ESPRIT CHRETIEN,

ESPRIT DU MONDE

Esprit chrétien et esprit du monde. Confrontation lapidaire et obscure. Mais quels sont les

éléments qui opposent ces deux moyens d'envisager l'existence ? Cette question en entraîne d'autres, plus pratiques. Le chrétien peut ainsi se demander s'il doit vivre retiré du monde, ou le mépriser, comment il peut agir dans le monde sans en être, et enfin comment expliquer à nos contemporains ce qui est accessoire et ce qui est essentiel.

I L'ESPRIT CHRETIEN Le chrétien est un être essentiellement différent du non baptisé et de ce que nous appellerons ici le monde.

A) - Grandeur du baptisé- La vie de la grâce

Le chrétien, comme tout homme, dispose de la vie naturelle, bien sûr, mais il jouit aussi et surtout de la vie surnaturelle. C'est le baptême qui nous ouvre à la vie de la grâce, qui est un don totalement gratuit de Dieu.

Ce caractère indélébile du baptême marque toute notre différence avec le non baptisé. Au risque de choquer, on n'a pas hésité à affirmer qu'il y a plus de différence entre un baptisé et un non baptisé qu'entre un homme et un animal.

Mais ce don surnaturel ne fait pas de nous des êtres à part, pas plus qu'il ne crée en nous deux

personnes, deux vies cloisonnées, l'une naturelle et l'autre surnaturelle, spirituelle.

Il y a en effet une totale unité entre nature et surnature, et toute notre vie sur terre doit refléter cet état de grâce.

Ainsi, le chrétien est à la fois un être comme les autres, et un homme rendu infiniment différent des autres, et du monde.

B) - Le monde nous détourne de Dieu

Le monde peut avoir trois acceptions, et il ne revêt ici qu'un sens bien précis.

Dans un premier sens -le plus général- le monde, c'est la Création, qui évoque le Créateur et constitue l'assise des preuves de l'existence de Dieu. Saint Augustin appelle ce monde à parler de son Créateur : "O vous tous qui vous pressez aux portes de mes sens, objets qui m'avez dit n'être pas mon Dieu, dites moi de lui quelque chose". La Création, le monde, c'est ici l'empreinte de Dieu.

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Dans un sens un peu plus restreint, le monde désigne les créatures humaines, l'ensemble des hommes : "Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné Son Fils Unique". Comment ne pas aimer ce monde que Dieu lui-même a aimé jusqu'à la Croix ? Dans ces deux premiers sens, pas d'opposition entre l'esprit chrétien et le monde ; aimer le monde découle de notre amour pour Dieu, son Auteur et son Sauveur.

Mais le sens qui nous intéresse est autre : le monde représente l'ensemble des hommes, des groupes, des idées qui se détournent de Dieu. Le monde, c'est la tentation, le péché. C'est le Diable qui tente à trois reprises Notre Seigneur dans le désert, au début de sa vie publique, de sa vie dans le monde : sollicitation des plaisirs et des conforts, volonté de puissance. L'esprit du monde, c'est en effet l'esprit qui détourne l'homme de son véritable bonheur, de la vie surnaturelle : les choses créées sont préférées au Créateur. Ainsi, le monde ne sera plus aimé à cause de Dieu, mais sans ou contre Lui. On le voit, cet esprit emprunte une voie inverse à celle du baptême et engendre la vanité, la dureté, l'amour-propre, la jalousie, l'orgueil, et tout ce qui nous attache à nos petits intérêts, au mépris de ceux de Dieu.

"Le monde, c'est ce qu'on aime plus à mesure qu'on aime moins Dieu, c'est ce qu'on aime moins à mesure qu'on aime plus Dieu".

C) - L'esprit chrétien, au contraire, accorde notre vie à notre dimension surnaturelle

Cet esprit est exposé dans les "Principe et fondement" des Exercices Spirituels de Saint Ignace :

"L’homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu, Notre Seigneur, et par ce moyen sauver son âme "...

... "et les autres choses qui sont sur la terre sont créées à cause de l'homme et pour l'aider dans la poursuite de la fin que Dieu lui a marquée en le créant. D'où il suit qu'il doit en faire usage autant qu'elles le conduisent vers sa fin, et qu'il doit s'en dégager autant qu'elles l'en détournent".

Dieu, la vie éternelle, c'est la fin, la seule Valeur Absolue. Il ne faut avoir recours au monde que dans la mesure où il est un moyen pour atteindre Dieu, la vie éternelle.

Pour se démarquer de cet esprit du monde, le chrétien devra donc faire preuve d'un peu de recul, d'une certaine indifférence par rapport aux biens que la vie lui procure. C'est la grande leçon du Carême et de toutes ces petites privations prévues par l'Eglise, qui créent des habitudes, un état d'esprit chrétien.

Tôt ou tard, le baptisé réalise qu'il n'est pas possible de tout prendre, tout concilier, et qu'il faut se

résoudre à renoncer, à se priver, à accepter des croix. La vie chrétienne ne se résume pas aux mystères joyeux, il nous faut aussi passer par les mystères douloureux.

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Ainsi, l'esprit chrétien sera tout simplement l'Imitation de Jésus-Christ, qui a affronté avant nous les tentations et le mépris du monde. Ce que le Christ a souffert, ses disciples doivent aussi le vivre. Cette lutte contre l'esprit du monde est normale, consubstantielle au christianisme. Avec Saint Paul, "nous prêchons un Christ crucifié". Notre Seigneur nous avertit : "si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous" (Jn 15, 18). "Je leur ai donné ta Parole, et le monde les a haïs, parce qu'ils ne sont pas du monde, comme moi aussi je ne suis pas du monde" (Jn 17, 14)

Bernanos nous le rappelle à sa façon dans le Journal d'un curé de campagne : "le Bon Dieu ne nous a pas dit que nous étions le miel de la terre, mais le sel de la terre".

La vie du chrétien passe donc inévitablement par ce combat. Ce combat sera spirituel avant tout, car le monde, c'est d'abord nos défauts, nos passions, nos péchés, mais il s'agira aussi d'un combat dans le monde qui nous entoure.

II LE CHRETIEN DOIT ETRE DANS LE MONDE SANS ETRE DU MONDE

C'est ici l'application de la parole de Notre Seigneur : "Mon royaume n'est pas de ce monde" (Jn 18,36).

A) - Le chrétien doit être dans le monde

Malgré les difficultés qu'il y rencontrera, le chrétien a le devoir de témoigner dans le monde et de

convertir les âmes à Dieu. "Comme tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde..." (Jn 17, 18). Nous avons à l'égard du prochain un devoir de conversion, nous devons aller au monde comme les apôtres de Notre Seigneur. Ainsi, nous ne devons pas, en invoquant un "Rendez à César" mal compris, nous couper du monde dans lequel nous vivons Notre- Seigneur s'adresse ainsi à son Père : "Je ne demande pas que tu les enlèves du monde, mais que tu les gardes du Mauvais" (Jn 17, 15).

Le catholique n'est pas un cathare. Il n'y a pas d'un côté les Bons, les Purs, les Catholiques, et les Mauvais de l'autre. Nous devons vivre dans le monde et supporter ses imperfections ; Dieu seul écartera le bon grain de l'ivraie.

D'ailleurs, l'Eglise n'a de cesse de nous rappeler que la vie érémitique, la vie monacale, sont une vocation, une grâce particulière, une exception, la règle demeurant la vie dans le monde.

Mais à l'inverse, le baptisé, dans le monde, ne doit pas dénaturer l'idéal chrétien qui reste d'un autre ordre : le règne de Dieu n'est pas un règne terrestre, et même la Chrétienté la plus parfaite ne pourra rétablir le Paradis Terrestre à jamais perdu. La société la plus chrétienne ne sera jamais le Ciel.

Le chrétien devra donc toujours garder cette juste mesure, ne pas se battre contre le monde en tant que société, mais contre l'esprit du monde.

Un chrétien anonyme du IIème siècle présente ainsi le christianisme : "les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par le vêtement. Ils n'habitent pas de villes qui leur soient propres... Ils se conforment aux usages locaux pour la manière de vivre, tout en manifestant des lois extraordinaires et vraiment paradoxales dans leur manière de vivre. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie une terre étrangère... Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du Ciel. En un mot, ce que l'âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde " (Epître à Diognète, chap. 5).

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Dans le même esprit, Tertullien demandait aux premiers fidèles d'être "participants du monde mais

non de l'erreur".

Léon XIII précise, quant à lui, les limites à ce rapport au monde, limites déjà énoncées par Saint Ignace : "si les hommes, entrant dans la société, y trouvaient, au lieu d'un soutien, un obstacle ; au lieu d'une protection, une diminution de leurs droits, la société serait bien plus à fuir qu'à rechercher".

Cette attitude du chrétien l'amènera à développer certaines vertus.

B) - Les vertus propres à l'esprit chrétien

La prudence : on croit souvent, à tort, que le mérite d'une action est proportionné au danger encouru, aux difficultés surmontées. Il serait ainsi moins méritoire d'oeuvrer dans l'atmosphère priante d'un - couvent qu'au sein d'un monde anticlérical. Pourtant, l'Ecriture est formelle : celui qui cherche le danger y périra. Le chrétien a le devoir non seulement de fuir le péché, mais aussi l'occasion du péché. "L'héroïsme chrétien n'est pas celui où l'obstacle est recherché. Il consiste à progresser vers Dieu quoiqu'il arrive et malgré tout. Et ce ne sont pas tant les difficultés surmontées qui font le mérite, mais la sagesse, la fermeté, la prudence dans cette progression" (Jean Ousset, Fondements de la Cité).

La force, à la fois vertu et don du Saint Esprit, celle qui nous fait dire "est, est, non, non", insister à temps et à contretemps, faire preuve de caractère et de grandeur d'âme. C'est aussi grâce à la force que nous serons des témoins fidèles, jusqu'au martyre s'il le faut. Qu'on songe à la force des premiers chrétiens, qui résistèrent au monde et à l'esprit du monde, souvent au prix de leur vie, en refusant de sacrifier aux empereurs et aux faux dieux. Aujourd'hui, c'est peut-être à une autre forme de martyre, moins brutal, que nous entraîne le combat contre l'esprit du monde.

L'esprit de pauvreté, qui nous ouvre la porte du seul monde qui vaille, le monde surnaturel : "bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux". Pauvreté matérielle, qui nous fait apprécier à leur juste prix les richesses terrestres, professionnelles, intellectuelles, qui nous apprend à nous détacher de nous-mêmes, de nos oeuvres, de nos biens. C'est ainsi que nous pourrons témoigner et expliquer autour de nous que l'unique, le Seul Nécessaire, le Seul But, c'est Dieu, et que le reste n'est qu'accessoire et secondaire. "Là où est votre trésor, là est votre coeur". Vertu qui nous dispense du jugement des hommes en bien ou en mal, du qu'en dira- t-on, des railleries et des incompréhensions.

C) - L'engagement dans le monde

Au-delà de ces vertus et de ce combat personnel que chacun doit mener, le chrétien doit aller plus

loin. Non seulement nous avons la charge de nous défendre et nous protéger contre l'esprit du monde, mais nous devons aussi tout faire pour un monde meilleur, même si l'expression fait sourire.

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Après le combat spirituel, l'engagement pour la royauté sociale de Notre Seigneur..

Pie XII nous invite à "créer des conditions capables de rendre à tous possible et aisée une vie digne de l'homme et du chrétien. Vous, conscients et convaincus de cette responsabilité sacrée, ne vous contentez pas, au fond de votre âme, d'une médiocrité générale des conditions publiques, dans laquelle la masse des hommes ne puisse, sinon par des actes de vertu héroïque, observer les divers commandements inviolables toujours et dans tous les cas..." Discours pour le 50ème anniversaire de Rerum Novarum, 11 juin 1941.

"Il faudrait arriver à créer une atmosphère qui porte au bien au lieu de porter au mal, qui rende facile d'éviter le péché, qui conduise les individus à la vertu par l'entraînement même du milieu" Père Yves de Montcheuil, Problèmes de vie spirituelle.

Il s'agit de tout faire pour lutter contre les "structures de péché" que Jean Paul II dénonce dans Evangelium Vitae.

En conclusion, que ce combat contre l'esprit du monde et contre le monde ne nous décourage pas mais nous remplisse d'Espérance.

"Je vous ai dit cela, afin qu'en moi vous ayez la paix. Dans le monde, vous aurez à souffrir. Mais courage ! J'ai vaincu le monde".

(Jn 16, 33)

JEUNE CHRETIENTE

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