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La sculpture est-‐elle soluble dans la pub ?
Réflexion sur la sculpture, du Ready Made à la sculpture publicitaire
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Introduction 1. Le slogan 2. La construction de la photographie de la pub 3. Qu’est-‐ce que la publicité? 4. L’aura de l’œuvre d’art 5. Les œuvres les plus utilisées 6. Le basculement de l’art moderne 7. L’époque postmoderne 8. La problématique I/ Le déplacement de l’aura sur l’objet à promouvoir A/ La pub détourne l’art 1/ les rapports historiques
- Qu’est ce que la publicité? l’art de l’affiche (1880-‐1910) - Le divorce art et publicité - L’authenticité des œuvres - La pub récupère l’art
2/ Le détournement
- La récupération touristique - Le détournement - Le transfert de l’aura - Head on
3/ Le pastiche, la citation et le plagiat - La rhétorique de l’image - Le pastiche - La citation - Le plagiat
B/ La rupture avec la sculpture moderne 1/ La pub boude l’art contemporain
- Les sculpteurs modernes les plus utilisée - s - L’enquête sociologique de Bourdieu et Darbel - Le désintérêt pour l’art de la classe inférieur au niveau bac
2/ Les colonnes de Buren, un socle à scandale
- L’image publicitaire pour les chaussures Sidonie Larizzie - L’histoire des colonnes de Buren - Le rejet de l’art contemporain
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3/ L’art contemporain médiatisé par la figure du sceptique - La pub SNCF - La pub Visual - L’image de l’art contemporain
C/ Signifier l’art pour vendre
1/ Signifier l’art contemporain sans le figurer - Tetra pak, 2000 - Fisherman’s Friend, 1998
2/ La Citroën devient Picasso
- Le spot - La voiture s’appelle Picasso
3/ Le droit des artistes - Du point de vue de la loi - Philippe Ramette - Fischli and Weiss
II/ Le culte des objets A/ La société industrielle 1/ La fétichisation de l’objet
- La société du gadget - La publicité, messagère du gadget - L’art, médium de l’objet
2/ La sculpture à l’ère de sa reproductibilité
- L’œuvre non faite de main d’homme - Pour un art manufacture ? - Art = Choisir
3/ La valeur marchande de l’art
- La valeur de l’art selon Marx - Le cheminement du Ready Made - La transparence sociale de l’art
B/ La marque et la signature
3/Les simulationnistes - La frontière extrême entre art et marchandise - The New, Jeff Koons, 1980 - Arrangement, Ange Leccia, 1987
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2/ l’objet signé - La signature - Qu’est ce qu’une marque? - Le style
3/ La publicité d’aujourd’hui
- La pub est mal vue - Les nouvelles strategies - The fun theory, entre interactif at moraliste
C/ la publicité spectaculaire 1/ le supermarché est un musée….
- …Au sens figuré - …Au sens littéral - Du mécène au commanditaire
2/ la sculpture événementielle
- Le gadget en histoire - La sculpture événementielle
3/ la société du spectacle
- La société aliénée - La representation de la culture - La séparation
III/ La société du mix A/ L’aura est un gaz 1/ L’esthétisation du monde 2/ L’art a l’état gazeux
- La profusion du Ready-‐Made - La dé-‐esthétisation de l’art - L’art et l’attrait de la nouveauté
3/ L’essence est un gaz
- Les objets d’Oldenburg, des visages qui nous regardent - La fat car de Wurm, où le prolongement des maux de la société
B/ L’esthétique relationnelle 1/ l’œuvre en tant que moment
- L’artiste présente les images manquantes de la société - L’aura de l’œuvre se dépose sur son public
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2/ L’exemple de Félix Gonzalez-‐Torres - La compartimentation de la population - La participation - L’infiltration de l’artiste
3/ les hétérotopies et les zones autonomes libres
- Le musée - L’hétérotopie - L’utopie
C/ l’art fait référence à l’art dans la publicité 1/ Le détournement dans l’art - Le Ready-‐Made fonctionnel - Le détournement de l’objet détourné - La société du décor
2/l’histoire de l’art en abime
- Les postmodernes et la répétition - L’agrandissement du champ des significations, entre philosophie et art
3/ Les nouveaux mythes
- Les visages du plastique - La mythologie et le Fetisch Finish
Conclusion Bibliographie
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INTRODUCTION « Signature d’artiste »
C’est avec ce slogan que Pacéma, entrepreneur dans la fabrication de matériaux de construction crée un parallèle évident entre l’objet de la construction et l’outil de la création artistique (Cf. Img 01). En dessous de ce slogan nous lisons « Une belle œuvre est toujours le résultat d’une alliance de compétence. PACEMA, c’est ça ! …PACEMA, c’est unique ! » La campagne publicitaire vante les qualités d’authenticité des briques. La signature, preuve de la valeur est justifiée car, puisque la brique est authentique, elle doit être signée. Et puisque le constructeur est un créateur alors elle peut être signée d’artiste. Ainsi la campagne valorise la brique par son esthétique (sa gamme de couleur et de ses formes) son authenticité et son aspect novateur («Nous sommes à l’écoute des créateurs ») En bref les briques Pacéma transformeront vos projets en œuvres d’art. « Pacéma est fier de signer ses briques. Vous serez fier de signer vos œuvres. » 1. Le slogan
-‐ Pacéma signe ses briques Les briques de construction ordinaire dépassent leur simple fonction d’élément du
bâtiment et par l'apposition d'une signature, elles sont augmentées. Le fait de signer la brique métaphoriquement admet une notion d’unique, c'est-‐à-‐dire que chacune dans leur industrialisation et standardisation devient isolée par rapport aux autres. Au final cela signifie que la brique a été labélisée, contrôlée et authentifiée. Mais en rapprochant la notion de signature, en tant que label, à la notion de signature d’artiste, la campagne publicitaire valorise l’objet même comme étant unique par rapport aux autres briques des autres compagnies.
-‐ Vous signerez vos œuvres Une fois la transaction effectuée la brique Pacéma va devenir la brique de Mr. X. La
brique est labélisée, maintenant c’est à Mr. X de créer et de signer son travail. On ne parle pas de construction mais d’œuvre au sens où la brique devient un outil de création plastique. Avec la brique authentique le consommateur est invité à la création. La brique par rapport à sa fonction est transcendée, c'est-‐à-‐dire qu’elle n'est plus un banal outil de construction du bâtiment mais un élément de création artistique à l’origine d’une œuvre, sous entendue une œuvre d’art, c'est-‐à-‐dire suprême.
Le consommateur est valorisé dans sa future réalisation puisqu’il pourra signer une œuvre d’art. Et pour authentifier sa création, il la signera. 2. La construction de la photographie de la pub
Dans le but d’illustrer le slogan, les briques ont été agencées de manière inattendue en étant empilées les unes sur les autres, créant une forme originale. Cet agencement
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rappelle la sculpture aztèque par le symbolisme utilisé et la symétrie parfaite de la construction. Selon Robert Morris1, la sculpture se définit par sa gravité, sa matérialité et son autonomie dans l’espace. L’agencement des briques correspond à ces trois conditions, Pouvons-‐nous parler de sculpture pour autant ?
-‐ La forme de la sculpture Nous pouvons diviser cette forme en trois parties : la base, le tronc et le haut. La base
de l’installation est quadrangulaire où deux briques se détachent du reste. Le tronc est rectangulaire et de plus petite taille par rapport à la base. Deux briques d’aspect plus long se détachent du reste du tronc. Le haut est composé par cinq éléments. Il pourrait composer le visage de la statuaire, où trois briques de formes singulières dans leurs arrondis composeraient les yeux et un nez. La forme générale de cet agencement évoque une forme d’aspect humain ou d’un animal symbolisé. Les briques se détachant à la base évoque les pieds et au niveau du tronc, les bras. L’intérêt de l’image ne pointe pas la brique en tant qu’objet mais la forme générale créée à partir de la brique. La publicité montre la sculpture faite à partir de cet objet.
-‐ La photographie La sculpture a été prise de trois quart, ce qui permet une visibilité globale de
l’installation. En utilisant ce choix de prise de vue, la photographie met en évidence la symétrie, la taille et le volume de la sculpture. L’image est en noir et blanc, ainsi le jeu d’ombre et de lumière renforce les qualités plastiques du matériau. L’utilisation de la lumière détache de manière évidente la sculpture par rapport au fond en la cernant dans un espace en trois dimensions. La sculpture est présentée au même titre qu’une reproduction d’œuvre d’art c'est-‐à-‐dire que le fond de l’image a été délibérément choisi neutre afin que le regard se concentre sur la forme et non sur l’ensemble de l’image.
Au final dans cette publicité pour la brique Pacéma, nous avons une création signée
et prise en photographie de manière conventionnelle et relative à la présentation d’objet d’art. Pour ainsi dire, au lieu de nous présenter une image de sa brique, Pacéma nous présente une « œuvre d’art ». Quel est l’intérêt pour un entrepreneur en brique d’utiliser un discours relatif à l’art pour vanter les mérites de son produit ?
3. Qu’est ce que la publicité ?
Selon Arnaud de Baynast et Jacques Lendrevie « la véritable nature de la publicité est la séduction, son domaine premier celui des objets, son système celui de la compétition. »2. Avec Pacéma la pub utilise des valeurs liées à l’art comme la signature, le système d’exposition et la sculpture, pourtant celle-‐ci ne fait pas de référence évidente à une œuvre d’art mais suggère que tout le monde peut être un créateur. L’artiste et l’art en général sont
1 Robert Morris, Note sur la sculpture, In Regards sur l’art Américain des années soixante, éd. Territoires, 1979, p.90 2 Arnaud de Baynast ; Jacques Lendredie, Publicitor. De la publicité à la communication intégrée, théorie et pratique de la communication, éd : Dalloz, Paris, 6ème éd. 2004
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des valeurs sacrées et pour séduire au mieux le consommateur Pacéma offrira à son utilisateur la place de l’artiste créateur.
Le caractère sacré de l’art peut être un argument de vente puissant. Ainsi de nombreuses campagnes publicitaires ont repris des œuvres existantes dans un cadre communicationnel. Nous pouvons dégager deux catégories de reprises. La première consiste à reprendre une œuvre pour ce qu’elle est. C’est le cas des détournements fréquents du David sculpté par Michel-‐Ange. Incarnant un personnage biblique, héros victorieux du géant Goliath, il est l’une des figures de proue de la récupération. L’une des rares récupérations du David qui vise à symboliser Florence ne représente qu’une portion restreinte de l’œuvre (Cf. Img 02). Le choix d’une partie difficile à identifier, ainsi que le déplacement de la statue à l’extérieur – qui retrouve ainsi son affectation initiale qui était celle de la sculpture, prouve non seulement sa très grande notoriété, mais également sa symbolique universelle. Le David de Michel-‐Ange est avant tout le symbole de l’art par excellence. C'est-‐à-‐dire qu’il est surtout rattaché à une symbolique artistique, la perfection et la beauté virile de l’homme, bien avant de servir de désignation d’un lieu, Florence. La seconde catégorie regroupe pour sa part les sculptures, monuments et bâtiments dont la valeur artistique est éclipsée par d’autres symboliques. La publicité touristique a largement contribuée à cette pratique, érigeant certaines œuvres comme emblèmes de villes ou de pays : le Sphinx de Gizeh et les pyramides pour l’Egypte, la Tour Eiffel et l’Arc de Triomphe pour Paris, Big Ben et Times Bridge pour Londres, etc. Certaines publicités tendent vers la parodie ou la référence inattendue. Les agences publicitaires vont modifier l’œuvre ou lui rajouter un élément afin de créer un décalage humoristique et valorisant entre le produit et l’œuvre. Par exemple le David de Michel-‐Ange portant un jean’s Levis signifie « L’homme parfait porte un jean’s Levis. Soyez cet homme, portez ce jean’s » (Cf. Img 03). Le détournement, quand il est ludique, à l’avantage de convier l’humour, stratégie très efficace en publicité, tout en jouant délibérément sur une forme d’iconoclasme, où il cherchera surtout à entrer en connivence avec le public. Enfin surtout la publicité étant un langage de l’instantanéité, la reprise d’œuvre d’art a pour facilité de ramener tout une symbolique directement. Par exemple, la Statue de la Liberté évoque la liberté et les Etats Unis. Le simple fait de la référence à la statue convie aussitôt ces deux symboles. 4. L’aura de l’œuvre d’art
La visée de ces reprises est de déplacer le sacré de l’œuvre sur l’objet promu. Il est ici question de ce que Walter Benjamin a décrit comme l’aura de l’œuvre, c'est-‐à-‐dire son hic and nunc. Selon lui la reproduction est à l’origine de la perte de l’aura de l’œuvre. A cela nous pourrions rajouter l’aspect profane qu’opère la publicité sur l’œuvre. La récupération d’une œuvre dans un contexte mercantile la désacralise. Or le paradoxe relevé par Danièle Schneider dans son livre La pub détourne l’art3, c’est la valorisation de l’œuvre par la reprise et le déplacement de l’aura de celle ci sur l’objet à promouvoir : " Toute utilisation d’une œuvre d’art à des fins publicitaires introduit une désacralisation, apparente tout au moins, de cette œuvre. En réalité, au second degré, le fait même de prendre une preuve comme référence ou caution est une reconnaissance implicite de son importance ou de sa valeur, l’anodin n’étant jamais pris en compte, sauf en tant que contre-‐exemple. Dans le même
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temps, tout emprunt publicitaire au monde de l’art induit une valorisation du produit et donc du consommateur qui va l’acquérir "4. La récupération de l’art par la publicité aurait ainsi comme double et paradoxale issue de profaner le sacré (désacraliser) tout en valorisant simultanément l’œuvre récupérée : " Le raffinement culturel qui, par le procédé classique du transfert, permet aux consommateurs d’identifier le produit qu’ils achètent avec la perfection de l’œuvre qui le porte et de s’identifier eux-‐mêmes aux œuvres d’art. »5 Dans la reconnaissance à la référence, le consommateur est flatté et identifie directement le produit à l’œuvre. Il projette mentalement la symbolique de l’œuvre sur l’objet d’où l’intérêt du publicitaire à utiliser des œuvres d’art dans leurs campagnes.
5. Les œuvres les plus utilisées
Selon cette même étude, les sculptures les plus utilisées dans la reprise publicitaire sont les suivantes : David de Michel-‐Ange, les pyramides de Guizèh, La Vénus de Milo, ainsi que celles de Rodin6. En s’appuyant sur l’étude mené par Pierre Bourdieu et Alain Darbel intitulée L’amour de l’art -‐ Les musées d'art européens et leurs publics7, il s’avère que ces artistes sont les plus connus par la majorité de la population. L’étude a cherché à répertorier le public des musées européens. Le public a été catégorisé selon son degré d’éducation. Les quatre artistes ou oeuvres cités au dessus sont ceux cités par la population de niveau d’éducation inférieur au baccalauréat. De manière synthétique nous pouvons conclure que la publicité a tendance à utiliser les valeurs sures de la culture pouvant être reconnues par la majeure partie de la population. Nous pourrions accorder que plus la sculpture est populaire, plus elle a de chance d’être utilisée. Si au top 5 des sculpteurs les plus repris n’apparaissent que la sculpture classique nous pouvons nous poser la question de la sculpture moderne et de la sculpture contemporaine. En prenant la publicité en tant que baromètre de la popularité des créations contemporaines, quelle place occuperait la sculpture d’aujourd’hui dans la connaissance de la culture globale ?
6. Le basculement de l’art moderne
L’ère industrielle a bouleversé nos rapports au monde. La mécanisation apporta une profusion d’objets. Leur abondance créa de nouveaux besoins d’information afin de vanter leurs attraits. La publicité s’est donc considérablement développée en créant son propre langage basé sur l’instantanéité, elle devait être performante, rapide, meilleur et toujours en compétition dans son propre domaine. L’ère moderne a donc accouché d’un nouvel homme. Comme le souligne Baudrillard dans La société de consommation8, celui-‐ci a de nouveaux besoins, il est devenu dépendant à l’objet, aux gadgets et au ludique. L’art a connu une révolution aussi puisque l’objet industriel a lui aussi franchi les portes du sacré et est entré dans le musée. L’objet est devenu un des vocabulaires de forme de l’expression plastique. L’art a cherché en profondeur l’essence de l’objet an accentuant nos relations au monde
4 Danièle Schneider. La pub détourne l'art. éd : du Tricorne, 1201 Genève, 1999. p21
5 Danièle Schneider. La pub détourne l'art. éd du Tricorne, 1201 Genève, 1999. p24 6 La pub détourne l'art. éd du Tricorne, 1201 Genève, 1999. p262 7 Biblio. 8 Biblio.
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gadgétisé. Lorsque la publicité glorifiait l’objet, l’art l’élevait au rang d’œuvre. Les deux médiums se sont retrouvés à jouer l’un contre l’autre sur le même terrain. Meilleurs amis ou ennemis, la publicité était la sœur sournoise qui devait pousser l’art d’être toujours plus grand, à se différencier de celle-‐ci. Les relations art et pub ont fait couler beaucoup d’encre et la question dominante était, la publicité est-‐elle un art en soi ?
Nous pourrions synthétiser les deux domaines comme il le suit, la publicité dépend de l’instantanéité, son essence c’est le moment présent. Elle est significative de quantité, « vendre toujours plus » « être le plus visible ». L’œuvre d’art de par son essence c’est l’unique, l’authenticité et la création désintéressée. La portée mercantile de la publicité a eu pour conséquences sa dés-‐appréciation pour une majeure partie de la population. Un groupe en particulier, les casseurs de pub ont dénoncés la publicité qui « sacralise le profane la consommation ou l’argent, et qui profane le sacré, c'est-‐à-‐dire les valeurs »9 L’étude de Yannick Lebtahi et Françoise Minot met en évidence le fait que les français n’aiment pas la publicité et les publiphobes les plus réticents proviennent pour une grande partie de l’élite, c'est-‐à-‐dire d’une population ayant un niveau d’éducation de grande école. C’est en même temps -‐ toujours en citant l’étude de Bourdieu et Darbel -‐ la partie de la population globale la plus apte à décoder les emprunts culturels de la publicité. 7. L’époque postmoderne
A l’époque post-‐moderne les relations entre les deux domaines sont d’autant plus complexes qu’ils sont de plus en plus imbriqués. La publicité a compris qu’elle n’était pas des plus appréciée par la population. Son langage a donc évolué, elle est devenue événementielle. Dans l’événementiel, elle est devenue vecteur de capital social, elle est devenue un sujet de conversation, un rendez-‐vous et à un certain titre, un événement culturel. Elle a glissé sur le terrain de ce que Bourriaud a définit comme relatant d’une esthétique relationnelle. Ainsi la publicité va profaner l’art sur son terrain d’élément culturel. Bourriaud a expliqué le basculement de l’aura de l’œuvre d’art sur le spectateur au moment du rendez vous d’art. C’est la base de sa théorie sur l’esthétique relationnelle10. Entendons par là que l’aspect auratique de l’œuvre vient du rapport de l’homme entrant dans le réseau de l’œuvre. Nous l’avons vu précédemment, lorsque la publicité reprend l’art, elle fait glisser l’aura de l’œuvre sur le produit promu. Dans sa nouvelle forme relationnelle, nous pourrions nous demander si la publicité opèrerait à nouveau un basculement auratique non pas que sur l’objet mais sur la rencontre qu’elle propose entre l’objet et l’homme ?
De la publicité événementielle est apparue la sculpture publicitaire. La publicité pour les briques Pacéma en serait les prémices. On pourrait qualifier la sculpture publicitaire comme étant la réalisation d’un objet éphémère (ne durant que le temps de la campagne) utilisant le produit promu parfois en tant que support et matériau dans un agencement particulier et parfois extraordinaire de l’objet à promouvoir afin d’attirer l’attention du public. Dans d’autres cas, la sculpture publicitaire a recours à l’utilisation de matériaux insolites n’ayant pas ou peu de concordance par rapport à l’objet à promouvoir afin de créer un rapport inattendu, qui mettrait en évidence les vertus du produit.
Pour synthétiser, la publicité aujourd’hui propose des événements culturels et dispose de nouvelles formes plastiques. Elle joue sur le même terrain que l’art à la différence 9 Cité par : Yannick Lebtahi, Francoise Minot, La publicité d’aujourd’hui Discours, formes et pratiques, éd. L’Harmattan, 2009, p27 : http://casseurdepub.org/index.php?menu=pourquoi. 04/08 10 Biblio
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qu’elle reste mercantile en comparaison à l’art qui est censé être né d’un besoin désintéressé. Mais est-‐ce toujours le cas ? Le Pop Art a été le premier courant artistique à avoir pointé la société du kitch, du gadget et du ludique. En utilisant les modes de production de la société industrielle il a bousculé le rapport de l’art et de la création par rapport au médium. C’est par cet impact que le Pop Art a eu de l’importance et une pertinence, il a poussé les limites de l’art en forçant encore les limites de goût pour imposer un objet esthétique que personne n’était prêt à reconnaitre. Dans un article d’Art Press de 1990 Catherine Millet écrit à propos de la dissolution de Présence Panchounette : « Présence Panchounette expose un velosolex « plaqué-‐or » (à l’occasion d’une exposition organisée par un grand bijoutier). Qu’aussitôt après, Presence Panchounette décide de prendre ses distances par rapport à un monde où la liberté consiste à pouvoir choisir « entre les 25 versions disponibles de la 205 », signale que la liberté de l’artiste, qui consiste désormais à pouvoir imaginer la 26eme version de la 205 en plaqué-‐or (Jeff Koons, BMX), trônant dans un musée (Ange Leccia) a perdu depuis Duchamp sa suprématie. »11. Le monde de l’art et celui de la publicité seraient tout les deux sur le même terrain et ce ne serait pas celui de l’objet mais de la mode, c'est-‐à-‐dire de l’éphémère, de la compétitivité et de l’argent ? Finalement l’aura de l’art serait comme le décrit Yves Michaux, un gaz qui se déposerait aussi bien sur l’œuvre d’art dans le musée que dans la publicité et la mode. L’ère post moderne marquerait une esthétisation absolue du monde où l’aura se serait dissoute ? Quelle est la part auratique de la sculpture contemporaine ? Est-‐elle toujours la représentation sacrée de l’esprit de l’artiste ?
8. La problématique
A l’ère que l’on pourrait appeler post-‐post-‐moderne, où les frontières entre art et publicité sont de plus en plus floutées, pourrions-‐nous parler d’œuvre d’art publicitaire ? Quels sont les impacts de la publicité dans le monde de l’art et à quel moment l’un bascule dans l’autre ?
Il serait intéressant de questionner ce nouveau rapport qu’entretient la sculpture contemporaine utilisant l’objet industriel et son rapport à la publicité. Car si la quotidienneté de l’objet ne pointe que sa fonction et sa valeur marchande, par quelle magie devient-‐il sacré une fois avoir poussé les portes du musée ? La sculpture qui utilise l’objet industriel pourrait elle faire publicité ? Enfin, la sculpture se définit par sa gravité, sa matérialité et son autonomie dans l’espace. Elle est dépendante de la lumière et du champ visuel. Elle est un volume et un espace. A la question, la sculpture est-‐elle soluble dans la publicité, nous admettrions que la sculpture est le composant, le matériau qui changerait d’état en contact avec la publicité. Le terme soluble désigne un élément qui peut se dissoudre dans un solvant approprié, un liquide ou un corps liquéfié. En littérature, la solubilité désigne ce qui à la propriété de se fondre dans une autre chose, qui est enclin à se mêler, à fusionner avec ce qui l’entoure. La publicité serait l’élément qui ferait basculer la sculpture en la démunissant de sa matérialité. Pourrait-‐elle se dissoudre dans la publicité ? La réalité commerciale de la publicité opérerait-‐elle un changement d’état ? Admettrions nous que ce qui la fait basculer d’un état d’art à un état publicitaire marquerait la dissolution de son aura ? Finalement, lorsque la sculpture fond dans la publicité, son aura devient-‐elle soluble au contact du mercantile ?
11 Catherine Millet, Le Ready-‐Made, signe culturel ?, Art Press n°145, Mars 1990, p32
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I/ Le déplacement de l’aura sur l’objet à promouvoir A/ La pub détourne l’art 1/ les rapports historiques
Qu’est ce que la publicité ? L’art de l’affiche (1880-‐1910) La publicité en général est associée à l’affiche. Au départ, elle était une écriture, puis
une écriture illustrée et enfin un message visuel porteur d’une information qui devait être accessible de la manière la plus immédiate. Les différentes révolutions industrielles mêlées aux avancées techniques dans l’imprimerie ont encouragé son développement. En revenant en 1880, Toulouse Lautrec a excellé dans l’art de l’affiche ou dans un autre sens, a insufflé à l’affiche des qualités artistique. En effet, il joue sur les compositions et surtout, s’autorise le luxe de tirer parti de la technique d’impression lithographique pour plaquer d’énormes aplats de couleurs vives. Ses compositions sont à l’orée de l’abstraction où la peinture d’art ne s’était toujours pas engagée. Si ses compositions étaient inédites, elles avaient néanmoins les qualités de retenir le regard des passants dans la rue. Les affiches qu’il a conçues pour le Moulin Rouge ont été instantanément considérées comme des œuvres d’art et ont été collectionnées comme telles. Bonnard et Vuillard ont investi l’imagerie publicitaire de qualités plastiques incroyables mais les nécessités de la production de masse imposèrent d’elles-‐même leurs critères adaptés à une production encore plus rapide et plus efficace de la publicité. Au cours du XX ème siècle un fossé énorme s’est creusé entre la publicité et l’art. Des artistes comme Magritte ou Dali considéraient leurs participations pour des campagnes publicitaires comme une activité alimentaire. Magritte, a qui, lorsqu’on lui demande ce qu’il déteste le plus répond franchement: «La publicité». A l’opposé quand Cassandre se lancera dans la peinture, il ne connaitra pas de grand succès ; de même son élève, Savignac, considéré aujourd'hui comme le plus grand affichiste vivant (campagnes Citroën, Mon savon...), fait preuve dans ses Mémoires d'une modestie de bon aloi: «Il est heureux que je sois affichiste car je ne sais vraiment rien faire d'autre.» 12
Le divorce art et publicité
Largement influencée par les Etats-‐Unis, l'Europe voit proliférer dans l'immédiate après-‐guerre agences et artistes spécialisés. Le divorce entre le métier d'artiste et celui de graphiste publicitaire est alors consommé. A l’ère de la mécanisation, l’objet est devenu un des piliers de la société. Sa profusion a entrainé une importante dépendance à l’information commerciale. La publicité s’est développée, elle a remplacé les illustrateurs par des agents publicitaires. Son mot d’ordre était faire acheter tout à tout le monde et tout de suite. Il fallait générer de nouveaux besoins pour les futurs consommateurs. Pour l’encyclopédie Universalis, dans un article
12 Cité par Antoine Calvino, Salut l’artiste !, www.marianne2.fr/Salut-l-artiste-!_a149720.html 05/10
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intitulé art et publicité, Marc Thivolet note : « La publicité est dépourvue de tout passé mythique ; elle appartient à une période d'émiettement ; elle souligne cet émiettement et l'accentue en donnant une image, le plus souvent agrandie, d'objets et de personnages séparés. Elle « sur-‐différencie » l'environnement en crevant les surfaces : celles du mur et de l'écran de télévision. Elle tend à faire triompher l'instant sur la durée en ramassant à l'extrême le message qu'elle véhicule ; elle s'efforce de donner à ce dernier une force éruptive, d'autant plus qu'elle doit triompher d'autres publicités.»13. La publicité est intrinsèquement dépendante du présent et de l’air du temps. A cela s’ajoute son rapport à la quantité. Si il fallait ici présenter les deux distinctions importantes entre l’art et la publicité, il opposerait la quantité à l’unique et l’instantanéité à l’éternité. L’authenticité des oeuvres
L’œuvre d’art est unique, elle est : « une par rapport au zéro de l'origine – le zéro est ici comme une frontière entre l'infini et le un – et chaque exemplaire d'un tirage limité constitue une unité supplémentaire, le numéro l'atteste, la signature l'authentifie. »14.Cette authenticité représente ce que Walter Benjamin a nommé son Aura. Celle-‐ci qualifie son hic et nunc « une singulière trame de temps et d’espace : apparition unique d’un lointain, si proche soit-‐il »15. L’aura se dépose sur l’œuvre d’art comme un halo sacré témoin de sa supériorité. C’est ce qui définit l’œuvre d’art en tant que perfection, un modèle absolu. Au final, la différence profonde entre grand art et art mineur serait l’aura sacré de l’œuvre d’art. Et pourtant, nous l’avons déjà évoqué, de nombreuses publicités utilisent des figures de l’histoire de l’art afin de vanter les produits issus de la grande consommation. Lorsque l’art mineur vient profaner le sacré de l’œuvre d’art où se déplace l’aura, entame t’elle sa dissolution une fois plongée dans le mercantile ?
La pub récupère l’art
Freud a admit que nous prenions plaisir à retrouver ce que nous connaissions, c'est-‐à-‐dire à reconnaitre. La publicité étant un message de l’instantané, elle a souvent recours à la récupération afin d’amener avec son message des références connues afin de convoquer des significations le plus rapidement possible. Dans cette perspective nous pourrions admettre que l’œuvre d’art reprise dans la publicité serait un signifiant pouvant amener le message publicitaire à un autre degré de compréhension. Afin de cerner au mieux notre sujet nous débuterons par la création d’un lexique afin de cerner les différents moments du détournement où lorsqu’il y a pastiche, citation ou plagiat. 2/ Le détournement La récupération touristique
La récupération dans la publicité admet plusieurs degrés. Le premier consiste à utiliser l’œuvre pour ce qu’elle est. C’est souvent le cas dans la publicité touristique. Par exemple, on utilise une image de la Tour Eiffel pour Paris ou la statue de la Liberté pour New York. La symbolique de la sculpture permet par sa simple présence d’apporter au message la raison du déplacement touristique. Or, dans ce scénario nous pourrions reprocher à l’œuvre 13 Marc Thivolet, Art et publicité, www.universalis.fr 04/10 14 Marc Thivolet, Art et publicité, www.universalis.fr 04/10 15 Walter Benjamin, L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique. éd Allia, Paris IV, 2003, p19
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d’art d’être gommée à l’instar de l’attraction touristique qui est, dans ce cas de figure, plus vendable.
La re-‐contextualisation de l’œuvre d’art dans la publicité touristique est aussi récurrente. Dans ce cas de publicité l’œuvre est citée et mise en scène. Prenons l’exemple de la publicité pour l’ile de France (Cf. Img 04). Celle-‐ci a été conçue pour promouvoir le nouveau Paris culturel dans d’autres villes européennes. Sur ces affiches figurait le cœur de Jeff Koons (Hanging Heart, 2006) placé dans le jardin du château de Versailles. L’image informe de l’exposition de l’artiste dans la demeure royale mais tous ceux qui ont pu voir cette exposition, savent que la pièce n’était pas exposée dans le jardin. Ici, la sculpture est mise en scène avec plusieurs couples se bécotant autour d’elle. En plus de signifier l’œuvre pour ce qu’elle est, c’est à dire un travail de l’artiste le plus cher actuellement, elle est aussi utilisée dans l’évocation littérale du cœur, de l’amour et du kitsch. Paris est souvent vu par les étrangers comme la ville de l’amour. Le cœur de Koons crée un lien par rapport à ce cliché, et les couples autour créent une redondance. Malgré la mise en scène autour de l’œuvre pouvons-‐nous parler de détournement ? Le cœur de Koons n’est il pas intrinsèquement la signification du kitsch, de l’amour ou métaphoriquement du cliché parisien ?
Le détournement
La définition du détournement dans le petit Robert est « l’action de changer le cours, la direction ». Nous pourrions convenir que pour que l’œuvre d’art soit détournée il faut qu’elle perde ses significations. Dans son étude sur l’art et la publicité, Danièle Schneider note à propos du détournement : « Pour qu’il y ait détournement, il faut qu’une œuvre de référence soit reconnue et identifiée par les récepteurs du messages publicitaires. La culture artistique du public étant aléatoire, il n’est pas toujours nécessaire que l’œuvre ou que l’artiste soit identifié. La simple reconnaissance du statut « d’œuvre d’art » de l’objet utilisé dans l’annonce peut suffire. »16. La position par rapport à la récupération de l’art dans la publicité selon Schneider est que dans le détournement de l’œuvre d’art, l’objet à promouvoir est valorisé par la référence. L’aura sacrée de l’œuvre d’art se transpose sur le produit, mais cela ne vaut que lorsque le spectateur peut reconnaitre la référence. Or c’est d’une reproduction de l’œuvre dont il est question. Walter Benjamin a accusé la reproduction photographique de l’œuvre original comme étant la perte de son aura : « Sortir de son halo l’objet en détruisant son aura, c’est la marque d’une perception dont le sens du semblable dans le monde se voit intensifié à tel point que, moyennent la reproduction, elle parvient à standardiser l’unique. »17 Comme dans l’exemple de la Statue de la Liberté pour évoquer New York ou la Tour Eiffel pour Paris si l'utilisation répétée de ces œuvres comme topos géographiques perpétue leur légende et renforce leur notoriété, elle accentue irrémédiablement le gommage de leur ascendance artistique.
Le transfert de l’aura
Schneider pointe le paradoxe qu’entraine la récupération de l’œuvre d’art dans la publicité. Son constat est protéiforme : " Toute utilisation d’une œuvre d’art à des fins publicitaires introduit une désacralisation, apparente tout au moins, de cette œuvre. En réalité, au second degré, le fait même de prendre une preuve comme référence ou caution est une reconnaissance implicite de son importance ou de sa valeur[…] Dans le même temps, 16 Danièle Schneider. La pub détourne l'art. éd. : du Tricorne, 1201 Genève, 1999. p15 17 Walter Benjamin, L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique. éd Allia, Paris 4eme, 2003 p21
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tout emprunt publicitaire au monde de l’art induit une valorisation du produit et donc du consommateur qui va l’acquérir ".18 L’œuvre d’art est à un certain degré valorisée dans la récupération, elle ajoute à la dimension publicitaire, sa dimension auratique qui par transfert, va valoriser le consommateur. Head on
En 2010, pour la campagne du célèbre magasin londonien Harvey Nichols, l’agence Y&R s’inspire de l’œuvre intitulé Head On de l’artiste Cai Guo-‐Giang (Cf. Img 5 et 6). La sculpture du chinois a été réalisée pour son exposition au Deutsche Guggenheim à Berlin. Celle-‐ci est composée d’une meute de 99 loups qui s’écrasent dans un même élan sur un mur en verre. Les installations de Cai sont des interprétations en volume de la peinture traditionnelle chinoise. L’artiste note dans un entretien pour le Musée des Beaux Arts du Canada : « Dans l’art chinois, le parchemin fournit le cadre dans lequel l’histoire se déroule, chacun est libre de choisir la perspective qu’il préfère. »19. Dans son travail, la relation qu’entretient le spectateur avec l’espace et le mouvement est principale. Il compose ses installations comme un agencement d’une forme répétée afin de rendre visible un même mouvement. Le spectateur est donc invité à lire l’histoire (le mouvement) à n’importe quel moment de l’action. Le mur en verre sur lequel la meute s’écrase a été réalisé de la même taille et profondeur que le mur de Berlin. En soi, la pièce représente l’instinct de meute qui conduit parfois l’homme à se jeter sans réfléchir vers une fin tragique. Lorsque Harvey Nichols reprend l’installation pour ses soldes, l’agence gomme la référence au mur de Berlin pour placer à la place un buste masculin vêtu d’une veste. La métaphore de Cai Quo-‐Giang est totalement balayée. L’installation a même été tronquée puisque le mouvement de collision a été enlevé. Dans un aspect plus technique, il apparait que l’image publicitaire soit un photomontage, il n’est pas question ici de photographie de l’œuvre du chinois. Mais malgré ces détails, dans sa généralité, la sculpture est suffisamment reconnaissable pour que nous puissions l’évoquer en tant que détournement. Pour revenir à Schneider, dans le détournement, il faut avant tout que l’œuvre soit reconnue en tant que tel pour que le produit soit valorisé de l’aura.
Afin de cerner les caractéristiques du détournement nous allons analyser ce qui ressort de la citation, du pastiche ou plus strictement du plagiat, car malgré que l’œuvre ait connu une grande médiatisation peut-‐on affirmer que la référence soit assez forte pour être reconnu par tout le monde ?
3/ Le pastiche, la citation et le plagiat
La rhétorique de l’image Dans Rhétorique de l’image, Roland Barthes analyse l’image publicitaire pour les
pates Panzani. Il distingue trois messages différents mais complémentaires : le message linguistique (celui du message écrit tel que le logo ou le slogan), le message iconique codé (celui que l’image transmet dans les signes qu’elle utilise, en d’autre terme ce qu’elle dénote) et le message iconique non codé (celui qui renvoi à la connaissance arbitraire du 18 Danièle Schneider. La pub détourne l'art. éd : du Tricorne, 1201 Genève, 1999. p21 19 Cai Guo-Qiang, déroulement. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, 2006
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receveur, où sa symbolique connotée). La publicité utilise les signes culturels afin d’amener à l’image un signifié et un signifiant. Par exemple, dans son analyse de la publicité pour les pates, Barthes voit dans la réunion du poivron, de la tomate et de la teinte tricolore (rouge, jaune, vert) les signifiants d’un signe dont le signifié serait l’Italie. Le signe culturel fonctionne pour le public français car il est fondé sur un stéréotype touristique. L’image est dotée de différents pans, celui de la dénotation et celui de connotation. Son analyse sémiologique de l’image publicitaire nous apporte donc une lecture d’ordre linguistique de celle-‐ci où il va chercher à rendre compte de la prégnance de l’image sur le discours « Les œuvres des communications de masse conjuguent toutes, à travers des dialectiques diverses et diversement réussies, la fascination d'une nature, qui est celle du récit, de la diégèse, du syntagme, et l'intelligibilité d'une culture, réfugiée dans quelques symboles discontinus, que les hommes « déclinent » à l'abri de leur parole vivante.. »20. Il nous montre de la même manière que dans la lecture du message iconique non codé, l’interprétation de l’individu va varier selon sa connaissance et sa culture. Les enjeux de la publicité dans l’utilisation des signes culturels doit dans son intérêt être compris par la majeure partie de la population.
Le pastiche
Dans une de ses campagnes publicitaires, Levis a utilisé le David de Michel-‐Ange(Cf. Img 03). L’image publicitaire présente la sculpture dans son élément actuel, c'est-‐à-‐dire relatif à un espace d’exposition. La photographie de la sculpture présente les caractéristiques de la carte postale souvenir que l’on peut acheter dans les boutiques aux alentours du Louvre. L’image est d’ailleurs bordée d’un cadre noir ou le logo est apposé. Par un photomontage relativement succinct, un bermuda Lévis habille le David. Sur le plan des significations nous pourrions éluder l’image de telle sorte : le signifiant porté par la sculpture serait la masculinité, et son signifié serait la perfection car en tant que héro biblique, victorieux du géant Goliath, David incarne de manière quasiment universelle l’idéal masculin. Dans un deuxième système de lecture, le signifiant serait la sculpture et la représentation parfaite du corps humain, son signifié serait le génie de l’artiste et l’œuvre d’art suprême. Ces deux systèmes de lectures permettent à Lévis de récupérer toutes les connotations symboliques de la sculpture afin de les transférer sur le jeans qu’il promeut. De telles sortes que dans un troisième système de lecture nous pouvons lire le signifiant relatif à la perfection du David qui porte un jeans Lévis et son signifié qui est que le jeans Lévis est à l’envergure de la perfection. Au niveau du message dénoté nous aurions l’équation telle : le signifiant serait la perfection portant un jeans Lévis, le signifié passerait pas l’identification de la sculpture et vaudrait à que tout le monde devrait être habillé à la perfection. Nous rejoignons alors la théorie de Schneider. Dans l’utilisation de l’œuvre d’art, l’aura va se déporter sur l’objet à promouvoir et ensuite sur le futur acheteur qui va se sentir valorisé en se projetant par rapport à l’œuvre utilisée. Bien évidemment pour que cela puisse se produire, la référence doit être lisible. Dans le cas de cette publicité, le David est très facilement reconnaissable, nous pourrions alors classer cette publicité dans une catégorie relative au pastiche. J-‐P Govrévitch a écrit : « Mais souvent au lieu de s’appuyer sur l’œuvre originale dans son intégrité, le publicitaire a recourt au pastiche soit en incrustant à l’intérieur du tableau d’origine une des figurations du produit dont il fait la promotion, soit en réalisant un ‘à la manière de’ suffisamment distinct pour qu’on apprécie la
20 Roland Barthes, Rhétorique de l'image, in Communication n°4, 1964, p9 http://www.valeriemorignat.net/telechargements/roland_barthes_rhetorique_image.pdf
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performance. »21 Le pastiche a aussi comme vertu d’amener une intention parodique à l’objet copié à un point où confronté à l’œuvre d’art, il apporte au message publicitaire un certain degré iconoclaste. « Quand je vois les prix Darty…les bras m’en tombent ! »(Cf. Img 07). Avec cette publicité, Darty utilise une image de la Vénus de Milo. La publicité pointe ici son message sur les prix du magasin. L’image de la déesse grecque n’est pas corollaire aux activités du magasin, il y aurait peu de ponts envisageables à entreprendre entre un magasin d’équipement électroménager et la statue. En revanche Darty ici convie l’humour : par le slogan, il personnifie la sculpture. Les guillemets du slogan évoquent la Vénus qui nous parle. Le message incite à l’iconoclasme : il récupère une des plus grandes questions de l’histoire de l’art à savoir quelles positions formaient les deux bras de la Vénus. Il résout instantanément la question par « ils sont tombés devant les prix de Darty ». Il absout l’énigme à l’œuvre, et le remplace par un message publicitaire.
La citation
Dans le cas de cette publicité, les limites entre citation et pastiche sont floues, car le cocasse de la publicité est amené par le slogan utilisé. En revanche, la statue n’a pas été modifiée ou manipulée. Le petit Robert donne la définition de citation ainsi : passage cité d’un auteur, d’un personnage célèbre et donné comme tel (généralement pour illustrer ou appuyer ce que l’on avance). Dans la publicité, la citation équivaut à la reprise de l’œuvre d’art dans son entité sans qu’elle ait connu la moindre modification. Donc dans le cas de la pub pour Darty, la Vénus de Milo est l’illustration du slogan. Mais sa position et reconnaissance en tant qu’œuvre d’art rehausse l’attrait de la publicité lorsque le spectateur réalise l’irrévérence humoristique de la situation. Le plagiat
Pour revenir à la publicité d’Harvey Nichols nous pouvons appréhender l’image avec les outils nécessaires instaurés précédemment. L’image montre la meute de loups dessinée par Cai Quo-‐Giang se jetant rageusement sur un veston installé sur un mannequin. Si dans la précédente lecture de l’œuvre d’art nous avions avancé la métaphore de l’homme et du mur de Berlin, il est évident que dans le cas de la publicité, l’allusion est gommée. En revanche nous pouvons lire le signifiant de la meute de loup, signifié la meute enragée des clients au moment des soldes. Un deuxième signe apparait avec comme signifiant la rage du loup et son signifié la guerre. Ce deuxième signe est à mettre en opposition à celui du veston qui de part son installation comme point de chute de la meute signifie la chair fraiche à dévorer le plus rapidement possible. Au final, la publicité accapare plusieurs signes relatifs à l’effet de meute, à l’instinct et aux besoins vitaux dans un contexte de solde de magasin. Le plan de la dénotation met en parallèle l’instinct primaire de survie aux soldes. En revanche le plan de la symbolique offrira au non initié de l’art contemporain une référence typée crocs blancs, quant à l’amateur d’art, il se sentira peut être valorisé par le sentiment de reconnaissance d’un clin d’œil escamoté à l’art ou bien sera écœuré par le gout amer du plagiat que laisse cette publicité.
21 Jean-Paul Gourévitch, Comprendre la publicité, Paris : l'Ecole, 1975, p99
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En ayant élaboré un lexique du détournement nous avons été amené à l’évidence que pour que la récupération soit efficace, c'est-‐à-‐dire qu’elle convoque toutes les significations de l’œuvre d’art et qu’elle préserve son caractère sacré il faut que la référence soit compréhensible. Comme Barthes l’a justement souligné, la publicité relève du message direct et instantané. Dans sa construction il doit pouvoir proposer différents plans de lecture amenant le plus concisément possible au message principal. Or il apparait que lorsqu’il est question d’œuvre contemporaine les métaphores conçues par l’artiste sont balayées et utilisées dans un sens littéral. Le cas de Cai Cuo Giang en est l’exemple le plus évident. Nous avons parlé de plagiat car dans ce cas ci, l’œuvre a été imitée et le veston Harvey Nichols s’est attribué indument l’effet de meute de l’homme en sursis pour imager la ruée qui se prépare à l’ouverture des soldes. Emprunter, copier, imiter, n’est-‐ce pas là la définition textuelle du plagiat ? Car ce qui différencie le pastiche et la citation au plagiat c’est l’absence à la référence.
En conclusion, nous sommes amenés à nous demander si cet oubli envers la référence de l’œuvre d’art n’est-‐il pas juste le reflet du malaise qu’opposent l’art contemporain et le grand public ? B/ La rupture avec la sculpture moderne 1/ La pub boude l’art contemporain Les sculpteurs modernes les plus utilisées
En 1998, Danièle Schneider décortique les différentes variations de reprise de l’art dans la publicité22. Elle analyse quels en sont les intérêts du point de vue commercial et culturel. Cette étude tente de répertorier tous les cas de reprise et de détournement dans la publicité depuis 1900. Schneider construit un palmarès d’œuvre et d’artiste les plus utilisés par la publicité. Par rapport à la sculpture elle souligne la présence de celle-‐ci dans 17% des détournements étudiés. Afin de répondre à notre question à savoir à quel moment la sculpture moderne et contemporaine est utilisée dans la publicité nous avons cherché dans ce tableau les sculpteurs ayant exercés après 1910. Seules les sculptures de Christo et Buren ont été utilisées entre 1900 et 1998 dans la publicité française.23 L’enquête sociologique de Bourdieu et Darbel
Nous pouvons donc nous interroger sur les différents niveaux de connaissances de la sculpture moderne et contemporaine dans la culture générale de la population française ? Entre 1964 et 1965, Bourdieu et Darbel ont conduis une enquête dans différents musées Européens. Celle-‐ci cherchait à évaluer le niveau culturel du public. A la synthèse de cette étude sociologique, il apparait que le public des musées des beaux arts est avant tout représenté par la haute classe de la société. La classe populaire préfère aux expositions de dessins, peintures ou sculptures, la fréquentation des événements culturels relatifs à l’objet. Cette enquête révèle de la même manière le niveau culturel des différentes classes des publics des musées. Bourdieu et Darbel divise la population en trois catégories : le niveau inférieur au baccalauréat, le niveau bac et le niveau supérieur au baccalauréat. Dans une 22 Biblio. 23 Danièle Schneider. La pub détourne l'art. éd : du Tricorne, 1201 Genève, 1999. p262
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classification généralisée, l’étude sociologique nous montre que la part de la haute classe de la société a un niveau supérieur au baccalauréat, et à l’opposé, la classe populaire et ouvrière révèle un niveau inférieur au niveau bac.
Le tableau de la fréquentation de l’apparition des noms des peintres révèle la popularité de ceux ci par rapport aux différentes classes. La synthèse de l’analyse est conclue de telle sorte « Les vingt peintres les plus cités représentent 65% de tous les peintres cités pour les sujets dont le niveau est inférieur au baccalauréat, 56% pour les détenteurs du baccalauréat et 44 % seulement pour les détenteurs d’un diplôme plus élevé. »24. A cela, Schneider rapporte son étude des différents peintres détournés dans la publicité et conclu : « Puisque les 20 artistes les plus employés des publicitaires représentant 47,5 % de toutes les publicités avec détournement, la cible visée semble, une fois de plus être la classe populaire. »25( pour les villes de Laon, Arras, Pau, Rouen et des arts décoratifs). Cette segmentation des différentes connaissances des arts selon l’éducation de la population révèle les enjeux de la publicité à utiliser le plus les artistes les plus populaire et à cibler une fragmentation particulière de la société lorsqu’elle détourne des œuvres modernes ou contemporaines. Le désintérêt pour l’art de la classe inférieur au niveau bac
La méconnaissance ou le désintérêt de la partie inférieur de la population pour l’art moderne est expliqué par Bourdieu par rapport aux différentes ruptures que celui-‐ci opère à chaque décennie. Il ajoute : « si les formes les plus novatrices de l’art se livrent d’abord qu’à quelques virtuoses, c’est qu’elles exigent l’aptitude à rompre avec tous les codes, à commencer évidemment par le code de l’existence quotidienne et que cette aptitude s’acquiert à travers la fréquentation d’œuvres exigeant des codes différents et à travers l’expérience de l’histoire de l’art comme succession de ruptures avec les codes établis, bref l’aptitude à mettre en suspend tous les codes disponibles pour s’en remettre à l’œuvre même, dans ce qu’elle a de plus insolite au premier abord, suppose la maitrise accomplie du code des codes qui règle l’application adéquate des différents codes sociaux objectivement exigés par l’ensemble des œuvres disponibles à un moment donné du temps. »26
En conclusion, l’étude de Bourdieu et Darbel révèle le fossé entre les différents niveaux de connaissances selon les classes de la société. Si l’œuvre d’art détournée par la pub doit pouvoir être vectrice d’un signe, il faut que le public puisse interpréter partiellement sa symbolique ou au moins reconnaitre son signe d’œuvre d’art. La sculpture moderne a opéré une rupture par rapport au classicisme. En plus de cette rupture, elle se renouvelle dans un constant état de rupture par rapport à la sculpture postérieure. Cet état de rupture engendre la perte des non initiés qui se sentent lésés dans ce renouvellement de la connaissance. Cette cassure dans la sculpture et l’art en général peut en définitif expliquer les raisons pour lesquelles la sculpture est très peu utilisée dans la publicité. Puisque plus de la majorité de la population n’est pas initiée à l’art, la référence à l’œuvre risquerait au mieux de passer inaperçue et au pire d’être réinterprétée de manière triviale.
24 Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L'amour de l'art. Les musées d'art européens et leur public deuxième édition revue et augmentée, éd. de Minuit, 1977, p197 25 Danièle Schneider. La pub détourne l'art. éd : du Tricorne, 1201 Genève, 1999. p88 26 Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L'amour de l'art. Les musées d'art européens et leur public deuxième édition revue et augmentée, éd. de Minuit, 1977, p26
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Lorsque la publicité utilise des œuvres d’art non référentielles à un public non averti, elle cible une partie précise de la population. Enfin si la publicité utilise une référence liée a la sculpture contemporaine, de quelle manière est-‐elle signifiée ou signifiant ?
2/ Les colonnes de Buren, un socle à scandale
« La création surprend. La création dérange. Elle se moque des normes et des modes. Elle fait passer avant tout l’expression sans concession d’une personnalité. C’est la raison pour laquelle elle est controversée. Les chaussures Sidonie Larizzi aussi, sont des créations. » (Cf. Img 08). Avec ce message, les chaussures Sidonie Larizzi convoite l’intérêt des femmes pour ses produits. Le magasin de luxe parisien utilise la controverse de l’avant-‐gardisme afin de magnifier les chaussures quitte à répudier « normes et modes » ce qui peut paraitre étonnant pour des accessoires de prêt-‐à-‐porter. Mais le message ci-‐dessus est pour la composition de la publicité sa simple légende. En effet la publicité se présente sous telle forme : En haut de l’annonce est posé le slogan « la création est controversée ». Au dessous de celui-‐ci, une photographie occupe les quatre cinquième de l’image et en bas de page, sur la dernière bordure est inscrit le texte, suivis du logo. L’image publicitaire pour les chaussures Sidonie Larizzi
La photographie a été prise dans la cour du Palais Royale à Paris. Au premier plan de l’image figure une demi-‐jambe d’une femme portant des escarpins noirs. La jambe du modèle est appuyée sur le dessus d’une des colonnes de Buren. Au second plan, nous discernons le reste de l’installation de l’artiste et dans le troisième plan nous reconnaissons les murs extérieurs du Palais Royal. L’image est en noir et blanc. Considérant que la publicité daterait de la fin des années 80 (aucune source sure n’a pu être trouvée), le recours à l’image en noir et blanc dans les magazines est quasiment obligatoire en raison des contraintes financières des moyens d’impressions de l’époque. Néanmoins, dans ce cas précis l’utilisation du noir et blanc vient appuyer le regard sur la répétition du motif linéaire de Buren. A l’évidence, l’image fait référence au scandale qui a accompagné la réalisation de ce projet.
Toute la composition de la publicité porte plus sur le scandale de cette œuvre plutôt que sur l’œuvre en général. Le titre de l’annonce « la création est controversée » nous induit instantanément sur l’idée générale de l’avant-‐gardisme et de la création artistique, car si il y a bien un domaine de création où le scandale a été récurent c’est bien l’histoire de l’art à partir des impressionnistes. Dans cette photographie, la colonne de Buren devient le socle de la chaussure. Le directeur artistique de la campagne aurait pu choisir de photographier uniquement la chaussure présentée sur une des colonnes, mais à la place il décide d’avoir recours à un modèle. Celle-‐ci appuie son pied fermement sur la colonne. La position évoque la domination de la chaussure portée par la femme sur les colonnes de telle sorte qu’il se crée un rapport de supériorité entre les deux. Les chaussures se sont détachées de la norme et de la mode, elles sont la création pure, elles sont au delà de la controverse, elle domine le scandale.
L’histoire des colonnes de Buren
C’est en juin 1985 que le ministre chargé de la culture, Jack Lang, commande à Buren une intervention dans la cours d’honneur du Palais Royale qui se trouvait être à l’époque un parking. En Aout débute les travaux et déjà la critique fait fureur. La documentation de la
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Délégation aux arts plastiques dénombre en tout 225 articles sur 45 organes de Presse différents contre le projet du plasticien. Face à cette colère de la part de la presse, le projet est convoqué devant la commission supérieure des monuments historiques où 15 voix sur les 27 sont votées contre l’aboutissement du projet. Après une action en justice au tribunal administratif de Paris début 86, le maire RPR Jacques Chirac prend le 29 janvier un arrêté interdisant la poursuite des travaux. Il se fonde sur l’absence de consensus et de véritable concertation face à cette rupture de la longue continuité architecturale d’harmonie et de justes proportions et cette coloration sans référence avec la palette environnante du lieu. Finalement le 5 mai 1986, le nouveau ministre de la culture, Léotard donne l’autorisation pour l’achèvement des travaux en évoquant la raison « du droit moral de l’artiste qui doit demeurer un principe essentiel dans l’application des décisions administratives ». Néanmoins, les colonnes ne sont pas plus appréciées par la majorité des habitants de la ville. Brigitte Fiang va même écrire dans le figaro du 11 juin 1986 : « de toute façon, quoi qu’il advienne de son temple grec en costume de zèbre, que Mr Buren se console. Son nom, jusqu’ici connu des seuls privilégiés, est maintenant célèbre. Gageons que bientôt, comme celui du préfet Poubelle, il deviendra commun, et cette fois, non point pour désigner le contenant, mais un déchet monumental. Une manière de gloire immortelle, en somme ! » Elle invitera par ailleurs les riverains à s’armer de bombes de peintures afin de vandaliser les colonnes.27
Le rejet de l’art contemporain
Dans son essai intitulé L’art contemporain exposé aux rejets, Nathalie Heinich analyse le scandale de ces colonnes. Sa conclusion par rapport au rejet de celle-‐ci vient du fait que l’installation « est constituée de formes simples et de couleurs minimales ne manifestant ni inventivité ni expression personnelle de la part de l’artiste ; ce minimalisme expressif, dés lors qu’il est rapporté aux autres œuvres du même artiste ne peut qu’être perçu comme fumisterie par ceux qui identifient l’œuvre à l’objet créé et non, comme le demande l’art conceptuel, à l’acte ou à la démarche créatrice de l’artiste ou encore, comme le propose le travail de Buren, à l’espace recréé par ce qui n’est pour lui qu’un « outil visuel ». »28
Nous avons là l’objet du scandale. Il est issu de la méconnaissance du public non averti de l’art contemporain. La question de l’esthétique pour le non initié est prépondérante dans sa relation à l’œuvre ou sinon il jugera l’œuvre sur des qualités d’ordre subjective liées à sa propre intuition. Nous rejoignions ici le propos de Bourdieu quant à la lecture de l’œuvre d’art contemporaine dans un réseau de code spécifique établi à chaque rupture entre les différents mouvements. Nathalie Heinich pointe de manière formel les différents niveaux de lecture pour l’amateur d’art et le novice : « A ces désaccords fondamentaux sur les valeurs et enjeux s'ajoutent les malentendus quant à ce qui est vu : malentendus nés du décalage entre le référent mobilisé par les non spécialistes et par les spécialistes d'art contemporain. Pour les non initiés, le référent spontanément sollicité pour percevoir un objet n'ayant pas les caractéristiques canoniques d'une œuvre d'art tend à être le monde vécu, auquel s'appliquent les valeurs du monde ordinaire ; pour les initiés par contre, le seul référent vraiment pertinent est l'histoire de l'art -‐ et une histoire de l'art très spécialisée, qui excède largement la culture scolaire. »29. Ainsi comme Bourdieu l’a démontré
27 Nathalie Heinich, L'art contemporain exposé aux rejets. Etudes de cas, éd. Jacqueline Chambon, Nîmes, 1998, p39-‐50 28 Ibid. p52 29 Ibid. p210
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dans son étude, pour satisfaire au mieux la lecture d’une œuvre d’art il faut avant tout soustraire à son interprétation celle du quotidien : « Percevoir l’œuvre d’art de manière proprement esthétique, c'est-‐à-‐dire en tant que signifiant qui ne signifie rien d’autre que lui-‐même , cela consiste non pas, comme on le dit parfois, à la considérer « sans la relier à rien d’autre qu’elle-‐même, ni émotionnellement, ni intellectuellement » bref à s’abandonner à l’œuvre appréhendée dans sa singularité irréductible, mais à en repérer les traits stylistiques distinctifs en la mettant en relation avec l’ensemble des œuvres constituant la classe dont elle fait partie et avec ces œuvres uniquement. Situer une représentation dans ses indications stylistiques et non dans la représentation constituant l’univers des objets quotidiens, univers comme un simple monument, c'est-‐à-‐dire comme un simple moyen de communication chargé de transmettre une signification transcendante. »30
Les deux propos de ces deux théoriciens explicitent de manière implicite que pour qu’une œuvre d’art contemporaine soit compréhensible, il faut pouvoir avoir suffisamment de bagages théoriques pour la discerner dans sa totalité. Finalement pour revenir à la publicité de Sidonie Larizzi, l’image publicitaire, en s’accaparant les colonnes, détourne l’historicité de l’œuvre et sa dimension scandaleuse plus qu’elle ne se réfère aux intentions artistiques de l’artiste. Et malgré que la publicité risque une controverse par l’utilisation de la colonne (pour le public choqué par l’installation dans la cour royale), le fait que le scandale ait fait la une de la presse française dans la fin des années 80, renforcera à tout point de vue l’image des chaussures. Car il a beau être décrié quand il pointe son nez, l’avant-‐gardisme est toujours positif pour la population car il est le signe de la modernité. Au final, les colonnes ne sont que le socle du scandale sur lequel se dresse la chaussure qui, à bien y regarder n’est pas si audacieuse. Le dernier point important par rapport à cette publicité est qu’elle vante un produit de luxe, nous pouvons donc imaginer que le public réceptif à l’offre appartiendra à la haute classe de la société.
En conclusion, nous pouvons amener l’hypothèse que la sculpture contemporaine est utilisée dans la publicité, non pas pour ses qualités plastiques mais pour ses connotations politiques. Certaines publicités vont jusqu'à utiliser cette incompréhension générale pour l’art contemporain en leur faveur.
3/ L’art contemporain médiatisé par la figure du sceptique
Nous pourrions envisager que la publicité dans sa capacité de grande diffusion puisse encourager la propagation de l’art contemporain sur la cible que compose les profanateurs. Le graphiste n’est pas considéré comme un artiste, néanmoins la plupart du temps il a suivi le même cursus que celui qui peut vivre financièrement de son art. Il est très bien informé de la scène contemporaine actuelle et de l’histoire de l’art en général. Mais la publicité étant placée sous la bannière du commerce, elle doit avant tout présenter un message ici et maintenant. Elle doit être accessible pour tout le monde et utilise les clichés de la société pour mettre en avant son produit. Il s’avère que dans la communication télévisuelle, l’art contemporain et moderne est très peu convoité. Lorsque celui-‐ci est évoqué, il est souvent représenté par l’incompréhension.
30 Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L'amour de l'art. Les musées d'art européens et leur public deuxième édition revue et augmentée, éd. de Minuit, 1977, p73
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Nous avons recensé un corpus de différentes publicités utilisant la connotation à l’art contemporain sans dénotation par rapport à une œuvre de l’histoire de l’art précise. La pub SNCF
Prenons l’exemple de la publicité pour la SNCF31 (Cf. Img09). Celle-‐ci a été diffusée sur nos écrans en Avril 2000 et vante le tarif « découverte » de la SNCF. Le film commence par le déplacement d'une masse verte qui obstruait la vue, lorsqu’apparaît alors un visiteur devant une œuvre composée par des néons et des miroirs. Dans les miroirs se reflètent d'autres œuvres, notamment une projection vidéo. Par rapport au décor, les murs sont blancs et nous distinguons dans le fond une chaise de gardien. La scène est accompagnée de bruits suggérant le mouvement. L’utilisation des néons et miroirs, le contexte du white cube et la place du gardien, ancre le spot dans une exposition d’art contemporain. Une fois le décor construit et reconnaissable, les différents plans vont se faire sur les visages des visiteurs de l’exposition, chacun mimant une réaction, de l'incompréhension à l'amusement. Un jeune homme se gratte la tête, un autre manipule un interrupteur devant une œuvre, cherchant à en saisir l'effet. Une femme hausse les sourcils, un homme plus âgé mime l'incompréhension puis l'effort intellectuel tandis que sa compagne semble sceptique. Une femme d'une cinquantaine d'années se mordille le doigt ; et enfin un homme d'une trentaine d'années au crâne rasé regarde de gauche à droite cherchant à saisir un mouvement d’une des pièces. Seule une jeune femme d'origine asiatique écoute et rie... L'ambiance sonore est faite de bruits mécaniques. Enfin le spot est conclu par la voix d’un homme annonçant : « Pour que l’art moderne grandisse ». Un fond sonore d'applaudissements vient clore la scène, laissant place à un panneau blanc indiquant : « -‐ 25 % * pour tous * soumis à condition », puis plus bas « SNCF, à nous de vous faire préférer le train ». La voix enjouée d'un homme annonce « Vivez de découverte en découverte. Découverte de la SNCF, c'est moins vingt-‐cinq pour cent, pour tous ». Sur les onze personnages, seule la femme asiatique sourit. Néanmoins, la grande majorité des acteurs jouent l'incompréhension. Aucun plan n’est concrètement fait sur les œuvres exposées mais uniquement sur les visages. Finalement, seulement le contexte de l’exposition d’art contemporain.
La pub Visual Une autre publicité plus récente, diffusée en 2005 pour l’opticien Visual32 (Cf. Img 10), reprend le même procédé et quasiment la même construction. Dans une salle aux murs blancs, un bloc jaune monumental est installé de biais sur un socle blanc. Des coulées de peinture bleue recouvrent sa moitié supérieure. Comme dans la publicité SNCF le spot est avant tout construit autour des réactions des visiteurs à la vue de la sculpture qui comme pour la publicité SNCF présente surtout des réactions sceptiques. La manière dont les visiteurs regardent et scrutent chaque détail de la pièce montre la difficulté d’un public non averti à appréhender une œuvre d’art et pour signifier, au final, l’art contemporain comme un monde du n’importe quoi et qui ne provoque peu de réelles satisfactions artistiques. Les réactions sont entrecoupées de trois écrans noirs où s'inscrivent successivement « œuvre d'art ? », « imposture ? » et enfin, « parce que personne n'a le même regard, nous faisons les verres comme personne ». Ce qui accentue le sentiment anti art, ou du moins d’un art qui est toujours perçu comme incompréhensible. 31 INA 32 www.culturepub.fr
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L’image de l’art contemporain
Les agences de publicité utilisent la référence à l’exposition d’art contemporain car elle est perçue par la majorité de la population encore comme un signe culturel fort. Mais comme nous l’avons vu dans les deux exemples, la valorisation du produit à vendre n’est pas dépendant d’une œuvre d’art, il n’y a pas de transfert de l’aura sur l’objet promu. En revanche, l’image de la marque est valorisée par un parallèle culturel par rapport au cadre de l’exposition et en plus, elle entrera en connivence avec le spectateur quand celui-‐ci se reconnaitra dans la figure du sceptique. L'usage de l'exposition et sa représentation institutionnelle (murs blancs, architecture singulière, espace chic, vide et épuré...). On reconnaît évidemment le célèbre white cube devenu, après le Bauhaus, le cadre récurrent de toute exposition d'art moderne puis d'art contemporain dans la deuxième moitié du xx siècle. Il n'est pas anodin. Il renvoie, sans ambiguïté, à un contexte culturel haut de gamme même s'il demeure étranger aux pratiques culturelles de la majorité des téléspectateurs. L'art contemporain est avant tout montré par l’image qu’il reflète dans la société. Il est surtout évoqué comme étant incompréhensible et élitiste. Néanmoins la publicité l’utilise afin de valoriser l’image de sa marque car il reste significatif de haute gamme culturelle.
C/ Signifier l’art pour vendre
1/ Signifier l’art contemporain sans le figurer
L’utilisation d’une œuvre d’art dans la publicité, nous l’avons vu, à la vertu de valoriser le produit promu par le transfert de la valeur sacrée de l’art. A la différence de Levis qui avait habillé le David de Michel Ange présenté dans son contexte d’exposition, certains publicitaires vont maintenant jusqu'à montrer l’objet à promouvoir en tant qu’objet d’art. le Ready-‐made a permis cette transgression puisque d’un avis général, depuis qu’un urinoir a basculé d’objet du quotidien à objet sacré en étant exposé, n’importe quoi peut être d’art. La référence à une œuvre existante s’annihile et le cadre du musée créer la déportation de la valeur sacrée Nous allons analyser deux spots télévisuels effectuant cette transgression.
Tetra pak, 2000
Le premier spot a été réalisé en 2000 par l’agence Ciné Com pour la firme Tetra Pak33 (Cf. Img 11). Cette entreprise est connue pour l’emballage de denrées alimentaires. Le spot cible le grand public. Bien que Tetra Pak s’adresse avant tout aux professionnels, la publicité cherche à sensibiliser le grand public sur les qualités d’empaquetage Tetra Pak. Le logo de celui-‐ci sur un emballage X certifie la qualité Tetra Pak. Le spot se déroule dans le cadre d’une exposition. Les signes indicateurs sont le cadre blanc des murs et du sol, des pièces présentées sur des socles ou protégées par une barrière inscrivant le parcours dans l’espace, le groupe de visiteurs équipés d’audio guides. Les spectateurs se déplacent selon un même mouvement en suivant la visite guidée, alors qu’un plan se fait sur une femme détachée du groupe. Elle déambule seule, elle porte également
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un audio-‐guide et sirote un liquide contenu dans une brique Tetra Pak. L’ambiance sonore est construite par le son de la visite guidée et l’ingurgitation du liquide par la femme. Les pièces d’art exposées sont relatives à l’art Africain, nous pouvons l’entrevoir dans quelques plans et cela est souligné par la piste audio du guide. La femme termine sa boisson et pose le contenant sur un cube vitrifié qui protége une pièce non identifiable. L’audio guide présente alors un objet anthropologique utilisé pour la contenance de liquide. L’image qui suit présente en premier plan l’objet en question alors que nous pouvons voir au second plan le groupe de touriste se diriger directement sur la brique Tetra Pak et s’extasier à la vue de celle-‐ci. Nous pouvons construire plusieurs plans de lecture de ce spot : Le premier message connoté :
La brique est vue comme une œuvre d’art, sauf qu’à la différence des outils africains elle suscite un réel intérêt de la part des touristes (visages extasiés). L’œuvre d’art se définie par l’admiration que on lui porte. Elle connote aussi un déni de l’art puisque le déchet est susceptible d’être perçu comme une œuvre d’art. Le deuxième message dénoté :
L’exposition est d’ordre anthropologique, elle présente des outils et sculptures d’aspect cérémonial africain. En faisant glisser la Tetra Pak sur ce thème d’exposition, elle le place dans un même rapport d’anthropologie, c'est-‐à-‐dire qu’en tant que contenant de denrées alimentaires, son affiliation à l’anthropologie dénote le caractère séculaire de la brique ancré dans un savoir faire connu. Elle évoque que la brique est conçue de telle manière qu’elle peut survivre (contenir des produits) pour une période exhaustive dans le temps. Elle ré-‐enforce le caractère écologique en la rapprochant des outils traditionnels et naturels de l’art africain.
Au final ce spot utilise le contexte d’une exposition pour valoriser son produit d’un point de vue formel et esthétique ainsi que sur le pan de ses qualités intrinsèques. Mais le message suggère aussi que n’importe quoi peut devenir art une fois exposé. Il serait difficile de faire la différence entre le rebus de notre société et son art ?
Fisherman’s friend, 1998
Le deuxième spot date de 1998 (Cf. Img 12). Réalisé par l’agence Brunstatt il promeut les bonbons Fisherman’s friend34. Le premier plan présente un packaging agrandi suspendu à une potence. L’objet est présenté dans un espace d’exposition. Nous reconnaissons le cadre par les murs blancs, les tableaux accrochés au mur et les visiteurs les regardant, ainsi qu’un gardien plutôt vieux jeu. Un jeune homme entre et se dirige directement sur la sculpture. Il pénètre sa tête dans la fente qui suggère l’ouverture de l’emballage. Dés lors apparait à l’écran un vidéo-‐montage montrant successivement une glisse de sport extrême où le spectateur prend la place du skieur, un panneau noir et enfin un long zoom jusqu'à la vue d’un visage colérique d’un pêcheur qui frappe la caméra. Le jeune homme est éjecté de la sculpture. Le gardien lui tape sur l’épaule et lui propose une pastille fisherman’s friend en tendant la main avec le packaging à l’échelle 1/1 dedans. Le premier message connoté :
Le vidéo montage suggère l’exaltation gustative procurée par le bonbon. Il sera répété lorsque le gardien proposera un bonbon et que nous verrons le jeune homme le porté à sa bouche. Le deuxième message dénoté :
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L’agrandissement du packaging placé dans une exposition d’art le signifie en tant qu’œuvre d’art, c'est-‐à-‐dire un élément sacré qui est capable de procurer sur son public un flot d’émotions fortes, impossible à communiquer par les mots. Le vidéo montage dénote la sensation qu’il ressent quand il engouffre sa tête dans l’œuvre. Il suggère la qualité transcendantale de l’art. Proust a narré les pouvoirs de l’œuvre d’art par la mort de Bergotte devant la Vue de Dreft de Vermeer dans son roman La Prisonnière. A la vue de ce « pan de mur jaune » il a réalisé son incapacité à retranscrire par le mot l’amoncellement des sentiments qu’il ressentait et mourut. La séquence vidéo évoque ici le caractère magique de l’œuvre, le pouvoir qu’elle a sur le spectateur. Or cette magie est déportée sur les effets gustatifs du bonbon, et cela dans le deuxième temps du spot, lorsque le jeune homme porte à sa bouche le bonbon offert par le gardien. ,
Les deux spots présentent les packagings des produits à vendre dans le cadre de l’exposition. Dans les deux cas ce transfert permet d’augmenter les valeurs de l’objet dans un premier temps parce qu’ils sont regardés par les acteurs comme des œuvres d’art et en deuxième, la narration des différents scénarios transpose les vertus de l’art sur les objets à vendre (exaltation, état de transe). Les spots font référence a la boite Brillo d’Andy Warhol et au Ready made de Marcel Duchamp. Dans un même temps ils dénigrent l’art en ayant un message de fond appuyant que tout peut être d’art. Et à la différence des spots pour la SNCF et Visual, les acteurs ont un visage exalté à la vue des packagings. La figure du sceptique a fait place à celle du convaincu.
Au final les deux publicités utilisent le contexte de l’exposition pour valoriser leurs
produits. Lorsque Danièle Schneider a écrit que l’association de l’œuvre d’art au produit avait la capacité de transposer l’aura de l’art sur l’objet promu, il s’avère que lorsqu’il est question de suggérer l’art contemporain, il est plus rentable de présenter le produit dans un contexte d’exposition que d’utiliser une œuvre existante. 2/ La Citroën devient Picasso
« Qui n’a pas vu la publicité ? » s’exclamait Jean Claire, alors directeur du musée Picasso dans les tribunes du journal libération du 28 décembre 1999. En effet le conservateur s’est indigné du spot télévisuel réalisé par Citroën pour vendre la Xsara. Et plus encore, il s’indigne de la nomination de celle-‐ci : la Xsara Picasso.
Le spot
Le spot se déroule dans une recomposition du musée Picasso, murs blancs, tableaux accrochés aux murs et gardien réact (Cf. Img 13). Face au tableau (Figures au bord de la mer, 1931) le visiteur est happé par l’envie incontrôlable de toucher un de seins de la femme représentée, et au moment où celui affleure le tableau de sa main, le gardien siffle et signifie par un mouvement du doigt qu’il est interdit de toucher le tableau. En revanche Citroën nous convie dans un de ses espaces de vente afin de pouvoir essayer le nouveau véhicule, la Xsara Picasso. Le message publicitaire admet différents pans de lecture Le message connoté :
L’institution de l’art est répressive. La pulsion qui conduit l’homme à entrer en contact avec l’œuvre (embrasser, toucher le tableau comme une idole) est réprimée par le
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gardien. Nait alors un sentiment de frustration par rapport au désir de contact avec le tableau. La société doit être interactive. La même pulsion conduit l’homme à acheter un véhicule Citroën où il pourra assouvir sans répression ses fantasmes. Le message dénoté :
La consommation vient d’un désir d’assouvir un besoin. Afin de mettre en exergue ce désir, le publicitaire prend le parti de le mettre en parallèle à l’attrait sacré des œuvres d’art. Au final le spot utilise la tactique publiciste de base qui consiste à récupérer une œuvre d’art pour valoriser le produit à promouvoir. Mais ce qui dérange le plus l’ancien directeur du musée Picasso, c’est l’apposition du nom Picasso à ce qui se révèle être un objet industriel dont la production se fait en série. La voiture s’appelle Picasso
C’est en 1998 que s’établi le contrat entre Citroën et le fils de Maya Picasso, alors directeur de Picasso Administration. La firme gérée par Claude Ruiz Picasso se consacre avant tout à la vente de licences commerciales. Selon l’entreprise, Picasso est une marque de luxe dont il faut protéger la notoriété. Dans un rapport daté de 1998 Olivier Widmaier Picasso dénombre jusqu'à plus de 700 marques illégales « Picasso » 35. Les raisons qui ont poussé les héritiers du maitre à autoriser l’utilisation de la signature de l’artiste restent inconnues. Mais la tactique a été bénéfique pour Citroën puisque l’entreprise affirme avoir fait une économie de 30% sur leur plan média international.
En récupérant le nom du fameux peintre, Citroën associe directement son produit à la modernité. C’est aussi le reflet nouveau de l’attrait que porte notre société à l’égard de la signature. Jean Claire dénonce ce fait, selon lui la signature « est l’invention du sujet moderne en art. (…) le paraphe seul d’un artiste vaut de l’or, lors même que l’œuvre n’existe pas encore. Le fétichisme de la signature, isolée de l’œuvre, devient alors le pivot autour duquel s’organise le marchandage. »36
L’association de l’objet industriel et de la signature d’un grand maitre s’est encore poussé iconoclasme un peu plus loin. Mais la question se posera de manière encore plus forte dans 150 ans ou une Picasso sera plus rare qu’un Picasso…
Signifier l’art ou utiliser le nom de l’artiste, le cadre du musée sont des plans marketing efficaces pour l’agence publicitaire. L’emprunt à un élément relatif à l’art valorise le produit. Pour une voiture, la référence au maître fera écho au génie et à la modernité. Quel nom pourrait être aussi efficace et être traductible par un seul substantif internationalement ? En conclusion, la publicité actuelle s’empare de codes liés à l’art, elle ne détourne pas les œuvres mais les créés. Elle n’a plus besoin d’art mais se fait art en le suggérant. Pourtant au cours de ces dernières années, plusieurs procès ont vu le jour, opposant artistes et publicitaires. Si l’art contemporain a orienté son discours sur le concept plus que sur la forme, comment peut-‐il se protéger de la reprise ?
3/ Le droit des artistes
35 Picasso, Portrait de famille, Ramsay, 2000 36 Jean Claire, Rebonds, Libération du 28/12/99, p. 9
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Du point de vue de la loi La pensée est un bien difficile à protéger et beaucoup d’artistes du XXème siècle en
ont fait les frais. « La loi du 11 Mars 1975 (…) ne protège que des créations d’objets déterminés, individualisés et parfaitement identifiables, et non pas un genre (découlant) d’une idée comme, en l’espèce, celle d’envelopper des objets qui n’ont point besoin de tels soins. » fut la phrase concluant le procès qu’avaient entamé Christo et Jeanne-‐Claude à propos de la contre façon du pont neuf empaqueté. Selon Nadia Walravens-‐Mardarescu (membre du Centre d'études et de recherche en droit de l'immatériel). « Le droit d'auteur adopte une approche «subjective» de la création, marquée par l'inspiration de la philosophie libérale et individualiste du XIXe siècle, basée sur l'idée d'œuvre des beaux-‐arts classiques. Aussi, l'œuvre est la «création» d'une personne physique, l'auteur, dont elle «reflète» la personnalité. Pour les pièces classiques, qui s'inscrivent dans la représentation – portrait, paysage... –, l'approche subjective de l'originalité ne pose pas de problème. En revanche, certaines œuvres d'art contemporain rendent l'analyse de l'originalité – c'est à dire l'empreinte de la personnalité» de l'artiste – délicate pour les juges. »37 De ce fait, l’empaquetage d’un pont ne peut être protégé, pas plus que la manière de peindre à la façon de. L’art contemporain admet l’idée comme piliers de sa réalisation. Il est donc difficile de pouvoir protéger l’idée de l’artiste lorsque les moyens ou le sujet diffèrent, même si la similitude parait évidente.
Philippe Ramette
En 2008 pour sa campagne publicitaire vantant l’énergie solaire GDF Suez a présenté la photographie d’un homme en lévitation sur un arbre. La position décontractée de l’homme joue sur les effets visuels de l’image, car si on tourne la photographie dans le format paysage, l’homme semble être allongé sur l’arbre. Son pied touche la ligne d’horizon et la dextérité de la composition finale laisse planer un sentiment de légèreté, une simple brise, un soleil radiant, tout pour vendre les qualités de l’énergie écologique. Or il s’avère que cette publicité fait référence au travail de l’artiste suisse Philippe Ramette dont l’œuvre consiste à défier les lois de la pesanteur depuis plus de dix ans (Cf. Img 14). En effet par un procédé complexe de prothèse et de trucage physique, l’artiste s’est offert le luxe de se mettre en scène marchant le long d’un arbre, lisant son journal dans les profondeurs sous-‐marines ou admirant la vue sur la skyline de Tokyo depuis son balcon à la parallèle de la ligne d’horizon flottant sur l’eau. Evidemment, il découle de ses photos qu’il dit réaliser sans trucage un brin de surréalisme. Il est vêtu d’ailleurs d’un costume noir, chaussures cirées et cravate, rappelant plus ou moins le personnage récurrent de l’œuvre de Magritte. Que la publicité ait utilisée une image similaire à celles produites par Ramette, est ce vraiment de l’ordre du plagiat ? Puisqu’il n’est pas inenvisageable de créer un pont entre Ramette et Magritte et que ce dernier est le plus plagié dans la publicité, finalement, nous pourrions admettre que la publicité soit arrivée sur le terrain de Ramette, avec un décalage certes, mais utilisant un chemin qui était presque déjà tracé. Or il s’avère que l’agence Australia, à l’origine de la campagne ait contacté la galerie de l’artiste, Xippas, afin d’en savoir plus sur son travail. Faute d’accord, l’agence a décidé de procéder au trucage par un logiciel informatique plutôt que de se lancer dans la création d’une prothèse. Philippe Ramette et la
37 http://www.lecourrier.ch/index.php?name=NewsPaper&file=article&sid=443038
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galerie Xippas ont assigné en référé les auteurs de ces images mais le jugement leur a été défavorable.38 Un autre cas de plagiat dans la publicité nous montre les difficultés que peuvent encourir les artistes pour la protection de leurs idées. Fischli and Weiss
En 2003, le constructeur automobile Honda présente son nouveau spot publicitaire pour vanter sa dernière création (Cf. Img 15). Intitulé the Cog39, il est basé sur l’effet domino où à partir du mouvement d’une pièce d’automobile, plusieurs actions vont être déclenchées. Le mécanisme final aboutit à la réalisation de l’automobile dans sa forme générale. L’idée est bien trouvée, elle rappelle le travail à la chaine propre à l’industrialisation de l’automobile. Sa réalisation en trois dimensions est digne d’un studio d’animation hollywoodien. Mais le hic est sa proximité dans l’idée avec une œuvre réalisée en 1987 par le duo suédois Fischli and Weiss (Cf. Img 16). La vidéo Der Laufe Der Dinge40 de 30mn montre un enchaînement d’événements physiques, mécaniques, chimiques, une suite d’équilibres rompus et de dégagements d’énergie relançant sans cesse les choses. Sacs en plastique, bouteilles, chariots, plans inclinés, ressorts, pneus, liquides inflammables, acides, etc., toutes sortes d’objets et de matériaux communs, comme trouvés sur des décharges, se mettent tour à tour en action, parfois lentement, souvent violemment, avec des mouvements et des bruits comiques, dans une sorte de chute de dominos. Diverses analyses, diverses visions peuvent s’attacher à cette œuvre qui garde une grande actualité et constitue, près de vingt ans après sa présentation à la Documenta de Kassel, une référence pour les jeunes artistes de diverses disciplines. Sa diffusion en DVD en est une raison. Mais il y a aussi un attrait du bricolage, du commentaire critique sur la technologie, et aussi une reconnaissance de la métaphore à la fois ironique et tragique de l’enchaînement inéluctable des événements. Si les deux artistes suisses n’ont pas porté plainte contre la marque automobile, ils regrettent l’amalgame qui peut être fait entre leur travail et cette publicité, confiant au Herald Tribune avoir reçu de nombreux messages dans ce sens. Faut-‐il en conclure que l’art est aujourd’hui insuffisamment protégé face à ce genre de récupération ? Pour l’avocat Suédois Sébastien Fanti, l’enjeu tient dans la capacité à prouver le caractère original d’une œuvre. « Il s’agit de démontrer qu’il y a une idée, une création originale née de l’esprit. Entre l’œuvre de F et W et le spot Honda, l’idée est certes la même, mais la réalisation diffère, car elle est axée sur des pièces d’automobiles. »41Difficile donc d’obtenir gain de cause devant un tribunal.
Au final, en stagnant sur ses positions, la loi offre une carte blanche à la publicité pour piller les idées issues de l’art contemporain. Et comme le synonyme de publicité est grande diffusion, le problème qu’engendre ce genre de plagiat équivaut à attribuer le concept à la pub plutôt qu’à l’art pour le public non initié aux œuvres contemporaines.
38 http://deliredelart.20minutes-blogs.fr/archives/2008/04/06/quand-les-artistes-sont-pilles-par-les-publicitaires.html 39 Dailymotion 40 Der laufe der Dinge, DVD 41 www.hebdo.ch/quand_la_pub_pille_les_artistes_suisses_38459_.html
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Au cours de cette première partie, nous avons analysé de manière littérale la reprise de la sculpture contemporaine et moderne dans la publicité. Nous avons ainsi pointé le déplacement qu’opère l’aura de l’œuvre (dans le sens de sa valorisation institutionnelle) sur l’objet à promouvoir. Ce déplacement n’est effectif uniquement que quand elle est reconnaissable en tant qu’œuvre d’art. Mais ce point fait souvent défaut car le bagage culturel nécessaire à la lisibilité de l’œuvre moderne a pour contre partie le désintérêt des masses. En donnant une définition succincte de la sculpture contemporaine nous pourrions l’envisager comme un espace spatio-‐temporel. Au début du XXe siècle, des artistes comme Brancusi, Maillol, Matisse, portent la sculpture classique à l'apogée de ces expériences. D'autres tentatives issues du cubisme de Dada et du constructivisme amène la sculpture vers de nouvelles expressions moins expérimentales et plus abouties. Au cours des années 1960, une conception nouvelle et beaucoup plus large est développée. Celle-‐ci bouleverse totalement la notion restrictive de la sculpture comprise comme un objet que l'on situe et perçoit dans l'espace tridimensionnel, pour atteindre celle plus vaste d'« espace » comme lieu polyvalent. Cette conception tendra de plus en plus à utiliser et à développer toutes les données possibles du concept d'espace envisagé comme lieu mental et physique. La sculpture acquiert ainsi une dimension spatio-‐temporelle globalisante, quasi « totalitaire », puisqu'elle cherche à intégrer tous les moyens d'expression, et de laquelle rien de l'action et de la pensée de l'artiste et même du spectateur ne serait exclu. Installations (Fischli et Weiss), performances, concepts espaces, attitudes (Philippe Ramette) sont devenus des branches de la sculpture. De plus la sculpture a admis dans son vocabulaire de forme l’objet. Il a ainsi fallu envisager un objet banal, manufacturé, multiple comme constitutif d’une œuvre d’art intrinsèquement unique et mystérieuse. L’authenticité de l’œuvre d’art du point de vue du profane a donc été fortement ébranlée. Selon Nathalie Heinich : « la notion d'authenticité relève à la fois de l'esthétique, en tant qu'elle est appliquée à l'art, et à la défense de l'intégrité pour ainsi dire ontologique d'un objet valorisé : ainsi en va t'il de nombreuses critiques insistant sur la nécessité d'une discrimination qui éviterait de mélanger ce qui ne va pas ensemble, de confondre le n'importe quoi avec la création véritable. »42. Pour les profanes, l’art contemporain est perçu comme une fumisterie, et l’artiste a perdu en authenticité quand l’objet manufacturé est entré dans sa production invalidant le poids de sa main créatrice. Pourtant l’objet est devenu un élément majeur dans la sculpture contemporaine. Nous pouvons donc chercher les raisons de son irruption dans le domaine des beaux arts. A quelle condition l’objet industriel peut-‐il devenir œuvre d’art ? Lorsque certains publicitaires placent dans leurs spots TV les produits qu’ils promeuvent dans un cadre d’exposition afin de les valoriser, ne signifient-‐ils pas que pour qu’il y ait œuvre d’art, il faut surtout qu’il y ait des musées ? Quel est le caractère sacré de l’œuvre d’art comportant l’objet et quel rôle joue l’institution?
42 Nathalie Heinich, L'art contemporain exposé aux rejets. Etudes de cas, éd. Jacqueline Chambon, Nîmes, 1998, p. 202
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II/ Le culte des objets
A/ La société industrielle 1/ La fétichisation de l’objet La société du gadget
Dans son analyse de la société de consommation, Baudrillard examine la nouvelle place qu’occupe l’objet dans nos rapports. La mécanisation et l’industrialisation ont entrainé un accroissement notable de ceux-‐ci, à l’origine de nouveaux besoins. Baudrillard qualifie ces objets comme étant des gadgets car leurs fonctions ne relèvent pas d’un besoins vital vis-‐à-‐vis de l’homme mais alimentent la société du capital. Et dans cette société gadgetisée, le ludique gouverne les relations entre les hommes. Il note « C’est le ludique qui régit de plus en plus nos rapports aux objets, aux personnes, à la culture, au loisir, au travail parfois, à la politique aussi bien. C’est le ludique qui devient la tonalité dominante de notre habitus quotidien, dans la mesure précisément ou tout les objets, biens, relations, service y devient gadget. »43. L’objet n’est plus dépendant de sa fonction intrinsèque mais doit provoquer un désir de consommation et de possession vis-‐à-‐vis du consommateur. Baudrillard empreinte à Marx la notion de la fétichisation de la marchandise. L’objet représente la récompense du travail car il devient un niveleur de la réussite sociale. L’objet-‐fétiche admet cependant un paradoxe car en tant que fétiche, il est insaisissable. Mais dans son inaccessibilité, il satisfait le besoin humain, celui de l’illusion. Une fois acheté, il perd ses qualités fétiches, il n’est plus fantasmé et est remplacé par un nouveau désir. C’est ce que Baudrillard nomme « l’attrait de la nouveauté ».
La publicité, messagère du gadget
Afin d’orchestrer cette société du consommable et du gadget, le message publicitaire devient le principal médium informatif de la société de consommation. La publicité doit engendrer un plaisir visuel et un désir d’achat. Elle doit aussi convoiter les acheteurs en promouvant l’objet en le plaçant devant les concurrents. Elle identifie l’objet et provoque le désir. Car finalement sans son autorité, l’objet serait noyé dans la profusion du bibelot. Baudrillard défini la publicité comme un code que tout individu issu d’une société civilisée est censé adhérer automatiquement. Cette adhésion est imposée par un consensus général entre le spectateur et le message publicitaire. Selon lui, la publicité n’est pas réelle mais est vectrice de réalité, celle de la consommation. Finalement en tant que médium du fantasme et de l’objet fétichisé, la publicité admet des degrés de réalité irréelle. Si la publicité doit faire adhérer le spectateur instantanément, ce qu’elle propose c’est avant tout un fantasme, elle vend de l’hyper réalité.
L’art, médium de l’objet
43 Jean Baudrillard, La société de consommation. Ses myhtes, ses structures, éd. Denoël, 1970, p. 172
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Les relations art et objets ont évoluées de même. Si dans l’art traditionnel l’objet a toujours eu sa place, il s’indexait par rapport à la virtuosité de sa représentation, il n’était qu’un figurant dans l’œuvre d’art. Au XXe siècle l’objet est devenu sujet « comme élément autonome d’une analyse de l’espace »44 avec les cubistes, jusqu'à devenir l’élément unique de l’œuvre en effaçant les notions de savoir-‐faire et de main créatrice de l’artiste. La publicité a pénétrée l’art de la même manière où son code a été récupéré (packaging, slogan, néon…). L’art a pris pour thème l’objet de la consommation et cela a commencé par le Pop Art. Baudrillard pose la question de leur suprématie par rapport à la publicité et à la société de consommation, car s’ils transposent un monde objet tout en aboutissant eux même à un objet à consommer, n’ont-‐ils justement pas généré un art du consommable ? L’art traditionnel a pour mission de montrer le monde en « profondeur » or, l’artiste pop est devenu un producteur d’objets plus qu’un créateur (le recours à la sérigraphie). Ils ont peint ce qui pouvait sembler être d’ordre superficiel, tout ce qui était des logos, signes et slogans en ne faisant que recopier leurs sujets. Ils n’ont pas laissé de place à la main sacrée qui vient poser sur la toile l’impression et l’expression du peintre. Or, ce que les puristes ont pu leur reprocher, n’est autre que d’avoir pointé du doigt la réalité de la consommation qui fait qu’un objet n’est rien d’autre qu’un désir. Au final, le Pop Art est un art du réel qui présente l’évidence et la trame des objets. Enfin la nuance fondamentale entre objet de consommation et l’objet d’art c’est que dans le premier rapport l’objet est banal, dans le second il est révéler, « l’objet n’est banal que dans son usage, dans le moment où il sert. L’objet cesse d’être banal dés qu’il signifie : or, nous avons vu que la « vérité » de l’objet contemporain n’est plus de servir à quelque chose, mais de signifier, ce n’est plus d’être manipulé comme instrument, mais comme signe. Et c’est la réussite du Pop art que de nous le montrer comme tel. » 45. Le Pop Art a été le premier courant à dévoiler les réalités de l’objet en tant que nouvelle icône contemporaine. En idolâtrant cette société, le Pop Art a surtout révélé la fétichisation de l’objet.
Depuis 1960, l’utilisation de l’objet comme matériau a été récurrent dans les courants esthétiques. Leurs agencements, leurs relations à l’espace et leurs expositions livrent l’objet dans sa profondeur et non dans sa fonction. C’est donc dans une nouvelle relation vis-‐à-‐vis de l’œuvre et de l’objet où nous entrons. Nous pouvons donc nous interroger sur le caractère sacré des œuvres d’art utilisant l’objet en élément fondateur. Cette aura est elle issue de l’objet ou de l’expression de l’artiste ? Enfin si l’objet dans son rapport à l’espace et l’exposition fait sculpture comment appréhender notre regard sur celui-‐ci ? Quelle est la portée de son hic et nunc, pour reprendre l’expression de Benjamin ? Où va l’aura de l’œuvre d’art à l’ère de la sculpture reproductible ?
2/ La sculpture à l’ère de sa reproductibilité
L’œuvre non faite de main d’homme Bien qu’ils aient montré le fétichisme de l’objet et de la consommation, le Pop Art
ainsi que les Ready made de Marcel Duchamp ont invité le processus de la reproduction dans le champ des Beaux Arts. Le recours à la sérigraphie pour les premiers et l’exposition d’objet manufacturé pour le second ont bouleversé une conception de l’art universel, celle de l’œuvre unique. 44 Ibid. p. 175 45 Ibid. p. 180
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Pour un art manufacturé ?
Malgré l’académisme qu’est devenu le Ready made, il est toujours déploré. Ce qui dérange dans ce nouveau rapport du monde art et objet, c’est la disparition de la main créatrice. La réutilisation des objets du quotidien amène aussi la disparition effective du travail en atelier. Ce qu’Olivier Céna déplorait dans ses critiques dans l’hebdomadaire Télérama à propos de la sculpture contemporaine était que de plus en plus d’artistes ne sont finalement que des concepteurs dont le travail ne consiste qu’à remplir un bon de commande. La sculpture serait alors entrée dans son ère absolue de reproduction technique mécanisée. Il n’y aurait plus de caractère sacré lorsque son authenticité est balayée par la sculpture en série. En définitif être artiste pourrait être que de l’ordre de la profession, un état civil en quelque sorte. Et d’ailleurs par bien des points le travail de l’artiste et celui du designer se reflètent. Olivier Cena rajoute « les bons artistes académiques (…) font fabriquer le kitsch que la société actuelle réclame. »46. Alors artiste ou designer d’œuvre d’art ?
Art = choisir
L’exemple de la boite Brillo de Warhol illustre bien la distinction entre grand art et design (Cf. Img 17). Arthur C. Danto note pour les cahier du Musée National d’Art Moderne : « Ironie qui devait le remplir d’amertume, en 1964, Warhol fit tout simplement passer la boite brillo de l’autre coté de la ligne que l’on croyait si infranchissable en 1954, mais que des artistes avaient allègrement franchie dans l’autre sens, disons en 1894. (…)Le designer original, de fait, intenta un procès à Warhol, mais Warhol avait fait quelque chose que lui-‐même n’avait pas pu faire. Warhol fit de l’art à partir d’une boite que son designer avait séparé de l’art. Il eut été conceptuellement impossible à ce dernier de considérer ce qu’il avait créé comme de l’art. Warhol a du créer de l’art à partir de quelque chose que Martin Heidegger eut caractérisé comme Zuhanden-‐ comme « sous la main » à l’instar des instruments ou du monde lorsqu’on le considère comme un système de moyen. »47. L’objet dépossédé de sa fonction et exposé devient une nouvelle entité, une œuvre d’art qui nous fait face, nous regarde et nous fait nous questionner sur sa réalité. Lorsque la fonction s’abstrait à l’objet alors la fétichisation et le fantasme engendré par le commerce se dissout et l’objet devient unique, l’élu, l’objet choisi. Enfin dans la société marchande, l’objet est dépendant d’une valeur d’échange exprimer par l’argent. Lorsque celui bascule dans les Beaux-‐Arts, quel poids accordons-‐nous à sa valeur marchande ? Et quel rapport entretient-‐elle avec l’œuvre d’art finale?
3/ La valeur marchande de l’art
La valeur de l’art selon Marx Dans le Capital Marx a exposé la marchandise et sa valeur. Toute marchandise a en
commun d’avoir une valeur, c'est-‐à-‐dire une substance commune qui permet leur échange. Selon lui cette substance provient de la « quantité du travail abstrait » utilisé pour produire cette marchandise. Cette valeur est représentée par une somme d’argent. Ce qui oppose l’art à la marchandise est contenu dans le rapport de production. L’art en soi est issu d’une production désintéressée. Il est une projection de l’homme sur le monde et comme le travail 46 Olivier Céna, La famille sculpture, Télérama n°3066, 10/08 47 Arthur C. Danto, L’esperluète et le point d’exclamation, A propos de High & Low et de Art & Pub, Cahiers du MNAM, n°37, Automne 91, p.100
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est opposé au plaisir et à la satisfaction, l’art n’est pas le fruit du travail, l’art ne produit rien. Il n’est pas exposé à la valeur car il n’est pas ordonné par un temps de production ou à la matière de production. Il est le fruit d’un acte gratuit, puisqu’il n’a pas de finalité commerciale. Il n’a donc pas de valeur, ou plutôt, pour reprendre Marx, il est la valeur suprême puisqu’il y est l’image de la valeur. L’art moderne a intégrer l’objet industriel en tant que matériau de sa création. Si l’objet industriel est dépendant de sa valeur, nous pourrions supposer que lorsqu’il est récupéré dans l’art, sa valeur se dissout. A la différence, dans la publicité, sa valeur accroit, car finalement la publicité est le vecteur de la valeur, elle module le rapport, travail, matériau et objet.
Donc pour qu’une marchandise s’absoute de sa valeur, il faut qu’elle bascule dans le champ de l’art. Ce basculement peut s’opérer au moment où plusieurs contingences vont se rencontrer et affirmer que cet objet est de l’art. Nous allons analyser ces nécessités.
Le cheminement du Ready made
Dans Résonnance du Ready made48, Thierry De Duve expose les différentes conditions nécessaires à l’entrée de l’objet dans le champ de l’art. Pour cela, il revient sur le parcours du Ready made de Duchamp expliquant la tactique entrepris par l’homme aux multiples identités pour faire basculer un urinoir de l’objet banal à l’objet d’art. C’est en Janvier 1916, dans une lettre adressée à sa sœur que Marcel Duchamp évoque pour la première fois le concept du Ready made. Trois ans auparavant, il avait procédé à l’assemblage d’une roue de bicyclette montée sur un tabouret. Le Ready made, dont la définition reste toujours en suspens, commençait à prendre forme dans l’atelier new yorkais de Duchamp. Après quelques expositions inaperçues et le refus au Independent’s show de 1917, le Ready made entrait stratégiquement dans l’art moderne. Selon lui, pour que la magie opère il faut tout d’abord apposer à l’objet une « étiquette invisible » notant « ceci est de l’art ». A cela, il faut ajouter la validation du public. C’est d’ailleurs une phrase de Marcel Duchamp qui résume au mieux cette condition : « « après tout, le public représente la moitié de la question ; l’art est aussi fait de l’admiration qu’on lui porte ; le chef-‐d’œuvre est déclaré en dernier ressort par le spectateur. » Bref, « ce sont les regardeurs qui font les tableaux. » »49. Pour que le public adhère a l’étiquette « ceci est de l’art » il peut être aidé par une publicité, un scandale par exemple. Lorsque l’urinoir de Duchamp, signé R.Mutt à été refusé au salon des indépendants de New York en 1917, c’est Stieglitz qui pris la défense de l’objet et de son auteur inconnu en produisant une photographie esthétisée de l’objet en question. La photographie signée Stieglitz parue dans sa revue, the Blind Man. N°2 datée de Mai 1917 (Cf. Img 18). De Duve établi le parallèle, pour que l’objet soit authentifié d’art, il faut une signature, en l’occurrence ici cette de Stieglitz et un scandale, le refuser du salon des indépendant, qui avait pour slogan no jury, no prize. L’urinoir est alors exposé dans la galerie 291 de Stieglitz. Le tour est joué, le coup est fait, l’urinoir est exposé dans une institution d’art. Le basculement entre l’objet banal et l’objet d’art a été opéré.
Pour synthétiser, le Ready made a besoin d’une institution qui lui appose l’étiquette « ceci est de l’art », et au sein de cette institution le public pourra contempler l’objet. Si ce sont les regardeurs qui font les tableaux à quel degré contemple-‐t-‐il l’œuvre d’art ? « Quant
48 Thierry de Duve, Résonances du readymade. Duchamp entre avant-garde et tradition, éd. Jacqueline Chambon, 1989 49 Cité par T de Duve, Ibid. p33, (Entretiens cités par Georges Charbonnier et Pierre Cabame, Entretiens avec Marcel Duchamp, Belfort, Paris, 1967, p.39 et Duchamp du Signe p.247)
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au Ready Made, c’est une chose que l’on ne regarde même pas, ou une chose qu’on regarde en tournant la tête. Concluons avec Duchamp : cet angle exprimera le coin de l’œil nécessaire et suffisant. »50 Thierry de Duve citant Marcel Duchamp.
La transparence sociale de l’art
Le Ready made n’est pas reconnu pour sa qualité plastique, il opère un changement radical dans la manière de contempler l’œuvre d’art. Ce que nous reconnaissons au Ready made c’est l’étiquette invisible notée « ceci est de l’art ». L’objet alors s’abstrait de sa valeur marchande, il ne renvoie plus au travail dont il est le produit. Bourriaud notait dans esthétique relationnelle : « si elle est réussie, une œuvre d’art vise toujours au-‐delà de sa simple présence dans l’espace ; elle s’ouvre au dialogue, à la discussion, à cette forme de négociation interhumaine que Marcel Duchamp appelait « le coefficient d’art » »51. L’artiste est alors producteur de relations entre les gens et le monde à travers un objet animé. La qualité sociale de l’œuvre nie sa détermination marchande puisque sa valeur n’est pas contenue dans un rapport de temps de travail et de substance de travail. En tant que « troc » de rapports sociaux, l’œuvre d’art admet une transparence sociale.
Enfin cette transparence sociale ne place pas uniquement l’objet d’art au centre du rapport, mais elle induit aussi son producteur, l’artiste ou pour reprendre De Duve : « quelque chose est une œuvre parce que qu’elle est faite de main d’homme, parce que la main qui l’a faite est singulière et y laisse des traces de sa façon, parce qu’elle donne à voir et qu’elle est belle, sublime, signifiante ou même simplement intéressante, parce que sa valeur est reconnue »52 , nous n’aurions qu’à remplacer la main créatrice, par l’esprit créateur dans la phrase pour démontrer qu’à l’étiquette « ceci est de l’art » doit s’ajouter la signature d’un homme attestant et authentifiant l’objet.
Quel valeur ainsi accorde t’on à la signature de l’artiste ? Peut on envisager la signature de l’artiste comme issu de la même essence que la marque de l’objet ? B/ La marque et la signature
1/Les simulationnistes
La frontière extrême entre art et marchandise Depuis Marcel Duchamp l’œuvre est générée à partir des objets issus de
l’industrialisation. Nous pourrions évoquer une nouvelle posture de l’artiste qui ne travaille plus à partir de la matière première mais à partir des « instruments de productions créer par la civilisation »53. Nous l’avons évoqué précédemment les Nouveaux Réalistes et le Pop Art
50 Cité par T. de Duve, Ibid, p.42, (Conversation avec Marcel Duchamp In Alain Jouffroy, Une révolution du regard, Gallimard, Paris, 1964, p.119, repris dans Opus International, n°49, Mars 1974, p.89) 51 N. Bourriaud, Esthétique relationnelle, éd. Les presses du réel, p.43 52 T. de Duve, Ibid, p49 53 Nicolas Bourriaud, Postproduction. La culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde contemporain, éd. Les presses du réel, 2003, p.17
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ont été les premiers à avoir utilisé la consommation comme sujet. Les Pops étaient fascinés par les packagings, les publicités et l’imagerie kitsch et les Nouveaux Réalistes pour l’action même de consommer. En plus d’être matériau de l’œuvre, la marchandise est aussi devenue le sujet. Dans les années 80 les simulationnistes se sont emparés à leur tour de l’idée de consommation, poussant les limites encore plus loin par rapport à leurs ainés. Dans leur cas, ils ont cherché à mettre en évidence non plus la consommation même mais le désir, l’attraction de la consommation. Nicolas Bourriaud note en citant Koons : « Chez les simulationnistes, l’œuvre résulte d’un contrat qui stipule l’égale importance du consommateur et de l’artiste pourvoyeur, Koons utilise ainsi les objets comme des convecteurs de désir, car « le système capitaliste occidental conçoit l’objet comme une récompense pour le travail accompli ou pour la réussite (…) Et une fois ces objets accumulés, ils définissent la personnalité du moi, réalisent et expriment ses désirs. » Koons, Levine ou Steinbach se présentent donc comme de véritables intermédiaires, des courtiers du désir dont les travaux représentent de simples simulacres, des images nées d’une étude de marché davantage que d’une quelconque « nécessité intérieure », valeur au plus bas. »54. Dans leur représentation de la marchandise pour ce qu’elle est, Bourriaud y voit une mise à jour du processus de transaction, « l’art en s’efforçant de briser la logique du spectacle, nous restitue le monde en tant qu’expérience à vivre »55. Mais lorsque l’art se retrouve à égal posture et dans un même rituel de démonstration que la marchandise, peut on dire que celui-‐ci s’est objectivé de la marchandise, ou n’est il pas juste présenté en tant que marchandise auréolé d’une notion artistique ?
The New, Jeff Koons, 1980
En prenant pour exemple les installations The News (Cf. Img 19) de Jeff Koons nous sommes invités à voir des aspirateurs exposés sous une vitrine transparente. Les objets ici ne renvoient pas à leur fonctionnalité ni caractéristique esthétique mais à leur qualité de marchandise. Cette différenciation est opérée par la vitrine dans laquelle ils sont contenus. Selon les désirs de Koons, les aspirateurs renvoient au fantasme de la marchandise. Ils sont distancés de leur réalité intrinsèque par la manière dont ils sont exposés. Fabien Danesi note à propos de l’installation : « Avec Jeff Koons, la destruction de l’art aboutit à son terme en faisant coïncider l’œuvre à une marchandise sans que la contradiction n’offre à l’objet sa vérité. »56. Or par ses installations, Koons tente de restituer à la marchandise sa vérité extrême. Car c’est dans la contradiction extrême entre marchandise et œuvre que la valeur de la marchandise s’abolit.
Arrangement, Ange Leccia, 1987
En 1987, pour la Documenta VIII de Kassel, Ange Leccia expose une Mercedes 300 CE isolée sur une plate forme de présentation (Cf. Img 20). Le socle mobile fait tourner la berline sur elle-‐même dans une sorte de ballet narcissique, métaphore de l’hallucination de la marchandise par un art victime de son succès. L’histoire veut que la documenta ait refusé sa première proposition pour l’exposition. Leccia décida alors de jouer la carte de la sensation en présentant le dernier modèle de Mercedes qui sponsorisait l’événement. A un certain niveau de lecture de l’œuvre, il met en péril la notion d’aura selon
54 N. Bourriaud, Ibid., p.21 55 N. Bourriaud, Esthétique relationnelle, éd. Les presses du réel, 2001 56 Fabien Danesi, Philippe Dagen (Dir.), L’ambivalence du ready-‐made à l’époque postmoderne. 4t.Thèse. Art contemporain. Paris 1, 2002, p.327
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laquelle : « l’absence d’illusions et le déclin de l’aura sont identiques »57. Il expose le produit de la marchandise dont la valeur se multiplie par l’institution la reconnaissant comme une œuvre d’art.
La différence ici par rapport au Ready made Duchampien c’est qu’ils ne se distancient
plus de leur qualité de marchandise et le processus d’exposition entre œuvre d’art et marchandise est similaire. Les objets renvoient directement à leur caractère de marchandise sans révéler leur vérité. Ils apparaissent sous l’aura du commerce, l’objet fétiche ou l’objet du fantasme. La transposition du supermarché à la galerie n’est plus suffisamment pertinente pour que l’objet se révèle. Mais lorsque dans le système de démonstration de la marchandise, l’échantillon en vitrine n’est pas vendable ou au rabais, en art, l’exposition multiplie la valeur de l’objet. The New Hoover convertibles, New Shelton Wet/Dry 5 Gallon, Double Decker de Jeff Koons qui présente quatre machine à laver dans une vitrine a été mis aux enchères chez Christie’s pour 10 millions de dollars par exemple. Si la valeur des machines s’est vue amplifiée, c’est avant tout parce que l’installation était signée Jeff Koons. La valeur marchande de l’art ne serait finalement qu’une question d’authentification par le procédé de la signature ?
2/ L’objet signé
La signature La signature est un gage d’authenticité absolue de l’œuvre. Pour avoir une valeur
dans le monde de l’art l’objet doit avant tout avoir un producteur attesté. Le créateur peut être connu sous un pseudonyme (l’exemple de R.Mutt) un collectif (L’exemple de Présence Panchounette) mais l’objet ne peut être anonyme. Nous n’entrerons pas plus dans les significations profondes des enjeux de la signature. Le point ici est de rappeler que dans l’art et dans l’art moderne plus encore, la signature de l’artiste fait l’œuvre. C’est ce qui différencie le designer ou l’agent publicitaire. Dans les deux cas, l’identification du créateur est contenue sous la brend, c'est-‐à-‐dire la marque du produit.
Qu’est ce qu’une marque ?
Dans son analyse de la publicité, Pub Fiction58, Nicolas Riou décortique les nouveaux systèmes de la publicité. Selon lui, la pub est dépendante de la mode dans le sens où elle la crée. Les campagnes publicitaires sont de plus en plus dé-‐homogénéisées par rapport au produit objet qu’elles promeuvent. Le produit n’est plus le héro du spot. Il note à propos « la publicité ne sert plus un argumentaire produit. Elle devient un objet en soi. La marque et le produit bénéficient de la créativité par effet de renvoi, mais la créativité n’est pas au service du produit »59. Au final, l’enjeu de la publicité est de valoriser la marque. Le constat qu’il propose à propos de celle-‐ci est qu’elle profite du vide idéologique actuel pour donner son point de vue sur la vie et le rôle de l’individu dans la société par exemple avec des
57 Walter Benjamin, Charles Baudelaire, Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, éd. Payot, p227 58 Biblio ; 59 Nicolas Riou, Pub fiction, la société post moderne et nouvelles tendances publicitaires, éd. D’organisation, 2002, p.136
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slogans tels que « Just do it » (Nike), ou encore la dernière campagne pour les jeans Diesels inspirée des One minute sculptures d’Erwin Wurm, « Be stupid ».
Nous pourrions schématiser de telle sorte : dans les nouveaux systèmes des campagnes publicitaires ce qu’on nous vend n’est plus un objet mais une marque, un style et une attitude. En même temps, lorsque le Ready made envahit le musée, un objet, rappelons-‐le, qu’on ne regarde que du coin de l’œil, si cet objet est dé-‐esthétisé mais est tout de même vecteur d’un caractère sacré, finalement ce vecteur est contenu dans la signature que celui-‐ci porte. Il nous fait adhérer face à lui à une certaine attitude qui permettrait de la considérer comme art plutôt que produit de l’industrie. Par rapport à la signature, nous remarquerons que plus l’artiste est connu, plus sa valeur augmente. La signature serait la marque qui se déposerait sur l’objet, l’attestant œuvre d’art. Il n’y aurait finalement que très peu de différence entre la marque (de fabrique) et la signature (de l’artiste).
Le style
En prenant l’exemple de Bertrand Lavier, celui-‐ci a depuis longtemps construit son art autour d’une peinture crémeuse qu’il applique aux objets du quotidien (Cf. Img 21). Lorsqu’il repeint un frigidaire la valeur plastique redouble ici sur sa valeur sociale et économique : la signature visuelle de l’artiste est l’expression radicale de la survaleur ajoutée à l’objet quand il devient une œuvre.
Qu’est ce qui différencie le style de la signature, et la signature de la marque? La
touche de Lavier n’est elle sa marque ? Et qu’est ce que la publicité à part le médium de la marque avant tout ? La publicité est elle au service de l’objet ou de la marque ? 3/ La publicité d’aujourd’hui La pub est mal vue
Dans le souci de répondre au mieux à notre problématique nous allons analyser la place qu’occupe la publicité actuellement. En nous basant sur le rapport de Yannick Lebtahi et de Françoise Minot, La publicité d’aujourd’hui, discours, formes et pratiques60, nous pouvons établir un constat sur l’opinion des français à propos de la publicité. Dans un sondage IPSOS de 2004 il apparait que 18% des français se déclarent publiphiles contre 25% publiphobes ( 57% sont indifférents). Dans une enquête plus récente (IPSOS 2007) le pourcentage des publiphobes passe de 25 à 30%. En 1987, c’était l’effet inverse où 50% des français déclaraient aimer la publicité. Nous pouvons donc constater que malgré la diminution des messages télévisuels sur nos chaines nationales, le sentiment de méfiance vis-‐à-‐vis de la pub continue son ascension dans l’opinion française. La meilleur argumentation contre la publicité en France reste l’exigence de la rareté et la volonté d’une création désintéressée « Aussi tout oppose la culture des cultivés à la culture publicitaire : création opposée à (re) production, originalité à standardisation, spiritualité à matérialisme, esthétique à marchandise, élégance à vulgarité, savoir à ignorance, sérieux à divertissement, qualité à quantité, altruisme à rentabilité. »61. C’est de l’héritage de la philosophie des lumières qui valorise l’humanité que découle ce rejet pour la publicité. On
60 Yannick Lebtahi, Francoise Minot, La publicité d’aujourd’hui Discours, formes et pratiques, éd. L’Harmattan, 2009 61 Ibid., p.29
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lui reproche avant tout sa nature commerciale et sa perversion quant à l’utilisation de la culture pour vanter les mérites de tel ou tel produit. Les nouvelles stratégies
La publicité ayant compris que son médium n’était pas le plus populaire a évolué. Lorsqu’il y a encore 20 ans son principal champ d’opération était les journaux, l’affiche et la télé, elle est aujourd’hui beaucoup plus présente mais aussi beaucoup plus discrète. Internet a permis aux utilisateurs d’échanger des avis et des commentaires sur les marques générant de la contre pub. La démultiplication des sources d’informations et la nouvelle autonomie du consommateur ont contraint les marques comme les agences de pub à inventer d’autres modes de communications. Ces nouvelles formes se sont affranchies de la publicité classique au profit d’une publicité plus événementielle. Dans son livre Le Marketing62, Yves Chirouze définit la communication événementielle ainsi : elle consiste à réunir un groupe de personnes pour les faire participer à un événement dans le but de créer une émotion ou un sentiment qui suscitera l’adhésion par l’enthousiasme et agira sur le comportement futur, par exemple les inaugurations (lancement d’un nouveau produit, ouverture d’une nouvelle usine…), les expositions, stand et salon, les événements dans la rue…le parrainage, le mécénat) La plupart du temps l’entreprise passe par des agences pour réaliser l’événement. Nicolas Riou résume la tendance : « de nouveaux modes de communication apparaissent privilégiant la séduction, la prise a contre pied des modèles traditionnels (…) la marque cesse d’être le faire valoir de ses produits, elle se transforme en véritable spectacle publicitaire » 63 Les publicités ne se pensent plus comme de simples récits : ce sont des expériences, des fictions interactives qui transforment les consommateurs en participants potentiels, en co-‐créateurs de la narration. En effet la publicité de plus en plus utilise les communications nouvelles (internet, SMS…) pour entrer en interactivité avec le public.
Le marketing va alors jusqu'à emprunter à la sociologie l’idée de « capital social » propre à Bourdieu pour élaborer le concept de « capital currency » comme l’on dit aujourd’hui dans certaines agences, c'est-‐à-‐dire la valeur sociale d’une marque, soit sa capacité à s’intégrer dans la conversation.
The fun Theory, entre interactif et moraliste
The fun theory est une campagne publicitaire lancée par la marque de voiture Volkswagen qui a pris place dans différents lieux public de la ville de Stockholm (Cf. Img 22). Réalisée par l’agence DDB Stockholm, la campagne avait pour message « On peut faire un geste pour l’environnement en s’amusant…on peut donc conduire une voiture écolo en ayant du plaisir ». Ainsi les escaliers d’une bouche de métro ont été transformés en véritable piano. Afin que les usagers des transports préfèrent à l’escalateur, l’escalier, les marches avaient chacune une note qui s’activait à chaque fois qu’un passant posait le pied dessus. Les résultats ont montrés que 66% des usagers ont préféré les escaliers aux escalateurs64. Cette campagne utilise un schéma d’installation interactive à caractère moralisateur et ludique afin de véhiculer son message. C’est surtout des indices annonciateurs qu’à l’époque postmoderne, lorsque la signature de l’artiste devient une marque, et que les publicités
62 Yves Chirouze, Le Marketing, études et stratégies, 2eme édition mise à jour, éd. Ellipses, Paris, 2007 63 Nicolas Riou, Pub fiction, la société post moderne et nouvelles tendances publicitaires, éd. D’organisation, 2002, p.136 64 www.Thefuntheory.com
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deviennent des lieux de relation esthétique, les frontières entre grand art et art mineur n’ont jamais été aussi minces.
C/ la publicité spectaculaire 1/ le supermarché est un musée….
…Au sens figuré Dans les années 70 Andy Warhol concevait déjà le supermarché comme un musée.
Dans un entretien à propos de the Store, Oldenburg a dit : « Il est possible que l’art soit condamné à être bourgeois… Etant admis que je voulais créer quelque chose, que serait cette chose ? Juste une chose, un objet. L’art n’y entrerait pas. Je fais un objet chargé (« vivant »). Une apparence ou un contenu « artistique » est dérivé de la référence de l’objet, non de l’objet lui-‐même ou de moi. Ces choses sont dans des galeries, mais ce n’est pas leur place. Une boutique (the store) conviendrait mieux. Museum dans la conception bourgeoise équivaut à boutique dans la mienne. »65. Lorsqu’Oldenburg présentait ses objets mous et « vivant », anthropomorphique il voulait les placer dans des conditions de présentation de vente. De tel sorte, il créa un store au sein même de sa rétrospective à Beaubourg. …Au sens littéral
En 1875, le bon marché accueillait déjà une galerie d’art au sein de son établissement. Si la pratique avait cessé au début du siècle ; depuis les années 90 les grands magasins renoue avec cette pratique. Inviter l’art dans les magasins c’est avant tout pour redorer l’image du temple de la consommation par l’aura culturelle. Les grandes marques séduisent leur public en prônant l’implication culturelle. D’après Emmanuelle Mayer, responsable de la communication mode femme au Printemps : « Les gens ne viennent plus dans les grands magasins pour faire seulement leurs courses. Ils viennent pour humer l’air du temps, se faire coiffer, acheter des billets d’avion, se restaurer, et, pourquoi pas, découvrir une exposition. » 66Le Printemps s’appuie sur une grande opération événementielle par an qui conjugue, offre commerciale et culturelle. Ils ont confié pour cela à Catherine Ormen, conservatrice du musée des arts décoratifs, la conception des expositions du magasin. Ainsi, le Printemps a vu défiler des artistes comme Djamel Tatah, Valérie Jouve, Valérie Belin ou Stéphane Couturier. Dans le cas du printemps, l’exposition continue en général sur la rue puisque les vitrines sont laissées aux soins des artistes. En septembre 2000 par exemple ; c’est l’artiste Arthus qui avait installé sa chambre dans l’une d’elles sur le boulevard Hausmann. Il y avait habité pendant trois semaines.
Les Galeries Lafayette ont ouvert en octobre 2001 une galerie de 300m2 et travail en collaboration avec des galeries parisiennes, par exemple Robouan Moussion. De ce fait elle a déjà exposé des sculptures en glaces d’artistes chinois, du design suédois, des projets expérimentaux d’élèves de l’Ensad, des marionnettes de l’artiste Roland Roure et les œuvres
65 Claes Oldenburg, Claes Oldenburg’s store days, Documents from the store, selection par Claes Oldenburg et Grimmett Williams, Something else press, New York, 1987, cité dans Artstudio n°19, Hiver 1990, p.60 66 Propos recueilli par Anne Kiefer, mettez de l’art dans votre com, dossier Zurban, 2003
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d’Oleg Kulik ou de Christophe Luxereau, dans le cadre de l’exposition Avatar en partenariat avec la galerie Robouan Moussion.
Le Bon Marché Rive gauche quant à lui, a ouvert en Mai 2002 une galerie de 80 m2, dénommée L’Entrée. La programmation de celle ci a été confiée au galeriste parisien Bernard Zurcher. Le fait étonnant ; en général les œuvres sont disséminées dans tous les rayons. Et à chaque rénovation d’un espace du magasin, le Bon Marché achète une œuvre. C’est ainsi qu’il est le seul grand magasin à posséder une véritable collection d’art contemporain.
La nouvelle collaboration art et grand magasin a pour principal intérêt de valoriser l’image du magasin. En proposant des expositions elle offre surtout à ses visiteurs une visibilité sur la scène de l’art actuel qui est souvent perçu comme inaccessible. En même temps, les artistes sont les aussi bénéficiaires de ces actions. Car quand les Galeries Lafayette reçoivent 80 000 personne en une journée, si jamais un centième fait un détour dans la galerie, quelle galerie parisienne peut se vanter de recevoir 800 personnes en une journée ?
Du mécène au commanditaire
Les commanditaires sont des marques qui vont demander aux artistes une réalisation originale par exemple pour un designer un sac ou autres accessoires visibles dans la communication d’une entreprise. Dans son article Mettez de l’art dans votre com67, Anne Kiefer a recensé le cas avec tels artistes : la boutique Colette Paris a demandé à Claude Closky la réalisation d’un briquet, la Fnac a commandé un sac à Fabrice Hybert et Tati à Erik Dietman. Les bières allemandes Becks ont quant à elles demandé à Tony Oursler et Damien Hirst la réalisation d’étiquettes limitées. Cette technique est apparue lorsqu’Agnès b. est passée du stade de mécène à celui de commanditaire. En effet, elle possède une galerie d’art (la galerie du Jour) et a récemment décidé de permettre aux artistes qu’elle soutient de collaborer, sous contrat, à sa ligne de vêtements. Les artistes sont donc invités à designer les nouveaux modèles de ses collections en plus de participer aux expositions dans sa galerie. Il ne s’agit plus ici simplement d’un produit mais bel et bien d’un procédé de communication que les artistes proposent aux marques et celles-‐ci, en contre partie, bénéficie de la notoriété de l’artiste afin d’appuyer une image avant-‐garde et culturelle L’artiste est donc une marque qui s’ajoute à la marque des objets afin de doubler la communication de celui-‐ci ?
2/ la sculpture événementielle
Le gadget en histoire Selon le dictionnaire Hachette, un gadget est « un objet ingénieu, utile ou non,
amusant par sa nouveauté », et dans un sens péjoratif : « objet sans réelle utilité pratique ». Celui-‐ci tient son nom de Mr Gaget, inventeur et vendeur de miniatures de la Statue de la Liberté. Le gadget pourrait présenter les prémices de ce que nous allons appeler la sculpture publicitaire car le terme s’est avant tout fait connaitre par la publicité lorsque les compagnies offraient à leurs clients des petits objets sympathiques mais inutiles afin de les fidéliser. 67 Anne Kiefer, Mettez de l’art dans votre com, Dossier Zurban, 2003 http://www.editions-organisation.com/Chapitres/9782708130043/chap5_Kieffer.pdf, 05/10
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La sculpture événementielle
Dans le cadre d’une campagne publicitaire événementielle les entreprises font appel aux designers afin de créer des objets exceptionnels afin de retenir l’attention des spectateurs. Il est question ici de sculpture évenementielle. Nous allons étudier trois exemples différents de ces objets :
Un premier type peut être définit de telle sorte : un agencement dans un contexte particulier voir extraordinaire de l’objet à promouvoir.
Le premier exemple nous montre une voiture Honda Mito contenue dans un caddie en plein cœur d’un centre commercial (Cf. Img 23). La sculpture joue par un effet spectaculaire sur les lois de la gravité. Le message est assez évident et comporte tous les signes relatifs à la consommation : le caddie plein, le supermarché, la voiture comme posée en haut du tas de marchandise. L’installation suggère l’achat de la voiture aussi simple et rapide que lorsqu’on achète des produits au supermarché. Cette campagne avait pour but de proposer aux passants de visiter le site web construit pour la voiture.
Le deuxième exemple vante les équipements modernes de la cuisine du géant suédois Ikea (Cf. Img 24). En effet il a lui aussi investi les rues de Londres en présentant un arbre gigantesque sur lequel des appareils électro ménagers sont posés. Cette installation avait été présentée du 12 aout au 12 septembre 2010 dans le cadre de l’exposition The Surreal House de la galerie Barbican, un centre d’arts londonien.
Le deuxième type de création d’objets événementiels pourrait se définir par la transformation de l’objet à promouvoir. L’objet est métamorphosé.
Pour le salon de l’automobile de Detroit 2010, les directeurs artistiques de Mercedes présente leur dernier modèle non pas dans sa forme finale mais bâchée (Cf. Img 25). Or la bâche relève ici du spectaculaire puisqu’elle a été sculptée dans la masse de l’objet. En effet la coque extérieure de la Mercedes revêt sa robe drapée, insinuant, sans les dévoiler, ses courbes nouvelles.
Enfin le troisième type d’objets évènementiels vaudrait à l’utilisation d’un ou de
plusieurs matériaux sans rapport avec le produit à présenter évoquant ses qualités. C’est dans le lien mental qu’établi le spectateur entre l’objet évènementiel présenté et le produit que le message publicitaire passe.
La compagnie Ella Baché a par exemple présenté la sculpture d’une femme nue dans un parc à Sydney en 2008 réalisée avec 24000 pêches (Cf. Img 26). La sculpture mesure 5 m de haut et 12 m de long. Le slogan pour la campagne était « Skin good enough to eat » et vantait les gels douches et savon de la compagnie.
Nous n’évoquerons pas ici les logos des entreprises qui ont été reproduit en trois
dimensions car en effet cette démarche est plus en rapport avec la signalétique d’un magasin ou d’un lieu de vente que de la création en soi d’un événement publicitaire. Les trois exemples d’utilisation de la sculpture evenementielle ont été exposés dans des lieux ne faisant pas référence de manière évidente à un quelconque point de vente. Les lieux de ces événements ont été le supermarché, le salon, le jardin public et le centre d’art. Nous pouvons donc dire que ces objets ne dépendent pas d’une signalétique pour un lieu de vente. Quels sont les intérêts pour les entreprises à créer ce genre d’objet ?
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Nous allons les mettre en parallèle avec une définition de la sculpture. Selon Robert Morris la sculpture est un volume et un espace dans un champ visuel. Les objets événementiels correspondent à cette définition. Ils ont été détachés à leurs fonctions. Par exemple les automobiles présentées ci-‐dessus ne sont plus aptes à rouler. Elles envahissent le paysage et le champ visuel présent. Elles ont dépassé le stade de l’objet de décoration car leur pénétration dans l’espace modifie celui-‐ci ; Leurs imbrications dans l’espace engendrent une appréhension nouvelle de celui-‐ci. Elles interrogent le spectateur de par leur présence.
Au final ces sculptures sont placées afin de surprendre et divertir le spectateur. Plus
la surprise est élevée et plus la curiosité est mise en alerte. Le spectateur sera alors dans une demande d’information sur cet objet en question. Nous retrouvons ici la définition de la publicité.
Mais ces sculptures ne peuvent entrer dans le champ de l’art. A cause, entre autre, de leur qualité d’intérêt, elles sont là pour augmenter les ventes. A cela s’ajoute la notion du créateur à l’origine de l’ouvrage. Ce sont des designers qui dessinent ces sculptures. Le designo en tant que projection de l’esprit de l’homme sur le papier (le stade premier de la sculpture) est ici la projection d’un cahier des charges imposé au designer. Il devient alors le réalisateur de l’idée dont la tête de production est perdue dans les différents maillons que compose la chaine d’une équipe de publicitaires. Cet aspect de la création est instantanément banni des beaux arts. Pourtant ces publicités génèrent un lien, elles deviennent visibles par le bouche à oreille, par les connexions qu’elles établissent entre les spectateurs. Peut-‐on alors affirmer qu’elle appréhende une nouvelle forme d’esthétisme relationnelle et publicitaire ?
Au final, qu’est ce qui différencie une œuvre d’art exposée au supermarché et une
sculpture événementielle ? Dans les deux cas, il y a avant tout un désir de communication, de sensationnel et d’amusement. Le XXIe siècle réalisera littéralement la prédilection Warholienne. La culture populaire et l’art doivent fusionner et se présenter sous des aspects similaires. La culture doit être accessible à tous. Mais la banalisation de la culture ne l’a conduit-‐elle pas à sa perte ? N’avons-‐nous pas atteint le point le plus haut d’une culture représentée à défaut d’être réelle ? Finalement si art et pub ne font plus qu’un, que l’art est devenu une marchandise, n’avons-‐nous pas juste confirmée l’entrée de l’ère moderne dans l’ère du spectaculaire ? 3/ la société du spectacle
En 1967 parait la première édition de l’essai de Guy Debord, La société du spectacle. Debord prolonge la critique Marxienne du fétichisme de la marchandise développée dans le Capital (1867). L’originalité de la réflexion consiste à décrire dans sa thèse l’avancée contemporaine du capitalisme sur la vie de tous les jours, c'est-‐à-‐dire dans son emprise sur le monde à travers la marchandise.
La société aliénée
Dans le premier chapitre il présente le monde du spectacle comme le régisseur de la société. Or par son autorité, le spectacle est séparé de la réalité. Celle qu’il propose est mensongère et les rapports entre les hommes s’échangent à travers le filtre du spectacle
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provoquant des rapports faussés. « Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes médiatisées par des images. »68. Dans ce système l’homme est voué à vivre dans une représentation. Tout est surfait et optimisé, plus rien n’est vraiment réel puisque tout est devenu une image dans laquelle on se projette. L’homme est aliéné par la réalité spectaculaire, il est endormie et se laisse bercer par la réalité fictive des images faussées du monde. « A mesure que la nécessité se trouve socialement rêvée, le rêve devient nécessaire. Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchainée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir. Le spectacle est le gardien de ce sommeil. »69. L’homme a perdu sa capacité à définir son propre désir et c’est la suprématie du spectacle et son capital. Il donne du rêve, impossible à réaliser.
La représentation de la culture
Debord critique la montée en puissance de la culture comme étant la représentation généralisée de la culture. Il la nomme la « pseudo-‐culture (…) qui vise à ressaisir le travailleur parcellaire comme « personnalité bien intégré au groupe »»70. La culture est devenue une marchandise. Debord a abordé la fin de l’histoire de l’art lorsque tous les arts de toutes les cultures et toutes les époques se sont retrouvés sur un même pied d’égalité et déterminés par une même terminaison. Le musée est devenu le lieu de la représentation de l’art, le lieu du spectacle de l’art où celui-‐ci a perdu sa fonction. L’art a souvent été issu du rituel et du religieux, le séparer de son contexte dissout son autorité, il devient autonome, et dans cette séparation, il va vers son effondrement. La philosophie de Hegel annonçait que déplacer l’œuvre du temple au musée engendrait la fin de l’art dans sa forme sacrée telle qu’elle était vécue. A l’ère post industrielle, les temples ont été dévalisés de leurs statuaires sacrées et le nombre de musées a augmenté. Ce déplacement a fait basculer l’art sur le seuil de la marchandise. Ces dernières années ont vu l’arrivée de l’art dans le supermarché, le temple de la consommation et de la marchandise. Toute la culture est sponsorisée maintenant par des multinationales. Elles gouvernent notre monde d’une manière abstraite puisque elles ne sont pas géo-‐localisables et n’existent que dans un flux d’échanges internationaux monétaires invisibles. Elles ont faussé les rapports entre les hommes, et par des campagnes marketing elles donnent une idée d’un mode de vie idéal en dirigeant nos comportements. La séparation
La société du spectacle tient séparé le pouvoir décideur, c'est-‐à-‐dire l’autorité spectaculaire et le consommateur : « L’origine du spectacle est la perte de l’unicité du monde, et l’expansion gigantesque du spectacle moderne exprime la totalité de cette perte (…) Dans le spectacle, une partie du monde se représente devant le monde, et lui est supérieure. Le spectacle n’est que le langage commun de cette séparation. Ce qui relie les spectateurs n’est qu’un rapport irréversible au centre même qui maintient leur isolement. Le spectacle réunit le séparé, mais il le réunit en tant que séparé. »71. Or pourrions nous envisager la séparation comme une chance en ce sens qu’elle vient fracturer tout totalitarisme, à commencer par celui du spectacle. Les failles qu’elles laissent ouvertes ne sont-‐elles pas des espaces appropriés à la négociation ? Nous pourrions trouver ici le rôle de
68 Guy Debord, La société du spectacle, 3eme édition française éd. Gallimard, Paris, 1992, p.4 69 Ibid. p.11 70 Ibid. p.146 71 Ibid. p.15
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l’art : combler les failles de la société spectaculaire par des espaces de dialogue entre les hommes soustrait pendant un certain temps de l’autorité spectaculaire. Pourrions nous envisager l’œuvre d’art comme un rendez vous hors champ de la société du spectacle ?
Dans cette deuxième partie nous avons défini la place qu’occupe le Ready made dans l’art. Nous l’avons confronté à sa valeur marchande et à celle qu’il acquière lorsqu’il devient œuvre. Nous avons cherché l’implication de l’artiste dans sa diffusion en concluant que le Ready made est surtout tributaire d’une signature et d’une institution. Lorsque Marcel Duchamp admet au Ready made qu’il est une chose qu’on ne regarde que du coin de l’œil, il insinue que l’œuvre d’art a depuis perdu son caractère d’objet à contempler. Lorsque la sculpture n’est plus l’objet du recueillement ne devient-‐elle pas un ersatz de l’œuvre d’art ? Dans ce sens, elle serait à pied d’égalité avec les sculptures publicitaires c’est à dire une représentation en trois dimensions ludique cherchant à valoriser une marque (l’artiste) sans jamais vraiment se soustraire à la valeur marchande (le marché de l’art) et dépendante d’un lieu qui créé l’étonnement (la salle d’exposition).
Enfin comme nous l’avons vu, les barrières entre publicité et art sont de plus en plus fines. La publicité se poste devant la galerie en tant qu’élément participatif, les multinationales sont des commanditaires d’œuvres d’art et surtout l’art s’expose dans les temples de la consommation comme s’il n’était finalement qu’un composant de l’air du temps. La séparation ontologique entre art et publicité équivalait à opposer à l’unicité, la reproduction, et à l’éternel, l’instantané. Or en s’exposant en tant que marchandise, l’art a amolli ces distinctions à tel point qu’il est juste de se poser la question : qu’elle est l’aura de l’œuvre d’art ? Avant de pourvoir répondre à la question à savoir si l’aura de la sculpture est soluble dans la publicité, il faut pouvoir discerner son caractère sacré. Mais lorsqu’elle montre sa dépendance à l’objet, ne devient-‐elle pas plutôt un reflet de la mode ? Par quel principe l’art peut-‐il contourner la société du spectacle lorsqu’il glisse lui aussi sur le terrain de la mode, du ludique et du futile ? L’œuvre d’art est elle dénonciatrice du refus du spectacle ou est-‐elle un leurre, un spectacle du refus ? III/ La société du mix A/ L’aura est un gaz 1/ L’esthétisation du monde
Nous pourrions évoquer l’esthétique de la société contemporaine comme un jeu de ping-‐pong à multi joueurs où les graphistes, les sculpteurs, les peintres, les designers ou encore les créateurs de mode se renverraient la balle. Celle-‐ci serait édulcorée aux couleurs du canon actuel. Elle ferait voyager avec elle un air du temps qui se propagerait sur chaque terrain que l’académisme avait tenu pour séparer.
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Par exemple, pour promouvoir ses travaux d’été l’entreprise Leroy Merlin a présenté
dans sa campagne publicitaire des images d’objets agrandis (Cf. Img 27). Une jeune femme a chargé son caddy d'un robinet mitigeur deux fois plus grand qu'elle, un homme porte une gigantesque poignée de porte, un scooter transporte un énorme rouleau d'isolant et un automobiliste a fixé sur la galerie de sa voiture un pot de peinture qui pourrait bien l'écraser. Les multiples fournitures qu'achète le client moyen d'un magasin de bricolage sont symbolisées par un objet banal sacralisé par sa taille et son unicité. A croire que l’emprunt à l’artiste Pop qu’est Oldenburg passerait complètement inaperçu, ainsi l’année suivante ils remettent cela ! Cette fois les objets sont présentés comme des objets gonflables (Cf. Img 28). Le sceau et le pinceau ou la brouette dans une version bouée, c’est sur, cela évoque les travaux d’été, la piscine, le soleil, les vacances…et Jeff Koons à Versailles ? Ce qui est étonnant c’est que Koons et Oldenburg ont placé la thématique de leurs recherches artistiques sur le fétichisme des objets de consommation ... Finalement on prend à l’art ce que l’art avait pris à la société marchande. On crée, on mix et on remix.
Comme un ingrédient magique qui prendrait à toutes les sauces, les One minute
sculpture (Cf. Img 29) ont connu un palmarès incroyable de reprises ces dernières années. Kit kat par exemple a présenté une publicité où quatre personnes sont dans d’étranges postures reliées par différents objets (Cf. Img 30). Le slogan : one minute break. Le rapport avec la barre de chocolat : aucun. Peu importe l’interprétation corollaire, l’idée est bonne parce que le message est cool. Les Red Hot Chili Peppers n’ont pas manqué à l’appel non plus. Pour leur clip Can’t stop, ils pastichent toutes les One minute sculpture de Wurm (Cf. Img 31). L’idiotie grotesque se mélange parfaitement au rock funk des californiens. Les One minute sculpture deviennent ici une parodie du ridicule. Il n’empêche que l’aspect minimal et conceptuel de la sculpture se voit pris de cours pour être totalement anéantie. Face à cet engouement pour la pose ridicule, la mode s’y est prêtée aussi. Cette fois c’est Hermès qui convie l’artiste à réaliser les photos de présentation de la nouvelle collection (Cf. Img 32). Au final : des photos et des sculptures. « Desperate » met en marche immobile l’opposition entre deux jambes de pantalon faisant le grand écart. « Construct » met en volume purement géométrique et à angles droits le pardessus. « The anarchist » est une photo d’une silhouette masculine debout sur un cheval tenu en laisse et sac croco à la main. Mais le comble de l’idiotie revient à la marque de jeans Diesel (Cf. Img 33). L’idiotie ce n’est pas qu’une affaire de sculpture éphémère, c’est avant tout un style ! « Soyez stupide », telle est la signature-‐manifeste de la campagne diesel, une invitation à l’insouciance et à la dérision. Le message vaudrait à embrasser le ridicule, ignorer les risques, refuser le conformisme ambiant. L’approche s’inspire de la réflexion de Wurm qui souhaite, selon ses propres mots « donner une place à une valeur, à ce que l’on rejette ou ce que l’on cache habituellement : le ridicule, l’échec ». Rien d’étonnant donc a ce que les visuels de la campagne singent l’ironie subversive des One minute sculpture de l’artiste autrichien. « Les malins critiquent, les stupides créent » nous dit même l’une des affiches. Sans doute mais pas à partir de rien.
La publicité singe les artistes, c’est un fait. Mais les artistes se prêtent au jeu avec
plaisir on dirait. En avril 2008, Jeff Koons customise le nouveau logo de Google chrome (Cf. Img 34). Le chrome inoxydable de l’artiste américain devient en quelque clic, le visage de la version elle aussi chromé de la plus grande entreprise de moteur de recherche présente sur la toile.
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Les œuvres, les logos, les images publicitaires se côtoient sur un même registre esthétique. Par exemple une marque de cosmétiques a présenté son nouveau produit en plaçant au cœur de Londres un pot de vernis à ongle agrandie et qui repose sur le liquide qui s’en échappe (Cf. Img 35)5. Bien sûr son but est d’amuser le passant qui à la vue de l’objet s’interrogera sur la marque en question. Et bien sûr, le non initié à l’art contemporain ne fera surement pas le lien avec les expansions de César ou les objets agrandis d’Oldenburg. En même temps, qui aurait été encore choqué si jamais cela avait été Oldenburg qui avait réalisé la sculpture ? 2/ L’art a l’état gazeux
En 2003, Yves Michaud établi le constat de la perte de l’aura sacré dans notre société contemporaine dans son ouvrage l’Art à l’état gazeux. Son analyse porte sur les nouvelles pratiques dans l’art contemporain ainsi que sur l’esthétisation de la société en général. Il débute son introduction par une phrase sans équivoque : « c’est fou ce que le monde est beau… »72 Il établit le paradoxe suivant : dans le règne de la beauté ce qui disparait c’est l’œuvre d’art. La société en général est édulcorée par le beau. La mode, la publicité, la cuisine ou le culte du corps généralisent la notion de l’esthétique mais « c’est comme si, plus il y a de beauté, moins il y a d’œuvre art, ou encore comme si, moins il y a d’art, plus l’artistique se répand et colore tout, passant pour ainsi dire à l’état de gaz ou de vapeur et recouvrant toutes les choses comme une buée. »73. L’œuvre d’art a disparu et a laissé à la place une expérience du beau, comme si elle s’était dissoute et, transformée en gaz, elle se déposait partout. C’est ce qu’il appelle « l’éther esthétique ».
Selon lui l’œuvre d’art ne relève plus de l’objet sacré mais de l’expérience artistique, comme un flux esthétisant que l’on partage en faisant l’expérience de l’œuvre d’art. Depuis Marcel Duchamp et les Ready-‐made l’art est devenu « procédural, il ne dépend plus d’une essence mais des procédures qui le définissent. »74 Il s’oppose à l’art substantiel, c'est-‐à-‐dire que l’objet œuvre n’est plus le résultat de l’art mais c’est l’expérience et la rationalisation de l’œuvre.
La profusion du Ready made.
Avec les Ready made, Duchamp a fait un coup exceptionnel pour l’art. Bien que Michaud admette la portée hautement exceptionnelle le l’action de Duchamp il s’appuie sur Delhomme pour juger que la profusion du Ready made a été aussi son point de basculement. Selon lui plus de la moitié des travaux d’art contemporain sont du Ready made, celui-‐ci est banalisé et donc la pensée critique qu’il détenait s’est vulgarisée, «en fait donc, la popularisation et la vulgarisation du Ready Made, ce qu’on pourrait appeler sa démocratisation – des Ready Mades pour tout le monde et partout -‐, sont responsables de la disparition du monde de l’art par siphonage ou encore par vaporisation de sa substance. »75. Sur ce point il rejoint Thierry De Duve lorsque celui-‐ci écrit dans son texte sur Clément Greenberg « Depuis Duchamp, il est acquis que tout et n’importe quoi peut être de l’art, et le monde de l’art vit aujourd’hui sur ce pacte qui veut qu’un objet quelconque, dés lors qu’il a
72 Yves Michaud, L’art à l’état gazeux. Essai sur le triomphe de l’esthétique, éd. Stock, 2003, p.7 73 Ibid. p.9 74 Ibid. p.50 75 Ibid. p.55
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franchi la porte d’un musée ou d’une galerie, se présente au public_qui n’a plus qu’à opiner du bonet_ déjà doté du statut d’art. Greenberg trouvait cela insupportable, moi aussi. »76.
La dé-‐esthétisation de l’art
Les dadas ont poussé les limites de l’esthétique de l’art en le dé-‐esthétisant, et Michaud s’appuie sur Rosenberg pour avancé sa thèse : « c’est le moment ou, selon les termes de Harold Rosenberg, l’art se dé-‐définit, c'est-‐à-‐dire perd sa définition et se dé-‐esthétise, c'est-‐à-‐dire perd ses composantes esthétiques de plaisir et de beauté »77 Lorsque l’art n’adhère plus aux valeurs de l’esthétisme et que la galerie et le musée font l’œuvre il est clair que sa portée sacrée se voit sérieusement amoindrie. Et les nouvelles théories sur l’esthétisme, après Benjamin et après Greenberg cherche d’ailleurs plus à répondre à la question « Quand y’a-‐t-‐il art ? » Plutôt que « Qu’est ce l’art ? » Au final, selon Michaud, l’art devient une attitude, un rite élitiste qui se fait autour de pièce selon un code spécifique, celui du vernissage ou de l’exposition.
L’art et l’attrait de la nouveauté
Au moment où l’art s’est détaché de sa portée religieuse et transcendantale il s’est autonomisé. Il s’est séparé du sacré et a produit son propre culte où le musée en serait la chapelle. Enfin pour renforcer cette sacralisation de l’art, de nouveaux musées de toutes sortes sont construits tous les jours. Les œuvres en face desquelles nous nous trouvons sont souvent des copies (le cas du Ready Made par exemple où chaque musée conserve une réplique d’un Ready Made perdu). Il n’y a plus de contemplation religieuse devant les œuvres d’art, en revanche le musée codifie nos rapports à celle-‐ci. L’art devient donc une attitude, le musée devient un parc d’attraction et l’art contemporain devient une esthétique de la distraction.
La société réclame du nouveau sans cesse, de nouvelles expositions, de nouveaux artistes, de nouveaux musées… Mais l’attrait de la nouveauté a pour contre partie de ne vivre que dans le présent. Les questions métaphysiques, la recherche de la vérité et de la beauté absolue ne sont plus à l’ordre du jour. La compartimentation de la société et le syndrome du zappeur font que les questions en art deviennent identitaires et égocentriques. Au final, en vivant tellement dans le présent l’art a perdu son caractère universel et éternel. Il est devenu une mode. L’art s’est séparé de la magie pour devenir une distraction. Dans cette optique de la distraction et de la nouveauté, l’art est partout, dans chaque rassemblement il faut du beau. Mais l’art n’est pas là en tant qu’œuvre magique et sacré, il est la distraction esthétisée. Au final l’aura s’est évaporée, elle s’est transformée en un gaz qui se dépose partout, tout est esthétique, tout est beau « l’art se réfugie alors dans une expérience qui n’est plus celle d’objets entourés d’une Aura mais d’une aura qui ne se rattache à rien ou quasiment à rien. »78
Finalement si Erwin Wurm est repris dans une campagne publicitaire et que son message colle étonnamment bien avec le baratin publicitaire c’est qu’il n’y a plus de frontière entre grand art et l’art mineur. Tout est mis au même niveau, au niveau du spectacle, du décor et de la simulation. A trop vouloir être proche de la réalité l’art a fini par
76 Thierry de Duve, Clément Greenberg entre les lignes suivi d’un débat inédit av Clement Greenberg. Paris ed dis voir, 1996 p86. 77 YM, L’art à l’état gazeux, p.93 78 Ibid. p192
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ne plus s’en détacher abolissant sa portée critique. L’art n’aurait pas plus d’influence sur la pub qu’elle n’en a sur lui ? 3/ L’essence est un gaz
« L’adjectif « gazeux » n’effraie ici que ceux qui ne perçoivent dans l’art que son régime de visibilité institutionnelle. Tout comme « immatériel » c’est un terme qui n’est péjoratif que pour ceux qui ne veulent pas le voir »79répondra crument Nicolas Bourriaud à propos de l’essai d’Yves Michaud. Il s’avère que dans son ouvrage, à force d’unifier l’art et de le généraliser à une simple forme sans substance il n’en perçoit plus sa traduction. Selon Bourriaud, c’est justement par ce transfert de l’essence de l’art, que celui-‐ci devient substantiel. La traduction universalise l’œuvre d’art et son essence se solidifie dans le relationnel. De plus, en choisissant de n’évoquer aucun travail d’artiste Michaud porte un coup fatal à l’art, inculpant son accusé sans preuve.
Nous commencerons par revenir sur les artistes de l’air du temps, ceux dont les travaux se retrouvent utilisés dans la publicité afin de dégager leurs démarches par rapport au présupposé lecture que la « culture de masse » en a fait. Car il est vrai que le Ready Made s’est étendu dans l’art mais depuis Duchamp quels chemin a-‐t-‐il parcouru ? Les objets d’Oldenburg, des visages qui nous regardent
Dans les années 60, Oldenburg a basé la quasi intégralité de son travail dans une lignée Duchampienne. L’œuvre de l’américain d'origine chinoise se situe essentiellement, par son humour, sa dérision, son côté délibérément « objet », dans une suite des Ready Made à cela près qu'ici les objets sont détournés ou transformés par le changement d'échelle (Cf. Img 36), par une relation nouvelle avec l'espace ou par leur traduction en des matériaux incompatibles avec leur usage. Ce réalisme, fondé sur le monde de l'objet et de la machine, trouve son apogée dans ces sculptures molles, objets sans échelle, sans structures ni tension ; décervelés, réduits à l'inactivité, à l'avachissement, neutralisés enfin, ils acquièrent, par le souvenir qui subsiste de leur forme, une séduction due à l’imprégnation métaphorique de l’artiste où de leur anthropomorphisme allégorique. Donald Judd écrit à propos du travail d’Oldenburg : « Il est clairement évident que l’œuvre d’Oldenburg inclut des sentiments à l’égard des objets, ses objets sont des objets tels qu’ils sont sentis, non tel qu’ils sont. »80
Oldenburg personnifie ses objets (Cf. Img 37). Il leur donne un visage anthropomorphique qui relève de l’autoportrait de l’artiste. Barbara Rose y lit même un rapport d’ordre totémique. Les objets comme des visages qui nous regardent, revêtent un pouvoir magique et supérieur d’ordre fétichiste. Or ce n’est pas la fétichisation de la valeur marchande de l’objet tel que Marx nous l’a présenté, il s’agit plutôt d’une magie religieuse où l’objet devient un visage qui nous regarde. « Les choses que je vois me voient autant que
79 Nicolas Bourriaud, Radicant. Pour une esthétique de la globalisation, éd. Denoël, 2009, p.62 80 Donald Judd « Claes Oldenburg » texte rédigé en juillet 1966 à l’occasion de l’exposition Oldenburg au Moderna Museet de Stockholm, mais publié pour la première fois in Judd, complete writings 1959-‐1975, the press of the Novia Scotia College of Art and Design, Halifax, New York university press. NY, 1975, p192
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je les voient »81 avait noté Baudelaire. Dans le cas d’Oldenburg, ses sculptures sont des objets personnifiés capable de nous regarder et de cet échange nait la dimension magique de la rencontre. L’inanimé s’anime et dévoile finalement la projection que l’homme se fait sur ce qui l’entoure.
La personnification de l’objet c’est une manière de mettre à mal ou de dévoiler les valeurs fétichistes que porte la société du capital sur les objets. La fat car de Wurm, ou le prolongement des maux de la société
Avec sa Fat Car (Cf. Img 38), Erwin Wurm prolonge le travail d’Oldenburg. L’artiste sculpteur a été imprégné des recherches de l’art minimal et de l’art conceptuel durant son apprentissage en tant qu’étudiant d’art. Mais depuis 1995 c’est à une sculpture figurative qu’il se livre. Si avec les One Minute Sculpture, l’homme était « objectivé » et se transformait en sculpture, La Fat Car (2000) semble aujourd’hui inverser le processus : grossie, dans une situation inconfortable, presque gênée par ses rondeurs, elle semble prendre une forme humaine. Erwin Wurm inverse les codes de représentation et révèle les contradictions de notre société, qui nous conditionne à maigrir et à consommer toujours plus. L’artiste aux multiples facettes, à la fois sculpteur, photographe, dessinateur et qui travaille même pour des campagnes publicitaires continue à interroger le monde. L’idiotie tangible de son œuvre n’est pas que de l’ordre du burlesque. A l’image du bouffon du roi il est celui qui peut se permettre de dire haut et fort ce que tout le monde n’ose s’avouer. Il confie à Obrist Hans-‐Ulrich « Malgré une apparence de démocratie, nous vivons sous une forme de dictature économique de plus en plus forte. Les inégalités se creusent et nous vivons les uns les autres dans des réalités de plus en plus éloignées. Mon travail est très lié à ce constat. J'ai été élevé dans les années 1960-‐1970 et le monde d'aujourd'hui est de plus en plus dominé par l'argent, que ce soit le monde du travail, celui de la mode ou même de l'art... J'en fais partie et par conséquent je pose des questions. »82 Lorsque la Fat Car est reprise pour une campagne publicitaire contre les énergivores la publicité décentralise l’attention sur l’œuvre en lui fournissant un contexte (Cf. Img 39). L’image présente la voiture sortie de son garage d’une maison familiale. Wurm montre la voiture à l’image de l’homme, elle est le reflet dans un miroir déformant où l’homme prend conscience de son appétit de consommation. Or la publicité appauvrie la sculpture en inversant son statut car ici c’est la réflexion de l’homme par rapport à lui-‐même qui s’annule et place l’objet dans son entité inanimée et consommatrice. La véracité du message publicitaire nous raconte que l’objet consomme et que nous subissons cette consommation… Mais malgré la nécessité écologique de préférer aux énergivores des produits « écolos » acheter c’est consommer !
Wurm évoque les différentes strates de la réalité « Nous avons tous une image de la réalité et nous partageons, comme une image collective, un accord sur la représentation du monde. Cette image est disséminée à travers toutes sortes de médias. Mais il est important de garder à l’esprit que la représentation, aussi utile qu’elle soit pour chacun, et donc pour l’intégrité de la société, n’est pas la réalité elle-‐même, juste une construction. Dans mon travail, j’essaie toujours d’interroger cette image. » 83
81 cité par Walter Benjamin. Charles Baudelaire un poète lyrique à l’apogée du capitalisme. Paris, ed Payot 1979 p201 82 Cité dans Beaux Arts Magazine, n°268, p42 83 Cité dans Beaux Arts Magazine, n°268, p42
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Au final les deux artistes recherchent la vérité des objets en les confrontant à nos positions par rapport à eux. L’art se dérobe à la fétichisation de la marchandise en créant un écran sur lequel celle-‐ci se projette et se dévoile. Cette rencontre entre l’œuvre et le public ne ressort pas de l’expérience de l’art comme le formule Michaud, car à expérience l’idée de l’expérimentation et donc du non achevé réside. C’est plutôt d’une relation établit entre l’œuvre et le spectateur qu’enfin elle devient magique. Lorsque le spectateur est face à l’œuvre et se sent vu autant qu’il la voit nait une relation magique. Au final l’aura de l’art ne serait elle pas que relationnelle ? B/ L’esthétique relationnelle 1/ l’œuvre en tant que moment
Dans ses analyses sur l’art contemporain Nicolas Bourriaud définie l’aura artistique par l’expérience de celui-‐ci et la déportation de l’aura de l’œuvre sur le spectateur. Il y a encore cinquante ans, l’art innovait. Par leurs recherches de formes nouvelles et dans leurs déterminations à pousser un peu plus loin les limites de l’art, les avants gardes modifiaient les formes de l’art jusqu'à en modifier sa définition. C’était par l’ébranlement des certitudes actuelles que l’art avançait créant toujours une rupture entre son passé et son avenir. Avec l’art moderne, les limites de l’art ont tellement été poussées, et l’art a tellement été l’objet du scandale que maintenant plus rien ne choque. De ce fait, Nicolas Bourriaud avance : « L’art devait préparer ou annoncer un monde futur : il modélise aujourd’hui des univers possibles. »84 L’artiste présente les images manquantes de la société
Debord a présenté la société actuelle comme celle du spectacle où les hommes vivent dans la représentation. La multiplication des modes de communication, le développement des cités et l’ultra pouvoir du capitalisme ont engendré une société démunie de connexions réelles entre les hommes. Cette société est devenue la société des images. Qu’elles soient publicitaires ou culturelles, elles ont été placées sur un même rapport d’échelle. Un des enjeux de l’art est de montrer la réalité. Bourriaud présente l’exemple de Pierre Huyghe « En produisant des images qui manquent à notre compréhension du réel, Huyghe effectue un travail politique : contrairement à l’idée reçue nous ne sommes pas saturés d’images, mais soumis à la pénurie de certaines images, qu’il s’agit de produire contre la censure. Remplir les blancs qui constellent l’image officielle de la communauté. » Ainsi l’artiste va présenter des photographies d’ouvriers en plein ouvrage sur des panneaux environnants le site de construction (chantier barber Rochechouart, 1994). Il crée des connections entre les différentes réalités et les met à jour, « en d’autre terme, les œuvres ne se donnent plus pour but de former des réalité imaginaires ou utopiques, mais de constituer des modes d’existence ou des modèles d’action à l’intérieur du réel existant, quelle que soit l’échelle choisie par l’artiste. » 85
L’aura de l’œuvre se dépose sur son public 84 Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, éd. Les presses du réel, 2001, p.13 85 Nicolas Bourriaud, Postproduction. La culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde contemporain, éd. Les presses du réel, 2003, p.46
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En pointant ce que la société dissimule, l’art est devenu le produit de l’écart entre ses réalités. C'est-‐à-‐dire que le sujet de l’art est devenu la réalité sociale, il ne cherche plus la représentation utopique mais à présenter la réalité telle qu’elle est dissimulée. Bourriaud fait référence au moment de l’art. La valeur d’exposition et ce qu’elle amène à un niveau relationnel constitue le point cumulant de l’œuvre. L’art « resserre l’espace des relations » contrairement à la télé, au cinéma ou à la littérature. De ce fait l’œuvre devient un « interstice » social tel que Marx a pu la décrire : « L’interstice est un espace de relations humaines qui, tout en s’insérant plus ou moins harmonieusement et ouvertement dans le système globale, suggère d’autres possibilités d’échanges que celles qui sont mises en vigueur dans ce système. »86 Bourdieu le présente plus généralement comme le Capital social, un lieu d’échange et de communication entre les hommes. Mais des deux définitions nous pouvons dégager deux notions clés : l’espace et la relation. A cela Bourriaud ajoute la notion du temps, relative au moment de l’exposition. L’œuvre d’art existe alors dans un espace où des hommes entre en relation à un moment précis. En s’appuyant sur Parreno il démontre que l’objet dans l’art n’est pas le « happy end » mais juste un moment du processus d’exposition.
Au final ce rendez vous avec l’œuvre d’art à un moment donné constitue l’essence de
l’œuvre. La finalité n’est pas la convivialité mais le produit de cette convivialité et ce produit justement c’est l’aura.
Nous pourrions conclure que l’art borde les limites de la société cherchant par la
communication qu’il engendre à cerner les failles de celle-‐ci. Il contourne la société du spectacle en proposant au public sa participation et, en lui montrant la réalité, en le faisant entrer dans un scénario, le spectateur devient acteur.
Mais en 2010, la publicité s’est elle aussi accaparer de ce que Bourdieu nommait le capital social, le traduisant par capital currency, c'est-‐à-‐dire la capacité d’une marque à interférer dans les relations entre les hommes, devenant un sujet de conversation ou une occasion de rencontre. Les publicités ne se pensent plus comme de simples récits : ce sont des expériences, des fictions interactives qui transforment les consommateurs en participants potentiels, en co-‐créateurs de la narration. L’exemple de « Pepsi » en janvier de 2010 se présente comme un appel à idées pour rendre le monde meilleur : en se développant sur les réseaux sociaux d’internet, « the refreshing project » permet à l’internaute de faire une proposition et les mieux notées se voient attribuer une bourse pour leur réalisation. C’est surtout le moyen au-‐delà de la mission, d’engager la conversation avec ses publics du monde entier. Cette stratégie confirme un changement de paradigme dans la publicité : le consommateur n’est plus considéré comme un être passif mais comme un animal social. La culture du message, qui dominait jusqu’ici la publicité, laisse place à une culture du dialogue. Peut-‐on prédire à la publicité de bientôt devenir un langage entre tous les hommes de tous les continent ? Un message universel qui s’affranchirait des barrières ethniques ? 2/ L’exemple de Félix Gonzalez-‐Torres
86 Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, éd. Les presses du réel, 2001, p.16
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La compartimentation de la population
La société organise les populations selon leurs origines, leurs professions, leurs intérêts… C’est aussi un moyen efficace de pouvoir cibler au mieux un marché et pour les publicitaires, de pouvoir orienter leurs messages selon la cible à atteindre. Selon Nicolas Riou dans son analyse de la publicité d’aujourd’hui, les amateurs d’art contemporain, par exemple, sont considérés comme une ethnie, un segment particulier de la société et donc un marché distinct pour le publicitaire. Dans l’art à l’état gazeux, Michaud déplorait de même la perte de l’unicité universelle en art. L’art s’est vu être compartimenter selon sa provenance. L’art est canadien, asiatique, féministe ou homosexuel ect. Le problème engendré par la compartimentation de l’art l’amène à sa perte dans sa recherche de la vérité métaphysique. Les questions abordées par l’art sont devenues égocentrique.
L’œuvre de Félix Gonzalez est facilement classifiable : Artiste cubain, homosexuel, dont le principal sujet artistique repose sur sa relation amoureuse avec son compagnon décédé du SIDA. Mais l’aspect autobiographique devient universel lorsque la relation à deux est évoquée sous sa forme la plus minimale. L’artiste laisse au public la possibilité de pénétrer son imaginaire et son intimité, en transformant les souvenirs complexes et personnels en formes dépouillées.
La participation
Avec ses installations de candys (Cf. Img 40), le public est invité à ramasser les bonbons disposés sur le sol de la salle d’exposition. Le poids du tas est relatif au poids du corps de l’être aimé. C’est aussi la métaphore du corps qui est voué à disparaitre pendant le temps de l’événement. Sur le plan formel, cette œuvre remet en question la solidité et la pérennité de l’œuvre. A propos des Candy pieces Bourriaud note : « lors d’une exposition de Félix Gonzalez-‐Torres, j’ai vu des visiteurs amasser autant de bonbons que leurs mains et leurs poches pouvaient en contenir : les voila renvoyés à leur comportement social, à leur fétichisme, à leur conception accumulative du monde…tandis que d’autres n’osent pas, ou attendent que leur voisin subtilise un bonbon pour en faire autant. »87 Torres nous met face à notre relation en général par rapport à l’œuvre d’art. Etre un des éléments constitutifs de la destruction de l’œuvre est difficile. Mais c’est surtout une manière d’ancrer l’œuvre dans un temps, un rendez-‐vous, puisqu’en même temps qu’elle est détruite, elle construit un moment. Une fois que le dernier bonbon est pris par le public, l’œuvre a disparu. En fait dès le premier bonbon substitué, l’œuvre a déjà muté. Elle n’existe plus en tant que forme mais en tant que moment. L’aura de l’œuvre se trouve justement dans le produit de ce moment. Bourriaud le traduit pas : « De plus en plus, le public se voit d’emblée pris en compte. Comme si désormais, cette « unique apparition d’un lointain » qu’est l’aura artistique se voyait fournie par lui : comme si la micro-‐communauté qui se regroupe devant l’image devenait la source même de l’aura, le « lointain » apparaissant ponctuellement pour auréoler l’œuvre, qui lui délègue ses pouvoirs. L’aura de l’art ne se trouve plus dans l’arrière-‐monde représenté par l’œuvre, ni dans la forme elle –même, mais devant elle, au sein de la forme collective temporaire qu’elle produit en s’exposant. (…) L’art contemporain opère donc un déplacement radical par rapport à l’art moderne, dans le sens ou il ne nie pas l’aura de l’œuvre d’art, mais en déplace l’origine et l’effet. »88 En invitant le spectateur à la participation Torres génère un
87 Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, éd. Les presses du réel, 2001 p.58 88 Ibid. p.62
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lien social. L’œuvre devient un rendez-‐vous. En même temps, il oppose dans une même unicité l’émotionnel (le caractère autobiographique) et le formel (la forme épurée).
L’infiltration de l’artiste
Dans une entrevue avec Joseph Kossuth, Torres légitime son travail d’artiste sous l’allure du parasite : « Je veux être un virus au cœur de l’institution. La culture est ainsi faite que tous les systèmes idéologiques s’auto-‐reproduisent. Donc si je fonctionne comme un virus, un imposteur qui s’infiltre, je me reproduirai moi aussi dans chaque institution. En faisant cela, peut être que j’adhère à des institutions qu’auparavant j’aurais rejetées. L’argent et le capitalisme sont des pouvoirs qui ne sont pas prêts de tomber, du moins pour le moment. C’est au sein de ces structures que des changements peuvent et doivent advenir. Mon adhésion est une stratégie liée à mon rejet initial. »89 Au final, l’art ne peut faire écran à la société qu’en l’investissant. Lorsqu’elle rallie les zones séparées de la société, l’œuvre renoue avec l’utopie. Bourriaud rebondit sur l’implication sociale de l’œuvre d’art dans son ouvrage intitulé Radicant :« Le rôle politique de l’art contemporain réside dans cet affrontement avec un réel qui se défile, n’apparaissant que sous forme de logos et d’entités infigurables : flux, mouvements de capitaux, répétition et distribution de l’information, autant d’images génériques qui entendent échapper à toute visualisation non contrôlée par la communication. Le rôle de l’art est de devenir l’écran radar sur lequel ces formes furtives, repérées et incarnées, peuvent enfin apparaitre et se voir nommées ou figurées. »90
Finalement l’art engendre une esthétique relationnelle qui provoque un lien social,
alors que la publicité génère une esthétique de la distraction. La distraction, c’est le ludique, elle est dépourvue de message transcendantale, ou d’implication émotionnelle. Enfin pour revenir à Michaud, lorsqu’il évoquait l’art contemporain en tant que résidu procédural et donc immatériel, c’est au contraire par le reflet qu’il renvoie de la société que l’art se matérialise. Il définit justement les instances immatérielles de la société. 3/ les hétérotopies et les zones autonomes libres Le musée
Selon Walter Benjamin, la reproduction est à l’origine de la perte de l’aura sacrée de l’œuvre d’art. « On objectera que n’importe quelle œuvre, même reproductible, existe elle aussi hic et nunc : dans le temps et le lieu où le spectateur en fait l’expérience… » 91 En revanche Michaud retrouve Benjamin quant au moment de l’expérience de l’art. » Le spectateur passe d’un monde où il se recueillait devant les œuvres (…) à un monde ou il est distrait et manipulé par les images, pour son plus grand plaisir : s’ouvre le temps de la « réception dans la distraction » »92 Le musée est présenté pour être l’épicentre du désintérêt général des foules pour l’art alors que paradoxalement il est le lieu de culte dédié à celui-‐ci. L’œuvre d’art est appréhendée sous une forme de divertissement: « Au fond, le musée est la plus belle illustration du diagnostic de Benjamin, dans ce qu’il a de plus grinçant : il sauvegarde la valeur culturelle en la soumettant aux valeurs de l’exposition et de 89 Joseph Kosuth-‐Felix Gonzalez-‐Torres, Une conversation, 1993, publié dans Trouble n°1 hiv 2002, traduit par Raphaele Vidaling 90 Nicolas Bourriaud, Radicant. Pour une esthétique de la globalisation, éd. Denoël, 2009 91 Yves Michaud, L’art à l’état gazeux. Essai sur le triomphe de l’esthétique, éd. Stock, 2003, p.113 92 Ibid. p.116
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la publicité »93. Michaud le compare à un parc d’attraction, nous pourrions plutôt dégager l’idée du musée comme un espace d’utopie, c’est à dire en tant qu’espace gouverné par un modèle idéal soustrait aux lois de la consommation. Or le musée est un lieu codifié, avec des rites suffisamment forts pour que l’utopie soit soustraite à celui-‐ci et remplacé par le concept de l’hétérotopie auquel le musée conviendrait mieux. L’hétérotopie
Michel Foucault est à l’origine du concept de l’hétérotopie. Il a exposé son concept en 1967 lors d’une conférence intitulée « des espaces autres ». Ce sont des lieux à l’intérieur d’une société qui en constituent le négatif, où sont pour le moins aux marges. L’hétérotopie est a l’opposé de l’utopie. Foucault la définit ainsi « dans toute culture, dans toute civilisation, il y a des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-‐emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisable. »94 En outre, les hétérotopies sont souvent liées à des « hétérochronies » c'est-‐à-‐dire qu’elles sont en rupture par rapport au temps actuel. Le musée représente un lieu décalé par rapport à la civilisation, qui est régie par ses propres règles mais présente une vision en rupture de la société. De plus, par l’accumulation d’œuvres passées il est constitutif d’un « lieu de tous les temps qui est soit même hors du temps ».
L’utopie
L’hétérotopie se définit par l’opposition au concept d’utopie. En même temps nous l’avons évoqué, l’œuvre d’art se construit autour d’une notion généralisée de l’utopie. Bourriaud note dans Postproduction : « Devenant génératrice de comportements et de réemplois potentiels, l’art vient contredire la culture « passive », opposant des marchandises et leurs consommateurs, en faisant fonctionner les formes à l’intérieur desquelles se déroulent notre existence quotidienne et les objets culturels proposés à notre appréciation. »95 Selon Bourriaud, c’est parce que la société transforme l’histoire en mémorial et en spectacle que les enjeux de l’art contemporain est de composer de nouveaux systèmes de lecture à travers ce spectacle, de façon à ce que la liberté de l’artiste par rapport à la société réglementée puisse construire non pas un, mais des milliers de scénarios alternatifs. A travers ce partage, le moment où nous faisons l’expérience de l’art, l’œuvre se révèle. L’aura de l’œuvre provient du produit de ce partage, de ce qu’elle propose comme scénario et l’implication du spectateur à vivre dedans. Ce produit de la relation pourrait être définie comme une Zone Autonome Temporaire, c'est-‐à-‐dire selon la définition émise par Hakim Bey en 1997, un événement qui « occupe provisoirement un territoire dans l’espace, le temps ou l’imaginaire, et se dissout dés lors qu’il est répertorié. »96 En définitif la TAZ est une utopie, elle n’obéit à aucune autorité et n’est dictée par aucune règle. Son caractère fugitif accroit le fantasme qu’elle suscite et finalement, sur ce point, nous rejoignons le concept de l’aura selon Bourriaud qui se laisse entrevoir qu’au moment de la rencontre pour disparaitre
93 Ibid., p.123 94 www.wikipedia.org 95 Nicolas Bourriaud, Postproduction. La culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde contemporain, éd. Les presses du réel, 2003 96 Hakim Bey, TAZ, Zone Autonome Temporaire, première édition française, éd. De l’Eclat, Paris, 1997, p.5
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une fois l’événement consommé. « A l’heure de l’Etat omniprésent, tout puissant et en même temps lézardé de fissures et de vides, la TAZ est une tactique parfaite. Et parce qu’elle est un microcosme de ce « rêve anarchiste » d’une culture libre, elle est selon moi, la meilleur tactique pour atteindre cet objectif, tout en faisant l’expérience de certains de ses bénéfices ici et maintenant. »97 Hakim Bey a construit sa définition de la TAZ autour des utopies pirates. Il l’a définie aussi contre les doxas de la société « simulée » dans laquelle nous vivons. L’œuvre d’art construit ses propres dogmes mettant en cause l’unique scénario proposé.
En se faisant l’écran radar de la société du spectacle, l’art s’autonomise et devient un
espace libre. Finalement l’aura de l’œuvre d’art c’est le moment de la relation entre l’œuvre et le public, dans un consensus non réglementé, contournant les lois de la société… une utopie.
C/ l’art fait référence à l’art dans la publicité 1/ Le détournement dans l’art Dans le cadre de la biennale de Venise de 2003, la compagnie de vodka Absolut a décidé
de participer à l’évènement en exposant différents artistes ayant réalisé une publicité pour la marque. Le résultat, 16 artistes contemporains de tous les continents ont présenté au Palazzo Zenobio une image vantant la vodka.
Le Ready Made fonctionnel
La publicité pour la vodka Absolut que nous allons étudier est signée par Dan Wolgers (Cf Img 41). Pour celle-‐ci, l’artiste suédois a utilisé un porte bouteille similaire au fameux Ready Made de Duchamp, où une bouteille de vodka Absolut s’égoutte. En revanche, si la signature de Marcel Duchamp est présente sur la base du porte bouteille hérisson, l’objet n’est pas signé dans la publicité. Il préfigure cependant un slogan : « Absolut Wolgers » écrit en gros caractère en bas de l’affiche. Finalement, dans l’image de Wolgers, la signature se soustrait au slogan de la marque.
La différence notable entre les deux images provient de la bouteille vide positionnée sur le porte bouteille. Le Ready made selon sa conception première est libéré de sa fonction. D’objet industriel, il devient œuvre d’art et en tant que tel, il ne peut être utilitaire. La publicité créée par Wolgers joue sur l’iconoclasme. En redonnant une fonction au Ready made, il le fait rebasculer à son état premier, celui d’objet manufacturé. A cela s’ajoute la portée mercantile de la publicité. Le détournement et la répétition en art sont récurant mais comme nous l’avons abordé dans la première partie de ce mémoire, lorsque l’art est détourné dans la publicité, nous parlons souvent d’iconoclasme. Comment aborder le détournement d’un artiste à propos d’un autre artiste dans la publicité ? Finalement l’art ou la publicité post moderne n’ont-‐ils pas en commun que la récupération ?
Le détournement de l’objet détourné
97 Ibid., p.12
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Afin d’obtenir le grade de docteur de l’université de Paris I, Fabien Danesi écrit en 2002 une thèse intitulée « l’ambivalence du Ready Made à l’époque post moderne ». Dans celle-‐ci il va évoquer la plupart des cas de reprises, de détournements et des retentissements du Ready made dans l’art contemporain. Dans les cas de détournements des Ready Made de Duchamp il cite Présence Panchounette.
En effet le collectif s’est lui aussi attaqué au Ready Made avec leur pièce New Ready made. Il en a donné une version dégradée. Il a dit à propos de celui-‐ci : » Duchamp ne nous parait pas aussi important qu’on le dit. Son œuvre est surévaluée. En réalité, il n’existe pas de Ready made. Le porte bouteille est une sculpture. New Ready-‐Made montrait la dégénérescence du porte bouteille de Duchamp. C’est un objet en plastique orange, moins intéressant formellement que le Ready made, bien plus ridicule. Nous sommes critiques de cette soi disant neutralité, très répandue qui n’est que pure idéologie. Nous avons toujours pensé qu’en aucun cas il ne s’agissait de neutralité. »98 . La neutralité renvoie ici au fait que l’art ne contourne pas la société mais en fait partie, où pour reprendre les termes de Danesi par rapport à l’esthétique du Ready made, celle-‐ci « est donc réduite à la chute de l’art dans le champ social : les œuvres ne peuvent dépasser le système qui les produit et qui est lui-‐même clairement localisé au sein de la société. »99 Présence Panchounette s’est attaché a détourné les œuvres d’art afin de les replacer dans un contexte d’objet d’art culturel et de marchandise décorative. L’art ne peut aller au delà de sa réalité, c’est à dire une marchandise ou un élément décoratif.
La société du décor
En 1980, Eric Fabre édite des extraits de la société du décor qui se réapproprie de manière quasi littérale plusieurs des deux cent vingt et une thèses de La Société du spectacle de Guy Debord de 1967 : « toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de représentation s’annonce comme un immense défilé de décor »100 affirme le groupe, alors que le situationniste commençait sa réflexion en notant : « toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. »101 Le passage de la production à la représentation dans le texte de Présence Panchounette efface la structure même du capitalisme et souligne que la consommation et ses images ont définitivement pris le pas sur le processus de production. Si pour les situationnistes le détournement était un moyen d’accéder à la vérité, pour Présence Panchounette, le plagiat et le détournement entretiennent la saturation des pensées. Donc pour souligner cette société du décor, où les objets d’art sont finalement relayés à des marchandises culturelles, Présence Panchounette met à mal les œuvres d’art. Ils cherchent à ridiculiser la sphère de l’art en pointant sa qualité marchande. Par exemple en 1986 il réactualise la tête de taureau de Picasso de 1942 (Cf. Img 42). La selle au cuir craquelé et le guidon de métal rouillé de la version originale sont remplacé par deux objets en plastiques affichant un lifting à la fois humoristique et dérangeant. Le rajeunissement montre la consommation inévitable de l’œuvre. Sous ce maquillage grossier perce la contamination de
98 Cité par Sylvie Coudrec « une conversation avec Présence Panchounette » kanal magazine, op. cit p32, p150 99 Fabien Danesi, Philippe Dagen (Dir.), L’ambivalence du ready-‐made à l’époque postmoderne. 4t.Thèse. Art contemporain. Paris 1, 2002, p. 152 100 Jacque Soulillou, Présence Panchounette. Du décoratif, le paradigme mural. La société du décor, p.115, cité par Danesi dans L’ambivalence du ready made, p.198 101 Guy Debord, La société du spectacle, 3eme édition française éd. Gallimard, Paris, 1992
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l’art par la marchandise. Le remake met fin à l’idée que la création serait au delà des échanges économiques : »(…) ce qu’il aurait fallu, tout de suite après, c’est jeter la tête de taureau, remarquait Picasso. La jeter dans la rue, dans le ruisseau, n’ importe où, mais la jeter. Alors il passe un ouvrier, il la ramasse. Et il trouve que peut être, avec cette tête de taureau, il pourrait faire une selle et un guidon de vélo…et il le fait. Cela aurait été magnifique. »102
Finalement telle que l’aborde la pensée de Panchounette, la société n’est qu’une
accumulation de décors et de marchandises, et nous ne pouvons pas reléguer à l’art de pouvoir se détacher formellement de sa valeur en tant que marchandise culturelle. Le détournement et la répétition ont banalisé le Ready made au point où celui-‐ci n’est devenu qu’un signe dans le paysage culturel. Dans la récupération, le Ready Made se banalise. Il répond à la demande générale de la société du kitsch. Que l’art ou la publicité détourne le Ready made, le versant de la récupération vulgarise le ready made, le re-‐fonctionnalise et lui rend sa fonction d’objet manufacturé, sa qualité de bien et de marchandise tout en s’accaparent sa signification culturelle et en célébrant son kitsch.
2/L’histoire de l’art en abime
Les post modernes et la répétition Selon le point de vue de Schneider exposé dans la première partie, la récupération de
la sculpture dans la publicité a l’effet paradoxal de déplacer la valeur de l’œuvre d’art sur l’objet à promouvoir tout en valorisant la sculpture. La récupération entretient surtout le kitsch de l’œuvre d’art en banalisant sa portée critique.
Chaque œuvre est le produit de citations. Les parallèles, rapprochements ou autres rappels, se font et se défont de manière à mettre l’art en abime. Thierry De Duve écrit à ce sujet : « Une œuvre d’art en interprète toujours au moins une autre, qu’elle soit du même artiste ou non. C’est ce qui fait de l’histoire de l’art une histoire auto-‐interprétative »103 L’art post moderne s’est illustré dans l’art de la répétition et les Ready Made se sont vu multipliés amenant à chaque variation un léger changement de matière ou d’installation. Dans la conclusion de La pub détourne l’art, Schneider note en reprenant Félix Gonzalez Torres : « En même temps que le passé récent est renié, les production du passé plus ancien sont reprises en compte, d’où le gout des post modernes pour la citation (…), mais ce passé n’est pas repris tel quel ; il ressemble à un « miroir brisé » pour reprendre une belle expression de Félix Gonzalez Torres qui pose par ailleurs le constat suivant : « (…) on assiste à l’émergence d’une société distancée et ironique »104. Le nihilisme de Présence Panchounette déplore la société du kitsch qui se construit selon un amoncellement de citations. Mais finalement à chaque récupération un nouveau fait est établi, agrandissant le champs des significations des objets.
L’agrandissement du champs des significations, entre philosophie et art
102 Michel Dupré mentionne l’idée de Picasso sans préciser la source bibliographique. « Les rois de la petite reine », Etant donné.Marcel Duchamp, n°1. Paris/Bordeuaux : Association pour l’Etude de Marcel Duchamp/ éd. Liard, 1999, pp. 127-‐128, cité par Danési, L’ambivalence du ready made, p 339 103 Thierry de Duve, Nominalisme pictural, Marcel Duchamp, la peinture et la modernité, p24 104 Danièle Schneider. La pub détourne l'art. éd : du Tricorne, 1201 Genève, 1999
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Dans son article intitulé Esthétique de la récupération Rudy Steinmetz met en parallèle la philosophie de Derrida sur le langage et les Ready made de marcel Duchamp. Selon lui la réussite du Ready made provient de la capacité de l’objet à contenir un sens technique et un sens esthétique. Le fait que l’objet se retrouve dans le musée crée une rupture du lien entre le signe et sa signification. Lorsque l’objet est déplacé de sa fonction il perd son signe et peut être réactivé sur un fond de milliers d’autres significations, « il suffit qu’il le puisse en vertu d’une double révolution, de notre regard et de nos conceptions. »105 La duplicité du Ready made est qu’il est issu d’une série, il n’est pas unique comme est supposé être une œuvre d’art, et son caractère artistique ne provient finalement, en reprenant de Duve qu’à l’étiquette invisible qu’il porte indiquant « ceci est de l’art ». Cette étiquette est versatile, on pourrait la placer sur n’importe quel objet. Nous ne reviendrons pas plus sur ces points abordés précédemment mais nous pourrions conclure en reprenant Steinmetz « Il n’y a de l’art, ainsi que le soulignait Arthur Danto, que lorsque l’on dit qu’il y en a. Le mot « art » est un performatif et la réalité de l’art n’advient que par lui. »106
Steinmetz met en parallèle l’histoire de l’art et de la philosophie sur leur capacité à se répéter. C'est-‐à-‐dire que les deux disciplines ont promu l’art de la citation. La philosophie de Derrida par rapport au signe est que celle-‐ci évolue avec ses significations. Le moment de basculement où celui-‐ci est réutilisé et décontextualisé lui apporte de nouvelles significations, ce qui permet « d’exorciser le leurre de la réalité »107. Le détournement, la citation et la répétition sont en art et en philosophie ce qui peut faire basculer d’une signification à l’autre. La répétition est l’essence de l’art puisqu’elle pousse à chaque fois un peu plus les étendues de son historicité. Ainsi, Derrida note : « si le beau ne perd rien à être reproduit (…), c’est que dans la « première fois » de sa reproduction, il était déjà essence reproductive. » ou Steinmetz de dire : « Il n’y aurait donc pas antinomie entre « l’unicité » et la « multiplicité de l’œuvre d’art : la première trouverait au contraire dans la seconde le ressort même de sa définition _ pour reprendre une expression de Gianni Vettimo désignant le fait que l’art est toujours en quête de sa propre nature plutôt que détenteur de celle-‐ci. »108 Finalement, et pour reprendre Steinmetz : « L’histoire de l’art et celle de la philosophie ne seraient donc que des reprises perpétuelles et parallèles du principe de répétabilité. Mais avec Duchamp et Derrida on arrive à un point d’exacerbation de ce principe, à un point de croisement ou l’art ne peut plus se passer d’une approche philosophique qui le problématise, et la philosophie d’une pratique artistique qui la mette au travail jusqu’à la rendre impossible. »109 Steinmetz met en parallèle la sémiologie et le Ready made ; Considérons l’urinoir comme un signe comportant son lot de significations. Lorsque Duchamp le signe et l’expose dans le musée il perd son signe dépendant à sa fonction et est remplacé par d’autres significations. Lorsque celui-‐ci se voit une nouvelle fois répéter, il pousse un peu plus loin son champ de lecture apportant une nouvelle véracité sur son essence. La répétition provient de la transposition de la réalité vers d’autres significations.
105 Rudy Steinmetz, « esthétique de la répétition (Duchamp/Derrida), Horizons philosophiques, vol. 3, n°2, 1993 p45-‐60 106 Ibid. 107 Ibid. 108 Derrida cité par Steinmetz in « esthétique de la répétition (Duchamp/Derrida), Horizons philosophiques, vol. 3, n°2, 1993 p45-‐60 109 Ibid.
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Finalement la répétition est un élément de la construction de la culture. Car à chaque
répétition, une nouvelle signification apparait. En revanche l’aspect littéral et premier degré de la publicité n’apporte qu’une lecture linéaire de la répétition. En s’accaparant les valeurs culturelles de l’œuvre d’art, la publicité ne peut les signifier au delà de leurs significations établies.
3/ Les nouveaux mythes Les visages du plastique
Avec New Ready Made Présence Panchounette avait tenté de lifter le porte bouteille de Duchamp. Le collectif avait choisi pour cela l’utilisation d’un plastique orange. Le choix de ce matériau enfonçait la répétition dans le champ du kitsch soulignant la surévaluation des œuvres d’art contemporaines. Pour mettre en évidence ce fait, le choix du plastique est justifié. Ce matériau symbolise l’accès des masses aux biens de consommation. Il accompagne également l’apparition d’une société de loisirs, « avec le développement de la bakélite et du nylon, du plexiglass et du vinyle, les application du plastiques aux biens de consommation dépassèrent bientôt l’imitation de matériaux naturels pour incarner des formes, des couleurs et des textures parfaitement artificielles _leur contact et leur aspect annonçant ainsi une transgression des limites matérielles imposées par la nature depuis la nuit des temps. »110. Aux antipodes de cette fascination de ce que l’on a nommé le Fetish Finish pour la finition parfaite obtenue grâce aux moyens de l’industrie plastique, Anita Molinero, une cinquantaine d’années précédent l’apparition du matériau s’approprie les produits de cette industrie pour les malmener à coup de chalumeau (Cf. Img 43). L’artiste française utilise le Ready Made aussi. Mais elle le présente sous sa forme la plus impropre et déchiré, tel un écorché des objets de l’ère post moderne. Dans sa déconstruction de la chair même de l’objet, il nous apparait sous une forme anthropomorphique. Le plastique dévoile son caractère organique et vivant. Dans l’action de fondre l’objet elle gomme son lissage et sa forme pour n’y laisser que les vérités physiques de son matériau. Et qu’est ce que la sculpture à part un jeu sur les matériaux ?
La mythologie et le Fetisch Finish
En 1980, Tony Cragg a commencé à utiliser le plastique dans sa production. Dans son interview avec Lynne Cook celui-‐ci témoigne « (…) une fois que j’ai commencé à admettre qu’il y avait un matériau sans mythologie et sans poésie, j’ai réalisé qu’en l’utilisant, je pouvais être capable de créer pour moi un autre niveau de sens. Je fabrique des images avec lui afin que le monde soit pour moi plus riche (…) J’essaie de créer des images avec ce matériau qui approfondiront encore et renforcerons les associations qui viennent à l’esprit quand on pense au plastique. »111
Finalement, Cragg essaie avant tout de donner au matériau mort qu’est le plastique, une âme ou du moins a le charger en profondeur. La société actuelle a séparé le religieux et le mythique du reste, il s’agit surtout de redonner de la magie à ce qui nous entoure. Dans les pièces de Cragg le plastique devient un matériau sensible dépositaire d’une auréole 110 Jeffrey L Meiklo, De l’immatérialité virtuelle : plastiques et plasticité au 20 eme siècle. In Catherine Malabou (dir), plasticité, Paris ed Leo Scheer, 2000 p147 111 Cité par Lynne Cooke, Tony Cragg, 12, traduit par fabien Danese, l’ambivalence du ready made, 323
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magique, l’artiste crée avant tout sa propre mythologie du plastique.« Seul un observateur superficiel peut nier qu’il y ait des correspondances entre le monde de la technique et le monde archaïque des symboles de la mythologie »112, écrit Walter Benjamin dans son livre sur les passages parisiens. Tony Cragg cherche aussi à pointer des correspondances, ce qui revient surtout à les inventer : il crée de nouveaux rapports visuels et esthétiques vis à vis de la matière qui aiguise la sensibilité par rapport à celle-‐ci. « Vivre dans un monde qui est devenu principalement artificiel et créé par l’homme. Je peux l’accepter aussi longtemps que le monde artificiel est muni d’images et de significations qui sont aussi profondes et signifiants que celles qui se trouvent dans les choses naturelles. De sorte que, par exemple, quand les tigres s’éteindront, comme les dragons l’ont fait, il y aura quelque chose d’équivalent pour prendre leur place. Si l’on veut écouter la radio plutôt que le chant d’un oiseau, si elle a une valeur que l’on peut accepter, bien, mais je pense alors que l’on doit vraiment développer son potentiel. »113 Un tel propos montre que Tony Cragg n’est pas à la recherche d’un idéal de nature transformé par la technique en un paradis perdu. Il refuse la nostalgie de l’origine qui est l’une des causes de la relation négative que nous entretenons avec l’industrie. Ses œuvres détachent alors les objets artificiels de l’impératif de la productivité pour leur accorder une valeur culturelle (Cf. Img 44). Finalement c’est justement parce qu’ils sont mythifiés par l’artiste que les objets deviennent auratiques. L’art est le moyen de rendre vivant ce que l’industrie et la publicité nous donne comme déshumanisé.
Enfin, pour achever cette partie nous citerons Fabien Danési s’appuyant sur Kant
pour admettre que ce qui différencie foncièrement la pub de l’art c’est que dans le premier cas, il y a un but de communication mercantile et dans le second il n’y a pas de finalité objective : « en fait, l’absence de finalité de l’art rejoint celle de la nature. Kant notait que « face à une production des beaux arts, nous devons prendre conscience qu’il s’agit d’art et non d’un produit de la nature ; mais dans la forme de cette production, la finalité doit paraitre aussi libre de toute contrainte imposée par des règles arbitraires que s’il s’agissait d’un simple produit de la nature. » (…) Rien ne s’impose à l’art, car à travers son absence de finalité, son caractère désintéressé et le libre jeu des facultés, c’est lui qui s’impose. »114. La recherche désintéressée rend la création purifiée de toutes contraintes. Les objets nous apparaissent alors comme humanisés et vivants. Lorsque les sculptures s’imposent à nous comme autant de visages qui nous regardent, nous les contemplons, eux et l’aura qu’ils dégagent.
112 Walter benjamin, Paris, capitale du XIX e siècle. Le livre des passages. Paris ed le cerf, 1989 p478 113 Cité par Lynne Cooke, Tony Cragg, 12, traduit par fabien Danesi, L’ambivalence du ready made, p.323 114 Fabien Danesi, Philippe Dagen (Dir.), L’ambivalence du ready-‐made à l’époque postmoderne. 4t.Thèse. Art contemporain. Paris 1, 2002, p. 154
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Conclusion
Au final, nous avons analysé les rapports qu’entretenaient la publicité avec la sculpture post-‐industrielle d’une manière littérale (Partie I) c'est-‐à-‐dire, lorsque la sculpture était utilisée pour ce qu’elle est et pour les significations auxquelles elle renvoie. Nous avons alors établi le constat que l’art moderne et l’art contemporain suscitaient le désintérêt des profanes, ce qui explique les raisons pour lesquelles les publicitaires ont souvent recours à des références à l’art classique plutôt que récent. Dans la deuxième partie nous avons étudié la question sous un angle structurel, nous avons analysé la capacité de la publicité à se réapproprier les codes de l’art contemporain afin de placer non pas l’objet qu’elle promeut mais la marque qu’elle véhicule au centre d’un réseau social, créant ce que Bourdieu avait appelé du capital social.
Selon Debord, la société capitaliste a aliéné l’homme qui s’est détaché de ses désirs en vivant dans la représentation de la vie. Tous les hommes de toutes les sociétés occidentales avançaient selon un même mouvement, dicté par un même pouvoir, celui du spectacle. La publicité était un des médiums de cette société véhiculant de l’hyper réalité. En revanche l’art se devait de faire un écran radar à la société pour en pointer son fonctionnement. L’ère post industrielle a vu naitre une nouvelle forme de société. Grâce aux nouvelles technologies, la foule aliénée comme la concevait Debord est devenue solitaire, le syndrome du zappeur est apparu. Car internet, parallèlement à l’augmentation du nombre de chaines TV, a contribué à fragmenter l’attention de l’individu et à le rendre plus actif, sélectif et critique ; les publicitaires se sont affranchis de la publicité académique pour aller vers une forme plus évènementielle, mais au final la publicité est devenue plus perfide, plus difficile à cerner. Enfin finalement, il nous faut considérer les artistes comme des agents culturels capables de nous proposer différentes trajectoires par rapport à celles imposées par la société. Et il faut surtout être de plus en plus vigilant et pouvoir discerner quand il y a publicité ou pas, afin de développer une véritable autonomie culturelle.
Enfin nous avons questionné la place du Ready made dans l’art contemporain afin de cerner où se situait son caractère sacré. Il est un des acteurs principaux de la scène contemporaine tout comme l’objet est vital dans notre société. Nous avons tenté de répondre à la question, le Ready made peut il faire publicité une fois qu’il a été établi institutionnellement que celui-‐ci dépendait des beaux arts ? Lorsque Ange Leccia utilise le dernier modèle de la Mercedes exposé sous sa forme de marchandise pour la Documenta, fait-‐il publicité ? Qu’elle est la différence notoire entre ce travail et l’Alfa Roméo dans un caddie exposée au supermarché ? Et puisque les artistes envahissent maintenant les centres commerciaux, quand peut-‐on dire qu’il y a art ?
Ce que Leccia met en évidence c’est le rapport de l’art à la marchandise. C’est tout le propos des simulationnistes, montrer l’art en tant que marchandise absolue, vectrice de pulsion d’achat. Ange Leccia a pointé pour la Documenta VIII la réalité abstraite de l’art ainsi que le financement des multinationales des événements culturels. Il ne montre pas pour autant pas la réalité en dehors de son interprétation et l’art est toujours une représentation. La valeur marchande de la Mercedes a bien disparu lorsqu’elle a été exposée comme tel. « L’art nous met en présence de contre images. En face de cette abstraction économique qui déréalise la vie quotidienne, arme absolue du pouvoir techno-‐marchand, les artistes réactivent les formes en les habitant, piratant les propriétés privées et les copyrights, les
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marques et les produits, les formes muséifiés et les signatures. »115. La Mercedes est ici à l’image d’un Ready Made, c'est-‐à-‐dire quelque chose qu’on ne regarde que du coin de l’œil. Enfin surtout dans le rapport que nous entretenons avec l’objet, la pièce ne nous apparait pas comme marchandise mais comme la signification de la marchandise, c’est à dire relative en tant que signe à défaut d’une valeur.
Finalement, l’aura de l’œuvre d’art contemporaine ne dépend plus de son authenticité et de son unicité mais de ce qu’elle projette et ce qu’elle bouleverse dans nos rapports aux objets. Nous pourrions imaginer l’œuvre d’art exposée comme une entité qui nous fait face et nous regarde. Ainsi en citant Walter Benjamin « les choses que je vois me voient autant que les vois “116. Dans le cadre de l’exposition, l’événement propice à la contemplation, nous pourrions nous imaginer dans un musée des glaces où les œuvres d’art seraient des formes qui nous regardent et nous interrogent, reflétant nos comportements par rapport à elles et aux objets.
« Le sentiment que l’on éprouve devant une œuvre d’art est celui d’une entité relationnelle. Rien en elle ne nous toucherait si nous ne percevions, même confusément, que l’œuvre tisse des liens nombreux et complexes avec son « dehors » : le poids de l’histoire qui l’entoure et les énergies qui la traversent, le destin de l’individu qui l’a engendrée et la résonnance qu’il trouve dans le nôtre. »117 C’est ainsi que débute le texte de Thierry De Duve, Résonnances du Ready Made. Il crée la métaphore de l’œuvre d’art et son caractère énigmatique et paradigmatique avec une pelote. L’œuvre d’art se donne au monde dans sa complexité, elle n’est pas lisible mais visible, ce qui impose le subjectif.
Pour revenir sur la publicité réalisée par Dan Wolgers, nous avons noté que l’impact de la publicité est détenu dans son iconoclasme par rapport à l’œuvre de Duchamp. En même temps en procédant de telle sorte, l’image de la publicité renforce les significations culturelles du Ready-‐Made appuyant sa position d’objet sacré, tel que Schneider l’avait souligné dans son étude, la pub détourne l’art. La répétition dans l’art ou dans la publicité, c’est avant tout valoriser le sacré de l’œuvre originel en intensifiant ses significations culturelles. Or, dans l’art, la répétition ouvre le champ des significations des objets alors que dans la publicité elle ne fait que renforcer leur notoriété.
Nous achèverons ce mémoire en citant Tony Cragg : « Nous sommes passés depuis la
dernière guerre par une période pendant laquelle on a « nommé » de nombreuses possibilités de faire de la sculpture, de nouveaux matériaux, de nouvelles techniques, de nouveaux concepts. Nous avons finalement terminé ce processus de dénomination: ce qui appartenait au « non art », l’urinoir, les empreintes, la sérigraphie, a été pris et mis dans l’art. Il n’y a pas un matériau qui ait été nommé, pas une technique, que ce soit cracher, chier, pisser toutes les réponses physiques, on peut les utiliser (…) Maintenant nous pouvons commencer à écrire des mots, à faire des phrases, à chercher une nouvelle signification. Il y a quelques années, les gens s’inquiétaient du post-‐modernisme, de la fin du modernisme, ils pensaient qu’il ne restait plus rien à inventer, c’est fou! Maintenant tout est en place (…) c’est le vrai moment
115 Nicolas Bourriaud, Postproduction. La culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde contemporain, éd. Les presses du réel, 2003, p.92 116 Water Benjamin, Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, paris : éd Payot, 1979, p201 117 Thierry de Duve, Résonances du readymade. Duchamp entre avant-garde et tradition, éd. Jacqueline Chambon, 1989, p.9
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pour commencer à travailler. »118 Si l’art n’a pas de finalité, il n’a non plus pas de fin. Tant que l’homme sera, l’art existera car il est son moyen d’expression. La publicité quant à elle n’est qu’un médium au présent, les sculptures publicitaires sont vouées à disparaitre selon la fluctuation de la mode, elles n’ont pas d’histoire. Et tant que la publicité détournera l’art, elle ne fera que renforcer sa notoriété. Bibliographie Baudrillard Jean, La société de consommation. Ses mythes, ses structures, éd. Denoël, 1970 Benjamin Walter, Paris, capitale du XIX e siècle. Le livre des passages. Paris éd. Le Cerf, 1989 Benjamin Walter, Charles Baudelaire, Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, éd. Payot, 1979
118 Tony Cragg, cité par l’auteur, La sculpture de Derain à Séchas, Centre George Pompidou
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