5
Paul Chauchard Paul Chauchard est un médecin, chercheur, philosophe et enseignant français contemporain, né en 1912 et dé- cédé en 2003. Il est l’auteur de plus de 80 livres. Docteur en médecine et docteur ès sciences, il enseigne à la Faculté Catholique de Paris et à l’Ecole Pratique des Hautes études. Il est le père de six filles, dont une reli- gieuse cistercienne. Ce propos a pour but d’aborder aujourd’hui le résultat d’une partie de ses recherches, qui ont abouti à un de ses livres « Zen et Cerveau ». Ce livre est l’enfant de la rencontre, de la longue amitié et étroite collaboration entre Paul Chauchard et Taïsen Deshimaru, Maître Zen-soto Japonais, qui a introduit le Zen en Europe. Paul Chauchard a également contribué à chacun des ouvrages du moine zen Monto dé Patso. La science affirme qu’il existe déjà une forme simple de conscience au niveau des mo- lécules et des atomes. Cette conscience simple, qu’on a appelée préconscience s’est com- plexifiée progressivement dans le cerveau animal puis dans le cerveau humain. A notre niveau, l’attraction des éléments qui nous constituent produit une énergie. Cette énergie, c’est l’énergie du cosmos. C’est une énergie d’Amour qui rend possible l’évolu- tion humaine. Elle nous pousse malgré nous à rechercher l’harmonie, et à lutter contre la dysharmonie à laquelle nous avons participé et qui nous fait souffrir. Ce cosmos devient donc de plus en plus conscient à travers nous, ce qui n’est possible que si monde et conscience ont la même nature de base. Devenir lucide donc, c’est compren- dre ce processus naturel, y obéir et participer ainsi à l’achèvement d’une harmonie cosmique. La conscience devient alors vraie liberté. L’homme reçoit du cosmos lui-même les éléments nécessaires à son évolution physique, sociale, intellectuelle et affective, à condition que ses choix personnels et ses erreurs de conduite ne le rendent pas malade de vieillesse. Au niveau cosmique, malgré toutes les horreurs, l’Amour finit toujours par l’emporter. Au niveau humain, la réussite est au prix de notre dynamique incessante vers l’optimum, avec passion. Cela est déjà très difficile. L’autre est pour nous un étranger. Nous le dominons ou il nous domine. Nous l’aimons, le détestons ou l’ignorons. Se mettre au service du cosmos, ce que Paul Chauchard appelle amoriser, en reprenant le mot de Teilhard de Chardin, inclut l’a- mour de l’autre, de notre société et de notre culture. Nous sommes interdépendants et complémentaires. De par notre origine animale, nous avons besoin d’un territoire et d’une hiérarchie. Reconnaître sa place et respecter celle de l’autre constitue la base des relations humaines. C’est le prolongement du respect de la nature, dont l’homme fait partie et dont il n’est pas séparé.

Zen Et Cerveau de Paul Chauchard

Embed Size (px)

Citation preview

  • Paul Chauchard

    Paul Chauchard est un mdecin, chercheur, philosophe et enseignant franais contemporain, n en 1912 et d-

    cd en 2003. Il est lauteur de plus de 80 livres. Docteur en mdecine et docteur s sciences, il enseigne la

    Facult Catholique de Paris et lEcole Pratique des Hautes tudes. Il est le pre de six filles, dont une reli-

    gieuse cistercienne.

    Ce propos a pour but daborder aujourdhui le rsultat dune partie de ses recherches, qui ont abouti un de

    ses livres Zen et Cerveau . Ce livre est lenfant de la rencontre, de la longue amiti et troite collaboration

    entre Paul Chauchard et Tasen Deshimaru, Matre Zen-soto Japonais, qui a introduit le Zen en Europe.

    Paul Chauchard a galement contribu chacun des ouvrages du moine zen Monto d Patso.

    La science affirme quil existe dj une forme simple de conscience au niveau des mo-

    lcules et des atomes. Cette conscience simple, quon a appele prconscience sest com-

    plexifie progressivement dans le cerveau animal puis dans le cerveau humain.

    A notre niveau, lattraction des lments qui nous constituent produit une nergie.

    Cette nergie, cest lnergie du cosmos. Cest une nergie dAmour qui rend possible lvolu-

    tion humaine. Elle nous pousse malgr nous rechercher lharmonie, et lutter contre la

    dysharmonie laquelle nous avons particip et qui nous fait souffrir.

    Ce cosmos devient donc de plus en plus conscient travers nous, ce qui nest possible

    que si monde et conscience ont la mme nature de base. Devenir lucide donc, cest compren-

    dre ce processus naturel, y obir et participer ainsi lachvement dune harmonie cosmique.

    La conscience devient alors vraie libert.

    Lhomme reoit du cosmos lui-mme les lments ncessaires son volution physique,

    sociale, intellectuelle et affective, condition que ses choix personnels et ses erreurs de

    conduite ne le rendent pas malade de vieillesse.

    Au niveau cosmique, malgr toutes les horreurs, lAmour finit toujours par lemporter.

    Au niveau humain, la russite est au prix de notre dynamique incessante vers loptimum,

    avec passion.

    Cela est dj trs difficile. Lautre est pour nous un tranger. Nous le dominons ou il

    nous domine. Nous laimons, le dtestons ou lignorons. Se mettre au service du cosmos, ce

    que Paul Chauchard appelle amoriser, en reprenant le mot de Teilhard de Chardin, inclut la-

    mour de lautre, de notre socit et de notre culture. Nous sommes interdpendants et

    complmentaires.

    De par notre origine animale, nous avons besoin dun territoire et dune hirarchie.

    Reconnatre sa place et respecter celle de lautre constitue la base des relations humaines.

    Cest le prolongement du respect de la nature, dont lhomme fait partie et dont il nest pas

    spar.

  • Cette conscience, donc, volue et se complexifie par le corps. Cest par ce corps que

    peut se rvler la pense, la relation lautre, la spiritualit. On ne peut pas sparer la qua-

    lit de la spiritualit de la qualit de lorganisation du corps et du cerveau. Le corps vigilant

    cre les conditions de la vraie relation.

    Il est ncessaire de surtout se rappeler que lhomme est sur trois niveaux : la chair,

    le psychisme et lesprit.

    Le premier niveau, celui de la chair, est constitu par les centres rgulateurs de la base

    du cerveau. Lhypothalamus, notamment, est la commande centrale de lensemble de lor-

    ganisation des fonctions du corps, en dehors de notre volont, comme pour les animaux.

    Cet hypothalamus gre aussi les automatismes, tels la fuite ou le combat. Il labore nos

    sentiments et nos dsirs. Cest aussi l que se trouvent les mcanismes de vigilance, c'est

    --dire ltat de non distraction. Cest notre pilote automatique.

    Le deuxime niveau, celui du psychisme, nous fait dire je . Cest le cerveau des dsirs,

    responsable de linsatisfaction perptuelle de lhomme, sils le submergent. Ce je ne

    peut tre efficace que grce la joie dtre dans son corps et la vigilance de la base du

    cerveau.

    Le troisime niveau est ce quon nomme lesprit. Lesprit est aussi corporel et charnel. Si

    nous sommes capables de contrler la sagesse de nos dsirs, cest grce la runion du

    cerveau primitif et du cerveau intellectuel. Cest grce au bon fonctionnement de ce cer-

    veau suprieur que lhomme devient libre et responsable. A ce niveau, il coordonne le ra-

    tionnel et laffectif, rconcilie la sagesse et la passion. Il laisse sexprimer le Cur et

    lAmour dans leur sens suprieur.

    Ainsi donc, nous pensons avec la prsence du corps en nous et ce qui se passe dans no-

    tre cerveau retentit sur notre corps.

    Cependant, ceci est un conditionnement denfant qui doit tre entretenu toute la vie.

    Il est ncessaire de garder contact avec le ressenti de son corps. Les processus de vigilan-

    ce, de contrle de soi et de spiritualit sont indissociables de la vraie libert et de lvolu-

    tion de lunivers travers soi.

    On ne peut donc devenir Homme en sautorisant sanimaliser, mme pour se dten-

    dre. On ne peut devenir Homme en se dsincarnant ou en habitant dans ses penses. On de-

    vient Homme en sappuyant sur la force de gravit, sur le corps, pour aller vers le haut et

    en avant .

    La base de lducation, cest lducation des sens. Toute ducation humaniste est donc

    ducation du corps, par le corps, dans la plnitude de lattention et de la mmoire, si dfi-

    ciente chez les lves aujourdhui. Car la mmoire repose sur lattention. Le sommeil rpara-

    teur, le calme, le contrle des pulsions sexuelles sont la consquence de la prsence dten-

    due et lucide la direction de soi-mme. Alors seulement, le fonctionnement automatique de

    nos organes se rgnre au lieu de suser.

  • De plus, la vigilance a un effet affectif, lattention est intrt. Elle est mise en jeu

    par le dsir de lagrable et le refus du dsagrable. Etre vigilant, cest tre unifi, tre vi-

    vant. Lnergie qui en dcoule, le ki en japonais, le chi en chinois ou le prana en sanscrit,

    cest lamour de soi socialis dans lamour du prochain, cest le moteur de notre monte en

    avant.

    Lhomme est fait pour la joie, compatible avec la vigilance lucide. La vigilance porte

    vers la paix et la joie. L est le secret de notre corps et de son panouissement spirituel.

    Cest exactement le but du Zen : vigilance dtendue tout en tant rceptive, alter-

    nance entre lattention concentre et lattention dtendue. Cest la vraie essence de la cons-

    cience humaine qui nous conduit exprimer notre facult inne de joie et damour.

    Il faut bien comprendre que pense et conscience sont des processus matriels du

    cerveau. Pour penser juste et efficacement, il faut coller au rel, en comprendre le sens et

    laspiration, ce qui ncessite dtre bien inform par les organes des sens. Je pense donc

    je suis , nest vrai que si je veux dire je sens donc je suis , jagis consciemment donc

    je suis , jimagine et je dsire donc je suis . Tout ce qui est dans lintelligence vient des

    sens.

    Notre cerveau nest donc pas un ordinateur, il est du mme type que celui de lanimal,

    mais plus perfectionn. Le dveloppement du cerveau passe par le dveloppement des diff-

    rentes zones relatives aux organes des sens. Les associations entre ces diffrentes zones y

    reconstruisent limage du monde extrieur et de nous-mmes. Nous sommes, de ce fait, plus

    aptes dceler, plus objectivement, ce qui est sensible et ce qui ne lest pas, mme si cela

    reste relatif au niveau humain.

    En coordonnant ces sensations lmentaires, nous pouvons voquer par la mmoire la

    bonne image correspondante, ce qui est impossible si nous sommes distraits, perdus dans les

    ides, les soucis, le pass et lavenir.

    En sentranant faire attention donc, nous prenons lhabitude de bien sentir, en tant pr-

    sent dans linstant, comme le fait un bb. Cet entranement devient progressivement r-

    flexe et sintgre dans le quotidien.

    Ainsi, ce perfectionnement humble de notre personne, sans orgueil ni jugement de va-

    leur, est le chemin de laccueil de lautre, sans peur ni agressivit, le moyen de le voir vrai-

    ment, de lcouter, de le calmer par notre propre calme, de laider retrouver le paradis de

    ce sensible qui a toujours un aspect affectif.

    Si limaginaire nest pas ancr sur le sensible, il perturbe le fonctionnement crbral

    et tout lquilibre viscral. Il ne sagit pas cependant de supprimer limaginaire. Il sagit de

    dvelopper limagination du vrai. Toute activit crbrale est une imagination. Mais de notre

    cerveau, duqu par le corps, jaillissent sans arrt des images dans lintuition, vritable va-

    leur de lartiste ou du scientifique, entre autres.

  • Si nous ragissons avec peur ou agressivit devant lautre, si nous aimons ou dtes-

    tons sans motifs vrais, cest que notre ressenti est dform par nos passs.

    Le bon moi imaginaire est le moi humble, prsent son corps limit et mortel. Cest le

    moi qui a besoin des autres et dont les autres ont besoin. Cest le moi qui aime son prochain

    comme lui-mme, avec la joie dexister ensemble.

    Cest dans cette perspective quil faut comprendre la valeur et la justesse des vrais

    Arts Martiaux. Ceux-ci ne sont pas seulement une manire juste et efficace de se dfendre.

    Ils apprennent se conduire en homme vrai, en fonction des lois de bon fonctionnement de

    notre cerveau. Ils aident shumaniser et humaniser, c'est--dire amoriser, apprendre

    aimer.

    Contrler limagination, tre dans le calme et la paix heureuse, prsent soi-mme,

    dans la conscience et la joie du monde sensible, cest la prsence au corps du Zen, avec la

    condition ncessaire de la vigilance. Cette vigilance augmente la conscience du rel et ceci

    sapplique la vraie foi. Car la vraie foi est la synthse dun sentiment pas pleinement hu-

    main et dun savoir religieux raisonnable. Elle dbouche alors sur un engagement lucide et

    passionn de tout ltre envers le mystrieux idal. On va la mystique par le corps, le

    contrle de soi, la prsence au monde et soi dans le calme et la paix. Lnerv activiste, in-

    tellectuel, rationaliste, dfoul ou refoul est dans une impasse.

    On ne peut plus, de fait, opposer saintet du corps et saintet de lesprit. Il ny a pas

    de choses sacres ou profanes, pures ou impures, il y a le sens de la monte, de lunification

    panouissante, du plus grand effort spirituel et le sens de la descente, de lgosme rtr-

    cissant, du matrialisme. Cest en cela que le contrle est la base de la perfection et un

    moyen de perfectibilit.

    Le cur hypothalamique de notre tre est le jaillissement dune nergie sociale da-

    mour-vie. Soit nous lutilisons pour monter dans le sens de la vie, soit nous la dissipons au

    service de de lnervement ou de langoisse.

    La douceur cependant nest pas synonyme de mollesse. Nous avons apprendre r-

    aliser en nous ltat de dtente lucide, calme et heureuse. Nous avons dvelopper une pr-

    sence dynamique et nergique soi-mme et au monde. Nous crons ainsi la base dune non

    violence active et efficace. Nous nous dlestons consciemment de la crispation nerve et

    angoisse qui conduit la violence agressive. La violence nest jamais bonne, elle rend brute

    ou orgueilleux, elle achemine vers la dictature oppressive.

    Nous avons aussi dvelopper la responsabilit, c'est--dire remplacer la culpabilit mor-

    bide par la reconnaissance lucide de sa faute et lapprentissage, par le contrle, viter de

    la commettre nouveau.

  • Il est donc fondamental aujourdhui de dvelopper en Occident une ducation physique du spi-

    rituel. En effet, lducation physique ne concerne pas que le muscle, celui-ci nous renseigne

    sur nos tensions et nos motivations intrieures, il nous permet aussi dy remdier. On ne se li-

    bre pas de son corps, on se libre par son corps de tous nos conditionnements incontrls et

    donc alinants.

    En rsum, la science dans son ensemble nous montre un monde qui a un sens. Le com-

    plexe surgit du simple, le quantitatif complexifi fait surgir des qualits suprieures. La ma-

    tire est une machine qui se perfectionne. On ne peut douter ni de la supriorit humaine, ni

    du fait quelle est le fruit de lvolution du cosmos et indissociable de lui.

    La communion au cosmos, cest donc la communion une prodigieuse nergie qui est une ner-

    gie damour conduisant en avant et vers le haut. Les matrialistes veulent aller en avant, les

    spiritualistes veulent aller vers le haut. La synthse des deux exige de regarder en arrire

    pour percevoir cette monte quil sagit de continuer dans une dynamique fidlit.

    Cest une certitude scientifique, valeur commune de tous les hommes, que la matire en

    volution possde le pouvoir de monte de conscience et damour.

    La violence nest donc quun manque dauto-ducation de notre systme nerveux central.

    Via notre monde sensitif , notre lucidit et notre gouvernance, la prsence au monde,

    avec les autres et avec le reste de la Nature, ainsi que la non-violence, sont une partie des

    consquences naturelles de lauto-ducation de notre systme nerveux central.

    Merci de votre attention.