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Xénophon Entre tradition et innovation Entre piété et autorité sous la direction de Vincent Azoulay

Xénophon‘ΕΦΦ339/CEA XLV.pdf · spécialistes de Sparte scrutent attentivement la Politeia des Lacédémoniens, où Xénophon jette un regard admiratif, puis ... royauté consentie

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  • Xnophon

    Entre tradition et innovation Entre pit et autorit

    sous la direction de Vincent Azoulay

  • Direction Dominique Ct, Universit dOttawa Pascale Fleury, Universit Laval

    Comit scientifique Janick Auberger, Universit du Qubec Montral Marie-Pierre Bussires, Universit dOttawa Catherine Collobert, Universit dOttawa Pierre Cosme, Universit Paris I Richard Miles, Cambridge University Victor Parker, University of Canterbury, Christchurch (NZ) Secrtaire de rdaction : Mathieu Dumont-Deslandes, Universit Laval Graphisme de la couverture : Maude Lajeunesse Photo : la Gorgone de Didyme (Baptiste Vergnaud)

    2009 Cahiers des tudes anciennes Tous droits rservs, imprim au Canada

    ISSN 0317 5065

  • Fonds en 1972 et dirigs jusquen 2004 par le professeur Pierre Senay de lUniversit du Qubec Trois-Rivires, les Cahiers des tudes anciennes sont maintenant publis conjointement par le Dpartement dtudes anciennes et de sciences des religions de lUniversit dOttawa et lInstitut dtudes anciennes de lUniversit Laval. Depuis toujours, les Cahiers sont troitement lis la Socit des tudes anciennes du Qubec, dont les membres reoivent un numro des CEA par anne. partir du volume 44 (2007), les Cahiers des tudes anciennes publient un numro thmatique annuellement ; chaque numro est plac sous les auspices dun diteur ad hoc, spcialiste reconnu du domaine ou de la question abords. Toutes les problmatiques pertinentes ltude de lAntiquit peuvent tre traites. Lditeur ad hoc sentoure de plusieurs savants dans une perspective pluridisciplinaire : ainsi, les sujets peuvent tre abords sous langle littraire, historique, philologique, archologique, philosophique, religieux, mythologique, artistique, etc., et peuvent couvrir lensemble de la priode antique, des origines lAntiquit tardive. Si le sujet sy prte, lditeur ad hoc peut galement faire appel des crivains, philosophes, intellectuels contemporains pour largir le champ de la rflexion.

  • Prsentation des manuscrits

    Le texte doit porter le moins de mise en page possible. Le texte doit tre prsent interligne simple en Times New Roman 12 points. Les notes doivent tre prsentes en Times New Roman 10 points et numrotes de faon continue. Le point-virgule et les deux points, le point dinterrogation et dexclamation, ainsi que le numro de page dans les rfrences devraient tre prcds dun espace inscable ; les guillemets ouvrants devraient tre suivis dun espace inscable, les guillemets fermants, prcds dun espace inscable. Il devrait galement y avoir un espace inscable entre linitiale et le nom dun auteur. Tous les mots en langue trangre (y compris le latin, mais excluant le grec) devraient tre en italique. Les rfrences bibliographiques doivent tre compltes (auteur, titre, diteur scientifique du volume, ville, maison ddition, collection, anne, pages) et uniformes. Le nom dauteur doit tre prsent en petites majuscules. Par exemple : B. P. REARDON, The Greek Novel , Phoenix, 23, 3 (1969), p. 291-309. Pour les titres des revues, il est recommand dutiliser les abrviations de lAnne Philologique. Pour le grec, il est prfrable dutiliser Graeca II. Si cela est impossible, il serait apprci que les versions informatiques des textes parviennent en version pdf et soient accompagnes de la lettrine en document attach.

    Vous pouvez adresser toute question ou demande dinformations Pascale Fleury ([email protected]) Veuillez envoyer vos textes au matre duvre du volume auquel vous participez, qui se chargera de les transmettre aux diteurs des Cahiers.

  • Table des Matires

    V. AZOULAY Introduction 7-14

    E. TAMIOLAKI Les Hellniques entre tradition et innovation : Aspects de la relation intertextuelle de Xnophon avec Hrodote et Thucydide

    15-52 M. CASEVITZ et dans luvre de

    Xnophon

    53-61 L. LALLIER Une tentative dexplication de la

    diatribe contre les sophistes : de lArt de la chasse de Xnophon

    63-86 L. BRUIT-ZAIDMAN Des pratiques et des dieux dans les

    Hellniques de Xnophon

    87-107 L.-A. DORION Le daimonion et la megalgoria de

    Socrate dans lApologie de Xnophon

    109-128 P. PONTIER Xnophon et le rcit onirique

    129-149 V. AZOULAY Xnophon et le modle divin de

    lautorit

    151-183 A. BLAINEAU Le cheval, le cavalier et

    lhippocentaure Technique questre, thique et mtaphore politique chez Xnophon

    185-211

  • Xnophon Entre tradition et innovation

    Entre pit et autorit

    Introduction

    N en 428 av. J.-C., dans le dme dErchia en Attique,

    Xnophon eut un itinraire marqu par de multiples transgressions. Transgression des frontires entre lOrient et le monde grec, tout dabord : membre de llite athnienne, ce disciple de Socrate commence sa carrire en Asie, dans la troupe dun prince barbare, prtendant au trne perse. Il traverse donc les frontires de lengagement entre Grecs et barbares. Transgression des barrires entre Athnes et Sparte, ensuite : Xnophon entretient des relations ambigus avec sa cit dorigine et vit longtemps en exil, Scillonte, sous la protection des pires ennemis militaires et politiques dAthnes, les Lacdmoniens. Il regagne nanmoins sa patrie au soir de sa vie, laissant filtrer dans ses crits des remarques douces-amres sur Sparte, dont lvolution le laisse dubitatif.

    Son uvre fonctionne en miroir de cette vie mouvemente. Sa diversit est proprement tourdissante et, vrai dire, dsarmante au point que les savants labordent rarement comme un ensemble cohrent. Rapportes dans lAnabase, ses aventures en Orient intressent au premier chef les chercheurs travaillant sur le monde achmnide tout en tant paralllement le terrain dentranement privilgi des hellnistes dbutants. Les historiens du monde grec se concentrent, pour leur part, sur les Hellniques qui prennent la suite de la Guerre du Ploponnse de Thucydide et constituent une source essentielle

  • VINCENT AZOULAY 8

    pour connatre lvolution de la Grce au dbut du IVe sicle. Les spcialistes de Sparte scrutent attentivement la Politeia des Lacdmoniens, o Xnophon jette un regard admiratif, puis dsenchant sur une cit quil a connue de lintrieur, en tant quami fidle du roi Agsilas, dont il crivit par ailleurs un loge. Les historiens de lconomie portent un intrt tout particulier sa dernire uvre, les Poroi (ou les Revenus), en 355 av. J.-C., o il prne un projet de rforme financire dAthnes. Quant aux philosophes, ils focalisent en gnral leur attention sur le disciple de Socrate : outre un Banquet et une Apologie, comme Platon, Xnophon composa deux uvres mettant en scne le philosophe : les Mmorables, qui consignaient les faits et gestes de son matre penser, et lconomique le premier trait porter ce nom , qui dfinissait les qualits dun bon chef de maisonne travers un dialogue entre Socrate et un certain Ischomaque.

    Et linventaire ne sarrte pas l. Les amateurs de chasse et de cheval privilgient ltude de lArt questre, du Commandant de cavalerie et de Lart de la chasse qui, cependant, ne se limitent pas recueillir des considrations purement techniques comme le montrent ici mme Louis LAllier ou Alexandre Blaineau. Dautres uvres sont plus difficilement classables. travers un dialogue imaginaire entre le tyran Hiron de Syracuse et le pote Simonide, le Hiron propose ainsi une rflexion sur les moyens de transformer une tyrannie arbitraire en royaut consentie. Cette interrogation sur lautorit caractrise galement la Cyropdie, qui narre la vie de Cyrus lAncien, fondateur de lEmpire perse et reprsentation dun roi idal.

    Insaisissable Xnophon ?

    Luvre de Xnophon pose donc de redoutables problmes

    dhomognit pour qui souhaite linterprter globalement ; clatement des genres, on la vu, entre histoire, philosophie, loge, apologie, dialogue, roman avant la lettre, ou encore traits techniques ; clatement temporel et spatial, galement : quoi de commun entre lOccident du tyran Hiron et lOrient du roi Cyrus ? Quel lien tablir entre le pass mythique de la Sparte

  • INTRODUCTION 9

    de Lycurgue, dans la Rpublique des Lacdmoniens, et le prsent embrouill des Hellniques ? Plus droutant encore, Xnophon mnage galement de brusques changements de points de vue sur un mme sujet et ce, parfois dans la mme uvre : comment concilier les grandes envoles panhellniques de lAnabase et ladmiration proclame pour certaines pratiques royales perses qui sy fait aussi jour ?

    Cette impression dclatement, voire dincohrence, est au demeurant lun des principaux reproches adresss Xnophon, qui aurait trop embrass et donc mal treint , papillonnant de droite gauche, sans jamais prendre le temps de rien faire srieusement. sen tenir une lecture superficielle de luvre, Xnophon prsenterait un intrt limit, en tant que ple imitateur de Thucydide pour les historiens, et comme une copie mdiocre de Platon pour les philosophes.

    Remontant au XIXe sicle, ce discrdit sexplique avant tout par le fonctionnement des catgorisations disciplinaires qui opposent les philosophes aux historiens : ce partage taylorien du travail intellectuel se fait lvidence au dtriment de Xnophon, qui djoue ces lignes de frontires acadmiques. cela sajoute quen philosophie, il reste difficile de toucher au Socrate platonicien et quen histoire, les historiens positivistes ont souvent t obnubils par la clart thucydidenne.

    Ds les annes 1950, Leo Strauss tenta de rhabiliter luvre de lAthnien, en proposant mme den faire le fondement de toute science sociale venir. en croire lexgte, Xnophon aurait t un crivain particulirement subtil, qui aurait compos des ouvrages double sens, cryptant son vritable message entre les lignes . Influente dans le monde anglo-saxon, cette ligne interprtative soulve toutefois bien plus de problmes quelle nen rsout. Comment en effet dtecter coup sr lironie dans les crits de Xnophon ? Pour quelle raison lauteur aurait-il chafaud une stratgie si dtourne, alors quil ne risquait pas dtre perscut pour ses ides par les dmocrates athniens ?

    Au lieu den faire un ironiste masqu, il convient plutt dinsister sur la complexit du positionnement intellectuel de Xnophon. Tour tour membre dune troupe de mercenaires et

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    riche propritaire terrien, passionn de chasse et dquitation, la fois Athnien dorigine et Lacdmonien de cur, exil puis rintgr par sa cit la fin de sa vie, fascin par lOrient du noble Cyrus et dans le mme temps, fervent adepte du panhellnisme, Xnophon se laisse difficilement rduire un positionnement politique ou une pense strotyps. Foyer didentits multiples, il est lvidence un homme pluriel 1.

    Cest prcisment dans le but de cerner ces diffrentes facettes que ce numro des Cahiers des tudes anciennes runit historiens, philosophes, spcialistes de lettres classiques et philologues. Proposant un panorama de la recherche francophone sur lauteur, ce volume entend en effet prendre en compte la diversit de luvre, non pour la rduire, mais pour en faire rsonner toute la richesse. Sans prtendre nullement puiser le sujet, les tudes rassembles proposent un parcours orient selon deux directions essentielles. La premire entend valuer loriginalit de lauteur : faut-il considrer Xnophon en plagiaire maladroit ou, au contraire, en auteur innovant ? La seconde semploie discerner un ou plusieurs fils conducteurs susceptibles de donner une cohrence la pense de lauteur, au-del de sa diversit apparente en lespce, la pit et lautorit.

    Entre tradition et innovation

    Plusieurs contributions du numro mettent en valeur

    loriginalit littraire de Xnophon, rebours des clichs le dpeignant en polygraphe sans imagination. Certes, son uvre est ptrie de multiples influences. En menant une tude intertextuelle rigoureuse, Melina Tamiolaki montre ainsi quel point Hrodote et Thucydide ont constitu pour lui des modles surplombants, voire crasants. Toutefois, ces rfrences ne lont pas empch de manifester une certaine originalit, l mme o il semble faire uvre de continuateur : loin de singer la Guerre du Ploponnse, 1 Je me permets de renvoyer ce propos lintroduction de mon livre, Xnophon et les grces du pouvoir. De la charis au charisme, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004.

  • INTRODUCTION 11

    les Hellniques dveloppent des vues originales qui ne se rsument pas une forme dimitation servile. De mme, Pierre Pontier dmontre combien lpope dHomre a influenc lAnabase, dont la structure tout entire voque lOdysse et dont les songes font manifestement rfrence lIliade. Pour autant loin dtre un simple dcalque, ces emprunts sont mis au service de lintrigue de faon souligner le caractre exceptionnel de laventure des Dix-Mille.

    LArt de la chasse propose galement un savant dosage de tradition et dinnovation. Dans son tude, Louis LAllier souligne le paradoxe qui caractrise cet trange trait : aprs un prologue de facture sophistique, luvre sachve par un chapitre qui dnonce linfluence dltre des sophistes ! Pour comprendre cette apparente contradiction, il convient de replacer Xnophon lintrieur de la scne intellectuelle athnienne, marque par de multiples clivages : opposition entre philosophes et sophistes, mais aussi entre plusieurs types de sophistiques et entre les Socratiques eux-mmes. Dans ce contexte agonistique, Xnophon propose en dfinitive une voie mdiane ses lecteurs : accepter la tradition sophistique, sans pour autant sadonner des rflexions futiles ; sinscrire dans la ligne socratique, sans pour autant recourir lelenchos et la dialectique platonicienne.

    La personnalit de lauteur ressort tout autant lorsquon analyse en miroir les uvres socratiques de Platon et de Xnophon, comme le fait Louis-Andr Dorion. Loin dtre une ple copie de lApologie platonicienne, lApologie xnophontique dveloppe en effet un raisonnement original, corrigeant celle de Platon sur un point important : Socrate aurait t averti par son daimonion que la mort tait dsormais prfrable la vie avant mme que son procs ne commence, et non au terme de la procdure. Ctait l une faon de dfendre la mmoire du philosophe contre tous ceux qui prtendaient que la divinit lavait abandonn en ne le prvenant pas lavance de son sort funeste. Une fois encore, Xnophon ne se contentait donc pas dimiter maladroitement Platon, mais prsentait un argumentaire de son cru.

    En dfinitive, dans luvre de lAthnien, linnovation semble bien souvent lemporter sur la tradition. Inventivit linguistique,

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    tout dabord : dans son analyse du vocabulaire du thumos et de lathumia, Michel Casevitz montre ainsi que, dans ses crits, les mots composs prolifrent au dtriment des simples. Inventivit en termes littraires, ensuite : Xnophon participa la cration de nouveaux genres premier roman historique (avec la Cyropdie), premier trait dconomie connu, premiers dialogues socratiques (avec ceux de Platon), premier loge funbre en prose (avec lvagoras dIsocrate).

    Cette inventivit extraordinaire doit probablement beaucoup la marginalit relative de son auteur : exil dAthnes, il navait pas se plier des cadres rhtoriques prtablis, ni reprendre son compte les grands genres hrits de la tradition civique. Toutefois, ces innovations ne sauraient sexpliquer par la seule position marginale de Xnophon. Si lcrivain labore des solutions narratives nouvelles, cest aussi parce quil cherche rpondre des questions indites qui ntaient pas alors prises en charge par les genres traditionnels2 : ce sont prcisment ces interrogations qui donnent luvre sinon son unit, du moins une certaine cohrence.

    Entre pit et autorit

    Au-del de son clatement apparent, luvre de Xnophon

    sorganise en fonction de deux interrogations structurantes : dune part, comment organiser au mieux les relations entre les hommes et, dautre part, comment nouer des rapports harmonieux entre les hommes et les dieux ? Autrement dit, quelle forme doit revtir lautorit entre les hommes et la pit entre les hommes et les dieux ? Loin dtre sans interaction, ces deux questionnements constituent deux lignes de fuite qui donnent luvre un horizon commun.

    2 P. DEMONT, Lenqute de Xnophon sur le pouvoir de Cyrus (Cyropdie, VII, 5, 57-VIII) : apories idologiques et solutions narratives , in G. LACHENAUD & D. LONGREE (eds.), Grecs et Romains aux prises avec lhistoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 189-201.

  • INTRODUCTION 13

    Le rle des dieux forme incontestablement un leitmotiv qui scande les crits de Xnophon. Sils ninterviennent pas directement dans le monde, les dieux orientent en effet laction humaine, la fois individuellement que lon pense au daimonion de Socrate (Louis-Andr Dorion) ou encore aux songes envoys par les dieux dans lAnabase (Pierre Pontier) et collectivement : dans les Hellniques, la pit (eusebeia) constitue un oprateur historiographique dont Xnophon se sert pour penser lvolution des cits grecques au IVe sicle. Ainsi associe-t-il troitement, sur le plan narratif, leffondrement progressif de lhgmonie spartiate aux manquements rpts des Lacdmoniens leurs serments, pourtant solennellement jurs et garantis par les dieux (Louise Bruit).

    Chez Xnophon, les rflexions sur la pit sont troitement relies linterrogation sur les fondements de lautorit. Comment diriger les hommes avec leur consentement (to ethelontn archein, conomique, XXI, 12) ? Tel est lautre fil conducteur qui oriente le cheminement intellectuel de lauteur. Sil y a un point commun entre ses diverses uvres, cest en effet la qute de modles dautorit, quil sagisse de Socrate, dAgsilas, des deux Cyrus ou encore de lui-mme : du par les institutions civiques de son temps, insatisfait de lanarchie rgnant dans le monde grec, Xnophon na de cesse, dans son uvre, de rechercher des hommes exceptionnels dont le pouvoir pourrait rsister aux assauts du temps.

    cet gard, politique et religieux sont difficilement dissociables. Les songes participent ainsi directement la construction de lautorit de Xnophon-lacteur, en tant que chef des Dix-Mille, lui donnant une lgitimit sanctionne par les dieux (Pierre Pontier). Plus largement, le monde divin apparat, aux yeux de lauteur, comme lhorizon ultime des rapports de pouvoir : le chef doit sefforcer de transposer, son chelle, lasymtrie qui caractrise les liens entre les hommes et les dieux (Vincent Azoulay). Loin dtre un crivain moralisateur confit en dvotion, Xnophon propose donc, en matire politico-religieuse, une construction innovante qui annonce lpoque hellnistique.

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    Cest en dfinitive dans la Cyropdie que cette rflexion sur lautorit trouve son point dorgue. Alexandre Blaineau analyse cet gard un moment crucial de louvrage. Au cours de la conqute de lEmpire assyrien, Cyrus dcide de modifier profondment la politeia perse en instituant un corps de cavalerie qui nexistait pas auparavant de faon renforcer son arme. Pour rendre compte de ce bouleversement, Xnophon mobilise alors une image originale qui assimile les nouveaux cavaliers des hippocentaures des hommes-chevaux. Serait-ce l, pour lauteur, une manire dadresser une critique implicite Cyrus et ses hommes ? la fois homme et cheval, le centaure est en effet une figure ambivalente, parfois associe la monstruosit et au drglement : lauteur ne suggrerait-il pas, en filigrane, que cette transformation, loin de se faire pour le meilleur, pave la voie linstauration dun Empire hybride, voire monstrueux ? Inspire par Leo Strauss, cette interprtation repose toutefois sur des a priori fragiles. Loin dtre ironique, limage de lhippocentaure renvoie plutt la figure du bon centaure Chiron, ce qui ntonnera pas chez un auteur suffisamment passionn dquitation pour y consacrer deux traits. Exerant son autorit dune main lgre mais ferme, la figure du cavalier est un modle pour penser lautorit chez Xnophon.

    Innovateur bien plus quimitateur, menant une rflexion au

    long cours sur les rapports entre hommes, btes et dieux, Xnophon apparat, au terme de lenqute, comme un auteur profondment original, dont le parcours complexe jette un pont entre lpoque classique et lpoque hellnistique3.

    Vincent Azoulay

    3 Je remercie lditrice des Cahiers des tudes anciennes, Pascale Fleury, pour sa diligence et ses relectures aussi rigoureuses que bienveillantes.

  • CEA, 45 (2008) p. 15-52

    Les Hellniques entre tradition et innovation. Aspects de la relation intertextuelle de Xnophon avec

    Hrodote et Thucydide*

    ELENI TAMIOLAKI Universit de Patras

    The goal of ancient composition was not to strike out boldly in a radical departure from ones predecessors, but rather to be incrementally innovative within a tradition, by embracing the best in previous performers and adding something of ones own marked with an individual stamp. J. Marincola, Authority and Tradition in Ancient Historiography, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 14.

    Les Hellniques de Xnophon sont juste titre considrs

    comme un texte dconcertant. Les questions les plus dlicates concernent sa composition et son but. Pour la premire question, le sujet de la Suite de Thucydide et de la coupure II, 3, 10 a beaucoup troubl les commentateurs, mais la tendance rcente la plus prudente semble tre une approche qui combine les deux perspectives (analytique et unitaire) : ainsi ladmission de la coupure II, 3, 10 va de pair avec la mise en relief des lments et des motifs qui parcourent luvre dans son ensemble1. Les

    * Je remercie Vincent Azoulay, Paul Demont et Kurt Raaflaub pour leurs remarques prcieuses pendant llaboration de ce travail. Il ne sensuit pas pour autant quils partagent tous les points de vue qui y sont exprims. En gnral, jutilise la traduction de la Collection des universits de France parfois modifie. En ce qui concerne Hrodote,

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    questions du but des Hellniques et de lintention de son auteur, lies au genre de cette uvre, sont plus compliques. Les interprtes de Xnophon ont hsit caractriser les Hellniques comme histoire , lapproche la plus radicale tant probablement celle de C. H. Grayson, qui a ni Xnophon toute intention historique, en lui attribuant seulement une vise morale2. Dautres savants ont rapproch cette uvre du genre des mmoires3, ont insist sur son caractre littraire4 ou ont exprim des doutes sur la conscience historique de Xnophon5. Enfin, les

    jutilise galement ldition dAndre Barguet, Hrodote, LEnqute, Livres V IX, Paris, Gallimard, 1990. 1 Pour des prsentations rcentes du dbat, voir T. ROOD, Xenophon and Diodorus : Continuing Thucydides , in C. J. TUPLIN (ed.), Xenophon and His World, Stuttgart, Steiner, 2004, p. 341-395, et R. NICOLAI, Thucydides Continued , in A. RENGAKOS & A. TSAKMAKIS (eds.), Brills Companion to Thucydides, Leiden, Boston, Brill, 2006, p. 691-719. Cf. aussi S. HORNBLOWER, The Fourth-Century and Hellenistic Reception of Thucydides , JHS 115 (1995), p. 47-68. En effet, le problme de la composition des Hellniques ne diffre pas de celui de la composition des Histoires de Thucydide : lunit de pense est vidente, mais les thories des tapes de composition, malgr leur caractre spculatif, sont aussi ncessaires pour expliquer luvre. Pour lunit de pense des Hellniques, voir aussi M. SORDI, I caratteri dellopera storiografica di Senofonte nelle Elleniche , Athenaeum 28 (1950), p. 3-53 et Athenaeum 29 (1951), p. 273-348. 2 C. H. GRAYSON, Did Xenophon Intend to Write History ? , in B. LEVICK (ed.), The Ancient Historian and His Materials. Essays in Honor of C. E. Stevens on his Seventieth Birthday, Westmead, Gregg International, 1975, p. 31-43. 3 G. DESANCTIS, Studi di storia della storiografia greca, Florence, La Nuova Italia, 1951, p. 155-157. 4 Voir surtout V. GRAY, The Character of Xenophons Hellenica, Londres, Duckworth, 1989. 5 J.-C. RIEDINGER, tude sur les Hellniques. Xnophon et lhistoire, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 61-96, qui conclut, p. 96 : il navait pas sur le genre historique des ides trs fixes . Cf. aussi C. J. TUPLIN,

  • LES HELLNIQUES, ENTRE TRADITION ET INNOVATION 17

    commentateurs qui analysent la pense historique et politique de Xnophon soulignent la complexit de ce texte et sa liaison avec les fils conducteurs de la pense de Xnophon, telle quelle se prsente dans le reste de ses crits, mais ils hsitent eux aussi le caractriser comme histoire 6.

    Notre tude vise principalement reconsidrer le point de vue selon lequel le caractre et/ou lintention historique des Hellniques doit tre admis avec des rserves, voire purement et simplement ni. Au demeurant, la comparaison de ce texte avec les histoires de ses principaux prdcesseurs7 peut prouver que cette conception relve en ralit du paradoxe : si les lments qui ternissent la rputation dhistorien de Xnophon sont aussi prsents chez Hrodote ou Thucydide sans que cela entrane leur disqualification8, Xnophon ne saurait donc tre disqualifi ce titre. Inversement, dans la mesure o des lments hrodotens ou thucydidens qui tmoignent dune conscience historique sont The Failings of Empire. A Reading of Xenophon Hellenica 2.3.11-7.5.27, Stuttgart, Steiner, 1993, p. 167-168, qui considre luvre comme quasi-historiographique. 6 Pour la liaison des Hellniques avec les fils conducteurs de la pense de Xnophon, voir J. DILLERY, Xenophon and the History of His Times, Londres & New York, Routledge, 1995, p. 17-38. Voir aussi, p. 11, le commentaire de lauteur sur labsence de prface dans les Hellniques : [] showing it to be a text unlike anything that had been done before, including Thucydides history . 7 En raison de la nature fragmentaire de leur uvre, les Atthidographes sont exclus dans cette tude. 8 Par exemple, lintervention divine comme moteur des vnements historiques met en question la conscience historique de Xnophon. Cf. J. DILLERY, op. cit., p. 181, qui note quune accusation pareille avait t faite par Jacoby contre Hrodote, mais que cette approche a t ensuite conteste. Il en va de mme avec la slectivit et les omissions, qui constituent un autre trait des Hellniques, mais qui est nanmoins partag par Thucydide. Cela dit, les omissions de Xnophon ou les dfauts de sa mthode sont probablement plus flagrants, mais ils ne constituent pas pour autant la preuve que les Hellniques ne soient pas de lhistoire.

  • ELENI TAMIOLAKI 18

    attests chez Xnophon, celui-ci mriterait donc logiquement dtre aussi considr comme un historien.

    De rares tudes ont t consacres un examen systmatique de la relation de Xnophon avec ses prdcesseurs. Elles traitent le plus souvent la relation de Xnophon avec un seul auteur, savoir soit Hrodote9, soit Thucydide10. Les rsultats de ces

    9 Sur le lien entre Xnophon et Hrodote, voir W. J. KELLER, Xenophons Acquaintance with the History of Herodotus , CJ 6, 6 (1911), p. 252-259 ; T. S. BROWN, Echoes from Herodotus in Xenophons Hellenica , AncW 21 (1990), p. 97-101. Cf. aussi, H. R. BREITENBACH, Xenophon von Athen , RE, IX A2 (1967), col. 1569-2052, particulirement les index s.v. Herodotos, col. 2038, Thukydides, col. 2050. K.-A. RIEMANN, Das herodoteische Geschichtswerk in der antike, Diss. Mnich 1967, p. 20-27. Enfin, ltude de V. GRAY, op. cit., constitue un examen dtaill des thmes et des structures hrodotennes dans les Hellniques. Pour la relation des autres uvres de Xnophon avec Hrodote, voir (pour la Cyropdie), E. LEVEVRE, Die Frage nach dem bios eudaimon : Die Begegnung zwischen Kyros und Kroisos bei Xenophon , Hermes 99 (1971), p. 283-296, D. L. GERA, Xenophons Cyropaedia. Style, Genre and Literary Technique, Oxford, Oxford University Press 1993, p. 265-269, 271-273 ; 276-277. Pour le lien entre lAnabase et Hrodote, voir C. J. TUPLIN, Herodotus and Xenophons Anabasis , dans V. KARAGIORGIS & I. TAIFACOS (eds.), The World of Herodotus, Nicosie, Fondation A. Leventis, 2004, p. 351-364, qui met nanmoins en relief plutt les divergences entre Hrodote et lAnabase. 10 Pour la relation de Xnophon avec Thucydide, ltude dE. SOULIS, Xenophon and Thucydides. A Study on the Historical Methods of Xenophon in the Hellenica with Special Reference to the Influence of Thucydides, Athnes, s. n., 1972, est la plus fouille, mais ses rsultats sont souvent contests. T. ROOD, loc. cit., a offert une analyse brillante de linfluence de Thucydide dans certains pisodes du dbut des Hellniques. Pour la relation de lAnabase avec Thucydide, voir C. T. H. R. EHRHARDT, Retreat in Xenophon and Thucydides , AHB 8 (1994), p. 1-4. Rcemment, S. STANKE, dans sa thse de doctorat, Tyrants, Kings and Generals The Relationship of Leaders and their States in Xenophons Hellenica, Diss. Oxford, 2006, a aussi examin

  • LES HELLNIQUES, ENTRE TRADITION ET INNOVATION 19

    approches risquent dtre partiels : la comparaison avec Thucydide peut conduire sous-estimer lauteur des Hellniques11, tandis que linsistance sur son association avec Hrodote tend souvent promouvoir limage dun artiste littraire qui na peu ou pas dintrt pour lhistoire12. En revanche, un examen parallle des passages o Xnophon apparat plus hrodoten et de ceux o il adopte et adapte des motifs thucydidens, pourrait contribuer une meilleure comprhension des Hellniques et dfinir plus clairement la place de Xnophon au sein dun genre historique en voie de constitution.

    Lanalyse qui suit ne constitue pas un examen exhaustif de tous les parallles entre Xnophon et ses prdcesseurs. Elle se concentre sur le contexte prcis de certains passages, dans lesquels Xnophon apparat plus hrodoten, plus thucydiden, ou les deux la fois. De plus, elle repose sur une conception fluide du genre historique qui est loin dtre caractris par des normes rigides13. Le but de cette tude est de mettre en lumire certains aspects de la relation de Xnophon avec la tradition historique prcdente et de montrer comment Xnophon, tout en tant influenc par ses prdcesseurs, contribue au

    certains aspects de la relation intertextuelle de Xnophon avec Hrodote et Thucydide. 11 Tel est le cas dE. SOULIS, op. cit., qui note, p. 186 : [] the main problem is : how does Xenophon use Thucydides ? There are certain stimuli [...]. However, the main stimulus is his intellectual poverty and his inability to analyse a given situation ; et plus bas, p. 188 : In his speeches Xenophon has deceived scholars [] by usurping Thucydides ideas and inventing speeches of his own without even an elementary political knowledge of events and circumstances . Ltude dE. Soulis abonde en dclarations dprciatives sur Xnophon. 12 Par exemple, V. GRAY, op. cit., ne commente pas du tout la pense historique de Xnophon. 13 Voir pour cette conception, J. MARINCOLA, Genre, Convention and Innovation in Greco-Roman Historiography , in C. S. KRAUS (ed.), The Limits of Historiography : Genre and Narrative in Ancient Historical Texts, Leiden, Boston, Brill, 1999, p. 281-324.

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    dveloppement du genre historique en rompant avec les principes de ses devanciers et en lui apportant des modifications substantielles. Dans cette perspective, la comparaison de Xnophon avec ses prdcesseurs rvle que lauteur des Hellniques se trouve en ralit dans une position entre tradition et innovation.

    Nous allons explorer le dialogue de Xnophon avec Hrodote et Thucydide selon deux angles : sa mthode historique et lintertextualit, savoir les thmes, structures ou motifs quil choisit dlaborer ou de rutiliser. Nous tenterons enfin de cerner quel est celui des deux auteurs qui exerce linfluence la plus grande sur Xnophon.

    I

    La mthode de Xnophon : tradition et innovation

    Les liens entre la mthode historique de Xnophon et celle de ses prdcesseurs peuvent tre examins selon deux paramtres : les traits distinctivement thucydidens ou hrodotens que Xnophon emprunte et les traits communs aux deux historiens que Xnophon rutilise.

    Pour le premier paramtre, le trait thucydiden le plus important est le remploi de son systme de chronologie : la fameuse thucydidenne, savoir la division en saisons et annes14. Quant la forme de lexpos historique, Xnophon, linstar de Thucydide, prsente un rcit qui ne donne pas dexplications sur ses sources ou sur des versions diffrentes des

    14 Notons aussi la rfrence aux archontes et aux phores comme lments de chronologie. Voir, pour les archontes, Xnophon, Hellniques, I, .2, 1 ; 3, 1 ; 6, 1 ; II, 1, 10 ; pour les phores, Xnophon, Hellniques, I, 2, 1 ; 3, 1 ; 6, 1 ; II, 1, 10 ; 3, 1. Nanmoins, ces passages sont souvent considrs comme des interpolations. Force est de constater que le systme chronologique de Xnophon nest pas aussi labor que celui de Thucydide. De plus, son systme de chronologie devient plus lche aprs le II, 3, 9. Voir ces sujets, J.-C. RIEDINGER, op. cit., p. 97-121. Cf. S. HORNBLOWER, loc. cit. n. 1, p. 50.

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    vnements15. Toutefois, la manire hrodotenne, son rcit comporte des digressions et Xnophon emploie une expression hrodotenne pour signaler la fin de ses digressions : Jen reviens maintenant () au point do je suis parti [] 16. Enfin, dans les Hellniques, une dclaration de mthode renvoie directement lEnqute dHrodote : On pourrait, dune manire gnrale, citer bien dautres faits, chez les Grecs et chez les Barbares ( ), pour prouver que les dieux noublient pas ceux qui violent les lois divines et humaines ; mais je vais raconter ce qui sest pass ( !) 17.

    Quant au second paramtre les motifs communs chez Hrodote et Thucydide, que lon retrouve aussi chez Xnophon , il comprend tout dabord leur insistance commune sur les choses dignes dtre narres. Xnophon crit : Telle tait donc sur terre la marche de la guerre. Ce qui pendant ces vnements, se passait sur mer et dans les villes maritimes va maintenant faire lobjet de mon rcit ( " ) : parmi les vnements, je raconterai ceux qui mritent une mention, mais je laisserai de ct ceux qui nen sont pas dignes (! ! #!$

    15 Un seul passage (Hellniques, V, 4, 7) prsente deux versions diffrentes. Cf. J. DILLERY, op. cit., p. 229. 16 Xnophon, Hellniques, VI, 1, 19. Cf. aussi, Xnophon, Hellniques, VI, 5, 1 ; VII, 41 ; Xnophon, Cyropdie,. I, 2, 15. Hrodote crit son tour : Et jen reviens maintenant () mon sujet prcdent (VII, 138, 1). 17 Xnophon, Hellniques, V, 4.1. Cf. le prome dHrodote, avec linsistance sur les Grecs et les barbares. Ce parallle est not par les commentateurs. Voir R. NICOLAI, loc. cit., p. 700-701. Cf. aussi, pour la syntaxe (verbe ! + participe) la fameuse phrase hrodotenne (VII, 152, 3) : Pour moi, jai le devoir de rapporter ce que lon dit () .

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    !) 18. De surcrot, Xnophon se sert de certaines expressions qui sont tablies comme faisant partie de la tradition historique, au sens o elles ont t inaugures par Hrodote et remployes par Thucydide : lexpression !%! &, le verbe et les drivs ou les composs du verbe sont les exemples les plus caractristiques de cette tradition qui semblent relier sans interruption un historien lautre19. Xnophon apparat alors conscient du fait que son rcit appartient la chane des rcits historiques dont il peut rutiliser ou laborer certains lments.

    Cela dit, les innovations quil apporte au genre historique ne sont pas sans importance. La premire innovation consiste dans linauguration de ce quon appelle souvent l histoire continue . Certains supposent que les germes de cette histoire existaient dj chez Thucydide, qui, dans la Pentkontatie, a continu le rcit

    18 Xnophon, Hellniques, IV, 8, 1. E. SOULIS, op. cit., p. 17, compare ce passage avec Thucydide, III, 90, 1. T. ROOD, loc. cit., note aussi le parallle avec Thucydide, III, 90, 1, mais aussi avec Hrodote,. I, 16, 2 ; 177. Voir R. NICOLAI, loc. cit., p. 700, qui note dautres parallles entre Xnophon et ses prdcesseurs (Hrodote, prome ; Thucydide, I, 1 et 23). 19 '!( :Hrodote, I, 6, 2 ; 14, 2 ; 23 ; 94, 1 ; 142, 2 ; 178, 3 ; 193, 2 ; II, 68, 2 ; 157 ; III, 60, 4 ; 94, 2 ; 98, 2 ; 122, 2 ; IV, 42, 2 ; 46, 2 ; 48, 1 ; 58 ; 152, 3 ; 184, 1 ; 187, 3 ; V, 119, 2 ; VI, 21, 1-2 ; 112, 3 ; VII, 20, 2 ; 27, 2 ; VIII, 105, 1 ; 124, 3 ; IX, 37, 2 ; 64, 1 ; 78.2 ; )* :Thucydide,I, 4, 1 ; 13, 4 ; 18, 1 ; V, 105, 4 ; VII, 87, 5 ;)* ! & Xnophon, Hellniques 6, 1, 16 ; +++ : Hrodote, VII, 153, 1 (cf. aussi I, 214, 5 ; II, 24, 2) ; Thucydide, I, 22, 2 ; VI, 2, 1. Les drivs ou les composs de $ , abondent chez Hrodote : (I, 185, 1), !!(II, 3, 2), ( (IV, 145, 1), (VII, 63, 1), ((V, 65, 5), !(((III, 125, 3), ! (V, 57, 2), (I, 17, 1), !( (II, 70, 1). Cf. aussi, Thucydide, VI, 54, 1 : ( ; Xnophon, Hellniques, IV, 3, 16 ; 8, 1 ; V, 1, 4.

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    dHrodote20. Nanmoins, en ralit, il ne sagit que dune similitude superficielle. Tout dabord, linsertion de la Pentkontatie dans le rcit de Thucydide ne vise pas exactement continuer Hrodote, mais combler une lacune : Jai consacr une digression en faire le rcit, car mes devanciers avaient tous nglig cette matire, pour traiter soit de la Grce avant les Guerres mdiques, soit des Guerres mdiques elles-mmes 21. Ce critre est aussi prsent chez Hrodote et ne constitue donc pas une nouveaut thucydidenne : Quant aux raisons et aux exploits qui ont amen des gyptiens rgner sur les Doriens, dautres en ont dj parl, nous laisserons donc ce sujet, et je signalerai seulement ce que dautres nont pas mentionn 22.

    Ensuite, la slection du sujet principal ne seffectue pas sur les mmes critres selon les historiens. Thucydide souligne ainsi limportance majeure de sa guerre par rapport la guerre narre par Hrodote. Xnophon ne manifeste pas une intention similaire. Il semble continuer lhistoire de Thucydide per se, en introduisant ainsi une conception selon laquelle chaque priode a besoin de

    20 Voir pour cette ide, V. GRAY, Continuous History and Xenophon, Hellenica 1-2.3.10 , AJPh 112, 2 (1991), p. 201-228, particulirement p. 202-211, qui considre la Suite de Thucydide comme un sommaire-pont (bridging summary) analogue au sommaire de la Pentkontatie dans luvre de Thucydide. Cette approche ne nous semble pas convaincante. En outre, la Pentkontatie partage certains traits avec dautres digressions de Thucydide, comme lArchologie et le rcit sur les tyrannicides, qui ne peuvent pas tre considrs comme des sommaires-ponts. En revanche, J. DILLERY, op. cit., p. 10, suppose que Xnophon na pas ajout une prface au dbut de son uvre, car il tait inspir par le cycle pique et plus particulirement le pome Aethiopis, qui navait pas dintroduction et qui commenait avec une phrase de lIliade. Nanmoins, il parat peu probable que Xnophon ait eu besoin dun modle aussi lointain pour commencer son histoire. 21 Thucydide, I, 97, 1 (nous soulignons). 22 Hrodote, VI, 55, 1 (nous soulignons).

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    son chroniqueur23. Cest ce que semble indiquer la dernire phrase des Hellniques : Pour moi, mon uvre sarrtera ici ; la suite, un autre se chargera peut-tre (!) de la traiter (VII, 5, 27). Le mot ! suggre que le genre de lhistoire continue nest pas encore tabli. Xnophon contribue ainsi son autonomisation.

    La seconde innovation de Xnophon consiste dans le refus de la comptition avec ses prdcesseurs. La comptition est pourtant un trait important de lhistoriographie grecque. Dj Hcate crivait : Hcate de Milet parle ainsi : jcris ce qui suit, selon ce qui me semble vrai. Car les rcits des Grecs me paraissent nombreux et ridicules 24. Hrodote son tour ironise souvent sur les versions qui lui semblent contestables ou peu plausibles25, tandis que Thucydide, dans son fameux chapitre mthodologique, rejette toute la tradition qui a des prtentions historiques avant lui, quil sagisse dHomre, dHrodote, des logographes ou de la posie. Xnophon, au contraire, remplace la polmique par lapologie. Dans le cas o il rompt avec les principes de ses

    23 Pour les continuations chez les historiens, voir J. MARINCOLA, Authority and Tradition in Ancient Historiography, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 237-241 et les tableaux, p. 289-292. Bien que lauteur note, p. 237, que Xnophon est le premier historien qui continue luvre dun prdcesseur, dans les tableaux, il inclut aussi Thucydide. Toutefois, on devrait envisager lhypothse selon laquelle si luvre de Thucydide ntait pas incomplte, le genre de lhistoire continue naurait probablement pas t invent. Cf. aussi, J. MARINCOLA, loc. cit. n. 13, p. 310-311, dans une perspective un peu diffrente de la ntre : il estime aussi que Xnophon introduit une nouvelle conception de lhistoire, mais qui repose sur le fait que les vnements sont indcis et peu concluants. 24 FGrHist 1F1a. Voir ce sujet J. MARINCOLA, op. cit. n. 23, p. 225-236, le chapitre Polemic and Self-Definition . Xnophon justement nest pas inclus dans ce chapitre. 25 Hrodote, II, 28 ; 120 et 131.

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    prdcesseurs, il ressent le besoin de le justifier, ce quil fait dans un contexte dexcuse plutt que de comptition26.

    II Questions dintertextualit

    Le point de dpart pour chaque recherche sur lintertextualit

    est lexamen de la connaissance factuelle de lauteur (ou des auteurs) dont linfluence doit tre dtecte, ce qui est prouv au premier abord par les citations. Or, la citation est rarement utilise dans lhistoriographie classique et de plus, curieusement, on ne trouve pas souvent les citations quon attend : Thucydide cite Hellanikos, mais ne cite pas Hrodote et Xnophon son tour ne cite ni Hrodote ni Thucydide27. Nanmoins, lanalyse des relations intertextuelles entre les historiens de lpoque classique doit tre plus subtile en mettant en valeur les chos verbaux, les 26 Tel est le cas de linsistance sur les questions morales, souvent considre comme lun des traits les plus originaux de la pense de Xnophon. Cf. Xnophon, Hellniques, II, 3, 56 (apologie pour la rfrence au caractre de Thramne), V, 1, 4 (apologie pour lloge de Teleutias comme chef), VII, 2, 1-2 (apologie pour lloge dune petite cit, Phleious). Pour lanalyse des passages de mthode, voir J.-C. RIEDINGER, op. cit. n. 5, p. 64-65, C. J. TUPLIN, op. cit. n. 5, p. 36-41. Cf. aussi J. DILLERY, op. cit. n. 6, p. 124-127, qui ajoute une nuance : Xnophon sintresse aussi aux petites cits quand elles effectuent un acte considrable, ce qui le met plutt dans la ligne de Thucydide (VII, 30, 3). Nous considrons ce trait de Xnophon comme un dguisement du savoir moral en savoir historique. Pour ce sujet et la bibliographie relative, voir notre tude, Lhistorien et son public dans lAthnes classique. Le savoir du public et les limites du savoir historique , in A. MACE (ed.), Le savoir public, Besanon, Presses universitaires de Franche-Comt, 2009 ( paratre). 27 Pour la citation dans lAntiquit, voir rcemment C. DARBO-PESCHANSKI (ed.), La citation dans lAntiquit, Grenoble, Million, 2004. Cf. aussi G. SCHEPENS & J. BOLANSE (eds.), The Shadow of Polybius : Intertextuality as a Research Tool in Greek Historiography, Louvain-Paris-Dudley (Mass.), Peeters, 2005.

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    thmes, les images et les structures (patterns) communes. Dans ce cas, la question est de dfinir si le parallle ou lallusion tel ou tel devancier est dlibr ou non, et si oui, quelle est sa fonction spcifique dans le discours historique de lauteur analys28. 1. Xnophon hrodoten

    Dj dans lAntiquit, Denys dHalicarnasse avait dcrit un Xnophon plus hrodoten que thucydiden29. De fait, Xnophon partage avec Hrodote une vision du monde aux nombreux traits communs. Tout dabord, lintervention des dieux dans les affaires humaines et la conviction que les dieux sont les allis des justes et punissent les injustes. Cette conception parcourt luvre tant de Xnophon que dHrodote et se manifeste notamment par des formulations similaires30. Ensuite, lintrt pour les cultures

    28 Voir ce propos, T. ROOD, loc cit. n. 1, p. 344-346. Cf. aussi S. HORNBLOWER, loc. cit. n. 1, p. 49-50, pour la mise en relief de la rigidit du principe de la Quellenforschung suivie par F. Jacoby, selon lequel seule la citation constitue une preuve de connaissance dun auteur. Si toute recherche sur lintertextualit ne se fondant pas exclusivement sur les citations risque dtre considre comme spculative, nous estimons que leffet cumulatif des allusions aux auteurs prcdents mrite dtre pris plus srieusement en considration. 29 Denys dHalicarnasse, Lettre Pompe, III, 1, 1-IV, 4, 5 ; De limitation, XXXI, 3, 2. Xnophon y est caractris comme -. /!(. La vrification de cette caractrisation a constitu lobjet de ltude de V. GRAY, op. cit. n. 4, p. 1-9. 30 La similitude la plus frappante est lintervention des dieux dans le rsultat des batailles ou des guerres : Xnophon, Hellniques, IV, 4, 12 ; V, 4, 1 ; VII, 1, 6 ; 5, 26 ; Hrodote, II, 120, 5. Voir R. DIETZFELBINGER, Religise Kategorien in Xenophons Geschichts-verstndnis , WJA 18 (1992), p. 133-145 ; C. J. TUPLIN, op. cit. n. 5, Appendix VII, p. 215 ; F. SCOCZYLAS POWNALL, Condemnation of the Impious in Xenophons Hellenica , HThR 91 (1998), p. 251-277. J. DILLERY, op. cit. n. 6, p. 224, note quen effet Thucydide tait exceptionnel dans son traitement du divin, tandis que la tradition

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    trangres et pour ce quon appelle souvent le dcor perse 31 constitue un autre trait commun entre les deux auteurs. Mis part ces sujets gnraux, les savants ont aussi observ des thmes et des motifs hrodotens prcis dans les Hellniques et ont analys leur fonction dans luvre de Xnophon32.

    Nous allons complter cette recherche en posant une question nouvelle : est-il possible de dtecter des rgles qui pourraient dfinir lemploi et ladaptation du registre historiographique hrodoten par Xnophon ? Autrement dit, y a-t-il des sujets hrodotens qui sont particulirement chers Xnophon ? Afin de rpondre ces questions, nous analyserons certains parallles entre Xnophon et Hrodote qui nont pas t nots auparavant.

    dHrodote sest transmise au IVe sicle et lhistoriographie hellnistique. 31 Nous empruntons lexpression dcor perse de ltude de C. J. TUPLIN, Persian Decor in the Cyropaedia : Some Observations , in H. SANCISI-WEERDENBURG & J. W. DRIJVERS (eds.), Achaemenid History Workshops V. The Roots of European Tradition, La Haye, Nederlands Instituut voor het Nabije Oosten, 1990, p. 17-29. Pour le thme de lautre dans lhistoriographie des Ve et IVe sicles, voir J. DILLERY, op. cit. n. 6, p. 45-46. 32 Notons les parallles les plus importants : le rcit sur Mania (Xnophon, Hellniques, III, 1, 10-15) prsente des similitudes importantes avec le rcit hrodoten sur Artmisie, voir V. GRAY, op. cit. n. 4, p. 29-32 ; le meurtre des conspirateurs contre Thbes (Xnophon, Hellniques, V, 4, 2-12) voque le meurtre des Perses par les Macdoniens narr par Hrodote (V, 18-27) ; cf. V. GRAY, op. cit. n. 4, p. 65-70 ; J. DILLERY, op. cit. n. 6, p. 229 ; la querelle sur la royaut Sparte voque galement la querelle dcrite par Hrodote (Xnophon, Hellniques, III, 3, 1, avec Hrodote, VI, 61-73), avec W. J. KELLER, loc. cit. n. 9, p. 254-255 ; V. GRAY, op. cit. n. 4, p. 36-39, S. STANKE, op. cit. n. 9, p. 84-86 ; limage du roi Agsilas qui contemple ses troupes (Xnophon, Hellniques, IV, 5, 6) renvoie une image pareille dHrodote pour Xerxs (Hrodote, VII, 212, 1 ; VIII, 87, 1 ; 88, 2 ; 90, 4), V. GRAY, op. cit. n. 4, p. 157-163 ; la rversibilit de la fortune humaine est une ide partage tant par Xnophon que par Hrodote (Xnophon, Hellniques, VI, 4, 23, avec Hrodote, I, 5).

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    Nous allons ainsi montrer que le rcit athnien dHrodote et surtout les sujets touchant limprialisme, aux malheurs de la guerre et la bravoure constituent des thmes que Xnophon choisit de continuer et dlaborer.

    Tout dabord, dans la partie de la Suite de Thucydide, Xnophon prsente les contraintes exerces par Alcibiade sur les Bithyniens pour recevoir les biens dposs par leurs voisins, les Chalcdoniens : Alcibiade [] pntre sur le territoire des Bithyniens et leur rclame les biens des gens de Chalcdoine (! 0 !1 !) ; sils refusent, il leur fera la guerre ( $ , ) (Hellniques, I, 3, 3). Limage du chef athnien qui exige de largent en ayant recours des menaces voque le dbut de limprialisme athnien, tel quil est prsent par Hrodote sous le commandement de Thmistocle : Thmistocle, dont la rapacit ne connaissait pas de bornes, fit demander de largent dans les autres les, avec menaces lappui (! ) [] il annonait aux Insulaires quil lancerait sur eux larme des Grecs sils repoussaient ses demandes et il les menaait dassiger et de dtruire leurs villes (!!!$ ! -! ! ) (Hrodote, VIII, 112, 1-2). Les lecteurs de Xnophon avaient lexprience de la chute de lEmpire athnien. En insistant sur les menaces dAlcibiade, Xnophon semble poursuivre la rflexion sur limprialisme inaugure par Hrodote et reprendre lide selon laquelle lavarice est une sorte de dmesure qui est finalement chtie.

    Ensuite, Xnophon rlabore le motif de lamour des Athniens pour la libert dont les traces se trouvent aussi chez Hrodote. Il crit ainsi : Cependant, sur la destruction des Longs-Murs, personne ne voulait proposer de motion : car Archestratos, pour avoir dit au Conseil quavec les Lacdmoniens le mieux tait de faire la paix conformment leurs conditions, avait t incarcr (Hellniques, II, 2, 15). La dcision des Athniens darrter Archestratos qui a propos un compromis avec lennemi

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    voque un pisode similaire narr par Hrodote : les Athniens avaient tu Lycids par lapidation parce quil avait aussi propos un compromis avec les Perses (Hrodote, IX, 5). Il peut videmment sagir de deux pisodes similaires de lhistoire athnienne33, mais le choix de Xnophon dinsister sur cette action de la communaut contre un individu trop prompt pactiser avec lennemi manifeste la volont de reprendre une thmatique labore aussi par Hrodote34.

    Toujours dans le mme cadre, le discours de Clocritos, prononc pendant la restauration de la dmocratie Athnes, contient lui aussi des allusions hrodotennes :

    Au nom des dieux de nos pres et de nos mres, de nos relations de parent, dalliance et damiti car tous ces liens unissent beaucoup dentre nous , par gard pour les dieux et les hommes (!!!!"!$!!!$

    !), cessez de mal agir envers la patrie, nobissez plus aux Trente, les plus impies des hommes, qui, pour satisfaire leurs intrts personnels, ont fait prir, peu sen faut, plus dAthniens en huit mois que tous les Ploponnsiens dans une guerre de dix ans (2! !

    33 P. KRENTZ, Hellenika I-II.3.10, edited with an introduction, translation and commentary, vol. 1, Warminster, Aris and Philipps 1989, p. 115, compare ce passage dHrodote avec Xnophon, Hellniques, I, 2, 13, o un autre incident de mort par lapidation est attest. Nanmoins, la mort par lapidation atteste dans les Hellniques ne provient pas dun acte de la communaut, pace V. J. ROSIVACH, Stoning by Death in Athens , ClAnt 6, 2 (1987), p. 232-248. 34 Pour les rapports entre individus et communauts chez Hrodote, voir notre tude Modles individuels et collectifs chez Hrodote : un exemple de la formation de lidentit grecque , BAGB 65 (2006), p. 17-39 (avec la bibliographie prcdente).

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    34 ! ! 5 ) 35.

    La rfrence aux dieux et aux liens de parent voque lvidence le fameux discours des Athniens lors de leur refus de soumission aux Perses :

    Il existe de nombreuses raisons graves pour nous en empcher, quand nous voudrions le faire, et la premire et plus grave, ce sont les images et les demeures de nos dieux, incendies, gisant terre [] ; ensuite, il y a le monde grec, uni par la langue et par le sang, les sanctuaires et les sacrifices qui nous sont communs, nos murs qui sont les mmes (& -$ !$ ! ), et cela, des Athniens ne sauraient le trahir (Hrodote, VIII, 144).

    De plus, en comparant la nocivit du rgime des Trente avec les destructions engendres par la Guerre du Ploponnse, Xnophon reprend un motif qui avait galement t introduit par Hrodote. Lhistorien ionien commente ainsi le tremblement de terre Dlos :

    Peut-tre tait-ce un prsage par lequel le dieu avertissait les hommes des malheurs venir ; car sous Darius fils dHystaspe, son fils Xerxs, et le fils de Xerxs Artaxerxs, pendant ces trois gnrations excutives, la Grce connut plus de maux quau cours de vingt gnrations qui ont prcd Darius ( 6 -7 8 ! 6 34 ! 8 !$!! !$!"-56) ; elle dut les uns aux Perses, les autres aux luttes pour le pouvoir entre ses propres meneurs (Hrodote, VI, 98, 1).

    35 Xnophon, Hellniques, II, 4, 21. Pour les qualits littraires du discours de Clocritos, voir V. GRAY, op. cit. n. 4, p. 101-103.

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    linstar dHrodote, Xnophon tablit galement un lien entre lloge de la bravoure et le bonheur de la mre. Il crit propos de la mre de Tleutias et dAgsilas : [] si bien que leur mre pouvait sestimer heureuse (! /! ) de voir que, le mme jour, lun de ceux quelle avait enfants avait, sur terre pris les remparts de lennemi, lautre par mer, ses vaisseaux et ses arsenaux (Xnophon, Hellniques, IV, 4, 19). Ce motif voque le bonheur de la mre de Clobis et Biton qui nat aussi de lexploit courageux de ses fils : Les Argiens, entourant les jeunes gens, les flicitaient de leur force ; les Argiennes considraient leur mre heureuse, puisquelle avait de tels enfants (34 /!!! $ 34 !$ ! ! ) (Hrodote, I, 31, 3). La rutilisation de ce motif par Xnophon a pour but de renforcer ladmiration de ses lecteurs pour les rois spartiates.

    Outre ces sujets sur lesquels il brode, Xnophon exploite aussi une formule typiquement hrodotenne, quil emploie deux reprises dans des contextes diffrents. Il sagit de la harangue du chef avant un exploit. Hrodote avait dcrit en ces termes lexhortation de Miltiade Callimaque avant la bataille de Marathon :

    Cest toi, Callimaque, quil appartient aujourdhui ou dasservir Athnes ou de la rendre libre et, ce faisant, de laisser aux hommes un nom tout jamais glorieux, plus glorieux encore que ceux dHarmodios et dAristogiton (3 $ 1 $ 5! 34 5

    !! %-4 34 !9:) []. Donc, tout repose sur toi maintenant, tout dpend de toi : si tu te ranges mon avis, ta patrie est libre, ta cit est la premire des cits grecques (' ! & ;5!""""$

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    ! ! " -) (Hrodote, VI, 109, 4-6 et 26-28).

    Xnophon emploie cette formule hrodotenne deux fois. Tout dabord, dans un contexte parallle celui dHrodote, pour dcrire lexhortation des cavaliers Chars, chef des Phliasiens :

    Chars, il est en ton pouvoir aujourdhui daccomplir une bien belle action ( $ !& ? $ " " ") 36.

    Notons finalement deux chos verbaux qui renvoient eux aussi des images hrodotennes. Dans le discours de Thrasybule, Xnophon emploie lexpression une expression typique des activits en public chez Hrodote qui nest pas atteste chez Thucydide. Ce nest pas par hasard donc si cette 36 Xnophon, Hellniques, V, 2, 26. V. GRAY, op. cit. n. 4, Appendix IV, p. 187-188, note les deux formules similaires de Xnophon sans observer le parallle avec Hrodote. Selon elle, la similitude des expressions utilises montre que Xnophon se sert ici dune structure (pattern) littraire.

  • LES HELLNIQUES, ENTRE TRADITION ET INNOVATION 33

    formulation est utilise dans le contexte de la restauration de la dmocratie37. De la mme faon, la description de laccrois-sement de la puissance thbaine voque la description hrodotenne de la puissance grandissante du dmos athnien : dans les deux cas, cette augmentation est considre comme dangereuse et hubristique et dicte des initiatives politiques prcises38.

    La fonction de tous ces parallles est claire. Xnophon fait allusion des motifs hrodotens, parce quil prsuppose que son lecteur a une connaissance dHrodote39. En exploitant donc la familiarit de son public avec le pre de lhistoire , il amne ses lecteurs (ou auditeurs40) crer des connexions prcises entre

    37 Xnophon, Hellniques, II, 4, 13, avec Hrodote, III, 62, 1 ; 140, 3 ; cf. aussi, Hrodote, III, 80, 2 ; 83, 1 ; 142, 3 ; IV, 97, 5 ; 161, 3 ; VI, 130, 1 ; VII, 8, 2 ; 164, 1. 38 Xnophon, Hellniques, VI, 2, 1 : Quant aux Athniens, qui voyaient les Thbains grandir grce eux ( ( !(,(((), [] ils prouvrent le dsir de terminer la guerre . Cf. la complainte similaire des Lacdmoniens lgard du dmos athnien (Hrodote, V, 91, 2) : [] nous avons remis la ville aux mains du peuple, un peuple ingrat qui, libre grce nous, a redress la tte pour nous outrager aussitt et nous chasser, notre roi et nous, un peuple qui grandit en qute de la gloire (2( @( !( #$ ( ! ( $ ,( ) . n outre, lide de l ( parcourt lhistoriographie du Ve sicle. Voir ce propos la thse de M. WECOWSKI, Lauxsis dAthnes : Hrodote, Thucydide et un aspect de lidologie athnienne, Diss. EHESS, Paris 2000, et Idem, The auxesis of Athens . A Forgotten Aspect of the Athenian Ideology of the Fifth Century BC (en polonais, avec un rsum en anglais) , in L. MORAWIECKI & P. BERDOWSKI (eds.), Ideologia i propaganda w staroytnoci, Rzeszw, s. n., 2004, p. 101-124. 39 D autres passages suggrent cette connaissance : cf. Xnophon, Hellniques, III, 1, 6 ; IV, 2, 8 ; VI, 5, 43. 40 Des traits d oralit sont aussi prsents chez Xnophon, voir D. KELLY, Oral Xenophon , in I. WORTHINGTON (ed.), Voice into

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    les vnements dcrits par Hrodote et les vnements qu il dcrit. En outre, tant donn qu Hrodote tait dj considr comme un maillon crucial dans la gense de la tradition historique, l emploi des motifs et des thmes hrodotens confrait une autorit supplmentaire au rcit de Xnophon. 2. Xnophon thucydiden

    2. 1 Imitation dans la tradition : les discours de Xnophon

    La relation de Xnophon avec Thucydide semble plus complexe que celle qu il entretient avec Hrodote. Tout en tant son continuateur immdiat, Xnophon tmoigne d une attitude ambivalente l gard de Thucydide qui oscille entre imitation aveugle (voire plagiat) de certains mots41 ou expressions42, laboration des motifs thucydidens (surtout dans les discours) et mme correction du rcit de son prdcesseur. Ces traits ne concernent pas seulement la premire partie des Hellniques (I-II, 3, 9), mais parcourent l uvre dans son ensemble. Dans cette partie de notre tude nous allons procder en trois tapes : tout d abord, nous allons mettre en relief certains motifs thucydidens

    Text : Orality and Literacy in Ancient Greece, Leiden, New York, Cologne, Brill, 1996, p. 149-163. 41 Les mots !,renvoient au texte de Thucydide (VI, 2, 6 ; II, 46, 2 ; VI, 2, 15). Cf. T. ROOD, loc. cit. n. 1, p. 361. De plus, la caractrisation des personnages avec !(Xnophon, Hellniques, I, 1, 31) fait cho des caractrisations identiques chez Thucydide (I, 79, 2 ; III, 1, 18). Cf. S. HORNBLOWER, loc. cit. n. 1, p. 50. 42 Cf. par exemple les expressions suivantes : (Xnophon, Hellniques, III, 5, 13), qui voque l expression (III,13,1), , (Xnophon, Hellniques, IV, 5, 1 ; Thucydide, VI, 34, 6), ( (Xnophon, Hellniques, VI, 1, 8 ; Thucydide, III, 58, 4), (!(!(Xnophon, Hellniques, VI, 1, 12 ; Thucydide, II, 65, 9). Voir aussi une imitation de l asyndeton thucydiden : Xnophon, Hellniques, IV, 3, 19, avec Thucydide, VII, 71, 4.

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    attests aussi chez Xnophon et surtout dans les discours des Hellniques43 ; ensuite, nous analyserons le cas prcis du dbat entre Critias et Thramne comme un exemple de remodelage d un dbat thucydiden, celui entre Clon et Diodote ; finalement nous insisterons sur certains passages qui montrent une sorte d infidlit de Xnophon l gard du rcit de Thucydide.

    Comme dans le cas d Hrodote, la mme question se pose : y a-t-il des passages thucydidens qui sont plus chers Xnophon que d autres ? Il nous semble que les passages qui concernent Pricls forment un point de rfrence important pour Xnophon. Dans un pisode narrant la campagne de Dercylidas en Asie, o le rcit des Hellniques se confond avec celui de l Anabase, Xnophon dcrit ainsi la rponse du chef des soldats, appel 1 ! !, aux accusations des phores sur leur comportement : Mais nous, citoyens de Lacdmone, nous sommes aujourd hui ce que nous tions hier ( ) (III, 2, 7). L auteur des Hellniques suggre en l occurrence une comparaison implicite avec Pricls, s adressant en ces termes aux Athniens : Mais quant moi, je suis du mme avis et je ne me ddis point (! ) (Thucydide, II, 61, 2). Or, comme le 1 !! n est autre que Xnophon lui-mme44, ce parallle constitue donc un loge implicite de Xnophon, en nouveau Pricls45. Il en va de mme avec la

    43 Cela dit, l influence de Thucydide sur le rcit de Xnophon est galement importante : voir, par exemple, la description de l alliance de 370 (Xnophon, Hellniques, VII, 4, 10 : ), qui voque le commentaire de Thucydide sur la paix de Nicias (V, 26, 3 : !"!). 44 Cf. H. R. BREITENBACH, loc. cit. n. 9, col. 1574. Cf. aussi, J. HATZFELD, Xnophon. Hellniques, Livres I-III, tome 1, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 164 : il n y a aucune raison de douter que ce personnage, que Xnophon ne nomme pas, soit Xnophon lui-mme . 45 D une manire parallle, les honneurs attribus Tleutias voquent les honneurs Brasidas : Xnophon, Hellniques, V, 1, 3, avec

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    caractrisation de Polydamas de Pharsale, dont les vertus voquent celles de Pricls46. Enfin, les arguments des discours de Pricls occupent une place importante dans les discours de Xnophon : l ide du dclin invitable47, le motif de l utilit et pour les cits et pour les individus48, le motif de la jalousie envers la cit d Athnes49, le motif de la lutte pour tout gagner ou tout perdre50.

    Xnophon se sert aussi de structures et de moyens rhtoriques qui sous-tendent les discours thucydidens. Certes, ces moyens s inscrivent dans la tradition rhtorique de l poque classique ; toutefois, dans la mesure o Xnophon se veut le continuateur conscient de La Guerre du Ploponnse, cela impose une comparaison spcifique avec Thucydide. Sur la forme des discours, les traits communs entre ceux de Xnophon et de Thucydide sont les suivants : le contraste entre le je et le vous51, Thucydide, IV, 121, 1. Ce parallle est not par E. SOULIS, op. cit. n. 10, p. 20. 46 Xnophon, Hellniques, VI, 1, 2 : Ce personnage, qui avait une rputation trs favorable dans toute la Thessalie, passait en particulier dans sa propre cit pour un homme si honorable, qu aprs une priode de conflits, les Pharsaliens lui remirent l Acropole, et lui confirent la gestion des revenus, afin qu il perut tous les impts fixs par la loi . La description de l attitude des Pharsaliens l gard de Polydamas et leur confiance en lui voque l attitude du peuple athnien l gard de Pricls : cf. Thucydide, II, 65, 4. 47 Xnophon, Hellniques, VI, 3, 15 : D ailleurs, de tout temps, des guerres ont clat et toutes ont pris fin, c est une chose que nous savons tous . Cf. Thucydide, II, 64, 3 : car tout comporte aussi un dclin . 48 Xnophon, Hellniques, VI, 5, 40 ; cf. Thucydide, I, 144, 3 (premier discours de Pricls) ; II, 64, 2 et 6 (troisime discours de Pricls). 49 Xnophon, Hellniques, VI, 5, 45 ; cf. Thucydide, II, 37, 1 (pitaphios) et, dans le mme discours, pour l image d Athnes comme bienfaitrice, II, 40, 4-5 ; 41, 3. 50 Xnophon, Hellniques, VI, 3, 16 ; cf. Thucydide, II, 63, 1-2 (troisime discours de Pricls). 51 Xnophon, Hellniques, I, 6, 5 (discours de Callicratidas devant les Lacdmoniens) : Pour mon compte, je ne demande qu rester chez

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    l opposition entre le et le 52, la dclaration initiale des intentions du discours53, les questions rhtoriques54, le motif du

    nous (3) [ ]. Pour vous (() [ ] proposez ce qui vous parat le mieux . Cf. aussi, Xnophon, Hellniques 1, 6, 8 (discours de Callicratidas devant les Milsiens) : Pour moi, Milsiens, c est une obligation d obir aux magistrats de ma patrie (3 $ !& A $ ( ) ; pour vous, je vous demande de mettre toute votre ardeur la guerre (( ! ! ( & ( ) [ ] . Cf. Thucydide, II, 61, 2 : Pour moi, donc, je suis le mme, et je ne me ddis point (!) ; mais vous (( ), vous changez . Cf. aussi, Thucydide, III, 38, 1, 4. 52 Xnophon, Hellniques, I, 7, 18 (discours d Euryptolmos) : Voici que maintenant ils partagent la responsabilit avec ceux qui ont t seuls commettre une faute, et, pour prix de la gnrosit qu ils ont montre alors, aujourd hui, victimes des critiques de ces gens-l et de quelques autres, ils sont en danger de mort ((,!( @ ! ! ! ) . Cf. Thucydide, I, 86, 1 (discours de Sthnlaidas) : Cependant, s ils se sont bien conduits alors vis--vis des Mdes, et mal aujourd hui vis--vis de nous (((A ( ( @ ( ), ils mritent deux fois plus d tre punis, pour tre ainsi passs du bien au mal . 53 Xnophon, Hellniques I, 7, 16 (discours d Euryptolmos en faveur des stratges des Arginuses) : C est en partie pour accuser, Athniens, que je suis mont ici [ ]. C est aussi pour dfendre les stratges, et c est pour vous conseiller les mesures que je crois les meilleures pour la cit tout entire ('!$!&(34 $ 9+++: @ ($ ! &"") . Cf. Thucydide, III, 44, 1 (discours de Diodote en faveur des Mytilniens) : Pour ma part, je ne viens ni porter la contradiction au sujet des Mytilniens, ni les accuser (3!!A !!) . Cf. aussi, Thucydide, II, 60, 1. 54 Xnophon, Hellniques, II, 3, 33 : Eh bien ! Celui qu on voit sans cesse occup tirer profit des choses, mais qui n a aucun souci pour la

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    refus de l orateur de parler longuement55, l emploi de la technique narrative de la prsentation par ngation (presentation through negation) comme moyen de renforcer le point de vue prsent56, la caractrisation des arguments comme (Hellniques, VI, 5, 33).

    morale ni de ses amis, comment pourrait-on donc l pargner ? . Cf. Thucydide, III, 39, 2 : [ ] un peuple en outre autonome et combl par nous des plus grands gards, s il a commis un acte pareil, n est-ce pas intrigue et insurrection, plutt que dfection [ ] tentative en outre de se mettre avec nos pires ennemis pour nous anantir ? . Voir aussi, Xnophon, Hellniques, II, 4, 40-41 : Pour vous, gens de la ville, je vous engage bien vous connatre : et le meilleur moyen de vous connatre, c est d examiner sur quoi vous fondez votre prtention de vouloir nous commander. tes-vous plus quitables que nous ( B) ? Cependant, le peuple [ ] Direz-vous donc que c est l intelligence qui fait votre supriorit [ ] ? Nanmoins, [ ] . La mme formule, d une question rhtorique, suivie par une rponse ngative, est aussi atteste dans le discours d Archidamos au dbut de la Guerre du Ploponnse (Thucydide, I, 80, 4 ; 81, 1) : comment, vis--vis d un tel peuple, soulever une guerre la lgre, et sur quoi compter pour cder la prcipitation sans tre prpars ? Sur la flotte ? Cependant, le ntre est la moins forte ( ( @() [ ] Alors, sur l argent ? Mais notre infriorit ici est encore plus grande ((B!") [ ] . 55 Xnophon, Hellniques, IV, 1, 13 : Hrripidas dit : Sur le reste de notre conversation, Agsilas, quoi bon s tendre ? ('$!&34 $(B) . Cf. Thucydide, I, 68, 3 ; II, 36, 4 ; IV, 59, 2. 56 Xnophon, Hellniques, II, 2, 43 (discours de Thramne) : Ce ne sont pas, Critias, ceux qui empchent le nombre des ennemis de s accrotre ni ceux qui vous montrent le moyen d avoir le plus d amis, ce ne sont pas eux qui donnent de la force au parti hostile ; mais, bien plutt, ceux qui s emparent injustement du bien d autrui et qui font mettre mort les innocents, ce sont eux qui augmentent le nombre de vos adversaires et qui trahissent non seulement leurs amis, mais eux-mmes avec leur ignoble avidit . Cf. Thucydide, I, 69, 1 (discours des

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    Enfin, en ce qui concerne le contenu des discours, Xnophon emploie souvent des arguments similaires ceux qui sont utiliss dans les discours de Thucydide : l argument selon lequel l alliance sera plus profitable pour ceux qui l accepteront que pour ceux qui la sollicitent57, ainsi que l argument selon lequel les activits guerrires ne tmoignent pas de l intention de dclencher la guerre, mais visent seulement se dfendre58. De surcrot, Xnophon reprend la typologie inaugure par Thucydide qui attribuait chaque cit des traits de caractre spcifiques : le motif de l action incessante, synonyme d imprialisme, renvoie ainsi la caractrisation thucydidenne des Athniens par les Corinthiens, tandis que la lenteur commencer la guerre renvoie la caractrisation des Spartiates59. De mme, le lien tabli entre scession et autonomia chez Xnophon voque les promesses de Brasidas dans l uvre de Thucydide60.

    Corinthiens devant les Lacdmoniens) : Et c est votre faute, vous : vous les avez laisss, aprs les Guerres mdiques, renforcer d abord leur ville [ ] Car le vrai responsable, ce n est pas l auteur de l asservissement : c est celui qui peut y mettre un terme et n en a pas souci [ ] . Sur cette technique narrative, voir S. HORNBLOWER, Narratology and Narrative Technique in Thucydides , in Idem (ed.), Greek Historiography, Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 131-166, particulirement p. 152. 57 Xnophon, Hellniques, III, 5, 15 ; VI, 5, 39 avec Thucydide, I, 33, 2-4 ; 35, 4-5. Cf. aussi, Xnophon, Hellniques, VI, 2, 9, un passage sur la demande de Corcyre de s allier avec Athnes, qui renvoie directement Thucydide, I, 32-36. Voir dj H. R. BREINTEBACH, loc. cit. n. 9, col. 1688. 58 Xnophon, Hellniques, III, 5, 4, avec Thucydide, I, 144, 2. 59 Imprialisme et action sans cesse : Xnophon, Hellniques, VI, 2, 15, avec Thucydide, I, 70, 4-5 et 7. Incitation commencer la guerre plus tard : Xnophon, Hellniques, VI, 3, 6, avec Thucydide, I, 84, 1. 60 Xnophon, Hellniques, III, 5, 18, avec Thucydide, IV, 86, 1.

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    2. 2 Innovation dans la tradition

    Les parallles que nous avons nots jusqu maintenant montrent une grande familiarit de Xnophon avec l uvre de Thucydide. Ils tmoignent en mme temps d un respect absolu de l auteur des Hellniques l gard de son prdcesseur. Cette fidlit est souvent prise comme la marque d un manque d originalit intellectuelle de la part de Xnophon. Or, le dbat entre Critias et Thramne fournit des arguments qui vont l encontre d une telle vision : une analyse attentive du dbat prouve que Xnophon peut se fonder sur le rcit de Thucydide pour proposer finalement des conceptions nouvelles.

    Notons tout d abord les chos thucydidens61 : a) Xnophon (discours de Critias) : Nous sommes trente et

    non un seul : si tu vois l une raison qui doit nous retenir d user de cette magistrature comme d une tyrannie (!), tu es bien naf (Hellniques, II, 3, 16). Thucydide (discours de Clon) : Vous oubliez que l empire constitue entre vos mains une tyrannie () qui s exerce sur des peuples, eux, intriguent et subissent cet empire de mauvais gr (III, 37, 1).

    b) Xnophon (discours de Thramne) : Ensuite, dit-il, je vois que nous faisons deux choses ( !) tout fait contradictoires : un gouvernement de violence que nous rendons en mme temps plus faible que les gouverns (Hellniques, II, 3, 19). Thucydide (discours de Diodote) : mais, mon sens, il y a deux obstacles les plus contraires la prudence ( !"), la hte et la colre (III, 42, 1).

    61 Nous citons l ensemble de ces parallles car ils ne sont pas tous nots par les commentateurs. Au-del des parallles avec le dbat entre Clon et Diodote, il existe aussi un autre parallle thucydiden, l ide selon laquelle le dmos athnien tait oppos l oligarchie, car il tait habitu la libert (Xnophon, Hellniques, II, 3, 24 ; Thucydide, VIII, 68, 4).

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    c) Xnophon (discours de Critias) : Pour nous, qui savions que, pour les gens comme vous et nous, la dmocratie est un rgime dur ( 9+++: &) [ ] (Hellniques, II, 3, 25). Thucydide (discours de Clon) : Souvent dj, j ai eu l occasion d apercevoir que la dmocratie est un rgime incapable d exercer l empire (! !) (III, 37, 1).

    d) Xnophon (discours de Critias) : nous savions aussi que les Lacdmoniens, nos sauveurs, ne donneront jamais leur sympathie la dmocratie, mais que par contre les gens de bien ne pourront jamais cesser d avoir leur confiance (@5,$5) (Hellniques, II, 3, 25). Thucydide (discours de Diodote) : Actuellement, le peuple de toutes les cits vous est favorable ( ) (III, 47, 2).

    e) Xnophon (discours de Critias) : Et mme, la trahison est plus dangereuse que l hostilit, dans la mesure o il est plus difficile de se garder de l invisible que du visible (! , , , ) [ ] (Hellniques, II, 3, 29) Thucydide (discours de Diodote) : [ ] le dsir et l esprance, l un ouvrant la route et l autre suivant, l un imaginant l affaire tandis que l autre promet tout bas la faveur du sort, causent les plus grands dommages et, dans leur action invisible, sont plus forts que les dangers visibles (,!!!!!) (III, 45, 5)62.

    62 Cf. Thucydide, V, 113, 1 ; VI, 3, 9. Si les parallles d) et e) expriment des ides connues dans la littrature de l poque classique, il est nanmoins significatif qu elles soient aussi prsentes dans le dbat entre Clon et Diodote, qui semble avoir exerc une grande influence sur Xnophon.

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    f) Xnophon (discours de Critias) : Vous donc, si vous tes raisonnables (&$!,), ce n est pas son sort, mais au vtre que vous songerez (@!!,) [ ] (Hellniques, II, 3, 34). Thucydide (discours de Diodote) : Nous ne discutons pas de leur injustice (!!), si nous sommes raisonnables ( !,), mais de la dcision qui sera profitable pour nous () (III, 44, 1).

    L abondance des parallles entre les deux dbats suggre que Xnophon entend tablir des connexions prcises entre les deux vnements. Dans les deux cas, il s agit d un procs : d une part, contre les Mytilniens, d autre part contre Thramne. Dans les deux cas, l enjeu est la fidlit : au sein de l empire dmocratique, d une part, au sein de l oligarchie, d autre part. Dans les deux cas, c est le peuple athnien qui dcide et dans les deux cas, il penche pour le point de vue le moins radical63. Dans les deux cas, les orateurs se soucient du maintien de leur rgime et des privilges qui en rsultent : lors du dbat entre Clon et Diodote, des privilges du dmos athnien, lors du dbat entre Critias et Thramne, des privilges de l oligarchie.

    Les implications d une telle comparaison ne sont pas sans importance pour la pense politique de Xnophon. Par le biais des motifs thucydidens, Xnophon modle la description de l oligarchie tyrannique sur le rcit thucydiden de la dmocratie tyrannique64 : dans un premier temps, il veut souligner que tous

    63 Chez Xnophon (Xnophon, Hellniques, II, 3, 50), le Conseil est favorable Thramne aprs son discours, mais Critias intervient arbitrairement pour empcher son vote et procder ainsi la condamnation de son adversaire. 64 Cf. aussi, une autre sorte de remodelage, Xnophon, Hellniques, II, 3, 49 : Maintenant, si tu peux, Critias, citer un cas, o, avec un gouvernement dmocratique ou tyrannique ( ( ( 5(), j ai essay de priver de leurs droits de citoyens les gens distingus et honntes, parle , avec Thucydide, 6, 60, 1 : le peuple athnien [ ] rapportait tout une conjuration oligarchique et

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    les rgimes risquent d atteindre des extrmes et basculer dans la tyrannie65. un niveau plus profond, cette ide contribue tablir une sorte de nivellement entre les rgimes politiques : aucun rgime n est a priori meilleur ou pire, car tous sont sujets aux mmes erreurs. Ce nivellement attnue finalement la liaison de la tyrannie des Trente avec le rgime de l oligarchie.

    2. 3 Xnophon contre Thucydide

    Les commentateurs ont dj observ que Xnophon vite de donner des dtails sur certains rcits auxquels il fait des allusions passagres, car il prsuppose chez son lecteur la connaissance de Thucydide : la dfection des hilotes de Coryphasion, la colonie d Hracle de Trachinie, l exigence des marins de recevoir leur salaire, les injustices des Athniens l gard des Mliens et des Scioniens, le mdisme des Thbains, l autonomie des Thraces, renvoient des thmes thucydidens que Xnophon choisit de continuer et d laborer66.

    Toutefois, Xnophon ne se contente pas seulement de prsupposer la connaissance de Thucydide, mais semble parfois corriger son rcit. C est le cas, tout d abord, dans le passage concernant les injustices des Athniens : Les Athniens, assigs par terre et par mer, ne savaient que faire, car ils n avaient plus ni vaisseaux ni allis, ni bl ; ils pensaient qu ils ne pouvaient chapper au traitement qu ils avaient inflig, non en manire de punition, mais par une injustice fonde sur la tyrannique ( ! " """") . Pour les oligarques, la dmocratie peut tre lie la tyrannie, tandis que pour les dmocrates, seule l oligarchie s y rattache. 65 Voir ce sujet, S. LEWIS, 1 ,!((& : Xenophon s Account of Euphron of Sicyon , JHS 124 (2004), p. 65-74. 66 Hilotes de Coryphasion (Xnophon, Hellniques, I, 2, 18), colonie d Hracle de Trachinie (Xnophon, Hellniques, I, 2, 18), le salaire des marins (Xnophon, Hellniques, I, 5, 4), injustices des Athniens (Xnophon, Hellniques, II, 2, 3), mdisme des Thbains (Xnophon, Hellniques, III, 5, 8 ; V, 4, 46), autonomie des Thraces (Xnophon, Hellniques, V, 2, 17).

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    dmesure, aux gens de petites cits, et cela pour la seule raison que ceux-ci taient les allis des autres (/& ! C 2 !$

    !(( @ " " " 5 ) (Hellniques, II, 2, 10). Dans ce passage, Xnophon impose son point de vue sur les vnements. Thucydide au contraire n avait pas condamn explicitement l imprialisme athnien, ni ne l avait prsent comme un exemple d (67.

    Ensuite, dans le discours des Thbains, la description de l hostilit entre les Athniens et les Spartiates pendant la Guerre du Ploponnse n est pas entirement compatible avec le rcit de Thucydide : Et le fait que beaucoup de cits obissent leur autorit ne doit pas vous effrayer, mais au contraire vous donner plus de confiance, si vous rflchissez que, vous aussi, c est quand vous aviez le plus de sujets que vous aviez le plus d ennemis ; seulement, tant qu ils ne savaient vers qui aller s ils vous abandonnaient, ils dissimulaient la haine qu ils avaient pour vous ; mais une fois que les Lacdmoniens se mirent leur tte, alors ils manifestrent leur sentiment votre gard (Hellniques, III, 5, 10). Chez Thucydide, au contraire, la procdure est diffrente : la haine n est pas cache et les cits s allient ds le dbut de la guerre avec l une ou l autre puissance ;

    67 Thucydide emploie le mot ( dans son rcit seulement deux fois : en II, 65, 9 (pour dcrire l attitude du peuple athnien) et en VI, 28, 2 (pour dcrire le sacrilge des Hermai). Il y a aussi un troisime passage, provenant du rcit sur la stasis Corcyre (Thucydide, III, 84, 1), mais il est considr comme une interpolation. Toutefois, pour la mme ide, de subir un mal qu on a inflig, cf. Thucydide, VII, 71, 7 : &!" ( ! ! ! (+ !". Notons de plus que le mot ( n est pas attest chez Thucydide, mais chez Aristophane (Cavaliers, 817).

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    les dclarations des Lacdmoniens sur la libration de la Grce renforcent la sympathie des autres cits envers eux68.

    Or, ces passages n expriment pas ncessairement le point de vue de Xnophon : le premier dcrit les sentiments des Athniens et le second provient du discours des Thbains devant les Athniens : ils sont donc dlibrment exagrs. En outre, on pourrait objecter qu en l occurrence, Xnophon ne fonde peut-tre pas ses descriptions sur Thucydide, mais sur d autres sources. Toutefois, tant donn que, concernant le sujet de l imprialisme, c est avec Thucydide qu il entre en premier lieu en dialogue, il est intressant d observer comment et dans quel contexte il choisit de renverser le rcit de son prdcesseur. Si l on carte l hypothse selon laquelle ces allusions sont accidentelles ou la preuve de la superficialit de Xnophon69, une autre interprtation devient envisageable : d une part, dans le cas des injustices des Athniens, l auteur des Hellniques n ose pas entrer en comptition directe avec l autorit de son prdcesseur, et c est pourquoi il le fait indirectement, par l intermdiaire de la description des sentiments des Athniens ; d autre part, dans le cas du discours des Thbains, en appelant une comparaison avec le texte thucydiden, il jette un doute sur les paroles des orateurs ou, du moins, souligne leur exagration rhtorique.

    3. Xnophon hrodoten et thucydiden

    Deux scnes des Hellniques mritent une attention particulire, car elles tmoignent d une influence parallle autant 68 Thucydide, II, 8, 1 ; IV, 5 : Quant au reste de la Grce, il tait suspendu cette rencontre des principales cits [ ]. Les sympathies des gens penchaient nettement en faveur des Lacdmoniens, surtout parce qu ils avaient fait une dclaration auparavant (!( !) les posant en librateurs de la Grce. Aussi, individu ou tat, tous taient-ils pleins d nergie pour les aider de leurs moyens, soit en paroles soit en actes [ ]. Telle tait la colre que la plupart nourrissaient contre Athnes, les uns parce qu ils voulaient chapper sa domination, les autres parce qu ils craignaient de s y voir soumis . 69 Tel est le point de vue d E SOULIS, op. cit. n. 10, p. 185-190.

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    d Hrodote que de Thucydide. La premire provient du troisime livre des Hellniques et concerne la prparation militaire de la cit d phse par Agsilas :

    Et il a rendu toute la cit o il rsidait digne de spectacle ( %" & 9,: ( ;) : l agora tait pleine de toute espce de chevaux et d armes vendre ; forgerons, menuisiers, bronziers, corroyeurs, peintres, taient tous occups fabriquer des armes de combat, si bien qu on pensait que la cit tait vraiment un atelier de guerre ( ). Comme, ses yeux, le mpris des ennemis tait aussi une source d nergie pour la bataille (( , ! !

    ! ( ), il donna l ordre aux crieurs de vendre nus les barbares faits prisonniers par les corsaires ; les soldats, qui leur voyaient la peau blanche parce qu ils ne se dshabillaient jamais, le corps mou et flasque parce qu ils allaient toujours en char, pensrent que dans cette guerre ce serait tout comme s il fallait se battre contre les femmes (Hellniques, III, 4, 16-19).

    Dans cette scne Xnophon rlabore des motifs la fois hrodotens et thucydidens : tout d abord, l expression digne de spectacle semble tre une allusion Hrodote70. Ensuite, le passage renvoie l epitaphios de Pricls au-del mme d un simple cho verbal : Et notre cit est digne d tre admire ( & /) [ ] (Thucydide, II, 39, 4). L admiration avec laquelle Xnophon dcrit les qualits militaires et la prparation de la cit pour la guerre voque en effet l admiration avec laquelle Thucydide (par la bouche de Pricls) dcrit la cit d Athnes. Il serait mme tentant de voir dans l expression atelier de la guerre un quivalent spartiate

    70 Hrodote, I, 25 ; IX, 25 ; 70 (( ) ; cf. aussi l emploi de l adjectif : Hrodote, I, 184 ; II, 111 ; 163 ; 176 ; 182 ; III, 123 ; IV, 85 ; 162.

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    de la caractrisation thucydidenne d Athnes, ducation de la Grce (-() (II, 41, 1). En fin de compte, la dernire phrase prsente aussi une double influence. Le motif du mpris des ennemis renvoie un conseil que Pricls adressait aux Athniens : allez affronter l ennemi non seulement avec un esprit de hauteur, mais avec celui du mpris ( (

    ( , $

    ) (II, 62, 3-4). Quant au lien tiss entre manque de bravoure et effmination, il constitue un motif qui parcourt l uvre hrodotenne71.

    La seconde scne est le fameux dbat entre Agsilas et Pharnabaze, au cours duquel le roi spartiate propose au satrape perse de devenir l alli des Spartiates, ce qui lui assurera la libert et le bonheur. La scne mrite d tre cite en entier :

    Quand mme, je pense que tu sais bien, Pharnabaze, qu il y a aussi dans les cits grecques des hommes qui contractent entre eux des liens d amiti. Or, ces gens-l, quand leurs villes deviennent ennemies, se battent avec leur patrie contre ceux-l mme qui sont leurs htes, et le hasard a pu faire quelquefois qu ils se sont entre-tus. Eh bien, nous qui, pour l instant, faisons la guerre votre roi, nous nous trouvons obligs de considrer comme ennemi tout ce qui lui appartient : cependant, ton amiti, toi, nous la mettrions au-dessus de tout. Et s il s agissait d changer l autorit du Roi contre la ntre ( !(((), ce n est pas moi qui te le conseillerais ; mais, en fait, tu peux, en passant de notre ct, sans plus adorer personne ni mme avoir de matre, vivre en jouissant de ce qui est toi ( @ ! !" /). D ailleurs, la libert me parat, moi, valoir tous les biens (&!

    71 Voir Hrodote, I, 55, 4 ; II, 102, 1-5 ; VII, 210, 2 ; VIII, 88, 3, avec H. TAMIOLAKI, La rflexion sur la libert et l esclavage chez Hrodote, Thucydide et Xnophon, Diss. Paris IV, 2007, p. 25-28.

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    & &!!!). Et cependant, ce que nous te demandons, ce n est pas d acheter par la pauvret la libert ([email protected]&) ; c est, en utilisant notre alliance, de renforcer non plus la puissance du Roi, mais bien la tienne, en soumettant tes compagnons d esclavage d aujourd hui pour en faire tes vassaux (@ ( ! !( $ ( ( ,$ ! ( ( &). Et alors, si tu tais libre tout en devenant riche, qu est-ce qui te manquerait pour tre tout fait heureux (( @ ( ( $ ( 5 ( ! &;) ? (Hellniques, IV, 1, 34-39).

    Des interprtations diverses ont t avances pour analyser cette scne72, mais aucune ne semble se concentrer sur le dialogue de Xnophon avec ses prdcesseurs. En premier lieu, l ide du

    72 V. GRAY, op. cit. n. 4, p. 52-58, note que l histoire voque la manire hrodotenne de narrer ( storytelling manner of Herodotus ) et tablit une comparaison avec le discours de Polydamas de Pharsale : designed to highlight the virtue of Pharnabazus and Polydamas [ ] as men tempted, but unwilling to prove disloyal without good cause . P. KRENTZ, Hellenika II.3.10-IV.2.8, vol. 2, Warminster, Aris and Phillips, 1995, p. 207, commente : the hint remains that the Lakedaimonians ought to be more concerned with their own honor . C. J. TUPLIN, op. cit. n. 5, p. 56-60, estime que Xnophon ne veut pas prsenter favorablement Agsilas. Cf. J. DILLERY, op. cit. n. 6, p. 118-119 : Agesilaus comment to Pharnabazus reflects his ambivalent attitude towards the problem of the competition between loyalty to state and loyalty to friends . Dans cette perspective, voir aussi, V. AZOULAY, Xnophon et les grces du pouvoir. De la charis au charisme, Paris, Publications de la Sorbonne, p. 150, n. 4. P. DEMONT, Xnophon et