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  • DEUXIME PARTIE

    Aperu des thories et des mthodes de traduction

  • Introduction

    Dans sa division de la traductologie en tudes descriptive, thorique et applique, Holmes (1988) n'envisage pas le rapport entre ces domaines comme tant unidirectionnel, mais dialectique :

    In reality, of course, the relation is a dialectical one, with each of the three branches supplying materials for the other two, and making use of the findings which they in turn provide it. Translation theory, for instance, cannot do without the solid, specific data yielded by research in descriptive and applied translation studies, while on the other hand one cannot even begin to work in one of the other two fields without having at least an intuitive theoretical hypothesis as one's starting point (Holmes 1988 : 78).

    La notion de thorie mrite des claircissements. Selon le Dictionnaire gnral des sciences sociales, la thorie est un systme dhypothses structures par une relation dimplication ou de dductibilit. On ne peut pas parler dune thorie de la traduction en ce sens strict mais, comme lindique Nida (2000 : 107), plutt de plusieurs thories au sens large, en tant quensemble de principes mme daider comprendre le processus ou tablir des critres dvaluation pour une traduction donne. Le Grand larousse de la langue franaise dfinit la traduction comme l'action de faire passer, de transposer dune langue une autre ; rsultat de laction de traduire ; ouvrage qui en reproduit un autre dans une autre langue diffrente. La traduction, qui signifie galement interprtation, faon dexprimer, de correspondre renvoie donc un processus, un rsultat ou un produit. De nombreuses approches ont abord la traduction dans toutes ces acceptions, que la division de Holmes, cite ci-dessus, rsume bien. Cependant, pour une analyse pertinente de notre corpus, et pour voir comment la culture intervient dans la traduction, celle-ci doit tre envisage comme un acte de communication. La traduction, comme toute activit verbale, a pour fonction principale la communication, qui n'est pas que linguistique. En effet, nous avons indiqu dans notre chapitre introductif que la communication interculturelle - comme la communication tout court - est un phnomne complexe et multidimensionnel, et qu'il existe des influences rciproques entre communication et culture. Il importe alors, dabord, de trouver lapproche thorique qui permet denvisager la traduction dans cette perspective, et ensuite la mthode danalyse capable de rvler linteraction entre langue et culture. Tels sont les objectifs des diffrents chapitres dans cette partie de notre travail.

    Avant donc d'exposer la thorie et la mthode d'analyse nous permettant de rpondre ces proccupations, nous allons faire un bref aperu des

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    principales approches thoriques de la traduction. Woodsworth (1996b : 13), dans la perspective de son enseignement, propose plusieurs dcoupages de l'histoire de la traduction qui combine rflexion et thorie la pratique. Ainsi elle distingue les dcoupages dans le temps et l'espace, et les types de traduction (la traduction biblique, la traduction littraire et la traduction scientifique). Munday (2001 : 2) dans son tude rcente sur la traductologie associe dcoupages temporels et orientations thoriques : la priode avant le XXe sicle, les thories linguistiques et les dveloppements rcents. Dans la mesure o notre analyse n'est pas une tude de l'histoire de la traduction, nous mettrons l'accent sur les thories contemporaines qui sont mme de nous fournir une mthode d'analyse de notre problmatique, c'est--dire comment interviennent les diffrences culturelles dans la pratique de la traduction en matire de sant, de maladie et du corps. Nous partirons dapproches purement linguistiques pour aboutir des approches qui tiennent compte des aspects culturels dans la traduction.

    Il serait prtentieux de vouloir aborder ici de faon exhaustive toutes les thories de la traduction. Il convient galement de relever la difficult de catgoriser les diffrentes thories quelle que soit leur orientation, tant les limites entre elles sont peu claires. Certaines thories sont cheval entre plusieurs orientations. Si nous prenons Nida (1964) qui dveloppe une thorie linguistique de la traduction fonde sur la grammaire gnrative de Chomsky, nous remarquons quil place galement sa thorie dans le cadre dune approche qui prend en compte la corrlation entre langue et culture. Dans The Sociolinguistics of Interlingual Communication (1996), son orientation sociolinguistique devient trs marque. Cest dire que toute catgorisation nchappera pas la critique, tant elle peut sembler arbitraire.

    Par ailleurs, beaucoup de thories qui se recoupent sont difficiles catgoriser. Par exemple, les thories dites fonctionnelles et communicatives qui sappuient sur la linguistique semblent cheval entre cette dernire et la culture. De mme les approches bases sur la thorie du polysystme et les approches culturelles partagent beaucoup de points communs. Pour les besoins de notre analyse, nous distinguerons deux approches : les approches linguistiques et sociolinguistiques (chapitre 5), et les approches fonctionnelles et culturelles (chapitre 6). Pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons plus loin, nous regroupons dans ces dernires approches les approches communicatives et les approches bases sur la thorie du polysystme. Le chapitre 7 est consacr la mthode danalyse de notre corpus et une discussion sur les stratgies de traduction.

  • CHAPITRE 5

    Approches linguistiques et sociolinguistiques

    Labondance des thories linguistiques et linfluence longtemps exerce par celles-ci sur la traduction sexpliquent sans doute par la conception mme de cette dernire. Dabord, la dfinition la plus courante qui considre la traduction comme tant le passage dun message dans une langue source vers une langue cible nimplique-t-elle pas que celle-ci est un phnomne seulement linguistique ? En tout cas la conception de Jakobson ne laisse aucun doute :

    (1) Intralingual translation, or rewording is an interpretation of verbal signs by means of other signs of the same language. (2) Interlingual translation or translation proper is an interpretation of verbal signs by means of some other language. (3) Intersemiotic translation or transmutation is an interpretation of verbal signs by means of signs of nonverbal sign systems (Jakobson 1987 : 429 ; les italiques sont de lauteur).

    La traduction interlinguale, qui nous intresse, est dfinie ici par Jakobson comme linterprtation de signes linguistiques sources par dautres signes linguistiques cibles.

    Si lon considre lvolution de la rflexion et de la thorie, on se rend compte que la traduction a t longtemps associe la linguistique contrastive. Parmi les premiers formuler les thories linguistiques de la traduction les plus connues, on peut citer Vinay et Darbelnet (1958), Mounin (1963), Catford (1965). Mais avant de prsenter ces diffrentes approches, il convient de sarrter un instant sur ce que lon entend par linguistique et sociolinguistique.

    5.1 Linguistique et sociolinguistique

    La linguistique a pour objet ltude des connaissances que les sujets parlants ont de la langue. ce niveau Baylon & Fabre (1999 : 17) distinguent deux conceptions de la linguistique qui sopposent : la linguistique comme descrip-tion des langues qui considre une langue comme un systme de signes linguistiques ; et la linguistique comme tude du fonctionnement du langage en tant que systme de rgles. Selon la thorie linguistique de Chomsky, il existe des traits gnraux communs toutes les langues que la grammaire gnrative doit sattacher expliciter :

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    Ltude des conditions universelles qui prescrivent la forme de tout langage humain constitue la grammaire gnrale. Ces conditions universelles, on ne les apprend pas ; elles fournissent plutt les principes dorganisation qui permettent dapprendre une langue, et qui doivent exister pour que lon passe des donnes au savoir (Chomsky, 1969 : 96).

    Quant la sociolinguistique, que lon peut considrer comme une branche de la linguistique, elle sintresse aux rapports quentretiennent entre elles socit et langue. Elle tudie, entre autres, la variation linguistique comme manifestation de lappartenance une classe sociale, un groupe, etc. Lorganisation du message a une implication sociale que lanalyse linguistique peut lucider. Pour la sociolinguistique, la comprhension dun nonc dpasse le cadre linguistique et englobe des facteurs sociaux :

    Ainsi le sociolinguiste fait-il porter son attention sur le locuteur en tant que membre dune communaut, en tant que sujet dont le langage peut caractriser lorigine ethnique, la profession, le niveau de vie, lappar-tenance une classe, etc. (Baylon & Fabre 1999 : 74).

    Ce bref aperu montre que la diffrence essentielle entre linguistique et sociolinguistique provient du fait que la premire se veut une science du langage, tandis que la seconde porte sur les rapports entre phnomnes linguistiques et sociaux.

    Au cours de ce chapitre nous allons montrer que les nombreuses thories de la traduction fondes sur la linguistique et/ou la sociolinguistique ne suffisent pas pour analyser les rapports entre langue et culture, parce que la plupart de ces approches, nous le verrons, tournent autour du concept dquivalence, dont le contenu varie dune approche lautre. Do la ncessit dapproches qui englobent non seulement les facteurs linguistiques, mais galement les facteurs culturels. Tout au long de nos discussions de ces diffrentes approches, nous utiliserons, si ncessaire, pour chaque paire de langues un nonc en franais et sa traduction en moor ou en bisa, suivi de leur re-traduction39 en italiques, pour souligner les avantages et/ou les inconvnients de chaque approche. Ces noncs, tirs de notre corpus, sont, en franais, suivis de leur traduction en moor et en bisa. Les traductions sont leur tour suivies dune re-traduction en franais.

    1. La maladie du SIDA est provoque par un virus* appel virus de limmunodficience humaine, en abrg HIV (sigle anglais) ou VIH (sigle franais) (Sedgo : 11).

    39 Nous utilisons ce procd dans le sens de back-translation en anglais. Il consiste

    traduire littralement un texte traduit dans sa langue source. Au chapitre 7, nous reviendrons sur ce concept quil faut distinguer de retraduction au sens de re-translation, qui veut dire une nouvelle traduction dun texte dont la traduction existe dj.

  • Chapitre 5. Approches linguistiques et sociolinguistiques

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    * Virus : microbe qui provoque de nombreuses maladies chez les tres vivants. Les virus ne peuvent se maintenir et se reproduire quen parasitant une cellule vivante et aux dpens de celle-ci.

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    *&O..PLEQRK $O$Q$PLRQEK*$(

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    &D'@ Cest ce que les connaisseurs mmes du grain de la maladie du sida appellent VIH en franais et HIV en amricain, cest lui qui amne la maladie du sida.

    2. La diarrhe est une maladie trs frquente : elle frappe surtout les enfants. (Notre sant, p. 58)

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    $""(&$%$("5 "" L

    $;A La diarrhe est une maladie qui attrape beaucoup les gens surtout les petits enfants.

    Avant de prsenter les principales approches linguistiques et sociolinguistiques de la traduction, nous allons exposer des bauches de conseils pratiques de traduction qui ne constituent pas des approches thoriques, mais dont lintrt rside dans le fait quils se proclament des langues et des cultures africaines. Mais, on verra quen ralit, ces conseils portent plutt sur des aspects linguistiques de la traduction.

    5.2 La traduction par la simplification

    La traduction par la simplification, mise au point par lINADES-FORMATION, une organisation interafricaine de dveloppement, repose sur le franais fondamental. Il a t dvelopp dans les annes 1950 par le ministre de lducation nationale en France, sur l'initiative de l'UNESCO, comme instrument de communication pour ceux qui ne matrisent pas assez bien la langue franaise, en particulier les immigrs et les populations des pays francophones doutre-mer40. Il ne constitue pas une langue, mais un niveau de langue qui se caractrise par la simplicit de son vocabulaire et de sa syntaxe. La traduction par la simplification est une mthode utilise surtout dans la traduction vers les langues nationales africaines. Cette simplification se fait en transformant les deux lments qui constituent la structure superficielle de la langue, lorigine de sa complexit, savoir le vocabulaire et la syntaxe (INADES-FORMATION, 1986 : 21). La simplification ou le transfert est suivi par la restructuration du texte qui consiste reconstituer l'ensemble du texte en respectant les principes suivants :

    40 Il existe un dictionnaire spcialement conu pour l'Afrique : Dictionnaire du franais

    fondamental pour l'Afrique, paru en 1974.

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    1. le style du texte simplifi doit tre correct ; 2. le franais fondamental se rapproche du langage oral ; 3. la signification et l'ordre logiques des propositions doivent tre gards ; 4. les relations temporelles du texte doivent tre restitues ; 5. le style du texte simplifi doit garder le ton du texte initial ; 6. les expressions triviales ou trop familires sont proscrire ; 7. le rythme et l'euphonie du texte doivent tre respects.

    La traduction par la simplification avec ses trois phases (analyse, simplification et restructuration) ressemble la mthode interprtative, sur laquelle nous reviendrons plus loin, qui en compte galement trois (interprtation, dverbalisation et reformulation). Toutes les deux mthodes cherchent extraire le sens du texte source pour le r-exprimer dans la langue cible. Toutes deux sinspirent du langage oral.

    Pour illustrer la mthode de traduction par la simplification, nous allons reprendre un exemple tir de louvrage de lINADES-FORMATION (1986). Dans la phrase suivante : lanalphabtisme est une violation des droits de lhomme, ce sont les termes qui sont complexes, mais la structure est simple : sujet + verbe + attribut. Dans de pareilles circonstances, le traducteur doit expliquer ou reformuler la phrase. Labstraction tant marque, la paraphrase est recommande. Les partisans de la mthode de la traduction par la simplification proposent la simplification suivante : Si tu veux que ton frre soit un homme, apprends-lui lire et crire. Il sagit en fait, si nous nous rfrons la catgorisation de la traduction de Jakobson, de passer par la traduction intralinguale pour aboutir la traduction interlinguale.

    La simplification terminologique est lapproche propose par Ilboudo (1986) dans le cadre de la traduction technique dans les langues nationales que nous allons exposer brivement. 5.2.1 Lapproche de Ilboudo Pour Ilboudo (1986 : 24), dans toute entreprise de traduction dans les langues nationales la simplification des concepts constitue un pralable indispensable. Dans le cadre de la production des documents en langues nationales portant sur les instruments de gestion et de formation au profit des coopratives rurales, Ilboudo (1986) indique la dmarche suivre aprs la traduction des termes en franais simple. La traduction dans les langues nationales doit tre prcde par la traduction des termes techniques en langues nationales, qui se droule en trois phases : la recherche terminologique, le dpouillement et le pr-test des nologismes.

    La recherche terminologique comporte trois pistes. La premire concerne les cooprateurs. Il sagit dune recherche auprs des membres des institutions bnficiaires de la traduction, en particulier les membres monolingues. La seconde piste est celle des spcialistes matrisant la langue nationale et le domaine coopratif. La troisime piste est une recherche documentaire qui permet de trouver des donnes et des termes pour la traduction de concepts.

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    Dans la mesure o la phase de recherche terminologique peut aboutir la collection de plusieurs termes, la phase de dpouillement, qui doit associer la structure juridique responsable des langues nationales (acadmies ou commissions nationales des langues), vise guider le choix du terme le plus adquat selon les critres de dpouillement et de slection suivants : la conformit avec la structure de la langue, ladquation notionnelle afin de sassurer que le nouveau terme cerne de prs la notion traduire et viter ainsi de retenir des traductions errones (Ilboudo 1986 : 29), la facilit de comprhension, lacceptabilit par les locuteurs et la brivet du terme. Selon lauteur, les quatre premiers critres sont les plus dterminants.

    La dernire phase, avant la production des documents en langues nationales, concerne le pr-test des nologismes auprs de locuteurs mono-lingues partir des mmes critres que ceux de la phase prcdente :

    La terminologie ayant une fonction essentielle de communication, il y a lieu de se proccuper du degr de comprhension, de lacceptabilit, de la conformit avec la structure de la langue et de ladquation notionnelle des nologies proposes (p.31).

    Quant la production des documents en langues nationales elle-mme, Ilboudo se contente de dire quelle est relativement facilite par la disponibilit des termes techniques issus de la recherche terminologique (p. 31). Les mthodes de traduction prconises par Ilboudo et par lINADES-FORMATION sont certes intressantes, mais comme indiqu plus haut, elles ne constituent pas des approches thoriques de la traduction. Cependant, elles mritent dtre mentionnes car, comme on le verra, elles seront utiles lors de lanalyse de notre corpus de traduction, en particulier des stratgies de traduction.

    Utilise dans les traductions pour la vulgarisation, la traduction par la simplification prsente de nombreux avantages. D'abord, elle est une mthode oriente vers la langue et la culture cibles, en particulier les langues et les cultures africaines. On est tent de dire que les conseils pratiques quelle formule se font lcho de la thorie de Nida, que nous verrons plus loin, selon laquelle le sens ou le message doit tre privilgi par rapport la forme en cas de conflit entre les deux. Mais on peut se demander si la simplification du vocabulaire et de la structure du texte n'appauvrit pas le texte source et la langue source. Lexemple ci-dessus, que nous reprenons, lanalphabtisme est une violation des droits de lhomme, a t simplifi en si tu veux que ton frre soit un homme, apprends-lui lire et crire . Une telle simplification misogyne constitue une transformation du message original des droits humains. Elle peut galement tre perue comme une infantilisation du public cible.

    Certains principes de la traduction par la simplification semblent vagues et confus et posent mme la question de responsabilit morale et thique du traducteur. Par exemple, le principe selon lequel sont proscrire les expressions triviales ou trop familires est-il du ressort du traducteur ? Le traducteur a-t-il le droit d'omettre des parties d'un texte sous le prtexte qu'il

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    comporte des expressions triviales ? Qu'est-ce quune expression triviale ? Un tel principe ne va-t-il pas l'encontre de la rgle d'or de la traduction par la simplification qui consiste ne rien ajouter au sens d'un texte et ne rien lui enlever (INADES-FORMATION, 1986 : 38). En laissant de ct ces contradictions, on ne peut sempcher de relever le caractre prescriptif et normatif de la traduction par la simplification.

    Aprs cet expos sur la mthode de traduction par la simplification, nous allons nous intresser maintenant aux approches linguistiques et sociolinguisti-ques de la traduction.

    5.3 Lapproche de Catford

    Pour Catford, la traduction est une opration entre langues, c'est--dire un processus de substitution d'un texte dans une langue par un autre texte dans une autre langue (1965 : 1). Cette conception de la traduction amne Catford poser l'quivalence comme tant au centre de la pratique et de la thorie de la traduction :

    A central problem of translation-practice is that of finding TL [target language] translation equivalents. A central task of translation theory is that of defining the nature and conditions of translation equivalence (Catford 1965 : 21).

    Catford distingue deux types d'quivalence : l'quivalence textuelle et la correspondance formelle. L'quivalence textuelle est toute forme de texte cible dont l'observation permet de dire qu'elle est l'quivalent d'une forme de texte source (1965 : 27), tandis qu'il y a correspondance formelle lorsque les diffrentes catgories de la langue cible occupent la mme place que celles de la langue source. Catford distingue galement la traduction rduite (restricted translation), par opposition la traduction totale (total translation), dfinie comme replacement of SL textual material by equivalent TL textual material, at one level (1965 : 22). Cette notion de traduction rduite dsigne lquivalence aux niveaux phonologique, graphologique, grammatical ou lexical. Ce type de traduction prsente trs peu dintrt pour la traduction qui, comme les throciens conviendront par la suite, porte en gnral sur des textes. Selon Catford, la traduction peut savrer impossible, et il distingue deux situations : lintraduisibilit linguistique et lintraduisibilt culturelle. Lintra-duisibilit linguistique provient de labsence dquivalents dans la langue cible et lintraduisibilt culturelle renvoie labsence dlments culturels de la langue source dans la culture de la langue cible. Aprs analyse, Catford ramne lintraduisibilit culturelle lintraduisibilit linguistique, car dit-il :

    to talk of cultural untranslatability may be just another way of talking about colloquial untranslatability : the impossibility of finding an

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    equivalent collocation in the TL. And this would be a type of linguistic untranslatability (Catford 1965 : 101).

    Une telle attitude amne Catford envisager le processus de traduction sous langle linguistique, mme sil reconnat que les diffrences linguistiques refltent les diffrences culturelles. Les carts (shifts) constats dans la traduction sont la consquence directe de la divergence entre quivalence formelle et quivalence textuelle : By shifts we mean departures from formal correspondence in the process of going from the SL to the TL (Catford : 73). Il distingue deux types dcart : les carts de niveau (level shifts) et les carts de catgorie (category shifts). Les carts de niveau concernent, par exemple, lexpression dlments grammaticaux de la langue source en lments lexicaux dans la langue cible et vice versa. Quant aux carts de catgories, ils traitent des changements intrasystmiques qui peuvent intervenir lors du processus de traduction au niveau de la structure, de la classe, dunit ou de rang. De toutes les thories linguistiques de la traduction, celle de Catford a rencontr le moins de succs, parce quelle est trop axe sur le systme linguistique au lieu de lusage quon en fait. Malgr la distinction entre correspondance formelle et quivalence textuelle que Catford tablit, il narrive pas percevoir que cette diffrence provient du lien troit entre langue et culture, et que, par consquent, on ne saurait rduire la traduction un transfert purement linguistique. Les carts dans la traduction (translation shifts) que constate Catford constituent une description des rsultats du processus, plutt que dune thorisation pouvant servir dans lactivit traduisante. Lapproche de Catford reprsente les thories ayant une conception linguistique et mcaniste de la traduction qui non seulement ne correspond pas la pratique, mais bien souvent conduit limpossibilit de la traduction entre deux langues. En effet, en raison des diffrences linguistiques entre le moor, le bisa et le franais, la traduction des deux noncs 1 et 2 ci-dessus (5.1.), serait impossible. Or, il nen est rien. Certains linguistes, linstar de Vinay & Darbelnet (1958 / 1995) et de leurs procds de traduction que nous allons examiner ci-dessous, pensent que la traduction est possible par le biais dune tude comparative de la structure de la paire de langues en prsence.

    5.4 Lapproche de Vinay et de Darbelnet

    Louvrage Stylistique compare du franais et de l'anglais (1958) de Vinay et Darbelnet parut pour la premire fois en anglais en 1995 sous le titre de Comparative Stylistics of French and English. A Methodology for Translation (une traduction et une dition de Sager et Hamel). Cette dition est une version rvise de celle de 1958 avec lappui de J.-P. Vinay, le seul survivant des deux auteurs. Cette dition anglaise est intressante dans la mesure o elle constitue un texte parallle indpendant, qui ne se considre pas comme une traduction (1995 : 11). Dans une note, les diteurs, eux, parlent de traduction et de nouvelle dition. Mais force est de constater que ldition anglaise se base

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    toujours sur la mme conception linguistique de la traduction. Aussi toutes nos rfrences porteront-elles sur cette dition. Vinay et Darbelnet tentent de dvelopper dans leur ouvrage une approche de la traduction partir d'une tude comparative du franais et de l'anglais. Ils estiment que la traduction, le passage d'une langue A une langue B, relve d'une discipline de nature comparative. Le but dune telle discipline est d'expliquer les procds impliqus dans le processus de traduction et de faciliter sa ralisation par la mise en relief de lois valables pour les deux langues en prsence (1995 : 4). La discipline susceptible d'expliquer le mcanisme de la traduction n'est rien d'autre que la stylistique compare selon Vinay & Darbelnet. La stylistique compare est fonde sur la connaissance de deux structures linguistiques ancres dans deux cultures qui, par nature, apprhendent la ralit de faon diffrente. Pour Vinay et Darbelnet, traduction et stylistique compare sont indissociables et toute comparaison doit porter sur des donnes quivalentes. Il existe un lien troit d'interdpendance entre traduction et stylistique :

    The procedures of the translator and the comparative stylistician are closely linked, if in opposite senses. Comparative stylistics begins with translation to formulate its rules ; translators use the rules of comparative stylistics to carry out translations (Vinay & Darbelnet 1995 : 5).

    Parmi les rles qu'ils assignent la traduction, il y a celui de la comparaison de deux langues. La traduction permet de mener des recherches sur le fonctionne-ment d'une langue par rapport une autre et c'est en cela que ltude de la traduction est une discipline auxiliaire de la linguistique (Vinay & Darbelnet 1995 : 9). Leur conception de la traduction repose sur la linguistique saussu-rienne qui fait la distinction entre langue et parole :

    Langue refers to the words and expressions generally available to speakers, quite independent of the use they make of them. Once we actually speak or write, these words belong to parole (Vinay & Darbelnet 1995 : 15, les caractres gras sont des auteurs).

    L'metteur d'un message utilise les ressources de la langue pour transmettre un message qui est personnel et imprvisible. Cette distinction entre langue et parole permet aux auteurs de soutenir que les difficults lies la traduction proviennent de la parole plutt que de la langue. Cependant, Vinay et Darbelnet notent que la langue nous tant donne comporte des servitudes et des options qui sont respectivement la grammaire et la stylistique. Il appartient donc au traducteur de faire la part des choses entre ce qui est impos au rdacteur et ce qui relve de son libre choix. Servitudes et options oprent sur trois plans : le lexique, l'agencement et le message. Elles sont la base des diffrentes stratgies possibles de traduction. Pour Vinay et Darbelnet, il en existe deux : la traduction directe ou la littrale et la traduc-tion oblique. La traduction directe consiste transposer les lments de la langue source dans la langue cible, mais lorsque la transposition savre impos-

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    sible cause des diffrences structurelles et mtalinguistiques entre langue source et langue cible, la traduction oblique simpose (Vinay & Darbelnet 1995 : 31). Malgr la pertinence dune telle approche, elle comporte des faiblesses. Le contexte dans lequel Vinay & Darbelnet ont formul leur approche, on le voit ds la prface, est le bilinguisme canadien. Les auteurs ont sans doute voulu rpondre des proccupations pratiques. Au Canada, le franais et langlais ayant un mme statut juridique, la production dans ces deux langues de tout document caractre officiel est ncessaire. Aussi un tel ouvrage constitue-t-il un outil prcieux pour les traducteurs. Mais le fait que louvrage soit essentiellement consacr la stylistique du franais et de langlais, comme lindique dailleurs son titre, ne limite-t-il pas sa porte ? Peut-on gnraliser des conclusions bases sur la stylistique compare ?

    Lide dune approche comparative est intressante, mais partir du moment o Vinay & Darbelnet la ramnent une analyse stylistique, on peut se demander si une telle approche peut nous clairer sur les rapports entre langue et culture. En poussant lanalyse de leur ide plus loin on conclura lintraduisibilit puisque pour eux la comparaison doit porter sur des donnes quivalentes. Or notre corpus porte sur des textes o langue source et langue cible appartiennent des cultures totalement diffrentes. Dans quelle mesure lapproche de Vinay & Darbelnet est-elle valable dans le cas de cultures loignes ? L rside tout le problme de leur approche. Par ailleurs, on voit que les sept procds41 de traduction qui dcoulent de cette approche tiennent trs peu compte des diffrences culturelles, des types et des fonctions de texte et de laudience vise. En effet, tout au long du texte, les auteurs ne cessent de rpter que le message constitue la proccupation majeure du traducteur. La notion dunit de traduction, malgr son originalit, reste guide par limportance accorde au message :

    Translators ... start from the meaning and carry out all translation procedures within the semantic field. They therefore need a unit which is not exclusively defined by formal criteria, since their work involves form only at the beginning and at the end of their task. In this light, the unit that has to be identified is a unit of thought, taking into account that translators do not translate words, but ideas and feelings (Vinay & Darbelnet 1995 : 21).

    Les auteurs ne font pas de distinction entre unit de pense, unit lexicologique et unit de traduction. Une telle perception de la traduction, aussi pertinente soit-elle du point de vue stylistique, montre les limites de lapproche contrastive dans le cas de cultures diffrentes. Cependant, cette approche comparative est sans doute intressante lorsquon veut confronter une traduction et son original en vue de faire ressortir les caractristiques des deux langues en prsence. La mthode danalyse de

    Les sept procds de traduction envisags par Vinay & Darbelnet (1995 : 30-40) sont : lemprunt, le calque, la traduction littrale, la transposition, la modulation, lquivalence et ladaptation.

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    notre corpus qui porte sur des traductions peut tirer des lments de lapproche de Vinay & Darbelnet pour dcrire les langues en prsence et les procds de traduction. La comparaison des noncs 1 et 1a montre que la langue cible, le moor, emprunte la source, le franais, des termes comme sida, VIH et HIV. Mais, on remarque que ces emprunts sont adapts lorthographe moor, dont lcriture est base sur la phonologie. Cest ainsi que VIH et HIV sont crits comme on les prononce en moor : ve-i-ash et ash, I, ve. La comparaison des structures syntaxiques de lnonc franais et de lnonc moor permet de dire que le passif franais La maladie du SIDA est provoque par... est rendu par un actif en moorC

    & que lon peut traduire littralement par Cest ce que les connaisseurs mmes du grain de la maladie du sida ...cest lui qui amne la maladie du sida. Dans le chapitre prcdent, on a vu que lactif constitue lune des caractristiques principales de la syntaxe des langues africaines et quelles nont pas de forme passive qui utilise un auxiliaire comme en franais. Les limites des approches essentiellement linguistiques, linstar de celles de Catford et de Vinay & Darbelnet, montrent la ncessit dune approche pouvant rendre compte de la possibilit dune thorie et dune pratique de la traduction prenant en compte le lien troit entre langue et culture. Cette ncessit a t vite perue par certains linguistes, parmi lesquels Mounin, dont nous allons prsenter ci-dessous lapproche.

    5.5 Lapproche de Mounin

    loppos de celles de Catford et de Vinay & Darbelnet, lapproche de Mounin bat en brche les conceptions linguistiques qui, nous lavons vu, aboutissent lintraduisibilit dune langue lautre parce que chaque langue, comme le soutiennent de nombreux linguistes linstar de Whorf, dcoupe la ralit de faon diffrente et unique. Tout en adhrant la thse selon laquelle la langue reprsente une vision particulire du monde, Mounin (1963) a russi dmontrer que la traduction nest pas quun transfert linguistique. Il ne sagit pas pour Mounin de nier la ralit linguistique de la traduction, mais de prouver que celle-ci comporte des aspects non-linguistiques et extra-linguistiques (1963 : 16). Ceux qui ont conclu trs vite lintraduisibilit entre langues sont partis du fait que le sens sur lequel porte la traduction dpend de lnonc linguistique. partir de la critique saussurienne du sens, Mounin (1963 : 40) montre que la saisie des significations... est, ou peut tre difficile, approximative, hasardeuse. Mais la difficult saisir le sens nimplique pas pour Mounin limpossibilit dune thorie ou dune pratique de la traduction car, relve-t-il, malgr les diffrentes visions du monde quexprime la diversit linguistique, il existe des universaux linguistiques, anthropologiques et culturels qui sous-tendent les significations dans les langues : Les universaux sont les traits qui se retrouvent dans toutes

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    les langues ou dans toutes les cultures exprimes par ces langues (Mounin 1963 : 196 ; les italiques sont de lauteur).

    En ce qui concerne les systmes linguistiques, il existe, selon Mounin, des traits universels qui rendent la traduction possible pour peu que le traducteur envisage une autre possibilit daccder aux significations des autres visions du monde, savoir la voie ethnographique. Mounin entend par ethnographie la description complte de la culture totale dune communaut et la culture elle-mme est considre comme lensemble des activits et des institutions par o cette communaut se manifeste (1963 : 233). La connaissance de la culture de la langue source permet didentifier les situations communes la culture de la langue cible et partant de rendre la traduction possible. Pour Mounin, ce qui compte dans la communication, ce sont la situation et les diffrences linguistiques notamment, qui, syntaxiquement, relvent de larbitraire du signe :

    La traduction est un cas de communication dans lequel, comme dans tout apprentissage de la communication, celle-ci se fait dabord par le biais dune identification de certains traits dune situation, comme tant communs pour deux locuteurs. Les htrognits des syntaxes sont court-circuites par lidentit de la situation (Mounin 1963 : 266).

    Lapproche de Mounin est intressante dun double point de vue. Dabord, elle constitue la rponse dun linguiste dautres linguistes au sujet des questions touchant la traduction, en particulier de sa possibilit ou de son impossibilit. Ensuite, son approche arrive rsoudre la question de la diversit des langues par le biais des universaux tout en affirmant que culture et langue ont le mme poids dans la traduction. Pour Mounin (1963 : 236), la traduction ncessite la connaissance de la langue et la connaissance de la culture dont cette langue est lexpression. Cependant, cette approche naborde pas des questions aussi pertinentes que la fonction de la traduction. Cette remarque comporte deux aspects : dun ct, la typologie des textes et leurs fonctions et de lautre ct la fonction que lon entend faire jouer la traduction dans la culture de la langue cible. Une thorie de la traduction ne peut viter de sinterroger, dune part, sur la typologie des textes et de leurs fonctions et, dautre part, sur la fonction de la traduction dans la culture rceptrice. Une autre critique lie cette premire concerne la situation comme le seul invariant auquel se rfrent le message en langue source et le message en langue cible. Mounin passe sous silence lhypothse o la situation serait diffrente. Les deux noncs en franais, dont lun a t traduit en moor et lautre en bisa servent dexemples o langue source et langue cible nappartiennent pas un mme contexte culturel. Les noncs franais appartiennent une culture qui a une conception essentiellement biologique de la sant, de la maladie et du corps, tandis que les noncs moor et bisa appartiennent une culture o la dimension sociale et surnaturelle est dominante. Que faire ce moment ? Faut-il conclure lintraduisibilit dans

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    ces conditions ? Sans doute que la prise en compte de la fonction que la traduction doit jouer dans la culture cible permet de rpondre ces questions et de surmonter les diffrences culturelles Par ailleurs, lapproche de Mounin reste sous linfluence du concept de lquivalence que cache mal lide didentification de situation commune et duniversaux entre langues et cultures. Mounin (1963 : 278) finit par prendre son compte la conception de Nida, que nous verrons ci-dessous, selon laquelle la traduction consiste produire dans la langue darrive lquivalent naturel le plus proche du message de la langue de dpart, dabord quant la signification, puis quant au style [sic]. Une telle conception montre pourquoi, pour Mounin, la traduction ncessite la connaissance de la culture de la langue source. Cependant, elle consacre, comme les approches bases sur lquivalence, la domination de la culture du texte source sur celle du texte cible. Malgr ces insuffisances, lapproche de Mounin interviendra dans notre mthode et dans notre analyse, dans la mesure o elle permet demble de poser la question de la culture en matire de traduction. Ensuite, elle nous permettra dexaminer les relations entre langue et culture. Nous ne nous contenterons pas de dire, comme le fait Mounin, que la traduction est un phnomne linguistique et culturel. Autant la traduction ncessite de la part du traducteur une connaissance de la langue et de la culture quelle exprime, autant nous estimons que, pour tre efficace, la traduction doit tenir compte des normes et conventions sociales de la culture cible.

    prsent nous allons nous intresser lapproche de Nida, qui, partir dune conception linguistique de la traduction, va voluer vers une approche sociolinguistique.

    5.6 Lapproche de Nida

    Il existe sans doute plusieurs approches sociolinguistiques de la traduction (voir, par exemple, Larson 1984, Gutt 1991 et Pergnier 1993). Mais Nida est sans conteste le plus connu. Il constitue sans doute l'un des personnages les plus importants du XXe sicle en matire de thorie et de pratique de la traduction, en particulier biblique. Comme nous lavons indiqu, il nest pas ais de catgoriser Nida, tant les fondements de sa thorie de la traduction se nourrissent plusieurs sources : linguistiques, sociolinguistiques, culturelles et surtout thologiques. Nida (2001 : 111), lui-mme, distingue essentiellement trois approches thoriques de la traduction : philologiques, linguistiques et smiotiques. Dans cette classification, il range son approche parmi les approches linguistiques, en insistant toutefois sur la dimension culturelle de son approche. Toutefois, il faut souligner que Nida est un auteur particulirement prolifique, dont il serait impossible daborder tous les crits. Nous allons nous contenter de ses publications les plus connues, qui ont influenc la thorie et la pratique de la traduction, en particulier celles des annes 1960.

  • Chapitre 5. Approches linguistiques et sociolinguistiques

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    Nous plaons sa thorie parmi les catgories sociolinguistiques parce que dans le schma classique qui envisage la traduction comme tant celle dune langue source vers une langue cible, Nida abandonne les notions cible (target) et langue cible (target language) au profit de celles de rcepteur et de langue rceptrice. Pour Delisle (1984 : 56) qui range galement la thorie de Nida dans la catgorie des thories sociolinguistiques, lutilisation dune telle terminologie tmoigne du souci de lauteur de rattacher sa thorie de la traduction celle de la thorie de la communication et dadapter le message biblique la mentalit de chaque peuple.

    La traduction ne peut tre perue en termes purement linguistiques aux yeux de Nida (1969 : 130) : Linguistic features are not the only factors which must be considered. In fact, the cultural elements may be even more important. De ce fait, Nida est certainement parmi les tout premiers qui ont pris leurs distances vis--vis du dbat entre traduction littrale et traduction libre qui a prvalu depuis les origines de la traduction jusqu'au XXe sicle. Cependant, il est ncessaire de distinguer dans lapproche de Nida une volution dune thorie linguistique vers une thorie sociolinguistique de la traduction. Au dpart, sous linfluence de Chomsky qui dominait la linguistique avec sa grammaire gnrative dans les annes 1960, Nida dveloppe une thorie linguistique de la traduction quil tente driger en science :

    When we speak of "science of translating", we are of course concerned with the descriptive aspect ; for just as linguistics may be classified as a descriptive science, so the transference of a message from one language into another is likewise a valid subject for scientific description (Nida 1964 : 3).

    Pour Nida, le traducteur doit avoir une approche gnrative de la langue, la cl devant lui fournir le moyen de gnrer le texte cible :

    A generative grammar is based upon certain fundamental kernel sentences, out of which the language builds up its elaborate structure by various techniques of permutation, replacement, addition, and deletion. For the translator, especially, the view of language as a generative device is important, since it provides him first with a technique for analysing the process of decoding the source text, and secondly with a procedure for describing the generation of the appropriate corresponding expressions in the receptor language (Nida 1964 : 60).

    tant donn que les langues sont fondamentalement diffrentes les unes des autres en ce qui concerne le sens des symboles qui la composent ou l'organisation de ces symboles eux-mmes, Nida en conclut qu'il ne saurait y avoir de correspondance absolue entre langues. C'est bien une telle approche qui a conduit Nida dfinir le processus de traduction comme suit :

  • La traduction mdicale du franais vers le moor et le bisa

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    Translating [which] consists in producing in the receptor language the closest natural equivalent to the message of the source language, first in meaning, and secondly in style (Nida 1969 : 12).

    Nida envisage deux types d'quivalence : l'quivalence formelle et l'quiva-lence dynamique qui peuvent influencer la manire de traduire. L'quivalence formelle accorde une importance la forme et au contenu du message. Ce type de traduction est tourn vers le texte source. Quant l'quivalence dynamique, dont Nida lui-mme est partisan, elle vise exprimer de la faon la plus naturelle possible le message en prenant en compte la culture du destinataire du message. Elle cherche produire chez le destinataire du texte cible un effet quivalent celui produit chez le destinataire du texte source :

    Dynamic is therefore to be defined in terms of the degree to which the receptors of the message in the receptor language respond to it in substantially the same manner as the receptors in the source language. This response can never be identical, for the cultural and historical settings are too different, but there should be a high degree of equivalence response, or the translation will have failed to accomplish its purpose (Nida 1969 : 24).

    La thorie de Nida et son concept d'quivalence sont sans doute guids par des considrations pratiques et d'ordre religieux. En effet, pour que la mission vanglisatrice puisse porter des fruits, la traduction de la Bible dans les diffrentes langues est ncessaire. Les chances de succs seront d'autant plus grandes que le message de Dieu est prch dans une langue qui prend en compte la culture des locuteurs de cette langue. Mais leffet quivalent comme vise de la traduction est problmatique cause justement de ce dcalage culturel, historique et mme parfois gographique entre culture du texte cible et celle du texte source42. Les noncs moor (1a) et bisa (2a) sont dans un contexte dtermin des traductions satisfaisantes. Cependant, leffet que ces noncs produiront sur les lecteurs mossi ou bisa ne sera pas le mme que celui des noncs en franais auront sur des Occidentaux ou des Burkinab duqus dans la langue et la culture franaises. Les premiers ont des reprsentations de la sant, de la maladie et du corps domines par des conceptions mtaphysiques et nont jamais entendu parler dun virus, tandis que les seconds sont dpendants de systmes de sant essentiellement bass sur des reprsentations biologiques et scientifiques. Par consquent, il nest pas raliste de demander

    ELa pntration du christianisme telle que reprsente par la plupart des crivains africains atteste une telle problmatique. Dans le clbre roman de Achebe (1958 : 133) qui reprsente la pntration coloniale en Afrique, les missionnaires ont du mal expliquer aux populations la Sainte Trinit. La remarque du personnage principal, Okonkwo, concernant Jsus, fils de Dieu, lors dune sance dvanglisation semble reprsentative du sentiment gnral de tout le village. Elle montre la difficult qui se pose lorsquon cherche reproduire sur le public dun texte cible le mme effet que sur le public du texte source : You told us with your own mouth that there was only one god. Now you talk about his son. He must have a wife then.

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    au destinataire de la traduction dun texte produit dans un contexte et un espace culturellement et historiquement diffrents de ragir au message de la mme faon que le destinataire du texte source.

    Nul doute que Nida, en introduisant les concepts d'quivalence formelle et d'quivalence dynamique, a russi changer le cours des dbats dans le domaine de la thorie de la traduction qui demeure hante par la dichotomie entre traduction mot mot ou littrale et traduction sens pour sens. Cependant, en dissociant forme et contenu, Nida ne limite-t-il pas la porte de sa thorie dans la mesure o le sens du message est aussi bien dans la forme que le contenu ? On comprend, ds lors, qu'il ait t accus de se proccuper de la conversion du destinataire du message au christianisme et que certains qualifient son oeuvre de thologique et de proslytisme (Munday, 2001 : 43). D'autres, linstar de Venuti (1995), estiment qu'il veut imposer chaque culture trangre la transparence, approche prne pour la traduction dans la culture anglo-amricaine43.

    Limportance de lapproche de Nida pour notre tude rside dans sa conception sociolinguistique de la traduction. Certes, sa thorie est plus oriente vers la traduction biblique. Mais dans la mesure o elle intgre dans son approche les aspects culturels, elle peut contribuer notre analyse des rapports entre langue et culture dans la traduction mdicale au Burkina Faso. En effet, pour Nida & Taber (1974 : 5), toute communication, pour tre efficace doit respecter le gnie de chaque langue. Mais cette approche socio-linguistique de Nida ne tient pas suffisamment compte de la fonction de la traduction dans la culture cible qui nest pas forcment la mme que celle de loriginal.

    Une autre approche, qui semble se rapprocher des approches linguistiques que nous allons aborder ds prsent, est la thorie dite interprtative. La raison essentielle pour la laquelle nous lvoquons la suite des thories linguistiques est que, tout comme ces dernires, elle a pour vise lquivalence. Seule la dmarche pour aboutir ce rsultat diffre.

    5.7 Lapproche interprtative

    Lapproche interprtative, associe lESIT (cole suprieure dinterprtes et de traducteurs de Paris), propose une thorie qui sapplique essentiellement la traduction orale mais galement, selon ses partisans, la traduction crite et tout genre de texte. Elle est fonde sur le processus dinterprtation, de dverbalisation et de reformulation. Pour les partisans de cette approche,

    43 Venuti estime que dans la culture anglo-amricaine, les diteurs, les critiques et lecteurs

    jugent une traduction acceptable par sa transparence, cest--dire lorsquelle se lit comme un original : A translated text ... is judged acceptable by most publishers, reviewers, and readers when it reads fluently, when the absence of any linguistic or stylistic peculiarities makes it transparent, giving the appearance that it reflects the foreign writers personality or intention or the essential meaning of the foreign text the appearance, in other words, that the translation is not in fact a translation, but the original (Venuti 1995 : 1).

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    appele galement thorie du sens, la dmarche suivre consiste bien comprendre le sens du texte original et lexprimer dans la langue d'arrive. Ils aboutissent ainsi identifier la thorie interprtative une traduction par quivalences contrairement la traduction linguistique qui serait une traduction par correspondances. Lederer (1994 : 51) diffrencie les deux en ces termes : les premires stablissent entre des textes, les secondes entre des lments linguistiques, mots, syntagmes, figements ou formes syntaxiques. Sinspirant de la thorie du sens, Durieux (1988) propose des principes de traduction valables quelles que soient les langues concernes et quels que soient les thmes. Cette approche a priori semble intressante pour notre analyse dans la mesure o elle sadresse la traduction technique. Pour Durieux (1988 : 24), sont de nature technique les textes traitant de sujets techniques, technologiques et scientifiques. La spcificit de la traduction technique est limportance de la recherche documentaire entre la phase de comprhension de loriginal et celle de sa r-expression dans la langue cible. La recherche documentaire est ncessaire, car elle permet la comprhension du sens du texte traduire sans laquelle on ne peut envisager la r-expression : On ne peut rexprimer correctement et clairement que ce que lon a pralablement compris (Durieux 1988 : 39).

    La dmarche prconise par la thorie interprtative est inspire de lhermneutique qui, lorigine, concerne linterprtation des textes sacrs. Pour Delisle (1984 :70), galement partisan de cette thorie, linterprtation nest rien de moins quun dialogue hermneutique stablissant entre le traducteur et le texte original (les italiques sont de lauteur). Cette approche a t introduite dans la thorie de la traduction par Steiner (Shuttleworth & Cowie : 69) travers ce quil appelle le mouvement hermneutique, qui recom-mande le dcoupage de lacte de traduction en mouvement hermneutique dcompos en quatre phases : trust, aggression, incorporation et restitution (Steiner : 1992). Bien que Salama-Carr (1998 : 114) distingue la thorie interprtative de lapproche de Steiner, on voit que leur objectif demeure le mme, cest--dire extraire le sens du texte original afin de le r-exprimer dans la langue cible. Il apparat lanalyse que cette dmarche, en mettant laccent sur le sens, est surtout valable pour la traduction orale. En matire de traduction crite, il nest pas ais de dtacher le sens de la forme. On peut sinterroger sur la manire dont on peut la fois mettre laccent sur le sens et vouloir une quivalence globale entre texte original et traduction comme le dit Lederer. Le modle propos par Durieux, qui se veut universel, est galement problmatique en ce qui concerne la didactique de la traduction technique. En effet, la recherche documentaire dans la langue cible comme un moyen dapprhender le sens du texte source est difficile dans le contexte des langues africaines o lcriture est un phnomne relativement rcent et o loralit continue dtre le principal moyen de communication.

    Cependant, dans une analyse portant sur les produits et non sur le processus de la traduction comme la ntre, on peut inverser la dmarche de la thorie interprtative, en particulier celle de Durieux en menant une tude de la rception des textes traduits auprs du public cible afin de confronter sa

  • Chapitre 5. Approches linguistiques et sociolinguistiques

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    comprhension du sens celle qui se dgage des textes originaux. Une telle dmarche, que nous ne pourrons entreprendre, pourrait permettre de reconstruire les stratgies qui ont prvalu lors du processus de la traduction et de se faire ainsi une ide du rle du traducteur.

    Mais lapproche interprtative de la traduction, tant base sur la thorie du sens, ne tient pas compte des reprsentations culturelles qui dterminent le sens. Cette approche qui accorde une place centrale au sens nglige non seule-ment ladaptation de la traduction au public cible, mais galement ne sintresse pas la fonction de celle-ci. 5.8 Discussion et conclusion

    De ce qui prcde, il apparat effectivement que les approches abordes tournent autour de lquivalence en tant quobjectif du processus de traduction. Or, ce concept est loin de faire lunanimit. En considrant les approches de Catford (1965), de Nida (1964, 1969), de Lederer (1994) et de Koller (1989), pour ne citer que ces exemples, on constate que le sens, notion sur laquelle repose l'quivalence n'est pas homogne, mais plutt problmatique. De quel sens parle-t-on ? Du sens contenu dans l'intention de l'metteur du message ou de celui quattribue le destinataire au message partir de son interprtation du texte ? Des divergences peuvent exister entre le vouloir dire de l'metteur du message et l'interprtation du destinataire. Dans la mesure o des interprta-tions diffrentes aboutissent des sens diffrents, le sens comme objet d'qui-valence devient complexe surtout en tant que critre d'adquation d'une traduction. Lexemple de nos deux noncs (cits dans 5.1.) montre les problmes que soulve la question du sens.

    Dans ces deux noncs en franais et en bisa, la maladie (la diarrhe) est personnifie : 2. La diarrhe est une maladie trs frquente : elle frappe surtout les enfants.

    (Notre sant p. 58) E(

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    5;A La diarrhe est une maladie qui attrape beaucoup les gens, surtout les petits

    enfants. Dans la culture occidentale, o domine la reprsentation biomdicale de la maladie, la mtaphore de la guerre est souvent utilise pour lutter contre la maladie, compare un ennemi. Dans lnonc franais, la diarrhe tant assimile un ennemi, elle peut frapper. Par contre, dans lnonc bisa, la maladie qui est personnifie attrape. Il est clair que le sens des noncs franais et bisa ne renvoie pas aux mmes ralits. Il en est de mme des noncs franais et moor :

  • La traduction mdicale du franais vers le moor et le bisa

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    1. La maladie du SIDA est provoque par un virus* appel virus de limmunodficience humaine, en abrg HIV (sigle anglais) ou VIH (sigle franais) (Sedgo : 11).

    * Virus : microbe qui provoque de nombreuses maladies chez les tres vivants. Les virus ne peuvent se maintenir et se reproduire quen parasitant une cellule vivante et aux dpens de celle-ci.

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    *&O..PLEQRK $O$Q$PLRQEK*$(

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    & D6FG%@ Cest ce que les connaisseurs mmes du grain de la maladie du sida appellent VIH en franais et HIV en amricain, cest lui qui amne la maladie du sida.

    Le sens de lnonc franais, qui explique la cause du sida, parat sans quivoque du point de vue des spcialistes de la sant ou bien pour des personnes ayant une conception biomdicale de la sant, de la maladie et de la reprsentation du corps, telle que dans le monde occidental. Mais pour les Mossi, le sens de lnonc reste insatisfaisant, surtout lorsque lon sait que la maladie du sida conduit inluctablement la mort. Le chapitre prcdent montre que dans la culture africaine, on distingue entre cause immdiate de la maladie, ici le virus, sanctionnant une faute, et cause premire. Autrement dit, les deux audiences sur la base dinterprtations diffrentes dune mme ralit ne percevront pas un mme sens ces noncs.

    Les problmes soulevs par le sens montrent que poser l'quivalence comme objectif du processus de traduction n'est gure satisfaisant. Nous y reviendrons avec la critique de Nord lorsque nous aborderons son approche de la traduction. Pour linstant, il suffit de dire quen insistant sur l'quivalence comme objet de toute traduction, ces thories accordent une place excessive au texte source, puisque le texte cible n'a de valeur que par rapport au texte source. En plus, le caractre normatif de certaines approches de lquivalence est inacceptable. En effet, il nexiste pas de synonymes absolus dans deux langues diffrentes. partir dexemples prcis comme mouton en franais qui peut signifier mutton ou sheep en anglais, Saussure montre que si les mots taient chargs de reprsenter des concepts donns davance, ils auraient chacun, dune langue lautre, des correspondants exacts pour le sens (Saussure, 1972 : 161).

    Cette discussion montre que les diffrentes approches linguistiques et sociolinguistiques seules, quoiquutiles, ne peuvent pas nous permettre de cerner les liens entre langue et culture. Nous avons suffisamment montr (voir chapitres 2 & 3) que la culture est un phnomne complexe qui dborde la langue. Pour pallier ces insuffisances, dautres regards, en particulier les approches fonctionnelles et communicatives, dune part, et dautre part, les approches culturelles, proposent leurs contributions la comprhension de la traduction en tant que processus et produit. Le prochain chapitre sera consacr ces approches.