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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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Eric Vasseur

Agrégé en Sciences sociales

Maître de Conférences en Sciences économiques

à la Faculté d’économie et de gestion

de l’Université de Picardie Jules Verne

Economie de l’innovation et du progrès technique.

Introduction

Le 20ème siècle s’est achevé avec le boom des technologies de

l’information, la diffusion de l’Internet, de la téléphonie portable, innovations

sur le point de révolutionner, une fois de plus, le siècle qui a connu les plus

grandes mutations technologiques de tous les temps.

Imaginons quelques instants, le vertige que pourrait éprouver Jules Verne,

figure emblématique de notre Université, s’il revenait constater les progrès de la

science aujourd’hui.

Sans doute éprouverait-il des sentiments emprunts de joies et d’amertume,

en constatant que la conquête spatiale n’est plus une gageure, que la maîtrise des

airs est acquise et que l’exploration des fonds marins est banalisée. Mais les

applications militaires de toutes, ces innovations qu’il pressentait déjà à la fin de

son œuvre, lui procureraient un effroi certain. Si le sous-marin du capitaine

Némo, imaginé dans Vingt mille lieux sous les mers, a trouvé sa concrétisation

dans les explorations du commandant Cousteau, l’application militaire de cette

innovation, en a fait des sous-marins d’attaques nucléaires. Le réel dépasse

largement la fiction dans le rêve comme dans le cauchemar.

Le 20ème siècle a vu se développer et se généraliser un nombre très important

d’inventions en gestation au siècle précédent, qu’il s’agisse de l’automobile, de

l’aéronautique, de l’électricité, du cinéma, etc. La liste ne peut être exhaustive

tellement elle est longue.

Pourquoi le 21ème siècle dérogerait-il à cette dynamique ?

Laissons quelques instants divaguer notre imagination. Pourquoi l’homme

de la fin du 21ième siècle, ne se déplacerait-il pas grâce à la téléphonie, permise

par l’extension des multiples fonctions d’un outil dont le téléphone portable était

au début du siècle, le grand ancêtre. Mais bien sûr, ce même outil devenu un

excellent traceur des déplacements, aurait attenté aux libertés individuelles

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confirmant les prémonitions de Georges ORWELL dans son ouvrage 1984

publié en 1948. Cette anticipation d’un futur par définition incertain et

imprévisible à moyen et long terme est sans doute fausse et pourtant….

Confrontés au choc du progrès technique, partagés entre espoirs et craintes, nous

sommes à la fois les acteurs et les sujets de l’innovation, qui nous transforme

dans nos modes de vie, de travail et de penser.

L’innovation recouvre une réalité polymorphe à l’image de la nature humaine.

Dès lors, y a-t-il une discipline qui peut revendiquer une capacité explicative et

analytique supérieure aux autres ? Nous en doutons.

Qui peut le mieux en parler et rendre compte de sa complexité ?

Le philosophe, l’économiste, le sociologue, le mercaticien, le juriste, l’homme

politique, le psychologue, l’ingénieur, le chef d’entreprise, le salarié, le

consommateur, tous, à juste titre peuvent produire une analyse pertinente du

processus d’innovations, mais aucun d’entre eux ne peut imposer sa conception.

Mais faute de pouvoir tous les convoquer pour en parler, nous avons

délibérément fait le choix de privilégier les approches économiques et sociales

de l’innovation, car elles correspondent à l’éclairage que nous souhaitons donner

à ce cours.

De plus, face à l’immensité de notre champ d’étude, l’économie de l’innovation

et surtout face à notre incapacité intrinsèque à prévoir son évolution, nous avons

pris le parti d’une approche théorique du sujet, car comme le disait le

psychologue américain Kurt LEWIN (1890 – 1947) :

"Rien n’est plus pratique qu’une bonne théorie ".

C’est pourquoi, nous estimons que face à une discipline comme l’économie de

l’innovation aux contours évolutifs et incertains, la condition première à sa

bonne compréhension est la connaissance de l’ensemble des théories

économiques afférentes au sujet.

Une fois, ce travail réalisé, nous pouvons entreprendre le travail de recherche

nécessaire et indispensable à la bonne compréhension et maîtrise de notre

environnement économique, social, technique.

Mais avant d’exposer la structuration de cours, effectuons un détour par les

définitions.

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Comment définir l’innovation ?

L’innovation est très souvent définie comme la mise en application d’une

innovation, résultat du progrès technique.

A l’image des poupées russes, nous faisons face à des définitions imbriquées,

l’innovation étant définie par rapport à l’invention et l’invention par rapport au

progrès technique.

Commençons donc par définir le progrès technique.

La notion de progrès revêt une double dimension, son étymologie fait valoir

l’action d’avancée tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif.

Il s’agit du concept central de la philosophie des lumières et des courants

évolutionnistes qui adhèrent à la croyance du perfectionnement global de

l’humanité. En se développant, la société évolue vers "le mieux" grâce aux

progrès des techniques, de la science, à l’accroissement des richesses, à

l’amélioration des mœurs, des institutions, fruits du progrès de l’esprit humain.

Le progrès économique s’inscrit dans cette approche, où se conjuguent

accroissement quantitatif des richesses et meilleure efficacité d’utilisation des

ressources. Mais le progrès économique entraîne t-il le "mieux être " ?

Il faut donc lui adjoindre, le progrès social, qui ne s’apprécie pas uniquement

quantitativement. L’accroissement du niveau de vie, du bien être matériel,

doivent aussi intégrer des aspects qualitatifs comme les conditions de travail, le

genre de vie, la diffusion du savoir et de l’instruction au plus grand nombre.

Dès lors, le progrès scientifique, le progrès économique et le progrès social se

conjuguent. Le progrès technique constitue donc un terme général qui englobe le

progrès scientifique dont les inventions entraînent des transformations ou des

bouleversements des produits, des méthodes de production, de l’organisation du

travail, des marchés et des structures de l’économie.

Le progrès technique permet d’augmenter l’efficacité des facteurs de production,

soit par un accroissement de leur productivité, soit par la réalisation

d’économies. Ainsi, il est possible d’économiser des matières premières, de

l’énergie ou d’utiliser moins d’hommes, économiser de la main-d’œuvre (labor

saving) ou d’économiser des machines, du capital (capital saving) ou d’accroître

l’efficacité productive des facteurs travail et capital.

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Mais l’invention, la découverte, la création d’un produit doit alors s’inscrire

dans un processus d’innovation. Cette innovation s’inscrit dans un système

économique et social où elle s’impose grâce à un processus de diffusion.

Ainsi la transformation de l’invention en innovation, obéit à un certain nombre

de conditions et le succès de l’innovation dépend de sa capacité de diffusion

économique et sociale.

Ces premières définitions posées, nous allons désormais approfondir ce sujet

dans la première séquence de notre cours qui en compte en cinq, qui sont les

suivantes :

Plan du cours :

Séquence 1 : Les énigmes à résoudre par l’économiste pour aborder

l’innovation.

Séquence 2 : L’innovation dans la théorie économique « classique ».

Séquence 3 : La révolution théorique schumpétérienne.

Séquence 4 : La théorie économique actuelle face à l’innovation.

Séquence 5 : La théorie standard actuelle face à l’innovation et sa principale

théorie alternative.

Séquence 6 : Les entreprises innovantes aujourd’hui.

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Séquence 1 :

Les énigmes à résoudre par l’Economiste.

Pour un économiste, étudier, analyser, comprendre le rôle de l’innovation

et du progrès technique n’est pas chose aisée. En effet au-delà du sujet lui-

même, il est d’emblée confronté à relever des défis et à résoudre des énigmes

dont l’outil d’analyse dont il dispose n’est pas à priori adapté. Au-delà de toute

conception idéologique, imaginons un économiste qui tel un astronome devrait

observer des planètes à des années lumière à la loupe ou qui d’intuition aurait la

conviction de l’existence d’un nouvel astre mais serait tributaire des conceptions

et des préjugés de son époque, la tâche s’avère particulièrement complexe.

Il faut prévoir dans un avenir de plus en plus incertain les destinées d’un

processus lui-même incertain, tel pourrait être résumé le défi que doit relever

l’économiste face au progrès technique.

Il doit en plus faire abstraction de ses propres émotions, espoirs, craintes ou

croyances que lui inspire l’innovation. Tout progrès génère sa cohorte

d’avancées, d’améliorations, d’asservissements et de cataclysmes. Nous savons

après les deux conflits mondiaux du XX ème siècle que contrairement aux

attentes de Jules Verne, le nautilus ne sert pas uniquement à l’exploration des

fonds marins, que si le capitaine Cousteau et son équipage ont largement

contribué à la compréhension et la préservation de la planète, les puissances

nucléaires ont transformé les sous-marins en arme redoutable. Mais c’est depuis

l’origine de l’humanité le cours habituel du progrès car si son initiateur et son

utilisateur sont capables des plus belles réalisations et ils peuvent aussi se livrer

aux horreurs les plus abominables.

Le rôle de l’économiste n’est pas de porter un jugement moral sur l’innovation

et le progrès technique, il se limite à en percevoir les effets sur le bien-être des

individus, les implications pour les entreprises et la main d’œuvre, les impacts

sur la concurrence et l’évolution des systèmes économiques.

Mais avant d’entreprendre une telle tâche, il nous faut mener une enquête au

sens smithien et humien du terme. Lorsque le premier rédigeait Inquiry on the

origin and the causes of the wealth of nations traduit en français par Recherche

sur les causes de la Richesse des nations et le second publiait Inquiry on human

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nature traduit par Enquête sur la nature humaine, tous deux se livraient à un

enquête, il est vrai que le mot inquiry peut être traduit par enquête ou recherche.

Si a priori cette nuance sémantique semble dérisoire, elle n’est pas comme le

dirait Wittgenstein un simple jeu de langage car pour aborder l’innovation, il

nous faut mener une enquête et percer un certain nombre d’énigmes.

Nous limiterons pour l’instant notre champ d’investigation à la résolution de

trois énigmes récurrentes lorsque l’on aborde notre objet d’étude, qui peuvent

être énoncées ainsi :

Première énigme : Comment conceptualiser le temps ?

Seconde énigme : Comment conceptualiser l’incertitude ?

Troisième énigme : Comment l’innovation va-t-elle être reçue ?

En 1939, Joseph Aloïs Schumpeter publiait un ouvrage majeur pour le

développement de la science économique, intitulé : "Business Cycles: Theorical,

historical and statistical analysis of the capitalist process ".

A partir des travaux de l’économiste russe Nicolaï Dimitrievitch Kondratiev qui

en 1925 avait publié un article intitulé "Les grands cycles de la conjoncture" et

révélait l’existence de cycles économiques de longue période, Schumpeter allait

montrer le synchronisme et la concomitance entre le battement de l’activité

économique à long terme et le rôle des innovations technologiques.

Chaque phase ascendante du cycle correspondant au développement d’une

innovation majeure, ainsi la première phase (1792 – 1815) voyait l’émergence

de la sidérurgie et du textile. La seconde (1847/49 – 1873) correspondait au

développement du chemin de fer, la troisième (1896 – 1920) au règne de

l’électricité.

Les continuateurs ont attribué à l’automobile et au pétrole, la quatrième phase

(1945 – 1975), fameuse "Trente Glorieuses" de Jean Fourastié.

La cinquième phase a sans doute commencé vers la fin des années 1990, avec

les technologies de l’information, de la téléphonie et de l’Internet.

L’innovation et le progrès technique s’affirment comme des facteurs moteurs de

la dynamique d’évolution des économies mondiales.

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Mais s’agit-il de facteurs exogènes qui comme le "Deux ex machina" de théâtre

grec, qui tombent du ciel ou un processus endogène voulu consciemment ou

inconsciemment par les acteurs et les marchés ?

La question du statut endogène ou exogène de l’innovation pour les

économistes pose d’emblée une autre question, celle du choix du cadre

conceptuel à retenir pour appréhender toute démonstration analytique ou toute

étude monographique.

Supposons que nous élaborions un raisonnement à court terme, puisqu’aux dires

de Keynes "à long terme nous serons tous morts", ou en vertu de cette

locution prudentielle "toutes choses égales par ailleurs ", nous établissons un cadre

d’analyse où le progrès technique est neutre, c'est-à-dire qu’il ne produit pas de

modifications sur la réalité étudiée ou l’objet cerné. La neutralisation de

l’innovation et du progrès technique, se justifie puisque nous travaillons à court

terme.

Inversement, à long terme, cette neutralisation devient une hypothèse de travail

très réductrice et irréaliste puisque le progrès technique aura produit nombre de

modifications du réel, qui doivent être intégrées.

Mais cette transposition s’avère particulièrement délicate pour l’économiste car

une projection à long terme, fragilise la portée de son analyse et le range parfois

parmi les prédicateurs et autres voyants, qui tentent de prévoir l’avenir.

Cette projection dans le futur le conduit à essayer de prendre en compte des

éléments qu’il ne maîtrise pas totalement. En effet, travailler à long terme, c’est

aller vers l’inconnu, c’est intégrer le temps et l’incertitude, c’est aussi aborder

une énigme majeure le progrès technique lui même.

Comment pouvons-nous conceptualiser le temps et l’incertitude pour saisir le

processus d’innovation ?

Pour répondre à cette question, voyons comment les autres champs

disciplinaires les ont abordés.

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Première énigme à résoudre :

Comment conceptualiser le temps ?

En Sciences Physiques, deux conceptions du temps ont été

développées, celle de Newton puis celle d’Einstein.

Pour Newton, le temps est un absolu qui a une réalité propre et extérieure aux

phénomènes.

Pour Einstein, le temps n’est pas un absolu, même s’il a une réalité propre, il est

inhérent aux phénomènes.

Selon "la loi de la relativité restreinte ", plus vite un corps se déplace, plus le

temps pour lui ralentit, jusqu’à s’arrêter quand sa vitesse tend vers C, vitesse

limite de la propagation de la lumière et de tout déplacement d’un corps.

(Constante universelle C= 300 000 km/s).

Selon "la loi de la relativité générale ", deux observateurs animés de

mouvements différents n’ont pas la même échelle de temps ; celle-ci est relative

à leurs vitesses respectives et elle est fonction de l’intensité du champ

gravitationnel dans lequel ils évoluent.

Quelles implications de ces enseignements pour l’économiste ? Nous pouvons

retenir que le temps n’est pas un cadre dans lequel se déroulent les phénomènes,

il est inhérent aux phénomènes.

Nous ne devons pas penser le temps comme une réalité englobante et extérieure

mais comme inhérent à l’objet étudié.

Ainsi lorsqu’un économiste pense la durée de vie d’un produit, d’une méthode

de production, s’il est conduit à intégrer leur usure et leur obsolescence, il doit

considérer leur propre temporalité.

La philosophie attribue au temps, trois éléments qui sont : l’intériorité, la

relativité et l’ouverture.

Selon Bergson, il n’y a de temps que celui que l’homme éprouve, la durée

"donnée immédiate de la conscience ".

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Le temps s’écoule selon un rythme plus ou moins lent ou rapide, selon l’action

ou l’inaction, leurs perceptions, selon le plaisir ou l’ennui.

Nous intériorisons le temps par notre subjectivité. L’attente d’un correspondant

au téléphone, l’attente à la caisse d’un hypermarché, l’écoute d’un discours, le

cours d’un enseignant, suscite de notre part des réflexions du type :

Qu’est ce que c’était long ! Ça a passé vite ! Je n’ai pas vu le temps

passé ! C’était mortel !

La séquence orale d’un cours dure une ou deux heures et l’appréciation du

temps passé pour l’auditeur n’est pas la même selon la matière enseignée, la

méthode employée, l’intérêt perçu pour la discipline, le degré de facilité ou de

complexité perçu par chacun, la performance révélée par l’évaluation, la plage

horaire dans la journée, le caractère attrayant ou austère des locaux etc.

Tous ces éléments confirment l’intériorité et la relativité du temps pour chacun

d’entre nous. Comme l’écrivait Gilles Deleuse dans l’Image du temps (1985) :

"C’est nous qui sommes intérieurs au temps non l’inverse ".

Nous ne vivons pas dans le temps, nous vivons le temps. Notre condition

humaine nous empêche de nous soustraire au temps, à cause de notre statut de

mortel. L’immortalité supposée de Dieu ou des Dieux, opère une soustraction

voire une domination divine du temps, sauf à supposer comme Nietzsche que "Dieu est mort ".

La mort donne au temps une finitude. Pour l’homme, un jour le temps s’arrête

définitivement, pour l’éternité. La mort étape ultime d’une vie et d’un cycle

biologique implacable révèlè par Œdipe au Sphinx, par le bébé marchant à

quatre pattes, l’homme adulte sur deux jambes et l’homme âgé se déplaçant à

l’aide de sa canne. Simultanément la nature impose son cycle à l’homme et un

déterminisme fatal.

Au quotidien, le temps marque des périodes dictées par la nature pour la vie de

l’homme. Dans une journée, il nous faut assurer le bon fonctionnement de

l’organisme, en nous consacrant des temps pour l’alimentation, le repos, et le

sommeil. Ce cycle circadien s’impose à l’humanité.

De même, les cycles circannuels rythment la vie à chaque époque de l’année, la

nature impose ses saisons, printemps, été, automne, hiver selon une certaine

régularité.

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Mais si l’homme vit et subit le temps, les sociologues nous montrent qu’il le

construit, comme l’a démontré Emile Durkeim dans "Les formes élémentaires de

la vie religieuse".

Chaque société construit son temps et affirme une pluralité des temps sociaux au

sein d’une société.

Le temps scolaire illustre cette construction sociale. A quel âge, la société décide

t-elle qu’il faut avoir tel diplôme ? Quel sens, cette périodisation du temps pour

l’élève et l’étudiant a t-elle en dehors du système scolaire qui l’impose ?

Le temps du travail constitue un autre exemple de cette construction sociale. A

quel âge doit-on quitter la vie active et devenir inactif ? Doit-on imposer ou

laisser chacun choisir, le moment du départ ?

La conception même de l’age d’un homme renvoie explicitement à un processus

de socialisation. Qu’est-ce que la jeunesse ? Qu’est-ce que la vieillesse ? A quel

âge est-on vieux ? Ne s’agit-il pas comme l’affirme Bourdieu, de simples mots.

Peut-on rester longtemps jeune ?

Le temps est-il orienté, a-t-il un sens ?

Nous représentons fréquemment le temps par une ligne, où se succèdent des

étapes. Cette représentation linéaire du temps, nous en faisons une flèche, qui

vise une cible. Cette représentation correspond très souvent à un exposé

déterministe, un évènement A entraîne un évènement B, qui lui-même génère

l’évènement C.

Cette conception de l’Histoire, présentée notamment par Hegel, laisse

transparaître l’exercice d’une logique de causes et de conséquences. Or, parfois,

certains évènements surviennent sans que l’action humaine soit en cause. Le

temps s’oriente t-il vers le retour à un état initial ou présente t-il un caractère

irréversible ?

L’ensemble de ces conceptualisations du temps devront être prises en compte,

lorsque l’économiste va conceptualiser à long terme, le rôle du progrès

technique et de l’innovation, prises en compte lors du développement de

l’innovation.

En effet, à ce stade de notre exposé, pour la première définition que nous

pouvons énoncer de l’innovation consiste à la qualifier d’applications

industrielles et commerciales d’une invention.

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L’innovation est le résultat d’une invention donc d’un processus qui s’inscrit

dans le temps.

Si nous optons pour une représentation linaire de ce processus chronologique,

nous trouvons en premier lieu, la recherche fondamentale ou appliquée,

privée ou publique qui aboutit, ce qui n’est pas forcément le cas, première

perception de l’incertitude du résultat, à une invention.

Cette seconde étape du processus, nécessite la réalisation d’un ensemble de

tests, d’études qui éprouvent la faisabilité, la rentabilité, l’accueil, le débouché

où un ensemble de contraintes de diverses natures, physiques, économiques,

écologiques, sociales, morales, politiques etc.,

Une fois encore, cette phase prend un "certain temps" et se révèle incertaine.

Cette étape nécessite une dépense de moyens financiers, techniques, humains, en

d’autres termes, un investissement dont l’initiateur cherchera le retour sur

investissement.

Cette invention résultat de la découverte concrétise donc un investissement dont

la rentabilité s’avère à priori incertaine et aléatoire. Une découverte peut rester

lettre morte pour ses contemporains qui n’en perçoivent pas l’importance ou

dont l’état des savoirs ne leur permet pas de lui donner une application pratique

et immédiate.

Mais la découverte dont la vocation immédiatement applicable est comprise,

devient une invention qui elle-même se transforme en innovation, une fois,

l’ensemble des contraintes techniques, industrielles et commerciales surmontées.

L’innovation se présente comme l’histoire d’une métamorphose.

La phase de développement confirme ou infirme le lancement de cette

innovation pour une production de masse et une commercialisation de masse.

Mais cette représentation linéaire du processus d’innovation dans le temps, quasi

déterministe peut se doubler d’une lecture séquentielle.

C’est à partir de la mise en relation de deux découvertes, de deux méthodes, de

deux champs disciplinaires, qu’une accélération du processus d’innovation peut

notamment s’opérer et parfois la vie d’un homme s’avère trop courte pour que le

processus amorcé, aboutisse pour son initiateur.

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Le processus d’innovation est donc diachronique. Il a sa propre temporalité qui

ne s’inscrit pas forcément en phase avec l’évolution conjoncturelle des

économies, le développement des sociétés et le quotidien des individus.

Ce processus d’innovation dont la manifestation présente un caractère aléatoire,

possède aussi une dimension incertaine.

En effet, l’innovation de part sa durée de vie inconnue à priori, s’avère elle-

même subir l’incertitude alors qu’elle-même est productrice d’incertitude.

Si nombre d’innovations ont eu, ont, auront, un rôle moteur pour la croissance

économique, elles opèrent selon une logique déstructurante et structurante,

qualifiée par Schumpeter de processus de "destruction créatrice".

Le rôle particulier joué par l’incertitude doit donc être intégré par l’économiste

dans son travail de conceptualisation de l’innovation.

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Seconde énigme à résoudre :

Comment conceptualiser l’incertitude ? Le progrès technique et l’innovation sont à la fois soumis à l’incertitude et à des

facteurs producteurs d’incertitude.

Cette incertitude s’inscrit dans le temps, le futur. Dès lors, un futur proche

s’avère relativement aisé à prévoir, alors qu’un futur lointain, s’avère lui

totalement incertain et presque imprévisible.

En situation d’incertitude radicale, la rationalité des agents les conduit soit à ne

rien faire, soit à calculer les coûts et les avantages prévisibles d’une action dans

un tel contexte, soit à opter pour le mimétisme car si je sais que je ne sais rien,

peut être que les autres en savent plus que moi. Une autre possibilité consiste à

envisager différents états du monde et à chaque scénario, lui attribuer une

probabilité de réalisation.

Ainsi, nous pouvons dresser selon les degrés d’incertitude, l’innovation qui lui

correspond et donner un exemple pour illustrer notre propos :

Situation 1

Incertitude nulle – certitude.

Absence d’innovation.

Situation 2

Incertitude très faible, quasi nulle.

Innovation incrémentale, mineure : légère ou simple amélioration.

Exemples : Modification de l’emballage, le rasoir à x lames auquel

on ajoute une lame supplémentaire.

Différenciation du produit.

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Situation 3

Faible degré d’incertitude

Innovation incrémentale sophistiquée

Exemples : le téléphone portable, amélioration de la qualité de

l’image grâce à un écran de meilleure résolution pour réception

d’images animées.

Situation 4

Degré moyen d’incertitude.

Innovation forte sur une nouvelle génération de produits connus.

Exemples : lancement d’un nouveau jeu de hasard par la Française des

jeux : Euromillions ou renouvellement d’un modèle automobile

"la nouvelle Clio", "la nouvelle Polo" etc.…

Situation 5

Degré élevé d’incertitude.

Innovation radicale de produits ou procédés.

Exemples : Monospace, Espace Renault, nouveau concept car, la

Twingo ou la Smart. Apple : le mac, dont le design et les logiciels

spécifiques opérent une rupture avec l’existant.

Situation 6

Incertitude totale, radicale.

Révolution technologique.

Exemples : Machine à vapeur, électricité, automobile, les

technologies de l’information.

L’impact de l’innovation sur le système économique, sur la société et sur les

individus, renvoie à deux grandes catégories d’innovations :

Les innovations incrémentales ou mineures,

Les innovations radicales ou majeures.

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Les innovations incrémentales ou mineures, portent le plus souvent sur le

perfectionnement ou l’amélioration de l’existant. A titre d’exemple, depuis son

invention par Graham BELL en 1876, le téléphone, innovation radicale en

matière de communication à distance et immédiate a connu de nombreuses

innovations incrémentales.

Le combiné téléphonique a vu des innovations incrémentales, modifier son

apparence, ses performances par des améliorations permanentes sur le haut

parleur, l’écouteur, le clavier, le cadran d’affichage.

Mais la mobilité réduite du téléphone fixe, tributaire de la longueur du fil qui le

reliait en branchement de la ligne téléphonique a été sensiblement améliorée par

l’apparition d’une nouvelle génération d’appareils mobiles, mobilité certes

réduite mais effective.

Les recherches entreprises pour améliorer cette mobilité ont conduit à sa

résolution avec l’apparition de nouveaux téléphones, cette fois-ci complètement

autonomes, téléphones portables.

Ce nouvel objet, bien qu’il s’agisse toujours d’un téléphone bouleverse

profondément l’usage du téléphone, en donnant naissance à de nouvelles

pratiques et en donnant accès à de nouveaux services. Le SMS ou texto s’impose

comme un mode de communication alternatif avec ses adeptes et son langage.

A priori, il s’agissait d’accroître la mobilité d’un produit existant. Désormais il

s’agit d’une innovation majeure.

L’innovation majeure ou radicale correspond à l’apparition d’une innovation

pour laquelle il n y a pas d’équivalent préexistant, présentant les mêmes

caractéristiques. Certaines de ces innovations radicales engendrent de véritables

révolutions technologiques et économiques en déstructurant une situation

existante et en provoquant une nouvelle structuration.

Ainsi, la mécanisation de l’agriculture en Europe au XIXème siècle a

déstructuré l’emploi la vie agricole, l’exode rural a alimenté l’urbanisation et

l’industrialisation, entraînant une déstructuration et une restructuration des

territoires et des systèmes d’emplois.

Ce processus s’est opéré sur plus d’un siècle et a généré une croissance

économique qui selon Alfred Sauvy : "Au XIXème siècle, le progrès

technique a crée plus d’emplois qu’il n’en a détruits ". Quel

oracle aurait pu prévoir que la révolution industrielle aurait comme préalable la

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révolution agricole et que le paysan en faisant l’acquisition de sa moissonneuse

batteuse allait redessiner la structuration de son secteur, de son village et de son

pays.

Le processus d’innovation s’avère donc particulièrement difficile à cerner et

conceptualiser pour l’économiste. Nous ne connaissons ni le moment précis de

son déclenchement, ni sa durée de vie, ni sa vitesse de diffusion, ni sa capacité

d’essaimage, autant d’éléments qui expliquent que par commodité ou honnêteté

intellectuelle, ce processus ait été neutralisé par les économistes.

Le premier qui a entrepris d’élucider cette énigme fut Joseph Aloïs Schumpeter.

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Troisième énigme à résoudre :

Comment l’innovation va-t-elle être reçue ? La problématique des économistes consiste le plus souvent à appréhender

l’innovation du côté de l’offre et à établir à son sujet une loi de Say implicite.

Si comme l’avait jadis expliqué Say, "un produit terminé offre dès cet instant un débouché à d’autres produits pour tout le montant

de sa valeur", cette loi de Say dite des débouchés, résumée par Keynes en

ces termes "l’offre crée sa propre demande", en matière d’innovation,

les économistes font le plus souvent l’hypothèse qu’un nouveau produit trouve

un nouveau débouché et que l’innovation crée sa propre demande.

Or cette automaticité de la causalité doit largement être relativisée à partir de la

réception de l’innovation par la société et en particulier par l’homme.

Cette perception se place sur le plan des opportunités et des menaces, et sur le

plan des coûts et avantages perçus par la société et l’homme.

En effet si d’un point de vue économique, l’impact de l’innovation donnera lieu

à une modification de l’emploi et de la consommation. L’innovation produit

aussi ces impacts sociaux et psychologiques.

Quelle place assigne t-elle à l’homme dans le procédé de production, quelle

place occupe t-il alors dans la société, dans l’entreprise, dans sa famille, dans

l’espace économique et dans l’espace domestique ? Quelle perception a-t-il de

cette évolution ?

L’approche habituelle des économistes consiste à privilégier les analyses

centrées sur l’entreprise, sa stratégie en matière d’innovation. Mais Schumpeter

lui-même avait bien précisé qu’il s’agit aussi d’un processus social.

A priori deux traditions économiques avaient abordé l’innovation et le progrès

technique dans toutes ses dimensions économiques, sociales, politiques et

psychologiques, issues du courant "classique", l’une à priori optimiste

nourrissant de réels espoirs, l’autre pessimiste voyant les effets négatifs et saisie

d’une peur panique.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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L’espoir était placé dans la réduction de la pénibilité du travail, l’amélioration

du bien-être des individus par des éléments de confort et de bien être matériel

pour les consommateurs.

La peur résidait sur le plan économique par le fait que la machine devenait un

concurrent de l’homme. Au lieu d’être au service de l’homme, la machine le

chassait des champs et des entreprises. Elle le condamnait au chômage dit

technologique.

Pour d’autres, l’évolution des techniques de production dépossédait l’homme de

son savoir et savoir-faire par la multiplication des tâches répétitives, tâches

d’exécutions dépourvues d’intérêt intrinsèque mais rendant les individus

parfaitement substituables les uns aux autres. L’innovation sacrifiait l’homme.

Le danger militaire de l’innovation était déjà connu de tous puisque l’homme a

toujours fait preuve d’une aptitude remarquable à trouver des moyens nouveaux

pour tuer ses semblables. Cette méfiance, par le passé, certains gouvernants l’ont

ouvertement exprimée, d’abord l’Empereur Dioclétien au IIIème siècle refuse

une machine qui économise de la main-d’œuvre car il faut conserver l’ouvrage

aux esclaves, leur oisiveté nuirait à l’Empire romain. De même Colbert indique

clairement à un inventeur qu’il aille porter son invention là où l’on manque de

bras, car il doit veiller à occuper le peuple et qu’il puisse vivre de son travail.

Les révolutions industrielles sont aussi marquées par des révoltes d’ouvriers qui

cassent les machines. Ces réactions de dépenses brutales de leurs emplois

commencent en Angleterre avec le leader Ned Laddham. Ce mouvement prend

le nom de Laddisme, au XVIIIème siècle.

En France, il s’agit des luddites, les ouvriers détruisent les machines de peur du

chômage de 1815 à 1830, la révolte des canuts de Lyon en 1831 en est un

exemple célèbre. La gendarmerie doit escorter les convois de machines pour

empêcher les véritables opérations commandos organisées par les ouvriers. La

dimension destructrice est d’emblée perçue, l’innovation, le progrès technique

économise du temps de travail, la productivité globale augmente au détriment de

l’emploi. L’innovation accroît l’efficacité du travail, ou produit plus en un temps

de production moindre.

Entre la dimension destructrice et la dimension créatrice, les avis sont partagés

et oscillent entre pessimisme et optimisme.

Proudhon révèle le double aspect du progrès technique en indiquant que les

machines promettaient aux hommes un surcroît de richesse, elles ont tenu parole

mais elles ont accentué la misère et rétablit l’esclavage.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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Marx indique que ce n’est pas le progrès technique en lui-même qui pose

problème mais l’usage de ce dernier par les capitalistes. Ils l’utilisent pour

accroître l’exploitation. La machine rend superflu la force musculaire et met

immédiatement au travail les femmes et les enfants.

D’autre part, en imposant un rythme de travail, la machine accroît la plus value

relative et donc la plus value totale. Mais la tentation de remplacer les hommes

par les machines, conduit à une élévation de la composition organique du capital

qui à terme, risque de mettre en péril le système capitalisme. En effet, la plus

value provient de l’exploitation de la force de travail, si les machines chassent

les hommes, l’armée industrielle de réserve des chômeurs augmente et permet

d’imposer à ceux qui restent des conditions de travail et salariale qui renforcent

l’exploitation et entraîne un accroissement de la plus value.

Mais si les machines remplacent les hommes, la plus value va chuter puisque

c’est de la force de travail qu’elle provient. Une machine ne peut générer la plus

value, « le capital mort » ne peut pas être exploité.

Sismondi reprend l’histoire de Gandalin, cet apprenti sorcier qui pour soulager

sa tâche d’entretien et de nettoyage transforma son balai en porteur d’eau et

démultiplia les balais. Très vite dépassé par sa création et par la multiplication

exponentielle des balais porteurs d’eau, il dût les abattre à la hache ensuite.

Cette fable fut reprise par Walt Disney où Mickey incarne Gadalin dans

Fantazia.

Ricardo lui aussi s’inquiète d’un progrès technique non maîtrisé qui entraînerait

une réduction du temps de travail voire même du chômage. Malthus abonde

dans ce sens, préoccupé par l’oisiveté des classes laborieuses et les risques de

sous-consommation.

En 1930, Keynes dans un texte intitulé, "les perspectives économiques de nos

petits enfants ", fait part lui aussi de ses craintes face à l’innovation, notamment

avec le chômage technologique qu’il définit ainsi :

"Il faut entendre par là le chômage qui est dû au fait que

nous découvrons des moyens d’économiser de la main-d’œuvre à

une vitesse plus grande que nous ne savons trouver de

nouvelles utilisations du travail humain. Mais ce n’est là

qu’une période passagère d’inadaptation. A long terme, tout

cela signifie que l’humanité est en train de résoudre son

problème économique ".

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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Même si Keynes reste sur une note optimiste, en envisageant un progrès infini et

bienfaisant, à long terme, mais le court terme il reste très problématique. Mais

privé de leur fonction économique, quelle place dans la société, trouveront les

hommes et quel sens donneront-ils à leur vie ?

Dès lors, les effets destructeurs du progrès technique et de l’innovation

présentent à court terme un caractère irrémédiable et problématique mais qui

sont compensés par leurs effets créateurs perceptibles à long terme.

Sauvy, dans son ouvrage "La machine et le chômage" met à jour le concept de

déversement et explique qu’au XIXème siècle, le progrès technique a crée plus

d’emplois qu’il n’en a détruit. Cette perspective de long terme, sur un siècle

illustre un transfert d’emplois et d’activités du secteur agricole mécanisé vers

l’industrie en pleine expansion. Le diversement s’opère d’un secteur vers un

autre.

Mais toutes ces positions révèlent le caractère pour le moins énigmatique du

progrès technique, sa perception morale, sociale et psychologique l’est tout

autant.

Quel jugement moral devons-nous porter face aux travaux sur le clonage des

espèces ?

Faut-il entreprendre des recherches sur les organismes et procéder à des

modifications génétiques ?

Entre les perspectives thérapeutiques et les risques de pratiques eugénistes, le

chenal est étroit et inconnu. La perte de contrôle du progrès technique reste

omniprésente.

Mais nous ne devons pas oublier qu’en mai 1843, un savant nommé Arago

manifestait ses inquiétudes à propos du chemin de fer et promettait des

problèmes de santé majeurs "aux malheureux voyageurs " du chemin de fer, qui

risquaient la pneumonie à la vitesse folle de 40 kilomètres par heure alors qu’un

attelage lançait à pleine vitesse ne pouvait dépasser les 20 kilomètres par heure.

Aujourd’hui le T.G.V. a pulvérisé les records de vitesse sans que les passagers

s’émeuvent de faire dans la journée l’aller et le retour entre Paris et Londres ou

entre Paris et Bruxelles.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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La peur de l’innovation, de l’incertitude qu’elle génère reste une constante au fil

des époques, démontrant que l’innovation est aussi un processus social par

lequel se diffuse une invention dont le cheminement s’avère à priori difficile à

prévoir. Au centre du dispositif nous devons examiner avec attention

l’acceptation et l’appropriation de l’innovation par le premier concerné :

l’homme, car elle est faite pour lui. Des lors l’acceptation et l’appropriation de

l’innovation passe d’abord par le consommateur. Ainsi certaines entreprises

octroient à leur service marketing un droit de vie ou de mort aux innovations de

produits.

En effet la consommation et le consommateur constituent la cible que doit

atteindre l’innovation. Il s’agit de faire en sorte que le consommateur adopte,

accepte et s’approprie l’innovation, de sorte qu’elle s’intègre dans son quotidien

selon un processus quasi routinier.

L’irruption d’une innovation dans la vie quotidienne des consommateurs

provoque un certain nombre de changements qui risquent de bouleverser

certaines pratiques.

C’est pourquoi, s’il est normal pour l’entreprise d’envisager l’innovation par

rapport à la production et la concurrence sur le marché, il lui faut aussi la

considérer par rapport à son utilisateur, le consommateur sous différents angles d’approche, technique, économique, social, psychologique.

Cette approche pluridisciplinaire constitue le gage d’une réussite probable.

Pour tout consommateur, l’irruption d’une innovation dans son quotidien, doit

intégrer une logique de coûts/avantages.

Le coût d’adoption de celle-ci est inférieur à l’avantage qu’elle procure ? La

réponse à cette condition détermine le succès du processus d’assimilation de

l’innovation.

Du strict point de vue de l’utilité, le consommateur doit très rapidement

percevoir, si l’innovation répond à un nouveau besoin, ou se substitue

avantageusement à l’existant de sorte que l’utilité soit avérée.

Dans le cas contraire, le statut de gadget, réduit la portée de l’innovation à une

curiosité éphémère, un effet de mode.

A cet effet, la diffusion pendant "les trente glorieuses" "des produits blancs", en

d’autres termes, l’électroménager s’est avéré très rapide. Certes, cette période

correspond à une conjonction d’un pouvoir d’achat croissant, d’une production

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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de masse réduisant le prix de vente unitaire mais la démonstration de l’utilité de

la machine à laver le linge, ou du réfrigérateur s’est avérée évidente pour tous.

La marque américaine "frigidaire" avait d’ailleurs réussi l’assimilation du

produit réfrigérateur à sa marque. Combien d’entre nous utilisent encore ce

vocable pour qualifier le produit, une grande majorité.

Tant pour la conservation des aliments que pour laver le linge, l’utilité

s’imposait et en plus s’ajoutait une amélioration de la qualité de la vie pour son

utilisateur. Ne plus saler les aliments leur donnait un goût retrouvé et entre le

lavoir et les lessiveuses, la pénibilité du lavage du linge s’avérait annihilée.

Si le coût économique nécessitait quelques mois d’un salaire minimum, il ne

rendait pas ces innovations inaccessibles au plus grand nombre, au contraire.

Dès lors, il fallait imposer ces produits dans la sphère domestique, en révélant

un contenu social, psychologique et symbolique. L’acceptation de l’innovation

passe aussi par une compréhension et une utilisation des représentations sociales

de l’époque. La prise en compte de ces représentations sociales s’avère

indispensables pour la réussite du processus innovant. Cette prise en compte, ne

signifie pas, bien sûr que nous y adhérions, mais l’éluder constituerait une erreur

majeure. A titre d’exemple, dans les années 1950, la division sexuelle du travail

domestique, conduit à des représentations sociales de la femme et de l’homme

spécifique. La représentation sociale de la femme qui l’emporte est celle de la

ménagère, qui reste au foyer pour élever ses enfants. La représentation sociale

de l’homme est celle du travailleur qui par son activité professionnelle "gagne

l’argent" nécessaire à la vie de la famille. Dans ce type de représentation sociale

de la France des années 1950, Moulinex opte pour une campagne publicitaire où

le slogan retenu est : "Moulinex libère la femme " et l’affiche publicitaire de

1956 représente une ménagère, qui se sépare de son tablier pour laisser

apparaître une tenue soignée et arbore un collier de perles.

Les produits électroménagers de cette firme vont donc permettre aux ménagères

de s’émanciper relativement de leur condition et de s’identifier à l’archétype de

la femme des classes sociales aisées.

Aujourd’hui, une telle campagne n’est plus envisageable d’une part en raison

d’un changement des représentations sociales et d’autre part à cause du

changement du statut social des produits électroménagers.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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Le statut quasi magique de ces produits dans les années 1950, a disparu. Ils ont

investi la sphère domestique comme éléments du confort quotidien faisant partie

d’une routine qui leur confère un statut banal.

Si nous ne savons pas si Moulinex a libéré la femme, nous savons qu’il a

conquis la cuisine du foyer. Ces innovations de jadis ont intégré la sphère

domestique et ont intégré un nouveau système de signes et de symboles.

Lorsque la préservation de l’environnement ou les économies d’énergie

deviennent de nouvelles préoccupations, l’électroménager intègre un programme

"éco".

Lorsque le rythme de la vie professionnelle et personnelle ne permet plus de

consacrer le temps de préparation de jadis au repas, le four micro ondes

s’impose en facilitant cette vie trépidante. Entre la soupe à préparer en épluchant

les légumes et celle qu’il suffit de faire réchauffer, entre les frites dites

« maison » et celles congelées, entre la salade qu’il faut laver pour lui retirer les

résidus de terre et celle qu’il suffit de retirer de son emballage et à assaisonner,

le choix actuel dépend largement du niveau de vie et du mode de vie de notre

consommateur ou consommatrice. Les innovations ont tenu compte de ce

nouvel acteur domestique qui bien que maîtrisant les divers produits

électroménagers, ne peut plus ou ne veut plus, préparer la soupe de "grand

mère", éplucher des frites "maison" et laver une salade encore pleine de terre.

Une nouvelle identité sociale est apparue que la publicité met remarquablement

en scène.

L’acceptation d’un produit innovant correspond, bien sûr, à un usage, ancien ou

nouveau, résout un problème ou facilite une tâche et projette une symbolique en

phase avec la représentation sociale du moment et de la société concernée, de

ses utilisateurs.

Reprenons l’exemple du téléphone portable, pour caractériser les technologies

de l’information. L’acceptation du produit innovant est à priori facile à

comprendre. Partout et tout le temps, ce téléphone permet de communiquer. La

firme Nokia en a fait son slogan "connecting people", relier les gens et a utilisé

uniquement les deux mains du tableau de Michel Ange représentant la création

de l’Homme par Dieu, pour signifier ce lien au travers de ces affiches

publicitaires.

Mais ce qui à priori devait être simple, l’utilisation d’un téléphone s’est

rapidement complexifiée à cause de la nécessaire interprétation et sélection de

l’offre technique des téléphones liés à des offres forfaitaires d’utilisation

particulièrement obscures sur un marché oligopolistique.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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L’utilisation basique recherchera un téléphone pour téléphoner et à la rigueur

pour envoyer des messages (Texto, SMS). La multifonctionnalité des appareils

transforme le téléphone en réveil, agenda, mini ordinateur pour consulter et

envoyer des "e-mails", appareil photo numérique, baladeur, radio, caméra

numérique, télévision et système de localisation instantanée.

Après avoir décrypté, l’offre de l’opérateur correspondant le mieux à son

utilisation du produit et choisi le "bon" portable, il se rend vite compte qu’être

joignable partout à toute heure présente certains avantages et quelques

inconvénients.

En effet, il n’est pas rare que le temps consacré à la sphère domestique et celui

de la sphère professionnelle se confondent avec ce petit appareil. Les clients, les

employeurs peuvent alors investir la sphère privée. De plus, un scénario tel que

George Orwell dans 1984, l’avait envisagé, devient tout à fait possible, par une

localisation satellitaire de son porteur : « Big brother is watching you

everywhere. » telle pourrait être la reformulation de la célèbre phrase du roman

mais si ce prétendu grand frère nous regarde partout, mais qui est-

il aujourd’hui ?

Dès lors, lorsque les tensions sociales et les charges mentales s’accroissent,

l’individu risque de refuser le produit innovant dont les chances d’acceptation

diminuent.

L’acceptabilité est donc elle aussi soumise à l’incertitude car nous ne pouvons

pas prévoir la trajectoire d’évolution d’un produit innovant, dans la sphère

sociale.

Ainsi nous pouvons constater que l’acceptation d’une innovation repose sur

différents fondements.

Le premier est sans nul doute l’utilité, la réponse apportée par l’innovation à un

usage existant ou à la création d’un nouveau besoin.

Dans cette logique à dominante économique et technique, l’offre génère sa

propre demande. De plus, si l’innovation solutionne un problème où facilite un

mode de vie, l’offre est en phase avec la demande.

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Mais si le premier fondement de l’acceptation de l’innovation nous inscrit dans

une causalité où l’offre crée sa propre demande, la prise en compte de

l’environnement social dans lequel l’innovation va évoluer nous conduit vers un

second fondement, qui renverse la causalité initiale.

En effet, la perception individuelle et sociale, l’inscription sociale conditionnent

largement le processus de diffusion de l’innovation. Le comportement des

consommateurs face à l’innovation conditionne alors son succès.

Les diverses études menées par les sociologues, les économistes et les

mercaticiens laissent transparaître des catégories de consommateurs à la

réceptivité particulière face à l’innovation.

Aux deux extrêmes de notre classement, nous trouvons "les pionniers" et les "les

réfractaires".

"Les pionniers" sont chronologiquement les premiers à adopter l’innovation.

Culturellement à l’affût de la nouveauté, ils en font un critère de distinction

sociale, très réceptifs à la mode et ses changements, ils ont le plus souvent le

pouvoir d’achat qui leur permet de payer le prix fort d’une innovation en phase

de lancement ou en faisant de l’innovation, un bien supérieur dans leur

hiérarchie des biens, ils sont prêts à la payer au prix fort. L’innovation devient

un objet de distinction sociale et une consommation ostentatoire au sens de

Veblen. Ils sont peu nombreux.

"Les réfractaires", opposants systématiques à la nouveauté, leur attitude est le

plus souvent sans rapport avec le coût monétaire de l’innovation face à leur

pouvoir d’achat.

Mais cette attitude renvoie à une prise de position individuelle, psychologique

de démarquage social. Ils sont eux aussi, peu nombreux, heureusement pour

l’innovation.

Ces deux catégories ne sont pas celles qui vont garantir le succès de la diffusion

et de l’acceptation de l’innovation car c’est le plus grand nombre qui l’assure.

Cette majorité est composée des "suiveurs". Ce groupe n’est pas très homogène

puisque ces extrêmes se positionnent par rapport aux deux groupes précédents.

Ainsi, nous avons "les suiveurs dynamiques " très proches des "pionniers ", ils

ne possèdent pas le pouvoir d’achat de ces derniers, mais dès que le prix de

l’innovation amorce une légère baisse, ils l’adoptent. Leurs valeurs sont très

proches de celles des pionniers auxquels d’ailleurs ils s’identifient.

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A l’inverse, nous trouvons "les suiveurs résignés ", très proches des réfractaires,

ils sont le plus souvent contraints de faire le saut technologique et d’adopter

l’innovation. La nécessité et l’utilité s’imposent à eux. Comme il s’avère

impossible de faire autrement, ils se résignent et acceptent l’innovation.

Le cœur de cette catégorie est constitué par ce nous appellerons "les suiveurs

réceptifs", ils ne se distinguent pas par une recherche systématique de la

nouveauté ou par un refus à priori de celle-ci, ils attendent de percevoir

éclairement l’intérêt de l’innovation et qu’une baisse avérée du prix de celle-ci,

pour l’adopter.

Enfin, nous devons mentionner une catégorie trop souvent oubliée des études,

"les exclus" de l’innovation dont nous devons espérer pour différentes raisons

que le nombre soit le plus faible possible. A l’inverse des "réfractaires" qui

refusent l’innovation de façon volontaire alors qu’ils pourraient très bien

l’adopter, "les exclus" subissent leur exclusion. La faiblesse de leur pouvoir

d’achat, leur condition sociale, la faiblesse de leur niveau de diplômes, de

qualification constituent autant de freins à l’adoption de l’innovation dont ils

sont d’ailleurs parfois les victimes.

Un nombre conséquent d’exclus de l’innovation serait pour celle-ci une véritable

menace et ferait peser un risque d’échec d’acceptation non négligeable.

Cette segmentation des consommateurs face à leur réception de l’innovation

nous permet de différencier six catégories de public que nous résumons ainsi :

1. Les pionniers

2. Les suiveurs dynamiques

3. Les suiveurs réceptifs

4. Les suiveurs résignés

5. Les réfractaires

6. Les exclus

Les deux premières catégories constituent les groupes leaders dans le processus

d’acceptation et d’appropriation de l’innovation par les consommateurs. La

conquête de la troisième assure à l’innovation sont succès.

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Une fois, le public concerné par l’innovation repérée, il nous faut pour assurer

son acceptation et envisager ce que nous allons appeler des innovations

combinatoires contingentes, c'est-à-dire la capacité d’une innovation à générer

de probables combinaisons possibles de couplages innovants.

Reprenant le constat Schumpétérien de "grappes d’innovations", une innovation

n’arrivant jamais seule, il s’agit d’ici de penser les applications possibles

dérivées d’une innovation, qui faciliteraient son adoption. Il s’agit alors de

repérer les extensions possibles d’une innovation majeure qui combinée à

d’autres innovations mineures contribuent à l’assimilation de la première. Mais

un usage n’est pas le plus souvent prévisible à l’avance en matière d’innovation.

Questions d'entrainement autoévaluation :

1) Pourquoi le progrès technique et l’innovation posent-ils des problèmes

méthodologiques aux économistes ?

2) Faut-il craindre le progrès technique ?

3) Comment définir le chômage technologique ?

4) Comment le consommateur perçoit-il l’innovation ?

5) La consommation de biens innovants est un atout ou un risque ?

6) Peut-on innover sans inventer ?

7) Peut-on inventer sans innover ?

Exemples de sujets de dissertation sur la séquence :

Sujet : Progrès technique et chômage

Sujet : Pourquoi innover ?

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Séquence 2 : L’innovation dans la théorie

économique « classique »

Comme nous le verrons dans la prochaine séquence, la contribution de

J.A. Schumpeter à l’économie de l’innovation s’avère fondamentale de part son

importance et sa place. Elle jette les fondements d’une réelle intégration du

progrès technique et de l’innovation dans la problématique économique. Mais

avant l’avancée schumpetérienne, la théorie économique hésite. De même qu’il

y a pour la science économique, une période antérieure à Adam Smith et une

période postérieure qui différent radicalement, l’auteur en question ayant par son

analyse révolutionné le savoir, nous pouvons dire la même chose en matière

d’économie de l’innovation, à l’égard de Schumpeter, il y a un avant et un après

Schumpeter.

Nous allons donc dans notre exposé retenir cette dichotomie, en étudiant d’abord

la théorie économique antérieure à l’œuvre de Schumpeter et sa manière

d’appréhender l’innovation, puis la rupture opérée par Schumpeter et les

développements consécutifs à cette rupture donnant naissance à une véritable

économie de l’innovation.

Avant les travaux de Schumpeter, nous ne trouvons pas de théories économiques

consacrées au rôle de l’innovation, lorsqu’elles l’envisagent, il s’agit de

percevoir les effets du progrès technique, effets positifs ou négatifs qui

nourrissent optimisme ou pessimisme selon les auteurs, mais pour nombre

d’entre eux, le processus en jeu demeure une énigme.

D’autres éludent le problème en créant un contexte tel, que par définition, le

progrès technique ne joue aucun rôle ou ne peut jouer aucun rôle, car neutralisé.

Un progrès technique inexistant a donc des effets neutres.

Ainsi en postulant la fameuse clause de "toutes classes égales par ailleurs "

" ceteris paribus ", certains classiques et néoclassiques, ancrent leur

démonstration dans un environnement où le progrès technique par ses effets ne

perturbe pas le raisonnement.

De même, raisonner à court terme présente pour certains économistes, un certain

confort puisqu’ils pensent ainsi s’affranchir des innovations.

Or il est vrai qu’un raisonnement à long terme en économie n’a guère plus de

fiabilité que la prévision de l’avenir par la cartomancie.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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Lorsque l’analyse monétariste postula la stabilité à long terme de la vitesse de

circulation de la monnaie, cela lui valut la fameuse remarque de John Maynard

Keynes, "à long terme, nous serons tous morts ".

S’il est fort probable que l’effet destructeur du progrès technique sur l’emploi

soit annulé à long terme, il n’en demeure pas moins qu’à court terme, cet effet

soit irrémédiable alimentant le chômage technologique.

Ainsi, il devient facile de comprendre, la gène, le malaise et l’incertitude

auxquelles nombre d’économistes fondateurs de la science économique, ont du

faire face lorsqu’ils envisageaient le rôle du progrès technique dans leurs

analyses.

Appréhender le progrès technique et l’innovation dans une analyse économique,

revient à intégrer au mieux une transformation au pire un bouleversement qui

portent sur des produits, des services, des moyens de productions, des méthodes

de production, de commercialisation, des organisations de travail, des marchés

et des structures de l’économie.

Comment ne pas être pris de vertige face à l’ampleur de la tâche ?

Comment ne pas céder à l’optimisme d’un progrès libérateur ou au pessimisme

d’un progrès destructeur ?

Très vite, chacun exprimera un avis plutôt optimiste ou pessimiste sur les effets

prévisibles des innovations. En effet, l’accroissement de l’efficacité productive

d’un secteur, d’une industrie ne s’opère pas de façon neutre tant sur le plan

quantitatif que sur le plan qualitatif.

Produire plus avec moins de facteurs productifs et ainsi réaliser des économies

en nombre hommes et de machines constitue l’effet immédiat du progrès

technique.

Ces combinaisons productives économes en facteurs de productions en matières

premières, en énergie provoquant des effets de substitution aux effets

immédiatement perceptibles, tant sur les coûts, les prix et les salaires.

Produire mieux avec des facteurs productifs dont l’efficacité n’a cessé de croître

au fil du temps. Une main d’œuvre de plus en plus qualifiée, expérimentée,

diplômée s’allie en parfaite complémentarité avec un appareil productif de plus

en plus sophistiqué, compliqué et productif.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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La mutation de l’agriculture illustre parfaitement cette révolution technologique

continue.

L’agriculteur du XIXème siècle, avait appris à lire écrire, compter grâce aux

« hussards noirs » de la République, instituteurs et institutrices qui lui avaient

permis l’obtention du brevet ou au XXème siècle du certificat d’étude.

Mais c’est de son père et de son grand père qu’il avait appris, à humer la terre

pour savoir si l’année en cours serait favorable à la récolte. Il entretenait avec

ses chevaux de traits, un lien affectif, il était ses fidèles compagnons de labeur

dont il s’interdisait d’en manger la chair.

L’agriculteur de la fin du XXème siècle, du début XXIème siècle, a validé bon

nombre de diplômes qui font de lui un érudit face à son ancêtre, entre le

baccalauréat et le brevet de technicien supérieur agricole voire même un

diplôme d’ingénieur agricole.

Pour savoir quel épandage d’engrais selon les surfaces, il doit pratiquer, il

consulte son micro-ordinateur portable, via une analyse satellitaire, qui lui donne

la stricte consommation à réaliser pour optimiser sa récolte.

La terre a toujours la même odeur, mais le calcul informatique a remplacé

l’odorat.

Le tracteur lui-même est un véritable bijou de technologies, équipé de la

climatisation.

Ces deux hommes pratiquent tous deux le même métier et sans doute cultivent-

ils la même terre. Mais s’ils ont cela en commun, leur attachement et leur amour

d’un métier, le métier qu’il pratique s’est métamorphosé comme leur

environnement.

Pour exécuter et conserver le métier de son aïeul, il a fallu pour son descendant

non seulement se former mais aussi intégrer tous les changements intervenus. La

nature même du métier s’est métamorphosée mais il s’agit toujours de cultiver la

terre.

Les innovations ont donc modifié l’efficacité productive de l’agriculteur sur le

plan quantitatif et sur le plan qualitatif. Mais combien n’ont pas pu ou su

intégrer ces changements ?

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31

Face aux dimensions polymorphiques du progrès technique, aux réels problèmes

de conceptualisation, voyons maintenant comment le courant des économistes

classiques l’a perçu.

Face à la multiplicité de définitions de l’économie classique, nous considérons

pour notre part qu’elle commence avec Adam Smith et s’achève avec Marx sans

l’intégrer, car comme chacun sait Marx ne peut être le dernier des classiques

puisqu’il est le premier des marxistes.

La théorie classique face à l’énigme de l’innovation

S’il est toujours facile d’adresser des critiques rétrospectives aux auteurs

au sujet des insuffisances de leurs analyses ou de leur incapacité à percevoir tels

ou tels phénomènes, ce type de critiques prendrait à propos de l’innovation un

caractère anachronique.

Nombre d’éléments expliquent le relatif mutisme des classiques à ce sujet.

L’économie politique et la sphère des techniques relèvent de deux champs

analytiques à priori, indépendants expliquant leur dichotomie.

Le progrès technique reste un concept extérieur aux champs de l’analyse

économique, voire étranger ou même subalterne.

La position de Lionel Robbins dans son Essai sur la Nature et la Signification de

la Science Economique résume à notre avis, la position de la plupart des

économistes sur le sujet :

"La technique comme telle n’intéresse pas les économistes ".

Ainsi la théorie classique va considérer la technique comme une donnée à

intégrer parmi les d’autres.

De plus, chaque auteur traite une problématique propre où le rôle des techniques

apparaît le plus souvent de façon périphérique, lorsqu’il apparaît.

A cela s’ajoute la capacité des outils analytiques à percevoir et à saisir le réel.

Observer les planètes avec des lunettes de vue est chose faisable mais le degré

de précision n’équivaudra jamais celui du périscope, encore faut-il que nous en

disposions.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

32

Les classiques travaillent sur des problématiques propres avec les outils de

l’époque. Mais si l’innovation et le progrès technique ne constituent pas le sujet

central de leurs analyses, le points de contact entre la science économique et la

sphère des techniques existent et sont très vite perçus à défaut d’être traités.

Ainsi le rôle de l’innovation sur la production, l’organisation de la production, la

productivité des facteurs de production, l’emploi tant sur le plan quantitatif que

qualitatif, la répartition, est envisagée.

Présenter le progrès technique comme exogène ne conduit pas pour autant à

éluder ses effets. La théorie économique de l’époque en fonction de l’état des

savoirs ne peut pour l’instant, les prendre en compte et ne peut ou n’a pas à

expliquer le progrès technique.

A. Adam Smith et l’innovation

Avec la publication en 1776, de La Richesse des Nations, Adam Smith

révolutionne la science économique. Toutefois, au sujet du progrès technique et

de l’innovation, l’ouvrage reste muet sur les révolutions en cours, révolution

agricole, révolution des transports, révolution des techniques.

Pouvons nous pour autant en déduire que Smith n’avait pas conscience de vivre

une époque de bouleversements économiques, politiques, philosophiques,

sociaux, techniques ?

Loin d’être indifférent à tous ces changements puisqu’il apportait lui aussi sa

contribution à cette ère, Smith ne pouvait percevoir les effets à venir de la

révolution industrielle britannique en cours.

Si la plupart des brevets d’invention ont été déposés avant 1776, les innovations

apparaîtront à la fin de la décennie 1780, début 1790, ce qui explique son relatif

mutisme.

De plus, nombre de ses contemporains ne percevaient pas ce qui se passait,

d’autres s’extasiaient devant les "progrès des arts mécaniques ", d’autres les

redoutaient et comme face à toutes périodes de métamorphoses, la plupart des

individus restaient aveugles ou myopes, incapables de percevoir les implications

des bouleversements en cours.

N’instruisons pas un faux procès à l’égard de Smith à propos de l’innovation,

car au moment où il rédige la Richesse des Nations, la révolution industrielle

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

33

britannique est en gestation mais il développe des thèses qui vont concourir à

son succès.

En faisant du travail, l’origine et la cause de la richesse d’une nation, Smith

montre les égarements mercantilistes et physiocratiques. Le travail produit la

richesse de la nation, par l’agriculture, l’industrie et le commerce. Aucun de ces

secteurs ne peut s’arroger la primauté ou l’unicité de la création de richesses.

La spécialisation des individus dans l’activité productive où ils s’avèrent les plus

talentueux donc les plus productifs contribuera à accroître la richesse de la

nation. La division du travail va donc accroître "la puissance productive du

travail et créer l’abondance, "l’opulence générale".

En optant pour l’activité productive où il est le plus talentueux, chaque agent

économique, va produire plus et bien. En cela, il peut voire son habileté

productive accrue par une meilleure formation financée par l’Etat et par les

machines. Ce résultat apparaît comme le résultat des échanges de points de vue

qu’il partage lors de ses discussions avec les physiocrates, notamment Quesnay

et Turgot.

L’exemple célèbre de la manufacture d’épingles est d’ailleurs directement

emprunté à l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert, par Smith pour montrer

comment la division du travail d’une épingle en dix huit opérations distinctes

permet d’obtenir une production au moins 240 fois supérieur.

Ainsi Smith écrit :

"Cette grande augmentation dans la quantité d’ouvrage qu’un

même nombre de bras est en état de fournir, en conséquence de

la division du travail, est due à trois circonstances

différents :

- premièrement, à un accroissement d’habileté, chaque ouvrier

individuellement;

- deuxièmement, à l’épargne de temps qui se perd ordinairement

quand on passe d’une espèce d’ouvrage à une autre ;

- et troisièmement enfin, à l’invention d’un grand nombre de

machines qui facilitent et abrègent le travail et qui

permettent à un homme de remplir la tâche de plusieurs. "

Richesse des Nations, Livre I, chapitre I

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

34

Peu après, il ajoute :

" Tout le monde sent combien l’emploi de machines propres à un

ouvrage abrège et facilite le travail. Il est inutile d’en

chercher des exemples. "

Richesse des Nations, Livre I, chapitre I

Pour Smith, la division du travail en focalisant le travail sur un seul objet s’avère

propice à la découverte de nouveau procédée de fabrications plus efficaces, il

indique d’ailleurs :

"On trouvera bientôt la méthode la plus courte et la plus

facile de remplir sa tâche particulière ".

Richesse des Nations, Livre I, chapitre I

L’innovation perçue par Smith porte ici sur les méthodes de production. Il s’agit

d’accroître l’efficacité productive du travail en réduisant la pénibilité de la tâche,

"s’épargner de la peine ". La machine libère l’homme, en lui facilitant son

travail, en lui donnant plus de temps pour se consacrer à de nouvelles tâches.

Ces innovations proviennent des "inventions de simples ouvriers ", mieux à

même de trouver des solutions à leurs problèmes. Mais conscient du processus

d’industrialisation, Smith fait valoir que le processus d’innovation, en raison de

l’intensification de la division du travail, devient "l’objet d’une profession

particulière " qu’il nomme "savants " ou "théoriciens ". Leur fonction consiste à

accroître l’efficacité productive en accroissant l’habilité et en épargnant du

temps au travail. Par cette complémentarité du travail, la richesse de la nation

augmente en quantité et en variété.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

35

B. Hésitations et tergiversations ricardiennes à propos de l’innovation.

Deux économistes ont révélé l’importance des écrits de Ricardo à propos du

progrès technique et de l’innovation, il s’agit de Hayek, qui en mai 1942 publie

"l’effet Ricardo ", economica et Hicks, en 1969 dans "Une théorie de l’Histoire

Economique ".

Il s’agit pour Ricardo d’envisager l’impact de l’introduction des innovations

techniques sur les lois qui gouvernent la répartition du revenu entre le profit

pour le capital, le salaire pour le travail et la rente pour la terre, dans un système

économique fondamentalement déterminé par le jeu de forces tendant vers

l’équilibre et assurant une péréquation de la rémunération des facteurs de

production.

La position ricardienne sur le sujet semble hésitante, il tergiverse et sa volte face

déconcerte.

En effet, sa pensée sur le sujet a considérablement évolué au point qu’il ajoute

dans la troisième édition de ses Principes, en 1821, un chapitre intitulé "Des

Machines "qu’il débute ainsi :

"Dans ce chapitre, je propose d’examiner l’influence des

machines sur les intérêts des différentes classes de la

société, sujet très important qui semble m’avoir jamais être

approfondi de façon satisfaisante. Je me sens d’autant plus

obligé d’exposer mon avis sur la question qu’il s’est

considérablement modifié à la suite de mes réflexions et bien

que je ne pense pas avoir publié quoi que ce soit sur les

machines qu’il me faille aujourd’hui retirer, j’ai toutefois,

par d’autres moyens apporté mon soutien à des doctrines que je

sais aujourd’hui erronées, Il est donc de mon devoir de

soumettre à examen mon point de vue actuel, et les raisons qui

m’y ont amenées ".

"Les Principes "

Lors de la première édition des Principes, Ricardo envisage le rôle de la

technologie dans l’agriculture, en ces termes :

" Mais, il existe deux sortes d’améliorations en

agriculture : celles qui augmentent les facultés productives

de la terre et celles qui, par le perfectionnement des

machines, nous permettent d’obtenir le même produit avec moins

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

36

de travail. Toutes deux entraînent une baisse du prix des

produits bruts, toutes deux modifient la rente, mais pas dans

les mêmes proportions ".

"Les Principes "

L’impact mis à jour par Ricardo, de l’introduction des innovations porte sur la

rente.

A court terme, les innovations en économisant la terre par une augmentation de

la production des terres, notamment par l’utilisation de meilleurs engrais,

conduisent à réduire le nombre de terre mis en culture et par conséquent à

réduire le montant de la rente précédemment versé.

Il apparaît alors normal que les propriétaires fonciers ne montrent pas un grand

empressement à adapter des améliorations qui réduisent le montant de la part de

leur revenu.

L’innovation agricole en économisant la terre réduit la rente. Mais la baisse des

prix consécutive à l’adoption des innovations profitera à la collectivité toute

entière.

La baisse des prix du blé stimulera la croissance démographique par

l’accroissement du pouvoir d’achat des salaires nécessitant alors la mise en

culture de nouvelles terres entraînant un accroissement de la rente.

La baisse de la rente due aux innovations s’avère donc temporaire.

Reste toujours en suspens, le rôle des améliorations qui économisent le travail.

Malthus s’inquiète des inconvénients de la mécanisation pour les salariés alors

que Ricardo persiste à croire que "la collectivité ne peut qu’en

bénéficier même si l’individu en pâtit ". Dans la troisième édition des Principes, la pensée ricardienne a sensiblement

évolué sur le sujet. Dans l’avertissement de la troisième édition, rédigée le 26

mars 1821, il en informe son lecteur ainsi :

"J’ai également introduit un nouveau chapitre sur les

Machines et sur les effets de leur perfectionnement sur les

intérêts des différentes classes de la nation "

"Les Principes "

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

37

Il reconnaît explicitement ne pas avoir immédiatement perçu les

bouleversements en cours car non seulement les machines vont modifier la

répartition du revenu entre les classes mais aussi dessiner une nouvelle

économie et une nouvelle société.

Son changement d’opinion porte sur le rôle des machines pour la classe des

travailleurs alors que pour les autres classes, il maintient sa position précédente.

Comme il le fait valoir les principaux et uniques perdants de l’introduction des

innovations dans le processus productif sont les ouvriers, qui vont subir une

baisse de leur revenu et risque de perdre leur emploi.

Il indique :

"Mais je suis désormais convaincu que la substitution des

machines au travail porte souvent atteinte aux intérêts de la

classe des travailleurs ".

"Les Principes "

En économisant des heures de travail, les machines privent une partie de la

classe ouvrière de son salaire, elles rendent le travail abondant et génère un

chômage que nous pouvons qualifier de technologique.

Il annonce la situation consécutive à la substitution capital- travail ainsi :

"La demande de travail diminuera nécessairement, la

population deviendra excessive et les classes laborieuses se

trouveront dans une situation de détresse et de pauvreté.(…)

Tout ce que j’entends montrer, c’est que la découverte et

l’utilisation des machines peut s’accompagner d’une

diminution du produit brut, la situation sera préjudiciable à

la classe laborieuse, certains travailleurs perdront leurs

emploi et la population deviendra excessive par rapport au

fonds destiné à l’employer ".

"Les Principes "

Les machines modifient alors dramatiquement la répartition du revenu et de

l’emploi, au détriment de la classe ouvrière.

Le remplacement des hommes par les machines instaure une concurrence entre

la force humaine et la force mécanique.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

38

Ricardo énonce alors ce que Hayek va appeler l’effet Ricardo :

"A chaque accroissement du capital et de la population,

les prix de la nourriture augmentera généralement en raison de

sa plus grande difficulté de production. La hausse du prix de

la nourriture entraînera une augmentation des salaires et

chaque augmentation de salaire aura tendance à diriger une

part toujours croissante du capital épargné vers l’emploi de

machines. Les machines et le travail sont en perpétuelle

concurrence et bien souvent les machines ne sont employées que

lorsque le prix du travail commence à augmenter. "

"Les Principes "

Face à l’augmentation des salaires, l’intérêt des capitalistes consiste à remplacer

la main-d’œuvre par les machines. Hayek qualifiera d’effet Ricardo, l’effet selon

lequel les hausses de salaires réduisent la rentabilité du processus de production

en proportion inverse de la place qu’occupe le capital parmi les facteurs de

production.

Toute augmentation des salaires en valorisant le facteur travail dévalorise le

facteur capital. Pour rétablir la rentabilité du capital, la tentation est alors forte

de diminuer le travail en accroissant le capital.

Même si Ricardo n’est pas opposé à l’emploi des machines et déconseille à tout

Etat d’en entraver l’emploi, il est évident qu’elles chassent certains de l’emploi

et diminuent leur pouvoir d’achat. Il mise sur le fait que des créations d’emplois

s’opèreront d’une part pour la création et la production des nouvelles machines

et d’autre part qu’il y aura des transferts de main-d’œuvre de secteurs de

l’économie vers d’autres secteurs.

Les machines à terme, redessineront l’économie et la société.

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39

C. Hésitations et embarras des classiques à propos de

l’innovation.

Les hésitations et les tergiversations ricardiennes à propos de l’innovation

caractérise un embarras plus général, partagé par les auteurs classiques à propos

de la neutralité du progrès technique.

Cette neutralité du progrès technique et de l’innovation s’apprécie par rapport à

la répartition du revenu et par rapport à l’emploi du travail et du capital.

Si les rapports entre capital et travail restent inchangés et si la répartition des

revenus entre salaire et profit reste identique, malgré l’introduction des

innovations, alors au niveau global, c'est-à-dire macroéconomique, il y a

neutralité, même si sur le plan individuel, micro économique sont intervenues

des transformations.

Au cœur du débat, se trouve l’adhésion à la thèse de la compensation,

compensation entre les emplois crées et les emplois détruits, la compensation

entre les gains et les pertes.

Si les soldes au niveau global sont nuls, les pertes sont neutralisées par les gains,

le progrès technique est neutre, si tel n’est pas le cas, il est non neutre.

Ricardo initie la thèse de la compensation et du transfert de la main-d’œuvre des

secteurs sinistrés par les innovations vers les secteurs nouvellement créés par ces

mêmes innovations. De nouveaux emplois naissent de la croissance issue des

innovations.

Malthus, J.S. Mill, Say partagent avec quelques nuances ce point de vue et

initient une approche optimiste à propos du progrès technique.

A l’opposé, d’autres auteurs classiques contestent cet optimiste et propagent une

vision pessimiste, en indiquant que le processus de substitution capital-travail

est loin d’être neutre.

Le remplacement des hommes par les machines, provoque non seulement du

sous-emploi pour la main d’œuvre, génère un chômage technologique, structurel

pour l’économie. En effet, la nature des emplois créés diffère de celle des

emplois détruits, de sorte que le transfert de la main-d’œuvre licenciée vers les

secteurs qui embauchent, s’avère impossible.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

40

Les technologies utilisées exigent une compétence en qualifications,

expériences, formations que tous ne possèdent pas. La compensation devient

alors impossible.

Ce pessimisme est partagé par les philosophes sociaux et les économistes tels

Sismondi, Fourrier, Owen, Proudhon. D’ailleurs, Proudhon dénonce le double

aspect du machinisme, bienfaisant et malfaisant :

"Les machines nous promettaient un surcroît de richesses,

elles ont tenu parole mais nous ont doté d’un surcroît de

misère : l’esclavage ".

La position de Sismondi traduit cet embarras en indiquant :

"Tout n’est pas pour le mieux dans le monde de la libre

concurrence et de la production illimitée ".

Pour illustrer son propos, il reprend l’histoire de Gandalin, l’apprenti sorcier qui

parvient à transformer un manche à balai en porteur d’eau, qu’il dut l’abattre à la

hache ensuite. Un accroissement non maîtrisé débouche sur une surproduction et

une crise.

La seule solution serait que le machinisme puisse provoquer à salaire égal une

réduction de la journée de travail, selon Sismondi, opinion également partagée

par Ricardo.

Sur le sujet, la position exposée par Bastiat présente le dilemme de l’analyse

classique lorsqu’elle envisage la relation entre l’emploi et l’innovation, ainsi il

écrit dans un texte, intitulé "Midi à quatorze heures " :

"- Qu’une machine ne tue pas le travail, mais le laisse

disponible, ce qui est bien différent, car un travail

tué, comme lorsque l’on coupe un bras à un homme est une

perte, et un travail rendu disponible comme si l’on nous

gratifiait d’un troisième bras, est un profit. (..)

- Cependant vous ne pouvez pas nier que, dans l’état

social, une nouvelle machine ne laisse des bras sans ouvrage.

Momentanément certains bras, j’en conviens : mais l’ensemble

du travail, je le nie. Ce qui produit l’illusion, c’est ceci :

on omet de voir que la machine ne peut mettre une certaine

quantité de travail en disponibilité, sans mettre aussi en

disponibilité une quantité correspondante de rémunération ".

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D. Marx : l’innovation comme moyen au service de l’exploitation.

Pour Marx, le progrès technique et l’innovation doivent à priori permettre

d’améliorer le bien–être de l’humanité mais dans le mode de production

capitaliste, leur usage contribue à renforcer les rapports d’exploitation.

Dans un mode de production capitaliste, la machine aliène le travail alors que

dans un autre mode de production, elle pourrait le libérer.

Comme il l’écrit :

"La machine est innocente des misères qu’elle entraîne ".

Marx reprend l’approche ricardienne de la concurrence acharnée entre la

machine et l’ouvrier mais rejette les vues optimistes de la compensation.

L’innovation est avant tout un moyen qui permet d’économiser de la main-

d’œuvre, d’accroître sa productivité et sa plus-value. Alors que la manufacture

décrite par Smith, l’ouvrier utilise ses outils, à l’usine, il est au service de la

machine qui lui impose un rythme de travail.

La plus-value augmente. Avec l’intensification du travail par l’accroissement

des cadences, c’est la plus value relative qui augmente. Avec la prolongation des

journées de travail, c’est la plus value absolue qui augmente.

Comme la machine rend superflu la force musculaire, il devient possible

d’utiliser le travail des femmes et des enfants et d’étendre l’exploitation de la

force de travail en la rendant encore plus abondante donc bon marché.

L’innovation est utilisée par les capitalistes de sorte à accroître l’exploitation, le

surtravail et la plus value.

De plus, la tentation de remplacer les hommes par les machines, entraîne une

augmentation de l’armée industrielle de réserve. Tous les chômeurs, maintenus

volontairement au chômage par les capitalistes constituent une force de pression

et un moyen de chantage à l’emploi. Ainsi les capitalistes imposent leurs

conditions de travail et de rémunération.

Mais cette logique a ses limites, car le profit et la plus value proviennent de

l’exploitation de la force de travail.

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Un système capitaliste qui chasserait l’homme, se condamnerait à

l’autodestruction, thèse exposée avec la baisse tendancielle du taux de profit.

Mais comme Marx l’expose dans les trois volumes qui composent le Capital, le

capitalisme sait mettre en place les contre tendances de sorte à renaître de ses

cendres, tel le phoenix.

Comme Marx l’écrit :

"Le progrès industriel qui suit la marche de

l’accumulation non seulement réduit de plus en plus le nombre

des ouvriers nécessaires pour mettre en œuvre une masse

croissante de moyens de production mais il augmente en même

temps la quantité de travail que l’ouvrier individuel doit

nous fournir ".

Le Capital, Livre I chap. XXV

La concurrence et la conflictualité des rapports de production entre le capital et

le travail, conduisent les capitalistes à user de l’innovation pour réduire leurs

coûts de production sans garantie d’accroissement de leur taux de profit, bien au

contraire.

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E. Keynes : L’innovation bienfaitrice de l’humanité à long terme mais à long terme….

L’analyse économique de Keynes ne place pas l’innovation et le progrès

technique au centre de son analyse. D’abord ses problématiques de travail

portent essentiellement sur la monnaie, l’emploi et la demande et s’inscrivent

dans une perspective de court terme.

Il ne néglige pas pourtant la part de chômage qui résulte de l’introduction de

nouvelles techniques, mais le chômage qu’il souhaite traiter est celui lié à court

terme à l’insuffisance de la demande globale et effective.

Toutefois, dans une communication présentée en 1928 et publiée en 1930,

intitulée "les perspectives économiques pour nos petits enfants ", il envisage la

situation économique dans un siècle, aux alentours de 2030. Il laisse entrevoir

un véritable espoir pour le siècle à venir puisque le progrès technique aura selon

lui résolu le problème économique de la rareté.

En effet, les révolutions techniques auront généré une telle augmentation de la

production que le monde connaîtra l’abondance.

Mais avant de parvenir à ce paradis économique, sachant que sa génération n’y

parviendra pas "puisqu’à long terme, nous serons tous morts ", il lui faut

envisager les problèmes du court terme, en ces termes :

"Nous sommes actuellement affligés d’une maladie nouvelle

dont certains lecteurs peuvent bien ignorer encore le nom mais

dont ils entendront beaucoup parler dans les années à venir,

et qui est le chômage technologique.

Il faut entendre par là le chômage qui est dû au fait que nous

découvrons des moyens d’économiser de la main-d’œuvre à une

vitesse plus grande que nous ne savons trouver de nouvelles

utilisations du travail humain ".

"Les perspectives économiques pour nos petits enfants ".

Mais alors un problème majeur se pose à l’humanité, dont la principale

occupation est de travailler pour vivre. Comment va-t-elle occuper son temps

libre ? La nature humaine est telle, qu’elle oscillera entre vices et vertus.

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Et même si Keynes se réjouit de voir se réaliser des changements dans un futur

relativement proche, il indique que "les temps ne sont pas encore venus ".

Il précise :

"La vitesse à laquelle nous pourrons atteindre notre

destination de félicité économique dépendra de quatre

facteurs : notre capacité à contrôler le chiffre de la

population, notre volonté d’éviter les guerres et les

discordes civiles, notre consentement à nous en remettre à la

science pour diriger toutes les affaires qui sont proprement

du ressort de la science et le taux d’accumulation tel que le

fixera la marge entre notre production et notre consommation".

"Les perspectives économiques pour nos petits enfants ".

Questions d'entrainement autoévaluation :

1) Peut-on considérer la pensée de Ricardo à propos du progrès technique

comme contradictoire ?

2) Comment Marx perçoit-il le progrès technique ?

Exemples de sujets de dissertation sur la séquence :

Sujet : Pourquoi la conceptualisation de l’innovation est- elle problématique ?

Sujet : Les gains de productivité, issus du progrès technique menacent-ils

l’emploi ?

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Séquence 3 :

La révolution analytique de J.A. Schumpeter

(1883 – 1950) Parmi les auteurs qui ont, par leur œuvre, réussi à révolutionner la science

économique, Schumpeter au XXème siècle occupe une place fondamentale.

Nous pouvons affirmer qu’il est l’économiste qui a fondé l’économie de

l’innovation et du progrès technique. Avant de démontrer en quoi sa conception

de l’innovation a révolutionné la science économique au point que nous

puissions aujourd’hui distinguer nettement dans le savoir économique, un avant

Schumpeter et un après, attardons nous brièvement sur sa vie et son œuvre.

Initié à l’économie par les néoclassiques autrichiens, il étudie à Vienne où il est

l’élève de Böhm Bawerk et de Von Wieser. Fervent admirateur des écrits de

Walras, commentateur de Marx et lecteur de Weber, il participe aux séminaires

des marxistes animés par Otto Bauer et Rudolf Hilferding.

Son éclectisme dans ses sources d’inspiration, le conduit à construire une pensée

qualifiée d’hétérodoxe. D’abord professeur d’économie, puis ministre des

finances du gouvernement autrichien de mars à octobre 1919, puis président de

la Banque Biderman en 1921, il s’exile aux Etats-Unis au moment de la montée

du nazisme et devient professeur à Harvard.

Sa pensée économique oscille entre Walras et Marx. Son paradigme de référence

est sans nul doute, l’équilibre général dont il reproche son incapacité à intégrer

le temps et à produire un raisonnement en dynamique. Soucieux de rendre

compte de l’évolution du capitalisme, il trouve chez Marx, le souffle de

l’histoire et cette capacité explicative de la dynamique économique.

Son œuvre économique se structure à partir de trois ouvrages :

1912, Théorie de l’évolution économique

1939, Business Cycles,

1942, Capitalisme, socialisme et démocratie.

L’élément récurrent de ces trois ouvrages réside dans l’innovation. Le rôle de

l’innovation qu’il y développe est celui d’un facteur structurant et déstructurant

du marché et du système économique.

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Mais au fil de cette œuvre, sa conception de l’innovation évolue au point de

développer, deux approches antagonistes.

En 1911, il explique comment l’innovation modifie la structure du marché,

plongeant l’économie dans une concurrence imparfaite, où l’entrepreneur

innovateur par son action cherche à obtenir une situation de monopole. Mais

cette situation s’avère précaire car à terme tout monopole sera remis en cause

par de nouveaux entrepreneurs innovateurs.

En 1939, l’innovation explique l’évolution séculaire du capitalisme, en rythmant

les cycles économiques de longue période. L’innovation majeure constitue le

facteur explicatif endogène du cycle Kondratiev.

En 1942, la constitution de marchés monopolistiques, résultat du processus

d’innovation, affirme le règne de quelques grandes entreprises qui selon

Schumpeter deviennent maîtresses du processus d’innovation étouffant

complètement l’entrepreneur innovateur.

Ainsi la pensée schumpétérienne place l’innovation au centre de l’analyse

économique mais propose trois approches différentes que nous allons

successivement étudier.

A. Schumpeter version 1 : Théorie de l’évolution économique (1912)

Dans cet ouvrage, Schumpeter tente de rendre compte de la dynamique

d’évolution du capitalisme et des limites de l’analyse au terme d’équilibre

statique.

Pour comprendre les sources du changement, il convient de s’interroger sur les

facteurs moteurs qu’il identifie dans l’art de combiner autrement pour produire

autrement autre chose. Cet art est le fait d’un personnage hors du commun :

l’entrepreneur innovateur.

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47

L’innovation présentée comme l’exécution de nouvelles combinaisons prend

cinq formes :

La première est celle de la fabrication d’un nouveau bien, l’innovation de

produit.

La seconde est celle qu’introduit une nouvelle méthode de production ou

de commercialisation, l’innovation de procédés.

La troisième est celle qui ouvre de nouveaux marchés et de nouveaux

débouchés.

La quatrième est celle qui porte sur de nouvelles sources de matières

premières.

La cinquième est celle qui concourt à la réalisation d’une structure de

marché monopolistique.

Ainsi, sont exposés les facteurs innovants dans le chapitre II, intitulé "Le

phénomène fondamental de l’évolution économique ".

Les innovations se substituent progressivement à l’existant par une simple

juxtaposition et apparaissant par groupes ou par grappes d’innovations et sont le

fait des entrepreneurs.

L’entrepreneur innovateur constitue le principal acteur du processus

d’innovation.

L’entrepreneur n’est pas l’inventeur, il n’est pas non plus le capitaliste, celui qui

possède l’entreprise, il n’est pas celui qui supporte les risques car seuls ceux qui

financent l’activité supportent les risques, les capitalistes, les actionnaires ou les

banquiers.

Il n’est pas non plus un simple manager ou un gestionnaire.

L’entrepreneur schumpetérien n’est pas motivé par la recherche du profit s’il le

reçoit c’est comme la récompense du succès, comme le militaire reçoit une

médaille pour sa bravoure ou un fait d’arme remarquable. C’est un capitaine

d’industrie qui relève des défis.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

48

Comme le précise Schumpeter :

"Etre entrepreneur n’est pas une profession ni surtout, en

règle générale, un état durable ".

"Théorie de l’évolution économique ".

Ils appartiennent à une classe sociale en devenir. Selon leur réussite dans leur

entreprise, ils deviendront soit des capitalistes soit des propriétaires fonciers, à

la tête d’empires industriels qu’ils auront constitués.

Ainsi, on ne naît pas entrepreneur innovateur, ce statut ne se transmet pas de

père en fils, on n’hérite pas de ce talent, on le conquiert.

Schumpeter ajoute :

"Il est le révolutionnaire de l’économie et le pionnier

involontaire de la révolution sociale et politique ".

"Théorie de l’évolution économique ".

Il s’agit donc d’un homme d’exception qui dépasse ses contemporains par une

capacité particulière, il sait créer, il sait innover. Ce personnage hors du

commun dont la construction théorique emprunte beaucoup au concept d’idéal

type wébérien, trouve très vite des archétypes empiriques.

Sans doute lorsque Schumpeter élabore ce portrait, pense t-il à quelques

entrepreneurs autrichiens ou européens de son époque ou du siècle passé.

Mais si nous devions opérer une transposition actuelle, certes délicate en

identifiant deux entrepreneurs schumpétériens au début et à la fin du XXème

siècle, deux figures marquantes se dégagent :

Le premier est Henry Ford, dont le génie pour l’automobile a révolutionné

la manière de concevoir la fabrication d’une automobile et de répartir les

fruits de la prospérité économique pour chaque contributeur au point

qu’aujourd’hui la science économique dénomme ces innovations

économiques et sociales : le fordisme.

Le second est Bill Gates ou Steve Jobs , dont le génie pour l’informatique

a révolutionné les applications de cet outil.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

49

Partis de presque rien, ils ont construit un empire économique et vulgarisé

l’usage du produit objet de leur travail.

Une fois que nous gardons en tête ces figures emblématiques, l’entrepreneur

schumpétérien prend tout son sens. "Il crée sans répit ", car il ne peut rien faire

d’autres ", mais s’il crée pour lui, il crée surtout et aussi pour les autres.

Il a un rêve, fonder un royaume, un empire pour acquérir un espace et un

sentiment de puissance. Il a la motivation du vainqueur, il assimile son activité

économique à un sport, et pour Schumpeter, il s’agit d’un sport de combat, il

prend l’exemple de la boxe. Il veut lutter, se confronter et bien sûr l’emporter

pour le succès. Ces motivations d’action ne sont pas économiques.

Schumpeter écrit à ce sujet :

"Il aspire à la grandeur du profit comme à l’indice du

succès, par absence souvent de tout autre indice et comme à un

arc de triomphe ".

"Théorie de l’évolution économique ".

La volonté d’ascension sociale, la joie de créer, le plaisir de lutter, tous ces

mobiles expliquent sa soif d’innover.

Ce personnage d’exception devient l’acteur crucial du changement économique,

le moteur du système capitaliste.

Dans l’hypothèse d’une économie centralement planifiée, il serait urgent selon

Schumpeter de lui trouver une organisation équivalente. Si l’on perçoit ici en

filigrane la sensibilité socialiste de Schumpeter que nous retrouverons avec

Socialisme, Capitalisme et Démocratie, il manifeste sa crainte avérée pour le

communisme.

Ces entrepreneurs que nous qualifions d’innovateurs qui désormais doivent être

perçus uniquement par cette aptitude à innover. Ils opèrent dans toutes les

sphères de l’économie, nous retrouverons chez Schumpeter des entrepreneurs

innovateurs dans l’industrie, la banque, la finance, le commerce etc.…, car ils

développent leurs compétences dans différents secteurs.

Dans cet ouvrage, Schumpeter a fixé le cadre analytique qu’il va alors

développer et perfectionner.

Page 50: Economie de l'innovation

Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

50

La seconde étape est alors celle de la compréhension des cycles économiques.

B. Schumpeter version 2 : Business cycles, cycles des affaires (1939)

Schumpeter est le premier théoricien à proposer une véritable explication des

cycles économiques. Il est aussi le premier à attribuer explicitement la paternité

de la démonstration de l’existence des cycles à leur découvreur, Juglar, Kitchin

et Kondratiev. Il montre aussi que la gravité de la dépression économique

dépend aussi de la conjonction simultanée des trois cycles, court, majeur et long.

Tout cycle économique se décompose en quatre périodes ou phases. La phase de

croissance, puis le premier moment du retournement du cycle est celle de la

phase de crise, puis la troisième phase est celle de la dépression, le second

moment de retournement étant la reprise. La crise constitue le point maximum

du cycle, et la reprise le point minimum à partir duquel s’enclenche une nouvelle

phase de croissance.

Si les cycles économiques ne peuvent prétendre à la périodicité et à la régularité

des cycles astronomiques, ils le doivent au statut de la science économique elle

même. On ne peut exiger ou même retrouver une régularité et une périodicité du

même type que celui qui caractérise les sciences exactes pour les sciences

humaines et sociales. La relativité du cycle économique ne conduit pas pour

autant à nier son existence et même si les économistes ignorent à priori

l’amplitude et la durée exacte des cycles, leur répétition et leur reconduction

rythment l’évolution économique.

L’existence des cycles économiques, une fois supposée encore faut-il trouver le

facteur explicatif du cycle pour le comprendre puis intervenir.

Lorsque Keynes postule l’existence des cycles dans la Théorie Générale, il

explique que la politique économique à deux missions, soit d’accompagner la

phase de croissance de sorte à empêcher si possible l’apparition de la crise, soit

de contrer la phase de dépression pour faciliter la reprise. Il s’agit des politiques

pro cycliques ou contra cycliques.

Schumpeter explique que le facteur endogène du cycle long dit Kondratiev est

l’innovation majeure. Cette innovation génère un processus de destruction

créatrice pour le système économique et la concurrence.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

51

L’innovation se déclenche sous l’impulsion des entrepreneurs et des

investissements, elle se déclenche par "grappes ", à l’ensemble du système

productif en ce moment coexistent innovations et anciens produits et procédés.

La généralisation de l’innovation et le boom de l’investissement s’achèvent

après quelques temps. Les perspectives de profit se dégradent. L’innovation en

se généralisant ruine en partie ou totalité l’ancien appareil productif.

Aux procédés ou produits archaïques se sont substituées les innovations. La

destruction créatrice fait son œuvre. Les entreprises qui ont innové avec succès,

connaissent l’expansion à l’inverse de celles qui ne l’ont pas fait ou n’ont pas pu

ou su le faire, vont disparaître.

Le processus de destruction créatrice s’inscrit dans une approche de l’évolution

naturelle conforme à celle de Darwin.

Si sur la marché, la concurrence comptait n entreprises, à l’instant t, après le

passage de l’innovation, il ne reste que n-x entreprises en t+1, n intégrant les

nouvelles apparues et les anciennes entreprises qui ont résistées et x celles qui

ont disparues.

Au voisinage de l’équilibre, sans jamais l’atteindre, car l’innovation empêche la

stabilité de l’équilibre et rend particulièrement instable le système toujours

soumis à un processus de dépassement qu’il appelle « l’overshooting ».

Comme le nombre total d’entreprises toujours présentes sur le marché en t+1,

est inférieur à celles présentent initialement en t : n – x < n, il y a eu une

disparition nette d’entreprise et la logique d’évolution à l’œuvre est celle d’un

processus à terme de monopolisation du marché. Ainsi à terme, n sera égal à 1.

La destruction créatrice correspond à une diminution d’entreprises présentes sur

le marché, si le processus jouait de façon inverse, nous pourrions parler de

création destructrice mais tel n’est pas le cas retenu par Schumpeter.

La dépression peut se transformer en récession car le système économique

complètement déstabilisé, amorce un processus de liquidation excessive

("abnormal liquidation "). Mais cette liquidation excessive est revue à la baisse

et le système revient au voisinage de l’équilibre.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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Mais déjà de nouvelles innovations sont en gestation et leur lancement va

réamorcer le cycle de la croissance.

Le cycle se présente ainsi : 2

X

1 3 1 3

4

Temps

1 : la croissance, phase A du cycle, expansion de l'économie, postérité.

2 : la crise, point de retournement du cycle.

3 : la dépression, phase B du cycle, contraction de l'économie.

4 : la reprise, point de retournement du cycle.

Dès lors, il suffit à Schumpeter de reprendre les périodisations de Kondratiev,

pour montrer que chaque période de croissance longue entre 20 et 30 ans,

correspond à la diffusion des innovations majeures :

1792 - 1815 : Sidérurgie – Textile

1847/49 - 1873 : Chemin de fer

1896 - 1920 : Electricité

Si l’on complète cette approche :

1845 - 1970 : Automobile

1997 / 98 - 20.. : Technologies de l’information

C’est lors des phases dépressives que les innovations majeures entrent en

gestation et que les entrepreneurs innovateurs mettent en place les conditions

d’une expansion longue.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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L’innovation permet donc de saisir le mouvement d’un capitalisme sans cesse en

mouvement. Elle modifie la structure du marché et la structure du système

économique. La concentration croissante des entreprises constitue un fait

caractéristique de l’évolution du capitalisme vers le monopole, sorte de

capitalisme monopolistique, selon une dynamique auto entretenue.

Mais désormais quelle est la place de l’homme, de l’entrepreneur innovateur ?

Que devient-il, si c’est l’entreprise capitaliste qui génère le processus

d’innovation, tend à la monopolisation du marché ? Cette problématique,

Schumpeter va l’aborder dans son ouvrage de 1942.

C. Schumpeter version 3 : Capitalisme, socialisme et démocratie (1942)

Avec cet ouvrage, Schumpeter touche pour la première fois un très large public

dépassant largement la sphère des économistes.

Ce best seller régulièrement réédité, constitue une synthèse de la pensée de

l’auteur dont nous pouvons recommander la lecture, même si l’avis de l’auteur

laisse transparaître une certaine amertume, considérant qu’il doit sa notoriété à

un ouvrage qui n’est pas le meilleur de sa production scientifique.

Mais dans cet ouvrage, Schumpeter fait œuvre d’économiste, de sociologue et

d’historien, et dès la lecture des premiers chapitres, plane l’ombre de son seul

véritable modèle et rival, Karl Marx.

Dans ce livre, Schumpeter tente de saisir l’évolution du capitalisme qu’il

anticipe comme Marx, avec l’avènement du socialisme, mais pour des causes

radicalement opposées à celles de Marx. Comme son illustre modèle, il fait

œuvre prophétique et envisage les modalités de fonctionnement de ce système

économique. Concernant le rôle de l’innovation, nous retrouvons certaines

constantes qui traversent l’œuvre Schumpétérienne et des changements

radicaux.

"La destruction créatrice " s’avère être l’une de ses constantes permanentes, à

laquelle il consacre un chapitre entier le chapitre 7.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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Il s’agit même du concept central de l’analyse schumpétérienne. Ainsi, pour

comprendre la dynamique d’évolution du système capitaliste, il faut

obligatoirement s’y référer.

Il écrit à ce sujet :

"Le point essentiel à saisir consiste en ce que, quand nous

traitons du capitalisme, nous avons affaire à un processus

d’évolution. Il peut paraître singulier que d’aucuns puissent

méconnaître une vérité aussi évidente et au demeurant depuis

si longtemps mise en lumière par Karl Marx (…). Le

capitalisme, répétons-le constitue, de par sa nature, un type

ou une méthode de transformation économique et non seulement

il n’est jamais stationnaire mais il ne pourrait jamais le

devenir ".

"Capitalisme, socialisme et démocratie ".

Le processus de destruction créatrice est à la fois un processus évolutionnaire et

révolutionnaire. Les structures économiques éliminent les éléments vieillis par la

création de nouveaux éléments. Il s’agit d’un processus organique de

fonctionnement du système capitaliste dont la concurrence est le premier

moteur.

C’est la compétition concurrentielle qui en mettant sous pression les

entrepreneurs, les a poussé à développer un ensemble de stratégies pour se

maintenir sur le marché et chercher à le monopoliser. Les entrepreneurs sont

devenus "des chasseurs " et l’innovation une technique de chasse.

Ainsi Schumpeter écrit :

"En effet, la mise en application de ces innovations

techniques a précisément constitué le gros de l’activité de

ces chasseurs (…). Il est donc tout à fait faux et aussi tout

à fait anti-marxiste, de dire, comme le font tout

d’économistes, que l’initiative capitaliste et le progrès

technique ont été deux facteurs distincts du développement

constaté de la production, en fait, il s’agit là

essentiellement d’une seule et même entité, ou encore, si l’on

préfère, le premier a été la propulsive du second. "

"Capitalisme, socialisme et démocratie "chapitre 9.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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Le conditionnement opéré par le système capitaliste, la lutte permanente pour

survivre, ont fait des entrepreneurs les acteurs de l’innovation. Mais désormais,

selon Schumpeter "la chasse est fermée "titre du chapitre 9.

Nous assistons alors à un changement radical du point de vue de la part de

Schumpeter qui signe le crépuscule du rôle de l’entrepreneur.

Jadis, principal initiateur de l’innovation, l’entrepreneur ne joue pour

Schumpeter plus aucun rôle en la matière. Il explique que le processus

d’innovation est devenu un processus routinier et qui est le fait d’équipes

oeuvrant dans le cadre du monopole.

L’innovation jadis productrice de monopole devient le résultat du monopole lui-

même. Ce renversement de causalités traduit le résultat de l’évolution du

système capitaliste. Engagé dans une lutte féroce de monopolisation du marché,

l’entrepreneur y est parvenu grâce à l’innovation mais par là même, il a signé

son acte de décès, en s’effaçant devant une entreprise monopolistique qui

désormais est la seule à innover. La capacité innovatrice de ces très grandes

entreprises s’avère pour Schumpeter beaucoup plus importante.

La destruction créatrice amène un transfert de pouvoir de la petite entreprise et

de l’entrepreneur innovateur vers la grande entreprise et le monopoleur

innovateur. Il convient alors selon Schumpeter d’étudier les organisations et leur

fonctionnement institutionnel qui ont pris le pas sur les mécanismes

économiques. Ce constat est bien sûr largement conditionné par l’évolution du

capitalisme vers le socialisme.

Si comme l’écrit Schumpeter, rien ne résiste à "l’ouragan perpétuel de la

destruction créatrice " n’a-t-il pas lui aussi soumis sa pensée à cet ouragan, au

point de donner une dimension prophétique à son œuvre dont on sait depuis

Marx, les risques d’une telle ambition. Mais laissons là, ce que nous considérons

comme une faille de l’analyse schumpétérienne pour dresser un bilan

particulièrement élogieux. Lorsqu’il écrit :

"Les possibilités technologiques peuvent être comparées à une

mer dont la carte n’a pas été dressée ".

"Capitalisme, socialisme et démocratie ".

Nous pouvons dire de Schumpeter, comme l’avait fait jadis Mercator, pour la

géographie et la cartographie, il a changé notre conception du monde en

donnant naissance à l’économie de l’innovation.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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Il en fixe les fondements et dresse les nouveaux axes de recherches dont les

principales orientations portent sur :

Le rôle de l’entrepreneur dans l’innovation,

L’innovation et les cycles économiques,

L’innovation et la structure du marché,

Le rôle de la grande entreprise dans l’innovation,

La dynamique d’évolution du capitalisme,

Le concept de destruction créatrice,

Les grappes d’innovations,

Le lien crédit innovation combinaison productive.

Nombre d’économistes néo-schumpétériens vont approfondir ces différents

axes, de sorte que nous puissions affirmer que Schumpeter a véritablement

révolutionné l’économie de l’innovation.

Questions d'entrainement autoévaluation :

1) Le remplacement des magnétoscopes par les lecteurs de CD correspond à

quel type d'innovation ?

2) Le remplacement des attelages de chevaux par les automobiles correspond

à quel type d'innovation ?

3) L'énergie éolienne est-elle une révolution énergétique ?

4) Qu’est-ce que la « destruction créatrice »?

5) Donner une illustration empirique au concept de « destruction créatrice » ?

6) Pourquoi Schumpeter a-t-il retenu le concept de « destruction créatrice »?

et non celui de « création destructrice »?

7) En quoi la personnalité de l’entrepreneur innovateur est-elle fondamentale

dans le processus d’innovation ?

8) Quelles sont les différentes figures possibles d'entrepreneurs ?

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9) Peut-on considérer la pensée de Schumpeter à propos du progrès technique

comme contradictoire ?

10) Qui sont « les héritiers » de Schumpeter ?

11) L’innovation conditionne t-elle le cycle économique ?

12) Comment le concept de "destruction créatrice", permet-il d'expliquer la

crise comme le passage de la phase A à la phase B puis la reprise comme

le passage de la phase B à la phase A d'un cycle Kondratiev ?

13) Steve Jobs est-il l’archétype de l’entrepreneur innovateur ?

Exemple d'un sujet de dissertation et éléments de correction:

Sujet : Pourquoi la conceptualisation de l’innovation dans l’analyse

« classique » est-elle problématique ?

Eléments de correction :

Le traitement de ce sujet implique une bonne connaissance du cours et une

aptitude à en extraire les éléments essentiels pour construire la problématique du

sujet.

Il ne faut ni le citer ni le plagier, mais réfléchir.

La définition du sujet nous conduit à définir le champ d’étude de l’économie

« classique » qui recouvre soit les auteurs d’Adam Smith jusque Marx, voire

jusque Pigou donc les néo-classiques. Ces deux courants ont en commun leur

difficulté à faire de l’innovation un concept de leur analyse économique.

Les raisons de cette difficulté tiennent d’abord à un raisonnement où

l’incertitude est absente, le futur est supposé connu et stable. En univers de

certitude, l’innovation n’a pas sa place. Cette hypothèse de travail qui consiste à

neutraliser le progrès technique, s’explique par un raisonnement qui s’opère à

court terme.

A court terme, l’incertitude peut être neutralisé, et non à long terme. De plus les

« classiques » n’analyse pas l’innovation mais ses effets, d’où leur approche

optimiste pour certains, l’innovation économise du travail et augmente sa

productivité (Say, Bastiat), d’autres privilégient les effets négatifs, la machine

chasse l’homme et entraine une élévation des compétences, (Malthus). Ricardo

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incarne à lui seul cette hésitation conceptuelle. Mais peut-on reprocher à des

auteurs leur incapacité à conceptualiser l’innovation alors que leurs

problématiques sont ailleurs ?

Le seul économiste de formation « classique », walrasienne qui opère ce

dépassement analytique, n’est autre que Schumpeter qui parvient tout en restant

dans un cadre « classique » à en démontrer les limites, l’innovation empêchera

la convergence vers l’équilibre par son « processus de destruction créatrice ».

Les aspects du sujet à développer :

Introduction : Qu’est-ce qu’un « classique » ?

1) Les raisons des difficultés à conceptualiser l’innovation.

a) Le rôle de l’incertitude et du long terme non pris en compte.

b) Une approche des effets et non de l’origine de l’innovation.

c) Des problématiques où le progrès technique est mineur voire absent.

2) Le dépassement par un économiste de formation « classique » du cadre

analytique « classique » : Schumpeter.

a) La destruction créatrice et l’impossible équilibre.

b) La prise en compte du long terme : les cycles.

Conclusion : La conceptualisation pour tous les courants s’avère somme toute

délicate

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Séquence 4 :

La théorie économique actuelle face à l’innovation.

Comme nous allons le voir l’économie de l’innovation doit nombre de ses

développements à l’héritage schumpétérien. Schumpeter lui a fixé plusieurs

voies de recherche, dont deux se dégagent. L’une explorée par l’analyse

macroéconomique qui va approfondir le lien entre innovation et croissance, et

l’impact de l’innovation sur la création et la destruction des emplois. La

seconde voie privilégiera l’étude du rôle de l’innovation dans la structuration

des marchés. La concurrence monopolistique s’avère t-elle l’effet du processus

d’innovation ou la cause ? La microéconomie va se saisir de cette

problématique.

I. Approches macroéconomiques de l’innovation

a) Innovation et croissance

Comme nous l’avons vu précédemment, la question du progrès technique et de

l’innovation est éludée par l’analyse néoclassique, d’une part parce qu’elle les

considère comme des données ou d’autre part parce qu’il s’agit d’éléments

exogènes n’ayant rien à voir avec l’analyse économique.

Comme le goût, la technique est une donnée externe. Si le goût influence

l’échelle des préférences du consommateur, si la technique modifie la rareté

relative de certains biens, influe sur les prix et les coûts relatifs, tous deux ne

bouleversent pas l’existence de l’équilibre.

Au cours des années 1950, nombre d’économistes y compris parmi les

néoclassiques vont tenter d’expliquer les origines de la croissance.

A partir de la fonction Cobb- Douglas où :

Y correspond au revenu national, et dY/Y correspond au taux de croissance de

ce même revenu national ; K correspond au facteur Capital, au capital productif

nécessaire à la production nationale et dK/K au taux de croissance de ce facteur

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de production ; L correspond au facteur travail, la main d’œuvre nécessaire pour

produire et dL/L est le taux de croissance du facteur production travail. Sachant

que conformément à la démarche néoclassique, les hypothèses de travail

microéconomiques sont généralisées au plan macroéconomique, ces deux

facteurs de production sont supposés complémentaires et parfaitement

substituables.

Ainsi on peut écrire :

α (1- α )

Y = A . K . L ,

Les coefficients α et β expliquent les rendements factoriels du facteur de

production auquel ils sont affectés et leur combinaison (α + β), rendent compte

des rendements d’échelle.

La fonction Cobb-Douglas peut donc mesurer la croissance du revenu national à

partir des facteurs de production. La croissance du revenu (dY/Y) est le résultat

de la contribution de chaque facteur de production et à l’innovation de nouveaux

facteurs de production.

Ainsi on a :

dY/Y = dA/A + α dK/K + (1- α). dL/L

Or, il apparaît que l’accroissement dK/K consécutif à un accroissement du taux

d’épargne et que dL/L consécutif à l’augmentation de la population s’avèrent

insuffisants pour expliquer l’ampleur de la croissance, l’accroissement de dY/Y.

On en déduit que la fraction de la croissance non expliquée par celle du Capital

et du Travail l’est par le progrès technique, perçu au travers de A, qualifié de

résidu.

La mesure du progrès technique est donc :

dA/A= dY/Y - αdK/K – (1- α) dL/L

A titre d’exemple, si le capital et le travail expliquent 2% de la croissance qui

s’élève à 5%, on considère alors que la contribution du progrès technique est de

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3%. Il apparaît dans la plupart des études empiriques, que le résidu expliquait

50% de la croissance, ce qui posait problème.

C’est pourquoi, il a semblé plus réaliste de supposer le progrès technique

comme incorporé en partie ou en totalité aux facteurs capital et travail. Dès lors,

l’hypothèse selon laquelle l’investissement constitue l’un des vecteurs du

progrès technique est affirmée.

Cette hypothèse permet de construire des modèles à génération de capital. Le

stock de capital est décomposé en générations successives d’autant plus

productives qu’elles correspondent à des équipements plus récents.

Ainsi, une partie du ralentissement des gains de productivité observée, pendant

la crise peuvent être imputée au vieillissement du stock de capital. Inversement,

la croissance résulterait au rajeunissement du capital mais sachant que l’on ne

rachète jamais le même type de machine, se pose alors un problème soulevé par

Joan Robinson, à savoir l’hétérogénéité du capital qui empêche sa

quantification.

Lorsque nous achetons un nouveau micro-ordinateur, nous privilégions le

dernier modèle sorti qui sera obsolète dans six mois ou un an. Il nous est

impossible d’acheter celui que nous avions dix ans plus tôt, aux capacités

techniques obsolètes et d’ailleurs abandonnées depuis.

De même, la formation et la qualification influent sur la productivité du facteur

travail mais ces éléments bien que présent s’avèrent difficilement quantifiables.

Mais si cet exposé présente des limites certaines, nous devons reconnaître à

Solow, le mérite dans le cadre d’un modèle de croissance, d’avoir cherché à

rompre avec l’hypothèse d’un progrès technique neutre et d’avoir tenté de

l’endogénéiser par un progrès technique désormais incorporé.

De plus, la question de l’intégration du progrès technique ne peut se faire ici

qu’au travers des équipements supplémentaires, donc l’investissement.

Ce travail, ouvre la voie de travaux sur l’identification des moteurs principaux

du progrès technique, que sont l’investissement en capital technique et en capital

humain dont vont largement s’inspirer les théories de la croissance endogène.

Nous pouvons remarquer que l’innovation permet d’infirmer la loi des

rendements croissants, constants puis décroissants appelée habituellement loi

des rendements décroissants. En innovant, la productivité marginale peut

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continuer à croître. Cette remarque n’est pas sans conséquence pour la théorie

néoclassique.

b) Les théories de la croissance endogène.

Les théories de la croissance endogène constituent un renouvellement de

l’analyse des sources de la croissance et ambitionnent à partir de cette nouvelle

compréhension d’influencer les facteurs déterminants par la politique

économique.

Considérant le modèle de Solow comme l’amorce d’un raisonnement sur la

croissance, elles souhaitent approfondir la notion de progrès "autonome " qui

reste inexpliquée. L’ambition commune de ces théories amorcée par Paul Romer

en 1986 et Robert Lucas en 1988, vise à rendre compte des facteurs qui

gouvernent l’accumulation du facteur A, le fameux résidu de Solow.

Ces théories proposent trois types d’explications :

1er type : Le moteur de la croissance réside dans un phénomène et processus

d’apprentissage, l’apprentissage, résumé par l’expression "learning by doing ",

apprendre en pratiquant. Ce processus s’opère notamment à l’intérieur de

l’entreprise.

2ème type : Le moteur de la croissance réside dans l’accumulation de capital

humain au sein du système éducatif.

3ème type : Le moteur de la croissance réside dans la Recherche et le

Développement. A correspond à un stock d’innovations produit par l’activité

volontaire de R. D.

Le progrès technique dépend donc :

de la capacité d’apprentissage des entreprises et de la main-d’œuvre,

du niveau de formation de la main-d’œuvre,

de l’importance des investissements en recherche et développement.

Pour les économistes de la croissance endogène, le progrès technique ne tombe

pas du ciel mais renvoie à des ressources investies en capital humain, en capital

technique et en capital public.

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La croissance devient un processus de l’accumulation de ces trois types de

capital, le capital humain, c'est-à-dire la main-d’œuvre, le capital technique,

c'est-à-dire le progrès technique.

Pour ces théoriciens l’innovation ne tombe pas du ciel de façon brutale et

inexpliquée, mais elle est le résultat complexe d’un processus d’investissement

dans différentes formes de capital dont l’émergence engendrent d’autres

innovations qui ensemble génèrent la croissance économique.

Le progrès technique ne présente plus une caractéristique quasi-mystérieuse et

exogène. Il s’agit d’un processus endogène au fonctionnement du système

économique.

Le progrès technique et l’innovation résultent donc de quatre types de capital : le

capital humain, le capital physique, le capital technique et le capital public.

La capacité de la main-d’œuvre à se former ainsi que son niveau de

qualification, d’expérience de formation acquis constituent le capital humain.

L’investissement en capital humain consiste alors à acquérir de nouvelles

connaissances de nouveaux savoirs et savoir-faire de sorte à accroître la capacité

productive et innovatrice de la main-d’œuvre. La théorie du capital humain a été mise en évidence par deux économistes de

l’école de Chicago, T. Schultz et G. Becker et reprise par Lucas sans ses travaux

sur la croissance endogène.

Le capital humain recouvre l’ensemble des capacités apprises par un individu

qui accroissent l’efficacité productive de ce dernier. Chaque individu est alors

propriétaire d’un certain nombre de connaissances qui se traduisent en

compétences professionnelles qu’il valorise en les vendant sur le marché du

travail.

Dès lors, dès qu’il se forme, il investit en lui-même. Cet investissement a un

coût total qui se décompose en différents coûts : coût monétaire, coût

d’opportunité, etc. mais une fois la formation effectuée et validée, il attend un

retour sur investissement qui se traduit par un accroissement de son niveau de

salaire, une amélioration de ces conditions de travail, une promotion au sein de

l’entreprise etc.

De plus, son efficacité productive sera d’autant plus effective qu’il sera entouré

de personnes ayant elles aussi le même niveau de formation et le même niveau

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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de productivité. Mais le coût de l’investissement peut donner lieu à un partage

entre l’individu, l’entreprise et l’Etat dont l’intérêt commun est l’élévation du

niveau de formation, de qualification et de compétences de la main-d’œuvre.

A l’inverse, un individu qui n’actualiserait pas son niveau de formation initiale,

soit parce qu’il en serait incapable pour diverses raisons, soit parce qu’il s’y

refuserait, s’exposerait à moyen et long terme à une obsolescence de son stock

de connaissances. Les risques d’une mise à l’écart voire d’un licenciement

deviendraient très élevés.

Ainsi l’allongement de la durée moyenne de la scolarité qui s’affirme comme

une tendance séculaire dans les pays occidentaux apparaît comme une des

causes explicatives de la croissance économique.

L’investissement en capital humain devient donc un axe privilégié de la

politique publique d’éducation pour la formation initiale et continue. De même,

les entreprises procèdent elles aussi à cet investissement qui assure une capacité

d’apprentissage permanente de la main-d’œuvre au sein de l’entreprise et sa

capacité à maîtriser le capital technique de celle-ci.

La capacité des entreprises à investir dans la recherche-développement ainsi

qu’à adopter, assimiler des idées, des informations, au statut de biens publics,

accessibles à tous sans coût, permet de faire progresser le niveau des techniques

et des technologies, il s’agit du capital technique.

Les entreprises innovatrices par cette recherche, sont à l’origine de biens et

procédés nouveaux, qu’elles protègent par des brevets de sorte à rentabiliser par

une source de revenu l’investissement opéré. Elles acquièrent par cette

opération, une situation de monopole. Mais elles sont aussi pourvoyeuses

d’idées et de stimulations, point de départ à des innovations ultérieures pour

elles-mêmes ou pour leurs concurrents. L’accumulation de connaissances

nouvelles, issues de connaissances anciennes et de la recherche fait progresser la

technologie et la productivité. Une main-d’œuvre bien formée s’avère capable

de maîtriser ces technologies, de les créer, et d’innover.

La capacité d’un Etat à fournir des infrastructures et des institutions nécessaires

à la croissance économique, à l’implantation et le développement des entreprises

et à la valorisation de la main-d’œuvre constitue le capital public.

Il recouvre une partie du capital physique, équipements à la charge de l’Etat ou

des collectivités locales. Les infrastructures de transport, (routes, autoroutes,

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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chemin de fer, aéroport), de communication, les investissements opérés dans les

secteurs de l’éducation, de la formation, de la recherche, traduisent le rôle du

capital public à créer les conditions favorables à l’émergence d’un processus

d’innovations, combiné aux autres types de capital.

L’autre partie du capital physique non pris en charge par le secteur public, est

financée par le secteur privé.

En investissant dans de nouveaux équipements, les firmes se donnent non

seulement les moyens d’accroître chacune leur production mais également celle

des autres, concurrentes ou non.

En effet, l’investissement dans de nouveaux bâtiments (capital physique privé)

et dans de nouvelles technologies (capital technique) est le point de départ à la

diffusion de nouveaux apprentissages par la pratique (capital humain). Comme

ces savoirs et savoir-faire ne peuvent rester l’unique propriété de la firme

innovatrice, ils se diffusent à l’ensemble des firmes et génèrent donc des

externalités positives.

Cette décision a pu avoir comme origine, l’impulsion de nouvelles politiques

d’aménagement du territoire par l’Etat et les collectivités locales (capital

public).

Un processus de symbiose et de synergies entre les différentes formes de capital,

démontre que l’investissement à un double effet, il agit directement sur la

croissance et indirectement sur le progrès technique. La croissance est un

phénomène auto entretenu par l’accumulation de quatre facteurs principaux,

capital physique, technique, humain et public.

Les théories de la croissance endogène marquent une rupture fondamentale pour

l’économie de l’innovation, de l’information et de la connaissance.

En effet, alors que la théorie néoclassique postulait la loi des rendements

décroissants pour le capital et le travail, les théories de la croissance endogène

ont infirmé ce postulat, en affirmant la constance des rendements voire même la

possibilité de leur croissance.

Selon la croissance endogène, plus on investit, plus la croissance tend à

augmenter. L’efficacité du capital supplémentaire investi, ne fléchit pas car il

engendre un ensemble d’effets internes et externes positifs pour son investisseur

et pour la collectivité.

Page 66: Economie de l'innovation

Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

66

L’investissement doit ici être envisagé sous ses aspects matériels et

immatériels, quantitatifs et qualitatifs.

Les investissements en formation, en recherche, en infrastructures génèrent un

accroissement du niveau de connaissances, de savoirs et de savoir-faire. La loi

des rendements décroissants ne s’applique pas à la connaissance.

Chaque connaissance nouvelle améliore le savoir existant et ouvre de nouvelles

perspectives pour le progrès du savoir.

Comme l’écrivait Bernard de Charles au XIIème siècle, et le reprenait après,

Newton :

"Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants ".

Dans ce cas, le nain voit plus loin que le géant et perfectionne le savoir.

En investissant, un agent économique, une entreprise ou un salarié, voire même

l’Etat, tous améliorent la connaissance globale.

Ces investissements cumulés produisent une efficacité productive non seulement

pour celui qui les a initiés mais aussi pour tous. Les externalités positives se

généralisent.

Lorsqu’une entreprise met en place une nouvelle méthode de production, celle-

ci essaime très rapidement, l’effet d’imitation joue mais au-delà une nouvelle

structuration de l’appareil productif et du territoire peut en découler.

A titre d’exemple, lorsque Henry Ford, conçoit la chaîne de production de sa

"Ford T" selon les méthodes tayloristes, il ne redoute aucunement l’imitation de

ces concurrents, au contraire s’ils l’imitent, c’est qu’il aura le premier gagné le

pari de l’innovation.

Dès lors l’innovateur prend le risque, le premier. Il assume le coût. Il essaie, par

la reconnaissance d’un droit de propriété en déposant un brevet, de contrôler et

de bénéficier de l’utilisation que pourraient faire ses concurrents de son

innovation.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

67

Il évite ainsi le comportement des passagers clandestins "free riders", qui

tireraient avantage sans avoir à supporter les coûts. L’innovateur crée donc un

monopole et instaure une situation de concurrence imparfaite.

Dans certains cas, l’Etat peut devenir l’innovateur, transformer l’innovation en

bien public gratuit dont le coût aura été supporté par la collectivité.

En matière de formation, de recherche, de dépenses d’infrastructures pour ces

secteurs, l’Etat impulse le mouvement d’accumulation et de diffusion des

connaissances et d’innovations. L’innovation devient ici l’objet d’une stratégie

individuelle ou/et collective.

Ces investissements deviennent des moyens essentiels aux résultats incertains

d’améliorer le stock des connaissances existantes. De ces investissements résulte

la croissance.

Une nuance doit toutefois être apportée.

Les savoirs, s’y progressent, ne font pas uniquement l’objet d’un processus

d’agrégation, d’ajout. Les techniques nouvelles peuvent purement et simplement

éliminer les anciennes en les remplaçant.

Un processus de destruction créatrice œuvre aussi en matière de savoirs et de

savoir-faire. Il y a donc là production d’une externalité négative.

Lorsque l’ordinateur et le traitement de texte remplacent la machine à écrire, par

la même occasion, la secrétaire doit acquérir de nouvelles compétences et de

nouvelles connaissances.

Les théories de la croissance endogène initiées par des économistes

néoclassiques parviennent à réhabiliter le rôle de l’Etat. Il ne s’agit pas d’une

nième version d’un nouveau keynésianisme mais il s’agit de faire jouer à l’Etat

un rôle nouveau.

En matière d’infrastructures, seul l’Etat peut créer les conditions propices à la

croissance, en structurant le territoire en mobilisant les moyens financiers

conséquents et en fédérant les acteurs.

En matière de Recherche Développement, l’Etat peut s’impliquer directement,

intervention maximale par la recherche publique au service de l’innovation ou

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

68

s’impliquer indirectement, intervention minimale, par la mise en place d’un

système de brevets et en garantir le respect.

L’information et la connaissance technologiques qui par nature sont des biens

sans exclusion d’usage, bien publics.

Une fois produits, ils ne coûtent rien de les mettre à la disposition de tous. Le

problème réside alors dans le fait que si l’innovateur ne rentabilise pas le coût de

son innovation et qu’il ne peut en tirer aucun profit, son intérêt pour l’innovation

est inexistant.

Le brevet donne alors à la connaissance technologique le caractère économique

d’un bien privé à usage privatif ou conditionné. Ainsi, la vente de ce bien privé

assure la rentabilité de la recherche qui lui a donné naissance.

Dès lors, le détenteur du brevet se trouve en situation de monopole.

L’exploitation de cette situation lui permet de réaliser une rente de monopole.

L’innovation génère inéluctablement une concurrence imparfaite. Mais la rente

de monopole possède par définition un statut provisoire, pour différentes

raisons.

L’Etat par la loi accorde une validité temporaire au brevet qui le délai expiré,

donne à l’innovation le statut de bien public, donne à l’innovation le statut de

bien public, dont l’utilisation légale est permis gratuitement.

De nouvelles innovations ont fait tomber en désuétude le brevet devenu sans

objet.

L’innovation devient alors un moyen dans la lutte perpétuelle entre les firmes,

pour conquérir ou reconquérir de nouvelles positions temporaires de monopole

dont la croissance générale est le résultat de cet effort.

Alors que pour l’analyse néoclassique, les situations de monopole doivent

obligatoirement être combattues car elles conduisent à des distorsions de prix

préjudiciables à l’efficacité globale de l’économie, les modèles de croissances

endogènes, dans la lignée de Schumpeter, soutiennent une défense nuancée du

rôle des monopoles.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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Pour P. Romer, le progrès technique et l’innovation sont des résultats. Leur

production dépend de la rémunération attendue, sous la forme de droits de

propriété, c'est-à-dire de rente de monopole.

Mais cette rente de monopole n’existe qu’à partir du moment où la

connaissance, l’information nouvelle a donné lieu à un produit ou une technique

nouvelle.

L’Etat devient alors le garant de la rémunération de l’innovateur par les brevets

ou/et la fiscalité compensatrice sur les innovations.

c) Innovation et Emploi

L’innovation permettant de percevoir concrètement le progrès technique, il

s’agit désormais d’examiner les suites données par les économistes aux craintes

partagées par la plupart des classiques à propos des destructions d’emplois

redoutées par l’adoption de nouvelles machines.

Un rapide bilan des faits postérieurs à la seconde guerre mondiale, puis pour la

période des « trente glorieuses » et enfin pour la période de 1974 à nos jours, fait

apparaître que l’impact du progrès technique sur l’emploi au niveau

macroéconomique conduit à des constatations contradictoires.

Les phases de croissance rapide de la productivité ont été le plus souvent des

périodes de prospérités caractérisées par un niveau d’emploi élevé.

En France, la productivité de la main-d’œuvre de 1960 à 1974 s’est accrue de

4.75 % par an en moyenne, le taux de chômage moyen était alors de 2% de la

population active.

De 1974 à 1990, la productivité moyenne de la main-d’œuvre s’élevait à 2,5 par

an et le taux de chômage moyen s’élevait à 8%.

Une croissance économique élevée assise sur une progression rapide des gains

de productivité donne lieu à une progression sensible de l’emploi.

Conformément à la loi Kaldor-Verdoorn, du nom des économistes hongrois et

néerlandais, une explication simple peut être donnée.

Cette loi établit que les croissances de la production et de la productivité vont

de pair, plus la production croît, plus la productivité croît, et compte tenu du fait

que la croissance de la production dépasse celle de la productivité, elle entraîne

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la croissance de l’emploi. Inversement, une croissance de la production plus

faible que celle de la productivité, se traduit par des destructions d’emplois.

Si on considère le taux de croissance de la productivité comme une mesure

indirecte et satisfaisante des effets du progrès technique et des innovations, on

ne peut établir le fait qu’ils aient des effets déterminants sur la croissance de

l’emploi.

La véritable variable déterminante réside dans le contenu en emplois de la

croissance.

L’augmentation du chômage au début des années 1970, marque le passage

d’une croissance forte riche en création d’emplois à une croissance ralentie

faiblement créatrice d’emplois.

Les mutations structurelles en Europe expliquent la destruction massive

d’emplois dans les secteurs traditionnels et la création de nouveaux emplois

dans le secteur tertiaire, la thèse de la compensation réapparaît sous la plume

d’Alfred Sauvy.

Dans un ouvrage intitulé "la machine et le chômage"en 1980, Sauvy enrichit la

thèse de la compensation par sa théorie du déversement, selon laquelle les

gains de productivité créent à terme, plus d’emplois qu’il n’en suppriment au

travers des effets prix, qui provoquent une hausse de la demande intérieure et au

travers des effets revenus qui permettent de repartir les gains de productivité par

un accroissement des profits et des salaires et/ou par la réduction du temps de

travail.

Appliquée au XIXème siècle, la thèse du déversement fait valoir que la

modernisation de l’agriculture par sa mécanisation, l’agrandissement des

exploitations a entraîné des gains de productivité importants.

La main-d’œuvre agricole libérée de ce secteur, trouvait un emploi dans

l’industrie.

Ainsi, au XIXème siècle, le progrès technique a crée plus d’emplois qu’il n’en a

détruit, en en laissant le contenu des emplois quasi identiques.

Les qualifications possédées par l’ouvrier agricole licencié convenaient à son

recrutement comme ouvrier d’usine.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

71

Mais Sauvy a conscience que le progrès technique au XXème siècle, change les

contenus des emplois et exige de la main-d’œuvre de nouvelles qualifications.

Ainsi, il distingue deux types de progrès technique. Le progrès technique

récessif qui entraîne effectivement des suppressions définitives pour des métiers

à faibles qualifications tel fut le sort des canuts de Lyon ou des poinçonneurs du

métro.

Le progrès processif crée des emplois qui répondent à de nouveaux besoins réels

ou suscités, les emplois liés à la production des appareils électroménagers ou

aux moyens de communication, illustrent ce type de progrès.

Enfin, le progrès d’abord récessif puis processif, crée des emplois à haute

qualification.

Un problème de décalage se pose, décalage humain entre les emplois crées et les

emplois détruits, les exigences en qualifications et formation différent

complètement.

Un problème de décalage géographique entre les régions d’un même pays ou

entre les pays eux-mêmes.

Dès lors, l’effet de déversement va dépendre du contexte dans lequel il opère.

Le progrès technique est à l’origine de créations d’emplois susceptibles de

compenser voire même de dépasser l’effet direct de destruction d’emplois. Cet

impact dépend notamment du positionnement du pays dans la concurrence

internationale. La seule différence entre la thèse de déversement et la thèse classique de la

compensation, réside dans la prise en compte de la nature, de la demande

adressée aux branches bénéficiaires.

En longue période, le progrès technique ne crée pas uniquement des revenus

supplémentaires, il provoque un transfert de la demande. Le phénomène

essentiel du déversement ou transfert d’utilisation du revenu va de pair avec un

transfert de la demande occasionnelle et un transfert d’emploi.

Comme l’écrit Sauvy :

"Quel que soit le bénéficiaire et quelles que soient les

justifications ou les reproches qui peuvent être formulés,

l’utilisation de ce ou de ces revenus supplémentaires crées

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

72

des emplois ailleurs, mais ces emplois ne sont identiques ni

en nature ni en nombre aux emplois perdus ".

La Machine et le Chômage.

La question des effets des nouvelles technologies sur l’emploi apparaît

extrêmement complexe à saisir.

Sur le long terme, la position de la plupart des économistes consiste à considérer

que l’innovation est créatrice nette d’emplois.

A court et moyen terme, le chômage technologique apparaît comme la résultante

inévitable de l’introduction de l’innovation.

Il y a un décalage temporel entre les effets immédiats sur l’emploi, où le solde

entre les créations et les destructions est négatif et les effets différés sur les

capacités productives, la productivité et la production où le solde devient positif.

Le chômage technologique, que l’on peut définir en reprenant la définition de F.

Perroux comme un "déséquilibre entre la quantité de main-d’œuvre disponible et

la quantité de main-d’œuvre employée", consécutif à l’introduction d’une

invention nouvelle dans une branche d’activité économique, s’avère donc

transitoire.

Les postes de travail immédiatement détruits sont ainsi plus que compensés par

les créations d’emploi dont la date est différée. C’est donc un mouvement

diachronique dans la diffusion du processus d’innovation qu’explique le

chômage technologique et pour paraphraser quelque peu Schumpeter, nous

pouvons indiquer qu’il procède selon un processus de créations destructrices

et pas de destruction créatrice ", puisque les créations d’emploi l’emportent sur

les destructions alors que pour Schumpeter les destructions d’entreprises

prenaient le pas sur les créations.

Questions d'entrainement autoévaluation :

1) L’innovation s’inscrit-elle dans une logique de l’offre ou de la demande ?

2) Quelles innovations ont permis des gains de productivité dans l'agriculture

depuis le XVIIIe siècle ?

Page 73: Economie de l'innovation

Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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3) Pourquoi la révolution agricole a-telle été un préalable à la révolution

industrielle ?

4) En quoi les gains de productivité dans l'agriculture expliquent-ils l'exode

rural, l'industrialisation et l'urbanisation au XIXe siècle ?

5) Qu’est-ce que l’effet de déversement ? Est –il toujours un concept

pertinent ?

6) Peut-on dire que le progrès technique est à l'origine du chômage selon

l'effet de déversement ?

7) Comment l'effet de déversement peut s’opérer efficacement sur l'emploi ?

8) Comment définir le chômage technologique à partir de l'effet de

déversement ?

9) Qu'est-ce que le paradoxe de Solow ?

10) En quoi consiste le paradoxe de la productivité ?

11) Qu'est-ce que le capital humain ?

12) Pourquoi le capital humain est-il la source de l'innovation ?

Exemples de sujets de dissertation sur la séquence :

Sujet : Innovation et compétitivité

Sujet : Le rôle du capital public en matière d’innovation dans l’attractivité des

territoires.

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Séquence 5 :

La théorie standard actuelle face à l’innovation et sa principale théorie alternative.

L’intégration du rôle de l’innovation dans la théorie économique standard, c'est-

à-dire néoclassique constitue un véritable défi car elle implique une adaptation

du paradigme et des hypothèses constitutives.

Nombre des hypothèses de travail ou des résultats établis par cette analyse

apparaissent remis en cause par l’innovation. Comme nous l’avons vu

précédemment Schumpeter a le premier montré les limites du modèle walrasien.

La stabilité voire l’existence d’un équilibre général s’avèrent difficiles à

démontrer dès lors que les changements techniques oeuvrent.

La thèse de Schumpeter fait valoir à cause de l’innovation, la possible

convergence vers une situation d’équilibre mais inaccessible, l’innovation

empêchant la possibilité d’un arrêt, c’est sa thèse de "l’overshooting ", du

dépassement.

L’économie peut converger au voisinage de l’équilibre sans jamais y parvenir

car sa dynamique historique est par nature cyclique.

De plus, l’hypothèse de la loi des rendements décroissants, nécessaire à la

détermination d’un optimum, s’avère elle aussi remise en cause par

l’introduction de l’innovation.

Des rendements croissants peuvent être expliqués par une innovation qui

empêche alors la détermination de l’optimum économique pour la firme,

situation particulièrement inconfortable.

D’autre part, l’innovation fruit de la concurrence vise à introduire une

différenciation significative qui octroie un pouvoir de marché.

Deux conditions de la concurrence pure et parfaite volent en éclat puisque les

agents supposés être de simples atomes incapables de ce fait d’influer sur les

prix et les quantités, visent par l’innovation à monopoliser le marché et cette

stratégie s’obtient notamment par une hétérogénéité des produits obtenus par la

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différenciation apportée par l’innovation alors que le module postule

l’homogénéité des produits. L’innovation change aussi l’environnement analytique en introduisant

l’incertitude alors que le cadre de prédilection de l’analyse néoclassique est celle

d’un monde certain.

Dès lors, l’intégration de l’innovation dans la théorie standard constitue un

véritable défi, qu’elle va bien sûr relever.

A) L’économie standard de l’innovation : compétition technologique,

taille des firmes, incitation à innover et monopolisation du marché. La relation entre la structure du marché et la capacité innovatrice de la firme est

posée par Schumpeter.

La recherche d’un pouvoir de marché et de la rente de monopole pousse

l’entreprise à innover.

Une fois, la position de monopole acquise, l’innovation constitue le moyen de

conservation de la position qui écarte les concurrents potentiels.

Ainsi, l’incitation à innover dépend de l’aptitude de l’innovation :

1. à monopoliser le marché,

2. à dégager la profitabilité escomptée au travers de la rente de monopole,

3. à assurer la conservation de la position acquise par l’existence de droits

de propriété.

L’innovation accroît un pouvoir de marché à la firme, mais encore faut-il que

l’entreprise innovatrice puisse durablement centraliser l’innovation.

L’attrait ou le déficit d’incitation à innover dépendent de l’existence ou non de

barrières à l’entrée sur le marché, thèse développée par E. Mansfield.

En effet, la connaissance est un bien public pur.

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Toute information produite, toute connaissance produite, tout savoir produit

dans le cadre de l’activité de Recherche et de Développement ont à priori un

coût d’usage nul, ne peuvent être l’objet d’une appropriation par leurs auteurs et

sont incertaines.

Ainsi, l’activité inventive ne peut à priori donner lieu à une allocation optimale

des ressources par le mécanisme du marché, nous sommes ici confrontés à des

défaillances du marché.

La firme innovatrice a pris des risques en décidant à innover, le premier réside

bien sûr dans la non garantie d’aboutissement des recherches.

L’activité innovatrice a généré un certain nombre de coûts, évaluables

monétairement. Dans, l’hypothèse où elle ne pourrait pas par les gains

monétaires attendus couvrir et même dépasser les frais engagés, l’incitation à

innover devient inexistante.

Cette situation devient effective à partir du moment où les informations sont

divulguées ou dès que l’innovation est copiée.

Les autres firmes qui ont eu connaissance des informations ou qui ont imité

l’innovation se retrouvent alors dans la situation du passager clandestin, "free

rider" qui profite sans en supporter le coût et empêchent la firme innovatrice de

rentabiliser son initiative.

La protection contre cette stratégie, qualifiée de "Hit and Run", terme emprunté

au vocabulaire militaire des troupes commandos dont la principale mission

consiste à frapper l’ennemi sur son terrain puis à se retirer, pour les entreprises,

il s’agit de capter le marché puis de le quitter une fois les profits engrangés,

consiste dans la mise en place d’un marché de droits de propriété (COASE).

Le droit de propriété reconnu à l’entreprise innovatrice lui donne la paternité et

la jouissance de l’innovation. Elle peut en conserver l’exclusivité d’exploitation

ou consentir un droit d’utilisation moyennement une rétribution monétaire.

Ainsi, le brevet apparaît à la fois comme un dispositif protecteur de la propriété

de l’innovation à son initiateur mais aussi comme un dispositif incitatif parce

que protecteur.

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Comme l’écrit E. Mansfield (1977) :

"La rentabilité de l’innovation, l’existence et la durée du

brevet portant sur le produit et la taille de

l’investissement requis pour produire l’innovation semblent

avoir l’effet prévu sur le taux d’imitation ".

Il s’agit d’une stratégie dite de la protection légale pour garantir l’incitation à

innover. Pour le brevet, la production d’externalités positives au bénéfice de

concurrents adoptant un comportement de passagers clandestins, en imitant, se

trouve contrôlée.

Mais d’autres stratégies génériques peuvent assurer l’incitation à innover et la

conquête d’un pouvoir de marché.

Nous pouvons citer :

La stratégie de domination par les coûts,

La stratégie de différenciation de produits,

La stratégie de barrières à l’entrée.

La stratégie de domination par les coûts consiste par l’introduction de

nouveaux procédés de fabrication de modifier la courbe d’apprentissage de sorte

que la firme innovatrice obtient un coût moyen unitaire inférieur pour un volume

donné.

L’innovation lui assure le coût moyen et marginal le plus bas du marché, de

sorte que l’entreprise innovatrice devient "price maker", elle fixe le prix, puisque

le prix du marché se cale sur le sien.

Les concurrents s’adaptent en réduisant eux aussi leurs coûts ou s’ils ne peuvent

le faire, en disparaissant du marché. La monopolisation est en marche.

La stratégie de différenciation consiste à offrir des produits perçus comme

différents de ceux fournis par les autres producteurs, notamment parce qu’ils

intègrent des différenciations technologiques.

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L’innovation permet de rendre le produit hétérogène. Cette différenciation peut

soit être horizontale, elle porte alors sur la variété, soit être verticale, elle

concerne les caractéristiques même du produit notamment la qualité.

A titre d’exemple, une stratégie de différenciation horizontale pour une

entreprise qui produit des téléphones portables serait la possibilité d’en modifier

l’apparence par une personnalisation du produit.

Appliquée au même produit, une stratégie de différenciation verticale porterait

sur la multiplicité de ses fonctions, son autonomie, sa qualité acoustique,

ensemble d’éléments distinctifs reposant sur des innovations intégrées au

produit.

La capacité à innover pour différencier assure un pouvoir de marché à la firme.

La stratégie des barrières à l’entrée consiste à instaurer des coûts fixes

irrécupérables, appelés "sunk costs ", (coûts qui coulent), de sorte à empêcher

les tentatives d’imitation et à réduire les tentatives de "Hit an Run".

Selon Stigler (1968), une barrière à l’entrée se définit comme "un coût de production qui doit être supporté par les firmes cherchant à

entrer dans une industrie mais qui ne l’est pas par la firme,

déjà installée dans cette industrie". La justification de cette barrière réside dans la nécessaire incitation à la

rentabilité de l’innovation.

Nous pouvons distinguer cinq types de barrières à l’entrée : 1er type : Existence d’économies d’échelle qui ne se manifestent pas

seulement au niveau de la production mais aussi au niveau de

l’apprentissage technologique.

A titre d’exemple, un concurrent de la S.N.C.F. qui souhaiterait

produire et exploiter des trains à grande vitesse, se trouve confronter à des

investissements et une acquisition de savoirs et savoir-faire dont le coût

total constitue une forte dissuasion à l’entrée sur le marché.

2ème type : Les barrières à l’entrée liées aux investissements immatériels

complémentaires de la R.D.

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79

3ème type : Les barrières à l’entrée liées à la mise en œuvre d’un système

de relations contractuelles en forme de réseau. Il s’agit de faire en sorte

que le nouvel entrant devienne plus un allié qu’un concurrent. Il s’agit le

plus souvent d’alliances technologiques où il y a partage des coûts de

R.D, des risques des informations et des connaissances. Il y a cession

d’informations sur une technologie en échange d’un accès aux capacités

de production ou de commercialisation. Il y a collaboration sur les

technologies existantes.

Il y a une mobilisation de la recherche et mise en commun des résultats

pour l’élaboration de technologies futures.

A titre d’exemple, la plupart des programmes européens concernant

l’espace ou l’aéronautique fonctionnent selon cette logique.

4ème type : La mise en place d’un système de normes, réglementant l’accès

aux marchés, normes de sécurité, environnementales.

Ainsi, les firmes qui ont fait des efforts pour améliorer leur produit en

innovant ont une protection réglementaire. Tout nouvel entrant doit

satisfaire à ce cahier des charges.

5ème type : L’instauration de coûts fixes irrécupérables appelés "sunk cost

" (les coûts qui coulent), il s’agit de dissuader l’entrée en rendant la sortie

extrêmement coûteuse. La barrière à la sortie empêche l’accès au marché.

A titre d’exemple, la déréglementation du marché des compagnies

aériennes a vu l’entrée des compagnies à bas prix (low cost), mais ces

dernières dans l’espace aérien européen, doivent satisfaire aux mêmes

normes et règlements que les compagnies existantes et doivent avant

d’entrer sur le marché s’assurer de la rentabilité de leur activité car en cas

d’échec, elles seront confrontées à des coûts fixes irrécupérables s’élevant

à des millions d’euros ou de dollars car il n’est pas aisé de vendre à bon

prix un Airbus ou un Boeing d’occasion même s’il a peu servi.

Pour conclure, nous pouvons dire que l’intégration de l’innovation dans la

théorie standard, l’amène dans le champ analytique de la concurrence

imparfaite, voie empruntée par la théorie des marchés contestables.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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B) La principale alternative à la théorie standard : la théorie de

l’innovation dans l’économie évolutionniste.

La principale analyse alternative à la théorie standard qualifiée ainsi parce

qu’elle s’inscrit dans une problématique néo-classique est celle développée par

l’économie évolutionniste ("evolutionary economics ").

Cette analyse revendique un héritage schumpetérien et un héritage darwinien.

L’entrepreneur innovateur comme l’a montré Schumpeter bouleverse les

comportements routiniers, il impulse une dynamique d’évolution du système

capitaliste. Comme les activités innovatrices s’avèrent particulièrement

sélectives et cumulatives, elles engagent les entreprises innovatrices sur "des

trajectoires technologiques " d’évolutions irréversibles. Nous retrouvons les

principes darwiniens de sélection et d’évolution.

L’économie évolutionniste conteste le caractère transmissible et disponible de

l’information postulée par la théorie standard.

En effet, les risques de "fuites informationnelles " sont rejetés, l’innovation

reposant sur un ensemble de savoirs et savoir-faire opérationnels. Cet ensemble

s’inscrit dans le fonctionnement de routines spécifiques aux organisations qui les

développent, et cette spécificité complexifie singulièrement le transfert

d’informations. L’économie évolutionniste s’appuie sur la remise en cause de l’efficacité du

principe de maximisation d’une fonction objectif en univers incertain. En

matière d’innovation et de Recherche-développement, une firme ne connaît pas

ex ante, si la stratégie choisie va être payante, elle ne sait pas le niveau des

investissements qu’elle devra consentir pour qu’il y ait succès.

Dès lors, le processus de sélection compétitive qui engage la survie de la firme

par le succès du processus innovant ne repose pas sur la maximisation d’un

profit ex ante mais la réalisation du profit ex post. Seule l’évolution des

évènements valorisera ou sanctionnera la stratégie choisie.

Dès lors, la firme peut opter entre la stratégie d’innovation et la politique

d’imitation, toutes deux coûteuses et non aisées.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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La stratégie d’innovation est plus incertaine que l’imitation, la première vise à

découvrir de nouvelles connaissances, la seconde vise à capter des

connaissances d’autres firmes.

Toutes deux sont incertaines, pour la seconde, la captation et l’appropriation

sont incertaines.

La sélection par le marché, s’opérera de sorte que subsisteront les firmes

parvenues à dégager les profits les plus élevés, par un niveau de rente retirée des

pratiques d’innovation ou d’imitation supérieures au coût des investissements

nécessaires à la pratique choisie.

Sur la base des profits réalisés, le marché n’est plus ici conceptualisé comme le

mécanisme d’allocation des ressources mais comme un mécanisme d’adaptation

sélectionnant entre les types de comportements. Pour Nelson et Winter (1982), la population des firmes est assimilée à une

population d’organismes biologiques, où la sélection qui s’opère, porte sur les

routines, définies comme "une forme de comportement qu’est suivie de façon répétée mais qui peut changer si les conditions

changent ". Les firmes qui ont les routines les mieux adaptées à l’environnement du

moment, génèrent des profits et ont la croissance la plus rapide et la plus forte.

La sélection opère en fonction du caractère aléatoire de la capacité à innover, ou

à imiter.

Mais la domination du marché peut résulter d’une décision d’innovation,

d’imitation ou de ne rien faire.

Ainsi, il faut prendre en compte les opportunités technologiques et les coûts

afférents. Il y a un coût de l’innovation par rapport au coût de l’imitation. Dans

une structure de marché concurrentiel, il n’est pas certain que le choix d’innover

soit pertinent pour survivre lorsque le coût d’innovation est élevé et le coût

d’imitation relativement faible car la copie aisée.

Une firme qui opte pour l’imitation peut in fine, dominer le marché.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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De même, une firme qui adopte un comportement conservateur, attendre et voir,

court un risque certain, une élimination du marché si ces concurrents

aboutissent, mais dans le cas d’un échec, sa prudence l’aura préservée.

Winter propose alors deux régimes technologiques, un régime

entrepreunarial et un régime routinier.

Le régime entrepreunarial caractérise les activités innovatrices des firmes de

petites tailles, la fréquence de mise à jour des innovations est relativement

faible, mais il s’agit le plus souvent d’innovations radicales. La source

d’innovations est à l’extérieur de l’industrie.

Le régime routinier concerne les firmes de grande taille, la fréquence de mise à

jour des innovations est relativement élevée mais il s’agit d’innovations

incrémentales et la source d’innovation est puisée à l’intérieur de l’industrie.

Pour Nelson et Winter, le changement technologique suit "une trajectoire

naturelle " dans le cadre d’un des régimes technologiques.

Le changement technologique s’avère stochastique dans un environnement

sélectif. La sélectivité de l’environnement relève de la compétition sélective que

se livrent les firmes et des effets des décisions prises par les acteurs, institutions

publiques ou privées.

Cette approche de l’innovation fait valoir une vision "interactive" du

processus d’innovation où les interactions entre les différents acteurs de

l’innovation et la manière dont ceux-ci accèdent aux connaissances et les

distribuent, assurent la diffusion de l’innovation possible d’une population

assujettie à un principe de contingence et de variété, ce qui conduit à mettre

l’accent sur la nature génétique des enchaînements et sur l’émergence de

phénomènes d’irréversibilités.

Les travaux de l’approche évolutionniste impulsée dans les années 1980 par

Nelson et Winter (1982), Dosi (1984), Rosenberg (1986), Pavitt (1984) puis

poursuivit dans les années 1990 par Dosi, Pavitt, Soete (1990), Saviotti,

Metclafe (1991) proposent une approche particulièrement renouvelée du

processus d’innovation.

En interprétant le comportement des firmes à partir d’un principe de sélection,

l’innovation est appréhendée comme un processus d’apprentissage cumulatif,

localisé, spécifique, en partie tacite.

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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L’innovation engage la firme dans un processus d’irréversibilités technologiques

et de "dépendance de sentier ".

Ce processus est spécifique à chaque industrie. Les travaux de l’approche

évolutionniste impulsée dans les années 1980 par Nelson et Winter (1982), Dosi,

Pavitt (1984), Rosenberg (1986) poursuivit par les mêmes auteurs dans les

années 1990, notamment par Dosi, Pavitt, Soete (1990), Soviotti, Metclafe

(1991) ont totalement renouvelé l’approche économique de l’innovation.

En interprétant le comportement des firmes à partir du principe de sélection,

l’innovation est appréhendée comme un processus : un processus

d’apprentissage et un processus d’irréversibilités technologiques.

Ce processus est spécifique à chaque industrie. L’innovation est processus

localisé, cumulatif et spécifique.

Le caractère "localisé" signifie que les activités innovatrices sont fortement

sélectives et finalisées dans les directions prises.

Le caractère cumulatif tient à l’acquisition graduelle de connaissances et

d’expériences qui s’accumulent.

La spécificité de ces savoirs, le caractère local et cumulatif implique un choix

de trajectoire technologique qui connaîtront des modifications afin d’améliorer

les performances du processus, mais le choix devient irréversible. Les choix

passés conditionnent les résultats présents et futurs, le processus d’innovation

revêt donc aussi un caractère historique lié à "la dépendance du sentier " (path

dependent ou path dependency ".

Une fois que les évènements ont produit un effet de localisation sur une

technologie, un mécanisme de verrouillage impose la domination de cette

technologie.

Lorsqu’une firme parvient à imposer son innovation au marché, son standard

devient la norme.

Elle impose sa trajectoire technologique et "une dépendance de sentier " dans la

diffusion et l’évolution future de l’innovation.

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Les travaux de la fin des années 1990, et début 2000, s’orientent sur l’étude du

cadre institutionnel dans lequel le processus de création et de diffusion des

innovations prend place.

Au centre le rôle des interactions dans le processus d’innovation, interactions

entre les technologies, entre les agents et entre les deux.

En 1993, Nelson indiquait déjà le rôle du système local ou national d’innovation

en mettant en évidence le rôle des interactions.

Le développement des réseaux d’innovation mettait l’accent sur les interactions

par la complémentarité des compétences spécifiques mis en commun.

Mais les interactions entre les technologies peuvent prendre trois formes :

La symbiose, où une technologie se développe grâce à la combinaison de

deux autres technologies,

La prédation où une technologie se développe en remplaçant une autre

technologie,

La concurrence qui débouche soit sur la symbiose ou la prédation.

Les interactions entre les agents renvoient aux stratégies des agents eux-mêmes.

Sur ce sujet, les microéconomistes de la théorie des jeux et les théoriciens de

l’évolution proposent des résultats où les intérêts des agents oscillent entre

coopération, partage et non coopération, jeux évolutionnaires.

Lundvall a montré que l’innovation dans certaines industries implique des

échanges entre firmes, car l’innovation est le fruit du travail collectif, ce qu’il

appelle learning by interacting, l’apprentissage par l’interaction.

Les interactions entre les technologies et les agents revoient au apprentissage par

l’usage, Learning by doing, ou by using.

L’innovation devient le résultat d’un apprentissage. Ce cadre analytique a

profondément renouvelé la recherche économique sur l’innovation.

Ces voies de recherche s’orientent vers une intervention de l’Etat qui vise à la

constitution de réseaux innovateurs assurant la mise à disposition des

connaissances nécessaires agents pour innover.

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De même pour les droits de propriété, cette approche préconise un système de

droits incitatifs pour que les agents optent pour des stratégies coopératives,

l’inventeur se voit accorder des droits forfaitaires qui le protègent et l’incitent à

continuer son activité et l’utilisateur en acquittant un droit d’accès forfaitaire,

conserve un coût marginal nul d’accès aux informations de sorte qu’il faut

poursuivre l’amélioration des connaissances acquises par son travail. Le droit de

propriété ne doit plus être considéré comme une barrière à l’entrée ou comme un

obstacle à la diffusion de la connaissance.

Conclusion

Comme nous venons de le démontrer, la théorisation du rôle de l’innovation en

économie s’est opérée par étapes successives.

D’abord neutralisée parce que considérée comme exogène puis incorporée, le

statut de l’innovation s’est métamorphosé au fil du temps.

Cette énigme, source de crainte ou d’espoir a commencé à être percée par

l’apport fondamental de Schumpeter.

L’innovation, élément moteur du processus de croissance et simultanément

facteur déstructurant le marché, de simple figurant elle constitue l’acteur

essentiel de certaines théories. Nombre des champs de l’analyse économique

l’ont intégrée, l’économie industrielle, l’économie du commerce international,

l’économie du travail, l’économie des institutions, l’économie publique, la

théorie des jeux.

D’autres théories, lui donnent un rôle central, comme les théories de la

croissance endogène, l’économie de l’évolution, les théories des marchés

contestables et affirment l’économie de l’innovation comme un champ

disciplinaire à part entière.

L’économie de marché respire au rythme des innovations. Nos systèmes

économiques se transforment par les innovations. Nos méthodes de travail, de

communiquer se métamorphosent avec les innovations.

N’est-il pas opportun de rendre alors l’hommage mérité à son précurseur dans

l’analyse économique et déclarer aujourd’hui : nous sommes tous

schumpétériens ?

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Questions d'entrainement autoévaluation :

1) Dans quelle mesure la firme doit-elle intégrer l’innovation dans sa

stratégie générale ?

2) L’innovation et la structure du marché.

3) Qu’est ce qu’un brevet ?

4) Peut-il être assimilé à une barrière à l'entrée ?

5) En quoi l’innovation est-elle au cœur de la nouvelle productivité ?

Exemples de sujets de dissertation sur la séquence :

Sujet : En quoi un contexte de crise économique renforce le caractère incertain

du processus d’innovation pour la firme ?

Sujet : Quelle stratégie pour la firme face à l’innovation en situation de crise

économique ?

Sujet : L'innovation est-elle une barrière à l'accès au marché ?

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Séquence 6 :

Les entreprises innovantes aujourd'hui

I) Photographie des entreprises innovantes en France1 Avec la crise de 2008, l'innovation est devenue un impératif pour résister à la

crise. L'enjeu de l'innovation est d'abord lié à la survie de l'entreprise. Il s'agit

par l'innovation de maintenir les parts de marché acquises voire de profiter de la

crise et de la possible déstabilisation des concurrents pour accroitre les parts de

marché.

Les entreprises innovent en lançant de nouveaux produits sur le marché, ou de

nouveaux services voire une combinaison des deux. Elles innovent aussi en

changeant les procédés d'élaboration et en améliorant de façon radicale

l'organisation de l'entreprise. Elles innovent aussi, par leur stratégie marketing,

en améliorant la visibilité du produit, de l'entreprise et des actions marketing.

Le premier constat sur les entreprises innovantes porte sur le fait qu'elles

procèdent à une combinaison d'innovations. Ainsi, elles déclinent deux types de

combinaisons : la combinaison produit-procédé-marketing, elles innovent sur les

trois dimensions simultanément en changeant le produit, le mode de production

et les méthodes de commercialisation.

D'autres procèdent à une combinaison produit-procédé. Enfin, certaines se

limitent à des innovations organisationnelles.

Les secteurs les plus innovants portent sur l'information et la communication, et

les activités scientifiques et techniques.

La taille des sociétés, qui innovent, influe sur leur tendance à innover. 80 % des

entreprises de plus de 250 salariés contre 40 % des entreprises de 10 à 49

salariés ont innové.

Les entreprises exportatrices innovent plus que les autres car l'exportation exige

une recherche constante de l'amélioration de la qualité des produits pour faire

face à la concurrence mondiale et une adaptation constante du produit sur un

1 La photographie proposée a été réalisée à partir des documents publiés par INSEE Première numéros : 1521,

1420, 1314 et 1256.

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marché mondial où la position de l'entreprise est sans cesse contestée par de

nouveaux concurrents.

L'innovation la plus fréquente est l'innovation organisationnelle pour les services

sauf pour le secteur de l'information et de la communication.

Les entreprises de l'industrie manufacturière innovent plus que les autres en

raison de leur taille et de leur exposition à la concurrence internationale.

Les grandes entreprises innovent le plus souvent selon le triptyque produit-

procédé-marketing.

Les entreprises de petite taille innovent le plus souvent uniquement sur le

produit.

Les combinaisons d'innovation s'avèrent particulièrement coûteuses, c'est

pourquoi elles sont plus fréquentes chez les grandes entreprises. De plus, les

résultats sur les parts de marché et le chiffre d'affaire ne sont pas observable

immédiatement.

Toutefois, il est facile de distinguer les entreprises qui ont innové de celles que

ne l'ont pas fait, car les premières ont accru leurs parts de marché alors que les

secondes ont au mieux préservé l'existant. Les combinaisons d'innovations les

plus complètes et donc les plus coûteuses s'avèrent les plus performantes en

matière de conquête de parts de marché. Ainsi, l’on n’innove jamais en vain.

Le rôle de l'Etat, des collectivités territoriales et des institutions européennes,

s'avère aussi déterminant dans la capacité d'innovation des entreprises.

Les aides publiques émanant du niveau régional, national et européen stimulent

l'innovation. Le crédit d'impôt recherche, mesure fiscale visant à soutenir les

investissements de recherche-développement permet de renforcer la

compétitivité des entreprises. Pour la plupart d'entre elles, il s'agit de privilégier

la compétitivité qualité et d'élargir la gamme des produits proposés. Une fois

encore, la priorité porte sur la conquête des nouveaux débouchés et des

nouvelles parts de marché. L'accroissement des capacités productives et

l'abaissement du coût du travail ne sont pas les priorités recherchées.

Un constat important à noter porte sur l'impact environnemental de l'innovation.

Pour les 2/3 des entreprises innovantes, l'innovation a un effet positif sur

l'environnement. Les procédés innovants s'avèrent plus économes en

consommations intermédiaires, ce qui diminue les coûts de fabrication, réduit la

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consommation d'énergies et de matières premières. De plus, une filière de

recyclage des déchets, de l'eau et des matières premières boucle désormais la

chaîne de production. L'industrie automobile, les activités immobilières et la

construction s'illustrent particulièrement dans ce domaine.

Il s'agit à la fois d'obéir à une contrainte interne de minimisation des coûts mais

aussi de satisfaire aux contraintes externes publiques souvent couplées à des

aides gouvernementales.

Malgré la crise, ou à cause de la crise, le bilan de la capacité innovatrice des

entreprises en France s'avère positif.

Entre 2010 et 2012 plus de la moitié des entreprises de plus de 10 salariés ont

innové. Une entreprise sur six pendant cette période a introduit des innovations

de produits qui n'étaient pas présents sur le marché national et mondial.

Les entreprises bénéficient en France d'un environnement propice à l'innovation

mais qui les positionne sur une spécialisation qualité avec une main d'œuvre

qualifiée.

II. Les stratégies d'innovations

La photographie des entreprises innovantes en France, pour le début de la

décennie 2010, permet de démontrer plusieurs réalités de l'innovation que nous

avons successivement envisagée.

1. L'innovation est un processus continu et divers.

Contrairement, aux thèses des économistes pessimistes qui considèrent que les

économies avancées seraient sur un plateau technologique, principal facteur

explicatif de la Grande stagnation, les entreprises continuent à innover en

permanence sous diverses formes.

L'innovation n'est pas l'apanage des seules entreprises de la netéconomie, les

plus médiatisées, symbolisées par le terme GAFA, (Google, Apple, Facebook,

Amazon).

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2. L'innovation est une stratégie de sortie de crise au plan microéconomique

et macroéconomique.

Les dirigeants d'entreprises et les gouvernants ont réalisé la corrélation positive

qui existe entre l'innovation et la croissance.

Pour les entreprises, l'innovation s'avère une source de profits par les débouchés

qu'elle assure.

Pour les Etats, l'innovation s'avère un facteur de compétitivité qui permet des

créations d'emplois et stimule la croissance économique.

Dés lors, les entreprises expérimentent diverses méthodes d'innovation comme

l'open innovation et les incubateurs.

L'Etat pratique des politiques d'incitations à l'innovation, incitations monétaires

pour les entreprises et de garantie de la jouissance des droits de propriété.

Les entreprisses et l'Etat partagent comme intérêt commun l'investissement dans

le capital humain, dans sa fidélisation dans l'entreprise et le pays et dans le

développement de sa motivation à innover.

3. Les hommes toujours au cœur du processus d'innovation.

Lorsque Schumpeter envisageait la disparition des entrepreneurs innovateurs

avec la professionnalisation de la fonction d'innovation au sein de grands

groupes monopolistiques, sa prophétie ne s'est pas réalisée.

Certes, les grandes firmes ont plus de facilités à innover mais l’espèce des

entrepreneurs innovateurs ne s'est pas éteinte, bien au contraire.

L'économie de l'information compte parmi ses principaux entrepreneurs

innovateurs, Bill Gates pour Microsoft, Steve Jobs pour Apple, Larry Page pour

Google, Jeff Bezos pour Amazon, Mark Zuckerberg pour Facebook, Travis

Kalanick pour Uber, Jack Ma pour Alibaba, et la liste n'est pas exhaustive.

L'entrepreneur innovateur reste toujours une figure essentielle du processus

d'innovation.

Certes, la professionnalisation du processus d'innovation a permis aux

ingénieurs d'initier des programmes comme Airbus, Ariane Espace, le TGV,

dans la sphère publique ou le concept du Monospace chez Renault dans la

sphère privée.

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D'autres acteurs contribuent au processus d'innovation dans l'entreprise, les

salariés du sommet à la base.

Dans la lignée de Ford, concepteur de la Ford T, les patrons innovateurs peuvent

initier le processus d'innovation à l'image de Louis Schweitzer avec la

conception de la Logan ou de Steve Jobs avec l’IPhone et l’IPad.

Mais il existe aussi une capacité d'innovation des salariés lorsqu'ils bricolent des

solutions personnelles pour adapter leurs méthodes de production.

Très longtemps négligée, cette ingéniosité des exécutants est désormais de

mieux en mieux prise en compte dans le potentiel d'innovation des entreprises

comme pour la SNCF, Renault, AXA France etc. où une véritable démarche

d'innovation participative est mise en place.

Dans la logique des cercles de qualité japonais, l'avis des salariés est demandé et

pris en compte pour l'amélioration du produit, des services et des conditions de

travail. Le processus d'innovation est recherché alors en interne.

Les innovateurs amateurs et les bricoleurs, adeptes du "système D" apportent

toujours leurs modestes contributions au processus d'innovation.

De plus en plus se développe la recherche d'un processus d'innovation externe

avec les incubateurs.

Il s'agit de faciliter l'émergence d'innovations non pas au sein de l'entreprise

mais à côté.

Cette approche permet de porter un regard nouveau hors du cadre de la culture

d'entreprise et ainsi de sauter ou de contourner les barrières internes à

l'innovation et d'entrer dans une logique d'open innovation entre les salariés.

A l'image d'une Start-up, l'incubateur développe un management horizontal et

une culture d'innovation partagée entre tous les collaborateurs. Il rompt avec le

management vertical et l'inertie, voire la résistance à l'innovation de certaines

grandes entreprises.

4. L'homme victime de l'innovation ?

L'innovation contribue à la division internationale du travail. Les entreprises

dans une stratégie de fragmentation de leur production profitent de la

mondialisation pour concevoir les produits innovants dans les pays où les

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Eric Vasseur Economie de l’innovation Master économie U.P.J.V.

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conditions sont les plus favorables, notamment par la qualité innovante du

capital humain.

Elles transfèrent vers les pays à faible coût de main d'œuvre car cette main

d'œuvre est peu qualifiée, l'assemblage du produit. Apple, avec son IPhone

constitue un exemple remarquable de cette fragmentation du processus de

production.

Il y a une division internationale du travail, où l'innovation voit le jour dans les

entreprises des économies avancées et est exécutée dans les entreprises des

économies émergentes.

L'innovation technologique et la mondialisation provoquent l'apparition d'un

chômage massif dans les économies avancées car ils conduisent à une

délocalisation des emplois peu ou pas qualifiés dans les pays à bas coût.

Dans certains de ces pays, le coût du travail augmente progressivement car leur

économie a entamé un processus de rattrapage qui modifie leur position dans la

division internationale du travail.

La Chine n'a-t-elle pas entrepris cette dynamique, jadis empruntée par la Corée

du Sud et bien avant par le Japon ? Ainsi, le processus d'innovation tend à se

généraliser dans une économie mondialisée.

Nous n'avons donc pas fini de vivre ce que Schumpeter appelait : "L'ouragan

perpétuel de la destruction créatrice".

A suivre ...