UNIVERSITE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES D’AIX-MARSEILLE
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FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D’AIX-MARSEILLE __________________
Centre de Droit Maritime et des Transports
LA LIVRAISON SANS CONNAISSEMENT
Mémoire de Master 2 professionnel de Droit Maritime et des Transports
Présenté par M. Ngagne FAYE
Sous la direction de Maître Christian SCAPEL
Année universitaire 2007-2008
1
2
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier M. Francis EBIANGNE pour m’avoir fait découvrir le droit maritime et
Messieurs BONASSIES et SCAPEL pour me l’avoir fait aimer.
Je remercie également M. André POTOCKI, conseiller à la Cour de cassation, pour les
précieuses informations qu’il a eu l’amabilité de me fournir.
A mes parents
3
LISTE DES ABBREVIATIONS
AJ. Actualité juridique
Annales IMTM Annales de l’Institut méditerranéen des transports maritimes
BT Bulletin des transports (devenu BTL depuis 1992)
BTL Bulletin des transports et de la logistique
Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (Chambres civiles)
CAMP Chambre arbitrale maritime de Paris
Comm. Commentaire
D Recueil Dalloz
D. eur. Transp. Droit européen des transports
DMF Droit maritime français
Ibid Ibidem (au même endroit)
JCP Juris-classeur périodique
JMM Journal de la marine marchande
Lloyd’s Rep Lloyd’s report
L.M.C.L.Q Lloyd’s maritime and commercial law quarterly
Obs. Observations
Op. cit. Opus citatis (ouvrage cité)
QBD Queens Bench Division
RD transp. Revue de droit des transports
Rev. fr. de comptabilité Revue française de comptabilité
Rev. Scapel Revue de droit commercial, maritime, aérien et des transports
RGDA Revue générale du droit des assurances
4
SOMMAIRE
INTRODUCTION ...........................................................................................................................6
PARTIE 1 : L’EXIGENCE DU CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON .......................................10
Chapitre 1 / La livraison sans connaissement, une irrégularité manifeste..................11
Chapitre 2 / La livraison sans connaissement, une irrégularité lourdement sanctionnée ...........................................................................................................................33
PARTIE 2 : L’EVICTION DU CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON ........................................54
Chapitre 1 / La lettre de garantie au déchargement, un palliatif au connaissement..................................................................................................................................................55
Chapitre 2 / Les substituts du connaissement à la livraison...........................................68
CONCLUSION .............................................................................................................................85
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RESUME / SUMMARY
Il existe une règle bien établie en droit maritime enjoignant au transporteur de ne livrer la marchandise au destinataire qu’en échange du connaissement original.
Cependant, comme c’est souvent le cas, une différence existe entre la théorie et la pratique. En effet, il est fréquent que la marchandise arrive bien avant le connaissement. Cette situation fait naître un dilemme pour le transporteur, lequel devra choisir d’attendre l’arrivée du connaissement ou de livrer la marchandise en son absence.
Même si d’un point de vue pratique, la livraison sans connaissement peut se justifier sous certaines conditions, cette pratique reste cependant illégale.
Plusieurs solutions ont été imaginées pour régler le problème. Une lettre de garantie au déchargement palliant l’absence du connaissement est ainsi très souvent donnée au transporteur. De même, d’autres documents sont utilisés tels que la lettre de transport maritime ou encore des substituts électroniques.
Ces alternatives sont certainement très utiles. Cependant, à l’heure actuelle, elles ne peuvent pas remplacer entièrement le connaissement traditionnel à la livraison.
In maritime law, there is a well established rule that the carrier can deliver the goods at the port of discharge only against the production of the original bill of lading by the consignee.
However, as is often the case, the practice differs from the rules. In an increasing number of cases the cargo reaches its destination before the documentation. In such an event the carrier is placed in somewhat of a dilemma: awaiting the arrival of the documents or releasing the goods prior to the bills of lading arriving.
From a practical point of view, delivery without production of the bill of lading is justified under certain conditions, but from a legal point of view this represents a wrongful act.
Various means are used to remedy the problem. Most often, letters of indemnity are given instead of bills of lading. Another way of avoiding this complication is the use of non negotiable sea waybills or electronic substitutes.
Actually, these alternatives are very useful; however they can not yet take the place of the traditional bill of lading altogether.
6
INTRODUCTION
Le connaissement occupe une place de choix dans le transport maritime de marchandises et
plus largement, il joue un rôle fondamental dans le commerce international.
C’est un titre qui est remis par le transporteur maritime au chargeur en reconnaissance des
biens confiés. Il définit les conditions du contrat de transport et représente les
marchandises. Cette dernière fonction conférant la négociabilité au connaissement permet
au vendeur-chargeur d'en transférer la propriété alors même que les marchandises sont en
cours de voyage. Elle permet également de remettre le document à un banquier pour
constituer un gage destiné à garantir le remboursement d’un crédit documentaire.
Le connaissement peut ainsi servir de support à une vente internationale ou à une opération
de crédit documentaire.
Cette fonction essentielle a été affirmée dès 1787 par la jurisprudence anglaise dans l’arrêt
Lickbarrow v. Mason. Sa reconnaissance en droit français n’interviendra qu’en 1859, la
Cour de cassation déclarant que « la propriété des marchandises voyageant par mer est
représentée par le connaissement »1.
En tant que titre représentatif, ce document confère à son porteur légitime le droit d'obtenir
la livraison de la marchandise, et ce, indépendamment de toute justification concernant la
propriété de celle-ci. Les Anglais disent que le connaissement est la clef qui permet d'ouvrir
le lieu dans lequel elle se trouve2. Une corrélation est donc faite entre le droit de recevoir la
marchandise et la possession du titre qui la représente.
Ainsi, conformément à l’article 49 du décret du 31 Décembre 1966, la livraison ne doit être
faite qu’à une seule personne : celle dont le nom est mentionné dans le connaissement
nominatif, le porteur du connaissement, si ce dernier est au porteur, et enfin le dernier
endossataire du connaissement à ordre. Dans les trois cas, la détention légitime du titre
1 P. Bonassies, Ch. Scapel, « Traité de droit maritime », LGDJ 2006, n°987 2 Lord Justice Bowen dans l’arrêt Sanders v. Maclean & Co (1883) 11 QBD p. 341
7
suffit à entrer en possession de la cargaison. En effet, comme le remarquait le doyen
Rodière, le connaissement va représenter la marchandise en ce sens que sa détention
légitime investira son porteur de la possession réelle des biens transportés3.
La livraison est donc conditionnée à la présentation du document représentatif au
transporteur.
Elle est définie comme « l’acte juridique par lequel le transporteur accomplit son
obligation fondamentale en remettant au destinataire (ou à son représentant) qui l’accepte,
la marchandise qu’il a déplacé à cette intention »4.
Cette notion est fondamentale car elle marque la fin du contrat de transport et fait courir le
délai des protestations (en cas de pertes ou dommage subis par la marchandise) et celui de
la prescription.
Concrètement, la livraison se déroule comme suit : l’agent du transporteur va d’abord
remettre au destinataire un « bon à délivrer », en échange du connaissement (ou bien il
appose sur ce dernier la mention « bon à délivrer »). Le destinataire va ensuite échanger,
sur les quais, ce bon contre un bulletin de livraison ou « billette », qu’il devra faire viser par
le service des douanes. C’est uniquement après toutes ces formalités qu’il pourra enfin,
prendre possession de sa marchandise5.
Notons que la définition du moment de la livraison a fait l’objet de divergences entre la
Cour d’appel d’Aix-en-Provence et le tribunal de commerce de Marseille. La première avait
jugé que la livraison était réalisée dès la remise du bon à délivrer au destinataire ou à son
mandataire. Selon cette conception, la notion traduisait ainsi un acte purement juridique
résultant d’un échange de documents6.
La juridiction consulaire quant à elle, mettait l’accent sur la réception effective de la
marchandise. Ainsi, seule la billette de sortie remise au destinataire par l’acconier agissant
pour le transporteur, concrétisait la livraison7.
3 R. Rodière, « Traité général de Droit maritime », tome II, n°486 4 R. Rodière , op cit , n°545 5 J. Bonnaud, « Transport maritime : le moment de la livraison », Rev. Scapel 1994, p. 45 6 CA Aix-en-Provence, 13 Mars 1987, DMF 1989, p. 123 7 T. Com. Marseille, 14 Mars 1989, Rev. Scapel 1989, p. 28
8
Saisie d’un pourvoi contre l’une des décisions de la juridiction aixoise, qui était entre-temps
revenue sur sa position8, la Cour de cassation a mis un terme à cette controverse en
consacrant la thèse de la livraison matérielle défendue par le tribunal de commerce de
Marseille. En effet dans son arrêt navire Rolline, elle estime qu’ « il résulte de l’article 27
de la loi du 18 Juin 1966 et de l’article 49 du décret du 31 Décembre 1966, que la livraison
est l’opération par laquelle le transporteur remet la marchandise à l’ayant-droit qui
l’accepte ». La Cour précise par ailleurs que le destinataire manifeste son acceptation de la
marchandise « en étant mis en mesure d’en vérifier l’état et, le cas échéant, d’assortir son
acceptation de réserves, puis de prendre effectivement possession de la chose livrée »9.
Ajoutons que la tradition effective de la marchandise, implique que le transporteur avise le
destinataire ou son agent de l’arrivée de la cargaison, en l’invitant à en prendre livraison au
lieu prévu dans le contrat10.
Cette conception matérielle de la livraison sera, du reste, plusieurs fois confirmée par la
Haute juridiction11.
Comme le note le Professeur Bonassies, la définition proposée implique dans la pratique
que le destinataire se voit remettre un « bon à délivrer », lui permettant une première
approche de la marchandise. L’entreprise de manutention ou le consignataire qui a
réceptionné la marchandise à quai devra ensuite lui indiquer l’emplacement de cette
dernière et lui remettra éventuellement un « bon de livraison ». Enfin, un délai raisonnable
devra être accordé au destinataire pour vérifier l’état de la marchandise et en prendre
possession12.
Il ressort ainsi de cette jurisprudence que le critère prédominant est la mise effective de la
marchandise à la disposition du réceptionnaire. Une différence doit donc être faite entre la
livraison et l’arrivée ou le déchargement du navire13.
8 CA Aix-en-Provence, 24 Janvier 1992, BTL 1992, p. 421 9 Com. 17 Novembre 1992, navire Rolline, DMF 1993, p. 563, note P. Bonassies 10 Com. 27 Juin 2006, DMF 2007, p. 536 11 Com. 1er Juin 2003, n°01-15.663, Bull.civ. IV, n°98 et Com. 30 Juin 2004, n°03-10.751, Lamyline 12 P. Bonassies, note sous Com. 17 Novembre 1992, DMF 1993, p. 565 13 S’agissant du déchargement, Madame Chao observe que « le fait que le transport soit régi par la Convention de Bruxelles, qui ne couvre le contrat que du chargement au déchargement, ne change rien. Il n’y a pas de vide juridique. Si le déchargement du navire dans un port français ne coïncide pas avec la livraison, la loi maritime française prend le
9
La solution prônée par la Cour de cassation exclut toute idée de particularisme ; elle opère
une harmonisation de la notion de livraison applicable à tous les modes de transport14.
Toujours est-il que la définition ainsi exposée, présuppose la remise du connaissement au
transporteur maritime. Cependant, ce document n’est pas toujours présenté. Il est en effet
fréquent qu’à l’arrivée du navire, le destinataire se retrouve dépourvu du titre représentatif
de la marchandise. Plusieurs facteurs expliquent ce problème. Il en est ainsi de la
dégradation des services postaux, combinée avec la rapidité croissante des navires. De
même, la complexité des circuits bancaires, ou encore l’augmentation des jours non
travaillés, contribuent à retarder la transmission du connaissement. Le problème peut
également trouver sa source dans la perte pure et simple du titre représentatif.
Cette situation se rencontre très fréquemment dans le cabotage international15, le commerce
du pétrole, ou encore dans le transport de marchandises en vrac16. Cela est dû, notamment
sur le marché pétrolier, au fait que la cargaison est souvent achetée et vendue flottante ;
l’opération pouvant se répéter plusieurs fois au cours du trajet. Le transporteur sera donc
souvent contraint de livrer la marchandise sans exiger le connaissement en retour. Son
attitude s’expliquera par le souci d’éviter un blocage des biens avec toutes les conséquences
que cela entraîne17.
Ce problème est une des manifestations de la lourdeur du titre représentatif, lequel peut
parfois paraître inadapté. Aussi, la question qui nous occupera est celle de savoir dans
quelle mesure cette livraison faite sans remise du connaissement reflète une réduction de la
place du connaissement dans la phase de livraison.
Pour y répondre, nous allons tout d’abord, nous intéresser à l’exigence du connaissement à
la livraison (Partie 1), avant d’étudier son éviction au même moment (Partie 2).
relais ». A. Chao, « Livraison maritime, une notion fixe dans un espace variable », BTL, n°2574 du 4 Juillet 1994, p. 517 14 Ibid, p. 516 15 Navigation commerciale pratiquée entre ports d’Etats différents situés dans une zone délimitée. Autrement dit, il s’agit de voyages internationaux courts (G. Figuière, C. Camélio Laurent, « Dictionnaire anglais-français du commerce maritime », Infomer, Octobre 2005, 2ème éd., p. 25) 16 Marchandises solides telles que grains, phosphates, tourteaux ou minerais, chargés sans être conditionnées (Ibid. p. 22) 17 Un blocage peut affecter l’état de la marchandise si elle est périssable ; il peut également entraîner des frais de stationnement, ou encore la dégradation des relations commerciales avec le destinataire.
10
PARTIE 1 : L’EXIGENCE DU CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON
Le connaissement est défini comme étant « le document par lequel le transporteur maritime
qui l’émet, s’engage, dans les conditions énoncées, à remettre au bénéficiaire désigné
généralement par une clause à ordre ou au porteur rendant le titre négociable, les
marchandises qui y sont spécifiés ».18 C’est le document fondamental du transport maritime,
importance notamment justifiée par son rôle de titre représentatif de la marchandise. A cet
égard, il permet à son détenteur d’obtenir la livraison de la marchandise à son arrivée au port
de destination et ce, indépendamment de toute justification de sa propriété. Le transporteur est
tenu de livrer contre la présentation du connaissement. A défaut, il ferait une livraison
manifestement irrégulière (chapitre 1), laquelle sera du reste, lourdement sanctionnée
(chapitre 2).
18 Patricia Cordier, Connaissement maritime – Editions du juris-classeur, Fascicule 1260, p. 3
11
Chapitre 1 / La livraison sans connaissement, une irrégularité manifeste
La livraison de la marchandise suppose toujours, au préalable, la présentation par le
destinataire de l’original du connaissement. Il faut donc que le transporteur respecte ce qu’il
est convenu d’appeler la règle de présentation, laquelle a été affirmée avec force par les textes
(section 1) quoique faisant l’objet d’une application nuancée par la jurisprudence (section 2).
Nous verrons par ailleurs que l’instauration de cette obligation de présentation tient largement
à l’importance du connaissement dans la phase de livraison (section 3).
Section 1 / L’affirmation de la règle de présentation par les textes
La livraison sans connaissement constitue une grave irrégularité de la part du transporteur
maritime. Cela justifie que cette pratique soit interdite aussi bien par les textes internes (§1)
qu’internationaux (§ 2).
§ 1 / L’interdiction de la livraison sans connaissement par les textes internes
L’article 49 du décret du 31 Décembre 1966 enjoint au capitaine ou au consignataire du
navire de délivrer la marchandise au destinataire ou à son représentant. Selon cet article, « le
destinataire est celui dont le nom est indiqué dans le connaissement à personne dénommée ;
c’est celui qui présente le connaissement à l’arrivée lorsque le connaissement est au porteur ;
c’est le dernier endossataire dans le connaissement à ordre ».19
19 Précisons que le connaissement à personne dénommée est celui qui est établi au nom du destinataire, lequel peut seul prendre livraison de la marchandise. Le connaissement au porteur est celui qui énonce clairement qu’il est au porteur ou qui ne mentionne aucun destinataire ou encore, qui contient la clause « à ordre » sans indiquer aucun nom de bénéficiaire. Sa transmission se fait par tradition. Enfin, le connaissement à ordre désigne celui qui est établi à l’ordre d’une personne déterminée. Il est transmissible par endossement.
12
L’article 50 du même décret énonce quant à lui que « la remise d’un original du
connaissement établit la livraison sauf preuve contraire » étant précisé que « le
connaissement une fois accompli, les autres originaux sont sans valeur ».
Le connaissement représentant la marchandise, il donne à celui qui le détient légalement, le
droit à la livraison. Celui qui est légitimement porteur est en possession de la marchandise. De
même, la transmission du connaissement vaut ainsi transfert de la possession.
La règle de présentation posée par les articles 49 et 50 du décret de 1966 s’appuie comme
nous venons de le voir sur la fonction de représentativité du titre, laquelle a été reconnue par
la Cour de cassation dans un arrêt du 17 Août 1859. La Haute juridiction cassant un arrêt de la
Cour d’Appel de Rennes posait le principe que « la propriété des marchandises voyageant
par voie de mer est représentée par le connaissement », sachant que « le connaissement, ainsi
que les marchandises dont il est la représentation se transmet par la voie de
l’endossement »20.
Il résulte ainsi des textes susmentionnés que « le transporteur ne doit livrer la marchandise,
sans jamais avoir à se préoccuper de la propriété de celle-ci, qu’au titulaire du
connaissement qui lui présente effectivement, un exemplaire original de celui-ci. Nul autre
n’est en droit d’en exiger la livraison »21.
Cette interdiction formelle de la livraison sans connaissement qui se dégage des textes
internes français se retrouve pareillement dans certains textes internationaux.
§ 2 / L’interdiction de la livraison sans connaissement par les textes internationaux
La règle de présentation a été affirmée avec force à la fois par les Règles de Hambourg (A) et
par le projet CNUDCI sur le transport de marchandises effectué entièrement ou partiellement
par mer (B)22.
20 Cass. 17 Août 1859, D. 1859.I.347 21 P. Bonassies et C. Scapel, op. cit., n°987 22 La Convention de Bruxelles du 25 Août 1924 demeure silencieuse sur la question.
13
A / Les Règles de Hambourg
L’article 1er § 7 des Règles de Hambourg définit le connaissement comme « un document
faisant preuve d’un contrat de transport par mer et constatant la prise en charge ou la mise à
bord des marchandises par le transporteur ainsi que l’engagement de celui-ci de délivrer les
marchandises contre remise de ce document. Cet engagement résulte d’une mention dans le
document stipulant que les marchandises doivent être délivrées à l’ordre d’une personne
dénommée ou à ordre ou au porteur ».
Nous reconnaissons ici la même obligation posée par l’article 49 du décret de 1966 de livrer
la marchandise à son destinataire contre présentation du connaissement.
Cette exigence est prévue du reste dans un autre texte international quoique non encore entré
en vigueur.
B / Le projet CNUDCI sur le transport de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer23
Le projet CNUDCI règlemente en détail la livraison de la marchandise. Ainsi, son article 11
inclus dans le chapitre 4 relatif aux obligations du transporteur énonce que « le transporteur,
dans les conditions prévues par la présente Convention et conformément aux clauses du
contrat de transport, déplace les marchandises jusqu’au lieu de destination et les livre au
destinataire ».
La règle de présentation du connaissement est nettement posée par l’article 50, intitulé
« Livraison en cas d’émission d’un document de transport négociable ou d’un document
électronique de transport négociable ».
Ce texte fait nécessairement référence au connaissement, lequel a l’apanage de la
négociabilité. C’est d’ailleurs ce qui le distingue d’autres documents comme la lettre de
transport maritime.
Ainsi selon l’article 50, en cas d’émission d’un document de transport négociable ou d’un
document électronique de transport négociable, le porteur du document de transport
23 A/CN.9/WG.III/WP.101 (CNUDCI, Groupe de travail III, droit des transports, 21ème session, Vienne, 14-25 Janvier 2008)
14
négociable ou du document électronique de transport négociable est en droit de réclamer la
livraison des marchandises au transporteur après que celles-ci soient parvenues au lieu de
destination.
Toujours selon le même texte, cette livraison se fera contre remise du document de transport
négociable et à condition que le porteur s’identifie dûment, étant précisé que le terme
« porteur » désigne la personne qui est en possession d’un document de transport négociable.
S’il s’agit d’un document à ordre, il désigne la personne qui y est identifiée comme le
chargeur ou le destinataire, ou la personne au profit de laquelle le document est dûment
endossé. Enfin, le porteur sera le détenteur du connaissement s’il s’agit d’un document à ordre
endossé en blanc ou d’un document au porteur.
Ajoutons que l’article 50 précise bien que le transporteur devra refuser de livrer les
marchandises si ces conditions ne sont pas remplies.
Nous venons donc de le voir, la livraison sans connaissement est interdite aussi bien par le
droit français que par le droit international. Ne pas respecter la règle de présentation
reviendrait par conséquent à commettre une faute, du moins dans la majorité des cas car
l’application jurisprudentielle de cette règle est plus nuancée.
Section 2 / L’application de la règle de présentation par les juges
La règle de présentation du connaissement à la livraison n’est pas toujours appliquée au pied
de la lettre par la jurisprudence. Dans un premier temps, cette dernière l’applique
restrictivement en admettant qu’exceptionnellement des entorses à la règle (§1). En deuxième
lieu, les juges en font une application extensive, en allant au-delà même des textes (§2).
15
§ 1 / L’application restrictive : l’autorisation exceptionnelle de la livraison sans connaissement
Il existe des cas où, malgré l’obligation pour le transporteur de livrer la marchandise contre
remise de l’original du connaissement, la jurisprudence lui permet de passer outre cette
exigence. Il en est ainsi par exemple en cas d’accord du chargeur de livrer sans connaissement
(A), en cas de livraison sur injonction (B), ou de livraison à un organisme étatique
monopolistique (C), ou enfin en présence d’une livraison contre un connaissement falsifié
(D).
A / L’accord du chargeur
Cette exception à la règle de présentation a été affirmée par la Cour d’Appel de Montpellier
dans un arrêt du 5 Avril 1990, dans lequel cette juridiction pose que le transporteur qui livre
la marchandise sans connaissement « assume toujours un risque, dont il doit subir les
conséquences, excepté le cas où la remise de la marchandise est autorisée par le
chargeur »24. En l’occurrence, la marchandise a été livrée sans connaissement au vu d’un
télex provenant du vendeur l’autorisant « à mettre à disposition du destinataire la
marchandise dans l’attente des connaissements originaux ».
De même dans un arrêt récent du 19 Juin 2007, la Cour de cassation affirme que
conformément aux articles 49 et 50 du décret du 31 Décembre 1966, « sauf convention
contraire, le transporteur maritime ne peut livrer la marchandise que sur présentation de
l’original du connaissement, même lorsque celui-ci est à personne dénommée et dépourvu de
mention à ordre ».
A travers cette décision la Haute juridiction rappelle le respect qui doit être dû à la règle de
présentation du connaissement, mais en même temps, elle réserve expressément l’hypothèse
de la liberté contractuelle. Elle indique en effet que les articles 49 et 50 du décret de 1966
24 CA Montpellier, 5 Avril 1990, DMF 1992, p.314
16
s’appliquent « sauf convention contraire » des parties. Ces dernières peuvent donc convenir
de ne pas présenter le connaissement à la livraison.
Se posera toutefois ici, la question de la forme que doit prendre la convention contraire des
parties. A ce propos le professeur Kenfack affirme que « la dérogation aux termes de la loi
sur la présentation de l’original du connaissement doit être convenue, c'est-à-dire acceptée
par les parties, ce qui suppose une clause sans ambiguïté qui traduit la volonté sans
équivoque des parties et notamment celle du chargeur. L’arrêt du 19 Juin 2007 s’inscrit dans
une jurisprudence constante de la Cour de cassation, par exemple en ce qui concerne la
clause attributive de compétence. Elle n’est opposable au chargeur que s’il l’a
acceptée (…) »25.
Ainsi si l’accord du chargeur peut permettre de passer outre l’interdiction de livrer sans
connaissement, c’est à la condition que cet accord soit suffisamment exprimé et claire.
La dispense de présentation de l'original du connaissement ne peut donc résulter que d'une
telle clause. En son absence, avant la livraison, le transporteur pourra toujours demander et
obtenir une autorisation du chargeur de livrer sans connaissement.
Cette solution de la Cour de cassation doit être approuvée car elle préserve la liberté des
parties. En effet comme le note encore Monsieur Kenfack, « si la porte du non-respect des
exigences légales issues des articles 49 et 50 du décret du 31 décembre 1966 est fermée (la
présentation de l’original du connaissement avant toute livraison étant réaffirmée quel que
soit le connaissement), il convient de se réjouir de l’ouverture de la fenêtre de la liberté
contractuelle (…). Cette fenêtre est heureuse car le transport maritime est par essence
international et la liberté des parties y est très grande. Il n’est pas sain de la limiter, d’autant
plus que la mer est synonyme de liberté ».
En dehors de l’accord du chargeur, la livraison peut également s’effectuer sans présentation
du connaissement, si elle est faite sur injonction.
25 H. Kenfack, note sous Cass. 19 Juin 2007, JCP G n°40, 3 Octobre 2007, II 10165
17
B / La livraison sur injonction judiciaire
La livraison sans connaissement pourra toujours être autorisée si le destinataire de la
marchandise entame une procédure judiciaire rapide, comme l’assignation en référé ou la
requête. Le destinataire dans ce cas ne dispose pas de l’original du connaissement susceptible
de lui permettre de retirer sa marchandise, et il ne souhaite pas non plus contracter une
garantie pour obtenir livraison.
Il préférera donc emprunter la voie judiciaire. La livraison sur injonction s’entend d’une
procédure permettant d’obtenir du juge des référés une ordonnance prescrivant l’exécution en
nature d’une obligation de faire. En l’occurrence il s’agira d’obtenir livraison de la
marchandise. Toutefois cette procédure suppose que l’obligation ne soit pas sérieusement
contestable.
Une procédure simplifiée permet d’obtenir du juge d’instance, une ordonnance d’injonction
de faire. Il doit s’agir d’une obligation née d’un contrat passé entre personnes n’ayant pas
toutes contracté en qualité de commerçant. En effet, l’article 1425-1 du Nouveau code de
procédure civile, dispose que « l’exécution en nature d’une obligation née d’un contrat
conclu entre des personnes n’ayant pas toutes la qualité de commerçant peut être demandée
au tribunal d’instance lorsque la valeur de la prestation dont l’exécution est réclamée
n’excède pas le taux de compétence de cette juridiction ».
On signalera ici un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 19 Octobre 2004, lequel confirme
une ordonnance ayant fait droit à une demande de remise sous astreinte de la marchandise26.
Cet arrêt sera du reste confirmé par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans une
décision du 27 Juin 200627.
En l’espèce la société Aventis avait confié à la société Kawasaki un transport de marchandises
de Fos-sur-Mer à Bangkok. N’ayant pas reçu le connaissement émis par le transporteur, la
société Aventis, avait obtenu du juge des référés qu’il soit ordonné à la société Kawasaki de
lui livrer ces marchandises sans remise du connaissement initial et cela sous astreinte de 5000
euros par jour de retard à compter de sa mise à quai à Bangkok.
26 CA Rouen, 19 Octobre 2004, n°03/00882, Kawasaki kisen kaisa c/ Bayer, Lamyline 27 Com. 27 Juin 2006 n°04-20.510, Lamyline
18
Il est également précisé dans un autre arrêt, émanant cette fois-ci d’une juridiction belge, que
lorsque sur injonction judiciaire, le transporteur maritime délivre la marchandise à destination
à une partie autre que le porteur du connaissement, et qu’en plus on ne peut lui reprocher
aucune faute ou négligence en rapport avec l’intervention ou l’exécution de cette injonction,
la réclamation du porteur du connaissement pour non livraison, ne peut être accueillie28.
La jurisprudence nuance ainsi, une fois de plus, l’interdiction de la livraison sans
connaissement. Cette règle fait d’ailleurs l’objet d’un autre assouplissement en cas de
livraison à une entreprise monopolistique.
C / La livraison à une entreprise monopolistique
Les entreprises monopolistiques, comme leur nom l’indique, disposent d’un monopole légal
ou réglementaire pour effectuer la manutention des navires. Le transporteur confronté à de
tels organismes est souvent obligé de livrer la marchandise sans connaissement.
Dans une pareille hypothèse, la jurisprudence, tenant compte de la spécificité de la situation,
excuse l’attitude fautive du transporteur.
En effet, elle considère généralement que l’entreprise monopolistique agit pour le compte du
destinataire. Ainsi en a décidé un arrêt ancien de la Cour d’appel de Paris29 dans lequel une
marchandise était transportée du Havre à Vancouver (où toutes les cargaisons sont
obligatoirement consignées à un organisme public dénommé National Harbour Board).
La responsabilité du transporteur était recherchée par le commissionnaire-chargeur, lui-même
actionné par le vendeur impayé des marchandises. La Cour de Paris estime en l’espèce que le
transporteur s’est déchargé valablement de la responsabilité des marchandises en les délivrant
entre les mains de l’entreprise monopolistique dont l’intervention est obligatoire et qui « agit
non en qualité de mandataire du bord, mais comme représentant du destinataire qui le paie
pour son intervention ». L’organisme monopolistique qui n’est ni choisi, ni librement commis
par le transporteur, ne peut être regardé comme le mandataire contractuel de ce dernier30.
28 Rechtbank van Koophandel Te Antwerpen, 13 Mai 2005, D. eur. Transp. 2006, p.88 29 CA Paris, 8 Octobre 1964, DMF 1964, p.745, Navire Mississipi 30 CA Aix-en-Provence, 11 Mai 1989, BT 1990, p.345
19
La livraison d’office à une autorité publique se rencontre plus particulièrement dans les pays
en voie de développement. Ainsi selon la jurisprudence, est effective la livraison faite au
wharf de Nouakchott31, à la Société nationale de manutention algérienne (SONAMA)32, à
l’organisme portuaire de La Guaira au Venezuela33, à l’organisme portuaire du Pirée34, à
l’entreprise monopolistique de Djeddah35, à un organisme libyen36, à un organisme de Hô Chi
Minh-ville37. De même, est effective la livraison faite aux organismes portuaires de Freetown,
Takoradi et Cotonou38.
Notons également que la mise en dépôt de douane d’office dégage le transporteur de son
obligation de ne délivrer la marchandise que sur présentation des connaissements39.
Cette situation se retrouve le plus souvent dans les pays latino-américains, qui, comme le note
un auteur, font exception à la règle de présentation et permettent ainsi au consignataire
d'accéder à la marchandise sans produire le connaissement40.
Certaines décisions41 excusent également le transporteur qui livre sans connaissement, dans le
cas où cette remise lui était imposée par l’administration locale, constituant au sens de la
convention de 1924, un fait du prince42.
Dans ces décisions, la remise de la marchandise était exigée par une entreprise
monopolistique d’Etat. Les juges considèrent dès lors, que le transporteur n’est pas
responsable d’une livraison irrégulière, lorsque celui-ci est confronté à un acte de puissance
publique.
31 CA Paris, 29 Avril 1982, DMF 1983, p.274, et Com 13 Juin 1989, DMF 1991, p.229 Notons que « Techniquement un wharf est un appontement auquel viennent accoster les navires ; dans le jargon maritime on désigne par extension de ce mot, l’organisme de caractère public qui est chargé de la manutention et de l’entreposage des marchandises dans les ports africains ». R. Rodière, « Traité général de droit maritime » Tome III, Dalloz 1970, p.77 32 T.Com Marseille, 26 Mars 1982, Rev. Scapel 1982, p.30 33 CA Paris, 8 Juillet 1982, DMF 1982, p.754 34 CA Aix-en-Provence, 7 Décembre 1979, DMF 1980, p.726 35 CA Rouen, 21 Novembre 1979, DMF 1980, p.531 36 CA Aix-en-Provence, 15 Février 2007, n°05/06156, Lamyline 37 CA Paris, 13 Novembre 1996, La Paternelle et a. c/ Ballast Shipping et a. Lamyline 38 T.Com Marseille, 13 Janvier 2006, n°2005F02757, Fortis et a. c/ Sea Bean Maritime, Lamyline 39 CA Paris, 21 Septembre 1988, BT 1989, p.212 40 C.M. Schmittohff, “The Export Trade”, 8th ed., London, Stevens & Sons Ltd., 1986, pp. 509-510
41 CA Aix-en-Provence, 29 Mars 1988, DMF 1991, p.223 / Com, 20 Février 1990, BT 1990, p. 563 42 Art. 4§2 g, convention de Bruxelles de 1924
20
Signalons au passage que, pour ne pas être sanctionné pour livraison sans connaissement, le
transporteur doit être dépourvu de toute possibilité de choix. La livraison doit lui être imposée
par l’administration locale. Ce qui n’est pas toujours le cas.
En effet, pour donner l’exemple du Maroc, Madame Hassania Cherkaoui note que d’après le
Dahir du 28 Décembre 1984 portant création de l’organisme portuaire monopolistique de
Casablanca (l’ODEP), « l’exploitant portuaire ne s’impose pas au transporteur, lequel n’est
pas obligé de faire appel à ses services. Il peut en effet livrer directement au destinataire en
l’avisant de venir prendre livraison de sa marchandise, et rien n’interdit à l’armateur
d’organiser un service de garde à terre des marchandises en attente de leur délivrance. Si le
transporteur ne livre pas dans ces conditions, c’est qu’il a choisi l’exploitant portuaire
lorsqu’il a accepté son intervention.
Dès lors, la solution retenue par la jurisprudence française ne peut concerner l’exploitant
portuaire marocain puisque son intervention n’est pas obligatoire(…). Ainsi, la remise des
marchandises par le transporteur à l’exploitant portuaire marocain ne vaut pas livraison et
ne met pas fin à sa responsabilité »43.
Par conséquent, si le monopole de l’entreprise n’est pas démontré, le transporteur maritime
demeure responsable de la livraison sans connaissement, ainsi que des dommages constatés à
la livraison44.
Les organismes à caractère de monopole étant habilités à réceptionner la marchandise, les
transporteurs qui ne disposent pas de la maîtrise des opérations, ne sauraient donc être tenus
des pertes ou dommage survenus postérieurement à la remise des marchandises45.
Cette solution est consacrée par les Règles de Hambourg dont l’article 4§2 prévoit que le
transporteur est responsable en ce qui concerne les marchandises, de la prise en charge à la
livraison. Cette dernière pouvant être effective si les marchandises sont livrées « à une
43 H. Cherkaoui, « L’intervention de l’exploitant portuaire au Maroc et la rupture de charge du transporteur maritime », DMF 1996, p.99 44 CA Aix-en-Provence, 16 Février 2001, Uni Europe c/ Georges Shipping Ltd, Rev. Scapel 2001, p.148 45 CA Rouen, 6 février 1986, DMF 1988, p.40.
21
autorité ou autre tiers auquel elles doivent être remises conformément aux lois et règlements
applicables au port de déchargement »46.
Aussi, les transporteurs ont-ils l’habitude d’introduire dans leurs connaissements une clause
de déchargement d’office énonçant que la remise de la marchandise à ces organismes mettra
fin à leurs responsabilités. Mais comme le soulignent Messieurs Bonassies et Scapel, ces
clauses devraient être rejetées « lorsque le transport est régi par la convention de Bruxelles
ou par la loi française. Ces textes imposent au transporteur de supporter la responsabilité de
la marchandise jusqu’à la fin du déchargement, et ne prévoient aucune dérogation à cette
disposition impérative »47.
Selon l’exemple donné par Monsieur Achard, la clause de déchargement d’office revêt
généralement la formule suivante : « Le capitaine et la compagnie seront déchargés par la
remise des marchandises à la Douane ou à tout autre organisme dans tous les cas où cette
remise est obligatoire »48.
En livrant la marchandise à une entreprise monopolistique, le transporteur ne sera tenu que
des pertes et avaries constatées à la remise, mais ne sera pas sanctionné pour une livraison
irrégulière, c’est à dire faite sans présentation par le destinataire d’un original du
connaissement49. Nous retrouvons donc ici une autre exception à l’interdiction de la livraison
sans connaissement, laquelle est normalement fautive50.
De même, le transporteur sera également excusé s’il livre la marchandise en échange d’un
faux connaissement.
46 Art 4§2, b, iii, Règles de Hambourg 47 op.cit, n°1033 Les règles de Hambourg quant à elles, n’imposent pas au transporteur de décharger le navire, puisque la marchandise pourra être remise à la disposition du destinataire « conformément au contrat » (art. 4§2, b, ii 48R. Achard, « Livraison des marchandises à un organisme portuaire à caractère de monopole », JMM 1981, n°3231, p. 2774 49 CA Aix-en-Provence, 17 Décembre 1986, Navire Lagada-Bay, DMF 1988, p.43, Cass. 13 Juin 1989, Navire Lagada-Bay, DMF 1991, p.228, 50 Cass, 29 janvier 1991, Navire Diana, DMF 1991, p 354,
22
D / La livraison contre un connaissement falsifié
Au regard de la loi, un connaissement falsifié est nul. Cela s’explique par le caractère
frauduleux du document. Celui-ci n’est qu’un bout de papier sans valeur. Dès lors, livrer la
marchandise contre un tel document reviendrait à livrer sans connaissement.
Toutefois, cette livraison n’est pas toujours fautive selon la jurisprudence. En effet, dans un
arrêt du 22 Novembre 1996, la Cour d’Appel de Paris exonère un transporteur ayant livré la
marchandise contre un faux connaissement51.
En l’espèce, une société charge un commissionnaire de transport d’acheminer des caisses de
pièces détachées pour automobiles d’Aulnay-sous-Bois à Lagos via le port du Havre. Le
chargeur-vendeur prétendant n’avoir pas été payé fait faire une enquête qui révèle que les
marchandises ont été livrées contre un faux connaissement. Il assigne le commissionnaire,
lequel appelle le transporteur en garantie. Débouté en première instance, il fait appel et la
Cour de Paris confirme le jugement.
Le transporteur a pu être trompé puisqu’il s’agissait ici d’une photocopie de connaissement
ayant toutes les apparences de l’original, « photocopie dont la ressemblance avec l’original
était telle, hormis une dactylographie très légèrement différente, que celui qui était chargé de
la vérification a pu se méprendre et se laisser abuser sans être anormalement vigilant ».
La Cour relevant que la photocopie présentée ressemblait tellement à un original que le
transporteur a pu être trompé sans manquer à son devoir de vérification, conclut qu’il est donc
dégagé de toute responsabilité. Le pourvoi formé contre cet arrêt sera d’ailleurs rejeté par la
Cour de cassation, laquelle décide que « c’est par une appréciation souveraine que la Cour
d’appel a estimé que le connaissement présenté à l’arrivée par le destinataire avait toutes les
apparences de l’original et que le capitaine, au vu des éléments de comparaison en sa
possession, a pu se méprendre et se laisser abuser »52.
Cette position française est confirmée par une décision belge, affirmant que lorsque des
connaissements sont falsifiés de façon telle qu’ils sont quasiment identiques aux originaux, et
que les différences sont à ce point imperceptibles qu’elles ne peuvent être découvertes
51 CA Paris, 22 Nov. 1996, Sté Autorex France c/ Sté Galion et autres, BTL 1997, n°2697, p.199 52 Com. 5 Janvier 1999, n°97-10734, Légifrance
23
qu’après une étude comparative longue et approfondie, le transporteur maritime est mis hors
de cause et n’est pas responsable de la livraison sans connaissement original53.
Il faudra toutefois noter que cette conception n’est pas partagée par les juges britanniques.
Ceux-ci adoptent en effet une position plus sévère pour le transporteur. Ainsi, selon Lord
Justice Mance54, même si la falsification du connaissement n’est pas apparente et ne peut pas
être raisonnablement détectée, le transporteur reste malgré tout responsable s’il livre la
marchandise. En effet le transporteur doit pouvoir reconnaître ses propres connaissements. Il
doit faire en sorte que ceux-ci ne soient pas aisément falsifiables. Cette décision sévère est
confirmée par un récent arrêt de la Court of Appeal55.
Précisons par ailleurs que la présentation d’un connaissement falsifié est pénalement
sanctionnée. En effet, dans une décision du 10 Mai 200756, la chambre criminelle de la Cour
de cassation affirme que constitue un faux en écriture privée sanctionné par les dispositions de
l’article 441-1 du Code pénal57, l’acte de falsification de manifestes et de connaissements,
mais aussi toute fabrication par contrefaçon d’écriture, débouchant à faux intellectuel.
Quoi qu’il en soit nous retiendrons donc que selon la jurisprudence française, la livraison
contre un faux connaissement ne constitue pas une entorse à la règle de présentation.
Les assouplissements jurisprudentiels apportés à l’interdiction de la livraison sans
connaissement doivent être considérés comme exceptionnels en ce sens qu’ils sont justifiés
par des circonstances particulières. Dès lors, ils ne doivent pas laisser penser que les juges
favorisent la méconnaissance de la règle de présentation. Bien au contraire, ces derniers
interprètent strictement cette exigence légale en insistant bien sur le caractère exceptionnel de
ces entorses.
Notons cependant que l’application jurisprudentielle n’est pas toujours aussi restrictive.
53 Rechtbank van Koophandel Te Antwerpen, 12 Mai 2004, D. eur. Transp. 2004, p.509 54 Motis Exports Ltd v Dampskibsselskabet AF 1912 [2000] 1, Lloyd’s Rep. 211, p.217 55 Trafigura Beheer Bv v Mediterranean Shipping Company [2007] 2, Lloyd’s Rep. p.622 56 Crim 10 Mai 2007, RD transp. n°8, Septembre 2007, comm. 167, obs. M. Ndende 57 Art 441-1 du Code pénal : « Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. Le faux et l'usage de faux sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende».
24
§ 2 / L’application extensive de la règle de présentation
La jurisprudence ne se limite pas toujours à la lettre des dispositions légales. Elle est ainsi
allée au-delà des textes en appliquant la règle de présentation au connaissement nominatif
(A). Par ailleurs elle n’a pas manqué de souligner le caractère gravement fautif de la livraison
sans connaissement (B).
A / L’obligation de présenter le connaissement nominatif à la livraison
Le connaissement nominatif, encore appelé connaissement à personne dénommée par l’article
49 du décret du 31 Décembre 1966 sur les contrats d’affrètement et de transport maritime,
désigne un connaissement où le nom du destinataire à qui doit être livrée la marchandise, est
nommément désigné sur le document. L’indication du nom de ce destinataire ne doit pas être
assortie de la mention à ordre, ou à tout le moins, celle-ci doit être barrée.
Nous avons ici une des formes que peut prendre le connaissement, lequel selon l’article 49
susmentionné, peut être à personne dénommée, au porteur, ou à ordre.
La nature réelle du connaissement nominatif a pendant longtemps fait l’objet de beaucoup de
controverses. En effet, la question s’était posée de savoir s’il était un véritable connaissement,
donc soumis à la règle de présentation, ou si l’on devait au contraire considérer que c’est un
document, qui à l’instar de la lettre de transport maritime, ne nécessitait pas d’être présenté
lors de la livraison de la marchandise.
Deux thèses doctrinales étaient donc en opposition. Ainsi, un auteur comme le Professeur
Tassel défendant la thèse de la non présentation du connaissement à personne dénommée,
estimait que la règle de présentation et la représentativité du connaissement sont liées. Il
considère en effet que « la règle dite de la présentation du connaissement aux fins de retirer
la marchandise est réservée au connaissement à ordre ou au porteur. Or, cette règle de la
présentation est l’apanage du titre représentatif. Il s’en suit que la qualité de titre
représentatif est réservée au connaissement à ordre et au porteur »58.
58 Y. Tassel, observations sous CA Rennes, 16 Mai 2002, navire MSC Magallanes, DMF 2002. 952
25
Cette opinion fut battue en brèche par les Professeurs Bonassies et Scapel qui estiment quant à
eux, que « la fonction du connaissement comme titre représentant la marchandise doit être
reconnue, autant qu’au connaissement à ordre, au connaissement au porteur et au
connaissement nominatif. Les textes ne font en effet aucune différence quant à ces trois titres,
et il en est de même des Règles et usances uniformes de la CCI relatives au crédit
documentaire »59. Ainsi pour ces auteurs, quelle que soit la forme du document, la livraison
sans connaissement est donc contraire aux textes.
C’est cette dernière position doctrinale qui fut récemment consacrée par la chambre
commerciale de la Cour de Cassation dans un arrêt de principe du 19 Juin 200760.
Cette décision importante précise que « sauf convention contraire, le transporteur maritime
ne peut livrer la marchandise que sur présentation de l'original du connaissement, même
lorsque celui-ci est à personne dénommée et dépourvue de mention à ordre ».
Rendu au visa des articles 1147 du code civil, 49 et 50 du décret du 31 décembre 1966 sur les
contrats d'affrètement et de transport maritime, cet arrêt de principe clarifie la nature du
connaissement à personne dénommé. Celui-ci est un véritable connaissement, n’échappant
donc pas à la règle de présentation. Le transporteur maritime a, par conséquent, l’obligation
de présenter l'original du connaissement avant la livraison des marchandises même s'il est à
personne dénommée.
Par cette précision expresse, la Cour de cassation clarifie la qualification de ce document,
laquelle comme nous l’avons vu, avait soulevé la controverse. Désormais, le doute n’est plus
permis, le connaissement à personne dénommée étant considéré comme un véritable
connaissement.
Ajoutons que la position affirmée par la Haute juridiction dans son arrêt du 19 Juin 2007 est
défendue par de nombreux droits étrangers. Il en est ainsi par exemple, du droit anglais. En
effet statuant dans l'affaire du navire Rafaela S61, La Chambre des Lords a décidé dans un
59 P. Bonassies et C. Scapel, op.cit., n°987 60Com. 19 juin 2007, n° 05-19.646, D. 2007, AJ. 1869, obs. X. Delpech ; RD transp. 2007, Comm.
n° 192, obs. M. Ndendé ; BTL 2007. 415, obs. M. Tilche ; JCP 2007. II. 10165, note H. Kenfack 61 Y. Tassel, « L'affaire du Rafaela S ou l'indélicat connaissement nominatif », DMF 2005, p. 795
26
important arrêt de revirement du 5 juin 2005 que le connaissement nominatif doit être
présenté en échange de la marchandise.
Par ailleurs comme le note Monsieur Tassel, les juges britanniques ont souligné dans cette
décision, que « le droit comparé le plus récent est favorable à l’obligation de présenter le
connaissement nominatif. Certes, le droit américain ne l’exige pas. Mais le droit allemand, le
droit scandinave et le droit français l’exigent. D’ailleurs, les arrêts les plus récents font de la
présentation du connaissement, quel qu’il soit, une obligation (…). Trois arrêts ont été cités
en ce sens : au Danemark, The Duke of Yare, 1997 ; à Singapour, l’arrêt Voss v. APL ; et en
France, l’arrêt MSC Magallanes rendu par la Cour d’Appel de Rennes le 16 mai 2002 »62.
La solution de la Cour de cassation doit être saluée car elle met résolument l’accent sur le
respect de la règle de présentation. En outre, ainsi que le remarque Monsieur Dominique
Main, avocat général auprès de la Cour de cassation, il ne peut y avoir qu’avantage à unifier
les règles applicables, s’agissant de la livraison de la marchandise, quelle que soit la nature du
connaissement, sans distinguer donc selon qu’il est à personne dénommée, au porteur ou à
ordre (négociable dans ces deux cas), en s’alignant clairement sur le régime qui est le plus
protecteur des intérêts du chargeur63.
L’application extensive de la règle de présentation se manifeste par ailleurs par la conception
jurisprudentielle de la gravité de la faute du transporteur qui livre la marchandise sans
connaissement.
B / Le caractère gravement fautif de la livraison sans connaissement
L’obligation du transporteur de ne livrer la marchandise que sur présentation d’un
connaissement est une obligation fondamentale, dont il ne peut s’affranchir en aucune
façon64.Comme nous l’avons vu précédemment, cette obligation émane de textes aussi bien
internes qu’internationaux. Prenant appui sur ceux-ci, la jurisprudence s’attèle à faire
respecter la règle de présentation. Aussi décide-t-elle que livrer la marchandise sans
présentation du connaissement, représente de la part du transporteur une faute délibérée, au
62 Y. Tassel, Ibid 63 Avis de l’avocat général à propos de l’arrêt du 19 Juin 2007. Document fourni par M. André Potocki (conseiller à la Cour de cassation) avec l’accord de M. Main. 64 Sauf s’il est confronté aux cas particuliers étudiés précédemment
27
regard de la législation maritime65. Toutefois elle va également au-delà des textes en
qualifiant cette faute de lourde66, ou encore d’inexcusable67.
De même, la Cour d’Appel de Rouen a condamné un transporteur qui avait livré à New-York
un conteneur d’équipements acoustiques sans exiger la remise du connaissement par le
destinataire, alors que le chargeur de la marchandise lui avait formellement interdit de la livrer
ainsi sans son accord et ceci même sur présentation d’une lettre de garantie pour absence de
connaissement68.
Cet arrêt est du reste confirmé par la Cour de cassation, laquelle rejetant le pourvoi formé
contre lui, estime qu’ « en livrant les marchandises à celui qui les réclamait, sans exiger la
présentation du connaissement, le capitaine du navire avait commis une faute »69.
Pareillement, commet une faute engageant sa responsabilité auprès de la banque détentrice du
connaissement, le transporteur qui livre la marchandise à un destinataire qui n’en paie pas le
prix et qui n’a pas été en mesure de présenter le connaissement70.
La faute dont il s’agit en l’occurrence est strictement celle du transporteur, comme l’atteste un
récent arrêt dans lequel les juges précisent que le transporteur maritime ne peut remettre les
marchandises qu’au porteur des connaissements originaux, et il ne prouve aucun contrat de
dépôt dans le chef du mandataire du destinataire, auquel les marchandises ont été livrées sans
que ce mandataire soit en possession des connaissements originaux. Sans contrat, ce
mandataire du destinataire n’a aucune obligation de résultat concernant la restitution des
marchandises, et aucune faute contractuelle ne peut lui être reprochée. Le transporteur
demeure l’unique fautif71.
Signalons par ailleurs que le transporteur ne pourra pas conventionnellement échapper à sa
responsabilité découlant d’une telle livraison sans connaissement, laquelle est fautive. En
effet, la High Court de Hong Kong a décidé qu’était inapplicable, la clause d’exclusion du
connaissement qui prescrit l’exemption de responsabilité du transporteur en cas de livraison
65 CA Aix-en-Provence, 6 Septembre 1984, DMF 1986, p.158 Sentence n°1013 du 14 Septembre 1999, DMF Juin 2000, n°605 66 CA Aix-en-Provence, 6 Septembre 1984, DMF 1986, p. 157 67 T. Com. Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007, p. 519 68 CA Rouen, 19 Octobre 1989, DMF 1990, p.96 69 Cass. 9 Juillet 1991, DMF 1992, p.665 70 CA Montpellier 1er Juin 1995, DMF 1995, p.918 71 Hof van Beroep Te Antwerpen, 13 Juin 2005, D.eur.Transp.2006, p.353
28
fautive de la marchandise72. Cette décision confirme un précédent arrêt, lequel avait
clairement manifesté son hostilité face à ces clauses d’exemption73.
Ceci montre que même si la jurisprudence ne fait que se conformer aux textes en soulignant le
caractère fautif de la livraison sans connaissement, elle applique tout de même, de manière
extensive les exigences légales.
L’interdiction légale et jurisprudentielle de la livraison sans connaissement a surtout pour
fondement, la volonté du législateur et des juges, d’éviter que le transporteur maritime ne
bafoue le droit légitime du titulaire du connaissement de réclamer la livraison de sa
marchandise. Toutefois, la règle de présentation se justifie également par d’autres
considérations témoignant de son importance.
Section 3 / L’importance pratique de la règle de présentation
L’instauration de l’obligation du transporteur de livrer contre présentation d’un original du
connaissement peut s’avérer très utile. L’intérêt de cette règle se manifeste ainsi en matière de
crédit documentaire dont il assure le remboursement (§1) et en matière douanière, puisque le
connaissement est indispensable pour accomplir les formalités requises au port de destination
(§2).
§ 1 / L’exigence du connaissement, gage du remboursement du crédit documentaire
Le crédit documentaire est une technique de paiement international, de financement et de
protection contre le risque de non-paiement. Il est soumis aux Règles et Usances Uniformes
en matière de crédit documentaire (RUU 600) de la Chambre de commerce internationale
(CCI)74.
72 High Court of the Hong Kong special administration region, Court of first instance, 5 Octobre 2005, D.eur.Transp. 2006, p.182 73 Hong Kong commercial Court, Center Optical Limited v Jardine Transport Services Limited [2001] 2 Lloyd’s Rep 678. 74 La Commission bancaire de la CCI a adopté, le 25 octobre 2006, la version révisée des
Règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires, à savoir les RUU 600. Cette
29
Ce type de crédit correspond à l'engagement de la banque de l'acheteur de payer l'exportateur
contre remise de documents qui prouvent que les marchandises ont bien été expédiées ou que
les prestations de service ont été effectuées. Ces documents sont ensuite transmis par la
banque à l'acheteur (ou à la banque du vendeur) contre remboursement, pour que ce dernier
puisse prendre possession de la marchandise. Ils ont pour objet de prouver l'exécution par le
vendeur de ses obligations et incluent normalement les factures commerciales, un document
de transport représentatif de la marchandise (connaissement), une police d'assurance et des
certificats d'origine et de qualité.
Le document essentiel est en l’occurrence le connaissement maritime, lequel est en pratique
toujours exigé. Le connaissement original destiné au chargeur est émis en plusieurs originaux.
Le nombre d’exemplaires émis est indiqué sur le connaissement. Chaque exemplaire donne le
droit d’obtenir la livraison de la marchandise qu’il représente. Si un exemplaire est accompli,
les autres n’ont plus de valeur. Il est donc important d’être en possession du jeu complet.
En règle générale, et surtout dans les opérations de crédit où la marchandise sert de gage en
faveur de la banque émettrice, le jeu complet de connaissements originaux sera requis. La
banque ne s’en débarrassera au profit de l’acheteur, destinataire de la marchandise, que si ce
dernier rembourse le crédit. Le connaissement constitue ainsi dans ce cas un moyen de
pression efficace pour la banque. Par conséquent le transporteur maritime qui livre sans
connaissement, déjoue ce calcul en permettant à l’acheteur de prendre possession de la
marchandise avant de rembourser le crédit documentaire. Seul le respect de la règle de
présentation pourra donc assurer au banquier un remboursement effectif.
Ainsi, en exigeant le connaissement à la livraison le législateur contribue à l’effectivité du
crédit documentaire. Cela constitue un des aspects de l’importance de la présentation de ce
document ; l’autre aspect se retrouvant en matière douanière.
nouvelle version des RUU, est entrée en vigueur le 1er juillet 2007 ; elle a remplacé les RUU 500,
parues en 1993.
30
§ 2 / L’exigence du connaissement, condition
d’accomplissement des formalités douanières
Avant de pouvoir disposer totalement de ses marchandises, l’importateur-destinataire doit
s’acquitter de certaines formalités imposées par l’administration des douanes. Ces dernières
exigent la présentation de plusieurs documents, dont le plus important est le connaissement
maritime, titre représentatif de la marchandise.
Ainsi, le destinataire est tenu de procéder à la déclaration en détail de ses marchandises à
enlever. Or, le dépôt de cette déclaration ne sera possible qu’en présence du connaissement
original.
Il faudra préciser ici que l’accomplissement des formalités douanières ne concerne que les
transports entre un Etat membre de la communauté européenne et un Etat tiers.
En effet, depuis la suppression des frontières intra-U.E. en 1993 avec l’Acte unique européen,
les missions de la douane s’appliquent aux échanges entre l’Union Européenne et les pays
tiers et non plus aux échanges entre pays de l’Union.
Les missions de l’administration des douanes s’exécutent au sein de l’espace européen. Leur
point commun est le passage des frontières communautaires extérieures à l’Union
Européenne ; ce que l’on nomme plus communément des frontières « tiers ».
La législation douanière de base de la Communauté est contenue dans le Code des Douanes
(Règlement CE n° 2913/92 du Conseil) et dans les dispositions d'application du Code
(Règlement CE n° 2454/93 de la Commission).
Au sein de l’U.E., depuis le 1er Janvier 1993, il n’y a plus de déclaration en douane mais une
simple déclaration d’échanges de biens (la DEB)75, permettant de s’assurer du respect des
règles fiscales communautaires en matière de TVA. C’est en outre un moyen d’établir les
75 La DEB a vu le jour en 1993 avec l’instauration du grand marché intérieur. En l’absence de formalités aux frontières pour tous les échanges intra-communautaires, cette simple déclaration permet à l’administration des douanes de connaître l’importance et la nature des flux de marchandises à l’intérieur de la Communauté européenne. Source : www.douane.gouv.fr
31
statistiques du commerce extérieur, source importante d’information pour l’Etat et les
entreprises.
La déclaration en douane, est définie comme l'acte par lequel une personne manifeste, dans
les formes et modalités prescrites par le code des douanes communautaire, la volonté
d'assigner à une marchandise un régime douanier déterminé (article 4, point 17 du code). Elle
ne s’impose que dans le cas où la marchandise fait l’objet d’un transport entre un Etat tiers et
un Etat membre de la communauté européenne. En effet, l’article 38.1 du code des douanes
communautaire dispose que les marchandises introduites dans le territoire douanier de la
Communauté doivent être présentées en douane immédiatement après leur arrivée au bureau
de douane désigné ou à tout autre lieu désigné ou agréé par les autorités douanières ou dans
une zone franche.
Cette déclaration est effectuée par le destinataire ou un mandataire (souvent le transitaire). Il
faut cependant que la marchandise soit accompagnée d’un document preuve de détention,
indiquant qui est le propriétaire de celle-ci. Dans le transport maritime, c’est le connaissement
qui représente cette preuve.
A cet effet, l'article 14 du même code précise qu'aux fins de la détermination de la valeur en
douane, tous les documents et toutes les informations nécessaires doivent être fournis au
service. Le texte ne précise pas quels documents ou informations doivent être présentés à
l'appui des éléments déclarés, mais il est évident que le connaissement, titre représentatif de la
marchandise, sera exigé76.
Notons par ailleurs qu’en vertu de l’article 178-4 des dispositions d’application du code, de
manière générale, le dépôt d'une déclaration vaut engagement de la responsabilité du
déclarant, particulièrement en ce qui concerne l'exactitude, l'intégralité et l'authenticité de
l'information et des documents présentés.
Le connaissement peut ainsi s’avérer très utile à la livraison car il sert notamment à établir la
déclaration en douane. Cette procédure serait gravement compromise en l’absence de
connaissement à la livraison77. Aussi, le Doyen Chauveau a-t-il raison de souligner que « la
76 De même d’ailleurs que le certificat d’origine de la marchandise, les certificats de circulation, ainsi que les documents d’assurance. 77 Même si les procédures douanières se font de plus en plus sous forme informatisée.
32
douane utilise […] le connaissement comme instrument de contrôle des marchandises
importées ou exportées. C’est pourquoi, en France, les règlements douaniers exigent qu’un
connaissement soit dressé pour toutes les marchandises embarquées »78.
La présentation du connaissement s’avère donc très utile pour le dédouanement de la
marchandise. Elle est du reste indispensable à l’accomplissement d’autres formalités. Ainsi,
dans certains pays, les règlements administratifs, les arrêtés et les procédures sont ainsi
rédigés qu’ils imposent la production d’un connaissement. Les lois de douane, de la santé, de
l’agriculture, de la sécurité et de l’économie enjoignent souvent aux autorités d’exercer un
contrôle et d’obtenir des informations ; mission qui ne peut être accomplie que par le biais du
connaissement79.
Nous venons ainsi de voir au terme de ce chapitre, toute la place qu’occupe ce document
représentatif de la marchandise pendant la livraison. Le connaissement maritime demeure
quasiment incontournable, ce qui explique l’importance que lui accordent les textes et les
tribunaux. Aussi, le transporteur est-il lourdement sanctionné s’il livre la marchandise en son
absence.
78 P. Chauveau, « Traité de Droit maritime », LITEC 1958, n°727 79 R.I.L. Howland, « L’avenir du connaissement et les connaissements électroniques », Annuaire de Droit maritime et aérospatial, 1995, p. 207
33
Chapitre 2 / La livraison sans connaissement, une irrégularité lourdement sanctionnée
La règle de présentation est surtout destinée à protéger le destinataire de la marchandise. En
bafouant les prescriptions légales, le transporteur commet une grave irrégularité. Il devra donc
réparer le préjudice résultant de la livraison faite sans connaissement (section 1) et ce, sans
limitation de responsabilité (section 2). En outre, du fait de sa gravité et de son caractère
délibéré, cette faute du transporteur ne sera pas couverte par les compagnies d’assurance
(section 3).
Section 1 / La réparation du préjudice découlant de la livraison irrégulière
Le transporteur maritime qui livre sans connaissement est exposé à indemniser le porteur
légitime de toutes les conséquences occasionnées par cette faute. Précisons tout d’abord les
conditions et le contenu de cette réparation (§1), avant d’étudier l’exercice de l’action en
responsabilité contre le transporteur (§2).
§ 1 / Les conditions et le contenu de la réparation
La réparation du préjudice causé par la livraison sans connaissement au titulaire de ce
document répond à certaines conditions (A). Il faudra par ailleurs déterminer son contenu (B).
A / Les conditions de la réparation
Tout d’abord pour qu’il y’ait réparation, il faudra établir l’existence d’un préjudice. Celui-ci
sera matérialisé en l’occurrence par la perte de la marchandise. En effet le porteur du
connaissement ne pourra pas récupérer sa marchandise puisque cette dernière a été livrée à un
tiers sans qualité. Dans cette hypothèse, le Doyen Rodière affirme que la livraison équivaut à
34
une perte totale de la chose80, opinion partagée par Maître Jacques Bonnaud81. Le tribunal de
commerce de Marseille est également du même avis82.
Le premier de ces auteurs observe qu’« il y’a perte totale quand à destination, le transporteur
n’est à même de délivrer à l’ayant-droit aucun élément de la marchandise qu’il a prise en
charge »83.
La définition proposée correspond bien à la situation du titulaire du connaissement non livré.
Le transporteur devra donc réparer le dommage causé par sa faute, s’il a livré la marchandise
à un tiers sans qualité84.
Nous voyons ainsi que la livraison sans connaissement entre bien dans le domaine de
responsabilité du transporteur maritime, tel que déterminé par la loi française et par les textes
internationaux.
En effet, l’article 27 de la loi française du 18 Juin 1966 dispose que « le transporteur est
responsable des pertes ou dommages subis par la marchandise depuis la prise en charge
jusqu’à la livraison », à moins qu’il n’établisse que ces pertes ou dommages proviennent d’un
cas excepté.
De même, l’article 4 §1 et 2 de la convention de Bruxelles prévoit la responsabilité pour
« pertes ou dommages » subis par les marchandises. Toutefois le texte international va plus
loin que la loi française puisque le paragraphe 5 de ce même article vise les « pertes ou
dommages des marchandises, ou concernant celles-ci ».
Les Règles de Hambourg ne dérogent pas non plus à la règle car prévoyant également dans
leur article 5§1, que « le transporteur est responsable du préjudice résultant des pertes ou
dommages subis par les marchandises ainsi que du retard à la livraison ».
Le titulaire du connaissement pourra donc agir en responsabilité contre le transporteur.
Toutefois il devra au préalable prouver la perte totale qu’il a subie, sachant que cette preuve
« comporte celle de la prise en charge par le transporteur et de la non-livraison par lui. Il
80 R. Rodière, op. cit., n°551 81 J. Bonnaud, « Un incident à la livraison: le défaut de présentation du connaissement », Rev. Scapel 2002, p.134 82 T.com. Marseille, 4 Mai 1971, DMF 1972.165 83 R. Rodière, ibid, n°598 84 R. Rodière, ibid, n°551
35
ce délai91.
suffit en réalité que le demandeur établisse la prise en charge, ce qu’il pourra faire par tous
moyens d’ailleurs. C’est alors au transporteur d’établir, s’il conteste la perte, qu’il a livré.
[…] Ce que le transporteur doit d’ailleurs administrer c’est la preuve qu’il a livré au
réceptionnaire légitime »85.
Cette observation rappelle les dispositions de l’article 1315 du Code civil : « Celui qui
réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend
libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».
On notera ainsi que pour ce qui est des règles du transport maritime, à l’instar de la loi
française de 1966, la convention de Bruxelles de 1924 établit une conception objective de la
responsabilité du transporteur. C’est donc à ce dernier, actionné par une victime de la fraude
qu’est la livraison sans connaissement, de prouver son absence de faute86. Le destinataire non
livré devra donc simplement présenter l’original du connaissement, titre qui fonde son droit
sur la marchandise. En effet, « en cas de perte totale et en l'absence de dispositions légales, le
destinataire n'a aucune formalité à accomplir. Il doit simplement faire valoir ses droits dans
le délai de la prescription »87.
La prescription de l'action en responsabilité contre le transporteur est d'un an (Article 32 de la
loi du 18 juin 1966 et article 3§6 de la convention de Bruxelles du 25 août 1924)88, qu'elle
soit intentée à titre principal ou par voie reconventionnelle89 ; ou encore par l’effet d'une
demande d'intervention forcée90. Si le demandeur ne fait pas la preuve d'une circonstance de
nature à lui faire échec, son action n'est pas recevable après expiration de
85 R. Rodière, ibid, n°598 86 Frank Patrick Benham, « Contribution à l’étude de la fraude maritime », Thèse Aix, 1986-1987, p.379 87 Lamy Transport 2008, tome 2, n°744 88 Art. 32, loi de 1966: « L’action contre le transporteur à raison de pertes ou dommages se prescrit par un an ». Art. 3§6, conv. Bruxelles: « […] le transporteur et le navire seront en tout cas déchargés de toute responsabilité, à moins qu’une action ne soit intentée dans l’année de leur délivrance ou de la date à laquelle elles eussent dû être délivrées ». 89 Com. 18 mars 1970, no 68-14.266, BT 1970, p. 227 90 Com. 11 Décembre 1990, no 89-16.217, Lamyline
91 CA Paris, 27 juin 1975, BT 1975, p. 516
36
Notons que la convention de Hambourg prévoit, quant à elle, en son article 20, un délai de
prescription de deux ans92.
Il faudra préciser par ailleurs que, « l'appréciation du caractère total ou partiel de la perte
s'apprécie en fonction du réceptionnaire désigné au connaissement, et non en considération
de chacun des destinataires finaux de chacune des marchandises »93.
En fin de compte si le transporteur se retrouve dans l’impossibilité de fournir la marchandise
promise au titulaire du connaissement, parce qu’ayant livré à un tiers sans qualité, il devra
alors l’indemniser pour la perte totale qu’il lui fait subir.
B / Le contenu de la réparation
La livraison sans connaissement étant considérée comme une perte totale pour le
destinataire94, celle-ci s’analysera le plus souvent en une perte directe ou indirecte. Aussi, le
transporteur devra assumer l’indemnisation de toutes les conséquences directes et indirectes
de son acte. Il devra surtout au préalable, payer au destinataire, la valeur de la marchandise95.
Ainsi pour ce qui est de la loi française, le transporteur maritime responsable de la perte de la
marchandise est tenu d'en payer la valeur déterminée conformément à l'article 28 de la loi du
18 juin 196696. Ce dernier disposant que « la somme totale due est calculée par référence à la
valeur des marchandises au lieu et au jour où elles sont déchargées conformément au contrat,
ou au jour et au lieu où elles auraient dû être déchargées ».
La livraison sans connaissement peut donc être dangereuse pour son auteur, puisque « si celui
qui se prétend être le légitime destinataire s’avère ne pas l’être, le transporteur aura livré à
un tiers sans qualité et s’expose à une réclamation du porteur légitime du
connaissement…lorsque celui-ci sera enfin arrivé […]. Il est dès lors clair qu’à défaut d’être
92 « Toute action relative au transport de marchandises par mer en vertu de la présente convention est prescrite si une procédure judiciaire ou arbitrale n’a pas été introduite dans un délai de deux ans ». 93 CA Rouen, 28 Février 2002, no 99/04794, WSA Lines c/ Mitsui Osk Lines Ltd, Lamyline
94 R. Rodière, op cit n°551, 95 P. Bonassies et Ch. Scapel, op cit n°1037 96 Com. 8 octobre 1996 n° 94-18.430 Bulletin 1996 IV n° 228 p. 199
37
« Madame Soleil », le transporteur maritime qui remet la marchandise sans connaissement ne
pourra que prendre des risques »97.
En outre, l’indemnisation du porteur du connaissement peut parfois être extrêmement lourde,
comme l’illustre la fameuse affaire Chawafaty98.
Il faut cependant noter qu’en pratique ce n’est pas toujours le transporteur qui supporte les
conséquences de la livraison sans connaissement. En effet, il se prémunira généralement de
ces conséquences, en exigeant du réceptionnaire de la marchandise une lettre de garantie
bancaire99. De ce fait, il obtiendra par son recours contre la banque le dédommagement de ce
qu’il aura dû payer au titulaire du connaissement.
En outre, le transporteur tenu de réparer disposera d’un recours contre le réceptionnaire sans
droit100.
Le titulaire du connaissement à qui la livraison n’a pas été faite et qui subit un préjudice en
conséquence se retournera donc naturellement vers le transporteur indélicat ; celui-ci étant son
premier interlocuteur.
§ 2 / L’exercice de l’action en réparation
Il est acquis que la livraison faite sans présentation du connaissement constitue une faute101.
Nous consacrerons quelques développements sur la nature de cette dernière (A), avant
d’identifier les titulaires du droit d’agir en réparation contre le transporteur (B).
A / La nature contractuelle de la faute du transporteur
L’obligation de livrer la marchandise au port de déchargement contre présentation du
connaissement, résulte de ce titre lui-même. La présentation du connaissement fonde le droit à
la délivrance du porteur. Ce document atteste de la remise de la marchandise au transporteur.
97 J. Bonnaud, op cit, p.134 98 J. Bonnaud, op cit, p.136 (cf. infra, p. 59) 99 La lettre de garantie au déchargement sera étudiée plus en détail (cf. p. 55) 100 R. Rodière , op cit n°551 101 Cass. 29 Janvier 1991, navire Diana, DMF 1991.357, note R. Achard Cass 9 Juillet 1991, navire Gina’s, DMF 1992.665 P. Y. Lucas, DMF 1988.346
38
Corrélativement, il interdit à ce dernier, toute livraison sans titre102. Cette prohibition vaut
même contre celui qui se prétendrait propriétaire de la marchandise et qui même le
démontrerait103.
La violation de la règle de présentation constitue ainsi une faute contractuelle engageant la
responsabilité du transporteur maritime104. En effet, comme l’observe M. le Professeur
Bonassies, le transporteur maritime qui émet librement un connaissement, « s’engage à ne
remettre la marchandise qu’au porteur du connaissement. En livrant la marchandise sans
connaissement, il commet certainement une violation de ses obligations contractuelles.
Certains diront une faute, voire une faute inexcusable ou volontaire »105.
La nature contractuelle de la faute est également reconnue par la jurisprudence anglaise106.
Il est donc clair que l’action en réparation intentée contre le transporteur aura surtout pour
fondement, la méconnaissance d’une obligation contractuelle : celui de livrer la marchandise
en échange du connaissement. En méconnaissant cette obligation il agit à ses risques et
périls107 et devra rendre compte aux titulaires du droit d’action en responsabilité.
B / Les titulaires du droit d’agir contre le transporteur
Commençons par rappeler que le contrat de transport maritime est un contrat tripartite, dans
lequel les cocontractants du transporteur sont le chargeur et le destinataire. Ces derniers
disposeront donc tout naturellement d’une action contractuelle contre le transporteur en cas de
livraison sans connaissement. Toutefois, l’action en réparation n’est pas strictement réservée
aux parties au contrat de transport. Ainsi, à côté du destinataire (1) et du chargeur (2), le
commissionnaire de transport (3) et l’assureur (4) peuvent également agir contre le
transporteur.
102 R. Rodière, op cit n°485 103 CA Aix-en-Provence, 9 Décembre 1958, DMF 1959.735 104 CA Aix-en-Provence, 22 Novembre 2005, BTL 2006, p. 367 105 P. Bonassies in « La lettre de garantie pour absence de connaissement », table ronde organisée par l’IMTM et l’IDIT, 22 Février 1985, p. 4 106 Lord Denning dans l’arrêt « Sze Hai Tong Bank Ltd v. Rambler Cycle Ltd » (1959) AC p. 576 107 Selon l’affirmation de Lord Denning dans l’arrêt précité, p. 586 : “It is perfectly clear law that a shipowner who delivers without production of the bill of lading does so at his own peril”.
39
1/ L’action du destinataire
Le destinataire est normalement le titulaire du connaissement. Comme l’indique l’article 49
du décret du 31 Décembre 1966 sur les contrats d’affrètement et de transport maritimes, c’est
celui dont le nom est indiqué dans le connaissement à personne dénommée (ou nominatif);
celui qui présente le connaissement à l’arrivée lorsque ce dernier est au porteur ; il désigne
enfin le dernier endossataire dans le connaissement à ordre.
Le transporteur qui livre à un tiers sans qualité est exposé à l’action du destinataire. Celui-ci
«a le droit d’agir du fait même de son titre ; si on le lui contestait, on ruinerait la valeur
donnée au connaissement »108. C’est en effet en tant que possesseur du connaissement qu’il
est à la fois créancier et débiteur du transporteur. Dès lors, ses droits et obligations envers le
transporteur ne peuvent dériver que du contrat de transport lequel est constaté par le titre de
transport109.
Rappelons que l’action du destinataire, partie au contrat de transport, pour perte de la
marchandise, contre le transporteur, est une action contractuelle110. Il en est ainsi, par
exemple de l’action du réceptionnaire inscrit au connaissement à personne dénommée. La
Cour de cassation a, en effet, récemment rappelé que, « dans le connaissement à personne
dénommée, le destinataire inscrit au connaissement dispose d’un droit d’action à l’encontre
du transporteur maritime »111.
Ce droit d’action en question, est incontestable ; il ne suscite d’ailleurs aucune difficulté
contrairement par exemple à l’action du destinataire réel, c'est-à-dire celui non mentionné au
connaissement.
Pendant longtemps, le destinataire réel s’est vu refusé toute action contre le transporteur.
Ainsi, même le Doyen Rodière estimait qu’il ne devait pas bénéficier d’une telle action112.
Les choses ont toutefois changé avec l’arrêt Navire Renée Delmas dans lequel la Cour de
108 R. Rodière, op cit n°693 109 Ch. Larroumet, « Les opérations juridiques à trois personnes en droit privé », Bordeaux, 1968, n° 195, p. 468
110 Com. 1er Avril 2008, Rev. dr. transp. n°5, Mai 2008, comm. 94 111 Cass. 21 Février 2006, BTL 2006.147 112 R. Rodière, op cit n°693
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cassation précise que « si l'action en responsabilité, pour pertes ou avaries, contre le
transporteur maritime, n'appartient qu'au dernier endossataire du connaissement à ordre,
cette action est ouverte au destinataire réel lorsque celui-ci est seul à avoir supporté le
préjudice résultant du transport »113.
Comme l’observe Monsieur Bonassies, cet arrêt traduit « l’idée que l’on ne doit pas donner
du destinataire une définition abstraite, formelle. Le destinataire, ce n’est pas nécessairement
celui dont le nom figure sur le connaissement en cette qualité, ou en qualité de « notify ».
C’est celui qui, propriétaire de la marchandise au moment où le transport maritime s’achève
par la livraison de celle-ci, démontre qu’il est le véritable bénéficiaire du contrat de
transport, celui dans l’intérêt duquel toute la construction juridique que réalise un tel contrat
a été, en définitive, conçue et édifiée »114.
Ainsi, en cas de livraison sans connaissement, le destinataire non mentionné au
connaissement disposera quand même d’une action contre le transporteur s’il supporte seul, la
perte totale subie.
Cette décision de la Haute juridiction s’inscrit, nous allons le voir, dans le droit fil de la
reconnaissance du droit d’action du chargeur.
2 / L’action du chargeur
Le droit d’agir en responsabilité contre le transporteur maritime était pendant longtemps
étroitement lié à la qualité de destinataire de la marchandise tel que défini par l’article 49 du
décret du 31 décembre 1966.
Cette conception est cependant aujourd’hui largement dépassée, le droit d’action ne
dépendant plus exclusivement du droit à livraison découlant du connaissement. Partie au
contrat, le chargeur bénéficie désormais d’une action en responsabilité contre le transporteur.
L’action du chargeur a été reconnue par la formation suprême de la Cour de cassation dans
son arrêt Mercandia-Transporter II115. En effet, revenant sur la position adoptée par la
113 Cass. 7 Juillet 1992, DMF 1992.672, obs. P. Bonassies 114 Obs. sous Cass. 7 Juillet 1992, DMF 1992.672 115 Ass. pl. 22 décembre 1989, DMF 1990.29, obs. P. Bonassies ; BTL 1990.27 et 155, obs. M. Rémond-Gouilloud ; JCP 1990.11.21 503, note Ph. Delebecque
41
Chambre commerciale dans un arrêt du 25 juin 1985, l’Assemblée plénière décidait que « si
l'action en responsabilité pour pertes ou avaries contre le transporteur maritime n'appartient
qu'au dernier endossataire du connaissement à ordre, cette action est ouverte au chargeur
lorsque celui-ci est le seul à avoir supporté le préjudice résultant du transport ».
Notons que par un arrêt Norberg du 19 Décembre 2000, la cour de cassation n’exige plus la
condition d’exclusivité du préjudice. Le chargeur devra simplement démontrer qu’il a subi un
préjudice résultant du transport116.
Le transporteur qui livre sans connaissement peut se voir actionné en responsabilité par le
chargeur si cette livraison irrégulière lui porte préjudice. Il en sera ainsi en cas de non
paiement de la valeur de la marchandise.
En effet, le chargeur qui est souvent vendeur de la marchandise transportée voudra souvent se
prémunir contre tout risque d’impayé en détenant le connaissement. Ainsi il disposera d’un
moyen de pression efficace contre le destinataire, en décidant de ne céder le connaissement
que contre paiement. Le vendeur-chargeur sera ainsi garanti que l’acheteur-destinataire sera
dans l’obligation de payer pour obtenir remise du connaissement et donc de la marchandise.
« Un tel calcul est légitime et ne doit pas être déjoué par une remise de la marchandise sans
présentation du connaissement »117.
Il est donc inévitable de se plonger dans le contrat de vente pour apprécier le préjudice du
chargeur, et ce malgré le principe d’indépendance des contrats de vente et de transport.
Une application stricte de ce principe conduirait en effet à ne jamais l’indemniser ; mais
« telle n’est heureusement pas la position des juridictions qui ne peuvent faire autrement que
de jauger le préjudice au regard de ses conséquences sur la vente ou un autre contrat »118.
Signalons par ailleurs, que la Cour d’Aix ouvre également au chargeur réel non mentionné au
connaissement, le droit d’agir contre le transporteur au motif en l’espèce, qu’il justifiait de sa
qualité et qu’il était seul à avoir supporté le préjudice119. On reconnaît bien là l’empreinte de
la jurisprudence Mercandia.
116 Com 19 Décembre 2000, DMF 2001.222, obs. P. Bonassies 117 P. Bonassies, Ch. Scapel, op cit n°1035 118 M. Tilche, BTL 2008, n°3217
119 CA Aix, 31 Octobre 1991, DMF 1993, p. 147, obs. P. Bonassies
42
La livraison sans connaissement expose ainsi le transporteur, et ce d’autant plus que le droit
d’agir en responsabilité contre lui est aujourd’hui largement entendu.
3 / L’action du commissionnaire de transport
Le commissionnaire de transport est celui qui agit en son propre nom pour le compte de son
commettant. Il est tenu d’une obligation de résultat envers son donneur d’ordre. Etant garant
de la bonne arrivée de la marchandise, il est responsable vis-à-vis de ce dernier en cas de perte
des biens120, situation correspondant à la livraison sans connaissement.
En effet en matière maritime, le commettant ne peut agir directement contre le transporteur
s’il ne figure pas en son nom propre comme destinataire sur le document de transport.121 Il
disposera uniquement d’un recours contre le commissionnaire.
Rappelons que le commissionnaire de transport conclut le contrat en son nom, celui-ci
figurant au connaissement. A ce titre, il doit avoir le droit d’agir contre le transporteur122.
Ce droit lui est d’ailleurs reconnu. Dès lors qu’il est tenu d’indemniser l’ayant droit à la
marchandise, il disposera d’une action contre le transporteur. Il sera en effet légalement
subrogé dans les droits de la personne qu’il a indemnisée. Cette subrogation légale sera
fondée sur l’article 1251, 3° du Code civil lequel dispose que « la subrogation a lieu de plein
droit au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au payement de la dette,
avait intérêt de l’acquitter ».
La cour d’Aix a même admis l’action récursoire exercée contre un transporteur maritime par
un commissionnaire qui ne figurait pas au connaissement. Pour les juges aixois, « l’action du
commissionnaire à l’encontre de son substitué repose sur un fondement différent du recours
de l’ayant droit à la marchandise qui tient ses droits du connaissement ; en ayant passé ses
ordres au transporteur et en ayant traité directement avec lui, le commissionnaire dispose à
son encontre d’un recours contractuel »123.
120 Com. 20 Janvier 1998, DMF 1998.578, obs. Ph. Delebecque 121 CA Rouen, 4 mai 2000, DMF 2001.617 122 P. Safa, « Droit maritime », Tome II, éditions juridiques Sader, 1ère éd 2000, n°869 123 CA Aix, 30 mai 1991, DMF 1993, p. 232, note R. Achard
43
Par ailleurs, notons que le commissionnaire de transport pourra invoquer le privilège de
l’article L 132-2 du Code de commerce qui lui permet de garantir le paiement de sa
commission, de ses frais et avances. Ce privilège peut s’exercer sur les marchandises qu’il
détient ou sur les connaissements les représentant124. Par conséquent, le transporteur qui livre
la marchandise sans connaissement réduit à néant ce pouvoir de rétention du
commissionnaire. Il devra donc logiquement être sanctionné. C’est ce qu’a décidé le Tribunal
de commerce de Marseille dans un jugement du 10 Avril 2007125. La juridiction consulaire
condamne en effet un transporteur qui a livré la marchandise alors que le commissionnaire
détenait toujours les originaux du connaissement, privant ainsi ce dernier de son droit de
rétention de la marchandise et des moyens pour lui d’obtenir le paiement des dettes qu’il avait
enregistrées dans ses comptes vis-à-vis du destinataire.
Il est donc clair que le respect de la règle de présentation s’impose plus que jamais ; la
livraison sans connaissement pouvant entraîner une multiplication des actions en réparation.
Après le destinataire, le chargeur, le commissionnaire de transport, l’assureur de la
marchandise se retournera également contre le transporteur.
4 / L’action des assureurs facultés
Il est question ici de l’assurance des marchandises transportées. L’objet de la garantie est de
couvrir les pertes et dommages matériels de la marchandise. Ainsi, les deux types de contrat
que connaît l’assurance facultés, à savoir le contrat tous risque et le contrat franc d’avaries
particulières sauf126, précisent bien en leur article 5 que sont garantis les dommages et pertes
matériels subies par les facultés assurées.
La livraison à un tiers sans qualité étant considérée comme une perte totale127, le chargeur ou
l’acheteur de la marchandise partie au contrat d’assurance disposera donc d’un recours contre
l’assureur. En effet, la Cour de cassation assimile aux « dommages et pertes matériels »
124 P. Bonassies, Ch. Scapel, op cit n°669 125 T. Com. Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007.519 126 Imprimé du 30 Juin 1983, modifié le 16 Février 1990, le 22 Octobre 1998 et le 1er Juillet 2002 127 R. Rodière, op cit, n°551
44
couverts par la police française, la perte totale des marchandises résultant de leur défaut de
livraison au destinataire128.
Par ailleurs, même si les polices d’assurance ne visent pas expressément la livraison sans
connaissement parmi les risques assurés, les parties peuvent toujours le prévoir comme
l’illustre la Haute juridiction dans son arrêt du 13 Mars 2007129.
En l'espèce, le litige a pris sa source dans le fait que des conteneurs ont été remis à un
transitaire sur simple présentation à celui-ci de photocopies des connaissements. Or, le
transporteur ne peut livrer la marchandise que contre présentation de l’original du
connaissement, la seule production d'une photocopie étant insuffisante pour fonder ses
droits130.
Rappelant que l'assurance facultés souscrite en l'espèce constituait une assurance dommages,
les juges d'appel ont indiqué que le sinistre, pour être pris en charge par les assureurs, devait
être la conséquence du transport et non d'un litige purement commercial. Ils ont considéré que
la marchandise avait disparu non pas du fait d'un risque garanti mais du fait des relations
commerciales entretenues par le vendeur. Leur arrêt fut cependant cassé, la Cour de cassation
considérant qu’en retenant, pour que la garantie des assureurs facultés puisse être recherchée,
qu’il convenait que le sinistre fût la conséquence du transport et non d’un litige purement
commercial, « sans faire aucune référence ni se livrer à aucune analyse des stipulations du
contrat d’assurance ni apprécier ces stipulations au regard des règles gouvernant
l’assurance maritime et en excluant la garantie sans prendre en compte les règles du
transport maritime sous connaissement à ordre », la cour d’appel n’a pas donné de base
légale à sa décision.
La cour de cassation rappelle à travers cet arrêt que rien ne s’oppose à ce que les parties
étendent la garantie à certains risques commerciaux. Le contrat d'assurance est donc
susceptible de prévoir la garantie d'un risque commercial par le biais, le cas échéant, d'une
clause additionnelle.
128 Com., 3 Février 1998, BTL 1998. 125 129 Com. 13 mars 2007. Rev. Scapel 2007 p.14 / RGDA 2007 p.672 obs. F. Turgné
130 Com. 20 Novembre 1974, Bull. civ. IV, no 295 / CA Paris 31 Mai 1983, D. 1984, IR. 72, obs.
Cabrillac
45
Il apparaît ainsi que la conclusion du contrat d’assurance facultés est caractérisée par la
grande liberté laissée aux parties. En effet, seuls certains cas dits de « risques exclus
absolument » ou « dans tous les cas » le sont réellement. Tout dépendra des besoins
commerciaux de l’assuré et des possibilités, sinon du degré de compréhension des
assureurs131.
La livraison sans connaissement faisant partie des risques couverts, l’assureur-facultés qui
indemnise la victime pourra donc se retourner contre le transporteur maritime, et ce en vertu
de l’article L 172-29 du Code des assurances qui dispose que « l’assureur qui a payé
l’indemnité d’assurance acquiert, à concurrence de son paiement, tous les droits de l’assuré
nés des dommages qui ont donné lieu à garantie ». Il appartiendra ensuite aux juges, de
vérifier la réalité du paiement et son caractère obligé132.
Nous voyons ainsi l’ampleur du risque que court un transporteur qui déciderait de bafouer la
règle de présentation. Il sera en effet exposé à l’action en réparation de toutes les victimes de
la livraison irrégulière.
Les conséquences ne s’arrêtent d’ailleurs pas là pour lui puisqu’il court également le risque de
se voir privé de la limitation de responsabilité.
Section 2 / La déchéance éventuelle de la limitation légale de responsabilité du transporteur
La livraison sans connaissement constitue une irrégularité manifeste de la part du transporteur
maritime. En bafouant sciemment les prescriptions légales, ce dernier commet une très grave
faute. Le caractère inexcusable de cette faute est aujourd’hui communément admis, aussi bien
par la doctrine133, que par la jurisprudence134.
Ainsi, en livrant la marchandise sans exiger la présentation du connaissement, le transporteur
commet témérairement une faute tout en ayant conscience de la probabilité du dommage135.
131 R. Rodière, J. Calais –Auloy, « Droit maritime, assurances et ventes maritimes », Dalloz 1983, n°281 132 P. Bonassies et Ch. Scapel, op cit n°1141 133 M. Tilche, BTL 2002, n°2928, p. 24 134 T. Com Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007.519 135 Ce qui correspond à la définition de la faute inexcusable
46
L’exigence de présentation du connaissement fait partie des règles et usages constants de la
profession du transporteur maritime qu’il ne peut ignorer136.
La faute inexcusable entraînant déchéance de la limitation de responsabilité, le transporteur
pourra donc être sévèrement sanctionné. Il faudra toutefois nuancer les choses en distinguant
les principaux régimes qui gouvernent la faute inexcusable, à savoir celui de la convention de
Bruxelles de 1924 (§1), des Règles de Visby de 1968 (§2), de la Convention de Hambourg
(§3), et enfin le régime de la loi française (§4).
§ 1 / Régime de la convention de Bruxelles de 1924
Dans sa version originelle de 1924, la convention de Bruxelles reste muette sur la faute
entraînant déchéance de la limitation de responsabilité du transporteur.
Il appartenait donc à la jurisprudence de combler ce vide. Aussi, les juges estimèrent qu’aussi
bien le dol, que la faute lourde pouvaient priver le transporteur du bénéfice de la limitation.
Il a fallu cependant que la Cour de cassation prenne partie ; ce fut fait avec un arrêt du 11
Mars 1960, dans lequel la Haute juridiction précise que seul le dol était susceptible de faire
échec à la limitation de responsabilité137. Elle confirmera d’ailleurs cette position dans un
autre arrêt138.
Le dol pouvant être défini comme une faute commise avec l’intention de provoquer un
dommage, on pourrait hésiter à qualifier la livraison sans connaissement de faute dolosive. En
effet, le transporteur qui livre sans connaissement n’a pas l’intention de provoquer un
dommage ; il exigera généralement une lettre de garantie en échange.
Par conséquent, si le transport est soumis au régime de la convention de Bruxelles de 1924, le
transporteur ne sera pas privé de la limitation de responsabilité, la livraison sans
connaissement ne pouvant pas être qualifiée de faute dolosive139.
Quid maintenant de la limitation de responsabilité dans les Règles de Visby ?
136 T. Com. Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007.519 137 Com. 11 Mars 1960, DMF 1960, p. 331 138 Com 30 Janvier 1978, DMF 1978, p. 525 139 H. Ahouandjinou-Djossinou, « Contribution à l’étude des problèmes liés à la délivrance des marchandises dans le transport maritime », Thèse Aix, Octobre 1988, p.156
47
§ 2 / Régime des Règles de Visby de 1968
Il est question ici du Protocole du 23 Février 1968 qui a modifié la convention de Bruxelles
dans sa version initiale. Ce protocole est en effet connu également sous le nom de Règles de
Visby.
Selon ces Règles, la limitation de responsabilité ne pourra pas être invoquée « s’il est prouvé
que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur qui a eu lieu, soit avec
l’intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience qu’un dommage
en résulterait probablement ».
Autrement dit, il n’y aura pas de limitation en cas de dol ou de faute inexcusable.
Remarquons par ailleurs que la définition donnée ici de la faute inexcusable est très proche de
celle de la Cour de cassation dans son arrêt du 15 Juillet 1941, lequel définissait cette faute en
se référant notamment à son caractère volontaire, à sa gravité exceptionnelle, et à la
conscience du danger que devait en avoir son auteur140.
Il est à noter que dans sa définition de la faute inexcusable, le protocole de 1968 laisse
beaucoup de questions en suspens. On pourrait ainsi s’interroger sur la portée de la faute en
question. Celle-ci englobe-t-elle la faute des préposés ?, ou ne vise-t-elle que la faute
personnelle du transporteur ?
Il serait souhaitable que la Cour de cassation se prononce sur l’interprétation à donner aux
dispositions de l’article 4.5 (e) de la Convention de 1924 modifiée par le Protocole de
1968 .
En attendant, et en l’absence de jurisprudence sur la question, une étude de la conception
adoptée dans les autres modes de transport, notamment en Droit aérien
141
142, peut s’avérer utile.
A cet égard notons que l’article 25 de la Convention de Varsovie précise que la limitation de
responsabilité ne s’appliquera pas « s’il est prouvé que le dommage résulte d’un acte ou d’une
omission du transporteur ou de ses préposés fait, soit avec l’intention de provoquer un
140 P. Bonassies, Ch. Scapel, op cit n°430 141 DMF 2001 - n°5 Supplément - Le droit positif français en l’an 2000 142 Le protocole de 1968 reprend à quelque nuance près la définition de la faute inexcusable donnée en Droit aérien par le Protocole de la Haye de 1955. Ce texte modifie la convention de Varsovie de 1929 sur le transport aérien (P. Bonassies, Ch. Scapel, op cit n°430)
48
s, la
a été
x voyages maritimes soumis à la
convention de Bruxelles modifiée par les Règles de Visby.
ition juridique française, être interprété comme incluant la faute inexcusable du
préposé143.
met une
le, la livraison 144
transporteur. C’est sur cette même voie que
3 / Régime des Règles de Hambourg
dommage, soit témérairement et avec conscience qu’un dommage en résulterait
probablement, pour autant que, dans le cas d’un acte ou d’une omission de préposé
preuve soit également rapportée que ceux-ci ont agi dans l’exercice de leurs fonctions ».
La faute inexcusable du transporteur pourra donc être retenue même si cette faute
commise par son préposé, pourvu que ce dernier ait agi dans le cadre de ses fonctions.
Cette solution du Droit aérien pourrait être transposée au
Notons également que l’acte ou l’omission du transporteur visé par le protocole de 1968 peut,
dans la trad
Si on adopte cette conception, cela équivaudrait donc à dire que le transporteur com
faute inexcusable si la marchandise est remise sans connaissement par son capitaine.
Cette solution ne doit toutefois pas être retenue car les deux éléments constitutifs de la faute
inexcusable que sont la témérité et la probabilité du dommage, ne sont pas réunis. En effet,
bien que le capitaine ait conscience de la faute commise, son comportement n’est en rien
téméraire et la pratique démontre que la probabilité du dommage est très faib
sans connaissement n’entraînant que très exceptionnellement des difficultés .
Le droit à limitation pourra ainsi être reconnu au
s’inscrivent par ailleurs les Règles de Hambourg.
§
L’article 8 de la convention des Nations-Unies sur le transport de marchandises par mer, dite
Règles de Hambourg, adoptée le 31 Mars 1978 énonce que « le transporteur ne peut pas se
prévaloir de la limitation de responsabilité […], s’il est prouvé que la perte, le dommage ou
le retard à la livraison résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur commis soit avec
143 P. Bonassies, Ch. Scapel, op cit n°1114 144 C. Dajoux-Ouassel, « Les incidents à la livraison des marchandises dans le contrat de transport maritime et le contrat d’affrètement au voyage », Thèse Aix, 2000, p. 149
49
.
ne surviendra donc pas sous le régime des
ègles de Hambourg. Une solution plus nuancée se déduit cependant de la loi française.
l’intention de provoquer cette perte, ce dommage ou ce retard, soit témérairement et en
sachant que cette perte, ce dommage ou ce retard en résulterait probablement ».
Ce texte subordonne la déchéance de la limitation de responsabilité au dol ou à la faute
inexcusable personnelle du transporteur, ce que ne constitue pas forcément une livraison faite
sans connaissement. En effet cette opération se passera le plus souvent entre mandataires : le
consignataire de navire pour le transporteur maritime et le transitaire pour le destinataire145
La déchéance de la limitation de responsabilité
R
§ 4 / Régime de la loi française
L’article 2 de la loi du 23 Décembre 1986, modifiant l’article 28 de la loi du 18 Juin 1966 sur
les contrats d’affrètement et de transport maritime dispose que « le transporteur ne peut
invoquer le bénéfice de la limitation de sa responsabilité […], s’il est prouvé que le dommage
résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel
dommage ou commis témérairement avec conscience qu’un tel dommage en résulterait
probablement ». Ce texte s’aligne sur le protocole de 1968, mais il s’en démarque en
Il résulte donc de ces dispositions qu’en cas de livraison sans connaissement, le transporteur
ent le consignataire de navire représentant le
confinant la faute entraînant déchéance de la limitation de responsabilité au fait ou à
l’omission « personnels » du transporteur.
maritime ne pourra être déchu du droit à limitation que si on peut lui reprocher une faute
inexcusable personnelle.
Or, dans la pratique « ce n’est jamais le transporteur en personne qui délivre effectivement la
marchandise arrivée à l’ayant-droit au port de destination. C’est éventuellement le capitaine
du navire ayant fait le transport et habituellem
transporteur au port de destination, qui posent les actes concrets de la délivrance de la
marchandise »146.
145 J. Bonnaud, op cit p. 135 146 H. Ahouandjinou-Djossinou, op cit p. 160
50
ent la faute. Il
marchandise
vernant
orcément invoquer la limitation si la loi française venait à régir le contrat.
nt la livraison sans connaissement traduit la gravité de cette
pratique ; cela est également reflété par le refus des assureurs de couvrir le transporteur
indélicat.
On pourrait donc penser, de prime abord, que le transporteur qui livre sans connaissement
pourra limiter sa responsabilité parce que n’ayant pas commis personnellem
faudrait cependant se garder de toute conclusion hâtive au vu de la jurisprudence des
tribunaux français sur la faute inexcusable. En effet, ces derniers n’appliquent pas toujours les
prescriptions légales s’agissant notamment du caractère personnel de la faute.
Ainsi, dans un arrêt du 31 Mai 1994, concernant un transport soumis à la loi française, les
juges aixois ne relèvent aucune faute personnellement imputable au transporteur, mais
seulement une faute du capitaine147.
On retrouve la même solution dans un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 7 septembre
1995148, ou encore du 9 Avril 2004149. Ici encore, les juges ne font référence à aucune faute
inexcusable personnelle du transporteur.
Comme l’observe le Professeur Bonassies, « il est donc certainement urgent que la Cour de
cassation se prononce sur le sens précis qu’il faut donner à la notion de faute personnelle de
l’article 28 »150.
On notera donc que malgré la clarté apparente des textes, l’ayant-droit à la
pourra toujours compter sur la sévérité des tribunaux français vis-à-vis du transporteur. Si un
transport est soumis à la loi française, le transporteur qui livre la marchandise sans
connaissement court toujours le risque de se voir privé de son droit à limitation.
Nous voyons ainsi que la déchéance de la limitation de responsabilité n’est pas automatique
malgré la gravité de la faute commise. En fin de compte tout dépendra du régime gou
le transport. La déchéance ne pourra pas intervenir si la convention de Bruxelles originaire ou
modifiée s’applique, ou encore les Règles de Hambourg. En revanche le transporteur ne
pourra pas f
La sévérité de la sanction frappa
147 CA Aix, 31 mai 1994, BTL 1995.14
148 CA Rouen, 7 Septembre 1995, BTL 1995.732 149 CA Rouen, 9 Avril 2004, navire Marine Ace, DMF 2005.58, obs. I. Corbier 150 DMF 2001 - n°5 Supplément - Le droit positif français en l’an 2000
51
Section 3 / L’absence de couverture d’assurance
par la police française d’assurance de responsabilité (§1), ni
par
de la police française
Il est question ici de l’assurance de responsabilité civile. Le transporteur qui livre sans
connaissement ne sera couvert ni
les P&I Clubs (§2).
§ 1 / L’absence de couverture d’assurance de responsabilité
is, ou de la livraison des
hypothèse correspond bien à la livraison sans connaissement puisque le capitaine prend cette
ion de garantie, soit par une extension de garantie, soit par un contrat
police française. Elle justifie également l’hostilité des P&I
lubs à cette pratique.
Selon l’article 3.a de la police française d’assurance maritime couvrant la responsabilité du
transporteur maritime, « sont exclues de la garantie les réclamations résultant de transports
effectués sans qu’un titre de transport régulier ait été ém
marchandises sans production du titre y donnant droit »151.
Cette police exclut de sa couverture tout recours fondé sur une faute intentionnelle ou lourde
de l’assuré (article 3.i), ou une faute intentionnelle du capitaine (article 3.j). Cette dernière
décision en connaissance de cause.
Il faudra relever cependant que les clauses contenues dans la police sont purement indicatives,
« les parties pouvant convenir de conditions d’assurance différentes. Pour toute clause
comportant une exclusion, les parties peuvent convenir que l’assurance couvrira les risques
visés par l’exclus
distinct »152.
L’importance du risque que constitue une livraison sans connaissement explique le refus de
couverture du transporteur par la
C
151 Imprimé du 20 Décembre 1972 152 Précision figurant en tête de l’imprimé
52
§ 2 / L’absence de couverture des P&I Clubs
Les P&I Clubs (Protection & Indemnity clubs) sont des associations à but non lucratif
constituées d’un groupe d’armateurs pratiquant l’assurance mutuelle des risques non couverts
par les polices corps en général, notamment la responsabilité civile153.
La livraison sans connaissement constituant généralement une faute volontaire, entraînant de
surcroît des risques considérables, la quasi-totalité des Clubs l’exclut de leur couverture154.
Ainsi, à titre d’exemple, les règles 2008 du P&I Shipowners’ Club précisent dans la rubrique
« exclusions diverses de la couverture » qu’il n'y aura aucun droit à recouvrement auprès de
l'Association au titre de « responsabilités, frais ou débours résultant de la livraison d'une
cargaison couverte par un connaissement négociable sans présentation de ce dernier par
celui à qui la livraison est faite »155. Cette exclusion se retrouve également dans les règles
2008 de skuld156.
Toutefois, malgré l’absence de couverture, les administrateurs peuvent, en vertu de la « clause
omnibus », accorder la garantie du club à un adhérent de bonne foi par le biais d’une décision
tout à fait discrétionnaire. Ce sera le cas par exemple si la livraison est faite à un organisme
monopolistique ou encore si l’agent du transporteur n’a pas suivi les instructions de son
donneur d’ordre157.
Notons également que la livraison sans connaissement peut être exceptionnellement couverte
si la marchandise est transportée avec un connaissement non négociable, c'est-à-dire
nominatif158. En effet la livraison devant être faite dans ce cas à la personne dont le nom
figure sur le document, le risque que les marchandises tombent entre les mains d’un tiers sans
qualité est quasi nul.
153 G. Figuière, C. Camelio Laurent, « Dictionnaire anglais-français du commerce maritime », Infomer Octobre 2005, 2ème éd., p.132 154 S. J. Hazelwood, “P&I Clubs law and practice” , 3rd ed, LLP 2000, p. 182 155 Section 14, E, iV, c 156 Part II, 5.2.15, a 157 H. Morley Mac Lean, « Connaissement, lettre de garantie, transporteur et P&I Clubs », mémoire CDMT 1988, p.69 158 S. J. Hazelwood, op cit p.182 / J. Bonnaud, op cit p.135
53
Le principe reste ainsi l’absence de couverture, ce qui vise à discipliner les membres.
Toutefois, comme le souligne Maître Jacques Bonnaud, « en réalité une bonne lettre de
garantie bancaire assure parfaitement la protection du transporteur maritime ; dès lors, on
ne voit pas pourquoi les P&I ne couvrent pas […]. Seule la livraison sans lettre de garantie
bancaire devrait ne pas être couverte »159.
L’absence de couverture d’assurance du transporteur maritime montre une fois de plus la
gravité de la faute commise et la lourde conséquence qui s’y attache.
Nous avons ainsi vu au terme de cette première partie, que le connaissement occupe une place
de choix au moment de la livraison. Aussi bien les textes que la jurisprudence exigent sa
présentation ; ce qui explique la sévérité des sanctions frappant tout transporteur qui ne se
plierait pas à la règle.
Il convient toutefois de noter que malgré son importance, le connaissement n’est pas
indispensable. La tendance est plutôt d’utiliser d’autres documents qui le supplanteraient à la
livraison.
159J. Bonnaud, op cit p. 135-136 - La lettre de garantie au déchargement sera étudiée dans la deuxième partie du mémoire.
54
PARTIE 2 : L’EVICTION DU CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON
Le connaissement constitue la pierre angulaire du transport maritime. Cette place
prépondérante découle notamment du triple rôle de ce document : reçu de la marchandise
preuve des modalités du contrat, et titre représentatif des biens transportés. Cette dernière
fonction qui confère la négociabilité au connaissement lui vaut également d’être assez lourd
d’utilisation. En effet avec les endos successifs et son passage souvent prolongé dans les
banques, le document de transport est très rarement présenté à la livraison.
Cette situation a encouragé l’usage très répandu de la lettre de garantie au déchargement,
laquelle néanmoins, ne constitue qu’un palliatif (chapitre 1). Il existe également des
documents dont le but, plus ambitieux, est de se substituer au connaissement pour résoudre les
problèmes de livraison sans titre (chapitre 2).
55
Chapitre 1 / La lettre de garantie au déchargement, un palliatif au connaissement
La lettre de garantie au déchargement160, encore appelée lettre de garantie pour absence de
connaissement est le document permettant au transporteur maritime contraint de livrer la
marchandise sans titre, de se prémunir contre les risques d’une telle opération.
Après avoir explicité le mécanisme de ce document (§1), nous mettrons en exergue ses
caractéristiques (§2) et son importance actuelle, laquelle se traduit par l’institutionnalisation
dont il fait l’objet (§3).
Section 1 / Le mécanisme de la lettre de garantie
La lettre de garantie au déchargement apparaît comme une donnée inéluctable de la pratique
contemporaine du transport maritime, et ce malgré sa dangerosité161. Elle est définie comme
étant le contrat par lequel le destinataire ou réceptionnaire de la marchandise prend
l’engagement d’indemniser le transporteur maritime des conséquences que pourrait entraîner
la livraison des marchandises sans présentation du connaissement162. Il s’agit notamment de
tous les préjudices directs ou indirects que le transporteur pourrait encourir en conséquence de
la livraison irrégulière.
Notons également, qu’avec ce document, l’ayant droit à la marchandise promet de remettre le
connaissement dans les plus brefs délais. Il s’agit en l’occurrence d’une obligation de faire.
Selon la Cour d’appel de Rouen, « le signataire de la lettre n’a en effet pris aucun
engagement envers un tiers, en l’espèce le chargeur, de la bonne exécution du transport, mais
160 Par opposition à la lettre de garantie au chargement laquelle est « l’engagement souscrit par le chargeur d’indemniser le transporteur pour toute responsabilité encourue par ce dernier et résultant de l’émission d’un connaissement net de réserve, alors qu’en réalité, la marchandise n’a pas été prise en charge dans les termes figurant au connaissement », W. Tetley, « Contre-lettre d’indemnité et lettres de garantie », DMF 1988, p. 258 161 P. Bonassies, P. Emo « La lettre de garantie pour absence de connaissement. Un projet de lettre-type », Annales IMTM 1986, p. 146 162 Vannier, note sous CA Rouen, 27 Juin 1979, DMF 1979, p. 734
56
a contracté une obligation personnelle de faire, assortie de promesse de dommages et intérêts
en cas d’inexécution »163. Cette position a été validée par la Cour de cassation164.
Le signataire qui a dû régler le transporteur maritime disposera par ailleurs d’un recours
contre son client. Toutefois, « si le recours existe en théorie, il risque de ne pas se trouver
efficace dans l’hypothèse où le donneur d’ordre a pu entre-temps être amené à déposer son
bilan »165. Dans cette situation, ce sera surtout le transitaire du réceptionnaire qui subira les
conséquences les plus dramatiques si c’est lui-même qui a signé la lettre de garantie. En effet,
par comparaison, le réceptionnaire signataire court un risque plus limité puisqu’en
contrepartie de l’engagement souscrit, il va prendre possession de sa marchandise. Le
transitaire lui, est d’autant plus exposé qu’en signant la lettre de garantie il n’agit plus comme
mandataire de son client, mais à titre personnel166.
Il faudra préciser par ailleurs que la lettre de garantie comporte souvent la signature d’une
banque. Cette dernière est requise pour pallier l’éventuelle insolvabilité de la personne ayant
souscrit l’obligation. L’engagement de la banque étant contracté en faveur d’un tiers s’analyse
en un cautionnement. Cette qualification ne s’applique toutefois pas à l’obligation du
signataire, laquelle est synallagmatique puisqu’il obtient la livraison de la marchandise en
contrepartie de la remise de la lettre de garantie. D’ailleurs la Cour de Rouen rejette la
qualification de cautionnement, la lettre de garantie n’ayant ni le caractère unilatéral ni
accessoire de ce contrat167.
Ainsi comme le résume Madame Rémond-Gouilloud, « le signataire de la lettre s’engage
directement à l’égard du transporteur : il lui fournit la lettre en contrepartie de la délivrance
des marchandises, et le transporteur ne lui remet les marchandises qu’en échange de la lettre.
Cet accord classique relève du droit commun des contrats. Tout différent est l’engagement
souscrit par la banque qui prête main forte au signataire de la lettre : cette dernière s’engage
163 CA Rouen, 11 Avril 1985, DMF 1987, p. 132 164 Com. 25 Novembre 1986, DMF 1987, p.358 165 P. Emo, « La lettre de garantie pour absence de connaissement régulier », Thème de réflexion proposé par l’IDIT, BTL 1984, n°2105, p.285 166 Ibid 167 CA Rouen, 11 Avril 1985, DMF 1987, p. 132
57
à l’égard d’un créancier, le transporteur, à suppléer les défaillances d’un débiteur principal,
le réceptionnaire de la cargaison : elle est caution »168.
Le mécanisme de la lettre de garantie étant ainsi exposé, quid de ses caractéristiques ?
Section 2 / Les caractéristiques de la lettre de garantie
Nous commencerons d’abord par relever la validité de l’engagement souscrit par le signataire
de la lettre de garantie pour absence de connaissement (§1), avant de montrer la lourdeur
accompagnant cet engagement (§2).
§ 1 / La validité de l’engagement souscrit
En livrant la marchandise contre une lettre de garantie, le transporteur maritime enfreint la
règle posée à l’article 49 du décret de 1966, laquelle exige la présentation du
connaissement169. En cela, la lettre de garantie consacre une irrégularité manifeste. Le
transporteur commet une faute en effectuant la livraison au destinataire, alors que ce dernier
est dépourvu du connaissement170.
Toutefois, la faute ainsi commise n’a aucune incidence sur la validité de l’engagement
souscrit, laquelle est de principe. Elle est d’ailleurs unanimement reconnue par la
jurisprudence et la doctrine171. Cela peut tout de même paraître étonnant, la lettre de garantie
trouvant sinon sa cause, du moins son motif, dans un comportement contraire au droit172.
L’admission unanime de la validité de la lettre pourrait s’expliquer par la nécessité de ce
document, mais une meilleure explication est à trouver dans sa nature juridique même ; la
168 M. Rémond-Gouilloud, « Droit maritime » N°2, Pedone, 2e éd., 1993, n°556 169 Art. 49, décret du 31 Décembre 1966 : « Le capitaine ou le consignataire du navire doit livrer la marchandise au destinataire ou à son représentant. Le destinataire est celui dont le nom est indiqué dans le connaissement à personne dénommée ; c’est celui qui présente le connaissement à l’arrivée lorsque le connaissement est au porteur ; c’est le dernier endossataire dans le connaissement à ordre ». 170 Com. 3 Novembre 1983, cité par Maître Louis Scapel in « La lettre de garantie pour absence de connaissement », Table ronde organisée par l’IMTM et l’IDIT, 22 Février 1985, p. 17 171 J. Bonnaud, op cit, p.137 J. P. Beurier et alii, « Droits maritimes », Dalloz action 2006-2007, 345.43 172 P. Bonassies, P. Emo, « La lettre de garantie pour absence de connaissement. Un projet de lettre-type », op cit, p. 146
58
lettre pouvant s’analyser en un engagement autonome analogue à la garantie de paiement à
première demande173.
L’on dira donc avec Maître Jacques Bonnaud , « non pas que le droit s’est effacé devant la
commodité, mais que nécessité fait loi et que l’imagination des praticiens pour régler ce
problème trouve sa justification jusque dans la nature juridique de l’engagement »174.
Ainsi, bien que couvrant une irrégularité, la lettre de garantie pour absence de connaissement
demeure valable.
Sa rédaction doit toutefois faire l’objet de beaucoup de soins car ce document fait naître, pour
son signataire, un engagement très lourd.
§ 2 / La lourdeur de l’engagement souscrit
La lettre de garantie permet à son signataire d’obtenir du transporteur qu’il lui remette les
marchandises dans des conditions ne répondant pas aux dispositions de l’article 49 du décret
du 31 Décembre 1966 ; il comporte ainsi pour le transporteur le risque de se voir reprocher
une livraison irrégulière. Ce risque justifie la lourdeur de l’engagement souscrit. Celui-ci
comporte un objet très vaste (A). C’est par ailleurs un engagement autonome de payer à
première demande (B), un engagement solidaire (C) et illimité (D).
A / Un engagement à l’objet vaste
L’objet de l’engagement du signataire de la lettre de garantie est très vaste, puisque couvrant
le transporteur contre toutes les conséquences de la livraison sans connaissement. Ainsi, le
signataire devra tout d’abord s’acquitter du paiement de la valeur totale de la marchandise
telle que décrite au connaissement, dans la limite du plafond de responsabilité prévu au
contrat de transport. Il pourra même se voir réclamer plus, si les conditions de la remise sans
connaissement sont analysées en une faute inexcusable susceptible de priver le transporteur de
sa limitation légale de responsabilité.
173 Ibid 174 J. Bonnaud, op cit, p.137
59
Toutefois, l’engagement du signataire ne se limite pas à la valeur des marchandises. Il devra
également garantir le transporteur contre les conséquences indirectes de la livraison
irrégulière. Il doit en effet prendre à sa charge les responsabilités encourues directement ou
indirectement par le transporteur maritime175.
Ainsi, le signataire ne garantit pas uniquement les risques du transport. Il peut par exemple
être appelé à intervenir si, le destinataire étant en faillite, le vendeur est resté impayé176. Il
peut également être amené à supporter les frais de justice ou d’expertise177.
De même, l’engagement souscrit doit garantir le transporteur contre les conséquences d’une
perte d’exploitation causée par la livraison sans connaissement. Ce cas de figure est illustré
par l’affaire Chawafaty (navire Patricia)178qui fit perdre un marché de quelque cinq million
de francs à un transporteur maritime.
Cette affaire est un autre exemple des risques que comporte la signature d’une lettre de
garantie au déchargement. En l’espèce, des marchandises vendues par crédit documentaire par
un exportateur égyptien sont livrées sans connaissement au transitaire de l’importateur. Le
crédit documentaire n’étant pas débloqué, le vendeur, qui détenait toujours le connaissement,
se présente pour retirer sa marchandise. Toutefois celle-ci était entretemps livrée à l’acheteur
par le transporteur maritime contre une lettre de garantie aux termes de laquelle la banque (
Société générale) s’obligeait « à le garantir contre tous les préjudices directs ou indirects
pouvant résulter pour lui de l’irrégularité de la livraison, à lui régler immédiatement, la
valeur de la marchandise, le montant du fret éventuellement dû, ainsi que le montant de tous
les autres frais, y compris ceux de défense »179.
Sa marchandise étant irrégulièrement livrée, le vendeur facture au transporteur une somme de
165.000,00 USD que la banque refuse de payer. Elle sera néanmoins obligée de respecter son
engagement. En effet, statuant sur le fonds après expertise, la Cour d’Appel d’Aix-en-
175 Com. 7 Février 1984, BT 1984.596 176 M. Rémond Gouilloud, « La lettre de garantie pour absence de connaissement, une institution en quête de qualification », BTL 1986, n°2178, p.70 177 M. Rémond Gouilloud, « Droit maritime », op cit n°558 178 Rappelée par J. Bonnaud, op cit, p.136 / Maître Louis Scapel in « La lettre de garantie pour absence de connaissement », Table ronde organisée par l’IMTM et l’IDIT, op cit, p. 18 / P.Y. Nicolas, « Point de vue sur la lettre de garantie pour absence de connaissement », BTL 1986, n°2196, p. 332 179 Com.24 Novembre 1982, DMF 1983, p. 472
60
Provence la condamne à payer des dommages et intérêts au titre des différents préjudices
invoqués, et ce compris l’intégralité des pertes d’exploitation assumées par le transporteur
maritime180.
La banque sera ainsi obligée de payer plus de 5 millions de francs de dommages-intérêts, au
titre de sa garantie, pour la livraison sans connaissement d’une marchandise d’une valeur de
l’ordre de 400.000 francs !
Il est donc clair que l’obligation contractuelle du signataire de la lettre de garantie comporte
un objet très étendu, ce qui peut le conduire à s’engager au-delà de ses prévisions initiales. Par
conséquent, « les termes de la lettre de garantie doivent être soigneusement pesés, de sorte
que le garant - en générale une banque - ne soit pas tenu de couvrir des risques qu’il
n’aurait pas été dans son intention de couvrir »181.
La prudence s’impose donc, d’autant plus d’ailleurs, que le signataire prend un engagement
autonome de payer le transporteur à sa première demande.
B / Un engagement autonome de payer à première demande
La lettre de garantie pour absence de connaissement est un engagement autonome par rapport
au contrat de transport maritime (1), c’est aussi un engagement de payer à première demande
(2).
1 / L’autonomie de la lettre de garantie par rapport au contrat de transport
La question de l’autonomie de la lettre de garantie était très discutée par le passé. On
s’interrogeait en effet, sur le point de savoir si cette lettre était un engagement indépendant du
contrat de transport ou bien accessoire à celui-ci. La Cour de cassation a coupé court à la
controverse. Elle a en effet jugé que la prescription annale n’est pas applicable à la lettre de
garantie ; la seule prescription concevable étant celle de droit commun, étant bien sûr visé ici
180 CA Aix, 27 Avril 1984, DMF 1986 p. 77, obs. P. Bonassies 181 W. Tetley, « Contre-lettres d’indemnité et lettres de garantie », DMF 1988 p. 275-276
61
le délai décennal de l’article L110-4 du Code de commerce (ancien article 189 bis)182. Ce
point de vue est partagé par les professeurs Rodière et du Pontavice183.
L’objet de la lettre de garantie pour absence de connaissement est donc indépendant du
contrat de transport. La Haute juridiction a encore eu l’occasion de le rappeler dans l’arrêt
navire Happy Buccaneer. Elle y énonce que « la lettre de garantie consacre un engagement
indépendant du contrat de transport. Il en résulte que l’action exercée sur le fondement
exclusif d’une lettre de garantie est soumise non à la prescription annale du contrat de
transport, mais à la prescription commerciale de droit commun »184.
On peut ainsi considérer que cette solution est désormais acquise. Elle est même transposée
aux lettres de garantie au chargement par la Cour d’Appel de Lyon185.
Il faudrait donc se garder de considérer la lettre de garantie au déchargement comme un
substitut temporaire du connaissement. En effet ces deux documents n’obéissent pas au même
régime juridique : la lettre de garantie n’est pas soumise à la loi du 18 Juin 1966, dont la
prescription, nous venons de le voir, ne lui est pas applicable186.
Il faudra également préciser que l’engagement du banquier garantissant le signataire est
autonome par rapport au contrat de transport. Toutefois, cet engagement pouvant être
considéré comme un cautionnement, il est totalement dépendant de l’obligation souscrite par
le signataire de la lettre de garantie. De ce fait, tout incident affectant la validité ou l’étendue
de l’obligation principale l’affectera par ricochet187.
Par ailleurs Monsieur Pierre Yves Nicolas, relevant tout d’abord que l’objet de la lettre de
garantie est indépendant du contrat de transport, observe également que « sauf convention
contraire, l’engagement du signataire n’est pas détachable de sa cause, laquelle réside dans
le contrat de transport. C’est essentiellement pour obtenir la livraison des marchandises que
182 Com. 7 Février 1984, DMF 1985, p. 25, voir aussi CA Rouen, 11 Avril 1985, BTL 1986, p. 76 183 R. Rodière, E. du Pontavice, « Droit maritime », Précis Dalloz, 10e édition 1986, n°358-1 184 Com. 17 Juin 1997, navire Happy Buccaneer, DMF 1997.725, rapport J.P. Rémery. Cette solution a été reprise sur renvoi par la Cour de Rouen (CA Rouen, 9 Novembre 1999, DMF 2000.729, obs. Y. Tassel). 185 CA Lyon, 1er Décembre 2005, navire Sarah, DMF 2007, n°677-4, obs. C. Humann 186 M. Rémond Gouilloud, « Droit maritime », op cit n°557 187 Ibid
62
la garantie est accordée […]. Par suite, en application de l’article 1131 du Code civil188, la
garantie sera nulle si le contrat de transport l’est également ou si la marchandise est déjà
promise ou livrée à un tiers au moment où le signataire souscrit son engagement »189.
La lettre de garantie pour absence de connaissement étant autonome par rapport au contrat de
transport maritime, quid maintenant de sa nature juridique ?
2 / La qualification de garantie à première demande
La lettre de garantie appartient à la famille des garanties à première demande. Celles-ci étant
des garanties autonomes, il suffira au transporteur de présenter la lettre pour recevoir le
paiement convenu190.
A travers cette garantie, une banque prend l’engagement de verser une certaine somme
d’argent au transporteur, à première demande, et ce sans justification, ni même possibilité de
se prévaloir d’une condition ou exception tirée du contrat de transport. Le versement est
destiné à le couvrir contre une éventuelle poursuite se fondant sur la livraison sans
connaissement.
L’originalité de ce procédé réside dans la clause de paiement à première demande, laquelle
dispense le transporteur maritime de produire une quelconque justification quant à l’existence
de l’obligation garantie191.
La garantie à première demande a ainsi l’avantage de la simplicité. Elle permet en effet, de
couper court à tout contentieux que le signataire serait tenté d’élever pour se dérober à son
obligation de paiement192. S’il décide malgré tout, de ne pas respecter son engagement, il
188 Cet article énonce que « l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet » 189 P. Y. Nicolas, op cit p. 333 190 P. Pestel-Debord, « La livraison des marchandises par le transporteur maritime contre remise d’une lettre de garantie », édition Antenne Inter-transports Marseille 1985, p. 13 / M. Rémond Gouilloud « La lettre de garantie pour absence de connaissement : une institution en quête de qualification », op cit p. 71 191 J. Stoufflet, « La garantie bancaire à première demande », JDI 1987, p. 266 192 M. Rémond Gouilloud, « Droit maritime », op cit n°557
63
s’exposera alors à faire l’objet de poursuites immédiatement exécutoires, telles que le référé-
provision ou une saisie-arrêt sur compte en banque193.
La nature de garantie à première demande constitue donc une autre manifestation de la
lourdeur de l’engagement souscrit par le signataire de la lettre. Cette lourdeur se retrouve
également dans le caractère solidaire de la lettre de garantie.
C / Un engagement solidaire
Chacun des débiteurs de la lettre de garantie a l’obligation de supporter la totalité de la dette
vis-à-vis du transporteur maritime. L’importateur-destinataire (ou le transitaire) et la banque
seront donc solidairement tenus, étant en outre privés du bénéfice de division conformément
aux dispositions de l’article 1203 du Code civil. Ce texte dispose que « le créancier d’une
obligation contractée solidairement peut s’adresser à celui des débiteurs qu’il veut choisir,
sans que celui-ci puisse lui opposer le bénéfice de division », étant précisé que cette notion
permet à l’un des co-débiteurs de ne payer que sa part.
Notons que se trouve également écarté le bénéfice de discussion ; c'est-à-dire celui permettant
à une caution d’obtenir avant tout paiement, que les biens du débiteur soient préalablement
discutés194.
Les signataires de la lettre de garantie au déchargement devront donc être bien conscients de
l’ampleur de leur engagement. D’ailleurs, en plus d’être solidaire, ce dernier est aussi illimité
comme nous allons le constater.
193 P. Emo, in « La lettre de garantie pour absence de connaissement », table ronde organisée par l’IMTM et l’IDIT, op cit p. 27 194 Ibid, p. 26
64
D / Un engagement illimité
Ce caractère illimité de l’engagement affecte aussi bien le quantum (1) que le temps (2).
1 / Quant au quantum
La lettre de garantie étant un engagement autonome du contrat de transport maritime, la règle
de la limitation de responsabilité, ne trouvera pas application en l’occurrence.
Par ailleurs, la plupart de ces lettres garantissent le transporteur ayant livré sans
connaissement contre tous les préjudices indirects susceptibles d’en résulter. Ceci constitue
une exception à la règle édictée par l’article 1150 du Code civil, lequel énonce que « le
débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors
du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ».
C’est précisément cette exception que l’on retrouve dans l’affaire Chawafaty (navire
Patricia). En effet dans son arrêt du 24 Novembre 1982, la Cour de cassation semble affirmer
qu’en fin de compte, « peu importe que les préjudices directs et indirects subis par le
transporteur maritime soient imprévisibles, puisque le signataire de la lettre de garantie s’est
engagé à réparer la totalité des dommages résultant du retard dans la délivrance du
connaissement, un tel engagement est bien déterminé, il est comme tel parfaitement valable,
au regard de la loi française »195. La validité de la lettre de garantie ne pourra être contestable
qu’en cas de mauvaise foi du transporteur maritime, et ce, en application de l’adage que la
fraude (ou le dol), fait exception à toutes les règles. Toutefois, un tel cas de figure ne se
présente quasiment jamais, le transporteur étant toujours de bonne foi196.
Illimité quant au quantum, l’engagement du signataire de la lettre de garantie l’est également
quant au temps.
195 P. Emo, in « La lettre de garantie pour absence de connaissement », table ronde organisée par l’IMTM et l’IDIT, op cit p. 26 196 P. Bonassies, P. Emo, « La lettre de garantie pour absence de connaissement. Un projet de lettre-type », Annales IMTM 1986, p. 149
65
2 / Quant au temps
Le caractère illimité résulte ici du fait que la lettre de garantie ne comporte en général aucune
limitation de délai.
Toutefois cette absence de délai n’est pas de nature à rendre nul l’engagement de l’émetteur
de la lettre. Ce dernier garantit la dette du transporteur à l’égard du porteur légitime du
connaissement. Sa dette est éventuelle dans la mesure où la réclamation du porteur éventuel
peut être prescrite197. Il faut donc convenir que l’engagement du signataire de la lettre n’est
pas illimité. Il est seulement soumis à une condition suspensive ou résolutoire, selon le cas. Le
débiteur de l’obligation ne verra sa responsabilité recherchée que dans l’hypothèse ou le
transporteur réclamerait l’exécution de la garantie. A l’inverse, son obligation est contractée
sous la condition résolutoire que les connaissements soient remis ultérieurement au
transporteur198.
Quoi qu’il en soit, la vigilance doit rester de mise. Le signataire de la lettre a tout intérêt à
bien vérifier les termes de son engagement, autrement les conséquences risqueraient d’être
très lourdes pour lui.
Ceci est d’autant plus vrai qu’à l’heure actuelle, la lettre de garantie semble être
indispensable. D’aucuns parlent même d’institutionnalisation199.
Section 3 / L’institutionnalisation de la lettre de garantie
La lettre de garantie au déchargement occupe aujourd’hui une place de choix. Elle est même
devenue une nécessité économique car permettant la poursuite de l’échange commercial en
l’absence de connaissement. Aussi, son utilisation s’est-elle banalisée. A titre d’exemple, rien
qu’au port de Marseille, certaines marchandises sont retirées dans 90 % des cas grâce à
197 P. Y. Lucas, « La lettre de garantie pour défaut de connaissement », DMF 1987, p. 353 198 Ibid 199 M. Rémond Gouilloud, « La lettre de garantie pour absence de connaissement : une tolérance institutionnalisée », Gazette CAMP n°15, 2007-2008, p. 3
66
l’émission d’une lettre de garantie. Par conséquent, l’usage de ce document est vital pour le
port ; elle en constitue un facteur d’activité200.
Ainsi, bien que servant de support à une irrégularité manifeste (non respect de la règle de
présentation) et constituant un simple palliatif au connaissement, la lettre de garantie est
indéniablement entrée dans les mœurs. En l’état actuel des choses, elle constitue quasiment la
seule véritable alternative offerte au transporteur maritime.
La commodité du procédé a eu raison des réticences juridiques, la lettre étant aujourd’hui
unanimement acceptée. Elle est d’ailleurs parfois exigée, malgré la livraison irrégulière qui
l’accompagne. En effet, « la tolérance devenue exigence, des clauses contractuelles en
imposent désormais le respect. L’exception emportant la règle, le même capitaine qui, voici
dix ans se trouvait stigmatisé pour avoir procédé à une livraison sans connaissement à un
tiers sans qualité, voit aujourd’hui sa responsabilité engagée pour l’avoir refusée, dès lors
qu’une lettre de garantie lui a été présentée. […] En somme voici la violation devenue
obligation »201.
Les parties vont d’ailleurs au-delà de la simple exigence de la lettre de garantie en l’absence
de connaissement. Elles stipulent souvent dans leur contrat que le transporteur doit livrer les
marchandises sans présentation des connaissements, le recours à la lettre de garantie étant, de
ce fait, systématisé202.
Notons que cette dérogation à la règle de présentation est autorisée par la jurisprudence,
laquelle préserve la liberté contractuelle. Il en est ainsi par exemple de l’arrêt de la Cour de
cassation du 22 Mai 2007203. Cette décision prévoit clairement la possibilité, pour les parties,
de ne pas exiger le connaissement à la livraison, et de demander à la place une lettre de
garantie. Elle précise que cette dispense de la présentation du titre représentatif de la
marchandise et la substitution d’une lettre de garantie, ne traduisent qu’un simple
aménagement des obligations du transporteur, s’intégrant au contrat de transport204.
200 G. Teplansky in « La lettre de garantie pour absence de connaissement », table ronde organisée par l’IMTM et l’IDIT, op cit p. 5 201 M. Rémond Gouilloud, « La lettre de garantie pour absence de connaissement : une tolérance institutionnalisée », op cit p. 4 202 Ph. Delebecque, note sous Com. 22 Mai 2007, JCP G, n°30, 25 Juillet 2007, p.39 203 Com. 22 Mai 2007, JCP G n°30, 25 Juillet 2007, p. 39 note Ph. Delebecque 204 La cour en déduit l’application de la prescription annale du Droit des transports
67
Pareillement dans un arrêt du 19 Juin 2007, la Cour de cassation fait clairement référence à la
possibilité pour les parties contractantes de s’affranchir de la règle de présentation en
recourant par exemple à la lettre de garantie205.
Ce document se révèle donc être un mal nécessaire. La pratique l’a adopté malgré son
irrégularité. D’ailleurs, l’institutionnalisation de cette pratique se traduit par l’élaboration de
lettres de garantie-type, selon la nature des marchandises, ou les usages et coutumes des
ports206.
Cette œuvre a été entreprise par exemple par l’Institut méditerranéen des transports maritimes
(IMTM) en collaboration avec l’Institut international du Droit des transports (IDIT). Ce
groupe de travail a répondu à la demande des professionnels qui souhaitaient la mise en place
d’une lettre-type qui serait reconnue par toute la communauté maritime. Ainsi furent
proposées deux formules de lettre de garantie-type : un modèle de lettre avec garantie
illimitée, et un autre avec garantie limitée207.
De même, malgré leur hostilité à l’égard de ce procédé, les P&I Clubs mettent à la disposition
de leurs membres des lettres de garanties-type à utiliser en cas de livraison sans
connaissement. Comme l’observe Madame Morley Mac Lean, ces associations admettent la
réalité du risque encouru par les armateurs, et à l’occasion duquel leur bonne foi n’est pas
toujours en cause. « Il est donc fréquent que les clubs fournissent à leurs adhérents des
imprimés spéciaux d’indemnité dans le but d’aider les armateurs à résoudre cette
difficulté »208.
L’institutionnalisation actuelle de la lettre de garantie au déchargement ne fait ainsi plus
aucun doute, l’irrégularité étant unanimement acceptée par la pratique.
Il faudra cependant garder à l’esprit que ce document n’est qu’un palliatif, contrairement à
certains autres qui eux peuvent très bien se substituer au connaissement à la livraison.
205 Com. 19 Juin 2007, D.2007, n°27, p. 1869 note X. Delpech 206 Ainsi, un modèle de lettre de garantie a été établi à Anvers par la Chambre de commerce d’Anvers et la Fédération Maritime d’Anvers (A. N. Yiannopoulos, « Ocean Bills of lading : traditionnal forms, substitutes and EDI systems », Kluwer law international, 1995, p. 112). 207 P. Bonassies, P. Emo, « La lettre de garantie pour absence de connaissement. Un projet de lettre-type », op cit p. 154 208 H. Morley Mac lean, op cit p. 67
68
Chapitre 2 / Les substituts du connaissement à la livraison
Le connaissement constitue un document clef dans le transport maritime. Cependant son rôle
est aujourd’hui menacé par d’autres documents de substitution. En effet, la pratique cherche à
pallier les nombreux inconvénients qui accompagnent l’émission du connaissement,
notamment la lourdeur étant à l’origine de la livraison de la marchandise sans titre.
Aussi, assiste-t-on à l’émergence de la Lettre de transport maritime (§1), et à la mise en place
de substituts électroniques (§2).
Section 1 / La Lettre de transport maritime, substitut efficace du connaissement à la livraison
La lettre de transport maritime (LTM)209, a été proposée en 1977 par les Britanniques du
comité SITPRO (Simplification of International Trade Procedures Board) et du GCBS
(General Council of British Shipping). Elle est d’abord apparue sous la forme d’un
connaissement short form (formule abrégée avec le verso en blanc et qui renvoie à des
conditions générales). En France, elle a été élaborée à l’initiative du Comité central des
armateurs de France et de Simpofrance 210.
Il s’agit d’une véritable alternative, son utilisation faisant disparaître les problèmes de
livraison sans connaissement211. C’est un document d’une certaine spécificité (§1), qui se
trouve aujourd’hui consacré (§2).
§ 1 / La spécificité de la LTM
Bien que pouvant être préféré au connaissement à la livraison des marchandises, la LTM ne se
confond pas avec ce document, titre représentatif de la marchandise. En effet, elle ne remplit
pas toutes les fonctions du connaissement, notamment celle de représentation (A), elle ne
prétend par ailleurs pas l’évincer totalement (B).
209 Seaway bill en Anglais 210 E. Caprioli, « Le crédit documentaire: évolution et perspectives », Litec 1992, p. 400 211 P. Bonassies, Ch. Scapel, op cit , n°991
69
A / Un document non négociable
La lettre de transport maritime fait preuve du contrat de transport et peut également constituer
un reçu de la marchandise transportée. Toutefois elle n’est nullement représentative de cette
marchandise212. Ainsi ce document remplit deux des principales fonctions dévolues au
connaissement, sans pour autant remplir la fonction primordiale conférant la négociabilité.
Matériellement, dans la pratique, la LTM emprunte souvent la forme d’un formulaire de
connaissement rayé d’une mention « non négociable », portant en titre la mention « lettre de
transport maritime » et l’indication qu’il y’a zéro original. Il appartiendra au transporteur ou
son agent d’émettre le document, lequel comporte quasiment les mêmes énonciations que
celles contenues dans un connaissement. Toutefois ce document doit obligatoirement indiquer
le nom du destinataire et celui du chargeur. La personne désignée comme destinataire peut
être, selon le cas, le destinataire réel ou la banque émettrice du crédit documentaire213.
Remarquons toutefois qu’à la différence du connaissement à personne dénommée, à l’arrivée
de la marchandise, le destinataire a pour seule obligation de justifier de son identité, sans
avoir à présenter le document matérialisé sur un support papier214.
C’est justement ce caractère non négociable qui fait tout l’intérêt de la LTM s’agissant de la
livraison sans connaissement. En effet, la LTM permet de remédier à ce problème car elle est
dépourvue de toute valeur sacramentelle. Le destinataire pourra obtenir livraison de la
marchandise sans subir le formalisme inhérent à l’emploi du connaissement215. La
négociabilité qui est synonyme de lenteur eu égard à la rapidité croissante du transport, ne
constitue donc pas, en l’occurrence, un obstacle à la règle de présentation.
212 Y. Tassel, « Les documents maritimes autres que le connaissement », Mélanges en l’honneur de Henry Blaise, Economica 1995, p. 407 213 E. A. Caprioli, « La normalisation internationale des documents de transport maritime non négociables », Annuaire de droit maritime, tome XIII, 1995, p.177 214 E. du Pontavice, P. Cordier, « Transport et Affrètement maritimes », Paris, éd. Delmas, 2ème éd., 1990, n°H 13 215 M. Rémond Gouilloud, « Droit maritime », op cit, n°553 V. E. BoKally, « Crise et avenir du connaissement », DMF Février 1998, n°579
70
Ne représentant pas la marchandise, la LTM ne pourra servir au transfert de propriété sur
celle-ci, qu’en respectant les formalités de la cession de créance édictées à l’article 1690 du
Code civil216.
Les conséquences de cette non négociabilité sont très importantes. En effet, alors que, dans le
schéma classique, le destinataire ne peut prendre livraison de la marchandise qu'en remettant
au transporteur un exemplaire original du connaissement, ce même destinataire pourra, si le
transport est couvert par une LTM, enlever la marchandise en justifiant simplement de son
identité et en prouvant qu'il est bien le destinataire figurant sur le document émis au départ.
La LTM fonctionne donc exactement comme une lettre de voiture CMR ou une Lettre de
transport aérienne (LTA) et, en pratique, elle peut notamment être utilisée dans les situations
suivantes217.
— lorsqu'il s'agit d'une expédition entre une maison mère et sa filiale ou entre une société et
ses succursales ;
— lorsque vendeur et acheteur travaillent en compte courant et que le règlement entre eux ne
se fait pas sur présentation de documents ;
— lorsque la marchandise risque d'arriver avant les documents du fait de la brièveté du
voyage ;
— lorsque vendeur et acheteur entretiennent des relations commerciales suffisamment
anciennes pour se dispenser de l'émission de documents négociables ;
— lorsque le contrat de transport ne s'accompagne d'aucun contrat de vente :
déménagements, expédition d'effets personnels, etc.
Nous constatons ainsi que la LTM peut se révéler très utile lorsque le connaissement n’est
plus adapté à l’opération de transport projeté. C’est d’ailleurs à ce rôle complémentaire qu’il
faudrait la limiter, le connaissement ne pouvant pas, à l’heure actuelle, être totalement ignoré.
216 Art. 1690, Code civil : « Le cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur. Néanmoins le cessionnaire peut être également saisi par l’acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique ». 217 Lamy Transport 2008, tome 2 - 708
71
B / Un complément au connaissement
L’utilisation de la LTM dans le transport maritime, doit surtout répondre à des besoins précis,
parmi lesquels la nécessité d’éviter les problèmes engendrés par la livraison de la marchandise
sans connaissement.
Il n’est en effet pas question de systématiser son usage au point d’en faire un document rival
du connaissement. Elle ne doit pas avoir pour objet de prendre la place de ce dernier, étant
destiné à coexister avec lui et à être utilisé précisément dans des cas où le connaissement peut
paraître un instrument trop lourd et inutilement complexe218. C’est ce qu’exprime
précisément le Comité maritime international, lequel, lors de son colloque de Venise en 1983,
avait décidé qu’il convenait de décourager la pratique du connaissement négociable lorsqu’un
document de ce type n’était pas indispensable219.
De plus, comme le note Lord Justice Antony Lloyd, « la plupart des pays sont en faveur
d’une promotion du seawaybill : premièrement, pour réduire les possibilités de fraude ;
deuxièmement, pour éviter les délais de transmission qui tendent à devenir plus longs que
ceux du transport lui-même. Mais il ne doit pas s’agir de remplacer le connaissement. Le
système du seawaybill ne doit être utilisé que lorsque cela est nécessaire, c'est-à-dire qu’il
faut continuer à se servir du connaissement lorsque la marchandise doit être vendue flottante
ou lorsque l’opération de transport se double d’une opération de crédit documentaire »220.
En effet, la négociabilité du connaissement est très utile pour les marchandises susceptibles de
faire l’objet de transactions en cours de transport. A l’inverse, elle se révèle inutile à l’égard
des autres, ou encore pour les transports courts. Le document de transport non négociable
qu’est la LTM pourra alors être utilisé. Cette dernière se révèle ainsi d’un précieux secours
pour régler les problèmes ponctuels qu’engendre le formalisme lié à l’emploi du
connaissement. Aussi, n’est-il pas étonnant de la voir aujourd’hui consacrée.
218 A. Tinayre, « Le Sea-way Bill ou le droit maritime en question », DMF 1988, p. 165 A. Tinayre, « La fraude maritime et le connaissement », Assemblée AFDM, du 3 Mars 1983, DMF 1983, p. 375 D. Caradec, « La fraude maritime documentaire », mémoire DESS, Droit des activités maritimes, Brest 1985, p. 101 219 E. A. Caprioli, op cit p.177 220 Cité par A. Tinayre, op cit p. 166
72
§ 2 / La consécration de la LTM
La pratique de la LTM a été officiellement reconnue en Juin 1990 dans le cadre de la 34ème
conférence internationale du Comité maritime international (CMI), tenue à Paris et qui a
adopté les « Règles uniformes » destinées aux usagers qui souhaitaient recourir à ce
document non négociable221.
Ce texte est composé de huit règles traitant successivement du champ d’application, des
définitions, de la représentation, des droits et responsabilités du transporteur, de la description
des marchandises, du droit de disposition, de la livraison et enfin de la validité222.
L’adoption des Règles uniformes permet d’écarter le risque de vide juridique lié à l’utilisation
de la LTM, la Convention de Bruxelles ne s’appliquant qu’au contrat de transport constaté par
un connaissement ou par tout autre document négociable223. En effet, la règle 4 prévoit que le
contrat de transport sera soumis « à toute convention internationale ou à toute loi nationale
qui eussent été applicables » en cas de délivrance d’un connaissement ou d’un autre
document négociable. En d’autres mots, elle permet d’étendre l’application de la convention
de Bruxelles aux contrats de transports sans connaissement224.
Les règles du CMI «sont applicables lorsqu’elles sont prévues par un contrat de transport,
écrit ou non, et qui ne fait pas l’objet d’un connaissement ou d’un document similaire formant
titre» (Règle 1). Le mécanisme proposé est donc subordonné à la volonté des parties. A cette
condition s’ajoute la nécessité de ne pas être en présence d’un transport couvert par un
connaissement.
Le contrat de transport maritime y est défini comme « tout contrat soumis aux dites règles et
qui doit être exécuté totalement ou partiellement par mer » (règle 2). Il est conclu par le
chargeur avec le transporteur, en son nom propre et aussi en tant que mandataire et pour le
compte du destinataire, cette règle ne jouant qu’à la condition que le droit national applicable
exclut l’action du destinataire contre le transporteur (règle 3).
221 A. Tinayre, « La lettre de transport maritime ou le complexe documentaire », DMF 1988, p. 344 222 C.M.I., Paris II, « XXXIVème Conférence internationale du Comité maritime international », Paris, 24-29 Juin 1990, p. 203 223 Art. 1 b) de la convention de Bruxelles 224 J. P. Tosi, op. cit., p. 155
73
Le chargeur a seul qualité pour donner au transporteur des instructions relatives au contrat de
transport. En effet, à moins que la loi applicable ne l’interdise et sous réserve qu’il en avise le
transporteur dans des conditions raisonnables, le chargeur est en droit de changer l’identité du
destinataire tant que celui-ci n’a pas demandé la livraison de la marchandise arrivée à
destination.
Toutefois, l’article 6 des règles du CMI, qui est relatif au droit de disposition, prévoit que le
chargeur peut renoncer irrévocablement à ce droit et le céder au destinataire, en faisant figurer
une mention à cet effet dans la LTM au moment de son émission.
Notons que cette règle n’est pas reconnue en France, la loi française permettant à une partie
autre que le chargeur de changer l’identité du destinataire. En effet le rejet de l’article 6 est
justifié par le fait que ce dernier conduirait à la réintroduction d’un degré de négociabilité au
sein de la LTM, laquelle est non négociable par définition225.
Le destinataire quant à lui, désigne « la partie nommée ou identifiée comme telle dans le
contrat de transport, ou toute personne qui lui est substituée en cette qualité… ».
S’agissant de la livraison de la marchandise, elle est traitée dans la règle 7, laquelle précise
que la délivrance des marchandises s’opère au destinataire à la seule condition qu’il justifie de
son identité. Aussi, aucune obligation ne pèse sur lui quant à la présentation de la LTM. Il
pourra retirer sa marchandise sans que le transporteur lui réclame de document. C’est
justement en cela que la LTM se différencie du connaissement.
Il était initialement prévu que le représentant autorisé du destinataire puisse retirer la
marchandise. Cette possibilité a été toutefois abandonnée, la proposition ne figurant pas dans
le texte définitif des règles226.
Notons par ailleurs que la responsabilité du transporteur ne pourra pas être recherchée en cas
d’erreur, dans la mesure où il peut prouver qu’il a exercé toutes les diligences raisonnables
pour s’assurer que le destinataire avait l’identité requise.
225 P. Rembauville-Nicolle, « Le droit maritime français et le droit de disposition », BTL n°2387 du 20 Juin 1990, p. 403 226 H. Hannachi, « La lettre de transport maritime et le connaissement », Mémoire CDMT 1990-1991, p. 40
74
Signalons également que la règle 8 énonce que toute disposition des règles CMI ou clause du
contrat de transport, qui serait incompatible avec la loi nationale ou la convention
internationale applicable au contrat serait nulle et non avenue.
Ainsi comme le souligne M. Caprioli, « le corps de règles applicables aux LTM, établit un
régime juridique contractuel tout en étant clair et relativement simple par rapport à
l’instrument juridique très complexe que constitue le connaissement maritime et qui a le
privilège d’être connu de l’ensemble des acteurs du commerce international. Les règles du
CMI devraient être appelées à jouer un rôle important dans le commerce international au fur
et à mesure que la pratique des LTM se généralisera »227.
Notons à ce sujet que, dans une lettre du 1er octobre 1992 adressée à la Chambre de
commerce internationale au sujet de la révision en cours des «Règles et usances uniformes
relatives aux crédits documentaires», la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le
développement (CNUCED) a apporté tout son soutien à cette pratique, considérée comme une
«initiative importante en matière de facilitation du commerce»228.
Cette initiative porte d’ailleurs ses fruits puisque, la tendance à utiliser des lettres de transport
maritime s’est accentuée dans les zones commerciales européennes, scandinaves et nord-
américaines, ainsi que dans certaines zones de l’Extrême Orient229.
La LTM est donc aujourd’hui pleinement consacrée, ceci d’autant plus que les règles
uniformes de crédit documentaire (RU 500), entrées en vigueur le 1e Janvier 1994, la range
parmi les documents de transport qui peuvent servir de support à un crédit documentaire230.
Ainsi, les exigences de ce dernier n’empêcheront plus désormais un usage plus fréquent de la
LTM, si la loi applicable l’autorise231.
227 E. A. Caprioli, op cit p. 177 228 ECE/TRADE/240, p. 5 229 Ibid 230 J. P. Tosi, « L’évolution actuelle de la forme du connaissement » – France, in A.N. Yiannopoulos, Ocean bills of lading : Traditionnal forms and substitutes and EDI systems, p. 156, Kluwer Law International 1995 231 R.I.L. Howland, « L’avenir du connaissement et les connaissements électroniques », Annuaire de Droit maritime et aérospatial, 1995, p. 206
75
Nous remarquons ainsi, qu’avec son utilisation croissante232, ce document peut constituer un
substitut efficace du connaissement. Son usage fait par ailleurs disparaître la plupart des
problèmes liés à la négociabilité du titre. Il en est ainsi par exemple de la livraison sans
connaissement.
La LTM n’est toutefois pas l’unique alternative au connaissement. Ce dernier peut en effet
être remplacé à la livraison, par des moyens électroniques.
Section 2 / Les substituts électroniques du connaissement à la livraison
Les contraintes inhérentes à l’utilisation du connaissement, alliées à la vitesse croissante des
navires ont conduit au problème de la livraison de la marchandise sans titre. L’enjeu est donc
aujourd’hui, de trouver des moyens modernes plus rapides destinés à résoudre cette difficulté.
La pratique s’est ainsi tournée vers l’informatique, laquelle espérait-on, pourrait constituer la
panacée tant attendue. Toutefois, au départ, la mise en place de moyens électroniques destinés
à supplanter le connaissement à la livraison, n’a pas eu le succès escompté (§1). Les choses
commencent tout de même à changer avec l’apparition de documents de transport
dématérialisés (§2).
§ 1 / Les tentatives avortées de supplanter le connaissement à la livraison
Plusieurs systèmes basés sur l’informatique ont été mis en place afin de ravir au
connaissement sa place prédominante dans le transport maritime. Il était notamment question
de créer des alternatives électroniques susceptibles de résoudre les difficultés résultant de la
lourdeur du titre, dont la livraison sans connaissement. Ainsi furent mis sur pied le Cargo Key
Receipt (A), et le Seadocs Registry (B).
232 Même si on peut regretter avec M. du Pontavice que le recours à la LTM ne soit pas plus fréquent (« Le connaissement et l’informatique », Annales IMTM 1985, p. 234).
76
A / Le Cargo Key Receipt
Le cargo key receipt ou « système de reçu de marchandises à clé », fut mis en place par
l’Atlantic Container Line sur les lignes de l’Atlantique-Nord et ce à partir de 1980. Ce projet
est également dénommé « Nodisp ».
Il visait à « mettre en place un système pratique permettant de respecter le besoin de sécurité
des banquiers pour les paiements effectués par l’intermédiaire de procédures de crédit
documentaire sans remise d’un connaissement classique ou d’une lettre de transport
international »233.
Bien que ce système ait été prévu au départ pour le crédit documentaire, il aboutit également à
évincer le connaissement à la livraison. En l’occurrence le transporteur va délivrer un reçu au
chargeur au moment de la prise en charge de la marchandise. Quelques jours avant l’arrivée
du navire au port de déchargement, le terminal émet des avis d’arrivée annonçant au
destinataire, grâce à des dates d’arrivée précises, le moment où il pourra prendre livraison de
la marchandise. Cette dernière opération se fait sans remise du connaissement original.
Malheureusement, en dépit de son caractère innovant, cette nouvelle procédure n’a pas pu
aboutir, et cela pour des raisons essentiellement psychologiques. Elle a en effet achoppé sur
un problème de pédagogie et d’éducation du public en général lequel la jugeait risquée et
controversée234.
L’échec du Cargo key receipt n’a cependant pas entamé la volonté des praticiens de
supplanter le connaissement à la livraison, en lui trouvant d’autres alternatives électroniques.
B / Le Seadocs Registry
L’initiative a été prise en 1986 par la Chase Manhattan Bank et l’Association internationale
des armateurs indépendants de pétroliers (Intertanko)235, qui ont conjointement lancé le
registre des documents maritimes (SeaDocs Registry) en liaison avec les P&I Clubs. Ce
système a été conçu pour les chargements en vrac en général et plus spécialement pour le
233 E. A. Caprioli, « Le crédit documentaire : évolution et perspectives », op cit, n°586 234 E. du Pontavice, « Le connaissement et l’informatique », Annuaire IMTM 1985, p. 244 235 “The International Association of Independent Tanker Owners”
77
transport de pétrole brut, pour lequel les problèmes de livraison sans connaissement sont
monnaie courante. Il ne vise pas à supprimer le connaissement, mais seulement à résoudre les
difficultés relatives à leur circulation236.
Les connaissements originaux sur papier devaient être déposés auprès d’un registre central, ce
qui excluait leur libre circulation. L’endossement des connaissements après négociation devait
être effectué par voie électronique par le bureau d’enregistrement, pour le compte des parties.
Le système proposé est bien résumé par son promoteur, Monsieur Per Gram, lequel avait
suggéré « d’utiliser un registre sur la base d’un accord suivant lequel toutes les transactions
concernant un chargement devraient être réalisées par l’intermédiaire d’une chambre de
compensation centrale […] Il est prévu dans l’accord qu’aucun connaissement ne sera
demandé et que toutes les cessions de droits sur les marchandises s’effectueront par
notification télex au registre central. Tous les messages télex importants devront être
authentifiés par contre-vérification téléphonique et par écrit »237.
Le système intertanko pourrait fonctionner de deux manières : soit comme registre central
dans certains ports importants ou dans des centres commerciaux, soit comme registre tenu par
une banque, dans le cas d’arrangements privés238.
Cette solution informatique aurait pu constituer un remède efficace à la livraison sans
connaissement dans la mesure où, l’inscription du titre au registre permettait de ne pas avoir à
le présenter pour retirer la marchandise. Toutefois, le projet a été abandonné moins d’un an
après son lancement pour des raisons touchant notamment à des problèmes de coût,
d’assurance, de responsabilité et de confidentialité de l’information.
Malgré son échec, le projet intertanko a attiré l’attention sur la nécessité de réfléchir à des
moyens électroniques pouvant suppléer le connaissement. Aussi d’autres initiatives encore
plus poussées vont-elles voir le jour.
236 E. A. Caprioli, « Le crédit documentaire : évolution et perspectives », op. cit., n°588 237 TRADE/WP.4/R.185/Rev.1 du 18 Octobre 1982, n°145 238 E. du Pontavice, « Le connaissement et l’informatique », op. cit., p. 244
78
§ 2 / L’éviction du connaissement par les documents de transport dématérialisés
Avec l’informatisation croissante du commerce maritime, la volonté s’est faite jour de mettre
au point des documents de transport de substitution pouvant annihiler les risques de livraison
de la marchandise sans connaissement. Ainsi, la LTM qui constitue à l’heure actuelle le
remède le plus efficace à ce problème, s’est vue adaptée au commerce électronique (A). De
même, on assiste à l’émergence du connaissement électronique, lequel renferme des solutions
prometteuses (B).
A / L’adaptation de la LTM au commerce électronique
L’idée était ici de créer des documents informatisés ayant les mêmes propriétés que la LTM et
qui par suite, pourraient rendre les mêmes services. Cette adaptation est symbolisée par le
Data Freight Receipt (1) et le système @Global Trade (2).
1 / Le Data Freight Receipt (DFR)
Ce document électronique, traduit en français par l’expression « document de fret rapide »239,
a été mis au point par l’Atlantic Container Line. Il a été introduit dans le commerce maritime
en Mai 1971, étant surtout utilisé sur les lignes de l’Atlantique Nord. Le DFR a été souvent
qualifié de connaissement short form, c'est-à-dire qui renvoie à un autre document. Il
constitue un titre de transport ordinaire240. Comme la LTM, deux fonctions lui sont dévolues :
reçu de la marchandise et preuve du contrat de transport, la fonction de représentativité faisant
défaut241.
Le DFR se caractérise par la télétransmission des données. Tout d’abord, un document est
émis sur papier au port de chargement, puis son émetteur en transfère les mentions au port de
déchargement où elles pourront être retranscrites via une imprimante sur papier.
239 E. du Pontavice, « L’Informatique et les documents du commerce extérieur », Rev. fr. de comptabilité, 1979, p. 630 240 E. A. Caprioli, « Le crédit documentaire : évolution et perspectives », op cit n°580 241 Kurt Grönfors, « Simplification of documentation and document replacement », L.M.C.L.Q. 1976, 3, p. 253
79
Après l’expédition des marchandises, les données saisies par informatique sont transmises par
satellite à la compagnie maritime située à destination. Cette technique permet d’éviter les
retards à l’origine de la livraison sans connaissement. En effet, elle « présente l’avantage de
faire arriver le document avant les marchandises sans être soumis aux aléas de la poste et des
intermédiaires entre le vendeur et l’acheteur »242.
A l’instar de la LTM, le destinataire (dont l’identité est transmise par le chargeur) pourra
prendre livraison de sa marchandise sans qu’il lui soit nécessaire de présenter un quelconque
document de transport établi matériellement au départ. Il lui suffira simplement de faire état
de son identité. Le DFR présente l’avantage de ne pas être transmis Outre-mer par la voie
postale, évitant les étapes intermédiaires, compagnie maritime / transitaire / exportateurs, puis
à l’arrivée, destinataire / transitaire / compagnie maritime. Il est donc synonyme de rapidité.
Ce document jouit d’un très large succès à l’heure actuelle, notamment s’agissant du transport
de conteneurs243. Il est souvent utilisé pour les exportations à destination des pays développés
de l’Amérique du Nord, Etats-Unis et Canada ; étant établi au départ de France et d’Europe en
général244. Son usage, qui ne pose pas de problèmes juridiques particuliers, se banalise au sein
de la pratique. Il est devenu un document de transport très sûr et donc très usité245.
En dehors du DFR, l’adaptation de la LTM au commerce électronique s’est également
poursuivie avec le système @Global Trade.
2 / Le système @Global Trade
Il a été créé par la société canadienne CCEWeb Corp. son lancement commercial ayant eu
lieu à l’automne 2001. Ce système vise à remplir des fonctions équivalentes ou analogues à
celles de certains documents commerciaux et de transport, notamment les lettres de crédit et
les connaissements, par le biais de messages électroniques246.
Dans le système @GlobalTrade, le transporteur émet une lettre de transport maritime
électronique qui est acceptée par le vendeur en tant qu’expéditeur. La LTM, rappelons-le, est
242 E. A. Caprioli, ibid, n°581 243 E. du Pontavice, « L’informatique et les connaissements », DMF 1983, p. 377 244 E. du Pontavice, « Le connaissement et l’informatique », op cit, p. 231 245 E. du Pontavice, « L’Informatique et les documents du commerce extérieur », op cit, p. 643 246 www.globaltradecorp.com
80
un reçu et un contrat de transport, mais n’est pas un titre représentatif de la marchandise. Elle
peut néanmoins faciliter le transfert du droit de disposer des marchandises du chargeur au
réceptionnaire. Ce dernier est ainsi désigné comme destinataire dans la lettre de transport, où
il est précisé en outre que l’expéditeur renonce irrévocablement au droit de désigner une autre
partie comme destinataire lorsqu’une banque a accepté la lettre de transport contre la remise
d’une lettre de crédit électronique et a confirmé son acceptation au transporteur. Après avoir
reçu cette confirmation, le transporteur est tenu de n’obéir qu’aux seules instructions du
chargeur et de livrer uniquement la marchandise au destinataire désigné.
Ainsi, même si à la base, ce système constitue un outil purement financier, il a des influences
sur la livraison sans connaissement, problème qu’il contribue à faire disparaître à l’aide de
moyens électroniques.
Par ailleurs, une autre solution peut être trouvée dans le connaissement électronique qui est
entrain de prendre forme.
B / Le connaissement électronique, remède potentiel à la livraison sans connaissement
En tant qu’elle contribue à accélérer la transmission du connaissement, l’informatique
constitue une solution d’avenir pour le problème qui nous occupe. Cela justifie les nombreux
travaux visant à mettre sur pied un connaissement électronique. Il conviendra de distinguer ici
entre les initiatives contractuelles (1) et l’initiative législative de la loi type de la CNUDCI sur
le commerce électronique (2).
1 / Les initiatives contractuelles
Il s’agit en l’occurrence des Règles du CMI relatives aux connaissements électroniques (a) et
du système Bolero (b).
a / Les Règles du CMI relatives aux connaissements électroniques
Le Comité maritime international (CMI), organisation non gouvernementale dont l'action
contribue à l'unification du droit maritime, a adopté en 1990 les règles relatives aux
connaissements électroniques. L'objectif des règles du CMI est d'établir un mécanisme destiné
81
à remplacer les traditionnels connaissements négociables sur papier par un équivalent
électronique. Les règles du CMI n'ont pas force de loi : elles sont facultatives et leur
application exige la conclusion d'un "accord de communication" entre les partenaires
commerciaux247.
Selon le système mis en place, les parties conviennent que le transporteur n'est pas tenu
d'émettre un connaissement à l'intention du chargeur. A réception des marchandises provenant
du chargeur, le transporteur lui envoie, à son adresse électronique, un avis de réception des
marchandises, contenant les informations qui auraient figuré sur un connaissement sur papier
et par ailleurs un code secret à utiliser dans les transmissions ultérieures248.
Le chargeur, sur confirmation du message de réception adressé au transporteur, est considéré
comme le "détenteur" de la clé confidentielle. Dès lors, il sera la seule partie en mesure de
réclamer la livraison des marchandises, de désigner le destinataire ou de remplacer toute autre
partie par un destinataire désigné, de transférer le droit de disposition et de transfert à un tiers,
et de donner toute instruction au transporteur sur tout autre sujet relatif aux marchandises,
comme s'il détenait un connaissement249.
Le transporteur doit accepter ces instructions et ne doit livrer la marchandise à aucune autre
personne. La clé confidentielle est unique pour chaque détenteur successif, de sorte que
chacun d'eux se trouve dans la même situation que s'il avait été en possession du
connaissement original. Cette clé n'est pas transmissible par le détenteur et doit être tenue
secrète, afin d'empêcher son utilisation par des personnes non habilitées250. Le transporteur
est tenu de notifier au détenteur le lieu et la date de la livraison, et ce dernier doit alors
désigner un destinataire (s'il s'agit d'une autre personne) et donner les instructions de livraison
appropriées. La livraison des marchandises annule automatiquement la validité de la clé
confidentielle. Le transporteur est en outre tenu d'exercer une diligence raisonnable pour
s'assurer de l'identité réelle de la partie qui prétend avoir la qualité de destinataire, faute de
quoi il sera tenu responsable d'une erreur de livraison des marchandises251.
Quid maintenant de l’autre initiative contractuelle ?
247 Règle 1 248 Règle 4 249 Règle 7 a) 250 Règle 8 a) 251 Règle 9
82
b / Le système Bolero
Le projet Bolero (Bills of Lading Electronic Registry Organisation) est réalisé par la
coopérative bancaire SWIFT et le Through Transport Club (TT Club), une société d'assurance
mutuelle qui représente des transporteurs, des transitaires, des exploitants de terminaux et des
autorités portuaires.
Il permet à ses utilisateurs d'échanger des informations, par des moyens électroniques ; son
ambition étant de relier tous les participants de la chaîne commerciale internationale.
Ce projet est destiné à fournir une plate-forme d'échanges sécurisés de documents
électroniques commerciaux, utilisant un système de demandes centralisées de données. Une
des caractéristiques de ce système est sa capacité de transférer les droits du détenteur d'un
connaissement à un autre détenteur et donc à reproduire les fonctions du traditionnel
connaissement négociable sur papier.
La possibilité de transférer des droits en vertu du connaissement sera régie par le système
central de demande de titre de propriété. Ce système tiendra un relevé des détenteurs de
droits. Ces données ne pourront, pour des raisons de confidentialité, être transmises qu'aux
personnes dûment autorisées par le détenteur des droits en question.
Le connaissement du système Bolero reproduit les fonctions d'un connaissement classique. Il
sert de reçu pour les marchandises livrées au transporteur; spécifie les termes et les conditions
du contrat de transport. Il donne ainsi à son détenteur le droit exclusif de disposer de la
marchandise et celui de donner au transporteur des instructions en matière de livraison.
Malgré son attrait, le projet Bolero demeure assez confidentiel, car constituant un système
fermé. Il n’est adopté que par certains praticiens, et sa sophistication l’empêche de s’appliquer
aux pays du tiers monde252.
A côté de cette approche contractuelle, figure une initiative législative contribuant également
à résoudre le problème de la livraison sans connaissement.
252 J. F. Wilson, « Carriage of goods by sea », 6th éd. Pearson Longman, 2008, p. 170
83
2 / L’initiative législative
Il est question ici de la loi type sur le commerce électronique adoptée par la CNUDCI253 lors
de sa 21ème session le 12 Juin 1996. Elle a principalement pour objectif de faciliter les
transactions électroniques, en fournissant un ensemble de règles acceptables au niveau
international. Elle constitue un modèle sur lequel pourront s’appuyer les lois nationales.
Cette loi consacre le premier chapitre de sa deuxième partie aux documents de transport.
Concernant ceux-ci, l’article 17.3, appliquant le principe de l’équivalence fonctionnelle entre
l’écrit sur support papier et les autres documents, précise que « quand un droit doit être
dévolu à une personne et à aucune autre, ou quand une obligation doit être acquise par une
personne et aucune autre, et si la loi exige à cette fin que le droit ou l'obligation soient
transmis à l'intéressé par le transfert ou l'utilisation d'un document papier, cette exigence est
satisfaite si le droit ou l'obligation en question sont transmis par un ou plusieurs messages de
données, à condition qu'une méthode fiable soit utilisée pour rendre uniques le message ou
les messages en question ».
L'exigence d'unicité du message est ainsi une condition préalable au transfert des droits par un
message de données254. Il est donc nécessaire d'établir l'identité du détenteur exclusif ou
l'unicité du message devant faire foi pour la livraison des marchandises. A cet égard, des
dispositions sont prévues pour éviter les doubles emplois en veillant à ce que le transfert de
droits et d'obligations ou de titres de propriété relatifs aux marchandises ne soit pas réalisé
simultanément par l'utilisation de messages de données et de documents papier. Ainsi, si l'on
fait appel à des messages de données pour effectuer l'un des actes susmentionnés, aucun
document papier utilisé à la même fin n'est valide255.
Le connaissement papier perd donc de son importance et ceci d’autant plus qu’un ensemble
de données électroniques reproduisant les stipulations usuellement contenues dans un
connaissement pourrait constituer un document original si l’intégrité de l’information est
253 La Commission des Nations- Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), est une instance du système des Nations-Unies, chargée de promouvoir l’harmonisation et l’unification du droit commercial international. 254 Ce terme désigne l’ensemble des moyens de communication autres qu’écrit traditionnel et voix. On peut y englober les messages électroniques type e-mail, les télécopies ou encore les télex (E. Chelly, « Le connaissement électronique », CDMT 1999, p. 63) 255 Art. 17.5
84
garantie et si elle "peut être montrée à la personne à laquelle elle doit être présentée"256, en
l’occurrence au transporteur lors de l’accomplissement du connaissement.
Rappelons que l’accomplissement du connaissement désigne sa remise par le destinataire
contre les marchandises lors du déchargement. Il constitue l’ultime étape avant la livraison.
Cette formalité consisterait ici en la vérification de la clé du destinataire et en une
modification du registre informatique257. Elle ne nécessite donc plus la présentation d’un
connaissement papier. Autrement dit, la livraison se fera uniquement par des moyens
électroniques.
Notons cependant que malgré tout son attrait, ce système n’est pas massivement adopté258, ce
qui laisse encore une place au connaissement traditionnel ; mais pour combien de temps ?
256 Art. 8.1, b) 257 www.lexmaritima.net/travaux/billoflad.html 258 J. F. Wilson, op cit p. 164
85
CONCLUSION
Une obligation légale pèse sur le transporteur maritime, lequel est tenu de ne livrer la
marchandise à son destinataire, que contre présentation par ce dernier du connaissement.
Cette règle trouve en effet son origine dans la loi française et dans la plupart des conventions
internationales gouvernant le transport maritime de marchandises. En la bafouant, le
transporteur commet délibérément une faute, qui sera d’ailleurs lourdement sanctionnée. La
règle de présentation contribue ainsi à renforcer le rôle du connaissement, notamment dans la
phase de livraison.
L’exigence de ce document fait écho à la nécessité de sécuriser les transactions portant sur les
biens qu’il représente. Toutefois, malgré sa finalité tout à fait louable, la règle de présentation
n’est pas toujours en phase avec la réalité du transport maritime.
En effet, le transporteur est très souvent placé dans l’impossibilité de livrer en échange du
connaissement, ce dernier n’arrivant pas concomitamment aux marchandises. Cette situation
prend surtout ses racines dans la lourdeur du document. Aussi, la pratique a-t-elle recours à la
lettre de garantie au déchargement et à des substituts pouvant pallier ce défaut du
connaissement. Il s’agit en l’occurrence de la lettre de transport maritime et de documents
dématérialisés, l’informatique étant mis au service du transport maritime.
Ainsi, malgré son importance le connaissement ne constitue plus un document incontournable
pour prendre livraison des marchandises. Il peut être remplacé par des documents mieux
adaptés aux besoins de la pratique. Cela ne revient évidemment pas à dire qu’il joue un rôle
mineur, mais en tout cas son rôle s’est considérablement amoindri.
Cette régression conduira, à terme, à sa disparition totale au profit d’autres documents,
notamment électroniques.
86
ANNEXES
Annexe 1: Connaissement CGM French line
Annexe 2: Way bill CGM French line
Annexe 3 : Modèle de lettre de garantie pour absence de connaissement
87
BIBLIOGRAPHIE
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• Ahouandjinou-Djossinou H., « Contribution à l’étude des problèmes liés à la
délivrance des marchandises dans le transport maritime », Thèse Aix, Octobre 1988
• Benham F. P., « Contribution à l’étude de la fraude maritime », Thèse Aix, 1986-1987
• Caradec D., « La fraude maritime documentaire », mémoire DESS, Droit des activités maritimes, Brest 1985
• Chelly E., « Le connaissement électronique », mémoire CDMT 1999
• Dajoux-Ouassel C., « Les incidents à la livraison des marchandises dans le contrat de transport maritime et le contrat d’affrètement au voyage », Thèse Aix, 2000
• Hannachi H., « La lettre de transport maritime et le connaissement », mémoire
CDMT 1990-1991
• Larroumet Ch., « Les opérations juridiques à trois personnes en droit privé », thèse Bordeaux, 1968
• Morley Mac Lean H., « Connaissement, lettre de garantie, transporteur et P&I
Clubs », mémoire CDMT 1988
89
III / Répertoires et ouvrages pratiques
• Juris-classeur Transport 2008, Fascicule 1260
• Lamy Transport 2008, tome 2
IV / Articles et chroniques
• Achard R., « Livraison des marchandises à un organisme portuaire à caractère de monopole », JMM 1981, n°3231, p. 2774
• BoKally V. E., « Crise et avenir du connaissement », DMF Février 1998, n°579
• Bonassies P., Emo P, « La lettre de garantie pour absence de connaissement. Un
projet de lettre-type », Annales IMTM 1986, p. 145
• Bonnaud J.
- « Transport maritime : le moment de la livraison », Rev. Scapel 1994, p. 45
- « Un incident à la livraison: le défaut de présentation du connaissement », Rev. Scapel 2002, p.133
• Caprioli E. A., « La normalisation internationale des documents de transport
maritime non négociables », Annuaire de droit maritime, tome XIII, 1995, p.177
• Chao A., « Livraison maritime, une notion fixe dans un espace variable », BTL, n°2574 du 4 Juillet 1994, p. 516
• Cherkaoui H., « L’intervention de l’exploitant portuaire au Maroc et la rupture de
charge du transporteur maritime », DMF 1996, p. 99
• Du Pontavice E.
- « Le connaissement et l’informatique », Annuaire IMTM 1985, p. 223
- « L’informatique et les connaissements », DMF 1983, p. 376
90
- « L’informatique et les documents du commerce extérieur », Rev. fr. de comptabilité,
1979, p. 630
• Emo P., « La lettre de garantie pour absence de connaissement régulier », Thème de réflexion proposé par l’IDIT, BTL 1984, n°2105, p. 283
• Grönfors K., « Simplification of documentation and document replacement »,
L.M.C.L.Q. 1976, 3, p. 253
• Howland R.I.L., « L’avenir du connaissement et les connaissements électroniques », Annuaire de Droit maritime et aérospatial, 1995, p. 201
• Lucas P. Y., « La lettre de garantie pour défaut de connaissement », DMF 1987, p.
346
• Nicolas P.Y., « Point de vue sur la lettre de garantie pour absence de connaissement », BT 1986, n°2196, p. 331
• Rembauville-Nicolle P., « Le droit maritime français et le droit de disposition », BTL
n°2387 du 20 Juin 1990, p. 403
• Rémond Gouilloud M.
- « La lettre de garantie pour absence de connaissement, une institution en quête de qualification », BT 1986, n°2178, p. 69
- « La lettre de garantie pour absence de connaissement : une tolérance
institutionnalisée », Gazette CAMP n°15, 2007-2008, p. 3
• Stoufflet J., « La garantie bancaire à première demande », JDI 1987, p. 266
• Tassel Y.
- « L'affaire du Rafaela S ou l'indélicat connaissement nominatif », DMF 2005, p. 795
- « Les documents maritimes autres que le connaissement », Mélanges en l’honneur de Henry Blaise, Economica 1995, p. 407
• Tetley W., « Contre-lettre d’indemnité et lettres de garantie », DMF 1988, p. 258
• Tinayre A.,
91
- « Le Sea-way Bill ou le droit maritime en question », DMF 1988, p. 164
- « La lettre de transport maritime ou le complexe documentaire », DMF 1988, p. 344
- « La fraude maritime et le connaissement », Assemblée AFDM, du 3 Mars 1983,
DMF 1983, p. 365
V / Sites internet
• www.douane.gouv.fr
• www.globaltradecorp.com
• www.legifrance.gouv.fr
• www.lexmaritima.net
• www.uncitral.org
92
TABLE DES MATIERES
LISTE DES ABBREVIATIONS...........................................................................................................3
SOMMAIRE....................................................................................................................................4
RESUME / SUMMARY ...................................................................................................................5
INTRODUCTION............................................................................................................................6
PARTIE 1 : L’EXIGENCE DU CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON...........................................10
Chapitre 1 / La livraison sans connaissement, une irrégularité manifeste..................11
Section 1 / L’affirmation de la règle de présentation par les textes.......................11
§ 1 / L’interdiction de la livraison sans connaissement par les textes internes ...11
§ 2 / L’interdiction de la livraison sans connaissement par les textes internationaux ................................................................................................................12
A / Les Règles de Hambourg...................................................................................13
B / Le projet CNUDCI sur le transport de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer .........................................................................................13
Section 2 / L’application de la règle de présentation par les juges........................14
§ 1 / L’application restrictive : l’autorisation exceptionnelle de la livraison sans connaissement...............................................................................................................15
A / L’accord du chargeur........................................................................................15
B / La livraison sur injonction judiciaire ...................................................................17
C / La livraison à une entreprise monopolistique.................................................18
D / La livraison contre un connaissement falsifié .................................................22
§ 2 / L’application extensive de la règle de présentation.....................................24
A / L’obligation de présenter le connaissement nominatif à la livraison ........24
B / Le caractère gravement fautif de la livraison sans connaissement...........26
Section 3 / L’importance pratique de la règle de présentation ..............................28
§ 1 / L’exigence du connaissement, gage du remboursement du crédit documentaire ................................................................................................................28
93
§ 2 / L’exigence du connaissement, condition d’accomplissement des formalités douanières ...................................................................................................30
Chapitre 2 / La livraison sans connaissement, une irrégularité lourdement sanctionnée ...........................................................................................................................33
Section 1 / La réparation du préjudice découlant de la livraison irrégulière........33
A / Les conditions de la réparation ........................................................................33
B / Le contenu de la réparation..............................................................................36
§ 2 / L’exercice de l’action en réparation ...............................................................37
A / La nature contractuelle de la faute du transporteur ...................................37
B / Les titulaires du droit d’agir contre le transporteur ........................................38
1/ L’action du destinataire...................................................................................39
2 / L’action du chargeur ......................................................................................40
3 / L’action du commissionnaire de transport ..................................................42
4 / L’action des assureurs facultés ......................................................................43
Section 2 / La déchéance éventuelle de la limitation légale de responsabilité du transporteur ........................................................................................................................45
§ 1 / Régime de la convention de Bruxelles de 1924 .............................................46
§ 2 / Régime des Règles de Visby de 1968 ...............................................................47
§ 3 / Régime des Règles de Hambourg ....................................................................48
§ 4 / Régime de la loi française ..................................................................................49
Section 3 / L’absence de couverture d’assurance ....................................................51
§ 1 / L’absence de couverture de la police française d’assurance de responsabilité .................................................................................................................51
§ 2 / L’absence de couverture des P&I Clubs .........................................................52
PARTIE 2 : L’EVICTION DU CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON............................................54
Chapitre 1 / La lettre de garantie au déchargement, un palliatif au connaissement..................................................................................................................................................55
Section 1 / Le mécanisme de la lettre de garantie....................................................55
Section 2 / Les caractéristiques de la lettre de garantie...........................................57
§ 1 / La validité de l’engagement souscrit ...............................................................57
94
§ 2 / La lourdeur de l’engagement souscrit .............................................................58
A / Un engagement à l’objet vaste .......................................................................58
B / Un engagement autonome de payer à première demande ....................60
1 / L’autonomie de la lettre de garantie par rapport au contrat de transport...................................................................................................................60
2 / La qualification de garantie à première demande ..................................62
C / Un engagement solidaire..................................................................................63
D / Un engagement illimité......................................................................................64
1 / Quant au quantum..........................................................................................64
2 / Quant au temps ...............................................................................................65
Section 3 / L’institutionnalisation de la lettre de garantie .........................................65
Chapitre 2 / Les substituts du connaissement à la livraison...........................................68
Section 1 / La Lettre de transport maritime, substitut efficace du connaissement à la livraison........................................................................................................................68
§ 1 / La spécificité de la LTM .......................................................................................68
A / Un document non négociable.........................................................................69
B / Un complément au connaissement.................................................................71
§ 2 / La consécration de la LTM..................................................................................72
Section 2 / Les substituts électroniques du connaissement à la livraison................75
§ 1 / Les tentatives avortées de supplanter le connaissement à la livraison......75
A / Le Cargo Key Receipt ........................................................................................76
B / Le Seadocs Registry.............................................................................................76
§ 2 / L’éviction du connaissement par les documents de transport dématérialisés ................................................................................................................78
A / L’adaptation de la LTM au commerce électronique...................................78
1 / Le Data Freight Receipt (DFR)........................................................................78
2 / Le système @Global Trade .............................................................................79
B / Le connaissement électronique, remède potentiel à la livraison sans connaissement...........................................................................................................80
95
1 / Les initiatives contractuelles ...........................................................................80
a / Les Règles du CMI relatives aux connaissements électroniques.........80
b / Le système Bolero.........................................................................................82
2 / L’initiative législative ........................................................................................83
CONCLUSION ............................................................................................................................85
ANNEXES .....................................................................................................................................86
BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................................................87
TABLE DES MATIERES..................................................................................................................92