Enjeux psychologiquesdu retour
de missions isolées
Le cas des hivernants polaires français
Soutenance de thèseAmaury SOLIGNAC
Laboratoire de Psychologie Appliquée
Université de Reims - Champagne Ardenne3 novembre 2010
Les missions polaires françaises
Sélection à l'année (environ 150 candidats par an) Postes techniques, scientifiques et administratifs Missions de 6 à 16 mois, la norme étant de 12 à 13 mois Des conditions de vie et de travail très différentes de celles des pionniers
Le contexte polaire français
Source IPEV
KERGUELEN
CROZETAMSTERDAM
DUMONT D’URVILLE
CONCORDIA
Pourquoi étudier le retour ?
Peu de recherches sur ce thème, alors que c'est un dénominateur commun à plusieurs contextes isolés et confinés• Missions spatiales• Missions sous-marines• Plate-formes pétrolières• Simulations
Il est éthique d'étudier les effets de missions inhabituelles• Ces missions ont-elles des effets à plus long terme ?• Que deviennent ceux qui ont connu une adaptation difficile ?
Il existe aussi des enjeux organisationnels importants • Que vivent les réhivernants entre deux missions ? • Que peut-on retirer d'un "retour d'expérience" des participants ?
Comment l'étudier ?
Les environnements extrêmes sont classiquement étudiés sous l'angle du stress et de l'adaptation
Pour autant, d'autres approches semblent nécessaires, pour tenir compte de la complexité du vécu, qui ne saurait se réduire à "de l'adaptation"
Nécessité aussi d'une approche qui ne soit pas que quantitative(par ex. Palinkas 1986)
Impossible d'extraire le retour de son contexte : la mission et la motivation initiale des hivernants
La méthode utilisée
Approche exploratoire• Première étude sur ce sujet auprès de cette population• Inscription dans le paradigme transactionnel
Hypothèses de travail• Le retour de mission suscite des difficultés • Le séjour suscite un changement chez le participant
Le questionnaire
60 questions sur le séjour, le voyage de retour et le retour Beaucoup d'espace pour des commentaires libres
Echelles visuelles analogiques Deux méthodes de passation (papier / en ligne)
150 questionnaires utilisables
Les sources alternatives
Portent plutôt sur le vécu de la mission, et sur sa fin 8 entretiens de recherche
~150 entretiens de debriefing (seconde main)
Consultation de documents autobiographiques• Journaux et récits d'hivernages • Témoignages publics
Caractéristiques de l'échantillonN=150 FréquencesSexe Hommes 96,0 %
Femmes 4,0 %
Statut sentimental au début de l’hivernage Sans relation affective 51,3 %
Engagés dans une relation 48,7 %
Situation familiale pendant l’hivernage Sans enfants 74,7 %
Avec enfants 25,3 %
Statut administratif pendant l’hivernage VCAT 45,3 %
Civils contractuels 22,0 %
Militaires 20,0 %
Civils fonctionnaires 12,0 %
Station d’hivernage Dumont d’Urville 44,0 %
Kerguelen 36,7 %
Crozet 9,3 %
Amsterdam / St-Paul 8,7 %
Concordia 0,7 %
Relations significatives
Une expérience antérieure du retour est facilitante
La survenue d’événements à l’intérieur et à l’extérieur de l’hivernage rendent au contraire le retour plus difficile
Une relation sentimentale et la présence d’enfants sont à la fois favorables et néfastes
…
Hostilitédu milieu Monotonie
Confinement
Isolement
STRESS
Sentimentocéanique
Communauté Typification(Schütz 1945)
Impuissance
Extériorité
SEJOUR
Sentimentocéanique
Communauté Typification(Schütz 1945)
Impuissance
Extériorité
SEJOUR
Ce qui est agréable, c’est qu’il n’y a pas d’impératif à tenir ici.
On est pas bousculé par le temps, on peut étaler son travail comme on veut.
Pour eux j’ai réussi, mais dans un autre
monde. Moi je préfèrerais qu’on dise
que j’ai réussi ça comme si j’étais en
France. Là, c’est “Il est parti en Antarctique”.
La vie de groupe peut conduire a des antiphaties qu on ne peut imaginer avant de partir.
Le contact avec la nature est différent. Même en France,
à la montagne, c'estpas pareil, là on suit le cycle
de reproduction des animaux, il y a les chants, onest plus sensible à la météo
Quand tu as envie de voir une personne, tu te poses pas de questions,
tu vas la voir. Il n’y a aucune barrière, il n’y a
pas les contingences matérielles qu’il y a en
France.
La difficulté de vivre sans aucune possibilité de retour, surtout lors de
moments familiaux pénibles.
Je l’aime et s’être séparés a été très
difficile, beaucoup plus que je ne l’imaginais. Ici, on est impuissant
face à ce qui peut arriver là-bas.
Quand tu vas sur la banquise et qu'il n'y a pas de vent, c'est
vraiment le silence total, pas un bruit. C'est grandiose, on se
sent prisonnier aussi.Nulle part ailleurs tu as ça, il y
a toujours qqch, même des oiseaux. Là, c'est le silence
total et tu es tout seul.
RETOUR
Ambivalence
Décalage
Remaniements(Sussman 2000)
Bilan
Personnel FamilialProfessionnelSocial Somatique
RETOUR
Ambivalence
Décalage
Remaniements(Sussman 2000)
Bilan
Personnel FamilialProfessionnelSocial Somatique
Reprendre sa place, affronter de nouveau la circulation, la foule, les
files d’attente,les bruits de la ville, les dossiers
administratifs, etc, etc.Ces tâches paraissent très
contraignantes.
Maintenant, je pense au retour, mais j’ai plus envie de partir d’ici qu’envie
d’arriver.
Psychologiquement, avec du recul, je suis bien content d’avoir fait cet
hivernage, ça m’a fait du bien. Après l’hivernage, c’est OK, j’ai tout
remis en place.
Je dirais que ça ressemble à une fracture. Ce qu’on vit est totalement inconcevable. On vit à fond pendant un an de choses qu’on ne vivra plus
jamais, on en profite… Et comment le faire partager ?
C'est idiot j'ai eu peur de pas retrouver ma place dans ma famille.
“Cinquième quart”(en référence au phénomènedu troisième quart décrit par
Bechtel et Berning, 1991)
Peur de retrouver la vie de dingue en métropole, de trouver un travail, de se dire qu'on a fait quelque chose de formidable et
que c'est fini, mais en même temps on passe pour un aventurier des temps
modernes…
J'avais besoin de partir, 16 mois c'est long, mais le départ est un déchirement.
Je suis devenu plus sûr de moi, plus responsable, plus à l'écoute des autres. Cela m'a donné envie de
continuer dans ce sens. J'ai changé de métier.
J'ai mis 7 mois à avoir une vie stable avec un appartement et un lieu de
travail quotidien, donc la transition a été longue…
Moi j’étais un peu comme ça, un peu trop speed, maintenant je m’assois
et je regarde autour de moi.
17 mois d'absence font le tri dans les amis. Même si c'est dur, ça a du bon au final : on garde que les meilleurs.
Changement perçu
SérénitéDétachement du superflu, hédonisme
Maturité Sens des responsabilités, impression d'avoir mûri
ÉpanouissementConnaissance de soi, enrichissement intellectuel, nouveaux horizons
Affirmation de soiConfiance en soi, force morale, autonomie, indépendance
Tolérance Patience, solidarité, connaissance des autres, sociabilité
Quelques profils de retour...
Atterrissage brutalHard landing Typique de jeunes scientifiques hivernant pour la première fois, sans enfants, sans relation longue. L'adaptation sur place est exigeante au départ, mais efficace. Au retour, le décalage avec le milieu habituel est d'autant plus grand.
Atterrissage longLong landing
Typique de chefs de station, ne se laissant pas aller pendant leur mission, ne préparant pas leur retour, la fin de mission étant une période très active pour eux. Au retour, les demandes affectives de l'entourage peuvent être perçues comme envahissantes.
Atterrissage courtShort landing
Typique d'hivernants techniciens vivant en couple, ayant éventuellement des enfants. L'adaptation au retour est plus courte car l'hivernant est plus rapidement rappelé à la réalité immédiate de son entourage.
Atterrissage éphémèreTouch & go
Typique de vétérans des hivernages polaires et d'autres situations analogues (plate-formes pétrolières, bateaux scientifiques, ...) Au fil des missions, ces hivernants peuvent endosser un style de vie décentralisé, où le "chez soi" n'est plus l'endroit où l'on revient, mais celui dont on repart.
Rôle des représentations sociales,et de la communication institutionnelle
Il est parfois plus facile de valoriser que d’entendre…
Le héros fascine de loin, mais il inquiète de près (Résonances Humanitaires 2007)
L'importance des représentations
Des structures en évolution
Des groupes primaires (Anzieu & Martin 1968)o Degré d’organisation élevéo Petit nombre de participantso Actions novatrices
…aux groupes secondaires
o Degré d’organisation plus élevé, fonctionnarisationo Buts et actions planifiéso Conscience moins développée de ses propres buts (d’où certaines frustrations : difficulté à s’approprier la mission, à donner du sens à
son action)
Un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans une même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées.
Goffman, Asiles, 1968
Rapprochement effectué par plusieurs auteursSolignac (2004), Weiss (2005), Giret (2005)
L’institution totale
La question du dispositif clinique
...et celle du retour d'expérience ne sont pas encore résolues... Explorer le sens avant d'attribuer une valence
Importance des debriefings existants
Inscription du retour dans la préparation des hivernants
Apports de la sociologie et de la psychanalyse
On fit comme toujours un voyage au loinde ce qui n'était qu'un voyage au fond de soi
Victor Segalen, Equipée
Contact : [email protected] : IPEV, TAAF , AAEPF, CNR