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Paul EdouardROSSET-GRANGER

(1853-1934)

Journal16 janvier 1897 au 3 août 1902

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Samedi 16 janvier 1897Tous les matins même comédie, la pauvre Bobard (1) vient vers 10 h. et il fait si noir que je la renvoie. Quelle tristesse ! Ce matin je m’occupe à transcrire des idées de tableaux notés ça et là sur des bouts de papier.. Une tête à l’expression grave et douce, médiation à la réflexion. Le fond serait une rivière reflétant les arbres et le paysage coupé jusqu’à la ligne de terre.. Pour une figure de l’abondance, arrangée ainsi avec des faisans et des oiseaux, gibier tenu en guirlandes autour du cou ou tombant très bas sur la poitrine (marchande de gibier vendu dans la rue).. La vigilance : une lampe à la main et faisant sa ronde.. L’oubli : une figure contre une porte et qui en pousse le verrou.. Pour dessus de porte. Les 4 saisons : une figure de femme avec l’amour : Printemps, l’amour arrive – Eté, l’amour la blesse – Automne, l’amour s’endort sur son sein – Hiver, l’amour s’envole.. La vanité : une figure couronnée de lauriers etc… descend un sentier dont la perspective est coupée de rameaux chargés de tous les hochets de l’ambition et qui aboutit au premier plan à une façon de crypte où l’on voit une bière vide.. Pour portrait de deux sœurs. Se servir de meuble double pour aider à trouver une pose originale.. Figure personnifiant la force, la mécanique etc…. Sur le treuil d’un haquet.. Pour deux figures d’inégales grandeurs. Se servir de la marche d’une porte, d’un escalier d’hôtel etc…. Un Christ, les bras en croix apporté par des anges dans le rayon d’un vitrail qui éclaire le prêtre au moment où il consacre l’hostie.. Reprendre l’idée du panneau « le mariage » du concours de Bagnolet en y ajoutant au premier plan un vieillard qui se retourne et voit toute la scène qui embrume un léger brouillard qui s’élève du fleuve.

Vendredi 22 janvier 1897Jusqu’à aujourd’hui temps noir, affreux. Impossible de travailler, de lire souvent. Ce temps de brume cuivrée pèse sur la tête comme une eau glauque, ou est maussade. Oh ! Je prie d’appeler l’été de ces affreux jours d’hiver pour bien employer son temps et jouir de la lumière. On n’existe pas ces temps que le soir lorsque la lumière artificielle vient redonner aux soirées leur allure habituelle et alors on se couche tard et on se lève de même, je n’ose écrire à quelle heure. Aujourd’hui, neige légère qui reflète un ciel moins opaque, mais c’est vendredi et je ne peux rien mettre en train. Mon petit tableau pour le Cercle (2) est resté en plan, que vais-je y envoyer ?J’ai une petite étude de rue assez brutale qui plaisait à Duez (3), mais elle est inachevée. Je verrais demain s’il fait clair ce que je peux faire.Hier, mis en ordre des papiers, fumé, oh ! l’ennuyeuse journée !Hier soir dîner chez Dérick avec les Balla, Brémard ; ce soir, Guy (4), Cuvillon (5) avec lequel je reviens en faisant les cent pas et fumant un cigare, malgré un froid très vif.Bonne causerie avec cet excellent rieur sur les impuissants érigeant en doctrine leur ignorance, et sur ce malheureux Laugrand pour lequel nous cherchons un débouché ici, ce qui ne parait pas facile.

Mercredi 3 février 1897L’autre soir, Vibert (6) me dit en me parlant d’un pays : « je n’y suis plus mais j’y ai perdu mon temps, parce que je n’ai pu y faire que des études de paysages et que les

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marchands ne veulent pas de fonds de paysage dans un tableau ». Il a dans la suite de la soirée vivement discuté contre le talent de Puvis (7) !Toujours de vilaines journées. Quel hiver pourri ! Repris en gris la tête de Bob. Je n’ose m’aventurer à peindre par ce vilain jour. Hier, commencé un petit tableau avec le frère de Bernadette, M. Doménico, âgé de 5 ans. Nous devons aller avec la maman cet après-midi voir le nouveau local ; car il fait très doux. Et voilà que la pauvre femme a des douleurs dans les reins ; pourra-t-elle y venir ? Elle se traine et ne sait pas si elle pourra s’habiller.J’ai eu les deux derniers jours du mois juste pour finir « la petite brodeuse » que j’ai envoyée au Cercle ; elle paraît bien plaire, mais il y avait une mèche de cheveux mal placée et lui coupant le visage ; grâce à l’obligeance de Carolus (8), j’ai pu en une après-midi faire la correction nécessaire et détruire l’équivoque.Reçu de Constantinople le brevet de commandeur tout doré (9), les lettres orientales portées comme des ornements.

Vendredi 12 février 1897Temps noir, hiver pourri. Le modèle vient, on n’ose pas se mettre à peindre, on crayonne, on s’agace. J’ai fait une étude séparée de la tête de la « Somnambule » (10). Je ne suis pas fâché, à force de choisir et d’éliminer on en vient à saisir mieux ce qu’il faut dire – mais quand vais-je m’y mettre ?Eté avec les Duglé (11) et Madame Dubufe à la Comédie Française voir la pièce de Pailleron (12) « Mieux vaut douceur et violence ». la pièce est sur le ton de ce titre prétentieusement spirituel, et fort mal faite. Le pire de tous. Subir sans pouvoir s’en aller toutes ces balivernes. L’autre jour au Cercle, Dérick nous dit à Duran (8), Agache (13) et moi en parlant des fonctionnaires républicains : « quels nuls ! ce sont des valets : ». Cinq minutes après, il dit à Agache qui doit tenter une démarche auprès de Roujon (14) « tu peux te recommander de moi, je suis très bien avec lui ».Dîner du 9, avec Albert Ballu (15), notre nouveau et son frère, Richemont, P. E. Berton (16), Laforet, Guillaume Dubufe (4), Billotte (17), Agache (13), A. Moreau (18), Dauphin (19), Montenard (20). Avec Moreau, Berton et Agache, pris le chemin de fer, et avec ce dernier les cent pas devant la porte avant de rentrer.Hier soir bonne réunion autour du billard chez les Durand (8). Atmosphère pleine de cordialité et de bienveillance.

Samedi 6. Tiré la loterie chez Mme Colette Dumas. C’est Madame Demachy mère qui gagne avec le n° 10. Grande causerie avec cette Dame qui me parle d’une demoiselle dans une situation difficile, qui est charmante et qu’elle désire marier. Je me souviens de l’avoir vu à diner chez elle. Elle m’a paru agréable et simple, et d’un physique très sympathique. Nous reparlons de cela le soir avec la maman.

Mercredi 17 février 1897Avant-hier grande émotion pour Richepin (21) dont on donnait à l’Odéon la répétition générale de « Le chemineau ». Louis (22) nous avait apporté deux places, le temps était doux, ma mère a pu venir à cette matinée et elle s’est beaucoup intéressée et plu à cette petite débauche. Les bons vers bien rythmés soulevèrent la salle. Dans son entracte, je rencontre le visqueux Jean Lorrain (23) « moi je trouve ça idiot ». La moutarde me montre au nez et je lui réplique «  je ne suis pas de votre avis et du moins cela nous sortira de la fée Mélusine et du Botticelli dont on nous sature ». Il réplique : « C’est bête. Prenez garde, la bêtise c’est bien près de la bonté ; en tout cas c’est de la santé et ça ne nous fera pas de mal, nous sommes pourris ». Hier,

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j’oublie que je suis convié chez les Salanson. A 9h1/2 vient demander de leur part pourquoi je ne suis pas venu, et me trouve fumant ma pipe en chemise de flanelle. Je m’habille à la hâte et vais m’excuser « C’est la première fois que vous me ratez » me dit cet espiègle. Mon étourderie vient sans doute de mon manque de quiétude ou depuis quelques jours par suite de manque de bonne, et de la faiblesse croissante de ma pauvre chérie, pour les soins de ménage. Il faut aller à l’agence, me renseigner etc… et puis à présent c’est le tour de la Bobard (1) qui est malade ! Vais-je faire un tableau ? J’aurais pourtant bien mérité, je crois d’être tranquille de ce côté. Et puis les affaires d’Orient qui s’embrouillent, et puis ce procès, et puis les invitations qui brodent sur le tout et tombent le plus souvent à contre temps pour le plaisir qu’elles peuvent procurer.Il n’importe, le soir, après la journée bien employée le moment est doux, où on fumait une bonne pipe, on se ressaisit dans l’atelier où flotte une saine atmosphère qui sent le travail.L’autre soir (lundi) nous dinions chez Albert Ballu (15) et nous quittons le gentil « home » pour aller à la « Roulotte », un infect concert, où écrasés, mal ou pas assis, nous subissons des saletés peu drôles. On repart de là pour allez chez Locquer ; Mon Dieu ! que les trois quarts des plaisirs sont mal compris ou s’achètent cher !

Mardi 23 février 1897J’ai attendu jusqu’à Samedi pour me mettre au tableau de « la Somnambule », à cause des vilains jours. Il était préparé en grisaille et j’ai pu, du coup, finir la tête, la gorge et l’entourage de ces morceaux. Ce système implique une méthode très serrée ; mais lorsque le tableau est trouvé et préparé ainsi en valeur et que l’on a bien réfléchi au moyen de l’attaquer et de le finir, c’est une joie de voir une chose finie et étudiée naître pour ainsi dire et s’animer sous vos doigts. Il faut une extrême précaution pour ne pas surcharger dès le départ et conserver les gris de demi-teintes et de passage qui donne le ton local au frottis sur les grisailles. On peut aussi employer des glacis successifs et obtenir ainsi des effets de grande richesse. En tout cas on sépare l’effort puis l’on cherche d’abord le style et le modelé et ce n’est qu’après qu’on étudie l’harmonie des couleurs. Je vais essayer d’appliquer ce système à la copie de Vigié-Lebrun (24) que j’ai à faire ; ce doit être encore plus facile et les bénéfices sont tout indiqués = emploi du glacis pour obtenir les tons ombrés qui donne le vernis etc…

Mardi 16 mars 1897« La Somnambule » est presque achevée. Il n’y a plus que la mise au point, fond, etc. C’est le moment ou tout ce que l’on fait compte et le plus intéressant du travail, à la condition qu’on ne table pas sur cette période pour sauver le tableau.Grâce à Dieu ! Cette fois-ci j’ai été assez heureux et ai conservé et justifié jusqu’au bout de ma méthode. Sur la grisaille bien sèche et très poussée, ébauché en frottis locaux et peint du coup. J’ai même repeint à nouveau en grisaille une main déjà faite et manquée.Dagnan (25) venu mercredi dernier n’a guère trouvé à me reprocher que le tapis rouge, que j’ai également remis en préparation grise, mais au frottis - et les plis de la robe dans le bas, je vais les étudier avec le mannequin. Il m’a dit qu’il n’avait rien vu de moi qui lui parut si poussé et réussi – bref très encourageant. Il a paru s’intéresser aussi aux petites gouaches.

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L’autre fois chez Madame Hochon (26), je cause avec Hébert (27) qui me dit ne pas employer d’autre méthode et ajouter à la grisaille des petits tons parés par un peu de rouge de remise, ou de vert etc… D’autre part les gens qui fréquentent son atelier me disent que ses grisailles sont souvent exquises et préférables aux tableaux achevés. Je vois en effet qu’il y a un danger à faire ainsi car on fait deux choses et souvent la seconde ne rentre plus dans ce qu’exprimait la première. Je vois plus pourtant la grisaille absolue – repeindre du coup et plus franchement.Dans les éclairages de lampe en cas d’indécision se rapporter toujours par la réflexion au local –par exemple l’accent lumineux d’un linge sera plus rose que celui de la chair qui sera plus orangé etc…

Dimanche 28 mars 1897Eté hier soir au Mazarin. J’y ai rencontré le petit Bost qui me dit qu’Alice n’en a plus à peine que pour 48 heures. Elle a voulu ce soir même que son médecin restât à diner avec Marie et des camarades et elle a exigé qu’on boive du champagne ; cela l’a amusée. Ce matin elle est morte. Depuis hier ma figure dans le fond pour Caleur - signé. Adieu le plaisir que m’a donné ce tableau.

Lundi 5 juillet 1897Déménagé le 28 mai (28) ; depuis installations, poussière, plâtres, ouvriers sans intelligence et sans goût. Je me trompe pour la couleur des stores chamois d’un effet déplorable, dorant tout, on les reteint en glacis de noir. C’est meilleur. Ma mère a bien supporté cette corvée, j’ai même pu constater avec joie qu’elle a encore beaucoup de force. En tout cas une énergie admirable. Au milieu de tout cela bonne humeur. Car notre local nous plait et nos propriétaires sont obligeants et aimables. Je n’ai pas quitté sans quelque mélancolie le local de la rue Allez où j’ai vécu de si bonnes heures de travail et où j’ai pu, grâce à Dieu, joindre les deux bouts.

Mais quel intervalle sans écrire de notes. Quelle indolence. Je me disais tout à l’heure en fumant couché sur mon canapé, que cela est pourtant une bonne habitude ; elle mène au respect de soi-même, car c’est une sorte de confession ; elle aide à la construction de la méthode du peintre, et au système de philosophie du penseur ; et puis si l’on tâche d’être juste et bon, elle peut servir d’enseignement à un autre, et ne fit on de bien en donation qu’à un seul un bon exemple, cela serait suffisant.A travers le déménagement, relu les voyages de Stanley (29) en Afrique : un héros. Remis le nez dans le journal de Delacroix, un esprit élevé ; toujours feuilleté Marc-Aurèle : un demi-dieu.Four commercial aux Aquarellistes (30), idem au Champs-de-Mars (31), où ma figure m’a semblé sèche quand à l’ambiance de l’air surtout dans la relation du vêtement avec le fond. Anniversaire de la fête de la mère de Madame Granger.

Mercredi 7 juillet 1897Je voyais tantôt de ma fenêtre passer dans la rue un vieillard au pas chancelant, içl humait l’air avec une satisfaction évidente et je me suis demandé comment cet homme qui se trainait pouvait avoir ainsi de la joie à vivre. Sans doute la certitude d’être opposé à la crainte de l’inconnu. Cependant la part de souffrance surtout au déclin est plus grande que la part de plaisir. Ce plaisir de vivre est donc tout cérébral, tout psychique et ne démontreraient guère, si nos instincts sont à un but, que notre âme est individuellement immortelle.

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Journée odieuse ; accroché et vernis des tableaux dans le nouvel atelier, dont la Somnambule avec un vernis de chez Edouard à ce qu’affirme Petit (32. Quelque temps passé à cette installation. Hier visite de Guillaume (4), retour de voyage rapide en Allemagne, heureux d’avoir voyagé, et encore plus ravi de la dire Ce soir après diner, bonne causerie avec la maman.Je lisais tantôt dans les Mémoires d’Eugène Delacroix qu’il avait pitié de son modèle et que cela ajoutait au manque de sang froid nécessaire à la confection d’un tableau. Il parle beaucoup de la nécessité de se posséder et de chasser l’impatience de donner vite un résultat – méthode – voir surtout au-dedans de soi-même ce que l’on veut réaliser mais y mettre le temps et ne rien négliger de ce qui peut concourir et aider à bien faire. Surveiller cela.Je me souviens qu’en revenant du Champs-de-Mars, Dagnan (25) me disait qu’il se croyait tenu d’exposer afin d’apporter la part d’intérêt qu’il pouvait ajouter à une exposition où les jeunes viennent faire leurs premières armes et ainsi satisfaire le public. Noble raisonnement à opposer à celui de Madame Lemaire (33) qui n’expose plus parce qu’elle « n’en a plus besoin », Degas fulminant après les recherches faites pour un local pour les prochains salons. Il n’y expose jamais. Reçu ce matin une lettre charmante et bonne de Madame Henri Durand. L’après-midi, un affectueux billet de Puvis de Chavannes (7) pour un remerciement à l’occasion de son mariage.

Jeudi 8 juillet 1897Je lis dans « la Revue de Paris » un article de Maurice Hamel (34) : « Et je croirais bien plus tôt que l’on risque de fausser et de forcer les talents naissants en réclamant d’eux la preuve immédiate et saillante de leur personnalité. Chez les plus grands – faut-il citer Poussin ou Corot – c’est peu à peu qu’elle se dégage ; et plus elle résume le passé, plus elle a de chance de porter en elle l’avenir. Voila qui est bon à opposer aux doctrines de l’art nouveau. Les farceurs de premières ». Le soir revus les bons amis Durand par un clair de lune admirable. Parti en chemin dans Paris depuis la gare de Lyon.Dans la journée, été au Louvre pour consulter chez les Antiques, les ajustements de Diane. Beaucoup admiré la Juive ensuite à la peinture. Les tons placés de manière à se faire valoir selon un mode latin dont la première idée serait toute la palette.Le portrait de Bertin (35) !! C’est égal, il me semble encore plus beau, plus complet dans les reproductions. Il y a dans cette peinture un côté bois, nullement émaillé, sans aucune saveur. A rapprocher d’Holbein, Clouet etc.

Vendredi 9 juillet 1897 (36)

Ce matin ma bonne mère m’a embrassé comme de coutume, mais il y avait un petit bouquet sur la table et dans un paquet le volume de Maupassant : « Pierre et Jean ». Il me manquait et je le trouve précieux avec son admirable préface. Offert par elle, il me le devient tout à fait.Chère tendresse, combien j’ai jouis dernièrement en allant à Meulan, je regardais en attendant le train, du haut du talus, tout le paysage où je me suis promené avec elle convalescente, et j’ai eu la pensée que Paris était vide, que je ne trouverais plus, que j’étais seul au monde. Et je n’ai pas pu réagir contre cette idée macabre, et j’ai eu la réelle sensation de chagrin que j’aurais si c’était vrai. Au retour, joie délicieuse à la revoir, à jouir d’elle, bien entendu sans rien lui dire de ma folie. Souvent déjà éprouvé cela, mais pas à la vue des choses, ou des pays traversés avec elle, mais quand elle était souffrante.

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Ce soir, petit bésigue sous la lampe, cinq minutes de causerie, et j’écris dans l’atelier tranquille ces notes, abrégé d’une journée très douce, malgré les obsèques du pauvre Meilhac (37) où je suis allé surtout pour serrer la main de Louis (22).

Mardi 13 juillet 1897Commencé les panneaux cet après-midi, après quoi on est venu changer les toiles car Hardy, selon son habitude, m’avait envoyé autre chose que ce que je lui demandais.Hier soir, gentil dîner chez Guillaume (4) à Neuilly, tout intime à cause de la mort du petit soldat Pierre Duglé. Ce soir, bal au coin des rues, physionomies pâles et fatiguées des femmes qui sautent cependant sur l’occasion de la prise de la Bastille. Peu ou pas de bourgeois. Tous ces forçats de la société qui se trémoussent m’ont donné l’impression d’une danse macabre.Beaucoup de couples, l’air las, avec un enfant sur les bras ; des femmes avec une grossesse avancée et à travers cela de jeunes filles déjà courbées par le labeur quotidien et qui se secouent et rient ; les gars plus robustes, mieux nourris, mieux vêtus avec je ne sais quel air de pacha. Jamais la situation inférieure de la femme du peuple ne m’a semblé plus frappante. Le piston résonne encore sous les lampions qui s’éteignent, ma bougie menace d’en faire autant – mélancolique bonsoir sur ces pensées.

Jeudi 15 juillet 1897Hier travaillé à l’atelier l’après-midi. Le matin, bicyclette au bois – aspect charmant des forains dans la verdure avec leurs cantines ponctuées de drapeaux. Le soir été diner avec Grandjean (38). Bonne causerie, les coudes sur la table et sans domestique. J’aime bien son caractère et son érudition et je crois à sa bonne amitié. Il me dit qu’il me trouve l’homme le plus sage qu’il connaisse et nous déplorons de nous voir trop rarement. Nous parlons des individus : trois choses les composant en parties toujours inégales : l’intelligence, le caractère, les dons. Une seule chose met en œuvre ces trois facultés : la guerre.Nous allons errer jusqu’au bord de la Seine, en constatant le peu de goût, la routine barbare qui président aux illuminations. Sur la berge déserte, près d’un chaland de bois, repos en admirant l’eau et ses reflets et de ça delà quelques fusées de feu d’artifice. Bonne flânerie longue et très douce ; en revenant, tir à la carabine, les bals publics animés et moins tristes qu’hier au soir. Causerie sur notre chère Italie avec plus de souvenirs, hélas ! que de projets réalisables. Il est une heure passé quand nous nous quittons à regret après nous être vingt fois serré la main.

Samedi 17 juillet 1897Hier soir diné chez Louis avec Herr (39), Hamel (34), Zamacoïs (40), Paul Baignères (41). Revenu vers 1 h avec Hamel qui s’étonne être mon voisin, nous nous présentons mutuellement nos maisons, nous promettant de nous revoir. C’est encore un logicien et un érudit ; je crois qu’il y a grand bénéfice pour moi, si léger dans le caractère, a fréquenter ces esprits là. Dans la conversation Herr nous demande où réside l’expression « dans une physionomie est à l’œil, la bouche ? ». Nous sommes d’avis avec Hamel que le tout constitue cette expression – exemple l’œil séparé, découpé donné en devinette dans l’Almanach Hachette.Je suis si attentif que je manque de sang froid pour exprimer ce que je veux dire. Hier, par exemple, il eut été bien simple de dire à Herr : je vais prendre votre œil, le

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copier fidèlement, après quoi je l’encadrerai dans un carré, un ovale, avec un nez busqué, puis un nez retroussé etc et puis je modifierai à l’infini. Votre physionomie cela peut se faire avec n’importe quelle partie d’une tête. Cette démonstration ne m’est revenue à l’esprit que dans mon lit, en fumant ma pipe et en rêvant à cette agréable soirée.

Lundi 19 juillet 1897Samedi soir été aux Français avec Louis (22) voir « La vassale », pièce à thèse, à laquelle par avance Molière semble avoir répondu par Les femmes savantes.Hier Dimanche, L’ami H. Boudeville vient au dessert, je suis charmé de passer un bon bout de soirée avec lui et le reconduit jusqu’au boulevard des Batignolles où nous vidons un verre en attendant le dernier tramway. Dans la journée petite promenade au square avec la maman, visite des bons Sciama (42 et toute la journée le tapissier Monsieur Daguingaux qui nous divertit par sa causerie naïve et cocasse.Ce matin, les stores raccommodées, encore du plâtre, quand en sortirons nous ?.L’après-midi travaillé molassement aux panneaux en espérant Amélie Rossi (43) qui ne vient pas. Visite à Etienne (44) avant le dîner. J’y retrouve Louis et sa femme et le docteur Mayer que je veux aller voir pour mes yeux. Il me dit que la fumée n’est point mauvaise pour ma vue. Le bon Etienne est dolent, la mine est mauvaise, et il semble sans aucune volonté pour choisir un lieu propice où il changerait d’air. Je vois que lorsqu’on est souffrant rien ne semble préférable au chez-soi.

Mercredi 21 juillet 1897Travaillé au petit portrait du Comte Yvert (45). Visite chez Mayer pour les yeux. Le soir après dîner chez Louis (22) avec Straus, Stern et les deux jeunes Baignères (41). Etienne (44) va mieux.

Jeudi 22 juillet 1897Eté le matin avec Monsieur Straus (46) voir son nouvel hôtel et la place du dessus de porte. L’après-midi, attendu vainement Mlle L… pour les panneaux. Je tourne et m’énerve ; je finis par me plonger dans les Pensées de Pascal. Je m’endors. Résultat reprise de la lecture jusqu’au départ pour dîner avec la maman et les amis Née, de passage à Paris, chez Gillet.Mon atelier est à peu près arrangé et j’en suis très content, il est moins encombré de choses inutiles que l’ancien. Le côté pratique m’y parait aussi bien combiné que possible avec le côté décoratif. Mais tout semble conspirer pour que je ne me remette pas au travail, et je sens que j’y ai, même sans cela, un peu de difficulté. J’en prends l’habitude depuis ces deux mortels mois d’installation. Au fond, je ne suis pas content de moi. Hier la pauvre Bobard (1) venue – remis 15 francs.

Samedi 24 juillet 1897Je trouve dans Pascal : nous ne pensons presque point au présent ; et si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin ; le passé et le présent sont nos moyens. Le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons vivre ; et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne soyons jamais. Je voudrais que la lecture ne fatiguât pas tant la vue, qui est si précieuse pour le peintre. Je sens ma grande ignorance de tant de choses ! Aujourd’hui, j’ai été

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chercher les lunettes chez Mayer, ordonnées par Mayer. J’écris ce soir avec, je crois que je trouverais bien.Aujourd’hui travaillé au dessin (paysages) du grand panneau. Je crois que je finirai par m’y mettre, même avec plaisir quand j’aurai un peu de modèle pour m’appuyer.Gentil dîner avec la maman, sans bonne, elle est malade. Dinette dont j’apporte une partie, nous nous serrons mutuellement, en sentant le bonheur de s’éviter l’un à l’autre le plus de peine possible, causerie ensuite dans le petit salon.Nous sommes contents de notre installation, et je me sens un peu de fierté en en jouissant ; elle est, somme toute, le résultat de tous nos efforts et de notre travail. Je songe au point de départ, et je me trouve presque dans le luxe. J’aurai réjoui et adouci la vieillesse de ma chère mère ; Dieu veuille qu’elle en profite longtemps, et je demeure assez favorisé par la fortune pour qu’elle soit garantie jusqu’au bout.

Dimanche 25 juillet 1897Sciama (42) venu cet après-midi. Bonne et longue séance d’une pochade enlevée de sa tête. Vers 6 h nous allons chez Etienne (44), toujours dolent. Je suis ce soir content de ma journée bien qu’un modèle attendu ne soit pas venu. Bésigue avec la maman qui souffre beaucoup dans les jambes.

Lundi 26 juillet 1897Eté le matin place Pigalle chercher un modèle. Après-midi croquis drapé avec le dit petit modèle lourd et posant mal. Le soir, dîner à Neuilly chez Guillaume (4) avec Bartholomé (47), Billotte (17), La Touche (48) sous les arbres du jardin. Revenu par la pluie avec Charles.

Mercredi 28 juillet 1897Hier travaillé au panneau : mise en place de la figure aux chiens. Charles à dîner le soir. Je le reconduis et nous devisons dans la rue en faisant les cent pas devant sa porte jusque presque vers 1 h du matin.Ce matin à bicyclette avec Charles (8) toujours dolent. Son pneu crève heureusement près de la maison. Nous faisons un tour au Bois assez solitaire à cette époque.L’après-midi, séance avec Louise (49) pour la figure principale du panneau. Le soir dîner chez les Sciama avec de Euriquel. Nous allons tous chez Louis (22). Dans la soirée nous retrouvons Paléologue (50) et Madame Lemaire (33). Rentré à minuit mois le ¼.

Jeudi 29 juillet 1897Le matin, préparé le nu de Louise qui vient l’après-midi pour les draperies. Toujours procéder ainsi ; on fait ainsi les draperies brin à brin sur une construction dure, au lieu de patauger dans l’ensemble et on évite la difficulté de chercher deux choses à la fois. Visite de l’abbé Favre à travers cette recherche profonde il trouve le petit portrait bien. Ce tantôt avant le dîner, promenade au square avec la maman. Le soir bésigue.L’autre soir après le dîner, la maman, Charles et moi nous causions de progrès de la science et du confort et des commodités en résultant. En sommes nous plus heureux dit ma mère ? Charles répond que cela est une autre question : celle du bonheur. Elle importe, il me semble à travers tout et il n’est pas impossible que nous soyons un jour malheureux quand les instruments et les moyens perfectionnés que nous aurons, nous ferrons sentie, à chaque moment où nous en serons privés, l’infériorité de nos sens. Je sais bien que le confort, en ce qui concerne la propriété est essentiel

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à la santé, que nos systèmes de water closet, de bains etc… sont infinitivement préférables aux cuvettes étroites du Palais de Versailles de Louis XIV, mais tout le reste ne nous sert qu’à exaspérer notre impatience et à aller trop vite pour jouir de chaque chose comme elle en vaut la peine. Le merveilleux de tant de choses nouvelles existe encore pour nous qui les avons vu éclore, les âges futurs n’auront même plus cette admiration.

Samedi 31 juillet 1897Hier dessiné sur la toile les figures drapées. Le soir dîner sous les arbres à Neuilly chez Guillaume (4) avec Charles (8).Aujourd’hui dessiné avec Louise après-midi ; elle se sauve affolée en voyant un ouvrier sur le toit. Ce sentiment du modèle, qui se consent à être nu que devant l’artiste, d’ailleurs très explicable, se retrouve toujours. Dans ma nouvelle maison je retrouve un ancien modèle qui me hèle par la porte entrebâillée, me fait voir son petit logement, et comme je lui fait compliment sur la mine, en lui demandant si elle est toujours belle, elle entrouvre son peignoir, simplement, et avec orgueil me montre sa nudité, en disant : « voyez ». Dans la draperie de la « Palléa » avec la pièce d’étoffe agrafée aux épaules, plisser sous les agrafes.

Dimanche 1er août 1897Tracé le panneau à l’essence. Promenade à bicyclette le matin au Bois avec Charles, Guillaume et Juliette (51). Promenade au square avec la maman. Le soir bésigue.

Lundi 2 août 1897Le matin bicyclette à Neuilly. Retour par chez Detaille (52) que je vais féliciter. Accolade cordiale. Il faut, dit-il, que je vous embrasse. Petite causerie sur les procédés de peinture. Danger de préparer à la détrempe à cause du dessous qui s’ils ne sont pas bien imbibés d’huile partout, partent quand on lave le vernis. Procédé de la peinture à l’œuf : il est bon de se servir des toiles au plâtre à cause des couleurs extrêmement fluides. On peut reprendre à l’infini. A voir.Louise, indisposée, ne peut venir l’après-midi. Retouches définitives, je l’espère, du petit portrait Yvert (45). Eté ensuite chez Mayer qui est en vacances. De là au Cercle (2), flânerie sur cette admirable terrasse. Le soir flânerie sur le canapé de l’atelier avec la maman qui se plaint et souffre de ses douleurs dans les jambes. Peint hier à Fournier.

Mercredi 4 août 1897 Hier commencé à peindre le panneau. Aujourd’hui le paysage se trouve fait, cela est toujours rapide quand la préparation est bonne et que l’on sait où l’on va. Ce soir à l’Opéra. La Zambelli (53), délicieuse de grâce et d’espièglerie dans l’ « Etoile ». Eglon dans « Samson ». Je pense incidemment à la façon dont on écrit l’histoire : Dalila, Judith, l’une flétrie, l’autre glorifiée pour la même action.

Samedi 7 août 1897Travaillé au panneau ces jours-ci, excepté vendredi, consacré à des bricoles d’ameublement. L’atelier résiste bien aux chaleurs. Je m’applaudis du changement.

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J’ai l’air au moins et c’est sans doute à cause de cela que cette année je n’ai pas mes habituels malaises d’été. Je vais certainement aller passer quelques jours chez Madame Hochon (26) qui m’envoie d’affectueux appels. Je vais revoir Trouville où j’ai passé cette singulière journée avec Brémard – partagée entre une pêche miraculeuse et l’angoisse affreuse de ce que j’allais retrouver à Paris, et ce qu’il adviendrait de la sotte aventure avec CC. Ah ! depuis que de fois, j’ai fait avec le même soupir de soulagement, la route qui borde le Jardin d’Acclimatation. Tout passe même les soucis, et à l’inverse de souvenirs heureux, ils deviennent avec le temps, quand se les rappelle l’occasion de sourire, comme pour jouir du présent et se moquer d’eux. Je retrouve sur un album de croquis ces réflexions d’Henri Regnault (54)

(correspondance) : «si on raisonnait en peinture on n’oserait rien faire». L’art doit obéir au sentiment avant tout et ne pas craindre de braver l’exactitude.

Lundi 9 août 1897Départ le matin à 9 h 45 pour Trouville. Voyagé avec une famille Espagnole dans le wagon des fumeurs. Je dis à la dame qui fait la moue en me voyant envahir son wagon : « la fumée ne m’incommode pas ». Voyage drôle avec les cris d’enfants ; l’un deux à qui l’on demande le nom d’une station, épèle ; cho-co-lat meunier ! Trouvé la Dame (Madame Louise Hochon) à la gare, qui me conduit à la villa Daisy, gentil cottage situé dans la verdure et d’où l’on voit l’horizon de mer. Je fais connaissance de Madame Lefuel (55), une figure aimable et respirant la santé. Pourtant quasi impotente des jambes, elle se plaint sans cesse, ce qui, tranquillement assis, donne lieu à ma surprise. Quelle joie de revoir la mer ! Le regard qui va à l’horizon sans obstacle ! Nous allons sur la fameuse jetée, j’y retrouve la joie de l’allée du Jardin d’Acclimatation. Gentil dîner en famille, bésigue, potins, bonsoir.

Mercredi 11 août 1897Ma chambre a une grande baie sur la mer, le matin mon premier regard est pour elle, elle est bleue de brume, et à travers les arbres très verts de cette Normandie, je me souviens de la villa d’Anacapri (56) et de sa même situation. Celle où j’habitais avec ce grand diable d’Anglais. Je vais à la plage assister au bain… des autres ; nous revenons par le pays et remontons par une route ravissante qui contourne une jolie propriété très bien entretenue et d’où, de l’autre côté, la mer à travers les massifs d’arbres, semble d’opale. Le tantôt, promenade à Honfleur, par Villerville. Visite à Notre-Dame de Grâce. Panorama superbe. Nous attendons la voiture – on y dû referrer le cheval. Retour tardif par le même chemin, doré à cette heure, je retrouve nombre des effets du pauvre Duez (3) au soleil couchant sur Villerville. Que ce spectacle magnifique doit impressionner sa pauvre veuve. Et comment peut-elle y tenir ? Le soir bésigue. Ecrit le matin à ma mère.

Mercredi 11 août 1897Le matin à la jetée. Départ pour Le Havre contrarié par l’orage. Nous rebroussons chemin par une pluie battante et sous les sarcasmes des cochers dont nous refusons les services trop onéreux. Montée par le raidillon, dans la boue grasse, dont nous nous tirons à notre honneur ce qui fait taire les commentaires. La pluie ne cesse plus de l’après-midi. J’écris à Nic (57) pour tuer le temps une lettre signée Paddy. Vers 6 h, par une embellie; à la ville et retour par la plage. Superbe coucher

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de soleil. Je remarque le fameux vert pomme du dernier rayon. Causerie en fumant après dîner avec B, très intelligent. Nous parlons de la valeur des pastiches. Je lui dis : votre fille ferait un calque d’un dessin de Raphaël, cela serait certainement plus fort que ce qu’elle peut faire et cependant cela n’aurait aucune valeur.

Jeudi 12 août 1897Le matin à la jetée. Pêche avec B et sa fille, bredouille. L’après-midi, visite à Madame Duez (3). Puis chez Madame Schaus (58), villa admirablement située et tenue. Puis par ricochet chez Madame Trousseau. Retour seul et à pied en flânant par la plage, le soleil se couche admirable, mais cette fois sans le rayon vert. Reçu de bonnes nouvelles de la Maman dont l’humeur est en meilleur état que les jambes. Répondu.

Vendredi 13 août 1897Causerie le matin dans la chambre de la Dame : de mariage ? Promenade solitaire à la jetée du port. Les voiles qui rentrent. On disait de ces barques les êtres gracieux et intelligents. Après-midi, promenade aux environs. La rue de Paris, vu des visages Parisiens qui détonnent dans ce beau cadre. Je ne parle pas de la rue de Paris. Le soir longue causerie sans l’amour, toujours bien captivante avec une femme. Coucher tard.

Samedi 14 août 1897Dans la matinée, une lettre de la maman, réjouie à la pensée du retour. Promenade comme hier. Après-midi promenade à Saint Arnould. Se rappeler les motifs à gauche sur la route en sortant de la villa, sur la route de Villerville – beaux mouvements de terrain, au loin Le Havre.A Honfleur, l’auberge de Saint Siméon où l’on serait bien, boîte par chère pour aller peindre au moment des pommiers en fleurs. On peut y aller de Trouville par un omnibus qui fait la correspondance.A minuit 3/4, je trouve la lampe allumée comme un petit air joyeux dans la salle à manger. La maman assoupie s’éveille, je suis dans ses bras, puis causerie jusqu’à 1 h 1/2. D’où que je revienne et qui que ce soit que je quitte le bonheur de la revoir me console de tout.

Dimanche 15 août 1897Le domestique qui devait venir faire l’atelier vient, mais ne travaille pas ; ce sera pour demain ; que de temps perdu ! Les modèles, les domestiques !... Eté acheter quelques fleurs, la pluie ne cesse pas et à un moment, la maman heureuse pianote doucement pendant que je trouvais les notes de voyages. L’atelier me semble bon, et après la joie de la vacance, je suis tout à celle du retour. La maman est toute fière d’un grand présent que la comtesse Yvert (45) lui a envoyé comme témoignage de satisfaction du portrait.

Mardi 17 août 1897Je me suis remis au travail hier avec grand plaisir, dans l’atelier bien propre. Travaillé à la grande figure du milieu. Le soir chez les Dubufe (4). J’y rencontre Albert Ballu (15), bonne causerie ; reviens avec lui.A Trouville, une horizontale qui ne fait pas ses frais écrit à Rothschild pour se plaindre : « je paye, dit-elle, ma chambre 4 francs » et l’autre de répondre « si vous

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saviez ce que me coûte la mienne ». Du reste le pauvre millionnaire vit la jambe étendue sous les compresses. Oh ! que ne se payerait-il une bonne jambe !

Vendredi 20 août 1897Ces jours-ci, travaillé au panneau. Modèle introuvable. Je me sers pour les drapés flottants de la poupée de cire drapée de papier à abat-jour. Sorti hier soir, vaqué par les rues. On a ciré l’atelier ce matin et nettoyé, tout relui et c’est superbe.Pendant ce temps, été chez Flameng (59 pour avoir du document sur les chiens. Je ne le trouve pas. Rencontre Barrault, monté chez lui ; causé de son esquisse. Il se donne du mal et est d’une conscience admirable. Cet après-midi, flânerie à l’atelier, vernis la petite fontaine ; ça embauche l’encaustique. Petite sortie hier avant le dîner avec la maman qui se trouve bien le soir de sa promenade. Recherche d’un médecin. Ils sont comme les modèles, tous aux courses ou à la campagne. A propos du panneau, ce point sur une ébauche : peindre du premier coup fait creux décidément.

Dimanche 22 août 1897Eté hier à Saint Germain déjeuner chez Louis Ganderax (22) avec Detaille (52), Jourdain (60), Tourgueneff (61) et Zamacoïs (40). Lecture bouffe d’un article de la Revue des Deux Mondes en plein air sur un petit belvédère. Detaille ponctuant d’une façon très drôle, Jourdain imitant le passage atteint. Eu un mal de mer, Zamacoïs se livrant à mille folies remuantes qui réjouissent la Loute (62). Le pince-sans-rire de Detaille toujours réjouissant : les dames s’exclament en voyant sa chemise à petits dessins ; gravement en continuant sa conversation, il ouvre son gilet et il fait le simulacre de révéler davantage son linge. Il est excellent et simple, tout le mode l’aime.Visite à la Comtesse Yvert (45) que je vais remercier de sa gâterie à la maman et aussi voir amicalement au sujet de la location de son chalet par les Ganderax. Dîner avec ces derniers et retour par le maussade train qui n’épargne pas une station.

Jeudi 26 août 1897Travaille au panneau mardi les chiens ; mercredi croquis avec Mlle Davoust. Aujourd’hui la figure derrière la statue. Le matin, été chez Flameng, toujours l’atelier rempli de travail ; le tableau du « Drapeau » bien parti, bien ébauché dans la couleur. Le « plafond de l’Opéra Comique » ; carton très sérieux et de grande allure. Nous allons demander à déjeuner à Dawant (63). Il est au bain. Nous allons au cabaret et revenons lui apporter la note. Un peu de fine et nous grimpons à l’atelier. Esquisse de son futur tableau. Trop faite au trait, pas assez cherchée par les arabesques. Tempérament de conscience et de probité qui s’embarrasse de tout. La grande règle c’est : ça fait bien. Ce soir, bésigue avec la sainte.

Dimanche 29 août 1897Bésigue avec la maman. Travaillé toute la journée au panneau que je trouve intéressant en le finissant. J’ai mis plus d’application au départ me disant : ce sera assez bon, en songeant à l’emplacement. Par la suite une conscience m’a pris et je suis en train de toute reprendre à présent. Réflexion en me promenant avant-hier. Sur notre dilettantisme fin de siècle : tout a été dit. C’est si court les généralités dans l’humanité ; il s’en suit que nous en sommes au fin du fin et que nous nous

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complaisons à un choix d’épithètes en littérature comme en peinture à des manières. En musique, art plus neuf, notre dilettantisme nous même à analyser celle des autres nations et à ne pas chercher celle de notre terroir. C’est l’histoire du moyen-âge s’entichant de l’arc grec et s’y abâtardissant. A la suite de cela, si la santé revient, peut être trouverons nous des formules définitives et rationnelles, mais alors… après ? Le génie est celui qui trouve la formule des matériaux préparés, épais et flottants et la fixe. Il y a pour cela une heure dans la vie d’un peuple.

Jeudi 2 septembre 1897Hier été à Louveciennes. Contemplation crépusculaire avec Charles (8) dans les frondaisons. Heure exquise. Je reviens chargé de salades et de roses. Les Dubufe dînaient. Ils étaient aussi avant-hier chez Louis (22) à Saint Germain, avec Bartholomé et un autre invité, militaire, qui ne se réjouit pas trop des alliances et n’y voit que la confirmation du traité de Francfort (64). Pourtant quelle joie nationale ! Le soir, été voir quelques lampions jusqu’à la place de l’Opéra en quittant la gare. Cette nuit ma voisine du dessus accouche. Hurlements lamentables, cris aigus qui m’amènent à la réflexion bien naturelle, pendant mon insomnie, et dont le résultat est qu’une femme mère est très respectable, bien qu’elle n’ait guère bougé sans doute à ce moment là, quand elle était dans la joie de la lune de miel. La nature nous pousse pour ces fins et notre imagination fait le reste : un peu de clair de lune, de poésie et voila une femme qui peu après se tord et met au monde un petit être qui souffrira et en fera d’autres. Ce soir, bésigue avec la maman qui souffrait trop cet après-midi de douleurs dans les jambes pour venir faire un tour de promenade.Travaillé aux ornements des panneaux en pensant à autre chose. Travail insipide.

Dimanche 5 septembre 1897Aujourd’hui, esquisse de la « Lupercale » tirée du panneau. Journée de travail délicieuse. Revenu hier avec Picard (65) de chez Guillaume (4) où nous avons dîné avec Aublet (66). Nous nous reconduisons l’un l’autre jusque vers 1 h du matin en causant de notre cher art. Il a le jugement sain et voit les choses comme elles sont. Nous parlons de ces fruits nés de critiques, de ce crétin de Franck Jourdain mêlé à une commission pour l’exposition de soir, idée de Geoffrey qui naturellement aurait là une sinécure. Roujon (14) offre des photographies dont une Notre-Dame ! Voila qui est précieux pour les Parisiens. Cazin (67) mêlé à tout ce monde pontifie et lèche.Nos souvenirs d’Ecole s’éveillent et c’est doux d’en parler avec un bon camarade. Que de beaux virtuoses disparus ! Bach qui se met aujourd’hui à la médecine, il est vrai que la virtuosité lui a toujours fait défaut. Je regrette de n’avoir pas porté à ce dîner qui réunissait des peintres en sympathie, un petit opuscule que l’ont vient de m’adresser : c’est signé Barlet et Lejay (68) et ça s’appelle modestement « L’art de demain » après un aperçu historique de la peinture résumé dans un tableau synoptique pour le système adopté par ces messieurs, et qui ne manque pas d’érudition ni d’ingéniosité, ils concluent en nous recommandant d’étudier les sciences occultes et de faire du spiritisme pour prédire l’invisible, le moule astral etc… - Ça va bien avec l’art plastique ! Eh bien, et les portraits… et la nature etc.

Mercredi 7 septembre 1897Reçu hier un mot de l’ami Boudeville, souffrant, je cours le voir sitôt dîner par une pluie affreuse. Visage de bois. Je reviens de suite faire la causette avec la maman, je la trouve quittant le piano. Après bien des tergiversations, je renonce à aller à l’enterrement de la pauvre petite Madame Maurice. Je crains qu’il n’entre bien de la

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paresse dans ma décision. Serais-je de retour à temps et en bonne disposition pour le travail ? En allant en tramway chez Boudeville, à travers la ville morne, je rumine en fumant un cigare : les impressionnistes qui demandent tant de conditions pour être vus comme ils l’exigent : recul etc… sont décidément d’ordre inférieur puisqu’ils demandent tant aux autres de faire la moitié du travail en regardant leurs œuvres. A ce compte un homme éduqué n’a pas besoin de tableaux pour jouir d’une certaine magie : le coin du feu, une vieille muraille lui suffisait. On dira que plus un art demande d’initiation, plus il est pour les délicats, plus il est haut ; cela est sans conteste, mais il y des limites hors desquelles il cesse d’exister.Un poète, un esprit exalté peut trouver un grand charme le soir dans la campagne à attendre la note unique et mélancolique du crapaud, comme un air de flûte de quel Dieu champêtre. Pourtant dira-t-on que c’est de la musique ?Tout état d’âme peut trouver des jouissances dans la nature, et de très grandes, mais c’est justement avec ces bases là que l’artiste fécondé produit. En ne nous fournissant que des occasions, il demeure inférieur, impuissant ; c’est un être sensitif, voila tout, et celui qui jouit en regardant des toiles en sait autant que lui. C’est ce qu’il ne peut prétendre devant les Poussin, les Corot etc. Lequel de nous, ayant tenté souvent de peindre, ne sait combien il est facile de plaire par les audaces de palette qui ne riment à rien, par les palettes même, simplement bariolée après le travail, et rutilante. Sans motif, et combien il est difficile d’aller jusqu’au bout de ce qu’on veut dire, à quel moment s’arrêter etc…

Dimanche 12 septembre 1897Hier journée agréable, été au Louvre. Les empereurs Romains, les Poussin, jolies attitudes des femmes qui étudient. Je sors de là agité et comme toujours avec l’idée de produire. Ne pas négliger ces visites.Pris le bateau pour atteindre la gare de Lyon, les remous dans l’eau. Ah ! que de sujets d’étude autour de moi ; on se confine trop à l’atelier.Dîner chez les bons amis Durand (8), puis promenade dans le bon jardin, et retour par la pleine lune. En revenant je crois trouver l’omnibus à l’entrée du Jardin des Plantes, il est derrière. Je l’atteins par l’interminable et solitaire rue Censier, mais je suis bien récompensé de ma trotte ; la voiture passe derrière et longe Notre-Dame magnifique dans la nuit. On l’a malheureusement enserré d’un cordon de becs de gaz qui éclairent trop et dominent l’effet qui demeure splendide quand on est sur l’impériale de l’omnibus, mais bien diminué si l’on est à pied

Jeudi 16 septembre 1897Travaillé hier à un des petits panneaux. Les draperies bien tenues, plus simples, plus locales. Les grandes claies faisaient du satin. Les supprimer dans le grand. Guy (4)

venu dîner le soir ; la maman bien en train. Promenade vers l’Opéra dans la soirée, rencontre de deux nouveaux zozos qui disent des drôleries. Ce soir une lettre d’Agache avec 100 francs pour la Bobard (1). Journée maussade et grise. Fini le petit panneau. Lu du Zola, la noce de Coupeau à travers le Louvre.Le matin été touché la Ville de Paris, rien gagné ; cela eut été bien pour aider les frais d’emménagement.

Mercredi 22 septembre 1897Au crépuscule les ombres sont froides, pas de reflet. Toujours petites observations dans le square grand comme la main mais où les lois générales peuvent très bien

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être observées. Je crois même qu’un endroit, toujours le même, est plus propice à les étudier.Les panneaux sont finis mais pas de nouvelles de ces Dames. Entre temps, dîner avec Cuvillon (5) au Cabaret ; hier au Cabaret encore avec Agache (13) de passage à Paris, bonne causerie un peu grave sur l’art, la décadence de tout, corrigée par un peu de fine champagne. Après réaction bien peu piquante au Moulin-Rouge, que nous espérions voir fonctionner en plein air.Reçu une lettre de la pauvre Bobard, débordante de reconnaissance bien qu’elle ne parvienne pas à se caser.Avant le dîner chez Cuvillon (5), voir ses aquarelles ; causerie entre chien et loup, sa petite nièce, sur les classiques de théâtre et La Fontaine (fables).

Dimanche 26 septembre 1897Jeudi petite boîte à pouce dans le square pendant que maman s’y promène. Cela me dérouille un peu dans le côté matinal d’employer mes outils dehors. Ce square est petit et par cela même peut-être excellent pour des notations de valeurs et d’effet. Ailleurs on est séduit par le motif et le motif est forcément banal quand on n’a passé ou non un certain temps au même endroit.Hier, agréable journée. Le matin à la Sorbonne voir sur place le plafond de Guillaume (69). De là petit déjeuner chez Duval, mais hélas avec les décorateurs et la Bénedetta. Ensuite au Luxembourg où je rode, après avec lâché la donzelle. Ce musée est loin de me donner le fortifiant et sain encouragement du Louvre ; tout y est encore dans la bataille, sauf Delaunay (70) et Baudry (71).En sortant de là, petite boîte à pouce dans le beau jardin par un temps radieux.Le soir, Guillaume (4) vient dîner. Causerie sur l’amitié, psychologie de Montenard. Lecture interminable de l’article n° 2, qu’il corrige en ce moment pour la revue de Brunetière (72), adéquate à sa peinture, charmante, captivante mais manquant ce me semble de construction et de logique. Il est 1 h du matin passée quand il prend congé. La maman tombe de sommeil. Il faut relire cela tranquillement.Aujourd’hui à bicyclette ce matin autour des fortifs jusque vers Saint Ouen. Affreux pays qu’allume un soleil très piquant. Après-midi au Parc Monceau avec la maman, au concert en plein air par une infanterie barbare, mais par un temps qui exalte la verdure, les feuilles rouges et les toilettes. Les cheveux au soleil ! Ce soir bésigue et retiré de bonne heure, une bonne pipe en griffonnant ceci, dans l’atelier tranquille, auquel un commencement d’atmosphère de travail et d’heures vécues donne un peu de chaleur spirituelle. De combien d’échos évanouis se fait le silence d’un lieu de travail, de combien de souvenirs la sérénité présente ?Vendredi repris à l’huile « La Salammbô » : fixé le pastel, passé dessus de l’huile d’ambre, c’est noir et fait un dessous bien obscur ; qu’en sortira-t-il ?

Vendredi 8 octobre 1897Mardi 28 départ pour Moisson (73), retour hier 7 vers 4 h ½. Joie de retrouver son petit chez soi et la joie de la bonne mère !Elle est venue avec moi dans ce pays et je l’aime davantage ; ses grands horizons reposent l’œil et les petits bois de chêne sont silencieux avec leur tapis de mousse que constelle la bruyère. Cette fois j’ai pu méditer à Louis (22) dans la chambre empire, un peu fraiche ces derniers jours. J’ai lu un livre de France (74) : « Le Jardin d’Epicure » ; j’ai pas aimé le fond. Si le retour est doux, l’arrivée a des charmes, un charme comparable à celui que l’on ressent dans la jeunesse, ayant devant soi les jours à dépenser et un point d’’interrogation à y planter. Que sera ce séjour ? Il

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devient régulier, chaque année je reviens là, et dans le même décor, c’est vite fait de revenir d’une année à l’autre. Je n’ai point encore cette chambre, cela me réjouit et change un peu l’effet déjà connu.J’ai sali avec entrain quelques petits panneaux que je rapporte. Reste le souvenir de petites études le matin par un doux soleil. Après-midi je pars avec ces messieurs les chasseurs en voiture pour voir un « motif ». Ah ! Les propriétaires qui ont découvert un « motif », cela se termine par en retour, en crochets, en plein soleil dans des chemins à entorses. A 4 h, j’atteins le pavillon et fais de la fenêtre de Jacques la petite étude de l’année dernière. Jeudi promenade sur l’Eider jusqu’à Rouen en suivant le cours de la Seine. Le temps se gâte vers 10 h, pluie complète de Sastreuse à Rouen. La pluie qui tombe à torrent nous empêche quelque temps de débarquer. Au moment où nous nous y décidons une barre de cuivre en fusion raye l’horizon derrière les chalands. Ah ! si cela c’était produit plus tôt ! Quelle arrivée ! Nous traversons Rouen pour aller à la gare sans rien voir qu’un confiseur où nous achetons du fameux sucre de pomme.Retour par un train omnibus si lent qu’à une station nous entendons les vociférations d’un voyageur qui traite le mécanicien de « charretier d’eau chaude ». Les étoiles brillent magnifiques, comme pour nous narguer quand nous arrivons au pavillon pour dîner à 9 h ½.Le vendredi journée calme : étude dans le jardin avec Juliette (51), qui un moment pose pour moi. Samedi une note traverse le plan de Laroche ; des coups de fusils éclatent ; la mariée qui a 16 ans est aussi large que haute et parait en avoir 30. Rencontre la petite Luce, bien gentille. Après-midi, étude près du tir : effet de soleil sur la colline par un ciel couvert. Revenu au crépuscule en allant jusqu’au bord de la Seine : les anneaux qui se forment sur l’eau au passage d’un bateau reflètent sur leur bord seulement un objet lumineux parce que le centre en est concave. Du reste cela se reforme à chaque fin mécaniquement. Avec un peu de patience, il ne doit pas être très difficile d’observer ces lois de réflexion dans l’eau en mouvement, que de pensées aussi ! Elles naissent naturellement à la campagne, et la solitude en permet l’analyse. Le soir venu, promenade par un temps clair mais un vent insupportable. Nous essayons au tir une carabine Lebel. Elle perfore à 80 m un lexique à travers 600 pages. Lu « Au palais des singes », très amusante charge comique pleine d’actualité ; il me semble que le symbolisme commence à agoniser.Je m’allongeais dans le confort en lisant et rêvassant, il serait mauvais de rester aussi longtemps ; j’y accentuerais tous les défauts de ma nature.Il y a ici un jeune Saraut qui médit des femmes et semble très occupé de Juliette (51). Il est singulier que le soir les amoureux me donne l’idée de la plaindre. C’est peut être parce que je sais que lorsqu’un homme évoque de souvenir du plus grand chagrin de sa vie, c’est presque toujours sous la forme d’une femme qu’il lui apparaissait. Je dis au jeune Saraut, qui prend des allures pessimistes : il semble que les livres sont des miroirs ; nous les aimons parce que y retrouvons nos pensées formulées, mais il faut choisir et les prendre purs pour nous mieux piéger, bons pour nous consoler, et dénués d’idéal qui est l’enchantement de la vie, peut être le nécessaire, si le but évident est la perfection souvent de tout.Une source parmi les fleurs, une flaque dans la boue ont les mêmes propriétés de refléter une image. Il est possible cependant et déjà gracieux de se contempler en se bouchant les narines.

Lundi 11 octobre 1897

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Hier dimanche, sorti avec la maman. Eté jusque chez Guillaume (4) souffrant. La pauvre femme a été prise par des douleurs un peu avant d’arriver. Il lui faut décidément de très courtes promenades. Je me réjouis d’être au premier à cause d’elle ; au cinquième, elle ne bougerait plus. Le soir, bésigue dans l’atelier. Repris « La Salammbô ». Ce matin, commencé « le portrait de Margot dans la salle d’étude (75) ».

Samedi 16 octobre 1897Je rentre de l’Opéra. Faust avec Mlle Ackté (76), charmante de galbe et de physionomie. Musique toujours enivrante. Revenu avec les Dubufe chez eux prendre une tasse de chocolat et futile et bonne causerie avec Guillaume sur le futur Salon, dont la commission a adopté les bases. Mardi, mercredi, Margot en grisaille. Lu « Le mannequin d’osier » d’’Anatole France, délectable lecture qui suggère mille réflexions. Nous en avons lu tantôt un passage avec Grandjean (38) qui vient vers 4 h et reste jusqu’à la nuit tombée à causer et à me montrer un peu sa plaie morale. Il est découragé. Je remarque à travers la baie de l’atelier la petitesse de la lune comparée à cette baie dont je connais la proportion. En rase campagne, elle m’a semblé double. Elle est importante parce qu’elle est un foyer de lumière et l’on peut en exagérer la forme sans que l’on songe à s’en apercevoir. Il en va de même pour le reste ; il y a une de perspective d’instinct qui augmente ou diminue les objets et même des détails de ces objets. Cela aide à augmenter l’expression. Il ne faut pas craindre l’application de cette loi même dans les proportions de la figure humaine. Cela est si vrai que certains mouvements photographiés doivent être interprétés pour être vraisemblables.

Lundi 18 octobre 1897Le matin, le portrait de Margot. Hier les enfants de Guillaume à goûter. Gentile réunion, l’atelier animé par ces visages gais ! Voilà un délicieux baptême pour mon home. Guillaume venu aussi. Après au Cercle (2) pour retrouver Cuvillon (5) et lui disais que je n’irais avec lui hélas ! en Bretagne chez de Brissac (77) qui m’y convie si aimablement.Cet après-midi promenade en voiture avec la maman qui a mal aux jambes. Le tour du lac, féérique à cette époque, avec les feuillages d’or et de pourpre qui se reflètent dans le lac. Le temps est doux extraordinairement, je suis en complet d’été. Hélas ! une nuit de gelée et toute cette féérie sera terminée.Avant-hier chez Hamel que je trouve dans un petit appartement de garçon et au milieu d’un désordre inexprimable. Il me dit qu’il passe sa vie dans ce fouillis sans ne guère ranger davantage. Il me semble que cela me serait impossible.Le soir, lecture sous la lampe avec la maman. Je note ceci de Sully-Prudhomme (78), qui me parait une excellente formule de ce que j’ai souvent dit dans nos discussions avec Guillaume : « La musique, par essence, est vouée à l’expression purement passionnelle, sentimentale et demeure impuissante à révéler les causes des émotions qu’elle traduit ». Je disais qu’elle était sensuelle.

Vendredi 22 octobre 1897Lundi, mardi, mercredi, jeudi : Margot le matin et jeudi l’après-midi aussi pour le fond.Hier soir dîné au Cabaret avec le Père Robert (5), le soir au Casino de Paris où un cinématographe américain nous émerveille : les chutes d’une rivière, la foule à Lourdes, des gens dansant, des chevaux dans une écurie.

Samedi 23 octobre 1897

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Resté l’après-midi à attendre mes insaisissables clientes. Chez le docteur Mayer pour les lunettes. Le soir vaqué avec Charles (8) sur les boulevards ; causerie à bâtons rompus. Il me raconte l’indignation de la Princesse (79) au sujet d’une réclamation d’argent que venait de lui faire une femme, non pour ne point payer, elle est là-dessus fort ponctuelle, mais pour les expressions injurieuses de cette femme. Qui sait si le besoin d’argent imminent n’exaspérait pas cette femme ? Si la Princesse y eut réfléchi, elle aurait payé sans colère. D’autre part une femme adulée, titrée s’étonne qu’on puisse lui manquer d’égards. En envisageant les deux situations, on les excuse toutes deux. Il faut toujours tâcher de démêler quels motifs font agir les gens, même mal en apparence : cela rend juste et peut aider à être charitable.

Mardi 26 octobre 1897Promenade dimanche avec la maman au parc Monceau où l’on inaugure le monument de Guy de Maupassant. Temps radieux. Nous tendons vainement de rencontrer une figure de connaissance qui puisse nous faire pénétrer avec les privilégiés autour du monument. La fatigue prend la maman qui ne veut point s’asseoir sur les sièges maculés de fiente d’oiseaux. Notre ressource est d’aller chez les Salanson qui ne sont pas chez eux. Retour joli et un peu frais par l’avenue du Bois.Hier retouché le portrait au crayon de la petite Lagarde. Aujourd’hui les gaziers le matin pour la lanterne de l’atelier. L’après-midi visite à Flameng (59) pour lui demander conseil aux sujets de mes clientes muettes. Envoi d’une lettre recommandée. Le soir, dîner chez les Vallée-Bourdet (80).Reçu tantôt une lettre de Bourgois, associé à Pontoise, où il m’annonce que Monsieur et Madame Versains n’ont point interjeté appel, qu’ils ont payé les frais. Enfin voilà donc cette scie terminée et bien terminée !

Vendredi 29 octobre 1897Hier soir, dîner chez M. Lavalley avec les Ganderax, Gillou, Jolivet et je ne sais qu’elle baronne qui a chanté après le dîner.Hier un mot de Madame Obernon qui se plaint de vieillir : « L’estomac ne va plus… chaque année je perds un fruit ! ».Commencé ces jours-ci une petite gouache : « Le Ténor ». Glacé tantôt la « Salammbo ». Toujours pas de nouvelles de mes grues de clientes auxquelles j’ai envoyé une lettre recommandée.

Samedi 30 octobre 1897Je rentre ébouriffé par cette Loïe Fuller (81) dans ses nouvelles créations : c’est le génie du feu et avec cela une grâce et un sens plastique très développés ; excellente soirée. L’humeur aussi est bonne : dans la journée travaillé au « Ténor ». Je crois cette gouache en bon chemin : on pourrait se servir pour ce métier de dessous à l’œil, indélébile et précieux, pour glacer sur du blanc les tons clairs qui sont trop mats à la gouache. Avant le dîner chez Mlle Lagarde qui viendra poser jeudi : cette affaire se raccommode.

Dimanche 31 octobre 1897Nous avons été avec la maman, en nous promenant, choisir une couronne que je porterai demain au Maincy. Après le bésigue, je la laisse de bonne heure dans sa chambre, car sa sortie lui a fatigué les jambes, pour quelle se repose.

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Travaillé le matin à la gouache du « Ténor ». C’est toujours la même chose ; ça commence frais, pimpant et je retouche, retripote et tout est bon à passer à l’éponge. Come à l’huile, à l’aquarelle, à la gouache, il faut faire « du coup », tout repentir est au détriment du métier. Pourtant le caractère, le clair-obscur ?... Il faut alors être de l’un ou l’autre camp. Je me sens hybride là-dessus.Le beau ? Comment pourrait-on le définir : l’harmonie des proportions ; cela s’applique à tout.On pourrait dire aussi le choix, mais quel choix ? Ce qui nous semble laid, sera peut être à la mode demain et nous ne pouvons juger la dessus que dans les styles admis. Le nouveau déconcerte. Dans n’importe quel style la preuve peut se faire que le beau tient aux proportions, le goût à la mesure des détails.

Jeudi 4 novembre 1897Travaillé ces jours-ci, le matin à « Margot », excepté lundi, jour consacré à ma visite au cimetière. On y est mal ce jour, là pour être à ses pensées et c’est plutôt le long du chemin que l’on évoque les chers disparus. Qui sommes-nous ? Peut être tous ces astres, qui errent dans le bleu qui inscrit ce que nous voyons du monde, ne sont-ils que des gaz lumineux dans une éprouvette colossale que l’on a agitée pour leur imprimer un mouvement. Le démiurge qui est en train de faire une expérience dont nous faisons partie n’est peut être qu’un personnage fort peu important d’un moule infiniment plus considérable. Il a mis dans sa préparation un peu de bien et de mal et guette à ce qui en résulterait. Il n’est pas douteux que, sur notre planète, ce n’est pas le bien qui triomphera.Cette après-midi, Mlle Lagarde (la brune) est venue et j’ai fait un croquis. Ce soir après dîner chez les bons Durand (8) de retour de la campagne.

Samedi 6 novembre 1897Hier personne. Rangé dans l’atelier. Ce soir chez la Princesse (79) : le prince Louis, Jules Lefebvre (82), d’Ocagne (83) et sa femme, causerie scientifique, ce télégraphe sans fil etc… retour à pied par un beau temps frais. Je fais reprendre le poële et vais me coucher. Hier écrit à Cuvillon (5).

Lundi 8 novembre 1897Reprise de « Margot » (les mains). Après dîner, étude de la tête de mort (anatomie). Visite de Nic (57) de retour. Hier matin chez Puvis (7), installé superbement avenue de Villiers : il y a des tableaux sur les murailles dans le petit salon où il me reçoit. Après-midi rangé des papiers d’affaires, lecture réjouissante du Jugement, enfin. Avant dîner au Cercle, Flameng (59) fulmine après Lagarde (84), trop bavard à ce qu’il parait. Bésigue avec la chère sainte, le soir.Je porte des lunettes pour lire et j’y trouve en certain charme. Il y a pour les mettre un geste qui donne à la lecture un petit air de sacerdoce. Elles me rapprochent des lettres et nous isolent du reste de la pièce où l’on se trouve. On sens qu’on va faire quelque chose de grave rien qu’à la façon dont on les ajuste sur son nez, et le temps que l’on met à en essuyer les verres dispose à la méditation, en mesure de clair-obscur sans lequel on ne veut plus voir autour de soi et où l’on n’aperçoit pas encore les signes révélateurs de la pensée. Le myope doit jouir davantage de son infirmité que le presbyte ; en effet, en ôtant son lorgnon, il ne sait plus distinguer que le livre. En somme le geste quel qu’il soit dispose au recueillement, isole et certainement augmente le plaisir délicieux de la lecture.

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Dimanche 14 novembre 1897Lassitude pour écrire ces jours passés. Que dire ? Réflexions tristes sur bien des tristes choses. Ce projet de pavillon chinois avorté par la lâcheté des gens. Que d’ambitions mesquines ! et dans tout cela qui se soucie de l’art. M… faisant la noce avec son fils : une fille est enceinte, il ne sait pas s’il est le père ou le grand-père ! S… qui continue sa vie à grand fla-fla, et qui a un coupé à roues caoutchoutées pour venir taper des amis qui vivent modestement. Hier Madame P… et D… qui me donne à lire une lettre ou Madame est trainée dans la boue. Veut-elle je j’aille répéter ? etc.Mais ce n’est pas l’objet de ce petit cahier ; j’y dois inscrire mes observations et non les potins du monde sans cela il me faudrait un volume gros comme le bottin.Les Dames sont enfin venues poser et voila une affaire tirée à clair, avec le procès fini, le plus gros des soucis est parti.Répondu à Montenard (20). Vu vendredi Agache (13) qui a bien pris ma lettre de raillerie affectueuse et y a vu de la sollicitude.Lundi, mardi et mercredi à « Margot » ; tout cela pour faire sa mignonne main, que j’ai mal emmanchée.Aujourd’hui été à l’exposition de Chrysanthèmes avec la maman : fleurs grosses comme des têtes et n’ayant plus la forme de fleurs. On crie au miracle et on admire. Fruits admirables : surtout une variété de raisins de toutes nuances et magnifiques. Ce soir, bésigue et causerie sur les mariages. Hélas ! que peu sont souhaitables !

Mercredi 17 novembre 1897Lundi, mardi et aujourd’hui travaillé à « Margot » : la seconde main a mieux été que la première, mais quel guêpier qu’un portrait d’enfant ! Elle est pourtant si gentille qu’en la voyant ce matin coiffé en bandeaux – on venait de lui laver les cheveux- que j’ai eu l’idée d’en recommencer un autre.

Vendredi 19 novembre 1897Les jours sombres commencent, le brouillard règne depuis plusieurs jours. Brouillard exquis qui donne à la ville l’air d’être en velours où le soir les lumières se fondent et s’agrandissent dans des auréoles roses ou vertes selon le mode d’éclairage. Hier matin travaillé à « Margot », fini les mains, les petites jambes et la robe.Hier soir au théâtre des « Escholiers ». On y donne la première de « Dans la nuit », le titre est de circonstance avec le climat. On y voit un aveugle, naturellement dans la nuit, mais qui de plus l’est dans celle du cœur, puisqu’il a des raisons de soupçonner sa femme, enfin dans celle de l’âme, car la religion, ressource suprême lui manque. C’est un peu long, fort triste et révèle avec de l’inexpérience des dons très sérieux, à ce qu’il m’a semblé. Revenu avec la belle déesse en voiture après avoir quitté les Monod (85). Promis une toile à Hardy pour la complaisance.

Samedi 20 novembre 1897Ce soir chez la Princesse (79) toute juvénile encore quand elle parle du plaisir que donne la peinture. Elle travaille toujours. Le Prince Louis très inspiré et correct, plutôt froid. Il parle avec une certaine appréhension de son séjour prochain à Portechoff l’hiver. Son peu de goût du monde lui fait refuser toute invitation et supprimer les visites. Quelque fois il va à un club dont on l’a nommé président où à des théâtres de musique à Saint Petersbourg. Rencontré les d’Ocagne (83), Emile Ollivier (86 sans sa femme et l’insupportable Bapt. On a beaucoup parlé de l’affaire Dreyfus.Hier soir chez l’excellent Albert Ballu (15). Il me dit l’architecture a deux berceaux : la Perse et l’Egypte. De là elle s’épanouit en Grèce, s’abâtardit à Rome pour revenir sur

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ses pas à Constantinople où elle devient byzantine et repart vers l’Occident. C’est sur le Roman que repose le Gothique.

Samedi 27 novembre 1897« Margot » le lundi et mardi. Mercredi brouillard abominable. Heureusement je puis attendre, l’ovale du visage est modelé. Jeudi et vendredi, fini la collerette, les cheveux et je l’a mets dans le contrejour qu’elle sèche. Agache (13), qui vient la trouve bien. Mardi, jeudi et aujourd’hui mise au point des « petites Ballu (87) ».Dimanche Sciama (42) vient au moment où je vais aller souhaiter la fête de Cécile (88). Le mercredi chez Béraud (89), jeudi chez les Gervex (90), vendredi chez Puvis de Chavannes. Après Conseil puis le Comité avec Sciama (42) et Louis (22). Ce soir, diné chez H. Monod. Mes clientes me remettent à huitaine pour le placement des panneaux à Meulan.

Mardi 30 novembre 1897Fini ce vilain mois de novembre et en somme pas trop mal employé malgré les jours courts. Dimanche été déjeuner chez Sciama (42), revenu inquiet à la maison de la maman qui a une extinction de voix et commence un rhume qui l’enfièvre. Elle ne veut pas que j’aille chercher le médecin et ce que j’avais craint se réalise : aujourd’hui elle a des quintes de toux qui la secouent et l’épuisent. Elle est restée dans la chambre aujourd’hui. Que sera cette nuit ?Hier et aujourd’hui travaillé toute la journée aux petites Ballu : le matin, Adrienne, singulièrement timide et aimable ; l’après-midi, Marie-Claude, rieuse et un peu remuante. Le petit portrait préparé en grisaille.Hier diné chez les bons Bourdet (80), après chez Louis qui m’a écrit pour le « Chemin de la Croix ». Ce matin, réflexions noires dans l’atelier au sujet de la maman malade, le travail à de la peine à les dissiper.

Mardi 7 décembre 1897Les petites Ballu, interrompues, souffrantes. Jeudi dernier, Grandjean (38) vient pour un bout de soirée, tandis que la maman malade se couche. Nous allons chez Guillaume (4), d’où nous revenons à minuit pour faire les cent pas dans la rue de Monceau, le nez rouge et humide jusqu’à 1 h ¼ du matin. Causerie sur l’apparence des choses, de la façon dont nous les voyons par suite de l’habitude et d’une certaine éducation. Le galop rassemblé jamais vu, la foulée seule compte pour le déterminer. Plein d’idées, si l’on faisait un portrait les yeux fermés, parce que toutes les 10 secondes on les ferme pour lubrifier l’orbite ?Bonne soirée le vendredi chez Madame Hochon (26) avec les deux Guillaume (91) et Germiny (92) : fou rire de 9 à 1& h sans discontinuer.Le Samedi chez Louis Ganderax avec Mabilleau, Madame Lavalley, Harris, les Sciama (42), ce dernier bien gentiment me parle de notre chemin de croix. Le soir venu G. Jolivet, Menière et Hervieu.Dimanche, bésigue avec la maman aujourd’hui remise, et après une journée aux Mureaux où je place les panneaux qui font un effet terne sur l’incruste fond blanc semé d’or. Ouf !Hier sorti : porté à Madame Lavalley une gouache : « La porte Saint Marc à Venise avec le mendiant aveugle ». Rendre à Agache les deux cartons qu’il m’a prêté ; l’un deux avec le tableau qu’il inscrit ; tête rouge qui sourit. De là au Ministère, en vain. Chez le tailleur pour un pantalon d’habit.

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Aujourd’hui flâné, été chez les enfants de Guillaume. Ce matin, chez Nic pour le poêle qui fume. J’en fais autant ne me décidant à rien par cet après-midi avancée et déjà sombre.Fernand Bourdet venu pour les trois grandes toiles mercredi dernier : « Le feu », « L’eau (fleur de nuit) et la « Somnambule » ; il prend les trois pour 5.400 francs.Ce matin, chez Hamel (34) pour s’entendre au sujet d’un déjeuner avec Etienne (44)

pour demain.

Mercredi 15 décembre 1897Déjeuner chez Etienne (44) avec Hamel (34) qui vient me prendre à l’atelier. En route rencontré Gervex (90) souriant qui me dit d’aller remercier Louis (22). Chez Béraud (89)

ensuite que je ne trouve pas. Ensuite au Ministère voir Jules Dupré. Chez Louis que je trouve, causerie sur le chemin de croix et promenade avec lui jusque chez Guillaume (4) qui vient de rentrer et que nous mettons au courant, de là chez Madeleine Lemaire (33) à la porte de laquelle je me décide à rebrousser chemin pour voir ce qu’ont fait les ouvriers fumistes à la maison et soulager la maman de ces ennuis. Bésigue après le diner et causette sur nos occupations de la journée.Hamel, à propos de la « Femme à la lampe » qui traine dans l’atelier, me dit qu’il y a trop de reflets, trop de préoccupations diverses qui nuisent à l’effet général, à la silhouette. Il aime la préparation des « Petites Ballu » en grisaille. Trouve « Margot » un peu sèche, le fond bon. De même l’esquisse de la « Lupercale ». Il a peut être raison : il faut voir dans un sens absolu et ne pas gêner ce qu’on veut dire par ce qui est inutile, en somme toujours savoir pour quoi on fait le tableau.

Dimanche 19 décembre 1897Hier soir chez la Princesse Mathilde (79) qui me parle de Charles (8) d’une façon inattendue. On nous exhibe des gouaches d’un monsieur, et tout le monde se pâme. Bouchor (93) épuise les épithètes que d’Ocagne (83) enjolive, le divin Bapt fait écho et explique les subtilités de la gouache. Baschet (94) et moi adorons une tête de Vélasquez pendant ce temps-là, en nous disant l’un l’autre que ce qu’admirent ces gens entourés de toiles, cette gouache de chic, c’est ce que font couramment les décorateurs d’appartement. J’en ai connu d’autrement plus forts. Le monde va toujours aux sucreries. On se répétait : « il fait cela sans modèle ?, je crois bien et cela se voyait du reste ».Ce soir avant dîner, après avoir brossé la poupée de Margot, été chez Guillaume (4). Bonne causerie dans l’atelier. Ensuite badinage exquis avec les enfants, délicieux. Bésigue après le dîner avec la maman en meilleure santé. Reçu un mot aimable de Gervex (90) relatif au chemin de croix, il m’assure de la bonne volonté de Roujon (67).Vendredi soir rentré à 2 h ½ du matin après un bout de soirée chez Charles (8), toujours en piteux état, mais quelle hygiène !

Samedi 25 décembre 1897, NoëlJe suis sorti ce soir pour faire quelque emplettes, il fait froid, beaucoup de monde néanmoins aux boulevards. J’ai eu l’idée d’aller un moment me réchauffer chez une Rosalinde ; chemin faisant, je songe à cette fête Noël ! J’évoque la poésie splendide de cette nuit où une étoile guida les rois mages jusqu’auprès d’un enfant qui devaitdevenir le transformateur d’une société et le fondateur d’une civilisation.La morale lumineuse et divine étaye encore notre société qui chancelle, et les humains vont aux églises, et plus particulièrement aux endroits flamboyants où l’on soupe, mais c’est fête, et un élan d’admiration et de respect me fait bifurquer et

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changer d’idée et de chemin. Je n’irai pas chez les filles à un tel anniversaire. Ce serait profaner une trop belle nuit.Noël !

Vendus en 1897 :

Le portrait du Comte Yvert 500 francs.La copie Vigée-Lebrun 1000 francs.Aquarelle, L’église de Fécamp 500 francs.Les panneaux des Mureaux 3000 francs.La Somnambule (à Bourdet) 3000 francs.Le feu, les pincettes (à Bourdet) 1200 francs.L’eau, Fleur de nuit (à Bourdet) 1200 francs.

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1898

Jeudi 13 janvier 1898Pas travaillé au « Portrait de Madame Bourdet (Marguerite Vallée-Bourdet (80) )». Hier la 10ème séance à travers ce commencement d’année particulièrement mouvementé et très agréable malgré les corvées habituelles.Le jour de l’an, Louis Ganderax (22) vient avec sa femme (62) et sa fille. Il colle à la glace la dépêche bleue de Mambaud, joie de la maman, cohue de monde, qui la réjouit et l’ahurit. Elle est aphone le lendemain. Courrier délicieux mais formidable. Ouf ! ce soir je me reprends et ce n’est pas la phase la moins agréable de ces jours de fête. Gentil dîner du 9 qui a lieu le lundi 10. Je suis bête et ne trouve rien à dire quand on me remet la croix (95). Présents : Dubufe (4), Dawant (63), Cuvillon (5), Berton (97), Lagarde (84), de Moncourt (90), Agache (13), Moreau (18), Dauphin (19), Mathey (98), Lafont (99), Billotte (17), Montenard (20), Albert Ballu (15), Roger Ballu (100).Le portrait de Madame B… ébauché du modelé en grisaille : noir, brun et blanc.

Vendredi 21 janvier 1898Dîner chez Mabilleau avec Ganderax, Dumy, Breton (101). Mal en train à cause du manque d’exercice, oreilles brulantes, etc… Jeudi, achevé en grisaille le portrait de Madame Bourdet très poussé. Levé tard ces jours-ci, d’où mauvaise humeur résultant de la conscience de prendre mon temps ; jours noirs du reste.

Vendredi 28 janvier 1898Saint Charlemagne. Gentil et brillant pique nique à l’atelier : tous rois ou reines. Festin monstre : 2 Dubufe, Louis et Etienne Ganderax, Agache, Cuvillon, Dawant (63), 2 Hochon (26), 2 Bourdet (80), 2 Escalier (57). Sciama (42) en deuil vient et Ninette indisposée. Je suis content que cette fête se soit bien passée et soit passée à cause de l’état nerveux de la maman.

Vendredi 4 février 1898 Commencé le portraits des petites amies : Adrienne est venue mardi, mercredi et hier ; elle viendra tantôt, mais le temps est noir et je bisque. Pourrais-je achever la tête dans le frais ? Elle est complaisante et pose admirablement, je fais attendre pour ne rien compromettre et le jour me trahit !Quelle douce, câline et vraie jeune fille, que mon métier est parfois plein de charme.

Dimanche 6 mars 1898Hier par un jour intermittent, séance délicieuse avec les deux jeunes filles qui rôdent dans l’atelier. Travaillé à Marie-Claude. La bonne maman Ballu vient les chercher vers 4 h. Bonne causerie entre les deux mamans et douce rêverie ensuite dans la solitude du crépuscule.Ce soir bésigue. Grandjean (38), qui avait fait espérer sa visite n’est pas venu. J’avais passé avec le pauvre ami la soirée du vendredi dans sa demeure à présent solitaire. Qu’adviendra-t-il de tout cela ? C’est triste cette maison où l’atmosphère n’est plus attiédie par la présence d’une femme.Ce matin, Puvis (7) vient me donner l’accolade et nous jasons avec de Moncourt (96)

qui est venu et d’autres peintres. Il raconte que pressé par une dame de mettre « une pensée » sur son album ouvert, il y lit sous la signature d’Hébert (27) : « Hors

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l’Ecole point de salut ». Il trempe sa plume et écrit en dessous « le meilleur chocolat est celui que l’on préfère ».

Jeudi 17 mars 1898Travaillé aux petites Ballu avec des jours si irréguliers que j’ai dû gratter deux fois, ne pouvant poursuivre. Je me trouve bien de la grisaille qui me donne vite un aspect, surtout dans les vêtements et tulles, etc…Pour reprendre sur le gris, frotter d’huile légèrement et également, essuyer puis peindre avec des frottis locaux et repeindre de suite. Ceci est très commode et facile pour les bras, vêtements, etc… reste difficile pour les têtes qu’il faut étudier en plusieurs séances – se limiter la besogne chaque fois – peindre avec des brosses relativement larges et plates pour bien étendre la couleur.Hier dîner, comme souvent chez L… (22) avec les Nic (57), les deux Guillaume (91) et De Germiny (92). Au Cercle (2), j’apprends la fin prématurée de Jeanne M… que de réflexion cela me suggère ! Je suis encore poursuivi.Eté hier également au Louvre dans l’après-midi. Admiré le Terburg : « La leçon de musique ». Quelle sécurité dans l’exécution, quel esprit. La petite figure qui joue de la viole dans le fond ! Et ce petit nain embarrassé d’un verre de bière sur un plateau et tenant un feutre sous son bras ! Quel soin dans cette méthode si savante ! Quelle perfection dans le rendu des premiers plans et dans les meubles, instruments, etc… Les choses ne se voient d’abord pas parce qu’elles sont rendues avec exactitude et ainsi ne choquent point. Dans ce style ne sacrifier que sur des choses très faites par l’enveloppe : tout y est et ne s’y laisser voir que suivant le degré d’intérêt qu’il comporte.Et puis l’affaire Dreyfus : on en parle tout le temps. Au 9 avec Guillaume (4), Agache (13), De Cuvillon (5), Montenard (20), Dauphin (19), De Moncourt (96)… Dimanche avec Grandjean (38) et Agache, près du poêle à l’atelier nous en parlons encore ; cette fois nous sommes d’accord.

Mardi 18 mars 1898Ces jours-ci, repris le portrait de Madame Bourdet avec de nombreuses difficultés avec le jour qui a été exécrable et m’a ainsi empêché de profiler des dessous gris ou finissant en morceau du coup ; ce qui aurait décidément bien des bénéfices. Il serait bon en ce cas d’avoir une esquisse peinte pour savoir d’avance l’harmonie, fonds etc… qui repris alourdissent le travail.Sorti beaucoup le soir et couché tard, en moyenne vers 1 h ½, c’est idiot.Eté plusieurs fois chez Saint Marceau. J’y perds mon chapeau, en me trompant en en prenant celui de Moreau (18) qui écrit au Conservateur du Musée de Versailles : ce quiproquo amuse en ce moment nos amis.Essais infructueux d’aquarelles, avec peinture à l’œuf. Je n’exposerai rien. La maman est en bonne santé ces jours-ci après un retour de rhume.

Mercredi 22 avril 1898Finissant une grippe qui a occupé mes vacances de Pâques. La maman prise aussi. Atelier-hôpital, débarrassé heureusement des envois au Salon après le défilé obligé des parents et amis. Le portrait de Madame Bourdet plait bien. Billotte (17) me dit : « c’est très intelligent ». Ne faut-il pas se préoccuper du côté psychique dans un portrait ? Quant à la préparation grise, je crains qu’elle me joue quelque tour en s’appauvrissant.

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Dimanche 19 juin 1898Bien des flânes dans l’atelier avec une invincible paresse à ouvrir ce cahier. Toujours la même vie qui est de ne pas savoir sortir à propos en gardant ledit atelier que comme un lieu de combat et d’intimité. Il en résulte un ennui profond entre ces murs trop connus et qui gardent un goût fade aux bons moments. Il faudrait noter dans cet intervalle une promenade au Bois avec la maman convalescente, sous les sapins et qui prouve qu’on ne saurait penser à tout. En effet, après qu’elle a fait les cent pas au soleil, nous remontons dans la voiture où s’est installé le cocher qui fume une pipe. Obligé d’ouvrir les vitres, et une quinte de toux ! Et puis les soirées avec Charles et Agache au coin du poêle à parler de l’affaire Dreyfus qui alors passionnait les gens d’une façon violente et sans mesure. Enfin la statue de Balzac par Rodin, plus à la mode en ce moment, et qui serait prétexte à dire bien des choses

Dimanche 3 juillet 1898Eté vendredi soir au Cercle où je lis dans la « Revue de Paris » l’article de Maurice Hamel (34) sur les Salons de 98 (102).Rodin porté aux nues et Carrière (103) avec lui. Jadis les critiques avaient sur les peintres l’avantage d’être éclectiques qui balançait leur infériorité dans la connaissance de la tectonique, aujourd’hui ils ont leur doctrine, hors de là point de salut.Celui-ci a une intelligence réelle de la peinture, il est sensible, et poète même et il fait de la critique subjective à outrance, et il me fait penser à ce que dit Pascal, à savoir qu’à force de penser à l’amour ou devient amoureux.Il en va de même pour le brave Hamel (34), il s’emballe, s’exalte et arrive à voir dans une œuvre tout ce qu’il veut. Je lui ai dit samedi, quand il est venu me chercher pour aller déjeuner chez Etienne (44) ; «  une vieille muraille, un feu de bois, peuvent réjouir un homme comme vous et lui donner occasion de joies artistiques ». Il en a conscience, mais où s’arrête alors la formule de l’artiste ? A quel moment s’il veut énoncer clairement ses intentions, ce sera-t-il de plaire aux rêveurs et aux amateurs d’abstractions. L’art est-il ou non concret ? A quelle intention enfantine nous en tiendrons nous pour jouir, si tout est prétexte, et quelle sera la technique de ces intentionnistes ?Je lui ai dit aussi : « vous convenez que devant un paysage, dix artistes feront dix toiles différentes, parce qu’ils apprécieront chacun sur un caractère notable le paysage selon leur goût et leur tempérament particulier. Vous convenez encore, si nous prenons une de ces dix œuvres et que la soumettions à dix critiques qu’ils l’analyseront eux aussi suivant leur doctrine préférée et y découvriront mille belles choses qu’elle leur fera venir à l’esprit, à condition, qu’ils soient bienveillants, poètes et rêveurs comme vous.Eh bien ne croyez-vous pas que l’œuvre la plus forte sera précisément celle qui dira le plus nettement ce qu’elle veut dire, et dont la technique excellente ne laissera pas la porte ouverte à toutes les séductions du rêve ».Si vous aimez broder sur les prétextes faites vous-même votre joie et ne demandez plus rien à aucun art. Il faut se méfier de cela extrêmement ; qui de nous n’a entendu avec plaisir la note de flûte que donne le crapaud par les beaux soirs d’été. Cette note, en elle-même, est peu de choses ; quand nous la trouvons délicieuse, c’est que notre cœur est ému d’autre part par la solitude vaste de la nature assoupie, nous oublions les frondaisons mystérieuses que frange d’argent un rayon de lune, nous

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subissons à notre insu la poésie qui enveloppe et transforme la campagne et ce petit son de flûte prend des proportions symphoniques dont nous serions peu réjouis si un instrumentiste l’émettait dans une salle de spectacle, sous des lustres aveuglants. Nous devons goûter les choses de l’art par la compréhension, non par l’exaltation.

Fin septembre, début octobre 1898Porté le « Portrait de Loute (62) » à Saint Germain.

Dimanche 23 octobre 1898. Départ pour la Hollande avec Robert de Cuvillon (5).L’Escaut, jeu d’artifice au crépuscule, magie dans les nuages rouges. Le soir promenade dans Kalverstraat (104), brouillard fin. Flot de la foule à double courant donnant l’impression d’un supplice des Danaïdes allant et venant sans cesse sans s’arrêter. La rue des Boui-bouis où la crémone ouvre la porte en tirant une ficelle pour révéler le spectacle.Logés dans la salle à manger, odeur de graillon insupportable.

Lundi 24 octobre 1898Changés de chambre, celle-ci, à deux lits plus confortables, sent le moisi ; promenade au port, temps idéal, c’est exquis. Déjeuner chez Van Laar (cher). On est mieux à l’hôtel Suisse. Après-midi : Rembrandt. « La ronde de nuit » admirablement éclairée, portant de drap noir, dans un fauteuil vers la fin du jour, quel régal !... Rencontre de Suza. Pluie. Le soir au Flora, où l’on chante et où le biographe nous montre les cérémonies du sacre de la jeune Reine (105). Les Hollandais se découvrent devant son image, respect touchant.

Mardi 25 octobre 1898Matinée au musée des costumes Hollandais : le monsieur Louis XIII coiffé d’un tuyau de poêle ! Peinture moderne, un joli Jules Dugué. Israëls (106) y est mal représenté. Après-midi, Rembrandt.

Mercredi 26 octobre 1898.Musée Rembrandt.

Jeudi 27 et vendredi 28 octobre 1898Haarlem. Le musée l’après-midi, les Frans Hals à fleur de toile, têtes superbes, accents dans la pâte. Le port le matin. Rêverie devant l’embarcadère de Zamdain à gauche du chemin de fer. Ligne de fond en bistre très doux laissant deviner les tours de briques et de verdures fort amortis par l’ambiance ; des bateaux de forme lourdes, ventrus, très chargés circulent . Les goélands voltigent et jouent sur les eaux, de matière un peu huileuse, entre les bateaux.Au premier plan, l’un d’eux hisse sa voile de sépia mate au-dessus de la coque en bitume vernis comme un colossal joujou très bien entretenu. Joie grasse et séreuse pénétrante devant cette immensité où deçà delà, dans un ciel très fin, apparaissent des échancrures d’un bleu pâle de même valeur que le gris rosé cuivré des nuages. Exquis !Toile au plâtre pour pouvoir revenir avec le dessin dans la séance et consacré aux objets la netteté nécessaire sans qu’ils cessent de participer de l’ensemble baigné d’atmosphère. Derrière moi, comme opposition, la gare avec son bruit brutal, me

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semble normale hélas ! C’est delà que nous repartirons pour retourner dans la fournaise. Après-midi adieux à Rembrandt. Ses dessins : il faudrait noter rapidement à l’encre de chine tous les effets très naturels qui nous frappent, sans arranger, se faire un fond humain. Le portrait de sa mère lisant : une seule lumière sur le nez, capeline velours violet riche. Son portrait joint avec deux segments de cercle ; manière plus plate de matière, mais d’une signification empoignante de sérénité, un peu évanouie de valeurs, il semble après toutes les abstractions conquises celle de la matière – à l’heure de la fin ! Impossible quand on connait se vie de n’être pas fort ému, devant cette toile. Dans la femme à l’éventail, de la finesse, grande destination, exécution admirable, ombre portée de l’éventail sur la main. La femme à l’éventail qui s’appuie d’une main au cadre est aussi exquise de facture. Le fauconnier aussi, cheveux blonds délicieux de dessin et de souplesse, passant sur le front dans une même valeur. Portrait de Nicolas Buts, fond gris brun vert, bonnet de loutre et fourrure d’un rendu impeccable. Il semble pour des fonds qu’il obtienne ce ton brun vert avec des demi-pâtes opaques sur le ton de préparation bitumeux.La fiancée juive de la première manière, les couleurs sont moins abstraites, l’ensemble plus gris. La seconde serait la manière fauve (portrait de femme au Louvre, le bon samaritain).Dans un portrait de vieille dame à la collerette, les mains ont la netteté de touche de Frans Hals. Il cherche toujours et varie autant qu’il le faut. Dans un portrait d’enfant à toque, il ressemble à Vélasquez. Dans une esquisse des pèlerins d’Emmaüs à un Vermeer. Celle-ci traitée à rebours de celle du Louvre : le christ en silhouette sur le mur lumineux et faisant écran, un pèlerin à genoux continue la ligne et se dessine. Dans la masse, l’autre avec une vilaine tête se recule dans un mouvement violent de face.Un autre portrait de femme en joli bonnet et collerette, avec un mouvement de mainlevée et indiquant de l’aider, très local ressemble à un Van Dyck (moins noyé dans la pâte que celui de la Princesse). Il appartient aux Anglais qui en ont été très influencés, taches sous le nez. Couleurs sur le buvard pour avoir de la matière lourde à volonté, ébauchées avec du gris sur du fauve.Chez Lise. Le portrait d’homme, large, gras, enlevé, superbe ; manteau rouge, pourpoint gris, chapeau noir avec une main dégantée à toute pâte. Mal en toile, tête trop haute dans le cadre et trop de fond à gauche.La petite rue de Vermeer : une perle, charme avec un motif si banal ! La laitière de même un peu rugueuse mais de valeurs magnifiques, pointillés apparents dans les pains surtout.Une esquisse de Rembrandt préparée en bitume, déjà d’aplomb dans ses valeurs : « Joseph explique les songes », sa toile déjà préparée en brun transparent.De Gérard Dou (107), le dentiste (effet de plusieurs lumières ; particulier).Dans la lune de Cupy, paysages italiens, valeurs douces ; l’effet produit surtout par la transposition des valeurs et leur localité plus larges. Van Dyck préparés également en gris brun.Au retour, rencontré Dagnan-Bouveret (25) et Friant (108) qui descend à la frontière, nous voyageons jusqu’à Paris avec Dagnan et sa femme.En somme c’est toujours devant les maîtres la même leçon à conscience. Le malheur est qu’ils ont tous des heures de défaillance et que bien des gens habiles ont intérêt à ne les consulter qu’à ce moment-là. Ils ne sont larges qu’après avoir été très serrés dans le commencement, mais si l’on commence avec audace et sans

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savoir comment élargir sa matière ? Il faut piocher, et ne mettre sa joie que là, essayer tout autre plaisir pour réserver sa joie et son énergie à son labeur. Je vais y tacher et essayer le côté mondain. J’y suis résolu, après réflexion. Il y a un âge où l’on ne peut mener les deux choses à la fois et il est facile de voir ce qu’il y a lieu de préférer à la banalité du monde ou aux variations infinies du travail.J’ai passé avec le cher Robert (5) un bien doux moment de quiétude dans ce charmant pays où la valeur est un bienfait que l’on absorbe avec l’air. On s’y remet sur pieds. J’ai envie de peindre, je suis ardent et heureux. Il faut s’arranger à ne pas trop vite oublier tout ce que je viens d’apprendre.

Lundi 31 octobre 1898Commencé une étude à la lampe, petit salon.

Samedi 5 novembre 1898Commencé « La femme au chapeau rouge » avec Clara (109). Le 4, étude d’après Dinaud, ébauche avec couleurs sur buvard, séchant très vite, bon pour reprendre. Lundi, mardi, mercredi « le chapeau rouge ». Je frotte un dessous local brun transparent par-dessus le fusain.Eté voir Charles (8) mardi soir à son nouveau local. Mardi Robert (5) vient dîner : bonne soirée à feuilleter le Rembrandt.Je me souviens de ma visite, la dernière hélas ! au pauvre grand Puvis (7), en revenant de chez les Bourdet (80) vers la fin septembre, après le déjeuner. Il me reçoit en redingote prêt à sortir, mais s’arrête bientôt en me retenant dans le petit salon blanc, près d’un chevalet où se dresse le portrait de sa femme, et nous causons. Il a la mine ravagée et les muscles du cou très tendus sur la nuque. Vous croyez, me dit-il, n’avoir pas travaillé parce que vous n’avez pas les pinceaux, détrompez-vous, on observe, on apprend toujours et à un moment donné cela trouve sa place. Je n’ose parler du beau portrait qui m’attire l’œil, mais je le regarde et il voit mon regard et cela suffit. Où allez-vous, me dit-il, quand je me lève, descendez-vous dans Paris ? Croyez-vous que j’ai écrit lettres sur lettres à l’administration des Beaux-Arts pour que l’on vienne prendre et maroufler mes peintures, je n’entends parler de rien et j’y retourne. Je lui dis que l’on devrait être empressé ce me semble et un peu davantage à ses ordres. Il m’a paru depuis qu’il devait penser à la mort, la santé touchée et souhaiter également voir ses peintures à leur place avant de partir. Il ne les as pas vues.Nous avons appris la nouvelle de sa mort à Amsterdam, au milieu du pèlerinage de Rembrandt. A distance, et de telles circonstances, il semble que l’on voit en bloc l’œuvre du maître qui s’en va et qu’on en mesure mieux la valeur. Il se produit comme un recul du temps qui consacre, et puis on reste dans l’atmosphère de l’art, et vivant rien que de l’art qui est le but unique mais passif, et si haut alors qu’on est en mesure de comprendre la somme de gloire que le cher disparu lègue à son pays. Nous sommes demeurés le soir à l’hôtel, sans bouger, tristes et devisant en fumant.

Dimanche 20 novembre 1898Seconde séance avec Dinaud. Bien repris dans le sec, demeuré homogène, fini le masque.

Lundi 21 novembre 1898Clara (109) : commencé la petite étude de dos avec chapeau rouge, journée de brouillard. Avant dîner chez Agache (13), après chez Cécile (88) pour sa fête. Je

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retrouve à l’atelier Guillaume Dubufe (4) et Billotte (17) et deux petites femmes toutes jeunettes. L’une belle et merveilleuse de formes fraîchement colorées, l’autre un peu lourde sous une tignasse tailladée, mais avec des yeux plissés singuliers. A la réflexion, je trouve la première banale et plutôt d’un charme tout sensuel – et j’aimerai peindre la seconde.Ce soir avec la maman bonne soirée au coin du feu, sous la lampe. Je lui lis des passages de Fromentin (110) des « Maîtres d’autrefois » et tache ensuite de lui faire distinguer la beauté morale de la beauté vulgairement attrayante. Le Bon Samaritain, la souffrance, l’expression, toute la poésie de Rembrandt dont pourtant les formes sont vulgaires au sens on l’on entend généralement la beauté.

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1899

Vendredi 26 mai 1899Aux Aquarellistes (30) : Vigilance maternelle ; La mère avec le bébé au berceau ; L’esquisse des barques pavoisées ; Le coup de nuit à La Roche-Guyon, plus deux vieilles esquisses pour équilibrer le panneau.Aux Pastellistes (111) : une étude de dos avec Clara (109) et la petite tête de Domenico (vendue à Mulot).Au Salon (102) : L’étude de Clara avec le violon, L’étude de dos, Ferdinand, Mon portrait, L’étude en rouge, plus les Portraits de Loute et des petites Ballu.Entre temps, fais la décoration pour Monsieur Danloux (112).Remis le portrait ces jours-ci de M. Demachy (113), dont j’ai refait la tête.Travaillé à « La Tasse de thé ».Le tableau de Schaus (58) : « La femme sous la lampe qui considère des perles à son bras » avec Alice (114).Cette dernière avec son accent bordelais me dit l’autre jour : « Monsieur on m’a volé, bof je ne sais si c’est mon amie ou mon amant ».

Eté aujourd’hui voter les Sociétaires etc… Revenu avec Agache, nous faisons de compagnie une visite à Cuvillon (5) pour lui annoncer la nomination de Charlet (115)

comme associé.

Samedi 10 juin 1899« Revue de Paris ». Maurice Hamel (34) : « L’art est une sympathie active et spontanée qui invite l’homme aux confidences ».Repris ces jours-ci « Le Diplôme » (116). « Portrait de Coco – Bob Demachy (113) », pastel.Depuis huit jours l’affreux eczéma dont souffre la maman a été dans sa période aigüe, il semble que semble diminue un peu. Je suis cloué à la maison, en veillant bonne et infirmière, et mal à la peinture.Fini mardi le pastel du petit Bob. Travaillé hier jeudi avec Clara au tableau « La Tasse de Thé ». Porté « Le Diplôme » le matin au Palais de l’Industrie.Appris la mort du pauvre Charles de Brissac. Je lis dans un traité de gynécologie que le meilleur âge pour faire un enfant est 45 pour l’homme, 22 pour la femme et je tombe en rêverie.

Vendredi 23 juin 1899La maman toujours bien souffrante, on décide une consultation avec le Docteur Brocq (117), spécialiste pour les maladies de la peau. Toujours même régime, à la maison est une infirmière et je suis occupé de tout autre chose que de peinture, surtout à égayer ma chère malade bien découragée.Entre temps, fais le portrait de Brimard en pochade ; bien venu.Classé pour le Diplôme (donné d’avance à Besnard) (118). C’est toujours une prime de gagnée et puis l’honneur est sauf.

Mardi 28 juin 1899Lundi consultation du docteur Brocq. Soigné la pauvre malade, régime lacté pour épurer ; extérieurement soignée comme une pauvre brûlée. Quelle journée !!

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Vendredi 30 juin 1899Le docteur trouve la malade un peu mieux, ouf ! Quel calvaire cette semaine et que de réflexions affolantes dans la solitude de l’atelier. Nous ne connaissons la mesure de notre bonheur que lorsque nous sommes menacés de le perdre. Ce long baiser qu’elle m’a donné ce soir, quand je lui ai dit bonsoir, en remerciement de mes soins !

Lundi 3 juillet 1899Après causerie au bord du lit, je vais achever ma soirée dans l’atelier. Ma pauvre malade est mieux, mais quel été pour nous deux ! Pourtant tout sera facile, bon même, puisque notre tendresse n’est pas brisée.Hier, repris le « Portrait de Madame de Kervénoaël » (119) ; aujourd’hui encore, séance. Je sens que je m’y remets.Louise (26) est venue hier prendre des nouvelles et mettre sa bourse à ma disposition - que ces mouvements d’amitié font du bien !Samedi soir, je rejoins vers 10 h ½ chez Albert Ballu (15), Agache (13) et Grandjean (38). Bonne causerie qui nous mène à minuit et ½. Je reviens en courant et suis décontenancé en trouvant la maman qui ne dort pas. Elle me dit qu’elle vient de faire un somme et cela me remet de bonne humeur. Que d’alternatives pareilles toute cette semaine, et quelle girouette que celle de mes sensations. Souvent ces craintes mortelles nous font voir la rareté de bien des choses et nous donne la mesure de la vie – triste !

Vendredi 14 juillet 1899En revenant l’autre soir avec Charles (8), observé un manège de chevaux de bois violemment éclairé à la lumière électrique. Toute ombre disparait dans la lumière et c’est une masse lumineuse qui tourne qui tourne et rayonne devant les groupes très vigoureux des badauds massés qui regardent. A rapprocher cette observation sur nature des eaux-fortes du divin Rembrandt.Hier la maman venue à l’atelier. De ses pauvres mains meurtries elle manie les dominos, nous faisons une partie. Quelle joie ! Le mieux bien lentement arrive, s’accentue pourtant.Je n’ai rien fait de la semaine, tournant dans l’atelier, lisant par bribes, et le cœur encore secoué de tristesse. Demain Frédéric (20) vient, cela me forcera à peindre, et une fois entrain je suis certain d’y mettre tout l’effort nécessaire.Ce matin, été au Louvre, fermé pour cause de Fête Nationale !!!

Dimanche 16 juillet 1899Hier quelle soirée. La pauvre maman découragée, je laisse voir des pensées si tristes ! Et je vais à 11 h prendre l’air au milieu des cris et du piston des orchestres forains qui pullulent et résonnent partout.

Mercredi 19 juillet 1899Hier pendant que je finissais le Portrait de Frédéric Montenard, Cuvillon (5) et Agache viennent me faire visite ; non moment avec eux. Ils trouvent ma pochade très bien. J’oublie un instant mes misères. Le moment dur c’est le soir après dîner, tandis que l’on panse la pauvre maman. Je suis seul dans l’atelier avec mes réflexions et c’est très dur.Ce matin Etienne (44) vient bien gentiment ; cet excellent ami n’a cessé de me prodiguer des marques de sa sincère amitié, mais hélas, je ne vois guère Guillaume

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(4). Alice (115) venue l’après-midi, son gentil verbiage me distrait un bon moment. Quant au docteur, je l’ai attendu toute la journée.

Dimanche 23 juillet 1899Il y a des pensées pour lesquelles on n’a pas de mots. Ceux que l’on emploierait seraient désolants de banalité. Ma pauvre mère est bien malade, ces bulles ont gagné la gorge qui est à vif et ne lui permet d’avaler qu’avec une atroce douleur. Que de pensées depuis ces six semaines de cauchemar ! Je crois que nous nous cachons mutuellement nos heures de défaillance. Elle avait pleuré tantôt quand je suis revenu de chez Madame Nic (57). Pourquoi toutes ces tendresses nous restent-elles dans la gorge ?

Mardi 25 juillet 1899Hier Louis Ganderax (22) vient le matin. Les offres de service si affectueusement exprimées. Il me dit : « J’ai plus qu’il ne m’en faut grâce à l’argent de l’amitié, il est juste que cela serve à l’amitié, ne te gênes en rien, etc… ». Je lui ai répondu que certainement je m’adresserais à lui s’il l’eut fallu, que du reste il me serait égal de m’engager pour l’éternité. Il m’a dit : « L’éternité c’est moi ». Que ces marques d’amitié consolent et sont bonnes. Etienne m’a parlé dans le même sens ; mais pourquoi noter des choses qui ne s’oublient pas ? ça fait plaisir.L’après-midi, Cécile avec Juliette et Mireille Dubufe (120). Puis Montenard (20) et Nic (57)

avec lesquels nous regardons un peu le diplôme.Journée douce. Le matin la malade peut avaler plus facilement. Sommes-nous vers le progrès ? Le pharmacien, où je vais chercher le sérum me dit qu’un monsieur du quartier plus âgé que ma mère a été radicalement guéri par le sérum, je le quitte un peu rassuré. J’avais été au Bois le matin prendre un plein d’air en rêvant sous le petit bois de pins où j’ai tant joué dans mon enfance. Tout ce coin du bois me rappellent des promenades dédiées à ma chérie… en referons-nous ?

Samedi 29 juillet 1899Toujours la gorge malade. A présent les intestins La pauvre créature n’a pas un moment de répit. Quel calvaire ! Je passe par des alternatives. Quand je pense à elle, je suis courageux avec l’idée de faire mon devoir le mieux possible jusqu’au bout, quand je m’attendris c’est que je pense à moi – mille souvenirs me piquent le cœur comme des plantes séchées.Avant-hier Boudeville venu pour le Diplôme ; cela m’entrainera et nous serons prêts si l’état d’esprit et les avancements le permettre.Reçu de bonnes lettres et preuves d’amitié. Sciama (42) l’autre soir. Les Nic (57) qui viennent de partir. Bourdet (80) avec une lettre excellente. Tout cela fait du bien.Grandjean (38), avant-hier, m’emmène pour dîner le soir ; il me semble que je quitte un enfant quand je m’éloigne, mais que j’y laisse mon cœur. Il faut beaucoup penser qu’il y a une loi fatale et cruelle, mais pourquoi ce martyr ?Eté chez Brocq (118) hier. Il me réjouit par son écrit autorisant une modification au traitement - substitution de l’arsenic au sérum dont me parlait Boulay.

Mardi 1er août 1899Ouf ! Voici terminé cet affreux mois de juillet. Hier hallucinations la nuit, j’ai cru que j’allais tomber malade. Je vais mieux aujourd’hui et ma chère mère un peu aussi après une meilleure nuit. Quand et comment finira ce calvaire ? Il faut être très courageux et penser seulement qu’il faut faire son devoir, tout son devoir.

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Je décommande Boudeville qui devait venir tantôt ; impossibilité absolue de travailler. Agache venu hier dans la journée : je lui montre toute ma lâcheté. Le soir Sciama que je ne puis recevoir qu’une minute à cause du pansement qui me relance.

Mercredi 2 août 1899J’ai cru que j’allais devenir fou et j’ai repris énergie tantôt à la suite cependant d’une scène terrible de désolation de la part de ma pauvre martyre. J’ai trouvé à lui dire de tels arguments qu’ils m’ont convaincu moi-même. Il me semble aussi qu’en armant mon cœur d’une suprême tendresse et mon âme de patience en cet enfer moral j’épure mon âme et la rendrai meilleure et affinée à Dieu. Quelle joie et quelle est ma victoire aussi de la tirer de là !Venus Montenard (20) avec sa femme et sa cadette. La bonne Louise bien fidèle et qui me remonte le moral et me fait des offres de service. Ce soir, Charles (8) qui me manifeste mille tristesses de partir et de me laisser. Je lui dit : « Tu as aussi des devoirs dont la base est la santé. Va donc et sois heureux et reviens robuste pour ton petit Etienne ». Le devoir. Reçu une excellente lettre d’Etienne Ganderax (44).

Dimanche 6 août 1899N’en pouvant plus, je vais au Bois vendredi vers 10 h. Poussière des automobiles, impossible de trouver un coin pour respirer. Et puis dès que je sors, je pense : « que vais-je trouver au retour ? Ces affreuses crises sont-elles réapparues ? ».Hier Frédéric (20) vient, malgré la chaleur, 31° à l’atelier, me tenir compagnie un bon moment, cela fait un bien extrême et je lui en garde bien de la reconnaissance. La pauvre malade est d’une humeur instable par ce temps orageux. Je vais avant le dîner faire quelques emplettes : c’est à tomber, les gens sont tous plombés. Enfin l’orage ; nuit meilleure grâce aux bonnes bouffées d’air. Ce matin été à 8 h au square lire mon journal en respirant avec bonheur. Etat stationnaire chez la malade qui va s’affaiblissant.

Mardi 8 août 1899Eté dimanche après-midi voir les amis Ganderax à Saint-Germain-en-Laye. Je les rattrape au tramway et vais avec eux à Bougival chez les Gérôme (121) ; après-midi très reposante dans un décor admirable de verdure mais la réunion de ces jolies femmes est trop mondaine pour mon état d’esprit, je suis tout au plaisir matériel du changement de décor. Je reviens et mâche des cailloux à dîner avec la garde qui trouve la malade pas bien. Les nuits mauvaises, hallucinations. Je me crois malade et suis pris de terreur en pensant à ce qui arriverait pour la malade et la maison.Hier chez Robert (5) un moment avant le dîner, voir le portrait du pauvre Brissac. Etant nerveux, sur les conseils du docteur, je me décide à prendre du valérianate.Ce matin, lecture au square par une température possible ; état meilleur. Je vais aller aider au pansement de la pauvre maman ; ceci est le plus crevant et pourtant c’est là que je me sens le mieux. Je touche du doigt l’horrible.

Jeudi 10 août 1899C’est la noce de Cadette et je suis cloué ici en attendant le médecin. Je n’ai qu’un motif de distraction et peut être ne pourrais-je en profiter.Depuis lundi l’état de la malade est supportable, sans douleurs aigües et les nuits passables. Elle se plaint un peu par habitude.J’ai pris du valérianate qui m’a calmé les nerfs et je sors un peu ayant la garde toute la journée. Hier, bonne journée, la malade assez gaie après une crise sévère à 6 h

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du matin ; où je la trouve mal à l’aise dans ses draps souillés. Je ne m’y fais pas et cela m’a laissé terrifié une partie de la journée – que va dire le docteur ?Toujours les fidèles venus : Louise Hochon (26), Frédéric Montenard et Jolivet. Mme Montenard envoie un second paquet de linge, ce qui touche bien la chère malade : « Penser à moi en ce moment où elle est si occupée ! » dit-elle.Guillaume parti il y eu mardi huit jours et pas un mot !

Vendredi 11 août 1899Le docteur venu hier, très content. Il augmente la dose de cacodylate de soude qui parait avoir un bon effet curatif. Je n’ose me réjouir après tant d’alternatives mais au fond de moi, je sens une joie qui veut déborder.Louis Ganderax venu cet après-midi.

Samedi 12 août 1899Encore une bonne journée. Nous pouvons un moment transborder la malade de son lit au canapé juste le temps nécessaire pour refaire ce pauvre lit de misère tout déformé.Guillaume (4) venu le matin. Madame Durant (122) l’après-midi, elle apporte du linge et des œufs frais et puis quelques bonnes et affectueuses paroles, si précieuses pour moi.Sorti vers 5 h avec Frédéric (20), été jusqu’à la place du Théâtre Français prendre un verre en devisant. Que cela me semble bon et que cette vie normale pour les gens qui sont dehors, à leurs affaires, me semble une existence paradisiaque.Revenu dîner avec Madame Weber qui reste toute la journée depuis dimanche, cela aussi me semble bon.

Mardi 15 août 1899Je suis heureux, j’ai pu lui souhaiter tout bas sa fête en lui glissant un petit bouquet qu’elle m’a fait mettre ce soir dans une théière pour le garder, et sans doute en faire un souvenir. Cela indique de toutes autres idées que celles de ces temps derniers. Elle compte bien se remettre, et j’en serais assuré n’était l’appétit qui ne vient pas et même semble diminuer.Elle me parle du 15 août dernier où nous sommes allés en voiture revoir notre ancien quartier des Tournelles et de là dîner aux Champs-Elysées, puis le soir voir des jongleurs fameux aux Folies Marigny. « Qu’elle bonne soirée, me dit-elle, je n’avais pas de douleurs et, souviens toi, j’ai voulu marcher un peu avant de prendre la voiture pour le retour ». Hélas ! Il y a de mauvais jours plus que de bons, mais tout de même je suis heureux de me voir à cette date et d’avoir pu lui mettre sur le front quelques tendres baisers qu’elle me rend avec énergie et son bon sourire.Il faut que malgré la chaleur je me remette au travail, l’ennui me ronge.Hier Dugué (11) est venu. Oublié de mentionner deux petites parties de dominos faites au bord du lit.

Mercredi 16 août 1899Lecture des journaux au square le matin, selon la coutume. Toujours un temps lourd et chaud.

Jeudi 17 août 1899Hier après-midi elle s’est levée. On l’a soutenu et elle est allée jusqu’au canapé, y est demeurée 1 h ½ sans vertige, causant ou écoutant la correspondance des amis,

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que je corrige en la lui lisant. La garde en est toute étonnée : « quelle énergie, dit-elle, après un mois de lit je n’ai jamais vu de malade subir si bien l’épreuve de se lever ».J’ai repris mon aplomb et ai crayonné un peu hier dans l’atelier bien chaud. J’y ai de la difficulté. J’attends le docteur avec fierté comme un capitaine victorieux attend le général.

Samedi 19 août 1899Le docteur a été très satisfait et a arrêté tout médicament pour deux jours afin d’aider la malade à recouvrer l’appétit.Hier venu personne. Ce matin Madame Pauline Durant (122) avec des œufs frais et un papier de prunes. Elle vient me dire au revoir avant un voyage en Suisse.J’ai une peine extrême à me remettre au travail. Je me sens mal équilibré et désorienté, surtout devant le diplôme qui demande de la composition et du goût. Le temps chaud ajoute à la nonchalance et puis je suis obligé de surveiller et de distraire ma pauvre chérie. La mine est revenue pourtant et l’équilibre moral, je fredonne et je suis heureux. Robert (5), avant-hier, vient avec Schaus (58) qui est content de son petit tableau et me demande un autre semblable qu’il paiera le double.

Dimanche 20 août 1899Eté aujourd’hui à Saint-Germain-en-Laye déjeuner avec Louis (22). Visite après chez Madame Vallée (123). On parle beaucoup de ma malade et se réjouit du mieux. Au retour, je la trouve levée. Robert de Cuvillon (5) venu avant dîner.

Lundi 21 août 1899Journée satisfaisante pour la malade et pour le travail aujourd’hui repris un peu davantage. L’après-midi, visite de Gillou qui a son fils en répétition dans une institution de la rue. Au crépuscule, passé un bon moment avec Dawant (63).L’originalité nous est difficile parce que dans la nature notre intérêt est surtout éveillé par ce qui se rapproche des choses déjà exprimées par d’autres artistes. Il nous arrive de dire un nom devant un effet : c’est peut être cela qui fait que bien des peintres peu méditatifs vont demander à l’exotisme un semblant d’originalité. Les vrais restent dans leur ton et finissent par en tirer l’occasion de révéler leur poésie personnelle.

Mercredi 23 août 1899Hier journée incessante et de découragement, aujourd’hui un peu moins mauvais. Toujours des difficultés de nutrition, mais finies les insomnies. Fais un croquis pour le Diplôme un peu remis en haleine par la nature. Guillaume a envoyé ces jours-ci prendre des nouvelles par son domestique !Vendredi 25 août 1899Boulay venu hier, trouvé la maman bien. Elle a un peu dormi cette nuit. Toujours du dégoût pour la nourriture. Robert (5), retour d’Anvers, vient me voir vers 6 h, ce fidèle ami me fait passer un bon moment. Guillaume (4) venu hier un peu penaud, car je ne sais pas lui dissimuler que je le vois trop peu.Travaillé au Diplôme, je m’y remets. Dans la nuit de mercredi, encore des hallucinations. Le docteur me dit : « Travaillez, cela vaut mieux, puisque vous ne pouvez pas changer d’air ».

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J’ai été jeudi, en revenant du bazar de l’Hôtel de Ville, voir C… Elle demande des nouvelles de ma mère, après série de phrases idiotes.

Samedi 26 août 1899Eté au square lire l’affaire (Dreyfus). Agache (13) vient m’y relancer. Quelle bonne heure de causerie ! Victor vient l’après-midi. La maman qui s’est levée plutôt que rester au lit en me sentant pas à l’aise. Elle a mangé ce soir et un peu et semble avoir repris le cours du mieux. Une bonne lettre de Charles (8). Travaillé au Diplôme l’après-midi.

Mardi 29 août 1899Ce soir, bonne causerie au bord du lit de la malade que j’ai bien de la peine à remonter ces jours-ci. La souffrance a anéantie chez elle toute énergie ; elle dort peu et mange à peine ; elle semble résolue à vouloir s’en aller. Ce soir j’ai amené la conversation sur ce sujet dont elle ne sort guère. Elle m’a parlé de bibelots, souvenirs à donner à ses amis. J’y ai souscrit en lui disant que ce serait le plus tard possible, et je lui ai parlé du bonheur de vivre dès l’instant que l’on aime quelqu’un. Ses souvenirs ont été très loin, cherchant dans sa vie bien des circonstances que je me rappellerai, mais, a-t-elle ajouté, j’ai tout fait pour toi… mon petit je n’aurais pas voulu me séparer de lui – Et tu ne le regrettes pas à présent. Ses yeux se sont mouillés de douces larmes et nous nous sommes donnés un bien délicieux baiser. J’espère que la détresse que je lui ai laissé deviner, si elle partait, va l’aider à reprendre cette énergie si réelle jusqu’à ces derniers temps. Elle me dit aussi : tu es bon mais faible, et tu as trop facilement confiance. Je la rassure en lui faisant le tableau du présent. Oh ! Qui remplacerait une telle tendresse ?

Vendredi 1er septembre 1899Jour de joie ! Elle s’est levée presque seule et a été jusqu’à la fenêtre. Son humeur est meilleure et ses gestes plus faciles.Je me remets au Diplôme avec entrain, que c’est bon de travailler, quel baume à tout. Aujourd’hui bonne journée dans l’atelier avec Boudeville qui vient avec son esquisse.

Samedi 2 septembre 1899Travaillé au Diplôme. Ô cher travail, quel charme dans la vie ! La mienne en ce moment est celle d’un homme en prison, mais même le travail qui vous prend et la vie est bonne, et lui semble mon meilleur sans tous les affolants plaisirs mondains. J’écrivais l’an dernier, retour de Hollande, que je ne dînerais plus en ville. Je n’ai pas tenue ma promesse. Je la refais encore ayant double but à présent, ma mère et mon travail.

Dimanche 3 septembre 1899Partie de dominos avec la malade dans sa chambre. Travaillé au Diplôme.Lundi 4 septembre 1899Bonne journée de travail avec Boudeville dans l’atelier.

Mercredi 6 septembre 1899Travaillé au Diplôme. Impossible d’avoir des modèles. Ces dames sont toutes en villégiatures. Chaleur lourde de sirocco. La malade aujourd’hui d’assez bonne humeur, l’appétit toujours difficile. L’emploi de la somatose nous sauve pour le

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moment. Robert (5) venu fumer un cigare l’après-midi. La fidélité de ce bon ami ne se dément pas. Reçu un mot d’Albert Ballu (15). Je vais être forcé de renoncer aux travaux pour la galerie de la métallurgie de l’Exposition (Universelle de 1900). Il m’est impossible, avec ma mère malade, de songer à m’absenter.

Dimanche 10 septembre 1899Bonne causerie au bord du lit comme tous les soirs, après quoi je vais faire ma correspondance à moins que la chaleur ne me force à sortir. Travaillé ces jours-ci enfin avec modèles et tantôt à la mise au point du dessin du diplôme. Jour noir, pluie intense et cependant grande joie dans l’atelier où ma pauvre chérie vient passer un bon moment avec moi. Quelle joie ! Après avoir cru si souvent qu’elle ne le verrait plus, comment dire ce bonheur grandi de tout l’abime de tristesse au dessus duquel il s’épanouit. Dieu soit loué de me donner cette récompense à mes tourments. Il y avait un bouquet dans l’atelier pour célébrer ce jour.Cécile (88) venue hier avec Juliette (51), elles se regardent dans la glace. Guillaume (4)

venu ce matin ; nous parlons de la malade, du diplôme et de cette malheureuse affaire (Dreyfus) dont le verdict a été rendu hier soir.

Mardi 12 septembre 1899Hier et aujourd’hui, travaillé avec grand plaisir au Diplôme toute la journée. La maman, venue à l’atelier, admire mon travail ; elle marche avec peine. Le docteur venu ce matin prescrit de prendre l’air le plus possible. J’espère que nous irons d’ici peu au jardin de Nic (57) et ensuite, peut être, pourrons-nous changer d’air. Que toutes ces petites étapes vers le mieux font plaisir !Ce soir le bon Sciama (42) vient passer avec moi un bout de la soirée. Je vois combien il est heureux de me faire plaisir. Reçu dans la journée une corbeille de pêches magnifiques envoyée par Etienne (44) pour ma chère malade. Toutes ces amitiés me touchent au cœur et décuplent en moi la faculté d’aimer.

Mercredi 14 septembre 1899Crise de larmes aujourd’hui et démoralisation, qu’elle a de peine à prendre le dessus ! Elle est comme une personne tombée à l’eau et qui, après avoir nagé longtemps, à bout de forces, se résigne à se laisser couler. Sciama et Etienne, venus hier passer la soirée avec moi, je les accompagne ensuite un bout de chemin. Travaillé au Diplôme, je n’ai guère le temps convenable pour faire ce qu’il faudrait. Madame Louise Hochon (26) venue vers le soir me dissipe un peu la tristesse où m’avait mis la maman découragée, elle me dit que tous les convalescents sont ainsi. Louise Ganderax (124) venue vers trois heures, avant la crise, me trouve entrain de travailler avec plaisir.

Dimanche 17 septembre 1899Vendredi, travaillé au Diplôme avec Boudeville, ou plutôt je le regarde ; car je suis démoralisé et nerveux de voir la reculade de la convalescente.Samedi, meilleure journée, le docteur vient, reprise de l’arsenic, il revient ce matin faire une injection de sérum.Hier, été passé un bout de soirée avec Grandjean (38), après une bonne journée de travail. Malgré que je le trouve occupé, son accueil est si bon que m’attarde avec lui jusqu’à minuit.Dans la nuit, crise d’hémorroïdes. Bon réveil de la malade ce matin, qui mange avec plaisir une grosse part de brioche dans son café au lait. Sur son insistance, je me

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décide, après la visite du docteur, à aller à Saint-Germain-en-Laye déjeuner chez Madame Vallée (123) avec les Ganderax et Madame About. Les Duglé (11) venus après. Bonne flânerie dans les jardins où ma pensée somnole et vient ici. A si je pouvais y faire venir ma malade, qu’elle serait bien au bon soleil, sous les grands arbres ! Retour triste et plein d’appréhensions, je la retrouve levée et pâlotte et la décide à venir à l’atelier où nous faisons une parties de dames. Ce logis, après cette fugue dans le mode des « en bonne santé » me semble une prison et je tout ému de serrer sur mon cœur cette pauvre créature si faible et si déprimée par le mal. Je vois au retour, bien plus visiblement l’horreur de sa situation et de sa misère, et je m’en veux de m’être donné du plaisir. J’aime mieux les promenades solitaires d’où je reviens, ayant pensé à elle, pour être tout au seul bonheur de notre tendresse. Les distractions trop vives ne servent qu’à augmenter la douleur de l’habituelle vie.

Vendredi 22 septembre 1899Mauvaise semaine. Retour offensif des affreuses bulles et augmentation du dégoût pour la nourriture. Cependant ma chérie vient à l’atelier, vers le crépuscule tandis que l’on fait sa chambre et y fait même un ou deux tours à mon bras, puis s’assoupit sur mon épaule. Que de pensées tandis qu’elle repose ainsi sur moi, qui ne peut rien pour son mal que d’exagérer ma tendresse et lui faire désirer la vie pour le bonheur de s’aimer.Hier, porté le Diplôme auquel je travail encore toute la matinée. Au bureau on me dit que l’on veut bien le recevoir sous réserve de la décision du jury. Vont-ils me mettre hors concours pour trois heures de retard ? Je reviens par chez Dawant (63) pour me rasséréner, mais mécontent de ce contretemps. Faut-il avoir eu tant d’énergie pour ce travail et le voir aboutir si piètrement. J’y aurai du moins trouvé l’oubli de ma misère pendant quelques douces et rudes heures de travail.Au retour, la petite bonne si gentille me dit : « il y a une monsieur et une dame dans l’atelier ». J’entre sans précaution et réveille la maman qui s’assoupissait en face du garde malade. J’écris un mot à Picard (65), commissaire général de l’Exposition pour lui donner avec mes excuses, le motif de mon retard.Boudeville venu mercredi donner le coup de frais. Je lui donne cent francs d’acompte. Guillaumeron, jeudi matin, finit les lettres. Il refuse les honoraires et me demande un croquis. Je lui donne « la Renommée » figure de la gauche du Diplôme.

Dimanche 24 septembre 1899Bonne journée hier. Petite partie de dames dans l’atelier avec la maman qui s’endort sur mon épaule. Que de réflexion tandis que m’applique à ne pas remuer. Je me reporte à ces journées où je croyais bien quelle ne franchirait plus la porte de cet atelier, et je la chéris comme on pense chérir les chiens disparus, s’ils pouvaient nous revenir.Guillaume (4) vient vers 7 h. Elle veut le voir, petite crise de larmes puis bonne attitude ensuite. Guillaume lui parle très adroitement et la mène ensuite assez remontée à sa chambre, où elle mange comme un oiseau, mais avec un peu de goût. Grandjean (38) dans la soirée, je le reconduis, toujours heureux avec lui.Je quitte ma malade assez bien, malgré cette nouvelle poussée qui menace encore d’envahir tout. Cette nuit, bulles nouvelles et énormes. Quelle désespérante maladie !Eté voir les projets du Diplôme. Je m’attendais à des choses tout au moins de force sinon de goût et j’ai vu sans déplaisir mon projet à côté des autres. Il y a de bien belles choses dans celui de Besnard (118), mais il manque de cohésion et se disloque

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un peu. La figure de la République est aussi bien mièvre, néanmoins, il est le seul à craindre parmi mes rivaux.

Lundi 25 septembre 1899Journée bien pénible. La pauvre maman arrive dans l’atelier pour avoir une syncope. Elle refuse de se nourrir avec colère le soir, et nous dînons tristement. Elle ne met aucune énergie à lutter et rend bien difficile la situation. La garde se plaint de sa malade, la bonne se plaint aussi. Je réponds à la garde après ses jérémiades : « il n’y a ici que moi qui ne me plaigne pas, qui pourtant a un joli sac de soucis sur les épaules ».Eté dans la journée chez Flameng (59) où je rencontre Flora S… plus garce que jamais. Que ces gens sont heureux de n’avoir pas de cœur ! Flameng, très gentil, m’exprime ses regrets de n’avoir vu mon concours. A 7 h le fidèle Robert (5) vient pour un moment, j’en avais grand besoin, je me sens si las de ce drame !

Mardi 26 septembre 1899Matinée de détresse affreuse dans l’atelier où je sanglote éperdument, je suis à bout de nerfs. Au crépuscule ce soir, sa tête sur mon épaule, douce causerie où j’aborde le sujet qui me préoccupe. Je lui dis : « si tu me voyais bien malade, n’aimerais-tu pas penser à me voir guérir ». Elle répond avec véhémence « si tu avais mon mal, j’aimerais mieux te voir mort ». « Mais, lui dis-je, si je devais sortir de cette maladie sans infirmité tu aurais tort. Ah certes si l’on doit rester affligé toujours, il vaut mieux souhaiter la fin, mais sans cela le bonheur de revivre est une récompense des maux soufferts et des inquiétudes je crois et il double celui d’aimer qui est la raison de vivre, tu as raison nous devons tous finir, mais après notre vie si étroite uniquement le plus tard possible. Pour toi je suis devenu laborieux et honnête homme, tu es la cause de ma vaillance, retire de ton esprit tes vilaines idées, certes tu souffres et je souffre aussi de ta souffrance, mais aidons nous à la supporter pour nous en souvenir en des jours meilleurs qui verront notre tendresse ainsi grandir par l’épreuve ».Je lui ai parlé gravement avec tout mon cœur, et dans un baiser, elle m’a fait la promesse de vouloir vivre.Elle a repris ce soir du potage, et j’ai vu son sourire en lui envoyant de la main un baiser au moment de prendre congé d’elle pour la nuit.

Jeudi 28 septembre 1899Hier journée morne de pluie.. La malade, mieux, pour me faire plaisir, vient à l’atelier où elle sommeille sur mon épaule tandis que dans le crépuscule je me sens heureux de mon cher fardeau.Le bon Sciama (42) vient le soir, reste jusqu’à 11 h à deviser avec moi et me réconforte de tout son pouvoir. Que je lui ai de reconnaissance de venir ainsi me consoler, tandis qu’il est seul dans cette grande ville où toutes les distractions nocturnes reprennent avec la saison des théâtres. Le docteur n’a pas fait de piqures mais remonté le moral de la malade.

Vendredi 29 septembre 1899Eté chez Rebouleau convalescent après une maladie pareille à celle de la maman. J’en reviens assez content car il me semble assez remis et parmi les traitements et ordonnances qu’il a l’amabilité de me laisse compulser je retrouve à peu près la même chose que ce que l’on fait pour ma malade. La période de temps

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correspondant fait penser que nous touchons à la fin de nos misères. En effet, il a été pris le 4 mai. Elle le 4 juin. L’arsenic, le lait, les dépuratifs voila surtout les moyens saillants de son traitement mais je crois que ma pauvre malade a été touché beaucoup plus fortement que lui ; la largeur des bulles, leur côté interne etc…Pendant ce temps je manque la visite de Madame Durand. L’après-midi, dans le petit salon, sommeil sur mon épaule près du feu.Le matin été au Louvre voir les dessins de l’école flamande et hollandaise.Hier jugement du Diplôme qui contre toute attente ne donne pas à Besnard (118) le prix, mais à un jeune homme Camille Boignard (126), sans doute heureusement doué, mais dont l’exécution est vraiment insuffisante.

Dimanche 1er octobre 1899Quelle joie triomphante depuis ces trois mois chaque fois que j’aborde un nouveau mois, il me semblait tellement n’y arriver qu’avec le malheur. Bientôt l’hiver et avec lui un aspect des choses tout différent de l’été, comme ce changement se fait rapidement, malgré les heures longues. Il suffit d’une croisée fermée, d’une lampe qui n’incommode plus de sa chaleur pour que toute la période de la vie d’été soit comme effacée par la vision des habitudes des hivers passés, qui reviennent et s’accentuent.Hier le docteur vient de non matin, heure à laquelle la malade est toujours dolente, et sous l’influence de ses nerfs exagère les incidents de la nuit. Malgré cela bonne impression : « Je crois quelle guérira » dit-il.Journée bonne sur la chaise empire près du feu qui pétille et nous tient compagnie. La maman montre par instants une énergie nouvelle. Que je suis heureux près d’elle et quel plus doux métier que de la soigner et la distraire dès que l’espérance est là.Le soir chez Charles (8) vers 10 h passé. Causerie dans la fumée de tabac jusqu’à 1h ½. Je ne puis m’arracher à ce plaisir si reposant de laisser aller mes pensées près de lui, qui les attrape au vol et me les révèle en formules plus nettes ou agrémentées d’érudition quel qu’en soit le thème.

Lundi 2 octobre 1899La maman venue hier dans le petit salon est grise de coliques. Nous interrompons une partie de dominos et elle se remet au lit, mal à l’aise. Il pleut, le temps est de toute tristesse ; que cette journée fait mal ! Et de suite l’inquiétude renait, que va-t-il advenir ? Je passe la soirée à la maison et le matin anxieux, je vais la voir au réveil. Je ne puis laisser échapper un soupir de contentement en voyant que les coliques n’ont pas repris – un peu de froid sans doute – mais la malade nerveuse s’exaspère et raconte que sa nuit a été épouvantable, que je ne la plains pas, que son corps est couvert de bulles et j’ai bien du mal à la calmer, très énervé moi-même. « Cela ne peut durer, je me tuerai ». Fausse martyre ! Mais que dire à force de répéter les mêmes encouragements. Il faut, moi qui lui conseille la patience, que j’ai du sang froid pour la consoler, l’écouter et pour ne pas prendre trop à la lettre les plaintes qu’elle exagère dans des mouvements nerveux. Cela est évident, l’état général s’améliore mais l’envie grandit en même temps qu’elle reprend conscience de l’évolution de son état.

Mercredi 4 octobre 1899Le docteur hier a visité les plaies qui guérissent et s’est montré satisfait. Aujourd’hui reprise du cacodylate de soude que l’on va augmenter pour lui donner un dernier effort.

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La journée d’hier bonne. Le petit déjeuner pompeusement servi sur un plateau, salade de mâche qui la tente et dont on lui donne quelques feuillets qu’elle mange avec plaisir indiquent que le goût revient.Je la trouve dans le petit salon en revenant du Bois où j’ai fait un tour par un temps admirable. Causerie devant le feu qui pétille au crépuscule. Toilette des mains qui nous fait gagner du temps et elle prend son petit potage. Levée, c’est un pas. Bonne et touchante lettre à elle adressée ce matin par l’amie H. Durand pour l’aider à se remonter. Attention délicate d’une femme affectueuse et bonne. Guillaume (4) vient le tantôt et passe un bon moment avec nous dans le petit salon. Rencontré en chemin la Princesse Mathilde (79) avec laquelle je fais un bout de chemin et qui parait s’intéresser au récit que je lui fais de notre affreux été.Elle se plaint aussi de cet été où elle a eu beaucoup d’ennuis, mais ajoute-t-elle qu’est ce que ceux-là à côté de ceux de la santé.Et Dieu soit loué, voici ce cahier à sa dernière page, après tant de dates atteintes à grand peine, j’atteins aussi sa fin et sans avoir eu à le marquer d’une pierre noire. Cela me remet en bon courage et espoir et je remercie Dieu qui m’a pris en pitié et me permet d’en ouvrir un autre où j’aurai encore des heures passées avec ma chérie, et ce qu’il lui plaira qu’il advienne. Que sa volonté soit faite (126).

Vendredi 6 octobre 1899J’ai fini le cahier précédent en remerciant Dieu, en le remerciant encore j’ouvre celui-ci. Je ferme le précédent en paix ayant repris la vie intime et douce que je mène avec ma chère mère et mon travail.Hier, journée bonne, la malade un peu plus énergique fait quelques pas dans le petit salon, nous y jouons aux dominos et causons une bonne partie du temps qu’elle y passe. L’appétit toujours absent.Madame Bourdet (123), malgré une fluxion, vient un moment en passant à Paris. Dans l’après-midi, la comtesse Yvert (127) un peu après Louis (22), qui me renouvelle ses offres de service, toujours du même cœur.Plus tard Robert (5). Je décide la maman à le recevoir, elle y a du plaisir sans trop d’émotion, tout en remerciant ce brave ami de sa fidélité si touchante. La nuit a été assez bonne. Les petits gâteaux qui je lui ai apportés hier et aujourd’hui ont du succès. Lettre noire ce matin annonçant le décès de la pauvre Madame Leboucher que je cache jusqu’à nouvel ordre à la malade.

Samedi 7 octobre 1899Onze heures ! J’ai espéré Charles (8) toute la soirée et seul dans le petit salon, malgré la lecture, je ressens la tristesse m’envahir. Nous avons passé l’après-midi avec la pauvre chérie somnolente, et, malgré que je la sache à quelques pas, la solitude me semble grande. Tandis qu’elle se repose, je rythme sa respiration sur la mienne, je me serre sur son corps comme un lièvre transi, que de pensées alors ! Les bruits trop vifs de la rue me font souffrir jusqu’au fond de mon être en pensant qu’ils vont la réveiller et même quand on lui apporte cette nourriture si nécessaire, je prends ma part de dégout pour l’absorber. Billotte (17) vient un moment prendre des nouvelles.Eté à midi aux obsèques de Madame Leboucher, j’y vois les bons Durant (8). Je reviens par les boulevards au soleil qui me réchauffe et que je recherche, car il fait frais. Entré un moment chez Petit (128) voir les tableaux.

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Lundi 9 octobre 1899Hier matin le docteur vient et sur son avis nous nous promenons l’après-midi un instant dans l’atelier dont la fenêtre est ouverte. Même traitement aujourd’hui par la chère malade qui se sent plus solide. Elle revoit sa chère amie, Madame Nic (57), non sans émotion, mais émotion douce. Elle croyait ne jamais la revoir, cela la remet en confiance. Dérick vient un moment, de passage à Paris, aussi Laugrand, enfin Nic, le dernier est introduit chez la maman, mais juste le temps de lui tenir la main. Elle prend des nouvelles de Monsieur Straus (46), assez malade et je vois Charles (8), dont j’étais inquiet, ne recevant pas de nouvelles, je le trouve en sortant et je l’accompagne. En somme, deux bonnes journée pour la malade, cacodylate à haute dose aujourd’hui.

Mercredi 11 octobre 1899Journée moyenne, même traitement. Le matin, gentil réveil après une assez bonne nuit. Je suis resté à lire sous l’orage, bonne soirée.Que cela est doux : souvent elle me prend la tête dans ses mains, m’embrassant longuement et me dit : « Oh ! mon Edouard comme je t’aime ! » et ses yeux se mouillent, ses mains tremblent et je comprends tout ce qu’elle ne peut exprimer.Ce soir au bord du lit, je la recouvre et l’arrange en lui donnant sa tisane. Elle me dit avec un bon sourire : « tu me soignes comme une sœur aimée, mais moi je deviens vieille et je ne pourrais te rendre tous ces soirs ». C’est moi qui le les rends, bonne mère, tu en as déjà donnés.

Samedi 14 octobre 1899Lente continuation, du mieux. Hélas ! Il faudrait de l’air pour faire venir l’appétit et le climat se fait déjà rude. Nous faisons pourtant les cent pas dans l’atelier fenêtres ouvertes, et cela réussit dans le sens cherché mais effraye un peu la malade.Hier bonne journée, elle dîne à table et goûte à tout avec un certain plaisir. Elle me redemande ses clefs, quelle joie de les lui rendre à genoux avec un baiser.Aujourd’hui un peu de veulerie, je la secoue vers la fin du jour et elle retrouve, avec la volonté de me plaire, un peu d’énergie. Elle dîne à table avec succès, goûte à tout, mais de façon plus large. Mais que l’inaction commence à me peser ! Depuis que l’inquiétude s’évanouit, je pense à mes travaux et je voudrais bien m’y remettre, il le faudrait, et je le souhaite ardemment ; mais enfin je ne puis encore abandonner ma tâche : lui faire aimer la vie. Cela en vaut bien une autre.Mercredi soir, soirée de collégien en vacances au Théâtre Français : « Frou Frou » (129).Je me suis amusé de toute façon, surtout comme un prisonnier qui vient de rentrer dans le monde. Jeudi Agache (13) venu, la maman le reçoit. Le soir flânerie avec ce cher ami.Hier bonne soirée sous la lampe à relire Gringoire (130), sentiment de joie profonde, dans cette quiétude, avec la chérie pas loin de moi dans la maison qu’elle remplit.

Lundi 16 octobre 1899Toujours les après-midi employés à distraire la malade qui va mieux, dîne à table et dont ainsi le goût s’éveille. Je suis refroidi, Dieu sait où, par celle saison traîtresse, qui ressemble à celle de midi. Mal de gorge, nuit enfiévrée. Resté le soir à la maison près du feu.

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Mercredi 18 octobre 1899J’écris ce soir à Etienne (44) : merci des gâteries, merci de les avoir inventées. Journée excellente pour la malade qui a fait un réel progrès : elle a descendue l’escalier sans vertige.Puis comme je trouvais le temps âpre, on a renoncé à la promenade en voiture. J’ai préféré être patient que de risquer une complication. Je ne te dirai pas ses paroles quand je lui eu dit ta visite (celle de Etienne Ganderax), l’assurance des bonnes choses et les offres de ton amitié, parce qu’elle n’en a pas proféré ; mais elle a eu un bon sourire avec un regard en haut, comme les gens en extase… et j’ai très bien compris tout de même.Hier soir, été chez Madame Vallée pour un moment sans cérémonie avec Madame Bourdet de passage. Causerie sur la malade, ces souvenirs évoqués qui rendent lugubre et je le regrette à cause de la présence de Madame Vallée pas très solide. Revenu malgré le rhume à pied. Ce soir le rhume continue. Montenard (20) venu hier après-midi, voit la maman et trouve mille choses de cœur à lui dire, elle est émue et enchantée. Il me dit être étonné de la trouver comme elle est après un si rude assaut, c'est-à-dire si peu changée.

Vendredi 20 octobre 1899Quelle joie ! Elle vient de faire un petit tour en voiture au soleil. Après les hésitations de ces derniers jours, nous avons et à nous féliciter d’avoir attendu cette belle journée. Elle repose en ce moment dans l’atelier, près de moi et je suis si heureux !Hier, journée morose, les fumistes, l’atelier en désarroi.Brémard vient chercher sa tête, puis arrive Frédéric Montenard (20) heureux de me dire que le Jury de l’Exposition me reçoit quatre toiles. Il repart dans le Midi près des siens. Madame Duglé (11) et Suzanne débarquées à Paris avant-hier accourent. Enfin au crépuscule, Guillaume (4), qui me parle avec entrain de l’Exposition et est tout joyeux de son rôle, et aussi de m’annoncer que le Jury m’a donné une preuve d’estime.Je suis enrhumé, éreinté de parler dans l’atelier sans feu. Je vais avec bonheur près de la maman finir ma journée et me coucher de bonne heure.Cela me réussit et je cours en vain ce matin à la recherche des géraniums. Quand m’y remettrais-je vraiment ? Patience, il ne faut pas se plaindre puisque le principal va selon mes vœux, je veux dire la santé de la pauvre chérie.

Dimanche 22 octobre 1899Deux promenades encore par un temps à souhait, ce soleil d’automne plus doré que le reste de l’année. Cela réussit ; et le soir même la malade mange avec un sensible plaisir, après une après-midi dans l’atelier où elle travaille au crochet ; bonne journée. Dans la matinée, Dupont vient pour un moment ; l’après-midi, Flora que je reçois dans la salle à manger, au crépuscule Madame Nic tandis que je suis allé chez Sciama (42) prendre des nouvelles. Elles sont excellentes, il est encore étendu sur un canapé, mais n’a pas mal. Il parle peu de lui, mais avec cet entrain qui lui est habituel, me questionne sur ma malade et s’attendrit sur son sort, le brave cœur !Hier et aujourd’hui, travaillé à l’éventail pour Madame Varequigneux, cela va rapidement, et je me réjouis d’avoir accepté ce petit travail profitable et qui m’occupe quelques heures. Je suis bien heureux et mon atelier ma parait tout autre que cet été : je crois qu’avec ma chérie, j’y passerai encore de belles années à faire de la peinture. Pour le moment je triomphe ; j’ai réussi la seconde partie de mon œuvre : lui faire aimer la vie.

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Mercredi 25 octobre 1899Lundi dîné avec Robert de Cuvillon (5) au Calaut, cette petite débauche me réjouit comme un collégien en sortie, nous célébrons l’anniversaire de notre départ, l’un dernier pour la Hollande, et nous trinquons à nos rêves.Porté ce matin l’éventail chez Faucon.

Samedi 28 octobre 1899Toujours le damné rhume qui attaque la convalescente. Ce matin je vois son dos que veut me montrer triomphalement la garde : il n’y a plus que deux ou trois plaies insignifiantes. Mais elle a mal dormi et se désole quand je lui apporte son verre.En revenant avant-hier soir, je vois un aveugle saoul et agenouillé dans le brouillard, son cadre avec écriteau sur la poitrine. Il braille une chanson chauvine cependant que sa compagne grelottante est plaquée au mur derrière lui : c’est Hoffmanesque « Pourquoi le laisser boire » demande un passant, elle répond « c’est lui qui a l’argent, je ne peux pas l’empêcher ».Hier en revenant près du Parc Monceau, les feuilles tourbillonnent comme des flocons de neige autour d’une pauvresse. Elle est à contrejour de sorte que les feuilles semblent des pièces d’or qui l’environnent. C’est curieux par le soleil du matin.Toujours inactif, occupé seulement de ma pauvre malade, pas encore assez solide pour s’occuper d’elle-même ; après-midi de même, l’un devant l’autre, faisant les cent pas dans l’atelier, quelques parties de cartes. Mais aurais-je osé espérer cela il y a deux mois ! Hier après-midi les Dames Mathey (98) puis Madame Nic avec Daddy.

Dimanche 29 octobre 1899La maman qui désirait sortir est contrariée, le temps que je vais consulter semble ce mettre à la pluie, le vent s’élève. Il me parait plus prudent de rester au logis où nous tuons le temps comme nous pouvons et à l’habitude. Que tout cela est long ! Au crépuscule, Madame Hochon (26) vient un moment au débarqué. Elle ne trouve pas la maman trop changée. Sa présence est d’un grand secours pour décider la malade à prendre sa « somatose » qu’elle refusait avec énergie.Hier soir je vais chez Charles (8) à 10 ¼. Le temps est à la pluie et nous restons à deviser jusqu’à 1 h ½. Cela m’a fait grand plaisir, mais ce soir je me sens fatigué. Il ne faut plus prolonger trop tard ces délicieuses causeries dans la nuit. Nous parlons des peintres vraiment dignes de ce nom et des « illustrateurs ». Hélas ! Le peuple aime ces derniers, c’est un goût national. Les gens retiennent l’anecdote ou le mot qui transfigure. Il faut, disait Gérôme (121 à un de ses élèves qui lui apportait une esquisse présentant des vieux grognards accrochant des couronnes à la grille de la colonne, n’en mettre qu’un et appeler cela « le dernier ». Il faut toujours penser que l’étiquette d’un tableau peut s’égarer et que ce dernier est chargé de dire tout seul ce qu’il a à dire.Puis nous parlons de la justice et de la pitié ; cette pitié qui vous prend quand on considère l’humanité d’abord et surtout la société. Il me demande « combien sommes-nous à penser à cela sans cesse ? » Hélas ! Que nous sommes assez éloignés d’être ce que nous pourrions les uns envers les autres. Ces gens sans conscience qui vivent sur tous et exploitent les naïfs. Cette « dame » chic qui traine sa robe dans la boue, cette robe non payée et pour laquelle une couturière a pâli. Oh, misère ! La dureté du cœur de bien des riches vient de ce qu’ils ne connaissent pas les pauvres. Ceux la qui mettent en règle leur conscience avec quelques

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annonces penseraient davantage à l’injustice du sort et seraient attristés s’ils savaient, et il leur deviendrait insupportable de se savoir si riches par le seul esprit de justice. La justice c’est la bonté.

Mardi 31 octobre 1899Encore un mois qui finit. Il me semble que je suis un condamné qui voit avec bonheur fuir le temps.La pauvre malade hier, avec des bulles dans la bouche, parlé difficilement. Elle reçoit cependant avec plaisir la visite de Madame Durant (122), bien affectueuse. Etat général bon néanmoins.Je vais le soir chez Charles (8) pour prendre des nouvelles de son fils, indisposé samedi. Il ne va pas plus mal et nous causons. Je m’étais promis de ne pas le déranger et je reste, séduit, charmé. La conversation roule sur les colonies, il m’explique que les Anglais colonisent puis fortifient, nous fortifions des pays sans colons ; il en résulte que pour protéger le commerce de quelques nationaux qui rapporte 300.000 francs, nous en dépensons 150.000 et des hommes. L’Algérie nous coûte 60 millions, Madagascar est dans les mêmes proportions ; c’est un joli luxe. Il me parle ensuite et, à ce propos de Napoléon, qu’il me montre bien plus mené par le courant des événements et de l’atmosphère révolutionnaire qu’il n’ parait d’abord. Je lui objecte qu’il a été empereur et que cela devait bien diminuer l’antagonisme avec les trônes. Les idées cependant faisaient leur chemin. C’est le duel de la vieille Europe contre une France neuve et qui gêne. Je vais me plonger dans Thiers (131) et lire le « Consulat ».Nous nous consolons en parlant de notre cher pays en songeant qu’une minorité respectable a été émue jusqu’à la détresse pour un homme (le Capitaine Alfred Dreyfus) injustement condamné et qu’elle ne connaissait même pas : c'est-à-dire pour une idée de justice, en cela la France, dans quelque temps piégée à ce propos, semblera digne de ses belles et généreuses traditions.

Jeudi 2 novembre 1899Mauvaise journée hier. Abattement, cette gorge qui se serre ! Retour aux idées noires. Je vais me secouer le soir sur les Boulevards où je rencontre Bourgonnier (132)

fort heureusement. Nous parlons peinture et évoquons des souvenirs d’atelier.Aujourd’hui le docteur vient : piqure de sérum. Je retrouve la malade sensiblement rieuse en revenant avant dîner. Elle dîne rieuse, toujours bien peu, avec plaisir et déguste des fruits que Salanson lui a apporté en venant nous dire bonsoir.Au cimetière l’après-midi, j’évoque les chers disparus et suis ému près de leur tombe et heureux aussi, en pensant à nos terreurs de cet été et, qu’à cette date qui me semblait si lointaine et devoir être complètement triste, je vais rentrer au logis et trouver à embrasser le cher visage de ma mère. Oh ! L’horrible solitude entrevue, j’ai encore à aimer et à adorer cette pauvre chère créature si éprouvée et que sa souffrance m’a rendue plus chère encore. Je renais en même temps qu’elle.Au retour quelle joie ! Le mieux se maintient. Je reste le soir : d’abord pour lui donner en temps utile sa tisane avec du valérianate et aussi pour ne rien donner de ce jour à une destruction profane En toute assurance, j’appelle et j’évoque mon père, certain qu’il trouverait que je remplis mon devoir le mieux qu’il m’est possible Il a rempli le sien envers moi avec quelle tendresse ! et m’a appris aussi à faire le mien. Il m’est doux d’associer l’idée que je lui obéis à celle que je soulage ma chérie et lui rend ses jours moins mauvais, et je m’en vais avec ma lampe tout attendri et heureux quand elle me dit : « Bonne nuit, mon adoré »

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Lundi 6 Novembre 1899Deux bonnes journées avec promenade au Bois. Hier par un temps radieux, nous allons jusqu’au petit bois de sapins, et elle fait une petite promenade avec station au bienfaisant soleil. Cela l’anime et un léger flot rose monte à ses pauvres joues. Aujourd’hui, temps gris, mais très doux. Marche plus longue sous les sapins derrière le Jardin d’Acclimatation.Etienne (44) est venu hier à la nuit tombée avec un pot de chrysanthèmes superbes qui réjouissent la maman ; Nic (57) vient peu après et ces visites agréables nous conduisent au dîner, toujours bien maigres.Aujourd’hui pourtant il y a un progrès, elle va en faire encore sans doute, surtout grâce à la suppression momentanée de l’arsenic. Dans l’après-midi, Madame Durant (123) arrive chargée d’excellent vieux vin, de poires et de pommes. La maman heureuse est bien touchée, et nous trouvons à notre amie une belle mine de retour de campagne. J’admire à présent les belles mines. A la promenade, nous avons rencontré les Straus (46), et nous nous sommes félicités avec Madame Straus de nos pauvres convalescents enfin sortis de leurs chambres. Que toutes ces petites étapes vers le mieux sont douces. C’est comme un réveil par degrés, après un cauchemar, toutes les choses des habituelles vies nous révèlent ce qu’elles contiennent de bonheur.

Mercredi 8 novembre 1899Impossible à cause de la pluie de continuer les promenades. Etat assez bon cependant. Le goût semble un peu revenir, sinon l’appétit. Hier envoi de chrysanthèmes magnifiques du cher Etienne (44) qui extasie la maman. La maison est un parterre. C’est aussi le bon génie qui m’aide à rendre douce cette convalescence.Le soir chez Charles (8) où je trouve Albert Ballu (15); ils font leurs vérifications africaines pendant que je fume. Retour avec Albert qui me reparle du fameux travail pour l’Exposition Universelle. Je n’ose promettre de m’absenter, au moins de suite, et ce soir je reçois un mot de cet ami empressé qui me dit que c’est chose faite, avec prix et dimensions et même date de départ pour dans dix jours.Que j’aimerai faire ce travail et rentrer ainsi dans le fort de la vie active !Ce matin, les obsèques de la pauvre Madame Quiquard. Où est donc le bonheur ? Les Brissac aussi refrappés. Que de chagrin, de souffrance partout !En même temps que la lettre de Ballu (15), j’en reçois une à 6 h ½ du docteur pour prévenir qu’il ne viendra pas ce matin à 10 h !

Vendredi 10 novembre 1899Elle est en ce moment à la promenade et je suis resté pour attendre les dames de Calan (133) pour le portrait. Le temps est noir, hier il était plus sec et l’air vif a donné à la malade une impérieuse envie de dormir dès le retour. Après son somme d’une heure, elle était bien et sa mine se teintait d’embrun de rose. Bonne nuit, le sommeil revient. Il semble aussi que les piqures de sérum ont un bon effet. Sans sa pauvre bouche, elle serait dans un état tout à fait satisfaisant ; car le goût aussi revient.Le soir chez les amis Durant (8), où je me retrouve avec joie après tant de misères. Il en est ainsi de toutes les choses retrouvées ; elles me sont l’occasion de me réjouir.Par le dessin j’entrevois qu’il me sera possible d’aller quelques jours dans l’est pour les travaux que m’a si amicalement réservés l’ami Albert Ballu. J’en suis tout heureux

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et ce sera une belle reprise et complète de la vie : travail, profit et cela avec ma chérie dont j’assurerai le confort.

Dimanche 12 novembre 1899Vendredi Madame Albert Ballu (15) est venue pour voir la maman et surtout pour me décider à partir le plus tôt possible au sujet des travaux que m’a fait avoir Albert. Pour le même motif et chapitré par Albert, Charles (8) est venu hier soir. Que d’amitiés dans ses procédés ! Il trouve un homme décidé et s’en réjouit ; Ma pauvre chérie a compris quel serait mon bonheur et sans trop de doléances m’a laissé libre et je pars mardi. Ce soir je reviens de chez Madame Théodore Ballu (134) où j’ai vu toute la famille et causé avec Albert de ce voyage d’études.Journée excellente du reste. La malade trotte, sort en voiture avec la garde, car Pascal m’aide à accrocher et changer de place les tableaux. Elle reçoit après un peu d’hésitation indolente les gentils amis Sciama (42) et s’en félicité ensuite. Je vais dire au revoir à Robert (5) et reviens pour faire une partie de crapette. Nic arrive, nouvelle causerie qui nous fait gagner l’heure du dîner. Elle vient à table et en route cueille un chrysanthème sur le merveilleux arbuste de qui a envoyé Etienne Ganderax (44). Je suis intrigué, pourquoi cueille-t-elle cette belle fleur, elle si jalouse de ses arbustes ? A table, je trouve un petit paquet : un volume, cadeau de fête, qui m’attendrit, ma pauvre chose se croit le 12 octobre et me souhaite ma fête. Hélas et tant mieux, nous sommes plus vieux d’un mois. Mais ce qui est une véritable fête c’est de la voir manger avec un peu d’appétit et de bonne humeur. Elle a réellement ce soir fait un petit repas et elle a tout le temps son bon sourire.Je suis parti le cœur plein de joie et d’espérance et cela ma parait inconcevable. Je sens que je vais me remettre au travail avec double joie.

Dimanche 19 novembre 1899Ce soir retour de Longwy (135), où j’ai eu un surmenage terrible, ayant à trouver ma composition dans un intervalle de temps bien réduit. Parti mardi matin, j’ai eu la possibilité de me rendre compte de certaines choses dans l’après-midi, mais que l’amabilité des gens ayant la vie calme de province complique donc les choses. Directeurs et sous-directeurs chacun a voulu me montrer ce qu’il avait de « plus beau », et je sentais finir le temps sans pouvoir me fixer à rien. Enfin je reviens avec des éléments coordonnés à grand peine et à la grâce de Dieu. Le bonheur de retrouver le nid bien chaud et plein de tendresse est incomparable. Bien des fois j’ai eu, dans les longs crépuscules de Longwy, des idées noires et toujours les mêmes, tout s’apaise dès que je rentre au logis et que de mes deux bras liés je fais un collier à ma pauvre malade, qui incline sa tête sur mon front tandis que nous échangeons un baiser.

Mardi 21 novembre 1899Moins bonne mine aujourd’hui, un peu lasse et découragée, ma pauvre malade cependant vient dans son petit décor de convalescente qui change mon atelier en chambre de malade. Il va falloir se résoudre à lui rendre sa véritable destination. J’ai déjà crayonné les premiers éléments des esquisses du travail pour la métallurgie. Que cela sera captivant si la santé de ma chère revient et que je puisse m’y adonner en toute liberté d’esprit.

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Dimanche 26 novembre 1899Cette semaine de retour a été remplie par le travail des esquisses : c’est toujours la même chose, on croit tenir avec les premiers coups de crayon puis on se met à fouiller et ça n’en finit plus.Si au moins j’avais l’esprit en repos, mais hélas ! La malade n’a pas été bien cette semaine, toujours des bulles dans la bouche, aux jambes. Il serait pourtant nécessaire que rien ne nous gênât pour manger et pour prendre un peu d’exercice. Et puis la garde s’en va, la petite bonne va avoir un bébé. Quelle complication de cette vie déjà si rude.Nous en avons passé de pire, et tout ce qui est matériel ne me parait plus rien, après les inquiétudes de cet été. La maison est pleine de fleurs et de gâteries de toutes sortes apportées par les amis. Grande consolation déjà de ce côté, ils sont tous revenus et cela est réchauffant de se savoir près d’eux.Aujourd’hui journée morne pour ma chérie, très dolente et découragée, on me dit que je la gâte, ce n’est pourtant pas le moment de la négliger.Hier causerie chez Charles (8) avec Albert (15), naturellement on va se coucher à deux heures du matin. Vendredi soir chez les Nic.La décadence de l’art vient peut être de la trop faible compréhension des contemporains. On est forcément naïf et consciencieux devant des gens qui ne nous entendent pas à demi mot. Je pensais à cela à Longwy (135) parmi les gens que je voyais, je pensais aussi dans mes rapides voyages aux mines que pour faire une chose d’art il fallait se tenir à une vision, à un côté de la chose et y soumettre le reste. L’absolu dans une vision préférée.Par exemple faute de temps je n’ai pu que noter le caractère de certains motifs que j’ai choisis et à cause de cela peut être les ferais-je saillir davantage. Si j’avais pu les copier à loisir je risquais de les abâtardir mais il y a cela une mesure et on peut se documenter en détail.Adam nu dans un panneau, et en pendant, un mécanicien presque nu au milieu du colossal déploiement des forces mécaniques.

Mardi 28 novembre 1899C’est encore une poussée qui se produit et malheureusement elle s’en prend aux pieds et à la bouche de la malade, qui aurait tant besoin d’exercice et de facilité de manger. Mélancolie ce soir devant ce mal qui s’acharne et une pauvre chère créature. L’horrible huguenote qui la garde me dit ce soir avec le visage que prennent ces gens-là qu’elle a plus de chagrin que moi de la voir ainsi. Et elle nous plante là. Nous en trouverons bien la doublure.C’est aussi la petite bonne qui va aller accoucher et avec cela ce travail pressé ! Travail que je bénis ; il assure le bien être de ma chérie et mon indépendance et il va me forcer à fixer mon attention et me distrait de tant de pensées toujours prêtes à revenir.J’ai couru toute la journée après une garde introuvable et n’ai rapporté que des petits gâteaux qui ont du succès. A 5 h Robert (5) vient, le pauvre ami a des ennuis aussi. Madame Nic vient aussi. Hier, été chez Guillaume (4) le matin.

Vendredi 1er décembre 1899Encore un premier, celui du dernier mois de l’année. J’ai dit ce soir à la garde qui nous quitte : ah ! Madame si l’on m’avait dit en août dernier que vous seriez encore

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ici en décembre ». Et que cela est triste pourtant une maladie si longue ! Tous ces jours ci mauvais ; la pauvre malade fort découragée et inhabile à tout, très affaiblie.Un peu de mieux aujourd’hui ; cependant elle n’a pas voulu recevoir si ce n’est Madame Nic (57) venue vers 6 h avec Paddy, que la maman nourrit d’un gâteau qu’elle va chercher elle-même.A travers cela, j’ai passé mon temps à courir après garde malade et bonnes, et les esquisses n’avancent guère. Du reste, hier et aujourd’hui temps de brouillard qui ne m’a pas permis de peindre.Le brave Laugrand, que j’hospitalise dans mon atelier, où il retouche un petit tableau, me tient compagnie toute l’après-midi ; Agache (13) vient un bon moment au crépuscule.Eté ce matin chez Dawant (63) chercher les vieilles culottes en velours. Ce soir j’ai donné quelques francs de plus à la garde et la maman me gronde doucement : « Tu dépenses tant d’argent pour moi ». Et je lui dis, comme je le pense, combien je suis heureux d’être à même d’en dépenser pour qu’elle ne manque de rien.

Dimanche 3 décembre 1899Meilleure journée aujourd’hui : le goût renait. Mais, hélas ! Ces cruelles bulles reviennent encore : le dos est bien endommagé, si la bouche va mieux. Hier tristesse. Charles (8) vient le soir. Le cher ami ! Et nous allons jusque chez Albert (15)

où nous passons une bonne soirée à voir ses dessins de Timgad (136).Les esquisses avancent doucement mais avec certitude. Modèle hier pour les mouvements. Très tôt cette après-midi et Laugrand occupant l’atelier, j’ai été jusqu’à un chantier près de l’Arc de Triomphe prendre des mouvements d’ouvriers qui font des terrassements. Journée superbe. Je rencontre Oulemont qui approuve le traitement. Au retour causerie, Albert Ballu (15) vient à l’atelier voir les esquisses et me fait modifier la perspective de « la coulée ». Le reste est approuvé grandement. Avant le dîner, crapette avec la chérie assez bien.

Mardi 5 décembre 1899Journée lamentable pour la pauvre malade qui se traine à peine et souffre de nouvelles bulles. Reprise du cacodylate que l’on porte à haute dose.Les soucis d’intérieur calmés momentanément. Garde nouvelle et bonne trouvée. Les esquisses avancent à travers des dérangements de toutes sortes et par ces vilains jours courts on n’a pas le temps de se mettre en haleine que la nuit arrive. Eté hier au service de la fille de Costeau, plein de monde, c’était marrant.Aujourd’hui, avant dîner, je vois de la lumière chez Robert (5) et je ne résiste pas à monter fumer une cigarette avec le bon ami. J’aime ce gentil atelier, propre avec ses bibelots bien ordonnés. Une atmosphère de fumeur. On sent le chez soi d’un homme heureux chez lui. Frédéric (20) venu le matin, sa première question en voyant une esquisse a été de me demander le prix de mon travail. J’ai écrit à M. Aubé que j’étais bien fier d’avoir pour l’édifier rien qu’avec mes notes et croquaillons ramassés cinq jours. Je n’ai pas ajouté dans quelles circonstances pénibles je travaille de peur de le mettre en défiance.J’ai dit tantôt à la pauvre chérie « je t’aime bien va ». « Trop » me répond elle. Je ne dois pas lui taire ma tendresse, je suis certain que cela seul lui donne l’énergie de lutter. Aussi, lui ai-je répliqué « Je ne t’aime pas trop, mais je n’aime que toi ».

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Jeudi 7 décembre 1899Journée noire de toute façon. Ce soir, la pauvre malade pousse des cris, tandis qu’avec la garde, je l’aide à se remettre au lit.Des visites ont coupé, sans les chasser, mes pensées bien tristes. M. Aubé vient au crépuscule et naturellement ne peut se rendre compte de ce qu’il y a de tracé. Il parait satisfait et ne me parle guère que de changements de mesure.

Samedi 9 décembre 1899Journée humide. La pauvre martyre tout à fait à bas ne cesse de gémir ; elle ne se lève point pour déjeuner et se couche avant le dîner.J’ébauche ma grande esquisse. J’ai à peine commencé que la garde vient me quérir « Madame n’est pas raisonnable, elle s’arrache ». J’accours et je la trouve en sang, en proie à une sorte de crise nerveuse et disant des paroles de désespérée ; je la calme à grand peine, après avoir aidé à la remuer, ce qui ne se fait pas sans qu’elle pousse des cris qui me bouleversent et je retourne à mon esquisse. Comment ai-je pu peindre et qu’ai-je fait ? Pourrais-je entreprendre et achever ce travail ? Je suis secoué de mille pensées plus tristes les unes que les autres. J’aurais tant d’entrain à la besogne si la santé revenait. Car c’est pour elle que je travaille surtout et chaque effort m’est doux qui contribue à son bien être. M. de Calan (133) venu hier me remercier et payer le portrait, tandis que Madame Nic fait visite. La malade ne veut voir personne. Ce serait une fatigue du reste. Je vais chez les Nic le soir. Le soir, je reste dans le grand atelier, si grand le soir avec sa solitude, et où je m’habitue à vivre seul !

Jeudi 14 décembre 1899Journée de détresse. Hallucination la nuit, impossibilité de travailler. Voir souffrir cette pauvre femme qui perd courage et se désole de ne pas voir la fin de ses maux !Je vais dimanche soir chez les Albert Ballu (15), lundi chez Charles (8) qui à l’attention de revenir exprès de chez des amis, où il dîne, pour me tenir compagnie ; néanmoins inquiet je rentre de bonne heure. Hier chez les Nic (57). Mardi je suis resté sous la lampe dans la salle à manger à cause du froid et de la solitude.Repris un peu aujourd’hui la grande esquisse. Comment puis-je peindre et que fais-je de bon ?Le moral de la malade meilleur, aussi je suis resté ce soir, par fatigue et crainte de tomber sur des compagnies trop joyeuses chez les Durant ou chez Madame Hochon (26). Je vais me coucher de bonne heure pour être lever tôt demain. Le docteur Leruble doit venir avec Boulay. Que va-t-il trouver ?

Vendredi 15 décembre 1899Journée mouvementée et fatigante. Beaucoup de visites. Madame Durant (122), Agache (13), Madame Tournier puis Cécile Dubufe (88) et Juliette (51), et Madame de Lassus, Robert de Cuvillon (5).Consultation à 11 h. Le docteur trouve la peau en bon état et change le traitement  : moelle osseuse, qui a bien réussi à Saint-Louis en différents cas. Je cours chez le chimiste dont l’adresse est fausse, et je la trouve à la poste grâce à l’annuaire du téléphone. En route je trouve une petite tasse décorée très commode pour faire boire une malade alitée. Mon déjeuner à 1 h ½ mais j’ai les renseignements pour administrer le médicament.

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La malade lasse et extrêmement nerveuse ; ce soir elle est plus tranquille et moi aussi, car j’ai enfin obtenu qu’elle consente à avoir une veilleuse, je tremblais pour le feu avec ses pauvres mains débiles.

Samedi 16 décembre 1899Journée un peu meilleure. Travaillé à l’esquisse de « la coulée » par un jour détestable. Montenard (20) venu au crépuscule. Ecrit à Guillaume (4) un mot d’affectueux reproche.

Dimanche 17 décembre 1899Journée meilleure, surtout moralement ; nous commençons le traitement. Je réussis même un moment à faire rire la malade et elle a souvent son bon sourire. A la nuit, Charles (8) vient puis Robert (5) puis Guillaume (4). Bon moment. Guillaume s’est trouvé avec Robert, tous deux m’encouragent devant mes esquisses qui leur plaisent et m’exhortent à ne pas lâcher. C’est facile à dire. Quelle semaine ! Et s’il fallait terminer dans ces conditions. Nous parlons de ce malheureux Laugrand à bout de ressource et de défaite si difficile ! Robert parle d’une cotisation. Bien ! Mais après ?Je parlais à Charles de la pause-garçon. Quelle imprévoyance, me dit-il, huit enfants !Il est bien vrai que c’est déjà cruel de penser qu’en engendrant on livre à la douleur et à la mort une victime, mais encore on ne lui peut assurer l’existence matérielle…Guillaume est charmant, il me dit : « Ta lettre m’a donné des remords ». Le moyen de gronder ?

Lundi 18 décembre 1899Travaillé ce matin avec modèle. Journée fatigante après une nuit coupée, comme depuis quelque temps, par une visite à la malade. Elle est plus enjouée et on a pu la lever un moment pour refaire le lit.Elle commence à se buter pour prendre ses médicaments. Eté chez Straus (46) pour savoir comment l’administrer dans de la levure de bière. De là chez Madame Laudron pour prendre des nouvelles de son petit Pierre. Elle nous envoie vers le soir son fils cadet porteur de veilleuses et de compote.Madame Nic (57) venue, elle dit à la malade que ces maladies là sont longues et durent fréquemment deux ans. Je l’aurais battue ! Quelle gaffeuse.Etienne venu le matin à la fin de la séance. Robert Demachy (113) au crépuscule. Tout cela alterné de démarches, soucis, etc… Je suis fourbu, mais plus content et quiet d’esprit ce soir, reprenant espoir. Et je songe auprès de mon poêle qui ronfle, avec ma pipe qui fume que, sauf les inquiétudes, cette vie chez soi, pour soi, avec son travail, et quelques amis choisis est la vraie. Le monde ne me manque pas ni me m’effraie : c’est le vide avec du bruit, c’est la source des vanités et les soucis qu’elles comportent. C’est le clinquant de l’existence.

Vendredi 22 décembre 1899Journée un peu meilleure. Commencé le panneau de « L’entrée de la mine » mercredi. Ce soir la malade a refusé avec colère de prendre cette affreuse moelle. Je n’ai pas eu le courage de l’y contraindre. Elle a un peu dîné et je viens de lui tenir compagnie jusqu’à 10 h passées. Je n’irai pas au théâtre où m’attend Etienne (44), étant las et ayant un modèle demain.

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Vendredi 29 décembre 1899J’ai été si découragé que je n’ai pas pu prendre une seule note. Entrée de la nouvelle garde mardi. Mercredi matin, elle tarde à venir, modèle, je perds patience ; la pauvre malade ayant souffert d’une indigestion jusqu’à 2 h du matin et dans ses gémissements implorant la fin de ses souffrances.Etat plutôt meilleur depuis trois jours, elle se lève une heure. Aujourd’hui, point.Beaucoup avancé cependant les croquis et fusiné en grand « Le mineur ». Je ne sais comment j’arrive à faire quelque chose. Je suis comme un coureur qui va, poussé par les épaules, et qui, de temps en temps, s’arrête et demeure étonné du chemin parcouru.Les preuves d’amitié et les cadeaux abondent ; Louise Ganderax (124) apporte une belle gentille boîte pour les pilules ; Madame Durant, un panier de fruits superbes et une théière verseuse, plus une boîte de cigares pour moi ; Madame Dupont Dubonbourg.Etienne, grippé, que je vais voir ce matin, me donne une énorme boîte de pastilles de sucre d’orge et me fourni deux billets de banque de cinq cent francs pour le tournant de l’année : « Maintenant, me dit-il avec son fin sourire, que tu as une grosse commande et que je suis sûr d’être remboursé ! ». Agache (13) venu tantôt tailler une belle bavette. Hier soir, bonne soirée chez Albert Ballu (15), où je vais vers 10 h, avec Charles (8) que j’y trouve. La bonne surprise ! et la Raty.Je reste ce soir à fusiner et retourner une esquisse, je me coucherai de bonne heure pour faire une moyenne avec hier et jouir de mon second matelas que l’on m’a rapporté.

Saint-Sylvestre, Dimanche 31 décembre 1899On s’accoutume à la solitude. Les soirs où la malade est mieux, j’ai du plaisir à rester à l’atelier, à lire, travailler, rêver, l’heure passe comme par enchantement. Le monde, auquel on s’accoutume aussi, devient de plus en plus fastidieux, on y va par routine, par désœuvrement, parce que l’on n’a rien d’autre en train, par nécessité de politesse. On ne s’y repose pas quand bien même on ne s’y ennuierait pas, il est rare que l’on en retire quelque chose autre que des relations qui étendent encore le cercle et vous mènent au surmenage.J’ai quitté tout à l’heure ma chère maman après un petit bout de causerie. Elle me confesse qu’elle ne croyait pas atteindre l’an prochain et à son humeur très enjouée, je devine qu’elle est réconfortée par cette constatation. Vienne la réelle convalescence et elle aura, avec l’énergie qu’elle a encore en réserve, vite oublié les maux passés et reconquis sa vie habituelle.Je suis bien heureux de cet état moral si différent de celui qu’elle avait au mois de septembre. Il y a certainement espoir de guérison, l’énergie s’en suivra.Tandis qu’elle était levée l’autre soir, je lui ai montré pour la distraire les croquis déjà faits pour mes travaux, elle a adorée avec cette joie fière qu’elle montre à tous mes travaux : « Je voudrais bien voir tout cela à l’exposition » a-t-elle ajouté, puis une pensée triste a fait monter des larmes à ses yeux. Le désir de vivre est certainement revenu, et que d’efforts elle a du faire pour cela et combien de fois pensé à son fils.Pauvre chère créature, elle est aussi ma raison de vivre, ma force, ma vertu, tout et je termine cette année en remerciant Dieu de tout mon cœur puisqu’il ne me l’a pas reprise, et qu’il permet que je mette ma joie à tâcher de mériter sa bonté, en rendant heureuse ma vieille mère, ce qui me sera plus doux que jamais, après tant d’épreuves.

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Mardi 2 janvier 1900Hier journée calme. La malade, le moral très bon, passe les quelques moments qu’elle est levée près des fleurs et cadeaux qui la ravissent et l’amusent. Louis (22)

vient, elle le reçoit et en est heureuse. Elle fait bonne impression à cet excellent ami.Aujourd’hui croquis du « fondeur » par un temps propice, c'est-à-dire noir.La malade refuse opiniâtrement de se lever. Après le dîner, la petite bonne arrive effarée : « Monsieur venez vite » et je trouve la pauvre maman qui manque d’étouffer par ces malheureuses bulles qu’elle a au palais et dans la gorge. Hélas que sont courts les moments de répit.Eté hier seulement à l’heure du déjeuner chez Guillaume (4), le soir chez M. Gounod (137) où je trouve tous les enfants et parents réunis.

Lundi 8 janvier 1900Une affreuse bulle dans la gorge nous a encore consternés, à cela près le mieux est sensible dans l’ensemble.Ce soir un peu d’inquiétude dans l’atelier après une journée mouvementée. Fusiné « le fondeur », mis hier au carreau. A 1h ¼ arrive Madame L… pour le portrait, je ne peux même fumer une cigarette. Elle part au crépuscule et successivement la sonnette n’arrête pas : la nièce Weber, Saint-X… qui vient s’entendre pour les travaux, Scherer le modèle, enfin François Flameng (59), qui passe un bon moment avec moi.La nuit est venue quand je me résous à aller à Neuilly chez le photographe. Joies des tramways qui ne vont pas, je reviens à pied fort ennuyé, n’ayant rien trouvé chez le photographe et en retard pour coucher la malade qui est de belle humeur. Enfin ce soir je suis tranquille, après lui avoir fait une orangeade qu’elle trouve exquise mais je suis las et paresseux à écrire ces lignes et vais me coucher de bonne heure.Noter toute fois combien ce travail, qui me préoccupe fait diversion à nos tristes pensées. Une fois attelé, je tire, et je finis par m’intéresser à ce que je fais. Ô cher travail, baume souverain ! M. Aubé venu vendredi s’est montré satisfait, mais il sera, je crois, nécessaire que je retourne un peu là-bas, dès que la malade ira mieux et que la constance des jours clairs me le permettra.

Mercredi 10 janvier 1900Boulay venu ce matin. On supprime l’affreuse moelle qui donnait la diarrhée et anémiait ainsi la malade. Pourquoi la martyriser encore avec ces sales drogues qui ne produisent d’autre effet que de fatiguer et dégoûter. Au moins elle est plus tranquille ainsi et peut être qu’avec des soins, pansements, etc la maladie suivra son cours descendant et sera moins cruelle à ce corps moins fatigué.Mauvais impression hier soir qui me fait envoyer une dépêche au docteur (Boulay) ; impossibilité de rester à l’atelier avec les pensées qui m’assiègent, je vais un moment après le dîner au 9 d’où je reviens avec Agache (13).Dernière séance tantôt de la grisaille de Madame de Réals (133). Eté dès la séance finie, pour un bon moment avec Etienne (44) grippé, j’en reviens avec deux flacons de muscat qui régale la chérie, hélas que de son lit. Causerie où elle me fend le cœur : « Il faut t’y attendre, me dit-elle, tu voyageras, tu te marieras ou non, tu suivras ta destinée. Il ne faudra pas avoir de chagrin, j’ai assez souffert ». « Hélas ! Lui dis-je, comment veux tu que je ne sois pas triste, nous sommes si bons amis ! ». Je ne puis lui cacher mes larmes et elles font naître les siennes. Quel baiser, si bon, si cruel !

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Heureusement je suis plus heureux après et lui démontre qu’elle a été déjà convalescente et le sera encore et que nous serons heureux en nous aimant.N’importe, pauvre chère créature, je devine où vont ses pensées constantes et que sans les amours maternels, elle aurait déjà dès longtemps perdu toute énergie.« Donne-moi ta bonne figure » et elle m’embrasse de tout son cœur. Ah tristesse affreuse, mon Dieu conservez la moi encore, je tacherais de la mériter ».

Vendredi 12 janvier 1900Journées moyennes grâce au traitement modifié. Travaillé hier au petit « fondeur » préparé pour peindre, plus l’esquisse au fusain de « l’entrée de la mine » modifiée. Comme je m’apprête à aller le soir chez les Durant, Charles (8) arrive ; je reste. Bonne causerie auprès du poêle qui s’éteint. J’avais bien besoin de cela pour modifier l’aspect et l’atmosphère de mon atelier si vide, si grand le soir !Tantôt Agache (13) vient, puis Louis Ganderax (22) qui, lorsque nous demeurons seuls, me renouvelle ses offres de service, il a sur lui mille francs, c’est bientôt le terme et il est venu pour cela. Que ne me dit-il pas pour forcer ma résistance ? et avec quelle délicatesse. Je lui promets de m’adresser à lui en cas de besoin, ce qui est probable.Boulay aussi me traite en ami et quand je lui parle d’honoraires, il me dit qu’il n’a rien écrit. J’en parle à ma chérie pour la consoler et lui démontrer combien nous étions soutenus par de telles amitiés.Je préside ce soir, comme d’habitude, au pansement de ses pauvres mains, hélas, il y a six doigts sur dix avec de ces affreuses bulles. Elle met ses lunettes et gère tout cela avec énergie. La tête lui tourne un peu à la fois. Elle se couche dès qu’elle a pris son potage.

Dimanche 14 janvier 1900Hier journée assez bonne Dans la journée étude peinte du « fondeur ». Le soir chez les bons Durant.Aujourd’hui passable.

Vendredi 19 janvier 1900Quelque fois je me dis : pourquoi noter les étapes de cet horrible calvaire et le cœur me manque pour prendre la plume. Il y aurait tant à dire si l’on notait son cœur dans les tristes et vides soirées du grand atelier. Hélas !Commencé hier à peindre « le fondeur », emploi du blanc à la cire sur cette toile non préparée, je crains du morne. On pourra toujours vernir.Aujourd’hui Alfred Agache et Louis Ganderax, au crépuscule. Causerie ensuite, bien maigre, mais donc sur le canapé près de la maman.Reprise de la moelle osseuse.Hier soir chez Albert Ballu (15), j’y joins Charles (8) ; bonne soirée.

Samedi 20 janvier 1900Travaillé aux croquis avec modèle par un temps noir Eté ensuite voir ma malade qui est comme une torpeur dans son lit. Ses sourcils paraissent très foncés dans le blanc des oreilles, et sa bouche se contracte ou s’entrouvre, les yeux sont clos Sauf la respiration qui soulève le drap, la vision serait terrible et je la ressens. Elle consent à se lever, je l’y aide, cela l’encourage, la voilà devant le feu sur le canapé. Je lui rappelle l’Italie et ses chansons, sa langue si douce. Est-ce que Madame parle l’italien, demande Madame Baret (138)? Certes et très bien. Et de propos en propos, je lui rappelle un air que je fredonne, et elle le chante avec moi. La petite bonne en

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demeure bouche bée. C’est ainsi, pendant quelques chansons, elle s’applique et gentiment réussit à nous charmer. Nous applaudissons, elle s’anime, un peu de rose monte à ses joues, le bon moment ! Notons-le vite ; ils sont si rares. En tout cas cela montre quelle vitalité elle peut recéler quand elle le veut et cela est bien consolant.Sorti ce soir pour aller chez les Nic (57). Porte close, je reviens en faisant un tour et en fumant un bon cigare avec Carolus-Duran (8).

Lundi 29 janvier 1900Que mon art est captivant ! Malgré des alertes, sans cesse renaissant, j’ai travaillé.J’ai des matinées ou des après-midi où je suis brisé, anéanti en voyant ma malade plus mal, un peu de mieux survient, elle sourit et je reprends ma tâche avec joie.Elle me disait l’autre soir : « Edouard, je te fais mes recommandations, tu voyageras, tu iras en Allemagne, en Hollande dans ces pays que tu aimes. Eh bien ! Si tu as du chagrin, promets-moi de ne pas boire, car on boit dans ces pays ! ». « Oh, non, lui ai-je dit, j’ai pris l’habitude du travail, je sais qu’il est le baume souverain, soit tranquille ma chérie ».Elle disait à la garde, à un moment meilleur, j’aimerais pourtant passer encore quelques années avec mon fils. Quel ressort, quelle énergie. Ce petit cliquètement d’un œil qu’elle me fait sachant me réjouir. Hélas ! Ce soir est bien sombre. Elle a eu une syncope en se levant et s’endort fatiguée et n’ayant pris ce soir qu’un peu de lait.Charles est venu hier me faire charité de sa soirée, et nous avons devisé près du poêle, tandis que la neige fondue tourbillonnait au dehors. A minuit, après avoir été m’assurer de l’état de ma chérie, je lui ai fait un bout de conduite.Travaillé ces jours-ci au « mineur ». J’ai renoncé à me faire aider par Saint-Blancat, qui avait l’air de tout corriger et ne sait rien. Il faisait des opérations à la craie sur le portrait de Heulot ; qui ne respecte pas le travail des autres, ne respecte pas le sien.Jeudi Aubé venu avec son frère a paru content de la besogne faite. Il a vu « le fondeur » fini, « le mineur » tracé, « la mine couverte tracée, « la côte rouge » fusinée.

Mercredi 31 janvier 1900Deux jours abominables. L’affaiblissement est notable, on ne l’a pas levé. Toujours la bouche très abimée. Le docteur vient ce matin, elle pousse des cris déchirants tandis qu’on la tourne pour lui montrer une plaie très large au dos et qui s’envenime un peu.Je ne peux travailler et rôde chez les voisins, puis vais chez Guillaume Dubufe (8). Au retour, Louis Ganderax (22) venu sans me trouver revient. Puis Nic (57), puis Madame Hochon (26) et sa fille. Ce matin Zazette (139) meurt.

Lundi 5 février 1900Mieux notable depuis 48 heures. Aujourd’hui elle s’est levée un moment, et fait bonne contenance, chantonne. Je me remets aussi au beau. Que les misères sont vite loin !Hier modèle pour le grand panneau, travaillé au dit panneau aujourd’hui, il est terminé sauf une figure. Je serre le tracé, c’est le même ou ce genre de travail, surtout en crainte des jours de défaillance morale. Quand tout est terminé et mis sur ses aplombs et valeur, on est porté par la toile.

Dimanche 11 février 1900Bonne semaine, le mieux s’installe, je suis d’aplomb et ai tracé et mis au point le panneau de « la coulée » dans ma semaine.

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Mardi 20 février 1900Grippé depuis le 12. Impossibilité de travailler. Nuits de fièvre. Ennui énorme devant le panneau et le travail s’arrête !Essayé de reprendre hier. Le médecin, ce matin, me conseille de rester encore un peu lit. La maman, toujours pas mal quant à la peau, mais bien grande faiblesse, énervement aussi par ce temps de tempête.

Vendredi 23 février 1900Fin de la grippe. Travaillé hier à « la côte rouge », encore dolent et dégoût du tabac. La maman dont la faiblesse s’accentue. Quelles pensées ! Quelles soirées au coin du feu dans ma chambre avec la fièvre.Tantôt la garde vient me trouver, la ma man a rejeté ses aliments, elle refuse énergiquement de se lever. Où allons-bous, et ce grand travail qui n’avance pas !Etienne (44) venu tantôt nous ravitailler de vin de muscat, il sort aussi de la grippe. Au crépuscule, Agache (13) qui me consacre une bonne heure de causerie. Cela me fait grand bien et plaisir ; car l’humeur de la malade est mauvaise aussi, elle me renvoie et me traite de bourreau et de tyran. Pauvre chère âme toute annihilée par tant de souffrance !

Dimanche 25 février 1900Hier repris le grand panneau ; encore du mal à me remettre au travail, tête qui tourne et puis ces sacrées réflexions devant tout ce labeur qui prend figure. Verra-t-elle jamais cela ? Je travaille attendri, envoyant des baisers à son portrait (140) et la trouve levée au crépuscule. Elle m’annonce qu’elle se sent plus forte, qu’elle veut venir le lendemain à l’atelier voir les travaux. Me voila rendu à la joie, à la joie !Elle y est venue. J’avais tout préparé. On l’a conduite à son fauteuil au bout du corridor et delà on a roulé le fauteuil jusque dans l’atelier. Quel bon moment, quel triomphe, elle a vu les travaux, m’a félicité, embrassé et a fait très fière contenance. Ah ! Si le mal cessait, que d’énergie encore chez cette vaillante femme.Elle répétait « je suis dans l’atelier, dans le grand atelier ». Elle a aimé les figures des mineur et fondeur peintes.De là, reconduite par étapes, doucement, jusqu’à sa chambre et mise dans son dodo. Elle était toute réjouie et contente, et emportait un petit bouquet de violettes que j’avais été quérir. Je ne faisais pas trop bonne figure dans la rue.Frédéric Montenard (20) venu au crépuscule ; il me parle de projets pour la Gare de Lyon. Puis Robert de Cuvillon (5), je ne puis leur cacher ma joie.Quelle bonne journée !

Mardi 27 février 1900Deux bonnes journées de travail, la grippe disparait lentement et le côté nerf est seul encore débile. Le docteur me prescrit du réconfortant. Le meilleur est le soir avec ma chérie qui ne va pas plus mal.Travaillé à « la côte rouge ». Alfred Agache (13) vient au crépuscule et nous causons dans la nuit qui grandit. Cela me fait du bien et grand plaisir, car que je ne sors pas encore.

Vendredi 2 mars 1900Sorti ce matin pour aller chercher les tableaux pour l’exposition (de la Société Nationale des Beaux-Arts de Paris). Fini du premier coup « la côte rouge ». A revoir

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dans le calme ; je me mettrais demain à « la coulée ». La malade toujours faible mais pas plus mal. Venus Madame Bourdet (80), Agache (13) et Jacques Martin Le Recq.

Samedi 3 mars 1900La maman a passé une mauvaise nuit avec toux et quinte. Le docteur Boulay, qui ne trouve rien de grave, recommande la prudence et la laisser alitée ; par crainte d’une congestion pulmonaire, il ordonne des calmants, codéine et laurier, que je lui donne ce soir dans de la tisane.Commencé « la coulée » aujourd’hui.

Samedi 10 mars 1900« La coulée » finie jeudi soir. Retouches légères le vendredi à « la côte rouge ». Aujourd’hui commencé « l’entrée de la mine ». Madame Hochon (26) est venue le 5 passer la soirée avec moi ; la malade, qui va mieux, ces petits dîners sans être bien plus gros sont pris de meilleure grâce. Grandjean, de retour, venu avant le dîner

Dimanche 11 mars 1900Mal travaillé, problèmes de digestion. Je sors avant dîner et je rencontre Albert Ballu (15), nous causons sous un balcon. La chérie dîne d’une bouchée à la reine et d’une moitié de gâteau que je lui ai été cherché ; je n’ai pris qu’un bouillon et vais tenter de me coucher de bonne heure.

Lundi 12 mars 1900Le matin été chez Gaston La Touche (48) lui porter les échantillons décoratifs de l’orne mauriste pour qu’il face la figure type. Bonne causerie et petit tour dans son joli jardin (141). Il me fait hommage d’une aquarelle monochrome que j’ai trouvé belle.Après-midi travail à « l’entrée de la mine », sans trop souffrir de douleurs, grâce une friction de Madame Baret (138).La pauvre chérie, un peu découragée, toutefois état stationnaire ; on la lève, mais elle a hâte de se recoucher dès son lit fait. Son découragement et mon état de santé me donnent un peu de tristesse.

Samedi 17 mars 1900Semaine de mal aise et de rhumatisme dans le bras. Nuits de fièvre. Aujourd’hui, remis au travail, mieux. La maman assez bien, quant à son mal, la faiblesse est grande. Ce soir elle dîne de bon cœur, tousse et rend son dîner. Voila la seconde fois que ce produit cet incident qui parait mineur. Je suis tout décontenancé et reste au logis, crainte d’accident au lieu d’aller chez Charles comme je me l’étais promis. Sorti ce matin aux provisions, je rencontre Etienne Ganderax (44), chargé de fleurs, qui venait et je le ramène.J’ai décliné l’offre de Madame Mazerolle (142). Je suis trop fatigué et veut me garder libre cet été pour ma chérie.

Mercredi 21 mars 1900Des alternatives de bien et de mal. Le mal se sont ces irritations soudaines de la gorge qui lui donnent des râles et lui font rejeter ses aliments. Je suis à son dîner, le soir, près de son lit, à suivre avec anxiété chaque gorgée ou bouchée et c’est un soulagement de tout mon être quand les choses vont normalement. Ce soir, succès.Journée agréable du reste : je déjeune chez les Dumaine où me conduit Etienne pour des portraits, de là nous allons faire une visite aux Sciama (42). Et de là je vais à

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un rendez-vous chez les Guillaume Dubufe (4) pour juger du panneau accroché dans la Taverne de l’Aquarium. J’en profite pour me joindre à un petit nombre d’amis venus pour assister à une répétition du « Bonhomme ». Très plaisante la petite salle et le spectacle est plein d’entrain et étonnant de machinerie Il y a une scène du bal des Quat’z’Arts qui est à ce que l’on s’y croie tant c’est étudié et réel.Revenu près de ma chérie vers 5 h ½, je la trouve levée, pour bien peu de temps.

Vendredi 23 mars 1900Hier journée heureuse. La maman est venue, trainée dans le fauteuil, à l’atelier, voir les panneaux finis ! Sa tête nerveuse à l’arrivée, bientôt calmée. Les couleurs reviennent et elle admire et est heureuse. Elle dîne bien et le soir quand je l’embrasse me dit : « Quelle bonne journée ! ». De mon travail, elle me dit : « Comme c’est compris ! ». Je vais le soir, un instant, chez Frédéric Montenard (20), où je retrouve des amis.Hélas ! Aujourd’hui encore une maudite crise de cette sorte de coqueluche produite sans doute par des bulles dans l’arrière-gorge. Cela la fatigue et au moment de la toilette du soir elle a froid et elle rêve toute éveillée, on la laisse en repos et on termine la toilette. Elle dit qu’elle ne dînera pas, et je demeure seul avec elle assoupie dans cette chambre qui a déjà vu tant d’inquiétude et de souffrances. Comme l’aspect des choses change vite, tout devient lugubre et cette chère tête là-bas sur l’oreiller semble immobilisée.Puis nouveau changement, elle se réveille, je vais près d’elle pour présider à son petit repas. Elle avale un potage et demande un… beignet ? Il avait été question d’en faire, mais nous avions ensuite, en voyant son état, décidé que non.Elle repose tranquille à présent, réconfortée et remontée et même m’a fait quand je l’ai quittée son petit clignement d’œil qu’elle sait me réjouir.Je ne puis m’habituer à voir tout cela avec sang-froid. Je devrais pourtant bien à présent connaitre la malade.Une petite révision et les panneaux sont faits. Aubé venu ce matin me dit  : « je ne croyais pas que ce serait aussi bien ».

Mardi 27 mars 1900Bonne journée où la forme semble renaître, et puis tantôt une affreuse crise de bulles dans la gorge nous démoralise.

Elle voulait, ce matin, venir me surprendre tantôt à l’atelier. Oh ! Quelle aurait été bonne la surprise !Samedi, lundi et aujourd’hui, travaillé aux croquis pour « la Bannière » avec Andrée (143). Samedi chez Albert Ballu (15), où j’espérais trouver Charles (8).Hier reçu un télégramme du bien cher Robert de Cuvillon, le pauvre ami a perdu son père. Comme je comprends son chagrin. Couru chez lui pour avoir son adresse en province, de là bout de soirée chez Montenard (20), causerie et petite visite à l’atelier au sujet de nos figures.

Dimanche 1er avril 1900Hélas ! Encore une alerte. La semaine a bien mal fini avec la gorge malade. Le docteur, venu vendredi, acquis à mon idée de reprendre de l’arsenic pour déloger les bulles de la gorge. Mieux depuis hier. Vendredi commencé « les bannières ». Charles vient hier soir. Oh ! La bonne soirée près du poêle ! Louis Ganderax vient

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tantôt apporter des fonds, je devais lui écrire à ce sujet, mais quand il s’agit d’obliger, il est impatient. Quels amis j’ai !Le pauvre Robert vient avant dîner, ma mère veut le voir, il s’en montre tout ému et touché et elle est heureuse de lui témoigner de l’amitié. Le pauvre ami, à travers les obsèques de son père, a songé à envoyer du raisin à ma malade. M. R… a envoyé un beau panier de camélias.

Lundi 2 avril 1900Journée un peu meilleure, le docteur venu ce matin. Fini de tracé la deuxième bannière. Elle s’est levée un peu.

Dimanche 8 avril 1900Pauvre chérie ! Comme tous mes travaux l’intéressent. Après une matinée mauvaise, son repas pris seulement à 3 h, elle s’est levée et a voulu venir à l’atelier voir « les bannières » finies. Il lui a fallu bien de l’énergie pour cela et elle a marché jusqu’à la salle à manger d’où on l’a voituré dans son fauteuil à l’atelier. Que j’étais heureux de l’y voir. Elle y est restée une bonne demi-heure, très lucide et regardant avec intelligence mes travaux qu’elle a trouvé naturellement admirables. Cela l’avait réjouie et enchantée. Nous avons parlé de nos projets de campagne et elle a depuis bon espoir m’autorisant à fumer une cigarette à ses côtés. Quel bon moment.Hélas ! Pourquoi avons-nous encore une crise qui lui fait rendre son dîner ! Elle était de si belle humeur. Pauvre créature, toujours des souffrances.Ce soir, au moment où je la quitte après mon petit service elle me dit : « Tu sais n’oublies pas de la signer, signe la tout de suite ». Je l’ai signée et je suis retourné lui dire que c’était fait. Merci, m’a-t-elle dit. Avant dîner, au crépuscule, été fumer une pipe avec le pauvre Robert (5).Hier soir brillante soirée aux Pastellistes (111) où je revois bien des visages amis, musique, toilette. Cela manque de chaise et l’on s’assoit sur les cimaises devant les pastels.

Samedi 14 avril 1900La semaine s’est passée cahin-caha en allant vers le mieux. Le docteur a fait hier une longue visite à la malade la morigénant de ne pas se lever assez volontiers. Cela suite de quoi, elle s’est levée et a fait quelques pas dans la chambre, me poussant presque tant elle y mettait d’énergie. Ah ! Si le mal cessait, comme il y a encore de l’étoffe !Charles (8) vient hier soir, après dîner au moment où je me disposais à aller chez lui. Soirée de flânerie sur les boulevards.Aujourd’hui nous sommes allés ensemble à l’inauguration de l’Exposition Universelle qui n’est guère prête. Mais les grands aspects sont lisibles et la Seine avec sa rive de pacotille est très réjouissante. Le grand pont avec le nouveau palais (145) est très réussi. Nous sommes entrés dans un théâtre du « Vieux Paris » (146) où nous avons entendu… les Espagnols. Nous revenons dans un coupé de maître qui maraude et Charles me charge d’un magnifique bouquet de violettes pour la maman, près de laquelle je passe un bon moment après dîner, la remerciant de m’avoir conseillé cette promenade et lui en disant les merveilles.Les panneaux de Longwy sont partis lundi, j’ai fait ouf quand je les vu accrochés dans l’établissement, qui se compose encore de planches, l’encombrement était effroyable. Mardi, j’ai porté roulés ceux de l’exposition centennale et j’ai eu les compliments d’Hermant (147).

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Jeudi 19 avril 1900La petite chaise longue Empire est rétablie près du poêle et la pauvre chérie y est venue s’y installer non sans défaillance, mais cependant en faisant un bon bout de route à mon bras. Mais hélas ! le soir un retour de cette contraction de la gorge et voila notre dîner perdu et elle tousse.

Samedi 21 avril 1900Par une journée admirable, la première de la saison, je reviens à l’atelier qui serait terne sans travaux en train, si la petite chaise longue ne s’y étalait. Je rentre dès quatre heures malgré mon envie de rôder plus longtemps dans cette exposition incomplète, déjà intéressante, pour mon bien cher devoir de soutenir ma chérie dans sa marche d’enfant et au besoin la voiturer dans son fauteuil.Elle est lasse, nerveuse et frileuse à l’idée d’un effort, cela réconforte, elle vient enfin. Je lui lis un acte de Marion qui parait la ravir, elle est fatiguée à la fin et pâle et nous la ramenons vite à la chambre faite et aérée. Hélas ! elle est à peine au lit qu’elle a une crise qui la rompt. Et son découragement renait. Ah ! si elle ne faisait tant d’effort pour répondre à mes soins où en serions-nous ? Il est bien nécessaire que je sois près d’elle. Elle se repose après ce dur moment et je rôde, flâne, désœuvré dans le grand atelier où j’ai passé cet infernal été, qui renait, et cet hiver de souci, de détresse, mais aussi des journées vouées au travail, baume souverain, meilleur que tout.

Mercredi 25 avril 1900Mon pauvre père est mort voilà aujourd’hui vingt ans ! Vingt ans j’ai reçu de la vie la meilleure avec ma mère adorée. Hélas ! cela est-il fini ? Cette semaine a été jusqu’ici la suite de l’autre : mauvaise. Elle est lasse, abattue et a eu encore de ces maudites crises. Elle ne veut pas que je parte. Oh ! non je ne la quitterai pas, ces gens la soigneraient si mal ! et puis je crois que son moral est trop faible en ce moment. Mais quel regret ! ce panneau pour PLM (Paris Lyon Méditerranée) que M. Toudoire (148), l’architecte m’a changé complaisamment plusieurs fois pour aboutir, après Briançon ou Le Puy, à la Grande Chartreuse. J’aimerais pourtant y aller chercher le fond d’un beau panneau. La quiétude et un bain d’oxygène ! Mon doux devoir me retient ici, et je suis très heureux d’avoir à le remplir. Commencé hier un pastel du petit Henri, le fils du docteur Boulay… pour me reposer. Quel repos !… c’est pourtant mieux encore que l’ennui dans l’atelier.

Vendredi 27 avril 1900Quelle admirable femme. Elle vient de me faire un petit clignement d’œil qu’elle sait me rendre heureux, quand je lui dis bonsoir et pourtant quelle journée de tristesse et de malaise ! Je rentre de course avec des branches de cerisier et de pommier fleuris, elle ne leur donne pas cet air d’admiration qu’elle a pour toute fleur. Elle ne s’est pas levée et est toute dolente. Je la ranime un peu et elle est assez bien à l’heure de son mince dîner qu’elle absorbe et rend aussitôt. Je vais dîner navré, et ce soir, elle sourit et me fait un visage aimable.

Mercredi 2 mai 1900Du mieux depuis deux jours, les repas plus faciles : on a cessé hier temporairement la moelle. Lundi, elle était nerveuse et pleurait à l’idée du repas. Je l’ai, non sans peine, décidé en lui recommandant d’avaler doucement ; ce moyen a réussi.

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J’ai cessé la séance du petit Henri Boulay lundi, je pataugeais.Eté hier à l’Exposition pour ses satanées peintures de la métallurgie qu’on arrive jamais à accrocher. Au retour, je prends le trottoir roulant et, pensant la visite présidentielle terminée, me dirige sur le palais des Beaux-arts où je pénètre.Je rôde avec joie dans ses salles si bien arrangées et découvre bientôt mon panneau qui ne me fait pas une désagréable impression (149). Je suis content de ma place. Est-ce parce que je n’ai vu que de la camelote depuis quelque temps. Après une tournée sérieuse devant les autres aurais-je eu même satisfaction. C’est douteux.Je retourne aujourd’hui, l’impression est déjà moins bonne. Que de belles choses du reste, surtout à la centennale. Un petit Henner (150) visiblement inspiré du Corrège… délicieux. A de telles expositions on se réjouit de la collection des talents, les petites jalousies s’effondrent et on remarque surtout les qualités de ses rivaux. Eté hier soir un moment chez Dubufe (4) où je rencontre beaucoup trop de monde.

Mercredi 16 mai 1900Rien écrit ces jours-ci : répétition de toutes nos misères de la gorge, accidents fréquents à l’heure des repas. Quelle anxiété quand je la vois tousser en mangeant. Nous avons cessé la moelle qui lui fatiguait les intestins sans agir de façon visible. Du moins elle est moins tourmentée.Elle ne s’est pas levée aujourd’hui. Elle me remercie de cela comme d’un présent.Elle sourit entre les heures mauvaises et hier chantait plusieurs phrases.Entre temps, cherché l’esquisse PLM. En ce moment je suis à Aix-les-Bains… du moins j’ai dans ma poche un permis de circulation. Quel dommage !

Mercredi 23 mai 1900Des alternatives à travers une faiblesse qui augmente. Il semble que le goût revienne un peu. Nuit mouvementée avec des désolations de la patiente à mon sujet. « Que tu es bon » me dit-elle chaque fois.Causerie avec le docteur sur l’impossibilité d’enrayer ce mal, nous projetons une nouvelle visite du docteur Leruble.A l’Exposition souvent dans la journée dès que la chaleur n’est pas encore venue. Que de choses à noter ! que d’ingéniosité dans tout ce carnaval d’architecture ! Souvent aussi à l’exposition de Longwy qui va d’un train de tortue, mais nous en sortons. Aujourd’hui, signé les panneaux. L’esquisse PLM sèche depuis longtemps, je vais la soumettre ces jours-ci. Eté de ci delà le soir, couché tard.D’une lettre que je réponds ce soit à Mlle Stella Hervieu (151), je détache cette réflexion : « vous me parlez encore de nos cérémonies, du lyrique Victor Hugo qui doit être bien difficile pour les étrangers et du moins lyrique Zola qui doit les dégoûter. Je me demande comment on peut le traduire et si on se sert des mêmes termes où il semble se complaire. Cet homme étonnant et puissant manie les foules comme Wagner semble manier l’atmosphère, mais voyez-vous d’ici l’orchestre s’attardant au moment ou la symphonie monte et s’épanouit, à faire des bruits inconvenants et imitant ce que la nature a de plus bas ? Zola me fait cet effet là. Avez-vous lu le livre d’un peintre qui a été le premier à remettre en question la psychologie et qui s’appelle Fromentin (110) ? Oh ! le joli livre ! Et pour vous qui admirez la description de paysage, quel régal ! Je vous l’enverrai si vous le désirez et ne le trouverez pas chez votre libraire. Eh bien, chère Mademoiselle, vous voyez que j’ai « confiance » et que je vous réponds sur votre ton. Après tout, même si vous vos moquiez de moi, vous ne pourrez pas me reprendre le moment de ma vie où j’ai

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eu le plaisir de me confier à vous. Je réponds à vos « chants de crépuscule » puisque je les ai évoqués et je me laisse aller près d’un être qui est mystérieux pour moi et ainsi dépasse en quelque façon tous ceux que je connais puisque je puis le modifier selon mon idéal. Comme vous dites si bien : « ce qu’on ne prononce pas se devine », je vois aussi à l’heure crépusculaire ce qu’on n’aperçoit pas.Et le résumé de nos deux réflexions c’est que l’art qui la résume c’est la musique : elle est sans paroles et ne peut prendre corps, c’est l’art futur, j’en ai peur. J’en ai peur parce que je suis peintre et que pour le moment c’est encore mon art préféré. C’est le baume souverain à toutes mes misères, à la condition que je puisse m’y adonner absolument et j’ai souvent des jours où ce me serait impossible en quittant le chevet de ma pauvre malade ».

Samedi 26 mai 1900Hier consultation de Leruble. Il trouve l’état grave mais non désespéré. La peau mieux mais sa crainte comme celle de Boulay, comme la mienne, est la cachexie. L’important est d’alimenter la malade. Le devoir que je me suis tracé d’y aider est donc plus impérieux que jamais, et je crois avoir déjà obtenu beaucoup dans ce sens.Hier soir, elle me tend avec un murmure ses pauvres lèvres malades, elle m’embrasse, mais avec quelle expression de détresse ! Avant-hier dès la fin du déjeuner, pris avec assez de goût malgré une bulle au palais, elle semble s’étrangler : c’est cette bulle devenue subitement grosse comme la langue qui l’étouffe ; je la perce, elle reprend ses esprits et ne rejette cependant pas ses aliments. Quelle horrible maladie !

Mardi 29 mai 1900Toujours grande faiblesse et même crainte. Ce soir encore, rejet des aliments. Elle s’est levée pourtant tantôt et a fait bravement quelque pas.Samedi soir chez Charles (8). Nous restons à causer dans le fauteuil.Aubé venu ce matin me parler de me régler. Son ton me fait entendre que j’ai été mou en ne les aidant pas à censurer le projet d’Albert Ballu (15) ! C’est là me récompenser de m’être tant occupé de leur installation ! Aubé du reste m’avait donné rendez-vous à l’Exposition vendredi à travers notre conversation, je m’arrange pour y courir et je ne le vois pas !Ce matin promenade solitaire et rêverie au Bois autour du lac. Je pense bien amèrement à ma chérie avec laquelle j’ai fait si souvent cette promenade.J’attends Madame de Réals (133) jusqu’à 3 h, puis je m’aperçois que je me suis trompé de jour et que notre séance est pour demain. Je file à l’Exposition pour voir si on a verni « La Somnambule ». Je rencontre Pruniod avec lequel je fais un bon tour. A la sortie des Beaux-arts, je rencontre Fournier (152) et lui fais un peu de conduite. Nous causons de ses malheurs car sa pauvre femme est tombée ces jours-ci si malheureusement qu’elle s’est fracturée le coude.Hier lundi, séance de retouche pour le jeune Henry Boulay (pastel).

Vendredi 1er juin 1900Juin revient et j’embrasse encore ma chérie, tout cela réconforte l’espérance. Etat le même. Il semble que cette poudre de naude ( ?) est préférable à la sommatose et s’assimile mieux. Repris mercredi le portrait de Madame de Réals. Ce matin, déjeuner chez Etienne Ganderax (44). Eté ensuite chez Madame Fournier prendre de ses nouvelles. Revenu de suite près de ma chérie.

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Dimanche 3 juin 1900Dans ce beau parc Monceau où j’ai été faire un tour avant dîner, je pensais à mes réflexions de l’an dernier en mes promenades solitaires. Je me disais l’hiver va venir, mais quand de nouveau ses massifs seront feuillus que ce sera-t-il passé ? Les massifs sont feuillus et les corbeilles en fleurs et j’ai passé un moment de l’après-midi près de ma chérie levée. Il semble qu’elle reprenne des forces, mais je suis bien captif les soirs à cause de son état irrégulier qui nécessite une aide souvent.Repris l’esquisse PLM, après des observations non sans justesse de l’architecte que je vois samedi. Je passe l’après-midi de ce jour à parcourir la rue de Rivoli, pour trouver des vues d’Aix-les-Bains. C’est ma manière d’y aller.Samedi Charles (8) vient le soir, puis Robert de Cuvillon (5) ; je n’ose quitter ma malade, ces chers amis consentent aimablement à ne pas sortir et nous devisons dans l’atelier, en fumant et en vidant un verre de bière jusqu’à 1 h ½. Excellente soirée.

Mardi 5 juin 1900J’ai profité d’une de mes dernières journées de liberté avant mes travaux pour retourner à l’Exposition. J’ai pris le chemin de fer qui est peu commode et qui m’a mené au Champs-de-Mars. La force de l’habitude sans doute m’a fait me diriger vers la métallurgie et j’ai eu la satisfaction de voir le pavillon de Longwy enfin installé, ma peinture y fait assez bonne figure. De là, par le trottoir roulant, je suis allé au pont Alexandre III pour atteindre le palais des Beaux-arts. En route, rencontré Robert Duglé (11) et ses enfants. Revu les sections Allemandes, Anglaises et Etats-Unis où triomphe Sargent (153). Puis les dessins de la centennale où brillent les Millet. Je remarque, comme je m’en doutais, que Paul Baudry (154) a dessiné son diplôme au double de la grandeur d’exécution. Galland (155) aussi. Cela est plus commode pour faire large et gagne à être réduit En sortant je rencontre Bernier (156) avec lequel je fais un bout de route. Rejoint ma chérie qui s’est levée et a bon visage, mais hélas ! à la dernière cuillerée de son petit dîner, une crise qui me consterne. Ce matin porté ma bicyclette à mettre en état, puis au square, où je lis la gazette. Je m’étais promis hier soir d’aller à la fête de nuit, devant les inquiétudes de la malade pour la nuit, je reste au logis, me réjouissant de lui sacrifier ce petit plaisir, que j’aurais du reste mal goûté dans ses circonstances. Après un moment, j’étais tout heureux de rester pour elle, pensant au bonheur d’avoir à la chérir.

Vendredi 8 juin 1900Je suis revenu pour assister à son lever et tandis que ma tête contre la sienne nous causions un peu, je lui ai demandé ce qui lui ferait plaisir. Elle a murmuré : « un tombeau ». J’ai fait celui qui n’entend pas. Elle n’a jamais voulu répéter la triste parole. Mais plus loin dans la conversation, je lui ai dit que l’argent « Durant » avait une destination. Elle m’a demandé, comprenant, où j’aimerai acheter un terrain ? Je lui ai dit que cela importait peu pourvu que nous soyons ensemble. Puis d’accord nous avons désigné Montmartre, où je pourrais facilement aller lui porter des fleurs. Cet entretien a semblé lui plaire et je l’ai ramené sur l’espérance tout doucement à propos des petits cadeaux quelle désire que je fasse, et que je lui ai donné le conseil de faire elle-même comme remerciement dès qu’elle sera remise. Cette idée a paru lui plaire. Elle vient de se recoucher souriante.Ce matin, été pour le chèque de Longwy qui n’était pas signé. Je suis resté tout sot devant le guichet de la caisse.

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Mercredi 13 juin 1900Il semble qu’une nouvelle poussée semble venir, hélas ! Nous sommes démoralisés, pourtant dimanche le docteur m’a donné du courage en me disant « sans soins il y longtemps qu’elle ne serait plus ». Cela me fait voir que j’ai été utile et doit me donner l’énergie nécessaire pour continuer mon rôle.Touché le chèque lundi et procédé immédiatement ces jours-ci à payer mes dettes.

Lundi 18 juin 1900Pensées noires ces jours-ci. La pauvre malade a de grandes difficultés pour manger et s’affaiblit. Cet après-midi, je reviens près d’elle et sans doute lui ai-je parlé de trop de choses pour son pauvre cerveau faible, car une heure après elle parlait comme en colère : « je ne veux pas qu’on me fasse du mal ». J’ai eu de la peine à la rassurer en épousant sa chimère et lui disant qu’elle n’avait rien à redouter. Très mince dîner. Nous n’osons la forcer de crainte d’une crise.Je vois avec terreur venir l’été : son image me remet plus vivement sous les yeux les horreurs de l’été passé. Les amis partis etc… Ce soir il est trop tard pour que j’aille chez Sciama (42) où je retrouverais aussi les Ganderax qui vont partir pour Saint-Germain.Sciama est venu dimanche. Je lui dis «  « comment quand il y a tant de distractions, pouvez-vous songer à venir me voir. Je suis bien touché de l’effet de sa bonté.Aujourd’hui passé chez François Flameng (59) souffrant puis chez Petit (32), de là je vais un peu à cette exposition si intéressante et que je vais fortement négliger quand je serai sur le panneau PLM. Je sais par expérience qu’il faut mieux avoir une besogne même dure que de rester dans l’inaction. Hélas ! que devient la peinture dans tout ceci et nos beaux projets. Je ne puis seulement pas étudier ce que j’ai à faire.Bonne soirée samedi avec Charles (8) et Robert (5) à l’Exposition. Vendredi matin avec Charles promenade à bicyclette au Bois. Nous nous trouvons bien et recommencerons demain si le temps le permet. Il faut soigner la bête.La malade l’a rendue indifférente à toutes choses, mais que je fasse un croquis, portrait ou esquisse et que je lui demande si elle désire le voir, son visage s’anime et c’est toujours oui et tout de suite. Comme je sens la part qu’elle prend à ma carrière et qu’il est touchant de la voir juger et admirer, souhaitant que ce soit parfait au point d’avoir le courage d’une critique pleine de bon sens !

Vendredi 22 juin 1900Etat faible. Toujours les mêmes difficultés. Je dis à notre amie Madame Henry : « je suis surpris de l’énergie de la patiente et des efforts de volonté qu’elle fait sans doute pour répondre à mes soins. Je suis attendri et il arrive ainsi que nous nous entrainons mutuellement sans défaillance. Hier soirée intime chez Albert Ballu (15). Mercredi je retire l’esquisse PLM enfin adoptée. Ce sera le soleil de cet été.

Mardi 26 juin 1900Je pensais sortir ce soir. Je vois ma pauvre malade inquiète et ma captivité met douce en songeant qu’il y aura demain un an que le docteur Brocquet est venu et m’a jeté dans la terreur.Tantôt levée, la mime m’a semble meilleure que de coutume. On dirait que cette poussée ci est finie : elle n’a pas, à beaucoup près, été aussi forte que les autres. Ce

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soir, près de son lit ; comme je la félicitais de sa tête, car elle venait de se souvenir de bien des détails de notre existence, elle me répondit : « Hélas ! oui ! j’ai ma tête et se serait préférable que je ne l’ai pas ». J’ai répliqué : « tu te trompes car tu souffrirais autant, mais tu n’aurais pas la consolation d’aimer et de te voir aimé ». « Tu as raison » a-t-elle répliqué en secouant la tête plusieurs fois. Meilleure journée. Le matin à bicyclette au Bois. L’après-midi travaillé à traiter sur la toile la perspective du panneau PLM. Eté le soir un moment chez Frédéric Montenard (20).

Vendredi 29 juin 1900La malade refuse à 1 h son déjeuner et se lamente, je la décide à grand peine. A 4 h comme Madame Gounod (137) est là, on vient me dire qu’elle a une crise. Elle rend des mucosités qui semblent l’avoir soulagée ; car elle a pris un petit pot de crème avec un plaisir évident. Quelles alternatives ! Commencé les croquis avec la gentille Rosalie (158) pour PLM dont je trace la perspective. Ce travail logique et matériel convient très bien à mon genre de disposition.Hier soir, le bon Charles (8) vient passer la soirée avec moi ; causerie sur la conscience et cela à propos d’Albert Ballu (15) dont il se plaint. Quel bon ami, c’est la sœur de mon âme.

Mardi 3 juillet 1900Ces jours-ci état plus satisfaisant chez la malade. Dimanche quand je reviens de Saint-Germain-en-Laye, où j’ai été passer l’après-midi chez les Ganderax, elle fait un geste oublié depuis longtemps : elle me prend la tête de ses deux mains et m’embrasse passionnément et comme je ne peux m’empêcher de lui dire : « que c’est bon », elle dit en souriant « c’est parce que c’est dimanche ». Comme ces moments là payaient de tout ! et je ne puis m’empêcher de songer : « si elle n’était plus que me donnerais-je pour avoir cela ».Elle a aujourd’hui réitéré ce gentil geste. Elle dit parfois la nuit quand je vais la secourir : « ah ! si je ne t’avais pas », et aussi quelles causes muettes avec les yeux.Travaillé à la toile PLM. Eté samedi sur les lieux (157). Je crois qu’il y aura de la tablature à cause de la déformation. J’irai essayer un fragment.Santé détraquée. Sale temps lourd et puis j’ai été impressionné samedi en revenant pour son lever. Elle ne me reconnaissait pas et avait une mine lamentable. Je veux la prendre pour la soutenir jusqu’à son lit, elle se recule : « Ne me faites pas de mal, Monsieur, où me menez-vous ». « A ton dodo ». « Mais j’y suis déjà ». etc…Dès que couchée il n’y paraissait plus mais j’ai été bien attristé et nerveux toute la nuit.Hier soir, Charles lâche des amis et vient me chercher en voiture. Je ne puis bouger, alors il congédie son fiacre et monte. Robert arrive quelques moments après. Bonne soirée avec ces chers amis.

Dimanche 8 juillet 1900Journée meilleure, grande faiblesse cependant. Le goût revient un peu. Vendredi le docteur qui ordonne de l’extrait fluide de cola pour remonter. Il interrompt les piqures. Toutes les soirées à la maison sauf jeudi où je vais un moment voir la fête de nuit à l’Exposition et hier chez Albert Ballu (15).Travaillé aux croquis et architecture PLM. Je me délecte le soir à lire « Les Mille et une nuits », ces fantaisies ne me fatiguent pas.

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Mardi 10 juillet 1900Hier neuf ! D’un beau bouquet que lui apporte notre amie Madame Nic, qui part, elle détache une rose qu’elle accroche après mon petit portrait (159) sur le mur de son lit. Puis quand Madame Nic (57) a terminé sa petite visite, de ces doigts débiles, elle cherche à prendre la rose. Je la lui donne et elle me ta tend en me disant : « C’est ton anniversaire, mets-là chez toi », puis elle ajoute : « Te rappelles-tu de l’autre ». C’est de la fleur qu’elle ma donnée à ma fête qu’elle parle et que j’ai gardée flétrie bien longtemps, avec quelles pensées ! Je vais aussi garder celle-ci, mais avec moins de mélancolie.Le soir, elle est gaie et chantonne à l’heure de la soupe, chose rare. Elle improvise même : « Madame Baret (138), écoutez-moi bien, on me donne toujours du vermicelle. Madame Baret, écoutez-moi donc, je préférerais la soupe à l’oignon ». Et nous sommes ravis et je chantonne avec elle. Quelle énergie et quel admirable caractère. Ah ! Si le mieux revenait ?Il n’y parait pas ce soir. Je suis sorti pour aller chez Madame Weber et ai prié la garde de rester jusqu’à dix heures. Bien m’en a pris car la diarrhée revient et j’ai du la secourir encore une fois après le départ de la garde.Dans la journée fait un dessin d’un pot d’hortensias qui me sera nécessaire pour PLM. Quel secours que ce travail ! Les jours, comparés à ceux de l’an dernier à la même époque, semblent fuir régulièrement. Mais aurais-je pu travailler l’an dernier ? Toutes ces inquiétudes et ces étapes dans le malheur, une fois achevées, fortifient la confiance. J’ai mis la première fleur qu’elle m’a donnée dans un vase, comme une relique, celle d’aujourd’hui me ravit de tendresse mais sans ce côté noir qui empoisonna la première. Et tout va ainsi. Hier aux obsèques du frère de Billotte (17). Le pauvre ami me saute au cou, je lui dis : « c’est la délivrance pour ceux qui souffrent, dis-toi bien ça ».

Samedi 14 juillet 1900Après avoir répondu à la maman que je n’étais pas en train de m’associer aux réjouissances, alors qu’elle me demandait de mettre un drapeau, j’ai réfléchi et je suis revenu avec un drapeau ce qui l’a réjouie extrêmement comme un enfant dont on satisfait un caprice. : « Comme tu es gentil » me dit-elle, et la voila toute contente. C’est avec tous ces petits détails que je peux, en effet, animer sa monotonie et triste existence.Ce matin je reviens avec de petits bouquets tricolores qu’elle distribue à Madame Baret et à « Purée de mouches », puis on débouche du champagne près de son lit et nous buvons avec elle, tous, à son rétablissement, mais malgré sa gaité je crains une crise et on remet le déjeuner à plus tard. Je pense au 14 juillet dernier où cette maladie avait pris toute sa force et à l’horreur de nos journées.A présent, le train-train matériel de notre vie est installée, elle est faible, mais souffre moins et ainsi on s’habitue à sa misère.Hier soir heureusement le bon Charles (8) est venu me tenir compagnie et j’ai passé avec lui une bonne soirée, interrompue une fois seulement, et assez tard, par mon service près de la malade. Il est très monté contre Albert Ballu (15) et cela m’ennuie fort bien qu’il apparaisse effectivement que c’est lui qui a raison. Je guette mon porteur par la fenêtre pour l’envoyer chercher de la bière, malgré que Charles m’assure qu’il adore l’eau claire. Pauvre ami, quel dévouement de venir passer cette soirée avec un prisonnier !Nous parlons entre autres choses de l’état social des femmes chez les musulmans qui les réduisent au rôle qu’elles méritent le plus souvent. Charles n’y voit qu’un

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bien : la suppression presque absolue de la prostitution. Il m’accorde cependant, et il est payé pour cela, que pour le reste, ils sont sages. Dans mon pays, la prostitution est la rançon des honnêtes femmes, que cela n’empêche pas la plupart du temps d’être malhonnêtes.

Mardi 17 juillet 1900Albert Ballu arrive hier matin me chercher pour aller chez Carolus-Duran (8) avec lequel il désire avoir une explication. Je l’en dissuade lui promettant de lui demander un rendez-vous. Je pars donc vers 3 h par une chaleur accablante et trouve Charles avec lequel je file pour le quitter en route et aller à la Gare PLM essayer le carton de mon panneau. C’est une bonne mesure et recommandable, je m’aperçois en effet de corrections à faire qui eussent été fort compliquées une fois la chose en place. Et puis c’est essentiel pour la grandeur des figures, la force des silhouettes, etc…Je reviens vers 7 moins le ¼ de la Gare de Lyon à travers une poussière et une populace gênante, la plupart des gens villageois manœuvrant mal dans Paris.Toujours la joie au retour de retrouver ma chérie, un peu dolente cependant, mais elle reçoit la chaleur et c’est un bon signe pour la circulation.Le docteur Boulay, qui la trouve tantôt levée, a une excellente impression. Il y a évidemment du mieux en ce moment.Le soir d’hier, été avec Albert Ballu chez Charles, qui a un invité. La soirée se passe sans que nous en tirions rien de ce que nous étions venus chercher.Retour pénible de ce fait, et de celui de l’état atmosphérique. Je couche la fenêtre ouverte.Ce soir, Etienne Ganderax (44) vient un moment, mais part bientôt pour aller se reposer. Il n’est pas solide. Il fait un petit vent qui aide à respirer, mais je n’ose m’installer à la fenêtre, de crainte de ne point entendre la sonnette de la malade.Travaillé au tracé définitif sur la grande toile.

Lundi 23 juillet 1900Le docteur me dit tantôt : « pourquoi tracer cette architecture avec tant de soin ? ». Je lui ai répondu : « si je le faisais pas avec soin, cela m’embêterait bien davantage ». La température fatigue la malade et puis il y a le retour de la diarrhée qui ajoute au reste. Travaillé au tracé de la toile PLM. Juliette Noyer (160) que je rencontre, en allant à bicyclette, vient bravement malgré cette chaleur pour un croquis. Je suis encore ce soir décontenancé de voir que nous perdons du terrain. J’ai été le premier à me trouver convenablement déçu par le lever aujourd’hui de la malade. J’ai dû faire ajouter un système à la sonnette quelle ne savait plus faire aller avec ses doigts malades. Oh ! que de détails tristes dans ce calvaire de tous les jours.Les amis Hochon (26) viennent me prendre hier soir en voiture et nous allons à l’Exposition flâner parmi la fête de nuit. Heureusement, j’avais laissé la garde qui a été occupée tout le temps auprès de la malade. Ces bons amis, qui vont partir, ont bourré l’armoire d’excellent cognac et de tisane de champagne.Charles venu vendredi. Nous allons au Bois un moment. Il n’est pas bien, se plaint d’être éreinté. Saura-t-il se reposer ?Hier matin, été chez Etienne dolent et souffrant de l’estomac. Il partait en voiture pour Saint-Germain-en-Laye. J’ai résisté.

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Mercredi 25 juillet 1900Nuit fatigante, la pauvre chérie m’appelle souvent et se désole. Ce matin, je suis allé au square respirer, la petite bonne arrive toute effarée : la malade a des nausées et tout son pauvre corps tremble, impossible de faire le pansement. Je cours chez le docteur, absent. Je l’attends tout à l’heure, après déjeuner. Que va-t-il dire ?Même jour, 10 h du soir : La malade repose, assez calme, toutefois elle a rendu son faible dîner. Le docteur attribue la syncope de ce matin aux nerfs n’y voit rien de particulièrement alarmant. Il est venu vers 3 h, après j’ai travaillé avec assez de plaisir.Albert Ballu venu hier vers 6 h ½, très découragé et triste de ses démêlés avec Carolus-Duran. Que faire à cela ? Le pauvre ami m’a fait pitié.

Vendredi 27 juillet1900 Journée lamentable. Etat de crise. La malade très moite après une nuit fatigante. J’ai été, hier, rue de Rivoli, chercher un cousin de caoutchouc qui va nous aider j’espère à adoucir la misère de la patiente. Eté un moment à la conférence de Charles (8) au Trocadéro, j’en sors et reviens avec lui. Ce matin chez Etienne Ganderax (44), dolent. J’ai pu, à grand peine, travailler une heure, très préoccupé de ma chérie et par un orage qui a duré tout l’après-midi.

Samedi 28 juillet 1900La pauvre malade au plus mal, ne me reconnait plus. Je rôde la nuit, et la nuit râles. Horreur ! ce matin je regarde en souriant ce pauvre visage terrible et qui est sans expression que la souffrance et je reste ainsi, en retenant mes larmes.Le docteur vient. Hélas ! Il m’affirme qu’elle ne souffre pas, me réconforte et me dit encore une fois en admirant l’énergie dont la malade a fait preuve, qu’elle l’a fait pour moi : « A si ce n’était pour ce cher enfant, je me laisserai mourir ».Cher cœur adoré.3 h moins 5 (161).

Jeudi 9 août 1900En passant par Paris, où fidèle à mon programme, je viens de temps en temps pour ne pas prendre ma maison en horreur, surtout l’atelier qui est le refuge.Le soir, où pour voir, après la cérémonie, Louis Ganderax (22) m’a emmené, je suis heureux près de lui autant que je le puis, et puis le changement de vie matérielle m’a semblé doux, malgré tout. L’idée qu’elle-même repose est toute ma force, après sans doute, le vide va grandir. Faisons comme si elle était là pour lui plaire et soumettons-nous à la volonté de Dieu.Je veux me remettre au travail lundi, c’est plus raisonnable, malgré tant d’offres amicales de voyage, séduisantes pourtant !

Mardi 28 août 1900En arrivant à l’atelier pour travailler et tandis que les tons de la toile du panneau PLM s’affirment, je pense à cette lettre qui me semble l’expression de toutes celles écrites ces jours-ci : j’ai été bien ému en recevant votre affectueuse lettre, toute empreinte de la distinction de votre excellente cœur.Ces émotions sont douces : elles prolongent d’une façon sensible le culte des chers disparus ; c’est comme un écho, encore plein de vie, qui la suit et se retiendra aussi bientôt, mais ce sont eux qui l’on provoqué.

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Pour le reste de la vie, il y a le muet et incessant souvenir, il y a aussi l’amitié, et de ce côté je pense rendre grâce à mon destin ; car j’ai des amis fraternels. Je pense que ma pauvre chérie ne souffre plus et c’est toute ma consolation, mais le vide va grandir pour moi et c’est alors que l’idée que je serais seul à souffrir qui m’aidera.Que tout cela est dur et affreux et que vous êtes bonne de la comprendre si bien, etcLa semaine dernière, « petite tête au pastel de Madame Vallée (123) » à Saint-Germain, pour complaire à la pauvre malade, bien malade, je le sais.Passé le samedi soir et le dimanche à Crosne, lieu plein de souvenirs et à l’église, en entendant cette admirable parabole du Bon Samaritain.Hier matin, retour de Crosne et reprise du panneau PLM.Sentiment de quiétude très douce en revenant près de Louis Ganderax (22) à Saint-Germain-en-Laye.

Vendredi 30 août 1900Il est 10 h. J’arrive de Saint-Germain et je suis en relative quiétude dans l’atelier où le travail en train donne une allure de vie. Le panneau PLM avance. Je suis aussi en repos relatif près de mon cher Louis, si bon. Plus je l’observe dans sa vie intime plus j’admire sa profonde bonté, si grande eu égard à son esprit critique si éveillé. Le soir nous causons le bougeoir à la main, dans ma chambre, avec Rivoire (162). Il me lit les vers fraichement éclos, où me raconte ses idées de pièces, et nous ratiocinons là-dessus quelques fois un assez bon bout de temps. Quand il me quitte, je n’ai pas le temps d’évoquer les pensées noires, je fais une prière et m’endors.

Samedi 22 septembre 19009h ¼. Je reviens du cimetière où a eu lieu la translation du cercueil dans le caveau définitif. Il y a là un côté quiétude qui balance le reste, et puis toujours celle du fait accompli. Enfin, je ne sais quoi de puéril qui donne l’illusion qu’elle repose mieux dans ces quelques pieds de terre qui sont à elle.Rien déchirant : le cercueil, que j’ai choisi vernissé, brille presque sous un doux soleil déjà embué de brume automnale. C’est rapidement mené. Je signe au procès-verbal et reviens avec la petite bonne que j’ai emmenée.Hier soir couché à la maison, après avoir dîné avec Agache (8) et Cuvillon (5). Ce dernier me reconduit à ma porte. Je sens que son amitié est en éveil : « Couche-toi tout de suite », me dit-il. C’est ce que j’ai fait et j’ai dormi jusqu’à l’aube.A Saint-Germain, où je retourne le soir, inquiétudes et affolements de la maman de Loute Ganderax (62). Il va falloir opérer cette dernière de l’appendicite ! Que de tourments, que de tristesse autour de nous !Ça a été ce petit La Touche, si gentil et brusquement enlevé, la jeune Madame Jacques Biger, enfin le pauvre Monsieur Vallée. J’ai fait un dessin de sa figurer sur l’oreiller. Rude après-midi, mais satisfaction si profonde de donner ce souvenir désiré à sa chère fille, si malheureuse, si tendre !Entre temps fait « une tête au pastel de Madame Vallée ». A reprendre à l’atelier pour localiser.

Mercredi 26 septembre 1900Revenu à Paris avant-hier lundi. Quitté mes chers Ganderax qui m’auraient rendu un moral le meilleur possible à la circulation si ma petite Loute n’avait pas été souffrante et très sérieusement menacée de l’opération de l’appendicite. Lundi soir, dîné avec

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mon cher Charles (8) de retour, hier avec Robert de Cuvillon (5) à la maison. Dans la journée, été chez Charles le matin, l’après-midi chez Gaston La Touche (48).Ce matin, chez Nic qui me parle d’une décoration camaïeu (Boucher), toujours la même affaire, du commun, du convenu ! Je la préfère à tout prendre au « portrait de la Comtesse de Saint-Germain » qui veut que je la peigne comme elle était il y a 20 ans.Je donnerais tout à l’heure à Madame Nic, en souvenir de la chère maman, sa petite bague noire en émail avec un brillant. Elle lui venait de sa mère.

Mardi 2 octobre 1900Je suis revenu aujourd’hui de Touvent (163), où j’ai fait un séjour agréable de près d’une semaine. Cela a été une vraie vacance car je n’ai guère pris la brosse que quelques heures pour retoucher « La Dame aux pincettes » qui avait eu un léger accroc dans le déplacement.La présence des enfants m’a été bien secourable ; il m’est difficile près des petits de résister à l’idée de les faire sourire et cela me sort de moi-même. Le gros « baca » et la « miche » ainsi que le grand « André » m’ont quitté ce matin avec de réels regrets, et j’en étais très heureux.Vie calme dans un décor charmant et un beau ciel souvent poli que reflète la petite rivière. Le coucher des paons dans les arbres au crépuscule. Encore de bien bons amis ces Bourdet, si présents, si sensibles à la moindre marque d’attention.En revenant en voiture, je vois Madame Ganderax-mère sous les arcades de la rue de Rivoli. Je saute. Elle m’annonce que décidément on va opérer Loute. Pauvres chers amis, quel moment. Je dîne chez eux demain et aurai les détails.Trouvé la carte de Madame Louise Hochon (26) venue avec sa gentille fille. J’ai fréquemment à l’esprit l’image de cette dernière depuis le séjour à Trouville, surtout depuis les paroles qu’elle a trouvées à me dire cet hiver dans leurs fréquentes visites. C’est un cœur charmant et attirant, je la crois pleine de franchise et puis la maman l’aimait bien, j’irai les voir demain. Eté chez Charles, où je vois Etienne Ganderax (44). J’en sors tard et dîne lentement au Rocher. Rentré sitôt après écrire ici, à l’atelier et je vais aller dormir. J’ai rêvé de ma chérie la nuit dernière, je la soignais avec l’idée de l’avoir perdu déjà. J’ai vécu ce rêve.

Mardi 9 octobre 1900Pas encore dîne une fois à la maison mais chez de bons amis qui me sont charitables. Souvent chez Louis Ganderax (22) pendant cette période d’anxiété heureusement en bonne voie de solution : l’opération de la petite a parfaitement réussi samedi. Dîné aujourd’hui chez Charles et été de là à l’Exposition. Visité le Pavillon Japonais avec les bouddhas anciens. Au premier étage, la série merveilleuse de Kakémonos représentant des sujets religieux, dont la plupart pourraient illustrer la Bible ou les Evangiles : le déluge, des Saints qui y assistent , dans ses mains l’un d’eux tend une longue corde à un juste qui se noie. Plus loin une sorte de Pentecôte. Puis des Saints annelés au cou qui dans un autre protègent des combattants qui dispersent des mécréants, etc… Tout cela dans un style précieux dont le dessin rappelle Albert Dürer et quelques très belles figures plus longues, Fra Angelico.Nous remarquons cette similitude et en concluons que brèves et semblables sont les aspirations humaines et les façons de les représenter. En amour, comme en religion, l’homme se retrouve partout le même.

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Le crépuscule nous ravit : il tombe rose derrière une mer de toits blancs qui semble de lait verdâtre, cependant que partout les lumières comment à briller. Quelques coins conservés et couronnés de verdure mettent des notes calmes et évoquent la nature dans ce vaste et colossal bazar.Dîner chez les Hochon (26), intime et gentil, j’y étais allé mercredi et après une visite à Monsieur Lefuel, sur un mot d’appel, j’ai été passer près d’une heure avec Mlle Jeanne (Hochon), qui me marque de l’empressement et m’exprime avec son bon cœur, le plaisir qu’elle a de me voir. Je m’oublie sur le canapé, près d’elle, à philosopher, et la raisonne bien, avec une timidité contenue qui est pleine de grâce. Et je sais qu’il y a une grande sympathie entre nous, car nous trouvons abondamment de quoi nous entretenir ; comme deux amis nouveaux pressés de toucher à différents sujets pour voir si leur idée en est la même.Commencé une esquisse pour les dessus de porte de Madame Richenska de Varsovie (164).

Vendredi 12 octobre 1900Mercredi porté l’esquisse des « petits amours », qui plaisent fort. De là déjeuner chez Sciama (42) avec les deux Ganderax (Louis et Etienne). Ensuite à l’Exposition par un temps maussade. Visité le Pavillon de la Ville de Paris où j’ai la chance de rencontrer Alfred Agache. Jeudi, encore à l’Exposition par un temps radieux, ciel humide rose et bleu de Hollande ou Venise. Les Pavillons Allemands et Anglais, puis le Palais des Armées de Terre et de Mer. Partout les documents se complètent de dessins ou de portraits et le public s’y précipite. Quel art merveilleux que le notre et qu’il a des significations diverses. Il existe pour beaucoup par son côté historique, coutumes, etc…Et aussi les Watteau, Laurent et Patel de l’exposition Allemande révèlent toute une société, toute une civilisation anéantie par la Révolution. Ce matin, à l’exposition Rodin (165) avec Agache, nous nous y emballons et y jouissons grandement de ce choix d’assez nombreuses œuvres vraiment originales et fortes. Cela ne vaut pas mieux que d’éplucher et de ne voir que les défauts. Il y en aurait à découvrir dans tout. Déjeuner chez moi avec ce bon ami et Albert Dawant (63). Robert de Cuvillon (5)

vient au sortir de table.Hier soir, je rentrais moulu et disposé à dîner enfin chez moi avec le pot au feu, je trouve un mot d’Albert Ballu (15) qui part ce soir. J’ai été dîné avec lui et suis rentré bien las, mais content.

Jeudi 1er novembre 1900Je reviens du cimetière où je suis retourné cet après-midi, pour y mener la chère amie Louise Hochon (26) qui voulait déposer une fleur sur la tombe de la maman. Que les femmes savent avoir de délicates attentions. Nous y avons été surpris par un grain que rien ne laissait prévoir et qui a mis en déroute la foule des visiteurs et troublé le recueillement nécessaire à ces stations si terribles par le silence auquel on vient se heurter.Ce matin j’ai rencontré Florentin ( ?) qui allait voir « ses vieux », nous nous sommes menés mutuellement à nos tombes. Sur la sienne est déjà gravé son nom avec sa date de naissance.Hier au Raincy, par une journée pluvieuse. Entré chez mon locataire, très courtois.Retour mardi matin de La Roche-Guyon (166) où la vie désœuvrée m’a semblé un peu longue et le contact de tous ces gens gais un peu brutal. J’ai plaisir pourtant à les voir et les jeunes filles de mon ami me sont extrêmement agréables.

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Avant le dîner un soir que l’on faisait de la musique, j’ai été saisi de tristesse, les larmes ne sont montées aux yeux. Juliette s’est levée, et est venue vers moi, comme par hasard, gênée dans son attitude et tout d’un coup elle s’est baissée vers moi et m’a mis au front un baiser. Chère petite ! Hier dîné chez Charles grippé ; Bonne causerie.

Samedi 3 novembre 1900Hier commencé « les dessus de porte d’après Boucher ». Le soir dîner chez Louis Ganderax. La petite de bonne humeur et belle mine dans son lit. Emile (  ?) vient en deuil, quel type ! Etienne Ganderax grippé manque.Je disais à Pierre Chavannes l’autre soir à Moisson : « Parce qu’il y a toujours eu des malheureux, fermez-vous votre cœur en disant que cela est fatal, et dans la mesure de vos ressources, ne tâchez-vous pas d’en diminuer le nombre ? Parce que vous mangez, vous rangez-vous à côté des gens qui en ignorent la saveur, pensez-vous que ces gars sont crées sans avoir le droit d’y goûter ? Il faut penser que nous sommes parmi les privilégiés au lieu de penser que ce sont les malheureux qui sont l’exception. Toute créature a droit à toutes les choses de l’univers, au lieu de l’en déposséder, il faut tendre à les lui restituer en toutes circonstances ou on a le cœur dur par crainte de perdre. Il suffit d’inverser les rôles pour s’apercevoir que l’on ne raisonne plus de la même façon ».Ce soir je relis mes notes de l’année dernière, à la cette époque, la meilleure, la seule douce de cet affreux drame où a sombré notre bonheur. Je m’arrête avant le temps où le mal a repris, sans la plus lâcher, sa pauvre victoire. Soirée bien triste de solitude et de souvenirs.Oh ! Egoïsme, j’aimerais encore lui donner le baiser du soir dans son lit de misère, je pense à moi… elle repose pourtant !

Vendredi 9 novembre 1900Reçu pour le matin une lettre de la part du curé de Sainte Marie où l’on célébrait une messe solennelle pour les trépassés cette année de la paroisse.Belle idée de réunir tous ces malheureux en deuil dans une même prière, mais au prêche le curé nous parle du purgatoire, et soulève en nous de cruelles questions de conscience qui, hélas, se résument par ce conseil : faites dire des messes.Ce serait bien commode, on pourrait continuer une vie dissipée et faire travailler des diseurs de prières, au lieu de tâcher de s’améliorer et d’expier en pensant aux chers disparus et à leur intention.Au sortie, la bonne amie, Madame Nic, que j’avais prévenue vient avec moi au cimetière ; elle embrasse la pierre qu’elle orne d’une magnifique gerbe de fleurs et me dit tout ce que son bon cœur lui inspire. Je suis bien ému et pourtant soulagé par cette rude matinée. Je vais ensuite me rasséréner chez Etienne qui va mieux. Venu personne cette après-midi. Travaillé aux panneaux de Varsovie.

Lundi 12 novembre 1900C’est le jour de fermeture de l’Exposition Universelle de 1900.Hier dimanche, avec Charles (8), bonne journée à l’Exposition. Nous visitons le Grand Palais et déjeunons, transis, dans un des restaurants a demi clos qui bordent la Seine. Le temps s’élève. Crépuscule radieux. Aspect inoubliable du Trocadéro. Le soir, dîné chez les bons Dupont avec la jolie cousine rousse.Aujourd’hui, travaillé aux panneaux la matinée. Le temps est frais mais radieux, je n’y résiste pas et vais dire un dernier adieu à l’Exposition. Tout mon temps de jour se

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passe au Grand Palais où je revois les sections du rez-de-chaussée : Hollande, Belgique où il y a des tempéraments de vrais peintres. Au crépuscule, rôdé dans la rue de Paris, je prends un breuvage chaud au bar des Bonshommes Guillaume (167)

sans avoir la chance de rencontre ces derniers. Puis je rentre prestement et j’ai le temps de tracer à l’encre rouge un des panneaux avant le dîner.Je vais continuer ce soir dans ma demeure bien triste, où j’évoque les soirées de détresse bien facilement par les mêmes habitudes. Je vais donc voir dans la chambre vide et la différence c’est que je n’ai plus le soir la nécessité d’allumer la veilleuse et je suis, hélas ! sûr de ne pas être dérangé dans mon travail. Je pense de plus en plus à elle

Vendredi 16 novembre 1900Quiétude ce soir à l’atelier après la journée de travail ; car il n’est venu personne. Le matin au cimetière. Quel silence ! mais aussi quel repos. Je vois au-dessus de cette peine les tendresses puériles que je lui adressais sur son lit, mais quel poids que cette pensée : je ne la reverrai plus…Hier soir familial dîner chez les bons Durant. Avant-hier, cher Madame Vallée. Mardi chez les amis Hochon, où la pauvre amie en proie à ses nerfs se trouve mal. Hélas ! Partout la souffrance. Demachy (113) qui vient hier m’apprend que l’on fait l’opération du trépan à son amour, le petit Bob. Et Charles que je vais voir ensuite est tout décontenancé des nouvelles qu’il a de son père.Je l’avais pourtant rassuré grâce aux détails que me donne Dupont sur le diabète, en dînant chez lui dimanche.A travers tout cela, travaillé les journées aux panneaux de Varsovie. Cela marche. Je tiens à présent ma formule et cela ne peut qu’aller plus vite.Fond d’or vert. Vert émeraude ocre et un peu de laque Robert et de-ci delà laque rose dorée. Figures laque Robert vert émeraude et blanc en quantité, aux jointures laque rose. Accents de laque rose et violet de Cobalt ; même chose pour les attributs, nuages, etc, sauf que la base est plus violet de Cobalt et vert.

Mardi 20 novembre 1900Je viens de conduire Charles (8) à la gare ; le pauvre ami va vers son père mourant. Je ne trouve à lui dire que, ce que je pense, ce qu’il faut considérer c’est que puisque l’on doit perdre ses parents, on doit être consolé par l’idée qu’ils s’en vont sans souffrir, ce qui est le cas.

Samedi 24 novembre 1900Samedi, dîner chez Albert Ballu (15) avec les Raty ( ?) auxquels j’offre l’esquisse-étude du « fondeur ». Dimanche chez Madame Vallée avec les Bourdet qui me font fête. Je porte l’épreuve photographique du dessin de M. Vallée. Déjeuner chez les Sciama (42), puis visite à Dagnan-Bouveret (25), heureux et bien aimable. Lundi, dîner chez Demachy (113).La pipe et la photo dans sa chambre où vient un moment sa gracieuse femme.Aujourd’hui, Etienne Ganderax (44) vient à l’atelier où je mène activement les panneaux un peu froids, suivant Escalier (57), je corrige dans ce sens.Chez Carolus-Duran (8) avant dîner. J’ai couru chez lui au reçu de son télégramme. Je dîne avec lui et le mène à la gare. Je rentre enfin dans ma maison tiède, avec la triste pensée qu’il va rouler jusqu’à 3 h du matin et débarquer dans la nuit, assez loin encore du logis paternel et avec quel point d’interrogation dans le cœur !...

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Dimanche 2 décembre 1900J’attends à dîner Charles et Agache (13). Cela m’a semblé doux de rentrer dans la maison confortable et d’y prévoir une agréable soirée. J’ai été voir les amis Fournier, puis le temps s’éclaircissant, suis revenu en faisant un détour par le pont Alexandre III d’où j’ai eu l’illusion d’un crépuscule d’exposition encore active.Rencontré rue de Berri La Princesse Mathilde (79), elle me dit qu’elle n’a jamais de monde le matin et de venir déjeuner avec elle. Pauvre femme, je soupçonne sa vie de se faire triste, elle a été très gentille pour la maman. J’irai. Et ainsi, lié par tous ceux qu’elle a connus, je suis bien peu libre.Je n’ai pas pu dîner une fois chez moi cette semaine. Aujourd’hui, quand vient l’heure du crépuscule, je ne suis pas fâché de quitter l’atelier.Charles (8) a perdu son père la semaine précédente. J’ai guetté son retour qui n’a eu lieu que lundi. Je l’ai appris vendredi d’après sa dépêche et ai monté la garde rue de Courcelles.Dimanche dîner chez Agache (13). Conversation sans fatigue et agréable avec le sculpteur Lefèvre (168). Il sait nous intéresser sans effort. Il nous renseigne sur la valeur des différentes sculptures et son goût assez discipliné cadre avec le nôtre.Il déplore l’influence de Rodin sur les jeunes et pense aussi que ce grand artiste est déséquilibré par l’orgueil. Ça c’est le travail de la critique qui à l’heure qu’il est complimente ou blâme sans mesure. Cette semaine encore une tristesse, c’est la douce Mireille Dubufe (145), prise tout à coup d’une appendicite et qu’il faut opérer incontinent. Je viens de prendre de ses nouvelles, bonnes.Travaillé aux dessus de porte dont deux sont finis et quatre autres à revoir. Ce ne sera pas long. Retenu la pauvre Bobard (1) mercredi pour commencer des recherches avec le modèle et lui faire gagner quelques sous à deux bonnes choses.

Vendredi 14 décembre 1900Venus aujourd’hui : Guillaume avec Juliette et Margot pour voir les bébés des dessus de porte. Mireille toujours souffrante. Quelle tristesse ! Agache qui me rencontre avec Madame Vallée et les Bourdet, puis Martin. Je patauge dans l’esquisse de « L’incendie » (146) commencée la semaine dernière avec la Bobard. Cela me repose du camaïeu.Dîner tous les soirs dehors, Lundi chez les Fournier, mardi été après dîner chez les Hochon (26), mercredi chez Mathey, puis chez les amis Durant. Ce soir ce sera chez Guillaume.Ce matin pèlerinage habituel au cimetière. Je lui dis tout ce que j’ai fait et qui aurait pu lui être agréable.J’ai donné le bracelet qui vient de sa sœur à Madame Fournier. Le petit sac en cuir vert à Mlle Mathey (98).L’autre semaine, dîné deux fois chez Charles, la seconde fois le jeudi 6. Le soir grande scène de comédie pour terrifier Etienne qui n’est pas sage. Causé avec ce cher ami jusqu’à 1 h. Ce sont de bien rapides moments.

Vendredi 21 décembre 1900Ce matin mon habituelle visite au cimetière. Ensuite chez Albert Ballu (15). Je reviens donner un coup de révision à mes dessus de porte finis. Je pense en voyant ma palette où tous ces temps-ci il n’y a eu que de l’ocre, du vert émeraude, de la laque Robert et du violet de Mars, combien on est surtout coloriste par les bases.L’autre jour au Musée du Louvre, je m’avise que le Watteau (« L’embarquement pour Cythère ») est fait de bitume frotté et de bleu de Prusse. Et ce sont ces couleurs à

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toutes leurs valeurs qui soutiennent le reste. Dans les Rubens, mêmes remarques, tout le support est du noir, tantôt en frottis, tantôt gris et blanc et ce sont les couleurs accidentelles qui modifient ces gris de la magistrale façon que l’on sait.Dîné lundi chez Madame Vallée (80), mardi chez Louis Ganderax (22). Hier après-midi été chez les bons Durant tous grippés. Le samedi dernier chez les amis Hochon (26).Commencé l’esquisse de « L’incendie » que j’ai essayé en hauteur ! Je reviens à mon idée première en largeur ou cela se cale mieux sans comparaison. Retourné au Louvre mardi. Le vide toujours : ces cris habituels de la rue, toutes ces choses qui durent encore !... La vie.La semaine terrible pour Mireille Dubufe, mieux ce soir.

Mardi 25 décembre 1900, NoëlDîné ce soir chez les Ganderax avec leurs cousins ; cela me semble doux ; car hier j’ai rôdé, dîné chez Duval ( ?) et ai trouvé le temps bien long. Ces jours de fête sont horriblement tristes. Je pense de plus en plus douloureusement à ma chérie et ce soir je sens mes forces d’énergie bien faibles. J’ai pourtant accompli tout ce que je m’étais promis de faire, j’en avais quelque fierté. Il me semble que je suis plus désolé que cet été.Ce matin, je reçois des fleurs de Madame Nic (« Pour mettre sous le portrait » de Madame Rosset, mère). Je travaille à « L’incendie », puis me décide à m’habiller. Je suis en train quand Heilbocheau ( ?) vient un moment. Je pars et vais prendre des nouvelles chez les Durand, mieux. De là, rue Blomet, où Mireille souffre toujours. Je me crois perdu dans ce quartier en sachant plus si je vais trouver un véhicule pour aller chez les Ganderax en renonçant à mon habituel chemin de fer si commode.Hier matin, porté le dessin à la belle Juliette Dubufe et un tableau pour l’exposition de Bordeaux.

Vendredi 28 décembre 1900Crépuscule horriblement pénible. Viennent coup sur coup Madame Bourdet, bien grave aussi, Agache (13), puis le jeune Wilder (170). Cela me distrait heureusement bien que regrette d’avoir à la fois ces trois visites qui, espacées m’auraient donné une plus longue distraction. Lecture ensuite jusqu’au dîner.Hier soir chez Guillaume Dubufe (4), tous dînent chez Madame Gounod (137), étant en veston d’atelier, je reviens écrire ces notes et lire ; l’important est que Mireille continue à faire des progrès dans le mieux.Mercredi, j’attends Clara (109) pour, sur ses reproches, commencer un tableau avec elle. Elle arrive vers 2 h ¼ ! Je lui fais dire que je suis sorti. Quelle dinde ! Travaillé hier avec la Bobard (1) à « L’incendie ». A travers tout cela une détresse qui s’accentue. Il me semble qu’elle souffre toujours dans ce décor où je l’ai tant vu souffrir. Dîné hier chez les Rocher avec les Nic, on fête le ruban de Nicolas (57) avec les Lebrasseur et Zozotte et Bérardi. Revu Madame H… avec un gros plaisir, si je n’étais si triste, il me semble que je voudrais lui plaire.

Mardi 31 décembre 1900Jours tristes et noirs. Découragement et difficulté de travailler. Je me couche tard et me lève tard en proie aux remords des heures perdues. Je pensais m’en aller n’importe où : la maison m’est cruelle.

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Dans quelques minutes, le siècle va finir. Au fond, une chose finie semble moins lourde, elle est comme un cadre qui, disparu, fait oublier la peinture qu’il contenait.Dîné chez le cher Etienne (44), devisé au coin du feu. Déjeuné chez Louis (22). Bonne journée pour l’amitié, car j’ai été embrasser Charles (8) ce matin. Il part demain, j’aurai le regret de ne pas commencer l’année avec lui.Je relis le 31 décembre de l’an dernier. Hélas ! Je me souviens que j’ai prié à haute voix dans l’atelier encombré de travail et que je me suis couché avec l’espoir. Ce soir, je vais aller faire ma prière au pied de son lit désert, dans la chambre muette depuis 5 mois déjà. Les sons que j’y entendais étaient proférés par la souffrance ; elle repose. Que la volonté de Dieu soit faite.

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1901

Vendredi 4 janvier 1901Jours bien désolés. Commencé l’année dans sa chambre à prier. Renoncé à travailler ces jours-ci. Je suis sauvé si le travail me prend, mais il s’agit à présent de choses qui peuvent me prendre tout à fait, il vaut mieux ajourner un peu pour ne rien compromettre. Malgré le modèle je sors hier et vais voir quelques amis, puis le fini la soirée au Cercle (de l’Union Artistique) où j’écris des lettres de jour de l’an, après dîner agréable chez les bons Durant.Avant-hier, été presque la journée avec Montenard (20) avec qui je déjeune ; de là à la Gare de Lyon voir nos peintures (171). De là chez Carolus-Duran (8), je l’emmène dîner et me grise un peu, ce qui me fait revenir et me coucher de bonne heure. Je dors bien.Le 1er janvier, été déjeuner chez Madame Hochon (26), de là chez la Princesse Mathilde (79) où j’ai eu le bonheur d’y rencontrer mes chers Ganderax, Etienne en sortant. Ensuite voir Mireille Dubufe (120) que je trouve bien et gentille.Je reviens chez les Durant, de là au Cercle (1) et enfin dîner chez Madame Vallée avec les bons Bourdet (80). Guillaume (4) venu dans la matinée le 1er janvier.

Samedi 5 janvier 1901Encore des lettres à écrire et des visites à faire : c’est la vie ; nous nous en étonnons et nous en guérissons, cependant nous recommençons tous les jours les mêmes choses, on fait chaque jour sa toilette.Venu hier le docteur, triste impression de le voir ici, puis Madame Vallée avec une gentille dame, Madame Huot. Puis Madame Escalier m’amène des nouvelles de la santé de la Comtesse Richenska (164) pour laquelle j’ai fait les dessus ce porte d’après Boucher ; elle est accompagnée de Madame Lebrasseur. Compliments, tout va bien, ces Dames rôdent dans l’atelier et Madame Escalier (57) en fait les honneurs.A un moment je reçois même des éloges pour la photographie d’Holbein encadrée qui ornait un panneau. Je les détrompe et voie la mine déconfite de ma chère amie Madame Escalier qui venait quand j’avais le dos tourné de les intéresser par ses commentaires en ma faveur. J’en suis très amusé. Puis, après leur départ, je me plonge dans la lecture jusqu’à l’heure d’aller dîner chez les amis Hochon (26). Le Comte Marcel de Germiny (92) emmène Madame au théâtre et nous demeurons Hochon, sa fille et moi devant la cheminée de la tribune meublée de jolies antiquités, qui sont, à présent pour moi, de réelles connaissances. Bonne causerie à trois où la gentillesse de cette aimable fille me charme beaucoup^J’en reviens rêveur et très occupé d’elle. Qui sait où cela pourrait me mener si je n’avais pas un si gros souci à faire partager ?Aujourd’hui, déjeuner chez les Sciama (42) avec Etienne (44), puis au Louvre où je retrouve les Fournier. Retour par le Cercle (2) où je vois des camarades et quiétude relative ce soir à l’atelier où je vais me régaler de la revue de mon cher Louis Ganderax (172).

Mardi 22 janvier 1901Paresse pour écrire : tous ces souvenirs puérils et touchants entre elle et moi me hantent. Toutes les nuits mêmes rêves : elle est toujours malade mais on peut la sauver. Je suis toujours pas pressé de me coucher, de là des veilles et par contre coup des levers tardifs qui me jettent dans les remords. Difficulté pour l’entrain au

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travail. Cela revient pourtant. Séparés le grand tableau et deux petits tableautins en gris empâtés. La semaine dernière, vacciné et le bras tout engourdi et enflé. Le vaccin a pris. Toujours les fidèles pour les dîners intimes ; cela me soulage beaucoup. Pourtant j’aime respirer de temps et temps et cela ensuite me fait mieux goûter le plaisir de la société.Dimanche soir chez François Flameng (59) qui a l’attention de porter du champagne pour m’égayer. Son atelier sent toujours bon le travail. Cuvillon (5) très rare. Que fait-il ? J’ai peur qu’il ne gâche bien sa vie. Vu aussi Charles (8) plus rarement parce que je crains de lui dérober son temps de labeur. Je le sais très chargé de besogne.Agache (13) vient fidèlement me donner un bon moment quand il passe ici. Vu Dawant (63), bien inquiet pour sa mère. Les affreuses transes. Madame Louis Ganderax veut absolument que je me marie, je n’en vois pas la nécessité et d’autre part j’ai le cœur bien chagrin pour pouvoir le donner sans réserve. Il faut essayer à fond le travail et voir la résistance dont je suis capable avant de perdre ce que l’indépendance a de bon dans la vie d’artiste. Il y a chez de bons amis une jeune fille que je connais un peu et c’est à elle que je penserais si je pouvais penser. Elle se fait aimer par ses qualités, mais quand on m’aura montré une personne dans un salon qu’en saurai-je davantage que la couleur de ses cheveux.Au moins, me disait un ami, quand tu rentres chez toi, tu es seul devant ton couvert, mais cela ne te fait pas la grimace.La pauvre fille en question a connu la maman, je pourrais en parler avec elle, son bon cœur le lui permettrait et elle aurait une vision nette de la chère évoquée. Cela seul me serait doux. Quelle rêverie ! Que faire ? Penserai-je seulement à cela si je n’étais pas si tard dans la vie. Le travail, baume souverain qui m’a déjà soutenu aux heures terribles, peut-il suffire ?Les « amours Boucher » partis pour Varsovie (164), on me demande de les signer. Je finis par prendre un moyen terme et signer : « composés d’après Boucher par E. Rosset-Granger ». Les Ganderax m’ont abonné à la Revue de Paris pour mes étrennes.

Jeudi 31 janvier 1901Après des journées noires et bien décourageantes, j’ai peint hier et aujourd’hui ; ça n’a pas mal été, j’en suis tout réconforté.J’ai peint « La petite femme en buste dans la fourrure », préparation à la cire. Préparé avant « La femme qui feuillette dans le cartonnier » puis une autre grisaille pour étude préparatoire au grand tableau. Je la peindrais samedi si le temps le permet.Le travail, toujours le travail, rien ne vaut ce remède. Ah ! Je m’y remets bien !En sortant de chez Guillaume Dubufe (4) ce soir, j’ai été frapper inutilement chez Carolus-Duran (8), je rentre et écris des lettres. Vu Mireille (120) debout, quel bon baiser !Hier, été chez les excellents Louis Ganderax (22) ; il me semble qu’il y avait un siècle que je ne les avais vus. Entre temps, toujours les mêmes amis accueillants et fidèles. Charles venu dîner une fois. Dimanche chez Agache (13) où nous parlons de cette fameuse future société dont l’œuf est pourri.

Travaux de 1900 :La Métallurgie à l’Exposition, 15.000 francs.Les deux figures : La librairie, La Médecine, 1.200 francs.Le Lac du Bourget au buffet du PLM, 4.000 francs.

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Pastel de Madame Vallée, 1.000 francs.Les six dessus de porte de l’hôtel Richenski à Varsovie, 2.400 francs.

Lundi 18 février 1901Quelle lacune ! Mais aussi quelle mollesse et dégoût pour décrire, pour formuler ce vide qui grandit. Je fuis la maison et rarement reste sous la lampe à mon bureau pour noter mes pensées trop lourdes. Je vais toujours aux mêmes foyers aussi hospitaliers. Bien des amis, des amies surtout me conseillent de me marier, mais il faudrait faire épouser mon chagrin, en ai-je le droit ? Si au moins le travail me prenait, mais la série des jours sombres s’éternise et je n’ose rien entreprendre à longue haleine. Je me couche tard, me lève tard et suis lourd tout le jour et mécontent de moi. Je fais des études à côté pour le grand tableau et n’ose m’y mettre, toutes ces expériences seront-elles profitables ?Sorti hier, été voir les bons Sciama (42) : la gentille accouchée est sur la chaise longue et se sent bien.De là au Louvre, d’où les gardiens nous chassent à 4 h moins le ¼ ; comme je fais à un deux observations, il me répond : « c’est pour déblayer » ; on me pousse vers les portes réellement qu’à 4 h.En revenant vendredi de mon habituelle visite à cette pierre muette et terrible, je vais chez Billotte (17). Il a chez lui un Troyon (173), un Corot, un Largillierre (174) et un Goya. Et nous voila partis à causer cuisine de peinture. Il me dit : « Moreau (175) et Fromentin (110) étaient pour des bases fortes et solides : les terres de façon à ce que leur plus grande lumière soit encore colorée. Ainsi chez les Flamands et l’Ecole Espagnole. Ils font bien sur la muraille. Les modernes font trou ». Il me semble certain qu’en connaissant ses forces on tient mieux son œuvre. Rapprocher cela de ce que Cazin (67)) disait à Montenard (20) à propos du blanc : « on doit toujours sentir que l’artiste peut plus ».Dîné, il y a huit jours avec Charles au Cabaret, tous deux bien mélancoliques. Hier chez Madame Straus (46) avec Louis Ganderax (22) . Le soir viennent Reinach (176), Cornely (177). MM. Rivière et Signorino dînaient aussi. Je monte un moment à l’atelier de reliure où Jacques s’escrime. Il se plaint doucement de Rivoire (162).

Dimanche 3 mars 1901Février s’est achevé noir. Jamais je n’ai vu de si vilains jours. Cela brise ma volonté de travail et, tant bien que mal, je passe la journée.Toujours dîners dehors. Ce soir je rentre d’assez bonne heure de chez Flameng. J’aime cet atelier qui est toujours au comble du travail et le petit bambin si drôle qui me réjouit.Jeudi soir eu à dîner Carolus-Duran (8) et Agache (13). Moment de vrai bonheur, le soir près du poêle en devisant et fumant. Charles nous a longuement parlé de la guerre, son sujet favori. Mireille toujours mieux (120). Le vendredi j’ai Madame Durant avec une corbeille de pommes excellentes.François Flameng (59) me disait : « Tu devrais déguerpir, ton atelier est mauvais et ce logis est cruel ». Il est vrai, mais je suis paresseux de secouer ce désir, tout ce qui me reste, et je tire parti de l’atelier comme je peux.Commencé jeudi les pastels dans une tente où la lumière artificielle me donne de faciles effets qu’augmente un velours de flanelle bleue, le bleu du drapeau. Avant de quitté l’huile, ébauché le tableau de « L’incendie ». Qu’il est difficile d’être heureux et coloré. J’essaye sur une préparation de grisaille. Les glacis bien distribués sont en ce cas de toute virulence.

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Allons-nous avoir de beaux jours ; cela est nécessaire pour se remettre en haleine, je suis d’humeur noire comme le temps et j’espère tout du travail. Il a fallu ces temps derniers à plusieurs reprises interrompre la séance, Clara (109) en ce cas ne manque pas de dire des phrases qui me font mettre en colère et tout cela aboutit à une scène qui se termine piteusement. Quand à la Bobard (1), elle nous amuse, la bonne et moi, par sa gourmandise et la mine qu’elle fait lorsqu’au déjeuner, que je lui offre, elle éprouve quelque déception, ce que nous faisons naître à plaisir. Lesquels sont décourageants de sans gène et de muflerie.

Dimanche 10 mars 1901Je suis souffrant, maussade et bien triste dans la maison déserte où je me suis réfugié au lieu d’aller dîner avec des amis chez Berton (97. Sans doute cela tient à ma santé, mais j’ai des idées noires et je vois le fond de la vie si vide et si peu utile  ! Pourtant j’ai, ce matin, été voir la merveilleuse collection de Monsieur Kahim, avec mes chers Ganderax. Les Rembrandt auraient du me transporter, je les ai mal vus, j’étais préoccupé. J’ai été hier au 9, où après dîner avec Guillaume Dubufe et Cuvillon (5), nous parlons de l’éternel féminin. Aujourd’hui où en sont mes théories sur le mariage si je me sens seul et ce soir je comprends le besoin d’aimer et je repense à cette même jeune fille, si douce, résignée et dont le cœur a l’air si bon. Tout cela tourne avec un peu de fièvre dans ma caboche.Avant le dîner j’ai réglé des éclairages avec le mannequin. J’ai travaillé cette semaine à de petits pastels, vite enlevés. C’est cela qu’il faut.Vendredi aux obsèques du gentil A. Chancel (178), que de pensées à cette occasion. Les souvenirs déjà lointains de Rome ! Puis hier samedi, à ceux du pauvre vieil ami Jalabert, si aimable et bienveillant. Cruelle semaine !

Vendredi 29 mars 1901Demain départ de l’atelier de sept pastels (179) fabriqués avec une verve relative à cause des jours obscurs qui n’ont pas discontinués. Toujours la même vie. J’ai décidé de quitter mon logis, je m’y heurte à des souvenirs de ce drame affreux, bien plus qu’à celui de la chère disparue. C’est d’elle seule que je voudrais me souvenir.

Mercredi 3 avril 1901J’ai décidé après l’envoi des pastels de prendre quelques jours de repos. Je ne serais ensuite que plus heureux au travail, et de fait, les choses de longue haleineme sont encore difficile. Il faut ménager les étapes vers l’équilibre à reconquérir.Hier bonne journée : Eté le matin chez Etienne Ganderax (44) d’où je repars pour le rejoindre chez Louis (22) où nous déjeunons. Nous y fêtons son retour d’un voyage en Italie. De là au Louvre où je rôde chez les Egyptiens et au moulage, je termine par me réchauffer l’œil par un petit tour aux peintures italiennes. J’y rencontre Arcos (180). Nous prenons de concert le métropolitain et je vais à la Porte Maillot chez Carolus-Duran (8) où je passe un bon moment assez cocasse comme de coutume et de là reprends le train pour aller au petit restaurant d’Amsterdam, espérant y rencontrer Billotte (17). Je m’y attable un peu déconnecté et ai à peine fini mon potage que je le vois arriver. La réalisation de mon souhait me rend tout heureux et nous dînons de bonne humeur et lorgnant les gentilles frimousses qui sont fréquentes dans ce lieu. Après un tour de boulevard avec intermittence de parapluie, je rentre et dors bien, sans souvenir de rêves ce matin, chose rare.Je viens de relire des notes de 96, 97 (181) et je vois le bonheur de ma mère à ce moment, il me parait que j’ai eu un peu la sagesse de m’en douter. Mais le recul et le

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regret me donnent l’impression que je n’en ai pas goûté tout le charme. Je n’ai guère varié dans mes idées et ai tâché de les mettre en pratique tant en art qu’en tout le reste et là, comme pendant l’affreux drame, comme à présent je suis pénétré que la grande consolation comme le grand bonheur c’est le travail.On me disait : vous ne cotez pas vos tableaux assez chers, mais j’en ai eu tant de plaisir, ils m’ont aidé à vivre de si pleines heures, ne suis-je pas déjà payé ? Et si, par surcroit, j’y gagne ma vie, n’en dois-je pas être tout à fait satisfait ?

Mercredi 10 avril 1901Je voulais aller cette semaine à la campagne en vacances de Pâques chez les amis Bourdet. Ah bien oui ! Depuis huit jours je suis grippé et demeure en mélancolie profonde près du poêle, lisant, maugréant. Vendredi dernier, je demande l’hospitalité aux Nic (57) pour dîner avec eux, à peine à table voila le feu qui prend dans la cheminée et nous retroussons les tapis, etc. Les pompiers viennent et font un gâchis et une fumée affreuse et je reviens le soir, toussant plus fort qu’avant.Hier été dîner chez Louis (22) malgré que je n’ai pu trouver de voiture. Je me sens de nouveau repincé ce matin.Goût à rien. On me dit : comme c’est commode d’avoir son atelier chez soi, si l’on est malade, etc… Eh bien non ! Si l’on est malade, on n’a nulle envie de travailler et on prend en grippe son atelier.

Vendredi 19 avril 1901Revenu de Touvent (163) mardi où j’étais parti triomphalement vendredi en emmenant Louis Ganderax, et où nous avons trouvé pluie, tempête, inondation. Le tout superbe, mais mauvais pour la convalescence d’un grippé. Je me remets seulement aujourd’hui. Eté ce matin au cimetière où j’ai trouvé une sorte de quiétude. J’ai dit ma vie à ma chérie et cela m’a remis de mon retour dans ma maison où je m’étais trouvé en détresse.

Jeudi 25 avril 1901Eté ce jour au Raincy (182), entretien de la tombe à partir du 1er mai prochain.

Mercredi 1er mai 1901Eté dimanche avec Charles visiter l’abbaye de Saint-Denis par un beau temps un peu frais. Longue promenade sur le toit de la cathédrale où cet intègre contrôleur fait sa tournée. Nous découvrons ce gigantesque parapluie de cuivre qui abrite la construction du sommet. Seule chose illogique dans ces admirables voutes gothiques. Revenus dîner chez Alfred Agache (13). Le souvenir se fond déjà car hier nous sommes allés à Chartres avec Bourdet et sa fille. Nous n’avons pas passé moins de 2 h à scruter le tout et les admirables détails. Quelle joie !Le côté stable de ces statues qui semblent être nées dans la pierre même du monument. Dans l’intérieur, cette envolée de faisceaux, des colonnettes, masquent de leur délicatesse la masse des piliers. Quelle harmonie. Quel cantique de pierre ! Et puis l’étincellement de joaillerie des vitraux, si chauds dans les tons foncés, entoure les silhouettes hiératiques. A la sacristie des émaux de belle venue. Mais que cela est froid à côté de ces gothiques pleins de sentiment. Le tour du chœur de Notre Dame le fait comprendre : à mesure que l’on s’achemine vers Henri II, les personnages prennent des allures théâtrales, ils s’adressent au public au lieu d’être à leur rôle intime et réel.

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Reste devant tout cela qu’il faut être de son temps. Il n’y a dans les choses du passé que celles qui ont été ainsi faites qui demeurent. Que voulez-vous sentir mieux ? A refaire ce que les autres ont fait, on ne fait pas oublier le passé et cela semblera un arrêt fâcheux dans la marche de l’art de son pays. Ceux qui retournent plus en arrière à l’enfance de l’art, sont pareils aux meilleurs qui retombent en enfance. Ils n’ont que le côté faible et sans grâce. Bonnes journées qui me font un grand bien moral et me décident à visiter cet été des musées et pays nouveaux.Les pastels revenus du Salon, je n’ai vendu que « Le petit marchand de plâtre sur le pont »… le sujet !Peu travaillé ces temps-ci avec l’ouverture du Salon, etc… :Le petit pastel « Conte de Noël » pour la Loute (Ganderax).L’esquisse de « La Sainte Famille ».Repris le pastel de « Madame Vallée ».

Mercredi 15 mai 1901Paresse à écrire. Pourtant ma vie est moins dure après ces petites expéditions dont la dernière à Pierrefonds avec Charles ; je me sens plus robuste au travail.Commencé sur la toile comme une esquisse le tableau du « Magasin » : c’est un thème à variations pour des têtes que j’étudie à part sur des toiles pour les avoir et en prendre ce qu’il faudra (183). Il me semble aussi que je pourrais donner plus d’unité au tableau, n’ayant pas peur d’atténuer ou d’effacer puisque les matériaux seront toujours là. Je me sens assez de verve à ce nouveau travail.Entre temps mêmes amitiés, mêmes soirées. Autrement doux que les cavalcades à travers le monde. Causerie avec Charles avant-hier, il me donne une leçon de droit concernant la façon de tester.

Mardi 4 juin 1901Je viens de relire les notes de la même date l’année dernière, hélas ! J’avais encore l’espérance de les relire un jour dans sa chambre, sa tête contre la mienne ! Comme nous nous sommes réjouis des mauvais jours en faisant meilleurs les jours présents.

Mardi 18 juin 1901Paresse pour écrire : c’est si triste ! Toujours les mêmes amitiés fidèles et réconfortantes. Madame Bourdet est venue avec moi au cimetière vendredi avec un bel hortensia bleu. Je suis tout démoli de nouveau. Est-ce la similitude de l’époque ? J’ai pourtant travaillé ferme et le tableau avance normalement. Je sais que je le comprends et le mène avec méthode, bien établi dans ses valeurs, avant de donner le premier coup avec la palette complète, et ce sera surement dans le cadre.Retourné au Louvre tantôt : les mesures pour la copie du Titien étaient fausses. Il vaut mieux l’avoir vu de suite. Eté encore un moment dans les salles Flamandes et Hollandaises. Je me souviens d’avoir déjà pensé au Louvre à ma pauvre chérie ces dernières années. Je me disais : la douleur l’empêchera désormais de gravir les escaliers et de venir ici. On la perd peu à peu et les détails douloureux se noient enfin dans le grand chagrin, qui ne finira jamais.

Dimanche 5 juillet 1901Hier au square, le fidèle Charles vient me retrouver et nous devisons, j’ai pu me trainer jusque là après une semaine d’indisposition gênante. Pas travaillé.La semaine d’avant préparé « Le Titien ». Billotte (17) venu hier matin ; on traine le tableau en préparation dans ma chambre et nous devisons.

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Il touche au point que me préoccupe : la reprise en peinture de cette grisaille déjà harmonieuse. Peut être a-t-il raison et une préparation truculente et riche en dessous serait-elle plus facile pour faire passer les neutres par-dessus. En effet, dans un tableau tout en valeurs et neutres, où est la sonorité si ce n’est dans la préparation ?J’ai envie de recommencer et d’ébaucher dans ce sens, ce serait une bonne école et la toile, déjà préparée, un excellent carton où je reprendrais conseil au moment de finir. Je ne sais encore m’y résoudre me sentant infirme, et si décontenancé dans ce triste logis où je suis inactif et ai trop à me rappeler la même époque l’an dernier  ! J’ai pu hier matin faire une visite !Le pauvre Laugrand venu avant-hier déjeuner me donne un remède : des jaunes d’œufs durs que l’on rendrait sur le feu, en les tournant, à l’état d’huile essentielle et l’on fait une promenade.

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1902

Dimanche 25 janvier 1902J’ouvre de livre et je suis abasourdi. Comment je n’ai rien écrit, rien noté, depuis juillet !Que de choses pourtant. Le tableau recommencé et ébauché en coloration, la Copie au Louvre, le voyage en Allemagne. Du moins les notes de voyages sont sur un petit calepin. Et puis la reprise du travail au retour. Ah ! Si j’avais pu rentrer dans un nouveau local ! Enfin ce mois affreux de décembre avec des douleurs si fortes dans le bras que je me suis vu définitivement infirme.Dans une de ces nuits de souffrance, seul dans mon grand atelier où j’ai transporté mon lit, j’ai eu la notion du bien que j’avais pu faire à ma chère malade.Enfin le 5 avril je cède mon bail à Monsieur J. Cohen et emménage au 45 avenue de Villiers (184), dans l’atelier plein de parfum de la jeunesse de mes chères petites amies, Juliette, Mireille, Margot Dubufe. J’attends ce moment avec impatience et vais faire mes 28 jours de février dans l’atelier voisin, où je finirai ma grande toile.

Samedi 12 juillet 1902Demain départ avec Charles (8) pour aller en Loir et Cher chez Alfred Agache (185). Je me réjouis de cette délicieuse vacance, qui sera si douce avec ces deux excellents esprits.Emménagé depuis un bon trimestre, je jouis cependant de mon atelier délicieux et j’y ai déjà travaillé en conscience. Il y fait bon le jour est c’est exquis.Fini le petit tableau pour Schaus, « La petite qui fume une cigarette ».« Portrait de Monsieur Hochon ».« Portrait de Jeanne Masseron ».Deux études avec la petite blonde : « La petite voleuse » et « Un petit nu ».« La Dame au chapeau noir, Sylvie ».Vendu « L’Accident » à l’Etat (186) pour 3.000 francs après une lettre d’Henry Roujon.Commencé le « Portrait de Marthe Javal ».

Dimanche 20 juillet 1902Eté avec Charles (8) passer la période insipide du 14 juillet chez l’excellent Agache (13), aux bords de la Loire. Causerie sur la terrasse de son gentil presbytère de l’amitié, tard dans la nuit. Bonne petite semaine de vacances dont toutefois je suis démonté à la suite de cette journée du 14 qui a été d’une chaleur accablante.Charles me dit : « Après la guerre de 70, la France a fait son examen de conscience et s’est aperçue qu’elle n’était plus la première en tout ».Au retour, je trouve un mot me disant que Schaus (58) ne veut pas du petit tableau que j’avais fait pour lui et refusé peu avant à un marchand qu’on m’amenait à mon atelier.Mireille Dubufe (120) décidément va partir à Divonne. Eté vendredi me cogner à cette pierre muette et fleurie. C’est un port.

Lundi 28 juillet 1902Louis Ganderax (22) vient déjeuner avec moi et m’emmène dîner à Saint Germain-en-Laye. Quel ami !

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Dimanche 3 août 1902Par ces temps ci, travaillé à différentes études, avec difficultés venant de modèles irréguliers ou lâcheurs.« La bouquetière » avec Marcelle (186).

Après sa rencontre avec Marcelle, qui date de l’été 1902, certainement amoureux et trop occupé, Edouard Rosset-Granger cessera définitivement de tenir son journal.

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NOTES

1897(1) La Bobard est un des modèle favori de Rosset-Granger, modèle qu’il partage avec Alfred Agache.(2).Le Cercle de l’Union Artistique dit l’Epatant et appelé aussi le Cercle des Mirlitons. Il est situé place Vendôme à Paris. Il fut créé en 1860 par le Comte d’Osmond.(3) Ernest Ange Duez, artiste peintre, illustrateur, pastelliste et aquarelliste (né le 7 mars 1843 à Paris, décédé le 4 avril 1896 à Bougival), ami intime de Rosset-Granger. Décédé d’une hémorragie cérébrale en faisant de la bicyclette dans la forêt de Saint Germain-en-Laye. Son atelier parisien était situé au 39 boulevard Berthier, Paris 17ème.(4) Guillaume Edouard Marie Dubufe, peintre et illustrateur français (1853-1909), ami intime de Rosset-Granger, fils d’Edouard Louis Dubufe (1819-1883), peintre français. Il décéda brutalement sur le bateau qui l’emmenait à Montevideo pour préparer une exposition d’e peintures françaises.(5) Louis Robert De Cuvillon, dessinateur et aquarelliste (né le 29 février 1848 à Paris, décédé en 1932), membre de la Société des Aquarellistes Français, ami intime de Rosset-Grange et compagnon de voyage. Au début des années 1900, il habitait au 71 avenue de Villiers, Paris 17ème.(6) Jehan Georges Vibert, peintre académique et dramaturge français (1840-1902).(7) Pierre Puvis de Chavannes, artiste peintre français (né le 14 décembre 1824 à Paris, décédé le 24 octobre 1898 à Paris), maître de Rosset-Granger. Son atelier d’artiste était établi 11 place Pigalle. A partir de 1868, il possédera un second atelier situé à Neuilly. Il habitera à partir des années 1860 au 89 avenue de Villiers chez la Princesse Cantacuzène qu’il épousera le 21 juillet 1897.(8) Charles Emile Auguste Durant dit Carolus-Duran, artiste peintre français, parfois qualifié de peintre mondain (né le 4 juillet 1837à Lille, décédé le 17 février 1917 à Paris), ami intime de Rosset-Granger, marié à Pauline Croizette. De 1876 à 1897, il possédait résidence et atelier à Montgeron (91) au lieu-dit Le Moustier, 1 rue du Pont-de-Bart. En 1891, il habitait 125 avenue des Champs-Elysées.En parallèle avec sa résidence de Montgeron, il habitait 58 rue Notre-Dame des Champs et son atelier était situé 11 passage Stanislas, Paris 6ème. Depuis 1913, cette rue s’appelle Jules-Chaplain. Son atelier était fréquenté par de très nombreux artistes dont plusieurs américains ou anglo-saxons.(9) Ordre du Medjidié, Turquie, reçu pour des panneaux décoratifs à La Banque Française de Constantinople en 1896 avec les peintres Dubufe, La Touche et Montenard.(10) Etude à la craie de La Somnambule. Le tableau a été exposé au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de Paris en 1897 sous le n° 1095.(11) Madame Angèle Duglé (1848-1929), nièce de Charles Gounod, et son époux, Robert Duglé, organisaient régulièrement les jeudis des après-midi musicales et artistiques dans leur hôtel particulier, 7 rue Daubigny à Paris.(12) Edouard Pailleron, dramaturge, poète et journaliste français (1834-1899), auteur de nombreuses pièces de théâtre.(13) Alfred Agache, artiste peintre français (né le 29 août 1843 à Lille, décédé le 15 septembre 1915 à Cour-Cheverny), ami intime de Rosset-Granger. Sa famille possédait une propriété à Bizy près de Vernon où Rosset-Granger se rendit souvent. Il habitait 14 rue Weber à Paris 16ème.(14) Henry Roujon, haut-fonctionnaire, essayiste et romancier français (1853-1914). Il publia sous le pseudonyme d’Henri Laujol, en septembre et octobre 1886 dans la Revue Les lettres et les arts, une nouvelle Le docteur Modesto, illustrée par Rosset-Granger.(15) Albert Ballu, architecte français (né le 1er juin 1849 à Paris, décédé en 1939 à Paris), ami de Rosset-Granger. Marié avec Marguerite Houël (1849-1916).(16) Paul Emile Berton, artiste peintre français (1879-1912).(17) René Billotte, artiste peintre français (né le 24 juin 1846 à Tarbes, décédé en 1915 à Paris), condisciple et ami de Rosset-Granger. Son atelier était situé au 29 boulevard Berthier, Paris 17ème.(18) Adrien Moreau, artiste peintre français (né le 18 août 1843 à Troyes, décédé le 22 février 1906 à Paris), ami de Rosset-Granger. Chevalier de la Légion d’honneur en 1906. Son atelier était situé au 9 rue Mozart à Paris 16ème.(19) Eugène Baptiste Emile Dauphin, artiste peintre français (1857-1930).(20) Frédéric Montenard, artiste peintre français (né le 21 mai 1849 à Paris, décédé le 11 février 1926 à Besse-sur-Isole, Var), élève de Puvis de Chavannes et ami intime de Rosset-Granger. Son atelier parisien était situé au 8 rue Ampère, Paris 17ème.(21) Jean Richepin, poète, romancier et auteur dramatique français (1849-1926).

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(22) Charles Etienne Louis Ganderax (né le 25 février 1855 à Paris, décédé le 16 janvier 1940 à Croissy-sur-Seine), journaliste et critique de théâtre, co-fondateur de la Revue de Paris avec Henri Meilhac ; ami intime de Rosset-Granger.(23) Jean Lorrain, écrivain scandaleux de la Belle Epoque (1855-1906).(24) Louise-Elisabeth Vigié, épouse Lebrun dite Vigié-Lebrun, artiste peintre française (1755-1842).(25) Pascal Dagnan-Bouveret, artiste peintre (né le 7 janvier 1852 à Paris, décédé le 3 juillet 1929 à Quincey-sous-Vesoul), ami intime de Rosset-Granger. Son atelier était situé 75 boulevard Bineau à Neuilly.(26) Louise Lefuel, épouse Hochon, filleule du peintre Ernest Hébert (1817-1908). Elle tenait un salon mondain dans son bel hôtel particulier de la rue du Rocher, amie intime de Rosset-Granger.(27) Ernest Hébert, artiste peintre français italianisant (1817-1908), premier Grand Prix de Rome en 1839, Grand-croix de la Légion d’Honneur.(28) Avant ce déménagement l’atelier de Rosset-Granger était situé au 5 rue Emile-Allez, Paris 17 ème : à partir du 29 mai 1897, il habitera 78 rue Dulong, Paris 17ème jusqu’au 5 avril 1902. (29) Sir Henry Morton Stanley, journaliste et explorateur britannique (1841-1904), auteur notamment de « Comment j’ai retrouvé Livingstone ».(30) Salon annuel de la Société des Aquarellistes Français dont Rosset-Granger est membre.(31 Salon annuel de la Société Nationale des Beaux-Arts de Paris se tenant au Champs-de-Mars (La Somnambule).(32) Galerie Georges Petit, 7 rue Saint Georges à Paris. Marchand d’art et galériste concurrent de Durand-Ruel, siège du Salon annuel des Pastellistes Français.(33) Madeleine Lemaire, peintre et aquarelliste français (1845-1928).(34) Maurice Hamel, écrivain et critique d’art, publie notamment dans la Gazette des Beaux-Arts.(35) Louis-François Bertin, dit Bertin l’ainé, journaliste et écrivain français (1766-1841), dont le portrait par Jean-Dominique Ingres figure au Louvre.(36) Anniversaire de la naissance de Rosset-Granger (9 juillet 1853 – 25 juillet 1934).(37) Henri Meilhac, auteur dramatique et librettiste d’opéras français (1831-1897), co-fondateur de la Revue de Paris avec Louis Ganderax.(38) Edmond Georges Grandjean, peintre français de genre et de paysages urbains (1844-1908), ami intime de Rosset-Granger. Il habitait 83 rue des Sablons, Paris 16ème. (39) Lucien Herr, intellectuel français, pionnier du socialisme (1864-1926).(40) Miguel Zamacoïs, romancier, auteur dramatique, poète et journaliste français (1866-1940).(41) Paul Louis Baignères, artiste peintre français de genre, portraits et paysage (1869-1945). Il s’engage en 1914 et y reçoit, pour faits de guerre, la Légion d’honneur et la Croix de guerre.(42) Monsieur et Madame Gaston Joseph Sciama, ingénieur civil des Mines (né en 1865), amis de Rosset-Granger qui fit leur portrait à plusieurs reprises.(43) Amélie Rossi, un modèle du peintre.(44) Pierre Etienne Ganderax, diplomate français (né le 11 novembre 1857 à Paris, décédé le 1 er mars 1944 à Paris), officier de la Légion d’honneur par décret daté du 20 octobre 1911, frère de Charles Etienne Louis Ganderax, tous deux amis intimes de Rosset-Granger.(45) Gaston Jacques Ernest Yvert de Saint-Aubin, Comte Yvert, camérier secret du Pape Pie IX.(46) Emile Straus (1849-1926), avocat des Rothschild, marié le 7 octobre 1886 avec Geneviève Halévy, veuve de Georges Bizet qui tenait salon chaque dimanche dans leur hôtel particulier 134 boulevard Haussmann, point de ralliement des partisans de Dreyfus.(47) Paul Albert Bartholomé, peintre et sculpteur français (1848-1928).(48) Gaston de La Touche, peintre, pastelliste, aquarelliste, graveur, illustrateur et sculpteur français (né le 24 octobre 1854 à Saint-Cloud, décédé le 12 juillet 1913 à Paris), promu officier de la Légion d’honneur en 1909, ami de Rosset-Granger. Il habitait à Saint-Cloud dans l’hôtel particulier familial où il avait son atelier et y recevait régulièrement ses amis peintres.(49) Louise, un modèle régulier du peintre.(50) Maurice Paléologue, diplomate, historien et essayiste français (1859-1944).(51) Juliette Dubufe, épouse Wehrlé, peintre, née en 1879, fille aînée de Guillaume Dubufe.(52) Jean-Baptiste Edouard Detaille, peintre académique français (né le 5 octobre 1848 à Paris, décédé le 23 décembre 1912 à Paris), fait commandeur de la Légion d’honneur le 14 juillet 1897, ami de Rosset-Granger. Il habitait 129 boulevard Malherbes, Paris 17ème.(53) Carlotta Zambelli, danseuse étoile italienne de l’Opéra Garnier (1875-1948).(54) Alexandre Georges Henri Regnault, artiste peintre orientaliste français (1843-1871).(55) Veuve d’Hector Martin Lefuel, architecte français (1810-1880) qui acheva les travaux du Louvre après le décès brutal de Visconti ; mère de Madame Louise Hochon.

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(56) Il s’agit de la maison que possédaient les Dubufe à Capri en Italie où Rosset-Granger séjourna à plusieurs reprises en compagnie de Guillaume Dubufe, son ami.(57) Nicolas Félix Escalier (1843-1920), peintre, aquarelliste, décorateur et architecte français. Il décora le buffet de l’Opéra, le cercle de la rue Boissy d’Anglas et l’hôtel Richenski à Varsovie, ami intime de Rosset-Granger. Fait chevalier de la Légion d’Honneur le 10 décembre 1900. Il habitait 157 rue de Rome, Paris 17ème.(58) Epouse d’Herman Schaus (1850-1911), marchand d’art à New York, d’origine allemande (William Schaus Art Galleries New York).(59) François Léopold Flameng, artiste peintre, graveur et illustrateur français (né le 6 décembre 1856 à Paris, décédé le 26 février 1923 à Paris), ami intime de Rosset-Granger. Il est le fils du graveur Léopold Flameng (1831-1911). Son atelier était situé au 61 rue Ampère, Paris 17 ème et il habitait 18 rue d’Armaillé, Paris 18ème.(60) Roger Joseph Jourdain, peintre, aquarelliste et illustrateur français (né le 11 décembre 1845 à Louviers, décédé le 18 août 1918 à Paris), élève de Cabanel, ami de Rosset-Granger. Il habitait 22 rue Eugène-Flachat, Paris 17ème. Maire de Rueil-Malmaison de 1900 à 1906. Il fit bâtir par Nicolas-Félix Escalier un hôtel particulier au 45 avenue de Villiers, Paris 17ème qu’il revendit deux plus tard à Guillaume Dubufe.(61) Pierre-Nicolas Tourgueneff (né le 2 avril 1853 à Paris, décédé le 21 mars 1912 à Paris), peintre animalier et sculpteur français. Il habitait un hôtel particulier au 97 rue de Lille, Paris 7 ème mais passait le plus clair de son temps dans son atelier au Château de Vert-Bois à Rueil-Malmaison où se rendait fréquemment son ami Roger Joseph Jourdain.(62) Madame Loute Ganderax, épouse de Louis Ganderax.(63) Albert Pierre Dawant, artiste peintre français (né le 21 septembre 1852 à Paris, décédé en 1923 à Paris), condisciple et ami intime de Rosset-Granger. Son atelier était situé au 9 rue Ampère, Paris 17ème.(64) Traité mettant fin à la guerre franco-allemande de 1870-1871, signé par les deux belligérants le 10 mai 1871.(65) Alfred Picard (1844-1913), ingénieur, commissaire général de l’Exposition universelle de 1900.(66) Albert Louis Aublet, artiste peintre français d’inspiration orientaliste (1851-1938).(67) Jean-Charles Cazin, peintre, sculpteur et céramiste français (1840-1901).(68) Albert Faucheux dit Charles Barlet (1838-1921) et Julien Lejay, occultistes français. Le premier devint Grand Maître de l’ordre kabbalistique de la Rose-Croix.(69) Il s’agit du plafond de la bibliothèque de la Sorbonne, peint par Guillaume Dubufe.(70) Jules Elie Delaunay, peintre français connu pour ses peintures murales et ses portraits (1828-1891).(71) Paul Jacques Aimé Baudry, peintre académique français (1828-1886).(72) Ferdinand Brunetière, historien de la littérature et critique littéraire français (1849-1906). Directeur à partir de 1893 de La Revue des Deux Mondes.(73) La commune de Moisson est située à 17 km au nord-ouest de Mantes-la-Jolie sur la Seine.(74) Anatole France, écrivain et critique littéraire français (1844-1924).(75) Marguerite Dubufe (1887-1968), une des filles de Guillaume Dubufe, appelée souvent Margot.(76) (Anne Marie Timoléon) François de Cossé, 11ème Duc de Brissac (1868-1944).(77) Aïno Ackté, soprano finlandaise (1876-1944). Elle débute à l’Opéra Garnier en 1897 dans le rôle de la Marguerite de Faust.(78) René Armand François Prudhomme dit Sully-Prudhomme, poète français (1839-1907), premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.(79) Mathilde-Létizia Wilhelmine Bonaparte dite le Princesse Mathilde (1820-1904), fille de Jérôme Bonaparte, frère de l’empereur Napoléon 1er. Elle tenait 20 rue de Berri, sous le Second Empire et la Troisième République, chaque mercredi, un salon littéraire couru que fréquentait régulièrement Rosset-Granger.(80) Fernand Bourdet, ingénieur (1853-1906) marié avec Marguerite Vallée (1860-1908).(81) Mary Louise Fuller dite Loïe Fuller, danseuse américaine (1862-1928), célèbre pour les voiles qu’elle faisait tournoyer dans ses chorégraphies.(82) Jules Joseph Lefebvre, peintre académique français (1834-1911).(83) Maurice d’Ocagne, ingénieur et mathématicien français (1862-1938),(84) Pierre Lagarde, artiste peintre d’histoire et pastelliste français (1853-1910).(85) Gabriel Monod, historien français, dreyfusard (1844-1912).(86) Emile Ollivier ; homme politique français, député de la Seine en 1857, puis Ministre de la justice pendant 6 mois en 1870.(87) Marie-Claire et Adrienne Ballu, les deux filles d’Albert Ballu, architecte (1849-1939).

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(88) Cécile Woog, épousée par Guillaume Dubufe en 1875. Le couple aura cinq enfants dont Juliette.(89) Jean Béraud, peintre académique français, spécialiste de la vie parisienne (1849-1935).(90) Henri Gervex, peintre et pastelliste français (1852-1929), condisciple de Rosset-Granger dans l’atelier d’Alexandre Cabanel, épouse Henriette Fauché le 9 février 1893.(91) Les deux frères, Henri (né le 29 juillet 1868 à Paris) architecte, et Albert Guillaume (né le 14 février 1873 à Paris, décédé le 10 août 1942 à Faux), peintre et caricaturiste français, étaient des amis proches de Rosset-Granger.(92) Comte Marcel de Germiny, alias Maxime Gray, auteur de chansons et de pièces de théâtre.(93) Maurice Bouchor, poète et auteur dramatique français (1855-1929).(94) Ludovic Baschet, éditeur d’art (1834-1909).

1898(95) Croix de chevalier de la Légion d’honneur remise le 4 février 1898 à Rosset-Granger par Pierre Puvis de Chavannes, son maître..(96) Albert Siffait de Moncourt, artiste peintre de genre français (né le 17 décembre 1858 à Nantua, décédé le 14 avril 1931), ami de Rosset-Granger.(97) Armand Berton (né le 16 septembre 1854 à Paris, décédé en 1927), artiste peintre et graveur, élève d’Alexandre Cabanel en même temps que Rosset-Granger. Peintre de nus, de portraits et de scènes allégoriques. Auteur de nombreuses gravures à l’eau-forte. Ami intime de Rosset-Granger. Son atelier parisien était situé au 60 rue Madame, Paris 6ème, puis au 9 rue de Bagneux, Paris 6ème

(voie aujourd’hui disparue).(98) Paul Victor Mathey, artiste peintre portraituriste français (1844-1929).(99) François Lafont, artiste peintre académique français (1846-1920).(100) Roger Ballu (né le 27 mars 1852 à Paris, décédé le 18 mai 1908 à Gournay-sur-Marne), frère d’Albert Ballu, critique d’art, administrateur et homme politique français. Participe en 1885 à la fondation de la Société des Pastellistes Français, ami proche de Rosset-Granger.(101) Jules Breton, artiste peintre naturaliste et poète français (1827-1906).(102) Salon de la Nationale des Beaux-Arts de Paris, dont Rosset-Granger fut l’un des cofondateurs en 1890 et dans lequel il exposa chaque année jusqu’en 1932.(103) Eugène Anatole Carrière, artiste peintre et lithographe symboliste français (1849-1906).(104) La rue commerciale la plus chère d’Amsterdam.(105) Wilhelmine van Oranje-Nassau (1880-1962), Reine des Pays-Bas de 1890 à 1948, dont les 8 premières années sous la régence de sa mère Emma de Waldeck-Pymont.(106) Jozef Israëls, peintre réaliste néerlandais (1824-1911).(107) Gérard Dou ou Gerrit Dow, artiste peintre néerlandais, principal représentant de l’école de Leyde (1613-1675). Elève de Rembrandt.(108) Emile Friant, graveur et artiste peintre français (1863-1932).(109) Clara, un modèle de Rosset-Granger qui la fera poser plus tard pour une très jolie toile intitulée « Pizzicato ou Clara au violon », toile exposée en 1905 au Salon de la Nationale.

(110) Eugène Samuel Auguste Fromentin, artiste peintre et écrivain français (1820-1876). « Les maîtres d’autrefois » est une étude sur la peinture flamande et hollandaise.

1899(111) Salon des Pastellistes Français dont Rosset-Granger est membre depuis sa nomination le 13 décembre 1890.(112) Monsieur Danloux possédait un hôtel particulier à Paris que Rosset-Granger décora.(113) Robert Demachy, photographe français, chef de file des picturalistes (né le 7 juillet 1859 à Saint Germain-en-Laye, décédé le 29 octobre 1936 à Hennequeville, Calvados), fondateur du Photo-Club de Paris en 1888, ami intime de Rosset-Granger qui fit de lui un pastel (Journal du 10 juin 1899).(114) Alice, un autre modèle de Rosset-Granger.(115) Emile Charlet, artiste peintre français (1851-1910), nommé Sociétaire de la Société Nationale des Beaux-Arts de Paris en 1899.(116) Il s’agit d’un projet de diplôme pour l’Exposition Universelle de Paris de 1900 où de nombreux artistes ont concourus.(117) Docteur Louis Brocq (1856-1928), médecin-chef à l’hôpital Saint-Louis en dermatologie, grand collectionneur de peintures modernes (Lebasque, Lebourg, Grigoresco, etc).

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(118) Paul Albert Besnard, artiste peintre, décorateur et graveur français (1849-1936). Les finalistes du concours, outre Rosset-Granger, étaient Albert Besnard, Camille Boignard, Michel Lançon et Diogène Maillart (1840-1926).(119) Magdelaine de Saint-Exupéry (1864-1942), mariée en 1882 avec le Comte de Jouan de Kervénaoël (1862-1945).(120) Fille de Guillaume Dubufe et Cécile Woog, Mireille née en 1882 épousera le 30 mars 1909 Pierre Contant (1875-1974), directeur de la banque ottomane de Bucarest. Elle avait 2 sœurs, Juliette née en 1879 et Marguerite née en 1887, et 2 frères, Edouard né en 1883 et Vincent né en 1889.(121) Jean Léon Gérôme, peintre académique et sculpteur français (1824-1904), possédait à Bougival un atelier sur les quais.(122) Pauline Croizette, artiste peintre (1839-1912), mariée le 30 janvier 1868 avec Charles Auguste Emile Durant, dit Carolus-Duran, amis intimes de Rosset-Granger. Ils eurent trois enfants, Marie-Anne, Sabine et Pierre.(123) Marguerite Vallée (1860-1908), épouse de Fernand Bourdet et mère d’Edouard Bourdet (1887-1945), auteur dramatique et journaliste français, qui se maria en 1909 avec Caroline Pozzi, dite la Grande Catherine, poétesse et femme de lettres.(124) Louise Geneviève Leduc, née en 1828, mère d’Etienne et Louis Ganderax.(125) Le vainqueur du concours Camille Boignard reçoit 10.000 francs et les 4 autres finalistes 1.000 francs.(126) Fin du premier cahier manuscrit de Rosset-Granger qui va du 16 janvier 1897 au 4 octobre 1899.(127) Caroline Angèle Espivent de Villesboisnet (1859-1940), mariée avec le Gaston Jacques Ernest Yvert de Saint-Aubin.(128) Galerie Georges Petit. Georges Petit, galeriste et marchand d’art, rival de Durand-Ruell (1856-1920) ouvre sa galerie en 1881 au 12 rue Godot-de-Mauroy puis la transfère au 8 rue de Sèze à Paris. Il organise notamment les expositions annuelles de la Société des Aquarellistes Français (1879-1832) et celle de la Société des Pastellistes Français (1885-1928).(129) Frou-Frou, comédie en cinq actes d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, créée en 1869.(130) Gringoire, comédie historique en un acte écrite en 1866 par Théodore de Banville (1823-1891), poète, dramaturge et critique dramaturge français.(131) Adolphe Thiers, avocat, journaliste, historien et homme politique français (1797-1877), auteur notamment de l’Histoire du Consulat et de l’Empire. En 1871, il devint premier Président de la Troisième République et, la même année, ordonna l’écrasement de la Commune de Paris.(132) Charles Claude Bourgonnier, artiste peintre de genre et de paysages, lithographe et sculpteur (1860- 1921)(133) Louise de Calan (1874-1932) mariée en 1896 à Henri Jouan de Kervénoaël (1870-1940) et sa sœur, Anne-Marie de Calan (1879-1932) mariée en 1898 à Charles Boscals de Réals (1869-1942).(134) Mère d’Albert Ballu et Roger Ballu, veuve de Théodore Ballu (1817-1885), architecte français auquel on doit un grand nombre d’édifices publics de la Capitale, notamment des églises et la reconstruction de l’Hôtel de Ville.(135) Longwy, siège des Aciéries de Longwy pour lesquelles Rosset-Granger reçu commande de panneaux pour la section Métallurgie de l’Exposition Universelle de Paris en 1900.(136) Dessins de la restitution du forum de la villa antique de Timgad. Albert Ballu intervint pendant plus de 30 ans, en tant qu’architecte en chef de l’Algérie et y dirigea, en particulier, les fouilles de Tebessa et de Timgad.

1900(137) Jean Gounod (1856-1935), artiste peintre et musicien français, fils de Charles Gounod (1818-1893), compositeur français, apparenté à la famille Dubufe.(138) Madame Baret était la nouvelle bonne des Rosset-Granger en 1900.(139) Il s’agit de la petite chatte de Rosset-Granger.(140) Il s’agit d’une huile sur toile (130 cm x 128 cm) exposée au Salon de la Nationale en 1893 et à l’Exposition Universelle de Bruxelles en 1897. Cette toile était installée dans la chambre de Léa Dehay, une des belle-sœur de l’artiste. Pierre Dehay, son fils, en fit don au Musée Boetz de Maubeuge en 1979.(141) L’atelier de Gaston La Touche se situait au 31 rue Dailly à Saint-Cloud.(142) Madame Aglaë Mazerolle, née Hourdou était la veuve du peintre français Alexis-Joseph Mazerolle (1826-1889), réputé pour ses œuvres décoratives.(143) Andrée, un modèle du peintre.(144) Rosset-Granger y expose un pastel « La Rue Royale ».

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(145) Il s’agit du Pont Alexandre III et du Grand Palais construits pour l’Exposition Universelle de 1900.(146) Il s’agit d’un quartier de l’Exposition Universelle de 1900, situé rive gauche, près de la Seine.(147) Jacques Hermant (1855-1930), architecte français, pionnier pour l’utilisation du béton armé, réalisateur du Palais du Génie civil et des moyens de Transports de l’Exposition de 1900.(148) Marius Toudoire, architecte français (1852-1922), chargé par le Conseil d’Administration de la Compagnie des Chemins de Fer de Paris à Lyon et la Méditerranée (PLM), présidé par Stéphane Dervillé, de la réalisation de la gare de Lyon à Paris, en charge en plus du choix des artistes pour la décoration.(149) Rosset-Granger avait une peinture à l’Exposition Centennale, « Portrait de Madame S… » et cinq autres à l’Exposition Décennale, dont « La Somnambule » et le « Portrait de Mlle Mireille Dubufe ». Ces deux grandes expositions se tenaient au Grand Palais.(150) Jean-Jacques Henner (1829-1905), artiste peintre français, portraituriste et dessinateur apprécié de son vivant.(151) Mademoiselle Stella Hervieu, fille de Paul Hervieu (1857-1925), auteur dramatique, écrivain et académicien français. Il fut un peintre des milieux mondains.(152) Louis Edouard Paul Fournier (1857-1917), artiste peintre et illustrateur français.(153) John Singer Sargent, peintre américain (1856-1925), peintre de composition, scènes de genre, figures, portraits, paysages et marines. Il fut l’élève de Carolus-Duran et de Léon Bonnat.(154) Paul Baudry, artiste peintre et décorateur français. Il décora notamment le foyer de l’Opéra Garnier.(155) Gilbert Galland (1870-1956), artiste peintre orientaliste français, nommé peintre de la marine.(156) Camille Bernier (1823-1902), artiste peintre français.(157) Il s’agit du Salon doré du Restaurant Le Train Bleu à l’intérieur de la Gare de Lyon.(158) Rosalie, un modèle du peintre, utilisé notamment pour Le lac du Bourget (PLM).(159) Il s’agit d’une huile sur acajou, exposée au Salon de la Nationale en 1899, et intitulée « Autoportrait ».(160) Juliette Noyer était un modèle habituel de Rosset-Granger. Exemple, le tableau intitulé « Petite Juliette au balcon avec masque noir » en 1911. (161) Décès à 77 ans de Madame Marie Adrienne Rosset, mère de l’artiste, à son domicile, le 28 juillet 1900 à 14h55.(162) André Rivoire (1872-1930) poète et auteur dramatique français.(163) Touvent était la résidence secondaire de la famille Bourdet-Vallée.(164) Il s’agit d’une peinture représentant des Amours d’après Boucher pour un dessus de porte destiné à l’hôtel particulier de la Comtesse Richenska à Varsovie.(165) Une rétrospective de l’œuvre d’Auguste Rodin (1840-1917) est organisée au « Pavillon Rodin » situé place de l’Alma dans le cadre de l’Exposition Universelle de 1900.(166)) La famille Dubufe possédait une propriété à La Roche-Guyon.(167) Le théâtre des Bonshommes Guillaume, situé rue de Paris, était une attraction crée par Albert Guillaume (et son frère Henri) pour l’Exposition de 1900.(168) Camille Lefèvre, sculpteur français (1853-1933).(169) Il s’agit d’une huile sur toile achevée en 1901.(170) André Wilder (1872-1965), peintre français, auteur principalement de paysages et marines, influencé par Claude Monet et Maxime Maufra.

1901(171) Les peintures de Frédéric Montenard dans la salle du Train bleu à la Gare de Lyon étaient « Villefranche-sur-mer » et « Monaco » ; celle de Rosset-Granger, « Le lac du Bourget ».(172) Il s’agit de la « Revue de Paris ».(173) Constant Troyon (1810-1865), artiste peintre français, membre de l’école de Barbizon.(174) Nicolas de Largillierre (1656-1746), artiste peintre français, particulièrement influent sous Louis XIV et la Régence.(175) Gustave Moreau (1826-1898), peintre, graveur, dessinateur et sculpteur français. Il fut l’un des principaux représentants en peinture du courant symboliste imprégné de mysticisme.(176) Joseph Reinach (1856-1921), journaliste et homme politique français. Il prit, dès 1894, la défense d’Alfred Dreyfus. Auteur de la monumentale « Histoire de l’Affaire Dreyfus ».(177) Jules Cornely, journaliste français (1845-1907), successivement rédacteur en chef du Gaulois, Le Clairon et Le Figaro. En décembre 1897, lors de l’affaire Dreyfus, il dut démissionner du Gaulois pour avoir publié un article favorable au capitaine Dreyfus. Il entra alors au Figaro, puis en 1901 au Siècle.

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(178) Adrien Chancel (1853-1901), architecte des bâtiments civils et des palais nationaux, il devient architecte en chef du Palais de l’Elysée en 1890. Mort accidentellement en 1901 à Perpignan.(179) Envoi à la Société des Pastellistes de 7 pastels : « Avant le bain, Clair de lune, Dans une tente, Le petit marchand de plâtre sur le pont, Près du feu, rêvrie et Tête blonde ».(180) Santiago Arcos y Megalde (1865-1912), peintre, dessinateur, aquarelliste et illustrateurs de livres chilien.(181) Le journal de Rosset-Granger des années antérieures à 1897 a disparu au cours des déménagements successifs de sa veuve, après le décès de l’artiste le 26 juillet 1934.(182) Cimetière où sont enterrés son père adoptif, Mathieu Edouard Granger, et sa mère Marie Adrienne Rosset.(183) La toile s’intitulera « L’accident ». Elle sera présentée au Salon de la Nationale en 1902. L’artiste effectuera au préalable trois huiles préparatoires de têtes de femmes.

1902(184) Le 45 avenue de Villiers jouxtait l’atelier que possédait Guillaume Dubufe à partir de 1878, situé au 43 de cette même avenue, devenu depuis le Musée Jean-Jacques Henner. Rosset-Granger restera dans cet atelier jusqu’en 1919, date à laquelle il déménagera au 17, avenue Gourgaud, Paris 17 e où il décèdera le 25 juillet 1934.(185) Le peintre Alfred Agache possédait une propriété à Cour-sur-Loire (Cour-Cheverny aujourd’hui) près de Blois.(186) L’Accident a été acquis par l’Etat le 21 juin 1902 et mis en dépôt au Musée des Beaux-Arts de Saint-Etienne, puis à l’hospice Saint Roch d’Issoudin.(187) Il s’agit de Christa Adèle Dehaye, dite Marcelle (née à Hautmont, département du Nord le 13 janvier 1882, décédée à Paris le 31 juillet 1965), vendeuse de bouquets de fleurs qui servira de modèle à Rosset-Granger pour ce tableau. Elle deviendra peu après la compagne d’Edouard Rosset-Granger qui l’épousera le 27 décembre 1917.

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