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et formation de base des salariés »

MERCREDI 13 DECEMBRE 2006

A ROUEN

Actes de colloque

Organisé par le Centre Ressources Illettrisme Alphabétisation de Haute-Normandie

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TABLE DES MATIERES

Préambule 5 Rappel du programme de la journée 7 Ouverture du colloque 9

Introduction de la séance par Bertrand TIERCE Exposé introductif de Jean-François CARENCO, Préfet de Région 11 Exposé introductif de Marie-Thérèse GEFFROY, directrice de l’ANLCI 14 Intervention de Hervé FERNANDEZ 21

Première table ronde

Intervention de Marc FONTANIE 29 Intervention de Hugues LENOIR 32 Deuxième intervention de Marc FONTANIE 33 Intervention de Laurence VARREL 36 Deuxième intervention de Hugues LENOIR 39 Suite de l’intervention de Laurence VARREL 39 Intervention de Pierre ROCHE 40 Troisième intervention de Hugues LENOIR 43 Deuxième intervention de Pierre ROCHE 44 Quatrième intervention de Hugues LENOIR 44

Intervention du public

Témoignage de Sylvain EXERTIER 47 Question de Patrick VANDAMME 48 Réponse de Laurence VARREL 48 Réaction de Marc FONTANIE 48 Communication de Pierre GROULT 49 Intervention de Marielle METAIS 49

Seconde table ronde

Intervention de Yves CHAUVIN 51 Intervention de Monique HERVIEU 57 Intervention de Patrick VANDAMME 59 Intervention de Jean-Michel BOUCHEIX 62 Intervention de Daniel LUSTIN 66

Conclusions de Marie-Thérèse GEFFROY 69

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PREAMBULE Le colloque 2006 sur « la compétitivité des entreprises et la formation de base des salariés » dont vous allez prendre connaissance des actes, s’inscrit dans un cycle de rencontres sur le thème de l’éducation de base. Ces rencontres sont organisées régulièrement par l’Etat en lien avec ses partenaires privilégiés dont le Conseil Régional, qui a contribué à la tenue de ce 7ème colloque et à la campagne régionale de sensibilisation au problème de non maîtrise des savoirs de base en direction du grand public. Pour la première fois, ce colloque s’est adressé prioritairement à un public spécifique celui des acteurs du secteur économique et en particulier aux responsables d’entreprises, chefs d’entreprises ou responsables des ressources humaines. Le développement de la formation de base en entreprise est un axe privilégié du Plan d’Action Régional en faveur de l’Education de Base de la région Haute-Normandie. Un groupe de travail constitué tant des représentants des services de l’Etat concernés (DRTEFP/DDTEFP) et du Conseil Régional que des organismes tels que l’AGEFOS/PME, l’AREF/BTP, le FAF/PROPRETE, le FAFSEA, le FONGECIF, HABITAT FORMATION, l’OPCAREG, UNIFORMATION met en œuvre avec l’appui du Centre Ressources Illettrisme Alphabétisation (CRIA) cet axe de travail prioritaire. Pour que notre région puisse mieux anticiper sur les mutations économiques, pour mieux les accompagner et garantir la cohésion sociale, il est indispensable que les entreprises puissent développer leur compétitivité. Dans ce cadre, la formation des salariés, leurs qualifications, et au premier rang desquelles la formation de base, est un enjeu majeur pour les entreprises tant sur le champ du respect des règles de production, des consignes de travail que des consignes de sécurité. L’objet de ce colloque était de se « Réunir pour mieux agir », pour agir ensemble dans l’objectif commun de favoriser la formation de base des salariés pour assurer le développement des entreprises et de leurs capacités. Ce colloque régional fait écho dans sa démarche, faite de recherche, d’échanges et d’actions au Forum permanent des pratiques de l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme. A ce titre il se poursuit par la mise en place d’un atelier régional sur « le développement de la formation de base adaptée au projet de l’entreprise » dans le cadre du Forum permanent des pratiques. Les travaux de cet atelier régional seront présentés lors d’un séminaire, le 6 mars 2007, où des organismes de formation de la région feront état de leurs expériences et nous proposeront des lignes d’actions concrètes. Elles viendront abonder les travaux menés sur la même thématique dans les autres régions également engagées dans le Forum permanent des pratiques de l’ANLCI.

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RAPPEL DU PROGRAMME DE LA JOURNEE Journaliste - Animateur : Bertrand TIERCE 9 h 00 Discours d’ouverture :

Préfet de Région Haute-Normandie Jean-François CARENCO Directrice de l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme Marie-Thérèse GEFFROY

9 h 30 Intervention :

• Hervé FERNANDEZ : Secrétaire Général de l’ANLCI - Chargé du secteur entreprise « Exposé introductif sur la question de la maîtrise des savoirs de base en entreprise »

10 h 00 Table ronde N°1 : « Renforcer la compétitivité des entreprises et l’emploi des personnes peu qualifiées, par la maîtrise des compétences de base : quels enjeux ? »

• Laurence VARREL : Responsable formation - Fédération ADMR 76 (Association de service à domicile) « Consolider l’emploi par l’expérience VALORISER »

• Marc FONTANIÉ : Chargé de recherche et formation - Centre de Ressources 26 & 07 « Expériences d’accompagnement d’entreprises en Rhône-Alpes »

• Hugues LENOIR : Enseignant-chercheur en Science de l’Éducation - Paris X « Effets et impacts des formations de base sur les apprenants »

• Pierre ROCHE : Sociologue - Chargé d’étude CEREQ « Expérimentation ECLOR - ADIA : une action nationale de lutte contre l’illettrisme »

11 h 30 Table ronde N°2 : « Appuyer le projet de l’entreprise en développant les compétences de base : quelles actions ? »

• Monique HERVIEU : Présidente de la société « TERNETT - SAS TERBATI » « Formation aux écrits professionnels »

• Yves CHAUVIN : Ancien responsable formation de l’entreprise « JOINT FRANÇAIS » Groupe Hutchinson - Saint-Brieuc « Expérience RANFOR (remise à niveau formation) »

• Patrick VANDAMME : Directeur des ressources humaines et production - Entreprise « TRISELEC » - Lille « Expérience RIAD (remédiation illettrisme à distance) »

• Jean-Michel BOUCHEIX : Enseignant-chercheur en psychologie cognitive - LEAD / Université de Bourgogne « Traitement de l’illettrisme et apprentissages professionnels dans l’entreprise »

• Daniel LUSTIN : Dirigeant de la société RECIF « Relation entre le besoin des entreprises et la construction d’une offre de formation »

12 h 45 : Conclusion :

Le secrétaire Général pour les Affaires Régionales, Pascal SANJUAN, qui devait initialement conclure ce colloque, indisponible, a été remplacé par Madame Marie-Thérèse GEFFROY

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OUVERTURE DU COLLOQUE Introduction de la séance par Monsieur Bertrand TIERCE Mesdames, mesdemoiselles, messieurs soyez les bienvenus. Vous le savez, nous le savons tous, la lutte contre l’illettrisme est évidemment une priorité nationale dans toutes les régions françaises. Mais s’il y a une région où il y a beaucoup à faire, où cette priorité est vraiment une grande priorité, c’est bien la Haute-Normandie puisque les tests effectués pendant les Journées d’Appel et de Préparation à la Défense (JAPD) ont révélé, et révèlent encore, qu’un trop grand nombre de Hauts-Normands sont en difficulté de lecture. D’où l’importance d’une forte mobilisation en faveur de l’éducation de base, notamment auprès de l’entreprise et des salariés, parce que les enjeux économiques et sociaux sont ici étroitement imbriqués, dans une région où les projets de développement sont nombreux et importants. Alors, beaucoup de choses sont possibles, beaucoup de choses restent à faire, nous allons le voir tout à l’heure en écoutant différents points de vue, des témoignages. Mais d’abord, si vous le voulez bien mesdames et messieurs, nous allons ouvrir nos travaux avec Jean-François CARENCO, Préfet de Région Haute-Normandie, qui réagit fortement lorsqu’il constate que de nombreux Hauts-Normands ne sont pas en facilité avec la lecture. On écoutera ensuite Marie-Thérèse GEFFROY directrice de l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme. Nous commençons avec vous, Monsieur le Préfet de Région.

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Exposé introductif de Monsieur Jean-François CARENCO, Préfet de Région Monsieur TIERCE merci. Bonjour à tous, merci d’être là. J’accueille Madame Geffroy, directrice de l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme avec plaisir. Ce n’est effectivement pas la première fois qu’elle vient et ce ne sera pas la dernière. Avec elle ou ses collaborateurs et avec Madame COLOMBEL qui est chargée de mission contre l’illettrisme et avec vous tous nous allons essayer d’aller au-delà de notre connaissance et de nos réalisations actuelles. Un préfet de région est dans son rôle lorsqu’il s’intéresse à ce sujet de l’illettrisme d’abord parce que, comme l’a dit Bertrand TIERCE, je suis frappé de plein fouet par des statistiques qui ne sont pas bonnes. Sur l’échantillon des jeunes accueillis à la Journée d’Appel et de Préparation à la Défense (JAPD), le taux de jeunes en réelle situation d’illettrisme, se monte à près du double de la moyenne nationale. Et le taux de jeunes en difficulté de compréhension, pour lire, écrire et même compter en français, se monte à près de 14 % sur l’année 2006. Cette situation est dramatique pour notre cohésion sociale ! Le maintien de la cohésion, c’est aussi la mission d’un préfet, c’est son métier que de faire fonctionner l’État afin que l’on vive mieux ensemble. Dans les entreprises, des salariés ne maîtrisent pas bien également les compétences « lire écrire compter ». Les statistiques indiquent que 57 % des adultes en situation d’illettrisme travaillent néanmoins dans les entreprises ; ce sont, bien sûr, des salariés fragiles au regard des mutations des entreprises. C’est dire la responsabilité sociale qui pèse sur les entreprises et les partenaires sociaux et j’insiste sur le rôle des partenaires sociaux. Il ne peut y avoir de politique de formation des salariés dans les entreprises sur le thème « lire écrire compter » sans un accord des partenaires sociaux. Un plan de formation implique les partenaires sociaux ainsi que des structures comme les OPCA, qui interviennent sur ce sujet. Au-delà des salariés et des jeunes, il y a aussi tous les autres et cela fait beaucoup de personnes, de citoyens ne maîtrisant pas les savoirs de base. Voilà, Monsieur TIERCE, une situation qui n’est pas bonne, et qui a deux effets négatifs, un effet économique, par l’amplification de la crise de recrutement, si j’ose dire, et puis un effet social détestable, dans la mesure où un certain nombre de personnes ne peuvent pas participer à notre « communauté de destin ». On ne peut pas appartenir à une communauté de destin si l’on n’écrit pas, si l’on ne parle pas et si l’on ne compte pas de la même manière.

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Cette communauté de destin me permet d’apporter une précision, certes un peu académique entre illettrisme, alphabétisation et apprentissage du français en tant que langue étrangère. L’illettrisme concerne des personnes qui ont appris les savoirs de base à l’école primaire en France et qui, quelques années plus tard, sont mal à l’aise avec la lecture et l’écriture. Elles n’arrivent pas à signer un chèque, n’arrivent pas à lire le carnet de correspondance de leur enfant à l’école, n’arrivent pas à lire un contrat d’assurance… L’analphabétisme concerne quant à lui des personnes n’ayant jamais eu la possibilité d’accéder à une école ; phénomène qui tend à être de plus en plus marginal. Enfin, la France accueille, d’après des statistiques récentes, 200.000 étrangers qui ne viennent pas tous d’Afrique francophone. Ils sont dans la situation dite « français langue étrangère » et doivent apprendre à lire, écrire, compter en français pour faire partie de notre communauté de destin. Il y a donc trois sujets distincts, avec trois publics différents, pour lesquels les méthodes d’apprentissage sont différentes, même si les lieux d’apprentissage dans notre région sont identiques. Pourtant il faut mobiliser tout le monde, tous les acteurs. Si les méthodes, les publics et les modes d’implication des intéressés diffèrent, ils sont néanmoins souvent très proches et il faut les mobiliser globalement. Cette distinction un peu académique en trois domaines empêche de percevoir la globalité des problèmes et évite de nous mobiliser tout à fait complètement. Or je veux que l’on se mobilise de manière globale sur la totalité de ces sujets. Cette région de Haute-Normandie a notamment entrepris une action originale avec son Plan d’Action Régional en faveur de l’Education de Base, premier acte, qui se déroule actuellement sur trois ans. C’est dans ce cadre-là que nous nous trouvons ici aujourd’hui. J’ai demandé à Madame COLOMBEL de me faire un rapport qui reprendra les trois sujets évoqués tout à l’heure, un document de mobilisation tenant compte de l’existant, tenant compte en particulier des informations surprenantes qu’on évoquait tout à l’heure avec Bertrand TIERCE. Je vais lire ce rapport, en discuter avec elle, puis je réunirai autour de moi un certain nombre de partenaires pour travailler sur ce rapport avant de lancer l’action. Je souhaite que l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme vienne nous aider techniquement, vienne nous faire part des bonnes pratiques d’autres régions. Ensuite, il faudra travailler plus puissamment sur ce sujet et mobiliser plus encore.

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Dans ce sens, nous avons, dans le cadre d’une campagne de communication, créé une très belle affiche pour soutenir cette mobilisation et je souhaite que la presse la diffuse largement, puisque cette cause concerne leur lectorat de demain ! Pour ce qui concerne les entreprises et leurs salariés, il s’agit d’impulser un projet cohérent, avec une ambition pour la Haute-Normandie, associant les organismes de formation que je salue, l’AGEFOS/PME, l’AREF/BTP, le FONGECIF, l’OPCAREG, Habitat Formation, le FAFSEA, Uniformation, le FAF Propreté, les Fonds d’Action Formation et d’autres dans un contexte de modification des paysages institutionnels. Cette modification des paysages institutionnels résulte en particulier : - De l’implication nouvelle des partenaires sociaux et des organismes

paritaires, de la nouvelle génération des contrats urbains de cohésion sociale ; - De la modification de l’AFPA, de la création de l’agence nationale d’accueil

des étrangers migrants, l’ANAEM ; - Des contrats d’accueil et d’intégration, qui mobilisent de l’argent et des

volontés, de la création de l’agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (l’ACSé), qui, peu à peu, va devenir le pivot de l’action financière en la matière.

Dans ce paysage mouvant, la mobilisation des entreprises et des partenaires sociaux est primordiale. Dans un pays où, heureusement, une grande partie des gens à l’âge adulte est dans les entreprises - et ce, je l’espère, de plus en plus, car la population active augmente sans arrêt - c’est dans l’entreprise qu’il faut agir ! C’est un lieu de vie pour les populations concernées, c’est dans ce lieu que ces publics perçoivent le mieux leur problème, et c’est l’intérêt des employeurs qu’ils trouvent une solution. Les entreprises peuvent envisager des actions internes ou externes. Il faut les conseiller sur les méthodes et les processus à mettre en œuvre, il faut mobiliser notre appareil partenarial de formation. Cet appareil se mobilisera d’autant mieux qu’il est l’appareil des partenaires sociaux et pas seulement celui du marché. L’offre du marché a sa place dans notre paysage global de la formation en entreprise, mais l’appareil de formation qui est aux mains des partenaires sociaux me paraît le plus à même de mobiliser. J’attends de vos travaux qu’ils enrichissent notre réflexion et qu’ils fassent avancer la prise en compte de ce phénomène de l’illettrisme en particulier dans les entreprises. C’est un sujet à la fois économique et social ! Voilà, mon cher Bertrand, ma courte introduction.

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Bertrand TIERCE - Merci beaucoup, Monsieur le Préfet. On va écouter maintenant Marie-Thérèse GEFFROY. Elle a l’avantage d’avoir un regard sur l’ensemble des régions françaises. Donc madame, sur ces enjeux importants, sur quels aspects souhaitez-vous tout particulièrement attirer notre attention ? Exposé introductif de Madame Marie-Thérèse GEFFROY Monsieur le Préfet, mesdames et messieurs, nous sommes très heureux de nous retrouver en Haute-Normandie, à nouveau ensemble sur un problème complexe. Quand on a un problème compliqué à résoudre, dans une société, il est préférable de se mettre d’accord sur ce dont on parle, sur les personnes concernées et sur ceux qui peuvent fournir des solutions aux problèmes. Mettons nous d’accord, si vous le voulez bien sur les définitions car ces distinctions ne sont pas artificielles. Je crois comme l’a très bien souligné Monsieur le Préfet tout à l’heure, qu’il ne faut pas séparer les actions mais il faut aussi être attentif à traiter les problèmes qui ne se voient pas ; or, en matière d’illettrisme, d’alphabétisation ou de « français langue étrangère », on observe des situations bien différentes. Quand on n’est jamais allé à l’école, être analphabète pose des problèmes, mais on n’a pas honte de l’avouer. En France, comme dans tous les pays industrialisés, c’est un problème très marginal, qui concerne seulement 1 % de la population. Quand nous arrivons dans un pays étranger, si nous ne savons pas parler sa langue, nous apprenons cette langue étrangère. Tandis que lorsque l’on a été scolarisé et que l’on doit dire que l’on ne maîtrise plus les compétences de base, lecture, écriture, calcul, c’est autre chose. En général, c’est une difficulté qu’on cherche à cacher par tous les moyens. On cherche de l’aide, des stratégies pour faire face à cette difficulté sans la montrer. Il faut rappeler que, dans notre pays, 90 % des personnes adultes ont été scolarisées en France et que parmi elles un certain nombre n’ont pas les outils nécessaires pour faire face à des situations de la vie quotidienne pour qu’ils trouvent les mots pour se faire comprendre, pour être autonome dans la vie quotidienne. Combien de personnes sont concernées ? Le professeur Hugues LENOIR, ici présent, est un de nos grands conseillers scientifiques sur cette question. Jusque dans les années 2000, on disposait d’enquêtes déclaratives : « Savez-vous lire ? Savez-vous écrire ? Savez-vous compter ? Oui, Non ? » une croix dans une case : ce n’est pas tout à fait comme cela que l’on peut avoir des données fiables et des chiffres exacts !

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En 2000, quand l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme a été créée, nous avons mis au point un module de mesure des compétences de base à l’écrit, qui a été introduit dans une enquête de l’INSEE, l’enquête IVQ (Information, Vie Quotidienne des Français). Que nous dit cette enquête ? D’abord elle nous donne plusieurs types de données fiables sur lesquelles on peut véritablement s’appuyer. Elle nous dit qu’une personne sur 10 à peu près, 9 % exactement de la population âgée de 18 à 65 ans, qui a été scolarisée en France, est en situation d’illettrisme, ce qui représente trois millions cent mille personnes. Les chiffres des journées d’appel et de préparation à la défense nous disent eux que 4,5 % des jeunes âgés français âgés de 17 ans sont repérés en situation d’illettrisme, c'est-à-dire qu’ils ne maîtrisent pas la lecture, l’écriture de messages simples de la vie courante. Nous disposons donc aujourd’hui de chiffres dont nous ne disposions pas auparavant. Mais ce sont des chiffres globaux et un chiffre global n’est pas suffisant pour conduire les politiques. - (Interruption de Monsieur le Préfet). Juste un mot : ce chiffre de 4,5 % n’est pas à comparer au chiffre de 14 %, que j’évoquais, mais au chiffre de 9 %, entre 9 % et 14 % ce sont ceux qui ne sont pas à l’aise. Comparer 4,5 % au niveau national à 14 % en Haute-Normandie, ça serait un peu nous flageller, mais déjà, comparé à 9 %, c’est beaucoup - excusez-moi pour cette interruption. Marie-Thérèse GEFFROY - Je vous en prie Monsieur le Préfet. La devise de l’agence est : « Réunir pour mieux agir », toutes les fois que l’on peut intervenir de concert c’est infiniment utile. C’est important de dire que le chiffre de Haute-Normandie est très élevé mais qu’il faut se référer au même chiffre sur le plan national. Le problème est qu’en matière d’illettrisme, il y a beaucoup d’idées reçues. Et les idées reçues, c’est ce qui est le plus dur à combattre en matière de lutte contre l’illettrisme ! Lorsqu’on considère l’âge des personnes qui sont concernées, les trois millions cent mille personnes, la moitié a plus de 45 ans. Lorsqu’on considère les groupes d’âge, on s’aperçoit que : - 4,5 % des 18-25 ans sont confrontés à l’illettrisme, - 9 % des 36-55 ans, - 14 % des 56-65 ans.

Ce qui veut dire que la proportion de personnes en situation d’illettrisme augmente avec l’âge.

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Lorsqu’on regarde où vivent les illettrés, on s’aperçoit que la moitié des personnes qui sont en situation d’illettrisme vit dans des zones faiblement peuplées : - 28 % dans les zones rurales, - 21 % dans les villes de moins de 20 000 habitants, - L’autre moitié vit dans des zones urbaines et dans les quartiers difficiles.

Or souvent l’image que l’on a c’est celle du jeune illettré vivant dans un quartier difficile : 10 % de cette masse de trois millions de personnes vivent dans les zones urbaines sensibles où le pourcentage est certes deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Dans les ZUS, il y a 18 % d’illettrés au lieu de 9 %. Mais, ils ne représentent en tout que 10 % de toute la population dont nous avons à nous occuper, cela veut dire que si l’effort doit être particulièrement important dans ces quartiers, l’essentiel de la population confrontée à l’illettrisme vit ailleurs. Est-ce qu’il s’agit plutôt d’hommes ou de femmes, c’est une question qu’on nous pose aussi souvent. Les hommes sont plus souvent en situation d’illettrisme que les femmes : 59 % des hommes, 41 % des femmes. Mais en calcul les hommes se débrouillent un peu mieux que les femmes à tous les âges de la vie. Les enquêtes qui sont conduites auprès des jeunes scolarisés montrent que les garçons sont meilleurs en calcul. Un autre des résultats de l’enquête de l’ANLCI surprend : la moitié des personnes en situation d’illettrisme ont un emploi : 57 % occupent un emploi (Patrick VANDAMME de TRISELEC ne sera pas étonné, parce qu’il en emploie beaucoup), 11 % sont au chômage, 14 % sont à la retraite, 10 % en inactivité et 8 % au foyer. Cela veut donc dire que les illettrés sont des personnes qui réussissent à se débrouiller dans la vie, qu’ils ont des compétences, qu’ils ont réussi à construire sans avoir recours à l’écrit et qu’il ne faut pas les enfoncer en leur disant : vous ne savez pas lire, vous ne savez pas écrire, vous ne savez rien ! Il faut au contraire, et je pense que cela sera l’objet des travaux de la journée, il faut au contraire les soutenir, leur donner confiance et leur dire : vous êtes un bon opérateur, mais vous pouvez, en apprenant à lire, comprendre vous-même les consignes de sécurité. Il y a beaucoup de moyens dans l’entreprise pour réapprendre ces compétences de base sans donner l’impression de retourner à l’école comme un enfant : c’est la formation tout au long de la vie. La dernière idée reçue, qui a la vie très dure, c’est qu’on croit que tous les illettrés sont des immigrés ou issus de l’immigration. Or c‘est inexact, puisque l’échantillon de dix mille personnes que nous avons exploité confirme que 74 % des personnes en situation d’illettrisme utilisaient exclusivement le français à la maison à l’âge de 5 ans. Dans les films, les courts-métrages que l’ANLCI met à votre disposition, on s’aperçoit que la moitié des illettrés que nous avons référencés dans l’enquête sont des gens qui vivent souvent en milieu rural, que la vie a amené à perdre leurs

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compétences de bases et qui ne sont pas du tout d’origine immigrée. Il faut donc se défaire de ce regard discriminant que l’on porte sur les personnes issues de l’immigration, parce qu’il nous empêche d’intégrer toutes ces données dans une approche plus globale et plus respectueuse des différences de chacun, mais des différences aussi en positif ! L’objet de notre petite agence, parce que nous sommes une structure légère, est de sensibiliser, de dire ce qui existe, de donner des outils, de construire des méthodes d’organisation, de faire en sorte qu’on puisse outiller les décideurs, qu’on puisse outiller les acteurs. Outiller les décideurs, en leur permettant de mieux connaître le phénomène et son ampleur. Outiller les acteurs, en leur permettant de connaître et de partager les pratiques qui réussissent. Pour s’engager de plus en plus, comme l’ensemble des pays européens, dans une démarche d’accès de tous à la lecture, à l’écriture, au calcul et aux compétences de base en luttant contre l’illettrisme. Depuis la création de l’ANLCI, nous avons beaucoup travaillé avec vous, puisque beaucoup de représentants de votre région étaient présents à ces travaux. Nous avons essayé et réussi à nous mettre d’accord sur « un cadre national de référence », pour voir quels étaient les champs d’intervention, de la prévention à la lutte contre l’illettrisme, l’action des pouvoirs publics, des entreprises, de la société civile, sur les mots pour en parler. Dans une politique à partager comme celle-ci, il est important, que tout le monde comprenne bien la place qui lui revient. Personne ne peut tout faire, il faut que chacun prenne dans l’action, la part qui lui revient dans son cœur de métier. Comment pouvons-nous donc essayer de remplir notre tâche pour qu’il y ait de meilleurs services, plus de services, auprès des personnes qui sont confrontées à l’illettrisme. Nous allons poursuivre notre travail de mesure et de veille sur le nombre de personnes concernées. Nous avons proposé aux régions, Monsieur le Préfet, de pouvoir conduire, sur leur propre territoire, la déclinaison régionale de l’enquête IVQ. Trois régions se sont déjà lancées dans ce travail : la région Nord-Pas-de-Calais, la région Pays de Loire, et la région Martinique. Ces exemples, bien sûr, sont à votre disposition. Pour outiller vos politiques, pour les infléchir et les faire progresser. Nous tentons d’améliorer la qualité des services, parce qu’on sait bien que si on ne capitalise pas, si on ne mutualise pas, si on ne transfère pas, si on ne partage pas ensemble ce qui réussit pour être plus efficace, on risque de perdre du temps. Nous avons mis en œuvre depuis 2004, avec l’aide du fond social européen, le forum

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permanent des bonnes pratiques, pour faire en sorte que les outils, les méthodes et les pratiques qui réussissent dans tous les champs de la lutte contre l’illettrisme soient connus dans les différentes régions par ceux qui sont confrontés aux mêmes problèmes. Nous avons, dans une première phase à laquelle beaucoup d’entre vous ont participé, réuni 800 personnes autour de 80 pratiques. Vous pouvez retrouver ces pratiques formalisées sur le site de l’agence ; ça va de la manière dont on prend les jeunes en charge à la suite de la JAPD, avec les diverses formules qui sont mises en œuvre, ici et là, mais qui marchent bien, à la lutte contre l’illettrisme en entreprise qui constitue c’est vrai un des noyaux durs de ces pratiques, jusqu’à l’accompagnement des personnes en difficulté dans diverses situations. Nous tendons, avec ce forum des bonnes pratiques, à avoir, à partir d’un ancrage très local, une sorte de « labellisation » nationale des pratiques qui marchent. La région Haute-Normandie est en avance, puisqu’elle a déjà pratiquement anticipé sa participation au forum des bonnes pratiques. Le processus commun est le suivant :

Un atelier régional choisit une pratique (dans votre région, c’est une pratique de lutte contre l’illettrisme en entreprise, comme d’ailleurs dans la région Ile de France) ;

À partir de cela, sont organisées des réunions départementales qui permettent à de nombreux acteurs de participer à ce travail ;

Et de se retrouver ensuite dans une réunion régionale ;

La dernière étape est la mise en commun sur le plan national de tout ce travail. Nous constituons des outils de travail communs, bien entendu adaptables, mais qui permettent une économie d’énergie et de moyens et un supplément d’efficacité avec une montée en compétence de chacun. C’est en partageant ce qui réussit qu’on a le plus de chance soi-même de mener à bien sa mission.

Voilà donc, Monsieur le Préfet, comment nous nous proposons de contribuer à votre tâche dans cette région, comme dans toutes les autres. Bertrand TIERCE - Merci beaucoup Marie-Thérèse GEFFROY. J’ai le sentiment madame que vous êtes passionnée.

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Marie-Thérèse GEFFROY - Ecoutez, j’ai abordé la question de l’illettrisme en 1998, quand le rapport m’a été confié par la ministre du travail, de l’emploi et de la solidarité. J’ai rencontré d’éminents scientifiques comme Hugues LENOIR, Alain BENTOLILA, Jean-Marie BESSE. Mais il m’a paru intéressant d’aller voir aussi ce qui se passait sur le terrain et quand on voit un problème aussi complexe, quand on voit les personnes qui sont concernées, quand on voit ce qu’elles arrivent à faire en étant privées de ces outils qui pour nous sont essentiels, on se dit que vraiment, là, il y a une belle mission ! Ce n’est pas à côté de quelqu’un comme le Préfet CARENCO, passionné par l’action publique, que je vais m’excuser d’être passionnée. Je crois qu’il faut un peu de passion parce que les gens dont nous nous occupons le méritent ; aujourd’hui sur les trois millions de personnes concernées, seulement quelques dizaines de milliers sont dans un parcours de formation et ça, ce n’est pas supportable. Il faut vraiment que, maintenant que nous avons constitué cet outillage minimum, il faut vraiment que tout le monde se mobilise et que tout le monde prenne sa part, et rassurez-vous, il y en a une pour chacun. Bertrand TIERCE - Nous allons continuer nos travaux, mesdames et messieurs, je vous propose de rejoindre vos places parce qu’on va regarder maintenant plusieurs témoignages. … Projection d’un film documentaire sur l’illettrisme en entreprise (vidéo en provenance du Forum

Permanent des Pratiques de l’ANLCI - 2005)…

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Bertrand TIERCE Nous allons maintenant tenir deux tables rondes qui vont s’enchaîner, avec, à chaque fois, des chercheurs, des formateurs, des responsables d’entreprise, des DRH, avec vous aussi, mesdames et messieurs. Pendant les tables rondes, je vous invite à intervenir à tout moment pour poser vos questions. Nous allons d’abord écouter Hervé FERNANDEZ, le secrétaire général de l’Agence Nationale pour la Lutte Contre l’Illettrisme, nous mettre en lumière certains enjeux à la fois économiques et sociaux, et surtout nous éclairer sur les conditions à réunir pour réussir. Dans les témoignages que nous venons de voir, j’ai noté plusieurs mots importants. Il y a l’idée d’envie, qui est importante pour se remettre en chemin. Et plusieurs témoignages ont souligné l’importance du poste de travail comme élément permettant de consolider la démarche : pas de formation hors du poste de travail, c’est un message qui est passé de façon forte. Alors, Hervé FERNANDEZ, vous êtes le secrétaire général de l’agence, sur quels enjeux souhaitez vous attirer notre attention ? Intervention de Monsieur Hervé FERNANDEZ Nous sommes tous amenés, dans notre travail, à mettre en œuvre des compétences de base. Maîtriser les compétences de base c’est d’abord mobiliser efficacement les supports d’information utilisés dans l’entreprise, quelle soit publique ou privée (notes d’information, messages divers, consignes, bons de commande etc.). En d’autres termes c’est être capable de lire et écrire de façon à être compris, s’exprimer, parler. Bref, comprendre et se faire comprendre comme par exemple comprendre la demande d’un client pour y répondre. Maîtriser les compétences de base c’est aussi participer pleinement à la circulation de l’information, c’est-à-dire :

- se repérer : lire des plans, des schémas techniques, des plannings, - calculer : des quantités, des distances, des tarifs, des réductions, - communiquer : entre collègues, avec la hiérarchie, avec les usagers d’un

service public, avec la clientèle - raisonner : comprendre rapidement, anticiper sur le déroulement d’une

tâche, On le voit bien, autour du noyau dur des compétences linguistiques (lire, écrire, s’exprimer), il existe donc d’autres compétences essentielles, le tout constitue les compétences de base.

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Certains salariés ont des difficultés à lire parce qu’ils n’ont pas été scolarisés en langue française ou parce qu’ils n’ont pas été scolarisés du tout. Pour ceux qui ont été scolarisés dans une autre langue que le français, il s’agit d’apprendre le français comme une langue étrangère. Pour ceux qui n’ont jamais été scolarisés, on parle d’analphabétisme. D’autres salariés ont été scolarisés en France et ne parviennent pas à écrire ou à lire en le comprenant un message simple. Il s’agit de personnes en situation d’illettrisme. Nous savons aujourd’hui qu’être en difficulté avec ces compétences de base ne gêne ni la motivation ni le savoir-faire des salariés. Ces personnes se sont construites dans leur travail, en famille, dans leurs loisirs sans savoir lire et écrire. Cependant, ces difficultés peuvent représenter un frein au développement et au bon fonctionnement de l’entreprise : des pertes de temps, des incompréhensions, des incidents. Si l’on se place du point de vue des personnes, c’est aussi un frein à leur mobilité : impossibilité d’accéder à un concours interne, difficulté à renseigner un dossier de VAE. Combien de personnes sont concernées par ces difficultés ? Les résultats de l’enquête nationale Information et Vie quotidienne qui a été réalisée par l’INSEE en partenariat avec l’ANLCI et qui porte sur la situation des personnes de 18 à 65 ans, nous montrent très clairement que, contrairement à une idée très répandue qui voudrait que les personnes en situation d’illettrisme soient toutes en situation d’exclusion, plus de la moitié d’entre elles exerce une activité professionnelle ; Ainsi donc sur les 3 millions de personnes considérées comme étant en situation d’illettrisme (une personne sur dix scolarisée en France), 57 % travaille. Nous avons exploité les données de l’INSEE pour avoir une idée plus fine de la situation par secteurs professionnels. Lorsque nous nous sommes intéressés aux personnes qui ont des difficultés avec l’écrit, nous avons pu constater que dans tous les secteurs d’activité à l’exception de ceux de l’habillement et de l’hôtellerie-restauration la part des salariés en situation d’illettrisme est supérieure à celle des salariés qui n’ont jamais été scolarisés ou qui doivent apprendre le français comme une langue étrangère. Aujourd’hui, nous mettons ces résultats à la disposition des OPCA qui nous en font la demande pour les aider à construire leur stratégie. Ces situations sont souvent connues des entreprises mais pas toujours reconnues. C’est souvent difficile en effet pour un salarié de parler de sa situation avec ses collègues de travail. C’est aussi difficile pour un employeur d’aborder ces questions avec le salarié.

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Il n’est donc pas envisageable dans ces conditions d’aborder la question du développement des compétences de base de front, comme une démarche spécifique déconnectée de toute stratégie de formation ou de développement des ressources humaines. Aucune des actions de formation de base impulsées par les OPCA ou les entreprises ne porte d’ailleurs l’appellation de « lutte contre l’illettrisme ». On va plutôt parler de formation aux écrits professionnels, de remise à niveau, d’amélioration de la communication avec les clients et aborder ce sujet dans les mêmes termes que les autres formations. Dès 1998, la loi d’orientation de lutte contre l’exclusion dans son article 24 codifié à l’article L900-6 du Code du travail rappelle que « les actions de lutte contre l'illettrisme font partie de la formation professionnelle tout au long de la vie. L'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, les établissements d'enseignement publics et privés, les associations, les organisations professionnelles, syndicales et familiales, ainsi que les entreprises y concourent chacun pour leur part. » La loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social est allée plus loin puisque son article 16 codifié à l’article L934-2 du Code du travail invite les branches professionnelles, lors des négociations qui se tiennent désormais tous les trois ans, à prendre en compte « les actions de formation à mettre en œuvre en faveur des salariés ayant les niveaux de qualification les moins élevés et, en particulier, ceux qui ne maîtrisent pas les compétences de base, notamment pour faciliter leur évolution professionnelle ; (…) ». Depuis plusieurs années maintenant, les OPCA qui se retrouvent au Conseil d’administration de l’ANLCI, comme le FAF Propreté ou AGEFAFORIA développent des programmes de formation de base au profit des salariés de leur secteur. D’autres OPCA, à chaque fois sous l’impulsion des partenaires sociaux, comme AGEFOS-PME qui a rejoint le conseil d’administration de l’ANLCI depuis, et Habitat Formation ont intégré cette préoccupation dans leur plan d’action et se sont engagés par la voie d’accord cadre avec l’ANLCI. C’est aussi le cas du CNFPT avec qui nous avons signé un accord cadre pour développer la formation de base des agents des collectivités territoriales. D’autres OPCA et entreprises, comme DANONE, VEOLIA, ADIA, l’assistance publique des hôpitaux de Paris ont participé plus largement aux travaux du Forum des pratiques de l’ANLCI ou ont mis en place des projets avec l’appui des crédits des Conseils régionaux et de l’État dans le cadre de sa politique contractuelle : les OPCA de l’hospitalisation publique et privée, les OPCAREG, FORCEMAT, UNIFORMATION, le réseau des chantiers écoles, je ne peux pas les citer tous et la liste s’allonge en permanence puisque le Fonds Unique de Péréquation a fait de la lutte contre l’illettrisme une de ses priorités et dispose d’un budget de 50 millions d’euros pour financer des actions de lutte contre l’illettrisme.

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Les acteurs et les décideurs qui imaginent et mettent en œuvre des stratégies de formation de base se demandent souvent comment identifier les besoins des personnes en situation d’illettrisme ? comment en parler avec elles ? comment les motiver ? Quelles sont les stratégies de formation qui réussissent ? Quels sont les secrets de fabrication des acteurs, Où trouver un organisme de formation ? Comment travailler en réseau ? C’est pour répondre à toutes ces questions, mutualiser les nombreuses expériences et les outils disponibles, c’est pour accélérer les échanges de bonnes pratiques, c’est pour conforter l’organisation d’un travail en réseau que nous avons engagé avec l’aide du fonds social européen le Forum permanent des pratiques des acteurs de la lutte contre l’illettrisme. Dans ce domaine, les pratiques qui s’inscrivent dans la durée et qui produisent des résultats ne sont pas celles qui reposent sur une logique paternaliste mais plutôt celles qui sont enracinées dans les politiques de gestion prévisionnelle des emplois, dans les stratégies de développement des compétences. Ces projets concernent plus de salariés et la mobilisation de ces outils nous renvoie à l’idée que la lutte contre l’illettrisme s’inscrit bien dans la formation professionnelle tout au long de la vie. Autre condition de réussite : il faut s’appuyer sur des occasions qui vont justifier le développement des compétences de base. Aujourd’hui, face aux difficultés de recrutement, les entreprises sont plutôt tentées de recourir à la mobilité interne, et le fait de ne pas maîtriser les compétences de base est souvent un frein. Les entreprises connaissent aussi des changements liés à la mise en place de normes de qualité ou de sécurité. Ainsi, des situations nouvelles peuvent révéler des déficits dans la maîtrise des compétences de base. Elles sont alors amenées à imaginer des solutions et dégager des moyens pour réussir leur politique de qualification ou de professionnalisation. DANONE, par exemple, à travers son projet de groupe baptisé Evoluance, souhaite conduire tous ces salariés vers un premier niveau de qualification qui peut être le Certificat de Formation générale (CFG). La troisième condition de réussite que nous avons observée, c’est qu’il est essentiel de concilier les logiques de promotion sociale sous tendues par les demandes individuelles et les logiques de développement des compétences telles qu’elles sont portées par les entreprises. S’il n’y a pas cette rencontre entre la volonté d’un chef d’entreprise et celle des salariés, qui peuvent se discuter au sein des instances représentatives du personnel, les projets ne s’inscrivent pas dans la durée. Je vous donne l’exemple d’une entreprise de Rhône-Alpes qui construit des coques de piscine : le chef d’entreprise avait souhaité organiser des formations, il était disposé à prendre en charge les frais pédagogiques de la formation, mais les salariés devaient se former le samedi matin ; là, il n’y a pas eu d’adhésion, de rencontre, et la formation n’a pas eu les effets qui étaient espérés, très peu de salariés l’ont suivie.

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Dans cette région, la CFDT a mis en place une action baptisée MAELE (Mobiliser et Agir dans l’Entreprise pour la Lecture et l’Ecriture) en partenariat avec le centre ressource de Drôme Ardèche, par l’intermédiaire de Marc FONTANIÉ, l’OPCAREG, la DRTEFP, le CAFOC, et ATD Quart Monde. L’objectif est d’encourager les militants syndicaux à se former pour qu’ils puissent peser sur la mise en place du plan de formation, que l’on puisse identifier plus facilement les situations d’illettrisme et proposer des solutions, qui peuvent passer par la formation ou par des aménagements dans les organisations. Certains salariés ne souhaitent pas que leur situation soit connue de leurs collègues ou du chef d’entreprise et c’est important aussi que les pouvoirs publics régionaux et nationaux leur aménagent des voies d’accès à la formation en dehors de l’entreprise. Certains salariés, que nous rencontrons dans les organismes de formation, participent sans que leur employeur ou leur famille ne soient informés de leur démarche. Les pouvoirs publics, les collectivités territoriales, l’État, doivent ménager des voies d’accès aux compétences de base hors des pressions économiques et sociales qui peuvent peser sur les salariés. Le quatrième point qui nous paraît essentiel, c’est qu’avant de s’engager dans une démarche d’identification des personnes en difficulté, il est nécessaire d’avoir une vision collective des objectifs : il ne faut pas ajouter l’exclusion à l’exclusion. Révéler des situations d’illettrisme peut avoir des conséquences très graves pour les personnes. L’objectif n’est pas de stigmatiser les salariés mais de proposer des solutions. Le cinquième point qui nous paraît essentiel, c’est que ces actions réussissent d’autant mieux que l’on parvient à mobiliser tous les échelons dans l’entreprise, non seulement la direction, mais aussi l’encadrement intermédiaire. C’est important de mobiliser l’encadrement de proximité, car il peut contribuer à lever les freins psychologiques des salariés qui se dénient souvent la capacité à apprendre. Il permet aussi d’établir, en collaboration avec l’organisme de formation, des liens entre les acquis en formation et leur réinvestissement sur le poste de travail. J’en viens à la sixième condition qui a été évoquée dans le film, c’est la nécessité d’ancrer les apprentissages dans les pratiques professionnelles. On a besoin de travailler sur l’environnement du salarié, cela suppose une capacité des organismes de formation à proposer des réponses de formation adaptées. Certains se déplacent directement sur le poste de travail et construisent la progression pédagogique après observation et recueil des documents mobilisés par le salarié en situation de travail. Cela suppose des liens étroits entre l’organisme de formation et l’encadrement intermédiaire pour observer l’organisation du travail. Donc il est important de mobiliser les savoirs de base à travers les pratiques professionnelles. C’est essentiel parce que par définition les salariés qui partent en

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formation reviennent transformés, leur situation a changé, ils ne sont plus comme avant, ils maîtrisent la lecture, l’écriture, ils sont en capacité de faire des propositions sur le travail qu’on leur confie, ils sont en capacité de participer à des réunions. Il faut donc pouvoir gérer le retour des salariés après la formation ; cette gestion s’anticipe et elle passe par des liens étroits entre l’organisme de formation et l’entreprise. Enfin le dernier point qui me paraît essentiel, c’est le besoin de conforter un travail en réseau autour de ces questions. C’est ce que nous a enseigné la journée régionale du forum permanent des bonnes pratiques qui a eu lieu vendredi dernier en région Centre, et dont Hugues LENOIR était l’animateur. Dans cette région, il a été choisi de mettre l’accent sur l’accès à la qualification des personnes qui ont des difficultés avec l’écrit. Les acteurs disent leur besoin d’échanger des informations très concrètes, des coordonnées entre les responsables en matière de validation des acquis de l’expérience, les responsables en matière de solutions de formation portées par les OPCA, qui disposent de moyens, les pouvoirs publics, la direction régionale du travail, les conseils régionaux. Ces espaces de collaboration sont nécessaires. C’est pour cette raison que l’agence a impulsé le forum permanent des bonnes pratiques et dispose de moyens importants du fond social européen pour l’accompagner. Bertrand TIERCE - Merci beaucoup Monsieur FERNANDEZ. Lorsque vous regardez ce qui se passe en France, depuis votre poste d’observation, à travers notamment le forum des bonnes pratiques, à votre avis : qu’est-ce qui motive les chefs d’entreprise à entrer dans une démarche d’écoute et de mobilisation de leur encadrement, de leurs acteurs sociaux, pour accompagner les salariés qui veulent évoluer ? Hervé FERNANDEZ - Je pense qu’il y a plusieurs sources de motivation. Mais ce que nous constatons, c’est que, aujourd’hui, la pression est très forte, les entreprises n’ont plus le choix, elles sont amenées à intégrer cette dimension dans leur politique de formation. Elles incluent cette question de l’illettrisme dans leur plan de formation, au même titre que les autres formations parce que, pour elles, c’est un enjeu de performance clairement identifié. C’est aussi, souvent, des changements qui les amènent à se mobiliser : quand un nouveau décret ou un arrêté ministériel précise les conditions d’habilitation dans le domaine de la logistique, par exemple, ou quand elles ont besoin de salariés habilités à conduire des chariots élévateurs, les entreprises faisant confiance à des jeunes qui n’ont pas forcément une maîtrise complète de la lecture et de l’écriture sont alors amenées à organiser des formations de base, elles n’ont pas d’autre solution.

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Bertrand TIERCE - Vous nous dites : ce n’est pas une générosité particulière, c’est l’enjeu de la compétitivité de l’entreprise, de sa qualité de sa performance ? Hervé FERNANDEZ - Nous sommes très loin d’une approche solidaire effectivement. Il est préférable, si on veut développer ces formations de base, de mobiliser les budgets de la formation professionnelle que ceux de l’aide sociale. Les premiers représentent 5 milliards d’euros, ce qui représente une espérance de formation de 1000 heures de formation par salarié durant sa vie professionnelle alors que les fonds spécifiques d’aide sont de l’ordre de 5 ou 10 millions d’euros. Bertrand TIERCE - Vous nous avez dit l’importance du poste de travail pour engager la démarche, l’importance de ramener la formation au contexte professionnel. Est-ce qu’à votre avis, monsieur, les organismes de formation sont aujourd’hui prêts à avoir cette démarche « sur mesure » ? Hervé FERNANDEZ - C’est vrai que c’est une démarche « sur mesure », dans le sens où les salariés sont placés dans des conditions qui leur permettent d’apprendre plus vite. Chez des personnes très éloignées de la lecture et de l’écriture, les formations sont plus courtes que des formations purement linguistiques nécessitant une durée beaucoup plus longue. Dans ce cadre-là, il faut être capable d’identifier clairement les besoins et d’y répondre. Quand les organismes de formation n’ont pas cette capacité, ils s’associent souvent avec les organismes qui ont plutôt une approche « métier ». Dans le domaine de l’accompagnement des aides à domicile, par exemple, dans d’autres régions, mais c’est sûrement le cas aussi en Haute-Normandie, il existe une série de partenariats entre des organismes de « formation métier » et des organismes de « formation de base » : c’est ensemble que l’on construit les progressions pédagogiques. Cela suppose une capacité à s’ouvrir et à travailler en partenariat. Mais l’offre de formation est très différente suivant les régions : dans une région comme la Haute-Normandie, on a une lisibilité très claire de l’offre de formation de base, mais cette offre de formation ne peut répondre aux besoins des entreprises que si elle développe cette capacité à nouer des partenariats. Bertrand TIERCE - Monsieur FERNANDEZ, vous nous avez rappelé quelles étaient, selon vous, les sept conditions de la réussite. Ce que je vous propose maintenant, c’est d’écouter quelques témoins. On va voir si, à travers ces témoignages, nous retrouvons certaines clés que vous nous avez données. Merci beaucoup Monsieur FERNANDEZ.

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PREMIERE TABLE RONDE Bertrand TIERCE La première table ronde est consacrée au renforcement de la compétitivité des entreprises et l’emploi des personnes peu qualifiées par la maîtrise des compétences de base et leurs enjeux pour les entreprises. Je voudrais faire venir à mes côtés : - Laurence VARREL, de la fédération ADMR 76. Vous êtes la bienvenue, Madame

VARREL. - Marc FONTANIÉ, du centre de ressources Drôme Ardèche. Monsieur FONTANIÉ

venez à nos côtés. - Hugues LENOIR, qui est enseignant chercheur en sciences de l’éducation de Paris X, et

l'on a compris, Monsieur LENOIR, que vous étiez très présent dans les réflexions et naturellement les politiques mises en œuvre. Venez, Monsieur LENOIR.

- Et puis Pierre ROCHE, qui est sociologue, chargé d’études au CEREQ, venez prendre place, Monsieur ROCHE, venez vous installer à côté de Monsieur FONTANIÉ.

Je commence avec vous Monsieur FONTANIÉ. D’abord rappelez-nous ce qu’est le centre de ressources Drôme Ardèche, à quoi sert-il ? Intervention de Monsieur Marc FONTANIÉ - Bonjour, le centre ressources est une structure associative qui intervient auprès de tout type d'acteurs, dont les acteurs économiques, qui souhaitent, à un moment donné, s’impliquer dans la lutte contre l’illettrisme et sur la question de la maîtrise des savoirs de base. C’est une structure en grande partie financée par les financements publics et le soutien important de l’Europe. Une structure qui intervient peu auprès du public « ultime », mais qui intervient auprès des acteurs économiques. Bertrand TIERCE - Vous intervenez surtout dans les grands groupes, ou bien dans les PME, ou les deux ? Marc FONTANIÉ - Sur la région Rhône-Alpes, puisque je représente le centre ressources Drôme Ardèche, ma mission sur cette question couvre l’ensemble du territoire rhônalpin. Je suis intervenu généralement sur sollicitation des OPCA, pour le moment, ce sont les acteurs privilégiés avec lesquels nous avons travaillé ; on a cité HABITAT FORMATION, AGEFOS-PME, mais bien d’autres encore se sont mobilisés à diverses échelles sur cette question. On intervient auprès d’un territoire

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d’entreprises, pour les sensibiliser et les mobiliser sur cette question et ensuite sur tous les acteurs concernés du projet, jusqu’à l’organisme de formation qui peut faire appel à nous pour un accompagnement méthodologique et pédagogique. Bertrand TIERCE - On a vu tout à l’heure, le Préfet CARENCO le rappelait, il y a la dimension économique : être en situation, devant une crise du recrutement, d’avoir des salariés bien formés pour répondre aux besoins de la bataille économique. Il disait aussi qu’il y a un enjeu social. De votre point de vue, monsieur, à partir des expériences multiples que vous avez menées sur votre territoire, quels sont les enjeux principaux pour les entreprises ? Marc FONTANIÉ - Avant de rentrer dans la question des enjeux, si vous le permettez, je voudrais juste compléter un point. On a vu des chiffres impressionnants, je pense notamment au public jeune à travers la JAPD : c’est 40 000 à 50 000 jeunes qui sont repérés chaque année en situation difficile avec l’écrit. Si le protocole tel qu’il existe aujourd’hui avait existé il y a trente ou quarante ans, combien aurait-il identifié chaque année de personnes en situation difficile avec l’écrit ? Peut-être quatre-vingts ou cent mille ! Pourtant les 40 000 qui sortent aujourd’hui avec ce niveau difficile sont bien plus en difficulté, je crois, que les quatre vingt ou cent mille d’il y a trente ou quarante ans, parce que le niveau d’exigence et de contrainte est beaucoup plus important qu’avant. Du coup, à difficulté égale vis-à-vis des savoirs de base, aujourd’hui la difficulté au regard de l’emploi et au regard de la vie sociale est bien plus importante. Cette précision est importante parce qu’on a l’impression d’une augmentation du phénomène. On n’est plus du tout dans des logiques « d’approche paternaliste ». J’aimerais que l’on puisse encore parler de gestion prévisionnelle des compétences et des emplois. Un certain nombre d’entreprises, notamment des PME avec lesquelles j’ai pu travailler, sont souvent des sous-traitants de grands groupes dont les normes et les attentes évoluent de manière très importante et surtout très rapide. Pour ces entreprises-là, on a déjà quitté le champ de la gestion prévisionnelle et on est déjà dans le rattrapage. Bertrand TIERCE - Les enjeux pour l’entreprise ? Marc FONTANIÉ - Comme cela a été dit, on peut considérer que les savoirs de base doivent intégrer le plan stratégique de l’entreprise. C‘est une composante essentielle de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la GPEC, et cela, je crois, au moins à deux niveaux.

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Premier niveau : un collaborateur doit être en mesure de comprendre son environnement de travail. On ne demande plus aujourd’hui à un opérateur d’être un simple opérateur mais d’être un opérateur « intelligent », c'est-à-dire capable de comprendre, de réagir de façon autonome à une situation. C’est une demande fréquente dans les PME : avoir des opérateurs capables de prendre les bonnes décisions sans devoir systématiquement s’en référer à la hiérarchie. Bertrand TIERCE - Donc la réactivité ? Marc FONTANIÉ - La réactivité, la capacité d’adaptation, la capacité d’échanger, aussi de laisser des traces : la notion de traçabilité des actions est extrêmement importante et demande effectivement des compétences au salarié, compétences dont les entreprises ont besoin pour s’adapter à leurs nouvelles contraintes environnementales. C’est le premier niveau essentiel. Je vois effectivement un deuxième niveau. Il y a un gros effort de formation de la part des entreprises, mais on peut se demander si tous les gens qui ont le droit à cette formation optimisent réellement ce temps de formation, est-ce qu’ils ont les outils nécessaires pour capitaliser ce temps de formation ? Bertrand TIERCE - À travers ce que disait tout à l’heure Monsieur FERNANDEZ, on a bien compris qu’il y avait des acteurs incontournables, notamment la hiérarchie, l’encadrement et il parlait aussi évidemment des organisations représentatives des salariés. Est-ce que l’organisation n’est pas en effet le deuxième enjeu ? Marc FONTANIÉ - Effectivement, enjeu organisationnel dans l’entreprise et enjeu dans le dialogue social ! Je crois qu’effectivement ce sont deux autres sphères d’enjeu extrêmement importantes. La mobilisation des différents niveaux d’encadrement est extrêmement importante, notamment la mobilisation de ceux qui seront chargés du repérage dans l’entreprise. La fonction tutorale doit être véritablement reconnue. Enjeu social aussi, parce qu’effectivement, au même titre que la hiérarchie, des instances représentatives du personnel peuvent devenir des acteurs clés du projet. Dans les entreprises de taille suffisante pour disposer d’un CE ou d’une commission formation, il existe des acteurs importants comme les CHSCT. Hervé FERNANDEZ faisait référence au projet MAELE, Mobiliser Agir dans l’Entreprise pour la Lecture et l’Ecriture, qui se tient actuellement en Rhône-Alpes

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et qui est, à ma connaissance, en tout cas sur ce territoire, une première initiative pour impulser des projets en s’appuyant justement sur les relais que représentent les représentants syndicaux. Bertrand TIERCE - À travers votre expérience, monsieur, est-ce que les organisations syndicales sont maintenant en démarche positive par rapport à cet enjeu-là ? On a vu des résistances, des réticences, la peur de la stigmatisation, donc la peur de l’exclusion. Marc FONTANIÉ - C’est vrai qu’il y a un rapport à la formation professionnelle en France qui n’est pas très simple. Quand la hiérarchie demande à un salarié d’aller en formation, il pense qu’il fait mal son travail, qu’il n’a plus les compétences nécessaires. C’est vrai qu’il y a un travail de sensibilisation important. En région Rhône-Alpes, la CFDT s’est impliquée dans ce projet MAELE. Je ne peux qu’espérer que d’autres suivront cette initiative en essayant de développer un discours positif, qui n’est pas un discours du rattrapage de la carence mais un discours du développement de la compétence. Bertrand TIERCE - Hugues LENOIR comment réagissez-vous sur cette question de la mobilisation des partenaires sociaux ? Intervention de Monsieur Hugues LENOIR - J’ai travaillé sur cette question il y a quelques années maintenant, et il s’avère que les organisations syndicales de salariés, sur ces questions-là, sont pudiques, pour ne pas dire frileuses. Elles ont du mal à reconnaître que, dans les organisations de travail, il y a un certain nombre d’adultes en situation d’illettrisme, et que, à l’intérieur même de leur appareil militant, il y a des adultes en situation d’illettrisme. Pour ma part, je n’ai pas réussi à faire passer le message, malgré un rapport, accueilli avec courtoisie, mais resté sans répercussion dans l’action. Bertrand TIERCE - Est-ce que les choses évoluent positivement, Monsieur ? Marc FONTANIÉ parlait à l’instant de la CFDT avec des mouvements d’ouverture, des mouvements positifs. Est-ce que vous constatez la même tendance à travers vos travaux, monsieur ?

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Hugues LENOIR - Il y a peut-être des mouvements d’ouverture pour des cédétistes de Rhône-Alpes, mais il n’est pas sûr qu’il y ait des mouvements d’ouverture pour tous les cédétistes de toutes les régions. En région parisienne, que je connais mieux, les militants de la CFDT qui se sont occupés de ces questions n’ont pas été entièrement soutenus par leur organisation. J’avais aussi quelques contacts avec des responsables de la CGT, qui ont eu beaucoup de mal à faire passer le message dans leur organisation. Ils avaient même envisagé de me faire intervenir dans leur lieu de formation centrale, à Courcelles, pour la CGT en région parisienne : malgré la demande de certains, le message n’est jamais arrivé jusqu’à ceux qui prennent les décisions. Donc « frilosité » c’est pour le moins le terme qu’il faut employer. Bertrand TIERCE - Alors je reviens vers vous Marc FONTANIÉ. L’important c’est aussi la motivation des salariés. J’ai été très sensible aux témoignages de ce monsieur qui disait : « Quand j’étais jeune, j’ai pris des baffes et c’est simplement maintenant que j’ai envie de me mettre en mouvement ». Il avait la force de le dire et la force de désirer une trajectoire nouvelle. La mobilisation et l’enjeu pour les salariés, comment l’exprimez-vous, monsieur, à travers votre expérience ? Deuxième intervention de Monsieur Marc FONTANIÉ - C’est une évidence de dire que le salarié est quand même l’acteur clé du projet. Il est arrivé que des entreprises et des organismes se soient mobilisés et que le bénéficiaire ultime, comme on l’appelle dans la terminologie européenne, ne soit pas là. On a évoqué tout à l’heure l’expérience d’une entreprise de plasturgie dans la Loire. Effectivement, il y a une initiative qui se mène, mais il n’y a pas consensus, il n’y a pas partage des enjeux avec les salariés et, du coup, ils ne sont pas au rendez-vous. L’adhésion des salariés, c’est le facteur clé de la réussite. Mais je crois qu’on trouve aujourd’hui des terrains consensuels. Quand on parle de démarche qualité, les salariés en comprennent les enjeux. Quand on parle de mobilité interne, là aussi on arrive à des enjeux partagés. On a souvent croisé, dans nos expériences, cette volonté de développer des compétences techniques et de développer des compétences d’adaptation, de réactivité, de mobilité, qui sont requises par l’entreprise aujourd’hui. La motivation qui s’observe le plus fréquemment chez les salariés, c’est de gagner en reconnaissance, on l’a entendu tout à l’heure dans le témoignage, et de développer des compétences qui vont bien au-delà des situations de travail, qui sont utiles et utilisées dans la vie quotidienne. Bertrand TIERCE - Mais le point de départ, c’est la situation de travail ?

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Marc FONTANIÉ - Le point de départ, c’est la situation de travail à partir du moment où il s’agit de formation professionnelle. Elle est mise au service du métier. Le pivot de l’action, c’est la situation de travail. Elle permet de développer les compétences qui sont transférables dans la vie quotidienne. Bertrand TIERCE - Est-ce qu’aujourd’hui, monsieur, les entreprises ont parfaitement et suffisamment compris l’enjeu du tutorat pour accompagner et consolider ces démarches ? Marc FONTANIÉ - D’après nos expériences en Rhône-Alpes, je crois qu’on a encore des progrès à faire. Si dans certains dispositifs de formation, je pense à celui d’AGEFOS PME, le tutorat était une composante obligatoire du dispositif, on se rend compte que, sur un certain nombre d’entreprises, cette fonction n’a pas joué pleinement son rôle. On est en train de travailler, cela fait partie de nos actions au calendrier 2007, à mieux comprendre ce rôle moteur du tutorat, les conditions nécessaires pour qu’il puisse fonctionner. Il y a aussi un travail de sensibilisation et de prise en compte de cette dimension qui est extrêmement importante, qui pourrait ne pas être propre à la question des savoirs de base, mais encore une fois au développement des compétences dans l’entreprise. Bertrand TIERCE - Je voudrais vous faire réagir sur ce qu’a dit Marie-Thérèse GEFFROY tout à l’heure : elle nous a parlé d’une cartographie des régions françaises avec la mise en évidence d’enjeux spécifiques aux différents territoires. Par exemple, ici, en Haute-Normandie, ou dans une région comme Rhône-Alpes, où l’industrie est fortement implantée. Est-ce qu’une action sur le renforcement des compétences de base dans l’entreprise doit rentrer en résonance avec des problématiques des territoires ? Marc FONTANIÉ - Effectivement, la gestion des compétences n’est pas seulement l’affaire de l’entreprise isolément. L’expérience nous a montré qu’il était intéressant d’envisager des actions collectives inter-entreprises. Ce qui est intéressant, c’est de mobiliser les partenaires déjà présents dans le champ de collaboration des entreprises, les OPCA en particulier, qui vont porter l’ingénierie financière et pédagogique pour certaines d’entre elles, mais aussi les services de l’état, l’Europe, qui devront apporter l’accompagnement financier nécessaire pour toutes ces actions. L’accompagnement financier reste une composante essentielle. Il faut mobiliser toutes les forces d’un territoire avec parfois des expériences de

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collaboration inattendues, collaboration par exemple entre une chambre consulaire et un organisme de formation qui a développé de la compétence dans le rapport au savoir pour construire un produit de formation que ni l’un ni l’autre n’aurait pu élaborer seul. Bertrand TIERCE - Donc la mise en réseau à l’échelle régionale ou à l’échelle de sous-territoire organisé, agglomération, pays, bassin d’emploi, vous semble une réponse tout à fait intéressante et pertinente ? Marc FONTANIÉ - En effet, pour parler par exemple des plateaux d’Ardèche, en dehors de l’imagerie du fromage et des kayaks sur la descente de l’Ardèche, si certains connaissent par exemple le Cheylard, il n’y a pas le choix que d’être sur des logiques de territoire et de faire vivre une offre territoriale. Cela devient un véritable enjeu, qui peut être partagé. Bertrand TIERCE - Tous les acteurs sont prêts, les OPCA, les différentes institutions publiques ? Marc FONTANIÉ - Oui, résolument oui, en tout cas. Bertrand TIERCE - Mais il y a encore du travail à faire ? Marc FONTANIÉ - Il y a des vitesses variables, des capacités de mobilisation variables, mais, en tout cas, partout où l'on a eu l’opportunité de réunir ces forces, on est en train d’ancrer des projets qui s’inscriront dans la durée. Bertrand TIERCE - Qui doit et comment doit-on repérer les personnes en difficulté ?

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Marc FONTANIÉ - Sur la question du repérage des personnes, on entre là dans l’éthique de l’intervention. C’est bien le niveau d’exigence, comme on le disait précédemment, qui fait qu’aujourd’hui, il y a de plus en plus de gens en difficulté dans leur emploi. Nous parlons plutôt du repérage des situations de travail qui ont évolué et qui demandent de nouvelles compétences. Quand on a identifié les situations, on a identifié les collaborateurs, tous les collaborateurs et pas uniquement ceux que l’on pourrait considérer intrinsèquement en difficulté. C’est là que la notion de centrage sur le poste de travail prend toute son importante : par l’analyse des postes de travail et par l’analyse de leur évolution passée ou avenir. On est alors dans la gestion prévisionnelle, il devient possible d’intégrer pleinement la question des savoirs de base comme des compétences nécessaires à l’évolution d’un poste de travail. Bertrand TIERCE - Laurence VARREL, je voudrais votre témoignage. Vous êtes une des responsables de la fédération ADMR76. Cette fédération, comme toutes les fédérations ADMR, se consacre à l’aide aux personnes, personnes âgées, personnes handicapées. Il y a l’aide aux tâches ménagères, mais de plus en plus d’interventions touchent quasiment au paramédical, demandent technicité et compétence. L’enjeu, pour vous, d’un renforcement des compétences de base auprès des collaborateurs de la fédération ADMR76, c’est un enjeu de professionnalisation ? Intervention de Madame Laurence VARREL - La professionnalisation, oui en effet, parce que dans nos champs d’activité, il y a trois champs spécifiques qui vont être la santé, le socio-éducatif - et dans ces champs, il faut obligatoirement justifier d’un diplôme - et les tâches ménagères, l’aide au domicile, mais avec des spécificités d’environnement causées par un handicap ou une situation spécifique. Ce champ-là représente 94 % de notre activité comparativement aux deux champs que je vous citais tout à l’heure. Bertrand TIERCE - C’est combien de personnes par exemple ? Laurence VARREL - Sur 3 500 professionnels, c’est 94 % de notre activité. J’ai l’avantage, depuis une dizaine d’années, de travailler sur une base de données des parcours individuels des personnes recrutées ; 56 % des personnes travaillant dans ce secteur sont arrivées sans diplôme, ça ne veut pas dire qu’elles n’ont pas eu de scolarisation, bien au contraire, mais elles sont arrivées sans diplôme. Ceci rejoint les propos précédents

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sur la situation d’échec scolaire : ne plus vouloir être en situation scolaire, vouloir entrer dans un travail tout de suite, avec ses aptitudes personnelles, des compétences qui n’ont jamais été évaluées dans un contexte de formation, mais que l’on a acquises par du « bon sens », par le sens de l’initiative, toutes ces aptitudes dont on a besoin dans notre secteur, comme l’autonomie, la capacité à prendre en charge des personnes en difficulté, la qualité du relationnel. Notre souci, c’est que 19 % de personnes dans ce champ d’activité ont un diplôme qualifiant qui n’est pas forcément le diplôme qualifiant de la branche aide à domicile, mais qui est un diplôme reconnu dans notre convention collective unique. Ceci a été mis en évidence depuis trois ans seulement. Avec l’entrée de certains diplômes dans cette profession, il y a des transferts de compétences, dûs à des apprentissages lors des formations initiales, qui simplifient l’accès à notre métier. C’est, pour nous, plus intéressant en termes de recrutement. On parlait tout à l’heure des problèmes de recrutement, on dit aussi que notre secteur est la manne du futur emploi. Il faut bien savoir que ce métier n’est pas un « petit boulot », c’est un vrai métier. Il ne faut pas faire de clivage entre les nouvelles entrées et les recrues avec diplômes de formation donnés dans le cadre d’un parcours de demandeur d’emploi. Il faut aussi regarder nos professionnels depuis longtemps en exercice qui, grâce à la démarche innovante de validation des acquis de l’expérience, se sont fait reconnaître de leur employeur par cette démarche personnelle. Je rejoins donc Monsieur FONTANIÉ quand il dit « motivation ». L’acteur principal c’est bien le professionnel lui-même, même si l’entreprise se mobilise pour l’organisation du plan de formation et la recherche de financement. Bertrand TIERCE - Sur vos 3 500 professionnels, combien ont demandé à bénéficier de la VAE, de la validation de leur compétence par l’expérience ? Laurence VARREL - Depuis 2003, on a eu 200 demandes individuelles. En 2003, on avait trois demandes, ce qui était très peu, et depuis on observe une augmentation importante de demandes individuelles. En prenant en considération ces demandes, l’entreprise répond à une demande individuelle de qualification qui va dans le sens, pour nous, de la qualité de service, une dynamique de la qualité renforcée par une dynamique individuelle. Mais cette démarche individuelle a un coût qui nécessite des recherches de financement. Même si l’ADMR76 a toujours dépassé, avec un taux de 3,5 %, l’effort de formation obligatoire de 2,10 %. Bertrand TIERCE - La VAE permet de reconnaître l’acquis de l’expérience. En termes de reconnaissance, c’est important, mais on voit bien que dans vos domaines d’activité, madame, les exigences sont de plus

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en plus grandes. On voit se constituer maintenant des équipes composées d’acteurs sociaux, de médecins, de différents acteurs autour de la personne, ce qui suppose transmission d’information, exigence de qualité, compétence de plus en plus grande. Au-delà de la VAE, pour les personnes qui en font la demande, comment est-ce que vous travaillez en direction des autres personnes qui ne sont pas forcément encore engagées dans la VAE, mais qui vont être confrontées au problème de ces exigences nouvelles ? Laurence VARREL - Ça, c’est l’intérêt du plan de formation, qui colle aux besoins. Comme disait Monsieur FONTANIÉ, le point de départ, ce sont les situations pratiques sur le terrain. Plus on situe les exigences de formation au plus près du poste de travail et plus les professionnels s’inscrivent dans la démarche de formation proposée. « Rédaction des écrits professionnels », c’est effectivement une expression qui nous permet d’éviter le mot « illettrisme », nous sommes conscients que des personnes ont des aptitudes très faibles dans les connaissances de base. On a toujours peur d’utiliser des qualificatifs qui dévalorisent la personne. On manque sans doute d’éléments pratiques, en tant qu’employeurs, pour aborder cette problématique et cela me donne envie de consulter le forum des bonnes pratiques. Mais si le repérage s’opère à partir de la situation professionnelle et de l’évolution du poste de travail, c’est une façon de ne pas mettre en difficulté des personnes qui ont déjà accompli des parcours difficiles. Bertrand TIERCE - Est-ce que vous connaissez aujourd’hui, madame, parmi vos professionnels, ceux qui sont en difficulté avec les savoirs de base ? Laurence VARREL - Oui, la difficulté, c’est de les amener à évoluer dans cette dynamique. Quelquefois les exigences des financeurs de nos aides obligent à « booster » les gens. On souhaite le faire avec diplomatie pour que les gens ne se sentent pas à nouveau en situation d’échec, car cela ne veut pas dire que ce sont des personnes incompétentes : elles exercent depuis un certain nombre d’années ce métier sans avoir mis les personnes qu’elles aident en danger, et en ayant même développé leurs aptitudes relationnelles. Il vaut mieux parler de « consolidation de savoirs » dans leur emploi. Bertrand TIERCE - Hugues LENOIR, Laurence VARREL nous dit qu’illettrisme ne rime pas avec incompétence ?

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Deuxième intervention de Monsieur Hugues LENOIR - Non, je pense même qu’illettrisme rime avec compétence. On a constaté depuis très longtemps que des adultes en situation d’illettrisme, soit dans le travail, soit dans le monde social, ont des compétences et que ces compétences sont bien souvent aussi bonnes que les nôtres, voire quelquefois meilleures. Il n’y a pas de lien entre la capacité à agir et la mobilisation de l’écriture et de la lecture, sauf dans les cas où la lecture et l’écriture deviennent un des éléments de la capacité à agir. On parlait tout à l’heure avec Hervé FERNANDEZ de la fonction publique territoriale, on a fait allusion à ce qui se passe chez TRISELEC à Lille ou même chez vous, madame, à l’ADMR ou dans quelques autres organismes. On sait que les gens qui sont en situation d’illettrisme peuvent être de très grands professionnels et que d’autres, qui maîtrisent plutôt bien l’écriture et la lecture sont des professionnels de moins bon niveau. Il n’y a pas de lien mécanique entre la compétence professionnelle, l’exercice de la compétence et la maîtrise de l’écriture et de la lecture (sauf cas particulier, bien évidemment). Bertrand TIERCE - Laurence VARREL, à votre avis, qu’est-ce qui doit permettre l’engagement des personnes dans un processus de réapprentissage ? Vous disiez tout à l’heure que, si c’est bien d’identifier les personnes, c’est important aussi de ne pas les montrer du doigt, c’est important de les valoriser. Mais on voit bien que si elles ne se mobilisent pas, la machine tourne un peu à vide : à votre avis quelles sont les conditions qui permettent cet engagement ? Suite de l’intervention de Madame Laurence VARREL - Il faut souligner l’importance de l’accompagnement que les entreprises doivent consacrer à leurs professionnels. Pour monter un dossier de VAE, il faut expliquer au candidat toute l’organisation qui va être mobilisée, lui expliquer que cette démarche demande un engagement à long terme. La VAE elle-même demande 24 heures, mais la procédure peut révéler des besoins de formation ultérieure. À l’heure actuelle, pour obtenir un DEAVS, les délais sont de trois ans à trois ans et demi. La motivation personnelle doit donc être très forte, or ce sont souvent des personnes qui n’ont pas eu l’habitude de ces contraintes. Il faut poursuivre sa vie professionnelle avec un nouveau challenge : mener à bien une reconnaissance professionnelle au travers de l’obtention d’un diplôme qualifiant. C‘est valorisant, mais c’est aussi très prenant, aussi bien physiquement qu’intellectuellement.

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Bertrand TIERCE - Je voudrais, Pierre ROCHE, avoir vos réactions sur différents points qui viennent d’être évoqués. Je rappelle que vous êtes chargé d’études au CEREQ, que vous êtes sociologue. Vous avez mené un travail important avec ADIA, une importante entreprise de travail intérimaire. Votre travail s’appelle « l’opération ECLOR », qu’est-ce que cela veut dire ECLOR ? Intervention de Monsieur Pierre ROCHE - ECLOR veut dire Ecrire, Compter, Lire, s’Organiser pour Rebondir. ECLOR est une action expérimentale, menée par ADIA en deux temps. Dans un premier temps, dans les années 1999 à 2000, c’est une action sur la région PACA. Dans un deuxième temps, en 2002 à 2004, c’est une action nationale puisque toutes les directions opérationnelles d’ADIA sont impliquées. Une action expérimentale conduite donc par ADIA, le quatrième réseau d’entreprise d’intérim, en faveur de ses intérimaires. Bertrand TIERCE - Je voudrais que nous revenions sur deux points qui ont été abordés. La question du repérage des personnes et la question du déclenchement de leur engagement, que vous appelez, vous, l’engagement formatif. Sur le repérage des personnes et sur leur mobilisation, que souhaitez vous apporter à notre réflexion en complément de ce qui vient déjà d’être dit ? Pierre ROCHE - La question initiale semble simple : que faire pour que des intérimaires en situation d’illettrisme puissent devenir des stagiaires, que faire pour qu’ils puissent mener cette formation jusqu’à son terme, et avec succès ? Mais, à mon sens, la question n’est qu’apparemment simple. Elle devient rapidement complexe dès qu’on prend en compte le fait que cette période-là est une période de déstabilisation identitaire. Une déstabilisation nécessaire car il faut en passer par là pour pouvoir ensuite se reconstruire. Une formation engage en effet un certain type de rapport au savoir mais aussi à soi-même. Cette déstabilisation identitaire est donc tout à fait normale dans un processus de formation, mais elle prend ici un peu plus d’ampleur compte tenu de la situation matérielle de ces personnes en situation d’illettrisme. Dans l’intérim, il y a des gens en situation de pauvreté. Mais on ne doit pas se contenter de prendre en compte la situation matérielle. J’ai procédé par récits de vie et j’ai pu alors avoir un regard plus clinique sur ce qui se joue dans le cadre de cette formation. Ces personnes ont eu des vies souvent marquées par des scolarités manquées, écourtées parfois, par des traumas. Les souvenirs scolaires sont souvent très douloureux et réveillent des affects très négatifs comme le regret, la honte ou encore le sentiment d’humiliation subi à l’école. Ensuite, un peu plus tard dans le parcours, il y a aussi la honte de ne pas

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savoir faire ce que la société, ce que la norme sociale exige. Depuis Jules Ferry, pour aller vite, la norme sociale est en effet de savoir lire et écrire. Les gens qui s’engagent dans ces formations doivent en permanence lutter contre cette réactivation d’affects pénibles. Ça fait partie de leur charge psychique. En même temps, ils sont portés par un fort désir de s’en sortir et sont souvent - cela a été dit notamment par Hugues LENOIR - de bons professionnels. Ils ont développé des compétences du fait même de devoir mettre en œuvre des stratégies de contournement, d’évitement ou de compensation. Ou encore, pour faire oublier aux hiérarchies qu’ils sont en situation difficile sur le plan linguistique, ils vont peut-être en faire un peu plus sur d’autres domaines et dans d’autres registres. Voilà, l’enjeu de la formation à ADIA est de tout faire pour que le désir d’apprendre l’emporte sur toutes ces peurs, sur tous ces affects négatifs. Bertrand TIERCE - Qu’est-ce qui permet le désir, monsieur ? Au bout du compte, au-delà du diagnostic que vous faites de ces situations, parfois douloureuses, portées par les individus, comment l’entreprise, à travers l’action ECLORE, que vous avez menée avec elle, a-t-elle pu répondre à ce besoin d’engagement, alors même que les individus concernés ne sont pas forcément dans une disposition d’esprit positive ? Pierre ROCHE - C’est la mise en place d’un environnement formatif qui permet de recréer en permanence les conditions et sociales et subjectives de cet engagement formatif et de sa réussite. À chaque étape du dispositif, du pré-repérage jusqu’aux méthodes pédagogiques, ADIA se devait de créer les meilleures conditions sociales et subjectives de cet engagement formatif. Bertrand TIERCE - Mais on a déjà évoqué plusieurs points, je voudrais votre réaction là-dessus. Par exemple, on a dit que l’une des clés, c’est de partir du poste de travail pour appeler la formation à travers les exigences du poste de travail. Ce n’est donc pas la personne qui est mise en cause, c’est la nécessité de répondre aux exigences d’un poste de travail. On l’a dit, le tutorat est un élément évidemment extrêmement important, la proximité de la hiérarchie pour ne pas laisser les hommes et les femmes seuls avec leur intention, la consolider en permanence. Par rapport à ces différentes clés, monsieur, et à votre expérience, sur quoi vous paraît-il pertinent d’agir ? Pierre ROCHE - C’est vrai que là, vous mettez le doigt sur un des points de tension de cette démarche. On est en effet dans une situation un peu particulière, du fait que l’on est en situation d’intérim. Lors de la deuxième action expérimentale, l’objectif était

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d’impliquer pleinement les entreprises clientes afin d’articuler temps de mission et temps de formation. Cela n’a pas toujours été facile car il y avait parfois, du côté des entreprises clientes, de l’incompréhension. Les entreprises clientes en effet s’adressent, à un moment donné, à une entreprise d’intérim pour avoir de la main d’œuvre et on leur demande de libérer du temps pour celle-ci. Cela pouvait leur paraître a priori paradoxal. À cela, ajoutons que l’intérimaire, parce qu’il craignait d’être stigmatisé, préférait parfois ne pas dire qu’il était en formation. Mais on a pu trouver des solutions intermédiaires. Ainsi, certaines entreprises fournissaient à l’avance le planning, permettant alors une certaine anticipation et planification des temps de formation. Il nous faut enfin évoquer un autre point de tension. Il n’était pas toujours facile en effet d’obtenir des documents d’entreprise en vue de leur mise en pédagogie, de leur didactisation. Bertrand TIERCE - Au-delà des difficultés constatées, qui invitent à une action résolue dans la durée, si vous devez alimenter le forum des bonnes pratiques, à travers l’expérience que vous menez avec ADIA, de quoi êtes-vous fier ? Qu’est-ce que vous avez réussi qui mériterait d’être porté à la connaissance de tous les acteurs concernés en France à travers le forum des bonnes pratiques ? Pierre ROCHE - Au terme de cette démarche, on est à la fois modeste et fier. Modeste parce que ces démarches sont toujours marquées par la réversibilité, l’imprévisibilité. Rien n’est jamais acquis et c’est toujours difficile de réunir toutes les conditions matérielles et subjectives de cet engagement. On ne peut que se rapprocher de cet idéal. Fierté parce qu’on s’aperçoit, lors de l’évaluation, que les efforts déployés ne l’ont pas été en vain, parce que des personnes, précisément, ont réussi à surmonter leur peur… Cela se traduit par des montées en compétences sur les postes de travail ou par l’ouverture du champ des possibles professionnels. À l’intérieur de ce dispositif, il y a eu aussi la démarche « tremplin ». Là, c’est l’entreprise RENAULT à Douai qui était demandeuse. Là, le temps de préapprentissage des savoirs de base n’était conçu que comme le premier temps d’un processus de professionnalisation débouchant sur des contrats de qualification, des CAP et des embauches. C’est effectivement une situation beaucoup plus proche de la situation idéale. Bertrand TIERCE - Hugues LENOIR je voudrais votre réaction sur plusieurs des propos qui ont été tenus. Sur la question du repérage des personnes, est-il possible de qualifier les adultes en situation d’illettrisme ? C’est une première clé de réflexion que je vous propose.

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La seconde concerne l’articulation du parcours formation entre l’entreprise et le désir de la personne, le lien entre stage et entreprise : qu’apprend-on, en stage, de transférable dans le monde du travail, comment le lien avec l’entreprise est-il gardé ? Madame VARREL a évoqué la VAE comme une des clés de reconnaissance, une des clés de motivation et de mise en mouvement. Je voudrais connaître vos réflexions, sur ces différents points. Troisième intervention de Monsieur Hugues LENOIR - Tout d’abord sur la question du repérage, ceux qui me connaissent savent que j’y suis particulièrement attentif : on repère des situations, et je me révolte quand on dit que l’on repère des individus. La terminologie en la matière est extrêmement importante : le repérage me semble une tendance à réifier les personnes, les « identifier » renvoie « à ce qu’elles sont ». Ce n’est pas seulement une querelle terminologique. Pour la question du désir, certains d’entre mes collègues de Paris X considèrent que le désir est le moteur de l’apprentissage, du tout petit, qui progresse parce qu’il désire connaître un certain nombre de choses, jusqu’aux adultes que nous sommes. En matière de lutte contre l’illettrisme, la question du désir renvoie aussi à la question de la motivation, la question de la motivation à la question de la reconnaissance et la reconnaissance joue sur deux champs. D’abord une reconnaissance pour soi. (« Au travers des actions que j’ai engagées pour sortir de cette situation d’illettrisme, je vais me connaître autrement, et éventuellement me faire reconnaître autrement par mon milieu familial et éventuellement par mon milieu professionnel »). Et, au-delà de cette reconnaissance pour soi, c’est une reconnaissance sociale, qui se traduit, ou pourrait se traduire, dans des évolutions de carrière, dans des reconnaissances de qualification, éventuellement dans des émoluments quelque peu augmentés. C’est la société tout entière qui peut ainsi motiver fortement un certain nombre d’apprenants adultes en situation d’illettrisme. Bertrand TIERCE - C’est le passage de la honte à la fierté ? Hugues LENOIR - Je ne sais pas si la honte est toujours présente. Des études ont été faites sur ce thème de la stigmatisation : il n’est pas certain que la honte ne soit pas un stigmate que l’on veuille voir chez les autres sans que les autres le portent toujours. Il faut être extrêmement attentif à ces questions, on n’a pas toujours honte d’être en situation d’illettrisme.

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Bertrand TIERCE - Monsieur ROCHE nous fait une moue perplexe ? Deuxième intervention de Monsieur Pierre ROCHE - Je suis d’accord sur le fait que la honte n’est pas toujours à l’œuvre. Elle peut aussi parfois se mêler inextricablement à la fierté. Il n’y a là aucun automatisme. On est dans l’épaisseur de la subjectivité, dans la singularité et l’ambivalence affective peut être au rendez-vous. Mais les récits de vie donnent à voir qu’elle constitue souvent une tonalité dominante de cette vie affective. D’autres mécanismes, enfin, peuvent être mobilisés comme, par exemple, celui du déni. La honte est en partie le produit d’une intériorisation de ce que l’autre, surtout quand il est en position dominante, dit que l’on est. L’autre, ce n’est pas seulement le voisin, le collègue de travail ou le copain de son fils mais tout un discours sociétal qui fonctionne à la stigmatisation et contribue activement à la production de cette honte. Il faudrait pouvoir ici avoir le temps de s’arrêter sur le rôle de cet affect dans les processus sociaux de passage de l’exclusion à l’auto exclusion. Par contre, le déni a plus à voir avec des mécanismes projectifs. Dans ce dernier cas, on projette la cause de ses problèmes sur les autres, sur ses parents, sur les professeurs, sur La société et on laisse entendre qu’on n’y est, nous, pour rien. Je pense que la démarche a été beaucoup plus difficile avec les personnes qui étaient dans le déni de leurs difficultés linguistiques afin de protéger leur estime de soi. Bertrand TIERCE - Hugues LENOIR ? Quatrième intervention de Monsieur Hugues LENOIR - Le débat serait long mais tous ceux qui ont conscience d’être dans cette situation-là n’ont pas nécessairement la honte de cette situation. Quelques-uns l’assument plutôt bien, d’autres moins bien, il est vrai. Sur la question du stage, le stage est un des éléments des parcours de qualification. On a vu en région Centre que les parcours de qualification étaient envisageables pour des populations relevant de l’illettrisme, mais je crois que le stage est un des éléments du parcours. Il n’est pas dit que les organisations que vous représentez ne soient pas en mesure de mettre en place des situations de travail qu’on peut considérer comme apprenantes ; et, là, le tutorat prendra toute sa place. On peut aussi apprendre en situation de travail. La loi sur la validation des acquis, que vous évoquiez tout à l’heure, est bien le constat que l’on peut apprendre en situation de travail, y élaborer des compétences qui trouveront une reconnaissance sociale dans le cadre d’une certification, qu’elle

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soit de branche, comme un CQP, ou qu’elle se situe dans le cadre d’un diplôme national, comme le DEAVS, pour ceux qui travaillent dans l’aide à domicile. Oui au parcours, oui au stage quand il est nécessaire, mais il y a sans doute d’autres façons d’acquérir ce qui ne l’est pas, en dehors de l’éducation formelle, à condition, toutefois, que ces processus d’auto formation en situation de travail apprenante soient accompagnés. Cela suppose tout un travail d’ingénierie, un travail de suivi, un travail d’accompagnement, un travail d’évaluation formative autour de toutes ces dimensions. Bertrand TIERCE - Vous nous dites que l’on peut apprendre dans l’entreprise. L’accompagnement doit-il être organisé, produit par l’entreprise ou résulte-t-il de l’insertion, à l’intérieur de l’entreprise, dans l’atelier, au plus près du poste de travail, d’organismes extérieurs de formation spécialement mobilisés et préparés ? Hugues LENOIR - Là encore, pas de dogmatisme en la matière ! Il y a des niveaux de tutorat qui peuvent être très différents : des tutorats de proximité avec le chef d’équipe ou le contremaître, mais aussi des tutorats d’une autre nature, avec le responsable de l’entreprise et éventuellement certains cadres volontaires. Il faut en effet que les tuteurs soient motivés dans le cadre de cette activité. Au delà, si les entreprises l’acceptent, ce qui n’est pas toujours évident, on peut imaginer que des professionnels de la formation, extérieurs à l’entreprise, dans le cadre d’une relation individuelle, puissent intervenir dans les situations de travail, ou autour des situations de travail, pour repérer les éléments de savoir à acquérir, ou pour repérer les éléments de savoir qui ont déjà été acquis. Cela suppose que l’entreprise accepte le regard extérieur du professionnel de la formation, qui n’a pas forcément les mêmes systèmes de lisibilité des situations de travail que le responsable de l’entreprise. La notion de productivité, par exemple, sera sans doute réinterrogée ; une situation de travail trop taylorienne pourrait être réinterrogée. Cela pourrait avoir des effets à court ou moyen terme sur l’organisation elle-même. Donc, si on intègre dans l’entreprise, et je le souhaite, des personnes extérieures à l’entreprise, cela aura sans doute un effet systémique, peut être très positif, mais sur lequel il faut quand même réfléchir avant d’intégrer n’importe qui n’importe quand n’importe où ! Bertrand TIERCE - Ce qui suppose une bonne mobilisation de la hiérarchie et des partenaires sociaux, pour l’interne, et aussi, par exemple, des OPCA dans leur rôle de conseil auprès des responsables d’entreprise ?

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Hugues LENOIR - Je crois, cela a déjà été dit ce matin, que l’on ne travaille pas seul sur ces questions de lutte contre l’illettrisme. C’est l’ensemble des partenaires et des acteurs que sont les adultes en situation d’illettrisme qu’il faut mobiliser, ce n’est pas parce qu’il y aura une décision volontariste d’un préfet de région, même si elle est nécessaire, que les choses se mettront en place, ce n'est pas parce que tous les adultes en situation d’illettrisme voudront accéder à la formation que les choses se mettront en place. C’est bien par convergence d’intérêt sociaux divergents, qu’il faut faire converger, que l’on arrivera sans doute à mieux œuvrer dans ce cadre. Bertrand TIERCE - La VAE ? Hugues LENOIR - La VAE ? Tout d’abord, il faut affirmer aujourd’hui, en connaissance de cause, qu’elle est possible pour des adultes en situation d’illettrisme, ce qui n’a pas toujours été le cas autrefois. On avait en particulier de grosses difficultés avec l’Education Nationale, puisque le dossier recourait à des documents écrits relativement conséquents. Une réflexion a été engagée de ce point de vue-là du côté du Ministère du travail, on a accepté que les mises en situation professionnelle soient des situations réelles. Le ministère du travail, Sylvain EXERTIER vous en parlera peut-être tout à l’heure, accepte de délivrer des CAPA, des CAP d’agriculture, en utilisant un tiers scripteur, ce que nous avions proposé, d’ailleurs, dans le cadre de la réflexion que nous avions menée à l’agence. Il ne s’agit pas d’écrire à la place de l’autre, il s’agit de retranscrire la formalisation orale de l’autre à l’écrit. Le travail intellectuel de la VAE se fait, mais il se fait sur un autre médium que le médium écrit. C’est une translation par un tiers scripteur, qui est aussi un tiers neutre. Donc la VAE est possible, voilà. Au-delà de ça, la VAE doit s’engager dans un processus, qui peut avoir un amont et qui peut avoir un aval, c'est-à-dire qu’on ne peut pas se satisfaire de quelqu’un qui aura obtenu une certification. En termes de sécurisation professionnelle, la certification est un atout tout à fait notoire. Mais il est important aussi que ces salariés nouvellement certifiés puissent continuer à évoluer et, à terme, maîtriser les savoirs de base ; à la fois parce que, dans leur vie sociale et citoyenne, ils peuvent en avoir besoin, qu’il n’est pas dit que les situations de travail évoluant, dans deux trois ou cinq ans, l’écrit ne prendra pas une place bien plus importante dans leur situation de travail, et qu’il faudrait anticiper sur des difficultés que l’écrit pourrait leur faire connaître à court ou à moyen terme. Donc, oui à la VAE, mais la VAE seule ne semble pas suffisante, même si elle est tout à fait nécessaire.

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Très brièvement, ce qui a été souligné par un certain nombre de personnes vendredi dernier et aujourd’hui en filigrane, c’est la question de la pérennisation des actions. Nous sommes toujours dans l’expérimental. Généralement ça marche bien justement parce qu’on expérimente. Mais la pérennisation des actions est un vrai souci, je crois que les acteurs sociaux doivent se mobiliser en partenariat pour réussir ce type d’action. Ils doivent se mobiliser à la fois ponctuellement pour l’expérimentation, mais aussi dans la durée pour que le bienfait positif de ces actions puisse intervenir à moyen terme. J’ai trop vu d’expérimentations, pas encore assez de pérennisations ! Bertrand TIERCE - Mesdames et messieurs, qui souhaite réagir à cet ensemble de propos ? Monsieur, on vous apporte un micro. INTERVENTIONS DU PUBLIC Témoignage de Monsieur Sylvain EXERTIER - Bonjour, Sylvain EXERTIER, d’HABITAT FORMATION. Sur les différentes envies, les différents désirs ou choix de s’engager dans des actions de formation dynamique, on a insuffisamment parlé du rôle de la pérennisation, du suivi et donc des branches. Par exemple, des branches professionnelles qui, depuis 2004, sont amenées à élaborer des accords sur la formation professionnelle. Je veux citer deux branches qui ont fait de la lutte contre l’illettrisme une priorité, c’est la régie de quartier et les OPAC, qui sont des organismes de HLM. Donc cette dimension permet de faciliter la pérennisation, même si ça ne suffit pas complètement pour enclencher des dynamiques. Le désir se forme sur une capacité à avoir l’envie, mais pour avoir ce désir, il est nécessaire que l’on sache qu’il est possible de s’en sortir. Ce que je constate, dans mon OPCA, puisqu’on finance la formation professionnelle des différentes entreprises, (HLM, régie de quartier, centres sociaux), ce que je constate, c’est qu’assez souvent, il y a des volontaires, des personnes qui se dévoilent et qui demandent. Quand une personne a réussi un parcours, quand elle s’est dévoilée, cela entraîne assez souvent une adhésion des autres, des collègues. Et cet effet d’entraînement me semble tout à fait favorable et intéressant. Donc il faut aussi faire des actions individuelles. La région Haute-Normandie est pour cela particulièrement intéressante et j’apprécierais d’en avoir une confirmation dans la seconde table ronde. Bertrand TIERCE - Merci beaucoup, monsieur, pour ce témoignage. Alors, monsieur ?

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Question de Monsieur Patrick VANDAMME - Oui, Patrick VANDAMME. Je voulais demander à Madame VARREL : comment gérez-vous le droit individuel à la formation issu de la nouvelle loi sur la formation, par rapport à vos 3 500 employés. Est-ce qu’autour du DIF, il n’y a pas quelque chose à développer sur le traitement de l’illettrisme ? Quel lien peut-il y avoir entre ce DIF et un certain nombre d’organismes qui pourraient faire des propositions, voire que ces propositions puissent être soutenues financièrement par les organismes publics ? Bertrand TIERCE - Alors, Laurence VARREL ? Réponse de Madame Laurence VARREL - On en est à informer les salariés de ce droit au DIF. Il faut qu’ils digèrent cette nouvelle appellation, que ça se mette en place. Les entretiens professionnels ont démarré, c’est le lieu privilégié pour bien expliquer ce à quoi peut servir le DIF. Mais on ne peut pas provisionner du DIF dans un plan de formation, donc on a quand même une difficulté. On espère que les demandes individuelles vont se rattacher à notre plan de formation, mais il faut répondre aussi à cette difficulté, que l’on a pressentie, qu’on a du mal à intégrer dans notre plan de formation, qui est au travers des apprentissages, des compétences de base : il faut les raccrocher à du concret professionnel, sinon, on n’aura pas l’adhésion des professionnels. Il faut qu’ils arrivent à intégrer ce nouveau droit et qu’ils l’intègrent aussi à une lecture simple du plan de formation. C’est vrai que, pour l’instant, on arrive à motiver les personnes autour de choses très pratiques, très concrètes, comme la manutention des personnes aidées, l’accompagnement à la fin de vie, ou pour conforter tout ce qu’elles connaissent autour de l’alimentation, pour transférer ces connaissances au domicile dans les meilleures conditions. On utilise aussi les organismes de formation quand ils sont suffisamment au fait de ces problématiques. Mais on a sur notre département une problématique de ruralité : autant, sur l’urbain, on aura des ateliers pédagogiques personnalisés, autant en milieu rural cela sera plus difficile. La proximité, là, est importante : pour nos intervenantes la mobilité est de l’ordre de 20 kilomètres. Je ne sais pas si je réponds à votre question ? Bertrand TIERCE - Marc FONTANIÉ ? Réaction de Monsieur Marc FONTANIÉ - Je parlais du Cheylard tout à l’heure, ce n’est pas un hasard : effectivement, l’offre de formation la plus proche est à 60 kilomètres, et 60 kilomètres en Ardèche, ça

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compte double ! On se dit, en effet, qu’il y a dans le DIF un outil qui doit être traversé par cette préoccupation de la maîtrise des savoirs fondamentaux, qui offre une opportunité et fait réagir les organismes de formation. Il faut savoir saisir les opportunités existantes et, par exemple sur le Cheylard, j’espère que ce sera un jour une expérience capitalisable, parce que je crois beaucoup effectivement à l’exemplarité en la matière. Il y a une réflexion autour de la construction d’un catalogue DIF territorial qui pourrait être proposé à un ensemble d’entreprises n’appartenant pas forcément au même métier. On disposerait ainsi d’une offre de proximité qui légitimerait le fait d’aller se former. Bertrand TIERCE - Quelqu’un souhaite-t-il encore intervenir, mesdames et messieurs ? Oui, je vous en prie. Communication de Monsieur Pierre GROULT - Bonjour, Pierre GROULT, je parle au nom de Monsieur BELUGOU, le directeur régional du FONGECIF, pour rappeler qu’un dispositif a été mis en place il y a trois ans, qui s’intitule « valoriser ». Il est porté aujourd’hui par l’OPCAREG et le FONGECIF. Ce dispositif est ouvert à des personnes de faible niveau de qualification, ou qui n’ont pas de diplôme. Depuis trois ans, il a permis à 200 personnes de se mettre en route. Actuellement, 74 personnes ont obtenu un diplôme par ce dispositif et 106 sont en cours de formation. Beaucoup de choses ont été dites qui trouvent résonance à l’intérieur de ce dispositif, notamment le fait qu’il faut être nombreux autour de ce sujet pour arriver à repérer les situations et les personnes qui peuvent profiter de ce dispositif. Ce que je voudrais surtout dire, c’est qu’aujourd’hui, il y a de l’argent ! S’il y a des chefs d’entreprise ici : il y a de l’argent au FONGECIF, à l’OPCAREG, de l’argent qui retourne à Bruxelles parce que tout n’est pas utilisé, et ça me semble dommage, on pourrait mieux faire ! J’ai mis à l’entrée un certain nombre de renseignements sur ce dispositif et sur ses résultats sur trois ans, vous pouvez les prendre, vous trouvez toutes les coordonnées permettant de joindre les personnes qui s’en occupent. Bertrand TIERCE - Merci beaucoup monsieur. Oui, bonjour… Intervention de Madame Marielle METAIS - Bonjour, Marielle METAIS, déléguée inter-régionale UNIFORMATION. Je voulais rebondir par rapport à la VAE, que Laurence VARREL explicitait tout à l’heure, concernant le diplôme d’état d’auxiliaire de vie sociale, pour vous faire part de l’expérimentation de l’OPCA UNIFORMATION, OPCA de branche de l’aide à domicile. Depuis plusieurs années, depuis la mise en place de la VAE, l’OPCA

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UNIFORMATION a décidé d’aller au-delà des 24 heures prévues par le législateur pour l’accompagnement, puisque nous accompagnons jusqu’à 72 heures des personnes de niveau 5, ou infra 5, pour rendre possible, justement, la constitution de ce livret et de cette synthèse personnelle qui va permettre à un jury de valider l’expérience de la personne. Donc, notre accompagnement est renforcé jusqu’à 72 heures et certaines expérimentations, que nous avons menées dans le secteur de l’aide à domicile, nous ont permis, sur des fonds européens, de mettre en place des parcours individuels, 150 heures en amont du dispositif de VAE, afin de lutter pour la maîtrise des savoirs de base. Donc un parcours constitué de 150 heures sur l’illettrisme, 72 heures d’accompagnement, une présentation devant un jury, et le taux de réussite à la VAE que nous avons pu enregistrer était de 80 % alors que la moyenne nationale est de 20 %. Clôture de la première table ronde par Monsieur Bertrand TIERCE - Merci beaucoup, madame. Votre intervention souligne à l’évidence la nécessité de mise en réseau sur les territoires. Mesdames et messieurs, nous remercions chaleureusement Laurence VARREL, Marc FONTANIÉ, Hugues LENOIR, et Pierre ROCHE. Merci beaucoup. Je vous propose de prendre une courte pause.

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SECONDE TABLE RONDE Bertrand TIERCE - Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, nous reprenons nos travaux en évoquant maintenant la question des actions. Après avoir évoqué la question des enjeux, quelles actions pour développer le projet de l’entreprise en développant des compétences de base ? Alors je vous présente nos invités. J’ai à mes côtés : - Monique HERVIEU, présidente de la société TERNETT, - À ses côtés Yves CHAUVIN l’ancien responsable formation du JOINT FRANÇAIS

à Saint-Brieuc, - Patrick VANDAMME, on l’a entendu tout à l’heure, il est DRH de TRISELEC à

Lille. - Au centre de la table, Jean-Michel BOUCHEIX, enseignant chercheur en psychologie

cognitive à l’université de Bourgogne, - Et Daniel LUSTIN, responsable de la société RECIF.

Qu’est-ce que ça veut dire, RECIF, Monsieur LUSTIN ? Daniel LUSTIN - Recherche en Expertise et Conseil en Ingénierie de Formation. Bertrand TIERCE - On va écouter maintenant le témoignage de plusieurs acteurs d’entreprise qui ont agi pour accroître les formations de base, pour répondre à ce désir exprimé ou mal exprimé, répondre surtout aux besoins de développement de leur entreprise. Je vais commencer avec vous, Yves CHAUVIN. Alors, vous êtes l’ancien responsable de formation du JOINT FRANÇAIS. « Le JOINT FRANÇAIS », pour moi, c’est un nom qui évoque un conflit social dur, une entreprise avec un passé de lutte sociale tout à fait important. Expliquez-moi ce qui s’est passé, au début des années 90, lorsque vous avez voulu réorganiser l’entreprise en ateliers avec des opérateurs polyvalents. Qu’est-ce qu’a révélé cette exigence de réorganisation, Monsieur CHAUVIN ? Intervention de Monsieur Yves CHAUVIN - L’organisation ancienne était taylorienne, avec des ateliers dédiés à une activité. Par exemple une mouleuse ne faisait que mouler, une contrôleuse vérifiait la qualité de son travail, remplissait les documents, les graphiques. Si nécessaire, un régleur venait ajuster la fabrication. On a changé ce système pour travailler en ateliers de production qui prenaient entièrement en charge toutes les étapes de la fabrication

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d’un produit. Les personnes devaient donc toucher à tous les corps de métier anciens. L‘opérateur idéal était celui capable de prendre en charge toutes les activités possibles dans cette unité de production. L’unité de production prenait la commande d’un client et allait jusqu’à la livraison des pièces en magasin. Bertrand TIERCE - Combien de personnes, monsieur, ont été mises en difficultés par cette réorganisation. Là où vous appelez un nouveau profil professionnel polyvalent, combien de personnes se retrouvent en difficulté ? Yves CHAUVIN - Il y avait 550 personnes en production, on a détecté une quarantaine de personnes en grande difficulté, très proches de l’illettrisme ou touchées par l’illettrisme ; on est dans les 8 %, soit à peu près la moyenne nationale. Bertrand TIERCE - Lorsque vous détectez, monsieur, des personnes en difficulté par rapport aux situations de travail nouvelles, comment vous mettez-vous en chemin pour répondre aux difficultés apparues dans cette situation ? Yves CHAUVIN - La première action a été celle de la direction auprès des organisations syndicales. Ces organisations, dans un premier temps, ont refusé d’admettre que 40 personnes étaient en difficulté. Il y a eu, pour diverses raisons, un refus catégorique de prendre en compte ce fait. La direction a estimé qu’il était indispensable de convaincre les partenaires sociaux avant d’engager une action, sinon le risque d’échec était grand. Bertrand TIERCE - Vous avez mis combien de temps à convaincre les organisations syndicales ? Yves CHAUVIN - Un an pour convaincre ces organisations. Par contre, au bout d’un an, elles étaient acquises à cette idée, et ce sont les organisations syndicales qui ont donné les noms des personnes en difficulté. On avait déjà notre idée sur ces noms, mais ce sont les organisations syndicales qui ont accepté de nous proposer des candidats pour ces actions.

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Bertrand TIERCE - Vous m’avez dit : « Il faut beaucoup de tact », parce que, précisément, dans les personnes touchées, il y avait un représentant d’une organisation syndicale. Yves CHAUVIN - En effet, un délégué du personnel était dans cette situation d’illettrisme. Nous avons proposé aux organisations syndicales d’intégrer cette personne dans le premier groupe. Ces organisations ont alors été partie prenante, puisque cela leur permettait de vérifier le déroulement de cette formation. Voilà comment les choses ont démarré, mais cela nous a pris un an. Le choix des quarante personnes concernées a été validé par les chefs d’atelier. Bertrand TIERCE - Tout à l’heure, Hugues LENOIR nous disait toute l’importance de travailler au plus près du poste de travail, mais il soulignait le besoin d’accompagnement. Comment avez-vous choisi les « opérateurs conseil », les « opérateurs formation » pour vous assister dans cette démarche ? Yves CHAUVIN - Une fois le premier groupe constitué, on a nommé des chefs d’atelier comme tuteurs. Ces chefs d’atelier ont été très motivés parce qu’ils se plaignaient de ne pas pouvoir utiliser les personnes en difficulté dans leur atelier. Ils ont assuré le suivi de l’opération en permanence. Ils rencontraient les personnes en formation presque chaque jour, pour évaluer les difficultés. Bertrand TIERCE - Comment avez-vous piloté cette action, monsieur ? Il fallait recourir à un organisme de formation, produire une action adaptée, associer les partenaires sociaux, mobiliser la hiérarchie. Comment cette action a-t-elle été pilotée dans la durée ? Yves CHAUVIN - La première action a été le choix de l’organisme de formation. Il a été choisi parmi trois propositions émises par un groupe de travail réunissant la direction, moi-même, des chefs d’atelier, des représentants du personnel. On a retenu le CLPS, un organisme de Rennes. Ensuite, on a effectué le montage administratif, édicté les règles et les procédures d’accompagnement. Un de nos principes fondamentaux, c’est que l’animateur avait un accès facile aux ateliers. On attendait une formation technique à la fois en salle et sur le terrain, et, éventuellement, un ajustement du travail en salle aux réalités du terrain.

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Bertrand TIERCE - Donc, il existait un lien en permanence entre la situation de travail et l’action de formation, une imbrication des enjeux et des problématiques ! Yves CHAUVIN - Un échange constant entre la salle de formation et le poste de travail, axé sur la problématique des documents et des gestes utilisés sur le poste de travail. Bertrand TIERCE - Comment ont réagi les personnes concernées ? Vous nous disiez qu’ils étaient a priori regardés comme des personnes avec qui il est difficile de travailler, les organisations syndicales étaient réticentes à identifier ces personnes, dans un climat social difficile… Comment avez-vous réussi à mobiliser les intéressés, était-ce facile ? Yves CHAUVIN - Les dix premiers « désignés » sont venus, il faut bien le dire, à reculons en salle de formation. On a beaucoup échangé, on les a accompagnés, aidés, je les avais moi-même rencontrés plusieurs fois dans les ateliers. Les deux ou trois premières séances ont été tendues, mais, passées ces trois premières demi-journées, les gens se sont vraiment impliqués dans cette formation, ils sont devenus acteurs et même demandeurs, au bout de quelques séances, de travaux pratiques à domicile, hors temps de travail. Bertrand TIERCE - Est-ce facile de réunir ainsi des groupes de dix personnes qui deviennent de fait des groupes sur lesquels les autres salariés peuvent porter des regards… divers ? Yves CHAUVIN - C’est difficile. C’est certain que ces gens ont été un peu montrés du doigt au départ. Mais, les séances avançant, les comportements narquois vis-à-vis de ces personnes ont évolué. Les représentants du personnel ont vite constaté les progrès de ces gens et sont devenus, pour eux, des soutiens très forts. Ils sont devenus des alliés, ils nous ont aidés sur le terrain pour contrecarrer certaines remarques ou certaines critiques. Bertrand TIERCE - L’encadrement a-t-il changé de lunettes pour les regarder ?

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Yves CHAUVIN - L’encadrement a été forcé de constater les progrès de ces personnes. L’encadrement s’est aussi investi non seulement avec ces personnes mais aussi avec les nouveaux et toutes les personnes qui avaient des difficultés. L’encadrement a vite compris qu’en accompagnant et en assistant les gens qui avaient une difficulté quelconque, on pouvait obtenir de bons résultats et aller dans le sens recherché par l’atelier. Bertrand TIERCE - Est-ce que la direction de l’établissement avait mis en place un modèle d’évaluation de cette action ? Est-ce qu’on en attendait une plus grande autonomie, une meilleure qualité, une meilleurs productivité de cet atelier ? Comment a-t-on évalué la formation dispensée par l’entreprise ? Yves CHAUVIN - Avec la nouvelle organisation dans l’entreprise, on avait mis au point un nouveau système d’évaluation, qui tenait compte à la fois de la connaissance, de la culture technique générale et de la polyvalence. La polyvalence est devenue possible. Au bout de cette opération, on a pu positionner 15 personnes dans la grille de référence du personnel ouvrier, et l'on a procédé à quelques aménagements modestes de cette grille pour intégrer une vingtaine de personnes au total sur les trois actions. Bertrand TIERCE - Cela s’est passé au début des années 90. Quand vous repensez à tout cela, de quoi êtes-vous content ? Qu’est-ce que vous auriez aimé faire différemment pour être encore plus positif ? Yves CHAUVIN - Personnellement, je suis content de toute l’action. Ces gens-là participent mieux à la vie de l’entreprise, s’investissent dans des suggestions ; ils se sont mis à émettre des propositions, à les déposer dans notre « boîte idées ». Certaines ont été primées. Ces gens se sont intégrés dans des groupes de travail, au fonctionnement proche des cercles de qualité, ils en sont devenus des acteurs comme tout le monde alors qu’avant ils étaient en retrait. Il y a eu des avancées pour l’entreprise. Il y a eu aussi des avancées familiales : beaucoup ont des échanges différents avec leurs enfants. Je me souviens d’une dame qui achetait du papier millimétré à ses enfants sans savoir à quoi sert ce papier. On lui a appris à utiliser ce type de feuilles et elle était ensuite capable de discuter avec ses enfants sur les graphiques. Une autre dame a appris à utiliser une calculette et l’a ensuite utilisée au super marché pour vérifier le compte de la caissière. Ce sont des petits retours qui font plaisir. Des gens ont appris à remplir leurs chèques, à téléphoner, à ne plus avoir peur du téléphone.

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Bertrand TIERCE - Les dix premiers ont été désignés, mais est-ce que les autres groupes se sont constitués facilement, lorsque l’incitation n’est plus aussi impérative, est-ce que l’on peut continuer ? Yves CHAUVIN - Oui, on avait quarante personnes au départ, puis trente personnes. Il n’y a qu’un groupe de dix personnes que nous n’avons pas pu former à cause du coût élevé de l’opération, malgré les aides, et parce que ces personnes étaient proches de la retraite. À la fin de la formation du premier groupe, la direction avait souhaité que l’opération soit suspendue au profit d’autres actions de formation pour d’autres catégories de personnel. Ce sont les organisations syndicales qui ont fait pression sur la direction pour continuer la formation des personnes en difficulté. J’insiste sur ce point, il a fallu un an pour les décider, mais ensuite ce sont les organisations syndicales qui ont fait pression sur la direction. Bertrand TIERCE - Est-ce qu’on peut réussir si l’on n’est pas auprès des personnes ? Yves CHAUVIN - On a sans cesse accompagné les gens sur le terrain, il y a eu le tutorat des chefs d’atelier, l’accompagnement permanent du formateur, qui partageait son temps par moitié en séance d’une demi-journée en salle et par moitié en séance d’une demi-journée en atelier auprès des uns et des autres. Moi-même je passais en atelier pour échanger avec ces personnes et détecter les difficultés. Bertrand TIERCE - Monique HERVIEU, je voudrais votre témoignage. Vous êtes présidente de la société TERNETT, une entreprise dont le métier principal est la propreté. Vous avez 600 collaborateurs et vous êtes président directeur général de cette entreprise depuis vingt ans. Vous intervenez auprès des collectivités, des grands centres tertiaires, des bureaux, des hôpitaux. Vous m’avez dit que, dans votre métier, les exigences des clients sont de plus en plus importantes, il faut laisser des traces de votre passage, de vos actions, une correspondance doit avoir lieu avec les principaux clients, et cela pose problème pour certains de vos collaborateurs. Combien de vos collaborateurs sont en difficulté par rapport à ces exigences de qualité ?

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Intervention de Madame Monique HERVIEU - Aujourd’hui, suite à la norme ISO 9001 version 2000, nos agents doivent lire des fiches de poste. Nous avons constaté des lacunes auxquelles il fallait apporter une solution. Nous avons formé 26 personnes. Nous avons commencé par convoquer une réunion informelle avec 15 personnes. À l’issue de cette réunion, nous avions constitué un groupe de 10 volontaires pour une formation. La première opération a consisté en 250 heures de formation, au bout de l’année, les participants ont redemandé de la formation, on a ajouté 120 heures de formation à ce groupe et l’opération a été très positive. En tant que présidente de TERNETT, aujourd’hui, j’en retire beaucoup de satisfaction. Quelques anecdotes : une personne me disait : « Je ne sais pas lire et je suis obligée de me faire des codes couleurs pour mon planning » ; aujourd’hui cette personne est autonome et c’est une grande satisfaction. Une autre personne en très grande difficulté pour se repérer, pour nous envoyer un planning de travail a fait de tels progrès que nous avons envisagé de lui faire passer son permis. Mais nous avons rencontré une difficulté car ce salarié est allé se former à l’extérieur, s’est retrouvé avec des jeunes qui ne comprenaient pas son handicap et il a finalement abandonné. Malgré tout, il a gagné de l’autonomie, en s’achetant une voiture sans permis, et il a bénéficié d’une promotion, puisqu’il fait maintenant de l’entretien de machine et il a cessé de faire du collectif. Il est très content. Plusieurs expériences encore de dames qui n’arrivaient pas à lire le bulletin de leurs enfants, et qui peuvent lire maintenant les appréciations. Une dame qui ne voulait pas se déplacer seule en voiture parce qu’elle ne savait pas lire les panneaux est devenue autonome. J’avoue que j’ai été très sensible à ces expériences, nous sommes une PME très proche des salariés et cette formation qui renforce cette proximité a été une excellente expérience. Bertrand TIERCE - Madame HERVIEU, Monsieur CHAUVIN parlait de l’importance de la mobilisation de la direction et de l’encadrement, de la nécessité d’être au contact, de l’importance aussi de l’appui des organisations syndicales comme relais, était-ce la même chose dans votre entreprise ? Monique HERVIEU - Pour ma part, je félicite notre OPCA de branche, la propreté, qui est vraiment très dynamique. Je les remercie, je sais qu’ils sont présents dans la salle. Il faut avouer que le dossier administratif est assez lourd et que seule, je ne l’aurai pas fait. Je remercie vraiment l’OPCA de la propreté. Bertrand TIERCE - Qui vous a donc beaucoup aidée !

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Monique HERVIEU - À tout niveau. Si, bien sûr, c’est TERNETT qui a eu le désir de cette formation, l’OPCA de la propreté a énormément aidé à la mise en place, au montage du dossier. Cela a pris du temps, les échanges ont été nombreux, une aide dans la présentation de l’opération. La première réunion, qui a permis le volontariat de 10 stagiaires, avait été très bien préparée. Bertrand TIERCE - Est-ce que vous avez fixé des règles à vos stagiaires ? Monique HERVIEU - Oui ! La règle est : si on commence le stage, on va jusqu’au bout. Je ne voulais pas qu’on s’engage seulement pour quelques semaines et qu’on s’arrête. Il y avait engagement de réussite. J’ai préféré un refus en cas de manque de motivation, mais l’engagement était solennel, il fallait aller jusqu’au bout ! Bertrand TIERCE - Est-ce qu’il est facile, madame, au-delà des 10 personnes qui manifestement étaient en attente, et qui se sont manifestées dès que vous avez ouvert cette opportunité, est-ce qu’il est facile de constituer, après le premier groupe, d’autres groupes fonctionnant dans la même dynamique collective ? Monique HERVIEU - Oui ! Nous avons reformé un groupe deux ans après, puisqu’il y a eu deux cessions. Ce groupe a un peu moins bien fonctionné. Ces gens avaient déjà fait de la formation de quartier avec le même organisme de formation. Quand ils étaient en formation de quartier, je pense qu’ils avaient des impératifs moins rigoureux qu’en entreprise, où l'on exigeait d’être présent. Ils ont été moins assidus, l’opération a été moins performante. Pour le premier groupe sur Evreux, l’organisme de formation n’était pas connu des stagiaires. Bertrand TIERCE - Quel est l’intérêt, madame, d’avoir mené cette expérience pour TERNETT, parce que c’est une entreprise qui doit se développer, qui est dans un secteur très concurrentiel, qu’est-ce que vous en retirez pour le développement de votre entreprise ?

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Monique HERVIEU - Concernant le développement de notre entreprise, il y a une chose à mettre en avant, c’est la nécessité de valoriser notre métier. On n’y vient pas par vocation ! Il faut amener notre personnel à avoir une reconnaissance. C’est l’amorce d’une revalorisation de notre métier, et c’est valorisant pour l’entreprise. Bertrand TIERCE - Est-ce que les personnes formées ont pu mieux assumer leur responsabilité vis-à-vis de votre clientèle ? Est-ce que vous avez des retours positifs de votre clientèle ? Monique HERVIEU - Oui, cela s’est manifesté dans les cahiers de liaison que nous avons chez nos clients. Certains de nos agents ne pouvaient pas les remplir, ils ont commencé par de petites notes, ne serait-ce qu’un visa d’information pour le client, une consigne simple et les clients ont vu l’amélioration. Au bout de deux ans nous avons constaté une réelle amélioration. Bertrand TIERCE - Un bon, investissement ? Monique HERVIEU - Absolument ! Bertrand TIERCE - Je voudrais avoir le témoignage de Patrick VANDAMME. Il est DRH de TRISELEC, à Lille, opérateur important du traitement des déchets avec 290 salariés. Et vous, Monsieur VANDAMME, vous m’avez dit : « On a créé des outils de formation à partir de l’expertise des opérateurs ». Intervention de Monsieur Patrick VANDAMME - TRISELEC est née en 1994. Au moment où elle s’implante pour traiter les 60 000 tonnes de déchets que la cité urbaine veut bien lui donner à valoriser, le taux de chômage sur le territoire au nord de la métropole Lilloise en bordure de la frontière Belge est de 17 %. On décide, sur mon impulsion, de proposer aux services sociaux des huit communes limitrophes de nous adresser tous les chômeurs qui cherchent du travail. Depuis 1994, on fait travailler 2 300 personnes sans sélection particulière. On hérite donc d’une population en difficulté à l’écrit, c’est 12 % des

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effectifs, avec 15 nationalités différentes, ce qui pose des problèmes dans la compréhension du français. Ces deux facteurs constituaient un risque important et il a fallu mettre en place des outils de formation « papier-crayon » dès 1994. Mais on a modifié ces outils en 1997. Pourquoi ? En 1997, on arrive à pleine charge avec 60 000 tonnes par an (on atteint 92 000 tonnes actuellement et on atteindra 115 000 tonnes au mois de mars prochain en optimisant encore) ; on veut s’engager dans des démarches de certification (nous sommes maintenant triplement certifiés, 14 001, 9 001 et 18 001 sur sécurité et santé au travail). On n’a plus le temps de s’arrêter pour faire des formations en groupe. Ces formations amenaient à des pertes de temps et n’étaient pas efficaces. Bertrand TIERCE - Attendez, Monsieur CHAUVIN et Madame HERVIEU ont travaillé en groupe, ils ont dit que les résultats étaient positifs ! Patrick VANDAMME - Moi, ça ne me satisfait pas, il y a trop de temps perdu. On a modifié la démarche en 1997. On a traduit notre savoir-faire dans des outils multimédias que l’on a insérés au sein d’un centre de ressources multimédias. La capitalisation du savoir des opérateurs de base a été faite avec l’équipe « formation », l’équipe « nouvelles technologies » et l’équipe « production ». Ces outils permettent donc de parler un langage commun sur l’ensemble de l’activité, y compris logistique. Bertrand TIERCE - Comment faites-vous pour proposer des outils multimédias à des personnes en difficulté avec la lecture ? Patrick VANDAMME - D’abord on les a rendus tous accessibles aux illettrés et aux étrangers, il n’est pas nécessaire de savoir lire ou écrire, c’est là la grande richesse du multimédia. Tout a été oralisé, le pré requis a été limité à quatre savoir-faire : déplacer la souris, cliquer, double cliquer, cliquer et glisser. Quatre savoir-faire, accessibles même à un handicapé mental, pour accéder à ses outils de professionnalisation qui sont ceux de la formation sous tutorat avec des tuteurs formateurs. Pour faire de la personnalisation complète, on a ouvert le centre de ressources depuis 4 h 45 le matin jusqu’à 22 h 15 avec un tuteur formateur en disponibilité pour le chef d’équipe production. On forme une personne à la fois, la formation est complètement personnalisée, sur des séquences plus courtes que ce que l’on faisait avant, où il fallait s’adapter au rythme du formateur (9 h -12 h et 14 h -17 h). Ces rythmes-là ne sont pas adaptés à des gens peu qualifiés. Nous faisons des séquences de 20 à 35 minutes, plusieurs dans la journée, une à 5 h, une à 9 h, une à 11 h et

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une à 13 h. Du coup, il n’y a plus de refus, mais au contraire un certain plaisir. Le but était de redonner du plaisir à apprendre pour ces gens et les technologies nouvelles le permettent. Pour l’illettrisme, on a été les premiers à développer un dispositif de formation à distance. J’ai fait la même erreur que tout le monde, j’ai envoyé les gens qui voulaient se former en organisme de formation : au bout de trois séances, ils refusaient d’y aller, on leur apprenait juste à dessiner des lettres. Ces formations sont très mal ciblées et ne prennent pas en compte les besoins des stagiaires. Nous avons donc été les premiers avec le CUEEP de Lille, malgré les critiques. Il y a gain de temps, d’efficacité et de coût : ce que l’on fait là en une heure, il faut trois heures en groupe. Le coût est moindre, et les salariés sont aussi plus rapidement en confiance et le fait de réussir génère l’envie d’aller plus loin, c’est une pédagogie de la réussite exponentielle. Tout a été fait pour donner l’envie d’apprendre en réduisant les pré requis, on a réduit les choses à leur plus simple expression. Bertrand TIERCE - Est-ce que votre approche ne cible pas d’abord les personnes prédisposées, comme les dix premières personnes trouvées par Madame HERVIEU. Est-ce que les vecteurs de votre formation sont incitatifs pour les personnes les plus en repli, en solitude, voire en passivité ? Patrick VANDAMME - Trier les déchets n’est pas une activité valorisante. Il faut devenir attractif. Les secrétaires par exemple sont au service des personnes qui ne savent pas remplir des papiers, on tente de démystifier les problèmes. La phase d’intégration des salariés, qui dure trois jours, est une phase d’observation. On a développé un simulateur de tri et, sur ce simulateur, on constate que les illettrés sont les plus vifs et plus rapides. On peut même diagnostiquer des problèmes avec la lecture justement quand les gens sont particulièrement bons ! Les repères sont bousculés. Pour développer l’attractivité, dans nos métiers où il faut faire du « tri qualité », du contrôle de qualité en fin de process, les illettrés sont plus performants, plus rapides, plus vifs, car ils ont développé des stratégies de contournement : ils ont un cerveau en éveil permanent pour masquer cette difficulté. Bertrand TIERCE - Je voudrais faire réagir Monsieur Jean-Michel BOUCHEIX sur plusieurs des propos qui viennent d’être tenus ou qui ont été tenus depuis ce matin. On a dit : « L’important c’est le contexte, le poste de travail qui justifie l’action et permet d’éviter la stigmatisation ». On va donc appeler la formation à partir de l’évolution du poste de travail et derrière, on met en place les outils d’accompagnement, que ce soient les organisations syndicales, que ce soit la hiérarchie, que ce soient les organismes de formation, on enveloppe la situation de travail, et celui qui en est au centre, par les partenaires d’une telle l’opération. Est-ce que vous pensez, monsieur, que cette approche-là est la bonne ?

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Intervention de Monsieur Jean-Michel BOUCHEIX - Globalement oui, tout dépend ensuite comment on s’y prend. La situation de travail, c’est important, mais tout dépend de la façon dont on l’utilise. Il ne suffit pas de juxtaposer la situation de travail et un formateur qui montre comment faire parce que, dans ce cadre-là, on va apprendre à réaliser la tâche, mais aura-t-on appris d’autres choses ? On effectuera mieux une tâche, peut-être, mais est-ce qu’on aura appris autre chose ? On pourrait dire qu’avec une situation de travail, on a deux façons de faire : soit une aide à l’activité productive, c'est-à-dire que l’on fait mieux sa tâche, ce qui est important évidemment, soit une aide à l’activité constructive, à la construction de ses connaissances, et là c’est une autre approche. On peut avoir les deux, mais cela nécessite d’abord une bonne analyse de la situation de travail et des compétences de l’opérateur sur cette situation de travail. Donc cela implique, pour le formateur, la capacité d’analyser la situation de travail. La deuxième étape est de transposer cette situation de travail dans un outil d’apprentissage, pour que l’on puisse la manipuler. Autrement dit, on peut simuler des situations, comme j’ai pu le faire dans différents cas de figure, pour des grutiers, des transporteurs et autres, mettre une situation de travail simulée dans un système multimédia, reconstruire la situation. Il devient alors possible d’interagir avec la machine, et, ce qui n’est pas possible dans l’activité de travail, on peut mettre en relation les manifestations de la machine avec des courbes techniques, avec des symboles, des mots techniques. On peut donc faire travailler explicitement l’opérateur sur la relation entre les symboles techniques, les mots et les manifestations de la machine. On peut même donner des possibilités de « rentrer dans la machine », ce qu’on ne peut pas faire dans la situation de travail réelle ; à ce moment-là, on peut articuler des connaissances pragmatiques, des savoirs acquis avec des connaissances plus symboliques, des mots, des courbes, des graphiques qui ont une signification plus importante. Cela va permettre ensuite de mieux réussir sa tâche. Cela permet d’apprendre non seulement la tâche, mais les connaissances sous jacentes à la tâche. Ainsi lorsqu’on se trouvera devant un problème nouveau, on s’en sortira parce qu’on peut faire appel à ces connaissances. C’est cela qui est important, c’est la construction de connaissances sur la situation de travail, qui, à la fois, permet de réaliser plus efficacement la tâche, mais permet aussi de transférer ces connaissances sur d’autres situations. Mais cela implique une analyse de la situation de travail, cela implique l’analyse des compétences qui sont mobilisées dans cette situation et cela implique ensuite que l’on transpose ces compétences dans un outil d’apprentissage, qui peut être sur le poste et à côté du poste. Cela implique enfin qu’après cette transposition, on utilise ces différents systèmes de représentation, et effectivement le multimédia permet de faire cela, il permet une représentation de ce qui se passe réellement dans la machine, une représentation concrète de la réaction de la machine, et il permet que l’on utilise aussi une représentation abstraite pour travailler sur ces systèmes de correspondance.

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Bertrand TIERCE - Est-ce qu’on dispose, monsieur, aujourd’hui, des outils de diagnostic qui permettent de déterminer avec précision l’origine des difficultés et pas seulement d’évaluer la performance qu’on cherche à atteindre ? Jean-Michel BOUCHEIX - C’est un aspect de psychologie cognitive sur la lecture en tant que telle, tout dépend de l’objectif : si l’objectif est de réapprendre à lire et à écrire et que l’on a suffisamment d’heures à consacrer à cela, comme dans le cadre de cette expérience où l’on dispose de 250 heures, c’est extrêmement important d’effectuer un diagnostic précis des difficultés en lecture, pas seulement des performances, mais aussi des processus cognitifs et des processus d’apprentissage. Le trouble est-il dans les correspondances graphème-phonème ? Est-il dans les aspects phonologiques ? « Trouble » n’est pas le mot exact, disons plutôt le niveau auquel la personne se situe. On a intérêt à avoir des outils de mesure efficaces, et aussi des outils de mesure qui donnent non pas seulement la performance mais l’origine de la difficulté. C’est très important, après, pour travailler. Une expérience originale a été menée dans ma région, avec la ville de Dijon. Elle consistait à mettre en oeuvre une articulation originale entre l’université, ses diplômes, et une ville qui avait envie d’aider plus de 300 personnes de son personnel à acquérir un meilleur niveau en lecture. Avec l’université, le laboratoire auquel j’appartiens, laboratoire du CNRS, qui s’occupe de ce type de problème, et deux diplômes, un master d’ingénierie de la formation et une licence professionnelle de formateur, on a mis au point des outils diagnostic au démarrage. Cela nous a permis d’avoir une bonne idée du type de difficulté et ensuite de constituer des petits groupes relativement homogènes avec les formateurs sortant de ces diplômes. Avec ces formateurs, on a pu construire des outils d’apprentissage sur mesure, en fonction des types de difficulté. On a évalué, deux ans après, avec les mêmes types d’outil d’apprentissage, les progrès en lecture. Ces outils permettent de faire un travail de mesure et d’évaluation efficace et donc, ils permettent une action sur un plus long terme. Plus les outils de diagnostic sont précis, plus la pérennisation est assurée. Un petit ajout encore sur ces problèmes d’évaluation et de diagnostic : de plus en plus, les groupes qui arrivent en formation sont très hétérogènes à l’illettrisme classique. Il s’ajoute en effet les problématiques de « français langue étrangère », avec ou non scolarisation dans sa langue maternelle, et ce qu’a présenté Madame Geffroy tout à l’heure à ce sujet est important. Je crois que, dans ce domaine, il y a beaucoup de travail à faire sur la mise au point d’outils diagnostics précisément pour ces nouvelles situations de « français langue étrangère », ou pour des

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personnes qui comprennent bien à l’oral mais qui ont un niveau d’analphabétisme important. Et là, je crois qu’on manque d’outils de diagnostic. Les connaissances nouvelles en psychologie cognitive, en sciences de l’éducation, ont permis de créer des outils assez bien faits, assez efficaces en ce qui concerne l’illettrisme ou la lecture en général, mais pour ces personnes étrangères, en particulier, ou analphabètes, je pense que les outils sont encore insuffisamment développés, et qu’il y a sans doute encore beaucoup de travail de recherche à faire en amont pour ces populations. Bertrand TIERCE - Patrick VANDAMME veut réagir à vos propos. Patrick VANDAMME - Oui. Pour construire des outils de formation et les rendre accessibles aux personnes en situation d’illettrisme, on n’a pas fait ça tout seul, bien évidemment. On a d’abord constitué notre propre équipe, pour formaliser et capitaliser tous nos savoirs et constituer un patrimoine culturel qui reste dans l’entreprise. Mais, en même temps, on a fait venir le CUEEP de Lille, Centre Universitaire d’Enseignement et d’Education Permanente, parce qu’ils ont un savoir-faire sur le traitement de l’illettrisme que l’on n’avait pas en interne. Notre entreprise joue le rôle d’interface entre les gens en situation d’illettrisme, le CUEEP, et d’autres organismes, pour apporter la logistique nécessaire. On incite les gens à « y aller », ensuite, ce n’est pas nous qui faisons : on est allé chercher des compétences externes, pour rendre pédagogiques les outils de transfert du savoir. Ce n’est pas le tout de disposer d’une capitalisation du savoir mais pour, à partir de cette capitalisation, réaliser un outil de transfert de compétences, il faut des savoir-faire pédagogiques que nous n’avions pas à l’époque. Maintenant nous avons constitué une équipe en interne, on vend cette ingénierie : on est devenu un organisme de formation qui vend maintenant cette ingénierie à d’autres. Bertrand TIERCE - Monsieur BOUCHEIX, vous aviez insisté sur le fait qu’il ne fallait pas s’enfermer dans le poste de travail pour concevoir la formation, mais se servir de ce ressort pour déboucher sur un apprentissage plus global, plus vaste, plus théorique, permettant à l’individu, au-delà de son poste de travail, de trouver d’autres curiosités pour vivre sa vie professionnelle et personnelle différemment. Est-ce que vous pensez, monsieur, que l’objet principal d’une action de formation sur les compétences de base dans l’entreprise, c’est un peu ce « second étage de la fusée » ?

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Jean-Michel BOUCHEIX - Je pense que oui, pour différentes raisons. Il y a un premier étage : mieux réussir sa tâche, être beaucoup plus à l’aise dans son entreprise. Et puis, il y a cet autre aspect qui est que les tâches vont continuer à évoluer et à devenir plus exigeantes : l’écrit va dominer encore plus. On a intérêt à ce que les personnes soient effectivement autonomes et capables de résoudre des problèmes nouveaux. Je pense à un outil qu’on a construit, et qui était assez amusant, celui des grutiers. J’y ai travaillé récemment, on est en train de le terminer. C’est un outil pour des manutentionnaires qui chargent des camions, sur des plates-formes de chargement, de façon à ce que l’équilibre du camion soit maintenu et qu’il n’y ait pas un accident lié à un déséquilibre des charges. Cela pose quelques petits problèmes de physique, de centre de gravité, etc. On a reconstruit une situation de travail, après l’avoir assez profondément analysée. On a observé les compétences qui étaient mobilisées dans cette situation et l'on a simulé sur écran la situation de travail de l’opérateur devant un quai. Il dispose d’une souris, il doit charger son camion en fonction d’un itinéraire et de ses contraintes. Puis le camion part et l’opérateur regarde ce qui se passe dans différentes situations. On peut alors générer des problèmes. On va lui donner, par exemple, une charge très lourde à charger à la fin du camion, ce qui peut poser un gros problème. La situation de travail devient un système de résolution de problème dans lequel on articule des connaissances pratiques : je fais et j’observe, ça tombe, ça ne tombe pas ? On va alors aider l’opérateur à mobiliser des systèmes de représentation, qui vont lui être présentés sur l’écran, par exemple des équations, des systèmes de divisions, de soustractions, d’additions, des notions symboliques, mais en relation directe avec ce qui se passe sur le camion. Ce sont, en quelque sorte, des systèmes de résolution de problèmes professionnels, et l'on articule ces problèmes avec, d’une part, leur versant actif, leur versant d’action analogique (ça va tomber ? ça ne va pas tomber ?) et, d’autre part, leur versant plus symbolique, c'est-à-dire une représentation au niveau des concepts. Bertrand TIERCE - Qu’est-ce que vous pensez, Monsieur BOUCHEIX, de ce que nous ont dit Madame HERVIEU et Monsieur CHAUVIN. Ils nous ont dit avoir rencontré des collaborateurs qui, après leur formation, se sentaient mieux dans leur peau, et qui avaient aussi changé de comportement dans leur vie personnelle. Et j’ai compris, dans ces témoignages, que cette évolution du comportement global était un des ressorts d’apprentissage ultérieur. Autrement dit, c’était la question de la personnalité qui était posée. Par rapport à cet enjeu, monsieur ? Jean-Michel BOUCHEIX - Effectivement dans toutes les expériences que j’ai vécues, on retrouve les mêmes constatations : cette idée que les gens vont mieux dans leur peau. Cela doit néanmoins s’associer à un mieux objectif visible et pas seulement ressenti. Je pense

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que c’est plutôt la réussite qui fait qu’on a envie de continuer, c’est la réussite qui stimule le désir, plus que l’inverse, la réussite donne le désir de continuer, d’aller plus loin, parce que ça va mieux. On l’observe aussi dans la VAE. À l’université, je pratique beaucoup de VAE. Dans les jurys de VAE, on retrouve le même phénomène : des candidats n’obtiennent pas forcément l’intégralité de leur diplôme, parce qu’ils n’ont pas tout à fait le niveau. Du coup, ils s’inscrivent en formation. Finalement la VAE est un pourvoyeur de formation énorme ! Les gens viennent en VAE, acquièrent une parte de leur diplôme parce qu’ils ont un certain nombre de compétences et de savoir-faire, et comme ils mesurent leurs acquis, ils continuent, ils s’inscrivent en formation, et cela produit la même dynamique de réussite. Bertrand TIERCE - Daniel LUSTIN, est-ce que vous êtes d’accord, est-ce que vous partagez le point de vue de Monsieur BOUCHEIX sur les relations entre les besoins de l’entreprise et la construction d’une offre formation ? Monsieur BOUCHEIX met en évidence un autre enjeu, qui transcende le besoin de l’entreprise, l’adaptation à la tâche, et qui concerne l’ouverture de l’individu sur d’autres champs de connaissance et d’évolution. Est-ce que vous partagez ce point de vue-là, monsieur ? Intervention de Monsieur Daniel LUSTIN - Oui, je suis complètement d’accord. Ce qui me frappe, lorsque je nous entends parler, c’est à quel point il y a aujourd’hui, sur ces questions, un phénomène de maturation. Je travaille sur le domaine de la formation depuis 25 ans, sur le domaine de l’illettrisme depuis à peu près autant. Je ne travaille pas que sur le domaine de l’illettrisme, ce n’est qu’une des activités sur lesquelles on construit de l’ingénierie de formation. Mais on peut dire que, par exemple dans l’univers de la propreté, dont Madame HERVIEU se faisait le témoin, il y a un peu moins de 10 ans, quand on a commencé à monter des groupes de formation aux écrits professionnels, on était un peu dans la situation de proposer une réponse inconnue ou peu compréhensible à un besoin qui n’était quasiment pas identifié. Il fallait des personnalités d’innovation comme Madame HERVIEU pour s’engager dans cette aventure, et quand j’entends des débats comme ceux que nous avons aujourd’hui, je dirais que les choses ont beaucoup changé. Ce que j’observe, c’est que l’analyse du besoin, la précision de ce besoin, tant du côté des entreprises que des salariés s’effectue petit à petit. Il devient clair qu’il est difficile d’être certifié pour des gens qui ne maîtrisent pas un certain nombre de capacités liées à la communication écrite ou orale. Il devient clair, pour un salarié, que le déficit de communication orale et écrite est, certes, une difficulté dans la vie

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personnelle et professionnelle, mais pas forcément une honte, que l’on peut en parler et que l’on peut accepter de se former. De l’autre côté, ce que j’observe aussi, c’est qu’il y a une amélioration, une maturation de l’offre de formation. L’offre de formation en matière de savoirs de base se professionnalise, elle évolue positivement, on est même capable aujourd’hui de construire des colloques qui durent plusieurs jours sur la présentation des bonnes pratiques en la matière, ce qui veut dire que les choses vont bien. Au fond, ce qui reste peut-être à construire, c’est ce chaînon manquant entre un besoin qui s’affine et des pratiques qui s’améliorent : la relation reste, aujourd’hui encore, de mon point de vue, un peu éphémère. Aujourd’hui, ce qui manque peut-être, c’est de pérenniser cette rencontre entre les besoins de salariés et d’entreprise et une offre qui se professionnalise. Et là, du coup, je dirais que le débat dans lequel on est rentré entre Jean-Michel BOUCHEIX et Patrick VANDAMME sur la bonne réponse pédagogique (Est-elle du groupe ou de l’individuel ? Du travail avec des simulateurs ou du travail avec des techniques plus traditionnelles ? ), on est là au cœur de l’ingénierie, et c’est probablement ce qui doit encore progresser. Cette ingénierie a, pour moi, une triple dimension. Elle est d’abord pédagogique. Nous serions en effet des charlatans si nous affirmions qu’il n’y a de bonnes formations qu’en groupe ou qu’il n’y a de bonnes formations que devant des simulateurs et devant des outils multimédias. Cela dépend du besoin, cela dépend des compétences qu’on veut développer. Quand on est dans une entreprise où les individus travaillent tout seuls sur un chantier, comme c’est le cas d’une entreprise de propreté, et bien le groupe est extrêmement formateur, c’est l’occasion d’apprendre à communiquer d’abord par oral avec ses collègues, de développer des compétences de communication, ce que, dans le jargon de la propreté, on appelle des « attitudes de service » et donc, dans cette situation, le cœur même de l’apprentissage, c’est forcément le groupe. Par contre quand on a un métier très technique, quand par exemple on conduit une grue, ou quand on trie des déchets, il est peut-être nécessaire de travailler sur un modèle réduit, et une simulation du geste technique, parce que c’est cette simulation qui va permettre d’accéder à la vraie dimension qualifiante du travail. Là, je rejoins complètement les analyses qui ont été faites aujourd’hui. Dans le secteur de la propreté, on ne se contente pas de former des salariés à la lecture, on leur permet d'accéder à une meilleure communication dans le contexte de leur travail : une compréhension à l’oral, une compréhension à l'écrit des documents nécessaires à l'exercice d'un travail qualifiant. L'enjeu, c'est le développement de la personne en situation professionnelle car il y a aussi, on en a beaucoup parlé, la VAE, les CQP (Certificats de Qualification Professionnelle). Et là, on voit bien que ce qui permet de franchir un pas dans la qualification, ce n’est pas simplement de reproduire un geste professionnel comme nettoyer des sanitaires, balayer une salle, passer l’aspirateur ou une monobrosse, tout cela peut s’apprendre très vite. Par contre, si on veut qualifier ce travail, si on

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veut qu’il y ait une intelligence de la tâche, à ce moment-là, il faut raisonner sur la tâche et, à ce moment-là, on commence à se demander : « Si j’ai tel type de tâche à effectuer, et si je dispose de tant de temps, alors il va me falloir tel type de machine et tel type de produit ». On est dans le raisonnement expérimental, c’est cela l’intelligence de la tâche, c’est ça la dimension qualifiante de la formation et c’est cela à quoi on va accéder, progressivement, par les savoirs de base. Il n’y a pas besoin de savoir parler le français, on n’a pas besoin de savoir lire pour faire l’essentiel des travaux effectués par des personnels en situation d’exécution. Par contre, pour accéder à l’intelligence de la tâche, pour faire face à des incidents, pour pouvoir être autonome, pour être tout seul sur un chantier, comme on l’est dans la propreté, pour valoriser son entreprise et donc se valoriser à travers une relation avec le client, là il faut un peu plus que de la reproduction des gestes du travail. Il faut maîtriser un certain nombre de savoirs de base, et donc il faut une certaine intelligence de la tâche et c’est ce chaînon manquant qu’il faut construire. Ce chaînon manquant a une dimension pédagogique sur laquelle on a beaucoup insisté. Il y a une autre dimension, dont on ne veut jamais parler, parce qu’elle fâche, et qui est l’argent. Tout cela a un coût. On ne peut pas construire des systèmes de formation performants avec des coûts d’heure stagiaire de misère, comme on en voit encore aujourd’hui sur ces sujets-là. Et c’est pour cela qu’effectivement, il y a des collecteurs, il y a des structures qui essaient de rendre solvable ce besoin et cette offre. Et puis, il y a encore une autre dimension de ce chaînon manquant, que l’on a très peu abordée, qui me semble un peu le nerf de la guerre, et sur lequel travaillent les conseillers d’OPCA, et les acteurs de terrain (formateurs et responsables d'entreprise). C’est la dimension « organisation ». Quand je dis que la rencontre entre un besoin qui s’affine et une offre qui se professionnalise reste éphémère, je pose la question de l’organisation : « Combien de personnes, dans quel lieu, à quel moment, avec quels horaires ? ». C’est exactement ce qu’a dit Patrick VANDAMME : une façon de traiter la question de l’organisation est d’avoir une large plage de formation. Il y a d’autres solutions, il y a d’autres systèmes d’organisation, qui répondent sans doute à d’autres besoins. L’organisation est une question centrale parce que tout le monde doit faire des sacrifices : il faut que l’entreprise accepte de libérer à heure fixe, et de préférence à l’heure, un groupe de gens, ce qui désorganise l’exploitation et le chantier. Il faut le prévoir. Cela suppose aussi que l’organisme de formation mette un petit peu de souplesse dans sa propre organisation pédagogique. Il va peut-être y avoir à gérer des choses difficiles en termes d’organisation, qui ont un coût. Enfin il y a une difficulté à ne pas sous estimer, c’est l’hétérogénéité des groupes. En effet, si on entre uniquement dans la dimension linguistique des savoirs de base, c’est très difficile pour un formateur de se trouver devant un groupe composé de gens qui parlent bien le français mais qui ne l’écrivent pas du tout, de gens qui ne parlent pas du tout le français mais qui l’écrivent… L’une des très grosses difficultés organisationnelles et pédagogiques, c’est l’hétérogénéité des groupes et le chaînon manquant, que Jean-Michel BOUCHEIX évoquait un peu tout à l’heure dans son intervention, c’est

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probablement de réécrire des référentiels linguistiques spécifiques au monde des salariés. Vous allez me dire qu’il existe aujourd’hui un répertoire, que l’agence a publié. Il existe au moins une cinquantaine de référentiels en matière de savoirs de base, aujourd’hui en France. Et quelqu’un, à la tribune, dit faut en rajouter un ! Et bien oui, le chaînon manquant, et le secteur professionnel de la propreté est en train de travailler là-dessus, le chaînon manquant c’est qu’il n’y a aujourd’hui pratiquement pas de référentiel des savoirs de base en situation de travail, parce qu’en situation de travail, ce qui compte c’est que je maîtrise un certain nombre de capacités de communication, (communication au sein de l’équipe, communication avec le client) qui s’appuyer sur l’oral, sur l’écrit, qui peut concerner la chimie, qui peut concerner les tableaux à double entrée, ou la mise en œuvre d'un mode opératoire technique. On a réussi aujourd’hui, avec le réseau de 30 organismes qui capitalisent et formalisent, pour le secteur de la propreté, des outils pédagogiques, à rassembler à peu près 10 000 supports pédagogiques. Mais, aujourd’hui, ce qui nous manque, c’est probablement un vrai référentiel de l’activité de communication orale et écrite en situation professionnelle, et c’est ce pourquoi on a demandé à l’université de Nancy de travailler sur ce sujet. Bertrand TIERCE - Mesdames, mesdemoiselles messieurs, il est l’heure de conclure. Je vous demande de remercier chaleureusement Monique HERVIEU, Yves CHAUVIN, Patrick VANDAMME, Jean-Michel BOUCHEIX, et Daniel LUSTIN, merci madame, merci messieurs. J’invite Marie-Thérèse GEFFROY à venir nous dire les enseignements qu’elle retire de cette journée.

Conclusions de Madame Marie-Thérèse GEFFROY - Normalement, c’était Monsieur le Secrétaire Général aux Affaires Régionales qui devait conclure, mais il est indisponible et c’est bien volontiers que je veux vous remercier tous. Les cinq minutes qui me restent sont trop courtes pour résumer tous ces enseignements. Une des vertus de la méthode de travail que nous partageons, et qui est coordonnée par l’agence, c’est de savoir écouter. Ecouter à tous les niveaux, écouter les personnes concernées, écouter ceux qui travaillent auprès d’elles, écouter ceux qui ont à décider, pour être en mesure de proposer un certain nombre de solutions qui fassent converger tous ces besoins et qui permettent, comme le disait Hugues LENOIR tout à l’heure, la convergence d’intérêts sociaux divergents. On s’aperçoit, quand on vous écoute tous, qu’il y a des tas d’attentes. Mais qu’il y a, au bout du bout et à la fin des fins, des personnes, des personnes qui sont le point de départ, et des personnes qui sont le point d’arrivée, des personnes qui sont

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dans des situations très difficiles, et des personnes que dans notre société on ne regarde pas comme les autres. Si on pouvait arriver à un premier résultat, et je crois que ça ne doit pas être seulement un rêve, c’est d’abord qu’on regarde autrement ceux qui n’ont pas les savoirs académiques. Quand on vous a entendu parler ici d’accès de tous aux compétences de base, de personnes en situation d’illettrisme dans les entreprises, on s’est aperçu que vous parliez d’elles comme de citoyens, de citoyennes, d’hommes et de femme au travail, qui font quelque chose, qui produisent, qui existent dans la société. Trop souvent, quand on décide d’en haut, sans avoir jamais vu ces personnes, on les considère comme des gens à part avec des problèmes tout à fait à part. Et bien je crois qu’il nous faut apprendre ensemble à regarder comme des citoyens égaux tous ceux qui sont confrontés à ce type de problème. Il nous faut essayer de faire en sorte que nous puissions aider ceux qui sont en contact avec eux à les identifier, à les impliquer dans une action, à les accompagner. Il nous faut faire en sorte que l’on suscite chez eux le déclic, un déclic qui peut prendre de multiples visages, un déclic qui va permettre de les engager dans une action de formation de base, de faire en sorte qu’on ne les laisse pas tomber, qu’on les accompagne. On s’aperçoit qu’il y a du travail pour les formateurs, qu’il y a du travail pour les entreprises et puis qu’il y a du travail pour tous ceux qui sont autour, et qui ne sont pas là aujourd’hui, qui travaillent pour toutes les associations, qui accompagnent, qui font le complément nécessaire. On s’aperçoit aussi qu’il y a une grande nécessité : c’est de faire en sorte que l’on ne fasse pas des « coups ». Il faut pérenniser les actions et faire en sorte de les organiser de manière durable et c’est là où se rejoint l’action dans une entreprise avec son intégration dans un plan régional de lutte contre l’illettrisme, qui est triennal, qui se fixe des objectifs dont on évalue finalement l’impact, avec non seulement des objectifs qualitatifs, mais aussi des objectifs quantitatifs. Notre rêve, c’est de constituer des outils à partir de tout ce qui existe ici ou là, à partir de ce qui existe dans la région centre, à partir de ce qui existe dans d’autres régions. Notre rêve, c’est d’arriver au bout de notre forum permanent des pratiques, dans lequel la région Haute-Normandie s’est fortement impliquée, avec du matériel, et des outils - pas une « solution miracle » ! - une proposition d’action qui réussit et qui donne des orientations. L’important, c’est que ça marche, l’important c’est que ça réussisse, l’important c’est que d’autres sachent que ça peut marcher et qu’il y a de multiples voies pour réussir. Tout cela nous allons le rendre disponible. C’est merveilleux, aujourd’hui, nous avons des outils de communication, nous avons des outils multimédias qui nous permettent de rendre disponibles à tous des choses qu’avant il fallait mettre sur papier, avec des tonnes de documents ! Là, nous avons les moyens de les rendre disponibles.

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Sans négliger l’indispensable rencontre humaine : on ne peut pas parler de problèmes complexes, de problèmes de société comme celui-ci, sans que les hommes et les femmes se rencontrent. Cela va se faire au niveau départemental, au niveau régional, ici comme dans toutes les régions, cela va se faire au niveau national, pour que nous puissions vraiment prendre en compte ces personnes. Nous avons parlé du problème global d’accès aux compétences de base, mais c’est vrai que ce n’est pas la même chose d’avoir été scolarisé dans notre pays, d’avoir été scolarisé pendant plusieurs années, ce n’est pas la même chose que de se retrouver face à des difficultés comme celles que connaissent les illettrés, ce n’est pas la même chose que d’arriver dans un pays étranger où l’on doit apprendre la langue mais où l’on n’a pas forcément ce type de difficultés. Alors, à nous d’essayer de faire en sorte, et c’est le but de l’agence, que ces trois millions de personnes, qui essayent de cacher tout ce qu’elles ne maîtrisent pas aujourd’hui, soient vraiment prises en considération de la bonne manière, avec respect, avec considération pour tout ce qu’elles savent, tout ce qu’elles font et en faisant en sorte que nous arrivions à leur donner ce qui leur manque, qu’elles soient mieux dans leur travail, mieux dans leur vie, dans leur vie personnelle, dans leur vie sociale. C’est un objectif magnifique à partager. C’est un objectif qui ne peut se réaliser que grâce au concours de tous, comme nous l’avons fait aujourd’hui, avec tous ces témoignages dans le domaine de la lutte contre l’illettrisme en entreprise. En faisant monter de la base ces suggestions et en les retransmettant à tous, et bien nous allons, je l’espère, changer le paysage de la lutte contre l’illettrisme pour l’accès de tous aux compétences de base dans notre pays. Merci beaucoup à tous pour tout ce que vous avez apporté et tout ce que vous avez rendu disponible pour d’autres. Bertrand TIERCE - Merci beaucoup, madame et nous pouvons, mesdames et messieurs, poursuivre nos conversations en toute liberté autour d’un verre amical. Merci.