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Au temps du protectorat, les Françaisn’avaient pas osé le tenter. A leurs

débuts, les voisins les prenaient pour desoriginaux. Produire du vin en pays khmer,

tel est le pari un peu fou relevé par uncouple de pionniers. Bienvenue au

domaine du «Phnom Banon», l’uniquevignoble du Cambodge…

Aune vingtaine de kilomètres deBattambang, dans l’Ouest du royaume, des

plantations insolites aiguisent la curiosité, tantdes locaux que des touristes de passage.Nichées entre des carrés de rizières, se dres-sent des rangées de vignes bien alignées, etpour un peu, on se croirait dans un village duMidi, mis à part les palmiers à l’arrière-plan. La région est particulièrement fertile, toutsemble pouvoir y pousser. C’est peut être cequi a donné l’idée à Chan Thai Chhoeung etson épouse Leny Chan Thol d’abandonner laproduction d’oranges pour la vigne.

Vignerons autodidactes«Après s’être lancé dans la culture du raisin,nous avons décidé de faire du vin, un peupar hasard !» lance, sourire aux lèvres, lapropriétaire. Le couple plante ses premières vignes en1999 avec des pieds importés de Thaïlandepuis de France. Armés de dictionnaires, lesdeux profanes traduisent des ouvragesétrangers traitant de viticulture et d’œnolo-gie et dégustent de vins importés d’Europeet d’Australie. «Le goût est très fort, diffé-rent de ce qu’on a l’habitude de boire par

ici. Il nous a fallu du temps avant de pou-voir apprécier…», se rappelle la vigneronne.

Le Cambodge en bouteilleEn 2004, avec seulement cinq tonnes de rai-sin dans les seaux, le couple expérimenteune première cuvée, un rosé. Il sera suivideux ans plus tard pas un rouge, mélange deSyrah et de Cabernet Sauvignon. Avec letemps, une dizaine de cépages rejoignentles rangs de l’exploitation. Parcourant sondomaine, Leny Chan Thol dévoile ses tré-sors: «Chenin blanc de France, Black Queend’Australie, Kyoho du Japon,… ». Des plants importés des quatre coins duglobe mais qui s’adaptent étonnammentbien au climat local. Suivant les années, lesexploitants produisent de 8.000 à 10.000bouteilles et sont aujourd’hui à la tête deprès de 5.000 plants qui s’étendent surdeux hectares.

Viticulture de l’extrême Avec un climat tropical et des températuresqui ne descendent jamais en dessous desvingt degrés, le cycle végétatif de la vignene s’arrête jamais. La récolte est donc pos-sible tout au long de l’année, au risqued’épuiser les vignes.Du fait de la chaleur omniprésente, la

DES VIGNES AU PAYS DES

RIZIÈRES

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macération et le stockage du vin sont loin d’être une sinécure.Faute de moyens financiers suffisants, les vignerons sont devenusles «rois du système-D», utilisant des techniques artisanales quichoqueront les puristes.Ainsi, le jus de presse est d’abord recueilli dans des bidons en plas-tique pour un premier détrempage. Ensuite, il est transféré dans delarges cuves métalliques, auxquelles on incorpore un savant dosagede copeaux de chêne, importés de France. Un procédé économique,souvent utilisé dans les vignobles du bout du monde, afin d’éviterles coûts d’importation de véritables barriques.Une fois embouteillé, le vin est stocké dans des bacs à sable rem-plis d’eau afin de conserver la température la plus basse possible.

L’instant de vérité A l’ombre d’un bougainvillier, l’unique vigneronne du pays faitdécouvrir la production familiale aux visiteurs de passage dans larégion. Au vu du parcours atypique qu’a subi le vin, le visiteur a desraisons d’être sceptique. Mais le rouge de Syrah et de CabernetSauvignon (millésime 2006) , est plus que buvable. Une robe élégan-te, plus pourpre que véritablement rouge. Une fraîcheur indéniable,avec des arômes de fruits rouges qui flattent le nez, il présente desqualités évidentes.

Certes, il n’a pas beaucoup de corps et tombe vite en bouche. Lesamateurs de grands crus seront certainement déçus, mais tel n’estpas l’objectif premier des propriétaires du Phnom Banon. Leur idéeest de proposer un vin aux saveurs locales, pour une clientèle loca-le. Et qui sait si un jour, au Cambodge, les vignes feront de l’ombreaux rizières…

Benjamin Vokar

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