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Consommation des ménages et
récession.
Dossier.
On connaissait peut-être déjà L’amour aux temps du choléra (hommage à GGM disparu en
2014), voici dans un registre un peu différent, la consommation en temps de crise, et au passage
un petit hommage à Charlie Hebdo* (*le poste « lunettes » des dépenses de santé est, selon les
enquêtes de l’INSEE et du CREDOC, le plus contraint de l’ensemble des dépenses de
consommation des ménages).
Composition du dossier.
-Document 1. Quels sont les principaux déterminants de la consommation des ménages ? -Document 2. La consommation des ménages réagit-elle aussi à l’inflation et aux taux d’intérêt ? -Document 3. Le chômage affecte-t-il la consommation des ménages ? -Document 4. Politique budgétaire et consommation des ménages : comportements ricardiens ou comportements keynésiens ? -Document 5. Les ménages français sont-ils devenus plus ricardiens depuis la récession de
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2008 ? -Document 6. Pourquoi est-il difficile de vérifier empiriquement le principe d’équivalence Barro-Ricardo ? -Document 7. Comment la crise bouleverse-t-elle les comportements des consommateurs ? -Document 8. Quelle analyse économique du low cost peut-on faire ?
Document 1. Quels sont les principaux déterminants de la consommation des ménages ?
Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des ménages
français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE
Référence, 2014.
Le revenu et la richesse des ménages constituent les premiers déterminants de la consommation
mis en avant par la littérature théorique comme empirique. Dans une perspective de « cycle de
vie », les ménages déterminent en effet leur consommation en fonction de la chronique de
revenus qu’ils anticipent percevoir au cours des années à venir, ramenée à la valeur
d’aujourd’hui à l’aide du taux d’intérêt. Les ménages épargnent lorsqu’ils anticipent une perte de
revenu future (par exemple en prévision de la retraite) et à l’inverse désépargnent lorsque le
revenu est temporairement faible. La consommation est ainsi déterminée par la somme actualisée
par le taux d’intérêt des revenus du travail anticipés par le ménage et des revenus qu’il tirera de
ses actifs financiers, nets des dettes qu’il peut avoir contractées. La valeur des actifs étant en
théorie égale à la somme des revenus financiers actualisée, la richesse détenue par les ménages
est aussi un déterminant théorique de la consommation. De fait, les estimations menées sur
données américaines ou britanniques font ressortir l’impact du revenu et de la richesse sur la
consommation des ménages. Les effets de richesse semblent toutefois beaucoup moins présents
en France qu’aux États-Unis (…).
Par ailleurs, Carroll, Hall et Zeldes (Carroll C., Hall R. et Zeldes S., « The buffer-stock theory of
saving: Some macroeconomic evidence » Brookings papers on economic activity, (2), 1992.
Carroll C., « How does future income affect current consumption? » The Quarterly Journal of
Economics, 109(1), 1994) proposent l’idée d’un consommateur prudent, épargnant en prévision
des aléas futurs, mais aussi impatient. Cela le conduit ainsi à consommer selon son revenu
courant une fois qu’il s’est constitué un volant minimal d’épargne de précaution, lui permettant
d’éviter de se trouver sans ressource en cas de perte d’emploi. Cette épargne est malgré tout
insuffisante pour lisser complètement sa consommation sur son cycle de vie. Une telle approche
rend compte du lien fort entre consommation et revenu courant largement établi dans la
littérature empirique. Carroll (1994) trouve ainsi sur données américaines que la consommation
courante est liée au revenu courant, mais ne l’est pas à l’évolution prévisible des revenus futurs,
ce qui signale l’impatience des ménages. Sur données macroéconomiques françaises, le revenu
courant ressort en général comme un déterminant essentiel de la consommation, mais également
les revenus passés, que cela traduise le fait que les ménages construisent leurs anticipations de
revenu en extrapolant leurs revenus passés, ou une certaine inertie des comportements de
consommation face à une variation imprévue de leur revenu.
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Document 2. La consommation des ménages réagit-elle aussi à l’inflation et aux taux
d’intérêt ?
Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des ménages
français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE
Référence, 2014.
L’inflation joue également un rôle sur la consommation en érodant le revenu et la richesse, ce
qui pousse souvent à considérer toutes ces grandeurs en termes réels, c’est-à-dire hors inflation.
Cette dernière peut influer sur la consommation via deux effets supplémentaires et opposés :
d’un côté, les anticipations d’inflation peuvent inciter à anticiper certains achats (comportement
dit de fuite devant la monnaie) ; de l’autre, l’inflation réduit le pouvoir d’achat
des liquidités disponibles, ce qui pousse les ménages à épargner davantage. Empiriquement, le
second effet, appelé « effet Pigou » ou d’encaisses réelles, domine (sur données françaises
Bonnet et Dubois, 1995).
Le taux d’intérêt affecte la consommation de manière ambivalente. D’abord, une montée des
taux d’intérêt réduit le prix actualisé de la consommation future par rapport à la consommation
courante, cet effet de substitution poussant l’épargne à la hausse. En outre, elle peut réduire la
valeur de certains actifs détenus par les ménages, ce qui déprimerait la consommation par un
effet richesse. En revanche, elle augmente les revenus futurs du patrimoine des ménages, ce qui
les pousse à consommer plus aujourd’hui et dans le futur. Cet effet revenu découle du fait qu’en
moyenne, les ménages ont une richesse nette positive (la hausse des revenus sur leurs actifs
l’emporte sur celle du service de leur dette). Toutefois, raisonner à un niveau agrégé peut
masquer l’hétérogénéité des comportements : un ménage avec de forts revenus du capital est en
moyenne plus aisé et sa propension à consommer est donc en général plus faible [RL :
importance d’une analyse « désagrégée », les ménages du 5e quintile épargnent
près de 35 % de leurs revenus disponibles ; en revanche, les ménages à revenu
modeste ou moyen sont davantage contraint par le revenu courant et par les taux
d’intérêt portant sur les crédits à la consommation].
Document 3. Le chômage affecte-t-il la consommation des ménages ?
Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des ménages
français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE
Référence, 2014.
La consommation peut aussi répondre à d’autres déterminants. Le chômage, au-delà de son effet
sur le revenu courant qui est capturé par la variable de revenu, réduit les anticipations de revenu
futur et augmente l’incertitude sur celui-ci. Par conséquent, une hausse du chômage devrait
pénaliser la consommation via une hausse de l’épargne de précaution. Cet effet pourrait toutefo is
être limité à long terme si la réduction de leurs revenus conduit les ménages touchés par le
chômage à consommer une part très importante de leur revenu courant, conduisant ainsi à faire
baisser le taux d’épargne agrégé. La confiance des ménages peut renseigner directement sur
l’état d’esprit des ménages et leur envie de consommer et permettre de capter la part des
anticipations qui ne se déduit pas de la valeur de ses déterminants mesurables tels que le revenu.
Finalement, d’autres variables ou des indicatrices peuvent capter des mesures ponctuelles de
politique économique, comme une prime à la casse ou la mise en place d’un bonus/malus
écologique qui joue sur les achats automobiles, ou des événements climatiques, comme un hiver
plus ou moins rigoureux. Ces deux derniers effets peuvent être particulièrement importants dans
une analyse infra-annuelle de la consommation ; autrement, ils restent plus marginaux.
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Document 4. Politique budgétaire et consommation des ménages : comportements
ricardiens ou comportements keynésiens ?
Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des ménages
français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE
Référence, 2014.
La relation entre consommation et revenu courant est aussi souvent étudiée en lien avec la
politique budgétaire, puisque cette dernière est une source majeure de chocs sur le revenu,
visibles à l’échelle macroéconomique. Jusqu’à présent, les ménages ont été supposés ajuster leur
consommation en fonction du revenu courant, ou d’une extrapolation de leurs revenus passés.
Par conséquent, une baisse des impôts payés par les ménages est supposée augmenter leur
consommation. A contrario, comme l’a montré Barro (Barro R.J., « Are government bonds net
wealth? », Journal of Political Economy 82(6), 1974), si les ménages sont parfaitement
rationnels et se soucient des besoins futurs de leur descendance, une baisse des impôts ne doit
pas affecter leurs dépenses de consommation. En effet, dans ce cadre, les ménages sont
conscients que les dépenses publiques passées et futures sont exactement payées par les impôts
passés et futurs. Tant que le chemin de dépenses n’est pas modifié, ils savent que la somme
actualisée des impôts dont ils doivent s’acquitter restera la même et ils ajustent donc leur
épargne, par exemple à la hausse en prévision de la hausse future des taxes : c’est l’équivalence
ricardienne. Dans ce cadre, une baisse permanente des dépenses publiques, en réduisant
implicitement les impôts à acquitter dans le futur, est exactement compensée par une hausse
équivalente de la consommation privée, si bien que l’activité n’en est pas affectée.
Finalement, le multiplicateur budgétaire serait théoriquement nul dans ce cadre d’analyse. Des
modélisations plus récentes ont été développées pour rendre compte de consolidations
budgétaires qui ont été accompagnées par une hausse de l’activité, c’est-à-dire un multiplicateur
budgétaire négatif. C’est l’existence de non-linéarités dans la réaction des agents qui expliquerait
alors le plus souvent ce comportement qualifié d’« anti-keynésien ». Le modèle néoclassique
peut être enrichi avec le niveau permanent des dépenses publiques, qui détermine le
comportement d’offre des entreprises à travers le niveau induit de la taxation. Selon cette
modélisation, une baisse pérenne des dépenses réduit la pression fiscale et les distorsions
associées, ce qui entraîne une hausse de la production à long terme. La consommation augmente,
quant à elle, dès que les ménages anticipent cette baisse des dépenses. Bertola et Drazen (1993)
et Sutherland (1997) ont enrichi le modèle néokeynésien de non-linéarités provenant du niveau
de la dette publique : au-delà d’un certain niveau d’endettement public, les agents en attendent
des conséquences néfastes sur l’activité. Dans ce modèle, un engagement crédible à diminuer cet
endettement pourrait alors relancer la consommation. Quelques études ont testé le comportement
ricardien des ménages français et ont obtenu des résultats contrastés. De Serres et Pelgrin (De
Serres A. et Pelgrin F., « The Decline in private saving rates in the 1990s in OECD
countries:How much can be explained by non-wealth determinants? » Economic Studies, n° 36,
OECD 2003) estiment que la hausse du déficit public est compensée pour un tiers par une hausse
de l’épargne privée. Pour Fraisse (Fraisse H., « Du nouveau sur le taux d’épargne des ménages ?
» Bulletin de la Banque de France n° 130, 2004), la hausse du déficit public est compensée par
une hausse d’épargne privée pour un quart à court terme mais n’est pas compensée à long terme.
Ces estimations de la réponse de l’épargne privée, puisqu’elles sont plus proches de 0 que de 1,
indiqueraient un comportement keynésien. Au contraire, Röhn (Röhn O., « New evidence on the
private saving offset and Ricardian equivalence », Economics Department Working Papers, n°
762, OECD, 2010) aboutit plutôt à un comportement ricardien à court terme puisque l’épargne
privée augmente d’autant que le déficit public (issu d’une baisse d’impôts). À long terme,
l’épargne privée augmente de la moitié de la hausse du déficit public. Sur le panel de 16 pays de
l’OCDE qu’il étudie, il trouve même en moyenne une hausse d’épargne privée qui fait un peu
plus que compenser la hausse du déficit public à court et long terme.
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Document 5. Les ménages français sont-ils devenus plus ricardiens depuis la récession de
2008 ?
Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des ménages
français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE
Référence, 2014.
De 2008 à 2013, la consommation des ménages français a crû très faiblement : + 0,4% en
moyenne par an contre + 2,4 % sur les années 2000. Ce net ralentissement est lié à celui du
pouvoir d’achat du revenu des ménages, qui a fortement ralenti entre les deux périodes : de 2,4
% en moyenne par an à 0,4 % également. Depuis la grande récession, la croissance de la
consommation s’est en revanche écartée assez sensiblement de celle du revenu, d’abord à la
baisse en 2009 puis à la hausse entre 2010 et 2013 (figure 1).
(1) Consommation et pouvoir d’achat des ménages.
Champ : France. Lecture : entre 2000 et 2007, la consommation des ménages a crû de 2,4% en moyenne par an
comme le pouvoir d’achat.Source : Insee, comptes nationaux annuels.
La spécification (RL : la modélisation macroéconomique prenant en compte les
différents déterminants de la consommation des ménages) rend globalement compte de
la consommation des ménages depuis 40 ans. Plus récemment, la moindre croissance de la
consommation pendant les années 2008-2009 par rapport aux années 2000-2007 (+ 0,3 % contre
+ 2,4 % auparavant) provient en premier lieu du pouvoir d’achat du revenu, avec une
contribution annuelle moyenne en recul de 0,9 point ; ce recul reste inférieur à celui de la
croissance du pouvoir d’achat, illustrant une fois encore les délais d’ajustement de la
consommation à un choc de revenu. L’inflation et la variable de crédit n’ont pas eu de grande
influence. Une partie du ralentissement de la consommation sur la période 2008-2009 reste
finalement inexpliquée par ces déterminants (1,2 point).
De fait, la consommation a été plus faible qu’attendu par ses principaux déterminants au moment
des épisodes récessifs, et notamment en 2009 où sa croissance a été inférieure de 1,5 point à celle
prévue, occasionnant une déconnexion en niveau résorbée sur les années suivantes. Cette partie
inexpliquée de la consommation peut venir de l’omission de certains déterminants de la
consommation. Deux pistes directement liées à la grande récession sont donc examinées ici :
(i) la modification de la composition du revenu des ménages induite par la crise et
(ii) le caractère ricardien des ménages suite aux plans de relance puis à la consolidation.
Cette faiblesse de la consommation n’est pas liée à la modification du revenu sur la période.
La grande récession suivie d’un rebond de l’activité en 2010-2011 puis d’une période de
croissance atone en 2012-2013 a engendré des modifications de la part de chaque type de revenu
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dans le total du revenu des ménages. Cette modification est aussi en partie liée à la consolidation
budgétaire menée depuis 2010, qui a principalement porté sur les recettes et en particulier sur les
impôts affectant les revenus des ménages les plus aisés. La partie qui suit cherche ainsi à
analyser comment cette modification des différents types de revenu a pu orienter le taux
d’épargne des ménages, du fait de propensions différentes à consommer chaque type de revenu.
Le revenu disponible brut (RDB) des ménages comprend les revenus d’activité, les revenus du
patrimoine, les transferts en provenance d’autres secteurs institutionnels et les prestations
sociales (y compris les pensions de retraite et les indemnités de chômage), nets des impôts
directs (impôt sur le revenu, CSG et CRDS, taxe d’habitation, ISF).
De 1970 à 2007, la composition du revenu des ménages s’est profondément transformée. Si les
salaires nets en représentent une part stable à environ 50 %, la part du revenu mixte des ménages
(revenu d’activité des ménages non salariés) a baissé, passant de 22 % à 11 %. Cette
modification tient à la « salarisation » croissante de l’économie. En miroir, sur la même période,
les autres revenus nets (revenus de la propriété, notamment financiers) ont doublé en part du
revenu, passant de 5 à 10 %, tout comme l’EBE des ménages passant de 8 % à 13 %. Les
prestations sociales ont également progressé (de 20 à 31 % du revenu), en miroir des cotisations
sociales, reflétant la forte montée en charge de la protection sociale en France. Par ailleurs, la
part des impôts directs dans le revenu a plus que doublé puisqu’ils représentent une ponction de
14 % en 2007 contre 6 % en 1970.
Composition du revenu des ménages.
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Depuis 2007, la part des salaires nets a légèrement progressé. En revanche, celle correspondant
au revenu des non-salariés a reculé de plus d’un point, signalant en creux un impact plus
important de la crise sur cette population. Les prestations sociales ont nettement progressé en
part du revenu (+ 4 points), notamment du fait de la hausse des indemnités chômage sur la
période. Enfin, les impôts ont également progressé, surtout depuis 2010 (+ 2 points de revenu en
trois ans).
Les revenus d’activité non salariaux correspondent au revenu d’agriculteurs, d’artisans, de
commerçants, de professions libérales, etc. dont le taux d’épargne est très élevé (46 % en 2003
pour les indépendants hors agriculteurs et 19 %pour les agriculteurs-exploitants contre 17 % en
moyenne sur l’ensemble de la population). Cette différence s’explique notamment par
l’utilisation de cette épargne pour financer les investissements professionnels de ces ménages
producteurs mais aussi par des différences dans leurs régimes de retraite.
Les revenus de la propriété, notamment financiers, sont susceptibles d’être plus
systématiquement ré-épargnés pour deux raisons. C’est d’abord souvent la solution par défaut et
la moins coûteuse d’utilisation de ce revenu du fait d’incitations fiscales attachées à ce type de
produit, notamment les plans d’épargne en actions et assurances-vie. Ensuite, ces revenus sont
aussi concentrés sur les plus hauts déciles de revenus dont la propension à consommer est plus
faible. Les prestations et cotisations sociales correspondent à une redistribution de revenu vers
des ménages a priori plus contraints, c’est-à-dire ayant une capacité d’épargne plus faible. [Mais]
cette analyse ne permet pas de conclure à un effet probant de la composition du revenu sur la
dynamique inexpliquée de la consommation.
La période post-2007 est également caractérisée par des variations majeures du solde public : il a
baissé les trois premières années de crise, à cause d’une baisse des recettes et d’une hausse des
dépenses, et a remonté ensuite avec le processus de rétablissement des finances publiques. Si
certains ménages adoptaient un comportement ricardien, ces mouvements seraient à même
d’expliquer aussi une partie de l’évolution de la consommation. De fait, les épargnes privée et
publique (exprimées en point de PIB) présentent une corrélation
négative. Cette dernière pourrait signaler une causalité de l’épargne publique vers l’épargne des
ménages qui reste toutefois à vérifier. Cette partie propose donc de voir comment le
comportement de consommation des ménages peut s’expliquer en partie par la politique
budgétaire (…).
Ce lien est simple : une hausse de la consommation se traduit mécaniquement par un supplément
de recettes, de TVA notamment, et in fine par une amélioration du solde public. De manière
générale, une hausse de la consommation induit une hausse de la production qui en retour se
matérialise par plus d’emploi, plus de revenu et in fine plus de recettes et moins de dépenses
publiques. Enfin, il est possible que ce soit en réaction à une consommation annoncée en berne
que les autorités budgétaires décident de relancer l’activité. Cela induirait des baisses
simultanées de la consommation et du solde public qui passeraient par le canal de la politique
économique. En définitive, la forte corrélation entre consommation et solde public traduit (du
moins en partie) une causalité de la consommation vers le solde public. Qu’en est-il de la
causalité dans l’autre sens, qui est celle qui nous intéresse ici ?
Le comportement de consommation réagirait faiblement à une variation de l’épargne publique
(ici approchée par le solde structurel primaire). D’après nos estimations, une hausse de cette
épargne d’un point de RDB se traduirait par une hausse légère et temporaire, mais significative,
de la consommation (+ 0,2 point). Elle n’aurait pas d’impact à long terme, confirmant l’absence
d’équivalence ricardienne. Pour être en mesure de qualifier ce comportement de ricardien, il est
utile de tester la sensibilité de la consommation des ménages à la provenance de l’amélioration
(ou de la dégradation) de l’épargne publique. Pour ce faire, les variations du solde structurel sont
distinguées en recettes et en dépenses structurelles (hors dépenses d’investissement8). Les
conclusions précédentes sont réaffirmées avec un impact faible et à court terme uniquement des
variables budgétaires sur la consommation des ménages. L’impact est sensiblement le même
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suivant l’origine de la variation du solde public : une hausse/baisse d’un point de RDB des
recettes/dépenses viendrait accroître la consommation de 0,3 point la première année. Toutefois,
ces conclusions restent fragiles. […]
Cette réaction dépendrait également de l’ampleur de la variation de l’épargne publique. Les
ménages pourraient aussi n’adapter leurs dépenses de consommation que si l’épargne publique
connaît de fortes variations. L’idée sous-jacente est simple : lorsque les pouvoirs publics
décident de mener des politiques budgétaires d’envergure, la presse s’en fait davantage écho et la
prise de conscience par les acteurs économiques devient plus forte. Les faits économiques
récents en constituent une parfaite illustration : au lendemain de la grande récession, en partie du
fait de la crise des dettes souveraines en Europe, les gouvernements ont inscrit comme priorité le
rétablissement des finances publiques. S’en sont suivies des mesures de consolidation qui ont
alimenté les débats nationaux et internationaux. […]
Effectivement, l’estimation menée suggère la présence de non-linéarités : la réaction des
ménages serait plus forte lorsque l’épargne publique connaît des évolutions importantes; elle
serait non significative dans le cas contraire. La prise en compte de cet effet de seuil aiderait à
mieux comprendre le ralentissement marqué de la consommation des ménages pendant les
années 2008-2009. En 2009 notamment, la croissance presque nulle de la consommation est la
résultante d’une contribution positive du revenu contrebalancée fortement par une contribution
négative du solde primaire (respectivement + 1,7 point et – 1,1 point). La contribution négative
des crédits a été globalement compensée par le soutien de la désinflation. Au total, la croissance
de la consommation en 2009 est restée 0,4 point inférieure à ce que ses déterminants laissaient
attendre, ce qui est faible en comparaison historique. De manière générale, cette spécification
rend globalement mieux compte de la consommation des ménages sur la période récente.
Depuis 2007, la croissance ténue de la consommation des ménages (0,4 % en moyenne annuelle)
est surtout liée à la faiblesse du revenu sur la période, les autres déterminants usuels ayant une
moindre influence. Les évolutions annuelles ne sont pourtant pas toujours très bien expliquées.
Jusqu’en 2009, le taux d’épargne a sensiblement augmenté (+ 1,1 point à 16,2 % du revenu),
plus qu’attendu. Ce n’est vraisemblablement pas en lien avec la modification de la composition
du revenu pendant la crise. En revanche, face à la récession, les ménages ont constitué un surplus
d’épargne, soit en réaction à une hausse future des impôts soit par précaution en raison du
contexte économique devenu plus incertain. Il est difficile de privilégier l’une de ces deux
interprétations même si l’analyse économétrique plaiderait davantage pour la première. En effet,
ce comportement particulier d’épargne est mis en évidence par la variation du solde public mais
n’est pas expliqué par la hausse du chômage ou par la baisse de la confiance telle que retranscrite
dans l’enquête de conjoncture auprès des ménages. La politique budgétaire aurait ainsi une
légère influence sur la consommation des ménages à court terme venant compenser l’impact
direct qu’elle peut avoir sur le revenu.
Sur la période 2010-2013 et en miroir, le taux d’épargne a diminué (– 1,2 point à 15,1 %),
également un peu plus qu’escompté par le revenu et par les autres déterminants usuels de la
consommation. Ce retour du taux d’épargne à son niveau pré-crise pourrait s’expliquer par une
reprise de la confiance et/ou par l’amorce du rétablissement des finances publiques, d’abord lié
au retrait des mesures de soutien à l’activité mises en place pendant la crise et ensuite à la
consolidation budgétaire entamée à partir de 2011.
Document 6. Pourquoi est-il difficile de vérifier empiriquement le principe d’équivalence
Barro-Ricardo ?
Source : Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des
ménages français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE
Référence, 2014.
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L’équivalence ricardienne, une théorie économique difficile à tester. Quelle variable budgétaire
considérer ? L’équivalence ricardienne veut que la consommation ne dépende que de la richesse
actuelle, des revenus futurs anticipés et du coût anticipé des dépenses publiques. Ainsi, la
consommation ne doit pas dépendre du calendrier de la taxation,
à dépenses publiques anticipées inchangées. Gale et Orszag (2004) expliquent que la réponse
de la consommation à une variation des dépenses publiques ne renseigne pas sur le
comportement ricardien des ménages, puisque la consommation publique peut être un substitut
(les dépenses de santé ou d’éducation) ou un complément (les dépenses militaires) à la
consommation privée. Plus précisément et avec des ménages ricardiens, une baisse permanente
de la dépense publique augmente la consommation dans la mesure où elle signale une baisse
permanente de la taxation et donc une hausse de la richesse intertemporelle. Mais cette réponse
est brouillée par le type de consommation publique envisagée. En définitive, seule la réaction de
la consommation à la taxation permettrait de caractériser un comportement ricardien.
Le dossier propose donc différents tests de l’équivalence ricardienne, en retenant d’abord le
solde public puis en distinguant les recettes des dépenses publiques. D’où provient l’endogénéité
ou la causalité double entre consommation et finances publiques ?
L’évaluation de l’impact des finances publiques sur la consommation est aussi rendue complexe
par la nécessité de distinguer l’effet de causalité qu’on cherche à mesurer, de l’effet inverse
qu’on cherche à écarter et qu’a la consommation sur les finances publiques notamment au travers
des recettes de TVA. En effet, les impôts dépendent eux-mêmes de la base taxable et donc plus
ou moins directement de la consommation : la concomitance d’une
hausse de l’épargne et d’une baisse des impôts peut ainsi traduire soit une réaction de nature
ricardienne d’une frange de la population au creusement des déficits publics, soit la réaction des
impôts à une baisse de la consommation. […]
Romer et Romer (Romer C. et Romer D., « The macroeconomic effects of tax changes: estimates
based on a new measure of fiscal shocks », American Economic Review, 100, June), 2010)
notent que ce sont précisément dans les situations de creux conjoncturel, qui se matérialisent par
une relative faiblesse de la consommation, que des politiques de relance sont menées. Les
auteurs traitent ce problème par l’approche narrative, en analysant les textes de loi, discours
politiques et journaux de l’époque. Ils écartent les mesures fiscales qui affectent l’activité à court
ou moyen terme (par exemple parce qu’elles visent explicitement à relancer l’activité) et se
restreignent à celles qui peuvent être considérées comme véritablement exogènes et qui ne sont
pas systématiquement corrélées à d’autres facteurs impactant l’activité (par exemple parce
qu’elles visent à réduire le déficit ou à un objectif de plus grande justice sociale). De fait, les
auteurs trouvent qu’une hausse de la taxation a un impact négatif sur le PIB beaucoup plus fort
une fois la correction apportée.
Document 7. Comment la crise bouleverse-t-elle les comportements des consommateurs ?
Source : Revue Sciences humaines, janvier 2013.
Low cost, achats d’occasion ou groupés, location, troc… Les consommateurs développent de
nouvelles stratégies auxquelles les industriels cherchent à s’adapter. Ce faisant, une
modification durable des modes de consommation s’opère.
Baisse du pouvoir d’achat, crainte du chômage, incertitudes quant à l’avenir… Les Français
n’ont d’autre choix que de s’adapter. Différentes « solutions » s’offrent – ou s’imposent – à eux :
consommer moins, moins cher, « mettre la main à la pâte » ou encore partager.
1. Consommer moins.
En temps de crise, dépenser moins se révèle un impératif pour beaucoup ; l’augmentation des
dépenses dites « contraintes » ou « préengagées » limite les marges de manœuvre. Pour faire face
à la baisse de leur pouvoir d’achat, les Français se voient donc dans l’obligation de faire des
arbitrages ; certains achats s’en trouvent différés, voire supprimés.
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Victimes de ces choix, les ventes de voitures neuves ont chuté de 14 % en 2012. Pour tenter
d’inverser la tendance, les constructeurs multiplient les rabais sur les voitures neuves, de façon à
dégonfler leurs stocks. Mais les particuliers recherchent avant tout des prix serrés et c’est
l’occasion qui leur apporte actuellement la meilleure réponse. Autre donnée notable, même s’il a
été éphémère, le monde a connu en 2008 un nouveau choc pétrolier qui a laissé des traces dans
les ménages qui ont continué de réduire leur consommation lorsque les prix de l’essence ont
baissé.
Autre poste de dépense directement menacé par la
baisse du pouvoir d’achat : les vacances. Les Français
continuent à partir, mais la crise impose de nouvelles
contraintes ; ils partent moins loin, moins longtemps et
pour moins cher. Dans ce domaine comme dans
d’autres, toutes les catégories sociales ne sont pas
logées à la même enseigne. Le taux de départ en
vacances varie ainsi du simple au double entre le bas et
le haut de l’échelle des revenus ; et ces différences ont
tendance à se creuser depuis la crise. Avec celle-ci, les
foyers les plus modestes, déjà en prise avec des
difficultés pour boucler leurs fins de mois, sont les
premiers touchés par l’augmentation du chômage. Dès
lors, partir en vacances semble, pour ces groupes, de
plus en plus improbable. Et le manque de moyens n’est
pas le seul obstacle ; la plupart des vacances des
Français se font à moindre coût : selon la Direction
générale de la compétitivité, de l’industrie et des
services (DGCIS), 88 % de leurs voyages en 2011 sont
restés dans l’Hexagone, plus des trois quarts ont été effectués par la route, essentiellement en
voiture, et l’hébergement chez des amis ou la famille reste prédominant. Autant de possibilités
qui ne s’offrent pas toujours aux plus modestes qui, en moyenne, sont moins souvent équipés
d’une voiture et disposent également d’un réseau relationnel moins étendu. À cela s’ajoute le fait
que le développement des offres touristiques par Internet exclut une partie des moins fortunés
qui n’ont pas d’accès à Internet chez eux (1).
À côté de cela, 80 % des Français envisageraient de réduire leurs dépenses de loisirs ; ils étaient
déjà 29 %, l’an dernier, à dépenser moins pour leurs sorties. Il ne s’agit pas tant de supprimer ce
poste de dépenses, mais plutôt de le réorienter vers des sorties de proximité, de la musique, de
grands événements ou, mieux encore, des loisirs gratuits ; théâtres, petites salles de spectacle et
restaurants subissent, eux, une baisse significative de fréquentation.
Peut-être encore plus alarmant : la santé est elle aussi victime des restrictions budgétaires des
Français. 27 % de ceux-ci auraient reporté ou renoncé à des soins médicaux en 2011. En France,
les achats de lunettes sont le premier poste différé pour des raisons économiques (19 %), devant
les soins dentaires (10 %) et les achats de médicaments (5 %). La faute à la crise, aux
déremboursements de la Sécu, aux dépassements d’honoraires des médecins, mais aussi à la
hausse du prix de mutuelles : l’accès aux services de santé est de plus en plus mis à mal.
2. Consommer moins cher
Quand ils ne les suppriment pas, les Français cherchent à réduire au maximum le coût de leurs
achats. Différentes options s’offrent alors à eux, celles-ci variant, notamment, selon les biens et
services concernés.
Réserver son vol sur une compagnie low cost est aujourd’hui, pour beaucoup, une pratique
courante. Preuve en est : les compagnies à bas coûts représentent aujourd’hui 38 % du trafic
passager intraeuropéen. Mais s’il s’agit là du secteur où la percée du low cost semble la plus
évidente, bien d’autres domaines sont également concernés : la distribution alimentaire avec des
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enseignes de hard discount, le jardinage avec Garden Price, le bricolage avec Bricodépôt,
l’hôtellerie avec Formule 1, l’automobile avec la Logan de Renault, et même la coiffure avec les
salons Tchip coiffure. Contrairement à ce qu’il pourrait être facile de penser, le low cost ne
s’adresse pas qu’à un « marché de pauvres » ; les consommateurs font des choix et privilégient
certains biens ou services, ramenant le reste de leur consommation au registre de la simple
fonctionnalité. À changement de demande, changement d’offre ; aux évolutions des modes de
consommation, les industriels tentent de répondre avec une modification des méthodes de vente
et de marketing. Ainsi, les sociétés comme Unilever s’adaptent « au retour de la pauvreté en
Europe », affirme Jean Zidervekd (responsable Europe du groupe) et proposent, par exemple, de
plus petits conditionnements, comme c’est le cas sur le continent asiatique. Cette prise de
conscience des industriels se manifeste également par le développement de marques de
distributeurs, mais aussi par la présence de plus en plus fréquente, dans certaines enseignes
traditionnelles de la grande distribution, de rayons « self discount » avec des pâtes, du café, des
céréales et autres gâteaux en vrac.
Pour consommer moins cher, les Français sont en revanche de plus en plus adeptes des achats
d’occasion et de la location. Après tout, pourquoi payer le prix fort un bien qu’il est possible de
dénicher d’occasion, parfois deux ou trois mois après sa sortie et jusqu’à 50 % moins cher ?
Pourquoi ne pas louer un outil dont on ne compte faire qu’un usage occasionnel ? À la faveur de
la crise, le principe que l’usage prime sur la possession rencontre un engouement croissant
auprès des consommateurs. Internet et les réseaux sociaux jouent – ont joué et joueront – un
grand rôle dans le développement des nouvelles pratiques de consommation ; ils en sont aussi les
témoins. Il n’y a qu’à observer la croissance des sites Internet de location (aujourd’hui, tout se
loue !) comme Zilok, Goopes, Consoloc ou autre e-Loue ; celle des sites de troc et de don
également ou encore l’essor de sites comme Le bon coin, PriceMinister ou eBay. Des sites qui
proposent d’acheter d’occasion, mais également de vendre. Et si le prix reste le principal moteur
du marché de l’occasion, les consommateurs sont aussi de plus en plus sensibles au fait de
donner une seconde vie aux objets plutôt que d’être dans une course perpétuelle à la nouveauté.
L’achat de produits d’occasion est « devenu aujourd’hui un geste banal », qui concerne 60 % des
Français selon l’Observatoire société consommation (Obsoco). Malgré le rôle croissant des
nouvelles technologies, certains hésitent encore à sauter le pas, à faire confiance au Web en
matière d’achats, lui préférant les réseaux physiques. Brocantes, vide-greniers – environ 500 000
organisés tous les ans – et autres Sel (systèmes d’échanges locaux) se renouvellent fortement,
quand, dans un même temps, des magasins d’achat-vente ouvrent un peu partout en France à un
rythme soutenu. Mais même dans les réseaux physiques, la Toile a son rôle à jouer. Il n’est pas
rare, dans les brocantes, d’observer des promeneurs arpenter les stands smartphone à la main,
prêts, à tout moment, à vérifier si le prix proposé par le vendeur constitue – ou non – une
opportunité à saisir
3. Faire soi-même
Dans cette dynamique, le fait-main rencontre un regain d’intérêt assez exceptionnel. Pourquoi
laisser faire par un autre – et en le payant ! –, ce que l’on peut faire soi-même ? Et en prenant du
plaisir !
La cuisine « maison » connaît ainsi un réel boom. Émissions de télévision culinaires, salons,
livres, titres de presse et autres rubriques gourmandes, cours de cuisine, blogs et sites Internet
consacrés à la gastronomie ne cessent de se développer. Ainsi, quelque 84 % des Français
pratiqueraient régulièrement ou occasionnellement la cuisine maison pour des raisons d’abord de
santé et de plaisir, mais aussi pour des raisons économiques. Le « fait maison » coûte moins cher
que les petits plats industrialisés et permet d’être maître de la quantité. Quand bien même la
cuisinière ou le cuisinier aurait eu les yeux plus gros que le ventre, accommoder les restes permet
d’éviter le gâchis. Il s’agit là d’une vraie tendance : des associations développent aujourd’hui des
cours proposant d’apprendre à cuisiner les restes. En temps de crise, plus que jamais, la chasse
au gâchis est ouverte : un site Internet comme www.zero-gachis.com – qui invite les internautes
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à signaler les produits proches de la date de péremption vendus à prix cassés dans les
supermarchés – en est un exemple concret.
Autre tendance côté cuisine : récolter soi-même ses fruits et légumes. Ce n’est pas vraiment une
nouveauté, mais baisse du pouvoir d’achat et « bio attitude » aidant, le concept connaît un succès
grandissant. L’idée est de pouvoir ramasser et choisir soi-même ses fruits et légumes dans des
exploitations agricoles spécifiques. Pour cela, il suffit de se renseigner sur les producteurs
pratiquant cette activité, prendre son panier et… mettre de bonnes chaussures ! Économique – les
marges intermédiaires sont supprimées –, ce mode d’approvisionnement est également amusant,
ludique… et écoresponsable.
Autre domaine où le faire soi-même rencontre un franc succès : le bricolage. Les Français sont
plus de 80 % à déclarer préférer réaliser leurs travaux eux-mêmes plutôt que de les confier à des
professionnels (5). Environ 50 % d’entre eux se présentent ainsi comme « bricoleurs
expérimentés », alors qu’ils n’étaient qu’un peu plus de 30 % il y a un an seulement. Malgré la
baisse du pouvoir d’achat, l’aménagement de l’habitat reste ainsi une dépense prioritaire ; une
dépense néanmoins raisonnée puisque réfléchie avec le souci d’éviter le gaspillage, de trouver
des bons plans et de faire des économies d’énergie. On dépense, oui, mais on dépense économe.
« Faire soi-même » s’envisage – et se développe – dans bien des domaines. « Self-garage »,
ateliers de décoration, de fabrication de bijoux, de tricot… Le phénomène se nourrit des
nouvelles pratiques de consommation nées avec Internet : chacun peut aujourd’hui ouvrir un
blog, une boutique en ligne, et contourner ainsi les circuits classiques fondés sur la publicité et
les grandes enseignes commerciales. Le phénomène dépasse largement le cadre de la « simple »
débrouille ; les gens inventent un nouvel artisanat.
4. Consommer ensemble
Le partage est au cœur des nouveaux modes de consommation ; les particuliers tendent de plus
en plus à se débrouiller entre eux.
Le covoiturage est ainsi une marque évidente du développement du « consommer ensemble ».
Cet état d’esprit qui, au tout début, semblait réservé aux autostoppeurs, aux jeunes et aux
étudiants, gagne désormais bien d’autres catégories ; année après année, ce mode de transport
prend de l’ampleur, les cadres et les seniors s’y mettent, et si le facteur économique reste la
première motivation pour y recourir, la convivialité et les préoccupations écologiques
contribuent également à son développement. Preuve de l’intérêt que suscite ce service, outre la
multiplication des sites Internet y étant dédiés : de nombreux acteurs, des entreprises aux
collectivités territoriales en passant par les sociétés d’autoroutes, l’encouragent. Le covoiturage
semble avoir de belles années devant lui.
La colocation, elle non plus, ne se trouve pas réservée aux étudiants. Les actifs sont en effet
nombreux à ne plus avoir d’autres choix que ce type de logement ou à vouloir profiter de leur vie
de jeune actif autrement qu’en mettant la moitié de leur salaire dans un loyer. Émerge aussi, avec
la crise, une génération dite « boomerang ». En France, près de 700 000 adultes seraient ainsi
retournés vivre chez leurs parents, rejetés au bercail par la flambée de l’immobilier, un divorce,
le chômage ou une difficulté passagère (6).
De plus en plus, les Français se déplacent ensemble, vivent ensemble… achètent également
ensemble. Une tendance que confirme la bonne santé de sites comme Groupon, Maxideal,
KgbDeal ou Livingsocial, mais aussi l’observation de ce que même les centres commerciaux se
mettent à proposer des achats groupés.
La crise a des effets économiques et sociaux importants en termes de dégradation de niveau de
vie, de précarisation des franges de la population les plus fragiles, mais également
d’interrogation sur notre modèle de production et de consommation. Nos comportements s’en
trouvent modifiés, davantage marqués par des valeurs de responsabilité environnementale, de
convivialité, de lien social et de solidarité. Certes, la crise n’est pas à proprement parler à
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l’origine de ces changements, elle en est cependant clairement révélatrice et amplificatrice. Et ça
semble bien parti pour durer.
Document 8. Quelle analyse économique du low cost peut-on faire ?
Source : Emmanuel Combe, Le low cost (2011) ?
Longtemps cantonné à l’aérien et à la distribution alimentaire, le low cost se diffuse aujourd’hui
dans plusieurs secteurs, même s’il y occupe une place encore limitée : automobile, banque,
assurance, coiffure, jardinerie, salles de gym, téléphonie mobile, etc. À l’exception des produits
de luxe et de haute technologie, la plupart des activités dédiées à la consommation des ménages
offrent désormais un segment low cost, plus ou moins florissant. Plus encore, loin d’être réservé
à une catégorie donnée de population, le low cost est utilisé aujourd’hui par une majorité de
consommateurs, même si les pratiques restent très différenciées selon les groupes sociaux : le
low cost aérien concerne tout autant le cadre supérieur que l’étudiant ou le retraité, tandis que le
hard discount alimentaire est fréquenté à la fois par les ménages à faibles revenus à titre
principal et par une majorité de la population comme magasin de complément. […]
Pourtant, en dépit de son succès auprès des consommateurs, le low cost reste toujours l’objet de
vives critiques, accusé notamment de sacrifier la qualité et l’emploi sur l’autel des prix bas. Si le
low cost suscite encore la méfiance, c’est sans doute d’abord parce qu’il s’agit d’un modèle
économique relativement récent : la nouveauté suscite toujours une certaine inquiétude, en
bouleversant nos schémas de pensée, nos certitudes les mieux établies.
Mais commençons d’abord par identifier les contours de notre objet : lorsque l’on parle de low
cost, à quelle réalité fait-on exactement référence ?
Il est tentant de partir du sens littéral en anglais pour en cerner la nature : le low cost désignerait
alors toute activité économique fondée sur la baisse des coûts. Si l’on retient cette acception
large, une entreprise qui délocalise sa production dans un pays à faible coût de main-d’oeuvre
(pays dit low cost), une entreprise qui réorganise ses méthodes de production pour réaliser des
gains de productivité seront alors qualifiées de low cost.
Cette approche du low cost se révèle en réalité trop extensive : le même jouet, produit hier en
Europe, deviendrait soudainement demain low cost du seul fait de la délocalisation de sa
production en Chine, alors même que les contours du produit n’ont été en rien modifiés. Toute
production à bas coûts ne saurait être assimilée à du low cost si elle ne s’accompagne pas
simultanément d’une démarche de redéfinition du produit dans le sens d’une simplification. À ce
titre, le low cost doit être clairement distingué de pratiques telles que l’outsourcing, consistant à
faire fabriquer un produit dans un pays à bas coûts, ou le lean management, consistant à réduire
les coûts cachés dans les processus de production, notamment en gérant mieux les temps morts et
l’organisation du facteur travail. Si le low cost se traduit bien par de fortes baisses de coûts, tout
modèle de réduction des coûts ne peut pour autant se réclamer du low cost.
Une seconde piste consiste à définir le low cost en partant des niveaux de prix : le low cost serait
d’abord une pratique de prix bas (low fare). À nouveau, une telle approche passe à côté de son
véritable objet : le low cost n’a pas le monopole du prix bas, comme en témoignent des pratiques
telles que les promotions, rabais ou soldes. Qui plus est, le low cost n’est pas toujours synonyme
de bas prix. Dans l’aérien par exemple, les prix se révèlent très volatiles selon les dates de
réservation/départ. Le low cost n’a pas aboli la loi de l’offre et de la demande : même avec des
coûts d’exploitation faibles, une compagnie aérienne low cost vend son billet à un prix élevé…
lorsque la demande est forte. De même, le jeu des options et des accessoires, très répandu dans le
low cost, peut faire monter rapidement le prix, que ce soit pour un billet d’avion, une chambre
d’hôtel ou une voiture.
À vrai dire, pour cerner la nature profonde du low cost, il convient de partir de la demande
finale, c’est-à-dire du consommateur. Le low cost est d’abord un modèle qui part des besoins du
consommateur, pour les redéfinir dans le sens d’une simplification à l’extrême. Chaque produit
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et service sont repensés pour être « mis à nu », « découpés », « dépouillés » de leurs fonctions
annexes jusqu’à n’en retenir que le coeur, c’est-à-dire la fonction essentielle, celle qui satisfait
un besoin minimal. À cet égard, le low cost peut être appréhendé comme un retour à la
fonctionnalité première des produits, fonctionnalité dont les producteurs se sont progressivement
éloignés au cours du temps, en multipliant les options et accessoires. Le cas de la voiture low
cost est à cet égard révélateur : la Logan marque d’une certaine manière le retour aux origines de
l’automobile, avec une réhabilitation des notions de fiabilité et de simplicité d’usage. Une
expression revient souvent dans le transport aérien pour caractériser cette redéfinition
minimaliste des besoins : no frills, c’est-à-dire littéralement « sans chichis ».
Le corollaire de la simplification, du redécoupage du produit, c’est l’optionalisation de tous ses
attributs secondaires : tout ce qui est ajouté, en plus du produit de base, est payé en supplément,
pour autant que ce supplément soit proposé. Mais c’est au consommateur de choisir les attributs
qu’il souhaite ajouter. Le low cost est en quelque sorte l’antimodèle de la gratuité : tout a un
prix, donc tout se paye.
[…] Nous avons vu que les compagnies aériennes low cost étaient en mesure d'offrir des billets à
des prix très attractifs, grâce aux baisses de coûts qu'elles réalisent. Mais l'impact du low cost sur
le marché du transport aérien de passagers ne se limite pas à cet effet direct sur les prix. Il existe
également un second impact, plus diffus mais néanmoins puissant, que nous pouvons qualifier
d'« effet concurrence » : lorsqu'une compagnie low cost entre sur une ligne déjà desservie par un
opérateur, ce dernier est souvent contraint de réagir en baissant à son tour son prix. Cet effet se
révèle plus ou moins marqué selon les lignes aériennes et l'intensité de la concurrence entre
compagnies. […]
Dans la mesure où la consommation low cost affecte aujourd'hui une majorité de la population et
n'est pas strictement assimilable à une catégorie de population bien identifiable (que ce soit en
termes d'âge, de revenus ou de niveau d'éducation), il est utile de partir d'une approche
microéconomique, centrée sur l'individu et ses décisions de choix, pour comprendre les
différents comportements de consommation low cost.
Un premier comportement, qualifié de « low cost de substitution », consiste pour un
consommateur à reporter son choix d'un bien ou service traditionnel vers le produit low cost. Par
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exemple, une personne qui achetait une voiture d'occasion décidera pour son prochain achat
d'acheter une Logan. De même, en matière alimentaire, un consommateur substituera un panier
hard discount au panier du supermarché, de manière totale ou partielle : certains produits de base
(farine, produits d'entretien, etc.) seront désormais achetés en hard discount, tandis que les autres
continueront à être achetés dans un magasin traditionnel. L'étude du Credoc [2005b] sur le hard
discount alimentaire confirme cette tendance des consommateurs à multiplier les canaux de
distribution : si la part de marché du hard discount est seulement de 14 %, le taux de
fréquentation atteint 61 %.
Un deuxième comportement consiste pour le consommateur à acheter un produit low cost alors
même qu'il ne consommait pas ce type de bien auparavant (graphique 27). Il s'agit d'une
demande d'induction : la forte baisse du prix crée une demande qui ne s'exprimait pas jusqu'ici.
Les maisons low cost constituent à cet égard un cas d'école : leur mise sur le marché, à un prix
inférieur à 150 000 euros, a permis à des ménages à faibles revenus d'accéder à la propriété, alors
même que cette perspective n'existait pas auparavant.
Ce phénomène d'induction de la demande est également très marqué dans le transport aérien, en
particulier avec des compagnies comme Ryanair qui ouvrent de nouvelles lignes. Près de 60 %
de la demande résultant d'une baisse du prix du billet proviendrait de nouveaux clients. Parmi les
nouveaux clients, plus des deux tiers n'auraient pas voyagé si le prix n'avait pas été attractif.
L'enjeu crucial pour une entreprise low cost consiste à détecter ce prix psychologique à partir
duquel apparaît l'effet d'induction. Par exemple, dans le transport aérien court/moyen-courrier, la
fonction de demande ressemble davantage à une ligne brisée qu'à une droite continûment
décroissante. En effet, lorsque le prix se situe au-dessus d'un certain prix psychologique P*, les
clients renoncent à voyager par avion pour leur agrément et seule la clientèle des hommes
d'affaires subsiste. Lorsque le prix passe en dessous du prix psychologique P*, la demande
explose sous l'effet de l'induction : par exemple pour un prix de 70 euros, la demande fait un saut
de 100 à 400 billets, avant de retrouver une pente négative.
Fonction de demande et effet de seuil.
Un troisième type de demande – qualifié de « low cost de complémentarité » – consiste pour le
consommateur à acheter le produit low cost en complément du produit traditionnel. Tel est le cas
dans l'automobile : l'apparition d'une offre low cost peut conduire certains ménages disposant
déjà d'un véhicule à acheter une voiture low cost comme seconde voiture. […]
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En dépit de son succès commercial, le low cost reste l'objet de vives critiques, accusé de sacrifier
la qualité sur l'autel des prix bas et de prospérer sur le dos de ses salariés. Force est de constater
que la sévérité des jugements et leur caractère tranché contrastent avec le faible nombre de
travaux scientifiques dont nous disposons à ce jour sur le low cost. […]
La réputation de « mauvaise qualité » des produits low cost est de prime abord surprenante, dans
la mesure où elle vient contredire plusieurs constats factuels :
— les études de marché montrent que les consommateurs ne semblent pas prêts à rogner sur la
qualité pour consommer low cost : si la majorité des Français accepte de se passer d'une bonne
présentation des produits ou de disposer d'un choix plus limité de marques, seule une minorité (9
%) accepte une baisse de la qualité en échange d'un prix plus bas. De même, les enquêtes
annuelles du Credoc sur les motivations d'achat des consommateurs font ressortir une constante
sur la période 1993-2008 : le critère d'« hygiène et de sécurité » occupe toujours la première
place devant celui du « prix compétitif » ;
— l'offre de produits low cost est souvent initiée par des opérateurs présents sur des produits de
marque : ainsi, les banques en ligne sont des filiales de grands groupes, tout comme les hôtels,
les magasins de bricolage, les assurances ou la voiture low cost. Il n'est donc pas dans leur intérêt
de négliger la qualité du produit low cost, sous peine de créer un effet de réputation négatif sur
l'ensemble de leurs produits et de leur marque ;
— les consommateurs eux-mêmes estiment que les produits premiers prix sont souvent de
qualité égale aux produits de marque [Credoc, 2005] ;
— les études et tests menés par les associations de consommateurs (UFC Que Choisir ?, CLCV),
pourtant peu amènes avec les producteurs, et les agences publiques d'évaluation ne permettent
pas de conclure à une qualité intrinsèque moindre des produits low cost par rapport à leur
équivalent de marque. Ainsi, dans le cas de l'alimentaire, le Conseil national de l'alimentation
[2010] propose une synthèse des neuf études disponibles sur la qualité nutritionnelle des produits
low cost et conclut : « Les résultats des études examinées ne permettent pas de mettre en
évidence, sauf exceptions, des différences de qualités nutritionnelles significatives entre les
produits "entrée de gamme" et ceux proposés sous marques de distributeurs ou de fabricants. »
Si l'offre low cost rencontre un certain succès auprès des consommateurs, c'est sans doute parce
que ces derniers estiment que, au-delà d'une qualité minimale non négociable, la qualité ne
constitue pas une fin en soi et doit être mise en relation avec le surprix qu'elle occasionne. En
consommant low cost, le client effectue simplement un nouvel arbitrage entre la qualité et le prix
: la diminution de la qualité – réelle ou perçue – est plus que compensée par la baisse du prix, ce
qui signifie que l'utilité du consommateur augmente.
Le graphique illustre ce principe : sur l'axe des abscisses, nous trouvons les différents niveaux de
qualité proposés, tandis que l'ordonnée représente le prix et la disposition maximale à payer d'un
consommateur. En dessous d'un certain niveau de qualité q0, le consommateur n'est pas prêt à
acheter, quel que soit le prix proposé : l'écart entre sa disposition maximale à payer et le prix est
toujours négatif. Ce seuil q0 correspond par exemple à une qualité minimale du produit en
termes de sécurité : aucun consommateur ne sera disposé à payer moins cher un billet d'avion,
dès lors qu'il est informé que la compagnie aérienne est notoirement dangereuse. Nous
retrouvons ici la notion de « qualité non négociable » pour le consommateur. En revanche,
lorsque la qualité devient supérieure au niveau q0, la disposition maximale à payer du
consommateur augmente, mais de manière asymptotique : il est certes prêt à payer plus cher pour
un produit de meilleure qualité, mais l'augmentation de sa disposition à payer augmente moins
rapidement que le niveau de qualité. Si l'entreprise offre une qualité trop élevée (par exemple le
niveau q2), le consommateur n'achète pas le produit car le prix demandé est supérieur à sa
disposition maximale à payer. Sur le graphique 32, l'utilité du consommateur est maximale pour
un niveau de qualité q* : l'écart entre sa disposition maximale à payer et le prix proposé est
maximum en ce point. Une entreprise qui se positionne sur un niveau de qualité q* a donc plus
de chances d'attirer les consommateurs qu'une entreprise qui offre un bien de meilleure qualité.
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Qualité et disposition maximale à payer.
La définition du « bon niveau » de qualité constitue un exercice délicat pour le producteur, pris
entre deux écueils : s'il simplifie trop ou renonce à des attributs de qualité non négociables pour
le consommateur ou, à l'inverse, si le produit inclut trop d'options obligatoires mais non
essentielles, le consommateur risque de ne plus acheter. Le producteur doit donc trouver un «
optimum » de qualité, que ce soit en termes d'options ou de niveau de service.
Le choix de la consommation low cost peut s'interpréter comme un refus de la surqualité
imposée et inutile, au-delà d'un certain niveau de qualité minimal, non négociable : pourquoi
payer pour des caractéristiques non essentielles, des options non souhaitées ? En offrant des
produits toujours plus sophistiqués, les producteurs ont peut-être oublié que, au-delà d'un niveau
minimal, la qualité ne constituait pas une fin en soi. En particulier, l'essor du low cost témoigne
d'une certaine défiance des consommateurs vis-à-vis :
— des stratégies de « package », qui consistent à englober dans un forfait un ensemble de
prestations dont le client n'a pas toujours besoin.
— des stratégies fondées sur un large assortiment de produits : pour les produits répondant à des
besoins considérés comme basiques, l'étroitesse de l'offre peut être préférable à une trop grande
variété. Ainsi, certains consommateurs plébiscitent le hard discount justement parce qu'il permet
de choisir rapidement à l'intérieur d'une catégorie de produits : ce que le consommateur perd en
éventail de choix, il le gagne en temps consacré au choix.
— des promesses de qualité qui ne sont pas tenues par les opérateurs traditionnels : pourquoi
payer cher si la qualité effective n'est pas celle que l'on espérait ? À nouveau, le cas de la banque
de réseau est symptomatique : en échange du paiement d'un forfait annuel, le client s'attend à
disposer d'une agence physique à proximité de son domicile, dans laquelle il peut nouer un lien
direct, régulier et personnalisé avec un conseiller financier. Une enquête par sondage du Credoc
[2010] révèle toutefois un tableau assez différent : 35 % des ménages à revenus élevés se disent
peu satisfaits de la relation avec leur banque. En particulier, le montant des frais de gestion de
compte leur paraît élevé, au regard de la qualité des conseils reçus. […]
Nous nous retrouvons alors face à un paradoxe : comment expliquer que le low cost suscite
autant d'intérêt, de critiques et d'inquiétudes, alors même que sa part de marché, à l'exception de
l'aérien et (dans une moindre mesure) du hard discount alimentaire, reste somme toute assez
modeste ?
En premier lieu, la faible part de marché du low cost ne reflète en rien l'importance réelle qu'il
revêt dans les choix quotidiens des consommateurs. Le low cost touche aujourd'hui l'ensemble de
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la population, même s'il l'affecte de manière très différenciée. Le low cost n'a pas de public
vraiment dédié : quel que soit son âge, sa catégorie socioprofessionnelle, le niveau de ses
revenus, chacun utilise de manière plus ou moins importante le low cost. Si l'on reprend
l'exemple du hard discount, sa part de marché au niveau national ne dépasse certes pas les 14 %,
mais plus de 70 % des Français disent le fréquenter au moins occasionnellement, soit à titre de
magasin principal, soit à titre de magasin de complément. Le même consommateur qui n'est pas
adepte du hard discount pourra cependant utiliser le low cost aérien ou ouvrir un compte dans
une banque low cost.
En second lieu, même avec une part de marché limitée au sein d'un secteur, le low cost exerce,
par les prix bas qu'il pratique, une pression concurrentielle très forte sur les entreprises installées.
En réalité, s'il y a bien une victime « collatérale » du low cost, il faut sans doute la rechercher du
côté des insiders, dont les positions acquises se voient déstabilisées par l'irruption de ce nouveau
modèle économique. En pratiquant des prix bas, en modifiant radicalement les contours du
besoin satisfait, le low cost vient bousculer les frontières établies et instaurer un nouveau
benchmark, à l'aune duquel les performances des opérateurs installés sont désormais évaluées.
Par une sorte d'inversion des rôles, ce sont les opérateurs installés qui sont aujourd'hui mis en
demeure de justifier, de légitimer aux yeux des consommateurs leur prix, leur valeur ajoutée
(…).
D'un point de vue économique, le low cost peut être appréhendé comme un choc de productivité,
une innovation à la fois organisationnelle et de produit, qui vient déstabiliser les équilibres
établis, redéfinir les contours d'un secteur, redynamiser la concurrence. En ce sens, le low cost
participe au mouvement perpétuel de « destruction créatrice », que l'économiste Schumpeter
avait identifié comme étant l'essence de toute économie de marché.