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Xavier Lambrechts (TV5MONDE), Bruno Daroux (RFI),Vincent Giret (Le Monde)DIFFUSION SUR LES HUIT CHAÎNES DE TV5MONDE, EN DIRECTSUR LES ANTENNES DE RFI ET SUR INTERNATIONALES.FR

EVA JOLYDÉPUTÉE EUROPÉENNE EUROPE ECOLOGIE - LES VERTS

CANDIDATE À L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE 2012

DIMANCHE12 MAI À 18H10

et avec

Architecture

Bandol (Var)Envoyé spécial

R udyRicciotti, on aime ou onn’aime pas, mais on ne faitpas «beurk ! ». La formule,

empruntéeàunesailliehumoristi-que des années 1970 à propos deSheila, convient parfaitement auplus tonitruant des architectesfrançais. Souvent réduits à cetantagonisme,s’expriment, infine,les avis de ceux qui connaissentses constructions, et, avant tout,leur maître d’œuvre : une parolepolémique, torrentielle et savam-ment convulsive. Les uns sontravis, les autres, au mieux, s’aga-cent. Mais jamais d’indifférence.En parlant, il fait aussi beaucoupparler de lui.

L’actualité s’y prête : exposé –c’estbienlemot–àlaCitédel’archi-tecturede Paris jusqu’au8septem-bre, RudyRicciotti est aussi le sujetd’undocumentairedeLaetitiaMas-son(RudyRicciotti.L’Orchidoclaste)

et le signataire d’un tout récentpamphlet (L’architecture est unsport de combat, aux éditions Tex-tuel, 15¤) qui connaît un succès enlibrairie. Architecte du départe-mentdesartsde l’islam,auLouvre,il achève la construction du futurstade Jean-Bouin, à flanc du ParcdesPrincesàParis.

Le Grand Prix national d’archi-tecture en 2006 est surtoutl’auteurduMuséedescivilisationsde l’Europe et de la Méditerranée(MuCEM), établissement nationalqui doit être inauguré, le 7juin, enbordureduportàMarseille.«Troisévénements qui se superposent: çacrée un tressage asymptotique»,commente-t-il,d’emblée.ChezRic-ciotti, qui est aussi ingénieur, lamathématiquen’est jamais loin.

«Pour recevoir le journalisteparisien dans [son] lointain villa-ge» – son agence et ses quartiersde Bandol (Var), s’entend –, cejeunesexagénaire,pantalonetche-mise sombre de toile légère,minebronzée et tignasse foisonnante, achaussé des chaussures en cuirbicolores.Plusmafiosoque joueurde golf. Cliché du Nord sur le Sud.Unevisionquilehanteetquipour-rait venir d’Italie, dont sont issussesparentsainsiquesonnomque,contre toute attente, il prononcesouventàla française:«Rissiotti».

Chez lui, la question du «racis-

me cognitif» est récurrente: «Quede parler avec un accent prononcéentraînerait, de fait, une perte desubstancecritique.C’est inaccepta-ble. Je ne peux être que suspect oucaricatural.»Mais il apprécie aus-si que face à ses prestations publi-ques, plutôt courues, « les genspuissent rire de soulagement».Que lui-même se fasse sourire?«Evidemment.» Ses confrères luireprochent d’être trop médiati-que, il leur répondque«c’estparceque, eux, n’ont rien àdire.»

RudyRicciotti dit avoir «l’usagedes mots», et encore davantageceluide l’écriture. Il a«surtout,pré-cise-t-il, l’incroyable vulgarité dedirecequ’[il]pense».Ons’interrogesur l’origine de ce plaisir fou à direetàécrire.«Lesmotsnesontpasl’ex-pression d’une pathologie médica-le.» Pas de «névrose», «vie amou-reuse normale», «trois fois grand-père » et « patron qui a créé30emplois dans un village au troudu cul du monde». Tout juste

admet-il que ce «goût de la languefrançaiseestpeut-êtrecompensatoi-redecettepériodedesilence, enfantdansl’extrêmesolitude»,enCamar-gue, planté entre un canal et unétang. «Ce déficit de contact visuelauraitpu fairedemoiunautiste.»

Suspecté par certains de com-plaisance envers sa propre élo-quence, l’hommene détournepasle regard. Ses combats, puisqu’ils’agit de cela, ce bâtisseur affirméles livre contre deux adversaires:d’uncôté, l’hyper-réglementation,«qui fait que l’on n’arrive plus àconstruire» ; de l’autre, leminima-lisme, un terme qu’il s’interditd’utiliser parce qu’il veut «échap-per à la lâcheté de la distance.»

S’il était boxeur, Rudy Ricciottiappartiendrait à la catégorie despuncheurs, voire des esquiveurs,mais pas à celle des encaisseurs.Trop anxieux, trop impatient.C’était, à samanière, laparticulari-té de l’enfant terrible britannique,lepoèteArthurCravan(1887-1918),

annonciateurdeDada, que l’archi-tecte aime et cite tant.

«Tout grand artiste a le sens dela provocation», professait ce soli-de gaillard avant d’organiser, le23avril 1916 à Madrid, son proprecombat de boxe contre le cham-pion dumonde, Jack Johnson, quilemitKOau6e round.Labeautédunon-geste, enquelque sorte.

Ce non-geste, Rudy Ricciotti l’ainitiéetradicaliséàVitrollesoù,en1994, il signe le Stadium, salle despectacles et salle de sports. Unbloc de béton, coulé en œuvre,constellé de points de lumière,échoués parmi les boues rougesd’un crassier. Depuis 1999, l’extrê-me droite ayant pendant untemps pris les rênes de la ville, lebâtiment ne respire plus. Avec leStadium, qui le fit connaître d’unplus grandnombre, RudyRicciottivoulait faire«le procèsde l’esthéti-sation.»

«Ça a été un pavé dans lamarepolitique, rappelle Patrice Goulet.

Lemonolithe était la seule réponsepossible.» Le critiqued’architectu-re a été l’un des premiers à fairedécouvrir Rudy Ricciotti, en 1991,lors de l’expositionqu’il coorgani-sa avec l’Institut français d’archi-tecture : 40+40 architectes demoinsde40ans. LeStadium,pour-suit-il, «a aussi été la premièrearchitecture comme œuvre d’art.C’est forcément l’art qui influencesa radicalité».

«Aujourd’hui, la beauté est sus-pecte, le récit est suspect, la figureest suspecte», râle Rudy Ricciotti.Radical dans les années 1990, sontravail devient «de plus en plusmaniériste, et non pas maniéré»,tient-t-il à préciser. «En archi, lecourantmaniériste,çan’existepas.Je suis, à 60 ans, dans la synthèsedes savoirs ; la superposition desmétiers: l’archi, l’ingénieur, le cof-freur, le ferrailleur…» Les savoirsconjoints du chantier dont il s’estfait lechantre.Et toujourslebéton,dont la nature, revendique-t-il,

«permet un niveau de développe-ment d’emplois territorialisés etnondélocalisables».

Dans cette histoire depassion àconstruire local, la société Lafarge,soutien de l’exposition à la Cité,occupeunepositionmajeure.Grâ-ce à son fils Romain, un ingénieurde haut vol qui lui permet d’affi-ner ses expérimentations, RudyRicciotti a su tirer lemeilleur pro-fitdesbétonsàultra-hautesperfor-mances. Dont le Ductal, produitpar le n˚1mondial des cimentiers.

Ricciotti,complice?PatriceGou-let en doute: «Quand on veut sor-tir des moules académiques d’uneépoque, il faut une arme qui vousavantage. L’approfondissementd’une techniqueest unbonmoyen.Il a été très malin d’investir cettevoie. » Ce que dit l’intéressé :«Lafarge me suce les baskets. Ilsfont de la com’à tire-larigot surmon travail. Je ne leur dois rien.»Ainsi est Ricciotti. p

Jean-JacquesLarrochelle

AMarseille, sur la passerelle duMuCEM, le 8 janvier. OLIVIER MONGE/M.Y.O.P.

RudyRicciotti,gouailleurenbétonarméL’architecte,quiaconçuleMuCEMdeMarseille,attise lespassions:uneexpositionetunfilmluisontconsacrés

AlaCitédel’architecture, lecollectionneurcollectionné

«Aujourd’hui,labeautéestsuspecte,lerécitestsuspect,

lafigureestsuspecte»RudyRicciotti

L’EFFETESTFRAPPANT: l’exposi-tionde laCitéde l’architectureetdupatrimoine, auPalaisdeChaillot, à Paris, ressembleà s’yméprendreàunaccrochagedegaleried’art contemporain.AprèsavoirprésentéPierreParat,l’auteur,voici donc, jusqu’au8sep-tembre,RudyRicciotti, l’artiste.

C’estuncouplede collection-neurs, architecteseuxaussi, qui afourni l’essentieldespiècesprésen-tées.Dansunenvironnementchicet sombre,nimaquetteni plan.Alanguisoudressés sur leurssocles, enveloppésd’unefinelumière,prototypesetmoulescôtoientd’autresélémentsdepro-cessusdeproduction.Ons’arrêtedevantdeux«maquettes»en ter-re cuite, l’uneduPavillonNoir àAix-en-Provence, l’autre, trèsconvaincantedans sapâleur, duMusée Jean-CocteauàMenton.

«Ils ont comprisqu’il y aderriè-re celaungisement,un témoigna-

gedenotre temps, se féliciteRudyRicciotti. Ils ontunecinquantainedepièceset collectionnent les condi-tionsdeproductionde l’architecteRicciotti. Ils ont comprisque lemotconceptuelétait névrotique,qu’ilfallaitpasserpar la transfigurationduréel, savoiroù sont les secretsdefabrication.» Lavaleur estiméedel’ensemble: plusieurscentainesdemilliersd’euros.«Bientôtunmil-lion», pronostique l’architecte. Il araconté l’histoireducoupleaupré-sidentdeChristie’s.Réponsede cedernier:«C’est très inspiré.»

«Je suis collectionné,maisClaudeParent l’estaussi», dit-il enmontrantdeuxgrandsdessinsàl’encreaccrochés sur l’undesmursdesonagenceàBandol. Il a com-mencéàacheterde«joliespièces»,dit-il, àpartir desannées 1980.«Au lieud’allerau resto, j’ai préférém’offrirdeuxClaudeViallat.»Cequi l’intéressedans la relationàl’art,«c’est dedéfendre les condi-

tionsdeproductionde certainsartistes». «Parmi tous les architec-tesque je connais, peuont commeluides rapportsaussi forts et sensi-blesavec l’art», témoigne le criti-qued’architecturePatriceGoulet.

Traître de lamodernité«LaCité, ça fait cinqansqu’ils

meharcèlentpourque je fasseuneexpo, lanceRudyRicciotti.FrancisRambert [leprésidentde l’Institutfrançaisd’architecture (IFA) etcommissairede l’exposition]avaitpenséàmoipour la réouverturedel’IFA. Jenepouvaispas refuser, aurisquede le blesser.»

Lamuséographiede l’exposi-tions’appuie surundéploiementminimaldevariationstechniqueset créatives.Dès l’entrée,deuxpho-tographies,deValérie JouveetdeFrançoiseSpiekermeier,puisd’autres, immenses,desprojetsfavoris, construitsoupas, projetéset glissantssur laparoiprincipale

de la salle.A l’unede sesextrémi-tés,unmurd’aquarellesd’YvanSalomonequi célèbredesœuvresde…Ricciotti. Les artsdu tempsontaussi leurplace:RudyRicciotti.L’Orchidoclaste, de la réalisatriceLaetitiaMasson, estprojetédeuxfois l’après-mididans l’audito-riumde laCitédurant laduréedel’exposition.

Alorsqu’il a banni cemotdesonvocabulaire,RudyRicciotti esttaxépar sesmeilleursamis archi-tectes (MarcBarani, Francis SoleretmêmeMarcMimram)de«plusradicaldesminimalistesde la scènefrançaise». A cela, il leur répondqu’il est«un traître.Un traîtrede lamodernité».L’amitié s’enaccom-modera.p

J.-J.L.

«Ricciotti, architecte». A la Cité de l’ar-chitecture et du patrimoine. 1, place duTrocadéro, 75016 Paris. Jusqu’au 8 sep-tembre. De 3 à 9¤. www.citechaillot.fr

90123Dimanche12 - Lundi 13mai 2013

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