LA
PHILOSOPHIE MYSTIQUEEN FRANGEA LA FIN DU XVIII e SICLE
SAINT-MARTINET SON MAITRE M4RTINE7.
PASQUALIS
Ad.Membre del'Institut,'
FRANCKprofesseur au Collge de France
PARISGERMER BAILLIRE, LIBRAIR E - DITEURRue de l'Ecole-ile-Mdecinc, 17
LondresUjpp. Baillitre, 2t'J, RegeDt street.|
New-YorkBaillire
brolliers,
110, BroaJw.i.
MADHID,
l.ill.l \-l
uni
iie,
l'LAZ
|i>i
PRINCIPE AI.FONSO, 16,
1866Tonsdroits rservs.
BIBLIOTHQUE
DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE
LA
PHILOSOPHIE MYSTIQUEEN FRANCEA
LA FL\ DU XVIII
e
SICLE
SAINT- MARTINET SON M AIT RE M.4RTINEZ PASQUALIS
Ai.Membre'le
FRANCKprofesseur au Collge de France.
l'Institut,
PALUSGERMEK BAILL1RE, LIBRAIRE-DITEURhue de l'Ecole-de-Milecine, 17,
LondresUipp.Bjilliere,
New-YorkBailliere
Ut,
Kegeut jtreet.
biotliers,
440, Broadwaj.
MADRID,
C.
BAILLT-BAU.LIF.KE,
PLAZA UEL PRINCIPE ALKONSO, 16.
18CG
LA
PHILOSOPHIE MYSTIQUEEN FRANCEAUXVIIIe
SICLE
CHAPITRE PREMIERDu mysticisme en gnral.religion.
De
ses
rapports avec la philosophie et
la
Martinez
Pasqualis, son origine, sa vie et sa doctrine.
Il
y a peu d'crivains,
et surtout d'crivains mysti-
ques, qui aient moins de droits que Saint-Martin ce
nom
de Philosophe inconnu dontses ouvrages. Si obscurestrines (et
il
se plaisait signer tous
que soient pour nous ses docl'taient pas
nous pouvons affirmer qu'elles ne,
moins pour ses contemporains)vant, devenirciter,
il
les
a vues, de son vi-
un
objet de graves mditations, et lui sus-
en France, en Allemagne, en Suisse, des disciples
pleins de ferveur.franaise, sonl'\r!
Au moment o clatait nom tait si clbre et si1791,le
la
Rvolution
respect, que
i.v.
constituante, en
prsentait avec
AU.
i
2
DU MYSTICISME EN GNRAL.
Sieys, Condorcet, Bernardin de Saint-Pierre etBerquin,
comme unle
des
hommes parmi
lesquels devait tre choisi
prcepteur du jeune dauphin.
On
se disputait sa per;
sonne dans
les plus lgants salons
ceux qui ne pou-
vaient le lire taient jaloux de l'entendre, et le charme
de sa conversationIl
effaait
pour
lui toutes les distances.
a vcu dans la familiarit de la duchesse de Bourbon,la
de la marchale de Noailles, de
marquise de Coislin,
du duc de Bichelieu, du duc de Bouillon, du duc de
Lauzunlitzin,
;
il
tait l'hte et le
commensal du prince de Ga;
de lord Hereford, du cardinal de Bernis
il
a connu
le chevalier de Boufflers, le duc d'Orlans, devenu plus
lard
Philippe-galit, Bailly, Lalande,Il
Bernardin de
Saint-Pierre.
a soutenu, dans une assemble de deux
mille personnes,
une discussion
brillante contre Gart,
l'ancien ministre de la Convention,d'
nomm
professeur
analyse
de]
l'entendement dans
les coles normales.
Iprs s'tre attir, dans sa jeunesse, les sarcasmes deVoltaire,il
n'a
pu
viter, sur la lin
de sa vie, ceux de
Chateaubriand, qu'il a aim et admir. Enfin c'est dansses crits, et principalement clans ses crits politiques,
Vous
devriez, leur disait-
il,
venir nous voir;
nous sommes de braves gens.vous regarderez au premierfin, lisant
Vous ouvrirez unau centre
livre,et
feuillet,
la
seulement quelques
mots, et vous saurez tout ce qu'il contient. Vous voyez
)>
marcher toutes sortes de gens dansces gens-l ne savent pas pourquoi
la
rue; eh bien,
ils
marchent, mais
vous, vous le saurez.
Martinez Pasqualis n'atteignit passuivait.
le
but qu'il pouril
Au
lieu
de devenir,
comme
l'avait
rv,
l'hirophante suprme de toutes les socits mystiques
de la France
et
peut-tre de l'Europe,
il
ne
vit
jamais
autour de
lui
qu'un petit nombre d'adeptes, qu'on ails
appels tort la secte des Martinzistes; car
n'ont
jamais eu entre eux une assez grande conformit depenses ni des relations assez suivies pour constituer uneloge distincte. Dcourag ou rsign, et n'aspirant plus
qu' l'obscurit et au repos, Martinez disparut un jour
du milieu de
ses amis, et l'on apprit qu'il tait
mort
Port-au-Prince, en 1779.
Pour exposer son systme,yeuxle
il
faudrait avoir sous lest l'heureux
document prcieux* dont M.Matter a
MARTINEZ PASQULS.possesseur,le
13
Trait sur la rintgration des tres dans
leurs premires proprits, vertus et puissances spirituelles et divines.
C'est le titre vritable de l'ouvrageles hritiers
de Martinez. J'espre bien queter le
de M. Mat-
publieront quelque jour
;
je les
en conjure au
nom
de
la philosophie et;
dans
l'intrt
d'une renomme qui
doit leur tre chre
ce sera un des plus grands services
qui auront t rendus l'histoire du mysticisme, etparticulirement du mysticisme au
xvnf
sicle.
Mais,
en attendant, l'analyse que nous possdons ds aujourd'hui de ce singulier livre nous permet d'en reconnatre l'esprit et l'origine.Il
dcoule tout entier du principe
kabbalistiquc de l'manation,tin
conserv par Saint-Mar-
comme
la
partie
la
plus prcieuse de l'enseignecelle qui n'tait
ment de son premier matre,que qu'aux disciplestrants(1).
communiplus pn-
les plus
avancs et
les
Au principe de l'manation vient se rattacher lela chute,
dogme declans le trine
entendu dans un sens qui
le distin-
gue entirement du dogme chrtien
et le fait rentrerlale
systme mtaphysique du Zohar. Selon
docs^eul
de Martinez Pasqualis, l'homme n'est pas
tre qui porte en lui les traces et qui subisse les
con-
squences d'unesont tombs
dfaillancelui;
premire;
tous' les tresle ciel
comme
ceux qui peuplent
ou
qui entourent le trne de l'ternit,sont exils sur cette terre;
comme
ceux qui
tous sentent avec douleur le
mal qui(1)
les tient loignsle
de leur source divine, et attenp.
Correspondance avec
baron de Liebisdorf,
15 de
l'dition
de
M. Schauer; M. Malter, Saint-Martin, p. 25.
l'j
MARTINE/ PASQUALIS.le
dent impatiemmentn'est pins facile
jour de
la
rintgration.
Rien
comprendre;
car, avec le principe de
l'manation, la seule naissance des intelligences finiesest
une dcadence, puisqu'elleinfinie,
les loigne
de
l'intelli-
gence
de l'existence souveraine et parfaite avec
laquelle elles taient primitivement confondues.
Le
trait
de Martinez,
comme nous l'apprend M.
Matter,
s' tant
arrt prcisment la venue de Jsus-Christ,il
nous ne savons pas par lui-mme de quelle manireexpliquait la rhabilitationfaire:
mais nous pouvons nous en
une ide d'aprs
le
tmoignage de l'abb Fournie,
incapable de rien ajouter de son propre fonds la doctrine
qu
il
avail reue.
Or
voici cela
que l'abb Fournie:
nous assure avoir entendu deui
bouche de Pasqualis
Chacun de nous, en marchant surs'lever
ses traces, peutC'est
au degr ofait la
est
parvenu Jsus-Christ.
pour avoir
volont de Dieu que Jsus-Christ,le Fils
revtu de la nature humaine, est devenu
de
Dieu, Dieu lui-mme. En imitant son exemple ou en
conformant notre volont lierons
la volont divine,
nous en-
comme
lui
dans l'union ternelle de Dieu. Nousl'esprit
nous viderons dedeest
de Satan pour nous pntrer
l'esprit divin:
nous deviendrons un
comme Dieule
un,
et
nous serons consomms eu l'unit ternellePre, de Dieu le Filset
de DieuEsprit,
le
de Dieula
Saint-
consquemment consomms danset divines (1).
jouissance
des dlices ternelles
1)
Voyez M. Matter, ouvrage
cit, p.
35-37.
MARTINKZ PASQUAL1S.
15
Tous
les
mystiques,
sous
une forme ou sous uneici elle
autre, ont eu la
mme
pense; niais
se prsente
fournie une suite ncessaire des deux principes prcdents.
Certainement,est
si
toute existence renferme danset si toute
ce
monde
une manation,
manation estla
une dchance, c'est--dire un amoindrissement desubstance infinie,il
faut chercher notre rhabilitation
dans l'anantissement des limites qui dterminent notretre,
dans
la destruction
de notre conscience et de notrele
volont individuelle, dans
retour de notre
me au
sein
de
l'esprit universel.
La preuve que Martinez, en comla
prenant de cette faon
rparation de la premire faute,la
ne cdait pas simplement
pente gnrale du mysti-
cisme, mais une tradition positive, hrditaire danssa race, c'est que la rintgration, selon lui, ne s'arrtera pas
l'homme
;
elle
s'tendra toute la nature,
et
jusqu'au principefinie
mme
du mal, cette puissance ind
que nous appelons l'Esprit des tnbres.(1),
Martinez
Pasqualis, dit Saint-Martintout ce;
avait la clef active de
que notre cheril
Bhm
expose dans ses tho-
ries
mais
ne nous croyait pas en tat de porter cesIl
hautes vrits.
avait aussi des points
que notre ami
Bhm
ou n'a pas connus oula
n'a pas voulu montrer,
tels
que
rsipiscence de l'tre pervers, laquelle le(2)
premier
homme
aurait t charg de travailler.est la
La
rsipiscence deCorrespondance
Vesprit perversSchauer,;
fois
un
(1)(2)
indite, dit.
p.
272.telle
Trs-certainement Y Adam
Kadmon
car
est
la
traduction
littrale
de ces deux mots hbreux.
10
MARTINEZ PASQUAL1S.et
dogme persansonge quele
une ide kabbalistique. Mais,
si
l'on,
Zend-Avesta n'a t publi qu'en 1771tait retir
une poque o Martinez
de
la scne
du inonde,
et que, d'ailleurs, ce chef d'cole est rest toute sa vie
compltement tranger au mouvement scientifique de sontemps,il
faut bien admettre l'intervention de la kabbale.
Avec ces doctrines
seules, Martinez n'aurait t qu'un
mtaphysicien ou un mystique spculatif;savons qu'il tait quelque chose de plus.
mais nous
A l'uvre pure-
mentriels
spirituelle
de la parole,
il
joignait les actes mat-
de la thurgie. Reconnaissant entre l'homme et le
principe absolu des tres une foule d'existences inter-
mdiaires, spirituelles
comme
notre me, mais dchues
comme
elle,
quoique restes en possession de facultsil
suprieures,
pensait qu'il y avait des
moyens de
les
intresser notre rgnration, troitement unie laleur, et de les mettre en
communication avec nous, de
nous placer sous leurles
tutelle, d'en obtenir les secours
ou
lumires indispensables notre faiblesse. Ainsi s'ex-
pliquent les
noms de majeur
etle
de mineur appliqus,
le
premier aux esprits clestes,
second l'me humaine.
Quant aux moyens employs par Martinez Pasqualispour amenerles relations qu'il dsirait, et auxquelles,il
sans aucun cloute,
croyait sincrement, aucun;
cle
ses
disciples ne s'est cru permis de les dvoiler
mais une
parole de Saint-Martin peut nous tenir lieu de tout autre
renseignement.rations,
Commeil
il
assistait
un jour ces op-
probablement des actes d'vocation prcds delui arriva
grands prparatifs,
de
s'crier
:
Comment,
MAI1TINKZ PASQUALIS.
17
matre,
il
faut toute cela:
pour
le
bon Dieu
(1)?
Et
le
matre rpondait
Il
faut bien se contenter de cesi
que
l'on a.
Cela voulait dire,
nous en croyons l'auteur
de X Homme de dsir, que, ne pouvant atteindre directement, d'un premier lan de mditation et d'amour,
jusqu' la source de toute grcetion,l'
et
de toute rhabilitajusqu'
jusqu'au Rparateur, jusqu'au Verbe,ou,
Adam Kadmon,
comme
Saint-Martin se plat
l'appeler plus souvent, jusqu' latelligente,
Cause active
et in-
nous devons nous adresser des puissances
infrieures et leur parler la langue qu'elles
comprenpour
nent.
Tout cet appareil extrieur
n'tait doue,
parler
comme
Saint-Martin
,
que du remplacement,
c'est--dire
une simple prparation des voies plusle
hautes et plus pures, quevrait qu'
mystrieux Portugais n'ou-
demi de rares adeptes.
Saint-Martin tmoigne aussi de la puissance qu'ildployait dans cette uvre trange, ou des effets qu'ilproduisait sur l'imagination et les sens des assistants.u
Je ne vous cacherai point, crit le Philosophe inconnu son correspondant de Morat, je ne vous cacheraipoint que, dans l'cole o j'ai pass,il
y a plus deeu
vingt-cinq ans,taient
les
communications de tout genreet frquentes,
nombreuses
que
j'en ai
ma
part
comme
tous les autres, et que, dans cette part,
(1)
Correspondance
indite, lettre v, p.
15 de
l'dition de
M. Schauer.
A
ces paroles, dont l'authenticit ne peut gure tre conteste, nous ne:
savons pas pourquoi M. Matter a substitu celles-cifaut-il tant
Eh
quoi, matre,
de choses pour prier Dieu
?
(Saint-Martin, p. 20.)
18
MARTINEZ PASQULIS.tous les signes indicatifspris (1).il
du Rparateur
taient corn-
Ces communications,
ne faut pas s'y tromper, c'-
taient des apparitions, des manifestations sensibles, ce
que Saint-Martin appelle
ailleurs (2)
,
avec plus d'nergie,lais-
du physiquefoi
.
Les rcits de l'abb Fournie neIl
sent subsister ce sujet aucun cloute.
nous apprend,
sur lale
de sa propre exprience, que Martinez avait(c'est le
don de confirmer
mot consacr dans
l'cole),
de confirmer ses enseignements par des lumires d'enhaut, parpidesetcls
visions extrieures, d'abord vagues et ral'clair,(H).
comme
ensuite de plus en plus distinctesil
prolonges
Cette puissance,si
l'aurait conserve
mmo
aprs sa mort,a
nous en croyons l'auteur quejour, dit l'abb Fournie, que
je viens de citer:j'tais
Un
prostern dans
ma chambre,qui
criant Dieu dela
o
me
secourir, j'entendis tout coup
voix de M. de
Pasqualis,
mon
directeur,
tait
corporellement
mort depuis plus de deux ans, et qui parlait distincte-
ment en dehors de ma chambre, dontdu ct d'o venait
la porte
tait.
ferme, ainsi que les fentres et les volets. Je regardela voix, c'est--direla
du ct d'un
grand jardin attenant (1)
maison, et aussitt je vois\ix,
Correspondance indite,
lettre
page G2, de
l'dition
de
"M. Scliauer.
(2)
Ibid., p. 75.
(3)
Voir
le livre
publi
par l'abb Fournie, sous ceet
titre
:
Ce que
nous avonsdres,p.
t, ce
que nous sommesextraits
ce que nous deviendrons (LonMattel',
1801),
et
les
qu'en donne M.
Saint-Martin,
42-53.
MARTINEZ PAS0UAL1K.
49
de mes yeux M. de Pasqualis, qui se met et
me
parler,
avec
lui
mon
pre et
ma
mre, qui taient aussi
h
tous les deux corporellement morts. Dieu sait quelleterrible nuit je passai!
Je lus, entre autres choses,
lgrement frapp surfrappa au travers de
mon me par une main qui la mon corps, me laissant une imhumain ne peutextenir
pression de douleur que le langage
primer, et qui
l'ternit.
me parut moins O mon Dieu si c'est!
au temps qu'
votre volont, faites!
que
je
ne sois jamais plus frapp de la sortesi terrible,
car ce
coup a t
que, quoique vingt-cinq ans se
soient couls depuis, je donnerais de
bon cur tout
l'univers, tous ses plaisirs et toute sa gloire, avec l'as-
surance d'en jouir pendant une vie de mille milliardsd'annes, pour viter d'tre ainsi frapp de nouveau
seulement une seuleIl
fois (1).
y
a,
dans cette narration trange, dont
la
bonnefaits
foi
ne peut d'ailleurs tre mise en question, des
qui
appartiennent plus la physiologie et la pathologiequ' une tude philosophique du mysticismeest impossible;
mais
il
de n'y pas reconnatreles effets
les effetsfoi
d'une
me fortement prvenue,
de la
sur l'imagiElle
nation, la sensibilit et la perception elle-mme.
nous montre aussi ce que peutl'autorit d'un
la volont, la conviction,
homme
suprieur sur ceux qui vivenl
habituellement dans son commerce. Elle nous fournit
un nouvel argument contre cette critique superficielle
et
I
M. Matter, ubi supra, p. 43-44.
20
MARTINEZ PASQI'ALIS.l'histoire
suranne qui n'admet dansdes charlatans et des dupes.
du mysticisme que
L'abb Fournie ne s'arrte pas
l.
Aprs
les clairs
passagers et les visions qui reprsentent des cratures
humaines, viennent deslev:
apparitions d'unn'est pas
ordre plus
d'abord
un tre qui
du genre desainsi);
hommes
(c'est l'abb
Fournie qui s'exprime
puis le Christ sous sa forme terrestre, crucifi sur l'arbre
de la croix, ou sortant plein de vie du sein deenfin,le
la
tombe
;
Sauveur des hommes dans toute saetici
gloire,
triomphant du monde, de Satann'aura pas de peine reconnatre
de ses pompes.ces
Onle
communications
successives dont parle Saint-Martin, rparties suivant
rang ou suivant
les forces
de chaque
initi, et
dans
les-
quelles taient toujours compris les signes indicatifs du
Rdempteur. Ce
n'est qu'aprs avoir
parcouru la srie
entire des signes qu'on tait admis en prsence de laralit
ou du Rparateur lui-mme, du Verbe, deet intelligente.
la
Cause activetion
videmment,
cette initia-
suprme devait
tre
purementdans
intellectuelle.les loges.
Maisattri-
une rumeur trange
circulait
On
buait Martinez Pasqualis le pouvoir surnaturel de pro-
curer ses disciples la connaissance physique, c'est-dire la vision
du Verbe
divin, et l'on citaiteffet,
comme
exemple
le
comte d'Hauterive. Voici, en
ce qu'on
racontait de ce personnage.
Nousle
laissons la parole au
correspondant de Saint-Martin,en priantle
baron de Liebisdorf,
lecteur de se souvenir:
que
c'est
un Suisse
qui crit dans notre langue
MARTINEZ I'ASOUALIS.
sur moi dans l'ordre philosophique. J'ai lu, vu, coutles
philosophes de la matire et les docteurs qui rale
vagent
monde par
leurs instructions, etait
il
n'y a pas
une goutte de leur venin quide ces serpents dontla
perc en moi, ni un
w seul
diciable.
Mais tout cela s'est
morsure m'ait t prjufait naturellement en moices salutaires exp-
et
pour moi; car, lorsque
j'ai fait
j
riences, j'tais trop jeune et trop ignorant
pour pou(1). t
voir11
compter mes forces pour quelque chose
avait
un grand-oncle appel M. Poucher, qui
tait
conseiller d'tat.
Dans l'esprance quelui
cette position
pourrait
un jour passer
par droit d'hritage, sonlelit
pre voulut qu'il entrt dans la magistrature et
nommer
avocat du roi au sige prsidial de Tours. Saint-
(1) Portrait historique, n
618;
conf. n 28.
,
30
VIE DE SAINT-MARTIN.filiale qu'il
Martin se laissa faire avec cette obissance
garda jusqu'au dclin de saronner son sacrifice; maisqu'ilsi
vie.il
Le succs aurait d coun'en fut rien. L'opinion
donna
cle lui
en prenant possession de sa charge futdes larmes, nousIl
malheureuse,
qu'il versa
dit-il
lui-
mme,et
plein son chapeau.
persista encore sixlui
mois;
mais, au bout de ce temps, l'preuveil
parut dcisive
obtint de son pre de quitteril
une profession pour
laquelleavait
n'avait pas plus d'aptitudeassister, ce qu'il
que de got.
Il
beau
nous assure, touteset
les
plaidoiries,
aux dlibrations, aux voixil
au prononcfois
du
prsident,
n'a jamais su
une seule
qui est-ce
qui gagnait, ou qui est-ce qui perdait le procs.
Que
faire aprs cela ? car
on ne
lui
permettait pas de
rester oisif, ou, ce qui tait la
mme chose pour son pre,
de vivre dans la retraite
et
dans l'tude. Pour un jeune
hommeil
de noble extraction, qui venait de quitter la robe,
n'y avait que la carrire des armes. Ce fut celle qu'em-
brassa Saint-Martin, presque avec joie, bien qu'au fondelle
ne s'accommodt pas mieux son caractre queil
celle
d'o
sortait.
J'abhorre la guerre, j'adore la mort
crit-il
plus tard (1), et ces paroles expriment les sentiil
ments de sa plus tendre jeunesse. Maisle service militaire se prterait
se flattait
quela
beaucoup mieux que
magistrature ses gots contemplatifs. Grce la protection
de M. de Choiseul,
le
jeune avocat
du
roi
dmis-
sionnaire recul unbrevet d'officier au rgiment de Foix,
(1) Portrait historique,
v
952.
VIE DE SAINT-MARTIN.et
il
Saint-Martin, sans autre prparation que ses souvenirs
philosophiques de l'cole de droit, alla rejoindre soncorps qui tenait garnison Bordeaux.
Celui
fut
un moment solennel dans son existencemmoire; ;
et
qui
revient chaque instant la
car Bordeauxqu'il
fut
pour
lui le
chemin de Damas
c'est
Bordeaux
rencontra son premier prcepteur spirituel, qu'il fut introduit,tis,
par quelques camarades de rgiment djla logedit-il
ini-
dans
de Martinez.(1),
C'est Martinez de
Pasqualis,
que
je dois
mon
entre dans les
vrits suprieures. C'est les
Jacob
Bhm
que
je dois
pas
les
plus importants que
j'ai faits
dans ces vil
rites.
l'exception de ces doux
hommes,
n'a vu
sur la terre que des gens qui voulaient tre matres, et
qui n'taient pas
mme
en tat d'tre disciples. Saint-
Martin, cette poque, n'avait encore que vingt-troisans, mais son esprit fut irrvocablement fix;enfin trouv sa carrire.il
avait
Cependant ce ne
fut
que cinq ans plus
tard, enla
177
1
,
qu'il quitta le servicequ'il avait
pour se vouer tout entier
cause
pouse, ou,le
comme
il
a coutume de s'expri-
mer dans
langage qu'ilses objets.
s'est fait,
pour s'occuper unile
quement de
En considrant l'abandon oau hros de Daniel Fo,
laissaient ses ides
au milieu du courant qui entranaitil
sou sicle,disait le
il
se comparait
se
Robinson de
la spiritualit
(2).
Mais quand
I
Portrait historique, n" 118; voyez aussi n 73.
(2) Ibid., n
458.
32il
VIE DE SAINT-MARTIN.
songeait que les germes de vrit dposs dans son es-
prit taient les
semences de
la vie ternelle, le seul ali-
ment qui convnt aux mes dvastes,devait l'avancement de ses semblables
alors
il
avait la
conviction qu'il tait revtu d'un sacerdoce (1) et qu'il se
comme au
sien.
Cette uvre de propagande,
il
rsolut de l'accomplir de
deux manires
:
par ses livres et par sa conversation.
C'est ce qui nous explique
comment
Saint-Martin, mal-
gr les ouvertures qui
lui
furent faites ce sujet, n'a ja-
mais fond ni dirig aucune loge, aucune socit secrte,et
commentpour
sa vocation intrieure ne l'empchait pasle
d'trechait,
extrmement rpandu dans
monde.
Il
y cher-
me
servir de ses expressions, des terrains
dfricher, c'est--dire despetits poulets tuelle" (2).
mes
convertir, quelquesla
qui
il
pt donnerle
becque
spiri-
Ajoutons que
monde ne
lui dplaisait pas,il
en dpit des vices et des erreurs dont
le
voyait rempli.et
J'abhorre,
dit-il
(3), l'esprit
du monde,
cependant
j'aime le
mondeil
et la socit. :
Auunles
reste,
avait tout ce qu'il faut pour y russir
esprit dlicat et fin,
que
le
xvin 6
sicle,
travers
nuages du mysticisme, avait marqu de son em-
preinte; une conversation vive, pntrante, pleine desaillies;
des manires naturellement lgantes, parce
(1)
C'est la vritable signification
du
titre
de Cohen, donn par Mai
ti-
nez ses adeptes.(2)
Il
y a quelques petits poulets qui viennent de temps en tempsla
me demander
becque.
(Corresp.
'd., p.
250.)
(3) Portrait historique,
n 776.
VIE DE SAINT-MARTIN.
38
qu'elles rpondaient naturellement la noblesse de son
me
et
de ses pensestelle
;
une figure charmante
et des
yeux d'une
douceur, qu'une de ses amies lui ditPeut-tre aussi,foi et
un jour
qu'ils taient doubls d'me.
dans ce sicle d'incrdulit, s'amusait-on de sadela navet
de ses sentimentsfaisait:
;
car
il
est
permis deil
supposer qu'il
un retour sur lui-mme quand
crivait ces paroles
Le inonde m'a donn une con-
naissance qui ne lui est pas avantageuse. J'ai vu que,
commebteil
il
n'avait d'espritl'on
que pour tre mchant,
il
ne concevait pas que(1).
pt tre bon sans tre une
Aussi,
ayant commenc par s'tablir le
Paris,
y trouva l'accueil
plus flatteur. Les salons
les plus aristocratiquesJ'ai dj
taient jaloux de le possder.
nomm:
la
plupart des personnages illustres;
qui l'admettaient dans leur intimitpointici
je n'y reviendrai
je dirai
seulement que ce n'est point auprs
des
hommes
qu'il a
eu
le
plus de succs.
Il
nous
fait
connatre lui-mme
la strilit de ses efforts pour con-
vertir ses doctrines le vieuxBailly, l'astronome Lalande.
marchal de Richelieu,
Nous ne savons pas quelle
impression sa parole aurait produite sur Voltaire, quiil
devait tre prsent par le marchal de Richelieule
;
mais nous connaissons
jugement que Voltaire a port,22 octobre 1777 ,
quelques jours avant de mourir, sur son premier ouvrage.
Votre doyen,(ce
crit-il,
le
d'Alembert
doyen, c'est
le
marchal)
votre doyen
(1)
Portrait historique, n 242.
34
VIE DE SAINT-MARTIN,
m'avait vant un liwe intitul
:
Des erreurs
et
de la
vrit. Je l'ai fait venir
pour mon malheur. Je ne crois
pas qu'on
ait
jamais rien imprim de plus absurde,sot.
de plus obscur, de plus fou et de plus
Commentle
un
tel
ouvrage?
a-t-il
pu
russir
auprs de M.
doyen
Dj avant d'avoir reu
le livre, l'auteur:
deil
Candide
le
condamnait par ces mots
S'il
est bon,
doit contenir cinquante
volumes
in-folio sur la prela
mire partie
et
une demi-page suril
seconde.
N'ayant jamais vu Rousseau, avec quisorte de ressemblances (1),
se trouve touteflatte qu'il
Saint-Martin selui ().
aurait
mieux russi prs de
Mais pourquoi l'au-
teur de la Profession de foi
du
vicaire savoyard, l'ad-
mirateur passionn de
la
nature, se serait-il entendu
avec un crivain qui n'apercevait partout que symboles,mystres, rvlations secrtes, et qui ne voyait dansla
nature que les signes d'une antique dchance
?
Avec
l'homme, cela
est possible, siIl
Rousseau avait pu s'en craindre que Saint-
tendre avec quelqu'un.
tait
Martin ne recueillt de ces rapports la
mme
dception
qui l'attendait prs de Chateaubriand une anne avantsa mort. Pntr d'une vive admiration pour le chantre
des Martyrs,
il
concerta
avec un amietil
commun
les
moyens deruniondele
le voir et
de l'entendre,(3).
rapporta de cetteil
plus doux souvenir
Mais
n'en fut pas
mme,
hlas! du ct de Chateaubriand. Celui-ci,
(1) Portrait historique, n 60.
(2) Ibid.,
n129.1095.
(3) Ibid., n
VIE DE SAINT-MARTIN;
racontanlet
la
mme
entrevue (1),
couvre de ridicules
crible
de
traits
de satire son confiant interlocuteur.
L' ascendant
de Saint-Martin, qu'il est d'ailleurs ims'est
possible de contester,les
exerc principalement surla
femmes. Ce n'est pasla prdilection, etil
premire
fois
qu'on re-
marque
faut ajouter, pour tre
comau
pltement juste, l'aptitude des femmes pour le mysticisme.XVIIe
Tout prs de nous, madame de Krudner
;
sicle,
madame Guyon, madame de
Chantai, An;
toinette
Bourignon; au xvi% sainte Thrse
auxiv.
sainte Catherine de Sienne, en sont d'illustres exemples.Il
n'est
pas besoin de chercher longtemps l'explication
de ce
fait.
Le mysticisme, n'est-ce point
le
degr
le
plus
lev de l'amour?rvolt contre toute
Le mysticismeloi,
mme
indisciplin et
n'est-ce point l'excs
du renon-
cement, l'amour divin pouss jusqu'aux garements dela
passion
?
Il
ne faut donc point s'tonner de voir tant
de nobles dames choisir Saint-Martin, en quelque sorte,
pour leur directeurCois] in,
:
les
marquises de Lusignan, dela
de Chabanais, de Clermont-Tonnerre,
ma-
rchale de Noailles, la duchesse de Bourbon et beaucoupd'autres, soit Franaises
ou trangres,
qu'il serait trop
long de passer en revue. Parmi ces nophytes, les unesse contentaient de l'couter en silence,crivaient, d'autres,les
autres
lui
comme
la
marchale de Noailles,
venaient
le
consulter jusqu'au milieu de ses repas, sui
les endroits difficiles
de ses ouvrages; enfin la duch
(1)
Mmoires
d' cuire-tombe,
t.
VI, p, 7(j
36
VIE
DE SAINT-MARTIN.
de Bourbon,
afinle
de jouir de ses entretiens aussi souventlogeait
que possible,avecelle
dans son palais
et le
menait
la campagne.il
C'est au milieu de ce cercle, dontse sont formes ses opinions sur lales
tait l'idole,
que
femme enet
gnral,l'es-
unes qui respirent
l'espritc
du monde,les autres
mme
prit satirique
du xvm
sicle,
venues d'une
source de respect et de tendresse plus pure que les passions humaines. Voici quelques chantillons des pre-
mires
:
Il
faut tre bien sage
pour aimer
la
qu'on pouse et bien hardi pour pouser la
que
l'on
aime
(1).
femme femme
La femme a enl'
elle
un foyerelle n'est
d'affection qui la travaille et
embarrasse;
son aise
que lorsque ce foyer-l trouve de l'aliment;la
n'importe ensuite ce que deviendraraison. Les
mesure
et lale
hommes
qui ne sont pas plus loin que
noviciat sont aisment attirs par ce foyer, qu'ils ne
souponnent pas tre un gouffre.
Ils
croient
traiter
des vrits d'intelligence, tandis qu'ils ne traitent que des affections et des sentimentsla;
i)
ils
ne voient pas que
femme
passe tout, pourvu qu'elle trouve l'harmonie;
de ses sentimentsvolontiers cette
ils
ne voient pas qu'elle
sacrifie
harmonie de ses sentiments.
l'har-
monie de
ses opinions (2)
Assurment ces obser-
vations se distinguent plus par la finesse
que par
la
bienveillance. Mais Saint-Martin nous apprendPenses tires d'un manuscrit de Saint-Martin,t.
que dans
(1)
uvres posthu-
mes,
I,
page 215.
(2) Portrait historique, partie indite.
VIE DE SAINT-MARTIN.
:>7
son ge mr, quand
il
eut acquis sur la nature de lail
femme des lumires
plus profondes,les
l'a
aime
et
ho-
nore mieux que pendantnesse, quoiqu'il sache
effervescences de sa jeuest encore plusla
que sa matire
dgnre
et(1).
plus
redoutable que
matire
de
l'homme:
Cela n'est gure d'accord avec cette
pense
La femme;
m'a paru
tre
meilleure
quela
l'hommefemme.
mais l'homme m'a paru plus vrai queMais Saint-Martin ne se pique pas;
d'tre
consquent
il
dit ce qu'il croit et ce qu'il sent, laissantle soin
ses sentiments
de se concilier comme
ils
peuvent
avec ses doctrines. C'est, sans aucun doute, dans sa maturit qu'il a crit ces lignes:
L'homme
est l'esprit(2).
de
la
femme
et la
femme
est l'me
de l'homme
il
Si
Dieu pouvait avoir une mesure dans son amour,
devrait aimer la
femme
plus que l'homme. Quant la chrir etla
nous, nous ne pouvons nous dispenser de
de l'estimer plus que nous-mmes
;
car
femme
la
plus corrompue est plus facile ramener qu'unqui n'auraitfait
homme
mme
qu'un pas dansest peut-tre;
le
mal. Le fond
du cur dequele
la
femmela
moins vigoureuxmoins susceptible(3).
cur de l'homme
mais
il
est
de se corrompre dele
grande corruption
Nousque
n'avons pas encoreles
dernierloin,
mot de Saint-Martin surdans ce
femmes. Un peu plusciter,
mme
crit
nous venons de1)
son ton s'l\e jusqu' l'hymne.
Portrait historique, n 408.
(2)
Penses tires d'un manuscrit,
uvres posthumes,
t.
erI
,
p. 210.
'3) 76td-, p.
260-261.3
AU.
FRANCK.
38
Vie
de saInt-makin.
Les femmes, par leur constitution, par leur douceur,
dmontrent bien qu'elles taient destines une uvrede misricorde. Elles ne sont,ni ministresil
est vrai, ni prtres,;
de
la justice, ni
guerriers
mais
elles
sem-
blent n'exister
que pour
llchir la
clmence de
l'tre;
suprme, dont
le prtre est
cens prononcer les arrts
que pour adoucirque
la
rigueur des sentences portes par
la justice sur les coupables, et
que pour panser
les
plaies
les
guerriers se font dans les combats.
L'homme
parait n'tre
que l'ange exterminateur deest l'ange de paix. Qu'elle
la
Divinit; la
femme endivine.;
ne se
plaigne pas de son sort.belle facult
Elle est le type de la plus
Les facults divines doivent se
diviser ici-bas
il
n'y a que la Divinitet
mme
o
elles
ne forment qu'une unit parfaite
une harmonie o
toutes les voix vivantes et mlodieuses ne se font ja-
mais entendre que pour former l'ensemble du plus
mlodieux des concertsLorsqu'un homme,
(1).
fit-il
profession de la plus hauteil
spiritualit, parle ainsidifficile
des femmes en gnral,l'esprit
est
de croire qu'il n'ait pointsi
occup par
quelques souvenirs particuliers,
ce n'est
mme
par
une pense unique, par une image adorede dissimuler sous un
qu'il s'efforceeffet,
nom
collectif!
En
dans un
passage rest indit de son Portrait historique, etM. Mat ter a eu l'heureuse ide de reproduire(2),
que
Saint-
rt
(2)
uvres posthumes, p. 282. Ouuage cit, ch. vin, \\ 87.
.
VIE
!>H
SAINT-MAlVl'LV
;}9
Martin nous apprend que, vers 1778, pendant Toulouse, son
qu'il tait
cur
s'est
engag deux
fois
au pointtait
de concevoir des projets de mariage. Mais
s'il
n
pour
les affections tendres,
il
ne
l'tait
point pour lequ'il
mariage ni pour quelque autre tablissement, quelft.Il
ne se sentait propre qu' une seule chose
et n'a
jamais song se faire un autre revenu que des rentes
en mes. Puis l'homme qui reste libre n'a rsoudre,dit-il (1),
que
le
problme de sa propre personne
;
celui
qui se marie a un double problme rsoudre. Ce quiest vrai aussi, c'est
que son me,il
alors, n'tait atteinte(2):
qu' la surface; autrement
n'aurait pas critdit
Je sens au fond deje suis d'un
monil
tre
une voix qui me
queeut
pays o
n'y a point de femmes.
Il
la
preuve du contraire dans l'attachement singulier
qu'il
ressentit, l'ge
de prs de cinquante ans, pour unecrits, et
personne qui revient frquemment dans sesqu'il n'appelle
jamais autrement que
ma
B...,
ma
ch-
rissime B.
.
M. Matter
tablit victorieusement,
contre l'opinionla
commune, que
cette dsignation
ne s'applique pas
duchesse de Bourbon, princesse excellente, mais d'une
mdiocre intelligence, plus superstitieuse encore que religieuse, plus
occupe de pratiques magntiques
et
som-
nambnliques que de mysticisme, laquelle Saint-Martintait
sincrement dvou et dont
il
possdait toute
la
(1) Portrait hislorauey n" 195. (2) lbid., n
468.
40
VIE
M
SAINT-MARTIN.
confiance, mais qui n'a jamais
pu exercer sur
lui
aucun
ascendant.elle,
Un de
ses livres a t critla
uniquement pourdtourner de cele
pour l'arracher
pente qui l'entranait du ctlasi
de Mesmer et de Puysgur, pourmerveilleux grossier qui couronnetrialisme
dignement
ma-
du
xvm
e
sicle. Voici
au reste
le portrait qu'il
fait dans sa correspondance avec Kirchberger ; on y trouvera la confirmation de tout ce que nous venons de
en
dire.
Vous avez
raison, monsieur, d'avoir trs-bonne opi-
nion de l'htesse que je viens de quitter.
On ne
peut
pas porter plus loin les vertus de la pit ettout ce qui est bien;
le dsir
de
c'est
vraiment un modle, surtoutcela, j'ai cru
pour une personne de son rang. Malgrnotre ami
Bhm, une
nourriture trop forte pour son
esprit, surtout causele
du penchant
qu'elle a
pour tout
merveilleux de l'ordre infrieur,
tel
que les somnaml'ai
bules et les prophtes du jour. Aussi je
laisse
dans sa mesure, aprs avoir
fait
tout ce
que j'ai cru del'a
mon
devoir pour l'avertirainsi
;
car YEcce
homo
eue unli-
peu en vue,vres au
que quelques autres personnes(1).
mme
entranement
Mais Saint-Martin a rencontr sur son chemin uneautre
femme dont
le
et qui a exerc sur
nom commence par la mme lettre, son esprit, comme sur son cur, sur
ses idesfluence.
comme sur ses sentiments, la plus dcisive inC'est madame Charlotte de Bcklin. Issue d'une41 de l'dition Schauer et Chuquet.
(1) Lettre XI, p.
VIE OK SAINT-MARTIN.
41
noble famille de l'Alsace, elle vivait Strasbourg, spare de son mari, au
moment o
Saint-Martin y arriva,
vers l'anne 1788. Protestante convertie au catholicisme
par des considrations de famille,pas d'autrefoi
elle n'avait
en ralit
que
le
christianisme
un peu
flottant, ou,
comme on
dit aujourd'hui, le christianisme libre, qui se
confond volontiers avec
le
mysticisme. C'est
elle,
avec
le
concours de son compatriote, Rodolphe Salzmann, quifit
connatre Saint-Martin les crits de Jacobaida plus tard les traduire.
Bhm,
et
lui
Le philosophe inconnuil
inclinait alors
vers Swedenborg,
s'abandonnait la
direction
du chevalier de
Silferhielm, le neveu et le disc'est
ciple exalt
du voyant sudois;
mme
de ce cou-
rant d'ides que sortit, au moins en partie,
un de
ses
ouvrages, celui qui est intitul Le nouvel
homme. On
peut donc se figurer ce qu'il dut prouver de reconnaissance pour celle quile tirait
de ce mysticisme subalternele
pour
lui
ouvrir les portes de la vraie sagesse, pour
conduire aux pieds duest
matre suprme;
carait;
Bhmne se
pour
lui la
plus grande lumire qui
paru suril
la terre
aprs celui qui est la lumirelui,
mme
croitliers.
pas digne,
de dnouer
les
cordons de ses sou-
Avec une femmeprit,
belle encore, distingue par son esl'office
autant que par sa grce extrieure, faisantla
d'un messager cleste qui vient apporterla
parole de vie,
reconnaissance, dans une
me comme
celle
de Saint-
Martin, se changea bientt en un sentiment plus pas-
sionn et plus tendre.
Madame de Bcklin,
ce que
42
VIE
DE SAINT-MARTIN.
nous assure M.
Mattel', avait alors(1).
quarante-huit ans,
et
dplus elle tait grand' mrel'ai
Saint-Martin,
comme jeIl
dj dit,
avait, le
mme
ge. Mais qu'importe?
y a
des natures qui restent toujours jeunes, parce qu'ellesvoient les choses et lesvisible. Il
hommes
la lueur d'un idal inlesle
y a un amour qui ne craint point
ravages
du temps, parce qu'il vient d'une source quesaurait tarir. Tel tait celui
temps ne
que Saint-Martin prouvaEtait-ce bien de l'amourdire, c'est
pour
madame
de Bcklin.
qu'elle lui inspira?l'amitile
Tout ce qu'on peutles
que
ne produit pas
mmeset
effets et
ne parle pas
mme langage.
Aprs
trois
ans de rsidence h Stras-
bourg auprs de son amie,
quand
il
russit enfin,
aprs bien des obstacles, habiter avec elle la
mmeil
maison,la
il
est oblig
de
la quitter,
rappel qu'il est parse
maladie de son pre. Or voici dans quels termes:
plaint de cette cruelle ncessit
Il
fallut quitter
monl
paradis pour aller soignerfuite
mon
pre.
La bagarre de
du
roi
me fit
retourner de Lunville Strasbourg,
o je passai encore quinze jours avecil
fallut en venir la sparation. Je
mon amie; mais me recommandais
au magnifique Dieu de
vie pour tre dispens de
boire cette coupe; mais je lus clairement que, quoique
ce sacrifice ft horrible,
le fallait faire, et je le fis(2).
en
versant un torrent de larmes
Ce
n'est pas
une
fois, et
au moment
dcisif, qu'il arrive Saint-Martin
(t)
Saint-Martin,
le
Philosophe'inconnu, etc.. p. 164.
2
Portrait historique, partie indite cite par M. Maller, p. 163.
\IK
DE SAINT-MARTIN.il
48
d'exhaler ainsi sa douleur;
y revient plusieurs re-
prises et diffrents intervalles.i J'aio ')
par
le
monde,
crit-il
(1),
une amie comme
il
n'y en a point. Je ne connais qu'elle avec qui
mon
me
puisse s'pancher tout son aise et s'entretenir
des grands objets qui l'occupent, parce que je ne connais qu'elle qui se soit place la
mesure o
je dsire
que
l'on soit
pour
ni' tre utile.
Malgr
les fruits
que je
ferais
auprs
d'elle,
nous sommes spars par
les cir-
constances.
Mon
Dieu, qui connaissez les besoins que
j'ai d'elle, faites-lui
parvenir
mes pesess'il
et faites-moi
parvenir les siennes, et abrgez,
est possible, le
temps de notre sparation.
Ce ne sont pas seulement des penses qu'changeaitce couple mystique lorsqu'il se trouvait runi.
De tempsun
autre quelques tendres paroles venaient se glisser autravers des plus sublimes entretiens; mais elles ont
accent particulier, qu'on chercherait vainement
ailleurs.
Saint-Martin nous en donne une ide dans un passage
de ses mmoires qui se rapporte videmment ses relations avec
madame de
Bcklin.
Une personne dont
je
fais
grand cas
me
disait quelquefois
que mes yeuxque son me
taient doubls d'me. Je lui disais, moi,tait
double de bon Dieu, et que c'estet
l ce qui faisait(2).
mon charmeCe
mon
entranement auprs d'elle
n'est qu'aprs avoir parcouru
une grande
partie
(1)
Portrait historique, n" 103.
(2) Ibid., n
760.
44
VIE DE SAINT-MARTIN.la
de
France
et
de l'Europe, que Saint-Martin s'arrta de l'Alsace. Toulouse, Versailles, Lyon;
dans
la capitale
furent successivement le thtre de son apostolat
car,
tout en crivant qu'il ne voulait d'autres proslytes que
lui-mmepour
(1),
il
ne pouvait tenir en place ni garder
lui les
penses dont son
me
tait obsde.
Ce
n'tait
pas en vain que Dieu
lui avaitil
donn dispenserestait tranger,
pour venir habiter ce monde, auquelet qui n'tait pas, disait-il (2),S'il
du
mme
ge queil
lui.
n'avait pas reu la puissance de le convertir,
vou-
lait
du moins
lui faire
comme
la socit.
La Providence saurale trafic
bien faire natre du cur de l'homme une religion qui
ne sera plus susceptible d'tre infecte par
du
prtre et par l'haleine de l'imposture, comme celle que
nous venons de voir s'clipser avecdshonore(3).
les ministres qui
l'avaient
Saint-Martin n'avait donc aucune raison d'tre hostile(1) Corresp. ind. t lettre(2)
LV,
p.
150.
Ibid., lettre
LXXII, p. 199.la
(3)
Lettre
un ami sur
rvolution franaise.
SUITE DE
U
VIE DE SAINT-MARTIN.effet,il
57
la Rvolution;
et,
en
mrite plutt d'tre
compt au nombre de ses amis. On vient de s'assurerparle
dernier passage que
j'ai cit, et
qui n'est pas un
des plus nergiques de ce genre, qu'il en partageaittoutes les rancunes contre l'glise.Il
n'est pas plus in-
dulgent pour la noblesse, quoiqu'il en fasse partie etqu'il ait
pass presque toute sa vie avec ses plus mi(1):
nents reprsentants. Nous lisons dans ses Mmoiresa
L'objet
du
flau
que
la rvolution fait
tomber sur
les
nobles, est de purger ceux qui peuvent l'tre des influences d'orgueil
que cedans
titre leur
avait
communila vrit.
ques, et de les rendre plus nets et plus prsentableslorsqu'ils paratrontil
les rgions
de
j>
Ailleurs (2)
s'exprime avec encore plus de duret,la
mais
il
ne juge pas moins svrementson nom.
multitude et
ceux qui gouvernent en
Dieu a voulu,J'y avais
dit-il (3),
que
je
visse tout sur la terre.la puissance des
vu longtemps l'abus de
grands
;
il
fallait
bien que j'y visse ensuite l'abus de la puissance
des petits.
La Rvolution, pourmaire; etl'Empire,il
lui,
ne s'arrte pas au 18 bru-
ne l'aurait pas crue
mme
termine par
s'il
avait vcu assez longtemps
pour voir
le
Consulat remplac parce nouveau rgime. Voici ce qu'ilcrit
au lendemain de
la
signature de la paix d'Amiens
:
Cette pacification externe et cet ordre apparent, pro(1) Portrait historique, n
965.
(2) Ibid., n(3)
536.
Ibid., n"
973.
58
SUITE DE LA VIE DE S.-UNl-MAHilN.
duit par
l'effet
de
la Rvolution,ait
ne sont pas
le ternie
o
la
Providence
eu
exclusivement l'intention de
nous conduire,
et les
agents et les instruments qui onts'ils
concouru cette uvre se tromperontarrivs. Je les regarde,tillons
se croient
au contraire,;
comme
des pos-
qui ont
fait
leur poste;
mais
ils
ne sont que des
postillons de provincefaire arriver
il
en faudra d'autres pour nousfaire
au but du voyage, qui est de nous(1).
entrer dans la capitale de la vrit
Que nous
entrions jamais dans la capitale de la vrit et que nous
sachions
mme
o
elle est situe, cela estil
extrmement
problmatique; mais
n'en reste pas moins Saint-
Martin le mrite d'avoir compris que la compression desesprits n'en est pas l'apaisement, et
qu'une abdication
momentane impose pargloire, n'estil
la
lassitude, autorise par la
pasencore
la conciliation et la paix.
Au reste,regardela
tmoigne plusieurs reprisesla
la plus viveIl
admirationle
pour
personne du premier Consul.
comme unEns'
instrument temporel des plans de(2).
Provi-
dence par rapport notre nation
inclinant devant le principe et en partageant
bien des gards les passions de la Rvolution franaise,Saint-Martin seet les charges.fait
un devoir d'en accepter
les
preuves
De quel dangera-t-il
peut-elle d'ailleurs tre
pour lui? Ne nousn'a rien de
pas dj appris que sa destineet
commun
avec celle de ce monde,
qu'au*
(1) Portrait historique, n
1024.
(2)
Ma.,
n 1000.
.
si III.
IM.
LA VIE DE SAiNT-MARTiN.
59l'at-
une des tribulations rserves celui-ci ne sauraitndre (I)?
La paix passe par moi,
crit-il
son ami
Ivirchberger, et je la trouve partout cot de[
moi
(2)
.
en a eu, en mainte occasion, des preuves irrcusables,
Liitotit
pendant
la
journe du JO aotet lail
:
car
il
tait alors
nferm dans Paris,)ur sansrer leu'il
n'a cess de le traverser tout le
prouver
plus lgre crainte, sans renconle
moindre obstacle. Cela
frappe d'autant plus,;
n'y est absolument pour rien
il
n'a par
lui-mmequ'il ap-
ucune force physique qui puisseelle le
lui
donner cele
courage des sens. Mais qu'importel'esprit, transport
courage des
sns
quand
dans?
les
espaces imagi-
aires, n'a
aucune ide du
pril
Veut-on savoir de quoi
occupait Saint-Martin ds le lendemain de cette catasophe
du 10 aot, qui venait de plongerla stupfaction?,
la
France
et
Europe dans
11
s'entretenait, avec son
orrespondant de Bernesa
de la lumire cache dans
6 lments et de la xlvii ptre de
Bhm
(S)
Devenu
libre,il
au commencement de 1793, par la mortrsidait tantt Paris,
e son pre,ourg, prs
tantt Petit*la
de son amie la duchesse de Bourbon, ou
itoyenne Bourbon,I
comme on
disait
dans ce temps-l.
tait
Paris,
il
venait de monter sa garde la porte
du
T
emple, devant la prison de cel'avait
mme
enfant royal dontle
Assemble constituanteepteur,
jug digne d'trel'an h,
pr-
quand parut,
le
27 germinal de
un d-
(1),2)
Portrait historique, n 763.
Corresp. ind., lettre LX, p. 167.Ibid., lettre VI, p.
(3)
24.
60
8L1TE DE LA VIE DE SAINT-MARTIN.
cret de la Convention qui interdisait aux nobles le sjour
de
la capitale. Saint-Martin, obissantville natale,
sans murmurer,
retourna dans sa
o
la confiance et le resexil.
pect de ses concitoyens adoucirent sonct, soit par des
Lui, de son
dons patriotiques,
soit
par des services
personnels, s'effora, en toute circonstance, de prouver
son attachement la cause de la Rvolution.
On
doit
s'estimer heureux, crit-il,
toutes les fois qu'on se
trouve pour quelque chose dans ce grand mouvement,surtout quandil
ne
s'agit ni
de juger
les
humains,
ni
de
les tuer.
Nomm
commissaire pouril
la confection
du catalogue
des livres nationaux,
trouve dans l'accomplissement;
de cette tche une jouissance inattendue pour son espritc'est celle
que
lui a
procure
la
dcouverte d'une lgende
de couvent, parfaitement ignore hors de l'enceinte oelle prit
naissance
:
La
vie
de
la
sur Marguerite
di>
Saint-Sacrement.
Ici
nous rentrons dans
les excs d'ima-
gination dont nous avons dj eu
un exemple
l'occasior
de
la vie
de Gichtel.
Il
s'agit
d'une pauvre carmliteles tortures et les
du
xvii
c
sicle,
dont les perfections,
souffrances surhumaines seraient une nouvelle confirmation des principes
du mysticisme, ou, pour mieuxet
dire;
des principes de Bhni
de Martinez. Infrieure
d'autres pour la science et la puissance, elle s'est leviaussi haut que notre nature le permet,
dans l'ordre(1).>
d>
pour nous une demeure de gloire
La dsoil
lation qui
nous accable a pntr jusqu'de vieet
lui, et
lui
reste assez
de force pour la ressentir. L'unide douleur, parce que depuisla
vers est sur son
lit
chute, une substance trangre est entre dans ses
veines et ne cesse de gner et de tourmenter le principe de sa vie. C'est nous lui porter des paroles de
consolation qui puissent l'engager
supporter ses
maux. C'est nous
lui
annoncer
la
promesse de sa
dlivrance et de l'alliance que l'ternelle sagesse vientfaire
avec
lui (3)
.
L'tat de nature, tel
que Rousseau l'a imagin, n'ayantait
jamais exist, on ne saurait concevoir que la socittsoit
fonde parla seule volont de l'homme, ou qu'elle
une uvre de convention. Comment en
serait-il
ainsi ?
Une uvre de convention, un pacte semblablele
celuiloin
qu'on nous prsente sousd'avoir
nom
de contrat socialla
donn naissance
la socit,
suppose
dj tablie depuis longtemps et parvenue
un degrrare dans
de culture trs-avanc.
Il
demande un
si
merveilleuxsi
accord dans les volonts,
un dveloppement
(1) (2) (3)
De
l'essence des choses,l'
t.
I,
p. 47.
Ministre delbid., p. 56.
homme-esprit, p. 97.
104
DOCTRINE POLITIQUE DE SAINT-MARTIN.
les ides et
dans
les sentiments,
que
si
un monument
de cette espce avait pu tre fond, n'importe quelle poque,il
serait impossible,
malgr
les
ravages du temps,
qu'il n'et laiss sur la terre
aucune trace de son exis-
tence
(1).
Ce
n'est
donc pas un acte de
la volontl'a
humaine qui
a cr la socit. Serait-ce,le
comme
pens Helvetius,le
sentiment du besoin, la prvoyance du lendemain,
dsir de placer sous la protection publique les provisions
amasses pour notre subsistancecore moins
?
Cette cause est en-
acceptable que la prcdente; car on n'ani
jamais trouv un peuple
un gouvernement assez
d-
grad pour borner son ambition
et ses efforts la satis;
faction des besoins de la nature animale
il
n'y en a pas
qui n'ait t plus occup des soins
de son honneur ouet
de sa gloire
cpie
de la conservation de sa vie
de son
bien-tre matriel.
Au
milieu de sa chute, l'homme a
gardpeut
le
souvenir de sa splendeur perdue, et rien nearracher l'esprance niIl
lui
lui
ter l'envie de
la
reconqurir.
peut, sous l'empire de l'ignorance et des
passions, s'carter par
moments du butle
qui est plac de
vant
lui
;
jamais
il
ne cesse de
poursuivre.
C'est
ainsi, dit Saint-Martin,
en appuyant sa pense d'une
ingnieuse
comparaison, c'est ainsi
qu'un
hommeil
tomb dans un prcipice commence gravir sur quatrepattes
comme
les
animaux, tandis qu'auparavant
marchait droit sur ses deux pieds
comme
les autres
(1)
clair sur l'association humaine, dition Scliauer, p. G.
DOCTRINE POLITIQUE DE SAINT-MARTIN.
105
hommesqu'il11
;
et
quoiqu'il se trane, quoiqu'ilfait
tombe
mmele
o
chaque tentative qu'ilse propose n'enest
pour se relever,
but
pas moins vident
(1).
y a pourtant des cratures humaines et des races
entires tellement abaisses,
que toutes
les facults
de
l'me semblent chez elles vaincues et enchanes par lesapptits
du corps ou engourdies par
le
sommeil d'une
ternelle enfance. Telles sont, par
exemple, les peupla-
des sauvagesrites
du nouveau monde. Mais ces races dshle
ne connaissent pas
sentiment del'a
la
prvoyance.,
Comme Rousseau lui-mmeredemanderontle soir
remarqulit
elles
vont
en pleurant leur
de coton qu'elles
vendu
le
matin, ne se doutant pas qu'elles en aurontla
besoinqu'elles
quand
nuit
sera revenue. C'est ce qui
fait
ne songent point faire des provisions pourla
le
lendemain, qu' elles restent trangres dividuelle et se passentcessaire (2).
proprit in-
de
la protection qui lui est
n-
Aussi n'ont-elles jamais pu former que des
associations guerrires pour la dfense de leur vie contreles
attaques de leurs voisins. L'idesi
mme
d'une asso-
ciation civile et politique,
humble
qu'elle puisse tre,
ne
s'est point
prsente leur esprit, et quand les Euro-
pens les ont rencontres, elles ont mieux aim prir
que de se plier leursleur civilisation.
lois et
d'accepter les dons de
Ce qui a tromp
les publicistes,
soit qu'ils
appar-
(1)(2)
clair sur l'association humaine,Ibid,
p.
10, dition Scli uer.
p,
4 et
7.
106
DOCTRINE POLITIQUE DE SAINT-MARTIN.
tiennent l'cole de Rousseau ou celle d'Helvetius,
sur l'origine de la socit, c'est d'avoirture de l'hommeatteinte, paret l'altration
mconnu
la
na-
profonde dont
elle a t
consquent
les
deux influences contraires
qui se disputent dans son sein et la dominent tourtour.
Les uns n'y ont aperu que
les apptits et les in-
stincts
de
la brute, oubliant
entirement ou n'ayant ja-
mais su que l'homme est aussi une intelligence, un esprit,
dont
les facults et les besoins jouentla
ncessairement
un
rle
dans
formation et
le
dveloppement de l'ordre
social.
Les autres, en reconnaissant ces facults sup-
rieures, ne les
comprennent que corrompues
et vicies,
non
telles qu'elles sont
en elles-mmes ou qu'elles ont
d
tre
dans
l'origine.
De
l vient
qu'ils n'ont critils
qu'avec des ides dans une matire on'crire qu'avec des sanglots (!) .
auraient d
Non,
la
socit n'est pas ne de l'instinct de notre
conservation physique ou de l'accord rflchi des volonts;
elle
a ses racines dans les profondeurs de l'me hu-
maine,
elle
a ses lois crites d'avance dans notre essence
spirituelle, elle est aussi
ancienne que l'homme et ne peutG' est. une vrit
avoir pour auteur
que Dieu lui-mme.
dont nous pouvons nous convaincre en quelque sorte parl'exprience, en observant de quelle manire s'engen-
drent et se conservent les socits particulires, c'est-dire les peuples, qui ne sont que des dbris de la socituniverselle.
Or,
les
peuples et
les
gouvernements
se
(1)
Eclair sur l'association humaine. Introduction.
DOCTRINE POLITIQUE DE SAINT-MARTIN.
!/
forment d'eux-mmes avec
le
concours du temps
et la
laveur de circonstances donl l'homme est l'occasion plulot (|ue la
cause, qu'il laisse faire plutt qu'il ne luslois
fait.
Les
lois
qui se dveloppent avec eux. leurs
fonda-
mentales et constitutives, ne sont pas non plus l'uvrededesla
volont
et
de
la
sagesse humaines; elles drivent
loisla
suprieures de l'ternelle justice; elles sortent
de
naturel'ait
mme
des choses, et c'est prcisment cela force.
qui enla
la
majest et
La nature des choses,
nature de l'homme, voil ce qui chappe constamment
aux publicistes et aux philosophes duque, au lieu de l'observer,ils
xvm
sicle,
parce(1).
ont voulu la composer
On
est tonn
de rencontrer, au milieu des rves dufaits,
nnsticisme, une conscience aussi exacte des
un
(sentiment aussi juste et aussi profond de l'histoire. Maisil
faut considrer
que
c'est l'exaltationest
mme
de son
esprit
que Saint-Martin
en grande partie redevable
de ces qualits; car, en l'levant au-dessus des hypothses et des systmes les plus accrdits de son temps,elle l'a
prserv de l'aveuglement gnral, et lui a per-
mis, grce la finesse naturelle de son jugement, de
devancer sur plus d'un pointsicle.
la
philosophie de sond'ailleurs assez
Malheureusement ces aperus,
rares dans ses crits, sont tellement envelopps deet
nuages
enchevtrs de chimres, que ce n'est pas sans effortles
qu'on russit
dcouvrir.
Des
trois
propositions qui nous reprsentent la sub-
(i)
Lettre
un ami sur
lu
Rvolution franaise, p. 20 et 21.
108
DOCTRINE POLITIQUE DE SAINT-MARTIN.
stance du systme de Piousseau, en voil dj deux com-
pltement cartes par Saint-Martin
;
il
ne
lui tait
pas
possible de traiter la troisime avec plus d'indulgence.
La souverainet du peupledans l'hypothse quiOr, puisquelefait
est
contenue implicitement
driver la socit d'un contrat.
principe a t convaincu de fausset,la
comment conserverquela la
consquence? Puis,
s'il
est vrai
Providence, au
moyen des
lois
qui dcoulent de
nature des
hommes
et des choses, intervient
dans
lala
formation des peuples, pourquoi n'exercerait-elle pas
mme
influence sur leur lgislation et leurs gouverne
ments?
La souverainet des peuples, nous(1),
dit Saint-
Martin
est leur impuissance.
C'est--dire qu'elle
consiste laisser faire la Providence, qui place leur
rang
les nations et les individus,
en
les appelant,
chacun
suivant ses facults, ses talents et ses forces, concourir
l'accomplissement de ses desseins. Qu'un
homme
s'lve au milieu de ses semblables avec des facults su-
prieures, avec le gnie et les vertus qui le rendent digne
du commandement
et la
volont qui en est insparable,lui appar-
personne ne l'empchera d'arriver au rang quitient; la rsistance qu'on
voudra lui opposer engendrera(2).
deIl
telles souffrances,
qu'on sera oblig d'y renoncer
en est de
mme des
peuples considrs dans leur existout temps, dit Saint-Martin (3),l'ac-
tence collective.
De
les
peuples servent alternativement de moyens Eclair sur l'association humaine, p. 20.Lettre sur la Rvolution franaise, p. 30.Ibid., p. 20.
(1)(2):,3)
.
OPINION
DE SAINT-MARTIN.
109
complisseinent du grand uvre de la Providence, seIon leurs crimes
commela
selon leurs vertus.l'histoire
La Pro-
vidence, d'aprsaussi vidente
lui,
rgne dans
d'une manire
que dans
nature; les peuples sont sesles ministresl'esprit
ministres, et les
gouvernements sont
des
peuples, parce que Dieu leuril
communique
dont
a rempli la nature entire.
Queles
les
peuples essayentils
de rsister cette impulsion mystrieuse,
la feront
triompher indirectement parront sur leurs ttes;
calamits qu'ils attire-
car
ils
dmontreront
mme
par
leurs crimes les lois de la sagesse et de la justice divines.
L'histoire des nations, dit Saint-Martin avec
une rare
nergie d'expression, est une sorte de tissu vivant et
mobile o se tamise, sans interruption, l'irrfragableternelle justicela
et
(1)
Mais en ruinant
souverainet du peuple, telle qu'on
l'entend gnralement, cette doctrine n'a-t-elle pas poureffet
de nous montrer
comme impossible l'homme,
l'existencesi c'est
de
la
libert?fait
Quel rle
reste-t-il
Dieu qui
tout? Saint-Martin ne se dissimule pas la difficult;il
seulement
croit pouvoir la rsoudre
par un moyen qu'illa distinc-
appelle lui-mme une sainte hardiesse. C'esttion qu'il tablit entre la fatalit
de l'amour
et la fatalit
servile
imagine par
les potes et les philosophes.
Dieu,
dans son amour inpuisable pour ses cratures, a dcid
que ses desseins,complis. Mais
cpioi qu'ellesil
puissent faire, seront ac-
comme
serait indigne
de
lui
d'pancher
1;
Lettre sur la rvolution franaise, p. 65 et 66.
AD. FRANCK.
7
.
HO
SUR LA SOUVERAINET DU PEUPLE.
avec lui aucune sa grce sur des tres qui n'auraientlibert, ne pouranalogie, et qui, privs absolument de
raient ni lele
comprendre
ni l'aimer,
il
a laiss l'homme
pouvoir de rpondre ou de rsister ses avances (1) clbre Fata C'est la traduction mystique de ce mot:
aprs volcntem dncunt,nolentem trahunt. Elle consiste,l'individu et avoir banni le libre arbitre des actions de uvres de la socit, lui laisser pour dernier refuge
des
le sentiment.
appartient Saint-Martin oublie que le sentiment nous
que si la encore moins que l'action et la volont, et vritablement a libert humaine n'a pas d'autre asile, ellecess d'exister.valoir
Saint-Martin
fait
encore d'autres arguments
Ce qu'on contre le principe de la souverainet du peuple. peuple, c'est le rgne de entend par la souverainet dula volont gnrale.
Mais une volont gnrale peut-ellela ntre,
se former dans
une socit corrompue comme
les opinions, divise par l'intrt, par les passions, par
par mille autres causes?
A
la place
de
la
volont gn-
des volonts partirale, nous ne rencontrons donc que forte, non la culires qui se combattent, et dont la plusprcisplus juste, l'emporte sur les autres. Telle est|
ment
celle
de cette portion de la nation,
si
nombreusej
qu'elle puisse tre, laquelle onle
donne particulirement;n'a que des
nom
de peuple.
A
vrai dire, le peuple n'a pas de vo-
lont, pas
mme une
volont particulire
;
il
rvolution franaise, p. 8 et 9. (1) Lettre sur la
.
OPINION DE SAINT-MARTIN.
111
passions, l'aide desquelles d'autres
que
lui
le
con-
duisent leur gr et le ploient leur dessein.
On
n'a ja-
mais crit contre la souverainet del multitude rien deplus ironique et de plus ddaigneux que ces lignes :
Qui ne
sait
que ce qu'on appelle peuple doit se consi-
drer partout
comme
l'instrument le plus maniableservir, n'importe
pour tous ceux qui voudront s'enquel sens?faire leIl
dans
leur est aussi facile de le mouvoir pourfaire le bien, et l'on
mal que pour
peutlecom-
parer un aiguillon clans la main du ptre, qui l'eniploie son gret qui,
pour conduire son btail o
il
lui plat,
|
avec ce
mme
instrument,
mne
sa volont lela
buf au pturage, au labourage ou rie (1)
bouche-
D'ailleurs, la souverainetjet
du peuple neelle
s'exerce pas
ne
s'est
jamais exerce directement;
passe des
dlgus, des mandataires, des reprsentants, qui gou-
vernent et font les lois autiennent
nom
de
la nation, et qui
du
suffrage de leurs concitoyens leurs titres et
leurs pouvoirs.
brise
Or, le rgime reprsentatif ne donne pas moins d'objections que le principe dont il est la xmsquence et l'application ncessaire. D'abord il estliffcile
de comprendre quepas dansle
la
volont gnrale, puis-
qu'elle n'est
peuple lui-mme, puisse exister
lans les reprsentants
du peuple. On ne comprend passi elle
lavantage que la souverainet,:hez les
existe
quelque part
hommes,
si elle
rside vritablement dans la na-
(1)
clair sur l'association humaine, dition Schauer, p. 28.
112
SUR LA SOUVERAINET DU PEUPLE,
tion tout entire, puisse tre dlgue
ou reprsente.la
Saint-Martin pense,
comme Rousseau, queque dsil
souve-
rainet ne peut tre reprsente, par la raison qu'elle ne
peut tre aline,
et
l'instant
qu'un peuple se
donne des reprsentants,il
cesse d'tre libre (1). Mais
a soin d'ajouter que la souverainet n'est pas;
un
attri-
but de la nature humaine
ni les peuples ni les individusles prrogatives,il
ne peuvent en revendiquerni les uns ni les autres,
parce quele
comme
prend soin deorganes de
d-
montrer pargnrale.
l'histoire,
ne sont
les
la volont
La volont gnrale
n'est
pas seulement sup-
rieure, elle est antrieure toutes les volonts particulires, etil
n'y en a pas d'autre laquelle puisse s'applila
quer cette dfinition que
volont divine,
la volont (2).
universelle de l'ternelle sagesse qui embrasse tout
On
verra tout l'heure quelles sont les rgles de gouet
vernement
de lgislation que Saint- Martin a
fait
d-
couler de cette ide mystique de la souverainet. Maie
auparavant
il
n'est pas sans intrt de
remarquer que
ce
contradicteur de Rousseau tait en
mme temps
le pluf
passionn de ses admirateurs, et que cet ennemi mprisant de la dmocratie, aprs avoir salu la rvolutioifranaise avec des transports d'enthousiasme, a critei
son honneur non pas une apologie, mais un hymne.
Rousseau, avec lequel d'ailleurs
il
se trouve delui
nomqu'u
breuses ressemblances (3), est pour(1)
plus
Eclair sur l'association humaine,
p.
34.
(2) lbid., p. 25.
(3)
Portraits historiques, n 60.
OPINION DE SAINT-MARTIN SUR ROUSSEAU.
113il
grand crivain, plus qu'ungarde
hommeciel,
de gnie;
le re-
comme un envoy du
comme un
prophte
de l'ordre sensible,la
qui a rpandu sur la nature huil
maine
plus vive clart. Mieux que personne:
en al'ori-
signal les difformits
mais, n'en connaissant niiniti
gine ni
le
remde, faute d'avoir til
une science
suprieure,
n'a tir aucune conclusion utile des vri-
ts qu'il a aperues, et
mme
il
les a
compromises paret divine a
des paradoxes.
Son me dlicieuse
frmiil
d'indignation en envisageant les abominations o
a
vu que l'homme
civil et
l'hommetrouvant
politique taientils
arrivs,
sans observer;
le
point faux d'ole
taient
partis ds l'origine
et,
sauvage moins
vicieux,
il
a employ toute son loquence pour noustait le seul
persuader qu'un tat ngatif
terme auquel
nous puissions tendre,nous puissions arriver
et la seule perfection laquelle(1).
Si
cet
homme
rare et
dou de
si
grands dons,
dit-il
ailleurs (2), avait
eu
le
bonheur de tomber en des mains claires, quelpas produit? Ses ouvrages sont d'une
fruit n'aurait-il
philosophiela force
si
profonde, qu'on ne peut trop admireril
de son gnie;
a t seul infiniment loinle
dans une carrire o Voltaire n'a seulement pas mispied.Il
a frapp sur de vritables bases, sur des cor-
des parfaitement sonores, et ilenatir des sons qui ontdroit de surprendre les plus instruits.
(1)
Lettre sur la rvolution franaise, p. 34.
(2)
uvres posthumes,
t.
II,
p.
327
et
328.
114
LETTRE SUR LA RVOLUTION FRANAISE.la socit,telle qu'elle
Trouvant avec Rousseau queexistait jusqu' la fin
du
xvm
e
sicle, tait
radicalement
pervertie, qu'il n'y avait plus rien clans ses institutions,
dans ses murs, dans son esprit
mme
qui ne ft enlois
opposition avec la raison et avec la justice, avec leset les besoins vritables
de notre nature, mais convaincutel tat
en
mme temps quefallait rien
dans un
de corruption,
elle
n'avait rien attendre de la sagesse
humainepourla
et qu'il
ne
moins pour
la rgnrer,
la sauver,il
qu'une intervention extraordinaire den'est pas tonnant
Providence,
que Saint-Martin
ait accueilli la
R-
volution avecrespect,
un mlange de bonheur
et
de religieux
comme un vnement
surnaturel,
grce et un chtiment tout ensemble,
comme une comme une uvre
d'expiation et de rdemption. C'est pour cela qu'elle
comme un sermon en action destin comme une miniature du jugement dernier, tantt comme une leon qu'onlui apparat, tantt
difier
le
genre humain, tantt
nous donne pour nous apprendre mieux dire notre Pater que nous ne le faisons communmentide le poursuit
(1).
La
mme
comme uneil
obsession traversil
tous ses ouvrages.
Mais nulle part
n'y insiste avec
autant de force, nulle part
ne
la
dveloppe avec au-
tant d'originalit et d'abondance
un ami sur
la
que dans sa Lettre q rvolution franaise (2). Ce remarquable405-406.
(1)(2)
uvres posthumes,En
t.:
I,
p.
voici le titre exact
Lettre
un ami, ou Considrations poli-
tiques, philosophiques et religieuses
sur la rvolution franaise. Paris,
l'an III (1795),
80 pages in-8.
LETTRE SUR LA RVOLUTION FRANAISE.crit est d'autant plus cligne
118
de nous arrter quelques
instants, qu'il a t certainement le
modle dont
s'est
inspire, en traitant
le
mme
sujet,
l'imagination ar-
dente de l'auteur des Considrations sur la France.
Dsfoi.Il
le
dbut l'auteur nous expose sa profession deProvidence se manifester
croit voir, dit-il, lafait la
chaque pas quefait
Rvolution, car chaque pas elle
clater nos
yeux de nouveaux prodiges. Rien de
ce qui lui appartient ne s'explique par des causes naturellesfaits;
aucune force humaine ne pouvait produire
les
merveilleux, feriques, dont elle nous donne le;
spectacle
aucune pense humaine, avant de
les avoir
vus accomplis, ne pouvait les concevoir. Aussi
est-il
per-
mis de dire que la main cache qui a dirigserait seule capable d'en crire l'histoire.
la
Rvolution
Il
faut tre in-
sens ou de mauvaise foi pour n'y pas voir, crite entraits
de feu, l'excution d'un dcret de la sagesse ter-
nelle, et
ne pas s'crier en sa prsence,
comme:
les Ici
maest
giciens d'Egypte devant les miracles de Mose le
doigt de Dieu
!
La Rvolution
n'est pas
seulement un vnement
surnaturel, dans ce sens qu'elle chappe la volont et
la puissance de l'homme; elle est aussi un vnementuniversel, et c'est tort qu'on lui a
Rvolution franaise; car
si elle
a
donn le nom de commenc par unles
grand tat
comme la France, c'est pour craserle
enne-
mis qui ont entour son berceau et s'tendre ensuite,avec l'nergie que donne la lutte et avecla victoire,
prestige de
tous les autres peuples. Elle est la rvolu-
116
LETTRE SUR LA RVOLUTION FRANAIRE.
tion
du genre humain,et
et elle
ne peut tre mieux dfinie
dans sa cause
dans ses
effets
que
si
on l'appelle une
image du jugement
dernier.
A
voir ce
monarque,
le
plus puissant de l'Europe, renvers en quelques jours
de son trne et son trne prcipit aprs
lui
;
voir ces
grands, ces premiers ordres du royaume, s'enfuir avecterreur, pousss par
une main
invisible, et tous ces oples droits qu'ils avaient la
prims reprendre en un instantperdus depuis despette dusicles,
ne dirait-on pas ques'est fait entendre,
Iromles
jugement dernierla terre et
que
puissances deles
des cieux sont branles, que
bons
et les
mchants vont toutla
l'heure recevoir leur
rcompense? C'est
convulsion de tous les pouvoirs
humains
se dbattant, avant d'expirer, contre
une
forcer-
mystrieuse qu'ils n'ont point souponne et qui va
gner leur place.Mais pourquoi cette crise terrible?
Dans quel but
Dieului
l'a-t-il
inflige l'humanit ?
Quels biens doit-elle
apporter en compensation des
maux
qu'elle lui fait
souffrir? Selon Saint-Martin, la Providence, en dcha-
nant
la
Rvolution, a eu pour dessein derveiller-l'homme
d'un sommeil de mort qui touffait ses plus nobles facults,le
de
le
rappeler
lui
par
l'effroi et la
douleur, de
rgnrer par l'intermdiaire dela
la socit, et
de rg-
nrer la socit elle-mme par
destruction des abus
contenus clans son sein, par l'anantissement des pouvoirs qui ont t les instruments de sa corruption. La
Rvolution fera
l'office
d'une opration de chirurgie pra-
tique par une main savante pour extirper
du corps
so-
LETTRE SUR LA RVOLUTION FRANAISE.cial
Ht
les
corps trangers qui
lui
ont inocul tous ses
vices.
Ces corps trangers dont l'extraction est devenue ncessaire, ces pouvoirs
usurps
qu'il s'agit:
de
faire dis-
paratre, sont auSi l'on n'y joint
nombre de deux
l'Eglise et la royaut.
pas la noblesse,
comme
semblent
le
de-
mander
le rle
oppressif qu'elle a jou dans l'histoire et
les privilges iniques
dont
elle avait joui, c'est
que long-
temps avant
89
elle
n'tait plus
que l'ombre d'ellele
mme.
Saint-Martin, sur ce point, tient presque
mme
langage que M. de Tocqueville dans Y Ancien rgime etla Rvolution.
La noblesse,
dit-il
(1), cette
excrois-
sance monstrueuse parmi des individus gaux parleurnature, ayant dj t abaisse en France par quel-
ques monarques
et
par leurs ministres, n'avait plus
perdre, pour ainsi dire, que de vainsimaginaires.etIl
noms
et des
titres
n'en tait pas de
mme
de
l'glisefruits
de
la
royaut.
Restes en possession des
de leurs usurpations et de leurs droits men-
songers jusqu' l'heure de leur chute, elles devaienttre frappes sanspiti
par
la
main vengeresse qui
a
conduit
la
Rvolution.
Laquelle des deux a t la plus coupable? SaintMartin,
comme
si
Dieu
l'avait
mis dans sa confidence,Il
n'hsite pas dclarer
que
c'est l'glise.
reconnat
en
elle la
cause premire des
maux
qui ont dsol la
socit et
une des sources
les
plus fcondes de ses vices.
(1) Lettre
sur la rvolutlion franaise, p. 13.7.
118
LETTRE SUR LA RVOLUTION FRANAISE.faveur de l'autorit qu'elle s'est arroge, elle ales rois, et
A
la
corrompu
par
les rois elle a
corrompu
les
peuples. Pourvu qu'on donnt satisfaction sa cupiditet son orgueil, sa conscrationlestait assure tous
abus du despotisme. Telle a
t,
dans tous
les
temps,
sa conduite envers les
hommes. A
l'gard de Dieu elle a
t plus criminelle encore, car son ambition ne tendait
rien moins qu' se substituer rt
lui.
Selon toutes les
critures, dit Saint-Martin (1), et plus encore selonle livre indlbile crit
dans
le
cur de l'homme,
la
Providence voudrait tre
le seul
Dieu des peuples,
parce qu'elle sait qu'ils ne peuvent tre heureux qu'avecelle:
et le clerg aIl
voulu lui-mme tre pour eux
cette Providence.
n'a cherch qu' tablir son proil
pre rgne tout en parlant de ce Dieu, dont souvent
ne savait pas
mme
dfendre l'existence.
Jusque-l
Saint-Martin ne se distingue pas des philosophes quisont l'objet habituel de ses railleries et de ses ddains;
mais on retrouvera dans
les lignes suivantes le
mystique
spculatif qui, dans son enthousiasme chimrique, croit
hter
le
rgne de Dieu en supprimant Il
les
temples,
les
autels et le culte extrieur.
lui
avait t dit
(au
clerg
)
qu'il
ne resterait pas pierre sur pierre dula
temple bti par
main des hommes;il
et,
malgr cette
sentence significative,matrielsidole(1)(*2).
a couvert la terre de templesfait
dont
il
s'est
partout
la
principale
Sans temples
ni autels, le ministre sacr,
Lettre sur la rvolution franaise, p. 14.
(2) Ibid.
LETTRE SUR LA RVOLUTION FRANAISE.le
119
prtre lui-mme n'est-il pas de trop? Saint-Martin ne
parait pas loign d'accepter cette
consquence lorsque,
dans un langage indigne de sa belle me, avec des expressions empruntes aux plus vulgaires passions de la
dmagogie,
il
reproche aux membres du clerg catho-
lique de garder pour eux le droit d'interprter les livressaints, d'en faireles
un tarif d'exactions sur
la foi et d'tre
accapareurs des subsistances de rame.a-t-il soin
On
ne sau-
rait concevoir,
d'ajouter, qu'il y ait aux
yeux de Dieu un plus grand crime, parce que Dieuveut alimenter lui-mme les mes des
hommes
avec
l'abondance quiainsi dire,
lui est
propre et qu'elles soient, pourS'il
commel'acte
rassasies par sa plnitude.
en
est
ainsi,
d'accusation que Saint-Martin a
dress
contre:
l'glise
pouvait
tre
singulirement
abrg
son seul tort c'tait d'exister.lui,
La royaut, selonqu'elle s'est
a t inoins criminelle, puis-
borne
le
plus souvent suivre l'impulsion
qu'elle recevait de l'glise, et
commettre des excs
de pouvoir qu'elle savait d'avance justifis auciel.
nom du
Cependant
elle
a mrit, elle aussi, un chtiment
exemplaire. Tous les monarques de la terre ont d expier,
par la chute du plus grand d'entre eux, un orgueil
qui leur est toute dis
commun
;
l'orgueil qui leur a
persuad que
une nation que
est concentre
dans un homme, tand'un tat s'oublier,la nation (1).
c'est tous les
hommes
pour se dvouer et ne se voir que dans
(1)
Lettre sur la rvolution