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RELIGIOLOGIQUES, no 10, automne 1994, pp. 111-141
LA LOGIQUE DU DONDANS LE MYTHE INUIT
DE LA LUNE ET DU SOLEIL
Xavier Blaisel1
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Pour les Inuit, la lune et le soleil sont frre et sur. En effet,aprs maintes aventures, Siqiniq (Soleil) se marie, devient
enceinte et accouche d'un enfant, un hiver du temps mythiquedes origines. Recluse dans le petit iglou o les parturientesdoivent sjourner quelque temps, sa surprise est grande quand uninconnu se glisse dans sa couche ds qu'elle teint sa lampe. Unsoir, elle trouve le moyen d'identifier l'impudent. Se couvrantles mains de suie, elle barbouille le visage de son amant. Celui-ci retourne l'iglou des ftes aprs son mfait. Siqiniq le suit etentend, au milieu des rires et des quolibets, le nom de son frre.Passant le pas de la porte, le voyant enfin, elle se tranche lesseins et les lui donne en disant: Tu savoures tant mon corps,mange donc cela! (Boas, 1888: 598).2 Puis elle s'empare d'une
1 Xavier Blaisel est anthropologue. Il est rattach au S.S.D.C.C. (Centrede recherche et d'analyse en sciences humaines, Montral) etprpare actuellement (avec J.G. Oosten) un ouvrage sur la religiondes Inuit de l'Arctique central.
2 Cette scne et une dclaration analogue se retrouvent dans lesvariantes suivantes, recenses par Savard (1966: 113): ouest-Groenland (Rink, 1875: 236-237), Esquimaux de Pointe Barrow(Rink, 1875: 237), Esquimaux polaires (Rasmussen, 1908: 173),Tikirarmiut de Point Hope (Rainey, 1947: 270), Inuit de la rgiond'Igloolik (Rasmussen, 1929: 81). On ne la trouve pas dans lesvariantes des Esquimaux Caribou (Rasmussen, 1930: 79), desNetsilik Netsilingmiut (Rasmussen, 1931: 232-236), des InuitNetsilik Utkuigialingmiut de la rivire Back (Rasmussen, 1931:
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lampe flamboyante et court dans la nuit. Son frre la suit maisdans sa prcipitation teint la lampe saisie au passage. Leurcourse dcrivait une spirale et l'un la suite de l'autre ilss'levrent dans le ciel, devenant le soleil et la lune.
Cet pisode est tenu de longue date comme la cl du mythed'origine des astres. Savard y voit la perception d'unparalllisme des activits sexuelles et alimentaires, et de leurconfusion originelle (1966: 141), qui rappelle l'identification del'anthropophagie l'inceste ces formes hyperboliques del'union sexuelle et de la consommation alimentaire, dit Lvi-Strauss (1962: 139-140), si typiques des mythologies despeuples amricains. Dans cette interprtation classique (voir
Snne, 1990: 5), Savard remarque que le mythe s'ouvre sur latransgression d'une prohibition. Lune mange son insu, desmains de sa sur, la viande de son premier ours, que leurmauvaise mre ou grand-mre prtendait n'tre qu'un chien. Or,le chasseur ne doit jamais manger de la viande de son premiergibier (Rasmussen, 1929: 179). L'abattage du premier ourspermettant aux jeunes hommes de se marier, il est bien srinterdit, dit Savard, de manger ce symbole de la masculinit,sous peine d'annuler la progression de l'indiffrenciationoriginelle la distinction culturelle autour de la sexualit quiconstitue le propos du mythe (Savard, 1966: 143;153).
Outre la critique dont est passible l'identification de l'ours
avec la virilit3 , cette interprtation laisse en plan l'ide que
526) et enfin des Esquimaux du MacKenzie (Petitot, 1886: 7-8).Parmi ces variantes, je m'appuie tout particulirement sur lanarration de Thomas Kusugaq recueillie durant l'hiver 1950 Aivilik par Alex Spalding et donne en traduction juxtalinaire(Spalding, 1979: 33-47).
3 La masculinit de l'ours (voir Saladin d'Anglure, 1980a) ne prsentequ'une facette de la reprsentation de cet animal dans la cultureinuit. Animal de terre et de mer, chasseur de phoque comme lesInuit, enfin forme animale emprunte pour se venger par les pousesabandonnes ou veuves, l'ours chevauche les frontires du systme
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l'inceste frre-sur est provoqu par la transgression de laprohibition alimentaire du premier gibier, commise par Luneavec l'innocente complicit de Soleil, fort justement analyse parSavard. La coutume qui consiste ne rien manger de lapremire proie de chaque espce et de la cder entirement auxgens de son village, dite aliktuutijuten langue inuit, s'avre ainsid'une importance fondamentale. Alors que le rite de prohibitionde la premire proie devrait s'inscrire dans la rgle gnrale derciprocit attache au tabou de l'inceste entre le frre et la sur,le mythe rapporte au contraire la circulation des personnes dansle cadre des pratiques matrimoniales au rite rgulant lacirculation de la viande. On est alors en droit de se demander sila prohibition dont le contenu (...) n'est pas puis dans le fait
de la prohibition parce qu'elle n'est instaure que pour garantiret fonder, directement ou indirectement, immdiatement oumdiatement, un change (Lvi-Strauss, 1967 [1947]: 60) n'estpas, pour les Inuit, la prohibition de la premire proie plutt quele tabou de l'inceste, selon une logique qui contient celle-ci danscelle-l sur le fond de l'entremlement entre alimentation etprocration.
Dans cet article, mon propos sera de mettre au jour lalogique du don de l'aliktuutijut, afin d'tayer les raisons de soncaractre sacr, de mme que sa primaut dans la fondation dumonde inuit. On verra que l'aliktuutijut commande tous leschanges. Dans le cours ordinaire de la vie comme dans les
situations de famine qui reclent un potentiel de violenceanarchique et incontrle, l'thique dploye par l'aliktuutijutrgularise les relations entre les hommes, qui tirent ainsi uneleon des fautes des dieux. Par ailleurs, si procration et
classificatoire. Tour tour super-chasseur et figure ngative de lafminit, il circule entre les aires (mer, terre) rigoureusementdistingues par les prescriptions rituelles affrentes aux activitssaisonnires. Il est donc associ au chamane, lequel conjoint lesdichotomies habituelles (voir Saladin d'Anglure, 1988; Randa,1986; Blaisel, 1993b) et renvoie l'institution du troisime sexe(voir Saladin d'Anglure, 1986).
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alimentation sont intimement lis au point que l'inceste frre-sur peut entraner une sorte de glissement vers le cannibalisme,du ct duquel Lune est rang par sa sur outre, il reste qu'ilsne se confondent pas et que le cannibalisme constitue la ngationplnire de l'ordre civilisationnel dans son entier, un peu commele non respect de l'aliktuutijut au dbut du rcit entrane la sriedes fautes de Lune y compris l'inceste avec sa sur.
L'aliktuutijut cumule les caractristiques d'un fait socialtotal (voir Barraud et al. 1984; Mauss, 1925). Son associationavec l'inceste frre-sur n'a d'gale que la double fondationanthropogonique4 du monde issue des actions de Taqiq etSiqiniq. D'un mme lan, ces hros de la deuxime gnration
ancestrale des Inuit deviennent les astres indiquant par ladirection de leur trajectoire cleste l'ordre de l'univers, le sensde Sila (Petersen, 1967; Saladin d'Anglure, 1990).Simultanment, ils tablissent la circulation de nourriture et despouses virtuelles que sont les surs. Curieusement, ils yparviennent en commettant exactement le contraire de ce quis'impose dans ces domaines, mais ce sont bien eux qui sont l'origine du tabou de l'inceste et de la prohibition de la premireproie. Lune et Soleil constituent ainsi l'univers en un cosmosproprement dit, au double plan des rgles qui gouvernent leschanges et de la nature plnire, complte de l'univers. Cettedouble fondation d'un ordre socio-cosmique est souventconclue la fin du mythe par une vocation du pire des maux de
la vie des Inuit autrefois: le cannibalisme.
4 Le mythe de la lune et du soleil constitue une phase gnsiaque
intermdiaire de la cosmologie inuit, par contraste avec la priodecosmogonique, au sens restreint, o les transformations de l'universet les humains sont soumis la puissance tutlaire qu'est la terre,d'un ct, et avec la priode proprement sociogonique, dployant lepacte sacr et les rites rgissant la relation des humains avec legibier (voir Arima, 1969; Saladin d'Anglure, 1977, 1990; Blaisel etArnakak, 1991, 1993).
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Il est interdit de manger un tre humain, acte expressmentabhorr au plus haut point chez tous les peuples inuit del'Arctique. Le chien, seul animal domestique des Inuit, possdeun nom et le manger est dj, pour les Inuit, du cannibalisme.Mais lors d'une crise de subsistance, les chiens puis les humainspeuvent tre mangs en dernier recours, (voir Csonka, 1992;Mary-Rousselire, 1969; Saladin d'Anglure, 1980b) et les ansgardent encore un souvenir aigu de telles priodes de famine(voir Arnaujaq, 1986; Isullutaq, 1975; Pitseolak, 1977; Tuuluq,1977). Chaque fois qu'Atuat racontait sa rencontre avec lacannibale Ataguttaaluk, survenait l'hiver suivant une grandeabondance de gibier dans tout le pays (Saladin d'Anglure, com.pers. 1993). C'est dire que l'allusion de Siqiniq linuttupuq
(manger de la chair humaine) n'est pas neutre, ni sans communeproportion avec la gense mme du monde. Certainement pas,en tout cas, une simple expression redondante de l'inceste. Ledbut et la fin du mythe me semblent significatifs cet gard,mettant bout bout la transgression du crmonial de laconsommation de la premire proie par la communaut l'exclusion du tueur de la proie, d'un ct, et la pratique ducannibalisme, de l'autre, entre lesquels s'intercale l'inceste, queSoleil assimile d'ailleurs d'emble au dsir de son frre de lamanger.
Le mythe dploie alors, peut-on penser, un contraste majeurentre deux actions qui se renvoient dos dos: celle rituelle de l'change d'un terme tiers; celle, non rituelle, o pareil
change n'est pas ralis. Ces actions antithtiques renvoient des contextes sociaux particuliers de l'univers inuit. Certainscontextes, c'est--dire des situations sociales dfinies parcertaines activits ou un moment particulier de la vie de lacommunaut, promeuvent des valeurs diffrentes etsubordonnes celles ressortissant d'autres contextes: lesniveaux de valeur (Dumont, 1966: 107). Dans l'ordonnancementhirarchique des valeurs, les inversions expriment unchangement de rfrence d'un niveau de valeur un autre. Lerapport entre les niveaux hirarchiss d'exprience, qui peuventtre contradictoires, exprime la relation sociale la plus globaledans la forme de l'englobement de son contraire par la valeur
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ultime. Cet englobement met en vidence les limites du systmede valeur tudi mme le rapport entre le tout, qui dsigneainsi son au-del propre, avec le non-tout (voir Tcherkzoff,1993). C'est prcisment cet au-del du tout que semblereprsenter le cannibalisme, pos comme la ngation du fluxsocio-cosmique qui caractrise les changes entre lessilardjuamiut, les habitants de l'univers. suivre le mythe, lecannibalisme n'est pas ni par l'aliktuutijut, mais contenu en etpar ce dernier. Les actes de Lune et Soleil paraissent mettre enavant la nature de cette relation cruciale, proprement parler levritable propos du mythe. Il en dcoule un contraste entre Luneet Soleil comme allgories respectivement du mal agir et du bienagir eu gard au sens de Sila. Le mythe prsente en effet Lune
comme une sorte d'exclu sous l'angle des valeurs, qui paratanalogue au sort rserv l'inuttuniq, le mangeur d'homme,du ct duquel il est effectivement rang la fin du rcit dans laplupart des variantes du mythe d'origine des astres. Parce qu'ilsimpliquent tous deux la relativisation des valeurs, l'inuktuniq etLune peuvent tre compars avec le renonant du monde indienet de la chrtient, dont on a montr qu'il constitue un deslments les plus importants de la gense de l'idologieindividualiste moderne (Dumont, 1982). Le cannibalismeprovoque une sorte d'vanouissement du monde mme quand ilest effectu sur le mode du don de soi plutt que sur la moded'une attaque meurtrire sur autrui. Mais tout en exprimant unevaleur alternative la socit qui laisse place la survie de
l'individu, le cannibalisme ne gnre pas pour autant uneconceptualisation individualiste du rapport idologique entrel'individu et la socit, et en cela il n'est pas un renoncement.Licite en certaines circonstances, il n'a de sens qu'en tant querfrence contradictoire l'appartenance au tout socio-cosmique.
L'implication entre alimentation et procration
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Le mythe d'origine des mammifres marins5
claire lemythe d'origine des astres. En effet, la conjonction incestueusedu frre et de la sur rsulte en une disjonction entre la terre etle ciel, alors que la conjonction meurtrire entre le pre et la fillersulte en une disjonction entre la terre et la mer (Oosten, 1976:56). Le cycle de la lune et du soleil couvre l'anne d'un hiver l'autre, allant de la raret de la nourriture une union sexuellefrre-sur trop proche, alors que l'histoire de Uingigumasuittuqse droule au printemps, et passe d'une union sexuelle humain-animal l'abondance alimentaire (Oosten, 1983: 149).L'opposition entre la nature des personnages cosmomorphes quesont Taqiq et Takaannaaluk redouble leur complmentarit dansle gouvernement des esprits suprieurs (voir Savard, 1966: 117-
215). la transformation d'un garon immobile et dmuni enun mle d'une puissance sexuelle et d'une mobilit qui en fontl'esprit bienveillant des chasseurs, ainsi que l'esprit fcondeurdes femmes infertiles (Aningat-Taqiq), s'oppose latransformation d'une jeune fille belle et voyageuse en unenorme femme laide, terrifiante et immobile, dont l'irritabilit enfait moins une allie qu'une puissance que le chamane doitamadouer (Uingigumasuittuq-Takaannaaluk).6 Taqiq achemineles troupeaux de gibier vers les chasseurs, qui lui offrent des
5 Uinigumasuittuq devient la Mre du gibier marin, Takaannaaluk,
comme Aningat (le rondelet) devient Taqiq, la lune. Dans l'histoire
de Uinigumasuittuq, Celle qui ne veut pas chercher de mari , une jeune fille refuse tous les prtendants au mariage de son village,puis part avec un kayakeur tranger qui l'amne sur son le natale.Son pre tente de la reprendre mais le mari, un ptrel, les poursuiten kayak. Voyant qu'il lui sera impossible de reprendre son pouse,le ptrel dclenche une tempte. Le pre pousse alors sa fille horsde son kayak, mais elle s'agrippe des deux mains au bateau. Sonpre sectionne alors les phalanges des mains de sa fille, qui entombant dans la mer se mtamorphosent en diverses espces demammifres marins (voir Savard, 1970; Paniaq, 1987; Blaisel,
paratre).6 Takaannaaluk est trs sensible aux infractions qui souillent sa
chevelure. Elle prend les sanctions qui s'imposent contre les
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morceaux de viande avant de chasser, et les femmes strilesprofitent de sa sexualit fcondatrice pendant ses visites lors desnuits de pleine lune. Sur l'avis de Lune, qui observe la vie duvillage par un trou dans le plancher de son iglou cleste,Takaannaaluk dcide des alles et venues du gibier en fonctionde la conduite alimentaire et sexuelle des humains.
Les deux mythes croisent l'mergence des rgles sexuelles etalimentaires, croisement qui renvoie au dispositif de lareprsentation de la gense caractris par la juxtaposition del'alimentation et de la procration ds le rapport unitif deshumains Nuna, dans la phase gnsiaque initiale. Dans lespremiers temps, en effet, la terre merge du vide laiss par un
dluge qui dtruisit un univers en tous points semblable celuides Inuit aujourd'hui. Dans l'obscurit originelle d'un universsans gibier, astres, saisons, etc., Nuna (la terre) engendre lesanctres apicaux. Alors que l'humanit et l'univers sont enquelque sorte embryonnaires, Nuna prside leur destine cette tape de la gense. Sans le gibier que donneraUinigumasuittuq, et sans les connaissances de la chasse et desrites, les humains sont dpendants de la mre tellurique audouble plan de la procration et de l'alimentation: ils mangent laterre en fouillant le sol l'aide d'un bton et recueillent leursbbs dans les tertres ou les anfractuosits du sol, les bbs deNuna (Rasmussen, 1929: 110 sq.). Lune et Soleil contribuent,ainsi que Uinigumasuittuq, affranchir les humains de leur
assujettissement Nuna, en substituant le gibier la nourritureminrale, en instaurant les rgles d'change entre les humains pardes maladresses fondatrices, enfin en assumant les formescosmomorphes des principaux rouages du cosmos. Lerenversement de l'asymtrie initiale des humains envers la terre
vivants, par exemple en les privant de nourriture, ainsi que contreles morts impies, qui sjourneront ses cts pendant une ou deuxannes sous la forme d'un phoque alors que les valeureux, dcdsde mort violente (chasseurs en action, assassins, femmes mortes encouche, etc.) iront au pays cleste des morts aprs une visite Taqiqet la videuse d'entrailles pour faire bombance et jouer la balle.
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est plus que la fin de la prminence de Nuna, premirepuissance tutlaire de la gense. Il est la consquence dudplacement russi, par la seconde gnration ancestrale, de laprimaut du rapport des humains Nuna vers le rapport entre leshumains runis en socit, en rfrence l'humanitmtamorphose et largie dans le cours de la gense qui inclut legibier, les dieux et les hommes. Ce renversement peut trerapproch de l'avnement du jour, appel par le corbeaucroassant lors d'une clbre dispute avec le renard: la lumireaurorale du jour voque l'lan de l'humanit hors du ventretellurique comme le bb qui sort de l'iglou de rclusion post-parturiental avec sa mre est habill d'une robe en peau decorbeau. Agents de l'mancipation de l'humanit apicale,
Uinigumasuittuq, Aningat et Siqiniq procdent galement del'implication mutuelle entre procration et alimentation quicaractrise aussi bien le lien originaire avec Nuna que leur actionlibratrice.
L'organisation de cette implication n'est cependant pas lamme selon les rcits. Le mythe de Uinigumasuittuq dmontrepositivement la fcondit de l'alliance matrimoniale au planalimentaire, alors que le mythe de Lune et Soleil souligne pluttles consquences ngatives du refus de l'alliance sur ce mmeplan. En effet, une relation sexuelle entre parents trs proches(frre-sur) qui s'avre infertile et qui, l'image de la course desastres qui se suivent sans jamais pouvoir se rattraper est tenue
pour impossible par les Inuit, s'oppose un mariage avec untranger trs fcond qui donne la nourriture carne, tenue commela marque d'un monde d'abondance par contraste entre lasituation des Inuit avec celle de leurs premiers anctres. Leparalllisme structurel des deux mythes exprime ainsi quel'alliance est la consommation du gibier comme l'inceste frre-sur est au cannibalisme.
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Le mythe7
de l'origine de la chasse mauliqpuq, c'est--direde la chasse au phoque aux trous de respiration en hiver, reprend sa manire le croisement entre alimentation et procration. Larelation entre le chasseur et sa proie au moment de l'abattageconnote toujours le cot sexuel pour les Inuit. C'est la pointede la tte de son harpon, naulaq, mais dite aussi nauliq, termequi dsigne le pnis, que Kiviuk provoque la conversionsouhaite de la puissance sexuelle incontrle et cannibale de la
7 Ce mythe met en scne l'horrible personnage de la femme-abeille
(voir Black, 1983) dans le cycle pique des aventures de Kiviuk,l'orphelin audacieux dont l'intelligence et l'esprit pratique sont
lgendaires. Oblig d'accoster avec son kayak cause d'unetempte, Kiviuk aperoit une grosse maison, ouverte sur le haut,sans toit. Il l'escalade sans bruit et voit une vieille femme tannantune peau. Il signifie sa prsence malgr lui en laissant tomber sasalive de sa bouche. La femme suspecte sa prsence et dit tout hautque son toit n'a jamais eu d'coulement auparavant, mais elle nepeut y voir car ses paupires lui bouchent la vue. Elle les trancheavec son ulu, couteau de femme semi-lunaire. Les gros yeux quiregardent alors Kiviuk sont terrifiants au point de pouvoir causermort d'homme. La femme-abeille se montre hospitalire, offre descher les vtements de Kiviuk, qu'elle suspend au-dessus de lalampe sur le schoir pendant que le hros se glisse sur la plate-forme de couchage au fond de la maison, puis sort chercher du
combustible. Kiviuk aperoit alors, effar, des ttes de mortsproprement nettoyes partout et comprend que la vieille est sre detenir sa proie. Il se sauve. La femme-abeille tente de le rattraper,en vain, et dans sa colre, comprenant qu'elle ne pourrait plus lecapturer, fend un rocher de son ulu qui y entre comme si c'tait de laviande. Kiviuq lance son harpon et fait clater un rocher fleurd'eau: Ainsi aurais-je pu te harponner dit-il, et elle de rpliquer:Veux-tu tre mon poux?, mais Kiviuk se sauve force de ramesur son kayak, laissant la vieille pestant sur la plage. Dans sa rage,elle lance son ulu qui, glissant la surface de l'eau, se change englace flottante. Depuis lors existe la glace de mer en hiver et lesgens pensrent pour eux-mmes mauliqpuq (voir Rasmussen, 1931:366-367).
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femme-abeille, en une autre possibilit d'augmenter l'abondancede viande carne: l'avnement de la chasse mauliqpuq. Figurengative de la coquette, la femme-abeille dvoie l'ascendant queses tches domestiques procurent aux femmes sur les hommes enabusant de ce qui fonde la complmentarit du couple conjugal,l'homme chassant et la femme cousant et transformant la viandeen nourriture. Kiviuk retourne la situation en sortant vainqueurde la rencontre avec la femme-abeille. Furieuse de constater lapuissance du harpon, unaaq, la femme-abeille lance son ulu(couteau fminin) toute force sur l'eau, qui se change en glace,rendant possible la chasse masculine par excellence, la plusprouvante, la plus prestigieuse et la plus prcieuse en situationde disette alimentaire. Gagnant son dfi, Kiviuk tablit
l'englobement des activits fminines par les activitsmasculines, ainsi que la subordination de la femme son maridans le cadre de la complmentarit fonctionnelle du coupleconjugal.8 Et ce, dans la logique voulant que les rglesmatrimoniales soient corrlatives de l'alimentation permise ouinterdite, et qu'il faut manger du gibier et non des hommes (desmaris en l'occurrence). Pour ce faire, deux conditions sontncessaires: chasser le phoque sur la glace en hiver, et seconderson poux plutt que de le mettre bouillir!
Alimentation et procration jouent tour tour, l'un parrapport l'autre, le rle de trope et de phore, de faon deparler et d'enjeu. Considrons sous cet angle le rcit de Lune et
Soleil avec celui de Kiviuk. Dans le rcit de Kiviuk, une activit
8 La femme enceinte pour la premire fois devra abdiquer ses
prtentions de sductrice pour entrer dans l'interdpendance liantrciproquement les poux et en quelque sorte se vaincre elle-mmeen capturant une abeille qu'elle fera rouler vivante sur son dos, puisintgrera, au vu de tous, dans sa coiffe. Ce qui, le mythe le rappelleaussi, n'est pas sans exiger sa bonne part du mari, dont la capacitde pourvoyeur de gibier est tenue par les Inuit pour tre directementproportionnelle celle, sexuelle, de pouvoir engendrer unenombreuse descendance.
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ritualise, la chasse mauliqpuq9
, fait contraste avec lecannibalisme. Mais ce dernier rsulte d'un abus inverse de celuide Lune-Soleil et qui pousse son extrme limite la logique dumythe de Uinigumasuittuq: au lieu d'un frre refusant de cder sasur, une trangre veut trop de maris. Si dans tous les cas lesvictimes sont manges, il s'agit cependant d'un rsultat dans uncas et en quelque sorte d'un moyen dans le second: lecannibalisme mdiatise l'erreur de la femme-abeille dans l'ordredes pratiques matrimoniales un peu comme l'inceste relaie unedouble transgression (manger son premier gibier, manger sasur) au plan alimentaire pour Lune. Chez Lune, latransgression au plan alimentaire dclenche une puissanceprocratrice incontrle et ngative, manifeste dans l'inceste,
laquelle s'oppose la conduite exemplaire de Siqiniq en matirede mariage, de grossesse et d'enfantement. Dans le mythe deKiviuk, la puissance sexuelle incontrle de la femme, manifestedans la consommation de ses amants, s'oppose la conduite deKiviuk faisant escale pour manger et se reposer. Laconfrontation des deux protagonistes de chaque rcit ne donnepas non plus tout fait la mme chose. La faute d'Aningat relaieau plan sexuel ses transgressions au plan alimentaire en amont eten aval de l'inceste, d'o l'origine d'une rgle de mariage enrfrence l'tablissement d'une prohibition alimentaire. Laconsommation de ses maris par la femme-abeille mdiatise uneincohrence au plan de la procration, et la rsolution de cetteincohrence par la cration de la chasse mauliqpuq tire rfrence
de l'ordonnancement du partenariat entre les poux. Les bonnespratiques conjugales sont l pour promouvoir la bonnealimentation dans le mythe de Kiviuk, alors que les bonnespratiques alimentaires doivent assurer les bonnes pratiquesmatrimoniales dans le mythe d'Aningat. Il s'agit toujours,cependant, de promouvoir simultanment l'obtention de lanourriture et la procration des enfants, selon des rgles qui
9 Voir Blaisel et Arnakak (1993) sur le trajet rituel associant la chasse
mauliqpuq la naissance d'un tre humain, ainsi que sur lacroyance voulant que plus de phoques chasss donnent plusd'enfants.
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rgissent simultanment ces deux activits. Ces dernires sonttoujours imbriques, quoique diversement selon les cas. Cetteimbrication est conforme leur concidence originelle dont lerapport des humains avec Nuna.
Quoique variable, l'entrecroisement entre alimentation etprocration est constant dans la cosmogonie inuit. Laparticularit du mythe d'origine des astres ne tient pas ce qu'ilen dispose comme du mode d'expression privilgi de la tensionentre l'ordre matrimonial et des change de viande, mais qu'ilcondense ses deux derniers d'un ct, par opposition aucannibalisme, de l'autre ct. La manire dont est pens lecannibalisme dans les aventures d'Aningat est ainsi complte,
exhaustive, radicale. Or, le mythe pose, pour limite ultime ducannibalisme, la prohibition de la premire proie. La force de cediscours d'autorit est donc de dire que l'aliktuutijutcontient lecannibalisme, tel l'absolu qui rgle deux conditions existentiellesgnrales de l'exprience collective inuit. Le contraste entreLune et Soleil exprime quelque chose de cette opposition entredes termes exclusifs l'un de l'autre, tels les astres dont les Inuitdisent que Lune court derrire Soleil sans jamais l'attraper,occupant ainsi le ciel tour tour.
Les rites de passage des mangeurs de chair humaine
Le cannibalisme, tout interdit soit-il, est parfois permis.
Attardons-nous sur cette contradiction. Si un moribond exprimele vu que ses compagnons d'infortune mangent son corps pourtenter de survivre, la coutume ne condamne pas les cannibales.Plus curieux encore, quand le cadavre mang est le fruit d'unassassinat, l'anthropophage est puni pour le meurtre qu'il aperptr, non pour avoir mang de la chair humaine. Tous lescannibales ont les lvres jamais cercles de bleu et ils leur estinterdit de manger de la viande d'ours le reste de leur existenceici-bas. Toutefois, et c'est fort intriguant pour une socit quicondamne aussi svrement le cannibalisme, ils n'encourent pasd'autre contrainte.
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Elijah Angnatuk (1976), du Nunavik, a donn un rcit desplus clairants sur les cannibales. Les faits relats, dit lenarrateur, remontent au temps o l'homme blanc n'tait pasencore venu. Itigaituk et son jeune frre vivaient avec unefemme qu'ils ne tuaient pas parce que son travail leur tait utile.Quand ils voulaient manger quelqu'un, ils invitaient un de leursvoisins banqueter. Leur maison possdait une entreminuscule, aussi les deux frres demandaient leur invit depasser les pieds en avant, allong sur le dos; il leur tait alorsfacile de le poignarder au cur. Ils se nourrissaient ainsi toutl'hiver. Au printemps, on ne comptait plus les innombrablesintestins humains qui jonchaient leur iglou, d'o le nom du sitede leur campement, Nikavasik (le lieu du triste regret des morts),
ainsi que le nom de l'le o ils hivernaient, Iluilik (le lieu del'enserrement). la leve du camp d'hiver, les frressemonaient la femme pour qu'elle n'avoue rien aux autres Inuit,ce qu'elle ne pouvait que promettre. Mais n'en dsapprouvantpas moins les deux frres, elle accourut tout raconter lapremire occasion. Les Inuit, aviss du sort de leur parents,lancrent des messagers vers les diffrents camps. Lesplaignants rassembls confondirent les accuss en procs. Lesdeux frres eurent beau protester, la sanction fut sans appel: mise mort. Depuis, l'endroit et l'le mme furent vits par les Inuit.
Cette histoire expose les rouages caractristiques d'un procscoutumier. Le jugement sanctionne les deux frres selon les
rgles traditionnelles qui s'imposent en cas de meurtre (voirSteenhoven, 1959; Hallendy, 1991). La mort subite et violentegrandit le chasseur ou la femme morte en couches, leur assurantle pays post-mortem lumineux des chasses abondantes et des
jeux. Elle n'est donc pas accorde aux coupables.10 Quand
10 Le jugement est dcid par consensus. Les coupables qui
acceptaient la sentence pouvaient choisir la corde noeuds pourl'tranglement, plutt que de subir le couteau; tous les jugesdevaient tenir tour de rle la corde lors de l'excution. On ne peut
jamais tuer un homme dans sa maison: cette rgle, aussi sacre quel'hospitalit, devait tre respecte pour l'excution d'une sentence.
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l'intention meurtrire est dlibre, le coupable ne pouvait pasnon plus bnficier de la condamnation l'exil. La sentence taitexcute par toute la communaut, par un parent de la victimeou, sur dcision de la communaut, par un parent du meurtrier,un tel choix vitant aux excuteurs judiciaires d'encourir lavengeance des parents de l'inculp. C'est prcisment lecaractre ordinaire de la sanction frappant les deux frrescannibales qui est remarquable. Le lieu du crime devint tabou etles grands-parents du narrateur furent les derniers aller sur l'lergulirement. Nanmoins, en dpit de l'horreur o l'on tient lecannibalisme, la peine impose n'a rien d'original compare autraitement d'un meurtre ordinaire.
Qu'advient-il des cannibales qui ne sont pas pour autantconvaincus de meurtre? Alors, des contre-prestations teignentles pertes humaines qui entraneraient autrement une vengeancede sang de la part des parents des morts mangs. On donne auxproches des morts mangs des enfants qui, portant le nom d'unevictime, remplacent un peu les homonymes disparus (Mary-Rousselire, 1969). Par ailleurs, et c'est ce qui nous intresse,des rites propitiatoires rinsrent l'inuttuniq dans lacommunaut. La Baffinoise Atuat, du Nunavut, en donne unedescription. En effet, Atuat enfant accompagnait son pre Palluqet sa mre Taqurnaq quand ils dcouvrirent Ataguttaaluk,rescape d'une famine en mangeant ses proches (voir Freuchen,1935: 431-432; Mary-Rousselire, 1955, 1954, 1952, 1950;
Saladin d'Anglure, 1980b; Rasing, 1994: 54-56). la fin del'automne, Ataaguttaluk et sa famille s'taient avancs l'intrieur des terres pour chasser le caribou, mais sans succs.11
Ils dcidrent d'aller vers la mer. Les chiens mangrent leurharnais, puis furent eux-mmes mangs, aussi la famille dut
11 Ce moment de l'anne, quand la mer n'est pas encore englace, est
un des plus difficiles si les chasses de la belle saison antrieure n'ontpas t fructueuses. De mme, la famine survient le plus souvent la fin de l'hiver, quand les caches de viande sont vides et que lacommunaut dpend au premier chef du phoque et de la chassemauliqpuq.
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marcher. Des temptes s'ajoutant leur puisement, ils durentimproviser un abri, o moururent de faim le mari et les troisenfants, qu'Attagutaluk mangea pour survivre. Ataguttaaluk futune femme si bien remarie aprs l'pisode cannibale de sa vie, ce point clbre et puissante, qu'on la surnomma ensuite laReine d'Igloolik. Aujourd'hui les Inuit expliquentqu'Attaguttaluk a pu rintgrer la vie normale aprs cette terriblepreuve grce sa confession, qui donna aux Inuit la vritablehistoire de ce dsastre (Rasing, 1994: 56). Toutefois, on neconnat pas de cas de ce genre qui n'ait connu exactement lemme dnouement. L'inuttuniq est toujours absout de sa fautede cannibalisme si aucun meurtre n'est en cause. La rencontreproprement dite avec la rescape, puis les rites entourant le
retour d'Ataguttaaluk au camp expliquent, dans une certainemesure, pourquoi.
Voyant Ataguttaaluk, Atuat la rapproche du chien : Therewere small blocks of snow around where she was and wasdwelling in some kind of pit. When we saw her head we thoughtit was a dog (Atuat dans Dufour, 1975 : C22, 04).12 Lacannibale voque pour elle un oisillon sortant de l'uf:
She reminds me a baby bird that was justforming into a shape of a bird and was still inthe egg, of its wings, the head, the legs, theneck and the bill that was just forming into
shape. She had cut her long hair and when I
12 On lit une traduction anglaise de l'interview d'Atuat par Rose
Dufour et son interprte, ralise en 1975, Igloolik (T.N.-O.,Canada), dans le cadre des missions ethnographiques diriges par B.Saladin d'Anglure. Atuat, dernire femme tatoue de l'Arctique, quivivait Ikpiarjuk, a relat cette histoire dans sa langue maternelle,l'inuktitut. Ce verbatim, manuscrit non publi, rfre lanumrotation des cassettes de l'enregistrement sonore. La raret desmatriaux ethnographiques sur ce sujet, malgr quelques enqutesprofessionnelles sur le terrain depuis le sjour de Franz Boas enTerre de Baffin en 1884, justifie la longueur des citations.
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saw her the first thing I thought of was of ababy bird. It was all three of us that hadthought the same thing and it was hard to tellthat she was a human being. (Atuat dansDufour, 1975: C22, 05)
Arrivs au village, les Inuit s'assemblent autour del'inuttuniq:
"When we reached the village, the peopleperformed ATTAGUTALUK as they would doto people who died. They used to walk aroundher in place of people who just died. Since she
had eaten human flesh they walked around herin place of people whom she had eaten. Myparents watched while they were going aroudher. After they finished they finally talked thatshe really had eaten humans.-Why were they going around her?That was their custom to go around a corpse. Ieven used to do that too.-Was that their old custom?It was their custom. They did to her becauseshe had eaten humans and they did that tothose who were eaten by her. Since myparents did not know, we were supposed to
walk around her each time we wake up whenwe found her. When we reached the villagepeople started doing it.-Did the people go around her in place ofpeople whom she had eaten?Yes, they did that as if she were dead.-Did they go around her in place of deadpeople she had eaten?They did that as if she were dead even she wasalive, because she had eaten humans and theywere doing that to those whom she had eaten.-Did your parents also go around her too?
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Yes, they would go in the morning with thepeople to go around her. They never knewabout it before, only then when older peopletalked about this performance to them theywould start doing with them.-Did they go around ATTAGUTALUK eachmorning?Yes.-How long did they do that?All though while we stayed there. They hadstopped until she went to stay with her brother.We never saw her again when she went to staywith her brother.
-Where they doing that before she could ableto walk and went to her brother?Yes. She stayed with her brother all throughsummer and in the autumn when she got betterIttuksardjuat took her as a wife. We wentcaribou hunting in inland and when wereturned she was already married." (Atuatdans Dufour, 1975: C22, 10-12)
La circumambulation dans le sens de Sila, c'est--dire dansla direction de la trajectoire du soleil ou de la lune, est un ritefrquemment mis en uvre pour provoquer une transition d'tat.Par exemple, pour la femme enceinte qui doit tourner autour desa maison pour favoriser la grossesse. La circumambulation clt
les funrailles, accompagne d'une adresse expresse Naarjuk(l'esprit du Sila), afin de propulser les composantes du dfuntvers le ct lumineux, vers les belles contres des morts, ainsique le retour de l'atiq, le nom, parmi les vivants. Inversement,on tournera dans le sens contraire du soleil s'agissant d'un morthonni, afin de le tenir l'cart du circuit post-mortem, enchantant un refrain diffrent (voir Bilby, 1923: 166-167). Deprime abord, il est lgitime de rapprocher l'inuttuniq du chien,ainsi que le fait Atuat. Les chiens, mangs plus tt dans ce cas,assurent la fonction de ncrophages en dvorant le cadavrerituellement mis en tombe, assurant ainsi la disjonction descomposantes de la personne du dfunt (voir Blaisel, 1994;
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Blaisel, 1993a: 388-473). Toutefois, la circumambulation autourd'Attagutaluk, semblable la circumambulation funraire,montre que cette substitution de chien par l'inuttuniq n'a pas lemme effet, et qu'elle n'en a mme aucun eu gard aux objectifsdes funrailles. L'excution de la circumambulation autour del'inuttuniq donne penser que les cannibales non meurtriers sonttraits comme des gens qui ont touch les morts en dehors desfunrailles et sont eux-mmes assimils, au vu des rites qu'ilssubissent, aux morts qu'ils ont mangs, ainsi que l'interprteAtuat. Le rituel de rinsertion de l'inuttunuq consiste autant, sil'on suit Atuat, rhabiliter l'anthropophage souille d'avoir ten contact avec les cadavres en dehors des rites appropris, quede permettre aux composantes spirituelles des dfunts de
rintgrer les chemins ordinaires que cherchent justement leurouvrir les funrailles, indiquant a fortiori que les morts se sontaccumuls, en quelque sorte, dans l'inuttuniq. En partieconfondue avec ses victimes, Ataguttaaluk subit le rite qui auraitprvalu l'endroit des morts s'ils n'avaient t mangs, et s'entrouve incidemment rhabilite. Le but essentiel demeure larelance du flux des mes des morts, ce que les rites de traitementde l'inuttuniq prennent justement en charge. Le cannibalismen'est pas une action rituelle.
Somme toute, les cannibales sont traits comme des mortsou des meurtriers. L'anthropophagie, outre l'interdiction vie demanger la viande d'ours, est ignore: elle n'entrane ni
ostracisme, exil, mise mort, ni aucune autre sanction. Si laralit des cannibales est atteste par l'interdiction vie deviande d'ours, il n'existe pas pour autant de statutd'anthropophage. Cela est d'autant plus intriguant que ladvalorisation du cannibalisme est proportion des problmesqu'il pose en bloquant les changes entre les esprits, le gibier(qui donne son corps, mais parfois aussi son me pour unnouveau-n) et les humains. Les rites, piinarialik, ce qui doittre fait chaque fois, qui organisent les rapports traverslesquels la circulation des mes et des chairs se fait continmententre les hommes, les dits et le gibier, interviennentmanifestement pour rtablir le flux crmoniel entre les
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partenaires de l'univers interrompu par le cannibalisme. Leshumains s'empressent, au retour de la cannibale dans le village,de remettre en circulation les composantes des morts par lacircumambulation, et de procder ensuite la rintroduction dela composante spirituelle des dfunts dans la communaut pardation du nom des morts mangs aux nouveaux enfantsd'Ataaguttaaluk. Il s'agit donc de rtablir l'coulement rituel, untemps suspendu.
On ne peut s'attendre recevoir la chair du gibier si les riteset ceux qui les font disparaissent. Pourtant, comme le concluaitle chaman Samik Rasmussen (1931: 138 cit dans Balikci,1970: 151) en parlant d'une femme ayant mang son nouveau-n
aprs l'accouchement lors d'une terrible famine, que pouvait-ellefaire d'autre? Tout en concevant l'installation des humains dansle cosmos sur le mode d'une responsabilit inhrente l'actionrituelle qui le reconduit, un terme qui la contredit est nanmoinsexceptionnellement permis, qui demeure hors valeur et n'estdonc pas, en soi, condamnable. Interdit, le cannibalisme estlicite s'il vite sa mort propre ou celle d'autrui. Le cannibalisme,point de rupture de la socit, n'est pas un ensemble deprocdures ritualises, ni trait rituellement pour lui-mme unefois ralis. L'horizon sans gibier ni rites du contextecannibalique semble pens sous le rapport de la condition desanctres apicaux, dont la caractristique essentielle estl'asocialit. l'univers plnier issu de la gense, s'oppose un
niveau de valeur o, nouveau vanouie comme aux premierstemps, il ne reste presque rien de la socit. D'o l'absence dermission rituelle des cannibales en tant que tels. Il existecependant une institution qui vise in fine prvenir lecannibalisme, que les dboires instaurateurs de Lune mettent aupremier plan: l'aliktuutijut.
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proie. Les jeunes informateurs interprtent leur exclusion dubanquet comme un dfi lanc leur capacit de rapporter dugibier, comme si la premire proie n'tait rien en elle-mme etque l'initi devra se montrer capable d'en rapporter d'autresensuite. Devant cet affront, leur dtermination de retourner lachasse n'est que plus grande. Toutefois, ce point de vue n'puisepas le sens de ce rite de passage. Les Inuit croient que l'me dupremier phoque abattu, en plus de retrouver comme tout phoquecaptur un corps auprs de la Mre du gibier marin, grce auxrites appropris, entretient avec l'initi une relation particulire.Quand le gibier se fait rare, l'me de ce phoque revient lui offrirson corps. Si ce n'est pas ce phoque si particulier, on croitparfois reconnatre certains traits distinctifs (cicatrice, animal
borgne, doigt manquant, etc.) un parent dcd dans l'animal quipermet de sortir d'une famine (voir Nappaaluk, 1992: 23-25).
Qu'en est-il d'une chasse ordinaire, aprs l'initiation? Leharponneur chanceux, immdiatement aprs avoir hl sacapture hors du trou de respiration sur la glace marine, l'aglu, luidonne de l'eau ou met une poigne de neige dans sa gueule pourtancher sa soif. Puis il couche le phoque sur le dos, lui ouvre leventre juste assez pour y passer la main et en sort le foie avec lamain gauche. Les autres chasseurs quittent leur poste de guetaux agluit et s'assemblent en demi cercle face au harponneur.Celui-ci coupe le foie en languettes et en place une devantchaque homme. La portion est pique avec un morceau de bois
et mange en silence. Le harponneur aussi mange une portionde foie. C'est le ningigtavut, nous partageons.
Le ningit dsigne la portion d'un gibier abattu, alors quel'action de procder au partage se dit ningirsupaa. En effet, lephoque captur (natsiviniq, feu le phoque) est dit, au momentdu partage de son foie, ningitaq; c'est--dire au sens propre undivis qui est partag entre les chasseurs ayant particips lacapture. Or, le chasseur qui ningirtisijuq qui distribue lesportions de son tu , au moment d'accomplir le partage,s'appelle lui-mme ningirtauvunga: je me divise en portion.Le chasseur tuant l'animal et l'animal tu sont assimils au
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moment du partage du gibier, ne faisant qu'un. En rfrence l'entit donnatrice compose de la proie et du harponneur, lesreceveurs sont dsigns par le terme ningirvigivaa, ils sontchacun par rapport eux/lui, par simple contraste avec leningirtaq qui dsigne tout aussi bien celui qui partage que celuiqui est partag! Du point de vue du tueur comme du point devue des receveurs, tous sont rfrencis l'entit du partageur-partag, ningitaq, qui englobe le sujet de l'change et l'objet del'change. Cependant, pass ce repas, on revient unedistinction entre le partag et le partageur, dsignsrespectivement par ningirtisiguti ce qui sert au partage (lephoque) et ningirtisigutiva, celui qui donne (l'homme). Cetteconcidence smantique repose sur un sens figur de ningitaq,
qui dsigne par extension le chasseur dans les circonstances dupartage de la proie. La coutume exprime ainsi une conjonctionchasseur-proie propre ce contexte rituel, qui n'est pas sansclairer la consommation de la premire proie.
Aux yeux des commensaux qui clbrent une capture,manger du premier gibier d'un chasseur est un peu comme lemanger lui. Acte presque cannibale, mais qui manifeste pourtantexactement le contraire dans la mesure o c'est le phoquereprsentant le chasseur qui est mang, son substitut rituelautrement dit. Le rite affirme ainsi la double signification de lacontribution du chasseur ramenant sa proie ses pairs, c'est--dire l'acte civilisationnel suprme (manger de la viande), ainsi
que sa ngation virtuelle (tre soi-mme mang), celui-ci tantsubordonn celui-l comme le contraire qui lui confre tout sonsens. Le chasseur donne autant pour viter d'tre mang(autrement que par substitution) que pour nourrir ses pairs.Chaque chasse ritre le fondement de la civilisation.
Mais pourquoi l'initi ne peut-il manger de sa premireproie, si rien n'empche par ailleurs qu'il mange les proiessuivantes, et malgr que le chasseur et le chass appartiennent une mme personne morale les fois suivantes, donnant penserque manger de ses proies c'est toujours un peu manger une partde soi? L'alimentation carne permet l'avnement de la
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civilisation inuit par contraste avec les anctres apicaux et lescannibales, mais elle ne la rsume pas. Une morale du doncompose socialement le repas de viande.
Le dispositif symbolique de conjonction-substitution duningigtavut n'est pas inusit. Il se retrouve dans l'initiationchamanique quant au rapport entre l'imptrant et la communautvis--vis des esprits suprieurs (Blaisel, 1993b: 145). Le dernierrite du premier repas carn d'un garon en fournit un autreexemple. Le cannibalisme de substitution y trouve sa plusnette expression. Aprs que l'enfant ait mang pour la premirefois de la viande de caribou puis de phoque, assise sur lesgenoux de sa mre encore recluse dans le petit iglou de rclusion
(kinirvik), la mre fait bouillir une tte de chien en affirmant l'enfant qu'il s'agit de la tte de son illuq ou cousin dechant.14 La mre prend les mains de l'enfant de sorte qu'iltienne la tte du chien de chaque ct, puis elle la mange. Elleagit au nom et la place du bb. L'interdiction de manger duchien n'a pas cours dans le cadre de ce rite, et l'on comprendpourquoi puisqu'il s'agit de signifier que l'on mange un homme,le cousin de chant. Le statut de prdateur implique-t-il laconsommation d'un homme? Tout est affaire de contexte.L'usage d'une tte de chien reprsentant la tte de l' illuqparticipe d'un oxymore o la vritable leon morale dploie uneopposition du sens au contexte, un sens divis, de sorte que laconsommation cannibale est permise seulement dans cette mise
en forme rituelle. Ce n'est ni vraiment une tte d'homme nivraiment l'enfant qui la mange, ce que rien n'empche a priori.Ainsi, l mme o la consommation alimentaire d'un homme esten jeu, elle repose sur une double substitution, de l'enfant par la
14 Le cousin de chant est le partenaire rituel associ vie d'un homme
dans les comptitions de chants; ils rivalisent d'adresse oratoire pourvanter leurs prouesses tout en ridiculisant leur adversaire. Si uneinsulte, une menace de mort pouvait jadis entraner mort d'homme,l'antagonisme rituel entre les cousins de chant est bien sr licite.
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mre et par du chien pour l'illuq.15
Un dispositifreprsentationnel o les tres sont partiellement substituablesdans les contextes rituels est mis en uvre de sorte que l'onpuisse faire comme si tout en conservant la diffrence entre cequi est reprsent et ce qui reprsente. L'alternative laisse par lecannibalisme, c'est--dire prendre autrui plutt que son gibier ouse donner soi-mme sans que ce soit au travers d'une capture, estmanifestement contraire ce dispositif reprsentationnel. Or, enrfrence ce dispositif reprsentationnel, on remarque uncontraste entre l'aliktuutijutet le cannibalisme, d'un ct,avec lepartage habituel de la proie o le tueur participe au repas, del'autre ct, qui souligne l'inversion en miroir entre l'aliktuutijutet une des deux formes de cannibalisme, ainsi que la conformit
de l'autre forme avec son principe mme. L'aliktuutijutdonne voir un extrme qui rejoint prcisment pour cette raison lecannibalisme.
Le sang de la premire proie qui couvre le chasseur opreune conjonction entre le chasseur et le chass, alors que lors deschasses suivantes la concidence avec la proie ne survient qu'aumoment du partage du foie et ne s'tend ni toute la proie ni toutau long de son cheminement subsquent parmi les hommes.Confondue avec le chasseur un degr ingal qui en fait uneressource privilgie en priode de disette, la premire proie estdonc cde entirement. Le cannibalisme passe par un don (dumoribond aux vivants et c'est le don suprme), ou inversement
par une appropriation unilatrale (des vivants sur la victime) etc'est alors la ngation complte du don. Ainsi, une substitutioncomplte (l'aliktuutijut) qui interdit de manger de sa premireproie s'oppose dans tous les cas une absence totale desubstitution (le cannibalisme). La substitution complte ou son
15 Le mythe d'origine du chamanisme (Rasmussen, 1929: 110) dit
qu'un homme, le premier chamane, dut aller vers Takannaaluk etramener les mammifres marins afin que la famine cde la place l'abondance. On voit, dans l'instauration de l'intervention duchamane comme vecteur des changes entre la desse et leshumains, le mme rapport ternaire.
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absence s'opposent ainsi la substitution partielle de la chasseordinaire.
L'aliktuutijut consacre l'initi en tant que donateur deviande, alors qu'auparavant il n'tait que receveur, comme lesenfants et les femmes. La morale du don qui s'y exprime estd'une grande porte. D'une part, elle confre au partage uneraison suprieure. D'autre part, elle prend l'exact contre-pied ducannibalisme dans ce qu'il a de contradictoire avec le principemme du rgime social de la circulation de viande et commandetout au contraire de pratiquer le don de son cadavre en pareillesituation. Le seul vnement que sa nature englobante necirconscrit pas est le cannibalisme dans sa forme dvoye de
meurtre, que la socit punit de mort. L'acte cannibale esttoujours asocial, mais s'il s'avre anti-social de surcrot aucunerhabilitation dans l'ordre des changes n'est possible. Lerfrentiel de cette distinction se trouve dans l'aliktuutijut.
Aningat, Siqiniq et le principe du don
S'il est interdit de refuser un don dans la coutume inuit, lemythe d'origine des astres souligne l'obligation de donner. Lapremire fois est souvent l'occasion d'un rite chez les Inuit. Oren l'occurrence, s'agissant des faits de circulation, on voit quec'est proprement la logique du don dploye par l'institution del'aliktuutijutqui est au fondement des obligations morales dont
procdent les prestations de nourriture et de personnes. Certes,de manire gnrale, la viande circule sur le mode du partage(Riches, 1980: 220-221). La rpartition relativement restreinte etinhrente aux rseaux de parent et de coopration la chasse estmoins suspendue (Lvi-Strauss, 1967: 39) qu'largie ensituation de crise de subsistance, la proie capture devenant laproprit de toute la communaut de rsidence. Quand bienmme, le donateur fait alors partie des commensaux et il s'agittoujours de partage. Cependant, et quoique le don gracieuxoccupe une place quasi infime au regard de l'ensemble des faitsde circulation dans la socit inuit, le don de la premire proie dechaque espce, ainsi que le don de soi au plus fort d'une famine,
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sert de rfrence au partage. Fait remarquable, la rciprocitalternative et diffre qui caractrise la prestation de l'aliktuutijutne commande pas de retour direct des receveurs au donateur(l'initi), prcisment l'instar de la circulation par le partage ole donateur ne sait jamais de qui il recevra en retour. La logiquedu don de l'aliktuutijut implique ainsi une morale dont le champd'application va de la situation d'abondance la famine et, eugard l'implication mutuelle entre alimentation et procration,englobe la circulation de la viande et des femmes.
En mangeant son premier ours, Lune se condamnait ds ledpart au sort de ceux qui n'en mangent jamais plus, lescannibales. De mme, il se prdisposait commettre l'inceste
avec sa sur au lieu d'accepter de la cder. Qui plus est, encommettant l'inceste aprs l'accouchement de sa sur, il semblerefuser de cder la descendance de celle-ci. Siqiniq tranchantses seins et les donnant manger son frre indique qu'Aningataurait d l'approvisionner en viande plutt que de commettrel'inceste avec elle. Anti-hros, rang comme mangeur de chairhumaine, inuttupuq, Aningat demeure hors du monde dont ilinstaure le principe malgr lui. Lune rapporte tout lui-mme,illustrant paradoxalement quel point la mesure de la personnese trouve dans la participation aux changes entre les habitantsde l'univers silarjuamiut. Or, l'inverse de la subordinationde la sur au frre dans leurs dboires ici-bas, l'ordre socio-cosmique est cxtensif la course de Lune la suite de Soleil.
La fondation du monde correspond au renversement del'asymtrie initiale de Siqiniq vis--vis dAningat.
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