes les plus structures, ne dispose pas de la cohrence et du temps ncessaires pour exercer une vritable influence sur les dcideurs. C'est ce qui diffrencie les organisations italiennes de leurs cousines de la Cte d'azur o la mort d'un Fargette plonge le Milieu dans une anarchie que ne viennent temprer aucune tradition, aucun code, en un mot aucun ancrage communautaire. C'est en effet l'intgration dans une communaut, la pratique permanente de la mdiation sociale, de l'arbitrage, l'exercice d'une autorit spontanment reconnue par une partie au moins de la population qui permettent aux organisations criminelles de perdurer. Leurs activits criminelles ne sont d'ailleurs gnralement apparues que progressivement et relativement tard: les Yakusas japonais taient l'origine des socits d'entraide de joueurs et de colporteurs; les Triades revendiquent une filiation avec les organisations combattantes clandestines formes lors de la chute de la dynastie Ming et de la prise du pouvoir par les Mandchous; les premiers Hommes d'honneur de Cosa Nostra ont t les gardiens des grandes proprits rurales siciliennes. La fonction sociale que jouent encore parfois les organisations criminelles et, en tout cas, qu'elles ne cessent de revendiquer, les conduit naturellement tisser des rseaux, obtenir des faveurs et rendre des services en change. Elles doivent pour cela prendre toute l'influence ncessaire dans la vie publique pour jouer leur rle traditionnel et pour conduire leurs oprations criminelles dans les meilleures conditions. Il en rsulte qu'il n'y a pas d'opposition naturelle entre le pouvoir mafieux et l'Etat. La recherche du statu quo, dj voque propos de la violence physique, joue galement en matire d'influence. Il ne s'agit pas de se livrer une agression vis--vis de l'Etat mais d'exercer ce que l'on a pu qualifier de " souverainet parallle ". Celle-ci a pour finalit de s'assurer la fidlit d'une clientle sur un territoire, d'obtenir des aides et des marchs publics et d'assurer une impunit policire ou judiciaire aux membres du groupe. Quand les organisations sortent de ce registre, surviennent des affrontements violents dont elles sortent toujours perdantes: Cosa Nostra a rompu trois fois ce statu quo, en faisant trop bien comprendre Mussolini qui dtenait rellement le pouvoir en Sicile, en assassinant le gnral Dalla Chisa en 1982 et, dix ans plus tard, en assassinant tour tour le dput Salvo Lima et les juges Falcone et Borsellino. A chaque fois, Cosa Nostra est sortie trs affaiblie de ces affrontements. De mme, la puissance par trop ostensible de Pablo Escobar et la pression terroriste qu'il a fait peser sur le gouvernement colombien sont l'origine de la chute du Cartel de Mdellin et, dans son sillage, des grands cartels colombiens aujourd'hui dmembrs en organisations de moindre importance. 21 Cf. Mauro, 1999, pour l'chelle de corruption de Transparency international 1998. 20Il apparat donc que l'influence exerce par des organisations criminelles sur les institutions est en quelque sorte autorgule. D'une faon gnrale, elle n'est pas anime par une intention hostile mais par une intention coupable au sens que le droit pnal donne cette notion. Cette constatation n'a pas pour consquence de sous-estimer les effets possibles que peuvent entraner la corruption et la criminalisation de l'appareil d'Etat. Elle conduit simplement constater qu'il n'y a pas en l'occurrence de changement de nature des acteurs criminels mais une volution de leurs pratiques et surtout des moyens dont ils disposent en raison, pour l'essentiel, d'volutions gostratgiques et conomiques. Il est d'ailleurs utile de noter que l'valuation des niveaux de corruption effectue par un institut indpendant fait apparatre l'absence de corrlation avec l'existence de grandes organisations criminelles: si la Russie et le Mexique comptent parmi les pays o la corruption est la plus forte, l'Italie est en milieu de tableau, le Japon et ses Yakusas se situe de peu devant la France alors que Hong Kong et ses Triades est aussi vertueux que l'Allemagne21. 22 Mao Ze Dong, 1972, p.120: "Notre stratgie, c'est de nous battre un contre dix et (...) 21Si l'absence d'intention hostile devait suffire carter une menace criminelle sur les institutions des Etats dmocratiques, qu'en est-il des organisations terroristes qui mettent en cause leur lgitimit? La rponse est simple: il n'y a pas d'exemple d'institutions dmocratiques mises en pril par des actions terroristes. L'intention hostile est bien prsente mais les moyens de la concrtiser sont gnralement insuffisants. Le choix de recours au terrorisme s'opre toujours par dfaut, parce que les voies plus directes, rputes aussi plus nobles et en tout cas plus acceptables politiquement ne peuvent tre utilises. Quand on n'a pas les moyens de gagner une guerre classique, on se livre la guerre de gurilla, la " petite guerre ", pour reprendre une terminologie ancienne, qui consiste compenser une infriorit militaire par des regroupements momentans de moyens sur des objectifs limits22. Mais conduire une guerre de gurilla suppose que l'on dispose de moyens articuls sur un mode militaire, comme on l'a vu plus haut, et de zones suffisamment sres pour assurer leur entranement et leur logistique. Quand ce n'est pas le cas , il ne reste que l'action clandestine et le terrorisme, jamais revendiqus en tant que tels par ses auteurs qui se prsentent comme des combattants de l'avant garde. C'est l'chec d'une gurilla palestinienne qui a prcd le recours au terrorisme pour en appeler l'opinion publique internationale. C'est par faute de moyens que l'IRA comme l'ETA se sont rsigns abandonner leur stratgie de gurilla. Une bonne illustration de cette rgle est donne par les Tigres tamouls qui modulent les procds employs en fonction de la situation locale. Dans le nord du Sri Lanka o la population tamoule est majoritaire et l'Eelam en position de force, est conduite une vritable guerre de position contre l'arme rgulire. Dans l'est o le rapport de forces est moins favorable, les Tigres mnent une guerre de gurilla tandis qu'au sud de l'le et sur le sous-continent indien, c'est l'action terroriste qui est privilgie. Si un groupe politique a recours la violence terroriste, c'est qu'il n'est pas en situation de recourir un autre type de violence. En dpit de cette faiblesse objective, il pourra parfois tirer un gain politique de son action et obtenir le passage une phase de ngociation politique mais ne sera jamais en mesure de mettre des institutions dmocratiques en pril. 22Sans remettre en cause la lgitimit de l'Etat et sans paralyser le fonctionnement de ses institutions, l'acte terroriste peut toutefois peser sur les choix politiques majeurs. A cet gard, l'attentat dont les consquences politiques auront t les plus dramatiques est sans doute l'assassinat d'Itzak Rabin en 1995. Le changement de majorit qui s'en est suivi en Isral a marqu le commencement de la paralysie du processus d'Oslo avec les consquences que l'on sait, tant en Isral et dans les Territoires qu'aux Etats-Unis. L'efficacit du hurting power terroriste est jusqu' prsent reste limite et il n'y a pas d'exemple d'Etats ayant profondment modifi leur politique trangre la suite d'attentats. Il est toutefois trop tt pour voquer les consquences que les attentats de septembre 2001 auront terme sur la politique trangre des Etats-Unis. 1.2 - L'activit des organisations criminelles et terroristes 23Les activits des organisations criminelles et paradoxalement celles des organisation terroristes voluent et s'adaptent en permanence. Si l'activit privilgie des groupes traditionnels est le racket, des opportunits nouvelles apparaissent et suscitent des changements d'orientation comparables celles que peuvent oprer des entrepreneurs privs. La contrebande de cigarettes, le trafic d'alcool et de stupfiants, le ngoce des armes, la traite des tres humains, la prostitution et la mise sur pied de filires d'immigration clandestine sont tour tour privilgis. Les rgles de base de cette adaptation permanente sont simples: tenir compte des opportunit offertes par l'volution de la demande et rechercher surtout le meilleur rapport cot/efficacit/risques. L'valuation du volume de ces activits n'est pas aise. On ne reviendra pas sur la difficult qu'il y a dfinir ce qu'est la criminalit organise ou une organisation criminelle, ni mme sur les imprcisions souvent soulignes dans l'valuation gnrale de la dlinquance et de son chiffre noir. La question qui se pose ici est de dterminer quelle part prend la criminalit organise dans la criminalit totale. Cette part peut tre la consquence d'une action directe: les cartels mexicains importent de la cocane aux Etats-Unis; mais cette action peut aussi tre indirecte: en important de la cocane aux Etats-Unis, le cartel mexicain provoque une chane d'infractions qui comprend les oprations de reventes successives et les infractions commises par certains toxicomanes pour acheter leur dose. Parfois, l'organisation criminelle ne fera que tirer profit d'un besoin existant: les parrains mexicains ne sont pas l'origine de la demande exprime pour la cocane en Europe. Parfois, la concentration verticale des filires fait que le besoin est en partie suscit par les trafiquants, surtout au niveau de la revente, et la baisse des prix cause par l'augmentation de la production joue sans doute sur la demande. En tout tat de cause, les lments sont difficilement quantifiables: sur les 300 000 vhicules vols en France en 2000, combien ont t exports via des filires organises? Il faut se contenter en la matire d'ordres de grandeur et d'valuations qui suffisent toutefois tablir que le cot social de la criminalit n'est pas devenu tel que ce phnomne ait chang de nature. 23 AFP du 4 avril 1998. 24 Chaliand, 1998, p.661. Cette valuation ne prend videmment pas en compte les morts (...) 25 Chesnais, 1981, p.81 sqq. 24Le premier indicateur que l'on retiendra est sans doute l'un de ceux qui peuvent tre tablis avec le plus de prcision, puisqu'il s'agit des homicides. Il apparat que, mme dans des pays o leur nombre est trs lev, la part prise par la criminalit organise ou les attentats est relativement faible. En Colombie o l'on constate prs de 30 000 homicides par an, un tiers seulement des victimes est mettre au crdit des cartels et des gurillas23. En Europe occidentale, les homicides sont plus rares et les flambes de violence mafieuses constates de faon rcurrente en Italie du Sud correspondent gnralement des guerres entre Familles au sein de Cosa Nostra ou de la Camorra. Pour la France, les chiffres communiqus l'Union europenne sont voisins d'une quarantaine d'homicides par an et encore s'agit-il davantage d'affaires lies au grand banditisme (braquages et rglements de comptes) qu' la criminalit organise proprement dite. S'agissant du terrorisme, le total des victimes constates dans le monde depuis 1960 a t valu 10 00024. En Europe occidentale, les pertes se dplorent principalement en Irlande du Nord (3000 entre 1969 et 1993) et au Pays Basque espagnol (800 depuis le dbut de la lutte arme). SOS attentats a dnombr 364 dcs en France ou de ressortissants franais l'tranger entre 1974 et 1996. Sans faire injure aux victimes et leurs proches on peut noter que la mortalit constate due au terrorisme et la criminalit organise reste trs marginale, tant en comparaison des autres causes de mortalit (accidents domestiques ou du travail) qu'au regard du nombre total des homicides constats qui se situent autour de 1000 par an en France. La manifestation la plus grave de ce type de violence s'observe pour la France en Corse, rgion dans laquelle les crimes de sang ont toujours t sensiblement plus nombreux que sur le continent25. Gnralement mise sur le compte du terrorisme, la violence physique en Corse prsente les apparences d'une manifestation mafieuse ou protomafieuse compte tenu de son caractre essentiellement interne. Les milliers de morts du World Trade Center constituent donc une nouvelle donne dans l'histoire du terrorisme international. La question est de savoir si cet attentat doit tre considr comme la prfiguration d'une re nouvelle qui serait celle du terrorisme de masse, ou s'il s'agit d'une exception sanglante la rgle qui voudrait que la violence terroriste soit en quelque sorte autorgule. Pour des raisons que nous dvelopperons plus bas, nous nous en tenons la thse de l'exception. D'une faon gnrale, la criminalit constate ne permet pas de prtendre que la violence physique ait chang de nature et que les homicides mafieux ou terroristes chappent dsormais au domaine de la protection des personnes pour s'intgrer celui, plus global, de la protection des populations. 26 Pour Xavier Raufer, 99% des dlinquants seraient toxicomanes; Raufer, 1994, p.211. 27 Kopp, 1995, 1998. 28 En 1996, le ministre franais des Affaires europennes situait le cot des fraudes la (...) 25Un cot social beaucoup plus difficile valuer que les homicides est celui du trafic de drogue et de la toxicomanie. Les mthodes utilises permettent en effet d'agrger plus ou moins de cots selon que l'on intgre ou non la criminalit induite par les besoins des toxicomanes qui fait parfois l'objet de chiffrages fantaisistes26. Une tude propose un cot global de 4,7 milliards de francs (720 millions d'euros) incluant notamment la prvention, les soins, les services de police et les cots de dtention27. Une somme sans doute considrable mais qui au regard du PNB voire du budget de l'Etat n'est pas susceptible de remettre en cause les quilibres conomiques. Le cot des fraudes lies la criminalit organise est sans doute plus lev, mais leur valuation dans l'Union europenne varie dans des proportions importantes28. Cette imprcision laquelle s'ajoute l'impossibilit chiffrer la part prise par les organisations criminelles dans les dtournements ne permettent pas de dterminer les montants en jeu. 26Au del de la fraude, les effets induits par la criminalit organise sur les quilibres conomiques sont frquemment voqus. Le chiffre mythique des 500 milliards de dollars du march de la drogue, les centaines de milliards de dollars de capitaux blanchis, la proposition faite par un reprsentant de Pablo Escobar au gouvernement colombien de payer la dette extrieure du pays en change d'une amnistie, semblent accrditer l'ide que les puissances du crime disposent de capitaux quasiment illimits et mettent en danger des quilibres macro-conomiques. Dans ce domaine galement, les affirmations fracassantes rsistent difficilement l'analyse et le changement de nature de la criminalit internationale est loin d'tre dmontre. 29 de Maillard, 1998; Marie-Christine Dupuis, 1998, pp.7 et 16. 27On notera en premier lieu que les effets macro-conomiques des grands trafics et du blanchiment sont mal connus et pour tout dire rarement voqus par les conomistes. Le blanchiment et les flux d'argent sale font l'objet de nombreuses publications qui dcrivent prcisment les mcanismes utiliss pour recycler les fonds d'origine criminelle sans que les consquences de ces mouvements ne soient prcises29. On cherchera en vain, dans les analyses portant sur les diffrentes crises financires traverses par les marchs au cours des dernires annes, la dsignation du crime organis comme un facteur dclenchant ou mme majeur des instabilits. De la mme faon, on notera que le terme de blanchiment n'apparat pas dans l'index des manuels de science conomique. S'il est tabli que les activits criminelles gnrent des plus values trs importantes, le rle nfaste que les mouvements financiers jouent dans une conomie nationale ou dans sur les marchs internationaux reste prciser. Il semble en tout cas suffisamment limit pour que les analystes financiers ne le mentionnent quasiment pas dans leurs travaux. 30 Arlacchi, 1986. 28Il reste que les revenus engendrs par les grands trafics sont de nature permettre des organisations criminelles d'intervenir directement dans les activits conomiques et de se comporter peu ou prou comme des entrepreneurs ou des financiers ordinaires. Ce phnomne est constat dans les rgions effectivement contrles par des organisations criminelles. On a mme dvelopp une thorie de la " mafia entreprise " en soulignant les analogies qui existent entre les organisations le mieux structures et les entreprises lgales30. Cette ingrence du criminel sur les marchs a notamment pour effet de perturber gravement le principe de concurrence: l'entrepreneur mafieux dispose de capitaux illimits et ne recourt pas l'emprunt; il s'affranchit largement des rgles du droit social et syndical et surtout utilise la menace et/ou la violence pour dcourager les concurrents. De telles situations dissuadent des entrepreneurs de s'installer dans les zones o l'conomie criminelle atteint un seuil de sursaturation. La Fdration de Russie dans laquelle de nombreux groupes internationaux rpugnent s'installer par crainte du racket et des diverses formes d'escroqueries en fournit un bon exemple. Dans une telle situation, non seulement les capitaux trangers sont rares mais on constate une vasion importante des devises vers des places juges plus sres. Le dveloppement d'activits criminelles, qu'elles soient ou non organises, ajoute sans doute la difficult d'assainir la situation. Le risque principal rside alors dans le passage un stade de criminalisation " par le haut " o les institutions politiques et les services de l'Etat s'associent de faon quasi permanente aux activits illgales. 31 En juin 1998, le plan d'radication de 4 milliards de dollars prpar par le secrtaire (...) 29L'conomie criminelle peut tre galement un facteur de dveloppement et de prosprit. Cette capacit est frquemment mise en avant par des chefs mafieux qui se prsentent comme des employeurs. Mettre fin aux multiples trafics qui se pratiquent en Calabre ou Naples sous le contrle plus ou moins direct des organisations locales, c'est priver des dizaines de milliers de personnes de leurs moyens de subsistance. Cela dit, le dveloppement des conomies parallles n'est pas toujours li la criminalit organise mme si en amont (production de stupfiants, contrefaon) des structures importantes doivent intervenir pour qu' un niveau infrieur les petits intermdiaires puissent " travailler ". Le rle social des organisations criminelles apparat avec encore plus d'vidence dans le cas de la culture de d'opium, de la coca ou du cannabis. L'abandon des cultures vivrires ou des productions traditionnelles (cacao, caf) au profit des stupfiants peut tre considr comme un dsastre. Mais le producteur qui les organisations criminelles achtent sa production bnficie de revenus incomparablement plus levs que ceux qu'il peut esprer de ses activits traditionnelles. Le crime international peut donc tre localement un facteur de dveloppement. C'est la raison principale pour laquelle tous les plans d'radication, qu'ils soient nationaux ou internationaux, se sont plus ou moins solds par des checs31. 30S'agissant des moyens financiers dont disposent les " superpuissances du crime ", une approche simpliste consiste les prsenter comme quasiment illimits et permettant de jouer sur les grands quilibres. Plusieurs lments conduisent donner cette image des proportions plus conformes la ralit. On ne reviendra pas sur le morcellement des groupes criminels et la multiplicit des acteurs. L'emploi du terme " crime organis " laisse entrevoir la perspective d'un quelconque George Soros mafieux disposant comme bon lui semble des centaines de milliards de dollars du chiffre d'affaire criminel. C'est ignorer que la somme des plus-values en question provient de toute la surface du globe et des multiples niveaux de l'activit criminelle. Pour prendre un exemple simple, les plus-values gnres par les diverses reventes de produits stupfiants en demi gros ou au dtail n'ajoutent rien la richesse de l'organisation qui est l'origine du trafic. Un autre lment ne pas ngliger est que l'argent criminel n'a pas la mme valeur que l'argent lgal: le chiffre d'affaire ne correspond pas au bnfice car si certains cots lis aux activits lgales ne sont pas supports par " l'entrepreneur " mafieux, celui-ci doit faire face des charges particulires. La premire est la corruption qui mobilise des sommes trs importantes qui reprsenteraient parfois plus de la moiti des avoirs. La seconde est le cot du blanchiment ncessaire pour que l'argent sale soit inject dans l'conomie l'gale. L encore, la complexit des circuits et le nombre des intermdiaires entament largement les capitaux blanchis. En dernier lieu, on soulignera que la meilleure faon de rendre dfinitif le blanchiment d'une somme est de la soumettre la fiscalit, le paiement de l'impt constituant une garantie particulirement solide du caractre lgal de son origine. 32 d'Aubert, 1993. 31Au final, les sommes considrables gnres par les activits criminelles sont rparties entre une infinit d'intervenants, largement obres par les frais de fonctionnement lis la corruption et au blanchiment. Si les groupes les plus importants disposent effectivement en fin de circuit de capitaux suffisamment importants pour se comporter en entrepreneurs prospres comme c'est le cas sur la Cte d'azur dans des projets immobiliers32, leur puissance conomique et financire n'a rien de comparable avec celle des Etats. Quant aux activits criminelles prises dans leur ensemble, elles peuvent participer l'instauration d'une relative prosprit locale, prsenter l'inverse des obstacles importants au dveloppement conomique en dissuadant l'investissement lgal. Dans tous les cas, l'absence d'intentionnalit amne nouveau classer le phnomne parmi les risques plutt que parmi les menaces. 33 Bui Trong, 1998, p.223. 34 Ce fut notamment le cas Brindisi en 1991 avec des Albanais et dans le Var en 2001 avec le (...) 32Sur la question des troubles l'ordre public, il existe une diffrence fondamentale entre les organisations criminelles et terroristes. Alors que les secondes ont pour objet de troubler gravement l'ordre public, les premires tendent l'inverse exercer leurs activits dans la plus grande discrtion et privilgient l'ordre de la rue. Les origines des principales organisations mafieuses les placent, comme on l'a vu plus haut, du ct de l'ordre apparent et contre la petite dlinquance. Cette observation ne peut toutefois tre faite que dans le cas des organisations les plus anciennes; celles qui sont de cration plus rcente et pour lesquelles le contrle des territoires n'a pas la mme importance ne semblent pas jouer pas le mme rle de rgulation sociale. On le constate par exemple chez les cartels d'Amrique latine ou en Russie. Il reste que la capacit des rseaux criminels assurer le calme apparent de la pax mafiosa constitue un indicateur utile pour valuer leur ancrage communautaire. La capacit des groupes japonais, chinois ou italiens est cet gard remarquable. On s'interroge, dans les zones classes sensibles en France, sur la signification accorder au retour au calme aprs un dveloppement rgulier des violences urbaines et notamment de la violence des jeunes. Il pourrait s'agir d'un symptme de la structuration progressive des initiatives criminelles et de l'conomie souterraine. Le retour au calme favorise le dveloppement des activits lucratives et la perspective de nouveauxembrasements dissuaderait partiellement les forces de l'ordre d'intervenir sur les trafics dans un souci d'apaisement33. Le dveloppement de la criminalit organise, pour ces raisons, ne peut donc pas tre considr comme un facteur d'inscurit gnrale et c'est ce qui la diffrencie de la petite et moyenne dlinquance dont le caractre souvent irrflchi et inutilement violent cause des troubles autrement perceptibles. Quand un groupe de jeunes dlinquants commet une srie de vols l'arrach, le traumatisme physique et moral des victimes est souvent sans commune mesure avec la modicit des gains obtenus. Les organisations criminelles recherchent des profits largement suprieurs dans le trafic, la fraude et le racket qui peuvent se pratiquer dans une grande discrtion. Un type tout particulier de trouble l'ordre public rsulte de l'investissement des organisations, notamment chinoises, italiennes et balkaniques, dans les circuits d'immigration clandestine. Les organisations criminelles ne suscitent pas la volont d'expatriation qui trouve ses causes relles dans les conditions conomiques et sociales et de scurit dans les pays de dpart. Elles facilitent en revanche le transit en mettant en place des filires et provoquent dans le mme temps des concentrations de rfugis dont le dbarquement pose des problmes d'une dimension nouvelle pour les autorits du pays de destination ou de transit34. 33Le rapport la violence des organisations terroristes est fondamentalement diffrent dans la mesure o il s'agit de donner la plus grande rpercussion possible des actions qui ont pour objet de faire entendre un message politique. Si les consquences objectives sont souvent limites, le caractre spectaculaire des oprations destines marquer les esprits peuvent causer de vritables traumatismes. En d'autres termes, l'inscurit terroriste est limite mais le sentiment d'inscurit que suscitent les attentats est considrable. Ce caractre irrationnel de la crainte suscite par les actions terroristes est d au caractre aveugle de certaines oprations et au retentissement que leur accordent les mdias. Cette surinformation, souvent dnonce comme servant les intrts des poseurs de bombe prsente toutefois l'avantage de constituer un facteur limitatif de la violence politique: si l'on peut se faire entendre en tuant trois personnes, il est inutile d'en tuer cent. L'ordre public n'en est pas moins gravement troubl, mme si l'motion provoque peut parfois paratre dmesure. Dans le mme temps, l'une des consquences secondaires de la violence terroriste est une baisse de la dlinquance gnrale. La demande de scurit exprime l'occasion des " vagues d'attentats " justifie la mise en uvre de mesures que les seuls objectifs de scurit publique gnrale ne rendraient pas acceptables en d'autres temps. La participation des armes des services de scurit n'est pas envisageable pour la lutte contre la petite et moyenne dlinquance. La patrouille de lgionnaires dans le mtro parisien n'en est pas moins dissuasive pour les voleurs de sacs mains. Les dispositifs anti-terroristes renforcs ont d'ailleurs tendance rester en place un certain temps aprs que la vague initiale d'attentats a pris fin. En raison d'un effet de cliquet bien connu, il est plus facile de prendre la dcision de les dclencher que d'y mettre fin. Sur la foi d'informations sur la " menace terroriste ", par nature confidentielles, une partie au moins des moyens de renfort reste en place et concourt encore la scurit publique gnrale plusieurs annes aprs la fin des attentats dont on ne peut jamais certifier qu'elle est dfinitive. De nouveaux acteurs des relations internationales? 34Les questions de scurit intrieure sont longtemps demeures marginales dans les relations internationales. Le crime sous toutes ses formes et le terrorisme taient essentiellement nationaux et les quelques initiatives visant faciliter l'entraide entre les Etats taient limites. La coopration policire dpendait pour l'essentiel du bon vouloir des services concerns et ses procdures taient rarement mises en uvre. Les circuits de l'entraide judiciaire empruntaient la voie diplomatique et n'taient activs que pour des affaires exceptionnelles. L'mergence d'une forme de terrorisme international et le dveloppement de la criminalit organise, la criminalisation progressive de gurillas longtemps soutenues par les superpuissances ont suscit dans les annes 1990 un nouvel intrt pour ces phnomnes. Certains auteurs pris de court par la modification radicale des quilibres gostratgiques qui faisaient l'essentiel de leurs travaux ont trouv dans les " nouvelles menaces " un terrain de recherche. La modification profonde de la criminalit internationale sous toutes ses formes dans les dix dernires annes amne se poser deux questions. Tout d'abord, doit-on considrer que le dveloppement des organisations criminelles et terroristes marque, dans une socit internationale qui tend se morceler, un nouveau type d'acteur stratgique? La " dclaration de guerre " des autorits amricaines Oussama Ben Laden semble, premire vue, l'indiquer. Ensuite, dans quelle mesure les phnomnes criminels et terroristes nagure peu voqus dans les ngociations entre Etats sont-ils devenus des enjeux de ces relations, voire un instrument des politiques trangres? 2.1 - De nouveaux acteurs stratgiques? 35Alors que la tactique peut se dfinir comme l'art de combiner tous les moyens militaires au combat, la stratgie concerne la conduite gnrale de la guerre. Elle suppose donc la fois la capacit dfinir un plan d'ensemble et celle d'enchaner des oprations conformment ces orientations gnrales. Reconnatre aux organisations terroristes et criminelles la qualit d'acteurs stratgiques revient donc leur attribuer la fois l'hostilit et la rationalit oprationnelle qui peuvent tre considres comme constitutives d'une agression potentielle et donc d'une vritable menace au sens de la dfense. La prsentation globalisante du " crime organis " est cet gard trompeuse. Elle laisse penser qu'un directoire local, voire mondial, du crime dfinit et conduit une stratgie comme pourrait le faire une oligarchie dans un Etat autoritaire. " L'internationale terroriste " fait galement l'objet de commentaires exagrment simplificateurs dans lesquels la rvlation des contacts entretenus entre diffrentes organisations est prsente comme l'illustration de la structuration de rseaux alors qu'ils se limitent dans la grande majorit des cas de simples changes logistiques et techniques. 35 Trinh, 1998, pp.229 sqq., Campbell, 1999. 36Les organisations pratiquant la violence politique paraissent les plus aptes conduire une stratgie dans la mesure o leur objectif principal est essentiellement politique. La dmarche idologique est parfois complte par un plan stratgique long terme du type de celui qu'Abimal Guzman a suivi au Prou avec le Sentier Lumineux jusqu' son arrestation. Mme des groupes dont les objectifs sont a priori irrationnels, comme Aum Shinrikyo, peuvent disposer de cette facult de suivre un cheminement logique pour atteindre leurs objectifs et ne pas se contenter d'enchaner des actions dsordonnes. L'attentat au sarin perptr dans le mtro de Tokyo prenait place dans un plan pluriannuel destin prparer la fin du monde35. La mise en uvre de telles stratgies, outre l'exigence d'une approche conceptuelle labore, suppose une capacit d'agir dans la continuit qui renvoie nouveau au caractre communautaire du mouvement. La simple agrgation de volonts, mme affirmes, ne suffit pas. Sans un minimum d'enracinement social, les groupes clandestins sont incapables d'atteindre une dimension stratgique: la drive criminelle tend s'accentuer dans les mouvements de taille rduite car la clandestinit est d'autant plus difficile financer que les aides extrieures sont rares. Surtout, les membres et les dirigeants personnifient le mouvement un tel point que l'difice s'croule lors de leur arrestation ou de leur disparition. C'est ce qui diffrencie les euroterroristes d'Action Directe ou des Brigades Rouges de l'IRA ou de l'ETA. Dans un cas des activistes terrs ont commis de courtes sries d'attentats avant de disparatre sans avoir jamais entrevu la perspective d'une concrtisation de leurs objectifs politiques. En Irlande du Nord, l'volution des stratgies de l'IRA et du Sinn Fin a abouti au lancement d'un processus de paix, sans doute encore incertain, mais rendu possible par la continuit du mouvement en dpit des vagues d'arrestations et de la disparition de certains dirigeants. De faon comparable, le mouvement indpendantiste basque existe par lui-mme et rsiste aux succs policiers et aux condamnations. La stratgie n'est pas toujours lisible, elle est minemment condamnable tant qu'elle se fonde sur la violence, mais elle existe. 36 Salvan, 1995. 37L'objectif premier de celui qui utilise la violence terroriste est de se faire reconnatre comme un acteur stratgique et terme, politique. Paradoxalement, ce sont les opposants les plus virulents au terrorisme qui leur accordent satisfaction sur ce point. A l'occasion de la plupart des vagues terroristes, des voix s'lvent pour souligner que ce type de violence n'a plus rien voir avec des activits criminelles. Les forces de police seraient impuissantes, paralyses par des rgles procdurales exagrment protectrices des liberts individuelles alors que la volont d'agression sanglante est clairement exprime. Au changement de nature de la menace devrait ncessairement correspondre un changement de nature de la lutte, avec l'utilisation de procdures d'exception et l'emploi de moyens militaires pour frapper le terrorisme sa source, dans tous ses sanctuaires36. Cette militarisation de la lutte anti-terroriste et la dsignation de groupes pratiquant la violence politique comme des ennemis, au sens guerrier du terme, aboutissent une forme de reconnaissance d'une de leurs principales revendications. Dans les conflits dits asymtriques o un Etat subit l'agression d'un groupe non tatique, le fait de reconnatre ce dernier une dimension supra criminelle va en effet au devant de ses objectifs essentiels. C'est envisager le mouvement comme une entit politique; c'est reconnatre ses membres la qualit de combattants qu'ils revendiquent en permanence. La relation terroriste exprime un conflit de lgitimit dans lequel l'Etat et le groupe qui s'oppose lui se dnient mutuellement le droit d'user de la violence. Sortir le terrorisme de la sphre criminelle, c'est accepter de facto le dfi de la lgitimit et lui apporter une partie du crdit politique auquel il aspire. 37 Ariel Sharon a dvelopp cette argumentation lors d'une confrence prononce devant l'IFRI (...) 38 Toinet, 1989, p.115 sqq. 39 Overview of state sponsored terrorism, US Department of State, 1998 (Internet). 40 Sur la lgalit des raids anti-terroristes, Cf. Regourd, 1986, pp.79 sqq. 38L'approche " guerrire " du terrorisme est rige en principe par plusieurs Etats parmi lesquels on citera Isral et les Etats-Unis. Le cas d'Isral est sans doute atypique pour diffrentes raisons: l'exigut de son territoire, la nature existentielle des conflits que cet Etat a d livrer depuis sa cration et le caractre objectivement instrumental du terrorisme palestinien, seule alternative violente aprs les checs sans appel de la gurilla et de la guerre conventionnelle, n'ont pas d'quivalent dans le monde37. Surtout, la qualit d'acteur politique de l'OLP puis de l'Autorit palestinienne fait l'objet d'une reconnaissance explicite depuis la signature des accords d'Oslo. Le gouvernement isralien ne reconnat mme pas d'autre interlocuteur puisqu'il juge l'Autorit palestinienne responsable des attentats commis sur son territoire. La situation des Etats-Unis est videmment totalement diffrente. Les intrts amricains ont t trs durement frapps, principalement en dehors du territoire, avant mme les attentats du 11 septembre 2001, ce qui fait des Etats-Unis l'une des principales cibles du terrorisme international. La politique constante de Washington est de considrer qu'il n'existe pas de terrorisme juste et que la thorie du terroriste combattant de la libert est sans fondement38. La thse est discutable et infirme par de nombreux contre-exemples dj voqus. La voie militaire a t utilise plusieurs reprises par les Etats-Unis, que ce soit dans la plaine de la Bekaa, en Libye, au Soudan ou en Afghanistan en rponse des attentats. Cette assimilation du terroriste un ennemi a mme conduit le Dpartement d'Etat faire figurer Oussama Ben Laden sur la liste des Etats favorisant le terrorisme ds 199839. On notera toutefois que la voie militaire n'est pas exclusive des poursuites judiciaires, des enqutes de police tant conduites simultanment aux raids de " reprsailles " ou de " lgitime dfense "40. Il n'en demeure pas moins clair que la lutte outrance contre le terrorisme peut aller partiellement au devant de certaines des aspirations propres ceux qui se livrent ce type de violence. 41 Clausewitz in Chaliand, 1990 et Coutau Bgarie, 1999. 39Le caractre asymtrique des conflits terroristes ne concerne pas les seuls moyens mis en uvre par les forces en prsence. Dans une perspective stratgique, il invite revenir l'tude de principes fondamentaux dfinis par Clausewitz41. Celui-ci considre que la guerre totale l'emportera toujours terme sur la guerre limite: pour le militant basque ou l'Irlandais catholique, le conflit est total, ce qu'il n'est pas pour les gouvernements de Madrid ou de Londres. Le stratge prussien professe galement que la guerre dfensive l'emporte sur la guerre offensive. L encore, l'indpendantiste basque ou irlandais voit l'autorit centrale comme une troupe d'occupation. En dernier lieu, Clausewitz affirme que la guerre populaire l'emportera car ce sont les forces vives de la nation qui psent de tout leur poids dans la balance. La question essentielle qui se pose sur la nature exacte des conflits terroristes et la nature de leurs acteurs concerne donc la lgitimit donc ceux-ci bnficient. 40Qui est lgitime? Dans le cas du terrorisme rvolutionnaire, cette question tait contourne: les activistes se prsentaient comme l'avant-garde d'un mouvement populaire potentiel mais qui ne s'est jamais concrtis. Il existait un premier cercle (les clandestins engags dans l'action arme), un deuxime cercle (des sympathisants qui fournissent des facilits logistiques) mais pas de troisime cercle (une part de population qui sans prendre part aux oprations ni leur soutien, fait preuve d'une neutralit bienveillante). On sait ce qu'il advint de ces mouvements sans racines qui luttaient pour un proltariat qui ne s'est jamais identifi eux. Quand les revendications prennent un caractre communautaire, nationaliste ou religieux, la situation devient plus complexe. Celui qui se rclame de l'Islam ou de la nation basque fait rfrence une ralit sociale existante. Cela suffit-il lui accorder la part de lgitimit qui pourrait lui confrer un statut d'acteur des relations internationales? Il existe en Bretagne une histoire, une langue et une communaut trs attache ses traditions sans qu'aucun mouvement autonomiste n'ait jamais t en mesure de revendiquer une quelconque lgitimit. Au Pays basque espagnol, il existe une majorit autonomiste qui se satisfait du partage des comptences tel qu'il est prvu par la constitution actuelle entre l'Etat et les institutions rgionales ou, du moins, n'envisage pas de recourir la violence pour le faire voluer. Cette majorit ne soutient pas pour autant l'ETA car elle ne souscrit pas son objectif et encore moins sa stratgie. En revanche, l'ETA peut compter sur le soutien d'une minorit importante qui revendique l'indpendance pure et simple, y compris pour les provinces situes en France. Cette minorit joue un rle politique travers les vitrines lectorales successives du mouvement indpendantiste mais elle fournit surtout aux commandos illgaux, qui vivent dans la clandestinit et effectuent l'essentiel des attentats, un soutien matriel ainsi qu'un rservoir considrable d'activistes travers un rseau complexe d'associations et de mouvements politiques. C'est donc dans l'observation de ce troisime cercle, dans l'valuation de son importance relative au sein de la population de rfrence et de son adhsion aux objectifs ainsi qu'aux stratgies de lutte que peut s'valuer la substance po