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Basarab Nicolescu (Ed.)
LA MORT AUJOURDHUI
2012
Basarab Nicolescu
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SOMMAIRE
Michelle Nicolescu,Au seuil du mystre
Adonis,Mourir
Horia Badescu, Chants de vie et de mort
Michel Cazenave,La mort, le sacrement
Olivier Germain-Thomas,Eros et Thanatos
Jean-Yves Leloup, Vers un art de vivre et de mourir en paix
Jean-Paul Bertrand, La mortUne proposition rvolutionnaire permanente
Dominique Dcant,Actualit de la mort dans la vie psychique
Patrick Paul,La mort dans la phnomnologie des rvesLa question de la subjectivit et des
niveaux de Ralit
Hlne Trocm-Fabre, Les mots forgent notre regard sur le mourir
Jean-Yves Lefvre,La mort fait partie de la vie
Maurice Couquiaud,La mort aujourdhui peut-tre
Franois Vannucci,Le physicien et la mort
Richard Welter,La mort, la vie et la conscience attentive
Ren Berger,Les mtamorphoses du mourir aujourdhui
Jean Bis,Mort et spiritualitDe la mort aujourdhui lternel Aujourdhui
Alain Santacreu,La mort devant soi
Sylvie Jaudeau,Aperus sur les sciences de la mort
Lama Denys,Apprendre la mort pour mieux vivre
Ren Barbier, La recherche, lducation, et le sentiment de la mort: rflexions dans lesprit de
Krishnamurti
Pablo Sobrero et Andreu Sol, Un immense chagrin anthropologique
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Corin Braga, Les eschatologies superposes de la mythologie irlandaise
Charles-Henri Rocquet,La mort aujourdhui
Magda Carneci,Requiem
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UN MYSTERIEUX PHENOMENE1*
Michelle Nicolescu
15 aot 2001
MdS est dcd le 4 aot 2001, un samedi matin, vers 10h, Beauprau.
*+ Nous arrivons Beauprau le dimanche 5 aot, vers 16h, et nous avons la chance darriver
un moment o il ny a pas de monde. *+ Devant la porte de la chambre de MdS, deux jeunes
femmes sont assises. Elles ouvrent la porte pour nous faire entrer : deux personnes sont dj
prsentes qui vont sortir. Je me dirige vers la gauche du lit derrire B., puis, ds que les deux
personnes sont sorties, je vais sur la droite masseoir sur une des deux chaises prs de lange en
marie. D. sassoit au pied du lit. B. reste debout.
Aprs un certain temps je peux poser le regard calmement vers le visage de MdS. Il est calme,
un lger sourire semble sesquisser de ses lvres ; une barbe blanche de quelques jours recouvre son
menton. Il est habill dune chemise indienne blanche. Ses mains sont croises sur son ventre dans la
posture traditionnelle.
Jessaie de me concentrer sur le visage de MdS. Ma respiration est de plus en plus lgre,
suspendue. Cependant, des milliers de penses dferlent dans ma tte et, en essayant de les chasser,
*Extraits du journal tenu de 1978 jusqu sa mort par Michelle Nicolescu, dcde le 28 octobre 2005. Les nomsont t remplacs par des initiales.
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elles reviennent de plus en plus fortes *+ Quand ces penses affluent trop nombreuses dans ma
tte, je marque un temps darrt en regardant tout autour, sans bouger la tte ; seuls les yeux
absorbent les dtails de la pice et font pntrer dans mon me les impressions du lieu : le mur
dlav au dessus de MdS, le visage immobile de B., les mains de MdS, sa barbe, ses lvres, le dessus
du lit, lange marie que jaime beaucoup *+
Et puis soudain, en regardant le corps de MdS, une respiration forte et rgulire se fait
entendre. Jouvre les yeux (je dis bien les yeux et non les oreilles) pour fixer la cage thoracique de
MdS, puis son visage. Il me semble dormir, prt sveiller, mais aucun mouvement nest
perceptible. Je regarde alors tout de suite B. et je me concentre sur sa respiration ; mais le son
rgulier qui continue toujours emplir la chambre nmane pas de lui. B., qui peut avoir une
respiration bruyante, semble ce moment-l peine respirer : aucun son, ni aucun mouvement
travers son costume noir, ne sont perceptibles. Il semble en suspens, comme MdS.
Mes yeux sont grand ouverts et, comme si jobservais le droulement dun rve, mon regard va
alternativement de MdS vers B. Mais le son de la respiration continue : le rythme pntre
entirement dans mon corps et mon regard continue daller et venir de MdS B., mais plus
calmement. Je suis dans un tat dabsorption totale des impressions. Je vis pleinement en moi cette
respiration et enfin toutes les penses ont disparues. Il ne reste que ce rythme qui dure.
Mon regard slargit, car je suis bien oblige de croire cette respiration.
*+ A plusieurs reprises il me semble que MdS bouge, respire, ouvre les yeux mme. Alors mon
regard se fixe fortement sur MdS mais ne peut constater rellement aucun mouvement.
La respiration pourtant continue. Mon cur cherche dsesprment do peut provenir ce
son, car peu peu je ralise lextrme mystre de ce phnomne et quelque chose en moi refuse dy
croire et essaie de trouver une origine, une explication.
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Je fixe donc encore plus profondment, de mon regard, le son de cette respiration. Il est bien
en direction de MdS et semble envelopper tout son corps, un corps beaucoup plus large qui dpasse
son corps terrestre. Un corps pratiquement aux dimensions de la chambre et dont le cur serait le
corps terrestre de MdS, un corps nous englobant tous les trois en nous imprgnant, quant moi, de
sa lumire et de sa bont.
A deux reprises le bruit de la respiration reprend fortement son souffle. Mon regard atterr se
dirige vers B., mais, nouveau, aucun signe que ce bruit provienne de lui. Il est toujours aussi
immobile et sa respiration semble arrte.
*+ Je suis en tat de gratitude pour ce moment.
B. bouge et se dirige vers MdS pour le toucher une dernire fois. Il sort. Je fais un dernier signe
vers MdS et nous le suivons.
*+ Dans la voiture jose parler de la respiration que jai entendue. A ma grande surprise, D. dit
quelle a entendu la mme respiration. Je croyais toujours en fait un phnomne dhallucination
Puis B. parat trs intress et nous dcrit lexercice quil a fait dans la chambre. Il a concentr sa
respiration et la faite circuler de MdS lui ; lui seul pourra dcrire vraiment cet exercice de
respiration circulaire. Sa propre respiration sest pratiquement arrte. *+ B. pendant son exercice
na pas entendu le son de la respiration : il sentait que MdS respirait travers lui.
Je sais que ces instants resteront gravs jamais dans mon me.
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MOURIR
Adonis
Commencer implique finir . Cest la loi de la nature. Le problme, sil y a un, nest pas
dans la fin. Il est plutt dans le commencement, dans la naissance, dans la vie, et non pas dans la
mort. Surtout que la mort est commune et quelle est, de ce fait, banale.
La vision monothiste de lhomme et du monde a transform la mort en problme, une fois
quelle la idologise. On peut dire que cest cette vision qui a cr la mort en la considrant
comme un pont vers une vie mta-naturelle. Ainsi, elle la exile de la sphre de la nature celle de
la culture. Elle est devenue une partie intgrante dune culture fonde sur la foi en Dieu unique et
transcendantal. Cette culture prcise que lhomme qui meurt ira lun de deux lieux dans un ciel
imaginaire : le Paradis ou lEnfer.
La vision monothiste a condamn la vie relle en promettant une autre vie, soi-disant plus
heureuse et ternelle. Elle a dform lide de la vie sur la terre en dformant lide de la nature, de
la mort et de lhomme lui-mme. Ltre humain a perdu ainsi son essence et il a perdu la vie.
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Tuer, selon la vision monothiste, cest tuer au nom de Dieu. Lhomme est possd, enchan,
par cette vision. Il est assujetti elle au nom dune libert venir avec la mort. Il est devenu
moyen au lieu dtre la suprme et lultime fin.
Pour accder au paradis, lhomme se trouve men tuer pour Dieu. Si tu aimes Dieu, tu dois
tuer son ennemis , le non-croyant. Dieu est devenu un seigneur absolu guidant son arme
contre ses ennemis . Ainsi le crime se sacralise et se divinise.
La culture, dans cette optique, est essentiellement une culture de mort, et non pas de vie.
Comme si elle prchait que lhomme est cr pour tuer lhomme. Ce qui se droule en Palestine,
Bagdad et dans le monde de lIslam, illustre le massacre divinis et perptuel, et ce nest quune
variation dune histoire longue, tragique et inhumaine.
Pour redevenir lhomme libre, linstar de la nature, il faut se librer radicalement de la vision
monothiste. Pour penser tout court, il faut sen librer.
A partir de cette libration, on pourrait comprendre pourquoi lhomme monothiste ne cesse
de tuer la vie, ne cesse de se tuer et tuer lautre, alors que tout doit tre pour lhomme, pour sa vie,
et pour son bonheur.
Non, ce nest pas Dieu qui est mort, dans notre modernit. Celui qui est mort est lhomme lui-
mme.
Homme, lve-toi !
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MOURIR
Adonis
Commencer implique finir . Cest la loi de la nature. Le problme, sil y a un, nest pas
dans la fin. Il est plutt dans le commencement, dans la naissance, dans la vie, et non pas dans la
mort. Surtout que la mort est commune et quelle est, de ce fait, banale.
La vision monothiste de lhomme et du monde a transform la mort en problme, une fois
quelle la idologise. On peut dire que cest cette vision qui a cr la mort en la considrant
comme un pont vers une vie mta-naturelle. Ainsi, elle la exile de la sphre de la nature celle de
la culture. Elle est devenue une partie intgrante dune culture fonde sur la foi en Dieu unique et
transcendantal. Cette culture prcise que lhomme qui meurt ira lun de deux lieux dans un ciel
imaginaire : le Paradis ou lEnfer.
La vision monothiste a condamn la vie relle en promettant une autre vie, soi-disant plus
heureuse et ternelle. Elle a dform lide de la vie sur la terre en dformant lide de la nature, de
la mort et de lhomme lui-mme. Ltre humain a perdu ainsi son essence et il a perdu la vie.
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Tuer, selon la vision monothiste, cest tuer au nom de Dieu. Lhomme est possd, enchan,
par cette vision. Il est assujetti elle au nom dune libert venir avec la mort. Il est devenu
moyen au lieu dtre la suprme et lultime fin.
Pour accder au paradis, lhomme se trouve men tuer pour Dieu. Si tu aimes Dieu, tu dois
tuer son ennemis , le non-croyant. Dieu est devenu un seigneur absolu guidant son arme
contre ses ennemis . Ainsi le crime se sacralise et se divinise.
La culture, dans cette optique, est essentiellement une culture de mort, et non pas de vie.
Comme si elle prchait que lhomme est cr pour tuer lhomme. Ce qui se droule en Palestine,
Bagdad et dans le monde de lIslam, illustre le massacre divinis et perptuel, et ce nest quune
variation dune histoire longue, tragique et inhumaine.
Pour redevenir lhomme libre, linstar de la nature, il faut se librer radicalement de la vision
monothiste. Pour penser tout court, il faut sen librer.
A partir de cette libration, on pourrait comprendre pourquoi lhomme monothiste ne cesse
de tuer la vie, ne cesse de se tuer et tuer lautre, alors que tout doit tre pour lhomme, pour sa vie,
et pour son bonheur.
Non, ce nest pas Dieu qui est mort, dans notre modernit. Celui qui est mort est lhomme lui-
mme.
Homme, lve-toi !
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MOURIR
Adonis
Commencer implique finir. Cest la loi de la nature. Le problme, sil y a un,
nest pas dans la fin. Il est plutt dans le commencement, dans la naissance, dans la vie, et non
pas dans la mort. Surtout que la mort est commune et quelle est, de ce fait, banale.
La vision monothiste de lhomme et du monde a transform la mort en problme, une
fois quelle la idologise. On peut dire que cest cette vision qui a cr la mort en la
considrant comme un pont vers une vie mta-naturelle. Ainsi, elle la exile de la sphre de
la nature celle de la culture. Elle est devenue une partie intgrante dune culture fonde sur
la foi en Dieu unique et transcendantal. Cette culture prcise que lhomme qui meurt ira lun
de deux lieux dans un ciel imaginaire : le Paradis ou lEnfer.
La vision monothiste a condamn la vie relle en promettant une autre vie, soi-disant
plus heureuse et ternelle. Elle a dform lide de la vie sur la terre en dformant lide de la
nature, de la mort et de lhomme lui-mme. Ltre humain a perdu ainsi son essence et il a
perdu la vie.
Tuer, selon la vision monothiste, cest tuer au nom de Dieu. Lhomme est possd,
enchan, par cette vision. Il est assujetti elle au nom dune libert venir avec la mort. Il est
devenu moyen au lieu dtre la suprme et lultime fin.
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Pour accder au paradis, lhomme se trouve men tuer pour Dieu. Si tu aimes Dieu, tu
dois tuer son ennemis , le non-croyant. Dieu est devenu un seigneur absolu guidant son
arme contre ses ennemis . Ainsi le crime se sacralise et se divinise.
La culture, dans cette optique, est essentiellement une culture de mort, et non pas de vie.
Comme si elle prchait que lhomme est cr pour tuer lhomme. Ce qui se droule en
Palestine, Bagdad et dans le monde de lIslam, illustre le massacre divinis et perptuel, et
ce nest quune variation dune histoire longue, tragique et inhumaine.
Pour redevenir lhomme libre, linstar de la nature, il faut se librer radicalement de la
vision monothiste. Pour penser tout court, il faut sen librer.
A partir de cette libration, on pourrait comprendre pourquoi lhomme monothiste ne
cesse de tuer la vie, ne cesse de se tuer et tuer lautre, alors que tout doit tre pour lhomme,
pour sa vie, et pour son bonheur.
Non, ce nest pas Dieu qui est mort, dans notre modernit. Celui qui est mort est
lhomme lui-mme.
Homme, lve-toi !
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CHANTS DE VIE ET DE MORTHoria Badescu
Que le jour sassoit ta table,
y demeure,
cela narrivera jamais !
De passage les instants, les heures, les jours,
de passage toi aussi,
de soi-mme se passant,
jamais rien dautre que lenfant
de la mort
apprenant la langue
de sa mre.
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A un bout du chemin se tient
la naissance,
lautre la mort;
si entre soi et soi
chemine le chemin
alors la vie
nest que le voyage sans fin
de la mort
dans sa propre naissance.
Son souffle que ds le premier instant
le tien accompagne,
ton visage quelle revt
sans le savoir,
vos voix
qui de mots semblables et de mme silence
rsonnent,
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toi
et ta mort,
ta sur jumelle,
le vent et la flamme
dun aprs-midi
de Dieu.
Le pome est lui-mme
un chemin.
Le chemin du pome
est le pome mme.
Sur le chemin du pome
celui qui marche
nest pas le pome;
sur le chemin du pome
erre le poussire
engendre sous les pieds
de la mort.
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A juste titre on peut mappeler:
vieillard cervel !
Car, voil,
jai mis au monde tant de choses
et nai pas su
que mme la mort
peut tre accouche
par des mots.
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LA MORT, LE SACREMENT
Michel Cazenave
Les Romantiques allemands, et Novalis en particulier, tenaient que les fragments taient la
meilleure expression possible de toute pense globale : elle y chappe au systme, et sa forme d'clats
la maintient toujours ouverte sur le mystre de l'infini. Devant parler de la mort, on comprendra
derechef que je choisisse justement cette forme des fragments.
Il y a plus de trois sicles, La Fontaine crivait :
La Mort ne surprend point le sage
Il est toujours prt partir ...
(Fables, VIII, "La Mort et le Mourant"
Stocisme classique - ou picurisme revu, qui nous apprennent que la mort n'est rien qu'un
accident ? Il faudrait y aller regarder de plus prs - mais enfin, aujourd'hui, je ne sache point d'homme
vivant qui soit "prt partir". Le cri que j'entends surtout, ce serait plutt, sur ce point : "Encore un
peu ... Encore un peu de temps !" Comme si, d'une vie si peu enviable, on devait, sinon la perptuer
indfiniment, tout du moins l'allonger autant que faire se peut : prolongement d'un prsent dont on ne
sait se dfaire, continuation de mon tre comme un ultime trsor, renoncement l'immortalit de mon
me, et peut-tre encore mieux, son ternit, pour l'illusion narcissique de quelques jours de rab.
Si la pulsion de vie n'tait rien, en fin de compte, que le masque en ce monde de la mort
vritable ?
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Car enfin, entendons-nous ! Que n'a-t-on reproch Freud, aprs son Au-del du principe de
plaisir, d'avoir dress le couple d'Eros et Thanatos, de la pulsion de vie et de la pulsion de mort !
D'abord, je ne suis pas sr que la vie et l'ros soient vraiment la mme chose : le pouvoir de la
mort gt au coeur de l'ros, sans quoi, me semble-t-il, il ne vaudrait pas grand chose.
Mais allons encore plus loin. Lacan a propos d'entendre Todestrieb comme instinctde mort.
Ce qui est cent fois plus riche. Et permet d'envisager que le but de la mort n'est pas le nirvana la
mode Schopenhauer que Freud envisageait, mais une affirmation vitale au-del de l'existence que nousconnaissons d'habitude.
Comme si, en bout de course, dans la danse rciproque d'Eros et Thanatos, il n'y avait pas
d'amour sans passer par la mort - mais qu'il n'y avait pas de mort, si on la comprend dans son coeur,
qui ne soit comme le porche de l'Amour le plus vif et d'une vie exhausse.
De Dostoevski, dans lesReligise Betrachtungen (Zurich, 1964) : "Je sais, je sens que ma vie
touche son terme, et pourtant, mme la fin de ce jour, je sens aussi que cette vie terrestre passera
dans une vie nouvelle que je ne connais pas encore, nanmoins dj si dsire : le dsir que j'en ai fait
trembler et frissonner mon me en la remplissant d'un profond effroi, mon coeur en pleure de joie, et
mon esprit rayonne."
En 1957, Georges Bataille crivait : "Le verbe vivre n'est pas tellement bien vu, puisque les
mots viveuretfaire la vie sont pjoratifs. Si l'on veut tre moral, il vaut mieux viter tout ce qui est
vif, car choisir la vie au lieu de se contenter de rester en vie n'est que dbauche et gaspillage."
Comme s'il n'y avait de vie, prcisment, que hante par la mort - ou pour tre plus juste :
oriente par la mort, habite par la mort dans le coeur de son coeur, travaille par la mort dans sa
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dpense la plus folle, qui lui fait rendre sa note et, dans la pratique exalte de la joie devant la mort, se
transforme dans ce don o, nous dpouillant de nous-mmes, nous pouvons dcouvrir que la mort,
dans son mystre, est le plus grand sacrement.
D'ailleurs, avez-vous dj vu, allonge sur les draps de son lit mortuaire, la dpouille de celle
que vous aviez tant aime ? Le corps s'est dtendu, et avant de se raidir, a gagn un dli qu'il n'avait
jamais eu. Mieux, la figure est apaise, toutes les tensions passes s'en sont vanouies, un grand calme
est venu transformer le visage - et vous finissez par comprendre que cette paix si visible est le tmoin
le plus sr que, quand la mort est passe, on est peut-tre enfin guri de devoir vivre la vie.
Et pourquoi faisons-nous de cette mort impavide, le signe comme clatant de notre obscnit
profonde ?
Je n'ai rien, au contraire, contre les soins palliatifs. Ni non plus, vrai dire, contre les socits
d'assurances. Mais enfin, aujourd'hui, on prvoit tout l'avance (le plonasme, ici, acquiert toute sa
valeur) ; on rgle son dpart comme on prvoit une croisire et on gre son trpas comme son
portefeuille en bourse...
Au fond, il faut mourir de nos jours comme on nous enjoint de vivre : dans l'affirmation douce
- mais ttue - de soi-mme, et ce serait un scandale de ne pas "bien" mourir, ce serait le scandale qui
laisserait tout nu lescandale de la mort, cet impens radical qui occupe le centre de toute vie quelle
qu'elle soit.
Cette faon dguise de ne plus manifester du respect pour les morts, mais de les tenir en
respectpour en rester l'ide que nous sommes immortels ... Comme si l'immortalit la plus vraie ne
se construisait pas, prcisment, sur la mort accepte!
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On a presque toujours dit que, l'acm de l'amour, dans la jouissance vritable, dans la
jouissance dchirante comme un clair dans la nuit, nous avions l'exprience de notrepetite mort.
Ce qui en revient dire aussi, si les mots ont un sens, que la Mort est le signe du plus grand
des amours.
Cet tonnant dialogue dans le Clara de Schelling :
"Vous devez vous reprsenter [...] que l'me dans la mort s'lve l'tat d'me spirituelle ?
- Assurment, dis-je.
- Et l'me dans la vie prsente n'aurait t qu'une me corporelle ?
- Bien sr.
- Mais comment pouvez-vous affirmer cela, dit-elle, puisque l'me entretient ds prsent un
commerce avec des choses supra mondaines et clestes ?
- (...) L'me devient spirituelle aprs la mort, comme si elle ne l'avait pas t auparavant ; nous aurions
d dire que le spirituel, qui est dj en elle, et qui apparat ici davantage entrav, est libr et domine
l'autre partie d'elle-mme, celle par quoi elle est plus proche de ce qui est corporel, et qui est dominant
en cette vie."
Que je complte aussitt par cette citation de Fechner, dans Le petit livre de la vie aprs la
mort:
"A la mort de l'homme, ... l'esprit s'panchera librement par toute la nature. (...) Plus que de
sentir son corps baign dans le souffle du vent et les flots de la mer qui l'enveloppent, il le sentira
frmir au sein mme de l'air et de la mer; en se promenant, il ne contemplera plus forts et prairies de
l'extrieur, mais forts et prairies seront la sensibilit mme du promeneur."
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Autrement dit - et si, travers la mort, je devenais moi-le-monde ? Un autre moi, bien entendu,
dans un monde renouvel : leje subtil de Dieu qui se dvoile dans son plan.
D'o cette ide qui s'impose : le symtrique de la mort est-il bien notre vie, ou ne devrions-
nous pas plutt penser la parent dialectique de la naissance et de la mort - de ces seuils passer, de
ces tapes initiatiques o notre vie n'est rien d'autre que la route parcourue d'un passage un autre : le
long, si long passage qui spare deux passages ?
Et ce n'est sans doute pas pour rien qu'on ne nat plus, ni qu'on ne meurt plus aujourd'hui chezsoi : ou est-ce le prix payer de ce mythe exorbitant que nous devons, dans cette vie, nous sentir
toujours bien ?
La mort, ce sacrement qui fait de notre vie l'aventure de notre me ...
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EROS ET THANATOS
Olivier Germain-Thomas
Parlons en bonne compagnie. Convions ros, le sujet est plaisant. Alors, par un automatisme
de la pense, thanatos est invit au festin. La messe est dite ? Allons ! Nous sommes au cur dune
des questions les plus complexes qui se posent la raison quand on essaie dy vo ir clair sur les
attelages qui nous conduisent. Sade et Georges Bataille ne sont mages que dans leurs antres. Il ne
sagit pas de nier le lien entre ros et thanatos, mais de savoir sil sagit dun mariage, de deux
pulsions opposes ou, si lon veut sortir du binaire, de rencontres complexes dans un mouvement de
vague.
Le spectacle du monde est un inextricable mlange de mort et de reproduction. Si le grain
ne meurt Il meurt, et de sa mort surgit nouvelle vie. Le jardinier sait que les pousses ont des
cadavres pour berceaux. Constater la ncessit des cycles nest pas entraner les ples dans une
mme danse. Il ny a pas non plus nier le passage du feu dans la rencontre amoureuse. La question
est de savoir quelle perte est prsente dans le cot. Lexprience est l pour nous apprendre que cris
ou soupirs de la rencontre ressemblent ceux dune chute. La petite mort , dit-on. Il est certain
quun abme vient de souvrir. Mais quisy est prcipit? Le dsir, sil est assouvi, prend quelques
vacances. Pas de quoi convoquer la faucheuse. Cherchons ailleurs, et plus profond. Cest une part de
soi qui sest effondre. La fusion, quand elle a lieu, implique leffacement du moi ferm, du moi le
plus individuel, du moi coup des autres et du monde. Il se trouve lanc la source mme de la vie
dans la brlure du chaudron. Ae ! Oui, une peau est tombe, les chairs mises nu ont aboli
fugitivement les frontires coutumires.
Les hindous ne sy sont pas tromps avec Shiva dont le lingam est vnr au cur des
sanctuaires. Shiva danse dans le cercle de feu pour recrer le monde. Lamour brle. Il suffisait de
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sentendre sur le mot mort. Cest une mue. Cest la mme mortqui est ncessaire la progression
spirituelle, cette diffrence de taille que, dans une vie spirituelle authentique, le vieil homme est
peu peu abandonn tandis que lros est habit par une soif de recommencements.
Nous navons pas, dun lan naf, vacu thanatos, nous avons reconnu sa prsence dans le
rle dun chirurgien. Pas plus. Nen est-il pas de mme dans tous les domaines des activits
humaines. Le bistouri est ncessaire la cration, la prire, le commandement
Il nest pas dans mes habitudes de demander au docteur Freud de maccompagner dans une
de mes promenades. Je prfre aller chercher directement lenseignement aux sources des mythes
grecs ou interroger ceux de lInde. Dans la multitude et la complexit des figures, tre obsd par un
aspect ddipe nest-il pas le signe quon aime mettre des tiroirs dans les caves ? La curiosit ma
nanmoins fait rouvrirAu-del du principe de plaisir, publi par Freud en 1920, repris en franais aux
ditions Payot dans Essais de psychanalyse. Refusant ce quil nomme le monisme de Jung, et
sappuyant sur les donnes biologiques de son poque (cest risqu), il pose que le but de la vie est
de retrouver ltat initial jadis abandonn, l anorganique , le non-vivant . La pulsion de mort
prsente en chacun serait donc une pulsion de retour qui obirait ce quil a observ chez le s
nvross et quil dsigne sous les termes de compulsion de rptition . A loppos, les pulsions
sexuelles qui indfiniment tendent et parviennent renouveler la vie. Les rles sont donc
nettement spars entre les pulsions de vie et les pulsions de mort mme si, au cours du
texte, Freud, dont la pense na nullement la fixit de celle de ses pigones assoiffs de certitudes, se
montre parfois hsitant, en tout cas nuanc sur les lans divergents qui nous habitent: ... la tche
demeure de dterminer la relation des processus pulsionnels de rptition avec la domination du
principe de plaisir.
Retour lInde. Dans le clbre hymne cosmogonique du Rig Veda (X, 129), le dsir, kma,
est lorigine de la cration qui se scinda en un principe masculin et un principe fminin. Pas
question ici de la mort. Mais ce qui distingue la pense indienne de celles issues de la Mditerrane,
cest que le dsir, la shakti (nergie fminine), le mathuna (lunion) sont rigs comme voies
spirituelles. Dans le Veda, plus encore dans les Upanishad et, surtout, dans le mouvement tantrique,
llan qui pousse lingam et yoni se retrouver est un cadeau du ciel qui nest revtu daucune forme
de pch. Les rituels tantriques proposent la sexualit comme moyen de libration. Devant le
dferlement dune sexualit dvoye par les puissances marchandes, il est temps pour lOccident de
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comprendre que par lros lhomme et la femme sont convis une crmonie sacre. Le septime
ciel , dit-on. Retenons le ciel.
Tout cela est vite vu, vite dit, jen conviens. Jai voqu une promenade, ce fut une
chevauche. Elle nous a conduit faire de Freud un alli (partiel et provisoire) et suggrer lros
de sortir de la souricire o la enferm sa prtendue libration qui nest, en fait, quune autre
manire de lui couper les ailes.
Kma naquit le premier.
Ni les dieux, ni les anctres, ni les hommes ne peuvent se comparer lui.
Il est suprieur tous et jamais le plus grand.
(Atharva Veda, IX, 2, 19)
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VERS UN ART DE VIVRE ET DE MOURIR EN PAIX
Jean-Yves Leloup
Le temps est aux dialogues. Le dialogue entre hommes et femmes de diffrentes religions et de
diffrentes traditions est de la plus haute urgence, si nous voulons viter les drames sanglants qui
font la une de nos actualits.
Un thme de rencontre simpose : celui de lart de mourir des grands textes prsents dans
les Livres des morts : le Bardo-Thdoltibtain, le Livre des morts des anciens gyptiens et lArs
moriendichrtien.2
La mort, cest ce que nous avons irrmdiablement en commun et nous avons les faons les
plus diverses de la clbrer, de laccompagner, de lattendre ou de la redouter. Cest le thme de nos
plus simples convergences et de nos plus flagrantes oppositions.
De nouveau il nous faut apprendre ne pas mlanger et ne plus opposer, mais distinguer
pour unir si nous voulons viter syncrtismes et sectarismes.
Au-del de nos diversits de races, de religions, de milieux sociaux, il est bon de nous rappeler
que nous sommes tous de couleur peau ou de couleur glaise (adamah en hbreu) ; ainsi lintrt
de ces livres nest-il pas seulement denrichir notre rudition comme le ferait un livre
danthropologie classique ou dethnologie, mais douvrir notre conscience et notre responsabilit
face au thme de la mort.
Tout en prenant en considration les priori et les consquences dun humanisme clos et
dsespr, ils nous invitent davantage un humanisme ouvert o lhomme ne saurait se rduire
la somme des lments qui le composent ; comme lont souvent dit Elisabeth Kbler-Ross et Marie
2 Jean-Yves Leloup,Les Livres des morts tibtain, gyptien, chrtien, Albin Michel, Paris, 1997.
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de Hennezel, la mort est le plus haut moment de notre vie et loccasion, peut-tre, de passer
sur une autre frquence. Ce passage nenlevant rien lintensit et la vrit du drame qui peut
se vivre alors : en prsence de la souffrance et de la mort, mieux vaut dabord se taire.
Les amis de Job eurent cette dcence. Voyant leur ami rendu mconnaissable par la disgrce et
le mal pervers qui le rongeaient, ils demeurrent dans une assise silencieuse auprs de lui, rejoignant
par leur silence ce lieu intime o les mots nont plus cours et o les larmes elles -mmes sont vanit
et perte de temps.
Fixant les yeux sur Job, ils ne le reconnurent pas. Alors ils clatrent en sanglots. Chacun
dchira son vtement et jeta de la poussire sur sa tte. Puis sasseyant terre prs de lui, ils
restrent ainsi pendant sept jours et sept nuits. Aucun ne lui adressa la parole, au spectacle
dune si grande douleur (Job 2, 12-13).
Lattitude des amis de Job est significative, ils se comportent en bons thrapeutes :
- dabord ils ont un cur, un cur qui a des sentiments, des motions, et ils se donnent le
droit de les exprimer. Leurs larmes ne sont ni feintes ni rentres. Il y a en eux cet tonnement
douloureux, cette compassion face la souffrance dautrui, la dchirure du vtement symbolise
les conventions sociales dans lesquelles on ne peut plus se tenir lorsque la douleur nous touche
rellement ;
- puis il y a le silence, cette assise silencieuse auprs de la personne aime, cette coute sans
conditions qui permettra Job de sexprimer, de dire sa peine, son dsir den finir ; lui permettra
mme de blasphmer et de maudire le jour de sa naissance.
Ce nest que lorsque la plainte deviendra trop amre et trop longue quils se permettront de lui
rpondre, et cest peut-tre l quils se montreront moins bons thrapeutes, leurs interprtations, au
lieu de soulager la souffrance de Job, ne feront que ly enfoncer davantage, car ils ne pourront se
rsoudre ce face--face avec labsurde et le manque dexplications devant la souffrance.
La souffrance la plus insupportable est celle laquelle on ne peut pas donner de sens, les amis
de Job comme Job lui-mme sont confronts cet insupportable et cest pourquoi ils se permettenttoutes ces explications , ces diagnostics qui sont tous des recherches dune cause possible aux
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vnements qui accablent Job (la perte de sa fortune, puis la perte de ses enfants, la perte de sa
propre sant puis, petit petit, la perte de sa raison, de la patience, enfin de la foi qui lui permettait
de supporter lEpreuve).
Ceux qui accompagnent la souffrance ou les diffrents coles thrapeutiques et spirituelles qui
veulent aussi lui donner un sens se conduisent parfois en amis de Job , avec ce quils ont de beau
et de noble dans leurs attitudes mais aussi de limit et dnervant dans leurs discours car trop
souvent les explications du mal et de la souffrance se transforment en justifications et pire : en
accusations .
On explique aujourdhui parfois un peu facilement comment on se fabrique un cancer
ou une autre maladie grave, cette explication ne nous rend pas toujours plus responsables mais
toujours plus coupables .
Aussi devant la souffrance, la maladie et la mort, il ne sagit ni daccuser, ni de se lamenter
(quest-ce que cela change !), ni de discourir, ni dexpliquer, mais peut-tre dabord de prier, si par
prier on entend cette attitude proprement humaine, dun tre qui se recueille en son fondement
pour couter lautre dans ce mme fondement (de mon cur ton cur), prier pour se prparer
agir et agir de la faon la plus juste possible.
Cette attitude ne sapprend pas et ne senseigne pas3, elle relve dune certaine qualit dtre,
de la maturit dune personne dlivre de ses proccupations narcissiques. Il est possible nanmoins
de se prparer agir et cest dans cette prparation laction juste que peut se situer notre
travail.
Il sagira non seulement de sinterroger sur ce que les sciences contemporaines et un certain
nombre de pratiques cliniques ont nous dire sur le sujet, mais aussi dinterroger les grandes
traditions de lhumanit dans leur qutes immmoriales et leurs efforts donner du sens ce qui, au
premier abord, apparat comme absurde ou inutile.
Nous avons tous galement une certaine image de lhomme et de sa fin, cette image ou ce
prsuppos anthropologique est issu de la culture, de lducation, de la religion, dans lesquelles
nous avons volu.
3 Tout ce qui senseigne ne vaut pas la peine dtre appris , disait Victor Hugo.
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Ce prsuppos, la plupart du temps, est inconscient, cest--dire quil conditionne notre insu
notre attitude devant la souffrance et devant la mort et, que nous le voulions ou non, notre faon
daccompagner les mourants. Notre rflexion consistera mettre davantage au clair nos
prsupposs : en tre plus libres, reconnatre aussi ceux des autres, les accueillir, les
comprendre, et les intgrer peut-tre notre dmarche.
Nous nous proposons danalyser quatre grandes attitudes de lhomme devant la souffrance, la
maladie, et la mort. Ces quatre grandes attitudes semblent se partager lhumanit ; si nous ne
pouvons ici que les schmatiser, cette schmatisation ne doit pas nous faire oublier linterrelation
vidente qui peut exister entre ces quatre attitudes, il ny a pas de modle pur.
Premire attitude: une attitude commune aux traditions bouddhistes mais qui nest pas propre
au bouddhisme (on la retrouve par exemple chez le Qohletdans la bibliothque hbraque).
Dans ce contexte, la souffrance, la maladie, la mort sont plus ou moins considres comme
illusoires, elles appartiennent la condition dun tre relatif, quon appelle gnralement le moi
ou l ego . Ce moi ou cet ego nest quun paquet dempreintes, mmoires, projets et prtentions
dont lexistence ne rsiste pas une analyse mditante, rigoureuse et constante .
Deuxime attitude: nous la retrouvons dans lhindouisme mais aussi dans dautres traditions.
Le plaisir, la souffrance, la maladie et la mort ne sont que des piphnomnes, des
enchanements de causes et deffets (karma) ; par notre action, nous pouvons renforcer ou paissir
la tension de ces chanes (samsara) ou au contraire les allger. Cet allgement provoqu par nos
actes positifs peut nous conduire la dlivrance, une vie sans retour, dconditionne des entraves
de lespace et du temps.
Troisime attitude: nous la retrouvons dans diffrentes formes dhumanisme athe
traditionnelles ou contemporaines, attitude qui nous est assez familire en Occident.
Dans ce contexte, la souffrance, la maladie, la mort sont des scandales dont il faut se prserver
et se dlivrer tout prix. La mort est la fin de la vie considre comme irrmdiablement mortelle,
cest linterruption dun fonctionnement biopsychique ou neurophysiologique ; il ny a rien dautreque cette interrelation alatoire de nos atomes et le jeu sans rgles de nos synapses ; lagitation
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angoisse de nos matires grises peut produire quelques lucubrations consolantes qui ne vaudront
jamais un bon remde ou le calme retrouv dune camisole chimique et enfin dun vrai cocktail
lytique
Quatrime attitude: lattitude des traditions monothistes.
Dans ce contexte la vie, la souffrance, la maladie, la mort sont des lieux de passages, des temps
dpreuves que nous pouvons interprter , cest--dire auxquels nous pouvons librement
donner du sens.
Le prsuppos ici est que lhomme est libre et responsable, il ne subit pas son existence, il
loriente et la mort elle-mme pourra tre considre comme un passage dans un espace-
temps (purgatoire, autres espaces-temps intermdiaires) ou comme un passage dans un non
espace-temps, ce que, dans la tradition chrtienne, on appellera la vie incre ou la vie ternelle.
Ces quatre attitudes ne sopposent pas autant quon limagine, chacune reprsente des
milliards dhommes et de femmes. Nous essaierons de dcouvrir ce quelles ont de complmentaires
sans les confondre.
Nous pouvons nous sentir en accord, plus ou moins en rsonance avec une attitude plutt
quune autre, nous pouvons totalement rejeter certaines cest notre inconscient, notre prsuppos
ou notre choix !
En quoi ces grandes attitudes de lhomme devant la vie, la souffrance, la mort, dans une
humanit devenue aujourdhui transculturelle, peuvent-elles enrichir, clairer notre propre approchede la vie et de la mort ?
Reconnaissons dj limportance et linfluence que notre prsuppos anthropologique
inconscient va avoir sur notre comportement concret dans laccompagnement des mourants ; par
exemple, lacharnement thrapeutique : il ne peut avoir de sens que dans un contexte humaniste ou
judo-chrtien.
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Cette petite phrase : Tant quil y a de la vie, il y a de lespoir que lon rpte si souvent,
dans un autre contexte on lentendrait plutt ainsi : Tant quil y a de la vie, il y a de lillusion, il y a
de la souffrance.
Il sagira donc pour nous de montrer les applications concrtes de nos prsupposs
anthropologiques, que ce soit dans notre vie quotidienne, dans le monde mdical et plus
particulirement dans laccompagnement des personnes arrives au terme de leur vie mortelle.
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LA MORT
UNE PROPOSITION REVOLUTIONNAIRE PERMANENTE*
Jean-Paul Bertrand
Dans le monde occidental, la mort, aujourdhui, est perue comme un chec. Il est
paradoxal de constater que plus un pays est dvelopp, plus il cache la mort.
Sur le plan historique, on reconnat une civilisation volue par lorganisation de ses
rites funraires. La faon dont elle fit inscrire dans son quotidien, la pense eschatologique
et ses coutumes qui en dcoulent.
Lhomme a la prtention de vouloir tout comprendre. De possder le contrle sur
lensemble de son fonctionnement et de ses possibilits. Ce changement peut-tre constat,
particulirement, partir du dveloppement de lre industrielle et scientifique. Lhomme
voulant tout expliquer et devenir Dieu veut aussi le contrle, les fins dernires .
En complment, le recul des religions occidentales traditionnelles et linscription de lalacit comme principe fondateur des civilisations modernes ont accentu cette attitude
de lhomme face la mort.
Pourtant, la mort fait partie du processus de la vie. Elle ponctue le cycle individuel
naissance/mort. Elle est inscrite, en consquence, comme rythme de la condition humaine.
* Jean-Paul Bertrand est dcd en 2011.
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La conscience de la mort est peut-tre le travail le plus important auquel devrait se
consacrer lhomme. Cette perception nous remet notre juste place. A titre individuel, la
mort nous rappelle lextraordinaire chance et opportunit que nous possdons. La vie
devient, dans ce sens, sacralise.
Le temps individuel qui nous est donn prend une dimension exceptionnelle que ltre
doit utiliser dans toutes ses possibilits.
Cest pourquoi, afin de changer les mentalits aujourdhui, lenseignement de la mort
physique devrait sengager ds la maternelle. Cette conscience permettrait ds le plus jeune
ge de valoriser le miracle de la vie. Avec comme consquence, le dveloppement des
sentiments de fraternit par rapport ses frres humains, de respect par rapport ses
supports qui sont notre corps et notre plante Terre. Enfin, nous conduire la rflexion de
notre aventure collective en rapport avec les thmes philosophiques, religieux et spirituels
que cela implique.
La mort est une proposition rvolutionnaire permanente ; voici un exemple qui peut
illustrer ce propos :
- titre individuel, on ne peut nier que la mort physique est larrt de notre cycle. Ellevalorise donc notre parcours et est un rappel permanent pour tenter lessentiel et
oser utiliser toutes les possibilits quoffre le don de la vie.
- au titre de luniversel, on peut avancer que la mort nexiste pas. Dans le sens quenotre propre mort ne changera rien de fondamental (en apparence) au monde et
ses univers.
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Ce nest pas du sophisme que dire de la mort quelle est relative saufpour nous.
Ce sujet essentiel ne peut tre voqu sans quil nous conduise vers le thme de
laprs-mort qui selon les croyances, la foi ou les perceptions de chacun peut tre compris
comme nant, rdemption, rsurrection ou transcendance.
Cette deuxime partie est beaucoup plus dlicate. Elle est cause de division, alors que
la mort physique devrait permettre de runir dans une mme rflexion lessence vritable
de notre pense humaine et alimenter la perception de nos devoirs envers ceux qui vont selon lexpression dAragon demeurer dans la beaut des choses . Cette responsabilit
que la mort nous rappelle constamment. Il faut uvrer pour laisser une trace de cette
conscience et participer, mme de faon infinitsimale, au dveloppement russi de la
destine humaine.
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ACTUALITE DE LA MORT DANS LA VIE PSYCHIQUE
Dominique Dcant
Tout ce que je vais voquer est amplement travaill dans la littrature psychanalytique et la
traverse, de Freud aux psychanalystes contemporains. Elle a eu matire, au fil des vnements de
lhistoire (trauma des camps, terrorisme, torture) et des changements de socit, rflchir sur les
effets de la mort dans le fonctionnement du psychisme. Dans les annes 20 et au scandale de ses
pairs, Freud a introduit le concept de pulsion de mort, oppos celui de pulsion de vie, et nous
devons, au regard de la clinique, le relier aussi celui de lagressivit, de la haine et de la
destructivit luvre dans la psychose ou dans la part psychotique de certains fonctionnements
psychiques.
A la lueur de mon travail en haptonomie (cette approche dveloppe une clinique de la
tendresse offerte par la prsence du soignant dans un contact tactile scurisant, source de croissance
psychique et de maturation de ltre), mest apparue lmergence dimages relatives au couple
mort/vie, luvre dans la vie courante et dans la psychopathologie. Ces couples dopposs font lien
et sens pour la psych et fonctionnent ainsi comme concepts transversaux qui permettent de relier
de trs anciennes reprsentations et sensations vhicules dans linconscient et insues pour le moi,
mais nanmoins trs actives, dans la crativit potique ou picturale par exemple. Ces images
apparaissent comme une rduction de ces phnomnes une expression de lessentiel et lon peut
se demander si elles sont de pures analogies ou, dans les changements de niveau propres la
complexit de la vie psychique, des productions du vivant au mme titre que la prolifration dune
barrire de corail ou que la formation incessante des nuages.
Pour lInconscient qui ne peut se reprsenter la mort et surtout sa propre mort, pas plus quil
ne peut se reprsenter son origine, elles signifient trs trangement, justement, le retour au plus
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originaire: la chaleur, le mouvement, la voix, la bute sur lobstacle ou louverture de la naissance, la
perte du compagnon placentaire et de lancien monde quitt et larrive dans un nouveau monde de
sensations. Ce seront leurs opposs qui caractriseront la mort.
Le pensable et limpensable
En effet pour linconscient, la mort est impensable. Quand je mourrai , devient comme dans
la chanson boire, Si je meurs, je veux quon menterre,dans une cave o ya du bon vin , pour
continuer den jouir, comme un vivant !
Dans cet Entre-Deux que lenfant mtaphysicien de trois ans interroge avidement: O tais-je avant
dtre n? je situerais ces expriences si tranges pour la conscience de celui qui en revient et
dcouvre ce blanc o il fut sans tre, paroxysme de labsence soi-mme: le blanc du trauma,
lanesthsie, lictus amnsique. Analogon de la mort? Rptition imaginaire du passage ? Ces
quivalents de la mort psychique, ne se confondent pas avec le repos de ltre dans le rien, le
sommeil ou le coma profond.
Le mobile et limmobile, le froid et le chaud, le souple et le rigide, la voix et le
silence
Lexpriencede la mort pour un enfant, quil saffronte celle dun animal favori ou dun tre
proche, est celle de larrt du mouvementqui caractrise la vie depuis son origine, celle de lespce
comme celle de lindividu, sa gense mme, dans la rencontre des gamtes.
Ceci est si vrai que ce petit garon de quatre ans me dit, linverse: Tu sais, quand on sent
quon va mourir, il faut vite aller au cimetire pour senterrer, sinon cest les autres qui doivent le
faire !... Le chaud, souple et mobile du vivant deviendra le froid, rigide et immobile du cadavre (ce
nest pas pour rien que lon parle de r-animation en mdecine, lorsque la mort menace). De mme
parlera-t-on dun silence de mort dont la pesanteur angoisse tant certains analysants qui se
comparent parfois des gisants, allongs et immobiles, silencieux.
La pierre du deuil et le vent du souffle
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La chre voix sest tue, il fait noir.
Quand le souffle de lendeuill sidentifie celui du disparu et quil ne fait plus librement
circuler lair vivant du dehors, amenant tensions, lourdeurs et asphyxie dans son corps attrist, la
matrialit subtile de lair se transforme alors en pesanteur ptrifie.
Je me sens comme une pierre au bord dun torrent, je voudrais ne plus bouge r dans le
tourbillon de ma vie.
Depuis sa mort, jai une pierre dure au ventre qui mempche de respirer.
Je voudrais dormir et ne plus me rveiller, dit la fatigue dtre-soi. Fantasme dune
bienheureuse immobilitqui dlivrerait de lobligation du mouvement de la vie.
Ainsi disent-ils , dans leur plainte, au fil des sances, butant sur la pierre du deuil , incapables
du bienheureux envol du souffle dans la voix qui chante.
La rptition vaine et lobstacle
Mon propos est donc simple: plus la mort est luvre dans les processus psychiques, plus
elle fige, immobilise, rend striles les processus de pense et la jouissance de la richesse sensorielle
du vivant jusqu dtruire la capacit mme de penser. Cependant si la mort psychique a t vcue
prcocement (abandon, sparations traumatiques), linventivit psychique est telle, qu linverse,
elle peut donner une excitation du mouvement de la pense jusqu quitter le rel et partir en drive
dans le dlire pour chapper nimporte quel prix au vide sidral et glacial de labsence de lautre. Le
mouvement est en roue libre, pour ainsi dire.
Matrise du mouvement de loralit et hyperactivit de lanorexie jusqu risquer den
mourir, dans une exigence rigide et fanatique de la puret ngatrice du corps. Le mouvement, tel le
diamant sur le microsillon ray, peut aussi inlassablement repasser dans le mme sillon de la pense,
comme dans les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), ou chez lobsessionnel. Autostimulation du
drogu dans une confusion de la jouissance et de la mort pour la fuir et lapprocher inlassablement.
Tentative de libration dans lentropie ou ratage dune issue dans la rptition. Simulacre du
mouvement pour ne pas bouger de ses positions psychiques dfensives.
Laperte et laccomplissement
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Pourtant le tissage patient du travail psychique avec un autre, ou tel grave accident ou maladie
traverss, peuvent comme sur la pointe dune aiguille, inverser le mouvement de la mort psychique
vers la vie. Aller trs loin dans lautodestruction, ou frler la mort relle, peuvent redonner got et
valeur son voyage.
De la rptition strile au rituel gurissant, du silence de mort au silence de la profondeur de
ltre, de lobstacle du mur au risque du saut, du connu alinant linconnu librateur, ce qui
caractrise cette bascule de la mort la vie, cest lacceptation profonde de la finitude comme saveur
ineffable du prsent dans tous ses aspects, ce que vhiculent bien des traditions. La mobilit
psychique, dans son infinie crativit, est en lien avec les sensations, les diffrentes strates de la
mmoire et l-venir, que la matrice de ltre dsire et dont elle veut laccomplissement et le terme.
La transformation a donn sens. Un jour je serai mort
Mais, chne et roseau la fois, le cur peut danser et scrire, la forme dune destine se
dessiner. Deviennent alors possibles la mmoire, lamour et la sublimation comme remdes
limpensable dtre mortel.
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LA MORT DANS LA PHENOMENOLOGIE DES RVES -
LA QUESTION DE LA SUBJECTIVITE ET DES NIVEAUX DEREALITE
Patrick Paul
Nous souhaitons pouvoir engager notre rflexion sur le thme de la mort
aujourdhui partir dune double exprience, clinique et philosophique. Comme
mdecin, il est advenu rgulirement de croiser la mort de patients mais, plus encore,
daccompagner les familles touches par ce deuil et fortement dstabilises par la
traverse de cette preuve, plus ou moins durable selon les cas. Indpendamment de tout
trouble psychologique (culpabilit par exemple lie la difficult faire le deuil) ou
de toute manifestation somatique (lombalgies) il est apparu que les rves effectus au
dcours de la mort de leur proche posaient lenvironnement familial des
questionnements plus vastes et plus ouverts que la seule hypothse dun refoulement
nvrotique le laissait supposer. Ayant eu, en parallle, un questionnement sur les rves
et les diffrents niveaux de ralit dont ils peuvent tmoigner (P. Paul, 2003) nous
avons, de longue date, collect des songes concernant la mort. Le prtexte du thme
aujourdhui propos incite reprendre cette collection pour en tirer les textes les plus
significatifs que nous allons proposer la lecture, en leur associant, si besoin, quelques
prcisions lies au contexte. Il sagira ensuite, dans le cadre initial dune
phnomnologie onirique et imaginale, dtendre notre interrogation en posant laquestion du statut de la vision par son objet, par son sujet, par sa topologie. Par son
objet : quest ce qui se dit ? Par son sujet : qui parle ? Par sa topologie : depuis quel
niveau de ralit le sujet ou/et lobjet du rve se manifestent -ils ? Si la mort est
systmatiquement exprience de sparation, lenracinement de notre dmarche dans la
Gense biblique, malgr son anciennet, nous dirigera dans la direction dun
questionnement dactualit, celui du statut de la subjectivit et de lidentit, en troite
parent avec la connaissance et la mortalit. Il faut lire cette thse comme un problme :
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comment est-il pensable que ltre soit dans une dualit dessence tout en posant que le
principe est Un et que ltant peut se rvler thophanie du principe ?
Quelques exemples de rves dans leur contexte existentiel
Le vivant est dans le corbillard,
les morts le suivent
Koan zen
- Mademoiselle R. trs proche de sa mre, qui vient de mourir dun cancer. Melle R.
est bouddhiste et pratique assidment la mditation : Maman est prs de moi et
membrasse. Je suis contente de la voir et dtre avec elle mais trs vite je me mets distance
et lui dis : ce nest pas la premire fois que je tembrasse en rve et quoi bon? Cest un
rve seulement, on le sait . Ma mre me rpond tu peux penser ce que tu veux, a ne
change rien, ni maintenant ni avant, je suis vraiment l, ct de toi. Est-ce quune mre
abandonne ses enfants ? Ces propos sont dits avec tant de vracit que jhsite et je ne sais
plus si cette vision est du registre de lillusion ou de la ralit. Aussi je lui dis Je veux voir tes
yeux. Si tu ne me mens pas, je pourrais savoir si tu dis la vrit ou si cest un mensonge.
Laisse moi voir tes yeux en face de prs . Je mapproche. Ses yeux sont alors lumineux et
sans hsitation je reconnais les yeux de ma mre. Une jubilation sempare de moi. Je lui dis
alors laisse moi tembrasser de nouveau parce que je sais que ce nest pas une illusion . On
reste quelque temps sans paroles, dans les bras lune de lautre, dans une profonde paix. Je
me rveille rconforte avec la sensation de sa prsence relle.
- Mademoiselle K. la nuit de la veille mortuaire de sa grand-mre. Elle sassied, face
au corps, dans un fauteuil et finit par sendormir. Elle se met rver : Je vois ma grand-
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mre morte allonge sur son lit mortuaire. Mais soudainement, elle se lve, assise sur le
bord du lit, avec son sac, prte partir. Je lui dis alors quelle ne peut pas faire a, que sest
impossible car elle est morte et quelle doit aller se recoucher. Mais elle insiste et me rpond
tu vois bien que non tout en attendant pour partir.
- Madame B., peu aprs la mort de son pre : Je vois mon pre qui depuis un espace
difficile expliquer, comme un ciel ou un lieu vide, tente de descendre vers le Pilon Blanc, o
il a toujours vcu. Il me dit que cest difficile de descendre mais plus encore de remonter. La
mme personne, pendant la guerre de 39-45, au Liban, en absence de toute communication,
fait le rve suivant dont elle parle son mari : Je vois mon frre R. qui me dit quil ma
beaucoup cherche. Il vient mannoncer quil est mort et que son corps nest pas dans le
tombeau familial mais dans le tombeau dune voisine. Il me dit ensuite quil est bien et que
son corps est au sec puis il membrasse affectueusement. Quelques semaines aprs, un
courrier, qui a pu franchir le blocus en mditerrane, vient lui confirmer trs prcisment les
faits, qui staient drouls quelques semaines avant le rve.
- Madame D. trs dfaite par la mort de son fils an, mort accidentellement et auquel
elle tait extrmement attache : Je vois mon plus jeune fils au milieu de la rue, face
notre maison dhabitation. Il appelle son frre mort qui habite de lautre ct de la rue, chez
un voisin. Son frre, son appel, arrive. Le plus jeune lui demande de revenir en lui disant
quil est triste et que sa prsence lui manque. Le plus grand rpond son frre quil ne le peut
pas. Alors, javance mon tour en pleurs, voquant ma propre souffrance et celle de son pre
tout en le suppliant de revenir. Mon fils an est trs triste, aba ttu, il leur rpond que cest
impossible, leur demandant de la laisser aller. Il se retourne alors et repart dans la maison
den face .
- Madame V. deux jours aprs le dcs de son beau-frre : Je vois mon beau-frre
vivant dans une ncropole avec des cercueils ouverts et vides. Il marche ct des cercueils,
sans les regarder. Il me fait comprendre, ainsi, que tous ces morts sont vivants . Suit un
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second rve : Dans un cimetire. Je comprends que tous les morts sont vivants. Je vois
Pierrot avec son frre Alain, mort il y a un an dun cancer. Ils se parlent.
- Madame M. : je vois ma tante, morte il y a quinze ans qui se dirige vers moi dans un
couloir. Au milieu il y a une porte de verre qui nous spare. Elle me dit que joublie vite ceux
que jaime .
- Madame N. dont le mari sest suicid peu de temps avant :
1
er
rve Cest lenterrement de mon mari dans lglise. Il nest pas dans soncercueilmais sous un linceul. Je vois sa tte bouger sous le drap alors que son corps
semble mort. Je le dis des personnes qui sont l mais elles ne voient rien. Jai peur et
les pousse vers la sortie . Je me rveille dans un tat de peur.
2me rve quelques jours aprs sa mort : sur une route longue. Jai comme
limpression que nous sommes proches lun de lautre sur cette route. En mme temps, jai
une impression dloignement de sa part. Je marrte de marcher, lui continue et sloigne. Je
lui parle, il se retourne, me regarde, mais ne me rpond pas .
3me rve : Mon mari revient la maison. Il me dit quil est sorti de sa tombe pour me
voir et reste un moment avec moi puis nous retournons ensemble au cimetire et il rentre
dans sa tombe me disant que personne ne doit savoir.
4me rve : Mon mari revient la maison ce dimanche soir. Ilme dit quil est en prison
et que a va, il est bien et recommence travailler. Il veut seulement quelques vtements et
sen va .
5me rve : Mon mari revient en pleurs me dire quil ne la pas fait exprs et quil
regrette son geste .
6me rve : Mon mari revient me dire quil part en voyage et il me demande mon
chquier.
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7me rve : Nous sommes sur un march avec mes quatre filles. Il y a beaucoup de
fleurs, de couleurs. Mon mari part de son ct, je pars moi-mme sa recherche mais je ne le
trouve plus .
8me rve Dans une piscine, avec les filles. Japerois soudain mon mari qui part
derrire les filles dans la piscine. A., la plus jeune, se retourne alors et se dirige vers lui. Il
revient alors vers moi et il me dit quil faut que chacun parte de son ct, que chacun de nos
chemins prsent devient diffrent.
- Deux jours aprs le dcs de sa grand-mre, N. fait le rve suivant. Traitant
galement son pre, J-M., (la mre de ce dernier tant la grand-mre de N.), celui-ci
confirme avoir fait la mme nuit le mme songe que sa fille et que voici : Je vois ma grand-
mre dans une ambiance la fois nuageuse et lumineuse. Elle est avec mon pre et ma mre
et nous invite prendre le th. Elle nous explique alors quelle est beaucoup mieux
actuellement, quelle se trouve bien et en paix.
- Lensemble de ces deux rves concerne une jeune femme, D., morte brutalement en
couches, lors dune anesthsie pridurale. Son fils, par contre, a survcu ce drame familial.
Le pre, monsieur P., fait tout dabord le rve suivant quelques jours aprs la mort de sa fille
Je vois ma fille. Elle me dit quelle est enceinte et quelle na pas encore accouch . Sept
mois aprs le dcs, il en fait un autre : je vois ma fille. Nous sommes tous table. Cest un
repas de famille. Elle nous dit quelle doit partir et vient nous dire au revoir. Elle se lve, passe
la porte et disparat. Lune de ses surs, A., fait aussi un rve quelques mois aprs samort : Je vois ma sur, D., allonge sur son lit mtallique lhpital, comme quand je lai
vue morte. Cest comme sil y avait deux scnes cte cte : je la vois allonge et en mme
temps debout ct. Je lui dis que cest pas possible car elle est morte. Elle me rpond quelle
est bien vivante. Jinsiste sur le fait quelle est morte. Elle surenchrit en me disant je suis
bien l, je suis bien vivante et je suis l, avec vous .
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- Ces trois rves concernent la mme personne, monsieur R., dcd brutalement
dune rupture danvrysme. Les deux premiers concernent sa femme, le troisime lun de
ses fils. Le premier se situe le lendemain de sa mort : Je vois mon mari. Je suis heureuse de
le voir vivant. Je lembrasse et lui dis que jai fait un rve me disant quil tait mort. A cemoment, je me rveille et je ralise quil lest rellement. Quelques mois plus tard : je vois
mon mari.Je lui dis est-ce que tu sais que tu es mort ? Il me rpond oui, je suis bien .
C., son fils, dclare pour sa part avoir fait, un an auparavant, un rve lui annonant la mort
de son pre qui tait relie larrive en France dun beau -frre militaire, alors en Afrique.
Sachant que son beau-frre revenait fin mai, cela langoissait beaucoup car ce rve tait trs
prsent sa mmoire. Son pre est mort au mois de mai, quelques jours avant le retour se
son beau-frre.
- Madame Br. rve de son oncle quelle na pas vu de longue date en raison de
problmes familiaux. Je vois mon oncle devant sa longre. Il ne peut pas rentrer chez lui car
il est mort. Le lendemain, elle apprend le dcs brutal de son oncle le matin mme.
- Presque identiquement, monsieur K, quelques jours aprs la mort de son parrain :
je vois mon oncle, F. qui est devant chez lui. Il me dit quil ne peut pas rentrer chez lui car sa
femme, S. a ferm la porte cl . Pour la petite histoire le couple habitait la campagne, la
porte tant toujours ouverte. Mais depuis la mort de son mari, S. fermait systmatiquement
sa porte pour aller dans le jardin.
- Madame Be. fait le rve suivant : Je suis chez moi, au balcon. Les pompiers arrivent
devant chez moi. Un accident a eu lieu devant une boulangerie. Une camionnette blanche est
rentre dans un arbre. Les pompiers mettent du temps extraire le corps . Dans la ralit
existentielle, un mois aprs ce rve son frre, boulanger, livrant du pain domicile, sest tu,
pour des raisons inexpliques. Sa voiture, blanche, sest jete contre un arbre alors quil
roulait petite vitesse. Il est mort sur le coup mais il a fallu un certain temps pour le sortir de
son vhicule qui stait renvers. Trois ans plus tard madame Be. voit son frre apparatre
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dans un rve : je suis avec mon mari dans un trois pices. Mes deux grand-mres, mortes,
sont part, dans une maison. Nous faisons le deuil de mon frre. Mon mari me dit quil a mis
mon frre dans de leau qui passe sous les fentres car il a peur quil remonte. Mais je vois
mon frre mort sur une table dans la pice du milieu. Soudain, mon frre se lve et dit monmari : alors, Gg, tu nas pas encore fait chauffer le caf ? Je cours vers mon mari en lui
disant maman ne va jamais nous croire ! . De la pice o nous somme,s pour aller vers
mon frre, il faut monter trois marches mais je ne souhaite pas aller dans cette autre pice
bien que la porte soit ouverte .
- Monsieur U. dont la mre est alors malade sans pour autant que lon puisseconsidrer quelle va mourir bientt : Je vois des ouvriers dans une glise. Ils sont en train
de boulonner (ou de dboulonner) avec de gros boulons mtalliques une plaque tombale de
pierre blanche assez grande en largeur et profondeur (la largeur est assez consquente). Ils
me disent que ma mre va encore vivre une semaine . La mre de monsieur U. meurt cinq
jours plus tard. La concession, achete la suite du dcs, correspond limage exacte que
le rve propose. A la suite, quelques jours plus tard : je vois une voyante tsigane. Cest
comme si elle tait mdium et me dit (je sais alors que cest ma mre qui parle) je vous
aimerais toujours . Un mois aprs : Je vois ma mre. Elle semble se vider de ses nergies.
Je mapproche delle. Elle est lextrieur, dans un jardin, dans une sorte de chaise longue
mais de verre et comme dans une bulle. Un appareil est reli cette bulle et envoie de faon
rythmique une eau plus ou moins rouge fonc qui la baigne, bouillonnante. Jai le sentiment
que cela la lave et lapaise. Leau, rgulirement, se siphonne. Jarrte lappareil et lui prend
la main gauche. Elle se rveille, revitalise. Jai limpression quil y a eu comme une
rplication. Un premier corps est mort mais cette eau rgnre un second corps, un double,
qui est encore malade mais qui a encore un ou deux ans vivre. Je repars de ce lieu
verdoyant dans une sorte de fuse . Un mois plus tard Dans le salon. Mon pre, ma mre
et une vieille dame que je ne connais pas sont assis. Mon pre se lve pour partir. Ma sur
qui arrive essaie de le retenir. Ma mre essaie de lui parler. Je ralise alors que je la vois mais
quelle est morte. Je vais vers elle et la serre fortement dans mes bras avec tendresse. Puis,
tout en ralisant que je suis le seul la voir et pouvoir lui parler, je lui demande, comme
nous en avions souvent parl avant sa mort, comment cest l bas. Sa rponse est assez
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nigmatique. Elle me fait comprendre que cest bien mais quil y a une sorte de jugement. (ce
nest pas cependant le mot quelle emploie). Cest comme une faon aigu de voir sa vie et
ses comportements, de rencontrer son ombre. Je vois un carnet de notes o elle a crit
quelques lignes. La phrase extraordinaire vigilance revient. Pour note, un an aprs ledcs de sa femme, le pre de Mr U se remariait 86 ans avec une dame de 78 ans. Enfin,
un an aprs : Je vois ma mre sur une belle plage ensoleille. Elle est en attente de passage,
celui-ci se manifestant par la construction dun navire qui va lui permettre datteindre lautre
rive, depuis laquelle des berbres viennent lui rendre visite de temps en temps .
- Rve de monsieur C. Je suis debout avec un groupe de personnes. Je vois, assise surun banc et immobile, S., morte depuis deux trois ans. Je sais que cest elle bien quelle naie
pas tout fait le mme visage que de son vivant. Elle me dit que je lai veille de son
sommeil. Je mapprochedelle, lui prend le visage, et par trois fois je lui dis : veille toi, veille
toi, veille toi. Puis elle se lve de son banc et suit le groupe .
- Je vois P. sur son lit. Je sais quil est mort voici deux jours mais je le vois vivant sur
son lit. Il me dit quil souffre beaucoup de sa jambe gauche, quil me montre dailleurs leve
angle droit pour me signifier que cela le calme. Je lui dis quil est mort et je lui suggre de
lcher, dabandonner son corps en sortant par la tte. Je pousse un cristrident et jeffectue
moi-mme le mouvement pour lui montrer comment faire. Dans la ralit physique,
monsieur K., qui fait ce rve, na pas pu voir son ami P. depuis plusieurs mois. Apprenant sa
mort, il stait rendu son domicile pour un dernier adieu, la veille, sans pouvoir
particulirement changer avec la famille lors de cette veille. Ce nest qu posteriori de ce
rve quil demande ses proches les conditions de vie de son ami dans les dernires
semaines de son existence. Les douleurs du membre infrieur gauche lui sont confirmes
comme reprsentant la gne la plus grande. Trois ans plus tard il fait le rve suivant Je vois
P. mort voici presque trois ans qui est ressuscit. Il savance vers ma maison. Nous parlons
sur le chemin. Il me montre un trou dans la terre. Puis une jeune fille, elle aussi ressuscite,
sapproche de moi. Elle a environ trente ans, belle et brune. Elle est morte en juin. Je la
prends dans mes bras, ressentant ltranget de serrer un corps qui tait mort et qui
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redevient vivant. Elle me serre galement dans ses bras. Je la sens encore faible. Nous nous
dirigeons vers la maison .
- Madame B., quelques mois aprs la mort de son mari auquel elle tait trs attache :
Je vois ma grand-mre morte voici bien longtemps. Elle suit le cortge funbre de mon mari
dans lglise. Elle dpasse, sans rien dire, le cercueil et disparat dans la nef de lglise . Suit
un second rve deux ans plus tard : Je vois mon mari lentre dun cinma, ct intrieur
derrire une grille, tandis que je me trouve du ct de la rue. Derrire moi, J-P, le fils dune
amie, mort il y a quelques annes dans un accident de circulation. Mon mari me sourit
affectueusement puis il me dit que nous devons nous sparer et, en me disant au revoir, ilbaisse le rideau mtallique du cinma . Enfin un troisime rve termine la srie, trois ans
plus tard Je vois mon mari comme je lai connu quand il tait jeune homme. Mais il a un
corps tout dor. Il est comme dans sa vie, mcanicien, la main sur la poigne dune voiture,
galement dore. Il y a de grandes fleurs derrire lui et tout autour. Il me fait un signe de la
main avec un grand sourire .
- Monsieur P. : Je suis dans une pice ct de mon parrain, F., mort voici quelques
mois. Il est ma gauche, plus jeune, environ 35 ans, et dans un corps lumineux et dor. Je
peux le toucher, mais en mme temps il prend ma main qui traverse son corps. Derrire lui je
vois un autre homme que jidentifie immdiatement comme tant R., son frre, mort il y a
trs longtemps et que je nai jamais connu. Mais tout en sachant que cest bien lui, il ne
ressemble pas aux photographies que jai vues de lui.
- Monsieur A., se rfrant la mort de lun de ses amis, M. C., voque tout dabord un
rve prmonitoire de sa mort, six mois auparavant : Jassiste la runion dun groupe de
recherche o chacun fait part de ses travaux. Plusieurs personnes connues sont l mais je
cherche M. C. dans le groupe et je ne le vois pas . Quelques jours aprs sa mort, il voque
un second rve Dans la cuisine de ma maison. Je suis attabl avec M.C. qui est plus jeune
que je ne lai connu, la cinquantaine, avec un visage lgrement diffrent : yeux bleus trs
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perants et surtout, dtail tonnant, des cheveux alors que je le connaissais chauve. Il me dit
quil est inutile de continuer prier pour lui mais que je peux continuer lui crire la mme
adresse. Supposant que jenverrai des fleurs pour son dcs, il a lui-mme demand me
faire parvenir une rose rouge. Je lui dis tre tonn quil ait un fils dont il ne mavait jamaisparl. Il me rpond quil est le fruit dun ancien mariage mais que cela na pas beaucoup
dimportance pour lui. Puis nous nous mettons danser ensemble, mais en lvitation, nos
pieds ne touchant pas le sol, tournant dans le sens dextrogyre .
- Monsieur T., ayant bien connu Graf Durckheim, mort une quinzaine dannes avant,
fait ce songe : Je suis dans une bibliothque ou une librairie assez lumineuse. Je ne sais tropcomment (panneau, conversation ?), japprends que Graf Durckheim est ltage. Sans
mtre fait inviter, je monte quatre quatre les escaliers de forme spirale, au fond droite,
pour me retrouver en sens inverse au dessus. La salle est lumineuse, are, avec quelques
personnes dont un homme dge moyen qui savance vers moi. Je lui donne mon nom, disant
que jai bien connu Graf Durckheim. Mais il me dit lui-mme me reconnatre, pour mavoir
rencontr au pralable, et me dirige directement vers Graf Durckheim. Celui-ci est en train de
parler une femme. Je vais vers lui, nous nous prenons les mains. Il est assis au sol et je fais
le constat de la souplesse de mes genoux car je peux masseoir sur les talons sans effort. Je
sens ses mains. Son visage est un peu diffrent de celui que jai c onnu. Il a de longs cheveux
blancs. Je mexcuse auprs de lui pour ne pas tre venu plus tt car je le pensais mort. Il me
rpond quil nest plus mort mais immortel.
Suivent, pour terminer, deux songes traitant de la mort contenu symbolique :
- Monsieur R. : Une vieille dame chinoise. Elle me parle de la rencontre du Nant, du
Rien, qui nest rien dautre que la suppression de la mort, a -mor. Elle sloigne alors comme
pour en tmoigner et va dans la pice d ct. Je dois ouvrir la porte et regarder en face, ce
que je fais. Mais en ouvrant la porte, cest comme si jassistais la scne de lextrieur: je me
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vois ouvrir, mais je ne vois pas ce que je suis supposer rencontrer de lautre ct, comme si je
restais lextrieur.
- Monsieur I., Je suis en compagnie dun cavalier noir qui est la mort. Il semble quelle
retourne chez elle. Je laccompagne, moi-mme sur un cheval blanc. Nous arrivons prs dun
grand mur denceinte. Des gardiens, comme des fumes blanchtres, sont l. Un chef vrifie
que le cavalier noir est bien mort en soulevant ses vtements : en dessous, rien, le vide, et
pourtant la prsence. Cest comme si le cavalier tait bien mort, puisquil ny a rien, et
pourtant vivant. Seul son vtement lui donne forme, donne forme au vide. Le cavalier, ainsi,
menseigne ce quest la mort! Alors, il traverse la porte de lenceinte tandis que je reste de
mon ct.
Subjectivit et niveaux de ralit
Adam, o es-tu ? (Gense, III, 10)
Notre objectif, la suite de ces tmoignages oniriques, ne va pas se dployer dans
la direction dune quelconque interprtation. Nous laissons au lecteur la libert de ses
possibles rflexions ce sujet. Il apparat cependant, si lon sen tient la stricte
phnomnologie des rves, que la proposition transdisciplinaire, stipulant lexistence de
diffrents niveaux de ralit, se doive dtre souleve en ce domaine. Il semble en effet
que lon puisse mourir plusieurs fois, que ruptures et mutations propres la mort
existentielle se renouvellent en dautres niveaux de ralit. Il savre aussi que certaines
prmonit ions sur la mort dun proche soient parfois ralit vrifiable, comme est
troublant le constat dun certain nombre de faits, rapports par les rves et que le rveur
ignore, susceptibles de se vrifier ensuite. Enfin, lhypothse classique du refoulement,
consistant dire que lon voit un mort parce que son dcs est refus - le
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prolongement du dsir chez Freud4 - nous apparat trop limitative. Ce type
dapproche rend en effet mal compte du contenu de songes tel que, par exemple, celui de
la jeune femme morte en couches, son pre sachant en effet trs bien quelle a accouch
aprs sa mort dun enfant vivant alors mme que le rve, postrie urement, fait tat de
cette mme jeune femme encore enceinte et affirmant son intention daccoucher. Certes,
lon pourrait dire que le pre, traumatis par le dcs, aimerait un retour un moment
antrieur en lequel le bonheur tait encore de mise. Mais une autre interprtation
pourrait autant considrer que la jeune femme, morte en couches, na pas, dans son vcu
subjectif propre, accouch, ce dont elle porte tmoignage dans le rve (qui manifeste
alors un autre niveau de ralit que celui de la vie physique) en laffirmant son pre.
Par les tmoignages oniriques qui concernent la mort se pose donc, plus encore
sans doute que dans les autres rves, la question du statut de la vision, de son objet, de
son sujet, de sa topologie. Sagit-il de fantasmagories, de refoulements ou de
manifestations lies une autre ralit, plus subtile ? Et dans cette hypothse, quest ce
qui se dit ? Qui parle ? Sur quel lieu de soi, sur quel niveau de ralit le rve se situe-t-
il ?
Il apparat intressant, pour prciser notre questionnement, de rfrer un texte
culturellement fondateur de notre relation la mort, celui de lpisode biblique de la
tentation qui introduit de faon contradictoire ce mot par lintermdiaire dun discours
entre Dieu et le Serpent (Gense, III). Deux Arbres rfrent symboliquement cette
opposition essentielle, lArbre de Vie et lArbre de la Connaissance duelle du bien et du mal.
Le premier distribue les fruits de vie dont lesprit de Dieu est le source. A lUn ( la tri-unit,
voire la bi-unit Adam/Eve comme une seule chair , Gense, II, 24) origine de toute vie
soppose la dualit serpentine dont la langue, bifide, et la peau, qui mue un certain nombre
de fois, affirment les valeurs chthoniennes et mortelles opposes au vertige divin. Dans
lpisode, les verbes manger et mourir deviennent les oprateurs du passage conduisant
lAdam un nouveau statut ontologique lappelant sengager dans le devenir des
changements dtats, de conscience et de connaissance de soi. Mourir en effet, dans le
texte, est synonyme de muter , sens de la racine hbraque mout, (Mem, Vav, Tav) et
4
Voir la grande ambigut de son interprtation du rve de lenfant mort qui secoue par le bras son pre endormien disant ne vois-tu donc pas que je brle , ce qui est confirm par le pre au rveil, un cierge tant tomb surle corps de lenfant (1967, p. 433).
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renvoie dailleurs la racine grecque mta affirmant identiquement lide dun passage
au-del , dun changement .
Si connatre est mourir, le processus cognitif, li un certain nombre de mutations
successives, postule, par le symbole du Serpent, la ncessit de plusieurs peaux , de
diffrents niveaux dexprimentation du sujet. Cette multiplicit questionne donc en
premier les lieux du regard ou de la parole, indissociables de tout acte de connaissance et
imposant de se situer. En ce sens, M. Buber (1995) ou J.-P. Miraux (1996) appuient la
dynamique de dvoilement du parcours de vie (auto-connaissance) et les impratifs de
transformation (les morts ) de la personne dans linterrogation divine laquelle demande,
dans la Gense, aprs quAdam et Eve eurent got du fruit de lArbre du Savoir, Adam, o
es-tu ?. Associ louverture des yeux et au dsir de connatre, cet pisode se comp lte
par la prise de conscience dAdam qui se reconnais nu et qui tente de se cacher du regard
divin (Gense, III, 10-11).
Comme Dieu interrogeant Adam, le quteur auto-chtone , celui qui aspire se
dpartir de son enfermement terrestre, se trouve face une nigme abrupte : toi qui te
demandes qui es-tu, qui tentes de te connatre toi-mme, en premier lieu, o te situes-tu en
toi-mme ? Puisque ici, o ? prend valeur de qui ?.
Il importe donc, pour rpondre la question du sujet, de le loca liser. Si, aprs lpisode
de la tentation, Dieu pousse Adam sinterroger sur son tre, sur lessence de sa Personne
(Gense III, 9), cest quaprs sa transgression Adam a perdu un lieu, une topologie
dnique, un contact possible lArbre de Vie pour se retrouver dans le monde de la
corporalit physique et de la mort (la nudit , en hbreu, suggrant lveil dun moi-
personne et la feuille de figuier, cousue en ceinture, la puissance sminale devenuevgtative gense, III, 7-8). Ds lors revtu dun quoi, dun vtement de peau qui,
prsent et dans ce nouveau lieu, le dtermine ontologiquement en lidentifiant sa nouvelle
nature physique mortelle, Adam perd le lieu de la vision dnique pour acqurir celui de la
vision existentielle.
La qute adamique, ds lors engage, explicite lintgration identitaire par le
cheminement cognitif. Deux lieux, au moins, sont donc indispensables pour lapprhender
dans sa plnitude. Lun ressort de lunivers extrieur, lautre appartient lunivers intrieur
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la condition de retrouver le chemin du voir et de la vie qui se cachent sous lapparence
phnomnale des choses. La qute identitaire du sujet serait alors ce qui lui apparat au fur
et mesure de la recherche dune unit perdue qui relirait en les intgrant deux aspects,
apparent et cach, duel et non-duel de la personne. Deux statuts ontologiques autantqupistmologiques prsident donc lhumain selon quon le situe en tant quobjet de
connaissance ou en tant que sujet vivant. En parallle la connaissance, spare par la
transgression et la mortalit de la vie, possde en son cur une possible dlivrance par
unification, cest au moins ce quaffirme le mythe quand le Serpent nonce notre aptitude
devenir comme Dieu (Gense, III, 5). Il sagit alors de connatre, paradoxalement, lUn par
lintgration non-duelle de notre double nature, cette cration dun inter-monde
imaginal , pour reprendre la belle expression dH. Corbin, quivalant linscription dun
cheminement dont lenjeu cognitif le plus fondamental consiste briser les voiles de la mort
( non, vous ne mourrez point, Dieu sait, en effet, que le jour o vous en mangerez, vos yeux
souvriront et que vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal ). Il est donc un
niveau douverture des yeux la ralit physique et duelle, li la mort, qui soppose un
autre niveau douverture des yeux, de lordre de la non-dualit, de lauto connaissance, de
laccs un inter-monde imaginal et vital. Si, en ce processus, diffrents niveaux de soi
coexistent, leurs distinctions et intgrations supposent leur tour une gnosologie faite de
ruptures et de relations (en particulier dordre pistmologique) inscrivant des ralits
diffrentes (sans quoi il ny aurait point de distinction). Le chemin sinueux de notre
enqute affirme donc la reconnaissance dimpratifs de mutations, de morts et de
renaissances, celles-ci, par modification progressive des structures relationnelles entre le
Mme et lAutre , organisant et ordonnanant nos rapports au monde, aux autres et
nous-mmes (alter Ego) .
La traverse vers lautre rive de soi se construit ainsi par mise en synchronie de deux
processus distincts. Lun rside dans la traverse des niveaux de ralit considrs comme
ruptures et obstacles qui rsistent et qui sopposent (option duelle). Lautre impose
dexprimenter la posture inhrente aux ponts qui runissent entre eux les niveaux de
ralit diffrents (option non-duelle). Cette dernire opration ressort de la relation, de
lentre-deux, du tiers inclus, cest dire dune pistmologie de leffacement formel et de la
transparence subjective et non dune pistmologie de la rduction dterministe et de la
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rsistance dobjet. Lensemble du processus, formel et informel, sparant/reliant lobjet et le
sujet, permet de faire retour lorigine de soi.
Les problmes de la relation de ltre et de la forme, des transformations successives
lies cette interaction supposent ainsi de sintroduire dans le paradoxe de larticulation
contradictoire entre principe formel, moule de lapparence, configurant transitoirement la
contingence comme traces, et ralit informelle de ltre dont linsaisissabilit dessence
transcende ncessairement toute forme. Nous rejoignons ici C. Jambet (2003) qui,
commentant Sohravard, considre que la forme est substance lumineuse tandis que la
matire est substance opaque, barzakh5. Il est donc un jeu, tant dialectique que
contradictoire, entre formel et informel et un incessant passage entre lun et lautre
impliquant au passage les concepts dinformation et de transformation. Linformel dans ce
contexte, comme abstraction rfutant les reprsentations classables et reconnaissables,
devient alors le niveau de ralit sans doute le plus apte favoriser une exprimentation par
implication, certes voile, mais simple du sujet.
Dans le cadre plus particulier de la phnomnologie des rves, la forme renvoie la
narration du vcu onirique. Elle interroge sur ce que lon veut conserver, ce qui est considr
comme signifiant et dont elle constitue le rcit figur par les visions. Les images offertes, en
donnant sens au rcit, deviennent autant icnes visibles quoprateurs de labsence (M -J.
Mondzain, 2004). Elles offrent reconnatre dans ce que lon dit et dans ce que lon voit ce
qui constitue ou ce qui destitue la pense et, plus encore, ce qui signifie ltre ou sa parodie.
Dans lexprience formelle du rve le rcit, comme image, par la vision de lautre offre
dcouvrir le Mme . Mais la similitude nest ni dans le rcit ni dans la vision mais leur
horizon, qui suggre ce qui nest pas montr. Linformel, comme paysage et perspective
secrte de la similitude, donne la dissemblance ses lettres de noblesse en renvoyant
autre chose quelle mme, le rel insaisissable et jamais voil demeurant pourtant, de la
sorte, signifi et orient.
Si la forme correspond au principe dorganisation interne des apparences, linformel fait
cho cette matrice invisible et son dpassement ce qui, en quelque domaine que ce
soit, pose la fois dun ct la question des normes ou des valeurs (biologique s,
5 Voir les analogies de cette nonciatio