6
Bull. Acad. Vét. France — 2007 - Tome 160 - N°5 www.academie-veterinaire-defrance.org 389 COMMUNICATION ZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT DE LA BARRIÈRE D’ESPÈCE VIRAL ZOONOSES AND THE MECHANISMS OF SPECIES BARRIER CROSSING Par Marc ÉLOIT (1) (Communication présentée le 21 juin 2007) Le génome de la plupart des virus est capable d’évoluer très rapidement conférant à ces microor- ganismes la propriété de s’adapter très vite à des environnements divers et inconstants. Ceci permet aussi aux virus de s’adapter à des espèces pour lesquelles ils n’étaient pas normalement pathogènes provoquant ainsi des maladies émergentes. Notre laboratoire s’intéresse à cet aspect moderne de l’épi- démiologie en suivant à l’échelon moléculaire les variations de séquences qui se produisent dans le génome de plusieurs groupes viraux apparentés infectant l’homme et les animaux. Nous présente- rons ici l’analyse historique documentée de quelques cas où la barrière d’espèce a été spontanément et naturellement transgressée. Nous rapporterons aussi quatre exemples de virus responsables de zoo- noses avérées ou potentielles étudiées dans notre laboratoire et concernant : le virus Borna, le virus de l’Hépatite E, le virus de l’encéphalomyocardite et les coronavirus. Mots-clés : barrière d’espèce, virus, maladies infectieuses. RÉSUMÉ (1) UMR 1 161 — Virologie INRA-AFSSA-ENVA, Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, 7 avenue du Général de Gaulle, 94704 Maisons Alfort. Most viral genomes can evolve rapidly, and are therefore able to adapt very quickly to changing envi- ronments. This also means that viruses can infect species that were not originally susceptible, and thus produce emerging diseases. Our laboratory works on these modern aspects of epidemiology, analyzing at the molecular level the sequence variations occurring in the genome of several related virus groups, infecting humans and animals. We describe here a number of well documented historical cases of emerging diseases, resulting from a natural and spontaneous species barrier crossing. We also pres- ent four examples studied in our laboratory of viruses responsible for proven or potential zoonoses : Borna virus, hepatitis E virus (HEV), encephalomyocarditis virus (EMCV), and coronaviruses. Key words : species barrier, virus, infectious diseases. SUMMARY

ZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT …academieveterinaire.free.fr/bulletin/pdf/2007/numero05/389.pdfZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT DE LA BARRIÈRE D’ESPÈCE

  • Upload
    others

  • View
    5

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: ZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT …academieveterinaire.free.fr/bulletin/pdf/2007/numero05/389.pdfZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT DE LA BARRIÈRE D’ESPÈCE

Bull. Acad. Vét. France — 2007 - Tome 160 - N°5 www.academie-veterinaire-defrance.org 389

COMMUNICATION

ZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME

DE FRANCHISSEMENT DE LA BARRIÈRE D’ESPÈCE

VIRAL ZOONOSES AND THE MECHANISMS

OF SPECIES BARRIER CROSSING

Par Marc ÉLOIT (1)

(Communication présentée le 21 juin 2007)

Le génome de la plupart des virus est capable d’évoluer très rapidement conférant à ces microor-ganismes la propriété de s’adapter très vite à des environnements divers et inconstants. Ceci permetaussi aux virus de s’adapter à des espèces pour lesquelles ils n’étaient pas normalement pathogènesprovoquant ainsi des maladies émergentes. Notre laboratoire s’intéresse à cet aspect moderne de l’épi-démiologie en suivant à l’échelon moléculaire les variations de séquences qui se produisent dans legénome de plusieurs groupes viraux apparentés infectant l’homme et les animaux. Nous présente-rons ici l’analyse historique documentée de quelques cas où la barrière d’espèce a été spontanémentet naturellement transgressée. Nous rapporterons aussi quatre exemples de virus responsables de zoo-noses avérées ou potentielles étudiées dans notre laboratoire et concernant : le virus Borna, le virusde l’Hépatite E, le virus de l’encéphalomyocardite et les coronavirus.

Mots-clés : barrière d’espèce, virus, maladies infectieuses.

RÉSUMÉ

(1) UMR 1161 — Virologie INRA-AFSSA-ENVA, Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, 7 avenue du Général de Gaulle, 94704 Maisons Alfort.

Most viral genomes can evolve rapidly, and are therefore able to adapt very quickly to changing envi-ronments. This also means that viruses can infect species that were not originally susceptible, and thusproduce emerging diseases. Our laboratory works on these modern aspects of epidemiology, analyzingat the molecular level the sequence variations occurring in the genome of several related virus groups,infecting humans and animals. We describe here a number of well documented historical cases ofemerging diseases, resulting from a natural and spontaneous species barrier crossing. We also pres-ent four examples studied in our laboratory of viruses responsible for proven or potential zoonoses :Borna virus, hepatitis E virus (HEV), encephalomyocarditis virus (EMCV), and coronaviruses.

Key words : species barrier, virus, infectious diseases.

SUMMARY

Page 2: ZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT …academieveterinaire.free.fr/bulletin/pdf/2007/numero05/389.pdfZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT DE LA BARRIÈRE D’ESPÈCE

COMMUNICATION

390 Bull. Acad. Vét. France — 2007 — Tome 160 — N°5 www.academie-veterinaire-defrance.org

Le franchissement de la barrière d’espèce peut être définicomme un événement d’origine multi-factorielle, qui obéit àla fois à des facteurs épidémiologiques qui augmentent lerisque d’exposition, et à des facteurs moléculaires qui modulentle pouvoir de réplication et le pouvoir pathogène d’un virus pourune nouvelle espèce animale (Antia et al. 2003). En effet, denouveaux facteurs d’environnement peuvent conduire à la sélec-tion de nouveaux variants capables de se répliquer chez un hôtedifférent, y compris l’Homme, avec ou sans symptômes. De lamême façon, certains virus qui, à l’état naturel, sont incapablesd’infecter l’Homme lors d’un contact direct avec des animauxinfectés ou un environnement souillé, peuvent représenter undanger lors de xénogreffes ou en cas d’utilisation de produitsmédicamenteux d’origine animale, en particulier lorsque ceux-ci sont administrés par voie parentérale. Par ailleurs, de nou-velles maladies infectieuses peuvent émerger suite à l’intro-duction d’un nouvel agent pathogène, ou après l’adaptation d’unagent existant après modification des pratiques d’élevage, ou àcause de l’accroissement des échanges internationaux. Lesvirus, parce qu’ils ont un génome capable d’évoluer très rapi-dement, possèdent des potentialités qui leur permettent d’in-fecter de nouvelles espèces. Ceci peut se produire de manièreoccasionnelle, presque accidentelle, avec une faible fréquence,si certains facteurs d’expansion sont présents : un virus émergealors et peut se révéler plus ou moins pathogène pour le nouvel

hôte. Dans ce contexte, l’homme est au même rang que toutesles autres espèces animales et n’occupe évidemment pas uneposition privilégiée. Dans les lignes qui suivent, nous présen-terons quelques exemples correspondant à des typologies dif-férentes d’émergence accompagnées ou non du saut d’une bar-rière d’espèce.

APPARITION D’UNE NOUVELLE ESPÈCEVIRALE : LE CAS DE LA PARVOVIROSECANINE

Cette maladie est d’origine relativement récente puisqu’elle n’estdécrite que depuis 1978. Elle trouve son origine dans une mala-die du chat, la panleucopénie, affectant essentiellement lethymus des animaux et les cellules lymphocytaires qui en dérivent. Chez le chat, cette panleucopénie est une maladiegrave, également appelée typhus. Elle est due à un virus, le FPV (Feline Panleucopenia Virus). En 1978, le CPV2 (CaninePanleucopenia virus), infectant le chien, fit son apparition parmutation, à partir du FPV. Au plan moléculaire, la différenceentre le virus canin et le virus félin réside dans une modifica-tion de structure d’une protrusion de la capsule, qui est la consé-quence d’une modification de seulement deux acides aminés.À ce stade, le virus canin CPV2 avait alors perdu toute capa-cité d’infecter le chat. Le virus a continué à évoluer au cours

Figure 1 : Spectre d’hôtes et pouvoir pathogène des parvovirus des carnivores. La liste des virus au dessus de chaque symbole animal correspond à ceux capablesde se multiplier dans l’espèce considérée. Les flèches correspondent au pouvoir pathogène de ces virus, l’épaisseur de la flèche symbolisant son intensité (FPV : virusde la panleucopénie infectieuse féline ; CPV : parvovirus canin).

Page 3: ZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT …academieveterinaire.free.fr/bulletin/pdf/2007/numero05/389.pdfZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT DE LA BARRIÈRE D’ESPÈCE

Bull. Acad. Vét. France — 2007 — Tome 160 — N°5 www.academie-veterinaire-defrance.org 391

COMMUNICATION

des années : tandis que le CPV2 disparaissait dans les années1980, un variant CPV2a a émergé, toujours pathogène pour lechien, mais qui a réacquis une capacité d’infecter les chats, demanière asymptomatique. Finalement, d’autres variants appa-raîtront de manière concomitante comme le CPV2b et 2c. Cestrois virus coexistent dans les deux espèces, le CPV2c se révé-lant pathogène pour les chats. Les différents virus caninsCPV2x infectent désormais les chats de manière plus fré-quente que le FPV (figure 1) (Parrish et Kawaoka 2005 ;Shackelton et al. 2005). Ainsi, comme on le voit, il est très dif-ficile de prévoir l’émergence d’une maladie infectieuse car celle-ci résulte souvent d’un événement aléatoire, correspondant àla sélection de mutations rendant le virus mieux adapté à l’in-fection d’un nouvel hôte (figure 2).

LA CONTAMINATION IATROGÈNE OU ALIMENTAIRE ASSOCIÉE À UNCHANGEMENT D’HÔTE : LE CAS DEL’EXANTHÈME VÉSICULEUX DU PORC.

Les premières observations concernant cette maladie remon-tent à 1932, en Californie, dans des élevages où les eauxgrasses étaient utilisées pour la nourriture des porcs. Une affec-tion vésiculeuse et très contagieuse fut observée chez les porcsd’élevage, qui fit suspecter une épizootie de fièvre aphteuse sanscependant que les bovins ne soient affectés. Les animauxfurent abattus en masse. En 1940, on se rendit compte qu’ils’agissait en fait d’une maladie spécifiquement porcine, jusque-là inconnue, que l’on a appelé exanthème vésiculeux. La confir-mation concernant l’origine alimentaire de cette maladie a étéfournie, fortuitement, en 1952, en observant qu’un train, parti

de la côte ouest des Etats-Unis pour rejoindre la côte est, et acha-landé avec des plateaux-repas destinés à être distribués aux pas-sagers, avait disséminé l’infection tout au long de son parcours.En 14 mois, les 41 états américains principaux producteurs deporcs furent atteints. En 1972, des scientifiques travaillant surun virus du lion de mer (un pinnipède de grande taille) démon-trent que ce virus, premier virus connu chez les pinnipèdes, étaitgénétiquement identique au virus responsable de l’exanthèmevésiculeux. Ce virus circule chez les pinnipèdes et aussi chez lespoissons et les coquillages filtrant l’eau de mer. Ces poissons etcoquillages ayant été utilisés dans la préparation des plateaux-repas distribués aux voyageurs, on comprend alors comment lesdéchets alimentaires utilisés pour nourrir les porcs avaient puêtre à l’origine de l’infection. L’exanthème vésiculeux estdonc, tout simplement, une maladie venue des fonds marinsdont le virus a disséminé fortuitement par la consommation depoissons ou fruits de mer par des porcs, révélant ainsi la per-missivité de cette espèce. Cette sensibilité au virus du pinni-pède avait toute chance de rester inaperçue dans des conditionsd’alimentation naturelle des porcs (Smith et al. 1998).

MODIFICATION DE LA RÉPARTITIONGÉOGRAPHIQUE

Le cas de la maladie de West Nile ou maladie du Nil occidental

Le virus West Nile se multiplie chez différentes espèces d’oiseauxet il est transmis par les moustiques du genre Culex. L’oiseau leplus couramment infecté aux USA est le corbeau, mais d’autresespèces d’oiseaux, de reptiles et de nombreux mammifèressont également sensibles. Parmi les mammifères, le cheval etl’homme sont les plus sensibles et développent des méningo-encéphalites le plus souvent banales, mais parfois mortelles. Lesoiseaux peuvent également être cliniquement affectés. Levirus West Nile a été décrit originellement en Afrique, en 1937.En 1996, il a été reconnu responsable d’un millier de cas àBucarest. En 1999, une souche moyen-orientale est arrivée auxEtats-Unis, à New York et s’est répandue d’est en ouest(figure 3). Le Canada a aussi été atteint. On a observé plus de16000 cas au total chez l’homme dont 660 morts. Chez les che-vaux, environ 25000 cas ont été recensés au total, la maladieévoluant désormais sur la base d’environ 1000 nouveaux cas paran (voir http://www.cdc.gov/ncidod/dvbid/westnile/index.htm).Concernant l’origine du foyer initial de la maladie aux USA,deux hypothèses sont avancées : le virus aurait été introduit parun avion transportant un moustique, suite à une mauvaise désin-sectisation de l’appareil ou bien par un oiseau importé du MoyenOrient. Pour l’instant la réponse n’est pas connue et ne le serasans doute jamais, mais on sait que la souche West Nile la pluscommunément isolée en Israël est génétiquement très semblableà celle qui sévit actuellement en Amérique du Nord, laissantpenser qu’un lien matériel direct a pu exister, qui aurait permisl’introduction de ce virus (Ackerman & Giroux 2006, Dauphin& Zientara, 2007).

Figure 2 : Mode d’émergence. Les cercles clairs représentent les individus à partirdesquels la dissémination est nulle ou très faible, les cercles noirs, les individuspermettant une diffusion importante.

émergences avortées (D’après Parrish & Kawaoka, 2005).

Page 4: ZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT …academieveterinaire.free.fr/bulletin/pdf/2007/numero05/389.pdfZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT DE LA BARRIÈRE D’ESPÈCE

COMMUNICATION

392 Bull. Acad. Vét. France — 2007 - Tome 160 - N°5 www.academie-veterinaire-defrance.org

Le virus de la Blue Tongue

Le vecteur de cet orbivirus est un petit moucheron : le culicoïdes.Depuis la zone d’endémie primitive et sans doute en raison duréchauffement climatique de la planète, les sérotypes 2, 4, 9 et16 se sont répandus dans le sud de l’Europe : la Sicile, laSardaigne et la Corse (Breard et al. 2007). Indépendammentde cette progression en tache d’huile au sud de l’Europe, la mala-die est en plus apparue brutalement au nord de l’Europe sousforme d’un nouveau sérotype (le sérotype 8). Elle a été obser-vée aux Pays-Bas en 2006 et 6 foyers ont été observés au Nordde la France en 2006 (Toussaint et al. 2007). Différentes hypo-thèses ont été avancées quant à son origine, et en particuliercelle où le virus aurait pu être véhiculé par des moucheronscachés dans des fleurs importées d’Afrique australe sur des mar-chés aux fleurs aux Pays-Bas. Pour l’instant rien n’a confirmécette hypothèse. Ce sérotype semble désormais implanté car en2007, après la trêve de l’hiver et du printemps, un grandnombre de foyers sont apparus dans le nord de la France.

D’autres exemples de même type ont été rapportés dans le passé,par exemple l’épisode de fièvre aphteuse de 2001 en Grande-Bretagne et l’apparition brutale du virus Hendra en Australie,à partir d’un réservoir chez des chauves-souris (renards-volants).

QUELQUES EXEMPLES DE ZOONOSESAVÉRÉES OU POTENTIELLES ÉTUDIÉES DANS NOTRE LABORATOIRE

À côté des zoonoses de caractéristiques bien établies (commela rage), il existe plusieurs virus animaux dont les caractéristiquesfont soupçonner leur possible transmission à l’homme, souventparce que les données de la littérature montrent l’existence d’unvirus proche ou identique dans les deux espèces. Il faut analy-ser les relations épidémiologiques et/ou phylogéniques quiexistent entre le virus humain et son homologue animal. Laquestion qui est posée est de savoir si les virus proches qui exis-tent chez l’animal sont éventuellement transmissibles àl’homme, et peuvent ainsi être la source de nouvelles émer-

Figure 3 : Diffusion du virus West Nile aux USA après son introduction accidentelle en 1999 dans l’Etat de New York (source CDC Atlanta).

Page 5: ZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT …academieveterinaire.free.fr/bulletin/pdf/2007/numero05/389.pdfZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT DE LA BARRIÈRE D’ESPÈCE

Bull. Acad. Vét. France — 2007 - Tome 160 - N°5 www.academie-veterinaire-defrance.org 393

COMMUNICATION

gences. Notre laboratoire essaie de répondre à cette questionen travaillant sur quatre virus : le virus Borna, le virus del’Hépatite E, le virus de l’encéphalomyocardite et les corona-virus. Dans ce type d’étude, l’approche méthodologique est pra-tiquement toujours la même. Dans un premier temps, on réa-lise des enquêtes de prévalence, à la fois chez l’animal et chezl’homme. On recherche ensuite des isolats primaires provenantdes nouveaux cas identifiés, puis on réalise l’analyse phylogé-nique des génomes viraux, en considérant les analogies deséquence et en établissant, grâce à des modèles statistiques, l’évo-lution la plus vraisemblable de chaque génome. Enfin, onétudie, in vitro, de possibles interactions de différents variantsde ces virus avec des cellules humaines.

Virus de l’hépatite E (responsable des recherches : Nicole Pavio)

Pendant plusieurs années, ce virus a été considéré comme exo-tique et n’intéressait que les médecins militaires : en effet, enzone endémique, en Afrique et Asie, les génotypes 1 et 2 sonttransmis par l’eau contaminée par des déjections fécaleshumaines, dans le cadre d’un cycle inter-humains. Pour cetteraison, le Centre de référence en France est situé au Val deGrâce. La clinique de cette maladie est en tous points semblableà celle de l’hépatite A. Depuis quelques années, on constate unaccroissement du nombre de cas diagnostiqués en France enraison d’une meilleure prise de conscience des médecins,notamment en ce qui concerne les personnes n’ayant pasvoyagé dans les zones à risque. Ces cas sont dus au génotype 3qui est présent à très grande fréquence dans les élevages por-cins en France et d’une manière plus générale, en Europe. Lesporcs infectés restent asymptomatiques et le taux de prévalencechez les animaux, dans les très nombreux élevages infectés, estcompris entre 5 % et 50 %. Environ 50 cas humains sont décla-rés chaque année en France, mais il est probable que beaucoupd’autres cas sont confondus avec l’hépatite A et par conséquent,non déclarés. Pour l’heure, on ne sait pas très bien s’il existe unlien entre la maladie chez le porc et chez l’homme (Pavio et al.2006). Notre laboratoire séquence systématiquement les virusprovenant d’isolats humains et animaux et dresse les arbres phy-logénétiques. Il effectue aussi des enquêtes alimentaires sur lessources animales et environnementales, en collaboration avecle CNR et des partenaires cliniciens, dans le cadre d’un réseauqui va être formalisé par l’Institut de Veille Sanitaire. L’infectionpeut être reproduite artificiellement chez le porc, seul moyenà ce jour de tester la présence de virus infectieux en l’absencede cellules permissives. Nous avons sollicité les industriels dela charcuterie pour qu’ils nous aident à étudier les effets des pro-cessus de transformation sur l’inactivité virale. Lors de l’étudede ces isolats, nous avons observé un cas très particulier : celuid’un "cochon de compagnie", vivant en étroite promiscuité avecson maître, en France, lequel a contracté une hépatite E aiguë(Renou et al. 2007). Finalement, nous commençons un pro-gramme de développement des outils de la génétique inverse,afin de caractériser les mutations responsables du pouvoirpathogène chez l’animal et l’homme.

Le virus Borna (responsable des recherches :Muriel Coulpier)

Ce virus provoque principalement des méningoencéphaliteschez les chevaux. La maladie, animale a surtout été décrite enSaxe, en Suisse, en Autriche. Il existe à ce propos une contro-verse sur le rôle éventuel de ce virus dans l’apparition detroubles psychotiques chez l’homme avec symptômes schizo-phréniques. En fait, un nombre important d’études ont étépubliées, qui suggèrent l’origine animale de la maladie, tandisque d’autres récusent cette hypothèse, considérant que la miseen évidence résultait d’un artéfact (Bode & Ludwig, 2003 ;Chalmers et al. 2005 ; Durrwald et al. 2006, 2007). Notrelaboratoire étudie ce virus sous deux angles. Nous essayons d’iso-ler de nouvelles souches humaines et animales (équines etbovines, à partir des collections de cerveaux de bovins prove-nant de l’AFSSA de Lyon), dans des conditions techniques etméthodologiques évitant les risques de résultats faussement posi-tifs. Nous étudions également si des souches de virus Borna peu-vent se développer sur des cellules primaires d’origine humaine.

L’encéphalomyocardite (responsable des recherches : Labib Bakkali)

Ce virus est présent chez les rongeurs et le porc (Paul et al. 2003).Diverses données convaincantes mais non définitives, surtoutbasées sur des enquêtes sérologiques, montrent que le virus peutinfecter l’homme et en particulier, les personnes au contact de porcs(Deutz et al. 2003; Juncker-Voss et al. 2004; Kirkland et al. 1989).Ce virus est transmissible au singe (Jones et al. 2005; Krylova &Dzhikidze, 2005). Par ailleurs, toute une série de données euro-péennes et américaines montrent que 60 à 80 % des encéphalitessont d’étiologie inconnue. Nous avons isolé des souches animales,montré leur capacité à infecter des cellules nerveuses humainesprimaires et identifié certains des facteurs moléculaires corres-pondant à un tropisme accru pour ces cellules humaines. Notrelaboratoire va se porter volontaire pour analyser les prélèvementsrecueillis lors de l’enquête conduite par l’Institut National de VeilleSanitaire sur les encéphalites humaines d’étiologie inconnue.

Les coronavirus : (responsable des recherches :Sophie Le Poder)

Les coronavirus représentent une famille relativement homo-gène de virus, dans laquelle on distingue communément troisgroupes. Le laboratoire s’intéresse principalement au groupe 1qui peut infecter l’homme, le porc, le chien et le chat (périto-nite infectieuse féline, gastroentérite du chien et du porc,coronavirus respiratoire 229E de l’homme). Le récepteur du virusest une aminopeptidase, protéine exprimée à la surface des épi-théliums respiratoires et digestifs. L’hypothèse que le chatpuisse représenter un réservoir commun à plusieurs espèces, per-mettant des recombinaisons interspécifiques, est sérieusementconsidérée par notre laboratoire car l’aminopeptidase féline peutaussi servir de récepteur aux virus humain, canin et porcin(Tusell & Holmes, 2006). Nous avons déjà mis en évidence que,chez des chats qui vivent au contact de chiens infectés, on trouvedes souches recombinantes entre les virus de ces deux espèces.

Page 6: ZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT …academieveterinaire.free.fr/bulletin/pdf/2007/numero05/389.pdfZOONOSES VIRALES ET MÉCANISME DE FRANCHISSEMENT DE LA BARRIÈRE D’ESPÈCE

COMMUNICATION

394 Bull. Acad. Vét. France — 2007 - Tome 160 - N°5 www.academie-veterinaire-defrance.org

CONCLUSIONSL’étude des mécanismes de franchissement des barrières d’espècesest assez complexe et, s’il existe beaucoup de modèles in vitro,on manque malgré tout de modèles prédictifs du risque infec-tieux de certains virus animaux pour l’homme. Il est importantau niveau national de maintenir une compétence pour chaquefamille virale, en organisant et en maintenant en place un réseaude laboratoires ad hoc, avec une vision globale entre les orga-nismes de recherche. Il faut également favoriser et accroître les

interactions entre la virologie humaine et la virologie vétéri-naire, interaction qui existe déjà de manière assez naturelle. Unautre thème à explorer, déjà perçu par la communauté médi-cale, est celui des transplantations de tissus ou organes entreespèces (les xénogreffes), qui offrent des conditions tout à faitfavorables au franchissement de barrière d’espèce de l’animalà l’homme chez des sujets qui, de surcroît, sont maintenus sousimmunosuppresseurs pour éviter le rejet du transplant.

• Ackerman, G.A. & Giroux J. 2006. A historyof biological disasters of animal origin in NorthAmerica. Rev Sci Tech. 25 : 83-92.

• Antia, R., Regoes, R.R., Koella, J.-C.,Bergstrom, C.T. 2003. The role of evolution inthe emergence of infectious diseases. Nature426 : 658-661.

• Bode, L. & Ludwig, H. 2003. Borna diseasevirus infection, a human mental-health risk.Clin Microbiol Rev. 16 : 534-545.

• Breard, E., Sailleau, C., Nomikou, K.,Hamblin, C., Mertens, P.P., Mellor, P.-S., ElHarrak, M., Zientara. S. 2007. Molecular epi-demiology of bluetongue virus serotype 4 iso-lated in the Mediterranean Basin between1979 and 2004. Virus Res. 125 : 191-197.

• Chalmers, R.M., Thomas, D.R., Salmon, R.L.2005. Borna disease virus and the evidence forhuman pathogenicity : a systematic review.QJM. 98 : 255-274.

• Dauphin, G. & Zientara, S. 2007. West Nilevirus : recent trends in diagnosis and vaccinedevelopment. Vaccine 25 : 5563-5576.

• Deutz, A., Fuchs, K., Nowotny, N., Auer, H.,Schuller, W., Stünzner, D., Aspöck, H.,Kerbl, U., Köfer, J. 2003. [Sero-epidemiologi-cal studies of zoonotic infections in hunters--comparative analysis with veterinarians, far-mers, and abattoir workers.] Wien KlinWochenschr. 115 (Suppl 3) : 61-67. EnAllemand.

• Dürrwald, R., Kolodziejek, J., Herzog, S.,Nowotny, N. 2007. Meta-analysis of putative

human bornavirus sequences fails to provideevidence implicating Borna disease virus inmental illness. Rev Med Virol. 17 : 181-203.Review

• Dürrwald, R., Kolodziejek, J., Muluneh, A.,Herzog, S., Nowotny, N. 2006. Epidemiologicalpattern of classical Borna disease and regionalgenetic clustering of Borna disease virusespoint towards the existence of to-date unknownendemic reservoir host populations. MicrobesInfect. 8 : 917-929.

• Jones. P., Mahamba, C., Rest, J., André,C. 2005. Fatal inflammatory heart disease in abonobo (Pan paniscus). J Med Primatol. 34 :45-49

• Juncker-Voss, M., Prosl, H., Lussy, H.,Enzenberg, U., Auer, H., Lassnig, H.,Müller, M., Nowotny, N. 2004. [Screening forantibodies against zoonotic agents amongemployees of the Zoological Garden of Vienna,Schonbrunn, Austria,] Berl Munch TierarztlWochenschr. 117 : 404-409. En Allemand.

• Kirkland, P.D., Gleeson, A.B., Hawkes, R. A,Naim, H.M., Boughton, C.R. 1989. Humaninfection with encephalomyocarditis virus inNew South Wales. Med J Aust. 151 : 176, 178.

• Krylova, R.I. & Dzhikidze, E.K. 2005.Encephalomyocarditis in monkeys. Bull ExpBiol Med. 139 : 355-359.

• Parrish, C.R. & Kawaoka, Y. 2005. The originsof new pandemic viruses : the acquisition ofnew host ranges by canine parvovirus andinfluenza A viruses. Annu Rev Microbiol. 59 :553-586.

• Paul, P.-S., Halbur, P., Janke, B., Joo, H.,Nawagitgul, P., Singh, J., Sorden, S. 2003.Exogenous porcine viruses. Curr Top MicrobiolImmunol. 278 : 125-183. Review.

• Pavio, N., Renou, C., Boutrouille, A., Eloit,M. 2006. L’hépatite E : une zoonose méconnueVirologie. 10 : 341-351.

• Renou, C., Cadranel, J.-F., Bourlière, M.,Halfon, P., Ouzan, D., Rifflet, H., Carenco, P.,Harafa, A., Bertrand, J.-J., Boutrouille, A. et al.2007. Possible zoonotic transmission of hepa-titis E from pet pig to its owner. Emerg InfectDis. in press.

• Shackelton, L. A., Parrish, C. R., Truyen, U.,Holmes, E.C. 2005. High rate of viral evolutionassociated with the emergence of carnivore par-vovirus. Proc Natl Acad Sci U S A. 102 : 379-384.

• Smith, A.W., Skilling, D.E., Cherry, N., Mead,J.H., Matson, D.O. 1998. Calicivirus emergencefrom ocean reservoirs : zoonotic and interspe-cies movements. Emerg Infect Dis. 4h13-20.Review

• Toussaint, J.-F., Sailleau, C., Mast, J.,Houdart, P., Czaplicki, G., Demeestere, L.,VandenBussche, F., van Dessel, W., Goris, N.,Bréard, E., et al. 2007. Bluetongue in Belgium.2006. Emerg. Infect. Dis. 13 : 614-616.

• Tusell, S.M. & Holmes, K.V. 2006. Molecularinteractions of group 1 coronaviruses withfeline APN. Adv Exp Med Biol. 581 : 289-291.

BIBLIOGRAPHIE

REMERCIEMENTS

La version écrite de cette conférence a été rédigée par Jean-Louis Guénet et Agnès Fabre que je remercie très vivement.