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International Royaume-Uni / Adoptions forcées

16 La Libre Belgique - samedi 14 et dimanche 15 décembre 2013 17samedi 14 et dimanche 15 décembre 2013 - La Libre Belgique

Gary, Karenet Jaimie, réfugiés,“au milieu de nulle part”.

MIC

HEL

TONN

EAU

“Nous ignoro ns où est notre fille”SANS DÉFENSE

TémoignageRecueilli par Olivier le Bussy

Gary dépose sur la table un al­bum souvenir. Le sourire deJudi, 1 an et demi à l’époque, il­lumine la couverture. Les pa­ges de papier coloré débordent

de photos prises sur trois mois dans lecentre où Gary et son épouse Karen(1) ontpu rendre visite à leur fille, quelque partdans l’est de l’Angleterre. La garde de Judileur avait été retirée, quatre jours après sanaissance, en 2011, les services sociauxbritanniques estimant que Gary et Karenprésentaient un profil de parents suscep­tibles de faire subir des violences psycho­logiques (emotional abuse) à leur fille, dansle futur. Pourtant, l’amour parental trans­pire des clichés. Et la lettre d’une respon­sable du centre, témoignant à Karen etGary de “son profond regret”, suite au pla­cement de Judi, leur assure qu’ils sont “desparents formidables”. “Ils n’en ont pas tenucompte au tribunal”, où le couple a tentéde récupérer son enfant, se désole Gary.Cette séparation, Gary la juge “pire que lamort. Après la mort, vous pouvez faire votredeuil. Ici, nous ne savons pas où et avec quiest notre fille”. Ni s’ils la reverront jamais,car Judi a été adoptée.

Karen et Gary sont un de ces milliers decouples dont les enfants ont été retirés abu­sivement par les services sociaux britanni­ques “par mesures préventives”, puis placésen famille d’accueil avant d’être adoptés(lire ci­contre). La presse a révélé, début dé­cembre, jusqu’où pouvait aller cette kaf­kaïenne obsession de la prévention.En 2012, les services sociaux du comtéd’Essex ont obtenu le droit d’enlever sonbébé par césarienne forcée à une Italiennesouffrant de troubles psychiatriques.

Un refuge, sur le continentJaimie, tonique bambin de 3 mois, passe

des bras de Gary à ceux de Karen.Deux mois avant sa naissance, le couple afui le Royaume­Uni pour éviter qu’on luiretire son second enfant. Ils ont trouvé re­fuge depuis trois mois chez David etLaura, dans un pays de l’Union euro­péenne(2). David, assistant social, et Laura,enseignante, ont découvert le scandaledes adoptions forcées dans les médias.Après avoir creusé le sujet, ils sont entrésen contact avec une personne active dansla défense des parents. “Nous lui avons de­mandé ce que nous pouvions faire, rappelleLaura. Elle nous a dit : accueillir un couplequi veut fuir.” Gary et Karen. “On a à peineréfléchi avant de dire oui, reconnaît David.

Nous ne sommes pas riches, mais nous avonsune grande maison. Nos conditions étaientque ces personnes soient autonomes finan­cièrement, et qu’elles n’aient ni problèmed’alcool ni de drogue. Nous les avons ac­cueillis parce que nous jugeons que ces adop­tions forcées violent les droits de l’homme”,complète David. Pour accueillants et ac­cueillis, ce saut vers l’inconnu ne va passans appréhension. “On était mort depeur”, admet David. “Moi aussi, glisse Ka­ren. Mais je leur suis très reconnaissante dem’avoir permis d’avoir Jaimie.”

La vie de Karen, 33 ans, n’a pas été unlong fleuve tranquille. Is­sue d’un milieu modeste,elle a eu trois filles –la pre­mière à 16 ans– et un gar­çon d’une première union.Quand le couple se sépare,le père garde les enfants.Karen refait sa vie avec unpatron de bar. Alors qu’elleest enceinte de lui, sonmari est emprisonné, pours’être méconduit avec unemineure. “Les services so­ciaux m’ont dit que je devaisle quitter et que je pourraisgarder le bébé. Mais moi jecroyais en son innocence”, explique Karen.Elle élève seule sa fille pendant un an etdemi, avant que les services sociaux ne lalui enlève, toujours en vertu du brumeuxconcept d’“emotional abuse in the future”.Depuis le “last goodbye”, l’envoi de deuxlettres et une réponse des parents adop­tifs, Karen n’a plus pris de nouvelles :“Qu’écrire à un enfant qui ne vous connaîtplus?”

Après avoir quitté son second mari vio­lent, Karen récupère ses trois filles. “Nousvivions dans un appartement d’une cham­bre. J’ai appelé les services sociaux pouravoir de l’aide, ils m’ont félicitée.” Vient larencontre avec Gary, vingt ans plus âgé,divorcé après vingt­cinq ans de mariage etpère d’une fille adulte. Le couple emmé­nage dans un lieu plus spacieux. Les deuxaînées de Karen, cependant, accusent degros problèmes scolaires et psychologi­ques. Les services sociaux décident deplacer les trois gamines. “J’ai expliquéqu’elles avaient des problèmes depuis qu’el­les avaient vécu avec leur père. Que les cho­ses s’arrangeraient”, s’indigne Karen, alorsenceinte de Judi. En vain.

Judi voit le jour en 2011. Karen est en­core à l’hôpital quand Gary reçoit un coupde fil des services sociaux, un vendredisoir. “J’étais convoqué au tribunal le lundimatin et je devais trouver un avocat. J’en aipris une au hasard le lundi dans le bottin quej’ai trouvé au tribunal. Elle n’a évidemment

pas le temps de lire le dossier.”Judi est placée, mais ses parents obtien­

nent un droit de visite plusieurs jours parsemaine dans un centre. Dans le mêmetemps, ils entament une action en justicepour la récupérer. Gary déroule le chape­let d’humiliations subies. Dont les horai­res de visites modifiés, après qu’il a trouvéun arrangement avec son employeur. “Situ n’y vas pas, on dit que tu ne t’intéressespas à ton enfant. Ils m’ont conseillé de quit­ter mon job, puis au tribunal, on m’a dit quemes revenus étaient insuffisants.” Ou en­core: “Les services sociaux qualifiaient notre

couple d’instable. Nousavons tout fait pour prouverle contraire. Alors, au tribu­nal, ils ont avancé que notrerelation était si forte qu’ellene laissait pas de place à unenfant. Avant, je pensais queles parents à qui on retiraitleur enfant avaient fait quel­que chose qui le justifie. Jus­qu’à ce que cela nous arriveà nous”, souffle Gary.

Dossier uniquement à chargeKaren tombe enceinte de

Jaimie. “Au septième mois,nous avons reçu la visite d’une assistance so­ciale. Elle nous a cuisinés sur notre relation.Elle devait revenir, mais c’est nous qui avonsété convoqués, se souvient Gary. Ils nousont annoncé qu’ils nous le retireraient. C’estlà que nous avons décidé de partir.” Karend’abord, qui accouche prématurémentdans son pays d’accueil, tandis que Garyest occupé à vendre tout ce qu’ils possè­dent en Angleterre pour constituer un basde laine.

Gary et Karen excluent de se réinstalleroutre­Manche. Mais pour qu’ils puissentdemeurer où il est, au moins l’un des deuxdoit trouver un emploi. Rapidement, sansquoi ils seront renvoyés au Royaume­Uni.Où Karen est portée disparue. “J’ai appeléla police pour dire que nous allions bien etqu’ils pouvaient arrêter de harceler ma fa­mille”, peste Gary. Tant qu’ils ne sont pasrésidents de leur pays hôte, le couple peutêtre poursuivi par les services sociaux bri­tanniques. “Ils ont déjà repris des enfants àl’étranger, mais la Justice de ces pays les aobligés à la rendre”, pointe Laura.

Gary et Karen n’abandonnent pas l’es­poir de récupérer Judi. “Les adoptions sontirréversibles, mais si nous pouvons prouverque les services sociaux ont menti au tribu­nal… Je ne sais pas”, soupire Gary.

U (1)Les prénoms ont été changés,pour garantir l’anonymat des témoins.(2)Non précisé, à la demande des témoins.

Idéologie ou business ?Éclairage Florence Bellone (*)

Correspondance particulièreà Londres

Comme l’esclavage, l’adoptionforcée est née d’une sélectionsociale et s’est imposée en tant

que ressource économique. Ce qui achangé, c’est l’idée que l’exploitationhumaine n’a plus sa place dans unpays civilisé. Aussi, le Royaume­Uni atout fait pour en cacher l’existence.Lorsque cela n’a plus été possible, legouvernement a sorti son joker, lapropagande, pour justifier et mêmeglorifier l’inacceptable: il est normalde prendre les enfants des autres sil’on peut être un meilleur parentpour eux.

L’an passé, près de 4000 adoptantsse sont laissées convaincre par les ar­guments officiels et les descriptionscauchemardesques de parents natu­rels par les services sociaux. Quantaux parents qui ne consentent pas àl’adoption de leurs enfants (presquetous, de l’aveu même des services so­ciaux), ils sont qualifiés de déraison­nables. On leur propose une thérapievisant à leur faire comprendre lebien­fondé de l’opéra­tion. “L’Etat est lemeilleur parent”, a af­firmé à la presse leconseiller en adoptiondu gouvernement. EnEcosse, le gouverne­ment local travaille surune loi pour que cha­que enfant soit super­visé dès la naissance par un tra­vailleur social. Le parent n’y sera plusqu’un reproducteur.

L’adoption forcée est un outil decontrôle. Dans les années 1970, lacontraception, l’avortement etl’émancipation sexuelle féminineavaient quasi éradiqué les abandonsde bébés. Depuis, on retire les enfantsprincipalement des familles pauvresou anticonformistes. L’adoption for­cée fournit des mères porteuses pourles classes moyennes. Mais le conceptva plus loin et avait fait l’objet d’uneprophétie littéraire en 1931, parl’Anglais Aldous Huxley. Dans sonchef­d’œuvre, “Le Meilleur des mon­des”, la famille, “putride foyer d’inti­mités”, n’existe plus. Les femmes nesont plus dégradées par l’accouche­ment, l’amour est remplacé par unantidépresseur. Un peuple libéré del’émotion et de la souffrance ne dit ja­mais non aux gouvernants dumeilleur des mondes. Sans en arriver

là, les autorités britanniques déci­dent chaque année pour plusieursmilliers de jeunes femmes qu’ellesn’auront pas d’enfant, et ce dès lapremière grossesse.

Un eugénisme profitableC’est au XIXe siècle que Thomas

Barnado a eu l’idée de créer des or­phelinats pour enfants pauvres.L’homme ne cachait pas qu’il les ra­massait dans les rues de l’East Endsans même contacter leurs parents.Barnado a achevé son œuvre avec lavente de 18000 enfants au Canada eten Australie. Les “orphelins” ontcommencé à rapporter au lieu decoûter. Cent vingt ans plus tard, lesprofits de la protection de l’enfance(192 millions d’euros pour l’agencede familles d’accueil n°1 du pays,Core Assets) attirent les sociétés d’in­vestissement. Le secteur s’est priva­tisé et diversifié: services sociaux,avocats, psychologues et psychiatres,experts médico­légaux, unités “ma­man et bébé” (où les parents sont in­ternés avec leur nouveau­né dans lebut d’évaluer leurs capacités éducati­

ves), familles d’ac­cueils (1500 euros parmois pour les débu­tants), maisons pourenfants, agences d’ac­cueil ou d’adoption.L’adoption forcéelongtemps considéréecomme une dérive tra­vailliste n’a plus de

couleur politique. Des députés detous partis s’opposent à cette prati­que, même si leur chef de file, JohnHemming, est un Libéral Démocrate.

Et Baby P, alors? Le meurtre de Pe­ter Connelly par son beau­père en2007 demeure le prétexte officiel àl’adoption forcée, malgré une qua­rantaine d’infanticides par an. Envi­ron 16000 enfants auront été séparésde leurs familles en 2013, ce qui faitune moyenne de 400 familles détrui­tes pour chaque infanticide. Les ser­vices sociaux sont régulièrement surla sellette pour avoir “raté” un parentmeurtrier. Il a fallu qu’ils arrachentun bébé du ventre de l’Italienne Ales­sandra Pacchieri pour qu’on s’inté­resse aux enfants qu’ils prennentautant qu’à ceux qu’ils épargnent.

U (*) Récompensée du prix LorenzoNatali décerné par la Commission pourle premier de ses trois reportages radioconsacrés aux adoptions forcées.

“Les servicessociaux

vous manipulentpour que vous

fassiez des chosesqui se retournent

contre vous.”GARY

Père d’une enfant confisquée.

Kidnapping d’Etat 25BRATISLAVA RÉCLAME LES ENFANTS SLOVAQUESEn 2012, la Slovaquie a identifié 25 cas d’enfants slovaquesenlevés à leurs parents résidant au Royaume-Uni et a saisile Commissaire aux Droits de l’Homme auprès du Conseil

de l’Europe.

l Le Royaume-Uni pratique un systèmecontroversé d’adoptions forcées,justifié par la protection des enfants.

l Un couple de Britanniques a préféréfuir, plutôt que se voir retirerson second enfant.

16000ENFANTS SÉPARÉSDE LEUR FAMILLE

L’ampleur du phénomène aucours de l’année 2013.