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Page 1: Gérard DEPARDIEU - Casemate · Suite de l’interview de Gérard Depardieu (Casemate 70), avant le passage, sur Arte, du film montrant le voyage qu’il a effectué avec Mathieu

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Supplément gratuit • Casemate 70, mai 2014.

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Gérard DEPARDIEU

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Le Caucase est-il unpays islamiste ?Gérard Depardieu :Oui, mais un islam très

laïc. Mathieu, te souviens-tu de ce pont,avec d’un côté les juifs, de l’autre desmusulmans ? Ils s’entendent très bienaujourd’hui, comme hier. On est loinde la crise des années quatre-vingtquand Gorbatchev a filé le Karabaghaux Arméniens. Comme Khrouchtchev,l’exécuteur des basses œuvres de Sta-line, avait filé la Crimée à l’Ukraine.

Comme il a trahi Fidel Castro dans lesannées soixante lors de la crise desfusées avec l’Amérique de Kennedy.Fidel lui en a voulu à mort. Je me sou-viens de ses colères. Fidel que vous connaissiez bien ?Oui, je suis resté vingt ans avec lui,jusqu’à ce qu’il tombe de son estrade,

ensuite je ne l’ai jamais revu. On pas-sait des nuits entières à discuter. Parexemple du programme d’alphabéti-sation de l’Angola, vers 1995. Pendantdix ans, Cuba a envoyé des instituteursdans la brousse apprendre à lire auxenfants avec téléviseurs et cassettes. Castro a aussi demandé à Chavez quelétait son livre préféré. Les Misérablesde Victor Hugo. Cuba a envoyé desprofesseurs dans les favelas du Vene-zuela pour apprendre aux gens à lireavec le livre mascotte de leur président.Que pense Poutine des islamistes ?Très chrétien, il ne peut pas les voir. Jeserais le patron du Daghestan, au nord-Caucase – on était à sa frontière durantnotre voyage –, je me ferais du souci.Une vraie passoire à barbus. Et c’est laguerre entre les islamistes tchétchèneset Poutine. La vie est difficile pour lesfemmes là-bas, mais elle l’est aussi auQatar qu’on couvre de roses. Tous cesgens ne suivent pas le Coran. Il y estdit, par exemple, qu’on peut boire duvin, à condition de respecter la prière.J’ai lu tous les livres religieux. Dans leCoran, on trouve de l’humour, et tousles prophètes y sont juifs.Franchement, avons-nous beaucoupde leçons à donner, nous les Français ?Rappelez-vous le massacre des pro-testants lors de la Saint-Barthélemy. EnFrance, les femmes se sont assises à latable des hommes en 1910. En Italie,dans les années trente, elles se tenaienttoujours derrière eux. Pourquoi avez-vous quitté laFrance ?

I

Interview

Suite de l’interview de Gérard Depardieu (Casemate 70), avant le passage, sur Arte, du filmmontrant le voyage qu’il a effectué avec Mathieu Sapinau Caucase sur les traces d’Alexandre Dumas.Depardieu parle de Poutine, qui le conseille et qu’ill’admire, de Mitterrand et des bonnes bouteilles del’Élysée, de Castro à qui il a fait découvrir les rillettesmaison et l’alcool de prune. Attention, ça part dans tous les sens. Comme les feux d’artifice.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI & Frédéric VIDAL

Depardieude Mitterrand à

Retour au Caucase,Gérard Depardieu dans lespas d’Alexandre Dumas,Par Jean-Pierre Devillers et Stéphane Bergouhnioux,Avec Gérard Depardieu et Mathieu Sapin,54 minutes, Arte,le 4 mai à 22h25.

« Je suis resté vingt ans avec Fidel Castro,jusqu’au jour où il est tombé de son estrade »

Gérard DEPARDIEU

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Parce que je ne voulais pas payer 90 %d’impôts sur mes revenus et bientôt106 %, à cause du petit bolcheviquede l’Élysée – comme dit Poutine – quiest en train de tuer les classesmoyennes. Du coup, je me suis fait trai-ter de minable par son second de Mati-gnon. Poutine m’a dit : « Gérard, tuviens ? » Le 12 novembre, j’écrivais malettre expliquant ma décision, le 7décembre j’étais Belge, le 18 décem-bre je recevais le passeport envoyé parPoutine. J’ai passé Noël avec lui. On ne vous a pas vu aux Jeux olym-piques de Sotchi.J’étais invité à la tribune d’honneur,mais n’ai pas pu y aller. Malade commeun chien. Un coup de dépression asuivi. Je me suis requinqué à Quibe-ron. Depuis un mois et demi, je revisà mort, les batteries à fond. Je suis alléen Russie il y a deux semaines appor-ter à Poutine une montre suisse en pla-tine, avec un aigle dessus. J’ai la mêmeau poignet. Comment Poutine juge-t-il les Fran-çais ?Il dit n’en avoir rien à faire. Si on l’em-bête, il ferme le robinet. On est malplacé pour lui donner des leçons.Quand ma mère m’attendait pour mou-rir à Châteauroux, j’ai dû atterrir à Mont-luçon parce que l’aéroport de Châ-teauroux était fermé au trafic civil. Onenvoyait des armes à l’Irak ! Bachar el-Assad le Syrien a eu beau jeu de décla-rer qu’il voulait bien détruire toutes sesarmes chimiques à condition que ceuxqui les lui ont vendues les lui rem-

boursent. Qui ? Les Américains, lesFrançais, Anglais, Allemands.Combien de temps passez-vous enRussie ?Environ cinq mois par an. Depuisquinze ou vingt ans, je suis plus de huitmois sur douze hors de France. Je viensde faire l’Amérique, l’Algérie, la Rus-sie, le Kazakhstan. Des séjours de deuxmois. Je vais passer deux autres moisà Saint-Pétersbourg et je pars en Italie.J’aimerais emmener Mathieu en Russie.Et en Afrique. Il y a de ces nanas là-bas ! Moi, ça ne m’intéresse plus, jesuis trop vieux.Vous reste-t-il du temps pour fairedu business en France ?J’y fais vivre une centaine de salariés.Une trentaine dans les vignobles, cin-quante dans la restauration. Le restedans la production de films ou parexemple la poissonnerie au coin de marue qui allait fermer et que j’ai rachetée.Comme ça le quartier continue à avoirdu poisson frais. Mais je ne gère pas,n’ouvre aucun courrier. Je finance. J’aiaussi ouvert une rôtisserie. Son conceptintéresse les Russes, je leur vends la fran-chise contre un fixe. Le premier à Saint-Pétersbourg, ensuite Moscou. J’exportele savoir-faire français. On vous a pourtant traité de « mau-vais Français », l’ex-Premier ministrea jugé votre comportement « mina-ble »…Ce n’est même pas la peine de leurrépondre. Je n’ai pas l’esprit de ven-geance. Mais on ne m’empêchera pasde dire que ces abrutis ont flanqué la

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Interview

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Tous les dessins de cedossier sont tirés des carnets de Mathieu Sapin. Croquis réalisés pendantle tournage du Retour au Caucase, en septembre 2012.© Sapin 2014.

« Vignobles, restauration, production, je faisvivre une centaine de salariés en France »

Gérard DEPARDIEU

Au guidon d’un side-car russe dans les champs de pétrole de Bakou.

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déprime, bien profond, à la Francepour un bout de temps. Vous aviez commencé par vous exi-ler en Belgique, tiens, commeDumas, poursuivi par ses créan-ciers !Balzac, Voltaire aussi se sont barrés.Voltaire est un grand horloger, commeCharles Quint. Tous étaient des serru-riers ou des horlogers. Je suis en trainde racheter une usine de mouvementsde montres russes incroyables. La pré-cision des montres de l’armée russe estinouïe. Toutes ces entreprises ont étébradées par Eltsine. Poutine en a déjàrécupéré un paquet.Quelles qualités reconnaissez-vousau président russe ?Loyauté et discrétion. C’est quelqu’un !Je sais quand il l’écoute, je sais quandon le fait chier. Je me souviens d’uneusine de ciment que des oligarquesvoulaient vendre. Et mettre 2 000 per-sonnes au chômage. Poutine est venuleur dire : « Démerdez-vous. Vousn’avez pas à vendre des entreprisesalors que nous nous battons pour enrécupérer. » Il les a obligés à signer unpapier de renoncement. À un qui ergo-tait n’avoir pas de stylo, il a prêté lesien. Et ne le lui a pas laissé. Les emploisont été sauvés. C’est lui qui m’aconseillé de ne pas répondre auxattaques. Du coup, je ne dis rien. Pou-tine n’aime pas les bolcheviques,

même hors des frontières de la Russie.Il en voit quelques-uns en France.Vous qui aimez tant le Russe, quepensez-vous des présidents fran-çais ?Au début, je n’aimais pas du tout Sar-kozy, puis j’ai appris à le connaître. J’ai

toujours bien aimé Chirac, Pompidoubeaucoup, Giscard pas du tout. Jevoyais Mitterrand très souvent, il vou-lait tout savoir des histoires de fessesdu Tout-Paris. Je suis sûr qu’il se seraittrès bien entendu avec Poutine. Mit-terrand, qui savait que j’avais un faiblepour les bons bourgognes blancs, mefaisait ouvrir des bouteilles de Meur-sault. Il y a de belles choses dans lescaves de l’Élysée. Mais la plus sublimeétait celle de l’Assemblée nationale.Avec son président, Philippe Séguin,qu’est-ce que je me suis régalé. Comment expliquez-vous vos bonscontacts avec les grands de cemonde ?Je ne sais pas pour ceux-là. Ni pourCastro d’ailleurs. On avait mal com-mencé. Il y a très longtemps, j’avaissigné une pétition contre la manièredont il traitait les homosexuels. Puis jel’ai rencontré en 1992. Avec GérardBourgoin, un gros volailler français, nouslui avons apporté des magnums d’al-cool de prune et des rillettes faites mai-son. Pour déguster cela, il nous fallaitdes lapins que des hommes de sagarde sont allés dégommer sur l’aéro-drome à la mitraillette.Qu’alliez-vous faire là-bas ?Cuba étant exsangue, Bourgoin échan-geait des cannes à sucre contre despoulets. Je me souviens de Charasse,ministre de Mitterrand, empochant à

« Je voyais Mitterrand très souvent à l’Élysée.Il se serait très bien entendu avec Poutine »

Gérard DEPARDIEU

III

Interview

Avec des enfants de Sharabagh.

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La Havane des cigares par poignées.Je n’aimais pas trop ça ni la manièredont l’homme chaussait les godassesde Coluche. Mitterrand, lui, l’appréciaitbeaucoup. Un jour, il m’a demandémon avis. Je le lui ai dit. Il m’a fait la têteun moment. J’ai essayé de me rattra-per en glissant que peut-être je neconnaissais pas assez bien MonsieurCharasse… J’aimais trop ce présidentpour me fâcher avec lui. Il était drôleet parfois inattendu. Un jour, on man-geait chez Jack Lang son traditionnelpot-au-feu. Je revois Mitterrand enle-ver ses petites chaussures et se mettreà chanter : « Comme un garçon, j’ai lescheveux longs… » Du Sylvie Vartan !À Cuba, vous passez des rillettes auforage pétrolier.Par la force des choses. Après le sui-cide de l’ex-Premier ministre PierreBérégovoy, en 1993, Elf a abandonnéses recherches à Cuba. Castro s’estretrouvé sans rien. Bourgoin a proposéque nous lancions un tour de table etdevenions pétroliers. Je venais de fairedeux trois pubs bien payées, je dis-posais de quelques sous en banque,j’ai investi près de vingt millions defrancs, un peu plus de quatre millionsd’euros d’aujourd’hui. On a levé lesfonds qui nous manquaient et on estentré en bourse au Canada. Et vous voilà pétroliers ?Pas encore, les ennuis commençaient.Nous avions besoin d’un appareil deforage, un rig. Problème, l’embargoaméricain bloquait tout envoi de maté-riel à destination de Cuba. On a déni-ché un rig National 110 tout poussié-reux à Belem, au Brésil. Problème, ilappartenait à des Américains. On a tri-

ché, disant que nous forerions à Cal-gary, au Canada. Nous nous sommesretrouvés, avec Bourgoin, à Houstonpour négocier notre National 110. Onprend l’ascenseur d’un splendideimmeuble, moi en t-shirt avec une belledent d’ours autour du cou. L’ascenseurs’arrête, la porte s’ouvre directementsur une immense salle. En plein conseild’administration. Notre côté cow-boyjette un froid. Je dis :– Maybe we’re wrong ?(Peut-être qu’on s’est gouré ?)Un mec me lance :Christopher Colombus ?– Yes, i’m sorry we’re wrong we’re just

looking for the petroleum.(Oui, Je suis désolé on cherche justele pétrole.)– It is downstairs man but don’t worry.(C’est en bas mec, mais t’en fais pas.)On est descendu d’un étage. Et on a

« Castro envoie des gardes nous chercherquelques lapins. À coups de mitraillettes… »

Gérard DEPARDIEU

Interview

IV

Suite page suivanteArrivée de l’équipe sur la plateforme pétrolière de Neft Dashlari.

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discuté. Puis il a fallu récupérer notrerig qu’on avait payé 2 100 000 dollars.À Belem, le consul français nous a dit :« Attention, vous allez devoir vouscogner les deux mafias du port, moi,les gars, je ne touche pas à ça ! » On yest donc allé avec Bourgoin. Sur place,les dockers m’ont reconnu. J’avais10 000 dollars sur moi, j’ai filé 5 000 àchaque mafia et on a emmené le rig àla barbe des Américains. Un peu plus tard, on a commencé lespremiers forages à Cuba avec notre rigde 45 mètres. Mauvais début, une têtede puits s’est brisée. 300 000 dollarsfoutus. Ça tournait 24 heures sur 24, lespectacle était magnifique, les bouesremontaient de 3 000 mètres de pro-fondeur. Au microscope, on discernaitles traces d’huile. Un monde à part. Eton a trouvé le pétrole. Nous avions lapropriété de tout ce qui était en des-sous de 1 500 mètres. Au-dessus, il yavait du gaz qu’on a ensuite négocié.Une aventure sublime.

V

Interview

Obélix aime-t-il Tintin ?Gérard Depardieu : J’ai toujoursdétesté Tintin, avec son pantalon àla con. Les tintinophiles sont

incroyables, d’ailleurs ils se ressem-blent tous, dans le genre PhilippeMeyer. Astérix et Obélix collebien davantage à notre vieréelle, même si on n’ytrouve aucune sexua-lité. De ce côté-là, onen est encore auniveau des comédiesaméricaines à la Lau-rel et Hardy. J’aimeaussi beaucoup LePetit Nicolas et lesalbums ou les films deGérard Lauzier. On y trouvedes choses incroyablementjustes sur ce que nous neconnaissons pas encore de nous, surce qu’il nous reste de l’enfance ou duracisme. Exemple ?C’est flagrant dans le film de Lauzier, Le Plus BeauMétier du monde avec Daniel Prévost. On a atta-qué Tintin au Congo pour son colonialisme et sonlangage, mais c’était le langage populaire del’époque. Des expressions de pauvres. Dans les

cafés du commerce, on entend des expressionsracistes en diable. Je sais de quoi je parle, j’ai faitun film sur les Arabes, Michou d’Auber. Né à Châ-

teauroux, j’ai été élevé par des Arabes etappris le français avec un professeur

d’arabe littéraire. Je vivais entreArabes et voyous, des

mômes envoyés en Algé-rie à 18 ans et qui en

étaient revenus telle-ment choqués qu’ilsdormaient un flinguesous l’oreiller. Téta-nisés, ils avaient peurde tout. Alors, évi-demment, quand ils

rencontraient un pau-vre Algérien… qui lui

aussi avait parfois servi enAlgérie ! Le gouvernement

de l’époque a été odieux avecces gens qu’on n’éduquait pas et

qu’on traitait d’indigènes. Regardez ce qu’ils’est passé avec la colonne du capitaine Vouletau Tchad en 1899 ! (Casemate 61). C’est la France ! 1899, c’est loin…Ben voyons. Allez à Phnom Penh aujourd’hui, vousverrez toujours des Français, des Belges et biend’autres courir après des gamines de 12 ou 14 ans.

Entre Arabes et VOYOUS

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Chez votre marchand de journaux le 18 avril


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