Cordialement,
Marc A. Hayek, Président et CEO Montres Breguet SA
Rares sont les prédilections esthétiques qui s’imposent
pendant plus de deux siècles au point de devenir intempo-
relles. Elles se distinguent par une conception aussi moderne
et séduisante de nos jours qu’elle l’était au moment de leur
apparition, à l’exemple des grandes orientations stylistiques
de notre fondateur Abraham-Louis Breguet. Les cadrans
guillochés, les aiguilles « pomme » (désormais universelle-
ment appelées « aiguilles Breguet »), les chiffres (également
connus sous le nom de « chiffres Breguet ») et les boîtiers
cannelés sont des caractéristiques indissociables de notre
marque, dont le patrimoine génétique comprend un autre
élément essentiel : des profils étonnamment fins.
Il y a deux cents ans, la minceur s’est établie comme
un impératif pour les garde-temps élégants et raffinés
confectionnés par Abraham-Louis Breguet. Aujourd’hui,
nous demeurons fidèles à cette tradition avec la montre
Classique Tourbillon Extra-Plat à laquelle nous consacrons
un article dans ce numéro. Cette construction possède une
architecture entièrement nouvelle qui lui confère un profil
d’une finesse à couper le souffle. Notre objectif n’était pas
de réaliser un garde-temps destiné à remporter un concours
de montres extra-plates, mais de faire progresser ce domaine
spécifique de l’art horloger tout en préservant l’élégance
et le raffinement de la pièce achevée. Ainsi, le Tourbillon
Extra-Plat est doté d’un cadran en or massif, de nos aiguilles
emblématiques et du célèbre boîtier cannelé. Contraire-
ment à un grand nombre de mécanismes extra-fins, cette
création témoigne d’une absence totale de compromis en
matière de robustesse et de performance. Je suis heureux de
vous inviter à découvrir au cours des pages suivantes les
innovations qui ont permis sa réalisation.
Même si le fondateur de notre Maison était d’origine
suisse, le nom de Breguet est intimement associé à l’histoire
et à la culture françaises. Dans ce numéro, nous nous inté-
ressons à deux de ces liens particuliers : d’une part, en retra-
çant la saga de la branche de la famille Breguet qui s’est
illustrée par son rôle de pionnier dans l’aviation et, d’autre
part, en évoquant le riche passé du musée du Louvre, dont
l’aile Richelieu vient de rouvrir ses portes, à l’issue d’une
minutieuse restauration réalisée avec le soutien de Breguet.
Chers amis de Breguet,
32
1. Classique Tourbillon Extra-Plat 6 2. L’art du camée 22
3. Louis Breguet, pionnier de l’aviation 38
4. Reine de Naples Jour/Nuit 56
5. Les montres squelettes 70
6. Le destin du Louvre 88
SOMMAIRE
Sommaire
4 5
CLASSIQUE TOURBILLON
Avant de relever le défi de la minceur, arrêtons-nous un
instant afin de nous pencher sur diverses définitions. Pour
les horlogers, il existe deux notions qui semblent identiques
à première vue, mais comportent deux significations
bien distinctes : « extra-plat » et « ultraplat ». Le terme
« extra-plat » est utilisé pour décrire des mouvements
minces dont le fonctionnement ne dépend pas du boîtier.
« Ultraplat », en revanche, est le mot généralement appliqué
aux montres sur lesquelles une partie du boîtier sert de
composant fonctionnel au mouvement. Pour l’exprimer
différemment, une montre ou son mouvement ne fonction-
neraient pas s’ils étaient retirés des parties du boîtier aux-
quelles ils recourent. Pour des garde-temps mécaniques,
cette solution est loin de se révéler idéale et l’histoire des
garde-temps ultraplats est jalonnée de problèmes de perfor-
mances et de fiabilité.
À l’instant de commencer le développement de la
Classique Tourbillon Extra-Plat, Breguet a placé la barre à
une hauteur impressionnante. L’objectif déclaré consistait
en effet à réaliser un tourbillon d’une minceur à couper le
souffle avec la commodité offerte par un remontage auto-
matique tout en évitant les problèmes des constructions
ultraplates. De surcroît, ce mouvement devait être robuste,
car la réduction de l’épaisseur ne pouvait s’accompagner
d’aucun compromis en matière de performances et de fiabi-
lité. Enfin, comme tout amateur apprécie une montre de
belle apparence, son design devait préserver et respecter l’es-
thétique de la ligne Classique de Breguet.
Le résultat remplit en tous points le cahier des charges.
La Classique Tourbillon Extra-Plat abrite un mouvement, le
calibre 581 DR, dont la hauteur ne dépasse pas 3 milli-
mètres. Une brève rétrospective des mécanismes extra-plats
à remontage automatique dépourvus de tourbillon met cette
prouesse en perspective. Avec une hauteur de 2,10 milli-
mètres, le record mondial de la minceur est détenu par le
calibre 2100 de Breguet (qui n’est plus en production).
Il est suivi par trois calibres d’une épaisseur de 2,40 mm,
le calibre 502 de Breguet et deux mouvements à remontage
S i vous demandiez à un amateur d’horlogerie aux compétences reconnues d’établir un
catalogue exhaustif des complications, il ne fait aucun doute que la liste comprendrait, comme il
se doit, les calendriers, les calendriers perpétuels, les tourbillons, les chronographes, les chrono-
graphes à rattrapante, les répétitions minutes, l’affichage d’un second fuseau horaire et les grandes
sonneries. À moins, naturellement, que le connaisseur auquel vous vous adressiez ne soit un
constructeur de mouvements. En ce cas, il accorderait assurément une position prééminente aux
calibres extra-plats. À juste titre, car ces concepteurs possèdent une conscience aiguë de l’extraor-
dinaire créativité et du savoir-faire requis pour développer un mécanisme à la finesse extrême.
◆ ◆ ◆
◆ Numéro 4691 de Breguet. Répétition, équation du temps, affichage de la réserve de marche, calendrier et phase de lune. 7,7 mm d’épaisseur. Vendue le 13 octobre 1831 à Lord Henry Seymour Conway.
98
CLASSIQUE TOURBILLONCLASSIQUE TOURBILLON
automatique d’autres manufactures, à la finesse équivalente.
Dans un passé récent, une marque horlogère a réduit imper-
ceptiblement cette valeur dans un nouveau mouvement
automatique dépourvu de tourbillon d’une épaisseur de
2,35 millimètres. Cependant, il importe de préciser qu’il
s’agit là d’une comparaison entre des mouvements à remon-
tage automatique sans complication additionnelle et la
Classique Tourbillon Extra-Plat qui, hormis le remontage
automatique, comprend un tourbillon et une indication de
la réserve de marche et dont l’épaisseur ne se distingue pas
fondamentalement de calibres moins complexes. Autre
élément essentiel, la réserve de marche de 80 heures de la
Classique Tourbillon Extra-Plat dépasse dans une large me-
sure celle d’autres mouvements automatiques extra-plats
sans tourbillon. Cette autonomie accrue apparaît plus im-
pressionnante encore à découvrir sa fréquence de 4 Hz
(28’800 alternances par heure). Les autres mouvements
extra-plats, nettement plus simples, fonctionnent générale-
ment à des fréquences plus faibles de 2,25 ou 2,5 Hz,
à l’exception du calibre 502 de Breguet à la fréquence de
3 Hz. Plus la fréquence est élevée, plus la précision s’accroît
(les effets des perturbations se dissipent plus vite à de hautes
fréquences) et plus il devient difficile d’obtenir une réserve
de marche importante en raison du continuel désarmage du
ressort moteur. Chaque « tic-tac » de la montre s’accom-
pagne d’une légère détente du barillet, de sorte qu’une fré-
quence plus élevée entraîne nécessairement un épuisement
plus rapide de la réserve d’énergie. C’est pour cette raison
que la Classique Tourbillon Extra-Plat s’écarte des autres
mouvements extra-plats, sous trois aspects essentiels : ses
fonctions, sa réserve de marche et sa fréquence élevée.
Assurément, comme un mouvement n’est pas conçu
pour être porté tel quel, il convient de s’intéresser à la
montre elle-même. Son épaisseur totale ne dépasse pas
7 millimètres, une valeur en parfaite harmonie avec le
diamètre de 42 millimètres d’un boîtier en or rose ou en
platine qui présente tous les éléments distinctifs de la ligne
Classique de Breguet : un cadran guilloché en or massif, des
aiguilles Breguet « pomme », un boîtier à la carrure cannelée
comportant les attaches de bracelet soudées et muni d’un
fond transparent en verre saphir.
Au début du processus de développement, certaines
images se sont imposées d’elles-mêmes aux constructeurs de
Breguet. En effet, la dernière innovation majeure qui a
conduit à une diminution importante de l’épaisseur du
mouvement date de 1775, année où l’horloger français
Jean-Antoine Lépine inventa un mécanisme qui simplifiait
notablement la construction par le recours à des ponts et
autorisait des structures plus fines. L’équipe de Breguet a
donc travaillé à redéfinir tous les autres éléments essentiels
du mouvement.
AUCUN TOUR DE MAGIE.
La finesse du mouvement est le résultat de la
recréation de tous les principaux composants.
1110
CLASSIQUE TOURBILLONCLASSIQUE TOURBILLON
L’un des premiers composants à se retrouver au centre
de l’attention était le barillet qui permet d’accumuler l’éner-
gie dont la montre a besoin pour son fonctionnement. Il est
aisé de le visualiser avec ses trois constituants principaux :
le ressort moteur, le barillet en soi qui abrite le ressort et
l’arbre autour duquel le ressort est armé avec la roue qui lui
est associée (appelée rochet). Sur presque toutes les montres,
le ressort moteur est remonté par l’entremise du rochet mis
en mouvement par la couronne ou le mécanisme de remon-
tage automatique. Inversement, il se détend à chaque fois
que le tambour du barillet tourne et que les dents situées à
l’extérieur du tambour délivrent de l’énergie au rouage de
la montre. Les constructions conventionnelles disposent
ces éléments clés du barillet sous la forme d’un sandwich
dont la base est représentée par la platine du mouvement
sur laquelle se superposent successivement le tambour de
barillet, qui abrite le ressort moteur, le couvercle, le pont
supérieur (qui sert à supporter et suspendre l’assemblage
du barillet en bas et en haut) et, finalement, le rochet fixé à
l’arbre du barillet.
Pour réduire l’épaisseur totale du barillet de 25 %, les
constructeurs de Breguet ont imaginé une disposition entiè-
rement différente. Le pont supérieur et le couvercle ont été
éliminés et l’ordre des composants inversé. Plutôt que de
monter le tambour de barillet sur la platine, c’est le rochet
qui y est attaché. Il est doté d’un roulement à billes fixé à la
platine qui lui permet de tourner lorsque la montre est re-
montée, que ce soit par la couronne ou le système d’armage
automatique. Cette structure est plus complexe qu’une
construction habituelle qui n’intègre pas de roulement à
billes. Cependant, en l’absence de pont supérieur, comment
le tambour du barillet peut-il être soutenu lors de ses rota-
tions ? La solution a consisté à le munir d’une petite gorge
dans laquelle sont engagés trois roulements à billes qui le
maintiennent en place. Un tel système permet au barillet de
demeurer dans sa position et de remplir parfaitement sa
fonction en l’absence de pont supérieur. Ce design est conçu
à la fois pour réduire l’épaisseur du mouvement, résister aux
chocs et présenter une grande robustesse.
L’énergie que ce barillet novateur peut emmagasiner est
tout aussi étonnante. En même temps qu’une réduction de
la hauteur d’un quart, il accumule une quantité d’énergie
supérieure de plus de 20 %. La montre dispose ainsi de
80 heures de réserve de marche, une valeur exceptionnelle
pour un mouvement extra-plat et, plus remarquable encore,
pour un calibre à la fréquence élevée.
Penchons-nous maintenant sur le mécanisme relié au
barillet, le système de remontage automatique. L’immense
majorité des remontages automatiques modernes utilisent
une masse oscillante (généralement appelée « rotor ») qui
tourne en fonction des mouvements effectués par le porteur
de la montre. Cette rotation est transférée par un rouage au
LA CONSTRUCTION DU MOUVEMENT
SE CARACTÉRISE PAR UNE ABSENCE TOTALE
DE COMPROMIS.
La quête de la minceur ne devait aucunement
porter atteinte aux performances et aux fonctions.
◆ En haut : le barillet est supporté par trois roulements à billes.
◆ En bas : le rotor de remontage périphérique repose également sur trois roulements à billes.
12 13
CLASSIQUE TOURBILLON
LE MARIAGE DE LA FINESSE ET
DE L’ESTHÉTIQUE.
Le rotor périphérique ne sert pas
uniquement à affiner le mouvement mais
offre une vision dégagée sur les ponts et
le tambour de barillet gravés à la main.
rochet qui arme le ressort moteur. À quelques exceptions
près, la disposition habituellement retenue place le rotor
sous le mouvement, entre les ponts et le fond de la montre.
Naturellement, cette construction accroît l’épaisseur du
mécanisme. Dans sa quête de finesse, l’équipe de Breguet a
adopté une approche révolutionnaire sur la Classique
Tourbillon Extra-Plat, car le rotor est situé à l’extérieur de
la circonférence du mouvement. Cette solution n’ajoute
pas d’épaisseur au système de remontage et elle permet au
rotor de tourner en périphérie du mouvement alors que le
porteur de la montre se livre à ses activités quotidiennes.
Toutefois, la conception de ce système de remontage
périphérique est plus complexe que celle d’un rotor tradi-
tionnel disposé au-dessus des ponts du mouvement. En pre-
mier lieu, il possède une forme annulaire. Associée à une
masse semi-circulaire en platine, la moitié de cet anneau est
plus lourde que l’autre. Les déplacements de la montre et la
gravité mettent le rotor en mouvement en agissant davantage
sur la moitié plus lourde en platine. Le rotor lui-même est
suspendu par trois roulements à billes qui, d’une manière
semblable au système de suspension du tambour de barillet,
s’engagent dans une gorge à l’intérieur de l’anneau. Afin que
le rotor puisse délivrer l’énergie reçue au rochet, sa circonfé-
rence intérieure est dotée de dents qui entraînent à leur tour
un rouage relié au rochet.
Ce système de rotor périphérique possède un avantage
additionnel. Sur les dispositifs de remontage convention-
nels, le rotor dissimule au regard une importante partie du
mouvement. Si le propriétaire désire révéler les superbes
décorations des composants, il doit pencher la montre en
avant et en arrière jusqu’au moment où la force de gravité
déplace le rotor hors de la portion du mouvement qu’il
souhaite contempler. Le rotor périphérique supprime tout
obstacle visuel et l’arrière du mouvement apparaît dans sa
totalité à travers le fond du boîtier, sans qu’il soit nécessaire
d’incliner le garde-temps.
1514
CLASSIQUE TOURBILLONCLASSIQUE TOURBILLON
UN TOURBILLON À LA
CONSTRUCTION UNIQUE.
Cette architecture aérienne confère une
luminosité exceptionnelle à l’ouverture
du tourbillon et met ses composants
en valeur.
À l’évidence, le tourbillon, y compris le balancier, a re-
tenu l’attention particulière des concepteurs du mouve-
ment. La fonction du tourbillon consiste à annuler les
effets de la gravité sur les éléments de l’organe réglant – le
balancier et l’échappement – en les disposant dans une
cage qui accomplit un tour complet une fois par minute.
Dans ce contexte, il est aisé d’imaginer les défis posés par
la volonté de réduire l’épaisseur de ce mécanisme raffiné
afin de le transposer dans un mouvement extra-plat.
Les horlogers rencontrent déjà de grandes difficultés pour
loger un balancier et un échappement ordinaires dans des
mouvements extra-plats, sans la complication additionnelle
représentée par une cage tournante.
La recherche de la minceur commence par la concep-
tion du balancier. En recourant aux expériences accumulées
avec les calibres extra-plats 1200, 2100 et 502, distingués
pendant des décennies pour leur finesse, les horlogers de
Breguet ont dessiné un balancier qui intègre totalement le
spiral dans son épaisseur. Des technologies d’avant-garde
jouent également un rôle essentiel dans la construction,
à l’exemple du spiral en silicium. Ce composant breveté
possède de multiples avantages : il présente une forme idéale
de nature à assurer une exceptionnelle précision, il résiste
1716
CLASSIQUE TOURBILLON
pivote et, avec elle, les composants de l’organe réglant au-
tour de la roue fixe. Dans ce nouveau tourbillon, plutôt que
de placer la roue de seconde fixe au-dessous de la cage de
tourbillon, Breguet a conçu une grande roue disposée en
périphérie et munie d’une denture intérieure qui s’engage
avec le pignon d’échappement. Son fonctionnement est en
tout point identique, car la rotation de la cage par rapport à
la roue fixe entraîne tous les éléments essentiels de la mesure
du temps. Le résultat, cependant, réduit l’épaisseur du mé-
canisme de quelques dixièmes de millimètres et confère au
tourbillon une extraordinaire transparence qui met en valeur
et rehausse la beauté des autres composants.
Comme nous l’avons déjà observé, les amateurs d’hor-
logerie portent des montres et non des mouvements. Une
attention considérable a donc été accordée à l’association du
calibre 581 DR avec le boîtier et le cadran. Les construc-
teurs étaient tenus de respecter un impératif intangible,
le cadran en or massif guilloché à la main. Certains garde-
temps extra-plats recourent à l’expédient d’une plaque fine
aux champs magnétiques et, enfin, il garantit une meilleure
stabilité des performances chronométriques sur une période
plus étendue pendant le désarmage du barillet (une proprié-
té appelée « isochronisme » par les horlogers).
La cage de tourbillon elle-même diffère substantielle-
ment des autres tourbillons de Breguet sur lesquels l’énergie
est délivrée à un pignon fixé au centre de rotation de la cage.
À l’évidence, cette disposition requiert la présence d’un
rouage sous la cage qui accroît l’épaisseur de l’ensemble. Un
profil plus fin a été obtenu en transmettant l’énergie direc-
tement sur la bordure externe de la cage, munie de dents.
Ainsi, la cage de tourbillon est entraînée depuis l’extérieur.
Elle est en outre fabriquée en titane, un matériau qui
conjugue une grande légèreté et la rigidité indispensable à
l’obtention de hautes performances. Le mode de rotation de
la cage est une autre adjonction à la conception de ce tour-
billon. Les constructions habituelles recourent à une roue
de seconde fixe à denture externe qui engrène le pignon
d’échappement. Alors que l’échappement tourne, la cage
LES CONNAISSEURS HORLOGERS
PORTENT DES MONTRES ET NON
DES MOUVEMENTS.
La manière dont un calibre
extra-plat est associé au cadran et
au boîtier de la montre revêt une
signification essentielle.
◆ Schéma du tourbillon illustrant les dents externes sur la cage de tourbillon utilisée pour délivrer l’énergie requise par les rotations et l’échappement.
1918
CLASSIQUE TOURBILLON
ou se passent de cadran afin de gagner encore quelques
dixièmes de millimètres en hauteur. Ce compromis esthé-
tique était inacceptable aux yeux de Breguet. De surcroît,
comme la décoration traditionnelle réalisée à l’aide d’une
machine à guillocher manuelle requiert une certaine épais-
seur d’or, Breguet n’a pas souhaité s’écarter de cet héritage et
a accepté une épaisseur supplémentaire. Néanmoins, une
astuce est associée au cadran. Même si elle est fermement
assujettie au mouvement, la barrette du tourbillon est
presque entièrement logée entre deux fentes sur le cadran
lui-même, de part et d’autre de l’ouverture qui permet à
l’observateur de suivre les évolutions de la cage tournante.
Ainsi maintenue en place, la barrette semble faire partie du
visage de la montre. Cette impression n’est naturellement
qu’une illusion, car ses fixations au mouvement sont dissi-
mulées sous le cadran.
La minceur n’a pas fait non plus obstacle à la tradition-
nelle décoration du mouvement, car les ponts et le barillet
sont minutieusement gravés à la main.
Breguet dispose d’un riche patrimoine d’innovations qui
s’étend sur plus de deux siècles, auquel ce nouveau membre
de la série des tourbillons rend hommage. Assurément, il
comprend le mécanisme de tourbillon qu’Abraham-Louis
Breguet inventa et fit breveter en 1801. De semblable ma-
nière, le fondateur de Breguet démontra son savoir-faire
horloger avec de remarquables constructions extra-plates,
à l’exemple de l’extraordinaire no 3306 avec répétition des
quarts dont l’épaisseur ne dépasse pas 8 mm et de la no 4691
avec répétition des demi-quarts, phase de lune, calendrier,
équation du temps et indication de la réserve de marche à
la minceur à couper le souffle de 7,7 mm. La Classique
Tourbillon Extra-Plat illustre la vivacité de ce patrimoine
unique et l’enrichit de prouesses inédites.
2120
L’ART DU CAMÉE
L’art de la gravure sur camée est une technique dé-
corative connue depuis l’Antiquité. Les premiers ouvrages
réalisés en relief sur des pierres sont attestés en Grèce au
IIIe siècle avant Jésus-Christ. La tasse Farnèse est l’exemple
le plus ancien et le plus célèbre de l’art de la gravure sur
camée qui est parvenu jusqu’à nous. Avec ses intenses
contrastes de lumière et ses figures allégoriques gravées en
trois dimensions, ce délicat récipient en sardonyx illustre la
force expressive d’images aux couleurs claires dont le relief
se détache sur un fond sombre et il a défini l’art des camées
pendant les deux millénaires qui se sont écoulés depuis sa
création. Désormais, la splendide tasse Farnèse est conservée
dans les collections du Musée archéologique de Naples.
Comme d’autres formes d’art, la technique du camée a
connu au cours des siècles des périodes fastes qui ont alterné
avec des époques d’oubli relatif. Un vif regain d’intérêt, qui
s’adressait en particulier aux camées sur coquillages, se mani-
festa pendant le règne de la reine Victoria. La souveraine
les appréciait au point d’en porter plus d’un à la fois en cer-
taines occasions. Au cours du siècle précédent, Catherine II,
impératrice de Russie, avait également témoigné d’une pré-
dilection pour les bijoux en camée. La forte demande en
provenance de l’Angleterre victorienne favorisa l’épanouis-
sement des artistes établis à Torre del Greco, une localité
située au pied du Vésuve, qui devint bientôt le centre de la
gravure de coquillages marins, par opposition à d’autres
matériaux tels que le verre ou les gemmes. Et, aujourd’hui
encore, c’est à Torre del Greco que Breguet a trouvé deux
graveurs – un père et son fils – pour confectionner les
éléments en camée de ses garde-temps.
Même si de nombreuses variétés de coquillages ont été
utilisées au cours de l’histoire et le sont encore pour servir
de support à des camées, les travaux les plus fins sont réalisés
sur des coquilles de « cassis madagascariensis », un mollusque
parfois appelé familièrement « casque empereur ». Les camées
de Breguet ne dérogent naturellement pas à cette règle
d’airain. Le nom scientifique de cet organisme marin peut
U ne montre Breguet sera toujours rare. L’exclusivité de chaque garde-temps est attestée par
l’attribution d’un numéro individuel, selon une pratique qui remonte à l’ouverture en 1775 de
l’atelier du fondateur au Quai de l’Horloge à Paris. Cependant, chaque Reine de Naples Camée
ou Secret de la Reine comporte une dimension d’individualité supplémentaire. En effet, ces deux
créations féminines arborent des camées gravés à la main sur des coquillages. Ces ornements, qui
figurent sur le cadran de la Reine de Naples alors qu’ils adoptent une forme de rose sur le
couvercle de la montre Secret de la Reine, soulignent le caractère prestigieux de chaque garde-
temps et lui confèrent un statut de « pièce unique », car aucun exemplaire ne sera exactement
identique à un autre.
◆ ◆ ◆
2524
L’ART DU CAMÉE
cependant induire en erreur, car son habitat n’est pas situé
à proximité de l’île de Madagascar, sinon dans l’océan
Atlantique, au large de la Floride. Les cassis madagascarien-
sis ne sont pas uniquement appréciés pour leur grande
taille, mais également pour leur coloration intense et les
contrastes offerts par leur coquille. Au-dessous de la surface
extérieure d’un blanc laiteux, le travail de gravure fait appa-
raître des couches aux teintes plus sombres. Cette diversité
de couleur et de profondeur permet de créer des figures en
relief qui se détachent sur un fond plus foncé, dans le style
classique illustré par la tasse Farnèse.
L’art du camée est intimement lié à la vie de Torre del
Greco et ses racines s’étendent souvent sur plusieurs géné-
rations au sein d’une même famille. Les camées de Breguet
sont réalisés par un duo composé d’un père, Pasquale, et de
son fils Fabio. Pasquale a appris son art avec le grand maître
du camée Giuseppe Scialanga (1889-1960) et son initiation
a commencé à l’âge de sept ans quand il est entré dans
son atelier. Pour sa part, Fabio a complété sa formation à
l’Académie des beaux-arts de Naples. Avant leur collabora-
tion avec Breguet, le père et le fils étaient déjà renommés
pour leurs camées inspirés par le légendaire tableau de
Botticelli « Les trois Grâces » (exposé au Musée des Offices
à Florence) et leurs ouvrages à l’effigie de saints napolitains.
Pasquale et Fabio ont installé leur studio dans un petit
appartement baigné de lumière sur le versant sud du Vésuve.
2726
L’ART DU CAMÉE
Depuis lors, Fabio se consacre exclusivement aux cadrans et
aux roses pour la Reine de Naples alors que son père répartit
son temps entre Breguet et d’autres travaux. Autrefois, de
nombreux camées étaient gravés sur les conques ramenées
par des marins napolitains de leurs pérégrinations à travers
le monde. Cette tradition a disparu et les coquillages de
haute qualité, en particulier les « cassis madagascariensis »,
sont acquis à l’étranger par des négociants spécialisés qui les
vendent aux graveurs par lots de 50 à 100 pièces. Ces co-
quilles sont entièrement naturelles et ne sont soumises à
aucun traitement. Elles parviennent aux graveurs après un
long processus de séchage au cours duquel les conques sont
disposées, à l’air libre, sur des cannes de bambou pendant
12 à 18 mois.
La première étape de travail consiste à examiner et à sé-
lectionner les coquillages. Le père et le fils scrutent attenti-
vement chaque conque, à la recherche des plus minuscules
taches ou signes de fissure pour ne retenir que les exem-
plaires jugés parfaits. À l’issue de ce tri, ils identifient les
parties de la coquille qui se prêtent à la confection d’un
cadran, dans le cas de la Reine de Naples Camée, ou d’une
rose pour la Secret de la Reine. Comme une seule coquille
peut souvent permettre de créer deux cadrans ou deux roses,
les contours du cadran ou la forme de la rose sont esquissés
au crayon à l’intérieur de la conque. Une fois que les
graveurs sont satisfaits du résultat, ils procèdent à la
découpe du motif à l’aide d’une scie circulaire, puis en
adoucissent et en arrondissent minutieusement les bords.
◆ Une fois le cadran découpé dans la coquille, il est fixé sur un support en bois à l’aide d’un mélange de cire et de poix.◆ La découpe de la coquille est suivie de l’adoucissage des bords.
TOUT CAMÉE DÉBUTE PAR UN
EXAMEN MINUTIEUX ET LA
SÉLECTION DES COQUILLAGES.
L’artiste détermine ensuite les parties
de la coquille qui se prêtent à la
confection d’un cadran pour
la Reine de Naples Camée ou d’une
fleur pour la Secret de la Reine.
28 29
L’ART DU CAMÉE
Plusieurs étapes sont encore nécessaires avant le début de la
taille. En utilisant un mélange de cire et de poix, ils fixent la
coquille sur une tige de bois avant d’en niveler la surface
extérieure. Cette opération ne confère pas uniquement à la
pièce la régularité requise pour un cadran de montre, mais
retire la partie externe rugueuse de la coquille en révélant le
blanc laiteux qui deviendra l’image. Désormais, les artistes
possèdent enfin leur toile et peuvent se mettre réellement à
l’ouvrage.
Fabio et Pasquale commencent par tracer le motif au
crayon. Le dessin du cadran de la Reine de Naples Camée
adopte la forme d’un tournesol dont le centre creusé sert de
fixation aux aiguilles et sera reporté de semblable manière
◆ Avant le début de la gravure, le motif est dessiné sur la surface. ◆ Les couleurs naturelles de la coquille apparaissent au fur et à mesure que les outils du graveur travaillent en profondeur.
TOUTES LES COULEURS
SONT NATURELLEMENT PRÉSENTES
DANS LA COQUILLE.
Aucun élément n’est peint ou ajouté.
30 31
L’ART DU CAMÉE
LES OUTILS DE L’ARTISTE.
Le motif est créé
uniquement à l’aide de poinçons
appelés « bulini ».
3332
L’ART DU CAMÉE
◆ Interprétation artistique de nouveaux motifs de cadrans en camée.
sur la surface. Avec un poinçon effilé inventé par un gra-
veur italien et connu sous le nom de « bulino », ils grat-
tent la surface. Les contours de la fleur apparaissent avant
que les détails ne soient minutieusement gravés à l’aide
d’outils de plus en plus fins tandis que les artistes creusent
toujours plus profondément dans l’épaisseur du coquil-
lage. Toutes les couleurs sont présentes à l’état naturel,
sans aucune adjonction ultérieure. Les teintes arborées par
chaque coquille sont uniques par leur ton, leur opacité et
leur position dans les différentes couches de la conque.
L’alliance entre cette diversité de couleurs et les subtiles
variations du thème floral permet à chaque camée de se
distinguer de tous les autres.
UN TOURNESOL NAÎT
DE LA COQUILLE.
Les aiguilles sont nichées
au cœur de la fleur.
34 35
L’ART DU CAMÉE
Souvenons-nous qu’un camée sert de cadran à la
Reine de Naples. Aussi ce travail en miniature doit-il asso-
cier la virtuosité artistique aux strictes exigences posées par
son adaptation à un cadran de montre, aux aiguilles et au
boîtier. Lorsque la gravure est achevée, des emplacements
collés sur le fond indiquent les points de fixation précis
du mouvement.
La Reine de Naples Camée est abritée dans un boîtier
en or blanc avec une lunette sertie de 40 diamants pour un
poids total de 2,42 carats. Le camée en forme de rose pour
la montre Secret de la Reine est disposé sur un couvercle de
boîtier qui, dans sa position refermée, dissimule le cadran à
la vue, avec une lunette sertie de diamants qui apparaissent
comme une arche entourant la rose. Le pivotement du
couvercle révèle le secret, un cadran serti de diamants avec
un cartouche en nacre comportant la signature Breguet.
Ce modèle est disponible en or rose ou blanc, avec un brace-
let en cuir ou en or tressé. Les deux garde-temps sont dotés
de mouvements mécaniques à remontage automatique.
D’autre part, le camée en forme de rose occupe une place
prépondérante dans les collections de joaillerie de Breguet,
car il est décliné en boucles d’oreilles, bagues, bracelets,
pendentifs et colliers dans une large variété de grandeurs et
diverses combinaisons d’or et de perles.
Les montres Reine de Naples Camée et Secret de la Reine
sont les deux seuls garde-temps à illustrer l’art du camée
dans l’horlogerie contemporaine. Ils ne sont pas uniquement
exceptionnels par la réunion d’un art traditionnel et d’une
technique superbement maîtrisée, mais par l’unicité de
chaque exemplaire dans ses teintes et son dessin.
36 37
Hydravion de transport Breguet 531 Saigon de la compagnie Air France photographié au-dessus du Havre en 1934
LOUIS BREGUET, PIONNIER DE L’ AVIATION
◆ Hydravion de transport Breguet 531 Saigon de la compagnie Air France photographié au-dessus du Havre en 1934.
Louis Breguet, PIONNIER
DE L’ AVIATION et amateur d’ horlogerie
Par Emmanuel Breguet
38 39
LOUIS BREGUET, PIONNIER DE L’ AVIATION
Louis Breguet représente en effet la cinquième généra-
tion de la famille depuis l’arrivée en France en 1762 de son
trisaïeul Abraham-Louis Breguet (1747-1823), membre de
l’Académie des sciences, qui a fait carrière à Paris où, avec
son fils Antoine-Louis (1776-1858), il a porté à son apogée
l’art de l’horlogerie. Son grand-père Louis-Clément Breguet
(1804-1883), membre de l’Académie des sciences, a créé
d’innombrables instruments électriques. Il a inventé et
construit un télégraphe à cadran adopté par de nombreux
pays ; il a mis au point plusieurs systèmes de télécommuni-
cation qui ont accru la sécurité des chemins de fer, et en
reconnaissance de ses nombreux mérites, son nom figure
sur la tour Eiffel. Son père, Antoine Breguet (1851-1882),
polytechnicien, un des ingénieurs les plus prometteurs de sa
génération, a introduit en France le téléphone de Bell avant
de mourir prématurément à l’âge de 31 ans.
Naturellement destiné à reprendre les activités fami-
liales dans le domaine des télécommunications et des mo-
teurs électriques, l’activité horlogère ayant été cédée par son
grand-père en 18701, Louis Breguet, fraîchement diplômé
de l’École supérieure d’électricité, surprendra les siens en se
tournant résolument vers la conquête de l’Air.
S i, en plus de l’horlogerie, le nom Breguet résonne de manière familière dans l’aéronautique,
c’est à Louis Breguet (1880-1955), un des grands pionniers de l’aviation mondiale qu’on le doit,
et lorsqu’on se demande si Abraham-Louis Breguet et Louis Breguet étaient de la même famille,
la réponse est positive.
◆ ◆ ◆
◆ Louis Breguet, ingénieur et pilote, aux commandes d’un de ses appareils en 1910.
Résumer la carrière de Louis Breguet en quelques lignes
n’est pas aisé, tant lui-même et la Société anonyme des
ateliers d’aviation Louis Breguet qu’il créa et anima, deve-
nue plus tard Breguet Aviation, furent des acteurs mar-
quants du monde aéronautique pendant presque un siècle.
Ingénieur et chef d’entreprise, Louis Breguet est entré de
son vivant dans l’histoire, triplement pourrait-on dire, pour
son œuvre de pionnier de l’hélicoptère, pour sa contribu-
tion majeure à l’histoire de l’aviation militaire et pour son
rôle de bâtisseur du transport aérien civil2.
Le gyroplane, un hélicoptère avant l’heure
De 1905 à 1909, associé à son frère Jacques et au pro-
fesseur Charles Richet3, Louis Breguet aborde le domaine
de l’aviation naissante par le biais original des voilures tour-
nantes, c’est-à-dire du vol vertical. Par deux fois en 1907,
son « gyroplane n° 1 », un curieux engin à quatre systèmes
rotatifs de huit pales chacun, se soulève pendant environ
une minute : de 60 centimètres le 24 août, de près
d’ 1,5 mètre le 20 septembre. Il s’agit d’une première mon-
diale dont Louis Breguet informe aussitôt l’Académie des
sciences. Et cette dernière, dans sa séance du 16 septembre,
officialise ainsi le soulèvement du 24 août : « Un appareil du
40 41
LOUIS BREGUET, PIONNIER DE L’ AVIATION
◆ Gyroplane Breguet-Richet n° 1, une des rares photos du soulèvement du 24 août 1907 à Douai. Des assistants empêchent le déplacement latéral de l’appareil.
◆ Carte postale montrant le curieux gyroplane Breguet-Richet n° 2 bis.
genre hélicoptère est parvenu pour la première fois à s’alléger
complètement et à se soulever du sol, avec son moteur, ses
approvisionnements et un homme à bord ». Confronté aux
résultats insuffisants obtenus avec deux autres machines à
voilures tournantes, Louis Breguet, malgré sa certitude que
le vol vertical est une solution d’avenir, va y renoncer en
1909 pour se lancer dans la construction aéronautique clas-
sique et la fabrication d’avions biplans puis monoplans.
Mais il n’a pas dit son dernier mot. En effet, vingt-trois ans
plus tard, en 1932, il décide de renouer avec l’aventure du
gyroplane alors que, au sommet de sa carrière, il est un
homme écouté et observé par ses concurrents du monde
entier. Même si la technologie a beaucoup progressé,
notamment en matière de motorisation, l’aventure semble
encore un peu folle. Et pourtant, avec une équipe réduite
composée de René Dorand et Maurice Claisse, et après
trois années de travail acharné, on assistera en 1935 et 1936
aux exploits du gyroplane expérimental Breguet-Dorand
qui avec ses records dans les domaines de la maniabilité,
de la vitesse (108 km/h), de l’altitude (158 mètres),
de l’endurance (1 heure et 3 minutes) et du vol stationnaire
(10 minutes) s’affirme sans conteste comme le premier
hélicoptère moderne de l’histoire4. C’est donc à deux re-
prises que Louis Breguet a marqué fortement l’histoire de
l’hélicoptère et inspiré toute une génération d’ingénieurs
qui s’inscriront dans sa lignée comme Igor Sikorsky ou
Franck Piaseki.
Breguet et l’aviation militaire
Revenu en 1909 à des formules plus classiques, il
construit à partir de 1911 des biplans pour les forces armées
de France, du Royaume-Uni et de Russie. À partir de 1914,
à l’instar des pionniers de l’aviation du monde entier, il s’in-
vestit totalement dans la production industrielle d’avions
devenus exclusivement des outils de guerre. Le 2 septembre
1914, quelques jours avant de quitter le front pour se consa-
crer à ses usines, il accomplit de sa propre initiative une des
périlleuses reconnaissances aériennes qui vont éclairer
l’état-major français sur la tentative allemande de contour-
nement de Paris par l’Est. Pris très au sérieux par les géné-
raux Gallieni et Joffre, les renseignements collectés
permettent de déclencher la Bataille de la Marne dont on
retient toujours l’épisode fameux des taxis parisiens réquisi-
tionnés pour acheminer au plus vite le maximum de ren-
forts sur le front. Louis Breguet reçoit la Croix de guerre
pour cet acte exceptionnel et son nom reste attaché pour
toujours à cette « victoire de la Marne » qui a changé le
cours de la guerre.
Mais la guerre s’enlise et vient le temps des tranchées.
La production des avions s’organise mais il faudra encore
deux ans pour que l’aviation évolue vraiment sur le plan
◆ Le gyroplane Breguet-Dorand photographié le 22 septembre 1936 au cours d’un vol historique.
42 43
LOUIS BREGUET, PIONNIER DE L’ AVIATION
◆ Avions Breguet XIV en formation.
LE BREGUET 14 EFFECTUE SON
PREMIER VOL EN NOVEMBRE 1916.
En service pendant plus de dix ans, il
assure à Louis Breguet une réputation
internationale.
44 45
LOUIS BREGUET, PIONNIER DE L’ AVIATION
technologique. Le Breguet 14, quant à lui, effectue son pre-
mier vol en novembre 1916 et sera produit en masse à partir
de 1917. Fruit des réflexions personnelles de Louis Breguet,
cet avion biplace ultra-moderne possède une structure en-
tièrement métallique (avec fuselage et ailes entoilées) qui
fait appel pour la première fois au duralumin. Conçu pour
la reconnaissance et pour le bombardement, il fait sensa-
tion dans les escadrilles par sa vitesse, sa maniabilité, sa
forte charge utile et son plafond de 6 000 mètres qui le met à
l’abri de la chasse ennemie. Il se révèle sans conteste un outil
majeur de la victoire des Alliés en 1918. Construit à près
de 8 000 exemplaires, acheté par une quinzaine de pays,
dont les États-Unis, en service pendant plus de dix ans, le
Breguet 14 assure à son concepteur une réputation mondiale5.
◆ Chaîne de montage du Breguet 19 à l’usine de Villacoublay. ◆ Louis Breguet en 1936, à son bureau de la rue Georges Bizet à Paris devant sa planche à dessin.
Son successeur le Breguet 19 sera de la même veine et équi-
pera les aviations du monde entier6. Suivront d’autres appa-
reils multiplaces de combat puis le puissant avion de
bombardement tactique Breguet 690 qui, commandé tardi-
vement par l’état-major français mais aussi par la Belgique
et par la Suède, ne pourra pas donner toute sa mesure lors
de la bataille de France de 1940. Fournisseur des forces
armées, Louis Breguet va le rester jusqu’au bout, et ses suc-
cesseurs après lui ; les années 1950 et 1960 sont marquées
par la mise au point et la commande du patrouilleur mari-
time embarqué Breguet 1050 Alizé, en service sur
les porte-avions français Foch et Clemenceau jusqu’au
début des années 2000, et également utilisé par la
marine indienne ; par l’avion de surveillance maritime et
de grande reconnaissance Breguet 1150 Atlantic, vain-
queur du concours de l’OTAN en 1958, acquis par la
France, l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas, et dont une ver-
sion modernisée vole encore aujourd’hui au-dessus des mers
et déserts du globe ; par l’avion de transport de troupes
Breguet 941 qui pouvait atterrir et décoller dans un terrain
de football et enfin par le chasseur franco-britannique
Jaguar à la longue et brillante carrière.
Breguet et l’aviation civile
Mais c’est sur le plan de l’aviation civile que Louis
Breguet se révèle un authentique théoricien et un entrepre-
neur visionnaire. Le transport massif de passagers est un
vieux rêve entrevu le 23 mars 1911 lorsque, avec onze
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LOUIS BREGUET, PIONNIER DE L’ AVIATION
Paris-Londres, et donne au nouvel ensemble qu’il préside le
nom d’Air Union. En 1929 est lancé Marseille-Ajaccio-
Tunis, en 1931, Tunis-Alger et en 1932 Lyon-Cannes.
En 1932, Air-Union commence, en pool avec Swissair,
l’exploitation de la ligne Paris-Genève directe qui donne la
correspondance avec les lignes intérieures suisses. En 1932,
Air Union est la plus grande compagnie aérienne française
en termes de kilomètres parcourus et du nombre de passa-
gers transportés. En 1933, Louis Breguet apposera sa signa-
ture au bas de l’acte de création de la compagnie Air France,
le gouvernement français ayant décidé de réunir en une
seule entité les compagnies existantes qui étaient au
nombre de cinq : Air Union, Air Orient, la CIDNA, les
Lignes Farman et l’Aéropostale.
personnes à bord de son biplan de 90 chevaux, il bat le
record du monde de passagers enlevés 7 ! À peine la guerre
terminée, il est de ceux qui imaginent une aviation paci-
fique. Créateur de la Compagnie des messageries aériennes
en février 1919, pour le transport de passagers – et pas seu-
lement de courrier – entre Paris et Bruxelles puis entre Paris
et Londres, il n’aura de cesse pendant quinze ans de bâtir,
par le biais de rapprochements, d’associations et de fu-
sions, un réseau important, cohérent et si possible rentable.
En 1921 est lancée la ligne Paris-Le Havre en liaison avec
le paquebot pour New York. À l’été 1922 est inauguré un
Paris-Marseille via Lyon, complété par un Lyon-Genève.
En mars1923, Louis Breguet fusionne sa compagnie avec la
Compagnie des grands express aériens, sa rivale sur
DÉVELOPPEMENT
DES COMPAGNIES AÉRIENNES.
En 1933, Louis Breguet
apposera sa signature au bas
de l’acte de création
de la compagnie Air France.
Et il faut bien sûr évoquer ces Breguet 14 qui s’illustrent
dans le transport du courrier au sein des Lignes aériennes
Latécoère puis de l’Aéropostale, en Europe, en Afrique et
bientôt en Amérique latine, et qui sont immortalisés par les
récits de Mermoz, de Guillaumet, de Saint-Exupéry 8….
Il serait injuste de passer sous silence les « grands raids »
dont les avions Breguet sont les principaux acteurs mondiaux
entre le début des années 1920 et le milieu des années 1930 :
il s’agit certes de performances individuelles d’avions qui ne
sont pas encore des avions de transport, mais cela démontre
des possibilités et balise ce qui va devenir tôt ou tard des
routes aériennes. Citons les plus connus : Paris-Tokyo en
1924 par Pelletier d’Oisy et Besin ; Madrid-Manille en
1926 par Gallarza et Loriga ; tour du monde en 1927 par
◆ Limousine Breguet 280T photographiée à l’aéroport de Paris-Le Bourget en 1929. ◆ Intérieur d’un avion de la compagnie Air Union, assurant la liaison Londres-Paris.
48 49
LOUIS BREGUET, PIONNIER DE L’ AVIATION
Costes et Le Brix avec la première traversée de l’Atlantique
Sud de Saint-Louis du Sénégal à Natal au Brésil ; Paris-
Pékin en 1929 par Arrachart et Rignot ; et bien sûr celui qui
a le plus marqué les esprits, le fameux Paris-New York sans
escale de Costes et Bellonte en 37 heures et 18 minutes les
1er et 2 septembre 1930 à bord du célèbre Breguet 19 de
grand raid baptisé « Point d’Interrogation »9.
Si Louis Breguet débute ses activités de président fonda-
teur de compagnie aérienne avec des Breguet 14 désarmés et
spécialement aménagés, il s’engage dans la conception
d’avions dédiés au transport civil tels que le Breguet 28
Limousine ou le Breguet 393 qui se révélèrent particulière-
ment sûrs. Après la seconde guerre mondiale, sa réalisation la
plus spectaculaire restera le Breguet 760 « Deux-Ponts », un
quadrimoteur d’une centaine de places aux deux étages com-
plets garnis de sièges, ancêtre incontesté de l’Airbus A-380.
Cet avion particulièrement fiable et économique ne connut
aucun accident mortel au cours de ses vingt années d’ex-
ploitation. En 1921, dans une conférence visionnaire, il
décrit l’avion du futur qui volera à 13 500 mètres d’altitude
et mettra New York à six heures de Paris10… Louis Breguet
fera tout pour rendre les voyages aériens accessibles au plus
grand nombre, ne se satisfaisant pas d’une aviation élitiste
réservée aux plus fortunés. En 1943, voulant rendre le prix
du billet d’avion équivalent au tarif de 3e classe du chemin
de fer, il théorise le charter et le low-cost qu’il annonce avec
trente ans d’avance…11. ◆ Parade de Costes et Bellonte à Broadway au lendemain de leur raid mémorable.
◆ Chronique des Avions Louis-Breguet de septembre-octobre 1930, exemplaire signé par Dieudonné Costes. Les Chroniques paraissent à partir de 1925.
LE CÉLÈBRE BREGUET 19
« Point d’Interrogation » permit à
Costes et Bellonte de réaliser le premier
Paris-New York sans escale.
50 51
LOUIS BREGUET, PIONNIER DE L’ AVIATION
reçoit tous ces représentants du monde horloger pour une
visite de ses usines de Vélizy-Villacoublay tandis que le len-
demain à Paris, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne,
il clôture son long discours par cette sentence : « L’un des
plus beaux fleurons de la couronne de l’ industrie horlogère
est d’avoir contribué à aider la Marine à résoudre les pro-
blèmes de la navigation sur les flots, comme au reste, elle
contribue aujourd’ hui puissamment à aider les navigateurs
de l’air – dont les efforts me sont plus particulièrement chers
– à éclairer et à reconnaître leur route dans l’espace. » C’est
bien l’ingénieur qui parle : oui, l’horlogerie a des défis à re-
lever et un rôle à jouer pour accompagner et même faciliter
Louis Breguet décède en 1955 en pleine activité, et la
société qui porte son nom est alors rachetée par l’homme
d’affaires Sylvain Floirat qui mène à bien de nombreux
projets. En 1967, c’est Marcel Dassault, autre grand nom de
l’aviation française, qui à son tour rachète Breguet Aviation
avant de l’intégrer à sa propre entreprise désormais nommée
Avions Marcel Dassault- Breguet Aviation, ou plus commu-
nément Dassault- Breguet. Le gouvernement français ap-
prouve et favorise cette concentration qui donne à Marcel
Dassault, avec les sites de Toulouse et d’Anglet12, des moyens
industriels supplémentaires qui vont s’avérer bien utiles à
ses ambitions mondiales.
Les liens de Louis Breguet avec l’horlogerie
Parallèlement à ses activités aéronautiques, mais aussi
sportives13, Louis Breguet garde toujours des contacts avec
la famille Brown qui a racheté la maison d’horlogerie à son
grand-père et il se souvient avec fierté de l’œuvre horlogère
de ses ancêtres. Dès 1922, la société des ateliers d’aviation
Louis Breguet apparaît régulièrement dans les livres de
vente de la maison d’horlogerie. Cela permet d’affirmer que
Louis Breguet a su présenter aux dirigeants des montres
Breguet d’alors les perspectives d’avenir pour des produits
horlogers adaptés à l’aéronautique. En 1923 d’ailleurs, il
préside le Comité du centenaire d’Abraham-Louis Breguet
(1747-1823) qui organise tant en France qu’en Suisse d’im-
portantes manifestations qui culminent avec l’exposition
parisienne du Musée Galliera que Louis Breguet inaugure
aux côtés du président de la République française Alexandre
Millerand14. Pendant plusieurs semaines, l’avionneur se re-
trouve immergé dans le monde de l’horlogerie et fréquente
ses plus éminents représentants français, suisses et britan-
niques. Il partage de longs moments avec l’industriel londo-
nien Sir David Salomons et Henry Brown, propriétaire des
montres Breguet, ainsi qu’avec George Brown, le fils et
futur successeur de ce dernier. Le 26 octobre, Louis Breguet
◆ Brochure commerciale de présentation du Breguet 761 « Deux-Ponts ».
◆ Invitation à la séance solennelle à la Sorbonne le 27 octobre 1923.
CÉLÉBRATIONS DU CENTENAIRE.
En 1923, Louis Breguet préside le comité du
centenaire du décès d’A.-L. Breguet.
D’importantes manifestations se déroulent
en France en Suisse.
52 53
LOUIS BREGUET, PIONNIER DE L’ AVIATION
1 En 1870, Louis-Clément Breguet cède la partie horlogère de ses activités à son chef d’atelier Edward Brown, horloger parisien d’ori-gine anglaise. Trois générations de membres de la famille Brown se succéderont à la tête des montres Breguet jusqu’en 1970.
2 Pour une vue d’ensemble de la carrière de Louis Breguet, on pourra se reporter à : Emmanuel Breguet, Breguet, un siècle d’aviation, éditions Privat, 2012, 144 p.
3 Charles Richet (1850-1935), ami d’Antoine Breguet et parrain de Louis Breguet. Ce médecin éclectique, passionné d’aviation, ob-tient le prix Nobel de Médecine en 1913.
4 Sur l’histoire mondiale de l’hélicoptère, le lecteur pourra consulter : Bernard Bombeau, Hélicoptères, la genèse, de Léonard de Vinci à Louis Breguet, éditions Privat, 2006, 364 p.
5 Outre la France, les pays utilisateurs du Breguet 14 furent : la Bel-gique, le Danemark, la Suède, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, la Pologne, l’Espagne, le Portugal, le Brésil, les États-Unis, le Siam et le Japon.
6 Le Breguet 19 sera acheté par les pays suivants : France, Belgique, Yougoslavie, Roumanie, Pologne, Grèce, Bolivie, Venezuela, Argentine, Perse, Turquie, Espagne, Chine et Japon.
7 Ce record se déroula à la Brayelle, près de la ville de Douai, dans le Nord de la France, là où Louis Breguet commença ses activités aéronautiques.
8 L’ Association Breguet XIV, animée par Eugène Bellet, a construit une réplique du Breguet 14 immatriculée F-POST qui est au-jourd’hui le seul Breguet 14 en état de vol. En 2010, en hommage aux pionniers de la Ligne, il accomplit un vol commémoratif de Toulouse jusqu’à Cap Juby (aujourd’hui Tarfaya, au Maroc). En 2015, son rêve est de poursuivre sur les traces des pionniers, mais en Amérique du Sud cette fois pour un vol Brésil-Uruguay- Argentine. Eugène Bellet est l’auteur de l’ouvrage : Breguet XIV, des tranchées à l’Aéropostale, éditions Privat, 2011, 144 pages.
9 Le Breguet 19 « Point d’Interrogation » est conservé dans les collec-tions du Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget dont il constitue une des pièces les plus emblématiques. Sont également conservés au Bourget et présentés au public un Breguet 14 de la première guerre mondiale, le Breguet 19 de Costes et Le Brix, un gyroplane et plu-sieurs autres machines plus récentes. Un biplan Breguet de 1911 se trouve quant à lui au Musée des Arts et Métiers à Paris, connu aussi pour posséder, dans le domaine horloger, plusieurs chefs-d’œuvre d’Abraham-Louis Breguet.
10 L’avenir de l’aviation, conférence prononcée le 16 novembre 1921. 11 L’avenir de l’aviation de transport, conférence prononcée le
24 novembre 1943.12 Après Douai où Louis Breguet fit ses débuts industriels avant 1914,
c’est le site de Vélizy-Villacoublay, en région parisienne, qui devint le principal lieu de production des avions Breguet. Les usines de Toulouse et d’Anglet (commune située entre Bayonne et Biarritz) furent acquises par Louis Breguet en 1939.
13 Grand skipper, Louis Breguet remporte une médaille de bronze aux Jeux Olympiques de 1924, à la barre de son 8-mètres Namoussa lors des régates qui se tiennent au Havre. En 1928, il fonde le Deauville Yacht Club qu’il préside jusqu’à sa mort.
14 L’ exposition organisée à Paris au Musée Galliera en hommage à A.-L. Breguet à l’occasion du centenaire de sa mort est l’exposition la plus importante jamais organisée à ce jour : 266 pièces, dont une centaine prêtée par le seul Sir David Salomons (1851-1925), le plus mythique des collectionneurs de montres et pendules Breguet. Elle dura du 25 octobre au 24 novembre 1923.
15 Archives Montres Breguet SA, Paris, registre des ventes.
◆ Breguet 1050 Alizé.
l’essor de l’aviation, comme autrefois elle remplit ce rôle
pour la marine. Prononcée par un constructeur d’avions,
Louis Breguet, de surcroît président de la Chambre syndi-
cale des industries aéronautiques, cette affirmation prend
un relief particulier !
Les fréquentes commandes d’instruments horlogers
Breguet par l’avionneur Louis Breguet se poursuivent
longtemps15 et on trouve tout naturellement des montres
Breguet dans les cockpits des avions Breguet ! Enfin, il est
curieux de constater qu’un des tout premiers modèles de
chronographe en acier doté de la « fonction spéciale »,
c’est-à-dire du retour en vol, est vendu en 1952 à la société
Louis Breguet. Un des premiers exemplaires de ce qui
allait devenir deux ans plus tard le Type XX est donc testé
par Louis Breguet et son entourage, un choix qui ne
manque pas de pertinence et qui prouve la proximité des
deux entreprises Breguet.
Que dire pour conclure si ce n’est que le grand pionnier
de l’aviation aimait aussi l’horlogerie. Il s’y intéressait forte-
ment en tant qu’instrument scientifique et son rôle de dis-
cret conseiller de la maison d’horlogerie Breguet, pour
méconnu qu’il soit, n’en est pas moins certain et substantiel.
◆ Breguet 14 F-POST. ◆ Breguet « Deux-Ponts » aux couleurs d’Air France. ◆ Breguet Sepecat Jaguar.
54 55
REINE DE NAPLES JOUR / NUIT
Néanmoins, l’efficacité reconnue de l’invention origi-
nale, qui avait établi de nouvelles normes en matière de
précision, ne pourrait-elle s’accompagner de romantisme
et de fantaisie ? Cette interrogation a constitué le postulat
sur lequel se fonde la Reine de Naples Jour/Nuit. Elle est
en effet développée autour de l’idée fondamentale d’un
tourbillon dans lequel le balancier et son spiral accom-
plissent une révolution en 24 heures. Cependant, sa rota-
tion ne sert pas uniquement à accroître la précision de
marche, mais délivre également une représentation enchan-
teresse du jour et de la nuit.
Les indications respectives pour le jour et la nuit sont
logiquement personnifiées par les figures du soleil et de la
lune, disposées sur un disque en lapis-lazuli. La lune pos-
sède une apparence conventionnelle sous la forme d’un
visage ciselé en titane, serti dans la gemme, alors que des
étoiles en or sont disséminées de part et d’autre de l’astre de
la nuit. De manière plus surprenante, le soleil est incarné
par le balancier, bordé de nuages en nacre. Afin de mettre
sa présence en valeur, sa large serge est décorée d’un motif
guilloché. Le disque en lapis-lazuli qui supporte le balan-
cier « soleil » pour les heures du jour et la lune pour les
heures de la nuit accomplit une rotation en 24 heures.
Une fonction complémentaire est associée à l’indication
jour/nuit. Le bras supérieur qui maintient le balancier
« soleil » adopte le profil d’une aiguille pour égrener les
24 heures qui entourent le disque en lapis-lazuli et délivrer
une indication précise de l’heure. Hormis son rôle d’affi-
chage additionnel, cette aiguille représente également un
élément essentiel du mouvement, car elle sert de pont
au balancier.
L orsque Abraham-Louis Breguet conçut le tourbillon qu’il fit breveter en 1801,
sa construction répondait à un objectif clair. Sous l’effet de la gravité, toutes les montres sont
sujettes à des erreurs de marche, que son invention cherchait à éliminer par la mise en rotation
constante sur 360 degrés des éléments de l’organe réglant. Sous l’influence de l’attraction ter-
restre, un garde-temps portable avait tendance à prendre de l’avance dans certaines positions et
à accuser un retard dans d’autres. De ce fait, la mise en rotation permanente de l’organe réglant
lui permettait de passer successivement à travers toutes les positions, qu’elles provoquent une
avance ou un retard, et d’égaliser les erreurs. Ce trait de génie, dont le principe était simple dans
son essence, exigeait toutefois des compétences exceptionnelles de la part des horlogers attelés
à sa construction.
◆ ◆ ◆
5958
REINE DE NAPLES JOUR / NUIT
Le concept de rotation semble toujours répondre à un
ordre sans équivoque : « faites-les simplement tourner ! ».
Toutefois, comme c’est le cas pour tout mécanisme destiné
à mettre en rotation les composants de l’organe réglant de la
montre, même à la vitesse réduite d’un tour par jour, sa
conception et son assemblage représentent une tâche parti-
culièrement ardue pour les horlogers. En premier lieu, les
constructeurs de Breguet devaient développer un système
qui pouvait, d’une part, faire tourner le disque supportant
le balancier (et, naturellement, le disque ornemental en lapis-
lazuli) et, de l’autre, alimenter en énergie l’échappement de
la montre. Pour concilier ces exigences, la solution a
consisté à concevoir un rouage qui se scinde à partir du ba-
rillet. L’une de ses ramifications entraîne un pignon qui fait
tourner le disque (considéré comme la « cage » utilisée pour
imprimer un mouvement de rotation aux composants de
l’organe réglant d’un tourbillon) alors que l’autre entraîne
◆ Le jour et la nuit sur un disque tournant en lapis-lazuli. Le soleil est représenté par le balancier alors que la lune adopte les contours d’un disque de titane gravé serti dans la gemme.
le pignon d’échappement. Dans cette configuration, le ba-
lancier est fixé à une cage en titane à cinq bras, dentée sur sa
circonférence. Assurément, ni les fines dents ni les bras ne
sont visibles depuis le côté cadran du mouvement.
La position inédite de la roue d’échappement au centre
de la cage en rotation a donné naissance à un intéressant en-
semble de défis de construction. Le premier est lié à la combi-
naison des mouvements : la rotation de la roue d’échappement
depuis le rouage de la montre est associée à la rotation de la
cage qui effectue un tour par jour. De ce fait, la conjonction
des deux révolutions entraîne la « perte » d’un tour pour la
roue d’échappement toutes les 24 heures. Il convenait donc
de découvrir une méthode pour corriger cet écart. La solu-
tion a été trouvée en munissant la roue d’échappement de
21 dents, plutôt que de 20 ou de 15 comme le veut la tradi-
tion, et en choisissant une fréquence de 3,5 hertz.
UNE CONSTRUCTION
REPOSANT SUR L’IDÉE
FONDAMENTALE DU TOURBILLON.
La Reine de Naples fait accomplir une
fois par jour une rotation au balancier
et à l’échappement, les composants
essentiels de la mesure du temps.
60 61
REINE DE NAPLES JOUR / NUIT
◆ Le disque en lapis-lazuli avec la lune et les étoiles est monté sur une roue mobile.
UNE AUTHENTIQUE
ŒUVRE D’ART.
Le disque en lapis-lazuli des
24 heures avec sa lune
gravée en titane, les étoiles en
or et les nuages en nacre.
6362
REINE DE NAPLES JOUR / NUIT
La conception du mouvement a requis une seconde
adaptation. L’emplacement du balancier guilloché est très
proche de l’échappement au centre. Bien que son ancre pos-
sède la forme traditionnelle requise par un échappement à
ancre suisse, elle est la plus courte actuellement montée sur
une montre produite en série. De surcroît, l’échappement
est aussi le plus court fabriqué par Breguet. Comme le spi-
ral, les cornes de l’ancre inversée – une spécialité mise au
point par Breguet – sont réalisées en silicium.
Du côté cadran de la montre, ces dispositifs complexes
sont dissimulés afin de permettre au regard de se concentrer
sur le disque de lapis-lazuli avec le soleil, la lune, les nuages,
les étoiles et l’aiguille dorée des 24 heures. L’indication
habituelle sur 12 heures figure sur un arc de cercle situé
dans le tiers inférieur du cadran. En réalité, cette partie du
tour d’heures incarne également un élément fonctionnel
du mouvement, car il tient le rôle de pont supérieur pour
la cage tournante. La représentation des tours de 12 et de
24 heures revêt une portée poétique par leur chevauche-
ment qui dessine les contours du chiffre huit.
Comme la création de ces complications ne devait pas
se réaliser au détriment du confort, la Reine de Naples
Jour / Nuit est dotée d’un remontage automatique. Le rotor
en or minutieusement décoré représente une lune ciselée
entourée des rayons dorés du soleil et tourne sur un palier en
rubis pour remonter la montre. Afin d’obtenir une construc-
tion aussi plate que possible sans porter atteinte aux perfor-
mances, l’armage se produit dans une seule direction.
LA COMPLEXITÉ DE
L’AFFICHAGE ROTATIF DEMEURE
DISSIMULÉE AU REGARD.
Le cadran possède un caractère
romantique avec l’affichage rotatif
du soleil, de la lune, des étoiles
et des nuages.
6564
REINE DE NAPLES JOUR / NUIT
La Reine de Naples Jour/Nuit est à la fois attrayante et
mystérieuse sous une apparence d’une grande simplicité.
Un boîtier de forme ovoïde, en or rose ou blanc, serti de
diamants sur la lunette et la bordure du cadran guilloché à
la main présente trois aiguilles. Lorsque la nuit succède au
jour, la position du soleil et de la lune se modifie lentement
en dérobant entièrement au regard de l’observateur l’exis-
tence d’un rouage scindé en deux parties, d’une fréquence
particulière et de la disposition unique de la roue d’échap-
pement. Par l’association d’affichages à la remarquable ori-
ginalité et d’innovations techniques d’avant-garde, la Reine
de Naples Jour / Nuit exerce une fascination irrésistible et
s’impose comme une réalisation d’exception.
6968
LES MONTRES SQUELETTES
Même si elle est un exemple emblématique d’un ou-
vrage artistique, la squelettisation des mécanismes horlogers
entre assurément dans une catégorie entièrement différente,
puisque cette technique s’attache aux éléments essentiels
d’un mécanisme horloger. Presque toutes les autres mé-
thodes, à l’image de l’émaillage des boîtiers ou des cadrans,
ne possèdent aucun lien direct avec le mouvement tandis
que la squelettisation s’effectue sur le cœur battant d’un
garde-temps mécanique. Aussi beaux que puissent paraître
les filigranes et les ciselages d’un mécanisme squelettisé, ils
ne doivent en aucun cas porter préjudice à la marche précise
de la montre. Sous cet aspect, les montres squelettes réu-
nissent l’artiste et l’horloger d’une manière unique.
Un périple à la recherche des origines de ces construc-
tions s’apparente à un combat avec des ombres. À peine
avons-nous l’impression de découvrir un point de référence
qu’il se dérobe aussitôt, non en raison de l’absence ou de la
rareté des témoignages historiques, mais par l’impossibilité
de s’accorder sur une définition claire des premières montres
squelettes. Certains garde-temps du XVe siècle illustrent
sans conteste une forme primitive de squelettisation ou,
horlogerie mécanique a connu une première période faste au début du XVIe siècle
grâce à l’apparition du barillet et de son ressort moteur. En effet, cette source d’énergie permettait
d’assurer le fonctionnement des garde-temps portables. L’exactitude ne représentait pas toutefois
la qualité essentielle des premières montres et la quête de la précision ne s’imposerait que dans
un futur lointain, avec l’invention par le mathématicien hollandais Christian Huygens du balan-
cier et du spiral. Ces garde-temps portables étaient dénués de précision au point que certains
possédaient une caractéristique supplémentaire sous la forme d’un cadran solaire miniature afin
d’offrir à son propriétaire un moyen raisonnablement fiable pour consulter l’heure avec une exac-
titude relative. Comme la précision mécanique était encore un objectif hors d’atteinte, les hor-
logers recouraient à d’autres méthodes pour accroître le prestige de leurs créations, à l’exemple
d’une ornementation artistique. Ainsi, l’émaillage et le dorage fleurirent au cours du siècle qui
précéda l’apparition des mécanismes dotés d’un balancier. Au début, ces somptueuses décorations
servaient à souligner la valeur et la signification de ce précieux objet et, par voie de conséquence,
l’éminente position de son propriétaire. Indépendamment de l’objectif poursuivi, les techniques
d’ornementation accompagnèrent l’essor de l’horlogerie et continuèrent de susciter un intense
engouement après que les mouvements eurent gagné en importance et en précision.
◆ ◆ ◆
◆ Montage du pont de tourbillon sur la Classique Tourbillon Quantième Perpétuel 3795.
L’
7372
LES MONTRES SQUELETTES
à tout le moins, présagent de son existence ultérieure. Leur
boîtier comporte effectivement une ouverture qui offre une
modeste possibilité de découvrir leur mécanique intérieure.
À l’évidence, ils sont dépourvus de platines ou de ponts
ajourés, car ces composants ne seront inventés que deux
siècles plus tard. Néanmoins, l’idée, naissante, de l’exposi-
tion à la vue de ces intrigants rouages était déjà apparue et
elle figure toujours au centre du concept de squelettisation.
Certains historiens avancent la ligne de départ aux pen-
dulettes gothiques en vogue au XVIe siècle. Fondée sur un
cadre en fer ouvert, leur architecture place les éléments
essentiels du mécanisme entièrement à la vue. Ces réalisa-
tions, qui se rapprochent davantage de la notion de squelet-
tisation, ne se limitaient pas à un simple ajourage du cadran
et étaient réellement conçues pour mettre en évidence, sur
l’avant et au centre, les principaux composants du méca-
nisme. Pourtant, comme il s’agissait de pendulettes et non
de montres, elles appartiennent assurément à une autre ca-
tégorie.
À ce point, un scrupule éthique nous conduit à spécifier
qu’une certaine souplesse mentale et la volonté d’appliquer
des concepts d’une large portée sont requises afin de consi-
dérer ces garde-temps anciens comme les premières montres
squelettes. Une définition stricte, en revanche, qui exigerait
que le garde-temps soit une montre et que sa platine comme
ses ponts soient ajourés et décorés pour mériter le titre de
squelette, repousserait la limite temporelle encore plus loin,
approximativement vers 1760, quelques années avant
qu’Abraham-Louis Breguet n’ouvre son atelier au Quai de
l’Horloge à Paris. Dans ce contexte, deux horlogers français
rivalisent pour recevoir le prix de la première montre sque-
lette, Jean-Antoine Lépine et Pierre-Auguste Caron. Dans
les deux cas, leurs créations arborent des platines ciselées et
ajourées afin de présenter au regard le rouage, les barillets,
également sculptés pour révéler le ressort moteur, et un
pont de balancier réduit à une forme triangulaire qui per-
met d’observer les composants disposés au-dessous. Selon
toute vraisemblance, ces garde-temps incontestablement
squelettisés virent le jour en raison de l’intérêt pour la mé-
canique de précision témoigné par certaines personnalités
de la cour royale. Les érudits de l’époque se passionnaient
pour l’étude des sciences et étaient fascinés par les instru-
ments inventés à cet effet. En ce temps, le jeune dauphin,
le futur Louis XVI au destin tragique, s’adonnait à son
penchant pour les montres et les mécanismes de toute na-
ture. À cet usage, il avait installé dans le château de
Versailles un lieu dont l’aménagement le rapprochait d’un
atelier d’horloger.
Presque tous les éléments essentiels des garde-temps
squelettes de haute horlogerie étaient présents dans les pre-
mières montres squelettisées de Lépine et de Caron. Non
seulement les platines et les ponts étaient ajourés, mais ils
arboraient des gravures et des décorations élaborées sur
L’ART AU CŒUR DE LA MONTRE.
La squelettisation d’un mouvement
horloger se distingue fondamentalement
des autres techniques décoratives, car
elle s’applique aux composants essentiels
de la montre.
7574
LES MONTRES SQUELETTES
leurs parties fonctionnelles. Caron, qui abandonnerait l’ar-
tisanat horloger pour se lancer dans une carrière d’auteur
sous le nom de Beaumarchais et demeurerait dans toutes les
mémoires pour avoir imaginé le personnage de Figaro, pro-
pulsa plus loin encore l’idée de l’ornementation du mouve-
ment en disposant un portrait émaillé en son centre.
Néanmoins, les montres de Lépine et de Caron se différen-
cient sous un aspect fondamental des créations contempo-
raines : elles sont dotées de cadrans émaillés habituels. De ce
fait, le travail de squelettisation est uniquement visible à
travers le verre disposé sur le fond du boîtier.
Il est sans doute utile de préciser qu’Abraham-Louis
Breguet n’a pas cédé à cette vogue qui prospéra pendant une ◆ Montage de la planche de calendrier sur la référence 3795.
brève période à Paris. Il cultivait en effet une autre approche
de l’horlogerie, davantage orientée sur la fonction, la préci-
sion et la commodité que la décoration. Prenez, par exemple,
son application révolutionnaire de la technique du guillo-
chage aux cadrans. Cet élément esthétique, devenu un trait
caractéristique de ses garde-temps, répondait en premier lieu
à deux objectifs concrets : accroître la lisibilité des indica-
tions et délimiter des zones clairement définies sur le cadran.
La manufacture contemporaine Breguet a ouvert de
nouvelles perspectives à l’art de la squelettisation. Si l’ajou-
rage de la platine et des ponts ne dote pas la montre de
performances supplémentaires, le caractère artistique de la
construction et sa minutieuse exécution mettent pleine-
ment en valeur le talent des horlogers modernes de Breguet.
À l’image des complications raffinées, les filigranes des
mouvements squelettisés sont une affirmation de l’art horlo-
ger et illustrent le savoir-faire des artistes qui les ont réalisés.
Il existe cependant une frontière naturelle qu’il importe
de reconnaître. Le marché abonde en pièces – qui ne portent
pas la signature de Breguet et appartiennent à une autre
catégorie que les garde-temps minutieusement ouvragés à la
main. Ces montres comportent des « trous » dans leurs pla-
tines et leurs ponts destinés à ouvrir au regard les compo-
sants disposés au-dessous. Les exemples les plus grossiers
sont constitués de pièces exécutées à la machine en utilisant
des automates à commande numérique pour percer des ori-
fices qui ne portent pas la moindre trace d’une finition ma-
nuelle dans leur ornementation. Les montres dont les
ouvertures ont été polies à la machine relèvent d’un niveau
un peu plus élevé, sans présenter toutefois le minutieux tra-
vail manuel requis par un garde-temps de belle facture.
Malgré les orifices pratiqués sur certains de leurs compo-
sants, ces réalisations ne peuvent être considérées à l’égal des
garde-temps squelettes de haute horlogerie.
LE CISELAGE DES
COMPOSANTS ILLUSTRE LA
DEXTÉRITÉ DE L’HORLOGER.
La squelettisation associe la maîtrise
technique et le talent artistique.
7978
LES MONTRES SQUELETTES
Avant de s’ intéresser à l’approche de la squelettisation
cultivée par Breguet, il convient de rappeler que deux arti-
sanats principaux sont appelés à se réunir dans la création
d’une montre squelette dont le cadran s’orne de la signature
de Breguet, l’un entièrement artistique, l’autre hautement
technique. Même si l’esprit des montres squelettes contem-
poraines de Breguet s’inspire d’une tradition horlogère an-
crée dans la splendide décoration des montres de poche
réalisées vers le milieu du XVIIIe siècle, il s’en distingue
sous un aspect fondamental. Autrefois, le choix de l’horlo-
ger au moment de déterminer l’ajourage des composants
était dicté dans une large mesure par des considérations
esthétiques. Si l’apparence demeure assurément vitale de
nos jours, elle repose désormais sur l’expertise technique.
Les constructeurs de mouvements de Breguet étudient et
analysent en détail le comportement des pièces ouvragées
lorsqu’elles sont soumises à des chocs. En effet, aussi raffiné
soit-il, le travail d’ajourage ne peut conduire à des compro-
mis en matière de performances chronométriques et des
simulations informatiques précises permettent de vérifier la
fonctionnalité des formes retenues.
LES SIGNES D’UN MINUTIEUX
TRAVAIL MANUEL.
Lorsque vous examinez un garde-temps
squelettisé, prêtez attention à la netteté
des angles internes. Elle témoigne d’une
décoration effectuée à la main.
8180
LES MONTRES SQUELETTES
Actuellement, quatre garde-temps de la collection
Breguet possèdent des mouvements squelettisés : le Tour-
billon Squelette en platine de référence 3355, le Tourbillon
Messidor de référence 5335, le Tourbillon Quantième
Perpétuel de référence 3795 et le Chronographe de Haute
Joaillerie de référence 5238. Dans cette liste, le Tourbillon
Messidor occupe une place particulière, car il a été conçu
d’emblée comme un garde-temps squelette dont il n’existe
aucune version qui ne soit ajourée. Enfin, même s’ils
n’offrent pas un mouvement entièrement squelettisé, nom-
breux sont les connaisseurs à considérer comme tels le Tour-
billon Automatique de référence 5317 et le Calendrier
Perpétuel de référence 5327 qui comportent des rotors
ajourés.
Par opposition aux nombreuses créations squelettes
issues d’une production de masse, les platines et les ponts
des montres squelettisées de Breguet sont méticuleusement
façonnés à la main. Le superbe travail d’ajourage et de
ciselage sur la platine, les ponts et le couvercle de barillet
est exécuté manuellement et les bords des composants sont
élevés selon un procédé de décoration appelé « étirage »
avant d’être anglés, en premier lieu à l’aide d’une lime, puis
avec une cheville de buis afin de leur conférer une finition
brillante. Ainsi, le Tourbillon Messidor requiert plus d’une
centaine d’heures d’un minutieux anglage manuel. Les per-
sonnes au regard exercé ne rencontrent aucune difficulté
pour distinguer les pièces aux anglages effectués à la main
et celles dont le polissage recourt à des outils électriques.
Les signes révélateurs apparaissent immédiatement lors
d’une inspection des angles internes et externes (les horlo-
gers nomment les angles intérieurs « angles rentrants »).
Seul le limage manuel permet d’obtenir des angles internes
et externes à la fois vifs et nets. Lorsque les mêmes surfaces
sont usinées, les angles sont arrondis. Aussi n’est-il aucune-
ment étonnant que les connaisseurs dirigent leur regard,
8382
LES MONTRES SQUELETTES
dès qu’ ils ont la montre en main, sur ces angles essentiels
qui différencient l’art véritable d’une production indus-
trielle en grandes séries effectuée par des machines.
L’étirage et l’anglage réalisés à la main ne représentent
que les premières étapes de la finition telle qu’elle est mise
en œuvre par Breguet. Dans le cas du Tourbillon Squelette,
du Tourbillon Quantième Perpétuel et du Chronographe
de Haute Joaillerie, les surfaces planes sont finement ciselées
avec une variété de motifs décoratifs. Sur le Tourbillon
Messidor, le ciselage cède la place à un fin brossage manuel
des surfaces planes. Dans les deux cas, ces procédés
d’ornementation exigent de nombreuses heures d’un mi-
nutieux travail manuel.
L’étirage, l’anglage et le brossage sont autant de
techniques artistiques dont la maîtrise pour tous les
composants de la montre nécessite des années d’un patient
entraînement. Toutefois, leur difficulté s’accroît de manière
exponentielle sur une pièce ajourée. Songez au nombre de
surfaces supplémentaires qui appellent une décoration.
Un composant habituel ne comprend qu’un seul bord exté-
rieur et, s’il doit être gravé, cette opération n’intervient que
sur le côté exposé au regard. Maintenant, représentez-vous
un élément squelettisé. Hormis le bord extérieur, l’ajourage
crée des bords « internes » et la finition manuelle est essen-
tielle pour les deux séries de bordures. Ensuite, imaginez un
composant ciselé à la main. Comme la montre possède un
verre saphir sur sa face et son fond, de nombreuses pièces
sont visibles de part et d’autre. Aussi le travail d’ornementa-
tion doit-il être effectué sur l’avant et l’arrière des éléments.
En imposant une condition complémentaire aux horlogers
afin d’accroître l’intérêt visuel du garde-temps, Breguet varie
les motifs appliqués sur la face et le revers. Hors un accrois-
sement significatif de la quantité et de la complexité de la
finition manuelle, les composants sont notablement plus ◆ Contrôle de la planéité de la planche de calendrier sur la plaque à rectifier.
délicats à travailler et à décorer. En apposant le fin motif
réticulaire sur un élément squelettisé, l’artisan doit prêter la
plus vive attention afin de ne pas déformer ou gauchir la
pièce pendant les diverses étapes du travail d’ornementation.
Quelle que soit la beauté des décorations, il importe de se
souvenir que le travail manuel ne doit réduire d’aucune
manière la fonctionnalité de ces composants de précision.
La même exigence s’ impose au moment de procéder à
l’assemblage du mouvement. Chaque élément squelettisé
est déposé sur une surface en acier extrêmement plate et
polie (« la plaque à rectifier ») afin de vérifier qu’aucun gau-
chissement n’est survenu pendant les travaux de décoration.
Même la plus légère déformation peut porter atteinte au
LES GARDE-TEMPS SQUELETTISÉS
OCCUPENT UNE PLACE UNIQUE DANS
LA HAUTE HORLOGERIE.
La réalisation d’une montre squelettisée
est extrêmement complexe et requiert des
compétences techniques et artistiques.
8584
LES MONTRES SQUELETTES
parfait fonctionnement de l’ensemble. Imaginez des roues
et des pignons conçus pour s’engrener avec des tolérances
exprimées en millièmes de millimètre fixés sur une platine
ou un pont arqué. Souvent, à évoquer les difficultés maîtri-
sées par les horlogers qui décorent les composants de
montre, le profane pense en premier lieu aux pièces les plus
fines. Rien que la manipulation d’une vis minuscule ou
d’un délicat ressort ressemble assurément à une gageure.
Étonnamment, toutefois, ce sont les composants les plus
grands qui recèlent les défis les plus ardus lors de l’assem-
blage d’un mouvement. En effet, ils présentent les risques
les plus importants de distorsion s’ ils ne sont pas manipulés
selon toutes les règles de l’art. La fixation de chaque élément
doit être menée à bien en l’absence de la plus minime défor-
mation et sans la moindre tension.
L’assemblage du barillet représente à cet égard une diffi-
culté particulière. Sur un barillet habituel, le couvercle en
métal massif est maintenu en place par un ajustement ferme
avec le tambour. De surcroît, une pièce massive présente peu
de risques de déformation. Un mouvement squelette en re-
vanche possède un couvercle de barillet ajouré qui ouvre à la
vue le ressort moteur. L’horloger doit donc faire preuve d’un
soin extrême à l’instant de placer le couvercle sur le barillet.
L’ajustement doit être parfaitement uniforme et plat pour
éviter tout contact entre le couvercle et le ressort.
Les montres squelettisées occupent une position
unique dans l’univers de la haute horlogerie. Les artisans
de Breguet qui leur insufflent vie sont en mesure de
conjuguer talent artistique et prouesses techniques afin de
réaliser des garde-temps d’une remarquable précision et
d’une exceptionnelle beauté.
8786
LE DESTIN DU LOUVRE
◆ La Cour Carrée du Louvre v. 1840-1845, lithographie d’après un dessin de C. Gavard (1794-1871) Musée de la Ville de Paris, Musée Carnavalet, Paris, France / Archives Charmet .
Le destinDU LOUVRE
Par Marie-Hélène Huet
88 89
LE DESTIN DU LOUVRE
Les bateliers qui descendent la Seine vers 1200 peuvent
admirer à Paris deux remarquables chantiers : à gauche,
celui de Notre-Dame, encore à son tout début, et un peu en
aval à droite, celui de la massive forteresse construite par
Philippe Auguste. Avec ses dix tours et son impressionnant
donjon, le premier Louvre joue un rôle essentiellement
défensif, protégeant à la fois les habitants d’une ville qui
émerge et les bâtisseurs de cathédrale. Les rois y vécurent de
temps à autre, mais le Louvre à cette époque sert surtout
d’arsenal et de prison. Victor Hugo l’imaginera plus tard
dans le Paris médiéval comme cet « édifice démesuré …
[cette] hydre de tours, gardienne géante de Paris, avec ses
vingt-quatre têtes toujours dressées, avec ses croupes
mons trueuses, plombées ou écaillées d’ardoises et toutes
ruisselantes de reflets métalliques2 ». « Comme la Tour de
Londres », note André Blum, ancien conservateur du
musée, « la Tour du Louvre évoque, dans les chansons de
geste et dans les romans féodaux, l’idée d’une prison3 ».
Une première conception de ce qui sera plus tard le
grand rôle du Louvre peut être attribuée au roi Charles V
(1338-1380). Il ajoute deux ailes au château et rassemble
dans la tour de la Fauconnerie une superbe collection de
manuscrits enluminés. Mais à la fin de la guerre de Cent Ans
(juillet 1453), les rois ont à peu près abandonné la forteresse.
Nouvelles visions
Le grand roi de la Renaissance, François 1er (1515-
1547), rapporte des guerres d’Italie une nouvelle vision de
l’art et de l’architecture qui substitue aux contraintes mili-
taires les grâces de la symétrie. En 1527, il adresse une lettre
à la municipalité de Paris annonçant son intention de faire
du Louvre sa résidence. Le vieux donjon est démoli et le
château est entièrement reconçu comme résidence royale.
Les travaux étaient loin d’être terminés lorsque François 1er
invita l’Empereur Charles Quint, son grand rival, à lui ren-
dre visite à Paris. Le Roi de France se souvenait sans aucun
E n 1685, André Félibien, qui avait été nommé par Colbert, ministre de Louis XIV, histo-
riographe du roi et de ses bâtimens, rappelait à ses lecteurs qu’ « Alexandre aimait la Peinture et la
Sculpture dont il voulait connaître les beautés, non pas pour travailler ainsi qu’un Peintre et un
Sculpteur, mais pour savoir juger de toutes choses, comme un grand Prince doit faire ». Et il
ajoutait : « [P]arce que le Louvre sera orné d’une manière digne de la grandeur de [Louis XIV],
on y verra sa vie et ses actions dépeintes en tant de nobles et différentes manières, que la postérité
ne cherchera point ailleurs d’autre sujet de son étude et de son admiration1». Ce qui nous surprend
aujourd’hui dans ces lignes tient à ce que Félibien ne parle pas ici de Versailles mais du Louvre
que le Roi avait quitté quelques années plus tôt pour s’installer au château qui devait rester si
profondément associé à son nom. La richesse du musée du Louvre a en effet de nos jours quelque
peu éclipsé le magnifique palais qui veille sur ses collections et qui fut pendant des siècles la
demeure des rois de France.
◆ ◆ ◆
◆ Octobre, semailles d’hiver avec vue du Louvre, Les Très Riches Heures du duc de Berry, Frères Limbourg (v. 1400-1416) musée Condé, Chantilly, France .
90 91
LE DESTIN DU LOUVRE
doute avoir été pendant des mois prisonnier de l’Empereur.
Il décida de l’éblouir de ses richesses : toutes les salles du
Louvre furent tendues de tapisseries précieuses et de soie
tissée d’or et d’argent ; les fenêtres furent agrandies et les
armes du roi ajoutées à tous les décors. L’Empereur reçut un
accueil d’une splendeur sans précédent, mais en dépit des
pompes et des festivités royales qui l’accueillirent, l’invité
impérial, dit-on, redoutant un piège de son ancien prison-
nier, ne sourit guère qu’au moment de son départ.
Peu de temps après, Pierre Lescot et Jean Goujon
reçurent de François 1er la tâche de transformer entièrement
le château du Louvre en chef-d’œuvre de la Renaissance.
Leurs contributions peuvent encore être admirées, particu-
lièrement dans la Cour Carrée.
Arrêtons-nous un instant au 12 février 1556, le jour où
Pierre Lescot présente à Henri II les dessins pour le plafond
de la chambre de parade du monarque4. Construit en bois
de chêne, noyer et tilleul, le plafond était entièrement doré;
au milieu se trouvait un large écusson avec les armes de la
France, dans les encoignures des boucliers d’amazone aux
armes du roi, et en bordure, des guirlandes de lauriers et de
roses, des cornes d’abondance et des trophées : le Louvre de
la Renaissance célèbre en même temps les arts et la majesté
du Prince.
Mais les palais royaux n’échappent pas aux troubles de
l’histoire. La mort accidentelle du roi Henri II, en 1559,
laissait le pays en proie à des conflits religieux qui devaient
menacer l’autorité royale et inspirer à Pierre de Ronsard le
Discours des misères de ce temps en 1562. La reine Catherine
de Médicis, qui était devenue régente en 1560 après le décès
de son fils François II, ne quitta jamais le deuil. Elle fit
détruire l’hôtel des Tournelles où son mari avait été trans-
porté avant de mourir et – peut-être pour échapper aux sou-
venirs que lui inspirait le Louvre – décida de faire construire
le Palais des Tuileries qui serait sa résidence personnelle. Le
palais fut construit à l’ouest du Louvre, mais la reine n’y
vécut jamais : peu avant la fin des travaux, son astrologue de
confiance, Cosimo Ruggieri, lui prédit en effet qu’elle
mourrait dans un lieu proche de Saint-Germain. La reine,
pensant que l’église Saint-Germain-l’Auxerrois était dan-
gereusement proche des Tuileries, abandonna le nouveau
palais à d’autres invités.
Les guerres de religion qui déchiraient la France firent
du Louvre un lieu de secrets, de complots, où eurent lieu
quelques assassinats. La nuit du 23 au 24 août 1572, le palais
royal est au centre des massacres de la Saint-Barthélemy
durant lesquels les Huguenots sont impitoyablement
pourchassés et tués : « À mesure qu’on massacrait ces mal-
heureux, on jetait leurs corps nus devant le château, sous les
yeux du roi, de la reine, et de toute la cour », note un
témoin5. Un autre témoin affirma que le roi Charles IX –
second fils de Catherine de Médicis – tirait lui-même à
l’arque buse des fenêtres du Louvre.
La fin des guerres de religion et l’avènement d’Henri IV
inaugurèrent une ère de paix qui permit de reprendre les
importants travaux de modernisation et d’agrandissement
du Louvre. À cette époque, Henri IV reçoit ses hôtes dans
l’immense salle des ambassadeurs dont nous avons encore
une description : « De haut en bas ce ne sont que marbres
noirs, rouges, gris, jaspés, roses, bizarres. (…) Les trumeaux
sont ornés de colonnes fuselées et de niches garnies de sta-
tues de marbre6 ». Les appartements du roi, quant à eux
étaient précédés, nous dit son ministre Sully dans ses
Mémoires, d’un grand « cabinet des oiseaux » dont certains
pensent qu’il s’agissait d’une grande volière.
Mais la reine Marie de Médicis supportait mal sa situ-
ation au Louvre : Henri IV y avait installé ses maîtresses
sans se soucier des querelles qui éclataient constamment
dans les appartements privés. Après l’assassinat du roi, la
reine-régente fit construire le palais du Luxembourg et s’y
établit brièvement avant la fin même des travaux. Son fils
Louis XIII, toutefois, se plaisait au Louvre. Avait-il hérité de
◆ Le Louvre, le palais des Tuileries et la Grande Galerie en 1615. Extrait du plan de Mérian.
Hôtel du Petit-Bourbon
Louvre Renaissance Henri II
Grande Galerie Henri IV
Jardin des Tuileries Catherine de Médicis
Louvre médiéval Philippe Auguste et Charles V
Cour des cuisines François 1er
Palais des Tuileries Catherine de Médicis
Grande écurie Catherine de Médicis
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son père le goût des oiseaux ? Son favori, le duc de Luynes,
maître des oiseaux du cabinet du roi, dressait des faucons, et
le roi fit installer une immense volière dans les jardins à
l’italienne. De nouveaux plans furent établis : il s’agissait
en fait de quadrupler le projet d’extension du Louvre tout
en apportant d’importantes améliorations au confort des
appartements.
Une vie de château
Louis XIV mena de front les grands projets du Louvre
et la construction du château de Versailles. Il avait grandi au
Palais-Cardinal (aujourd’hui Palais-Royal) et s’était éloigné
de la capitale au moment des troubles de la Fronde qui
avaient opposé l’aristocratie à la royauté. Rentré à Paris,
Louis XIV choisit de s’installer au Louvre en 1652 et y
demeurera plus de vingt-cinq ans. Deux pièces en particulier
illustrent alors le luxe qui règne au Louvre. La première est
la splendide « chambre des bains » que la reine-mère Anne
d’Autriche fait installer dans ses appartements. « La chambre
des bains, que nous avons vue faire, » dit Henri Sauval,
« est de la conduite de Jacques Lemercier ; l’or […] a été
répandu avec une espèce de profusion ; ses lambris sont or-
nés de paniers de fruits, de reliefs, rehaussés d’or, d’émail et
de peinture avec tant d’art, qu’ils imposent aux yeux et aux
mains de ceux qui les considèrent ; son parterre, son bain est
seulement sur six colonnes de marbre blanc et noir, dont les
bases et les chapiteaux sont de bronze doré à feu. » Les
colonnes, d’une beauté exquise, étaient d’un marbre si varié,
ajoute Sauval, qu’on pouvait douter « si les Grecs et les
Romains en ont jamais trouvé de pareils7 ». Les lambris
étaient ornés de portraits royaux, et d’effigies montrant les
vertus de la reine.
L’autre salle caractéristique du Louvre de Louis XIV est
la galerie d’Apollon décorée par Lebrun en 1661. On y voit
la course du soleil représenté sous les traits du dieu grec.
Le règne personnel du monarque commence tout juste,
mais le Roi-Soleil a déjà décidé de son image. Le faste dont
Louis XIV aime à s’entourer transforme le Louvre : grands
dîners, réceptions, ballets et comédie ; à partir de 1658, la
troupe de Molière y donne de nombreuses représentations.
De fait, on pourrait dire que le palais du Louvre servit à
essayer et parfaire les ornements et les règles qui devaient
plus tard éterniser la gloire du roi. Le Vau est alors en charge
des projets architecturaux et Lebrun de la peinture.
Le roi quitta définitivement Paris pour Versailles en1682.
Les palais du Louvre et des Tuileries ne devaient plus rece-
voir de rois jusqu’au retour forcé de Louis XVI et Marie-
Antoinette à Paris en octobre 1789.
Du Salon au Musée
La première véritable exposition de tableaux ouverte au
public à Paris eut lieu au palais du Luxembourg en octobre
1750. Les 99 tableaux et les 20 dessins provenaient des col-
lections royales. Les principales écoles flamande, italienne,
« DE HAUT EN BAS
ce ne sont que marbres noirs, rouges,
gris, jaspés, roses, bizarres.
[ … ] Les trumeaux sont ornés de
colonnes fuselées et de niches garnies de
statues de marbre ».
◆ Vue de la galerie d’Apollon, école française du XVIIe siècle, musée du Louvre, Paris, France.
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◆ Plafond de la Galerie d’Apollon : Apollon vainqueur du serpent Python, Eugène Delacroix (1798-1863), peintre.
et française y étaient assemblées chronologiquement et le
public pouvait admirer dans leur cadre original les grandes
toiles que Rubens avait peintes en l’honneur de Marie de
Médicis. L’exposition était ouverte au public le mercredi et le
samedi8 et dura jusqu’en 1779, lorsque le palais du Luxem-
bourg fut donné par le roi Louis XVI au comte de Provence,
son frère. C’est alors qu’on pensa à ouvrir au public de façon
plus permanente la grande Galerie du Louvre.
En effet, si le roi et sa cour avaient abandonné le Louvre,
celui-ci n’était pas resté vide : nombre de nobles et de cour-
tisans avaient reçu la permission d’occuper les apparte-
ments ; plusieurs administrations s’y étaient installées, ainsi
que l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture qui
inau gura en 1699 au Louvre une exposition biannuelle9.
Mais à la différence des œuvres exposées plus tard au
Luxembourg, les Salons ne montraient que les toiles des
artistes membres de l’Académie. Pour autant, les aménage-
ments et les modifications du Louvre ne cessèrent point. À
la fin du règne de Louis XV (1774), la Cour Carrée et la
splendide façade ornée de la colonnade de Perrault étaient
débarrassées des constructions annexes qui en défiguraient
l’équilibre et le dessein principal.
« ON PARLE D’UN GRAND
ET MAGNIFIQUE PROJET,
qui formera le plus beau temple
des Arts qui ait jamais été […]
La galerie d’Apollon sera restaurée […] ».
L’idée d’installer au Louvre les collections du roi circu-
lait déjà depuis plusieurs années lorsque M. de Marigny
soumit à Louis XV un projet qui fut approuvé le 3 janvier
1768 ; un auteur contemporain précise alors : « Les tableaux
du roi, la plus riche collection qu’il y ait au monde, sont
cachés dans les magasins. On parle d’un grand et magni-
fique projet, qui formera le plus beau temple des Arts qui ait
jamais été […] la galerie d’Apollon sera restaurée et le salon
où l’on expose les tableaux convenablement décoré […] La
précieuse collection des tableaux du roi sera placée de suite
dans l’immense galerie du Louvre […] La où le public joui-
ra de toutes ces richesses.10 » Mais le projet nécessitait de
nombreux aménagements que le trésor royal ne pouvait
tous financer, et le principal architecte affecté au Louvre,
Jacques-Germain Soufflot, mourut en 1780. Cependant,
l’inventaire était fait et les dernières décisions étaient prises
lorsque la Révolution française vint transformer une fois
encore le destin du Louvre.
Le Musée et la nation
Dans les importantes réformes des premières années
de la Révolution, l’Assemblée vota, sur une motion de
Bertrand Barère, un décret faisant du Louvre et des Tuile-
ries « un palais national destiné à l’habitation du roi et
à la réunion de tous les monuments des sciences et des
arts ». Dans son rapport, Barère avait également noté : « La
restauration du Louvre et des Tuileries, pour donner au roi
constitutionnel une habitation digne de la nation française
et pour y faire un Muséum célèbre, demandera des me-
sures ultérieures qui seront concertées avec le roi.11 » Les
événements ne permirent pas de donner alors suite à ce
projet, mais après la journée du 10 août 1792 qui entraîna
la chute de la royauté, une commission fut créée afin
d’organiser le transfert au Louvre des œuvres d’art qui
se trouvaient dans les résidences royales devenues biens de
la nation.
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Le nouveau gouvernement devait alors faire face aux
armées coalisées qui menaçaient ses frontières et aux insur-
rections vendéennes et bretonnes. Loin d’être abandonné, le
projet de création d’un musée national parut alors plus ur-
gent : ce musée serait en effet le symbole d’une nation unie
dans l’admiration des beaux-arts. La Commission des Arts,
pressée de toutes parts, se prépara à ouvrir le Louvre au
public le 10 août 1793, jour de la grande Fête d’Unité
Nationale organisée par le peintre Jacques-Louis David. Les
visiteurs durent pourtant attendre jusqu’au 18 novembre
pour admirer les œuvres exposées dans la Grande Galerie et
acheter le Catalogue des objets contenus dans la galerie du
Muséum français.
Le musée du Louvre était né, sans pour autant cesser
d’être un somptueux lieu de résidence. Napoléon célébra
son mariage avec Marie-Louise d’Autriche dans le Salon
Carré, suivi d’un défilé solennel dans la Grande Galerie.
L’Empereur lui-même ajouta aux collections du Louvre les
immenses richesses qu’il avait rapportées de ses conquêtes :
les chevaux de la basilique Saint-Marc à Venise, la magni-
fique statue du Laocoon qui appartenait au Vatican. La
plupart de ces trésors furent rendus ou dispersés par les
alliés à la fin de l’Empire.
C’est au XIXe siècle que certaines œuvres parmi les plus
célèbres firent leur entrée au Louvre : la Vénus de Milo,
offerte par le marquis de Rivière à Louis XVIII en 1821, ou
encore la victoire de Samothrace, découverte en 1863 par
Charles Champoiseau, alors vice-consul à Andrinople. Le
grand ensemble du Louvre et des Tuileries est achevé sous le
Second Empire, ce qui permet à l’Empereur Napoléon III
de déclarer solennellement le 14 août 1857 : « L’achèvement
du Louvre n’a pas été le caprice d’un moment, mais la réa-
lisation d’un grand dessein, soutenu par l’instinct du pays,
pendant plus de trois cents ans12 ».
Le « grand dessein » devait pourtant subir d’autres
transformations. L’incendie du 23 mai 1871 détruisit en-
tièrement les Tuileries. Mais cette destruction ouvrit une
TROIS GUERRES
et un célèbre vol devaient encore troubler le destin
du Louvre comme musée national. Leurs effets
peuvent se mesurer aux aventures et tribulations
de la Mona Lisa. La toile était entrée au Louvre
en 1797, sans susciter d’ intérêt particulier. Au
cours de la guerre franco-prussienne de 1870, le
tableau est envoyé à l’Arsenal de Brest. En 1911,
le portrait disparaît, volé par un vitrier amateur
d’art qui se réfugia en Italie où l’on retrouva
l’œuvre trois ans plus tard. Mona Lisa revint au
Louvre juste 6 mois avant la Première Guerre
mondiale. Le tableau voyagea de nouveau, caché
à Bordeaux, puis Toulouse. Un an avant la
Seconde Guerre mondiale, les conservateurs
entreprirent de mettre en sécurité les trésors du
Louvre. Mona Lisa, la Venus de Milo, la Victoire
de Samothrace furent toutes emballées et
expédiées vers des destinations secrètes.
◆ Vue de la Victoire de Samothrace, musée du Louvre, Paris, France, 1935.
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◆ Merry-Joseph BLONDEL, Paris, 1781 - Paris, 1853 La France, au milieu des rois législateurs et des jurisconsultes français, reçoit de Louis XVIII la Charte constitutionnelle. Signé daté : Blondel. 1827.
nouvelle perspective dans laquelle la pyramide d’I.M. Pei
trouvera plus tard tout naturellement sa place.
Retour au Louvre
Un projet de rénovation qui intéresse tout particulière-
ment les amateurs d’art du XVIIIe siècle s’est récemment
achevé. Il s’agit des salles du Conseil d’État et du
salon Beauvais situés au premier étage de l’aile Sully. Ces
salles sont destinées à recevoir les collections de meubles, de
bronzes et d’objets d’art qui témoignent du goût exquis de
l’Ancien Régime. La décoration des salles du Conseil d’État
illustre les grandes heures de l’histoire de France : « La
France victorieuse à Bouvines » commémore la plus grande
victoire du roi qui avait fait élever le Louvre. Ce plafond est
l’œuvre de Merry-Joseph Blondel, un peintre néo-classique,
qui exécuta également le plafond octogonal de la seconde
salle avec une toile montrant « La France recevant la Charte
constitutionnelle des mains du roi Louis XVIII ». Une autre
toile, de Jean-Baptiste Mauzaisse : « La sagesse divine don-
nant des lois aux rois et législateurs entourés de l’équité et
◆ Salle Gilbert et Rose Marie Chagoury. Boiseries, mobilier et objets d’art autour de 1700. Musée du Louvre, département des Objets d’art.
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◆ À gauche : cabinet intérieur de Marie-Antoinette à Saint-Cloud ; collection du prince de Beauvau ; salon bleu de l’impératrice Eugénie au palais des Tuileries en 1865.
◆ À droite : Cabinet turc du comte d’Artois dans son appartement de l’aile du Midi au château de Versailles.
de la prudence » célèbre à la fois la légitimité des Bourbons
revenus sur le trône et le bien-fondé de leurs décisions.
Michel-Martin Drölling exécuta pour sa part le dernier
plafond intitulé « La loi descend sur terre, elle établit son
empire et y répand ses bienfaits ».
Parmi les nombreux trésors réservés à ces salles, trois
meubles en particulier évoquent les différents styles qui in-
fluencèrent l’époque d’Abraham-Louis Breguet. Le premier
est la commode dite « commode au singe », en bois précieux
au placage délicat, ornée de guirlandes de bronze avec, au
centre, un petit singe sur une balançoire. Charles Cressent,
le plus grand ébéniste de son temps, était aussi un sculpteur
de talent. Cette commode, exécutée vers 1745, reste un par-
fait exemple du style rococo de la première partie du siècle.
Un meuble plus tardif fascinera le visiteur : une éton-
nante table console exécutée par Georges Jacob en 1781
pour le Cabinet Turc du Comte d’Artois. Les turqueries
étaient alors à la mode : la reine Marie-Antoinette fit réali ser
son propre cabinet turc, et le Comte d’Artois, jeune frère de
Louis XVI et futur Charles X, n’en possédait pas moins de
trois, un pour chacune de ses résidences. Quatre pieds en
bois doré et en forme de sirènes ailées soutiennent le plateau
de marbre. Bien que les lignes générales soient plus sobres
que les excès décoratifs du style rococo, l’artiste a laissé ici
libre cours à son imagination.
Il faut encore admirer la table à écrire réalisée pour la
reine Marie-Antoinette en 1784. L’ébéniste Adam Weis-
weiler avait tout juste trois ans de plus qu’Abraham-Louis
Breguet, et comme lui, était arrivé dans la capitale prêt à y
réaliser ses rêves. Tous deux réussirent admirablement.
Weisweiler devint Maître ébéniste en 1777 et ouvrit
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◆ Exposition des produits de l’industrie française dans la Cour du Louvre, 1801, France, XIXe siècle, Collection De Agostini .
◆ Salle Gilbert et Rose Marie Chagoury. Boiseries, mobilier et objets d’art autour de 1700. Musée du Louvre, département des Objets d’art.
immédiatement son établissement, comme Breguet l’avait
fait deux ans plus tôt Quai de l’Horloge. Ces deux maîtres
étaient parfaitement sensibles aux transformations es-
thétiques qui délaissaient les ornement superflus de la
première partie du siècle au profit de lignes pures dont les
ornements servaient à souligner plutôt qu’à dissimuler la
structure formelle. La table à écrire de Marie-Antoinette est
en ébène, laque japonaise, bronze et acier, avec un pupitre
ravissant. Deux ans auparavant, Breguet avait lui-même
livré une première montre à Marie-Antoinette.
Breguet était déjà sans doute un familier du Louvre lors-
qu’il participa à la troisième édition de l’Exposition des
produits de l’industrie française, qui se tint dans la Cour
Carrée en 1802 et qui lui valut une médaille d’or. Ce fut le
début d’une longue association entre le Louvre et la Maison
Breguet. Vivant Denon, nommé la même année premier
Directeur du Musée, fera plus tard l’acquisition d’une mon-
tre à répétition et d’une pendule en biscuit. L’exposition
de 2009, Breguet au Louvre, un apogée de l’ horlogerie
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◆ Pyramide du musée du Louvre conçue par l’architecte I.M. Pei.
européenne, rassemblera ici les pièces les plus exception-
nelles de l’artiste et maître-horloger13. La rénovation des
salles consacrées aux meubles et objets d’art des XVIIe et
XVIIIe siècles fut entreprise avec la participation de Mécénat
Breguet, autre témoignage des relations étroites entre
l’horologie et les arts.
Le poète Léon-Paul Fargue publia en 1948 une véritable
lettre d’amour à l’édifice somptueux qui abrita sa jeunesse
aux bords de la Seine et lui donna tant de plaisirs. Le visi-
teur du Louvre, dit-il, y découvre des forces secrètes,
« formes, couleurs, aspects, éclairages, fluides qui se lèvent
des contours du coloris […] Le Louvre tout entier vit de ces
échanges entre le promeneur et les chefs-d’œuvre […] Le
génie du Louvre », ajoute-t-il, « est précisément d’être vis-à-
vis du passant inconnu […] une combinaison passé-présent
où celui-ci puise des forces d’art et de goût, un mariage qui
ne déçoit personne14 ».
1 André-Félibien des Avaux, Entretiens sur les vies et les ouvrages des plus excellens peintres, Paris, 1685. p. 24, 33.
2 Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Paris, Hetzel, p. 70.3 André Blum, Le Louvre, du palais au musée, Paris, éd. Milieu du
monde, 1946, p. 19.4 Voir Louis Hautecoeur, Histoire du Louvre, Le château, le palais,
le musée, Paris, L’Illustration, 1928, p. 20. C’est à lui que nous empruntons cette description.
5 De Thou, cité par Louis Hautecoeur, L’Illustration, 1928, p. 24.6 Henri Sauval, Histoire et recherches des antiquités de la ville de
Paris, Paris, Moette et Chardon, 1724, vol. 2, p. 32.7 Henri Sauval, vol. 2, p. 34.8 Voir Andrew McClellan, Inventing the Louvre, Arts, Politics, and
the Origins of the Modern Museum in Eighteenth-Century Paris, Berkeley, University of California Press, 1994, p. 13-14.
9 L’Académie avait présenté ses expositions précédentes au Palais- Royal.
10 Voir Reboul, Essai sur les mœurs du temps, Londres et Paris, Vincent, 1768, quoted in André Blum, p. 136.
11 André Blum, p. 146-147.12 Cité par Hautecoeur, p. 99.13 Voir Breguet, un apogée de l’ horlogerie européenne, Musée du Louvre
éditions, 2009.14 Léon-Paul Fargue, Les Grandes Heures du Louvre, Paris, Les Deux
Sirènes, 1948, p. 227-228.
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© DIOMEDIA / Photo12, le 1er vol Paris-NewYork sans escale, 1930, parade de Costes and Bellonte, page 51
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© Service Historique de la Défense, Vincennes, France, Breguet Sepecat Jaguar, page 55 (image de droite)
© Musée de la Ville de Paris, Musée Carnavalet, Paris, France/Archives Charmet/Bridgeman Images/Intérieur de la Cour Carrée du Louvre, c 1845-40 (lithographie couleur), Gavard C.(n.1974) (after), pages 88 et 89
© Musée Condé, Chantilly, France /Bridgeman Images / Ms 65/1284 f.10v Octobre : Semer le Grain d’Hiver, issu des ‘Très Riches Heures du Duc de Berry’ (vélin), les frères Limbourg (fl.1400-1416), page 91
© Le Louvre, le palais des Tuileries et la Grande Galerie en 1615. Extrait du plan de Mérian, page 93
© Louvre, Paris, France/Bridgeman Images/Vue de l’intérieur de la Galerie d’Apollon, page 95
Plafond de la Galerie d’Apollon : Apollon vainqueur du serpent Python, Delacroix Eugène (1798-1863), peintre, ©RMN-Grand Palais (musée du Louvre)/Gérard Blot, page 96
Victoire de Samothrace, Paris, musée du LouvrePhoto © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Fuzeau, page 99
La France reçoit de Louis XVIII la Charte constitution-nelle, Joseph Blondel Merry, Paris, musée du Louvre, Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet, page 100
© Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Olivier Ouadah / Construction de l’hôtel Claude Le Bas de Montargis en 1707, Aile Sully, premier étage, département des Objets d’art, salle 38 : Gilbert et Rose-Marie Chagoury, page 101
Table-console à quatre pieds (détail), Georges Jacob, Paris, musée du Louvre Photo © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier, page 102
Table-console à quatre pieds, Georges Jacob, Paris, musée du Louvre Photo ©Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier, page 103 (image de droite)
Table à écrire à pupitre ouvert Rémond François (1747-1812) Weisweiler Adam (1744-1820), Musée du Louvre, © RMN-Grand Palais (musée du Louvre)- Daniel Arnaudet / page 103 (image de gauche)
© De Agostini Picture Library / G. Dagli Orti / Bridgeman Images / Exposition publique industrielle dans la cour du Louvre à Paris, 1801, France 19ème siècle, page 104
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