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  • EX BIBLIOTHECA

    MAJORIS SEMINARI

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  • L'HISTOIRE D E

    L'AMERIQUE, PAR M, ROBERTSON

    Principal de l'Universit d'Edim bourg, & Historiographe de Sa-Majest Britannique pour l'Eco sse

    [TRADUITE DE L'ANGLOIS

    TOME SECOND.

    A PA

    Chez PANCK Htel de Thou, rue des Poitevins

  • L'HISTOIRE D E

    L'AMRIQUE.

    LIVRE TROISIEME.

    TANDIS que Colomb tot L I

    occupe a ion dernier voyage, l' ifle III. d'Hifpaniola fut le thtre de plu- 1 904. fieurs vnemens remarquables. Etat de la La colonie Efpagnole le modle Colonie & lafource de tous les tabliffemens

    Hif

    poftrieurs que l'Efpagne a faits dans le nouveau monde, acquroit par degrs la forme d'une Socit rgulire & florffante. Les foins pleins d'humanit que prenoit Ifa

    Tome II, A

  • 2 L' HISTOIRE

    belle pour garantir de l'oppreffion les malheureux Indiens, & l'ordon-nance en particulier par laquelle il toit dfendu aux Efpagnols de les forcer travailler , retarderent il eft vrai pour quelque-tems les progrs de l'induftrie. Les Naturels regardant l'inaction comme la fu-prme flicit, mprifoient toutes les rcompenfes & les careffes par lefquelles on cherchoit les en-gager au travail. Les Efpagnols n'avoient pas affez de bras pour exploiter les mines & pour cul-tiver la terre. Plufieurs des premiers Colons, accoutums au fervice des Indiens, abandonnerent l'ifte lorf-qu'ils fe virent privs desinftrumens fans Iefquels ils ne favoient rien faire. Plufieurs de ceux qui toient arrivs avec Ovando furent atta-qus des maladies particulires au climat, & dans un court intervalle il en prit plus de mille. En mme-tems la demande d'une moiti du produit ds mines, exige pour la

    1504

  • DE L'AMRIQUE. 3 part du fouverain , parut une con-

    dition fi onreufe que perfonne ne 1504. voulut plus s'engager les exploiter ce prix. Pour fauver la colonie d'une ruine qui paroiffoit invita-ble , Ovando prit fur lui de mo-drer la rigueur des ordonnances 1505. royales. Il fit une nouvelle diftribu-tion des Indiens entre les Efpagnols, & les fora de travailler pendant un certain tems creufer les mines ou cultiver la terre ; mais crai-gnant qu'on ne l'accuft de les avoir fournis de nouveau la fer-vitude , il ordonna leurs matres de leur payer une certaine fomme pour le falaire de leur travail. Il rduifit la part du fouverain fur l'or qu'on trouveroit dans las mines , de la moiti au tiers & peu de tems aprs au cinquime , o elle refta long-tems fixe. Malgr la tendre follicitude d'Ifabelle en faveur des Indiens , & le defir qu'avoit Ferdinand d'augmenter le revenu public , Ovando persuada

    A IJ

  • 4 L'HISTOIRE

    la Cour d'approuver ces nou-veaux rglemens (I).

    Guerre Les Indiens qui venoient de avec les jouir , quoique pendant un in-Indiens, tervalle bien court, du plaifir d'-

    chapper l'oppreffion, trouverent alors fi intolerable le joug de l'ef-clavage qu'ils firent plufieurs ten-tatives pour recouvrer leur libert. Les Efpagnols traiterent ces efforts de rbellion & prirent les armes pour les rduire la foumiffion. Lorfqu'une guerre s'leve entre des nations qui fe trouvent dans

    un tat de focit peu prs.fem-blable, les moyens de dfenfe font proportionns ceux d'attaque ; dans cette querelle force gale , les efforts qui fe font de part & d'autre , les talens qui dploient leur activit & les payions qui fe dveloppent , peuvent prsenter l'humanit fous un point de vue auffi. curieux qu'intereffant. C'eft une des plus nobles fonctions de

    (I) Herrera, decad. i, Lib. V, chap. I

  • DE L'AMRIQUE. 5

    l'hiftoire que d'obferver & de peindre les hommes dans les fitua-tions o les ames font le plus vio-lemment agites & o toutes leurs facults font mifes en mouvement : auffi les oprations & les vn-mens de la guerre entre des nations ennemies ont-ils t regards par les hiftoriens tant anciens que mo-dernes comme un objet important & capital dans les annales du genre humain. Mais dans une querelle entre des fauvages entierement nuds & une des nations les plus bel-liqueufes de l'Europe, o la fcience, le courage & la difcipline toient d'un ct, & la timidit,l'ignorance & le dfordre de l'autre, un dtail circonftanci des vnemens feroit auffi peu agrable qu'inftructif.,

    Si la fimplicit & l'innocence des Indiens , veillant l'humanit dans le cur des Efpagnols, euffent tourn en un fentiment de piti l'orgueil de la fupriorit & les euffent engags inftruire les ha-bitans du nouveau monde au lieu

    A iij

  • 6 L'HISTOIRE

    de les opprimer, l'hiftorien pourroit raconter fans horreur quelques actes de violence qui reffem-bleroient aux chtimens trop ri-goureux infligs par des matres impatiens des leves indociles. Mais malheureufement ce fentiment de la fupriorit s'exera d'une manire bien diffrente : les Ef-pagnols avoient tant d'avantages de toute efpece fur les Naturels de l'Amrique qu'ils les regardoient avec mpris , comme des tres d'une nature infrieure pour qui les droits & les privilges de l'hu-manit n'toient pas faits. Dans la paix ils les fournirent l'efclavage; dans la guerre ils n'eurent aucun gard ces loix qui par une con-vention tacite entre les nations en-nemies, reglent les droits de la guer-re , & mettent quelques bornes fes fureurs. Les Amricains ne furent point traits comme des hommes qui combattent pour dfendre leur libert, mais comme des efclaves rvolts contre leurs matres. Ceux

    1505

  • DE L'AMRIQUE. 7

    de leurs Caciques qui tomboient 1505. entre les mains des Efpagnols toient condamns comme des chefs de brigands aux plus cruels & aux plus infames fupplices; & tous leurs fujets , fans aucun gard aux rangs tablis parmi eux,toient galement rduits la plus abjecte fervitude. C'efl avec de femblables difpofi-tions que l'on attaqua le Cacique de Higuey , province fitue l'ex-trmit orientale de l'ifle. Cette guerre fut une fuite de la perfidie des Efpagnols qui violerent le trait qu'ils avoient fait avec les Naturels ; & elle fe termina par le meurtre du Cacique, qui fut pendu pour avoir dfendu fon peuple avec une bravoure fuprieure celle de fes compatriotes & digne d'un meilleur fort (1).

    Ovando l comporta dans une Conduite autre partie de l'ifle d'une manire cruelle & encore plus cruelle & plus perfide, perfide

    d'Ovan-( 1 ) Herrera decad. I, Lib. VI, chap. 9, do.

    10. A iv

  • 8 L'HISTOIRE

    La province qu'on appellot an-ciennement Xaragua , & qui s'-tendoit depuis la plaine fertile o Leogane eft aujourd'hui fitu , juf-qu' l'extrmit occidentale de l'ifle,

    ctoit foumife la domination d'une femme nomme Anacoana , chrie & refpette de fes fujets. Par une fuite de ce got trs - vif que les femmes d'Amrique avoient pour les Europens & dont on expliquera la caufe dans la fuite , Anacoana avoit toujours recherch l'amiti des Efpagnols & les avoit combls de bons offices ; mais quelques-uns des partifans de Roldan s'tant tablis dans fon pays furent telle-ment irrits des moyens qu'elle prit pour rprimer leurs excs, qu'ils l'accuferent d'avoir form le deffein de fecouer le joug & d'ex-terminer les Efpagnols. Ovando , quoique bien perfuad du peu de confiance que mritoit le t-moignage de ces hommes corrom-pus , marcha fans autres informa-tions vers Xaragua avec trois cens

    1505

  • DE L'AMRIQUE. 9

    hommes d'infanterie & foixanf- s dix cavaliers ; mais pour empcher que cette expdition militaire ne rpandt d'avance l'alarme parmi les Indiens, il annona que fon in-tention toit de faire une vifite ref-pectueufe Anacoana, qui les Efpagnols avoient tant d'obliga-tion , & de rgler avec elle la ma-niere dont on leveroit le tribut exi-g pour le roi d'Efpagne. Anacoa-na , s'empreffant de traiter un hte fi diftingu avec les gards qui lui toient ds , affembla les hommes principaux de fes domaines au nombre de trois cens ; & s'avanant leur tte , fuivie d'une foule nombreufe des autres habitans, elle reut Ovando au milieu des chants & des danfes, felon la coutume du pays, & le conduifit enfuite dans le lieu qu'elle habitoit. Il y. fut trait pendant quelques jours avec tous les foins de la fimple hofpitalit ; elle l'amufoit des jeux & des fpec-tacles en ufage chez les Amricains dans les occafions de fte & de

    A v

    1505

  • 10 L'HISTOIRE 1505. rjouiffance. Au milieu de la f-

    curit que cette conduite infpiroit Anacoana, Ovando mditoit la deftruction de cette reine innocente & de fon peuple , & la barbarie de fon projet ne peut tre gale que par la baffe perfidie avec laquelle il l'excuta. Sous prtexte de don-ner aux Indiens la reprfentation d'un tournois europen, il s'a-vana avec fes troupes ranges en bataille, vers la maifon o toient affembls Anacoana & les chefs de fa fuite. L'infanterie s'empara de toutes les avenues qui conduifoient au village, pendant que la cavalerie inveftiffoit la maifon. Ces mouve-mens n'exciterent d'abord que l'ad-miration fans aucun mlange de crainte , jufqu' un fignal qui avoit t concert : les Efpagnols tirerent tout coup leurs pes & fon-dirent fur les Indiens fans defenfe ,

    & tonns d'une trahifon laquelle ne pouvoient pas s'attendre des hommes fimples & confians. ON s'affura auffitt d'Anacoana, Tous

  • DE L'AMRIQUE. 11

    ceux qui la fuivoient furent faifis 1505. & chargs de liens ; on mit le feu la maifon , & fans examen ni preuves, tous ces infortuns qui toient les perfonnes les plus con-fidrables du pays furent confums par les flammes. Anacoana fut r-ferve un deftin plus ignominieux. On la tranfporta enchane Saint-Domingue , o aprs la formalit d'une procdure faite devant les juges Efpagnols, elle fut condamne tre pendue publiquement fur le tmoignage des mmes hommes qui l'avoient trahie (1).

    Intimids & humilis par le traite- Rduc-ment atroce qu'on faifoit fubir tion des aux princes & aux perfonnages les Indes. Ce plus refpects du pays, les habitans QUI de toutes les provinces d'Hifpaniolarfuhe. fe fournirent fans rfiftance aux joug des Efpagnols. A la mort d'I-fabelle , tous les reglemens qu'elle

    ( 1 ) Oviedo , Lib. III, c. 12. Herrara dec. 1 , Lib. VI, c. 4. Relacion. de def-truyc. de Las indias par Bart. de las Cafas, pag. 8.

    A vj

  • 12 L'HISTOIRE avoit faits pour adoucir le malheur

    1505. de leur fervitude furent, oublis. On retira la petite gratification qu'on leur payoit comme le falaire de leur travail, & en mme - tems on augmenta les charges qu'on leur

    1506. impofoit. Ovando n'tant plus re-tenu par rien, partagea les Indiens entre fes amis dans toute l'ifle.. Ferdinand , qui la reine avoit laiff par fon teftament une moiti du revenu provenant des tablifle-mens du nouveau monde, accorda, fes courtifans ds conceffions du mme genre, qu'il regardoit comme la manire la moins onreufe de rcompenfer leurs fervices. Ceux-ci affermoient les Indiens dont ils toient devenus les propritaires ceux de leurs concitoyens qui toient tablis Hifpaniola ; ces peuples malheureux tant contraints par la force de farisfaire la rapacit des uns & des autres , les exactions de leurs oppreffeurs n'eurent plus de bornes. Mais cette police barbare, quoique funefte aux: ha-

  • DE L'AMRIQUE. 13 bitans de 1'ifle , produifit pendant quelque terns des effets trs-avan-tageux aux Efpagnols. En raffem-blant ainfi les forces d'une nation fiere pour les diriger vers un mme objet, on parvint pouffer l'ex-ploitation des mines, avec une ra-pidit & un, fuccs prodigieux. Pendant plufieurs annes l'or qu'on apportoit aux fontes royales d'Hif-paniola montoit . quatre cent foi-xante mille pezos par an, (environ deux millions quatre cens mille li-vrestournois) , ce qui doit parotre une fomme prodigieufe, fi l'on fait attention la grande augmentation: de valeur que l'argent a acquife de-puis le commencement du feizieme fiecle jufqu' ce moment-ci.On vit des Colons faire tout coup des fortunes immenfes , & d'autres dif-fiper auffi rapidement, par une faf-tueufe profufion les trfors qu'ils avoient amaffs avec tant de facilit. Attirs par cet exemple, de nou-veaux aventuriers, fe porterent en? foule en Amrique , impatiens de

    1506

  • 14 L'HISTOIRE 1506. partager les trfors qui enrichif-

    foient leurs compatriotes , & la colonie continua de s'accrotre malgr la mortalit qu'y occafion-noit l'infalubrit du climat (I).

    Progrs Ovando gouvernoit les Efpagnols de la co- avec une fageffe & une juftice peut-lonie. tre gale la cruaut avec laquelle

    il traitoit les Indiens. Il tablit des loix quitables , & en les faifant excuter avec impartialit , il ac-coutuma la colonie les refpecter. Il fonda plufieurs villes nouvelles en diffrentes parties de l'ifle, & y attira des habitans par la conceffion de divers privilges. Il chercha les moyens de porter l'attention des Efpagnols vers quelque branche d'induftrie plus utile que celle de chercher de l'or dans les mines. Quelques cannes de fucre ayant t apportes des rfles Canaries , dans la vue feulement de faire une ex-prience , la richeffe du fol & la

    ( i ) Herrera dec. I, Lib. VI , c. 18, &.

  • DE L'AMRIQUE. 15 fertilit du climat parurent fi favo- 1506. rabies cette culture qu'on fongea bientt en faire un objet de com-merce. On vit fe former de vaftes plantations ; on tablit des moulins fucre , que les Efpagnols appel-loient ingeniofe , caufe de leur mchanifme compliqu ; enfin en peu d'annes la fabrication du fucre fut la principale occupation des ha-bitans d'Hifpaniola & la fource la plus abondante de leur richeffe (I).

    Les fages mefures que prenoit Ovando pour accrotre la profp-rit de la colonie furent puiffamment fecondes par Ferdinand. Les fom-mes confidrables que ce prince recevoit du nouveau monde lui ouvrirent enfin les yeux fur l'im-portance de ces dcouvertes, qu'il avoit jufqu'alors affect de regarder avec ddain. Il toit parvenu par fon habilet & par des circonftances heureufes furmonter les embarras 1507. o l'avoient jette la mort d'Ifabelle

    (I) Oviedo , Lib. IV, c. 8 , p. 6, &c.

  • 16 L'HISTOIRE fes difputes avec fon gendre pouf

    le gouvernement des tats de cette princeffe (I). Il employa le loifir dont il jouiffoit s'occuper des affaires de l'Amrique ; c'eft fa prvoyance & fa fagacit que l'Efpagne doit plufieurs des regle -mens qui ont form par degrs ce fyftme de politique profonde & jaloufe par lequel elle gouverne fes domaines dans le nouveau monde. Il tablit un tribunal , connu fous le titre de Cafa de contratation ou Bureau de commerce , compof d'hommes diftingus par leur rang & par leurs talens qui il confia l'adminiftration des affaires am-ricaines. Ce bureau s'affembloit r-gulierement Sville & exeroit une jurifdiction particuliere & trs-tendue Ferdinand donna une forme rguliere au gouvernement ec-clfiaftique d'Amrique , en nom-mant des archevques, des vques, des doyens. & des ecclfiaftiques

    (I) Hiftoire du regne de Charles V.

    1506.

  • DE L'AMRIQUE. 17 infrieurs , pour veiller fur les Ef-pagnols qui y toient tablis, ainfi que fur ceux des naturels qui em-brafferoient la foi chrtienne. Mais malgr la dfrence & le refpect de ta cour d'Efpagne pour le fiege de Rome, Ferdinand fentit l'impor-tance d'empcher toute puiffance trangre d'tendre fa jurifdiction ou fon influence fur fes nouveaux domaines; en confquence il rferva la couronne d'Efpagne le droit exclufif de patronage pour les bn-fices de l'Amrique, & ftipula qu'au-cune bulle ou ordonnance du pa-pe n'y feroit promulgue qu'aprs avoir t pralablement examine & approuve par fon confeil. Ce fut par le mme efprit de jaloufie qu'il dfendit qui que ce fut de s'tablir en Amrique, ou d'y exporter aucune efpece de mar-chandife , fans une permiffion fpciale de ce mme confeil (1).

    (1) Herrera, decad. 1, Lib. VI , C. 12, 20.

    1507.

  • 18 L'HISTOIRE Malgr l'attention que ce prince

    1507. donnoit la police & la profp-Diminu- rite de la colonie, elle fe trouva me-

    tion ra-pide du nace par un accident imprvu nombre d'une destruction prochaine. Les des In- naturels de l'ifle, fur le travail def-diens. quels les Efpagnols avoient compt

    pour leur fuccs & mme pour leur exigence, fe dtruifoient avec tant de rapidit que l'extinction de la race entiere paroiffoit invitable, Lorfque Colomb dcouvrit Hif-paniola , on y comptoit au moins un million d habitans ( I ) ; dans l'efpace de quinze ans, ils fe trou-verent rduits foixante mille. Cette prodigieufe diminution de l'efpece humaine rfultoit du con-cours de diffrentes caufes. Les na-turels des ifles de l'Amrique tant d'une constitution plus foible que les habitans de l'autre hmifphre, ne pouvoient ni excuter les mmes travaux , ni fupporter les mmes fatigues que des hommes dous

    (I) Herrera , decad. I , Lib. X, c. 12.

  • DE L'AMRIQUE. 19

    d'une organisation plus vigoureufe. L'indolence & l'inaction dans la-quelle ils fe plaifoient paffer leur vie, tant l'effet de leur foibleffe

    & contribuant en mme - tems l'augmenter , les rendoit par habi-tude autant que par nature inca-pables de tout effort pnible. Les alimens dont ils fubfiftoient toient peu nourriffans ; ils n'en prenoient qu'en petite quantit & cette nour-riture n'toit pas fuffifante pour fortifier des corps dbiles & pour les mettre en tat de foutenir les travaux de l'induftrie. Les Efpagnols faifant peu d'attention cette conf-titution particuliere des Amricains, leur impofoient des tches fi dif-proportionnes leur force qu'on en voyoit un grand nombre fuc-comber la peine & prir d'puife-ment. D'autres s'abandonnant au dfefpoir terminoient eux-mmes leurs mifrables jours. Une partie de ces peuples ayant t obligs d'a-bandonner la culture des terres pour aller travailler dans les mines,

    1507.

  • 20 L'HISTOIRE 1507. la difette des fubfiftances amena la

    famine qui en fit prir un grand nombre. Pour completer la d-folation de l'ifle, les habitans furent attaqus de diffrentes maladies f dont les unes toient occasionnes par les fatigues auxquelles on les condamnoit , & les autres toient l'effet de leur commerce avec les Europens. Les Efpagnols fe voyant ainfi privs par degrs des bras dont ils toient accoutums fe fervir, il leur fut impoffible d'-tendre plus loin le progrs de leur tabliffement, & mme de con-tinuer les ouvrages qu'ils avoient commencs. Pour apporter un

    1508. prompt remede un tat fi alarmant, Ovando propofa de tranfporter Hifpaniola les habitans des ifles Lucayes, fous prtexte qu'il feroit plus aif de les civilifer & de les inftruire dans la religion chrtienne lorfqu'ils feroient unis la colonie Efpagnole , fous l'infpection im-mdiate des millionnaires qui y

  • DE L'AMRIQUE. 21 toient tablis. Ferdinand, tromp par cet artifice , ou difpof peut-tre fe prter un acte de vio-lence que la politique lui repr-fentoit comme nceffaire, confen-tit la proportion. On quipa plufieurs vaiffeaux pour les Lu-cayes ; les comrnandans , qui fa-voient la langue du pays , dirent aux habitans qu'ils yenoient d'une contre dlicieufe o rfidoient leurs anctres dfunts que ceux-ci les invitoient s'y rendre afin de partager le bonheur dont ils jouiffoient. Ces hommes fimples & crdules coutoient avec admira-tion ces rcits merveilleux ; em-preffs d'aller voir leurs parens & leurs amis dans l'heureufe rgion dont on Leur parloit, ils fuivirent avec plaifir les Efpagnols. Cet arti-fice en fit paffer quarante mille Hifpaniola, o ils allerent partager les fouffrances qui toient le partage des habitans de l'ifle, & mler leurs pleurs & leurs gmiffemens avec

  • 22 L'HISTOIRE

    ceux de cette race infortune (I). Les Efpagnols avoient pendant

    Dcou- quelque tems pouff leurs travaux verte nou- dans les mines d'Hifpaniola avec veaux tant d'ardeur & de fuccs que cet tabliffe- objet paroiffoit avoir abforb toute mens. leur attention. L'efprit de d-

    couverte languiffoit, & depuis le dernier voyage de Colomb aucune entreprife de quelqu'importance n'avoit t forme. Mais la diminu-tion des Indiens faifant fentir l'im-poffibilit de s'enrichir dans cette rfle avec autant de rapidit qu'au-paravant , cette considration d-termina les Efpagnols chercher des contres nouvelles o leur avi-dit put trouver fe fatisfaire avec plus de facilit. Juan Ponce de Leon, qui commandoit fous Ovando dans la partie orientale d'Hifpaniola , paffa dans l'ifle de Saint-Jean - de-Porto-rico que Colomb avoit d-

    (I) Herrera , decad. I, Lib. VII, c. 3. Oviedo, Lib. III, c. 6. Comera, Hift. c. 41.

    1508.

  • DE L'AMRIQUE. 23

    couverte fon fecond voyage , & 1508. pntra dans l'intrieur du pays. Comme il trouva un fol fertile & que d'aprs quelques indications & le tmoignage des habitans, il eut lieu d'efprer qu'on pourrit dcouvrir des mines d'or dans les montagnes , Ovando lui permit d'effayer un tabliffement dans lifle ; ce qui fut excut fans peine par Ponce de Leon, dont la prudence galoit le courage. En peu d'annes Porto-rico fut fournis au gouvernement Efpagnol ; les na-turels rduits en fervitude furent traits avec la mme rigueur im-prudente que ceux d'Hifpaniola, & la race des premiers habitans , pui-fe par les fatigues & les fouffran-ces ft entierement extermine (I).

    Vers le mme terns , Juan Diaz de Solis , de concert avec Vincent Janez Pinfon , un des premiers

    (1) Herrera , decad. I, Lib. VII, c. I , 4. Cornera , Hift. c. 44. Relacion de B. de Las Cafas, p. 10.

  • 24 L'HISTOIRE compagnons de Colomb , fit un voyage au continent. Ils fuivirent jufqu' l'ifle de Guanaios la mme route que Colomb avoit prife ; mais tournant del l'oueft, ils d-couvrirent une nouvelle & vafte province connue depuis fous le nom de Jucatan, & longerent une grande partie de la cte de ce pays (I). Quoique cette expdition n'ait t marque par aucun vne-ment mmorable, elle mrite qu'on en faffe mention , parce qu'elle conduifit des dcouvertes de plus grande importance. C'eft pour la mme raifon qu'on doit rappeller le voyage de Sebaftien de Ocampo. Il fut charg par Ovando de tour-ner Cuba , & il reconnut le pre-mier avec certitude que ce pays regard autrefois par Colomb com-me une partie du continent, n'toit qu'une grande ifle (2).

    (I) Herrera, decad. I , Lib. VI, c. 17.

    (2) Herrera, decad. I, Lib. VII, c. I Cette

    1508.

  • DE L'AMRIQUE. 25 Cette expdition autour de Cuba 1508.

    fut un des derniers incidens du gou- Diego vernement d'Ovando. Depuis la Colomb mort de Colomb, Don Diego fon eft nom-fils ne ceffoit de folliciter Ferdi-nand de lui accorder les charges de d'Hifpa-vice-roi & d'amiral dans le nou- niola. veau monde , avec tous les pri-vileges & les bnfices dont il de-voit hriter en confquence de la capitulation primitive faite avec fon pere. Mais fi ces dignits & les re-venus qui y toient joints avoient paru fi confidrables Ferdinand, qu'il n'avoit pas craint de paffer pour injufte & ingrat en les tant Colomb , il n'eft pas furprenant qu'il tut alors peu dilpof les ac-corder au fils. Auffi Don Diego confuma deux annes entieres en de vaines & continuelles follicitations. Fatigu de l'inutilit de fes dmar-ches , il tenta enfin de fe procurer par une fentence lgale ce qu'il ne pouvoit obtenir de la faveur d'un prince intrefi. Il intenta une action contre Ferdinand devant le.

    Tome II, B

  • 26 L'HISTOIRE confeil charg d'adminiftrer les af-faires de l'Inde ; & ce tribunal avec une intgrit bien honorable pour ceux qui le compofoient, rendit un jugement contre le roi , & con-firma les droits de Don Diego la vice-royaut & aux autres privileges ftipuls dans la capitulation. Mal-gr ce dcret, la rpugnance que devoit avoir Ferdinand mettre un fujet en poffeffion d'une autorit fi confidrable auroit pu faire natre de nouveaux obftacles , fi Don Diego n'avoit pas trouv un moyen d'intreffer des perfonnes trs-puif-fantes au fuccs de fes prtentions. La lenience du confeil des Indes lui donnoit droit un rang fi lev & une fi haute fortune qu'il lui fut aif de conclure un mariage avec Pona Maria , fille de Don Ferdinand de Tolede , grand com-mandeur de Leon & frere du duc d'Albe, grand du royaume de la premiere claffe &: alli de prs au roi. Le duc & fa famille pouferent avec tant de chaleur la caufe de

  • DE L'AMERIQUE. 27 leur nouvel alli que Ferdinand ne

    1508.

    put pas rfifter leurs follicitations. Il rappella Ovando & nomma pour lui fuccder Don Diego ; mais m-me en lui accordant cette faveur il ne put pas cacher fa jaloulie ; car il lui permit feulement de prendre le titre de gouverneur, non celui de vice-roi, quoique le conf.il eut dcid que ce dernier titre appar-tenoit Don Diego (I).

    Il partit bientt pour Hifpaniola, Il fe rend accompagn de fon frere , de fes a Hefpa-oncles , de fa femme , qui par la niola. courtoifie des Efpagnols fut honore du titre de vice-reine , & d'un cor- -tge nombreux de perfonnes de l'un &. l'autre fexe, nes de familles diftingues. Don Diego vcut avec une magnificence & un fafte in-connu jufqu'alors dans le nouveau monde, & la famille de Colomb parut enfin jouir des honneurs & des rcompenfes que fon gnie crateur avoit fi bien mrits &

    (I) Herrera , decad. I, lib. VII, c. 4. B ij

    1508.

    1509.

  • 28 L'HISTOIRE dont il avoit t fi cruellement priv. La colonie elle-mme acquit un nouvel clat par l'arrive de ces nouveaux habitans d'un caractre & d'un rang Suprieurs celui de prefque tous ceux qui avoient paff jufqu'alors en Amrique ; jplufieurs des familles les plus illus-tres tablies dans les colonies Ef-pagnoles font defcendues des per-sonnes qui avoient accompagn Don Diego Colomb cette po-que (I).

    Ce changement de gouverneur ne fut d'aucune utilit pour les mal-heureux habitans. Don Diego fut non-feulement autorif par un dit royal continuer les repartimientos ou distributions d'Indiens; mais on Spcifia mme le nombre prcis qu'il pouvoit en accorder chaque perfonne felon le rang qu'elle avoit dans colonie. Il fe prvalut de petit permiffion , & bientt aprs

    (I) Oviedo, lib. III, c. I. Herrera, decad. I, lib. VII, c. 10, Hift. c. 78.

    1509.

  • DE L'AMRIQUE. 29 fon dbarquement Saint-Domin-1509. gue, il partagea entre les parens & ceux qui l'avoient fuivi ceux des Indiens qui n'avoient encore t Pcherie deftins perfonne (I). d

    es per-

    Le nouveau gouverneur s'occupa bag

    ua. enfuite fuivre l'inftruction qu'il avoit reue du roi pour l'tabliffe-ment d'une colonie Cubagua ,-petite ifle que Colomb avoit d-couverte fon troifieme voyage. Quoique ce ft un terrain ftrile qui pouvoit peine fournir la fubfif-tance de fes mifrables habitans , on trouvoit fur fes ctes une fi grande quantit de ces hutres qui produisent les perles, que cette ifle ne put pas chapper aux recher-ches des avides Efpagnols qui s'y porterent bientt en foule. Il fe nt des fortunes confidrables par la pche des perles, qui fut fuivie avec une ardeur extraordinaire. Les In-diens , fur - tout ceux des ifles Lu-

    (I) Recopilacion de Leyes, lib. VI, sit. 8, liv. I , 2. B iij

  • L'HISTOIRE

    1509. cayes , furent obligs de plonger au fond de la mer pour y prendre ces hutres , & cette occupation auffi dangereufe que mal-faine fut une nouvelle calamit qui ne con-tribua pas peu la deftruction de cette race dvoue (I).

    Nou- Vers cette mme poque , Juan veaux Diaz de Solis & Pinfon s'embar-voyages. querent enfemble pour un fecond

    voyage. Ils cinglerent directement au fud, vers la ligne quinoxiale que Pinfon avoit prcdemment tra-verfe, & ils s'avancerent jufqu'au quarantieme degr de latitude m-ridionale. Ils furent tonns de trouver que le continent de l'Am-rique s'etendoit leur droite travers toute cette tendue de l'ocan. Ils dbarquerent en diff-rens endroits , pour en prendre poffeffion au nom de leur fouverains mais quoique le pays leur part trs-fertile & les invitt s'y ar-

    (I) Herrera, decad. I , lib. VII, c. 9 Gomera, hift. c. 78.

  • DE L'AMRIQUE. 31

    rter, comme leur armement avoit t deftin faire des dcouvertes 1509. plutt que des tabliffemens , ils n'avoient pas affez de monde pour laiffer des colonies nulle part. Leur voyage fervit cependant donner aux fpagnols des ides plus juftes & plus grandes fur l'tendue de cette non velle portion du globe ( I ).

    Quoiqu'il fe ft coul plus de Premiere dix ans depuis que Colomb avoit tentative dcouvert le continent de l'Am- d'un eta-rique , les Efpagnols n'y avoient ment fur encore fait aucun tablissement. le con-Ce fut alors qu'on tenta frieufe- tinent, ment & avec vigueur ce qui avoit t fi long - tems nglig ; mais le plan de cette entreprife ne fut ni form par la couronne ni excut aux dpens de la nation ; ce fut l'ouvrage de l'audace & des fp-culations de quelques aventuriers. La premiere ide de ce projet vint, d'Alonzo d'Ojeda , qui avoit dj fait deux voyages pour tenter des

    (I) Herrera,decad. I, lib. VII, c. 9 B iv

  • 32 L'HISTOIRE

    dcouvertes & qui s'y toit acquis une grande rputation mais fansfor-tune. L'opinion qu'il avoit donne de fon courage & de fa prudence lui procura aifment des affo-cis qui firent les fonds nceffaires pour les dpenfes de l'expdition. Vers le mme tems, Diego de Ni-cuefTa qui avoit fait une grande for-tune Hifpaniola, forma un fem-blable deffein.Ferdinand encouragea l'un & l'autre; il ne voulut pas il eft vrai leur avancer la plus lgere fomme ; mais il leur prodigua les litres & les patentes-. Il rigea deux gouvernemens fur le continent , dont l'un s'tendoit depuis le cap de Vela jufqu'au golfe de Darien , & l'autre depuis ce golfe jufqu'au cap Gracias Dios. Le premier fut donn Ojeda , le fecond NicuefTa. Ojeda quipa un vaiffeau & deux brigantins , monts de trois cents hommes , & NicuefTa fix vaiffeaux avec fept cents quatre-vingts hommes. Ils mirent la voile de Saint-Domingue vers le mme

    1509.

  • DE L'AMRIQUE. 33

    tems pour fe rendre leurs gou- , vernemens respectifs. Afin de donner quelqu'apparence de validit leurs titres de proprit fur ces contres, plufieurs des plus clebres tholo-giens & jurifconfultes d'Efpagne furent employs prefcrire la maniere dont on devoit en prendre poffeffion (I). L'hiftoire du genre humain n'offre rien de plus fingulier ni de plus extravagant que la forme qu'ils imaginerent pour remplir cet objet. Les chefs des deux expdi-tions devoient, en dbarquant fur le continent , annoncer aux naturels les principaux articles de la foi chrtienne ; les informer en par-ticulier de la jurifdiction fuprme du pape fur tous les royaumes de la terre ; les inftruire de la concef fion que le faint pontife avoit faite de leur pays au roi d'Efpagne ; les-requrir d'embraler les dogmes de-cette religion qu'on leur faifoit con-notre & de fe foumettre au fou-

    (I) Herrera, decad. I, lib. VII , c. 15. B v

    1509.

  • 34 L'HISTOIRE

    verain dont on leur annonoit l'au-torit. S'ils refuloient d'obir cette fommation , dont il toit impoffible un Indien de com-prendre feulement les termes, alors Ojeda & NicuefTa toient autorifs les attaquer avec le fer & le feu ; les rduire en fervitude, eux, leurs femmes & leurs enfans ; les obliger par la force reconnoitre la jurifdiction de l'glife & l'autorit du roi d'Efpagne, puisqu'ils ne vouloient pas le faire volontaire-ment (I).

    Dfaftres Il toit difficile aux habitans du qui naif continent de donner tout d'un coup fent de leur affentiment une doctrine cette en-trop fubtile pour des efprits Sans treprife. culture & qui leur toit explique

    par des interprtes peu inftruits de leur langue ; il ne leur toit pas plus aif de concevoir comment un prtre tranger, de qui ils n'avoient jamais entendu parler pouvoit avoir quelque droit de difpofer de leur pays , ni comment un prince in-connu pouvoit s'arroger une iurif-

    (I) Voyer la NOTE XXIII.

    1509.

  • DE L'AMRIQUE. 35

    diction fur eux comme fur fes fujets ; auffi s'oppoferent-ils vigou-reufement l'invafion de leurs ter-ritoires. Ojeda & Nicueffa tcherent d'excuter par la force ce qu'ils ne pouvoient obtenir par la perfuafion. Les crivains contemporains ont rapport leurs oprations avec le plus grand dtail ; mais comme ils n'ont fait aucune dcouverte im-portante ni fond aucun tabliffe-ment permanent, ces vnemens ne mritent pas de tenir une place confidrable dans l'hiftoire gnrale d'une poque, o une valeur ro-manefque luttant fans ceffe contre des difficults incroyables, diftingue toutes les entreprifes des armes efpagnoles. Les habitans des pays dont Ojeda & Nicueffa alloient prendre le gouvernement, fe trou-verent tre d'un caractere fort dif-frent de celui des habitans des ifles. Ils toient guerriers & froces. Leurs fleches toient trempes dans un poifon fi violent que chaque bleffure toit fuivie d'une mott

    B vj

    1509.

  • 36 L'HISTOIRE certaine : dans un feul combat ils taillerent en pieces plus de foixante-dix des compagnons d'Ojeda , & pour la premiere fois les Efpagnols apprirent redouter les habitans du nouveau monde. Nicueffa trouva de fon ct un peuple galement dtermin dfendre fes poffeffions & dont rien ne put adoucir la f-rocit. Quoique les Efpagnols euf-fent recours toute forte de moyens pour les flatter & pour gagner leur confiance, ils refuferent de former aucune liaifon & d'en-trer en aucun commerce d'amiti' avec des trangers dont ils regar-doient la rfidence parmi eux comme funefte leur libert & leur indpendance. Quoique cette haine implacable des naturels rendt aufi difficile que dangereufe la for-mation d'un tabliffement dans leur pays , la perfvrance des Efpa-gnols, la fupriorit de leurs armes & leur habilet dans l'art de la guerre auroient pu avec le tems fur-monter cet obftacle ; mais tous les

    1509.

    1510.

  • DE L'AMRIQUE. 37

    dfaftres qu'on peut imaginer s'ac- 1510. cumulerent fur eux & parurent fe combiner pour combler leur ruine. La perte de leurs vaiffeaux que di-vers accidens firent prir fur une cte inconnue; les maladies particu-lieres un climat, le plus mal-fain de toute l'Amrique ; le dfaut de fub-fiftance invitable dans un pays mal cultiv; les divifions qui s'leverent entr'eux , & les hoftilits conti-nuelles des habitans les envelop-perent dans une fucceffion de ca-lamits dont le fimple rcit fait fr-mir d'horreur. Quoiqu'ils euffent reu d'Hifpaniola deux renforts confidrables, la plus grande partie de ceux qui s'toient engags dans cette malheureufe expdition, p-rirent en moins d'un an dans la plus affreufe mifere. Le petit nombre de ceux qui furvcurent formerent une foible colonie Santa-Maria et Antigua fur le golfe de Darien , fous le commandement de Vafco Nugns de Balboa, qui dans les oc-cafions les plus critiques dploya-

  • 38 L'HISTOIRE un caractere de valeur & de pru-dence qui lui mrita d'abord la confiance de fes compatriotes & le dfigna pour tre leur chef dans des entreprifes plus brillantes & plus heureufes. Ce n'toit pas le feul Efpagnol de cette expdition qui ft deftin fe montrer enfuite avec clat dans des fcenes plus im-portantes. Franois Pizarre toit un des compagnons d'Ojeda ; ce fut cette cole d'adverfit qu'il ac-quit ou perfectionna les talens aux-quels on doit les actions extraor-dinaires qu'il excuta dans la fuite Ferdinand Corts, dont le nom eft devenu encore plus fameux, s'toit engag de bonne heure dans cette entreprife qui avoit fait prendre les armes toute la jeuneffe valeu-reufe d'Hifpaniola ; mais le bon-heur confiant qui l'accompagna dans fes aventures poftrieures, le droba dans celle-ci aux dfaftres auxquels les compagnons furent expofs. Il tomba malade Saint-Domingue avant le dpart de la

  • DE L'AMRIQUE. 39

    flotte & cette indifpofition l'empe- l510. cha de s'embarquer (I).

    L'iffue malheureufe de cette ex- Con-pdition ne dcouragea point les qute de Efpagnols & ne les empcha point Cuba. de former de nouvelles entre-prifes du mme genre. Lorfque les richeffes s'acquierent graduellement par la perfverance de l'induftrie ou s'accumulent par les lentes opra-tions d'un commerce rgulier, les moyens qu'on emploie font telle-ment proportionns leur effet qu'il n'en rfulte rien qui puifle frap-per l'imagination & exciter les facults actives de l'ame des efforts extraordinaires. Mais lorfqu'on, voyoit de grandes fortunes s'lever prefque dans un infiant'; lorfqu'on voyoit l'or & les perles s'changer pour des bagatelles ; lorfque les pays o fe trouvoient ces prcieu-fes productions dfendus feule-ment par des fauvages, devenoient

    (I) Herrera , decad. I, lib. VII, c. 2 , &c. Gomera, hift, c. 57, 58, 59. Benzon, hift. lib. I, c. 19-23, P. Martyr. dec. 122.

  • 40 L'HISTOIRE la proie du premier aventurier qui avoit de l'audace , des cir-conftances fi extraordinaires fi fduifantes ne pouvoient man-quer d'enflammer l'efprit entrepre-nant des Efpagnols & de les prci-piter en foule dans cette nouvelle route ouverte aux richeffes & aux honneurs. Tant que cet efprit con-ferva fa force & fon ardeur, toutes les tentatives de dcouverte ou de conqute furent applaudies & de nouveaux aventuriers s'y enga-gerent l'envi les uns des autres. Les paffions des nouvelles entre-prifes , qui caractrifent cette po-que des dcouvertes la fin du quinzime & au commencement du feizieme fiecles, auroient fuffi pour empcher les Efpagnols de s'arrter dans leur carriere ; mais des v-nemens arrivs dans le mme tems Hifpaniola, concoururent ten-dre leur navigation & leurs con-qutes. La rigueur avec laquelle on avoit trait les habitants de cette

    ifle en ayant prefqu'entierement

    1510.

  • DE L'AMRIQUE. 41 teint la race, plufieurs des Colons Efpagnols fe virent dans l'impoffi-bilit, comme je l'ai dj obferv y de continuer leurs travaux avec la mme vigueur & le mme avan-tage , & furent obligs de chercher des tabliffemens dans quelques pays o les naturels n'euffent pas t dtruits par l'opreffion. D'au-tres entrans par cette lgeret inconfidre, fi naturelle aux hom-mes qui font des fortunes rapides, avoient diffip par une folle prodi-galit ce qu'ils avoient acquis fans peine, & la nceffit les foroit s'engager dans les entreprifes les plus hafardeufes pour rtablir leurs affaires. Lorfque Don Diego Co-lomb fe propofa de conqurir l'ifle de Cuba & d'y tablir une colonie, les diffrentes caufes que je viens d'expofer dterminerent plufieurs des Colons les plus diftingus d'Hif-paniola entrer dans ce projet. Il confia le commandement des trou-pes deftines pour l'expdition Diego Velafqus qui avoit ac-

    1510.

  • 42 L'HISTOIRE 1512. compagne fon pere dans fon fecond

    voyage & qui toit depuis longtems tabli Hifpaniola, o il avoit fait une fortune confidrable, avec une rputation fi diftingue d'habilet & de prudence que perfonne ne paroiffoit plus propre conduire une expdition importante. Trois cens nommes parurent fuffifans pour faire la conqute d'une ifle trs-peuple & qui avoit plus de fept cent milles de longueur ; mais les naturels en croient auffi peu bel-liqueux que ceux d'Hifpaniola. Us furent intimids par la feule vue de leurs nouveaux ennemis & ils n'-toient prpars faire aucune rfif-tance : quoique depuis le tems o les. Efpagnols avoient pris poffef-fion de l'ifle voifine, ils duffent s'attendre une defcente fur leur territoire , aucune des petites bour-gades entre lefquelles Cuba toit partag, n'avoit fait des difpofi-rions pour fe dfendre ; elles n'a-voient pris aucune mefure pour la sret commune. La feule op-

  • DE L'AMRIQUE.

    pofition que les Efpagnols rencon- 1511. trerent, fut de la part de Hatuey , Cacique qui s'toit enfui d'Hif-paniola & avoit pris poffeffion de l'extrmit orientale de Cuba. Il fe mit fur la dfenfive leur premier dbarquement & tcha de les re-pouffer vers leurs vaiffeaux; mais fa foible troupe fut bientt rompue & difperfe , & le Cacique lui-mme ayant t fait prifonnier , Velafqus , fuivant la barbare ma-xime des Efpagnols , le regarda comme un efclave qui avoit pris les armes contre fon matre & le condamna tre brl. Lorfque Hatuey fut attach au poteau , un moine Francifcain s'efforoit de le convertir , en lui promettant qu'il jouiroit fur le champ de toutes les dlices du ciel s'il vouloit embraf-fer la foi chrtienne. Y a-t-il quel-ques Efpagnols, dit Hatuey aprs un moment de filence , dans ce f-jour de dlices dont vous me parlez ? Oui, rpondit le moine , mais ceux-l feulement qui ont t

    43

  • 44 L'HISTOIRE

    1511. juftes & bons. Le meilleur d'entre eux , rpliqua le Cacique indign ne pent avoir ni juftice, ni bont j je ne veux pas aller dans un lieu o je rencontrerois un feul homme de cette race maudite (I). Cet exemple effrayant de vengeance frappa les habitans de Cuba d'une fi grande terreur qu'ils tenterent peine de mettre quelqu'oppofition aux pro-grs de leurs ennemis , & Velaf-qus runit , fans perdre un feul homme cette ifle vafte & fertile la monarchie efpagnole (1).

    Dcou- La facilit avec laquelle s'excuta verte de une conqute fi importante fervit la Flo- d'aiguillon pour former d'autres en-

    treprifes. Juan Ponce de Lon , qui avoit acquis de la gloire & de la fortune par la rduction de Porto-Rico , toit impatient de s'engager dans quelqu'expdition nouvelle. Il quipa trois vaiffeaux fes frais

    (1) B. de las Cafas, p. 40. (2) Herrera , decad. I, lib. IX, c.

    9, &c. Oviedo, lib. XVII, c. 3 , P. 179.

  • DE L'AMRIQUE. 45

    pour aller tenter des dcouvertes , & fa rputation raffembla bientt fa fuite un corps nombreux d'a-venturiers. Il dirigea fa route vers les ifles Lucayes , & aprs avoir touch quelques-unes de ces ifles, ainfi qu' celle de Bahama, il cin-gla au fud-eft, & dcouvrit un pays que les Efpagnols ne connoiffoient pas encore , & auquel il donna le nom de Floride ; foit parce qu'il le reconnut le jour du dimanche d s rameaux, foit caufe de l'afpect agrable & gai que lui offrit le pays mme. Il effaya de dbarquer en diffrens endroits ; mais l'oppofi-tion vigoureufe qu'il prouva de la part des habitans , qui toient froces & guerriers, lui fit fentir la nceffit d'avoir des forces plus confidrables pour y former un tabliffement. Content d'avoir ou-vert une communication avec un pays nouveau , far la richeffe & i'importance duquel il fondoit de grandes efprances, il retourna Porto-Rico par le canal, connu au-

    1512.

  • 46 L'HISTOIRE jourd'hui fous le nom de golfe de

    1511. la Floride. Ce ne fut pas feulement le defir

    de dcouvrir des contres nouvel-les qui engagea Ponce de Lon entreprendre ce voyage ; il y fut dtermin auffi par une de ces ides chimriques qui le mloient alors l'efprit de conqute & y donnoient plus d'activit. Il y avoit parmi les habitans de Porto-Rico une tradi-tion tablie que dans rifle de Bimini, l'une des Lucayes , on trouvoit une fontaine doue de la vertu merveilleufe de rendre la jeunefle & la vigueur tous ceux qui fe

    baignoient dans fes eaux falutaires. Anims par l'efprance de trouver ce reftaurant miraculeux, Ponce de Lon & fes compagnons parcou-rurent ces ifles , cherchant avec beaucoup de peine & de follicitude, mais fans fuccs, la fontaine qui toit le principal objet de leur ex-pdition. Il n'eft pas tonnant qu'un conte fi abfurde ait pu trouver quelque crdit parmi des peuples

  • DE L'AMERIQUE. 47 fimples & ignorans tels qu'toient les naturels ; mais qu'il ait pu faire quelqu'impreffion fur des hommes clairs, c'eft ce qui parot au-jourd'hui prefqu'incroyable : le fait n'en eft pas moins certain & les hiftoriens Efpagnols les plus accr-dits ont rapport ce trait extra-vagant de la crdulit de leurs com-patriotes. Les Efpagnols toient cette poque engags dans une carriere d'activit qui en leur pr-fentant chaque jour des objets ex-traordinaires & merveilleux , de-voit donner un tour romanelque leur imagination. Un nouveau monde s'offroit leurs regards. Ils vifitoient des ifles & des continens dont les Europens n'avoient jamais imagin l'exiftence. Dans ces con-tres dlicieufes la nature fembloit fe montrer fous d'autres formes; chaque arbre , chaque plante, cha-

    ue animal toit diffrent de ceux e l'ancien hmifphere. Les Ef-

    pagnols fe crurent tranfports en des pays enchants , & aprs les

    1512.

  • 48 L'HISTOIRE

    1512

    . merveilles dont ils avoient t les tmoins, dans la premiere chaleur de leur admiration il n'y avoit rien d'affez extraordinaire pour leur parotre incroyable. Si une fuccef-fion rapide de fcenes nouvelles & frappantes put faire affez d'impref-fion fur l'efprit fage de Colomb pour qu'il le vantt d'avoir d-couvert le fiege du paradis, on ne doit pas trouver trange que Ponce de Lon ait cr dcouvrir la fon-taine de la jeuneffe (I).

    Progrs Peu de tems aprs cette expdi-de Bal- tion la Floride 7, il fe fit une d-boa dans couverte beaucoup plus impor-l'Ifthme tante dans une autre partie de l'A-

    mrique. Balboa ayant t nomm au gouvernement de la petite colo-nie de Santa-Maria dans le Darien, par le fuffrage volontaire de fes

    (I) P. Martyr, dec. p. 202. Enfaye chronol. para la hift. de la Florida , par D. Gab. Cardenas, p. I. Oviedo , lib. XVI , c. 2. Herrera , dec. I, lib. IX. c. 5 , Hift. de la conq. de la Florida , par Garc. de la Vega , lib. I, c. 3.

    affocis,

    de Da-rien.

  • DE L'AMRIQUE. 49

    affocis , fut fi empreff d'obtenir de la couronne une confirmation

    de leur choix qu'il dpcha un of-iicier en Efpagne pour folliciter une commiffion royale qui le revtt d'un titre lgal au fuprme com-mandement. Comme il fentoir ce-pendant qu'il ne pouvoit fonder le fuccs de fes efprances ni fur la

    protection des miniftres de Fer-dinand avec lefquels il n'avoit au-cune liaifon, ni fur des ngocia-tions dans une cour dont il ne connoiffoit pas les intrigues , il t-cha de fe rendre digne de la faveur

    qu'il follicitoit, par quelque fervice fignal qui lui mritt la prfrence fur fes comptiteurs. Frapp de cette ide, il fit de frquentes in-curfions dans les pays adjacents , fournit plufieurs Caciques & re-cueillit une grande quantit d'or, cmi toit plus abondant dans cette partie du continent que dans les afles. Dans une de ces incurfions les Efpagnols fe difputerent avec une telle chaleur pour le partage d'un

    Tome II. C

    1512.

  • 50 L'HISTOIRE peu d'or qu'ils furent prs de fe porter des actes de violence les uns contre les autres. Un jeune Ca-cique , tmoin de cette querelle & tonn de voir mettre un fi haut prix une chofe dont il ne devinoit pas l'utilit, renverfa avec indigna-tion l'or qui toit dans une balance,

    & fe tournant vers les Efpagnols leur dit : Pourquoi vous quereller pour fi peu de chofe? fi c'eft l'a- mour de l'or qui vous fait aban- donner votre propre pays pour avenir troubler la tranquillit des peuples qui font fi loin de vous, je vous conduirai dans un pays o le mtal qui parot tre le grand objet de votre admiration & de

    vos defirs , eft fi commun que les plus vils uftenfiles en font faits . Ravis de ce qu'ils enten-doient, Balboa & fes compagnons demanderent avec empreffement o toit cette heureufe contre & comment ils pourroient y arriver. Le Cacique leur apprit qu' la dif-tance de fix foleils, c'eft--dire, de

    1512.

  • DE L'AMRIQUE, 51

    fix jours de marche vers le fud , ils 1512 dcouvriroient un autre ocan prs duquel cette riche contre toit fitue ; mais que s'ils fe propofoient d'attaquer ce royaume puiffant, ce ne pouvoit tre qu'avec des forces trs - fuprieures celles qu'ils avoient alors (1).

    Ce fut la premiere information Projet de que reurent les Efpagnols fur le Balboa. grand ocan mridional & fur le riche & vafte pays connu enfuite Tous le nom de Prou. Balboa eut alors devant lui des objets dignes de fon ambition fans bornes & de l'audacieufe activit de fon gnie. Il conclut fur le champ que l'ocan dont parloit le Cacique toit celui que Colomb avoit cherch dans cet-te mme partie de l'Amrique, dans l'efprance de s'ouvrir par-l une communication plus directe avec les Indes orientales; & il conjectura que la riche contre dont on lui

    (1) Herrera , decad. I, lib. IX, c. 2. Gomera, C. 60, P. Martyr , dec. p. 149.

    C ij

  • 52 L'HISTOIRE faifoit la defcription devoit tre une partie de cette grande & opulente rgion de la terre. Flatt de l'ide d'excuter ce qu'un fi grand homme avoit en vain entrepris, & empreff d'effectuer une dcouverte qui ne devoit pas tre moins agrable au roi qu'utile fon pays , il attendit avec impatience le moment de partir pour cette expdition , auprs de laquelle tous fes premiers exploits paroiffoient de peu d'importance. Mais il falloit faire des arrangemens & des prparatifs indifpenfables pour s'afiurer du fuccs. H com-mena par folliciter & gagner l'a-miti des Caciques voifins. Il en-voya quelques-uns de fes officiers Hifpaniola avec une grande quan-tit d'or , qui toit tout la fois la preuve du fuccs qu'il avoit dj eu & l'annonce de ceux qu'il le promettoit encore. Les prfens qu'il en fit, diftribus propos, lui mriterent la protection du gouverneur & attirerent beaucoup de volontaires fon fervice. Ds

    1512.

  • DE L'AMRIQUE. 53 qu'il eut reu de cette ifle le renfort confidrable qu'il en attendoit il fe crut en tat de tenter fon expdi-tion.

    L'Ifthme de Darien n'a pas plus Difficul-de foixante milles de largeur; mais ts dans cette langue de terre qui unit en- l'excu-femble le continent mridional de tion. l'Amrique avec le feptentrional, eft fortifie par une chane de hautes montagnes qui s'tendent dans toute fa longueur & en font une barriere affez folide pour rfif-ter l'impulfion des deux mers op-pofes. Les montagnes font cou-vertes de forts prefqu'inacceffibles. Dans ce climat humide o il pleut pendant les deux tiers de l'anne les valles font marcageufes , & fi frquemment inondes que les habitans fe trouvent en plufieurs endroits dans la nceffit de btir leurs maifons fur les arbres, afin de s'lever quelque diftance au-deffus d'un fol humide & des odieux reptiles qui s'engendrent dans les

    C iij

    1512.

  • 54 L'HISTOIRE

    eaux corrompues (I). De grandes rivieres fe prcipitent avec imp-tuofit des montagnes. Cette rgion n'toit peuple que de fauvages er-rans & en petit nombre, & la main l'induftrie n'y avoit rien fait pour corriger ou adoucir ces incon-vniens naturels. Dans cet tat des chofes, tenter de traverfer un pays inconnu, fans avoir d'autres guides que des Indiens fur la fidlit des-quels on ne pouvoit guere compter, toit donc l'entreprife la plus hardie que les Efpagnols euffent encore forme dans le nouveau monde. Mais l'intrpidit de Balboa toit fi extraordinaire qu'elle le diftinguoit de tous fes compatriotes dans un tems o le dernier des aventuriers fe faifoit remarquer par fon audace Se par fon courage. Il joignoit la bra-voure la prudence , la gnrofit , l'affabilit & ces talens populaires qui dans les entreprifes les plus t-mraires infpirent la confiance &

    (I) P. Martyr, dec. p. 158.

    1512.

  • DE L'AMERIQUE. 55

    fortifient l'attachement. Cependant 1513. aprs la jonction des volontaires d'Hifpaniola il ne put raffembler que cent quatre vingt-dix hommes pour fon expdition ; mais c'toient des vtrans robuftes , accoutums au climat de l'Amrique & prts le fuivre au milieu des plus grands dangers. Ils fe firent accompagner de mille Indiens qui portoient leurs provifions , & pour completter leur armement de guerre, ils em-menerent avec eux plufieurs de ces chiens froces, fi formidables pour des ennemis entierement nuds.

    Balboa fe mit en marche pour Il d-cette grande expdition au premier couvre feptembre , vers le terns o les la mer pluies priodiques commenoient du fud diminuer. Il fe rendit par mer fans aucune difficult fur le ter-ritoire d'un Cacique dont il avoit gagn l'amiti ; mais il n'eut pas plutt commenc pntrer dans la partie intrieure du pays qu'il fe trouva retard dans fa marche par tous les obftacles qu'il avoit eu lieu

    C IV

  • 56 L'HISTOIRE de craindre, tant de la nature dit terrain que de la difpofition des. habitans. A fon approche quelques Caciques s'enfuirent avec tous leurs fujets vers les montagnes, empor-tant avec eux ou dtruifant tout ce qui pouvoit fervir la fubfiftance des troupes efpagnoles. D'autres raffemblerent leurs fujets pour s'op-pofer Balboa, qui ne tarda pas fentir combien il lui feroit difficile de conduire un corps de troupes au milieu des nations ennemies , travers des marais, des rivieres & des bois qui n'avoient jamais t franchis que par des fauvages er-rans. Mais en partageant toutes les fatigues d'une pareille marche avec le dernier de fes foldats ; en fe montrant toujours le premier au danger en leur promettant avec confiance plus de gloire &: de ri-cheffes que n'en avoit jamais m-rit le plus heureux de leurs com-patriotes, il favoit fi bien chaurfer leur enthoufiafme & foutenir leur courage qu'ils le fuivoient fans.

    1513.

  • DE L'AMRIQUE 57 murmure. Ils avoient pntr affez avant dans les montagnes lorfqu'un Cacique puiffant fe prfenta avec un corps nombreux de fes fujets pour dfendre le paffage d'un d-fil ; mais des hommes accou-tums vaincre de fi grands obf-tacles ne pouvoient tre arrts par de fi foibles ennemis. Ils attaqurent les Indiens avec imptuofit & con-tinuerent leur marche aprs les avoir difperfs fans beaucoup de peine & en avoir fait un grand carnage. Quoique leurs guides leur" euffent dit qu'il ne falloit que fix jours pour traverfer l'Ifthme dans fa largeur, ils en avoient dj paff vingt-cinq fe frayer un chemin ; travers les bois & les montagnes-Plufieurs d'entr'eux toient prts fuccomber fous les fatigues con-tinuelles de cette marche dans un climat brlant ; plufieurs furent at-taqus des maladies- particulires au pays , & tous toient impatiens d'arriver au terme de leurs travaux: & de leurs fouffrances. Enfin les

    C v

    1513.

  • 58 L'HISTOIRE Indiens les affurerent que du fommet de la montagne la plus voifine ils dcouvriroient l'ocan qui toit l'objet de leur defir. Lorfqu'aprs des peines infinies ils eurent gravi la plus grande partie de cette mon-tagne efcarpe , Balboa fit faire halte fa troupe & s'avana feul au fommet, afin de jouir le premier d'un fpectacle qu'il defiroit depuis fi long-tems. Ds qu'il apperut la mer du fud s'tendant devant lui dans, un horifon fans bornes , il tomba genoux , & levant les mains vers le ciel, il rendit graces Dieu de l'avoir conduit une dcouverte fi avantageufe pour fon pays & fi glorieufe pour lui-mme. Ses compagnons , obfervant fes tranfports , s'avancerent vers lui pour partager fon admiration , fa reconnoiffance & fa joie. Ils fe h-terent de gagner le rivage, & Bal-boa s'avanant jufqu'au milieu des eaux de la mer avec fon bouclier & fon pe , prit poffeffion de cet

    ocan au nom du roi d'Efpagne, & fit

    1513

  • DE L'AMRIQUE. 59

    vu de le dfendre avec les armes qu'il tenoit contre tous les ennemis 1513 de fon fouverain (I).

    Cette partie de la grande mer pacifique ou mer du fud que Balboa dcouvrit d'abord, & qui eft fitue l'eft de Panama, conferve encore le nom de golfe de Saint-Michel qu'il lui donna.Il fora main arme plufieurs. des petits princes qui gouvernoient les diftricts voifins de ce golfe , lui donner des vivres-& de l'or. D'autres lui en en-voyerent volontairement. Quelques Caciques ajouterent ces dons pr-cieux une quantit confidrable de perles , & il apprit d'eux avec une grande fatisfaction que les hutres o fe trouvent les perles abon doient dans la mer qu'il venoit de dcouvrir.

    La dcouverte de cette fource On lui de richeffes contribua encourager indique fes compagnons, & il reut en un pays

    plus opo- lent,

    (I) Herrera , dec. I, L.X, c. I. Gome-ra, c. 62, &c. P. Martyr, dec. p. 205,

    C vj

  • 60 L'HISTOIRE mme-tems des avis qui le con-firmoient dans l'efprance de re-tirer des avantages encore plus con-fidrables que ion expdition. Tous les Indiens des ctes de la mer du fud l'affurerent de concert qu'il y avoit une diftance affez confide-rable vers l'eft, un riche & puif-fant royaume dont les habitans avoient des animaux apprivoiss pour porter des fardeaux ; & pour lui en donner une ide , ils tra-oient fur le fable la figure des Ila-mas ou moutons r qu'on trouva enfuite au Prou & que les Pru-viens avoient en effet accoutums porter des fardeaux. Gomme le llama reffemble peu prs pour la forme au chameau, bte de charge

    qui toit regarde comme parti -culiere l'Afie , cette circonftance jointe la dcouverte des perles , autre production Afiatique , ten-dit confirmer les Efpagnols dans la fauffe ide o ils toient que le. nouveau monde toit voifin

    1513.

  • DE L'AMRIQUE. 61 de Indes orientales ( I ).

    Mais quoique les avis que Bal- 1513. boa recevoit des habitans de la cte, fortifiant fes propres con-jectures & fes efprances , lui don-naffent une extrme impatience de voir ce pays inconnu , il toit trop prudent pour tenter d'y entrer avec une poigne d'hommes pui-fs de fatigue & affoiblis par les ma-ladies (2). Il ie dtermina ra-mener fur le champ fes compagnons l'tabliffement de Santa-Maria dans le Darien , pour revenir la faifon fuivante avec des forces proportionnes l'entreprife hafar-deufe qu'il mditoit. Pour acqurir une connoiffance plus tendue de l'Ifthme , il prit fon retour une route diffrente de celle qu'il a voit fuivie en allant & o il n'prouva pas moins de difficults & de dan-gers que dans la premiere ; mais il n'y a rien d'infurmontable des

    (I) Herrera , decad. I, lib. X c. 2. (2) Voyez la NOTE XXIV.

  • 62 L'HISTOIRE hommes anims par l'efprance &

    1513. par le fuccs. Balboa revint Santa-Maria , aprs une abfence de quatre mois , rapportant plus de gloire & de richeffe que les Efpagnols n'en avoient encore acquis dans au-

    1514. cune de leurs expditions au nou-veau monde. Parmi les officiers qui l'avoient accompagn , il n'y en avoit point qui fe ft plus diftin-gu que Franois Pizarre, & il n'y en eut aucun qui dployt plus de courage & d'ardeur pour aider Balboa s'ouvrir une communi-cation avec ces pays, o il joua enfuite lui-mme un rle fi glo-rieux (I).

    Le premier foin de Balboa fut Pedrarias d'envoyer en Efpagne les dtails eft nom- de l'importante dcouverte qu'il m gou- venoit de faire & de demander un verneur renfort de mille hommes pour ten-

    du Da- ter la conqute de cette riche con-tre fur laquelle il avoit reu des

    (1) Herrera, Decad. I, lib. X, c. 3 61. Gomera C. 64. P. Martyr , dec. p.

    229.

  • DE L'AMERIQUE. 63 inftructions fi encourageantes.. Le premier avis de la dcouverte du nouveau monde ne caufa peut-tre pas une plus grande joie que cette nouvelle inattendue qu'on avoit-enfin trouv un paffage au grand ocan mridional. On ne douta plus qu'il n'y eut une communi-cation avec les Indes orientales par. une route qui toit l'oueft de la ligne de dmarcation trace par le pape. Les trfors que le Portugal tiroit chaque jour de fes tabliffe-mens &. de fes cenqutes en Afie r, toient un fujet d'envie.& un objet d'mulation pour les autres puif-fances. Ferdinand fe flatta ds-lors de l'efprance de partager ce com-r merce lucratif ;. & dans l'empreffe-ment qu'il avoit d'arriver. ce but, il toit difpof faire un effort fu-prieur ce que Balboa demandoit. Mais dans cette difpofition mme on reconnut les effets de la politique jaloufe qui. le guidoit y air fi que de la funefte antipathie de Fonfeca-alors vque de Burgos, pour toute

    1514.

  • 64 L'HISTOIRE homme de mrite qui fe diftinguoit dans le nouveau monde. Malgr les fervices rcents de Balboa , qui le dfignoient comme l'homme le plus propre achever la grande entreprise qu'il avoit commence, Ferdinand fut affez peu gnreux pour n'en tenir aucun compte & pour nommer Pedrarias d'Avilla gouverneur du Darien. Il lui donna le commandement de quinze gros vaiffeaux avec douze cents foldats. Ces btimens furent quips aux frais du public avec une magnifi-cence que Ferdinand n'avoit encore montre dans aucun des armemens deftins pour le nouveau monde ; & telle fut l'ardeur des gentilshom-mes Efpagnols pour fuivre un chef qui devoit les conduire dans un pays o fuivant le bruit de la renomme ils n'auroient qu' jetter leurs filets dans la mer pour en tirer de l'or (I), que quinze cents d'entr'eux s'em-barquerent bord de la flotte ~-

    (I) Herrera, decad, I, lib. X, c. 14.

    1514.

  • DE L'AMRIQUE. 65 & qu'un beaucoup plus grand nom-bre le feroient engags pour cette expdition fi on avoit voulu les recevoir (2.).

    Pedrarias tant arriv au golfe de Darien fans aucun accident re-marquable , envoya fur le champ terre quelques-uns de fes principaux officiers pour informer Balboa de fon arrive avec la commiffion du roi qui le nommoit gouverneur de la colonie. Ces dputs, qui avoient entendu parler des exploits de Balboa Se qui s'toient form les plus hautes ides de fes richeffes % furent bien tonns de le trouver vtu d'un mauvais habit de toile avec des. fouliers de ficelle, oc-cup avec quelques Indiens cou-vrir de rofeaux fa cabane. Sous ce vtement fimple qui rpondoit fi peu l'attente & aux defirs de fes nouveaux htes , Balboa les reut avec dignit. La renomme de fes

    1514.

    (2) Herrera, decad. I, lib. X, c. 6, 7. P. Martyr, dec. p. 177. 256.

  • 66 L'HISTOTRE dcouvertes avoit attir prs de lui

    1514. un fi grand nombre d'aventuriers des diffrentes ifles, qu'il pouvoit raffembler quatre cents cinquante hommes en armes. A la tte de ces hardis vtrans il auroit t en tat de rfiter Pedrarias & fa troupe ; mais quoique fes compa-gnons murmuraffent hautement de l'injuftice du roi & fe plaignirent que des trangers vouluffent re-cueillir le fruit de leurs travaux Se de leurs fuccs, Balboa fe fournit aveuglment la volont de fon fouverain & reut Pedrarias avec tous les gards dus fon carac-tere (I).

    Divifion Quoique Pedrarias dt cette entre Pe- modration la poffeffion paifible de drarias & fon gouvernement , il nomma un Balboa. comit pour faire des informa-

    tions judiciaires fur la conduite de Balboa pendant qu'il toit aux or-dres de Nicueffa & d'Encifo , & lui

    (I) Herrera , dec. I , lib. X , c 13, 14

  • DE L'AMRIQUE. 67 impofa une amende confidrable

    1514. pour rparation des fautes dont il fut trouv coupable par fes juges. Balboa fentit vivement l'humilia-tion de fe voir fournis une pro-cdure & condamn un chti-ment dans le lieu mme o il venoit d'occuper le premier rang. D'un autre ct Pedrarias ne pouvoit cacher la jaloufie qu'excitoit en lui le mrite fuprieur de Balboa ; de forte que le reffentiment de l'un

    & La jaloufie de l'autre furent une fource de divifion trs-pernicieufe la colonie ; mais elle toit me-nace d'une calamit plus funefte encore, Pedrarias avoit dbarqu Juilles. au Darien dans le tems le plus d-favorable de l'anne , vers le mi-lieu de la faifon pluvieufe , dans cette partie de la zone torride o les nues verfent des torrens d'eau inconnus dans les climats plus tem-prs (I). Le village de Santa-

    (I) Richard , hift. nat. de l'air, tom. I,

  • 68 L'HISTOIRE Maria toit fitu dans une plaine fertile, environne de bois & de marais. La conftitution des Euro-pens ne put pas rfifter l'influen-ce peftilencielle d'une femblable fituation , dans un climat naturel-lement mal-fain & dans une faifon fi fcheufe. Une maladie violente & meurtriere fit prir plusieurs des foldats qui accompagnoient Pe-drarias. L'extrme raret des pro-vifions augmenta encore par l'im* poiffibilit de fe procurer les rafra-chiffemens ncefflaires aux malades & une fubfiftance fuffifante pour ceux qui fe portoient bien (I). En un mois de tems plus de fix cents Efpagnols prirent dans la derniere mifere. L'abattement & le dfef-poir le rpandirent dans la colonie. Plufieurs des perfonnages prin-cipaux demanderent leur dmiffion & renoncerent avec plaifir toutes leurs efprances de fortune pour

    ( I ) Herrera, dec. I , lib. X, c. 14. P. Martyr, dec.p. 272.

    1514.

  • DE L'AMRIQUE. 69 fe drober aux dangers de cette r-gion meurtriere. Pedrarias s'effora de diftraire ceux qui reftoient du fentiment de leurs fouffrances en leur cherchant de l'occupation. Dans cette vue il envoya plufieurs dtache mens dans l'intrieur du pays pour impofer aux habitans des contributions d'or & pour chercher les mines qui le produi-foient. Ces aventuriers avides , plus occups du gain prfent que des moyens de faciliter leurs pro-grs pour la fuite , pilloient fans diftincfion par-tout o ils alloient. Sans gard pour les alliances qu'ils avoient faites avec plufieurs Ca-ciques , ils les dpouilloient de tout ce qu'ils avoient de prcieux, & les traitoient ainfi que leurs fujets avec le dernier degr de l'infolence & de la cruaut. Cette tyrannie & ces exactions , que Pedrarias n'a-voit peut-tre ni le pouvoir ni la volont de rprimer, ne firent plus qu'un dfert de tout le pays qui s'tend du golfe du Darien

    1514.

  • 70 L'HISTOIRE jufqu'au lac de Nicaragua, & les

    1514. Efpagnols fe virent par leur im-prudence privs des avantages qu'ils auroient pu trouver dans l'amiti des habitans , pour pouffer leurs conqutes vers la mer du fud. Balboa qui voyoit avec douleur combien une conduite fi mal con-certe retardoit l'excution de fon plan favori, fit paffer en Efpagne des remontrances trs-fortes con-tre l'adminiftration de Pedrarias qui avoit ruin une colonie heu-reufe & floriffante. Pedrarias de fon ct accufa Balboa d'avoir tromp le roi par des recits exagrs de fes exploits & par un faux ex-pof de la richeffe du pays (I).

    Mefures Ferdinand fentit la fin la faute violentes qu'il avoit faite en dplaant l'of-contre ficier le plus actif & le plus exp-Balboa. riment qu'il et dans le nou-

    (I) Herrera , dec. I , lib. X, c. 15 , dec. 2, c. I, &c. Gomera, c. 66. P. Martyr, dec. 3 , c. 10. Relac. de B. de las Cafas , p. 12.

  • DE L'AMRIQUE. 71 veau monde ; & voulant ddom-mager Balboa , il le nomma Ade- 1515. lentade ou gouverneur-lieutenant des pays fitus fur la mer du fud , avec une autorit & des droits trs-tendus. Il ordonna en mme-tems Pedrarias de feconder Balboa dans toutes fes entreprifes , & de fe concerter avec lui fur toutes les oprations que Pedrarias voudroit faire lui-mme. Mais il n'toit pas au pouvoir de Ferdinand de faire palier fi fubitement ces deux hom-mes d'une haine dclare une entiere confiance. Pedrarias con-tinua de traiter fon rival avec d-dain , & la fortune de Balboa fe trouvant puife par le paiement de fon amende & par d'autres exactions de Pedrarias, il fut hors d'tat de faire les difpofitions n-ceffaires pour fe mettre en poffef-fion de fon nouveau gouvernement. Cependant par la mdiation & les exhortations de l'vque du Darien on vint bout de les reconcilier , & pour cimenter plus folidement

  • 72 L'HISTOIRE cette union , Pedrarias confentit donner fa fille en mariage Bal-boa. Le premier effet de leur ru-nion fut de permettre Balboa de faire quelques petites incurfions dans le pays , & il les excuta avec une fageffe qui ajouta encore la rputation qu'il s'toit dj ac-quife. Plufieurs aventuriers fe joi-gnirent lui, & moyennant les fe-cours & la protection de Pedrarias, il commena tout prparer pour fon expdition dans la mer du fud. Pour excuter ce projet il toit n-ceffaire de conftruire des vaiffeaux capables de tranfporter des troupes dans les provinces o il fe pro-pofoit de defcendre. Aprs avoir vaincu un grand nombre d'obftacles

    & fupport plufieurs de ces con-trarits qui femblent avoir t rferves aux conqurans de l'A-mrique , il vint bout de conf-truire quatre petits brigantins. Il toit prt mettre la voile pour le Prou, avec trois cents hommes d'lite, ( force fuprieure celle

    avec

    1516.

  • DE L'AMRIQUE, 73

    avec laquelle Pizarre entreprit de-puis la mme expdition) lorfqu'il reut un meffager inattendu de Pe-drarias (I). Comme leur reconcilia-tion n'avoit jamais t fincere, l'en-treprife que Balboa toit fur le point d'excuter ranima l'ancienne inimiti de Pedrarias & la rendit plus active encore. Il redouroit l'lvation & la profprit d'un homme qu'il avoit fi cruellement offenf. Il craignit que le fuccs n'encouraget Balboa fe rendre indpendant de fa jurifdiction ; & ces mouvemens de haine, de crainte & de jaloufie agiffoient fur fon ame avec tant de force que pour fatisfaire fa vengeance, il ne craignit pas de faire chouer une entre-prife d'une fi grande importance pour fon pays. Sur des prtextes faux mais plaufibles , il engagea Balboa diffrer fon voyage de quelque-tems & fe rendre Acla

    (I) Herrera decad. 2, lib. I, c. 3. II , c. 11-13-21.

    Tome II. B.

    1517.

  • 74 L'HISTOIRE

    o il vouloit avoir une entrevue avec lui. Balboa, avec la confiance tranquille d'un homme qui n'a rien fe reprocher, fe rendit au lieu, qui lui toit indiqu ; mais il ne fut pas plutt entr dans Acla qu'il fut arrt par l'ordre de Pedrarias, qui impatient d'affouvir fa vengeance ne le laiffa pas languir long-tems dans la captivit. On nomma fur le champ des juges pour inftruire fon procs. Il y eut une accufation intente contre lui d'avoir manqu de fidlit au roi & d'avoir voulu fe rvolter contre le gouverneur. La fentence de mort fut bientt pro-nonce , & quoique les juges eux-mmes , feconds par toute la co-lonie, follicitaffent vivement la grace de Balboa, le gouverneur fut inexorable , & les Efpagnols virent avec autant de douleur que d'ton-nement prir fur un chafaud un homme , qui de tous ceux qui avoient command en Amrique toit gnralement regard comme le plus propre concevoir &

    1517.

  • DE L'AMRIQUE. 75 excuter de grands projets (I). Sa mort fit renoncer l'expdition qu'il avoit projette. Pedrarias puif-famment protg par l'vque de Burgos & de quelques autres cour-tifans, chappa non-feulement la punition que mritoient la violence & l'iniquit de fa conduite ; mais il conferva mme fa place & fon au-torit. Bientt aprs il obtinr la permiffion de faire paffer la colonie du pofte mal-fain de Santa-Maria, Panama qui toit fur le ct op-pof de l'Ifthme ; quoique ce chan-gement ne ft pas fort avantageux pour la falubrit du lieu, la fituation commode du nouvel tabliffement ne contribua pas peu faciliter les conqutes poftrieures des Efpa-gnols dans les vaftes provinces qui bordent la mer du fud (2).

    Pendant que ces vnemens, dont 1515 : Nou-on a cru ne devoir pas inter- Velles

    rompre le rcit, fe paffoient dans dcou-vertes.

    (I) Herrera , decad. 2, lib. I, c. 21, 22 (2) Herrera, decad. 2 , lib. IV. c. 1*

    D ij

    1517.

  • 76 L'HISTOIRE le Darien, il fe faifoit ailleurs d'au-tres oprations importantes , re-lativement la dcouverte, la conqute & au gouvernement des autres provinces du nouveau mon-de. Ferdinand toit fi occup du projet d'ouvrir une communication par l'ouert avec les Moluques ou ifles des Epiceries, que dans l'anne 1515 , il quipa fes frais deux vaiffeaux deftins cette expdition & dont il donna le commandement Juan Diaz de Solis , qui paffoit pour le plus habile navigateur de l'Efpagne. Il prit fa route le long de la cte de l'Amrique mridio-nale , & le premier de janvier 1516 , il entra dans une riviere laquelle il donna le nom de Janeiro & o il fe fait aujourd'hui un commerce confidrable. Del il s'avana dans une baie fpacieufe qu'il imagina tre l'entre d'un dtroit qui communiquoit avec la mer des Indes ; mais en pntrant plus avant, il dcouvrit que c'toit l'embouchure de Rio de la Plata ,

    1517.

  • DE L'AMRIQUE. 77

    l'une des grandes rivieres qui ar- 1517. rofent le continent mridional de l'Amrique. Les Efpagnols ayant voulu faire une delcente dans ce pays , Solis & plufieurs hommes de fon quipage furent tus par les naturels , qui la vue des vaiffeaux couperent par morceaux les corps des Espagnols & les mangerent aprs les avoir fait rtir. Epouvants de cet horrible fpectacle & dcourags par la perte de leur commandant, ceux des Efpagnols qui reftoient fur les vaiffeaux retournerent en europe fans tenter aucune autre dcouverte (1). Quoique cette ten-tative et chou, elle ne fut pour-tant pas inutile : elle attira l'atten-tion des hommes inftruits vers cette navigation & prpara la route un voyage plus heureux, qui peu d'annes aprs cette poque rem-plit enfin les vues de Ferdinand.

    Quoique les Efpagnols s'oc-, Etat de la colo-

    nie d'Hif-(I) Herrera , dec. 2 , lib. I, c. 7. paniola.

    P. Martyr, decad. p. 317. D iij

  • 78 L'HISTOIRE 1517. cupaffent avec tant d'activit

    tendre leurs dcouvertes & leurs tabliffemens en Amrique , ils confidroient toujours Hifpaniola comme leur principale colonie & le fiege du gouvernement. Don Diego Colomb ne manquoit ni du zele ni des talens nceffaires pour procurer le bonheur & la profp-rit des membres de cette colonie qui toient plus immdiatement fous fa jurifdicfion ; mais il toit gn dans toutes fes oprations par la politique fouponneufe de Fer-dinand , qui en toute occafion & fur les prtextes les plus frivoles, lui ta une partie de les privileges, & encouragea le trforier , les ju-ges, & les autres officiers infrieurs contrarier fes mefures & contefter fon autorit. La prrogative la plus importante du gouverneur toit celle de diftribuer les Indiens parmi les Efpagnols tablis dans l'ifle. La fervitude rigoureufe de ces mal-heureux n'ayant reu que de trs-foibles adouciffemens par les divers

  • DE L'AMRIQUE. 79 rglemens qu'on avoit faits en leur faveur ; le pouvoir de diipofer fon 15l7. gr de ces inftrumens du travail , affuroit au gouverneur une grande influence dans la colonie. Pour l'en dpouiller, Ferdinand cra un nou-vel emploi , auquel il attacha le droit de faire le partage.des Indiens, & qu'il donna Rodrigue Albu-querque , parent de Zapata , fon miniftre de confiance. Don Diego fentit vivement l'injuftice & l'af-front qu'on lui faifoit en le privant de fes droits fur un objet fi effentiel, & ne voulant pas refter plus long-rems dans un lieu o fon pouvoir & fon crdit toient prefqu'a-nantis, il paffa en Espagne dans la vaine efprance d'obtenir juftice ( I). Albuquerque entra dans fes nou-velles fonctions avec toute la rapa-cit d'un indigent aventurier, impa-tient de faire fortune. Il commena par fe faire donner le nombre exact

    (I ) Herrera, decad. I , lib. IX , c. 5 , lib. X, c. 12.

    D iv

  • 80 L'HISTOIRE des Indiens qui toient dans l'ifle

    1517 & trouva que de foixante mille qui en 1508 avoient furvcu toutes leurs fouffrances , il n'en reftoit plus que quatorze mille. Il en fit plufieurs lots qu'il mit l'enchere & qu'il diftribua ceux qui lui en offroient le plus haut prix. Par cette distribution arbitraire , un grand nombre d'Indiens furent loigns de leurs anciennes habitations ; plu-fieurs autres furent enlevs leurs premiers matres , & tous furent foumis des travaux plus pnibles par leurs nouveaux propritaires, preffs de fe ddommager de leurs avances. Ce furcrot de calamit combla la mifere & hta la destruc-tion de cette race innocente & malheureufe (I).

    Difpute La violence de cette conduite , fur la ma-jointe aux funeftes confquences niere de qui en furent la fuite , excita non-trauer feulement les plaintes des Colons les In diens QUI fe croy oient lfs, mais encore

    (I) Herrera, dec. 1, lib. X, c. 12.

  • DE L'AMRIQUE. 81 toucha les coeurs de tous ceux en qui il reftoit quelque fentiment d'humanit. Du moment qu'on en-voya en Amrique des ecclfiaf-tiques pour inftruire & convertir les naturels, ils fuppoferent que la rigueur avec laquelle on traitoit ce peuple, rendoit leur miniftere pref-qu'inutile. Les millionnaires fe con-formant l'efprit de douceur de la religion qu'ils venoient annon-cer, s'leverent auffitt contre les maximes de leurs compatriotes l'gard des Indiens , & condam-nerent les repartimientos ou ces diftributions par lefquelles on les livroit en efclaves leurs conqu-rans , comme des actes auffi con-traires l'quit naturelle & aux prceptes du chriftianifme qu' la faine politique. Les Dominicains , qui I'inftruction des Amricains fut d'abord confie furent les plus ar-dens attaquer ces diftributions. En 1511 , Montefino , un de leurs plus clebres prdicateurs, dclama contre cet ufage dans la

    D v

    1517.

  • 82 L'HISTOIRE

    grande glife de Saint-Domingue avec toute l'imptuofit d'une lo-quence populaire. Don Diego Co-lomb , les principaux officiers de la colonie , & tous les laques qui avoient entendu ce fermon fe plai-gnirent du moine fes fuprieurs j mais ceux-ci, loin de le condam-ner, approuverent fa doctrine com-me galement pieufe &: convenable aux circonftances. Les Francifcains,. guids par l'efprit d'oppofition & de rivalit qui fubfiftoit entre les deux ordres, parurent difpofs fe joindre aux laques & prendre la dfenfe des repartimientos. Mais comme ils ne pouvoient pas avec dcence approuver ouvertement un fyftme d'oppreffion fi contraire l'efprit du chriftianifme , ils s'ef-forcerent de pallier ce qu'ils rie pouvoient pas juftifier ; & all-guerent , pour excufer la conduite de leurs concitoyens , qu'il toit impoffible de faire aucune am-lioration dans la colonie , moins que les Efpagnols n'euffent affez

    1517.

  • 1517

    DE L'AMRIQUE. 83 d'autorit fur les naturels pour les forcer au travail (1).

    Les Dominicains , fans gard Dci-pour ces confidrations de politique fions & d'intrt perfonnel, ne voulurent con-fe relcher en rien de la fvrit de traires

    leur doctrine & refuferent mme objet.

    d'abfoudre & d'admettre la com-munion ceux de leurs compatriotes qui tenoient les Indiens en fervi-tude (2) Les deux partis s'adref-ferent au roi pour avoir fa dcifion fur un objet de fi grande impor-tance. Ferdinand nomma une com-miffion de fon confeil -priv la-quelle il joignit quelques-uns des plus habiles jurifconfultes & tho-logiens , pour entendre les dputs d'Hifpaniola chargs de dfendre leurs opinions refpeftives. Aprs une longue difcuffion la partie fp-culative de la controverfe fut d-cide en faveur des Dominicains

    (1) Herrera ,decad. I, lib. VIII, c. II. Oviedo, lib. II, c. 6, p. 97.

    (2) Oviedo, ibid. Dvj

  • 84 L'HISTOIRE

    & les Indiens furent dclars un peuple libre , fait pour jouir de tous les droits naturels de l'homme mais malgr cette dcifion , les re-parumientos continuerent de fe faire dans la mme forme qu'au-paravant (1). Comme le jugement de la commiffion reconnoiffoit le principe fur lequel les Domini-cains fondoient leur opinion , il toit peu propre les convaincre & les rduire au filence. Enfin, pour rtablir te tranquillit dans la colo-nie, alarme par les remontrances & les cenfures de ces religieux, Fer-dinand publia un dcret de fon con-feil-priv, duquel il rfultoit qu'a-prs un mr examen de la bulle apoftolique & des autres titres qui affuroient les droits de la couronne de Caftille fur fes poffeffions dans le nouveau monde ; la fervitude des Indiens toit autorife par les loix divines & humaines ; qu' moins

  • DE L'A M RI QUE. 85 _ qu'ils ne fuffent fournis l'autorit des Efpagnols & forcs de rfider fous leur infpection , il feroit im-poffible de les arracher l'idoltrie & de les inftruire dans les prin-cipes de la foi chrtienne ; qu'on ne devoit plus avoir aucun fcrupule fur la lgitimit des repartimientos , attendu que le roi & fon confeil en prenoient le rifque fur leur conf-cience ; qu'en confquence les Do-minicains & les moines des autres ordres dvoient s'interdire l'a-venir les invectives que l'excs d'un zele charitable mais peu clair leur avoir fait profrer contre cet ufage(1).

    Ferdinand voulant faire con-notre clairement l'intention o il toit de faire excuter ce dcret, accorda de nouvelles conceffions d'Indiens plufieurs de fes cour-tifans (2). Mais afin de ne pas pa-

    (1) Herrera , decad. 1, lib.IX, c. 14. (2) Voyez la NOTE XXV,

  • 86 L' HISTOIRE

    rotre oublier entirement les droits de l'humanit , il publia un dit par lequel il tcha de pourvoir ce que les Indiens fuffent traits doucement fous le joug auquel il les affujettiffoit ; il rgla la nature du travail qu'ils feroient obligs de faire ; il prefcrivit la manire dont ils devoient tre vtus & nourris, & fit des rglemens relatifs leur inftruction dans les principes du chriftianifme (i). Mais les Domi-nicains qui jugeoient de l'avenir par la connoiflance qu'ils avoient du paff , fentirent bientt l'infuffi-fance de ces prcautions , & pr-tendirent que tant que les individus auroient intrt de traiter les In-diens avec rigueur , aucun rgle-ment public ne pourroit rendre leur fervitude douce ni mme tolrable. Ils jugerent qu'il feroitinutile de confumer leur tems & leurs forces effayer de communiquer les v-rits fublimes de l'vangile des

    (1) Herrera , dec, i , lib. IX, c 14.

  • 1517.

    DE L'AMRIQUE. 87

    hommes dont l'ame etoit abattue & l'efprit affoibli par l'oppreffion. Quelques-uns de ces millionnaires dcourags demandrent leurs fuprieurs la permiffion de paffer fur le continent, pour y remplir l'objet de leur miffion parmi ceux des Indiens qui n'toient pas en-core corrompus par l'exemple des Efpagnols ni prvenus par leurs cruauts contre les dogmes du chrif-tianifme. Ceux qui refterent Hif-paniola continurent de faire des remontrances avec une fermet dcente contre la fervitude des In-diens.

    Les oprations violentes d'Al- Barthe-buquerque,qui venoit d'tre charg lemy de du partage des Indiens, rallumerent , le zele des Dominicains contre les fas enTRE-prend LA repartimientos , oc fufciterent a ce dfenfe peuple opprim un avocat dou du des In-courage , des talens & de l'activit diens. nceffaires pour dfendre une caufe fi dfefpre. Cet homme zl fut Barthelemy de Las Cafas natif de Seville , & l'un des cclfiaftiques.

  • 88 L'H I S T O IR E qui accompagnerent Colomb au fecond voyage des Efpagnols lorf-qu'on voulut commencer un ta-bliffement dans l'ifle d'Hifpaniola, Il avoit adopt de bonne heure l'o-pinion dominante parmi fes con-freres les Dominicains , qui re-gardoient comme une injuftice de rduire les Indiens en fervitude; & pour montrer fa fincrit & la conviction il avoit renonc la portion d'Indiens qui lui toit chue lors du partage qu'on en avoit fait entre les conqurans & avoit dclar qu'il pleureroit toujours la faute dont il s'toit rendu coupable en exerant pendant un moment fur fes frres cette domination im-pie (1). Ds-lors il fut le patron dclar des Indiens, & par fon cou-rage les dfendre auffi bien que par le refpect qu'infpiroient fes

    (1) Fr. Aug. Davila Padilla , hift. de la Fundacion de la provincia de Saint-Jago ne Mexico , p. 303, 304. Herrera, dec. 1 , lib. X , c.12.

  • D E L'A M R I Q U E. 89 talens & fon caractere, il eut fou-vent le bonheur d'arrter les excs de fes compatriotes. Il s'leva vive-ment contre les oprations d'Al-buquerque & s'appercevant bien-tt que l'intrt du gouverneur le rendoit fourd toutes les follicita-tions, il n'abandonna pas pour cela la malheureufe nation dont il avoit pouf la caufe. Il partit pour l'Ef-pagne avec la ferme efprance qu'il ouvriroit les yeux & toucheroit le cur de Ferdinand en lui faifant le tableau de l'oppreffion que fouf-froient fes nouveaux fujets (1).

    Il obtint facilement une audience du roi , dont la fant toit fort affoiblie. Il mit fous fes yeux avec autant de libert que d'loquence les effets funeftes des repartimientos dans le nouveau monde , lui re-prochant avec courage d'avoir au-torif ces mefures impies qui

    (1) Herrera , decad. 1 , ib. X, c. 12, dec. 2, lib. 1, c.2. Davila Padilla , hift. p. 304.

  • 90 L'HISTOIRE

    avoient port la mifere & la def-1517. truction une race nombreufe

    d'hommes innocens que la pro-vidence avoit confis fes foins. Ferdinand dont l'efprit toit affoibli par la maladie fut vivement frapp de ce reproche d'impit ; qu'il au-roit mprif dans d'autres circonf-tances. Il couta le difcours de Las Cafas avec les marques d'un grand repentir & promit de s'occuper f-rieufement des moyens de rparer les maux dont on fe plaignoit. Mais la mort l'empcha d'excuter cette rfolution. Charles d'Autriche , qui la couronne d'Efpagne paffoit , faifoit alors fa rfidence dans fes tats des pays-bas. Las Cafas avec fon ardeur accoutume fe prparoit partir pour la Flandre, dans la vue de prvenir le jeune monarque, lorf que le cardinal Ximens devenu rgent de Caftille lui ordonna de renoncer ce voyage & lui pro-

    gle mit d'couter lui-mme fes plaintes, mens du cardinal cardinal pela la matiere avec Xime- l'attention que mritoit fon impor-

  • DE L'AMRIQUE, 91

    tance & comme fon efprit ardent aimoit les plans hardis &peu com-muns , celui qu'il adopta trs-promptement tonna les miniftres Efpagnols, accoutums aux lenteurs & aux formalits de l'adminiflra-tion. Sans gard ni aux droits que rclamoit Don Diego Colomb ni aux regles tablies par le feu roi, il fe dtermina envoyer en Am-rique trois furinten dans de toutes les colonies avec l'autorit fuffifante pour dcider en dernier reffort la grande queftion de la libert des Indiens, aprs qu'ils auroient exa-min fur les lieux toutes les cir-conftances. Le choix de ces furin-ten dans toit dlicat. Tous les la-ques , tant ceux qui toient tablis en Amrique que ceux qui avoient t confults comme membres de l'adminiftration de ce dpartement, avoient dclar leur opinion & penfoient que les Efpagnols ne pouvoient conferver leurs tabliffe-mens au nouveau monde moins qu'on ne leur permt de retenir les

  • 92 L'HISTOIRE

    Indiens dans la fervitude. Ximens crut donc qu'il ne pouvoit compter fur leur impartialit & fe dtermina donner fa confiance des ec-clfiaftiques.Mais comme d'un autre ct les Dominicains & les Fran-cifcains avoient pouf le fentiment contraire, il exclut ces deux ordres religieux. Il fit tomber fon choix fur les moines appells Hironi-mites, communaut peu nombreufe en Efpagne , mais qui y jouif-foit d'une grande confidration. D'aprs le confeil de leur gnral & de concert avec Las Cafas, il choifit parmi eux trois fujets qu'il jugea dignes de cet important em-ploi. Il leur affocia Zuazo , jurif-confulte d'une probit diftingue , auquel il donna tout pouvoir de rgler l'adminiftration de la juftice dans les colonies. Las Cafas fut charg de les accompagner avec le titre de protecteur des Indiens (1).

    Confier un pouvoir affez tendu

    (i) Herrera, dec. 2 , lib. 2, c. 3.

  • DE L'A M RIQUE. 93 pour changer en un moment tout le fyftme du gouvernement du nou-veau monde , quatre perfonnes que leur tat & leur condition n'appelloient pas de fi hauts em-plois , parut Zapata & aux autres miniftres du dernier rot une d-marche fi extraordinaire & fi dan-gereufe qu'ils refuferent d'exp-dier les ordres nceffaires pour l'excution. Mais Ximens n'toit pas difpof fouffrir patiemment qu'on mt aucun obftacle fes pro-jets. Il envoya chercher les minif-tres , leur parla d'un ton fi haut & les effraya tellement qu'ils obirent fur le champ (1).Les furinten dans, leur affoci Zuazo & Las Cafas , mirent la voile pour Saint-Do-mingue. A leur arrive, le premier ufage qu'ils firent de leur autorit

    fut de mettre en libert tous les Indiens qui avoient t donns aux courtifans Efpagnols & toute perfonne non rfidente en Amri-

    ( i ) Herrera, dec 2 , lib. c. 6,

  • 94 L'HISTOIRE que. Cet


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