La fo
rêt d
e l’a
mou
r 201
4. In
stal
latio
n te
xtile
. Par
is. P
hoto
Joh
anne
Deb
as
• L’espal 2014 • exposition • Rieko Koga
RIEKO KOGA broderies
Malgré la grande distance entre Tokyo et Paris, environ 9730 kilomètres, j’ai pu vous rencontrer
ici. C’est comme un miracle. Un fil invisible mais très solide m’aurait entraînée ici de toute façon.
Je rembobine ce fil, fil de la rencontre et du souvenir. J’ai réalisé mes œuvres avec ce fil.
Selon une vieille croyance japonaise que je partage toujours, les points de couture ont un pouvoir
magique.
J’ai appris au Japon l’existence du tissu de prière. Je me suis aperçue que coudre est un acte
spirituel. Les vêtements que me faisait ma mère quand j’étais petite me couvraient toujours de
son grand amour. Et leurs points de couture sur le dos me protégeaient contre l’angoisse et la
peur.
Une douleur... Quand je pique mon aiguille dans le tissu, Je superpose à cette douleur la blessure
au cœur de quelqu’un. Je soigne cette plaie avec mes gestes, avec mon aiguille.
Je voudrais coudre un tissu magique pour celui qui m’attend et protéger son cœur avec mes
points de couture.
Noire, la couleur de mes yeux et de mes cheveux.
Blanc, Vide, Rien.
Cet instant est vanité, Cette rencontre est unique et nécessaire.
Car un fil immaculé m’a guidée jusqu’ici pour vous rencontrer.
Rieko Koga décembre 2012
L’espal 2014 • exposition • Rieko Koga •
Tour
ne T
ourn
e 20
10 ©
pho
to G
illes
Des
rozi
er
LE POUVOIR MAGIQUE DU POINT DE COUTURE
Pour l’artiste japonaise Rieko Koga, installée à Paris depuis 2004, la broderie est une pratique éminemment spirituelle
dont le patient travail de mise en forme invite au recueillement. Le fil de « la rencontre et du souvenir » qu’elle tisse
devient le sismographe de ses humeurs comme si ses prières accompagnaient l’aiguille dans l’écriture poétique des
points de couture.
Rieko Koga utilise des points de couture dits « sashiko », qui sont issus de la broderie traditionnelle japonaise et qui
forment le précieux souvenir des vêtements conçus avec amour par sa mère. De cet héritage matrilinéaire, elle retient
un goût prononcé pour la couture et le vêtement, qu’elle développe en intégrant le Bunka Fashion College de Tokyo en
1990 puis le Fashion Forum de Paris en 1994. Grâce à un stage chez Miller et Bertaux, un duo de designers et stylistes,
Rieko Koga laisse libre cours à sa créativité et pose les bases de son langage plastique qui sort du cadre du strict
stylisme devenu bien trop contraignant pour elle.
BRODER L’ESPRIT
Le tissu n’est plus seulement un vêtement mais une membrane, comme une seconde peau où s’impriment les traces
du réel, de la mémoire et de la psyché. Le tissu se fait alors cocon ou enveloppe protectrice servant de révélateur à
l’enveloppe spirituelle. Cette dimension spirituelle est liée aussi bien à son enfance passée dans les 26 temples boud-
dhistes qui jalonnent son quartier qu’à l’histoire de la broderie japonaise elle-même. Cette dernière remonte au VIème
siècle et à l’introduction du bouddhisme depuis la Chine. Dans un premier temps religieuse, la broderie évolue au fil
de l’histoire vers une pratique plus décorative. Mais pour les grands maîtres japonais, la broderie reste une pratique
méditative, source d’équilibre et de beauté : « Par les mains s’exprime l’Esprit ». On retrouve cette dimension spirituelle
dans la pratique artistique de Rieko qui par ce geste répété invariablement cultive son esprit dans une fusion sensible
entre broderie et spiritualité.
BRODER SES PRIÈRES
Dans un enchevêtrement de fils, Rieko Koga enferme ses pensées les plus profondes mais aussi ses prières pour
accompagner les personnes qui lui sont chères. Nous viennent alors en mémoire les tissus de prières tibétains dont les
formules sacrées sont censées se répandre dans l’espace au contact du vent et ainsi s’exaucer. De la même façon, armée
de fils et d’une aiguille, l’artiste japonaise insuffle vie à ses prières destinées au bonheur de la personne qui occupe ses
pensées dans un intense et poétique don de soi. Elle explique la forte réception du Senninbari. Très populaire pendant
la seconde guerre mondiale, le Senninbari est une pièce de tissu brodée aux points de nœuds par un millier de femmes
pour donner chance et courage aux soldats ainsi protégés des blessures. Il est intéressant de noter que le nœud formé
par le fil et l’aiguille est un geste caractéristique de nombreux rituels de guérison et de protection à travers le monde.
« Dans la magie de la Grèce ancienne, l’aiguille assurait le lien entre l’objet et son bénéficiaire ». Rieko Koga entretient
ce lien ésotérique avec ces pratiques millénaires en parlant du pouvoir magique des points de couture à l’instar de
l’artiste Louise Bourgeois qui parle du « pouvoir magique de l’aiguille ». Au contact du fil et de l’aiguille les vœux de
l’artiste japonaise s’incarnent dans le réel créant un lien mystérieux entre l’œuvre et le spectateur.
Une coutume veut, au Japon, que l’on écrive les vœux parce que c’est important de les visualiser.
Nous pensons que les mots dans l’écriture sont une force de volonté. En brodant mes vœux, je les
écris, je les grave, je les imprime de toutes mes énergies pour donner aux gens du bonheur par mes
œuvres. C’est pour ça que je suis née. Vis en ce monde 1.
• L’espal 2014 • exposition • Rieko Koga
Ses vœux sont soigneusement dissimulés, protégés sous des couches de fils, provoquant un effet de secret. Ce qui
renvoie à l’approche de Walter Benjamin pour qui l’un des critères de l’aura de l’objet est l’absence-présence des forces
dérobées à nos regards. Ce secret ajoute de la puissance et renforce le pouvoir magnétique de l’œuvre de Rieko Koga.
UNE ÉCRITURE POÉTIQUE
Les points de coutures répétés invariablement par le même geste forment dans l’œuvre de l’artiste japonaise une écri-
ture poétique qui varie selon son humeur à l’image de l’œuvre de Pierrette Bloch dont le rythme des nœuds tressés
oscille en fonction de son état émotionnel. Par exemple dans Kodo Beat (2009), les points de couture noirs et denses,
compactes et chaotiques expriment la frustration de l’artiste japonaise de ne pouvoir exposer son travail, ainsi que sa
colère pour le triste anniversaire d’Hiroshima évoqué par de discrets 6 et 8 brodés de fils blancs. Dans un autre registre
Décalage horaire (2012) manifeste son statut d’exilé dans l’attente de sa carte de séjour et reflète son incertitude quant
à son avenir en France ou au Japon. Un fourmillement de formes circulaires, récurrentes dans son travail, renvoie au
cycle de la vie où tout n’est qu’un éternel recommencement.
L’espal 2014 • exposition • Rieko Koga •
Enc
ore
plus
loin
© p
hoto
Yan
-Em
man
uel M
oser
UNE ÉCRITURE LYRIQUE
Rieko Koga brode des tissus sonores, lyriques composés de signes et d’images entrelacés comme dans Rythme (2012),
nous faisant l’effet d’une écriture lyrique, comme celle d’une partition musicale. Les points de couture forment
des signes énigmatiques, tel un langage secret, codé. On pense alors au travail de l’artiste Hessie. Cette « Nouvelle
Pénélope » qui participe dans les années 1970 à la revalorisation des arts textiles, élabore un vocabulaire d’une grande
complexité. Composé de boucles de fils répétées à l’infini jusqu’à saturation de la toile, comme dans Sans titre (1978), le
langage impénétrable de Hessie joue des tensions entre plein et vide. De la même façon, Rieko Koga entretient le lien
intime qui unit depuis la Grèce antique la pratique du tissage et de l’écriture. En effet, un lien étymologique évident
unit les mots textile et texte, faisant du tissage une métaphore privilégiée de la création poétique. Le mot texte vient
du latin textus qui a aussi donné en français les mots tissu et textile. Le texte est alors considéré comme une matière
fabriquée, composée artisanalement de réseaux comme une tapisserie de mots tissés fil par fil 2. Une œuvre comme
Langage secret (2012), où le fil donne naissance à des points de couture semblables à des signes formant un vocabulaire
sibyllin, illustre parfaitement cette comparaison commune à plusieurs langues (par exemple en arabe le mot hak
signifie en même temps « tisser » et « raconter » 3 ).
UN JOURNAL INTIME UNIVERSEL
Ces liens étymologiques et métaphoriques trouvent leur pleine expression dans les récits mythologiques de Pénélope,
Hélène ou encore Philomène et Procné, dans lesquels
Le tissage est une écriture, un art graphique, une tapisserie, la représentation silencieuse et matérielle d’un discours 4.
Comme une façon de garder la maîtrise de son histoire, de son présent et de son avenir, ces grandes figures
mythologiques tissent d’un geste obsessionnel le fil du souvenir et de la destinée. Future Diary (2010) s’inscrit pleine-
ment dans cet héritage mythologique. Avec cette installation textile entièrement réalisée à la main en un mois et
demi, Rieko Koga invite le spectateur à un jeu de marelle de questions le projetant dans son futur : Qui embrasseras-tu
? Avec qui voudras-tu partager cette bonne nouvelle ? Quelle musique écouteras-tu ?...
Des questions simples, quotidiennes, intimes autour desquelles fourmillent des chemins de vie en noir et blanc représent-
ant la multiplicité des choix qui s’offrent à nous. Ce poétique parchemin de 15 mètres de long renvoie indéniablement aux
Trois Parques, les fileuses de la destinée humaine, ainsi qu’aux grandes figures mythologiques citées plus haut. Dans le
sens où la science du fil met en forme un récit de soi dans une volonté de reprendre le contrôle d’une vie bercée par la des-
tinée et l’inconnue. Ainsi, Pénélope fige le temps en attendant le retour d’Ulysse tandis que Rieko défilent et projettent le
temps pour l’imaginer à sa guise. Avec Futur Diary l’artiste japonaise fait s’entrecroiser les fils de l’intime et de l’universel,
du public et du privé. De la sphère intime de l’artiste brodant ses doutes et fantasmes, inquiétudes et rêves, l’œuvre passe
à l’extime de l’exposition qui est l’espace public, pour finalement retourner dans l’intimité de la lecture et projection du
spectateur. D’autant plus que l’artiste garde la fin de son chemin de vie secrète, invitant le spectateur à continuer ce journal
intime universel.
Ne faisant aucun dessin préparatoire, Rieko Koga brode comme elle pense, comme elle écrit, comme elle respire, comme
elle rêve. Le secret, l’intime, la spiritualité et le don de soi traversent l’œuvre de l’artiste japonaise. Elle étire le fil du temps
de son aiguille pour une intense exploration d’un moi profond projeté hors soi sous la forme de points de couture. Cette
subtile alchimie d’une pensée et d’un corps soigneusement entrelacés par la magie du fil et de l’aiguille, nous touche et
nous trouble.
Sonia Recasens, critique d’art
1 Rieko Koga, Si je brode le ciel, DMC, 20132 Marella Nappi in Texte, texture, textile, 20133 Marella Nappi, Texte et tissage dans l’épopée homérique : Hélène et Pénélope au miroir du poète ?, p.41 4 opus cité, p.51
• L’espal 2014 • exposition • Rieko Koga
2014 Beautiful Days 2 “ La forêt d’amour “ / Potager des oiseaux / Paris / France [ Personelle ]
2014 59e Salon de Montrouge / France
2013 “De la lenteur avant toute chose “ / abcd art brut / Montreuil / France
2012 “Future Diary / Here We Are “ / AC institute / New York / Etats-Unis [ Personnelle ]
2011 Beautiful Days 1 “ The Tree of Life “/ Potager des oiseaux / Paris / France [ personnelle ]
2010 “ The Good News “ / Moments artistiques / Paris / France [ Personnelle ]
Rieko KOGANée à Tokyo
Vit et travaille à Paris
Expositions [ Selections ]
janvier - mars 2015 Galerie Vrijdag / Anvers / Belgique [ Personnelle ]
janvier 2015 Musée textile Manufacture des flandres / Roubaix / France
Expositions à venir
“Si je brode le ciel…“ Edition DMC
Publication
www.riekokoga.fr
L’espal 2014 • exposition • Rieko Koga •
© p
hoto
Cat
herin
e M
ary-
Hou
din
Samedi 22 novembre 2014 de 11h à 14hLe rendez-vous du moisAtelier avec Brigitte Asselineau autour de l’exposition.
« Les sensations éprouvées au contact du travail plastique de Rieko Koga m’invitent au mouvement. L’atelier sera axé autour de la
notion de tissage. Tisser son geste, tisser ces bribes de mémoire, tisser une relation avec autrui. » Brigitte Asselineau
Dimanche 30 novembre 2014 à 12h30 à L’espalRieko Koga vous invite dans son atelier éphémère, n’hésitez pas à lui murmurer des mots doux à l’oreille, l’envie pourrait lui
prendre de les inscrire, avec son fil et son aiguille, dans la trame d’un tissu ou d’une feuille de papier…
Sur réservation, brunch 9,5€ par personne
BRUNCH, VISITES GUIDÉES ET AUTRES INVITATIONS EN PARALLÈLE DE L’EXPOSITION
INFORMATION PRATIQUES
L’exposition se déroule du 19 septembre au 20 décembre 2014. La visite de l’exposition est libre et gratuite aux heures d’ouverture de L’espal.
Pour les groupes associatifs et scolaires, nous proposons des visites guidées gratuites avec un médiateur, du lundi au vendredi
sur rendez-vous. Réservation à l’accueil de L’espal au 02.43.50.21.50
Les œuvres ainsi que les affiches de l’exposition sont en vente.
Pour toute information merci de vons adresser à l’accueil des Quinconces-L’espal ou à Julia Rosenow
UN FILM À VOIR
Rieko Koga – DepartureFilm – durée : 5 min / juillet 2014 – L’espal, Le Mans
Future DiaryFilm – durée : 3 min / Rieko Koga – 2012 – Paris
HORAIRES D’OUVERTURE
Lundi : fermé //
Mardi : 11h-13h / 14h-18h30 //
Mercredi : 10h-13h / 14h-18h30 //
Jeudi : 14h-18h //
Vendredi : 11h-13h / 14h-17h //
Samedi : 10h-13h / 14h-17h //
Tramway / terminus Espal ou Bus ligne 12
(République-St Martin) arrêt Espal.