UN MANICHÉISME TRANSCENDÉ ÉTUDE DES RECUEILS DE NOUVELLES
LE TORRENT D'AMYE B%BERT ET DOULEURS PAPSANNES DE S* CORINNA BILLE
Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures
de L'Université Laval pour l'obtention
du grade de maître ès arts (MA)
DeCpartement des littératures
FACULE DES LEXTRES
UImERSITÉmvAL
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Ce mémoire, Iecîure en pazaIlèie du Torrent d'Anne Hébert et de Doulezns paysannes de S. Corha Bille, se veut une approche personnelle d'univers 6gaIement fascinants- Ilanalyse y a pour point de départ le desv de mettre en relief une commnnaat6 de sensib'rlité à L'onirisme et une capacité similaire de dire la VioIence. Pour ces deux contemporaines, L'écriture serait recherche d'me authenticité et d'une spontanéité non dénuée de spintualité. L'hypothèse vCnfée au fd du travail de lecture est que la fiction, sans craindre de dévoiler l'aspect ternfiant de la création, permet d511ustrer une réconciliation possiik et souhaitée de l'être avec La nahue, décrit le naturel du rapport de l'être avec le monde matériel et spinituel, c'est-à-dire un dépassement du manichéisme, qui confine L'humain à une divinon stérile- S'appuyant sur la classX~cation des Régimes de Pimage proposée par Gilbert Durand, L'analyr revisite L'univers imaginaire de chacune des auteures et en intmge l'equilibre, distinguant la part opprimante, aliénante, de Ia part libératrice, fennent de révoite.
TABLE DES WTZÈRES
Le Torrent et Douleurs paysannes, recueE[s de nouvelies ayant marqué, dans les années
1950, les deTbuts d'Anne H&rt et de S- Co* Bille, écrivaines quewcoise e t romande
Iargement reconnues depuis, ont €té qualifiés dtœuvres de jeunesse par ks uns, jugés mineuxs et
delaissés par les autres, IIs méritent pourtant pleinement Ivintérêt de ia critique, au même titre que
les textes de la maturité.
L'œuvre d ' d e Hêbtrt, comme chacun le sait, a f ~ t l'objeî de nombreuses études, et les
premières phrases de la nowelle «Le torrent* sont parmi I e s plus citées de la littérature
québécoise. Pourtant, la première édition du Torrent ne r q t qu'un maigre accueil. A l'époque,
Giies Marcotte, après avoir relevé les qualités stylistiques de la première nouvelle, soulignait de
nombreuses impefections et terminait son article par un encouragement an talent naissant :
« Encore un peu, qu'elle continue de s'y domer de toute son âme et de tout son art, son œuvre nous apparaîtra sans doute comme une des plus belles. Les prémices sont dé@ beaucoup plus
qu'une promesse' B. En 1963, la critique relut le recueil fraîchement réédité et, après avoir
perçu dans les Chambres & bois (1958) une libération personnelle illustrant l'épanouissement
communautaire, fit de la nouvelle <C Le torrent M le symbole de Ivaliénation nationale. tl semble
légitime de se demander si la critique ne donna pas trop de poids à la présence du mythe
canadien-français et s'il n'y eut pas ricupération d'un texte au détriment des autres, qui pourtant
déclinent les mêmes thèmes : les quatre au- récits sont-ils plus faibles ou furent-ils plutôt
jugés moins exemplaires, la dénonciation de i'aliknation religieuse, politique et sociale s'y trouvant presque évacuée au profit de Ia critique d'une aliénation plus intérieure et individuelle ?
La majorité des lecteurs, en privilégiant la dimension emblématique du Torrent », ont négligé
des aspects du recueii qui nous semblent pourtant plus déterminants dans le processus de
compre'hension. Peut-être obnubilés par la recherche de chefs-d'œuvre nationaux et trop enclins
à trouver dans l'art une valeur Libératrice de l'emprisomement collectif, iIs se sont pour ainsi
dire fermés à certaines sollicitations du texte. Au cours d'une entrevue, Anne Hébert elle-même
-
G. MARCOTTE, « Le Torrent, d'Anne Hébert s, dans le Devoir, 25 mars 1950,
regretta ceüe lecture réductrice : a Je m'étonne quand Ia aitique décrit le T o n m comme te
symbole du Qae'bec encWé. Cest me abstraction. Il faudrait plutôt s'interroger sur la fonction
de la mère, de la religion, ce sont des problèmes essentieis du moins en ce qui me conceme? W .
Même si les 6îu&s plus récentes se démarqnennt de I'interprétation des criti~nes Jean Lemoyne et Gilles Marcotte, la plupart des ex6g6tes - Gilles Houde, Pierre H- Lemieux, Catherine Rubinger, Geneviève Geschi, L u d e Roy-Hewitson, Thérèse Fabi, Robert Harvey,
Janet Paterson - continuent & se consacrer p q e exclusivement B la nouveile éponyme- LfensembIe fait néanmoins L'objet dhn chapitre dans l'ouvrage de Jean-Pierre Boucher. le
Recueil de nouvelles ; ce critiqye y décrit la construction du recueil comme me pyramide
inversée oii a Le torrent B, le texte Ie plus long, introduit un élément de d é s é q ~ ~ , situation
rétablie dans la seconde édition - heureusement seIon Iui - grâce à l'ajout de deux nouvelles,
Nous croyons au contraire, à L'instar de Lise Gauvin, qui s'explique K Les nouvelles du
Torrent, un art d'échos D, à L'unité de L'edition originale, la composition des textes ajoutés étant
par ailleurs nettement posténeme ii, celIe des nouvelles pubtiées en 1950. Lise G a u i insiste sur les liens qui se tissent entre Le torrent B et les récits subséquents : tous disent la rupturie, la
dépossession, un sentiment de faute que fa mort seule semble pouvoir racheter, une d'ce
inconnue ou perdue à jamais3 u. Avant Gauvin, Josette Féral, dans cc Clôture du moi, clôture
du texte dans l'œuvre d'Anne He'bert», avait t e m a r ~ é déjà des traits communs - une
blessure sentimentale, une captivité, une dislocation, une dépossession, un déterminisme - rapprochant des personnages qui tentent de s'6manciper par le rêve et qui poursuivent une quête
de l'unité. Les nouvelles du recueil doivent être relues attentivement, d'autant plus que se
développe de l'une à l'autre un réseau de correspondances et que se succèdent des variations sur
des thèmes récurrents, ce qui assure la cohésion de l'œuvre, pourtant composée de fragments,
Ainsi, nous ne pouvons que rifuter d'emblée Les propos de Uarcotte, qui notait que « [Iles cinq
nouvelles qui composent le recueil n'ont de commun que le climat dans lequel elles baignent4 >>.
Le corpus critique entourant Ia production de Corinna Bille, qui comprend des poèmes, des
récits, des contes, de petites histoires, des romano et des nouvelles - genre qu'elle a privilégié et qui lui valut une reconnaissance à l'étranger (elle teçut, en 1975, la bourse Goncourt de la
Nouvelle pour la Demoiselle sauvage) - , n'est pas aussi vaste que chez Anne Hébert, En
effet, et bien que René Godenne << la faCssel figurer au rang des nouvellistes majeurs du XXe
A. VANASSE. K L'6crïture et Cfambivaience *. entrevue avec Anne Hébert, dans Voix et imges, priniernps 1982, p- 446. L. GAWIN. r Les oouveiies du Torrent. un an d1&hos a, daas U DUCROCQ-POIRIER (dir.). Anne
He'bert. parcours d'me œuvre, 1997, p- 218, O. MARCOTTE. op. cil.
siècles B, peu d'&des étoffees ont &té consacrées à son œawe. Rusieurs €crivains se sont
néanmoins pris dlafXection pom ses livres, leur sr'gnant des avant-propos et les commentant dans
des artïcles6. Des litteraires aussi se sont pnch6s sur ses nouvelles ou sur L'un ou L'autre des
aspects de sa création, Notons l'étude de Moniqne Moser-Verrey, cc De Cézanne à Redon :
l'exemple des peintres dans L'6criture de ConMa Bille », qui déait liinivers poétique de
Corinna Bille en srappuyant notamment sur la représentation du pays qui se dégage d'une
nouvelle de Douleurs paysannes, I( Le feu B. Maryke de Courten, dans C'1?nugimlUIIre donr l'more de Corimta B î k , fait pour sa part resso*, au terme d'une critique bachefardienne, la
cohérence de l'univers imaginaire de l'auteure ; mais si eue prétend couvrir par son analyse
toute l'œuvre de la Romande, elle sollicite moins bs premiers textes, d'une veine plus réaliste-
De manière g6nérale7 l'intérêt de la critique s'est porté pius volontiers sur les textes dits de la
maturité, pius riches en images fantastiques et onii5ques étonnantes qui conduisent le lecteur vers
un univers surréafiste où, paradoxalement, L'existence des êtres et des choses paraiAt natutelle et
authentique. Ces nouvelles, récits et petites histoires s'éloignent des premiers ouvrages, situés
du côté du père, suivant l'exemple ramuzïen et laissant plus de place aux dialogues et aux
descriptions réalistes qu'8 la rêve* En considérant chronobgiquement l'œuvre de Corinna
Bille, on remarque que son écriture s'est orient6e vers un univers de plus en plus nocturne, où
se côtoient surréalisme, onirisme et fantastique. Dans son Valais natal, beaucoup ne comprirent
pas ses choix esthétiques et taxèrent sa production d'impudicité. C'est que son écriture constituait d'abord une nécessité vitale et salutaire ; Corinna Bille a développé sa propre poétique dans le sens d'une plus grande 1iMration de ses fantasmes et d'une expression de sa vie
psychique et onirique. À ce sujet, Maryke de Courten parle d'une écriture cathartique, par essence amorale et antireligieuse', tandis que Jacques Chessex évoque un K érotisme candide B
et une « communion totale avec L'ongÏnel, le bnit, l'éiémentaire sauvage et séraphiques m. Petit
à petit, les personnages, aussi candides qu'instinctifs, accèdent à une liberté extrême ; mus par
l'amour et l'aspiration au bonheur, dans un climat où ce que suggèrent les pulsions et la nature animale et végétale est bienf'aisant et non répré5ensible au nom d'une morale humaine, ils vivent
R. GODENNE, Etudes sur la nouvetk & h g u e / i a n p i r c . 1993, p. 137. Nous pensons il Jean-Paul Pacalq Jacques Chesex, Georges B o r g e Nicolas Bouvier, Pierce Jean Jouve.
et, bien sûr, A Maurice Chappitz, son mari- ' a L'écriture, telle que Corinna Bille la pratique, est par essence amonle : "Quand je peiise & écrire, quand j'écris, je ne pense pas à Dieu- Je ne cherche qu'ii exprimer ce que je ce que je suis, ce que je vois, L'écrit c'est un monde où L'on s'exprime sans entrave d'aucune sorte, où il n'y a ni Bien, ni Md." IL faut avoir à l'esprit le cadre dans Iequel grandit Corinna, petite Valaisanne, prisonuière du catéchisme dans une socit5té retigïeuse fort contraignante. L'écxiture va progressivement libérer Ia jeune femme de ses chahes. L'écriture est antireligieuse en ce sens qu'elle exalte un monde dont Dieu est absent et où il est comme inutile, et qu'eue y trouve son bonheur ; écrire correspond chez Corinna à une tibératim de sa "nature paëmen, de celle qui la read si heureuse au cours de ses promenades en forêt * (M- DE COURTEN, L'Iinaginmmre dans l'œuvre de Con* Bille, 1989, p+ 252)- 1. CHESSM, r Une lecture de Corinna Bille S. dans les Saintes l?cnrMes, 1972, p. 109.
en coalescence avec leur milieu naturel, conscients d'une unité pmmi&re, d'une totalité et d h e
complétude primordiales d'avant la séparation des règnes. Cette qste, cet élan vers L'originel,
nous les retrouvons dans Ies textes isslls de la jeunesse de Corinna Bine, mais de manière
infiniment plus tknue. les héros n'y semblent pas avoir acquis la maturité nécessaire; ils doivent encore se defaire de leur cuipabilité e t du regard iwin'sitem de leur entourage, se de?ier
de l'idée de faute, renoncer à une relïgiosîté mêlée de superstition, afin d'accéder à une autre
spintualité, noctume celle-là, e t assumet leur matginalité-
DouLews paysannes est rés01nment ancré dans la @iode réaliste de Corinna Bille et décnt le
pays de son enfance. Les Lieux sont pour la plupart nommés ou recomaksab~es, et certains
personnages s'insp'int d'êtres réels. Eautetue utilise un Langage pictural, le titre du recueil ressemblant d'ailleurs à celui d'une expositîon ou d'un flodége : chaque nouvelie est comme un tableau représentant un morceau de la vie paysanne, le tout rassemblant des portrait& nuancés,
mais dépourvus de masques, En effet, Corinna Bille décape ses personnages tout en les
dépeignant, et cela sans craindrie de dire leur violence et leurs sonffrances- Le recueil, en hommage à celui qui avait choisi un pays pour ses couleurs e t son climat, à M homme anime de
la curiosité de comprendre sa population et ses patois, est dédié au père : Edmond BiIie, peintre- verrier. À sa manière, la jeune égivaine tenta eue-même d'esquisser une peinture de la région et
de ses habitant#, de les apprivoiser aussi, puisqu'eiie était un p u une éîrangère en son milieu
- fde d'un mariage hors du commun entre un seigneur et une servante1o. son enviromexnent
familial la sensibilisa à l'art et la confronta au protestantisme dès son plus jeune Sge-
La découverte des nouveles d'Anne He'bert fit déterminante pour nous, déjà lectrice de
Corinna Bille. Comment les personnages de la grande dame des lettres queoécoises et ceux de la
Romande pouvaient-ils être si ressemblants dans leurs meurtrissures et dans leur quête ? La question a mûri ; la relecture du Torrent et de Douleurs pqsunnes a mis en lumière une
communauté de sensibilité à l'onirisme et une capacité similaire à dire la violence ; une
hypothèse s'est fait jour. L'écriture, pour ces contemporaines initiées jeunes au monde artistique
- Littéraire, en particulier - et pionnières dans leur travail pour une reco~aissance de leur arc, serait recherche d'une authenticité et d'une spontanéité non dénuées de spiritualité ; sans
craindre de dévoiler l'aspect terdiant de la création, la fiction permettrait d'illustrer une
M. MOSER-VERREY : K C'est de cette everie en quête de vkrité et de puret6 que nous parie l'aumporaaït de 1902 [.--1, où le regard du peintre scrute avec amour et sérieux un horizon dont le foad du tabieau nous révèle I'aspect sauvage et nu, Je maSntiendrai que dans Douleurs paysannes. que Corinna Biiie a da€ à son père, eiie s'efforce en tant qu'écrivain de poser le même regard sur l a nature et la population du Valais » (6c De Cézanne & Redon : L'exemple des peintres dans L'écriture de Corinna Bille », dans Études fiançaises, 1985, p. 50-51)- Io Voir a Virginia r dans Deu~passio11~* récit oil C o d Bilie d a t e L'histoire d'amour de ses parents.
réconciliation possible et souhait& de L'être avec Ia nature, d6Cnraicnrait le natoreL du rapport de L'être
au monde maîériel et spintuel, c'est-&-dire un dkpassement du manichéisme, quÏ confine
l'humain à un cIoiso~ement, & une division stérile.
Cette hypothèse demandera àêtre v M é e et mise en doute, précisée et étoffée- Ponr ce faire, il faudra oublier le pressentiment initîd. reprendre la lecture avec un esprit lavé de toute attente et
chercher la substance du texte, c'est-&-dire, pourreprendre les mots fameux de Georges Poulet,
« se reporter au point oii l'œuvre est eue-même sortie du dence" m. Le travail critique. dors,
deviendra r une prise de conscience de Ia conscience d'autruiL2 B. Demeure la question
épineuse de comment aborder deux univers si riches et étendus que ceux de Corinna Bille et
d'Anne Hébeh Quels chemins parallèles devrons-nous emprunter pour en discerner
respectivement les centres, les struca~es profondes, Les noyaux essentlefs ? Nous pourrions
nous orienter vers une approche thématique traditionnelle et étudier un thème prédominant,
centre de gravité de l'œuvre: Ltenfance, L'amour, la mort, la solitude- Ce parti pris nous
amènerait à selectionner et à nommer des contenus du texte et à établir, au sein de la iiste mise au
jour, une hiérarchie, a h de retenir le thème le plus important Ce thème serait, selon la
défhtion de Philippe Hamon, K le point d'affleurement d'un ensemble de relations à la fois
construites par le texte et déduites par son lecteur, en collaboratÏon » :
[..-3 lieu d'une polarisation de la Iecture, lieu drue concdtisation de Ifécritme!, c'est une c prise de sens » à tous les sens du mot a prise = : tnp£e concrétisation, puisque le thème devient le point de convergence d'un embrayage Ïntraiextuel (il se -te, tout thème génkre ses variatlons et ses reprisesT le thème ne saurait être hapax), d'un embrayage extratextuel (2 est a pris à Irexténeur », soit dans te K réel », soit dans le a vécu » d'un auteur doat II devient comme la signature même), et d'un embrayage intertexaiel (il est signai drappartenance du texte à une tradition ou à une avant-gank donc à des genres institutiomaikés, donc à d'autres textes)13.
Or, il nous paraît difficile d'extraire des œuvres à l'étude un thgrne assez englobant pour les
signifier, les 3ymboliser, d'autant plus que chaque thème intègre une double valorisation dans le
Torrent et dans Douleurs paysannes et ne se décline pas sur un mode unique, mais sur de
multiples oppositions : l'amour, par exemple, est tantôt nécessaire et tantôt fatai, alors que l'enfance s'illustre par une quête insensée 'un paradis perdu. Pour exploiter cette ambiguïté inhérente à l'imaginaire d'Anne Hébert, Lucille Roy, dans Entre la lumière et l'ombre, perçoit
le thème de manière moins abstraite, en fait quelque chose de plus palpable et de plus emblématique à la fois : étudiant la dialectique de la lumière et de l'ombre, qu'eue décrit comme
<< le centre et le moteur14 » de l'univers embrassé, elle précise sa conception du thème à l'aide
l l G. POULET. la Conscience critique, 1986 ClWl], p. 304. l2 Id., Les Chemins actueLs de & critique, 1967, p. 9. l3 P. HAMON, * Théme et effet de réel S. dans Poérique, novembre 19û5, p. 4%. l4 L. ROY, Entre la lumiere et l'ombre. L'univers poétique d'Anne Hébert, 1984, p. 10.
de la définition suivante : a [..*l nous accordons au mot thème le sens le plus organique. Loin d'être du domaine de la pensée, il est une espèce de noyau sabstantiel inchoata, mtentissaut
matériellement et dymmîquement sur L'ensemble de L ' O ~ U Y L ~ G ~ ~ » .
La méthode et L'acception du teme a thème>> que nous retiendrons pour notre part
s'éloignent de la thkmatique traditionnelle ou séIective, e qui envisagce] le thème comme un trait
isolable du contena iittéraire - frappant, saillant, caract6riStique en quelque sorte - >F, pour se rapprocher plutôt de ce que LubomiE Doleul nomme la r thématique structurale w :
[t]e thème peut êîre défini comme un agglomérat stnrctuté de motifs récurrents- Il se consatue en relation avec d'autres Wmes, similaires ou opposés- Chaque theme fait partie d'un mini-système de thèmes apparentés. d'un chmp tire*mrr'ipe, et sa saucnue est déterminBe pcb5paiement par un jeu d'oppositions à l'intérieur & œ champ- II en réimite que la su~y:furati-on du contenu releve d'me axiomatique r en tiffinue, le contenu est stmcnué, et il ni &t aucun sens à préfendre L'étwber séparément de sa stnicairel6-
Cette d f i t i o n nous convient tout padculièrement, puisque les motifs que sont L'enfer et le
paradis, le charnel et le spinaiel, le noir et le blanc, tout en s'opposant radicalement ou en
forniant des synthèses, gravitent dans le Torrent comme dans Douteras paysannes autour d e thèmes-noyaux eux-mêmes divisés en contraires ou unis en dialectiques (ainsi la lumière et les
ténèbres, la chute et L'ascension, chacun pouvant être vaiorisé positivement ou négativement). Se
créent ainsi des champs Scmantiques, qui se résument B deux structures dans nos recueils : le
dualisme et 11euph6misme. Tout, chez Corinna BiILe et Anne Hébert, va par deux ; chaque
motif, chaque thème contient une double valorisation, et & chacun répond un Ccho inversé. La dualité et L'antiphrase se côtoient, l'me marquant L'aliCnation des personnages, l'autre, leur
enrichissement Voilà qui nous amène à Gilbert Dutaad et à sa classification de l'imaginaire en
deux Régimer, explicitée dans les Structures anthropologiques & l ' i rnag~ire .
Durand propose un plan d'étude des images fondé à la fois sur la bipadtion des Régimes du
symbolisme et sur la tripartition réflexologique constituée par les dominantes p~sturaie~ digestive
et rythmique. Il adopte une position aarhropologique e t oboerve une relative stabilitb des
structures de l'imaginaire. Les Régimes qu'il établit traduisent deux réponses ou solutions B i'ineluctable fuite du temps. Le Régime Diurne, d'abord, propose contre la fatalite de la mort la
quête, au niveau surhumain, de la transcendance e t de la pureté des essences ; il est fait
d'antithèses, de contrastes, d'oppositions et de confits manifestés par le manichéisme des
métaphores du jour et de la nuit, par la double polaxisation de l'opposition lumiere-ténèbres.
Pour pallier à l'irréversible temporalité, le Régime N o c m e incorpore plutôt une conception
circulaire et cyclique du devenir, ainsi qu'une euphémisation des valorisations négatives du
LS Loc* cit* L6 L. DOtEZEL, e Le triangle du doubk Un champ thématique m. dans Poe'ir'que, novembre -5, p. 463 -
Régime Diurne. Dans ses structures mystiques et synthétiques apparaît, grâce à LfantiphraseF
une résolution du conflit :
L'antidote du temps [...] sera 'J recherché [.--1 dans la rassurante et chaude inamité de Ia substance ou dans les constautes rytami-ques qui scandent réno no mènes et aaidenm Au @me héroïque & l'antithèse va succéder Ie régime Nénier de I'euphé~nisme~ Non serilement i a nuit succède au jour, mals encore et surtout aux ténèbres néfastes17-
Durand ktudie, inventorie et crasse les archétypes fondamentaux de i'imaghaîion humaine dans une perspective symboliqueue Ii onente ses recherches vers la psychanalyse, la psychologie,
la mythologie, l'iconographie, la poésie, la théologie- Son influence sur notre démarche,
essentielle, ne nous conduira pas relever systématiquement les motifs et les thèmes qui se
manifestent dans le Tment et dans Douleurs paysannes pour analyser leur potentiel
symbolique respectif et les répertorier selon qu'ils appartiennent à tel ou tel RéHme de l'image :
cela constituerait une fastidieuse étude mythocritique dont l'intérêt serait somme toute réduit,
puisque le travail d'interprétation se limiterait à déceler ou non la prédominance d4in Régime sur l'autre. Nous écouterons plutôt les personnages, qui sauront nous renseigner sur leur rapport à
leur identité et à l'altérit6, au divin et au naturel, et décrirons les univers imaginaires dans
lesquels ils évoluent, nous appliquant ii en distinguer la part destructrice et emprisonnante
(caractérisée par une quête inaccessible, extérieure à soi) de la part libératrice (bourgeon d'une révolte induisant la prise de possession de soi et du monde).
Malgré notre désir de faire converger les images et de correspondre au c lecteur complet »
d é f i par le critique Jean Rous~ctl8, malgré notre souci de mener l'exploration d'univers
cohérents et de saiSir les démarches créatrices d'Anne He'bert et de Corinna Bille, notre lecture
doit d'ores et déjà mcomAtre son caractère fragmentairetaire Face à lfimpossibilité de visiter tous
les réseaux imaginaires, nous devons renoncer à l'approfondissement de certains thèmes
(l'amour, la mort, la solitude, l'enfance) et en rejeter d'autres (le temps, le destin, l'espace). Au terme de cette sélection nous restent deux thèmes : I'aIiédon et la révolte, Ce seront les fds
que nous suivrons dans le but de comprendre le tissage dense de deux champs thématiques. Le premier se déploie, dans son aspect diurne, autour du noyau qu'est la dualité de la chute et de
l'ascension et fait intemeni- les motifs de la faute et du pardon, du charnel et de la
désincarnation ; dans son aspect nocturne, ce champ se construit autour de la descente
l7 G. DURAND, les Smctures anthropologiques de l'imaginaire, L963, p. 203-204. l8 H Ce lecteur complet que j'imagine, tout en antennes et en regards, tira [...] l ' amm en tous sens, adoptera des perspectives vatïables mais toujours liées entre elles, discernera des parcours formels et spirituels, des tracés privilégiés, des trames de motifs ou de themes qu'il suivra dans leurs reprises et leurs métamorphoses, explorant Ies surfaces et creusant les dessous jusqut?i œ que lui apparaissent le centre ou Ies centres de convergence, le foyer d'où rayonnent butes les snucnires et toutes les significatioas. œ que Claudel nomme le "patron dcapamîque" * (L ROUSSET, u Pour une Iecnue des formes s, dans Fornie etsignr~aîibn- fiscucu sur Ces stmcmes line'i.aires de Corneille a Claudel, 1962, p- xv),
bienfaisante au cœur de la nuit et englobe les moWs du désir* du miroir et de l'intimité- Le second champ thématique se met en place autour de L'oppositÏon de la lumière et des ténèbres, que rejoignent les motifs de la surdité et de la parole, de la cécit6 et du regard, de la noirceur et de la claaé, du noir et du blanc, ainsi que les images de l'eau sombre, de la chevehe, du sang et de la femme fatale ; lui aussi trouve son euphéinkation dans une orientation nochme, puisque
la dialectisatïon de la Lumière et des ténèbres réunit les moàfs du double, de Ia couleur, de la Iune et de la mort en un retour àc la terre et à la mèrG,
Lecture parallèle de deux recueils, notre mémoire ne se réclame pas de la littérature comparée,
mais se veut approche personnelle d'univers egaiement fascinants. L'6tude du Torrent, dans un premier temps, épousera la construction du recueil. Les chapitres 1 et II portemat sur la nouvelle éponyme ; l'analyse, calquée sur les progressions successives de Erançois, proposera une
interprétation de la chute du héros dans les eaux torrentielles. Nous retiendront ensuite at L'ange
de Dominique », « La robe corail n et « Le printemps de Catherine n, qui scandent un mouvement semblable, oit les hém.hes, menant leur révolte contre une SOCiet6 téductrice, dans
un contexte opprimant où prédomine le Régime Diurne de L"mge, sont amenées vers autrui
tout en goûtant au nocturne et réussissent à surmonter Leur dépossession initiale et à occuper une
place dans l'existence. Dans le dernier chapitre de cefte partie* nous nous pencherons sur la nouvelle de clôture du recueil, où l'existence de Stéphanie de Bichette semblerait, de prime abord, annihiler la quête des autres personnages ; notre lecture de cc La maison de l'esplanade >>
mettra plutôt en évidence l'aspect cyclique du Torrent, dont la structure oppose la figure du
cercle et l'union des contraires à la dualité, substitue le recommencement à l'idée d'achèvement-
L'approche de Douleurs paysannes, attentive à suivre Les fils de la toile taématique, ne
respectera pas la linéantt5 du recueil, dont la construction, plus homogène, s'avère moins
déterminante. Nous volerons d'une nouvelle à l'autre, faisant de multiples va-et-vient entre les
textes, réunissant les personnages animés par la même quête et blessés par les mêmes injustices,
cherchant d'abord les traces pr6cises d'un imaginaire d i m e (chapitre V), puis relevant, sur les
ruines de cet imaginaire, un réseau d'images nochinies (chapitre VI). Ce second mouvement de
l'analyse nous conduira vers la coalescence de i'être avec la nature, vers des correspondances
constituant le ferment de L'imaginaire nocturne, et permettra Ia mise en lumière de l'union des
contraires et de la coexistence des Régimes de l'image dans Douleurs paysannes.
LE TORRENT
u LE TORRENT m - PEMKERE PARTIE
De la dépossession évoquée dans l'incipit de la nouvelle éponyme du recueil le Torrent ii la
a rîchessel >> qui la clôt, François, Ie personnage principal, subit une évoIution, progresse
lentement, chute souvent, revient @ois sur ses pas, mais ne dévie jamais du chemin chaotique
qui doit l'amener vers l'aboutissewnt de sa quete : la prise de possession de soi. Dans cette
lecture où la marche de François nous guidera, notre propos se divisera en deux parties, de Ia
même manière que son parcours est marqué par deux étapes dont la seconde répète les
mouvements de la petnière.
<< J'étais un enfant déposs6dé du monde. Par le décret d'une volonté antérieure à la mienne,
je devais renoncer à toute possession en cette vie m. Cest par ce constat temble que Franpis, adulte, ouvre le récit de son avenhue. Cette d6possesSi011, nous le verrons plus tard, est le fruit
de l'éducation matemeHe, et le premier paragraphe amonce déja son immensité. En effet, le rêve et l'imagination sont interdits à l'enfant, qui ne se souvient u d'aucun loisir >>, ne peut
u Le torrent m. p. 67 ; toutes n a citations des nouvelles #AIME K-rt B 1'6tude seront daos le Torrent, 1950, 171 p-
touchler] au monde [queJ parfiagments w, chque chose, chaque être dexistant qne pour son
utilité » immédiate, Il n'a aucun accès B L'autre* à L'exterieur, ik la nature ou à Ia rêverie, et
précise à ce sujet : a [J non la poule qui se perchait sur la fenêtre ; et jamais, jamais la campagne offerte par la fenêtre *. a Je n'ai pas eu d'enfance S. ajouie encore le narrateur, qui regrette ce dont on l'a privé: les jeux et l'afkction matenieue- Fiançais se tcowe réduit
l'utilitaire, se perçoit lui-même comme un outil voué au travail et manié par Claudine, sa mère,
présentée comme une géante : a Je voyais la grande main de ma m&c quand elle se levait s w
moi, mais je n'apercevais pas ma&= en entier, de pied en cap- J'avais sedement Ie sentiment de sa terrible grandeur qui me glaçait2 B. Ce gigantisme dans la description situe la relation de
l'enfant avec sa mère sur un axe vertical et illustre la domination souveraine qui s'exerce. IL y a
ici abstraction du corps, qui n'est pas vu mais senlement d et agrandi par la peur, L'unique partie du corps de Ciaudine que voit François est la main qui s'abaissejusqu1& lui pour le frapper ; à part ces coups, aucun contact physique ne semble rattacher la marâtre à l'enfant-
Avant de chercher il, comprendre les causes de la rigueur de la mère et t'ampleur des
dévastations de son enseignement sur la personnalité de Fiampis, de présenter les motifs selon
qu'ils gravitent autour du duo de la chute et de L'ascension ou de celui de la Lumière et des
ténèbres, et d'indiquer, toujours en ce qui concerne la premiere partie de la nouvelle, les faillites
du Régime Diurne 6voquéës dans le texte, il nous faut rappeler l'analogie entre la pensé& chrétienne occidentale et le Régime Dicane des images. Notre but n'est pas d'exposer les
origines de la prédominance de L'imaginaire de type diurne dans le christianisme, mais de relever
parmi les corrélations entre l'un et l'autre celles qui intéresseront particulièrement notre étude-
L'enfer, d'abord, se charge de toute la symbolique thénomorphe et nyctomorphe négative : il
est un lieu agité, grouillant et bruyant - chaotique -, bas, caverneux et sombre, oh se
de'battent des êtres souffrants. Le paradis, pour sa part, rassemble des symboIes ascensionnels et
spectaculaires, endroit paisible de plénitude, de douce éternité celeste, O& L'$me pure s'elève
dans la lumière. Le caîhoiicisme prône également une vision du temps Linéak , avec un début et
une fin du monde, avec la naissance de l'être et sa mort d f i t i v e , et, pour paiier à cette fatalité
angoissante, propose la vie éterneile, existence enviable mais qui se mérite sur terre. Le motif de
la chute doit aussi retenir notre attention. Gilbext Durand explique que dans la BibIe, on a
substitué à la connaissance de la mort et ii L'angoisse temporelle la connaissance du bien et du
mal, sexuaiisée progressivement pour des raisons physiologiques La chuîe d'Adam et Ève, qui entraîna le péché originel et souilla chaque être, dès sa naissance, d'me faute, ne serait qu'un
[ t l d e r t grâce auquel L'attitude angoissée de l'homme devant la mort et devant le temps se doublera toujours dime inquiétude morale devant la chair sexuelle et même digestive- La cet animal qui vit en nous, ramene toujours à la mediîatïon du temps. Et lorsque la mort et le temps seront refusés ou
-- - -
Ibid., p. 9 ; les citarions précédentes sont tirCes de la même page.
combattus au nom d'mi désk p ~ I € ~ c p e d'&terni& la chair sous foutes ses formes, qékiatemwt Ià chaîr menstrueiie qu'est la fiMnité. sera redoutée et r@rowBe en tantqu'dliee secrète: de la tempraiïcé et de la mort?,
La verticalité ascensionnelelie est donc valorisé& positivement au sein du Régime Diurne comme
dans la foi chrétienne, où la verticalité spinnielle s ' o p à la p1aîitode c h e u e et B la ch* De manière générale, le manichéisme, la linéarité du temps et la transcendance, caractéristiques
d'une conception monothéiste, relient étroitement le catholicisme et la penséë diurne, mentalité
pilote pour L'Occident.
Dans la nouvelle a Le torrent », les thèmes majeurs de la religion cathoiique sont transmt-s à
François directement, brutalement, par la bouche de sa mère, qui, «en détachant chaque
syllabe, [pnonce] les mots de CC~hâthent", Lijustïce de Dieun, C C ~ ~ n , %der",
c'discipline", "péché origineL"4 m. Ainsi présentée, la foi cdpabihe et cloisorme l'être dans un monde manichéen où Dieu lève sa droitme, tel un bouclier, contre les forces du mai ; est prônée
l'adoration d'un Dieu de justice, intraiable, auqyel il faudra rendre compte de ses actes au jour
du jugement dernier. La mère transmet les temibles vérités et enseigne Ia notion de salut en
répétant la phrase suivante : r ti faut se dompter josqu'aux os. On n'a pas id& de la force
mauvaise qui est en nous5 B ! Pour combattre le mal inh6rent & l%re, il faut s'imposer m e
surveillance totale de soi, refouler le Ça et le Moi, n'écouter plus que le Surmoi.
L'image utilisée par La m&e n'est pas sans signiscation : « se dompter jusqu'aux os W . c'est
non seulement s'astreindre à des règies strictes de comportement, d'action et de pensée, afm d'éviter le mal, mais aussi renier sa chair, se désincarner pour atteindre la perfection, la blancheur et la transparence de l'os, pour s'elever et se rapprocher un peu de Dieu. Antoine
Sirois déduit, au terme de son article N Anne H h r t et la Bible =, a qu'Anne Hébert entretient
dans son œuvre une représentation vétém-testamentaire, axée sur la chute et le Dieu-juge, # n'est pas corrigée par le message plus optimiste du Nouveau Testament sous le signe du Dieu- sauveur" u. Voilà qui est bien illustré par le début de la nouvelle « Le torrent w , et à travers le
message religieux, c'est l 'haghak diume qui s'offre à notre analyse, le manichéisme des images, la transcendance de Dieu, la quête de L'élévation et le poids de la faute.
La mère inculque à François, & coups de mots censeurs, les préceptes d'une morale
catholique fortement teintée de jansénisme7. Eile impose à son fils comme à elle-même une
3 G. DURAND, ~cs ~ r n r ~ n r r e ~ unthrop~giqnes & fVimagi~*e. 1963, p. 11 1. a Le torrent 2, p. 10.
5 Luc. cit. A. SIROIS. a Anne Hekrt et la Bible m, dans Voir er UMges, printemps 1988, p. 471. A. HAYWARI) : r Le discours dans lequel Ftanpis est ne serait apparemment, si L'on en juge par le langage
que lui a inculqué sa mère, celui dtin -ciPrne jaménkie basé sur le reniement de la chair et du 'moi
rigueur de vie qui passe par lrabrutissement daos le travail et par une maîüïse totale du Moi ; eue
lui transmet le dégodt de du corps et de la faiblesse de l'être humain. Bref, elle aliène
totalement Eknqis* B 1a f& & mPmàt mligieuse, & i v e et sociale, car elle l'éduque en mpIi du monde (a Le monde n'est pas beau, b u ç o k Il ne faut pas y touches a. - Tons,
professeurs et élèves, ne sont 1% que pour un certain mornene, nécessaire B ton instruction et ta
formation. Profite de ce qu'ils doivent te donner, mais réserve-to~g B.), mais aussi
inteilectuelie ; une fois au c o i k g e , le jeune homme se méfie du savoit : « Fidèle à L'initiation
maternelle, je ne vonlais retenir- les signes extérieurs des matières B étudier. k me gardais de
la vraie connaissance qui est expérience et possessiodO S.
Si, selon le jansénisme, le destin de l'homme se rCsume être toujours pécheor, et si seule
m e vie de résignation et d'expiation peut laisser espéier Ie salut, Le respect de cet idéal asc6tïqne,
dans Le torrent B, fait de Claudine un boumeau et de Fianpis, un martyr- Les valeurs
spirituelles de la mère sont discréditées et se réduisent à une comptabilité de gestes ii faire,
soigneusement inscrits dans un camet, comme l'iidiqye ce qui suit : a En date de ce même
lundi, j'ai donc vu dans son carnet q~ cette etrange femme avait ray6 : "Blanchir Les draps", et ajouté dans la marge : 'T3attre Franç0is"~L B. Dans le même esprit, un montant d'argent,
désigné comme l'cc argent du mal12 s, est économisé puis brillé, dans le but de racheter la
faute, le piché : la pssesse hors mariage, h naissance de FranQois, d m t ill6gitime- D@, le
texte sugg6re la non viabilité, l'absurdité et le caractère destructeur de as valeurs, qui affectent le plus faible - l'eafant -, et illustre un ideai d'ascension biaisé, plus matérialiste que
spirituel. De plus, la mère s'inflige one peine pour se purifier devant Dieu, mais aussi - et
surtout - dans le but de réintégrer une société dont elle se trouve exclue- Et si la conduite de
Erançois revêt une importance capiîale à ses yeux, c'est que de cela dépend sa ~nabilitation : François, je retournerai au village, la tête haute. Tous s'inclineront devant moi. J'aurai
vaincu ! Vaincre ! C...] Tu es mon fils. Tu combattras l'instinct mauvais, jusqu'a La penection.
Tu seras prêtre ! Le respect ! Le respct, quelie victoin sur eux tous13 B ! . ..
haissabIem, ainsi que sur des concepts fondamentaux tels que Dieu et le diable- le mal et le bien, le péché originel, etc, II s'agit du discours d'une culture occidentale fmdamenÉilement p a t r i d e (même si c'est la mère qui le transmet) qui condamnait justement des gens comme F~a~çois. né sans "nom du père", et comme CIaudine* qui nia pas su résister aux tentations de ia chair en dehors du sacrement du -age * (a "Le torrent" 2 travers an jeu de miroirs *, dans M- DUCROCQ-POIRIER (dir-), Anne H i r t , pmcours d'une œ m e , 1997, p- 234)-
<< Le torrent *, p. 19. Ibid., p. 23.
l0 fiid-. p. 24- l1 fiid-. p- 12- l2 Ibid-, p- 65. l3 Ibid., p. 19-20.
Ainsi, l'existence de Erançois se résumerait B ce d e : permettre L'absolution de sa mère- Il n'aurait d'autre sur terre ; ce serait là, en queIque sorte, sa seule raison d'être, D'ailleurs,
il n'a aucune existence enppt, @cipant d e Claucüne comme le faait oa d. Il est le mai,
L'Ïncamaîion de la faute, du dGslr c h e L assom- une fois, ce qui lie intimement sa vie et son destin à ceux de sa mb, comme celle-ci ne cesse de Ie lui fain remarquer: << Cette phrase de
ma mère me martelait la tête : T u es mon f&- Tu me continue^'^ l4 m. Cette emprise idéologique
et physique, cette possession de Fianpis, C I a e les exerce par ses mains, sa parde et sai regard, Avec ces trois liens, eiie serre jus@& i'6tonffement le nœud destinal.
La parole est homologue de la puissance, isomorphe de la lumière et de la souveraineté
divine ; eue se traduit maténeiiement par L'éctiture et la phonétique ; elle est aussi langage,
expression de la possibilité de nommer les choses et les gens, de leur attribuer une
existence en soi, Or, François se trouve, au début du récit, privé de l'expérience du langage : II ne connaît ni le prénom, ni le nom de sa m&e, et cela contribue Lfem@cher dlentrevou
l'individualité de celle-ci e t de s'en diff6rencier. Pour Robert m e y , ce que combat Claudine,
par-dessus tout et par u le mythe de l'unité dsns la mntinuité15 m, c'est Mveil d'une dualité
entre François et elle-même, car cette dPalit6 rep&senterait la c o ~ n de sa faute. Dans cette
guerre à la séparation, Ciaudine ose d'abord de privation de la parole, et 1orxp'eUe rompt son mutisme, ses mots pèsent &autant plus qu'ils éclosent dans le silence, un peu comme la parole
de Dieu surgit du néant, Ce sont des mots qui dictent les vCrités tourmentantes de la -le suprême ou qiri réprouvent :
En dehors des lapas qureiie me donna jusqu'ii mon en- au collège, ma mère ne pariait pas, La parole n'entrait pas dans son ordre, four qu'elle dérogeâr iî cet ordre, il fallait que le prem-er j'eusse commis une transgression quelconque- C'est à dire que ma mère ne m'adressait [a parole que pour me réprimander avant de me pinir16.
Plus tard, alors qu'il erre sur le chemin B la recherche d'un visage humain, la révélation du prénom de sa mère par un vagabond - « l'homme homble17 n - provoque la première
expérience de langage de Fmçois, fêlure dans son unité originelle, pressentiment que rien, dorénavant, ne sera plus pareil : a Je croyais obscUrement que ce qui allait suivre serait à la
hauteur de ce qui venait de se passer. Mes sens, engourdis par une vie contrainte et monotone,
se réveillaient. Je vivais une prestigieuse et terrZante aventure18 B. Mais, par le biais de l'écriture, la mère ne tarde pas à renouer ce quiin mot (le prénom a Claudine ») avait délacé :
. - - - - . - .
l4 ib id , p. 22. l5 R. HARVEY. r Pour un nouveau Torrent r, dans A. HEBERT. le Tomnr. 1989. p. 10. l6 * Le torrent *, p. 10. 1' ha., p 15- ls nid.. p. 18.
Dans ce cercle 1- les mains de ma m&re entrèrent en adioa Hie s'empara du livre, Un instant Ie a Claudine » écrit en lettres hautes et volonfaîres capta mate la Ib&xe, pais il dispanrr et je vis venir à la place, tracé de la m€me &-&-e altière t a Fmçok *- Un François m en encre f&chf, accol6 au a Rrrault rn & vieilie encre- Et alasl dans a rayon &tnn*t, en 1'- & qodquts minutes. les mains Impcs jouèrent et scciièrcnt mon destin19-
Claudine fait acte de parole ia manière du Dieu de l'Ancien Testament, qui dicte les tables de la loi. puis ordome une alliance avec son peuple; la parole et le mutisme de la mère sont omnipotents, et François n'a pas d'amie pour luîter contre cette emprise, la c o ~ c e du langage lui ébnt refiisee-
Les mairis de Ciaudine accompagnent ses mots dans la lutte pour limité et la dépendance : leurs coups soulignent les termes réprobateurs ; elles cimentent le destin de F-çois en écrivant son prénom aux côtés du nom de Penanit, Elles diffèrent de celIes 6voqnées dans un jpème du recueil le Tombeau &s rob*O, qui nous montre des mains ouvertes sur l'extérieur, tendues, en attente de lumière, espérant l'amiti6 et l'amour, cherchant L'autre malgré une fatalité qui contrarie
leur volonté. qui les empêche de saisir quoi que ce soit. Les mains maternelles. dans r Le torrents, ne donnent et n'attendent rien, ne sont ouvertes sur aucun monde, mais dérobent, privent, entourent la destinée de h p i s , se r e f a e n t sur lui comme un étau, i'étreignent, le privant ainsi de toute autonomie, appartenance au monde, identité ou indépendance.
La troisSrne voie par laquelle s'opère l'emprise de Claudine est le regard Ià encore, il y a
une @vation chez le h6m, une forme de &cite induite par la marâtre qui L'empêche de voir le corps de celle-ci, son visage notamment. qu'il craint d'observer en entier : cc Quant à ma mère, seul le bas de sa figure m'était familier, Mes yeux n'osaient monter plus haut, jusqu'aux
prunelles courroucées et au large fiont qye je COMUS, plus km& atmcement ravagé21 m. La
cause du handicap de la vue de Fkqois (qpi s'accompagne dime amputation des autres sens) réside dans l'omniprésence du regard témoin et juge de la mère, qui valorise le Suntloi et
s'enquiert de ia conscience morale, qui domine, ordonne et culpabilise, regard souverain qui a
pu dérober celui de l'autre. Claudine L'utilise et fpit des séances visant à raffermir son autorité :
L& je commençais à frissonner et des [armes empü=*ent mes yeux, car je savais bien œ que xna mère allait ajouter : - François, regarde-moi dans les yeK.- Ce supplice pouvait durer longtemps- Ma mère me fixait sans merci et moi je ne parvenais pas ih me décider à la regiiider- EUe ajoutait en se levant : - C'est bien, Eranpis, L'heure est finie.-- Miiis je me souviendrai de ta mauvaise volonté. en remps e t Iieu*2-- -
l9 Ibid., p. 21-22. 20 id., u Les mains B. dans =me poe'iip 19504990. Lw, p. 18-
s Le torrent s, p. 12-13. 22 Ibid., p, 11.
En fait, fixant son fils, elle teste son pouvok Fmçois dose levet les yeux jusqu'ik elle pour la
regarder ; il appréhende sa vue comme iI craint d'apercevoir a l'ombre possi7>e de la face nue de Dieu23 M. Se soumettre à ce regard accusateurp c'est accepter sa d 0 ~ 0 1 1 , h outre, les
yeux sont ici un mironet ceux de Claudine domeraient à voir l'âme violée de son nIs, Celui-ci,
pour se protéger, emplit les siens de I m e s , les brouille? les rend opaps7 afm d'éviter que la
terrible lumière lancée par le regard obsédant de sa m5re ne le transperce.
Nous avons insisté sur le caractère plus matérialiste q w @tuel des valeurs transmises par
Claudine, puis avons montré comment eile tresse ensemble l'existence de son nIs et la sieme, exigeant de lui le rachat de sa faute et L'expiation du péch6 de sa naissance. Les premières images
du texte décavent M climat de tyrannie, de contrainte, et une vie quotidienne régie par mie
comptabilité rigoureuse. Le temps est mesuré : K [...] les heu= de sa joumée s'emboîtaient
Les unes dans les antres avec une justesse qui ne laissait aucune détente possiW4 S. De plus,
Claudine économise pour rembourser sa dette envers k, répertorie Les désobéissances de
François (*t [...] ma mère enregistrait minutieusement chacun de mes manquements pour m'en dresser le compte, un beau jour G..]zm.), prévoit et d t clans un carnet les corredions
nécessaires à L'oducaîïon de son fils. Eu fait. elle agit ainsi par rigueur envers elle-même, et cette
retenue contribue Zi 1u.î assurer sa supériorité, de quoi François prend conscience :
Je ne distinguais pas pourquoi m a mere ne me punissait pas mr-le-champ- D'autant pius que je seniais cdi&ment qu'elle se dominait avec p e h - Daas Ia suite j'ai cornpis qu'elle ainsi par discipline envers eue r u pour se dompter elle-même m, et aussi œrealnement pour rnrmpcessior.mer davantage en &abIIsant son empri-se ie plus profondément possi'ble sur moi26-
Meüant en lumière l'ampleur de l'aliénation du personnage principal, décelant les causes de sa
dépossession, saisissant les motivations de la mère dans son obstination à maintenir liinité avec son £ils, établissant que la parole, les mains et Ie regard de CIaudine sont des cha uies rattachant François à c son destin funeste27 >F et qu'ils symbolisent une verticaiité - ces liens signifient
la souveraineté, l'autorité qui vient d'en haut, et la transcendance comme quête d'absolution
(plutôt que d'absolu) -, nous avons déjà effleuré œ qui retiendra maintenant noûe attention :
la dualité d'une symboiique de la piiri£icatiou ascensio~elle imaginée contre la faute ou la chute.
Gilbert Durand précise qu'une grande épiphauie imaginaire de l'angoisse humaine devant
la temporalité D est « fournie par les images de la chute** B. il s'agit d'un thème néfaste et
23 Ibid., p- 24- 24 Ibid., p. 9-10. 25 Ibid., p. 11- 26 rbid*, p. 11-12. 27 nid-, p- 14. 28 G- DURAND, op. cif., p. 11 1.
mortel, moralisé sous fornie de punition et en particulier dans la reügion chrétienne, devient
l'emblème des péchés, La chute, qu'elle soit symboiIqae ou réeile, est mie dkgringolade jusquraa cœur de Lfintimit6 profonde de l'êtxe, de son psychisme. vers un lien peuplé des terreurs de l'enfance et du passé? habité par des puissances mfeniales. EUe peut aussi être
enfoncement dans une semaLite condamnable, dans Ie désir abArnaut de la chair- Oatre sa faute,
péché charnel qu'elle tente IittéraIement dë racheter et qui l'a mise en marge d'une société qu'elle
espère réintégrer par la pêtüse de son fds, c'est la chute qye l'enseignement de Claudine, par
une ascension plus sociale que spirituene, vise à eloigner. Cela passe par un douiement de ce
qui fut à l'origine de la chute, ce qui donne lieu à une sublimation de la chair et du Moi au profit
d'un désir de pureté, de désincarnation, d'ascétisme, de maîtrise de soi et de puissance-
Parmi les images de la chute contre lesquelies lutte la mère de -s apparaît, dans le texte?
celle de l'écoute de soi- Afin d'éviter le pernicieux dévoilement du Ça et dn Moi, Clandule prône une surveillance de tous les instants, une observance des Lois véhiculées par le Surmoi, en
répétant des phrases brèves, tranchantes d'absolu. Ces sentences ont d'autant plus d'impact sur
l'enfant que la mère se domine dans l'ins&ant où eue les f o d e , appliqnant ses prCcepes B son propre comportement. I 5 effet. si elle damive pas à camoufier sous la droiturp de son caps
toute la violence qui L'anime, elle parvient & édulcorer son intonation :
Ses yeux lançaient des flammes Tout son être droit, cires& au milieu de la pièce, exprimait une violence qui ne se contenait plus, et qui me figeait à la fois de peur et d'admiration- Elle répétait, la voix moins dure, comme se parlant à eue-m2me : u La psiusion de soi,., la mîse de soi--- surtout n'être jamais vaincu par soi2g... *
C'est ainsi que François apprend à se contrôler perpéniellement afin de n'agir que selon un ordre
établi, sans jamais sfintenoger ni explorer sa conscience ; sa r n h veille & œ qu'ii ne déroge pas à la loi et le sermonne lorsqu'elle e devin[e] un d w o M.
Toute la direction morale de Claudine vise à empêcher François de se co~ai*tre, et l'isolement
semble participer de cette éducation- Le Iieu où grandit i'enfant, en fait, constitue un exil à la fois
géographique (a Nous demeurions à une trop grande distance du village, même pour aller à la
messe31 B. - a Notre maison s'élevait à l'écart de toute voie de communication G-.P2 B.) et
social (a J'allais avoir douze ans et n'avais pas encore contemplé un visage humain, si ce ntest
le reflet mouvant de mes propres traits, lorsque l'6té je me penchais pour boire aux ruisseaux33 m.). C'est sans doute en partie pour saisir sa propre physionomie, pour mieux se
29 M Le torrent s, p. 19. 3O LOC. cir. 31 Ibid., p. 13. 32 Ibid., p. 14. 33 Ioid., p. 12.
cerner soi-même, que François veut * [vJoir de près e t en détail une figure humallie », d6sïr <c augmenta[nlt de jour en jour et m] pesa[nIt comme une B. Souhaitant rencontrer
l'autre, espérant secrètement croiser sur son chemin quelqu'un qai lui msembierait, à qui il
pourrait aisément s'identifier -mi enfant -, il suit son désir a trop pressant, trop désespéré », et marche jusquf8 la grand'route, événement dont iI fait le récit :
Je n'osüs marcherdessus et je suivais le fOSSeOSSe Tout &coup, je butai sur un corps &endu et fus projeté dans la vase Je me levai* amstcmé iî la pcasBe & mes habits sahs ; et je vis l'homme homie à côté de moi II devait dcmnÏr Ià. et maintenant il s-t lemtement- Cloué sur place, je ne bougeais pas, m'attendant 8 être tué pour le m a Je ne trouvais m?me pas la forice de me garantir le visage avec mon bras35-
Ayant transgressé les interdits, François se trowe immédiatement puni par m e 00- de justice
immanente- Symbdiquement, la pédagogie maternelle 1'-t wmme suit : en voolant voir
I'antre dans le but de circonscrire son p r o p visage, on fait la rencontre du mai et on tombe dans
une boue souillante qui nous marque corporellement de la faute morale, c'est-à-dire de l'envie narcissique de se connaître.
Claudine arrive à la rescousse, affronte le clochard et renvoie Fianpis B la maison, La rencontre échoue, puisqu'elle ne répond pas aux attentes de lVenfsu1tt Par contre, elle lui pemiet
de nommer sa mère, d'une part, et, de l'autre, de la contempler de pied en cap : a Ma mère m'apparut pour la première fois dans son ensemble. Grande, forte, nette, plus puissante que je
ne Pavais jamais cm36 u. Cette nouvelle perception ouvre une brèche dans lfaü6nation, car elle
représente une première expérience à la fois du Iangage et de la vision et marque, par ce fait, une
séparation physique et affective de l'enfant et & Claudine. Fianpis peut distinguer celle-ci, l'identifier par son prénom, la voir et s'en différencier ; dès lors, ses sens, qui n'ont pu éclore
au sein du couple qu'il formait malgré lui avec elle, qui ont été réprimés par une surveillance
omniprésente, se réveillent. La découverte de sa mère en tant que femme lui fait éprouver 4 un inexplicable sentiment de curiosité et d'attrait,. émoustille sa seasuaüté, lui procure
l'impression de vivre r une prestigieuse et terrifiante aventud7 m.
L'a homme homble » symbolise ce que Claudine combat obstinément - Ie mai -, et
c'est de cet être que François reçoit sa première m e pour affronter celle qui deviendra son
adversaire. Dans une contre-attaque efficace, la mère rappeile cependant au fils que Le salut
impIiqye la lutte contre le mal et le renoncement au monde ; de sa r voix coupant$* *, de son
regard qoi hypnotise, eiie dénonce le désir secret de F'rançois et tente de rétablir M t é en périt :
- C'est beau un être humaüt. hein, Fhu+s ? Tu dois être content dfav& enTm contenipl6 & pds un visage- C'est ragoûtant, n'est-ce pas '1 Au comble du troubieck voir que ma- am-t po&Vmaun m q u e je ne iuî avak jamais amfie- je levai les yeux sur elle, semMabIe àqueIqurun qm a perdu tout contrôie de sol, Et, crest mes yeux retenus dans les sierrs, que se deroula tout l'entretien- Pt5tais paraiysé, magn6tisé par Ia grande Ciaridine- - Le monde nrest pas beau, FianWsS II ne fat pas y toucher- Renonces-y tout de suite, g6ndreuSerncIlt Né tktîade pers- Fais œ que I'oa te &maack, sans regarder alentour- Tu es mon €&- Tu me continues- Tu cornbarnas 1'1nstinct ruawa~g* jtisqu'à lapcrfidg---
Pour Claudine, il est doublement nécessaire de refuser l'altérité à son fils : d'abord, pour l'empêcher de se constituer une identité, autrement dit de fouiller Ia dangereuse obscurité de sa
conscience ; ensuite, pour le tenir à L'écart de la dssance de l'antre (au sens bibiiqpe), lui
éviter la chute charnene- Le contact avec l 'ami au bout du compte, ne porte pas ses nuits, et
François se recroqueville dans son isoiement : « Le résultat pratique, si lron peut dire, de ma
première rencontre avec autnii, fut de me mettre sur mes gardes et de replier à jamais en moi tout geste spontané de sympathie humaine- Mk mère -gistrait une vïcto* m.
Le thème de la chute présente dans la nouvelle d'autres facettes, multiples. Ainsi, plusieurs images indiquent une quête & la dési~lcamatïon et un reniement du corps et du désir. La poitrine
de Claudine est emprisonnée dans un (corsage noir, cuirassé, sans nulle place tendre oh
ptuisse] se blottir la tête &un enfant41 B. A cette rigidité correspond la séchexesse de la terre
travaillée : K Les grands champs >F du domaine sont dc tout en buttons durs » et si difficiles à
labourer que le r vieux cheval, Éloi, en est more2 m. il y a dans ces images une inversion des
valeurs symboliques communes : le corps de la mère interdit tout réconfort, et la terre est plus meurtrière que nourricière. M6me la f e t é de Clandine annt'hilk par sa t d e et sa force physique ; cc [glrande, forte », elle se déplace avec de « robustes enjambées >, et h p p e violemment le vagabond, La descx%ption faite par François est, il ce titre, significative. Claudine écrase sous ses pieds le clochard, tel M saint Georges terrassant, sous la figure du dragon, le mal : Ma mère était debout, immense, 2 la lisière du bois, la trique tonte fretmissante à la
main, l'homme étendu à ses pieds" m. Par ailleurs, le nom « Perrault s (père) ne reflète-t-il
pas Le caractère plutôt phallique de la mère, dont le prénom «Claude», indéterminé sexuellement, n'est féminisé que par le diminutif -ine ? Ce nom de f d e peut, en outre,
-
38 Loc. cil* 39 Ioid.. p. 18-19.
Ibfd-. p. 22. 41 Ibid-. p. 13. 42 ibid.. p- 14. 43 nidd. p. 17-18 ; I e s deux citarioas précédentes sait €gaiement arCes de ces pages.
souligner ou combler le manque du nom du père pom l'enfant üIégitime et îndiqyer le cazactre
patriarcal du système dans Iequel évoluent les personnages-
Le discours de Ciaadine (et celui du catbdicisaie j-ste) dévalaise le corps, dont le reniement est indispensable au s a h L'agenopillement dome L'exemple du corps rnaiat&é et
soumis- La verticalite5 permet de recevoir le pardon transcendantal, de re$anler vers le haut avec
une humilité aftichée. Fianpis passe qyelquefois son r dimanche presque entier à genoux sur
le plancher, en punition de puelque f a 6 B. et Ciaudîne elle-même ne se amtente pas de
durcir sa silhouette en L'enfermant dans M corsage rigide, mais travaille sans relâche, &@me sa
violence et bafoue le corps de son füs en lui infligeant des corrections corporeiles. Au collège,
elLe lui conseille de s'imposer des r mortificati011~ B, afin de combattre <c la mollesse, [slon
défaut dominant45 B. Symboliquement, le c o r p ~ n'est acceptable que durci et asséch6, am fois
détruites la tendreté et L'humidit6 de sa chair, lorsque ne demeure qye la p e ~ i o n de son
essence : L'os. Ciaudine, rappelons-le, répète inlassablement qd« fil1 faut se dompter
jusqu'aux os m. Cette image du corps sublimé et réduit sa quintessence se retrowe dans la
religion catholique, sous la forme de l'hostie bIanche et mince, transsubstantiation du Christ
sadé pour le salut des hommes- Or, lorsque Claudine tvoque la pfitrise, qu'elle souhaite pour son H s , elle ne lui indique pas le caractère emblématique de la commwiion : « La Messe, ctest
le Sacrifice. Le pdtre est A la fois saaï.fïcateur et victime, comme le Christ. II fallait qu'il
s'immolât sur L'autel, sans merci, avec l'hosti* B.
Pour éviter la chute, funeste descente qui conduit l'être accabié du poids du péche vers
l'exclusion sociale et L'enfer, Ciaudine impose à son fils des règles strictes devant pennetire le
rachat de la faute et la remontée du gooffre, la ré'uisertion sociale et religieuse, le respect des
hommes et le pardon de Dieu Toute son instruction se fonde donc sur une dichotomie et scinde
l'être en deux, entre son corps dévalorisé et son esprit valorisé, entre l'interdiction de la
comaissance de soi, de L'autre et de la chair (qui conduit à la chute) et la quête de l'ascétisme et
de la désincarnation (qui permet de s'élever). A cette dualité, il faut maintenant en ajouter om
autre, celie des ténèbres et de la lumière, qi9 regroupe les métaphores contradictoires du noir et
du blanc, de la nuit et du jour, de l'obscurité et de la clarté- L'étude de ces images nous mènera
au fond des ténèbres, là où devrait se profiler l'éclat victorieux de la lumière.
Au sein du Régime Diwne de l'imaginaire, le noir accompagne le deuil, la mort et le
renoncement aux plaisirs du monde, alors que le blanc illustre la propret6, L'ordre et la puret& La nuit, sinistre, angoissante et amplificatrice des bruits, renferme l'agitation et provoque les
cauchemars ; I'esprit semble errer dans I'Mrnitnde des ten&bres, et cette quête Zndé£hie entraîne des formes de cécit6 Aux symboles téne'breux s'opposent ceux du jour, de la lumi&e et du solefi, qui percent l'obsc~t&, proposent des images rassurantes dës personnes et des choses-
constituent une force de vit, Dans cette partie, nous venons comment chez Ie héros la prise &
conscience de son aliénation et Ia révoIte en germe vont de pair avec un progressif
bouleversement des valorisations du Jour et de la nuit-
Toute la pédagogie de Ciaudine a pour but de prévenir lrobscUnt€. Ses mains qui hppent, sa
« voix coupante B e t son regard r lanç[w des flarnmd7 * sont des armes qui Messent les
yeux de François pour L'empêcher de voir le noir de ce monde, gni d6truisent son corps en
séparant le beau du laid et le bien du mai, Le &%ut du récit nous montre un enfiant par la
peur de la morf mqendn a l'écoute dbn silence a lourd à mourir m. n'osant bouger les soirs où il croit [s]a mère occnpée à pnpée@ rn ; sa &te des ténèbres, inculquée, se conjugue dors avec le pressentiment de sourdes et imprécises menaces : ci I'attendais je ne sais quelle
tourmente qui balayerait tout, m'entraînant avec ma m&re [.--]49 >>- Comme L'obscurité et le
silence l'angoissent, la lumière, sans être créatrice, le rassure-
Le jour que Fmçois part à la recherche d'un visage humain, la route qui s'étend devant Ini, a triste, lamentable, unie au soleil, sans âme, mo&o m. le déçoit. Les rayons solaires
n'éclairent que l'absence, ne dent rien, dévoilent le vide. hilalgré cette faillite de la tumièxe, le noir ne s'euphanise pas, et l'incarnation du mal qye rencontre h ç o i s est un condensé de
symboles nyctomorphes et thériomorphes. Le vagabond ressembIe à un monstre poilu vivant dans des eaux noires et possédant un rire quasi satanique :
L'homme etait de. Sur sa peau et ses vêtements alternaient la boue sèche et la boue f r a k k - Ses cheveux longs se cmfkhïent avec sa barbe, sa nioustache et ses énomies sourds qui Iui tombzüent sur Ies yeux. Mm Dieu, quelle face faite de pals Miisséis et de taches de boue ! Je vis la bouche se montrer Ià-dedans, giuante, avec des dents jaunes, Je voulus F'r- Cs,-] L'homme nt- Son rire était bien de lui. Aussi ignoble que Lui. 1.-.] Je senais son odeur fauve se mêler aux relents du ma&ag$l.
François se raccrofhe à son imaginaire diunie et espère qu'après r la terreur et [le] dégolit B
viendra « la justice de Dieu52 B. Le soir. dans la cuisine a sombre B, une scène a au caractère surnaturel » se déroule et laisse p d t r e une lumière dont l'éclat diminue, se restreint à un << cercle lumineux n au << rayon étroit B. Cest sous ce K rond de clarté3 » que les mains de
- -
'' Ibid.. p. 19. Ibid., p. 13.
49 Ibid., p. 13-14. fiid., p. 15.
51 Ibid., p. 15-16. 52 Lbid-, p. 16. j3 nid., p- 31 ; les citations précédentes sont riras de la même page.
Claudine accolent fe p&om de François au nom de Perrault, Iiant ainsi les deux destins- II y a dans ce passage un affaibfissement de la Iumière qyi annonce déjà le caractère noctonie de Ia seconde partie de la nouvelle- Claudîne semble -tir une possible défiaite du d i m e après la
rencontre avec le mal, qu'elle tente de fain oublier il son fils par un retour à l'ordre et aa
quotidien- François racone : rr Ce jour extraorcihaire disparu, je m1efforçaÎ, sur L'ordre de ma
mère, de le repousser de m a rn6moIreC Fom6 depuis longtemps par une règle de fer, je réussis assez bien 2 ne plus penser consciemment aux scènes écoulé& et &accomplir mecani~uement les tâches imposées54 B.
Puis Claudine expédie François au collège, où Lrapprentissage remplace les travaux de la
ferme- François étudie les matières, obtient dtexceiIents résultats et récolte des prix malgré qu'il
s'applique, selon les Instnictions maternelles, B rester hors de la caanaissmce en m6morisant
simplement a des dates, des noms, des règles, des préceptes, des fonnu.les%~ Une
impression nouvelle vient cependant le troubler en lui d6voilant L'ampleur du vide de son
existence et toute l'étendue de sa dépossession :
Une ou deux fois, pourtant, Ia grâce m'effleum J'eirs L'apenoeptim que la tragedle w le poème -ent bien ne déptndre de leur pope faialld inffi-eme, madition de l'œuvre d'art- Ces révéiaîiotls m'atteignaient douloureusem~~~t- EL une seconde, je mesurais Ie mhnt de mon existcnce, Je pressentais le desespOïr. Alors, je me raidissais- J'absorbak des pages entières de formules c ~ q ~ a S d S d
Cette étincelle qui naît dans la pensée de François traduit en fait trois vérités- D'abord, il pressent
que l'art a sa propre nécessité interne et, plus encore, que cette fatalité participe de l'achèvement de l'œuvre- Ensuite, et puisque Ia << grâce M, qui est conscience, l'atteint contre son gré et par le
biais de l'art, la rencontre entre l'être et le chef-d'œuvre n'est pas casuelle, mais forcément
inéluctable. Toute personne percevrait la finalité de l'œuvre, celle-ci repmkntant, incarnant et
illustrant le fatum humain. Ceüe révélation s'avère du coup une dénonciation du manque à la vie
de François, qui n'a pas accès à sa propre conscience. I l lui apparaît qu'il ne se possède pas
parce que sa mère lui impose une vision du monde néfaste, fui interdit l'exploration du Moi et
l'appropriation de sa destinée, Pour contrer les interrogations d'une conscience ténareuse, i l se réfugie dans une forme atmitissante d'apprentissage scientifique et y trouve un substitut aux préceptes de sa mère.
À dix-sept ans, après avoir raflé tous les prix au collège, Erançois prend une consficnce de
plus en plus aiguë de son aliénation: la joie lui reste refusée, et les livres de prix ont une « [c]ouleur de fausse gloire n, « [s]ipes de @]a fausse science n, cc [slignes de [s]a
s e ~ t u d e 5 ' >L La renconûe avec le vagabond, le rétrénssement de k lumière, b d&ir de
plonger dans sa conscience, tout cela aiguise sa déception et permet, sans doute, L'avènement de
sa première opposition verbale B l'autorit6 matemene : « - Je ne retournerai pas au cdlb&e- Je n'irai jamais au séminaire ! Tu fais mieux de ne pas compter sur moi pour te dorer une
réputation58 m... La réprimande de Clandine ne se fait pas attendre ; elle tombe, implacable :
Ma &rie -t comme une tigresse- c.-J Mia mère me frappa plusleurs fois à Ia tête, Je perdis connaissance, Quandje rouvris les y e w je me trowais seul, étendu sur le planchm. Jë ressentais une douleur vioiente à la tête J'6ta.k devenu dg,
L'ambition de Claudine se trouve dktruite ; son ho- ne sera pas sauvé par son fils, elie a
elle-même délacé le nœud destinal qin limissait B François- Qyant à celui-ci, il ne pourra plus racheter la faute : le trousseau de clefs, avec u son éclat m€tallique B, s'est abattu sur iui
comme un K éclaiib0 B ; la lumière l'a atrophié iritemédiablement. Paradoxaiement, la @vation
d'un de ses sens induit une fêlure dam LCaliénatïon de ltadoLescent. En effet, la surdité le rend
perméable au rêve et lui révèle un nouvel état :
Le silence lourd de la surdit6 m'envahit et la dïsponibiW au rêve qui se montrait une smte d 1 a c c 0 m ~ e n t . [..,] j'm-s en moi le turent exister. notre maison aussi et toirt le domaiae- Je ne posdaïs pes le modef mais ceci se trouvait changé: une partîe du monde me possédait, Le domaine dreau, de montagnes et d*mm bas venait de poser sur moi sa touche souveraine, Je me croyais défait de ma mère et je me decou--s dpautres liens avec la tem61.
Les liens qui l'emprisonnaient sont bouleversés ; ies forces cosmiques remplacent la mère- Erançois passe sous la domination d'une mère supérieure et plus naturelle à la fois. Rivé &
l'ouïe, il découvre, petit à petit, une existence plus sensorielle et sensuelle ; le rêve et
l'observation de la nature qui l'entoure le conduiront à saisir la dualité du cosmos et à se laisser
pénétrer par les ténèbres.
Le regard neuf, les sens en Cveil, François explore pour la premih fois les alentours de sa
maison. Il y décele un ordre particulier où cohabitent, en bquilibre, le c sol austère >* et les
a champs cultivés », e le déroulement des bois » et le « rythme heurté des montagnes
sauvages >>, la rivière molle B et a le torrent W. L'eau contient sa dualité propre et paraît, de
prime abord, faire le lien entre des déments opposés, tour à tour traversant « la fraîcheur de
L'air >> et se faisant torrent << bouillonnant dans un précipice de rochers6* B. Cette eau, lien maternel et substance prénatale, fait découvrir à François une union profonde avec la terre, car
57 Ibid., p. 27. fiid., p. 28.
39 Ibid., p. 29. 60 toc- cil.
ïbid., p. 29-30. 62 Ibid., p. 30 ; les citations précédentes sont tiraes de la même page.
elle a le pouvoir de creuser Ies rochers et dVMtrer l'obscwié du sol, de retourner à sa source,
au marecage où eue se codond avec la terre, L'eau torrentielle, son gofit et son odeur,
envahissent maintenant tout L'nnivers de François et s'immiscent jusque dans ses veines ; le jeune homme appartient dorénavantau t a et au ressac de celui4 correspond le flux torturé
de son sang : <c Mon sang coulait selon te rythme précipité de l'eau houleuse63 W .
François, qui a grandi en accumdant les échecs de communkaîion, decouvre, grâce au torrent, un possible partage : r J'dais vers le mowement de L'eau, je lui apportais son chant,
comme si j'en étais devenu i'unique dépositaire. En eChange, l'eau me montrait ses
tournoiements, son écume, tels des compléments nécessaires aux coups heurtant mon front S.
De plus, le torrent domie l'exemple de la lime entre les forces contradktoiress. afbntement perpétuel à l'origine & la puissance de l'eau, car engendrant une force centrifbge lui permettant de fendre le roc, d'éroder la pierre et & pénétrer dans les tdfonds de la tem : a Non une seule
grande cadence entraînant toute la masse d'eau, mais le spectacle de plusieurs Iu#es exaqér&s,
de plusieurs courants et remous intérieurs se combattant fémcement»- François pressent, à
travels la leçon du t o m la violence qm l'haste, les tommen& qui déchireraient sa conscience s'il osait I'interroger ; mais, encore sous l'emprise du joug maternel, qui lui interdit toute
introspection, il craint l'accès à son int6riorité. qui ne serait que r [flausse paix, profondeur
noire », « [rlésenre d'effroi ». Une équivalence ne manque pas de srétabLir entre la quête de sa
conscience et le précipice dans lequel grondent les eaux, et alors qu'a imagine s'y laisser sombrer, il y voit 1'iIIustration terrestre d'un abAme infernal prenant La forme d'une bouche dévorante, représentation ve'hicdée dans l'imaginaire catholique et relevant du Re'gime Diurne : K Quelle pâture pour le go& qui devait décapiter et démembrer ses proies ! Les déchiquete W... Même si François n'ose pas s'abandonner au torrent, qui réunit les vdorisations négatives de la chute et des ténèbres, et malgré son désir de s'émanciper de toute
emprise, il subit à son insu, pendant qu'il observe N L'avance de l'ombre sur les feuilles65 *, la progression du nocturne dans son âme-
Alors que le torrent qui bondit dans la tête de Fkanpis métapho~se son inconscient refoule',
un cheval indomptable symbolisera sa vinlit6 et sa violence enfouies. Ce cheval est appelé Perceval, nom évoquant, comme l'indique Anuette Hayward dans r 'Ze torrent" à travers un
jeu de miroirs m, la quête du Graal, quête de i'iipossible par un chevalier à l'âme pure, et
rappelant ainsi les notions de pureté, de sacrifice et d'élévation instaurées en François par le discours janséniste de sa mère. Ce nom peut aussi se décomposer en <c père w et <4 cheval », ce
63 ?&id., p. 30-3 1. a Ibid., p. 33 ; les citations précédentes sont tirées de la même page. 65 nid-, p. 3 1.
qui vient corroborer L'interprétation faisant du chevd Le substitut du père manqIlStIlt, fi effet,
F m o i s l'envie et le considère comme e l'être de fougue e t de passion cpril] aurai[t] voulu incarner *. Perceval, toutdos, s'il représente t o m Ia *té manq11~t11t au ms prive de père ou,
plus précisément, la viriIité refoulée & cause de l'enseignement castrakm de la mhre, semble
avant tout sorti des tenèbres ; animal de feu et de fureur, il a L'apparence d'un cheval échappé de
l'enfer, comme en témoigne cette description de Erançois :
Toute no- sans cesse les naseaux fumants- l'écume sur te corps. cette bête frémissante L,-] ne cessait pas de souffler bnryamment, de doMer des coups de sabots dans sa stalle- De moa abn je voy-s Ia beik roôe & aux reflce MCUS. ~ c s courants éïectxiqycs --eut son 6phe dcma~es-
Alors que le torrent, fié à L'inconscient, montre la puissance qui découle de la rencontre des
contraires, Percevd incarne Ia résistance de François à Clandine, sa K haine C.--J mûre et à
point, [mais] Liée et retenue67 B- ~~ le jeune homme décide de fPue éclater sa révolte, il lâche Perceval, et, par le biais du cheval qm piétine la mère, il commet symboliquement un matricide. Certes, la mort de Claudine accidenteIIe, mais La culpabilité qden ressent par la
suite François nous permet d'affirmer qnwII s'agit d'un acte désiré : r Ce démon captif. en
pleine puissance, rn1e%louissait. Je lui devais ni hommage et en j d c e aussi de lui permettre d'être soi dans le monde. A q d mal voulais-je rendre la I'berté ? ÉFait-il en moi68 n ?
L'événement de cette mort met fin au combat engagé le jour que le fls avait osé s'insurger contre la volonté de sa mère Depuis, Claudine enregistrait ses manquements et supportait l'insoumission du cheval sans rien laisser paraître, tandis que François alimentait sa révolte aux
sources du torrent et auprès de Perceval, sachant r que bientôt ce serait inutile d'essayer d'éviter
la confrontation69 B. Claudine, qui croyait mener une quête de pureté passant par le contrôle de
soi, de ses pulsions et du mal, perd justement la lutte contre le mal, et cette défaite montre la non
viabilité de sa m o d e restrictive- Perceval d6tniit l'aliénation en la terrassant, et François, fils matricide, après avoir renoncé à l'élévation sociale et religieuse, libère le Ça en laissant jaillir sa
violence refoulée. Symboliquement, la révolte prend le dessus sur la soumission. De la même
manière que la mère a éîé renversée, toutes les valorisations du Régime D i m e seront
bouleversék. Le corps de Claudine, astreint 2i la désincarnation, la droiture et à la purification,
est souillé et mis en t e w : a Oh ! je vois ma mère renversée. Je la regarde. k mesure son
envergure terrassée. Elle était immense, marquée de sang et d'empreintes i n c ~ s t é e s ~ ~ P.
66 fiid- p. 32 ; la citations précedénte est tîrée de la même page. 67 ïbid-, p. 35. 68 hc. cil- 69 Ibid., p. 34.
ibid., p- 37.
Nous avons montré que le torrent et Percevai sont tons deux phcés sous le signe de la conjugaison des t6nèbre.s et de la chute, que L'un symbolise l'inconscient de François et L'autre,
ses puisions. En ItWrant l'animal, Le personnage accepte L'a- au tomnt et laisse
d e k d e r sa p p r e -alitété A m le drame, iI chute littédement dans les thèbres, s'eafonce
dans une sorte dCamn6sie voulue, trou nou où il refoule le souvenir de la mort de sa mère :
<c Impression d'un abAune, d'un abArne d'espace et de temps où je fus rouli dans un vide
succédant à la tempête71 m.
Dans le Régime D i m e . aux tréfonds des tén&b= se découpe L'éclat txiomphd de la cIartC
bienfaisante. Or, dans l'ensemble de la première partie de la nouvelle, La Lumière est décrite
comme défiilhte et de plus en pius néfaste: le regard omnipr6sent de Ciaudine aliène
François ; la 1-ère de la lampe, au-dessus des mains de Ia mère, diminne jusqu'à ne plus
former qu'un petit cercle; le jour est stérile sur la route morte. La clarté qui succède à
l'obscurité, dans un mouvement répetitif - chaque nuit marquant le jour sans l'abolir, n'étant rien sinon la marque & son absence -, est maisaine et fait peur B Françoist car, venue d'en
haut et jmlongée par k regard de Ciaudine, elle dessèche et fragmente la vie et I'être. A la fm de cette partie, la lumïike est si violente quleile détruit ce quleile éclaire et oblige, de ce fait, le personnage à demeurer tapis dans la noirceur : {C La limite de cet espace mort est franchie.
J'ouvre les yeux sur un matin Lumineux. Je suis face à face avec le matin. le ne vois que le ciel
qui m'aveugle. Je ne puis faire on mouvement72 r. François, cependant, et bien qu'il comakse les ténèbres par le biais du torrent et de Percevd, pas encore tout ii fait prêt pour Ieur
rassurante intimité. En fait, il se trouve perdu devant le caractère également inquiétant du brouillard et de la nitescece, il est terrifié la fois par L'exploration de son passé et par la venue
de son futur, il hésite entre la conscience de ses actes terrribles et leur refoulement aliénant :
Puis, il y a 1% un manque que je me W k à & l a i r ~ , depuis ce temps, Et Lorsque je sens L'approche possible de C'homble lumière dans ma m6rnoïre. je me débats et je m'accroche désespér6ment à I'obscurité, si troublée et menacée qu'elle soit- Cercfe inhumain, cercle de mes pensées incessantes, matière de ma vie & e r n e ~ e ~ ~ .
La révolte contre une morde profondément dualiste et d6sincamée a trouvé une stimuiation dans [a rencontre avec la nature, avec le torrent et Perceval qui, ensemble, font le lien entre la
chute et les ténèbres. L'univers imaginaîre de François s'en est trouvé bouleversé, et celui-ci se
laissera glisser, ou plutôt sera poussé, à défaut de pouvoir s'6panouir dans un Régime Di-, vers une imagination plus proche du Régime Nocturne.
u LE TORRENT » - SECONDE PARTIE
Dans « Le torrent s, des analogies montrent que le système d(interaction de Claodine repose sur la domination et la violence. Par exemple, lorsque son fils refuse de retourner an collège, elle
le frappe avec un trousseau de clefs, geste qui renvoie à l'épisode où elle assomme d'un coup de
bâton le clochard, François reproduira le même genre d'interaction, Quand il repart sur la route,
il avoue vouloir u b]os~éder et d6truire le corps et 1'- d'yne femm. Et voir cetk femme terir
son rôle dans [s]a propre destmctïonl m. Cela sime se comporter envers l'autre comme
Claudine envers lui. Et tout comme sa mère s'en est pris à L'ivrogne, i l lancera un coup de poing
au colporteur. La division de h nouvelle en deux parties symétriques tend à accréditer Les
théories psychdogiques qui prétendent que L'adulte rejoue les scènes de son d a a c e et reproduit
les schèmes d'interaction vécus dans son jeune âge. François, qui se décrivait comme un enfant dépossédé du monde >>, se perçoit, après la mort de sa mère, comme une personne
« dissou[te] dans le temps2 >B. Et parti jadis à la rencontre d'on visage humain, il reprend, adulte, cc le -jet de [slon enfance, vers la grand'rout& B, en quête d'une femme avec qui vivre
une relation conjugale - commUILication vouée à l'échec, comme lors de son passage au
collège ; de même qu'il a Libéré Perceval, il n'empêchera pas la fixite d'Arnica, ces deux actions
provoquant d'ailleurs des dénouements similaires, la mort de Claudine et la fin de la nouvelle.
Même L'implacable constat de l'incipit est réactualisé au de'but de la seconde partie : J'ai patC
. Le torrent B. p. 40. Ibid., p. 37. fiid., p. 40.
trop longtemps mes chiahes, Elles ont eu le Ioisir de pousser des racines intéiïeures, Elles m'ont défait par le dedans- Je ne serai jamais un homme Libre* Jai vodu daffraa~hirtrop tard? m.
L ' é q W I i i événementiel da ~Touent :, est mis en relief par une symétrie structrirale- L'essentiel reste toutefais de wterqye toute la nouvelle est inscrite dans mie logiqne de u miroir
inversé B, en ce sens p la seconde moiti6 s'avère le Leu d'un renversement des valeurs du diurne, bouleversement qui annonce le passage graduel vers un univers plutôt nocturne- Tout en
reprenant le système d''iteraction materne[, Fiaaçoïs, orphelin, tombe SOUS l'emprise d'une autre domination, celle d e la nature et en pd~ulirer du torxent, ce qui fait suite au processns amorcé par sa surdité. L'avènement de cette autorité nouvelle s'accompagne du rejet progressif de toutes les valorisations du Régime Dirane. D'abord François renonce aux règles instaurées par Claudine (a Règlements, discipluu. entraves rigides, tout est psr P.) ; puis, plutôt que de lutter ou de se révolter contre une pmssaire extérieure, il semble s'abandomer au cosmos et accepter sa suprématie, lui qai s'&ait vu interdire la contemplation :
ii n'y a de vivant que la paysage autout de mai- ii ne s'agit pas de la coatempiation aimante ou esthétique- Non, c'est plus p r o f i i pius engagé ;je suis identifi€ au paysage- Line à la riirtnre k me sens devenir un arbre ou une motte de tare- La seuie chme q@ me d p r c de l'arbre ou & la motte, c'est l'angoisse- le m-s poccun sous l'angoisse comme Ia kne SOUS la pluie- La pluie, Ie vent, le trèfle. les feuiUes sont devenus des éiéments de ma vie- Des membres réels de mon corps, Je pmficipc d'eux p h que de moi-memerne6.
Seuls la peur et le remords séparent encore l'êûe et la nature? empêchent François de ne faire
qu'un avec les éiéments. r Je ne suis pss encore mûr pour l'ultime fuite, l'ultime démission aux forces cosmiques7 », dit-il. Le souvenir du meurtre de sa mère le hante ; l'image de son corps étendu dans l'étable lui a pourrit le soleil sur les mains* n : la culpabilité l ' f i g e : « La vérité infuse pèse de tout son poids en moi- Elle commpt chacun de mes gestes les plus simples- Je possède la vérité et je la reconnais à cela qu'aucun de mes gestes n'est pu@ m.
Peur et remords, toutefois, n'empêchent pas la mise ii l'écart de l'instruction maternelle, qui préconisait une quête de la désincamation et M refw du plaisir charne1 (celui-ci conduisant
irrémédiablement au péch6, autrement dit à la chute), puique c fl]e désir de la femme [---] rejoint m ç o i s ] dans le désert10 B. Pour hirand, la chute s'euphéém dans le Régime Nochune des images parce qu'elle se ralentit en descente et couveait les valeurs négatives
Ibid-. p- 37. 5 Luc. cit- 6 fiid-, p- 37-38 ;
Zbid., p. 38. 8 Ibid., p. 38-39,
Ibid-, p. 39-40. Io Ibid.. p. 40.
souligné par nous.
d'angoisse en délectation de L'Intimité p&€trét. Par ailleurs, cette euphémisation est c d t u é e
par un processus d'ï.nvesion, puisque l'on descend, paradoxalement, pour remonter le temps, Ainsi, K Ie go* -ut6 en cavité devient un but et la ch- &venue descente se ttaosforme
en plaisir1 1 B ; en d'autres mots. le péch6 devient souhaité et agréable.
François, notons-le, paraît davantage anime par le désir de la chair et le besoin de laisser
s'exprimer sa virilité refoulée que mû par i'envie de briser sa solitude : a [..J j'aurai goûté à la chait frache en pâture12 W. hrsquViI aperçoit la femme aux fôtts du colporteur, il souhaite la déshabiller et toucher son corps. Elle représente la vie, la joie, le plaisir, la beauté, la légèreté : bref, tout ce dont il a été privé, I l l'achète et, i% la mani8re de Claudine liant son destin en
apposant son prénom à côté du nom de Penault, espère en faire sa progaiété en lui donnant un nom d'amie : «- Moi, qui n'ai jamais rien reçu, je goûte à ce &le du premier don, Je l'appelle Arnica, Eüe [.-- ] a pris [e prénom], car elle est devenue mienne et j'ai acquis Ie droit & la désigner13 S. Le sentiment de François pour Amica demeure néanmoins ambigu et oscille entre le désir et la crainte. II a décelé quelque chose cc de soumois et de mauvais dans [son] d l 4 B,
et peut4tre la peur de la chute perdure-t-elle dans son e@t ; de plus, se rappelant sans doute
où l'avait mené la première libération de ses puisions. il appre5de une nouvelle montek de sa violence, seul moyen par lequel sa libido s'est jusqne-là exprimke :
Ses beaux bras fermes me semblent malsains, destinés 2 je ne sais quel rôIe préçis dans ma perte, .Je résiste à leur endiantcmcnt (Quels reptiles fi-s m'out ealacé 2) J'anacbe brusquement de ma nuque les bras qui s'obstinent Izur résistance me plaîî le I e s UordsUords Cela me fait du bien. maïs ne me rassure pas- L'emploi de ma €0- @*que indique trop bien la déf8ction de ma pissauce spintuelle, La b d i t é est le recours de ceux qui n'ont plus de pouvoir inte~ieurl~,
En fait, François semble redouter davantage Lrémergence de son désir* qui, paraissant brouillé, demeure encore quasi inconnu, que l'envahissement progressif du sombre dans son existence, puisqu'il côtoie celui-ci depuis les nuits tedantes de son enfance : Déjà, je n'ai plus qu'un désir. Rentrer, retrouver l'enchaînement des bras d'Arnica, L'air du soir n'est rien. Je cornais, maintenant* une autre fdcheur, un autre trouble16 S. Cela dit, l'obscurité reste en partie remplie des valorisations négatives du Régime D i m :
Quelles vieaies insomnies veillent aientour, o f h t les fièvres et les terreurs innombrables ! Et le sommeil ne vaut guère mieux, U n'est que descente au gou€Fre le plus creux de la subconsciente, là O&
je ne puis ni jouer, ni me défendre, si faiblement que je puisse le faÏre éveïil6.
G. DiJlUND, les Stnrmes an~hroplogiqnes de lViinaginaîkeT L%3, p- 215- l2 K Le torrent a. p. 40. l3 Ibid., p. 45. l4 Ibid-, p . 46. l5 Ibid., p. 47-48. l6 fiid., p. 48.
Mais son sentiment de méfiance n'empêche pas Fmçois de s'abandonner à e l'horreur de [sles
nuits », d'accepter la plongée au creux de soi et la mise & nu du Moi par les (C demons
familers r. Renant conscience de I'effet dcstrodcm de la Lumière, celie, trop dure et perçante.
inondant la première pactie & la nowelle, du jour clair, de la v&té di* et du regard
intransigeant de Claudine, il s'accoutume au nocturne, et les ténèbres font place à la nuit
François, soumis à une force supérieure, se Iim au désir de la femme et aux puissances de la
nuit qui l'atteignent de plein fouet, puisqo'il répète : .r le ne suis pas libre" B. Le jumeiage
d'Arnica (euphémisation de la chute par le désir charnel) et de la nuit (euphémisath des ténèbres) est symbolisé par le torrent, déjà associé, en tant que miroir de L'inconscient de
F'rançois, à Perceval, symbole des polsions h i . Les descriptions appuient as adogiesC
L'eau du torrent, hotdeuse- n a et bleue, bord& @écume jaune et odorante, rappeite B la f ~ s
Perceval et Amica, entourés par Les ténebres :
L'eau est noire. mute en tourbillonst et l'écume crache jaune, [..-] Sa cheveIure [celle dtAmïca] se @ dans le vent comme une volle & téi&brcsbrcs ElIe SC &le avec 1'- en un long mnnilcmea~ picln de fixas noir et Me y bordé & M- Iw c b u x coulent en croche& @qu'il mol- Ils sentent L'eau douce des chuîes et œ parfiim dp~mica18-
L'eau, aliiant le noir et Le blanc, les tourbillons et la fluidité, téunit les contraires en une sorte de
dialectique proprement nocûnne. Eile apparaît Ggalernent à travers Ia description de la sensualité
d'Arnica, cela malgré qu'eile soit indi-able de la h u r de Perceval :
Ses jupes et châles la drapent et ne semblent retenus que par les agrafes mouvantes & ses mains, pIus ou moins serrées, selon les caprices de sa démarche vive ou nonchaiante- Un réseau de plis glissant de ses mains et renaissant plus loin en ondes pressées- Jeux des plis et des mains, Nœud de piis sur la poitrine en une seule main_ Scintillement de soie trop tendue sur les épauics, ~ u i l i b e nwpy rrcréé aiiieurs. Giissement de s e épaule no5 dévoilement des krslg.
Radicalement opposés au corset noir de Claudine, les vêtements colotés d'Arnica sont des tissus
Libres qui suivent les mouvements de son corps comme les flots leur lit, qui découvrent m e
épaule comme L'eau évite un caillou rond Franpis, pour échapper au refus charnel et
s'émanciper de l'opprïmante lumière de la mère. trouve reiùge à une autre enseigne: la
domination de l'eau obscure du torrent-
Nous avons montré jusqu'ici que la symétrie événementielle et structurale du B( Torrent » va de pair avec M lent renversement des valorisations du Régime Diurne. Elle métapho~se
également le retour de François sur son passé et, par ce fait même, illustre son exploration de sa
propre conscience. Durand, dans son introductioo au Régime Noctune de l'image, explique à
l7 nid-. p. 49 ; 1 s citations précédentes sont tirées ck la même pagr l8 nid. .. p. 66.
&idd, p. 54-55-
ce propos qye face aux visages du temps L'exclnsive p o d k de la hanscendance cède Ie pas il une autre attitude imaginative, qui consrSte à trouver tefnge dans L'Intimité de la substance et à
incorporer à 1'ïnéludaMefbitc du temps les mssurantes figures de retour et de cycle :
Alors que dans la première partie de la nouvelIe Fianpis refoulait systématiquement ce c p i
l'angoissait, c'est-à-dire tout ce qui concernait son passé, sa libido, son agressivité et son
aliénation, il poursuit tout au long de la seconde* me& par les éiéinents ou pnt Arnica, une quête
de la vérité et one exploration du Moi et de ses ooweMs enfimis : u J'anaïyse des b n ï - Je refais mon malheur. Je le complète. le l'&laite- Je le reprends 1B où je L'avais laissé. Mon
investigation est lucide et méthodiqu&~ B.
Dans le même ordre d'idées- nous percevons, au sein de scènes qiii sont le reflet inversé d'actes décrits dans le premier volet du diptyque que constitue uLe torrent,, la pratique
(voulue ou inconsciente) d'une sorte d'exorcisme du passe- C'est la quête d'une femme qui fait
repartir François sur la mute, alors qu'il s'était promis, enf't, de fuir s'il en rencontrait une- Et quand il voit les coIporteurs au bout de son terrain- il ne ressent plris la peur qni jadist le
paralysait et ne pense qu's mesurer sa force B aile de sa mère, qui a battu le clochad Frappant
I'homme et le faisant tomber dans la s boue et b] neige fondan@ D, c'est symboliquement
<< l'homme homble » qu'il projette par terre. En instaurant chez autrui la crainte, il inverse les
rôles. Le pnxrssus est le même c p d il veut traiter la femme qu'a recherche cornme Lui-même
L'a été par Ciaudine et quand il avoae, plus loin. son fantasme d'étrangler Arnica : Je la
sentirai frissonner contre moi. Mes mains sur sa gorge. Ses yeux suppliant9 n . . .
Adulte, François revient donc sur son passé et sur lui-même, déterre sa conscience oubliée
afin d'en extraire la vérité - Le meurtre de sa mère -. tout cela dans le but de parvenir à
L'acceptation de soi. Sa quête emprunte diverses voies, dont l'une consiste ne plus refouler ce
qui vient de son inconscient, mais à tenter de L'écouter et à canaliser ses pulsions. Malgré sa
bonne volonté et son désir d'explorer le Moi, le c011ditionnement morai et sa propre culpebüité le
freinent dans son investigatio~~ Rappelons que c'étaît principalement par ses yeux que Qaiiriine renforçait son règne sur François. Or, Le regard d'Arnica et du chat prolonge celui de la mère, en
2o O. DLJRAND. op. cit-. p. 298. *l K Le torrent r. p. 39. 22 Ibid-, p. 42. 23 nid., p. 47.
reflétant la même lumière n&aste, & iafok captivante, blessante et opPnmante, et en imposant au héros, par ce biais, une vision humiliante de lui-même-
Nombreux sont les passages & la nowelie dans lesquels se laissent observer les manifestations de lumière. Le soir de Irachat d'Arnica, par exemple* Fianpis remasque qiu
u la flamme de la lampe [est] plus claid4 m. Amica a lav6 le globe, et le feu ditfuse cet édat
néfaste qui scinde L'être et qui provoque chez François L'impression d'une désincamation :
Queiestceméoagepais-biequejfapcrOoZsàcôté&moi? Caren mol rienne-plus pénétrer- Je vois un inconnu qui mangeen face d'une feinme laco~ue, Us sont aussi secrets L'un que L'aurre, Noa, je n'ai pas Wté ce lies, ni cet homme- Voici qut jraEcrieille en mon Ilt la femme et Llwnnme qui ~ ~ a c c ~ m ~ ~ n ~ .
Est perceptiïle dans ces quelqitcs phrases Ia tentative de firir de noweau L'intériorité, mais aussi le réflexe de se protéger qn'a acqyis un homme à qoi on a interdit tout plaisir chamel-
Une autre lumière poursuit François et L'atteint par l'intermédiaire du regard d'autrui. Les regards de la mère et d'Arnica se-rejoignent à travers le chat, qui a vu Claudine tertasseCe par Perceval et dont les yeux, depuis, ne cessent de fixer le fils et de violer ses pensées- Le regard de L'animal est omniscient, incame celui de Dieu : il épie et juge, décape, transperce l'enveloppe corporelle, pèse sur la conscience mise à na Amica téactualise cet œil mauvais, cruel :
Je me souviens d'avoir été troublé, ïnïté, par la sensation que lranhd me guettait de ses pupilles dilatées- Il sembiait suivre en moi Ia fdon latente dim dessein qui rnw6cfiappait, et dont lui seul pén6crait le débuement inévitaMe, CI.-] La bête consciente et hors d'&teinte, conzikaaif sur moi son fme regard dr6ternité, Quelqu'un m'a donc -s ? Quelquim m'a donc amtempl6, sans intermpîïon ni nuit ? Quelqu'un m'a donc connu, au moment même oh moi je ne possédais plus de regard sur moi ? Arnica a les mêmes yeux que ce chat, Deux grands disques en apparence immobiles, mais qui palpitent comme Ia flamm&6.
Ce regard est surtout un témoin q~ enregistre puis reflète les actes de François, sans c- renvoyé, à travers lui, au passé et aux troubles qui agitent sa conscience :
Témoin, quel mot qui me blesse, m'obsède ! Amica est un témoin.., T6moin de quoi ? Témoin de moi, de ma présence, de LM maisoa Cela suffit pour me donner la frousse* comme si je voyais un grand -r aux images ineffaçaMe retenir mes gcstes et mes regards- À aucun pcbc, II ne fiuit dâcber mon témoin ltans le rn0nde2~-
Devenu paranoïaque, Le personnage est également amené à faire des crises de schizophrénie. Son
discours devient un tissu d'ambivalences et de paradoxes, Par exemple, i l souhaite établir une relation n o d e de couple et de communication avec sa femme - atk phrase l'indiqut :
24 nidd, p. 48- 25 Loc. ,t. 26 Ibid., p. 53. 27 Bid-, p. 51.
« Bonjour, m a femme28 m ! -, mais, déform6 par sa miire, iI fait plutôt dtASca sa
possession, sa chose. Ne Ira-t-il pas achetee ? Dès le départ, leur relation est vouée à i'échec. Amica finira par le contr6Ier grâce à ses poinroirs de sédw=tlon et B son regard inqykitcur+ L'éclat de ses yeux, qui rappeile Ia dmtté décapante de la 11lLnib da soleil, décourage de tonte
recherche du Moi le héros, aux prises avec un sentiment d'humiliation et de culpabilité :
Et, aujourd'hul, c6e trouver ainsi cette femme aux yeux si etonnamment semblables, rivés sur moi, je crois voir mon temoto. surgitau j- Mm téfmàn occaIte dmerger dans ma d e a o t . en faoe de moï, bien au ciair- il me tornne ! II veutque j ' a v e I West venue f e ici cette ~~ ? Je ne veux: pas qufeik me ccgaxüe ! k ne veux pas <pikUt me q u e s t i o ~ ~ !
La quête de Fmçois padtrait condamnée à avozter, Tous ces regards yui l'encerclent
poussent jusqu'à l'extrême limite sa destniction intant et, pénétrant son esprit, fimsscat psr b
consumer de L'intérieur. a Je brûie s, u ma fièvre est sur moi *, r DJientô~ je ne serai plus
qu'une torche30 m, affume-t-il. Paradodement. c'est sa découverte du fait qu'il ne maîtrise pas
sa voix qui sera déterminante p u r sa prise de possession de soi, car ce n'est que Iorsqu'il saura
n'avoir plus rien i cacher à autrui qu'il sera obligé de se c o ~ t lui-même Arnica, par son regard et puisqu'elle entend les phrases qu'il ne pense pas prononcer, le pousse dans ses derniers retranchements :
Je n'aï pius d'abri Intérieur- Le sadège est ÇO-s, Le sac de mon être le plus secret est accompli, le suis nu, dehors, devant cctte fîîe en pillage L--]- Si je patle en mon délire. je ne m'entends pas, Et, elle, eUe remplace mon ouïe pendue- Eüe usurpe m m rôle dridïteur pemir, Je communique avec d e au lieu d'avec moi, Mon âme est viol&? l,
La vie du héms, se rétrécissant et brûlant de lïntérkr, s'approfondit et l'oblige à plonger dans
son inconscience, espace restmht de son univers encore habitable, dernier rehge : a Après une enfance suppliciée par la stricte défense de la codssance intime, profonde, tout d'mi coup, j'ai
été en face du gonffre intérieur de l'homme. Je m'y suis abAm@' B. Ainsi, Amica n'est pas la
femme néfaste qui viendrait accentuer la chute et le désespoir de François en lui proposant une expérience malheureuse : elle le force, au ternie d'une dodourcuse investigation, et cela au
même titre que Perceval, le chat ou le torrent, à exorciser son passé en libérant ses pulsions, sa
violence, sa virilité, en exprimant son d6sk charnel et en prenant possession du Moi. En d'autres
mots, elte l'oblige à tuer une seconde fois la femme fatale par excelience, la mère castraîrice-
La plupart des critiques ont cornpis que François, seule échappatoire à sa d6possession du
monde, à l'échec de la mmmunication avec autrui, cesse à la fin de la nouvelle sa lutte contre les
forces qui le dominent, se Iiwe au cosmos et se noie dans le tomnti II s'agit dhne lecture que
Gilles Marcotte, dans un texte date de 1955, justifie comme suit : PoÏsqy'on ne peut psJéder le monde, puisque toute CO~IUI~UIÙO~, pttisquc tout amour est Impossible, on se résoudra P fiire de la solitude sa "seule et épouvantable m. Cette interprétation, pourtank n'est pas exclusive, En effet, François décrit le torrent comme son Moi, auquel Î l da pas encore tout fait accès : Je me penche sur le goiIffre bouiilonnant+ Je suis penché sur moi. [...] le torrent n'est
pas encon ma demeure absoliie, La maiscm & mon dhnce agit encore sur moi et pot-
aussi Ami& B... Rus tard, Arnica partie, il revient vers le torrent. où, pour la première fois, il voit le visage de sa mère lui disant : u Ftançois, regardemoi dans les y e d s B. Il se laisse dors glisser dans son uiconscience, acceptant finalement d'être ce qu'il est, le mal, le fils du mai, celui qui continue ni m&e : a Je veux voir le goufb, le plus près p ' b I e - le veux me perdre en mon aventure, ma seule et épouvantable richessG6 m.
Nous ne chercherons pas a résoudre ici L'ambiguïté de la conclusion de la nouvelle. Fiço is se suicide-t-il, ou pénètre-t-il son înconscient et son passé refoulé ? La question reste insoluble,
puisque rien dans le texte ne permet d'affirmer qu'il se laisse finalement d e r vers la mort. L'ambiguïté réside jusque dans l'oxymoon clôturant ta nouvele : a épouvantable richesse w,
L'important demeure que le héros s'abandonne (déf~tivementt, selon les apparences) au torrent,
démission porteuse de plusieurs signincations Si l'on admet que le torrent symbolise l'inconscient, la luîîe incessante que s'y Livrent le Surmoi et le Ça, et les puisions refoulées de
François, celui-ci, l'intégrant, descend au fond de son intimlt6. 1à où il peut enfin prendre possession de son intériorité, renoncer à l'artificielle pureté si c h è ~ à sa mère et accepter d'être
soi avec ses angoisses, son malheur, son aliénation, sa brutalité et son corps :
À quoi me faut-il en- renawer ? Serait* à moi-même, à mon p o p drame ? Je n'aï jamais pensé au dépouillement de comme condirion de l'être pur, D'ailIeurs, je ne p - s pas être pur- Je ne serai jamais pur- Je me rends à ma Tm- Je m'absorbe et je suis n h t , Je ne puis imaginer ma fi en dehors & rnoi37-
L'eau torrentielle creuse le sol, s'allie à la te=, perce métaphoriquement le mystère et l'intimité de l'être ; eue ramène au point de fusion primodal, celui d'avant les déchirements. Dans les
profondeurs de son union avec le torrent, François peut retrouver son existence prénatale.
Comme l'explique Gilbert Durand, i< [p]aradoxalement l'on descend pour remonter le temps et
33 G. MARCOTTE. r Le Tombeau &s rois d'Anne H-rt S. dans (Inc linérafirre qui =Bit. b a i 3 rn'rr'ques srrr la Iittérahue canadienne-fiançai', 1994 [ 1%2], p 3 11-3 12. 34 Le torrent m. p. 58. 35 Ibid, p- 67. 36 toc- ,if- 37 Iaid, p. 65-66
retrouver les qui6tndes prénatales38 B. La mort est ainsi euph&nisée, puÏqu1eILe pmnet mi retour au paradis perdu et à la mens primordiale e t universelle.
Il ne faudrait ~ Q S non plos n6gliger Ies suggestiaas du visions de François. Il voit a la longue et dure maison, née du sol, se dilueCr] s, a B]a chambre de [s]a mère [..-] renversée m et tous ses objets dispersés dans l'eau, comme si le souvenir de Claudine s'évaporait, comme si
tout son enseignement et sa rigueur dc vie étaient bouleversés, ses valeurs, inversées, et son
manichéisme, bmmrid dans une sorte de chaos- De ce chaos surgissent le visage et le regard de
la mère, image qui appelle François, l'attire : çr Ah ! je vois un miroir d'argent qu'on lin a donné ! Son visage est dedans qui me contemple : ''Fianpis, regardemoi dans les yeux" B.
Nous retrowons dans cet extrait deux types d'images propres au Régime Nocturne, Tout d'abord, L'eau dédouble ici le monde et les êtres, et le dédoub1enient s'accompagne d'une
inversion des vdorisations, ce qui crée une impression de confusion et de fatal
recommencement Les images de la maison de l'edance et du regard de la mère sont provoquées
par le torrent, qui, pourtant, devrait être une échappatoire. Du go& étroit mais profond au-
dessus duquel se penche François, émerge œ miiOir qui se situe en f i t au fond de lui-même, qui
est sa tefiante c o h e n c e et qui diffuse I'immenslté de son aliénation, Cest par Le biais de celle qui est cause de son malheur, Ciaudine, que François peut reconstituer son être. 11 accède,
au terme de son cheminement, au point oik sa vie et sa mort, le ciel et l'eau, le futut et le passé, le
réel et l'imaginaire, le bien et le mai, ne peuvent plus être perçus de d è r e cmtradictok Il semble prêt pur l'ultime abandon aux forces cosmogoniques, un abandon qui est à la fois finte et prise de possession de soi, démission et acceptation de soi.
Dans la première partie du diptyque, François était aliéné par une vision manichéenne du
monde, manipulé par la lumière mauvaise qui brûiait dans les yeux de Claudine, qui scindait l'univers et l'être en deux ; son imapinaire appartenait exclusivement au Régime Diurne. La connaissance du torrent annonçait la seconde partie, dans laquelle un glissement vers le Régime
Nocr~rne est perceptible. La lumière transmise par le regard d'Arnica et du chat se pourrit et devient opaque jusqu'à creCer la nuit : il semble n'y avoir d'autre issue que l'obscurité & cette
clarté funeste. Tout mène le héros aux ténèbres puis à la nuit, où il se réfugie pour échapper à
l'emprise de la lumière castratrice. Cette nuit est le torrent, une obscurité fluide qui entoure
progressivement Erançois, qui l'enveloppe d'un voile rappelant les cheveux d'Arnica Tant que
cette eau noire demeurait extérieure à lui, séparée de son être, le gardant sous sa domination en
martelant sa tête, elle paraissait également n6faste ; mais lorsqu'il intègre L'eau, L'avale (cc Mes
lèvres goûtent l'eau fadG9 *.) et se penche sur le go&e jusqu'à l'absorber, la domination des
38 G. DURAND, op. cit-, p- 215. 39 Le torrent r, p- 67 ; Ies citations précédentes sont tii-ées de la même page-
puissances cosmogoniques disparaît pour f& place à un accord intime* à mi nouveau rapport entre l'être et le monde. La mort de François (symbolique ou réé1Ie) va de pair avec une
renaissance-
La noweile permet de mesmer & quel poht les valeors du Régime Diurne, telles que
véhiculées par Ciaudine, emprisonnent etd6tmisent l'être, le divisant et le séparant de l'univers qui L'entoure. Le héros découvre le Réginic Noc~nc par Ia rencontre avec le torrent h f& ayant touche & l'ultime de I'alienation, il se laisse glisser dans des eaux d'abord noires et
tediantes, mais qui, peu i% peu, denement le Lieu nissurant de ia prise de possession de son
destin. Bercé par ces eaux, il peut f o d e r sa révolte, découvrir un autre ordre du monde,
trouver son identite, vivre l'union de son corps et de son esprit, de son être et da cosmos, et
conna%re la réconçiliation des contraires-
Dans L'univers he-en, où le Régime D i a de l'image est privil6gi6, la lumière surgira à
nouveau; les personnages, enfouis an fond d'eaux sombres, partiront à la recherche d'une
lumière pure et créatrice qui, cette fas, se conjugueni avec Lem vie inCOLISCiente- Mais ceüe renaissance ne sera pas douce : il s'agira d'un éclatenient violent de leur désir de vivre, de leur
rage existentielle, de leur passion amoureuse, qu'fis dcfendront envers et contre tous- Deux
mouvements - L'élan venical, que nous observerons & travers Le pemnnage de Dominique, la
paralytique qui rêve de dauser, et Z'ouve~hae vers que nous analyserons dans les
nouvelles << La robe corail B et r Le p~tempa de Catherine s - sous-tendront la reconquête
de la lumière. La dernière nouvelle du recueil rappellera ironi~uement l'aliénation créée par la
pensée manichéenne, la fermeture à Pautre, la désincarnation et le respect aveugle des lois et de
l'ordre social ; à i'instar du a Torrent*, elle révélera que L'exclusivité d'un Régime emprisome L'êîre et suggérera la nécessité d'en intégrer un second
L'ANGE DE DOMINIQUE *, LA ROBE CORAIL » ET u LE PRINTEMPS DE CATHERINE »
Dans « L'ange de Dominique =, le lecteur, qui s'est senti impuissant face au drame de François, est invit6 à se couler dans un espace plus aérien - la tranqfité d'un bord de mer - et à observer une jeune paralytique prénommée Dominique. La description p i q u e par laqueiie
de'bute la nouvelle présente successivement la falaise et la mer, la ville a< tapie contre le roc >> et
i< à l'abri du vent », puis u [s]a maison la p h 10inaine et M dans son antre ombreux et frais une cour pavée de pierres des champs, cimentées d'herbes et de pisseniits' m ; enfïm, dans cette
cour, une lumière plombe et illumine d'un halo La jeune fillee Le zoom se continue jusqu'à ce que
le lien qui semblait rattacher d6finitivement la lectrice à son Iivre se défasse avec l'axrivée soudaine, auprès d'elle, d'un garçon, Ysa, L'ordre, la cl& et la raison règnent sur l'uuïvers de
la paralytique, dont il semble que la lumière garantisse la protection ; même si le soir, dont a le
vent neige des fleurs de Was jusque sur eue2 >>, est doux pour Dominique, Patrice, son père,
craint le c m de la nuit et la fait rentrer dans la cuisine, où K p brille trop fott3 B. Le r a t i o ~ s m e
de sa tante Aima régit en outre le déroulement de ses journées et lui interdit tout excès de rêve*
Le ton de l'incipit est fort différent dans la nouveiIe suivante, La robe corail D : aucun lyrisme n'est perceptible, et c'est avec un ton de mépris, réel ou apparent, que sont décrites les
ouvrières, véritables fourmis au tmvail dont la seule raison d'exister réside dans L'ouvrage
quotidien, le bavardage et L'exhibition de quelques objets féminins : a Elles sont dix ouvrières,
« L'ange de Dominique *, p, 71 et 72- 2 I b X , p- 79. 3 Loc. cil-
dans L'atelier de Madame Grospou : dix oumihes, jolies on moins joiies, chacune avec son
envie de papoter, son bâton de rouge, des bas de soie, une robe courte e t son chagrin
d'amour W. Au milieu de as travailleuses indifférencIk, fmüie - qu'on croit muette parte
qu'elle ne parie pas et qui a un u visage effacé m daquel ne nsorknt cpe deux grauds yeux
cc sans présence et sans rêve>> - est une employée particuIi&ement douh et appliquée, Le texte file la métaphore de la Laine, puÏscpe la jeme femme K tricote sans &laïrcïe, ffcrilement, tout le jour. Le jour s'asservit B son ouvrage On dirait qu'elle le tricote en même temps que sa lain& B. Comme dans a L'ange & Dominique r, un jeune homme viendra briser i'immobllité, qui n'est pas causée, ici, par une paralysie corporelle, mais par L'emprisonnement &os un mouvement et un quotidien toujours répétés-
« Le printemps de Catherine*, e e s'ouvxe sur m e description lyrique qui s a d s e et
celèbre, comme une promesse fidèIement tenue, l'&met retour do printemps. Le narrateur
indique que tous sont Liés p cette même attente des beaux jours : Labours de printemps, semis de printemps, air. fleurs, oiseaux familiers Nous aspinoos au printemps couhunier. Plus ou moins de pluie, pas toujours la même mesure de deil, mais un sol identique [..Js B. Le retour du soleil après l'hiver est une renaissance, un éveil de tout, la victoire du jour sur la nuit et celle de la vie sur la mort ; il signale anssi la stabilitt, Itimmobilit6 par la répétition. L'apog6e du
Régime Diurne, toutefois, ne durera pas, Une fois décrit l'émerveillement de la semence c p i
germe, L'arrivée de l'ennemi est annoncée: la guenie vient rompre et dénoncer L'apparente communion des êtres que suggérait l'emploi du pronom personnel u nous s, abok la biéran:hie sociale et remplacer la lumière printanière créatrice par les feux des fusils et les éclairs des
canons. Le printemps se transforme alors en préiude d'apocalypse :
Or, voici que L'ennemi e s venu - brouiller les graines, semer l'ivraie, tracer ses propccs silloas, con-ant le sens quc nous donnoas à nos culturestmies PMV ses abatis, il brQle sans vergogne des choses qui nous sont p6cïeuses et chèreshtrcs Sur son pessage, II allume, un iL iw Ies flages, les villesv les forêts et les arbres, au bug des routes- Pour quel dieu ces cierges affreux, sans douceur de cire, aux i u m h noires, aux craquements de bois et de pierres ? Et nous, quelle part aurons-nous au feu ? La flamme sourdra-t-elle de nous en gerbes vers le ciel6 ?
Les valorisations du Régime Diunte sont inversdes : la lumière, venue de l'homme, monte vas
le ciel ; l'univers, privé de la clarté: salvatrice d'w dieu, padt plongé dans le chaos, et Ia gaerre
prend des aUures sa&cielles.
Après ce tableau gknéral, le namteur esquisse quelques portraits individuels mettant en évidence la division définitive de la communauté au centre de laquelle se situe l'action. Les
- - - -
e La robe corail B. p- 113 et 114. e Le printemps de Cafherïne *, p. 129.
6 Loc. cil-
personnages, qui devinent Ie bonleversement à venir, se raçcrochent &des travaux quotidiens ou ménagers, dans une sorte de rituel protecteur- C'est ainsi qtie tous Ies draps blancs do village
sont déchirés en bandelettes, afin de panser les blessés et, symboliqoement, d'épancher l'hémorragie n& de la &hûtue humaine et provoquék par la guerre, awme 9 tout œ blaac pouvait avoir raison de Ia noirceur submergeant le pays et du sang répandu.
Lumière, ordre, hiérarchie, immobilité9 quotidlemeté, rationalité: voilà autant d'attitudes valorisées positivement au sein du R&g- LXurne, car toutes permettent de lutter contre Ie devenir temporel. Ce Régime de la dichotomie et de la transcendance prédomine au début de chaque nowelIe et semble à Lraliénatim qui affecte les protagonistes.
Un dialogue met fin au rythme lyrique de l'introduction de K L'ange de Dominique » :
L'adolescente, intriguée, questionne Ysa, qui répond K avec une grande aisance de parole et surtout une @aite grâce de geste?,, signes de sa liberté. Le jeune mousse, qui incarne l'harmonie quaSi céleste entre le corps et la conscience, la parole et la pensée, le geste et i ' h , tentera, on l'a déjà compris, d'émanciper Ia paralytique- UatginaIisée par son handicap, celle-ci s'est r6figiée dans un univers de songe où son dtat aimm~b'rlité Lui est cruellement rappelé ; par son exemple, Ysa Lui donne une conscience aiguë de L'ampleur de la division de sa personne9 de Ia dichotomie entre son désir de mouvement et son incapacité physip, entre ses rêves et la réalité : En Dominique, Le décalage entre sa vie profonde et les détails extérieurs de son existence quotidienne s'accentue de pius en plus depuis qulun être extraordinaire, oiseau ou luciole, mime devant elle et pour elle des pas de feu et & songe? m.
Dans a La robe corail B, l'indifférenciation entre les ouvrières, indiquée dans i'incipir,
exprime le néant de ces personnes sans noms. Émilie ne se distingue du groupe que par son mutisme, la di-tion de son visage et le vide de ses yeuxl Le travail re'pétitif et journalier annihile ici la personnalité, puisqu'hilie, avant l'arrivée de Gabriel, ne participe son existence qu'à travers Le tricot qui avance inlassabIement Le long du fil du temps, sans retour possible :
Chaque semaine se passe ainsi ; et, le dimanche, lorsque Émilie cesse de tmvailler, elle se sent lasse, un désert sans borne en eue, jxivde de la seule raï- & vivre qu'elle d s s e s s e Eüe attend le lundi avac impatience, et jamais il ne lui vient à Lidee de cegardar en anière ec dc se demander avec efbeme~ ce que sont devenus tais ccs jours qurelie a !
K L'ange de Dominique ID. p. 75. Ibiii, p. 82.
K La robe corail r, p. 114.
L'aliénation dont so& I'hWiiie dans a Le printemps de Catherine rn n'est soulign6e ni par L'immobilité ni par L'indifférenciation, mais par L'asservissement de son être et de son corps.
Orpheline, mPrtyesét par les cafetiias qui l'emploient et affligée de qu&iktr - tels <LP~ r La Puce », Q( sale petite bête m, u insecte w, u enfant trouvée », « filie du vice B -, Catherine
est une autre de ces enfants qui ont grandi a SOUS la honte et L'humiiiation quotidie~mesLO » et
dont l'apparence physique trahit une jeunesse avortée et une absence à la vie :
ô L'Image que je suis ! Poitn'nc c r c v une étrange figurc avec un h n m s e fnmt osseux et bombé, Le reste de mon visage est raval€p diminué, m m front prend toute la place- On m4i déjà dit que j'avais tête de mort, Je & qut c'est vrai, à cause des yeux. e n f i + srrrtout dtx fnmt excessif. mais dcs cheveux aussi, tirés, lissés, 6powant comme une Iaque noire la forme de mon crâne- Sous la peau tendue. transparente de Ia face. la présence vishie des os1 l-
Pour cette jeune filie* f d m e n t coupeMe de sa naissance obscure, de son abandon, et p t m t
sur son visage les marques du péch6, aucm destin nrest pem*s sinon la servitude: sans famille, elLe ne semble pas mériter de vivre parmi une sociQté bien ordonnée.
Pafajysée, asservie par le travail ou souffraot d'une réduction de l'être, 1'h6mfOine de chacune des trois nouvelles en viendra B se rendre compte de sa d@ossession et à cemer le manque dans sa vie, cheminement qui provoquera chez elie un désir no-
De la première description de Dominique se dégage m e impression de sérénit6 : a EUe
s'appelle Dominique, un nom grave et monacal, qu'eile porte un peu en couronne comme son air sage et ses cheveux relevés12 B. Mais une fois captivée par Ysa, eue désire non seulement lui plaire, mais surtout nimionter son hfip16gie : a k voudrais pouvoir dan& B ! Seale la présence du jeune homme importe désormais. Ce dernier continue de danser, toujours mieux,
séduisant par son mouvement inaccessible Dominique, implantant en elle un désir
inassouvissable et cruel, de plus en plus ardent : se mouvoir comme une ballerine- La jeune fille delaisse ses Livres, car, pense-t-ellep u [à] quoi bon tenter de s'assimiler cette vie enclose dans
des bouquins, quand une vie supérieure, exprès pour soi, s'offre, poignante et pressante, telle Ia grâce14 D.
Pour Émilie, tout change Le jour oh GabtieL lui offie une image. Une sensation de manque
I'envahit alors : «Elle ne sait encore ce qu'elle cherche, mais iI lui tnanqye M objet
Io ie printemps de Catherine m, p. 137. Ibid., p. 141-142
l2 a L'ange de Dominique =, p. 72. l3 Ibr& p. 84, l4 Iad., p. 89.
Indispensable dans la chambre ; un objet qni n'y &ait pas bÎer et qni dy est pas davantage aujourd'hui. Rien n'est donc changé, si ce n'est le désir qu-e en a maintenant et qu'eue
n'avait pas hier15 r. Avant de se coucher, elle appliquela manche & la robe corail sur son bras et se boucle les cheveux, faisant ainsi deux gestes inhabituels, Eue decouvre egalement, pa+ l'image qu'elle a reçue, b cire, dont le son lui redonne la vision du visage de Gabnel et de ses
yeux qui sont << le miroir qu'eue n'a jamais eu16 B et qu'eue souhaite maintenant,
La révolte de Catherine corne et éclate dans le chaos instauré par la guerre* qm ouvûra - elle en a la conviction - une falile dans sa f u t é : c La délivrance esî assurée et nous
allons goûter ce temps qu'il fait. B ce printemps qoi pousse si dru sur le monde17 B ! Une fois
évoqué l'éveil du printemps, le narrateur déplore L'angoisse et la cruauîé qui prennent s i
facilement racine, par le biais de la guerre, dans le cœur des hommes :
Qwnt n?dempïm annidrie de lkrmr qm mus &forme, de toute la violence & son g&Üe norié à même notre printemps ? Ses graines sont dans ce vent qui autrefois nous apportait Ies parfums des pommiers, des pêchers et des pruniers en fleurs- La peur, la ikheté, le désespoir, la haine fmctifient en nous, d'une poussée bcus~ue~ totalef envahissantet uï, en un Instant, se dispense de touf le pfocessus A établi dcs lentes évdutiolls de rms vies W-tueIIes -
La guerre révèle un ordre du monde pervers, des valeurs et des hommes mesquins, et renverse l'autorité, << morte, corrompue par le centre, pareille à tout le restelg n. Catherine en profite et
respire l'air de ce jour nouveau charg& pour elle, de promesses de liberté. Jque - l à dépoddée
du monde, eue crie, dans une prière subversive, sa &volte7 son envie de vivre affranchie et son désir de prendre sa place parmi l'humanité : CC Délivrez-moi de mon pain quotidien ! Que je
touche au mal, puisque c'est la seule brèche par laquelle je puisse atteindre la v i e n !
Dans un univers trop rationnel, un temps triop linéaire ou une société trop hi6ran:his8e, les trois héMines ressentent douloureusement leur dépossession. Elles sont soudain animées par le
désir de se connaître et de participer au monde, élan qui semble d'abord passer par une
assimilation de leur corps, ce à quoi invite la rencontre avec l'autre,
Un événement permet aux personnages de d6sirer L'autre : la séduction de la danse dYsa ; L'image de Gabriel : la venue du soldat vers Catherine. Les jeunes femmes co111liil~tront ensuite
l5 M La robe corail mr p. 116. l6 Ibid-, p- 118- l7 K Le printemps de Catherine n, p- 135.
Ibid., p. 130- l9 Ibid., p. 143. 20 &id., p- 138.
l'épanouissement de LeurseasuaIité, mais cela ne se fera pas sans souffrance, sans renoncement,
et nécessitera, outre l'abandon aux forces nocturnes, ici le don de sc6. là le meurtre-
Ysa est fincarnation symboiïcpe & la résduîion des contraires en une diaiedqne hamionïeuseuse Etre à I'apparence sumatureIIe, B la fois r: aussi agile qu'un chats et u a&
Léger qu'une feuille w, K oiseau B et a Luciole m, cr bête et cc dieu m, il paraît pourtant né de
la nature même : il allie L'air et l'eau, puisque tantôt il tombe des nuages21 B, tantôt i l <c vient
de sur la vagues de la meru S. Ysa est detach6 du temps et de l'espace ; i l n'a ni passé ni fntur, ai origine ni finalité. et va où le hasatd le conduit r Je ne demande pas oii mènent les routes ; c'est pour le trajet que je pars3 D- L,e plus naturellement possible, il se propose de devenir l'ange gardien de Dominique et de danser pour la consoler. L'adolescente accueille en son âme le rêve que lui O& Ysa, elle est prête pour l'envahissement de son esprit par Le merveilleux : M Dominique n'a oppost aucune B i'encbantement, Elle l'attendait
depuis toujours. La premihe surpise passée, la joie de la contemplation ne s'est pas C m o d e
en elle24 B. La danse du mousse symbolise un équilibre réussi entre les 6iérnents, mais aussi entre l'être et l e monde : K IL aurait dansé saus eh, sedement pour p r e n b sa place dans i'été-
Rien que le geste pur; rien que toute sa vaieur tendue au geste- C'est nécessaire comme La
prière aux moines et mesuré comme le d e i l à la te# m.
Ysa, ainsi, condense des valorisations plutôt nocturnes. IL est libre, affranchi de toute
aliénation ; être immatériel, i l incame l'idéai du mouvement et du mot, dans la brièveté de
Pinstant. ALLégé de tout défaut, épnré jusqu'a l'extrême, il utilise son corps pour s'exprimer avec
grâce : « On a besoin L.1 de ses mains, de ses pieds et de ses jambes pour parler sans détruire le silena96 m. Sa danse atteint la penectioa parce qu'eue est .r marche noble. dépouillée du but
utilitaire, et hbrP comme on jeu d'enfant2f r. Son corps n'entrave pas son esprit, mais lui permet de s'exprimer avec pureté, Dès son apparition, ce personnage blesse l'ego de Dominique en Lui montrant ce qu'un corps mû par le désir d'absolu peut exécuter. Lorsqdil dispar;ilat, elle
ressent son absence comme ses propres jambes inertes, supportant plus difficilement sa nouvelle
solitude et son invaiiditk d'avoir cru posséder le mouvement ; elle se nésigne B la fatalite de son
handicap, se soumet B son destin, souffre de tout ce dont la paralysie la prive :
2i * L'ange de Dominique r. p. 73. 22 nid-, p. 78- 23 m. p. 74. 24 Ibid-, p . 81. 25 nid-, p. 78. 26 fiid.. p. 75. 27 &X. p. 84.
La petite filIe infime se rend compte combien IL était nisensé dr<)6ef espérer un instant pouvoir retenir pour eue ie mowemenL Le mouvement ctestYsa, e ne peut être Dominïq= avec ses jambes de pierre 11 est dans l'ordre des choses que I'aMo~ de Ia danse et de Ia vie même f t n t par s'éloigner de oousquandonestimmobile28,
Mais Dorniniqne ne peut chasseries rêves qni la hantent et crée des ballets avec ses doigts,
ses bras et sa tete ; elle alterne entre des 6taîs de songe et de veille, revivant sans cesse ce qu'elle a rêvé : r Dans ce chaos où Dominique stenfonce & plus en plus, i travers ce tournoiement d'images et de sensations qui L'assiègent, une pensée claire demeare: être fidèle à la voix intérieure, être fid21e à Ys* »- La conscience drune force tégissant son existence et causant son handicap ne Ifempêche pas de croire ik une liberté Intérieure : grâce, voix ou lumière qui
permet de rompre L1inéiuctaMe, au moins en pensée, et qoi fait passer son salut par la f i a t é P la parole et à l'enseignement d'Ysa Si la danse du garçon touche à ce point à la pexféction, c'est
que la passion est son moteur ; son mouvement nu et dépouilI6, sans décor ni costome, peut tout exprimer et représenter, car il est pur et authentique, contient, en son essence, l'universel.
Nous avons mentiom6 que la danse conjugue les contraires et qu'Ysa appartient B un univers nocturne. Dominique s'enfonce elle-même dans un made imaginaire de plus en plus nocarnie à
mesure que son désir de danser devient pressant. Prendre possession de son corps irnpiique une descente au fond de soi, introspection qui vise à recon&tre son désir le plus intime, qu'il s'agit ensuite de traduire et dVaSSOUVif. Au d6but du récit, l'héroïne e s t hsllée dans une cour dont ltinaccessibité en fait un espace -gé, isolé et secret comme une chambre d'enfant :
La maison la plus lointaine, celle qui oppose au monde un flanc seul et non défendu par une habitation voisine, est enfouie dans une sorte dr6tuï de verdure ; etuï étanche, fait de lilas serrés et, plus haub d'un rideau de peupliers, Cette maison recèIe dans son antre ombreux et frais une cour pavée de pierres des champs, cimentées d'herbes et & pissenlits, La cour, que baigne ube lumière verre à travem tant & feuillages et qut termtoe au foad le rocfier abntpr, puail inaccessibl~ ailleurs que par ia nialson eue- même30,
Lumière verte chargée de Liquidité, air humide, éclosion de fleurs jaunes malgré l'ombre.
Dominique est protégée par les t< soleils verts et froids, filtrés par les feuillages bnlissants *, et
Ysa, lors de ses visites, emprunte me allée enchantée où * des ombres vaciIIantes, mal définies,
et sans cesse en mouvement, [...] montent la gardG1 B . Les arabesques qu'ïi invente sont entourées par cette lumière et ce paysage. Toutes ces images appartiennent au Régime Nocturne-
La danse srappuie sur un rythme ; celle dYsa est mesurée par la musique de deux SiMets
dont la description explicite Ia n8cessairG cooap16mentarît6 :
La prerniere de ces f lOte s renvoie, par sa sonorité, sa couleur et sa mati&re, à la terre et au feu,
dors que la seconde rappelle l'&et Iream La masïqne qui en jaillit peut donc tout repriésenter et
accompagner les ballets illimités dY&a :
Ensemble, la musique et la danse soutiennent des scènes de joie oùl lres@t et le corps sont en accord. L'interaction qui s'effectue par cet intermédiaire artistique est placée sous le signe de
l'harmonie et du partage, alas que la rieiation entre Fianpis et Amica &ait maquée, rappelons-
le, par la violence et la paranoparanoia Ainsi le texte i1lustre-t-il ces propos de Durand : ( La musique [est] cette méta-émtïque dont Ia fonction essentielle est à la fois de concilier les contraies et de
mai.-triser la fuite existentieiie du temps34 n .
La danse dYsa n'insbme pas seulement la tentation du geste pur chez l'adolescente, elle provoque aussi son envie de dépasser l a obstacles que Lui impose le réel, d'atteindrie un eudelà
spatio-temporel où le jour et la nuit, la raison et la passion, ne diviseraient plus l'être, ne le
condamneraient plus à l'immobilité. Dominique s'enfonce dans l'univers de ses songes,
s'abandonne à une exEstence comateuse où rien n'existe hounis L'imagination de nouvelles chorégraphies : r Niùt comme jour, elle dort, p intecLnittences, d'un sommeil lourd de songe,
puis se réveille, vit de ce qtelle a rêvé et se rendort35 b. Un mtdecin vient l'ausculter, qui a les mains et la barbe très blanches, Cette biancheur, que perçoit Sa mdade, r e p e n t e la réalité
devenue informe et illusoire wmme .r des m d e s en poudre de M- Pour Dominique, seuls le rêve et le désir de danser existent désormak Se ferniant aux sollicitations extérieures,
eue se replie sur son ultime ambition, sur le souhait qui L'habite et la fait vivre, cette K volonté
intransigeante, incomptible qui dépasse singulièrement [sles forces37 m.
32 Ibid,, p- 91. 33 &id-, p. 90- 34 G. DURAND, Les Structures ont~opologiques & l'imaginai%. 1963, p. 374. 35 a L'ange de Dominique n, p. 98. 36 Ibid., p. 100. 37 fiid- p- 101.
Dans << La robe corail B. ÉmiIie s'aperçoit, grâce i Gabriel, *elle ne connaît pas son propre visage. Elle rcssent tmmédiaîement le besoii de se voir, comme si la vie L'appelait du
fond d'eue-mgm. Ne powant appréhender ses huis elle se souvient & ceux de L'homme qui est venu à elle et constate que les yeux de Gabriel, à l'inverse des siens, vides, sont cc Iuisatlts comme les rivières délivrées après la débâcle du @km@* B. Par le regard de L'autre, Émilie
commence à vivre. Les nuits suivantes, aion qu'elîe épingle larobe corail surson vêtement et se
place devant la fenêtre de sa chamb~t, de manière à ce que d'en bas -el, q@ Iai chante la
sérénade7 l'aperçoive toujours un pui plos selon l'avancement da tricot, le désir augmente mtxe
ces deux êtres qui communiqmt parle regard, le chant, L'attente et la patience. La tête d-e est auréolée de bouc1es blondes, taudis qutun a croissant d'argent B flotte au-dessus de c d e de
Gabriel, ammie si la lune dait à la rencontre du soleil La robe achevée* fmüie apparai5 de pied en cap, dans l'encadrement, et Gabriel dresse me échelle a h d'alter la rejoindre- Pnis,
[s]ans avoir eu besoin drapprendre, -e [pessel ses bras autour du cou de Gabriel qui, doucement, la dépose à terre- Mais il Ia reprend aussitôt, comme si cela le gênait de l'avoir distincte de Lui, aïmi qu'au temps ail ils étaient deux paysages &parés sur la tene- me, à la fenêtre, en offiande ; lui, en bas, sut l'herbe* en appd39.
La période de séduceion et la nuit d'amour sont plus d'ordre seasoriel qu'intellectuel, les deux êtres s'attirant mutuellement de manière quasi instinctive, Cest ainsi que la montée du désir et
l'acte charnel arrivent natucellement et donnent B -e une @se -eue sur le monde ; elle
a soudain l'impression d'atteindre l'infini du temps : a Les instants ont des couleurs, des
parfums, des touchers, des lumières, mais ils n'ont pas de contour, ils sont sans limite, flottants
comme des brume@ B. Le don de tendresse se fait toute la nuit dans une clairière qui a quelque
chose de merveilleux, de féerique : « Les rayons & la Lune convergent, tout blancs, entrie les
arbres, vers la clairière [...]QI S. La musique accompagne, ici aussi, les scènes d'amour. Les
rencontres et l'ultime partage se déroulent dans des nuits inondCes de clarté lunaire, climat
nocturne qui voit Émilie s'abandonner sans crainte ni retenue à Gabriel et à la douce obscurité.
Si Émilie reçoit L'amour offert, il en va tout autriement pour Catherine, qui se bat pour arracher à Ifunives des miettes d'existence et qui profitera de la gnetre et du chaos social pour
laisser jaillir sa révolte. Ce personnage rencontrera son double opposé en Nathalie, N [clhassée
de son couvent par l'envahisseur, [..,] me toute jeune Sœur aux yeux effarés, aux cheveux
roux, tondus, aux taches d'or sur un visage enfantin42 B. Alors que Nathalie a peur, perdue « en ce monde étranger » sans murs nl @es, sans règles, Catherine cc contempIe l'or fauve,
38 K La robe corail B, p. 116. 39 Ibid., p. 120. 4û Ibid., p. 121. 41 Lot, cit- 42 K Le printemps de Catherine IP, p. 134-135.
le rouge, L'éclatement puissant des gerbes de feu s, et, a [clhaque nuit, [...] y lit avec ravissement les Signes superbes de la fin du monM3 >*- La s e ~ t u d e IÏe les deux jeunes
femmes, mais Nathaüe - la bianche et pure, l'enfantine - craint le mal qw Cath& - I P laide, la noire et coupable - espère comme une faille à travers laquene caresser la v k
Le printemps, avec son malheur et sa destruction, est une renaisance pour Cathexine- Celle
qui a été anéantie éclôt : << La Puce est seule dans un monde horrible, mais elle est disponible.
Elle hume son premiaprintemps. La fimi& temit l e deil. les praiïes sont ravagées Catherine
pose son premier printemps, sa première journée anmoncl& m. Pendant que l'orpheline avance sans diniculté, Nathaüe, regrettant la rigueur des règles du couvent, est prke par l'ennemi :
Les valeurs sont perverties, la pureté est detruite, la virgïnité bafouée et la beauté, s a d é e sur
l'autel de la guerre. La voie est dégagée pour Catherine* qui pourra se rendre au bout de sa
misère et de son d e m . Sa Liberté est t d e . LE SOU, en se couchant, elle savoure ie repos : a Douceur d'une nuit de printemps. La Puce da ni vaisdie B laver, ni plancher à fiottet S. Un jeune soldat ivre vient à elle, atîiré par la blancheur de son visage brillant K d'un pgle vert
funaire », visage dont I'alcool embellit les traits : Son cerveau illuminé transfigure ton corps
de paria. Tu ne sais pas queile princesse hi fk, le temps d'une étinceU& rn ! il Lui fait l'amour ; elle, offerte, accepte les caresses gauches-
Le désir de se connaître pousse vers L'autre, ce qui pennet une prise de conscience du corps et
de l'aliénation. La fureur de vivre, la passion amoureuse ou la volonté de se surpasser sont ici
les révélateurs d'une lumière intérieure, propre iL LrbnaginaÜe nOCt\llPe, cachée au fond de
L'intimité. L a laissant surgir, les h é ~ h e s trouveront un éqriilibre entre km corps et lem âme. IAZ processus d'émancipation est sensiblement le même dans les trois nouvelles. Domiaique,
condamnée à l'iimmobilité, voudrait danser. Ble se réfbgie dans le songe et, explorant son désir
intime, finira par trouver, au sein de sa pasion et à force de tenter de L'exprimer, sa capacité
dansante. fmilie découvre son visage à travers Le ~iegard de celui qu'dle aime ; après avoir rencontré son âme, il lui faudra apprendre à vivre avec elle-même. Quant à Catherine, qui veut
prendre sa place dans le printemps, elle découvre toute la puissance de sa volonté. Pour qu'elie
puisse exister, le don de soi ne &t pas : 1 lui faudra aussi dteindre, dans les yeux du soldat,
43 Ibid., p. 135. * Ibid., p. 141. 45 Ibid-, p. 145.
&idd, p. 146 ; les citations pdcéxkntes sont tirées de la meme page-
le souvenir de son enfance bafoué&* La prise de possession de l'être va de pair dans Ies trois cas
avec la découverte d'un univers nocturne où le corps est vdorisé et la mort, euphémisée.
A la fin de « L'ange de Dominique B, l'adolescente dame sur la plage, appliquant l'enseignement d'Y* qui lui répétait :
Q faut se -der une fois pour toutes I ou ne pas partUV et amasser* pour ia perdition de m-* des choses qui portent déjiî en d e s leur propc gcrme d& déhmpsïtlon, ou tout qulîkr pour Ie trait du moment,
& arissit2it dMmt, et k r e € i chaque fois aussi exceliemment que pour l ' i ~ 6 t é ~ ' -
La connaissance du geste mené sa penition par la danse et le désir d'atteindre, envers et contre la réalité, ce mouvement sublime, sont indïssociabIes et décodent de la paralysie de Dominique. En effet, son handicap l'amène à penser le geste épuré et le souhaiter mtnme a la
prise de possession de son destin48 s : u Un jom, quand Le temps sera venu, la dame se de%arrassera de son enveloppe dure, la daose s'échappera, et mes jambes intérieures Iaisseront sur mon lit les écailles fmées de leur immobili@' m- Pour Dominique, ta danse symbolise une
quête de la désincarnation et de l'él6vation : le corps damant, condensation & 1'- et de sa vie,
est un corps qui, par le monvement qui le raméne à l'essentiel, trouve sa perfection, -que
inverse donc le message de Claudine dans <c Le torrent », puisque seul le monvement libéré, défait de toute tare, lui permettra de s'appartenir et d'exister. Cette conscience lui fait désirer le
geste libre si fort qu'elle le Hse :
Petit à petit, elle va au plus Intérieur & soa être et découvre sa pogst-blliîk damante La main ne tiendm plus de Iivre, ni de counue, la main est rendue à son sens de main pure et le geste à sa valeur de symbole. La jambe ne commettra plus d e faute en marchant mat, ou en se figeant sur pIace : elle marquera les pauses et les départs dtme envolée au &Ià de ~'~nconnu~ .
Mais puisqu'on u ne dépasse pas impunément les forces de la na tud l *, DominÏque. nouvelle Icare, s'écroule sur Le sable, peut-être morte, et Ysa, qui l'assistait, se jette à Ia mer.
À travers le désir de La danse, Dominique poursuit également une quête du langage. Ysa montre que l'expression gestuelle peut remplacer la parole. Par Lui, Dominique perçoit la
nécessité de s'émouvoir et de traduire ses sentiments. Et la jouissance du monde implique La
connaissance du langage :
Ysa vient d'un pays où l'on a plus de loisir à regarder la xner et les oiseaux, d'un pays où L'on les mots pour dire sa pensée et son amour* d'un pays où l'on ose dire chaque fois sa pensée avec des
47 << L'ange de Dominique B, p. 103. M , p. 107.
49 Ibüi-. p. 100. 50 fiid-, p. 106. 51 Iad., p. 108.
mots nouveaux et qui engagent Pour son Langage personne[, Iuf, Ysa, a choisi lachanson du geste- II a choisi I'éIan du geste dont la durée se mesuce au seui m a t comme la vie de Dieu mêmeS2,
Au foret àmesure q m la mweIIe avancew la mort est M e - Dominique l'imagine comme
un sommeil fait exprès pour elle, où elle pourra trouver son principe vital, son 6nergie- La mort est présentée au centre de la vie l a plus Ïntime z u 6 le sommeil O& je puise la sève que me
refuse la vie ! Veut-on m'enlever cet unique recours ? Veut-on ma mort ? Et pourquoi
m'empêche-ton d'obéir à attc moif pimicolière à moi. qui me fait si- r ? Le motif du tombean s'associe à celni de la chambre. Yka vient exécuter ses arabesques dans la c m de h maison, cet « étui Ctanche w baigné de lumière verte. Plus tard, Dominique ne qaitte plus sa
chambre, Leu qui favorise un état de &ene et &abandon progressif aa pouvoir des songes. La
lumière verte, a l'hPmidit6 du dehors, la brmne même [qmi pénètrent les minces cloisons~ w a le souvenir de la fluidité des yeux dYsa envahissen& petit à cette chambre et transforment
le tombeau en terre Iiqnide. La chambre dome l'exemple du rapport 6tcoit entre le songe et la stagnation ; de plus, le silence et l'obscurité brumeuse accentuent son caractère intime et
semblent préparer à l'immobilit6 de la mort.
Au plos fort de la maladie de Domihique, le docteur lui fait boire i< une liqueur verte >* :
cc J'ai déjà bu de ce philtre, de ce soleil vert, fluide, incandescent; il court déjà dam mes
veines-.. Personne ne m'en guérira ; leur remède de lui-même se change en mon mals5 W . Le breuvage rappelie la dame dYsa et évoque la pedeetion d'un éclat végétal pennemant le songe ; la lumière verte, fütrée par l'eau, se liquéfZe et s'adoucit Le même éclat est projeté par les yeux d'Ysa, dont la couleur est celle du soleil vu depuis les fonds marins : ic Eile voit deux yeux braqués sur elle à travers la vitre ; deux yeux verts et or et si beaux que de cette vitre nue ils font
un vitrails S. L'abandon de Dominique à son désir, gui entdnera sa mort, constituera m e
noyade, image de la moa comme descente au cœur d'une terre liquide.
La noyade, la chute dans une nuit liquide ne conduisent pas au néant absolu L'énergie de l'eau est liée au rythme sourd du cœur qui. malgré la mort, continue de battre. Ainsi. la noyade
serait plutôt un Lien avec soi-même, une plongée dans L'intimité et même une fanne d'immortaiité. Ysa, se jetant à la mer, rejoint celle qui I'a créé : cc L,'abAme humide et profond a
bu le danseur- Jaloux, il n'a pas rendu le corps Eger qu'alourdira une couche de seI- Ysa a rejoint le centre obscur des grands rythmes et des marées dont il était issu comme Adam de la
52 Ibid., p- 102. 53 rbid, p- 101. 54 Ibid-, p. 98- 55 nid., p. 100,
Ibid., p. 104.
t e d 7 B. Dans la même perspective, L'ultime danse de Dominique est décrite comme a une
seconde naissance dans la conscience de sa forme58 m. La nouvelle se ternirne sur ces phrases :
« Quant à Dominique, tard dans la XI& an L'a retn,uvBe chaude et douce encore- Pour elle, le désir de l'Ange s'était réaIisé : en plein ébiouïssem- nue comme David, elle dausait devant
l'Arche, jamais59 N,. Son corps conserve la chaleur de la passion. EUe a puisé au fond d'efle-
même la force nécessaite à l'assouvissement de son &sir et a réussi la réunion de la Me
extérieure et concrète et deIa voix intérieure et -te, de son corps et de son esprit, La mort
est eupbémisée en a sens qu'elle est prékentee comme une renaissance7 un retour B L'originel, ii la teae Liquide, comme une descente au fowl de l'être et une assimilation du destin.
La nouvelle est tout entière placée sous les signes de I'eau et de l'air conjugués. L'air élève, et
la danse dYsa nrest que mouvement de I'air, envol- An mouvement vers le haut et vezs l'autre, qu'inspire la danse, correspond une aspiration vers le fond de l'eau et vers sa propre personne. L'être aérien *'est Ysa conduit Dominique vers me eau matricielle permettant une sorte de
résurrection- Parsadoxaiement, la qaête de l'él€vation, du dépassement d a fol~es nahueIles e& du
pedectionnement corporel amène l'être à descendre en son intimité ; l'élan vers autrui pousse le personnage à se rencontrer soi-même. Une forme de spiritualité se fait jour dans la vénération du
corps-
L'eau est également partout présente dans a La robe corail rr : .r goattes insaisissables60 m
du rêve de la petite h i l i e , miroir du visage de son amant, qui a u les yeux Luisants comme les rivières de1ivrées après la débâcle du printemps61 B, et miroir de son desir depuis que ses
propres yeux sont c< enfiin habités, mais fermés comme des fontaines dont on craindrait la
profonded2 B. Pourtant, ici7 l'eau n'adoucit pas la lumière. Après lbnion sous la lune et juste avant que Gabriel ne la quitte, a M e a la vague impression que son bonbeur ne résistera pas au jour, comme ces vapeurs blanches que perce b soleil et qui flottent, toutes déchirées avant de
dispmAtre. Instants sans contour, qu'on croyait tenir». Tout pourrait recommencer si la
Lumière matinale, trop peqante, ne décapait pas la nuit de son aspect f-que, ne ramenait pas
Ies préoccupations quotidie~es au premier plan-
Gabriel est arrivé comme l'ange pour annoncer B Émilie qu'elle allait renaître et exister par la
découverte de l'amour et par le regard de l'autre, celui qui permet de se voir et de prendre
. -- .. -- -
57 Ibid., p- 109- 58 =d., p- 107. 59 Ibid-, p. 109. 60 K La robe corail *, p- 115. 6r ibid., p. 116.
conscience de soi. En guise de cadean d'adieu, il lui donne un miroir. Alors, a Émilie pour la
premih fois fait la rencontre de son visage..+ Et eile s'[aperçoit] @eue pleur[e]63 B. Cette
nouvelle participation à la vie ne se fait pas sans ddem pour eue, cisr Gabriel, en volant scm
corps, a libéré son âme & la quiétude perpéa~tlie~ la livrant au doute, au manque et l'angoisse. Ses sens, trop subitement sollicités, consement la blessure de l'abandon. Émilie cherche
maintenant une échappatoire à l'absence d'amour qn'eiie ressent, au vide qui L'inonde, et tente
d'oublier par le travail, qm devrait abamer son cocps et la ~~ nouveau Insensi'Mee
Les derniers paragraphes de la n o d e tiennent en trois Lignes : « Alors, un jour, eue a senti que son âme se tenait toute tranqyille. M e srest aperçue qu'elle priait64 XL Par rapport à
l'incipit, la focalisation a chang6 et se mncentre excIusivement sur lwmlUie, dont la -ce
se remarqnalt à peine dans Ie deuxième paragraphe du récit. La tricoteuse a manitemnt mi
visage. Quelque chose s'est passé dans L'atelier, 6v6nement qui a engendré une rupture dans l'activité des ouwïères et permis un changement de ton, puisque le narrateur, ayant abandorné
son humour méprisant, conclut sur l'6vocation de L'âme et de la prière de Lime d'elles. Même s i
Alors, on jour» n'est pas suivi de K ils se marièrent et eurent beaucoup d'enf'ts rn, la
nouvelle se termine à la manlmanlè= diin conte- La prière traduit un apaisement qui, en un sens,
annonce l'équilibre souhaitable entre les Régimes Diurne et Nachune de l'image : la prière
n'est-elle pas un mouvement de l'âme tendant à une mmmUDication spintueile avec Dieu, un Iien entre l'intimité de la conscience et la transcendance divine ?
Cathe~e , elle aussi, trouve l'amour le temps d'une nuit. Au matin, avant que le soldat ne se
réveille et que, dégrisé, il ne la voie, elle le tue- Par ce geste, elle veut préserver l'instant de
bonheur qu'elle a vécu, ne rien ôter à sa beauî6 fictive, et mmpre avec son passé de laideur et de moquerie : u Je n'entendrai pas le son de son rire h-6, quand il m'apercevra et constakm sa
méprise. Il ne saura pas qu'il a étreint La Puce ii la tête de mort, la risée et le dédain de tous65 » . Ce meurtre n'a rien de gratuit, puisqu'il consiste en une volonté de mettre fin à l'avanie.
L'appropriation de la vie de l'autre pennet au personnage d'exister, de toucher au monde par la
seule voie accessible : la violence, le mal. Le soldat symbolise, par sa jeunesse et sa beauté, ce
dont Catherine, pour son malheur, a été privée depuis la naissance. Le crime lui assure de garder intact le peu d'amour, de bonheur et de joie qu'eue a pu d6mber ; par le biais de cet acte, eile
met également fm au souvenir de son enfince offensée, car a [ d ] ~ cet a d bleu qui se fige
63 Ibid., p. 124425- 64 Ibid., p. 126, 6s a Le printemps de Catherine m. p. 147.
pour toujours, mi instant eIIe [voit] I u h je ne sais qMe d i c e , jardin d'où eiIe demeure à tout
jamais chassée66 W .
Dominique, fmilie et Catkine sont sociirs d'aü-ai et de qyête- C h a c m plonge dans on univers nocturne oiî eue fait, par Ie biaU du corps apprivoisé, la rencontre de l'autre et de soi. Par contraste avec le dîscoms de Ciaudine dans Le tarent s, la connaissance de son corps, le désir éprouvé pour outmi et 1'6coute de sa h i d o s'avèxent nécessaires à L'hamionie de l'être, La spirituaiité n'estpas indépendante de la man'& : voila œ p les principaux symboIes, images et motas étudiés tendent à illustrer- Le grand vide & par la l m n i b OpPrimante, par I'immobilité dans le mouvement et dans le temps, par Ymcapacité communiquer, se laisse
combler par une chté verte, bleue, liquide ou aérienne, sapérieme ou Intime, reiÏant L'univers entier, les êtres et les elénients :
Sépées et diamdtraiemait opposdes, les puksmœs de la1-ère et de 1'- sont néfastes pour l'être ; conjuguéesT elles recnknt L'fiomme de Irmtérieur, s'intégrant à ilexaItation et à L'ouverture du caeK Ce qui était v a par les personnages hébertiens comme des oppïESSions successives de la l~~tll-ere et de l'eau, l'une dessechante et isolante, l'autre noyant le moi daas lrabnûne druue terre marine- est devenu, SOUS ces forçes unies au centiit d u c o p * une espèce de I i i ioao i l rénqïe éiémenraire est mai%-sk à soa tour par ~nh0mme67-
66 nid-, p- 148. 67 L. ROY, a Les jeux de lumière et d'eau dam Yunivers poétique d'Anne Hébert *. dans M- DUCROCQ- POIRIER (du-), Anne Ri!lurt, parcours d'une œuvre, 1997. p. 47.
LA MAISON DE L'ESPLANADE »
Toutes les nouvelles anaiysées jusqu'icl disent la quête de possession de soi et du monde de personnages fXns et sœurs de sonffrance, partieliement ou totalement alihés par une dance malheureuse - dont ils traînent un souvenir lourd qui ralentit Leur progression - ou par une
résignation ambiante, condamnés à une paraiysie leur rendant inaccessibles le temps et i'espace.
Au terme des récits, et a m des réactions et des parcours diff€rents, ces êtres. mus par un désir de vie et d'amour, ont tous acqms, de façon imagbake ou réelle, le droit d'aputenk à i'univers
des vivants ; si au départ leur entourage les conditioMait à préferer un imaginaire diurne, ifs ont
fmalement trouvé un refuge dans l'onirisme noctme.
« La maison de L'esplanade W. Le dernier texte du recueil, relaie l'existence étriq& diine
femme afhblée de toutes les carences dont soUnrent les autres protagonistes du Torrenî. mais qui, n'ayant aucune conscience de son aliénation, mène une existence de nCaat Dans L'incipit,
le narrateur présente avec civilité au lecteur - comme on Le ferait lors d'un bai - la demoiselle
Stéphde de Bichette. Ii nous introduit d'emblée dans la bourgeoisie, nous sigoalant que nous
avons affaire à quelqu'un d'important, Uais la nanation est saturée de raillerie et d'ironie, et la
représentation de la dame est caricaturale : cette curieuse petite créature >> a << la tête trop pesante pour le cou long et mince », non parce que trop pensante ou trop pleine, mais en raison
de la « coiffure haute, aux boucles rembourrées qui stétage[nt] sur son crâne étroit, aveç la
@ce symétrique d'une architecime de douilles d'argent1 » .
a La maison de l'esplanade w , p. 151.
La nouvelle dépeint une inmche de mort plutôt cpe de vie. En &et, mademoiselie de Bichette est passée de l'enfance à l'état de vieille £ille «sans traasltIon, sans adolescence et sans
jeunesse, de ses vêtements d'enfant B ce= étenieiïe robe ccndriée* @e au cd et a m poignets d'un feston lilas2 m ; elle subsiste dans M hors-temps, mène ane apparence faiitanaiqd rn de vie et respecte K @]e programme de la journée fonctionn[antf comme le mécanisme d'une
bonne horloge suisse4 *. Elle s'enferme dans un qyoh'dien q~ m comporte que deux réaIités : celle du beau temps, de la promenade avec L'ombrelle Was ou oudrde, et celle du mauvais temps, avec la dentelle au crochet Toute sa vie est aing e une traclition, ou plutôt me suite de
traditions. II y [a], outre la tradition des ombrelles et celle de la fameuse coiffme, la tradition du
lever, celles du coucher, de la dentelle, des repas, etc5 m. P d ces pratiqyes, il y en a une qui
consiste à fenner ies pièces à mesure qu0eIIes ne servent plus: les portes ainsi vemdIées signalent les chambres des moits, des dispanis, de lacloîtrée et du désh6nté-
Luthnt contre les maléfices de la saleté, Géraldine prom8ne une voiturette qui, en assurant la propreté des Lieux, préserve la pureté des personaes, que symbofisent les napperons crochetés,
véritables cristaux de neige saupoudrant petit P petit les meubles de la maiscm et remuvrant d e -
ci d'un voiie blanc d16terMt& Garante de la coutume, gardienne du columbarium, la servante9 x témoignant un respect admirable de la tradition6 m, sert et soigne sa maîtresse en songeant,
avec delices, au matin où elie demeurera seule panni les spectres, reine du royaume. Le texte
précise que son rêve n'est aucunement mative par la paresse et L'attente de la retraite, mais q w
« [clela signifi[e] pour [ellel le couronnement suprême de I ' œ m piehement accomplie et la
réalisation de son destin de femme de chambre7 P. Les pensées de la servante, tout entière
dévouée à sa mission, révèlent la finalité de l'existence de Stéphanie : que cette vie d'inanité
s'accomplisse et aüeigne son ach&vement dans Le néant absolu.
Géraldine puise son bonheur dans le devoir bien fait et ne pardcmae pas à M e s , le frère
renié, sa trahison. Le narrateur décrit cette situation avec une ironie non câmoufiée :
Géraidine suivait tous les mouvements de Chartes, d'un regard imutah e t biomphant. lies bras crot*SeS sur sa forte poitrine, etle se croyait, peat4xe, L'air vengeur et imprcssicmuant de la statue du commandeur ? Qie regardait avec m6pis le paletot 6tnqu6 et usé, e t sembiait dire : a Hein ! Ça devait arriver ! Monsieur Chartes a voulu se mésallier avec une fiIe de Ia Basse-Viile.,. Monsieur son père I'a déshérité, et, moi, jrai ferme sa chambre comme on ferme celies des morts- Si mademoiseiie Stéphanie veut le recevoir tous Ies soirs, c'est de son affaire, mais, moi, je veux lui faire sentir que je jouis de son humiliation, moi, la servaute, Je SÜS qu'il est p v r e et que c'est sa puniaon pour avoir &obéi à
monsieur de Bichetk II vient ici parce qp5i n3 pas de quoi manger chez luf, ii d&ore nos provisions et garde sur sa vilaine pso de qu~temc une de Ia chaleur de la maison- Gueux, va8 !
Stéphanie et Géddlne tiennent lem iok dans h société, chacune ObéTssant, sans se q&onnc~~
aux lois de son stahit, Le cuite & Ia bienséance, du rang social, de la tradition, de l'habitude
- bref, de L'ordre des choses - compose leur raison d'être et indique leur aliénation.
LadepossessimdtSttpbanndeBichctie~sit~qutQ~nipersorinene SemMepouvoir la renverser. La @kence du R t g h e Dirane est excIusive dans cet anivers entièrement dgi per le manichéisme et Ia fixité, et crest sans doute cette absence de codrontation avec un autre
système imaginaire qui constitue la plus grande part de l'aiiénafion de la demoide. Celle-ci, en
effet, craint non sedement Ia nui& -s surtout de nravolr rien à f k , œ qui expIi'que qu'un horaire aussi précis scande rai qyocidien et qpe tout changement p a k e impossr'bIe r
La vieïIIe demaseiie aimait dormir dans la nolrwur la plus parfaite et exigeait piusieurs doublures d'étoffe et de lattes vemks entre elIe et les maléfices de la nuit Eüe craigait aussi les premiers rayons du soleilT dont on ne sait que faire, puisqutils vous CveiUent avant qu'El ne soit L'heure de vous lever9.
Les temps morts, propices la rêverie, sont donc évités- Le respect des mutumes et In reproduction de gestes immtmoriaux occupent ta journée, et lamoindre pensée est vite évacuée :
Que1 dépaysement quand Géraldlne ne sait pas encore quel temps ii v a falre et qu'il faut rester dans l'incertitude sans cien de solide sous les pieds,- Cela me dehntibufe le cerveau ! Oh ! ne plus penser, et se laisser emporter par ces deux sûres et uniques réalités r aile de Ia promenade et ceUe de la dentelleIo !---
Autre signe d'aliénation que l'absence de regard, de visage, de corps et de parole du personnage, qui n'est qu'a une espèce de petite momie en robe cendre et LilaslL >>, une
enveloppe toute vide, une coinnre montée sur un a petit visage poudré m, avec des mains qui crochètent mécaniquement et une unique phrase B In bouche : e Comment va madame votre
mère12 >> ? Rappelons que le corps - en particulier le regard, le visage et les mains - occupe
une place pridominante dans les autres textes du Torrent- Le corporel est communication,
ouverture à r'autre chez des êtres au Iangage encore balbutiant et souvent f i b I é s chne tare reliée à leur diBicuité d'être Si la tête de mort & Catherine est la coI1SéQUence de son péché, de
sa naissance coupable, le handicap de François (Ia surdité) et de Dominique (la padysie) leur
permet L'accès à un monde onirique ; et Émilie, dont seules existaient les mains qui tricotaient,
découvre, par le regard de l'autre, son corps et son visage- Stéphanie de Bichette, elle, morte vivante sans passé ni avenir, ne reçoit ni visage ni corps, mais m e coiffure et des vêtements,
Dans I'nMvers mat&hKste et étrïq& de a La maison de Ir~tanade », les personrrages n'attendent rien, s i ce nkst la mort, Ils vivent immobilisGs parle p@nci rexorxunencement des
gestes - I'impdkit augmente draïiieurs ITinpression de sempiterneIIe répétition. Chdes 116-
même se soumet à sa malédiction et patiente, espérant chaque jour Le d e de sa sœur. La mort,
omniprésente dans la noweiIe, en mq, la clôture- À la fin. Ier pewiuiagcs sont tous couchés
dans Lem lit, et leurs penséës mpctives dénotent Ia @aite incommOmcabilité qm l a éloigne les uns des autres : Chades et sa femme se demandent si L'attente sera encore longue;
Stéphanie K crois[eJ ses minuscuies mains froides et abandonn[e] au grand néant de la nuit son
petit néant à eile, ridide comme une Vi'eiiIe mode et sec comme une figue pressée»;
« Géraildine veill[e], en rêvant que la mort [a] clos toutes les portes de la vieiiIe demeureI3 S.
Le Torrent se termine ainsi sur la mor& ironiquement inutile-
Alm que Frangois, Dominique, fmüie et Catherine sont animCs drune passim intériewe, enflammés par une révolte, poussés vers autrui et mus par une quête d'~clpatIon et de prise de possession du monde, Stépbanle de Bichette, qui pourtant est le résumé, le condensé de
toutes les aliénations de ces personnages, qui incame l'extrême dépossession, se cloisonne dans
son petit univers duaiiste et se replie sur sa mlnuscuIe mort Son histoire eCaae tout espoir de
révoke, se situe avant la vie, dans le néant, au temps de la fermeture totale à l'altéiïté et à soi,
dans L'espace d'un Régime exclusif ne permettant ni la prise de conscience de ses manques, ni
l'accès au rêve et à ses possibiités. La conclusio~~ de c La maison de l'esplanade », texte placé
sous Ie signe de Ca stagnation et ayant pour sujet une série de répétih'cms conduisant B l'disence
et au silence éternels, pourrait apparaître comme la n6gation de l'aptitude de l'être à prendre son
destin en mains et à transcender son allénation, comme lkdthne victoire du Régime Diurne ; il en va cependant autrement. L''ironie qui jalonne le récit et qui vise surtout la vision manichéeme du monde et la conception d'un temps héaire nous parnet drafflrmer que ie recueii ne se CI& pas sur une image de mort M e . Comment podt - i l y avoir une chute à la nouvelle, M point
final au recueil et une mort à Ia vie de la demoiselle, puisque cette demière flotte dans une
étendue atemporelle et est décrite comme une cc extraterrestre » qui ne cess[e] de durer »
dans le K grand néant de la nuit14 » ? b ton satirique n'épargne pas la dualité qui emprisonne
l'être entre les réalités du beau temps et da temps gris, des ombrelles lilas et cendrée, de Ia dentelle et de la promenade, du tien et du mal, du respect et de la trahison de la tradition.
La dernière nouveïIe mi recueil, en fait, renvoie B In première, participe d h e construction circulaire. Phsieurs éléments nous autorisent forger cette hypath&se, les cinq nouvenes
entretenant dr6troites correspoedances. Comme nous L'avons cMjX rnentid~lllé, Ia phpart dts
critiques ont choisi de se pencher exciusivement sur a Le torrent m, nouvelle invitant à
une plus grande attention, puisque placé6 en ouverture et ptus étendue que les autres. Or, aborder ainsi une nouvelle saris consïd6rer I'eIlSernbIe dans lequcl eue s'inscrit bquivaut à nier
L'existence &une composition gén6raie et B colls~idérrr Ie rrcoeif comme b résnIQt chme
contrainte éditononale, comme une fondion d'emballage. La nomeue est rnt & fragment, &
l'ellipse, de Iraventure, de Ia chute, du discontinu ; mais L'objet nouveau, Ie recueil créé,
rassemble les bribes en un tout cohérent e t englobantc Notre étnde a voulu montrer la nécessité
dbne Iecture gIobale du xecd, surtout qn5I s'agissait de cerner un anlvers imaginairemnzirre OrntR l'homogénéité mînimaie du Tument, qni est c d e de la voix e t du regard, des liens se tissent entre les nouvelles, les personnages se cessembIent et s'opposent, de nombreux thèmes et motifs
sont récurrents ; l'univers morcelé réuni par l'auteure fait se croiser plusieurs débuts et fins, dtoil une réitéraîbn de L ' a d t de coimneocement et une rupture du pn'uicïpe IMéalre-
Un fait nous codirrne dans notre impnssion que la siiccession des nouveiies du Toment est
régie par une architecture #ensemble : L'édition de 1950 ne comprenait que deux nouvelles
inédites, [es autres ayant paru anparavant dans dpao revuest5 ; or, Irorgani*sation interne du
recueil, reprise dans L'édition suivante, ne respecte ni L'ordre chrondogiqne de la r6daction des
textes, ni celui de lem publication. Notre m-somement, jusqu'ici, va dans le même sens que ceux de Jean-Pierre Boucher ; nos points de vue divergent toutefois lorsque ce critique avance
que L'ajout de deux nouvelIes dans la deuxième &Etion du Torrent a &MI Lr@ulliii mis en péril par la présence en ouverture de la nouveile la plus longue et permis à l'œnvre de se clore
sur Ia dissolution éventueIIe des forces conservatrices (L'édition originale se termznalt, seion hi, sur leur triomphe) :
Les tiens foujours impartants entre les nouvellis @'wvtture et de fermeture iodiqwx~t, dans fa pcmièze édition, que la tentative de iÏÏratïm d e Francpis sera sans Iendemain puisq~lt StépEiaoie & Bichette, I'héro'ùrie de a La maison & I'espiaaadc S. iacanie Ia permanmœ dt la tradition- Dans la smmxk édition, par contre, Fmçois trouve un double en fa jeune h h ï e , ce qui montre que sa révolte n'est pas isoleel6.
Mais Dominique, Émilie et Catherine ne sont-eks pas aussi des doubles de Fianpis? L'interprétation de Boucher, par f l eurs solide et valable, piut d'un postulat différent du nôtre.
l5 K La maison de L'esplanade m, daas Anurique fiançaise, septembre puis novembre 1943 ; r l'ange de Dominique B, dans Gants Ilu ciel, automne 1945 ; a Au bord du torrent » [a Le torrent BI, dans Amékiqzce fiançaise, octobre 1947, l6 J.-P. BOUCHER, e Nouvelle Cponyme en ouverture : le Tment d'Anne Hébext*. dans k Remeil de nouvelles, 1992, p. 26.
En effet, il constate que Fmçois, pour se liirer, passe de la dépossession à M 6tat de possession par les forces occultes :
François -t donc prisonnier du cede vicieun. de sa d@aseSsion- Mais, Qns son cas, le
retour sur son passé n't~t-il pas plutôt néassairr pour transformer ses privations en f M t 6
nouvelle et pour faize du poids de la maison de Lrenfaace un tiemph ? T o u . selon Boucher, p]a seule issue à l'état de dépossession semble [..A être pour les personnages celui
d'abandon à des forces supérieures m, et a 'Ta makm dk LreSpranadk* conduait Ia premSxc
édition du recueil sur le triomphe de la société sur L'individu18 r, Nous estimons pour notre pprt
que cette de=-ère nouvelie, en montrant surtout que seul le coutact avec la nature et l'autre
permet de s'émanciper, rappelle L'ampleur de l'ali6nation cpi touchait chacan des personnages. Le de I'existence dechamBe de Stéphatûe - même plad en fin dk r e c d - ne suffit pas B rendre caduques les échappées des autres protagomstes, mais rép6te. en &ho, le fdeau de la maison de i'enfance et la nécessité d'en fiaachlr le seuil pour devenir soi et participer à la vie,
I4 yaedatis&e~)tnr&eetdarisle~dqu'el'eUeteeeune-tnictionquiopposeh figure du cercle, l'union des contrains et la cohabitation des deux Régimes de I"unage, à la dualitk et à la finalité, ce qui permet de remplacer l'idée d'achèvement par une proposilon de recommencement Cette circularité invite le lecteur à relire le recueil. de la même manière qu'elle ramène le personnage il son passé: 5 Iui dren pendre conscience et de ptonger duw son avenhue, sa a seule et épouvantable richesse m. La noaveile * L a maison de l'esplanade B est
le contraire du mouvement et, comme le précise Lise G a d , s'avère
L'image en creux-, le double inversé des pnkédentes* ladern~nstra~on même de œ que pn5cüsait L'ange de Dominique r u I l faut se décider une fois pour toutes : ou ne pas @r, et amasser pour la pdîtion de soi, des choses qui portent déjj en elles leur germe de d8camposih'oa, ou tout quitter pour ie m-t du moment, aussitôt né, aussitôt dém-t, et le ref* chaquc fois aussi excelitmment que pour L %ternité s 19-
A la suite de ces commentaires sur la circularité et la cohérence da recaefi, fi nous p a d t
judicieux d'insister sur un motif d a t e u r , celui de la maison détruite, que reprend chaque nouvelle du Torrent. ÉIevé h L'écart, François devra, afin de s'émanciper, s'évader de la maison
l7 Ibcd-, p. 25. l8 fiid., p. 29, I9 L- GAUVIN, .t Les nouvelles du Torrentt ua art d'échos m. dans M- DUCROCQFOIRIER (di=-). Anne H e m . purcours d'une m e , 1997, p. 219.
de son enfance ; ce n'est que Iorsqn'il voit son image se dissoudre (u La maison, la longue et
dure maison, née du d, se dilue en moi. le la vois se défomer dans les remous20 m.) qutiI
peut dépasser sa &-m. Domlaiqne d€@t d.ns Ia VinP & SOP père, éioignéë du vllTage et coincée entre la falaise et la mr; Ysa la h i en lui faisant fiancbir la m e T tout comme
Gabriel aide ÉmiIie à s'échapper de son atelier. De même, les habitations sont démoIies par Les
bombardements dans a Le printemps de Ca the~e» , ce qni ouvre la voie à La Rice.
L'effondrement des maisons rend possible Ikccès des personnages à la nature. Fianes, d'abord initié à l'inseosl'b'ilité au paysage, se fond pogrcssivement dans ceIui-ci et se trowe lui-
même en sridentifTant à la nature sauvage, en particuIier au torrent ; Dominique grandit cians une cour où la nature est ordonnée et paisible, jusqu'à œ quYsa l'invite à le suivre vers la mer et ses
vagues qyi martèlent un rythme implacable ; c'est au centre d.aiU clairière qu-e découvre
l'amour, et le soldat vient à Catherine a [a]o müia d'km champ* [dans] une grange pleine de foin et de pailIe21 W . L'élément aqnatique, sur leque1 nous avons insisté, accompagne cet élan
des protagonistes vers la nature,
Dans La maison de I'espIanade », toutefois7 la maison, associé& à la routine, à i'ordre* à Ca
hiérarchie et à la stagnation, sembïe indestructi'blee Ce solide bâtiment se transmet de générations
en générations et préserve, à I'ïnténeur de ses murs, dtancestraIes traditions. Son pouvoir de
conservation est tel que sa propriétaire lui ressemble, D'apparence, d'abord, puisqu'à la robe
grise, au a cou Iong et mince » et a au crâne &oit B, coEé de boucles étagées7 correspond Ia
<< maison de pierre de taille, datant du tégime français B, u une de ces maisons hantes, 6troites,
avec un toit pointu garni de plusieurs rangées de lucarnes, dont les dem*èns perchées sont à peu
près grosses comme des nids d'hÏrondeiles22 w. Le lien entre le train-train du personnage et la
symétrie de sa demeure est égdement remaquabEe :
Oh ! à ia v€ritét Ia vie de mademoisefle de Bicherte se montrait un édifice @ait de marité, Une immuable routine soutenait et sustentait la vieillotte et innocente personne. La moindre fissure à cette extraordinaire construction, le moindre changement B cette dlsclpline étabtie auraient suffi ii mdre malade mademoîseile de ~iche&.
En fait, l'interdépendance de la vieille bâtisse et de la demoise1le est constante et se traduit,
surtout, par Irutilisation d'un vocabulaire propre B I'habitation dans les descriptions du
personnage et de sa manière de vivre. Ironiquement, la forteresse anthracite, vouée à protéger et
à perpétuer Ia tradition, est située face 5 Irespianade, ouverture sur Ia nature contre Iaquee elle
se dresse. Le recueil se terminant sur cette nouvelle, le poids de la maison et la nécessité de
20 K Le torrent », p. 67. 2i K Le printemps de Cathen'ne *, p. 145. 22 K La maison de l'esplanade r. p. 153. 23 Ibid., p- 152-
détruire son reflet sont rappeIeS, carce n'est que lorsque son seuil est franchi et que son image
s'évapore que les protagonistes peuvent prendre pIelnement part B lem exÏstence-
Sur le plan de lrunaginaire, iI faut noter qrie sedes 142s vaiorisaîicms du Ké*'ine Diurne sont possibles an sein de la mai- L'accès & la nature permet de falre la découverte dim autre système de pensée et, par là, de prendre CO-ence de L'ampieur de L'aIl6nation. Ce motif récurrent de la maison souiigne chez tous les personnages sauf Stéphanie, la présence du
désir de révolte et de renversement des valem socides et imaghaks ; son anatyse permet de montrer Le passage d'un Ré@me Diurne à un Régi-nre Nocturne* Gilbert Dnrand insiste sur le
fait qu'il prête à confiision, pdisant pue ce lieu clos, tout en étant une foane de séparation avec
1e dehors, hciine à des rêveries de l'intimité et @iI est difficile de discerner les intentions de
défense et dTmtimité- Or, tes dans Ibnivers héôertien, nbffirent pas de chaude
protection et ne sont jamais le iieu d'une douce iatlmit6 ppïce à l'6vocation des souvenirs d'une enfance heureuse- Au contraire, e h maquent une volonté de séparation avec
l'extérieur : elles sont souvent à l'écart, tels des cloîtres préservant l'être de la rencontre avec
autrui et Ie protégeant contre les fanthes & la nuit et ta sauvagerie & Ia na-, teIIes des
prisons le réduisant P la SerYilité- François, DomiMque, hilie et Catherine sauront s'en
échapper.
DansEespoèmesd'heHebert,Iesym~smedeh~~trepEisB~verslemotif&Ia
chambre-prison, où i'êîre est confiné à une immobilité proche de la mort. Rongé dans un hors-
lieu et un hors-temps, obséd6 par le douloureux sowenir d'une d m c e qui le morcelle et dont il tente de retracer la héanté, le sujet semble guetter sa libération de ur La chambre de bois24 D OU de « La chambre f e r m m B. Dans u Une petite mortez6 B, une fatalité intérieure est dairexnent identiiiée : l'enfance bafouée aliène le je et l'empêche de se sortir de soi, « Une petite morte w,
c'est une enfance qu'on e e comme un poids et dont on ne peut se de'bazra~ser ; c'est un jumeau dont le décès nous a d6posséd6 d'une partie de soi et dont le souvenir nous obsède et
nous emprisonne dans une chambre. A l'intérieur, l'existence est réduite et r si minuscuie et
tranquille » que rien ne permet de connaître l'autre aspect des choses, c l'envers de ce
miroir », Irextérïeur, la nature, Ia joie du corps, l'autre, I'obscucité téconfortante, l'intimité
rassurante. En d'autres mots, la maison de l'enfance se fait la makesse de l'imaginaire et le
réduit à son aspect diume, empêchant L'accès à une pensée nocturne.
-
z4 Id., E w e poétique 1950-1990, 1992, p. 37-38- 25 Ioid., p. 35-36. 26 Mdd. p. 42.
DOULEURS PAYSANNES
Les champs thématiques privilégiés par Corinna Biile sont proches de ceux explorés dans la
partie sur le Torrent. Nous ne chercherons pas à tout prix, toutefois, malgré notre volonté de nous Livrer à une comparaison, à les anaiyser & la même manière, nous laissant plutôt guider
par les textes. Étant dom6 que Douleurs paysannes rassemble quinze r6cits faisant l'esquisse d'un pays et de ses habitants à une époque donnée (1930-1950, environ), nous ne viserons pas
le détail, mais le substantiel et le global, l'unité d'une vision disséminée. Nous traverserons le
recueil en sel~tionnant les images, a h de rendre compte au mieux de thèmes et m d s chers à
l'auteure, et en regroupant Ies nouvelles dont les liens sont profonds, jugeant qu'il serait
fastidieux d'étudier chacune séparément et peu judicieux d'accorder A toutes un intérêt égal. Il
s'agira d'interroger les personnages, surtout, et particulièrement les marginaux : Tobie le
meurtrier, Clotaire l'alcoolique, Bastian le vieil ennite, Alexlne la pyromaoe, Fiavie la sainte,
Agatha et le père Cortaz les abandomés, Sylvain le bâtard, AIbine la malade et Mathilde, qui se
laisse mourir. Ils renferment tous le germe &une révolte contre une fatalité qui les confine à la
pauvreté et à l'abandon, à l'amour impossible et à la torture de la chair. Pourtant, leurs cris
comme leurs plaintes muettes pinaisent hpnissants, datss0lres devant la mort et le regard implacable et ornaiscient des aPtres et de Dieu
Une atknîion partScnli&re sera portée au thème de la mat, car les Douleurs paysannes sont
comme les symptômes de L'agonie dbn mode de vie et dkme pensée religieuse, d'un monde
paysan commençant pourtant à peine B réus& à amadouer la nature sauvage qni l'entoure.
Corinna Biue vit cette agonie de 1'int6riewt comme me petîte mort, celle d'm passé cpï est aussi
le sien. Son regard sut cet univers en e l i n participe nCamnoins à sa destnrcti- en a sens
qu'elle en montre la non viabilité en le mettant à nu- En îmïsîant prescp indécemment sur sa décadence, elle restreint le champ d'avenir d'une vie archaïque qui tente de perdurer ; du moins
l'épigraphe en tête du recueil le laisse-t-elle entendre : ic Pourtant chaque homme tue ce qu'ii aime, et que chacun le sache : les tms te font avecun regard de haine, d'au- avec des patdes caressantes, le lâche avec un baisert L'homme brave avec une 6 e » ! Cette citation de Wilde
développe le thème de l'amour fatal, présente i'ambiguïte profonde de I'êb toujours partage
entre sa quête et sa fatalité, évoque les armes et les liens qui les hommes, pose que chacun peut être tantôt un bourreau, tantôt une victime, tantôt aimant, tantôt haTssaat, et suggère,
enfin, que l'écriture, en même temps quleiie de, détruit.
Au long d'une lecture en deux mouvements - L'un relevant dans les wuvelies la présence
du Régime Diurne de l'autre retraçant le Régime Nocizwne -, nous vérifierons
l'hypothèse selon laquelle les images diurnes fmt partie, c h a Co- Bille, d'un modèIe de
référence maintenu p~clpalement par le discoms catholiqae et ve'hicdé par le prêtre et la société, tandis que le nocturne s'impose aux marginaux, plus sensibles ii l'omniprésence d'une
nature à ce point imposante qu'elle les modèle à son image, qu'elle conditionne leur travail, leur
impose ses Iythmes et influence leur imaginaut et leias pensées en fonction d'une spietuaiité
plus proche, précisément, du Régime Nocturne- Ainsi, nous mettrons d'abord en lumière la prédominance du diurne dans le discours religieux et Les références aux images catholiques, dans l'imaginaire de certains personnages et daos Le regard collectif - celui de la communauté, du
village et du voisinage -, cela à travers l'anaiyse de la dualité de la chair et de i'esprit, des
valorisations nspeaivement positive et négative du jour et de la nuit, de la dichotomie de r - paradis et, enfin, des représentations de la mort en tant qu'ultime division de l'être. Nous nous
tournerons ensuite vers les personnages qui co~aissent une forme de coalescence avec la nature
souveraine, qui perçoivent et vivent une correspondance entre les règnes, échanges Leur permettant de développer une nouvelle spiritualité, et verrons comment ce& osmose les amène à
se considérer comme un tout, âme et corps unis, et à établir un lien et une co~munication avec le
divin. La question de I'euphémisation de la mort et d'une double valorisation de la nature et du
jour et de la nuit sera également soulev& au fd & L'étude-
Dans Douleurs paysannes7 la lumière est souvent valorisée positivement et, de ce f~t, associée à la pureté, ii la hranscendance* au bien, B i'ordre et B la sagesse- Dans a La sainte *, Le personnage de Flavie - ce prénom, évocateur, vient du latinflavus, qui sime jaune m - extériorise une clart6 bienfaisante et en exemplifie les caractéristiques- En effet, la jeune femme
éclaire par sa simple présence son village, pourtant &oit et samixe : a Un village tout noir, aux maisons serrées les unes contre les antres, et &nt les yeux d'écureuils =gardaient kemcnt une montagne qui devenait aussi ir2s noire Les jours de mauvais temps' B. Le contrase éclatant des
cheveux roux et de la peau blanche du visage auréolé de Ravie contribue à lui d o ~ e r à la fois un rayonnement et un aspect ~uz~iatnrcl qaï justifient son surnom de Feu Foilet B. La lum*&e qyÏ la magnifie - & source &Vine et se conigue avec le fait qne a lrJe p&tre de la paroisse la
trient] en profonde estime et la &Ce] en exempl& m. C'est la raison pour laqueue Germain, le
jour des noces, la regarde comme s'il s'agissait d'une apparition, femme à la beauté et à L'aura
comparables i% ceiles des a statues de L'tglist drapées clans la splendeur de leurs vêtements
lourds », avec a leurs visages illuminés par les auréoles et les tiares », Mgré son costume
noir, i'6pouse illumine et glorifie L'église et les alentours ; dehors, exceptio~ellement, M les
foins coupés éclahfent] les prairies3 N. Paradoxalement, ce que di- Havie ne résistera pas à
la nuit inquiétante, révélatrice du malheur de Geanain, quL devra camposer avec le vœu de
virginité de sa femme. Le vent se lève, et le village sombre se change en bateau voguant sur une
mer courroucée, impétueuse, en barque transportant les vivants vers la mort, image apparaissant
comme un présage : c< Dans le ciel, des troupeaux sombres partaient pour un exode lointain. Le
village avait détach6 les amaues qui le retenaient sur la tarr et s'en allait à la d&v& B.
À l'inverse du jour, la nuit, substance du temps, peut être, lorsqu'elle regroupe cris, peurs, grouillements, agitation et désordre, valorisée négativement. L'obscuxïté la plus parfaite va
même jusqufà fairr oublier la luml&e, qui7 pourtant, L'a créa. Voilà pourquoi des ho- jaloux choisissent dans K La fille perdue, une a nuit sans étoile, me nuit aveugle qui
annihil[e] le monde entier sauf la colère des petits hommes5 n, pour se rassembler et punk une
jeune femme honteusement désirable. Ailleurs, le curé Rinati et ses tourments nous apprennent
que la lumière peut se dater d'une caractéristique sexuelle, la flamme du feu étant du côté de la
virilité, alors que la nitescene de la Ime s'apparente à la féminité. Qu'importe pour ce
La sainte », p- 11 ; toutes nos citations des nouvelies de S. Corinna Bille ii It6tu& seront puisées dans Douleurs paysannes, 1978 [1953], 173 p. LQC. cit, Ibid-, p. 18- Zbid., p. 19. K La fille perdue *, p. 25.
personnage que les derniers rayons du soleil, qui agonise derrï5re les cimes, lui rappelient
l'enfer, s i cette vision peut Lui donner l'énergie de lutter contre tout ce #il nomme tentations,
ensemble qui inclut Ia douce et apaisante c h t é de la lune trop rode, tendre et f6minine :
Cr6taît justement un été très charid Sur les prés en pentt, des milli*ers k sautCIICUes cbantaien5 la teme enaere semblaitchanter, Seul, le cur6 Rïnati ne l'butait pas et regardait l e ciei- II &ait tout le jour diin bleu Intense, un bIeu drextase, et le soir le de i l faZsa-t marcher sa lanterne magique sur Ie sommet des montagnes.,, En contemplant ces longues tdnéks muges, ces £lamrn&hes omnges, II croyait voir iesportcsdel'enfaetattt image, au lZeadtL'- lm rsdonaaitduanuage BMs SI la l u # apprakütau-dssas dhecrêie,e~~ayantenv;iUndeIaami~àunchostïe, I e m a l h e u t e u x ~ commençait àsc tronble~ Cette I m ~ Ü è r e inhumaine modelait le monde avec trop de dwoeurt sa sa6nté était une sérénité païenne. A l m ü se rearalt dans sa chambre, fermait ses volets- Hélas, ses voIets avaient des ouvertures en forme de ccleur, et la Iune repomk sur le plancher et les parois des cœurs brillants, impdérables.,- ïï s'efforçait de songer au &XT&CCE~~. mais Lui saignait tandis que aux-là demdentïntacts- Roiales dé- iI ckwütdes *hctics sursesamtrcver~t&-
Selon Durand, « @a lune est indissoIubIement conjointe à la mort et à la fémulit@ r, t d'une part, parce qu'elle apparaît comme la grande épiphanie du temps ; de l'autre, parce qu'elle se lie aux menstrues, et donc aux eaux mères. II n'est pas étonnant q- b ps&c tente de se calfeutrer
dans une obmmté @aite, non édulcorée, pennethnt d'évacuer toute pensée impure, et qdil redoute particuliàement « les démons lunaires D, puisque cem-ci, évocations du féminin, lui font craindre un abandon aux tentations du charnel-
Eu plus de la c W pâle et floue de la lune, la nuif même n e . simplement parce qu'eue est
absence du jour, constitue une épreuve pour le prêtre tourmenté. Suggérant plus qu'eue ne dévoile, eiie favorise Le travaii imaginatif, excite une perception accrue des details et met à l'affût
de chaque sollicitation une sensibilité exacerbée. Rinati, suivant le conseil de ses professeum au
séminaire, prend des marches pour refouler ses pensées et calmer 1'6veil de ses sens :
Les nuits sans Lune, il -t, La marche lui procurait un peu d'apeisement, mais soudain le Mt d'une eau vivante heurtait Ies t?bres de ses nerfs, une bouffee de foin ou de serpolet lui montait à la tête et l'étourdissait Il essayait de ne plus respirer. il se bouchait Ies oreilles, mais cela ne L'empêchait nullement d'apercevoir les racines rosés des d e s s'entrelacer dans L'ombre, d'entendre des murmures. de croiser deux silhonettes sur le chemin8,-,
L'exemple de ce personnage, dont ni les prières ni les marches ne viennent à bout des tortures
nocturnes, illustre Les valorisations positives du jour et de sa lumière solaire, garante de l'ordre,
de L'obéissance, du divin, de la peifection et du pouvoir de l'esprit sur le corps. Le feu, par opposition aux tentations féminines associées ii l'obscurit6 OU à la clarté lunaire, acquiert
égaiement un statut privilégié. Rinati choisit en effet l'éclat tranchant et purificateur des flammes pour détruire les objets et les « statues baroques, aux poses delanchées, aux chairs trop
- --
< Celui qui ne savait pas son catéchisme m. p. 29-30. 7 G. DURAND. ~cr strrrct~~lf m t b o p ~ l o g " ~ u e ~ dc f ' h g i ~ n ~ ~ 11963. p. IOO. * Celui qui ne savait pas son cattkhisme m. p. 30.
rosesg qui lui rappellent le plaïslrinterdit, pour tenter de mettre £h & certaines obsessÏonsnS II se pose en ardent déEenseur d b e religion vraie et estime pouvoir la purger de ses *ces :
Le pauvre prêtre ne parait pas même se rendre compte du fait que ses tentaiives de rompe la joie humaine devant des repdseatatiolls dstiqyes sont &abord défdement et satisfaction de son
goût pervers pour la destruction, Le spectacle des flammes, ballet infernal, provoque chez lui
une indéniable jouissance, et son propre discours s'en trouve naalement subverti.
De manière générale et entendue, le d e i l -tue un agent übérateur du froid ; iI annonce la renaissance subséquente à l'hiver en réactivant la sève e n g o d e et symbolise la supériorité de la
vie et de la lumière sur le r n d et la nuit. Dans D o u l c ~ paysannes. nous trouvoos des passages où i l est présenté comme le Dieu sauveur, capable d'enflammer à nouveau ce qui semblait éteint, de réanimer la nature après sa longue hibernation : u [...] la montagne entière
étounait.. Le soleil, d'une poussék têtue essayait de la delivrer- Il brisait les manchettes de verre
enveloppant les branches, ü mssuscitait un filet d'eau dans l e torrent étmngI6, i l -t le feu
aux poils roux d'pn renard et faisait naiAtre des étoiles le long du cheminil B. Les vendangeurs, eux, perçoivent la nitescence du soleil comme un privil&ge, une lumi*ère divine n'éclairant que les
élus, comme la richesse de ceux qui travaillent Ia terre :
Le mafin, les vignes & la piaine demeuraientdes beures dans L'ombre et le frioid, îamk que œUes de la montagne étaient toutes beigdks d'une clarté qui avançait en desoendant vers les vendangeurs Ils la recevaient e a f i sur eux, Elle les -t comme s5Is avaient appris soudain qn'ils f u a t m e des élus et non des maudits12,
C'est dans << L,e feu B que la lumière atteint 11apog6e de sa puissance. Non seulement la
clarté amorce-t-elle une renaissance, mais eue procède à une entreprise de puification, de remise
à neuf, de balayage de l'hiver passé avec sa suite d'odeurs humides et de fratcheur. Sous le soleil de mars, « n]es montagnes s'imposent, les collines se lèvent ; les prés dorés et usés
comme de vieilles images révèlent Leurs bosses et leurs déchirures ; les arbres, le geste nexveux
Ibid,, p. 36. Io Ibüi-, p. 37. l I K Elle etait ail6e gouverner m. p. 124. l2 Vendanges a, p. 159.
de leurs branches ; Ies routes, leur poussière^^ m. Les paysans enfiamment les herbes mortes et
les buissons, *r [cl'est le nettoyage da printemps, on remet le pays en ordret on le burine, on I e modèle14 w, Dans ce récit, la lumi* transfome les êtres (a Les hommes [---] se sentent nus dans le printemps, tout nus et même un peu honteux : il d y a pas d'ombre, ni de feuillage, ni de
brume pour les cacher. Alors, ils sont obligés de redevenir purs et vrais's B.) ; eile embellit le
paysage, met en valeur, aussi, L'aspect majestueux de la vache, qui contraste avec L'allure
d'Aiexine, personnage principal de la nouvelle, u minuscule et teme m aux catés de la bête.
Un changement s'opère lorsque la narratrice épouse le point de vue de la régente : la famière, alors, n'enjolive plus, mais révèle L'envie de mettre le feu au buisson. A la description positive
des branches se substitue le symbole du serpent, qoi pennet d'identifier chez Alexine un desir de
nature sexuelle dont le refoulement la pousse la f ascination pour le feu et à l'envie & le
maîtriser : « La lumière glisse sur L16corce, tourne autour des branches, les polit, les dore ; et sous Les yeux fascinés de la vieille fille, chacune d'elles se méîamorphose en serpent [... 1 » . La flamme deviendra a one fleur S. une a bête B qui mord, le dCsir charnel qui asadle AleXine et qu'elle tentera d'écraser-
Nous avons vu que la fonte de la neige, qui, en se liqu6fiant. n o e t et fertilise la terre, va de
pair avec espoir et renaissance, qu'avec le pintemps le soleil retrouve son poavok de vie :
Une si grande lumiere etait répdue sur le paysage qu'ii n'y -t pius une ombre- Les dernières mhes de neige fondaient sur les vergers qui sT6tlm-eut en dégageant une boane odeur de terre et d'herbe sèche Les arbres fruitiers, bien qu'encore nus et noirs, brillaient de toutes leurs éc0rcesl8.
Cela dit, la neige, &ment glacé par excelience, n'entre pas n-ent en opposition avec Le soleil dans Doulezms pqscpures, pouvant aisément s'assimiler à la lumière et à ses valorisations
positives par sa blancheur, sa réverbération, sa réflexion de la clarté. En fait, eile vient s'ajouter
à la brillance récodortante du soleil, qu'elle prolonge, se fait l'écho, par sa phosphorescence,
des rayons du jour et empêche la nuit noire. Durand q d e la rêverie neigeuse de négatrice et
d1autith&ique, La neige est un absolu de vide et de silence, elle symbolise les défaites de
L'agitation, du bruit, de la vie même. Manteau qui recouvre puis découvre, elle est tombe et
berceau, nie provisoirement la terre pour mieux la révéler ensuite, la montrer grasse, humide,
l3 K Le feu B. p. 163. 1" Lot- cit- ' 5 Loc. cil* l6 fiid-, p. 169. l7 fiid., p. 171. l8 e Celui qui attendait la Mort m. p- 76-
noire et gorgée de sève. Voüà pourquoi rien n'estplus proche que la neige et le feu #un poht de vue poétique, même si du point de vue physique tout les oppose. Les métaphores naturelies de la
neige frMQ ccmûe la chaleur du fea se transfoanent en métaphores de la neige chaude, lumière
et feu sacré,
C'est ainsi que la premibre neige, pourtant annonciatrice de [%ver prochain, amène un vent
d'espoir et de passion dans K Vendanges m. Avec Iréciat j a ~ e des feuilles d'automne, elle
transforme en terre psradisaqut la contré& où eire, de vignes en vignes, la vendangeuse à la
recherche dbjeme homme rencontré un an plus tôti voici une neige éphémère qai provoqoe le jaillissement de la lumi&re et de l'espoir et dont la fonte, avec la fange qui recouvre les routes, révèle la détresse à'une femme :
- - Une nul& il neigea EUe vit un pays extraordurarrr, Mimc et or, car les feuilles des a r h s nretai*ent pas toutes tom& Ce jour-là, elie crut quV se pscm& quelque chosechose-- Maïs le soir- eue revint d é p e II n'y avait plus de neige sur les cheminst seulement de ta boue Elle murmura : a Je ne le trouverai jamaislg- m
La neige, par contre, agit sur le curé Rinati comme un calmant, une couverture qi9 amoufie
i'exubérance de la nature, annihile les couieurs, Ies odeurs et les chants de l'été :
L'hiver vint, la nature cessa d'exulter, et Ie prêtre se sentit pIus calme- Une neige dpeïsse tombait sur le vi1Iage comme des pelletées Manches sur un cercueil- On ne recom--t plus rien- Les petites choses avaient pris des dimensions inattendues : un caillou devant la porte, la cheminée sur le toit, la barriere du chemin.., Et les grandes chases comme le ciel. lamonmgne, la fdt, am-eat dispacie2O-
Cet extrait nous renvoie aux propos de Gilbert hirand, qui écrit que r [dlans l'univers de
l'hiver la pensée se recueille et devient angezqye, Loin des exubérances charnelles de lléttP »,
Dans ce paysage, la neige amortit les sonorît&, et son caractère immaculé fait oubiier la nuit et
ses K démons lunaires B ; par ailleurs, son inhitude a pour effet de réduire l'espace* de le rendre plus palpable, plus saisissable, comme éclairé par des rayons purs. La blancheur éclatante
est attribut divin, et le paysage devient, avec la lumière de la neige, harmonieux et sans tache.
Tous les attributs de vie, de pureté, de v6rité et de renoncement liés au soleil et à la lumière du
jour vont de pair avec Les valorisations positives de l'ascension. A l'inverse, aux images de la
nuit tefiante, détmidétt la beaute et la bonté et favoxhnt i't5mergence du mal. s'attachent celles, négatives, de la chute, du péché et de la tentation de la chair- De même que la lumière réconforte, réchadXe, dévoile la vérité et rappelle aux personnages de Douleurs paysannes
l9 K Vendanges m, p. 161. 20 u Celui qui ne savait pas son catécbisrne *, p. 3 1. 2L G. DURAND, op. cit.. p. 20.
qu'ils font @e des Hus, la hauteur et l8éMvation sont des amibuts olympiens. Dans le recueil, de nombreux passages décrivent les montagnes comme un Lieu édénique propice à la méditation sereine et aux rêveries divines, comme un chemin vers le fieL La piaine, trop sale et ayant &
nombreuses zones d'ombrie, est quant à elle méprÏ& Ainsi, la lumi* a un effet d'éiévatïon et
d'élitisme sur le peuple qui habite Les hauteurs. Une description du vülage de COM est, sur ce
point, porteuse de significations :
À flanc de les vilhgcs se sont dressés vers le ci& levant vcrs lui leurs fa#s brun peUe et leurs murs tachés de sulfatt- Iàns L'exîase et l'inqm6tudc9 iis attendent-, Celui4 surtout, cc village de Cam au nom Importé dQcïcat per un À peine adessus de la plaine, il se tnwrve déjh dans le ad, C& n'est pas que Les gens y soient phs heureux qu'allieurs ; Ià aussi la vie est pémile et, le soirt la fatigue tue les rêves ; mals d'être ainsi, tout le jour, devant le soleil, de voir à ses pieds se coucher un long fleuve, il vous ncnt une fierte païsibIe qui ressemble au bonhe&-
tours de Babel, des échelles vers le paradis. Iasll6 suc leurs flancs, le personnage devine l e sommet, véritabte ciel terrestre, desert de neige qui, comme tous les dhrts , instaure une résistance purificatrice aux séductions de la terre : e Voici que le désert de neige nous trace des voies jaillisantes et muitipies : il nous indique une ascèse morale, une -ce rdigïeme dépassant la p o é t i ~ ~ e de la neige, et surtout - voie essentiefie - une radicale apocalypse qui dialectise et fihine le t e e S. L'ascension réelle est perçue par les personnages comme un voyage imaginaire qui maque un désir d'évasion du quotidien, d'élévation de sa condition et de fuite vers l'au-delà
Nous retrouvons dans le recueil plusieurs passages attestant cette impression ascensionnelle, enrichie d'ailleurs par la référence religieuse qui conditiome les personnages décrits :
On était à la mi-août, et le jour & L'Assomption le q-er fut presque vide, La plupart des gens &aient en excursion, comme il est & coutume œ jour-IL Iis amVillent pris le --n des monoignes p u r
quitter la plaine du Rhdae et sa torpelrr, et c'6tair pour chacM une vê5tabie petite assomption car, à mesure que l'on srélevaÏt, l'air s'allégeait, on respirait mieux et I'oa se sentait aussi porté par les anges ; mais l'on ne faisait qu'entrevoir le ; il fallait redescendre et, le soir, on retrouvait sa maison trop chaude, son travail et ses peines24,
Dans « Celui qui attendait la Mo* N, Bastian décide de rester seul dans un hameau & montagne déserté. La nauaîrice nous déait l'endroit comme un jardin, une sorte d'éden miraculeusement préservé, un bout de terre maintenu proche du cosmos, soutenu par une aile séraphique :
Au flanc de la montagne, s'incrustait un grand rocher en forme d'de- L'aile d'un archange Elle soutenait une poignée de teme, trois maisons, quelques pés une vigne- Tout le reste n'était que pentes vem*cales et graviers- D'en bas, si on levait la tête vers œ de* jardin d'une Babylone di-, oa se
22 * Le feu N, p. 164. 23 G. DURAND. op. cit-, p. 18-19. 24 a Agatha m. p. 95%.
demandait: aComment ont-& fait les habitants pour y aller? On ne voit pas trace de chemin [J2* m
Mathilde, dans u Elle €tait ailée gouverner grimpant les sentiers jqurau mayen O& eue sroccupe du bétail, assourdie par le silence de laneige et e'blouie par Ia réverbédon, regarde la
plaine, H sale parce Me] sans neige26 w ; puis les cimes lui apparaissent comme un luxueux manège céieste, blanc, or et rouge : K De là, on avait l'impression d'être au-dessus d'un vaste carrousel de montagnes aux crinières Manches, hamachées de d w e et d'argent, et il sembhit aussi que, derrière elles, il n'y avait plris rien, que le monde s'arrêtait là où leurs encolmes
touchaient le ciel*' S. Les sommets constituent une sorte de tremplui vers les espaces sidéraux ; 2 s sont, dans la phrase citée, comparés à des chevaux, animaux qui, de manière générale,
symbolisent la fmte du ternps28- Or, les crini&esv puisqdelles se disposent en nn mantge, forment également mie clôton protectrice qui, en encercIant Ir& dans lf€teaUtév sembk prémunir à la fois contre L'angoisse de llinf?nitude et contre celle de la fatalité temporelle.
Comme on le voit, le paysage de la valide du Rhône sugg&re une vision danteque du mon&
et de l'existence. Toute I'ïimagerie religieuse vient awiobarr une valorisation positive de Ifascension, renforcée chez les Chrétiens, pour qui la verticalité spirituelle s'oppose la platitude charneile et à la chute. Les montagnes sont donc considérées comme des écheUes dirigées vers le paradis, alors que la piaine et la terre évoqyent des joies chanieUes ccmdamnab1es et présentent
un tableau de I'eder, lieu O& est conduit l'être qui succombe à l'attrait des plaisirs défendus. La nouvelle Le miracle >> exempfie de manière particulièrement explicite cette dualité du haut et
du bas. En effet, la description des vignes entourant le village, peuplé de mécréants, prend me tomme infernale ; la narratria y présente des 6ties qPi ploient sous le poids de leurs péchés en travaillant une terre ingrate regorgeant de serpents :
Les pierres sous Ie soleil étaient déjà brûianfes et les serpents qui ont +;mrs froid venaient coiler leur peau contre elles- On voyait des wuieuvres longus et dorées, des vipe'es d'argent aux dessins noirs, Tout le jour, les hommes erraient parmi les ceps, une brante de sulfate sur le dos, Et le sol se craquelait, exhalait uae odeur d'der* tandis qy1auaessUS d'eux le ciel était cunme m grade visim du hadis. de œ PmadiPmadis auquel ils rrru~aent & mi@.
L'influence de la croyance religieuse se révèle surtout à travers la dichotomie qui sépare
l'esprit - espérance d'une aspiration vers le haut - du corps - soumis à une attraction vers
le bas. Dans a Agatha m, par exemple, les ouvriers, leur journtk de travail achevée, ressentent
25 K Celui qui attendait la Mon X. p- 7'3. 26 K Elle etait allée gouverner *, p. 124. 27 Ibid., p- 126. 28 G. DURAND : .r Rimitivement le cheval reste le symbde de la fpite du temps. W au Sdeil Noir tel que nous le retrouvons dans le symMsme du Lion- On peut donc. en généd, assider le sémantisme du cheval solaire! à celui du cheval ditmien. Le coursier dlApdloa n'est que tenebres domptées m (op. ck, p- 73)- 29 K Le miracle m. p. 109.
un écart entre leur âme liquide, qqui s'envole vers les rêves de la nuit, et Leur corps lourd,
véritable boulet d'6puisernent: <<Dans les corps fatigués, les âmes devenaient légères et
fluides, si fluides qu'elles s'en échappaient et qm les corps nr€taient plus, sondain, quc des
masses où sede la fhgue avait amscience d'existe$O B. L'image de i'éi6vatiou de L'esprit s'oppose dans ce passage à la pesanteur corporelle ; s'y laisse déceler. à cause de l'usage du
terme r âme n, une conception mystiqne de l'être (L'âme 6mt, selon sa définition religieuse, un p ~ c i p e spintuel SéparaMe de l'humain).
Le curé Hyacinthe Rinati, pour sa paa, essaie prétishent d'parer son âme, s'attache à la
préparer à la vie fuhm en reniant son corps et en refoulant ses désirs, ce qui e n e e une forme
de schizophrénie et de sadisme. Son acharnement 5 aier, en lui, tout appel de la chair L1am&ne B souhaiter - vœu lui anssi condamnable - la mort, qui le bit de ses toumients : « Et iL songeait à la mort Quand viendrait-elle pour lui ? Oh ! être délivré de ce corps maudit, ne plus subir la tyrannie des sens ! Mais la moa.. c'était même un péché de la désire$ B. La doctrine
de Rinati s'accompiira dans r L'entemement m, muveiie relatant une cérémcmie durant laqyeile l'ultime honneur fait an mort consiste &ver son cercueil dans un denii-er rappeL de cette
existence où le corps et L'âme cohabitent ; une fois inhum€, l'être humain se divise à jamais,
l'âme monte jusqu'au paradis pendant que le corps se décompose sous terre :
Les quatre hommes qui L'enf~ltai-ent se sont peachés vers lui ne bmmdJ. en mt les quatre bras et, dim commun as ont d e v 6 le cercueiL aiEdessus d t ~ ïis L'oat p i 6 sur ieurs épaules. tous avec le m2me geste, Ia même dignité. nn si beau geste, me si grade &-rnit6 que tous ceux & l'enterrement ont senti L'honneur fait au d6funt On le portait, comme dans les montagnes d'ici on porte tous les morts, les pauvres et Les riches, les vieux et les jeunes, On tes éikve au-dessus du chemin, au- dessus des têtes, au-dessus & tous, car iI est juste qu'2ls soient au-dessus de nous avant d'être en ciessod2.
Dans La sainte », K La fille perdue >>, <c Celui qui ne savait pas son catéchisme » et « Le feu », la mort atteint cette même finalité : la destruction de la chair et la libération de l'esprit,
Les pages qui précèdent ont expikit6 une apogée du Régime Diume dans Douleurs paysannes, ce que plusieurs décès survenant dans le recueil semblent également indiquer. Par la
mise en scène qui les entoure ou par leur cause, les morts de Flavie, de a La fille perdue », de
Sylvain et dfA.iexine sont, à ce titxe, exemplaires, La beauté suniaturene et la piété qui se dégagent, telle une clarté, de Flavie font d'elle un personnage exceptionnel doué d'une autorité
imée, d'une souverainet6 naturele suKisant à L'excuser de ne pas travailler: cc Flavie ne
30 K Agatha m. p. 92. e Celui qui ne savait pas son catéchisme 1.. p. 35.
32 * L'enterrement r, p. 50.
refouler sa concupiscence, il détmit la chak tentatrice et fait de Fiavie la réincamation de M d e (il
profane son autel pour en ériger un sa femme). T d o r m a n t L'héroïiine en sainte, il rend son
désir acceptable et chaste- Dam cette nouvelle. la virginité paraît valorisée, aloR que la chair
rend l'homme bmîai et le passe B commüre le mal*
Le titre de la nouvelle sabséqpente contraste avec celui du récit d'ouverture. i< La fÏIle perdue » fait également allusion & un récit biblique, rappelle l'épisode de la femme pécheresse,
coupable d'adultère et condamm5e B la lapidatiol~ Une nuit d'mm comp6e le décor de la brève
histoire. Cette noirceur envahissante, dont l'opacité engenb la mort et la baine (à moins @eue
n'en résulte), annule la possibilité du jour tout en exacerbant la coEm des hommes, qui sont sept
à attendre celle qu'fis désirent et dont, d g 1 6 la densité crépusculaire, Ils perçoivent le corps :
Cette fois, eue arrivait, ses buts talons martelant le soi, sa jupe courte se belaaçant dans Ia nuit fici& ils ne pwvaient la voir, mais IIs la dexbïen~ Ils savaient queL sourire édalrait ses I b m s larges. Hs savaient que sa taille ondulait, qiw ses jambes h k n t longues et dures- I ls savaknt qoe daas sa poiüïne ii n'y avait pas de c œ d 7 -
Ils ne discernent pas précisément les ttaits de leur victime et I'estiment dépounme de cœur parce qu'elle refbse Leur amour, para que, pour eux, elle n'est qne chair désir& mais non o f f i e - A
nouveau, ce n'est pas la femme qui est visée, mais son enveloppe corporelle. A défaut de se
l'approprier, les hommes s'appliquent à l'injurier et à détruire sa beauté et son corps. Avec rage,
ils laissent jaillir leurs pulsions faites d'amour et de haim jamais exptimés :
- Ça t'apprendra, cbarogae de pute i Tzs coups de verges s'abanirient sur elfe, dachirant sa robe, marquant sa peau de Iignes enchevêtrées- Mais ce n'était pas sufflsazlt Ii fallait que les hommes sentissent, sous leurs ongles, cette chair tombée en leur pouvoir ; il fallait d6tniire sa puissance- Les dents jointes, les yeux Bdemi fermés, ils se mirent à griffer la filIe. Ils la @f&ent au visage pour en tuer le sourire, ils la griffèrent à la gorge pour en tuer le mystère ; ils griffèrent tout son corps, Elle tomba, ils remuèrent àcoups de pieds cette masse Sonne- ils ne la CO-ent plus : elle était IL sur le chemin. aussi mi&aHe @un crapaud mort Et ils s'en a i i & n t sans se retourner3*.
Le drame de « La fille perdue » s'oppose en même temps qu'il répond en écho à celui de <c La sainte B- En effet, si la beauté de Flavie suffit à éclairer les rues du village alors que celle de la
fde ne transperce pas L'épaisseur de la bnune nocturne, c'est en raison du rayonnement de la foi
de la première, de son ascétisme et de sa ferveur, qui surpassent ceux des autres personnages ;
la seconde n'est qu'une silhouette dans la nuit, sans visage ni prénom, dénuée d'une identité
propre et, surtout, « sans cœnr B, comme si eue n'était qu'un morceau de chair- Ce qui fait, en
somme, œ deuxième crime si différent, c'est qu'il consiste principalement à anéantir Ia beauté de la chair, à l'enlaidir jusqu'au dégoGt, à la monstruosité et au niant A la fin, la jeune femme
abandonnée sur la route est i< sans mouvement, sans forme, couleur de nuits9 B.
Dans « Celui qui ne savait pas son catécbismem s'orchestre une nouvelle variation sur le
thème de la chair tuée, Le curé Rinati, dont nous avons évoqué les a.€Eks, craint par-dessus tout
la tentation chameile ; II la combat si violemment *'il finit par ressembler % a un arbre
mo@ >t, asséché et amaigrÏ &force de rémner chaque élan scnaiel. Outre la nahm et L'art,
dont les exubérances le harcèlent, U d e , d a me de joie et de douleur du village», le provoque41. Au moment O& i1 interrompt M bal, elle le saisit et l'oblige à danser après lui avoir
irrévérencieusement répondu qa'clle n'était pas en état de p&h6 moael. Pour se venger de cet
affront, Rinati choisit L'être le pIus faible, Sylvain, le £üs illégithe d 'ude : il profite dime leçon de catéchisme pour frapper L'enfant, qui ne sait pas répondre aux qpestions. La description
du curé en colère renvoie, une fois encore, à l'image de l'arbre :
Ses mains qdïi frolaït L'une contre L'autre faisaient mi kait de feuilles sèches 1-1 De nouv- il le @a QP'cUe était dure cette main toute en os, et si ioague qa'eile f-t non seulement la joue- mais aussi la mâchoire et les temps ! Jl gifla à tour de bras, une fois d'mi côté, une fols de 12iutm. et encore* et e n a m ! IL ne syariéPit
Dans ces mains, baguettes de correction, ne circuie plus de sève, comme si La vie même, astreinte à l'austé& et au renoncement, avait quitté le corps du prêtre; l 'me est plus
destructrice encore, puisque l'enfant rejeüe la vie à partir & ce moment Il s'enferme dans son
imaginaire, se cloître dans son mutisme ; son visage se déforme, puis se décompose :
[.--1 son visage tuméfié enflait chaque jour davanage- Des deux côtés de la bouche, la peau bleuâtre et, par places, des taches jaunes révéIaient da pus, L,,l Ct%Üt trop tard, le mai s'aggravak Bientôt il ne mangea plus - Ç& derient tout pouxri ! sVexcIamait la femme
Demère la putréfaction de son visage, c'est la vie qui délaisse Sylvain- Bâtard, il n'a pas sa place dans une société patriarcale catholique oil le nom du père est primordial pour la constitution
d'une identité et pour la sociabilité de La personne L,es coups du c d ont pour but non avoué
de purger L'enfant de son péché, de l'exorciser, mais, plutôt que de le ils rendent son
mal plus virulent, qui f ~ t par ronger sa chair : « 'Te curé nraUISLit jamais osé... si ie petit avait
eu un père et une vraie mère." [...] - Il n'était pas fait pour être sur la terre [...J45 45,.
Dans Les trois nouvelles précédemment abordées, les personnages Luttent contre le désir charnel, qu'ils considèrent impur- Aimer et sentir l'éveil de leur sensualité instaurent chez eux un
40 K Celui qui ne savait pas son catéchisme m. p. 33- 41 Une intervention de la narraaice. qui précise que c [dlans beaucoup de villages, il y a une fille. souvent la plus Iaide et la moins intelligente, chez qui les hommes vont se soulager du "mal des femmesw (ainsi nomme-t- on, là-haut, la torture du d&k) m (foc cit.), la pcédOminaLLCe d'un disowrs rehgieux condamnant les plaisirs de la semahtété 42 fiid., p. 40-41. 43 Ibid.. p. 41-42
Cet aspect de l a question a été analysé, rappelons-le, dans la partie sur a Le torrent W.
45 Ibid.. p. 42
puissant sentiment de cuipabibté. Ne pouvant ni assumer ce désir ni L'assouvir, ils f i ssent par
tuer la chair de l'autre. Comme ~c Le torrent » et Ie recueil d'Anne He- l'illustraient, la recherche absdue de puret6 et â'éIévathn, vaioasbe au sein da Ré@me Diurne, finit par
pervertir L'être. La pourmite & bien selon des principes catholiqyes préconisant le reniement &
la chair amène des frustraions qui, à lem tour, poussent à commettre des actes meurtriers- A ce
stade de la lecture, nous pourrions conclure que ce geme d'idéal provoque une aliénation du personnage qui se traduit par m e obpession du d et du d e ; c'est œ qui rend Gennaîn fi, les homms du village. brutaux, et Rinati, schizophrène, sadique a violent Pourtane, la toute dernière nouvelle du recueil, a Le feu », semble mvetser le mouvement amorcé par les trois
récits d'introduction, puisque le destin tragique dlAIexine y rappeue la notion p h a i r e de justice
veniculée dans l'Ancien testament où le damné est puni par O& il a e h &
La lumière quÎ inonde la n o d e de clôture possède Ies caracténténdqnes divines de
I'omniscience et de la transcendance ; elle est, en outre, L'initiatrice d'un processus de mise à nu
du pays et de l'êtrt. Lentement, elle pénètre Aierine juqyt& révéler ses peurs, ses désirs et ses
pulsions refoulés, 11 s'agit smtout d'une lnmiiire implacable qui force à voir : u [Alexine] n'est pas encore habituée à cette clarté printanière, c'est comme si l'on vous arrachait un bandeau, comme si quelqu'un vous disait : "Regarde ce pays qui s'ouvre devant toi, je te le d o ~ e - " Et l'on est obligé de vo* mtén Petit à petit, la clarté codhnte l'ancienne institutrice à s o n
inconscient. CeUe-ci a beau faite appeI la raison en évo~uant son savoir, le travail de la vigae ou encore la promesse faite à sa sœur idZrme, la vérité nature11e la poursuit : les alentours - et surtout l'odeur de fumée, « têtue, insinuante47 » - réveillent son désir de mettre le feu et, à
un niveau plus profond, scm regret de ne pas avoir eu &dant et de ne pas même connaître la
sexualité. Alors que tout le pays autour d'eue la renvoie à la rigidité. à la raison et à la fixité, des
pensées nocturnes se font jour, les arbres et les arbustes s'animent soudain :
Et ce grand pays dur autour d'elle, ce pays dur et trop clair dont p une ligne ne bouge ! Et cette odeur de fmée qui revient !-- Ale*, le visage ph&- contemple le talus et sr6tonne parce que les buissons qui ie bordent -ssenc v iv i~ t s , m-, vivants comme des bêtes- Et Ies arbres des vergers, eux aussi, se sont mis à vivre, eux qui étaient si noirs et tranquilles I t s autres jours ! « C'est la sève.., je veux voir d e e , m
Celle qui autrefois a ai &happer au viol ne craint plus le feu, K ne peut croire à [s]a
méchance@g N, et toute sa concentration, jusqu8& ce qu'elle fasse craquer une allumette, vise à
réfréner son désir têtu :
a Le feu m, p- L67- 47 Ibid., p. 168. 48 Ibid., p. L69. 49 Ibid-, p. L70.
Et c'est soudain, sur le grand paysage Mmobiie~ aux Egnes trop pr8cises. une fleur mauvaise qyî vient de pousserT quF s'&@ce et sk'nquï&te- Peu de chose pourtant : à peine une flamme qui monte en silence et retombe, mais elle renaît pius ioh avec des d6tonationsr des rages sourdes ; tes herbes se recroquevillent, se vdatüiscnt en une fÙméé trouble, 6 p k e oomme si ces bcrbes fmes am-ent une âmeSmpurepureCetabi~cn~eunautreBAI~Td~qui~trrnivesutiatri~& lacba@k et qui mp&eme Ie Jugemen? &mk À &té des mats c@ se lèvent et -ussent ia dalle de I a n s tombes, rougeoie Lreder ob sont précipités les corps nus des damnés 1 voici le vaniteux qui se coatempie dans un mlmuovale dont le manche se compose de denx serpents entrelacés, L'avare qui se brûle les doigts encomptaut ses pi* d'or, le gourmand oôigé d'avaler des braiseso.
Momque MW-Vemey propose une anaiyse particulièrement phtue de œ double tableau : elle montre comment le mouvement des flammes, w de la ficm mauvaise qui pousse, s'agite,
s'inquiète, monte, retombe, renaît pour faire rage et d6tnUre », comment ce spectacle
« échauffe l'imagination d'Alexine qui voit alors rougeoyer ltenfer51 * , puis précise que la
référence an tableau do Jugement rlerniw indique les cloyances et les Féf€rences haghaks
d'Alexhe, tout en annonpnt la fin iaéiuctable de la n o m e :
A L'heure de la vérité que IeJugemenr dernier met en scène, les corps des damnés seront nus et punis chacun selon son péché- La viedie pnde incendiaîre sera donc carbonisée et déshabiilée comme nous l'apprend la dem*&re phrase du &-t : a --- ils virent qu'elle était [toute] noire et qu'il ne restait pIus un lambeau d'6toffe siirsai mrpe à demi camméT serilemen& autour des @abT uu peu de cuir durcis2 m,
Monique Moser-Verrey discerne en outre dans Ia nouvek une ékrïture antérieure, une forme de
fatalté prédéterminant les événements et une emprise du lmgage pictural sur l'imaginaire du
personnage, et signale que rien n'atténue la punition d'AIexine, cpï périt par Le feu pour avoù succombé à la tentation d'un désir malsain.
Il ressort jusqulici de notre parcours de Doulelrrs pays-s qu'il s'y trouve une valorisation
positive de la claai, du soleil et du haut, alors que I'obscririt6, Ia lune et le bas reçoivent des
connotations négatives, Cet imaginaire semble découler de l'observation de la nature et de la
géographie spatio-temporee, mais le discours catholique lui est également sous-jacent, Notre
propos ne se veut pas sociologique ; répétons néanmoins que le recueil dresse le portrait de la
région d'origine de l'auteure et qarei.le-même, mai& le protestantisme de son père, a p d i
sous l'égide du discours catholique, transmis par sa mère d'abord, par l'école ensuite. Voilà
sans doute qui explique la présence dans son œuvre d'un rapport ambigu à la religion, qui
évoque tantôt un enseignement d'amour, tantôt une loi morale astmtrice. Les nouvelles
analysées trahissent la présence d'une vision chr6tieme et patriarcale, référent des personnages.
5o nid-, p. 171. M. MOSER-VERREY, n De Cézanne A Redon r l'exempie des peintres dans l'écriture de Corinna Bille B,
dans &des fiançaises, 1985. p- 49- 52 L.0, ,if.
Il n'y a qu'a penser aux ailus~*ons au rékit de M&he et W e et à celoi de la femme addOx@,
dont « La fille perdue >t constitue une sorte de pastiche inversé ; au fait qu'un enfant sans père
est considéré par les habitants du viîlage comme n'ayant pas sa place sur terre ; B la destruction systématique de corps dés iraMs par des hommes ; et, bien sûr, au personnage du cnré Rinati, qui, garant de L'ordre moral et, de ce fait, de l'ordre social, hcame une autorité suprême venant
tout de suite après celle de Di'eu (K Tous esquissèrent un mouvement instinctif de =trait et de
défeuse, même les plus courag- des braconniers qui dénent le gendarme* mais se soumettent
devant le curé. Car ï i est le maître de lem âme et de lem d u t ; il détient un pouvoirsac&4 B .).
À cette étape du travail d'inteqrétatïon, L 1 i m a ~ de Corinna Bille semble donc noum de
références bibliques et appartenir au Régime Diurne. Aucune révolte avouée et accomplie contre
ce discours exclusif, transcendantal et manichéen n'a encore été peque et mise en reIief, car tous
les personnages 6vqués sont conscients d'être à la merci d'un systeme de justice implacable, le pécheur étant puni par sa faute : AleXine meurt carbonisée ; Sylvain, fiuit du péché de la chair, a le visage qui se dicompose ; la fille, frappée et griffée à mort, voit son beau corps fautif
détruit; Flavïe est assassin& Germain, qui sombre dans la démence en raisan ck I'obsession engendrée par son désir inassouvi.
Sans doute faut-il cependant percevoir dans ces nouveiies, malgré cette espèce de faialit6, une
dénonciation indirecte du pouvoir, à travers la gratuité de certaines morts : des personnages
innocents sont sacfiés pour que d'autres soient soulagés de leurs pulsions. Cette forme de
subversion opère une ruptme avec la vision du monde au sein de lap i l e l'être, partagé entre son âme et son corps, lutte sans cesse contre les tentations que lui transmettent ses sens. Est présente aussi une ironie qui vise notamment le curé Rinati, respecté plus par crainte que par admiration et qui, paradoxalement, rappelle le diable : h le voyant ainsi, les yeux hagards, la peau du visage collée aux os comme si on i'avait tirée par denière, la bouche défon.de par un rictus, les danseurs se souvinrent de ces histoires où iL est question du diable apparaissant au milieu des bals5b. Dans te prochain chapitre, nous chercherons les images qui, malgré l'omniprésence dans le recueil d'une pensée cathoiique et des valorisations diumes qu'eue
implique, s'orientent du côté du nocturne et procèdent à un renversement de l'ordre établi. Ce second aspect d'une vision du monde complexe est lui aussi inhérent à la nature, mais provient
d'un imaginaire antérieur celui modelé par le catholicisme, mélange de réminiscences d'anciennes croyances celtes et de superstitions, sorte de pensée m@m-religieuse reliant étroitement l'être et son milieu
.. -
53 Dans la Bible, voirJean 8 1-11- e Celui qui ne savait pas son catéchisme B. p. 33.
j5 Iad., p. 32.
ÉMERGENCE DU RÉGI2ME NOCTURNE
Au sein du Régime Noct~ne de L''mage, placé sous les signes de la conversion et de t'euphémisation, on trouve une double valorisation du jour et de la nuit, de la lumière et des
ténèbres L a nuit, d'me part, devient le Lieu où L'esprit est en quête de sa propre lumière et,
d'autre part, s'avère Ia nécessaire préparation du jour, c'est-à-dire la promesse indubitable de l'aurore- Cest d'abord à travers l'étude de la clart6 perdant son pouvoir bienfaisant que nous verrons émerger une nuit récdo~ante.
Dans le décor de la nouvelle t< L'enterrement >*, il y a, hiver comme été, une * lumière trop blanche [... ] sur les chemins' B. Ce jour-là, La neige immaculée, réverbérant l'éclat du soleil, arbore une couleur non tamisée et brutale, si pure qulelIe symbolise un absolu de vide et de
silence, la négation de la lumière et la défaite de Ia vie- Contrastant avec le cortège £unéraUe et I e s vêtements n o h des participants, eue met en reiief, paradoxalement, K le trou de La tombe [..-] noir et profond d'au moins deux mètres », ainsi que le délaissement et la solitude de l'existence humaine, drame que la mort d'un vieil homme rappelle à chaque villageois :
Le cortège eut vite fait & descendre la nie, de remonter vers l '@k dont les murs semblaient jaunes à cause du blanc cru de k neige, et d'y entrer. II n'y eut plus personne dans le paysage- C16tait un paysage abandonné, un mage abandonné, des chemins où ne circulait plus personne, où il n'y avait plus que les traces des pas, toutes Les traces qu'avaient laissées les hom~nes~~
La lumière, habituellement source de vie, se transformera en amie destruccrice, dessecchante dans La malade m. Plutôt que d'aider le grain ik germer, elle y prive la terre de l'humidité
K L'enterrement m. p- 49. Ibid., p. 51-
nécessaire à toute croissance : 1< Depuis quarante jours, il nrktait pas tombé m e goutte de plnie et pas un nuage ne se montrait dans le ciel, pas une ombre, pas un espoir. Un pays bleu et or, couleur de joie sacrée, et pourtant la crainte aloanlisssit le cœur des paysans3 m. La nitescence ne crée pas, ici ; elle ne sntnt pas I didper I e fioîd, Ie sombre et le gel de la nuit il s'agit d'une
clarté morte en laqueue les personnages ont perdu coafiance :
11 geIa. Et L'on eut beau, l a nuit, allumer plus de trente mille chaufferettes dans les vignes et les ~ i a n ~ o l l s , on eut beau6tedre des drap sut les cuitmcs et f ~ m des feux dans les jardinsardlns, Ie soir dw Rames~nr, le thermomètre descedit jusqu'â -% Le lendemain, sous un grand soleil froia Ic p . apparut fletci, crispé, a Tout est foutu ! w criaient les gens- Pas de vins- pas de fmMts, Et quand ils stapmçurent qua n'y m - t m u e pas d'herbe. œ fut 1e dt%spoi#-
Dans « Celui qui attendait la Mort *, le soleil a également perdu sa puissance salvatrice- S'ils réveïlIent la nahire end0riluOrilUef ses rayons ne panriement p1us à ranv~f le sang du vieillard,
Malgré les beautés qu'eue révèle, la lumière n'a pas la chaleur qui redonne vie et espoir :
Son septante-septième hiver, ï i le passa terré dans sa chambre comme une marmotte dans son m t ~ Un matin, il vit ài la couleur de l'air, de i'aurrt côté des vitresT que c'était le printemps- il SOCtit Une si grande lumière répaadue sur Ie paysage quFl n'y restait pius une an& Les demihes taches & neige fondaïent sur les ve- qul s'&aient en dépgeaat une bcxme odeur& terre et d'herbe sèck Les arbres fiuïtiers, bienqu'encore nus et noirs, brillaient de toutes Ieurs écorcesces Bastia s'assit au soleil, fermales yeux e t attendit, IL attendit tout le jour et aussi le lendemain, mais II ne sentit pas la e v e remonter en lui. San corps demeurait froid5-
Le vieil homme, malgré le printemps, ne Iiessent pas en lui la renaissance promise, comme si le
soleil l'avait oublié cette année-là ; d é s o i s , il se préparera à la mort.
Aux soleils froid de lliiver et vide du printemps répond cehi de l'été, qui devient padois trop
fort, brûlant, desséchanf étoiiffant les villes et obligeant les citadias à quitter la plaine pour les hauteurs plus cl6mentes, Dans c Agatha », les voisins de la vieïüe femme choisissent cet exil
vers la fraîcheur, mais pour elle L'évasion est impossible. EUe doit plutôt parcourir la route qui
mène à Sion, où elle veut demander une aide financière- En chemin, la lumière qui baigne la vallée du Rhône est extraordinairement puissante, puisqu'eile temit même les ombres, Force
néfaste et salissante, calcinant les yeux, les forçarit à voir La souffmce, à la subir sans trêve,
sans refoulement possible, cruelle négation de l'espoir et de la joie :
C'était un jour d'été brouillkV Manchâm. avec une lumière sans franchise qui venait de toutes parts Et pas plus que la lumi&re. les ombres ne sont franches- Tout est mat, sali de gris : les herbes, les feuilles, l'eau du fleuve, Tout a perdu sa transparence, sa net&& A g a k avance sur la grand-mutc~ Eiie ne sent pas la fatigue, ni la chaleur, ni la faim, eue ne sent que la brûlure de ses yew, Ils lui font si mal, à cause de cette lumiere mechante, qu'elle souhaiterait ne pius en avoir- Oui, il vaudrait encore mieux être aveugie que de posséder ces deux réservoirs de souffrance, une souffrance qui se répercute
, La maiade W. p. 65. nid., p. 66. K Celui qui attendait la Mon m, p. 76.
dans sa tête* dans tout son corps, contracte I e s traits de son visage* Iui tire L'estomac et Eui donne envie de vomi&
Lumière dinuse et s u f f k a n ~ , dons7 que celle renvoyde par la routet e t venant & part- englobant le paysage et Agatha, anndant les codems et rendant tout terne, sans vie ni fluidité, Contre un tel éclat, aucune protection n'existe :
L'aile de son chapeau n e L'abrite pas, puisque La lumière vient autant de la route que du clel, EtIe ferme les yeux : surscs -ères frappent des marteaux rougcs ; aias eue met la miin devant et ses doigts si maigres et céniminenn ont L'air soudaln rempILP de saag Mais on ne peut marcber ainsi, II faut voir où l'on va, et elle doit der loin, L'omb des peupliers raie la route d'mie ombre sans fmCaeur, sans secours Lei paysage *R gris. sans fond7.
C'est dans cr EUe était allée gouverner* que la lumi&re7 déj& moins créaîrice daas les
demiers exîraits cités, se nde vraiment de ses +tés de pdcation, de renakmce et même de
récoofoa, au profit de la nuit, qui semble devenir l'unique- échappatoi. Mathilde, une jeune
paysanne amoureuse de Gabriel, absent parce qdil travaiile en plaine à ltusine, quitte Ie village
chaque jour pour traire et nourrir les deux vaches et la chène, Sur le seuil de l'écurie, eue
admire le paysage, image du paradis, regarde la plaine et d e fleuve pareïi ii une loagiu lamg n. Malgr6 la clarté l'attirant au dehors et ce mirage favorable, eue pressent le viol B venir. LA lumière annonce, d'une certaine manière, le drame prochain. Ne pouvant soutenir une telle
vision, Mathilde rentre dans l'étable et chmhe la protection de la vache nok. animal noucricier
et maternel par exceilence a p u k m n t au Régime Nocturne-
Après le viol, la jeune femme se précipite au village et cherche à se nettoyer, à redevenir
vierge et pure, mais Seau, dont le pouvoir, comme celui de la lumière, est devenu subversif,
introduit en elle Ie germe de la moh En effet, L'eau glacée. qu'elle boit à grandes gorgées, lui
donne une pneumonie. Celle qui voulait se consecver comme un * brin de bruyère dans son
morceau de gIace9 >> ne sera pas ravivée par le soleil du printemps- Alors que dehors la nature
ressuscite, elle s'enferme dans son pays noir, sans pensées. La lmnière, essence divine et
transcendantale, appartenant 5 l'univers paternel, ne lui apporte aucun soutien, la condamne plutôt à l'impureté éternelle, à la souillure du viol. Uathilde choisit alors le royaume de la mère,
de la terre, de hiver, le giron de la mort, de la Longue nuit qui la protégera à jamais de la honte :
Alors, elie referma les yeux, désirant retourner dans le pays noir. On n'avait pas Ie droit de la faire revivre, eiIe ne le voulait pas Dehors, la monta- faisaiaisait crever sa et respirait de m e a u Sur les pentes, de grandes taches d k r k mordorée s'él-=*eut de jkmr en jour, Le village rem* de bruits d'eau tlnküt comme sous une pusse pluie, et pourtant le ciel diait b1eu Comment Mathilde aurait-elle pu respirer avec œ poids de honte et de douleur qui l'écrasait ? Aucun soleii ne sam*t le falre
M Agatha *, p. 91. ' nid-. p. 9 1-92. * K Elle etait di6e gouverner m. p. 126. Ibid., p. 129.
fondre Les fleurs ne mswcï-&nt gras- Est-il possrife de vivre avec un secret pareil ? Il valait mieux les enterrerau f& d'une tombe, elle e t son secreti ii valait mieux ne jamais revoir Ie printernpsl0-
Cette lumière devenue cruelle, néfaste et --ce du malhe~r, depou~le de son pancipe vitai, n'est pas excIuslve ; elle cohabite avec une antre, différente, non plw transcendantale, mais immanente, intérieure e t humaine, décodant d'une rêvene noctume : Ia flamme du désir-
Lumière mauvaise qui traverse I'œil dtAloys, l e violeur, mais au contraire douce, diffuse et
chaleureuse dans u Ce grand tournent », loffgu'elie 6mane de la joie de Delphine :
Une petite lampe à pétroie Wait sur l a taMe ; assis à quel- distance L'un de Itautret Delphine et Dionyse se falsa-ent face, Us parlaient lentement en refermant Ta bouche après chaque mot, et Tobie ne pouvait savoir& quoi ils causaient Miüs peu importaient leurs paroles ! II savait bien que Ies mots et leur sens n'avaient aucun rapport avec te bonheur étrange qui les iiluminait tous deux, Sur son bras, Delphlne portaiportait son âernîer-né. et T e e vit c p sa Pëmme était une l a m e bauaut dint édat mat, plus rnyseeux etpbchaudexmteqruœiui & l a ~ e i a m ~ ~ *d'eIIeI1-
Tobie perçoit l'attirance de Dïonyse fasciné et séduit par Delphine, il le voit comme un sphinx,
papillon noctume dansant autour de la 1-&re et dont le dessin des ailes représente une tête de
mort: a Dionyse aussi avait Min de se rappmeher de cette lampe et de la contemgder fixement, et de tourner autour comme un de ces grands papiUons des étables à têîe de m o c aux ailes Lourdes'2 w. La comparaison, il muveau, s'avérera prémonitoire.
Le récit de la glissade et & l'agonie de Clotaire suggère bgalement me rêverie noctume. Le matin succédaut à sa chute, alors #en lui une hémorragie fait qu'il appartient déjà à la mort, le personnage se perçoit comme faisant partie de la nature :
Les cheveux et Ies habits de Clotaire étaient couverts de rosée blanche, de même que l'herbe, les cailloux, tes feuilles, Il était devenu sembiabie & eux. et il tressaillit d'aïse lorsque le soleil vint k toucher- Pendant qua séchait, une torpeur L'envahit, il perdit ÇOQSCience de œ qui L'entourait QPaod il rouvrit les yeux, le paysage qua avait vu pâle et crispé sous le gel apparut bniant et vif de couIeurs comme une image de décalcomanie &Livrée d e son voiIe- De petites vaches noires et rousses y broutaient une herbe encore verte, gardées par une femme au visage clair, déj& rÏdé, qui se tenait debout au milieu d'elles et tricotait Les bêtes avec leur peIage, Ies poiriers avec feurs f e d l e s jaunes et durcies accrochaient la lumigre ; seule, la paysanae &meurait mate, bdépembt & la fBene, Et cela parce qu'elle portait sur eue des choses mortes : sa jupe, son paletot, son fichu, Lms rayons n'avaient que faire de ces choses mones, ils ne réponh-ent qua I'appel des vivantesl3.
Dans ce passage réside une vision nocturne de la dichotomie lumière-ténèbres. S'y laisse
percevoir, en effet, une inversion des valo&atioas dimes. Malgré qu'eue soit décrite comme
ne répondant a qu'a l'appel des [choses] vivantes u, la lumière signale une vie nouvelle pour
Clotaire ; de même, Ia nuit et L'aicool, s'ils ont provoqué la dégringolade de L'ivrogne, ne
siment pas seulement la mort, mais permettent l'avènement d'une aurore symbolisant une
10 Loc- ciz. u Le grand tourment B, p- 135.
L2 nid-, p. 136. l3 x Clotaire +, p. 150,
existence baignée d'une lumière autre- II y a donc m e double réaiW de la nuit associée il la mort
et du jour lié à la vie, réaiiîé conjuguée avec une euph' emisation de la mort qui transforme
l 'obsdté en -esse de clarté no\nreilet comme s i la mort c ~ s b i t en une foane de renaissance en cornmu~ll*cm avec les êtres et la na- An petit matin, dans cet entre-deux où la
noirceur laisse lentement sa place an jour, L'atmosphQre respire le calme, et la nuit, avec son
voile mat et patiné, révèle son aspect positif et rékonfortaat, Prenant possession du paysage et
éclairant tout de lucidité, les rayons du dei l préservent raspect f&rique des alentours,
présentent une vision paradr'siaque. Si Ia paysanne reste exclue de œ tabIeau, c'est qu'elle
appartient à M monde que Ciotaire a déjà quittG- La 1umière trahit la distance irr6médïable qui les
sépare, lui déjà mort et pourtant plus vivant qu'eue, puisqu'intégré maintenant dans le royaume
de la nature et retrouvant limïvers originel- La lumière dont il s'agit ici est immanente, venant &
Clotaire lui-même, decoulant de son agoniet et lui permettant de percevoir les choses d'une
manière différente, sous un éclairage intérieur-
Dans Douleurs paysannes, maigré l'omniprésence de llimagkah diurne, certains
personnages cherchent la lumi&e - perçue dors comme l'arme suprême capable de chasser les
ténèbres et de mettre un terme aux désirs impurs, comme une puissance de vie de souce divine, garante du salut12 - dans la nuit, quête motivée par la triple promesse de la fin des tentations,
de la vérité transcendantale et de la nécessaire pureté, Nous avons vu des nouvelles présenter
une lumière déname et stérile, brûlant les yeux, ne permettant plus la renaissance, n'étant plus
assez puissante pour vaincre l'hiver; parallèlement, une auke lumièxe s'est fait jour,
immanente, regroupant les valorisations inverses, se présentant comme un principe d'unité en
mesure de rétablir L'accord entre l'être et la nature, portant de plus le signe du désir. Dès lors,
l'obscurité n'apparaît plus comme l'absence de clarté, mais comme la source de la nitescence ; la
nuit revêt des attributs positifs et est choisie comme refuge par des personnages biessés,
Un va-et-vient s'opère entre la clarté et l'obscurité, pôles opposés ; nous constatons que
Douleurs paysannes, dans son ensemble, paraît proposer la résolution des deux principes antinomiques que sont la lumière et les ténèbres. Une autrie dialectique du même type existe dans
le recueil, celle de la chute et de I'ascension. EUe se traduit, d'une part, par l'éveil du désir et de
l'amour et par l'e'lan vers ['autre, qui ne sont plus dénoncés mais acceptés, et, d'autre part, par
l'impression différente que procure la nature, non pius exclusivement dualiste, mais totalisante.
Par une inversion, le ciel s'ouvre sur l'enfer et la terre, sur le paradis : on assiste,
l4 Notons qu'un des principaux messages du Nouveau testament se résume B ceci : Jésus est Ia lm*&e qui mène à Ia vie, dors que les ténèbres représentent les forces du mal- Par sa venue, le Christ opère la séparation, c'est-&- dire le jugement. de la lumiere et des ténèbres (dans la Bible, voir Jean 8 12).
symbo1iquement, à la subversion de Ia conception cathoIique, puisque 1'-tisme conduit an mal et la quête du pIaisir fait goûter à L'éden terrestre* Dans cet univers nocturne émergeant, Ie meurtre comme l'amour sont toujours Li& au sd ou 1 ~a substance, Le limon, et la tene donue
accès à un autre espace parach'siaqye : L'originel, i ' i i du temps d'avant la vie-
Dans la n o d e « ElIe était d é e gouverner *, Ie crépuscule, qui annonce la nuit, permet un progressif renversement de liinivers à mesure que Mathilde descend vers son village :
Le travail terminé, eue s'en retwrnalt au village, portant la bute à lait, jusîc avant la nuit qin tombe lB-haut moins vite QU'M plaine Le pic du G c d X o r k a u sralIPmait comme une lampe sainte, le C d de la vaü& s'empii-t d'ombre, et quand eüe @wÜt à la makm k cid était &veau d'an vat Qré & pâturage et les 6toiles commençaient d l brouterL?
Nous trouvons dans ce passage mie inversion de la chté et de L'obbcurit& La descente vers L'ombre du village permet de regarder le firmament d'une autre manière, de percevoir, dans h nuit, une clarté. Le ciel prend, malgré le soir qai tombe, mie teinte solaire Lumineuse, tandis que les étoiles, dans ce ciel-terre jaune, sont comparées à des vaches paissant, formant une constellation de taches sombres. II y a donc, ici, une e u p h ~ o n de la chutt en descente, une inversion des valorisations diumes de la chuîe et de l'ascension, ainsi qu'une totaiisatïon dans la réunion du haut et du bas-
Dans « La sainte », c'est L'amour qu'éprouve Gennain qui transfome son regard sur les choses qui l'entourent Le village, noir comme la montagne il lacpelle il fait face, devient pour lui un paradis : K On ne se reconnaît plus : Les montagnes ont changé de teintes, le ciel aussi, et le village se met à ressembler au Paradis puisqu'EUe y habite16 m. Le désir qui échauffe son cœur, qui lui a brûie le sang et l'âme d'une bonne brÛ.lmtn S. illumine les alentours. Flavie, dont le prénom est attribut de Imnière, doit être conquise parce qu'elle est la source du feu avec
sa longue chevelure rousse et son aura éclatante. Et cependant le flamboyant qui émane d'elle se
conjugue avec I'obscurité marine et la profondeur opaque de ses yeux :
Ses yeux avaient gardé Ia transparence de L'eau et pwrtaot L'on ne powait en distinguer le fard De q d se corn-t-il ? De sabie fin, de cailloux poüs, ou de vase pleine de serpents ?--, Germain les regardait, ces yeux, et ies suppiiait de lui répondre, mais ils ne pariaient psL8.
L'élan fougueux de Germain fait se réunir un essor vers Ie jour et une plongée nocturne dans
l'abnme fluide et trouble d'un regard muet A cette contradictoire et impossible union au sein de l'amour et de la vie, le meurtre a p î comme l'unique issue.
l5 K Elle drait ailde gouverner w, p. 125. l6 K La sainte r, p. 13. l7 Luc. cil* l8 Ibid., p. 2L.
Une foule d'oppositions, toutes inthement Iiees, jaioment également la nouvelie a Cehi qui attendait la Mort ». Celle-ci s'ouvre sur la description d'un hameau abandonné par tous sauf le vieux Bastian, petit coin de paradis qui, pourtant, prnid des airs d'der- La natore y traduit la brutdité, la so11tude7 l'ernprisomement: a La vigne abandonnée était tedevenue sauvage* Ie
raisin âcre, les caiUoux rodaient dans la prairie, les pommiers et les poiriers entremêlaient s i bien leurs branches que les demiers fniits s'y trouvaient p ~ s comme dans des cages19 m. Un peu plus loin, la c o d b i m du pays, son panorama paradoxal, r à la fois divin et tourmenté20 W .
apaisant et incpiétant, snscieit une prière dont 1e message symMq= est paissant. Bastian implore Le pardon de Jésus, a h d'éioigner la vision infemde de la plaine ; il lui demande d'être délivré du mal, des tentations et de l'enfer :
Pnant Marie, le personnage se voit ensuite o E r par le même site des images harmonieuses, célestes :
Miroir de jisîice, p&zpour nous -I Et Ie miroir se dressait en face de lui et lui renvoyait les myoas du soleil- Trône dk la sagese, pour mm! Et la montagne se dorait, ample et solide- Source de notre joie! Et les eaux vertes du Rhône bodïsaï~nt vers les champs assoiifeSes Ec qaand -an arrivait à Porte du ciel. pëzpzir nous?, il regardait le fond de la Vallée et il voyait la ~orte22.
La mise en retrait et l'aspect tranché de la supplication ii Jésust disposition textueHe qui n'est pas reprise pour les prières à Marie, intégrées au paragraphe ; le fait que Bastian adjure le pardon du Fils, alors qu'il sollicite Ia protection de la Mère ; l'opposition des images (de rupture et de brûlure, d'abord, puis de lumière, de couleur, de terre solide et matenieue s'ouvrant sur un au- delà rne~eilieux): tout cela semble prouver que la nature provoque des sensations contradictoires et contient des éiements antithétiques que tantôt elle o p , tantôt eiie réunit,
finissant par former une totaIité.
La perception manichéenne - distinguant le bas et la tem (lieux du péché et de la mort) du haut et du ciel (ouverture sur le paradis, quête de pureté et espoir de vie éterneUe) - fait ausi
19 K Celui qui attendait la Mort *, p- 73. 20 Ibid-, p. 75- 21 Loc- cif. 2* Ibid., p. 76-
i'objet d'un dépassement dans a Le miracle B. Juste après un passage, d6jà cite en exemplh où
s'exprime une vision dualiste du monde, une phrase d e t le travail de la vigne en reprenant le thème biblique de la communion, c'est-à-dire du partage, du Lien entre les hommes et Dieu :
IIs &aient tous SUI. le coteau à sulfater en plein soleil- Ck vin quFls -eut en automne pcenaït Ieur temps, leur sueur, Ieur force d'hommes, leurs pensées ; mais en retotrr, iï Ieur donnerait son sang à lui, pourpre ou fauve, son âme B hi qui édatait dans les corps- en f l a ~ ~ ~ e s . en
Le vin rendra aux bmmes tout ce qu'iî leur a @- D'ailleurs. L'eucharistie, célebration du sang
du Christ autour de la phrase ec fivit de la teme et du travd des hommes », ritualise cette &cm
entre l'homme et la terre et entre L'homme et Dieu- La tâche décrite ici transcende la dichotomie
enfer-paradis en permettant un lien entre LLêtre, la nature et Ie divin.
Dans ic Clotaire r*, le vin vient directement du clei et -et des visions, iI transf~rrne Ca perception des choses et rend contndictoires les imprtssiom quc la nature suscite. Le temps et
l'espace ne sont plus mesurab1es, les corps des deux protagonistes se dissolvent,
n'appartiennent plus au monde réel et s'agitent en des mouvements désordonnés- L'ivresse
pmcure une impression de dilatation du temps et de Iiqitéfaction de I'espace, Elle rend possiie
chez Clotaire une sorte d'ascension, en ce sens que son corps .r prolifIère] dans tous I e s sens », que « sa tête s'a.Uoag[e], se perld] dans l'espace, tandis que ses pieds lui dev[iement]
lointains et minuscules24 P. A L'inverse, la montagne, véritable tour dressée vers les cieux,
semble paradoxalement inciter à son forage, à un enfoncement ou à une descente dans ses
entrailles, au sein de sa tene liquide et sonorei jusqu'à ce qu'elle libère le marcheur et que celui-
ci, attiré par les étoiles et le jour à venir, poisse poursuivre sa route :
Parfois, le chemin t o m - t du tôt€ de la monfagne, s'y enfonçait comme si la moncagne le tltait à elle. [---l La montagne ma&stait sa présence - peut-être avait-on tendance à I'oublier panni Les mur;tilles et le ciel - iIs entendaient battre son sur, et soa souûle humide les dégrihïr, Riis eue leur -t la Liber&? : iis m-ent repris par leur ivnsse et les 6 t o i l e s ~
Se superposant ii celle de la lumière et des ténèbres, la dialectique de la chute et de l'ascension consiste en un va-et-vient auquel s'ajoute un adoucissement de la chute en descente- La terre, par
une inversion des valorisations diurnes, devient nourricière, à la fois tombeau et berceau,
symbole de pureté et de vie - dans nt Le miracle », par exemple, une femme en détresse
creuse à coups de pioche le sol gelé pour y enterrer un nouveau-né, mais la terre n'accepte pas
d'être la complice de L'infanticide : c Oh ! cette terre gelée qui ne voulait pas s'ouvrir, qui
23 a Le miracle W . p. 109. *" a Clotaire W . p- 143. 25 Did-, p- 144-
refusait de participer au crime, car la teme est InW6rente et p d 6 B. C'est dans l'élan vers
autrui et, plus encore, dans ce que nous nommerons la descence de l'être et de la nature que se conjugueront les deux diaIectiques identifiées. Sil présente SUROut am religion transcendaniale, ratiodiste, casfrabeice et niant la chairt le recaeil fo-t de nombreux exempies de correspondances entre le corps et Le cosmos, entre Etre et la nature, liens favorisant Le développement d'me ~piritnalité natoreiie, plus instinctive que rénéchie, p h h d e qu'acquise.
Nous verrons d'abord mmwnt le pays modèle Catains P son image, transfbune le caps et
L'esprit en fonction des ai& du c h a t ou de Ia géographie, pais montremns en quoi cela
influence la conception de la religion chez les personnages concernés.
Prenons pour premier exemple les villageois qai découvrent l'église prof- par Geunain.
Leur inquiétude et lem &idement demeurent presque impercepti'bIes : rien ne paraît sm lems
visages fermés : N Us étaient tous très agités, mais leur Cmoi se manifestait peu en paroles et en
gestes, il demeurait intérieur comme tout ce que ressent avec violence le peuple de la
montagne27 S. La population garde ses sentiments de la même manière que les monfagnes
emprisonnent les tourments, tetiennent les eaux dans des vallées étroites, enserrent les soarces des rivières et des lacs et cachent le fond des crevasses ; le calme de leurs neiges et Ie manteau
bleu formé par leurs giaces ne laissent rien soupçonner du tumulte qui les a façonnées et qui
continue de gronder sourdement en elles-
La nouvelle sur rentenement de Joachim met pour sa part en scène des gens particulièrement
afCectés par le rythme et la rudesse du pays. Leurs corps se sont, au fil des siècles, adaptés à leur
envhmement : a On se protégeait les yeux en auêtant, au vol, un ou deux flocons, avec les cils qui sont longs et drus chez la plupart des gens d'ici, peut-être à cause de cette lumière trop
blanche en hiver ou, en été, sur les chemins28 H, La cérémonie des funérailles est racontée avec
minutie, la narratrice ne néglige aucun détail de son déroulement et décrit, avec un brin d'ironie, la messe dans la chapeiie glacée et la précipitath du curé n'ayant pas l'habitude de revêtir les
vêtements sacerdotaux, La scène Eaisse une impression d'ordre et d'harmonie, les gestes
paraissent reproduire les mêmes rites depuis des temps immémoriaux, et le lecteur participe, suit
la lente cadence, s'imprègne de l'ambiance et contemple la scène, invité au spectacle de la mort-
Le drame ne découle pas ici du décès de Joachim - la narratrice signaie que ces obsèques ne
sont pas tristes -, mais du fait que le village maque de place. Agrippé à la montagne et tout en
pente, son cimetière est trop petit ; à chaque nouveau mort, il faut faire de la place en exhumant
Le plus ancien cercueil. Voila pourquoi le trou de la tombe fascine chacun et fait converger
*6 K Le mi,cle *, p- 106- z74( La sainte JW, p, 23. 28 N L'enterrement m. p. 49.
l'attention de tous. Au-dessus du go- sombre et étroit se détache le ciel comme une promesse
du paradis, tandis que les alentours srapprofondlsssent, toujours pIus insaisissables et
troubIants : K Xi ne neigeait plus, Les nuages gécarcaient devant un ciel blen tendre comme cehi des images giksées dans les livres de messe- Le paysage s'agrandit, se révela très pmfond ; Ies
forêts noircirent29 *. La namatrice continue wu portrait de L1assemblée et montre un univers
clos, replié sur lui-même et à part, où chacun sordfie de son isolement À i'état d'abandon du
pays comspond celui des êtres, dont l'enterrement & Joachim n'est que le dur rappel.
Le rythme des saisons poarra, lui aussi, conditio~er certaius personnages. cest ahsi que dans «Celui qui attendait la Mort>*, l'hiver, qui rend la montagne grise, opère une métamorphose physique chez L'ermite : a Et le vieux Basth, tout comme son coin de teme, en
subissait 1e mimétismeJi n'€tait plus fait d'os et de chair, mais de pierre crevassée par le soleil et le gel, avec des touEes d'herbes jaunâtres sur le crâne et au menton, et dans ses orbites
luisaient deux cristaux de roche30 ». Nous avons vu que ce prsoanage récite chaque jour deux prières - La pemière, adrrssa à JCsus, est placée sous le signe de la faute, du péché, du mal et de Ia mort, alors que la secande, lancée B M e , impIore la sagesse, la joie, l'amour et la vie - qui en viennent à illustrer la totalité de la nature, la réunion des opposés, la résolution suprême
des contraires en une double dialectique, Ia vallée étant tantôt une vision de l ' e~er , tantôt une
image du paradis. A travers son miméti'sme, Basb'an vit uat fome de spiritualité autre, Cmansnt de la nature ; outre la lecture du catéchisme, il a en lui la connaissance d'un univers spirituel
préexistant à toute religion, E< éta[nt] Peul à savoir certaines chosedl r .
Dans t< Agatha B. le printemps a Le pouvoir de N mod[eler] le corps32 m. Agatha elle-même
arrive dans le m e r de Bonuat en même temps que cette saison, que la namatrice persannifIe,
précisant que « [qluelqu'un d'autre s'insinue dans le quartier et dans ses habitant9 >>. Dans cette nouvelle, la morphologie et le climat de la vallée influencent les habitudes de vie des
personnages. L'hiver terminé, par exemple, la viUe se peupie des montagnards qui quittent leurs
villages d'altitude avec leurs bêtes pour s'occuper de la vigne, EUe ren;uCt, s'anime, se réchafle, et Ia nature entière exulte, Mais le fahn fait rage, le vent du sud énerve, irrite, exaspère les
habitants ; « cette chaleur et ce vent qui souffle tous les après-midi, sans réussir à changer l'air,
empêchent de raipmner, rendent nerveux, pleins de haine34 m, et seules la nuit et sa fraiAcheur
29 Ibid, p- 53- 30 e Celui qui attendait la Mort m. p. 74. 3 1 LOC. cite 32 K Agatha m. p. 82. 33 Ibid., p. 8 1. 34 Ibid-, p. 88,
apportent un peu de réconfort, a [pleur la paÏx du corps et de L'âms* B. En maints Lieux de
Douleurs paysmes, le climat modifie ies comportements, les saisons scandent les activités. Le printemps symbdise et m a q m une renaissance, une v ic tob de la vie sur la mort : il anive
comme la promesse de l'été B venir, de ce temps oii chacnn, combl6, go& à la joie de ses
souhaits exaucés : u Dans le dos, on a de l'herbe haute, des marguerites, des sauges violettes
et, sur son ventre, une chaleur lourde de juin, On est sans désSr. Tout est rempli jusqu'au bord :
les prés, les vignes* les jardinst le RhÔnG6 *.
Le Lien entre les personnages et leur environnement reste puissant dans Le miracle >>, qui
s'ouvre sur la description dk un village agenouillé au pied de la haute monoigne m. m e s dont
mes habitants, eux, ne s'agenouül[ent] pas : ils [sont] mécréants B. Fiers de vïwe en
autarcie, iIs ont la conviction de n'avoir besoin ni des autres ni de Dieu : a Nous sommes des
hommes libres. La montagne est à nous, le village est à nous, les vignes sont à nousc On se d ~ t , on n'a pas besoin des autres37m. Pourtant. leurs vignes se distinguent de ceifes des
autres villages : a mes étaient plantées sur un b e n s e piemer f o d par les e'boalements & la
montagne, et les cailloux entassés cloisonnaient chsaque parchet d'un haut mur inutile et croulant, comme les n h e s drune ville ancienn&g m. La culture se fait ainsi sur des terres stériles founant
une enceinte qui cloisonne les villageois dans leur isolement d'incrédulesT sur un territoire aux
relents d'enfu - que l'on se rappelle la d d p t i o n du travail de la vigne. Le sol, hostile. est à
l'image du scepticisme des personnages, Ce ne sera qu'en travaillant et en songeant à tout ce que
la vigne leur donnera en retour de leurs efforts que ceux-ci penseront Q la générosité dépourvue
d'orgueil du jeune prêtre de la paroisse et décideront de rénover son église.
Pendant qu'ils redécouvrent la chapelle, un sentiment paradoxal, fait de souvenirs ambigus,
les anime. Ils se souvie~ent de l'humiliation ressentie lors de la confession et pnuen t
conscience du poids de leurs péchés. Progressivement, ils retrouvent, à la vue des objets de
l'église, une foi oubliée. Leur attitude paraît A la fois païenne et enfantine, mais le prêtre ne s'en
offusque pas. puisque lui-même s'est lais& séduire par la vision #une crèche naturelie lorsque,
le soir de M l , il a trouvé l'enfant abandonné par Sabine et l'a placé dans un c o f k t de bois.
Voilà qui nous ramène à « Celui qui ne savait pas son catéchisme n, au bonheur de Sylvain
contemplant la petite Nativité sous verre, pénétrant dans ce monde clos de figurines en papier
brillant pour y trouver un peu de réconfort, Dans les deux nouvelles se donnent à lire une valorisation de l'aspect matériel de la religion et une quête d'une spirituaiïté plus féerique,
35 LOC. cir. 36 e Reniement m, p. 117. 37 u Le miracle P, p- 101- 38 Lbid-, p. 108-109.
authentique, enfantine et instinctive, recherche =joignant, parla col~ll~lunïon avec le cosmos et
par son observation, celle d'une spirituafité plus natme11e-
Dans *<La malade *, le climat devient, l'espace d'un printemps* néfaste pour toute une
régi011, Les dodeors de la nature se répericutent, en mkck, dans le corps d'une femme, Albine* Cette fois, la coalescence avec la nature dévoile un aspect peu enviable, sans aucun lien avec une
quelconque forme de spirituaüté, simplement fait de douleur. En effet, pendant que le pays lutte
contre la sécheresse et le gel, AIbine endure un mai inconnu ; alors que partout L e s ruisseaux et Les fleuves s'assèchent, son sang bodlome comme s'il devait s'évaporer :
Eue souffrait nMement dans son corps e t dans son âme, ce mai existait sans que personne ne sQt le déFi.i., aussi fut-elk bien obligée d'être attentive à ses douleurs, Elle Bcouta Son sang se fit entendre ; au lieu de couler dans ses veines en une silencieuse i n c o d e n œ , il tourbillo-t, Ta hemtait comme le Rh- heurte les ms de son Kt. Ia faEsant vaciIler tout e n a h L-1 Après Ies tourbillons sanguins qui L'arrachaient à de-même et la laiiePniaiiePnient t~1~13bjmte d'énervement, mais picine de vie enaxe, a fut en elle uir gnade Uac sécheresse amune odk qyï C i r e i p ü t l e pp+9.
Persome ne peut nommer la maladie, et encore moins la gu6Er. Malgré que plusieurs supposent
qu'il s'agit de la ménopause, les symptômes ne ressemblent pas B ceux énumérés par les autres
femmes, et Albine finit par se sentir seule dans sa Sodhnce. Chacun assiste impuissant à ce qui
leur anive, à eiie comme à la terre déshydmîée et essouBiBe. C'est tout natureiîement auprès de
celle-ci qu'Albine cherche L'apaisement de leur mal commm :
Comme la campagne, elle avait besoin de fdcheur, elle avait besoin d'herbes et de feuilles, Le soir, après souper, au Lieu de s'asseolrdwant la porte et de causerf eue allait s'enfouir dans Ie verger voisin, EUe s'étendait au pied des a h s , ventre contre terre- et toute L'humidité du pré montait dans soa corps et lui fikit du bienm-
De même que les souffrances du personnage sembIent le corollaire de la sécheresse qui fait rage
dans le pays et détruit les cultures, à sa guérison répondra l'avènement de la pluie tant attendue,
co'incidence qui suggère la présence d'un Lien intime entre l'être sensi'b1e et son milieu : « Ce fut
la guérison. Dehors, de gros nuages noirs pesaient sur un paysage immobile, miraculeusement
immobile et silencieux, comme tous les paysages avant la pluie41 B.
« Le epnd tourment » illustre également fimportance des déments (du vent en particulier),
à cette différence près qu'ici la nature n'agit pas sur l'êm mais paraît Ie soulager, prendre sur
eIle un peu de sa peine et l'accompagner à travers ses doutes. La nouvelle de'bute par une
description poétique opposant le fimament, immobile malgr6 une turbulence qui agite tout le
paysage, à un homme en apparence calme et pourtant tourmenté, qui marche sous ce ciel avec l'air absent, tel le personnage d'un tableau balancé au rythme de tumultueux mouvements :
Un homme marchait dans le ventc Au-dessus de Iui, Ie cieL demeurait immoMe comme un cieI peint et, sur ce fond gis, se detacMent d'autres nuages ronds et cen-, immobiIes aussi- C'6tait un jour d'octobre ; Ia vallée du RbGne, pleine de flammes* se mouvait au passage du f œ h Mais Iriomme qui marchait n'entendait ni ne voyait rien parce qurea lui vivait un grand ~ O U L ~ C I I ~ * -
Tobie avance, obsédé par sa femme, qn'il aime sans avoir jamais pu la posséderr Sed, il ressasse ses pensées, puis, soudain, prend conscience de ce cpi Pentoure. Le vent d'abord, puis
la forêt s'approprient son tourment, en exaltent toute la rage contenue et la beauté. Atténué par la nature, son tumulte intéiîeur prend une ampleur n o d e pendant qu'il projette de A proximité de sa maison, Tobie s'aperçoit que Ie vent est tombé, ce qui ravive son malheur, dont
l'aspect poétique disparaît avec Ia venue du sok La lumièe s'estompe, et la nature cesse d'être
cornpre%ensive à son égard : a hilaintenant la lumière avait disparu, tout devenait sombre, Et ce
n'était plus la demeure de la pgirr mais la dememe pauvre da drame- Il n'y avait plus le chant d e
la forêt pour exalter sa souffrance. Tout devenait Iaid, utilitaire, sans grandeur, Laid comme Ie
malheur23 m. Delphine, perçue comme une lampe, détonne dans ce tableau disgracieux. Sa présence, son éclat lorsqu'elle est avec Dionyse, voila a que Tobie ne supporte plus- II veut déranger cette union tacite, rompre l'entente platonique, s'ôter tout doute, ne plus craindre la
tromperie, mettre fin à son tourment pour enfin exister en dehors de celui-ci : LInqUiétude était morte. Il l'avait tuée avec Dionyse. Il ne pensait plus à sa femme ni aux enfants44 » .
Toutes nos rematques sur les nouvelles de Corinna Bille ont montré jusqu'ici que deux systèmes de pensée cohabitent dans DouCews paysannes. L'un, apparenté au Régime Diune,
a pour gférences la religion catholique et sa mentalité transcendantaie et est traasmis par l'école,
le prêtre, le catéchisme, mais aussi par la peinture, la sculpture et les ornements des églises
L'autre découle de L'observation de la nature et de son S u e n c e sur l'habitat, Le rythme de travail
et de vie et le comportement des personnages, nature dont les images, pouvant rappeler des
notions bibliques telles que l'enfer et Le paradis rév&lent le plus souvent une cohabitation
harmonieuse des contraires, union dont elies font ressortir l'aspect positif ; ce second système,
non dualiste, mais cyclique ou dialectisant, est lié au Régime Nocturne. Certains personnages
se Limitent à l'observance de lois dictées par la religion ; d'autres, l'inverse, renient leur foi au
profit d'une coalescence profonde avec la nature ; la p lupw enfin, engagés dans un processus
de réinterprétation, sont en quête d'une spintualité plus nanirelie, authentique et immanente.
K Le grand tourment *, p. 130. 43 Ibid, p. 135,
L'immense majorité des nouvelles du recueil se terminent par la mort ou sont traversées par son spectre. « Vendanges B. un éloge de la patience amoureuse, de Pattente et de l'espoir,
constitue la sede exception. Sans doute faut-îi pericevoir ces m a s répeCteeS comme une
métaphore de l'agonie d'un mode de vie paysan -que et anasbal* Mais cette fin ne reste
- pas sans lendemain et est le signal d'une ouverture sur le monde et d'une industrialisation
n'ayant pas que des mauvais côtés. Si l'on considère Douleurs pqsanrzes dans son ensemble,
une analogie s'impose entre la fin annonçant un renouveau et le traitement du thème de la mat
Après les meurtres de a La &te w et de La fille perdue m - deux jeunes femmes ii qoi leurs meurtriers semblent crier : K Demande pardon, maintenant, pour tous les péchés qu'on a
commis à cause de toi45 B ! - e t de r Celui qui ne savait pes son catéchisme m, trois crimes
placés sous le signe de L'&nation d'hommes brimés dans leur dékir par un dismurs catholiqye commun dénigrant la chair au profit d'un ascétisme castrateur, le recueil présente l'histoire de la
mort tragique d'une mère de famille aimée de son mari. A la dépossession des deux femmes et
de l'enfant, êtres démunis, à l'amour impossible, à la chair qu'on tue pour ne plus la désirer ou
parce qu'eile est Le M t d b e faute, répond l'amour de cet homme, assez vaste et pur pour laisser croire qu'il peut caresser les trois délaissés : r Que ferait4 maintenant de l'amour qu'il
vouait à sa femme ? Oui, qu'en ferait-il ? Cet amour avait grandi en lui comme un arbre, avec les racines, le tronc, les branches et lem zamificatio~ls* Il en était =pli ; plus un espace en lui qui ne fut occupé par cet arbre d'amofl B.
De la même manière, à toutes les morts injustes et précoces répond celle de Joachim, premier
personnage à décéder naturellement de vieillesse. le récit de son entenement réconcilie le lecteur
avec L'idée d'une mort perçue comme un passage, une transition : ses fiinérailles sont celles que
les autres n'ont pas eu. En fait, la mort de Joachim, dont sont louées la modestie et l'absence
d'égoïsme, permettrait d'accepter les autres disparitions, les rachèterait ni plus ni moins, à la manière de celle de Jésus : c Maintenant, la tête de Joachim reposait- C'était la tête du Christ
après qu'il eut poussé le dernier soupir, mais personne dans la chambre n'y songea4' B.
Comme b fils du Dieu cMtien, ce personnage a connu le poids d'un fvdeau supérieur : a Les
trois hommes observaient Le visage couché sur l'oreiller, ce visage qui savait, qui avait pris sur
lui la soirffiance de toute une vie48 P. La mort de ce vieillard à Ia fois seul et entouré - ou,
mieux, entouré de solitude - comme chacun des autres villageois cmtraste avec l'aspect dramatique du de%ut du r ecd , présente comme une faîalité non pas tragique, mais
15 Ce vers est tir6 de c La frlle perd- (id-, Le Pays secret. 1996 [L%1], p. L54), poème qui à la fois dialogue avec la nouvelle de Doukurspaysannes et lui fait écho- & * nie ne reverra pius sa petite chambre ! *. p. 47. 47 u L'enterrement a, p. 62. 48 Ibid., p. 60.
simplement réelle, i n h b t e à la vie, falsant partie d'elle autant que la naissance : a La Mort
était devenue présente, sans tristesse, sans horreur, une @sence nat~reII&~ B.
Pourquoi s'effrayer de la mort ? [..,] la mort crest comme la vie, c'est natureL ex iequdo B. Cette phtase du médecin qui ausculte Albine rappeile le mesage par lequel se
termine le récit préc6dent. Les deux textes introduisent dans l'œuvre la notion d'une fatalité
englobant le cosmos et les êtres, Si A l b e , par exemple, ne meurt pas, c'est parce que son mal
demeure intimement lié à celui de la natuse* qni aura l e dessus sur la sécheresse La recoanaisance de ce fanim naturel va de @ avec une sorte de basculement vers l'espoir,
mouvement progressif qui se remarqne dans les conclusions des nouvelles : la première se
ferme sur un meurtre accompagné de folie ; la deuxième, sur un crime collectif' avec néanmoins un elan de remords du plus jeune personnage masculin ; la troisième srach&ve sur ragonie d'un enfant et sur les remords du curé qui l'a battu ; Ia quatrième déixit la douleur d'un man éploré, brisé par le décès de son €pouse, mère de cinq enfants ; la cinquième, l'enterrement d'un vieil homme ; enfin, la guérison d'une malade clôt la sixième, au moment oh tout le pays sort d'une
longue sécheresse et où la terre, reprrnaot ses droits, exalte la remhance- Un ordre régit la construction da recueil : à la lecture de ces six textes successifs, nous percevons une évolution, le passage d'une mort violente vers une mort plus douce, toujours fatale mais lentement
euphémisée et même, finalement, dépassée.
Dans la suite du tecueil, le thème de la mort s'enrichit d'autries facettes- Il est notamment traité
avec un brin d'ironie dans a Celui qui attendait la Mort B- D'abord, la narratrice insiste sar la
malpropreté de l'ermite, dont l'âme, pourtant, est pure- Le voici demandant au curé les derniers
sacrements : << [---3 le curé ne voyait pas seulement en lui Le saint prêt à recevoir l'auréole des
mains de saint Piene : il ne pouvait s'empêcher de se dire que son pénitent sentait bien mauvais,
Redoutant fort de le voir se déchausser, il faillit commettre un petit péché d'omission51 B. Le
chapelet que Bastian égrène sur son lit de mort est ensuite comparé, de manière subversive et
irrévérencieuse, à << un petit serpent n o s 2 B. Fmaiement, la mort, qui survenait injustement ou
brutalement jusque-là, ne vient pas chercher le vieillard, qai den finit plus de l'attendrie.
Suivent deux récits dont les héros sont abandonnés par les lem, VieÏllards nécessiteux et
n'ayant plus la force de lutter pour obtenir de l'aide. LorsqutAgatha revient de son voyage à
Sion, elle a déjà l'apparence d'me morte :
49 Ibià-, p. 64- 50 u La malade n, p. 72.
K Celui qui attendait La Mon m. p. 79. 52 Loc. cir.
Quelqu'un passa dans Ia nrec On ie suivit machinalement des yeux, sans meme se demider qui cela pouvait être ; on le regardait, en rédité, on ne le voyait pas, N ~ o i u s ce quelquruu finir par s'imposer à tous, non pas tant par son aspect famlier que par son atmosphère etrange d'oii Ia vie semblait absene-
Le dernier soirffle d'Agatha semble s'être 6vaporé en chemin. Bientôt, elle meurt de misère. La nouvelle, en prenant pour sujet l'agonie d'me petite femme âgée négligée de tous, entourée de
gens s i pauvres que chacun se préoccupe d'abord de sa propre mie. se fait pamphlet, Lt personnage s'éteint dans L'ignorance, pendant que son bout de jardin, espace de rêve une saison
cultivé, se dessèche. A la fin, elie attend, K seule dans l'ossuaire, qu'on euil il le] bien
l'enterrer% m. Cette nouveiie et a Reniement », où un homme tombé dans l'indigence est
conduit vers son fils, qui, malgré sa richesse, refuse de l'aider et de le rec01111~11~tre comme son
père, rdennent une ~ o ~ a t i o n du cidiaissement des vieïliards, o r p h e h de la société-
Les deux nouvelles suivantes sont plutôt le Lieu d'une enphémisation de la mort. Dans << Le
miracle », le cercueil blanc dans lequel gît l'enfant illégitime de Sabine touche les villageois
présents dans l'église et les réunit autour de ce qu'ils ont de plus cher: a (..-] le secret de ce
cercueil les atteignait au vif de l'âme, dans ce qu'ils aimaient le plus au monde : l e m propres
enfants. Jamais la Mort ne leur parut aussi réeu& W. Le miracle marque le retour des mécréants
à la foi, communion autour d'un deuil et d'un amour co~~l~lluns. Dans ce récit, la mort est donc
transcendée par l'espoir retrouvé et par la connaissance de la parole : a [Le vit tous ces
yeux levés vers lui, ces yeux qui attendaient le Paradis..- 11 eut peur de ne pas savoir pader. Mais Dieu, se souvenant de la première Pentecôte, déposa la Parole sur la langue de son disciple. Et L'enfant mort, lui-même, l'entendit56 m. La mort s'adoucit également dans << Elle était aiiée gouverner B, en ce sens qu'eue constitue une échappatoire pour Mathilde, un rehge,
une fuite dans l'obscurité et la chaleur du tombeau, une protection contre une lumière qui bdie
trop fort, d'un écIat stérile, et qui ne parviendrait pas à faire fondre le cc poids de honte et de
douleur qui G..] écras[e]s7 u le personnage.
Dans << Le grand tourment B et a Cidaire *, qui décrivent respectivement un acte meuttrier et une chute fatale, Ia moct est annoncée à l'avance et se prépare. Une métaphore vient &ailleurs signaler le caractère inéluctable de la fin de << Clotaire H :
Ses mains s'agitèrent dans le vide ; maiadroicement elIe ramassa quelques mots, quelques phrases qui n'avaient plus de vie ni de sens, mais elle ies prit quand même et Les lui jeta hilie parlait, c'était
53 K Agatha m. p. 93. 41 Ibid-, p. 99. SS M Le miracle m, p. 115. 56 Lac. cir. 57 u ElLe était alMe gouverner r, p. 129.
peut-être aussi pour ne pas voir Clotaire, le voir ciam sa réaiité, et ses mots étaient du sabk et des caüioux dont eiie essayait de le CeCOWfltS8-
Avec des mots et des p b vides, dépourni0 de lem pouvoir commequant, M e entene
symboIiquement son mari, que les pierres et le oaMe ne blessent paa Si elle lui lance violemment
des mots morts, c'est pour tromper le silence, celui quErige L'absence permanente de langage,
cette incommunicabilité de l'être qui révèIe Ia dépossession et L'incapacité exister. Ces mots
symbolisent aussi Ies roches qm ont écorché CIotaire et fia@ sa tempe iors de sa chute :
l'ayant déjà tué, ils ne l'atteignent plus La mort douloureuse que Tobie prépare et innige dans « Le grand tourment n et qye sa victime, Dionyse, tente en vain de chasser, de conjurer,
s'oppose à cette agonie lente et indolore de l'ivrogne, décrite comme un retour à h nature, comme une intégration progressive de L'homme daos le cosmos,
La demière nouvelle de Douleraspaysmnes, comme c'était Le cas daus le Torrent, pourrait, si elle était étudiée isol6ment, renverser notre analyse du thème de la mo* En effet, la mort se
trouve progressivement euphémis& au f i l du recueil, B travers, notamment, les descriptïcms du
culte ou l'élaboration d'une conception l'assimilant un retour à Ia terre, la présentant comme une échappatoire ou un passage. Or, elle se fait punition divine et f in impIacable dans tc Le feu ». Cela dit, le choix d'une lecture linealre pour cette partie de l'analyse n'empêche en rien que Douleurs paysannes condense des portrats qui, se succédant, fissent par fornia un ensemble, et que ce tout importe davanîage que chacun de ses éI6ments constitutifls~ Il faut donc conclure de manière générale plutôt que particnliè~ et remarquer que Ia rnoc si elle revêt des
aspects divers (crime, abandon, phénomène naturel, dérobade, accident, punition), jette toujours
un nouvel éclairage, parfois salutaire, sur l'aliénation des personnages impliqu6~~~. Ils souffmnt
tous de la même douleur de ne pouvoir exprimer leurs désirs, lerus besoins, leurs doutes ; ils
sont soit sous l'emprise d'une morale chrettietme réductrice, dont leurs voisins, leur conscience
ou le curé sont Ies garants, soit privés du minimum vital et du partage avec l'autre. La Mort, personnifiée par la majuscule, est unificatrice, les nissemblant autour de leur commune f u t é a .
Ajoutons à cela que dans Douleras paysannes, comme nous avons voulu le montrer, la mort
est tantôt dramatique, tantôt euphémisée ou adoucie, se faisant alors passage, intégration dans la
terre ou Le nocturne. Cette seconde conce&on de la mort et du fatum humsin se trouve bien
58 a Clotaire m, p. 155. 59 Germain. les sept hommes de * La file perdue W. le cur6 Rinati et Sylvain. Joachim, Bastian, Aga- l'enfant de Sabine, Zacharie Cortaz (a Reniement *), Mathilde, Tobie, Clotaire et Alexhe, pour ne nommer que les principaux- '' Dans < Elle ae reverra plus sa pctite chambre ! *, a L'enterrement w, c Celui qui attendait la Mort m et « Le miracle », Ie terme u mort m débute par une majuscuie, et dam a Elle était allée gouverner m. la mort est désignee par K Elle B. Dans ces cas-là, à travers le décès d'un individy c'est une mort personnifiée et individuelle, pourtant bouleversant chacun, qui est désignée,
exprimée dans I e poème de Corhm BilIe Intitul6 c Nuit >>, au sein duquel Ia valonsatÏon de la terre se c I d e et se jnstifie par son associaiion étroite avec la nuit : la texre, en fait, y devient la substance même de la nuit Pbèxne =traçant la recherche du Vrsagc divin ou de L'amour humah - difficile de trancher - dans Ia sombre epaisseur du sol :
Oans cette nuit de neige et de teue tout engmssée de printemps, Ravagék de vers, de ramiœiies et d'ammes poumsSantsr Qui fume et qul b u t , qui éclate, Dans cettenuit sans h e t sans ~I~ECIU~S.
JechcricbeTon visage J i s a i s q u e e o p d e ~ I e ~ o r m e e t q u e I e v e r g l a s p o s e ~ t a i e sur Ton
Et cp5i me faudra creuser la Terre de mes poings et me jeter dans œ gouffre d'oiî l'on ne remonte plus
RmIe trowcrcnfin6L-
Poème imprégné de rêverie nocturne, où le cheminement vers la véxité implique mie f o a e du limon. La terre y est réservoir, mannite, coupe, Quant à Ia quête, le brouillard, le vergias et Ia taie qui obscuricissent le regard la rendent diffIde, Pourtant, à travers l'impatience qui est
perceptible se Lit la nécessité d'aller jusqu'au boat de sa destinée et de s'engager totalement Ahsi, comme le précise M q k e de Courten,
[clreuser la terreT c'est passer au-dek de Ia vie aveugle ; c'est accéder à la CO-ssaace* traverser & monn [,.,] Le poème r Nuit w de Corlnaa Bille a pamïs & souligner une constellation ïntporrante & l ï m a g h k de ifauteur, d e qui va & la terre à laconuiüssance, en passant par la nuit : [--, j se laisser Hisser dans les entrailles de la terre et sombrw dans la nuit d a rêves sont des trajets imagInalres qui CO-ùicidenfi2.
La descente dans la nuit peut dès lors devenir descente souterraine- Dans Douleurs puysc~~utes, l'enterrement de Joachim et le soin porté par tous au colte, la hite âe Mathilde dans one nuit de songes et dans le tombeau du pardon, la chute de Clotaire et son assimilation par la nature représentent autant de morts qui se résument à une quête de l'amour humain ou divin, Une valorisation positive de La nuit permet l'euphémisaiion de la moif d a notamment parce que les oppositions s'aplanissent au sein du Régime Nocturne, se résolvent grâce à l'antiphrase, et
parce que le personnage qui int&gre cette vision du monde retrouve une union primordiale, une relation de communion entre son moi intime et s o n corps et entre son être et le cosmos.
Comme la terre, la demeure constitue un archétype puissant de la réalité maternelle, Eüe peut être une façade, une muraille contre L'extérieur, mais elle se fait le plus souvent creuse,
accueillante, organique et chaude. La rêverie de la maison cojïÏu5de ainsi avec une rêverie de
61 Id.. * Nuit m, dans Cluuupcal dcr Cent Viflées et Dir Poèmes d'Amour, 1997, p. 33. 62 M. DE COURTEN, l'imaginaire dnnr l'auvre de Ciwinna Bille, 1989. p. 142-143.
l'intimité et de l'encerclement spatio-temporel, de la fermeture et de la prise de conscience de soi.
Nous retrouvons cette zone de protection dans ceRaines églises ou dans des espaces restreints,
tels que la chambre et Ia forêt, clans Douleurspuysannes-
Le motifde la chambre rejoint celui de l%@*se dès r'owertare du recueil, puisque l'autel est profané par Germainet déplacé dans la chambre où @t Fiavie, étendue sur le lit comme daas mie
chapelle ou dans le cetcneii de verre diine crypte- Dans Le miracle *, une protection viendra de l'église, repeinte, nettoyée et &orée par les habitants du village, comparée ii mie grotte ouverte, cercle d'intimité pennéable i% la natore : <c Légüse sentait bon. Lt6glïse était M c h e
comme une grotte, et elle contenait toute Itodeur et la joie des vergers63 m. Nous retrouvons
dans ce conte religieux un envabissement & l'é- per l'odeur et la chaleur du végétal, œ cpi
en fait un centre où chacun retrace un tien génédogÏque en même temps qu'il entre en co~~uu,unîon avec ses semblables autour d'un amour partagé.
Cest évidemment dans sc Elle ne revena plus sa petite chambre ! » que le motif de la chambre prend toute son ampleur et acquiert une signiscation particdière, réCuniente chez
Corinna Bille. Un montagnard songe que son épouse, qui vient de mourir, ne cornaîtra plus le
bonheur de retrouver sa charnbre : t< H e qui aimait tant sa petite chambre ! Du fond de cette
détresse incohéremte surgissait l'image d'un logis sentant le mélèze et dbn lit recouvert d'un
tapis blanc à lignes rouges64 *. Notons qu'il s'agit d'me pièce bien temesW. sentant et
rappelant la forêt, et que le bois réjouit tous les sens, puisqutil conserve chaleur, couleur, odeur
et matière. Attnbut matemel, cette chambre rémit les qualités d'un lieu de joie et d'évocation de
la nature et ceiles d'une protection intime par la présence du lit et de l'ouverture sur cet au- endroit de réconfort matemel qu'est la forêt - une métaphore tirée de La sainte >> : les
enfants pleuraient dans la forêt des jupes65 P. indique &ailleurs le caractère répétitif dans le
recueil de l'aspect matemel de la forêt. Le souvenir de ce bonheur et de cette pièce propice à la
joie rappelle au personnage de la religieuse qu'elle-même ne possède rien et ne compte pour
63 K Le miracle *, p. 114. * Elle ne reverra plus sa petite chambre ! W. p. 47.
65 K La sainte r, p. 23- Un passage de la nouvelle r Clotaire w (p. 145) appuie dgalement lïdée de Parpect matemel de Ia forêt - lieu de la collsecyatï~ des souyenirs d'enfa~l~e- 6vocation d'un passé tantôt fknque et précieux, tantôt triste -, mais celle-ci se dote alors d'me autre vaIorïsati011, celle de la stimulation de la sensualité, étant notamment l'endroit privïiégit5 des amours cachés. C*=t que la Forêt, naine ici, est une forêt primitive où le scintillement éveille d'abord un souvenir enfantin, Ifarbre de Nel, puis la sensudité, et évoque la naissance du bonheur, les amours libres :
Quelques mélèzes. descendus eux aussi des hauteurs. avaient poussé dans une ravine- Avec L'exagération propre aux enfants et aux simples. on disait en pariant d'eux : l a forêt Elle ne ressembh-t ii nulIe autre et v - t dans mie contrée oiî l'on ne voyait guère que des jinèdes et des boqueteaux de cMnes nains- Tel un objct précieux, on ne pouvait ta toucher ; i l n'était permis que de la regarder. le pont vous maintenant séparé d'elle- Et parce que les aiguilles de certaines branches luisaient. les mdli?zes devinrent des arbres de Noël ganiis & cheveux d'anges e t de guirlandes d'argent, et les deux hammes songèrent à leur enfance. Ces souvenirs les ennuy2rent. ils en vinrent vite à ceux & lradoiescence- - Ct6tait la forêt des amours, soupira Clotaire-
personne, mais eue se rassure en songeant &une pièœ d e s t e qui lui sera réservQe : ec Mais elle
se souvint de la petite chambre qui l'attendait dans le ciel. Peutêtre aurait-elIe ausst des œillets
roses devant les fenêtres a an tapis blanc c r o c h e * ? Dans la vie ou dans la moit, la petite chambre mnstitue nn lieu privil6gï6 de protection, de chaieur et de bidtre- b sentiment de
sécurité est augmenté, ici, par Ia notion de petitesse ; en effet, une réduction de l'espace vitai favorise Ia vie reptiée, procure #avantage d'intimité et garantit solitude et insularité. Dans le
recueil, la quête de la ira d'ailleurs jusqu'2 la minlrrrmisati . . '
'on, œlIe de la Nativité fascinant Sylvain d'abord, celle de la a maison mse » ensuite. La petite chambre, aussi intime et protectrice qu'eue soit, s'ouvre par ailleurs sur l'extérieur par la transparence d'une fenêtre ou
par la présence du bois, 6vocation de la forêt,
La pièce O& dort Sylvain, cependant, n'est pas petite, attribut piif, mais m i n d e , étoiIffante, restreignante et sans aucune ouverture sur le dehors ; en fait, elle ne mérite pas
même le titre de chambre : a il restait couché sur sa paillasse dans une chambre minuscule qui n'était pas une chambre, mais plutôt un réduit sans fenêee6' n. Privé de la possibilité de rêver, l'enfant trouve mie co~lsolation en scrutant une petite Nativité, dont le verre transparent, à
l'instar de la fenêtre d'une chambrie, qui ne constitue pas me barnère, maïs one ouvertme. une porte, lui donne la possibilité de se coder dans un unives onirique réconfortant :
[Sylvain] se laissait der, sans retenue. à son admiration, à sa curiosité, Il s'écrasait le nez contre la paroi de vene, contemplait l'une apès l'autre, avec grand soin, les poupées & cire* ne perdait pas un détail nl un pii de vêtement Queue merveille !.-- Ce.-] Le gamin ne se las& pas de regarder- il avait traversé la patoi de vem., Et lui, pauvre petit paysan, il dtoyait Ies mis, il caressait ravi le Pbupon Jésus ! II n'était plus abandom?, il vivait dans 15nnmité des personnages divins68.
La miniature et le principe de la gigogne pritsewent le secret et le mystérieux. ÉIéments
omniprésents dans l'œuvre de Corinna Bille, ils se retrouvent dans Reniement », où Ie gendarme, plutôt que de parier au père Cortaz de son amour, évoque la maison que la servante
habite et, dans cette maison, sa chambre, lieu de leurs rencontres : (c Ii L'ouvre comme une
maison de poupée, d'un seul coup: au rez-de-chaussée, la cuisine, le dé-restaurant, la
véranda ; en haut, l'appartement du patron ; sous le toit, la chambre de la servante. Elle est
gentille, la servante69 >>. Église, maison, chambre et miniature, voilà autant d'espaces restreints
assurant une protection matemeile'0.
66 K nie ne reverra plus sa petire chambre ! S. p. 48 67 Celui qui ne savait pas son catéchisme m. p. 42. 68 Ibid-, p, 35-36. 69 K Reniement *, p. 117.
Soulignons au parsage que la chambre est aussi Ie Lieu privilt5gie de la Fuite et de la mon, une sotte de pré- tombeau, de cercueil terrestre- Mathilde, par exemple, s'eaferxne a dans un pays noir et sans pensée * (p- 128), préfère l'obscurité de sa chambre à la lumière du dehors et se réfiigie dans la maladie puis dans Ia mom Fia*, Agitha, Bastian, Sylvain, Jœchim et Cloraire s'dteignent également dans leur chamim. sombre. sans fensire, coupée de l'extérieur et fermée sur ta vie,
Nous avons insisté sur la cohabitation. dans Douleurs paysannes, de systèmes de pensée co~~espo~ldant aux Rg@rnes étabiis par Duran& Nos déveIoppements sur Ie thème de la mort et
sur Le motif de la chambre nous semblent comborer cette appréciation de i'œuvrep puisque la mort constitue soit une M e n t e punition, soit une douce fplte et une assimiiation par les
éléments, puisque la petitesse tantôt emprisonne, tantôt réCodorte- A vrai direr le recueil en entier est formé de contraires tissant une vaste toile sur laq@le se gceffent des pasainnges
ambigus ou opposés qui se répondent et des drames qui font écho à des instants de bonheur.
L'incipit de ec La sainte » annonce déjà le jeu de contraires qui sera au cœur du réseau thématique de Douleurs paysmvrrr. Le portrait de Fiavie, en effet, signale des ovpositions récurrentes, ceiles de l'eau et de L'air, du fond et du ciel, du froid et du chaud. de la transparence
et de la couleur : K EUe avait des yeux couleur de l'eau, et fioids comme eue, et changeants de
même selon Le fond, selon le ciel ... Eue avait des cheveux roux trop longs : ils lui tombaient
jusqu'aux pieds71 B. Créature tant& aquatiqw. tantôt lumière dans un nllage trop noir, l'héro-he revêt une apparence immat&ieUe dans un milieu justement très tene à terre :
Jamais il ne l'avait vue d'aussi près, ï i fit plusieurs découvertes : sur ses joues, quelques taches de rousseur pareilles aux pemikes étales dans un ciel encore clair; sur sa lèvre inf€ncu~e, une pttk gexçure ; à son menton, un Mger creux- Et it vit que ses cils n'&aient ni roux. ai Mondsw mais semblables aux paiiiettcs qui se mêlent parfois au saMe du Rhdne-.- C'est pourquuiI au lieu de l'enlaidir. iis donnaient il son visage une expression suniat~relle- Celie d'un ange ou dtin dernod* ?
Sainte ou sorcière, Ravie trace autour d'elle a m cercle m. une aura qui
impressionne et inquiète, la rend dinérente et inaccessible. Cest ce qui explique que L'image marque un décalage irrémédiable entre l'envie de l'homme et les aspirations de sa femme, entre
l'inscription de l'un dans le réel et le caractère surnaturel de l'autre, lorsque Germain, recourant
à une métaphore agraire - K Ce soir, je te faucherai74 S. -. exprime son désir de prendre Havie. La perception du mari contribue à la distinguer des autres et du monde qui est le leur.
Le regard de Ravie ne se laisse pas pénétrer et ne se dévoile pas aux autres ; muet, il reste
tourné vers l'intérieur ou vers un autre univers. Dans un village où tous s'épient et se
connaissent, elle est la seule qui préserve un mystère autour de sa personne, avec ses yeux
mêlant l'eau et le limon, nocturnes puisque composés d'un liquide opaque. Même son surnom traduit son ambiguïté en suggérant autant l'agilité, la folie légère, L'innocence et le caprice, que la
mort et les gaz s'échappant des tombes, assomption des âmes. Dans cette nouvelle, le drame
vient précisément du gonffi qui se creuse entre cet être fmcièrement dIffiSrent, nocturne malgré
les apparences, et son entourage, milieu rationnel obsédé par le respect de la religion et anim6
par la peur de l'étrange et de l'insaisissable ; de l'opposition centrale entre un monde agraire où
la pratique prime surla spin'aialit6 et cette femme trop M e qm, par ses yeux d'eau et de vase,
par ses cheveux et son rayonnement de feu, par son teint et son regard céleste, se présente
comme le point de convergence et la réunion des éléments fondamentauxUX
Nous avons dCja évoqué le contraste entre Ceae premï&e nouvelle et la suivante, OpPrnt les
deux titres et noté l'anonymat de cette fille réduite à une silhouette daas la nuit, jugée sans c m ,
tombée sous les coups d'hommes en col8re et abandonnée dans la nic. D'autres personnages se
répondent pareillement dans le recueil. L'ascétisme du curé Rinai, par exemple, qui modèle son
corps, le fait ressembler un arbre mort, noir et maigre, et le conduit à la lâcheté & à la
violence ; à l'opposé, le jeune prêtre qui procure l'extrême-onction à est décrit comme un homme cc blond et lumineux dont la présence ~uE[t] ik chasser les tén&bres7S >P. Un autre prêtre se distingue par sa bonté, Marçel Antonin, qui brille dans Le miracIe » par sa
générosité et son humüité : u [...] en lui veillait une mystérieuse paix que nui ne commisait ici, nul être et nul paysage [...]- 11 &ait si humble que la moquerie ne pouvait l'effleurer- [...] En lui la crainte ne pénétrait pas [-..176 *- Modestement, sans éclat, ce personnage en aide trois autres en détresse : un homme qui préparait son suicide, une vieille chassée par ses enfants
parce que trop sale et le nouveau-né de Sabine. Le contraste avec Rinati, qui a tué L'enfant
illégitime, s'établit franchanent lorsque Marcel Antonin sauve le bGtard, passe la nuit de Nd1 agenouillé auprès de lui, heureux de cette crèche naturelle, et transforme symboliquement le fiIs
du péché en fils de Dieu,
Dans u Eîle ne reverra plus sa petite chambre ! B, ce sont les deux protagonistes qui
s'opposent de façon radicale, La sœur infirmière a un visage fermé à l'émotion. C'est qu'à force
de calmer Les souffrances des autres, elie a frni par mettre son propre cœur en sourdine- Ses
vêtements correspondent à son attitude, faite de rigueur et, maigr6 tout, de Legèreté- Sa prestance, son impassibiité, sa quiétude devant le malheur font ressortir la douleur et
L'apparence désordonnée de l'homme, dont l'incapacité à ajuster son corps à des vêtements qui
le rendent grotesque souligne une discorde entre l'être et te monde et la vie. Ce décalage
transpire aussi de la description de l'hôpital, dont le luxe dérisoire ne rend que plus violente et
cruelie la conscience que L'homme peut y avoir de la fatalité de la maiadie et de la mort, ainsi que de sa propre dépossession,
' 5 K Celui qui attendait la Mort W. p. 78- '6 K Le miracle *, p. 102-103-
11 ne faudrait pas croire que le réseau d'oppositions se limite am personnages, Nous avons vu comment L'enterrement B répond aux autres morts du recueiI, violentes et b d e s . La nature, comme les personaages ambigus w antaganktes et k thbe âc la mort, a égaiement
deux aspects m n t r a d i c t ~ L'nn M i t , l'autre Mde, Si parfois elle contribue à
lfeuphémisation de La moa modèIe heureusement les êtres, permet une forme de spiriniaiité et est décrite dans son indiffirence et sa pureté, eile peut aussi se faire âpre et éprouver les personnages jusque dans la mort Dgns le d a g e où se déroule l'ensevelissement de Joachim, Ifétroitesse du cimetière et la pente raide obligent les habitants à i n b ~ m r les oaps les mis par-
dessus Ies autres ; dans <C La mdade *, le climat détruit les cultures ; L'inquiétude de Tobie dans << Le grand tourment >, est tantôt apaisée par le chant de la fotêt, tantôt exacerb6e par le vent ; et Le paysage da village des mécréauts, P L'image de leur incrédulité, da rien de paisible : « [,J ici tout est blessé, tout est tourmenté, les âmes, Ies visages, la tene, les eaux et même le ciel quand le grand vent y chanie les nuages77 S. La d d t é Inhgrente au cosmos. enfin, est particulièrement bien traduite dans K CIotaire », où la terre est Ia cause de la chute et de la mort de l'ivriogne en même temps qdeUe l'accueille et devient une sorte de mke origineiie.
CONCLUSION
Nous avons parcouru tour à tour le Torrent et Douleurs paysannes, totalités cohérentes, avec le souci de rester au plas près du texte et de demeurer attentive à I'ihéaùr particulier q w
propose chaque recueil. Bien lom #avoir ppdaitemmt chconscrit I e s Utilvers baginaircs qui se
précisaient au fil de nos Iect~ues~ nous en avons &anmoins esquissé et épousé cettains contours, indiqué quelques noyaux, pôles et carrefours primordiaux, cela par L'étude globale, en fonction
des Régimes de L'image définis p Gilbert Durand, des thèmes de l'ali6nation et de la révoIte, par l'interp&aiion, ii travers ces Mmes centraux, des symboniques àes tédbres et de la Iumi&e, de la chute et de l'ascension, de l'enfer et du paradis, du charnel et du spiritue1, de l'intimité et
de la transcendance, par l'analyse aussi des thèmes de la nature et de la mort, des moeifs du
regard, de la parole, du double, de la maison de I'enfii~lce et de la chambre, et celle de
L'imagination matérielle de L'air, de L'eau et du feu.
Par un choix déli iré, les structures des nouvelles et du recueil d'Anne Hébert ont guid6 la
division de la première moitie' de notre étude. Il semblait justiné, en effet, de fairr une analyse en
deux parties du u Torrent m, d'explorer une seconde fois - à la manière de Fmçois réinvestissant son passé - le champ thématique de L'arensian et de La chuîe et celui & ta lumière et des ténèbres, afin de suivre au mieux la lente progression du héros vers
l'émancipation. L'analyse en bloc des trois nouvelles subséquentes s'imposait également,
puisque leur mouvement dramatique est similaire, qu'elles mettent en scène de jeunes h 6 ~ h e s dont l'aliénation et la révole se ressemblent. Dans œ chapitre, l'inspection systématique des
deux champs thématiques da été négligée que pour privilégier l'approfondissement de certains
motifs et thèmes - tels que Le double, le regard, la parole, la danse, le charnel et le spintuel, le
désir de l'autre et de L'intimité -, cela dans le but de tester fidèle aux nouvelles, qui n'offrent
pas la symétrie structurale de la première ni sa amstance de thèmes nkunents. LirP isolément le
récit de clôture, enfin, a permis un retour sur l'ensemble de l'œuvre, un rappel de Ia
dépossession initide, de la fermeture & i'autre, à soi, au spinniel et au naturel manifestée dans le
texte par une absence de parole et de regard, par le repli dam m e existence prépar6e par une société privilégiant I'imaginaire diurne*
L,'dyse, en répoadant aux questions initialest a Land l a réflexion sur diverses pistes- Au bout du compte, il est appani qne œ n'est pas le REg"re Diurne en lm-même @ aliène les personnages, mais la manière dont il Ieur est inculqué, En fait, peu importe qui impose le modèle
imaginaire (la mère, la société, la religion) : c'est surtout L'exclusivité d'un Régime qui
emprisonne l'être, ainsi que l'explique Gilbext Durand en s'auêtant au caracîère réducteur de
l'obsemance absolue du R é g h Di- :
La préddeute ébide nous fait toucher& la foadamentale diffTculd que présentent L'exclusive poursuite de la transcendaM-R et la polémique duaiiste qui en résulte- L-1 C'est que la reptésentation qui se confine exclusivement dans le RégiMe Diunte des images débouche soit sur une vacuité absolue, une totale ca&m@ïe & type nîm&Üqric, s ü t sur nne tension pdéiniqw et une COLlSFdllte sunreiiianoe de Sa fatigante pour lTatientl(31t Larepésenfaiï~rn peut EI3ILscdmment, sws peine d'ali&aîb, ms&r l'arme au pied en éîat de vigi~awel-
Les personnages du Torrent, subissant la suprématie d'un syst5me diurne, illustrent chacun ii sa
manière une dépossession qui est le fniit d'une pensée ambiante manichéenne e t transcendantale.
Finissant par découvrir l'impossibilité d'exister dans mi univers aussi riestreint et d'atteindre ce
qui, dans cette pensée, est perçu comme Ia perfiicm, ils apprivoisent une autre conduite de
représentation à l'intérieur de laquelle ils peuvent se réaiiser. Au sein du Régime Nocturne, Le
monisme et l'immanence les réconfortent ; pourtant, la quiétude édénique n'est pas encore leur
lot, puisqu'ils risquent de tomber sous une autre domioation, celle des éléments ou du songe, en refusant de reproduire l'exemple. L'appropriation du Régime Nochmze parait neoesSaire en œ
sens qu'elle pennet aux protagonistes de mesurer llampIeur de leur aliénation, mais son
intégration s'avère aussi douloureuse qu'heureuse-
Le dénouement de tous les récits, hormis le dernier, est ambigu, et il reste délicat & trancher.
En effet, la question demeure en partie ouverte : les persaumges se h'bèrent-IIs de toute emprise
extérieure ou s'abandonnent-ils, résignés, à celle du nocturne - le torrent pour François, la
mer et le songe pour Dominique, la prière pour hi l ie et le mai pour Catherine ? Ces
démissions pourraient certes constituer une perte de soi et r i renoncement à la Libération escomptée, mais l'ambiguïté des chutes, tout en indiquant la difficulté de l'entreprise et les risques qu'elle comporte, ne permet pas de nier catkgoriquement l'émancipation des héros. Il semble à vrai dire résider dam L'éclat intime de la lumière intérieure la véritable découverte d'un
système idéal parce que non exclusif, unissant les Régimes Diurne et Nocturne, faisant une
synthèse de la transcendance et de l'immanence, des éians narcissiques et dirigés vers autrui, du
désir de spiritualité et du plaisir charnel, et annonçant le retour B la fois d'une lumière créatrice et
G. DURAND, les Smtctures anrIvopoIogiq~es & L'irnginoiire, 1963. p- 203.
d'une nuit réconfortante. Ainsi, ce qdé&t Mamice Émond dans sa conclusion à la Femme à la
fenêtre, une brillante analyse thématique portant surtout sur Les Cham6res & bois, &ornowaskaetles Enfmsdk Sabh, est vrai aussi pwr le Tomeniet peut servir d'épiiogue B notre lecture :
Pour vivre la réconclliat-m du noir e t du blanc, de Ia chair et de L'eSpnt, i1 faut un renversement des vaIeurs symboliques- Heureuse conversion qui déoowre son bonheur au sein même de la nuit, laqueIIe devient Iieu d'intimité rasmante et annonce L'aurore, c'est-&-dire la renaissance, Si Anne Hébert prM6gk le R c i p i k Diraiil de l'image. elIe a sri trower dam L'antiphrase et LTnvemïoa, amune dans les valeurs synthétiques et dramatiques du ~~ Noctvnw* me f8ooadit6 noweiIt- Sa rêverie se compIai2d0~~dansL'év~01~dtsvduptEs&la~m~des bamés du mode et& l a f ï r c 5 & l'amour, Elle decouvre des nourritures abondantes, des odeurs enivrantes et des couleurs vives. EIie rêve d'intimité, de chaIeur bïenfalsante et suggère c&s images dEpd.ïbre et d'harmonie éd6nique La chute devient descente ; Ia nuit est appïvoisée et les visages de la mort liés A Ia fuite du temps et à une f-té néfaste s'eqhémisent, La femme est céWHït6e et ptupa6e le bïe~14tre et la f-té de soa ventre matenief, heu d'intimité et oentre peradkiaq- La &erïe c h e h eaanie au sein & la fluidité temporelle des images de amstmœ et de &veaïrcy&-que Les morts em-mêmes soat des médîakms et permettent une renaissance- Le temps est récupéré et devient réversible- [---] Nous assistons à une intégration des contraires gr✠B un dépassement de Ia dïaIeçtique du mat et du bien- La nuit et le chaos iiiusrent la phase tragique d'une maise cyciique du temps2.
Au terne du survol des principales chaînes ci'~ppositions de Douleurs paysannes, de notre
errance à travers la toile thématique qui se tisse d'une nouvelle à l'autre, une question demeure
également, qui rejoint directement les conclusions de notre réflexion sur le Torrent : y a-t-il, au sein du recueil, un équüibre @ ' t entre les imaginairrs d i m e et noctume ? S U - difficile de se prononcer de façon décisive, il convient néanmoins de constater que le Régime Nocturne participe de la révolte ; il est souvent celui par lequel la mort et le drame surviement et ne
caractérise donc pas toujoms Le lieu du bonheur et de Pémancipation heureuse. marquant les
souffrazlces diin peuple dont les modes de vie, de pensée et de croyance agonisent. Toutes ces
Douleurs paysannes semblent d'ailleurs décoder d'une confrontation entre un univers ordonné,
une mentalité pilote, et l'émergence #une autre vision du monde. Dans cette œuvre où tout se
répond, oh rien ne semble isolable, il faut conclure, de manière générale, à la coexistence
tourmentée des Régimes - l'un inscrit cians une pensée cartéSieme, ratiomeUe,
transcendantale et masculine, l'autre faisant appel à une pensée instinctive, émotive, immanente
et féminine -, à un va-et-vient constant entre une lumière positive et une obscurité négative et,
à l'inverse, entre une clart6 n€f-e et une nuit piotectrice. Les personnages p ~ c i p a u x d a
nouvelles, marginaux lourds de leur destin et de leur dépossession et animés par une révolte
muette ou en cours d'accomplissement, inspirant à la narratrice un sentiment de pitié qu'elle
cache parfois sous un ton ironique, sont en quête d'une place ou d'un abri - soit-il aussi
M. GMOND. la Femme à la f-tre. L'univers sym60Zique tPAnne HiBert dam ks Cbamkes & bois. Kamourash et les Enfants du sabbat, 1984- p- 353-354
sombre que la mort - contre la IumI&re trop forte, le jugement divin trop dur ou le regard castrateur des autres ; repliés sw eux-mêmes, ils ne trouvent pas tous la paix escomptée, qui
semble n'exister pour eux qu'en des lieux de fmte du réel (le songe, la soiitode et L'oubü, la
mort).
La namatrice, an fil de textes présentant une grande varïkté, saisit sur le vif des fragments de
vie, des mœurs, notant ici une coutume, là un meurtre sordide, ici l'amour, ailleurs l'abandon ; elie arpente la région, restitne sa lauüere incomparable, les odeurs et ies couleurs de la végéîaîicm
alpine, promène un miroir au travers des prés, des forêts, des montagnes, des vignes & la
Noble Contrée, des vallées 6troites sombres et profondes du Hâut Valais, des villages du coteau
et des villes de la plaine, suivant Le souffle du fahn et le cours du Rhône. Cette volonté constante de faire voir et de comprendre un pays, les nombrcuses dtscrlptïas et téférences à
des lieux et à des évéimnents p&is et identifiables, le réalisme da ton n'empêchent pas le
langage de trahir la forte influence du Régime Diune, imaginaire inhérent à la culture de la
narratrice et des personnages. Piusieurs pallient ii l'exclusivité de ce Regime en tournant leur
regard vers autrui, en obsewant la nature, en cherchant dans le rêve un réconfort ; ils vont alors
vers la fodat ion d'une spuituaiité individuelle et ii'bératrice qui intègre l'union avec la naturet
et rencontrent les valeus du Régime Noctunte-
Les nouvelles de Douleurs paysannes sont à L'image de leur époque - qu'elles ne jugent
pas -, transition entre un passé proche, dont l'aliénation et la fascination perdurent, et un avenir encore i n c o ~ u , & la fois réjouissant et inquiétant ; elles ne proposent pas une solution
prédéterminée, sorte de recette miracle, mais soumettent des hypothèses, traduisent des doutes,
se font pdois optimistes, parfois franchement pessimistes. Le recueil, par sa forme et sa thématique, par l'expérience déchirante de ses personnages, illustre surtout les faiblesses et ia
lente déconfiture d'une idéologie prédominante, ali6nante dans son exclusivité, et traduit, comme
le Torrent, non sans heurts et sursauts, la quête d'un équilibre meilleur entre des imaginaires
complémentaires, la tentative de dépasser la révolte et Les limites du dualisme, de la conception
manichéenne de l'existence, par l'union des contratries.
LISTE DES OUVRAGES ET ARTICIlES CEÉS
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--- , le Pays secret, ilIustraiions d'Edmond Bille, prCface et note de Maurice Chappaz,
Sierre, Éditions Monographie, 19% [1%1J, 191 p.
--- , Chmrt pal des Cent Vallées et DUF Poèmes d'Amour, poetçace àe Uaurice
Chappaz, Saint-Mamice, %tiens Saint-Augustin, 1997.53 p.
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