Jean-Marc Lemelin
LA VIOLENCE ET SA REPRÉSENTATION
(Notes de cours)
Domination ← Détermination
↑
Surdétermination
(sous-détermination)
Description ← Compréhension
(comment) (quoi)
↑
Explication
(pourquoi)
Montrer ← Démontrer
↑
Dé/monter
INTRODUCTION
Mouvement
Violence ← Pouvoir
↑
Force
La force est physique, animale, voire bestiale ;
elle est gravitation : traction ou pulsion,
attraction ou répulsion.
La force est mécanique [Aristote, Archimède] ;
elle est technique et dynamique [Newton,
Einstein].
Dans un corps animal, elle est biologique,
physiologique, musculaire.
La force surdétermine le pouvoir et la violence.
Le pouvoir est l’exercice de la force, surtout
par l’État, qui peut le concentrer dans l’armée,
la police, la milice.
Le pouvoir détermine la violence.
La violence, dont le pouvoir ou le biopouvoir
peut avoir le monopole, est à la fois conflit,
contrainte et contact :
Violence
Conflit ← Contrainte
↑
Contact
[tact (toucher et doigté) et tactique]
La violence fait peur et fait mal [Yves Michaud].
Dans l’antagonisme, la violence domine ; elle est
polémique [« polemos » : guerre] et agonique
[« agon » : angoisse et agonie, lutte].
L’oppression est la violence du pouvoir.
La destruction est le pouvoir de la violence.
Le gouvernement est la force du pouvoir.
L’autorité est le pouvoir de la force.
L’agressivité est la force de la violence.
La puissance est la violence de la force.
Il n’y a pas de domination sans violence et pas
de violence sans domination ; la domination ne se
confond pas avec l’autorité ou le gouvernement.
La violence n’est pas nécessairement
l’agressivité ou la cruauté (brutalité, dureté,
férocité) ; c'est-à-dire que la violence peut
être physique ou symbolique : l’évaluation
scolaire ou universitaire est symbolique…
La violence verbale n’est ni physique ni
symbolique ou elle est les deux, selon les
situations.
Dans ce cours, il ne sera pas question de la
violence naturelle (catastrophes, calamités,
maladies, « loi de la jungle ») et de la
violence accidentelle (accidents, incidents,
malchances, hasards).
Il sera question de la violence volontaire ou
intentionnelle, où il y a donc :
1. un bourreau : agent, sujet,
2. un acte : projet, trajet,
3. une victime : patient, objet.
Mais il est vrai qu’une victime peut devenir
bourreau à son tour.
Il y a une vérité de la violence ; elle est du
côté de la victime : c’est la violence de la
vérité.
La violence attaque le corps, d’abord dans son
animalité ou sa sexualité.
Toutefois, ce n’est pas à la victime de juger,
mais à un tiers : témoin, jury ou juge ; sinon on
est victime de l’idéologie victimaire, qui est
l’idéologie religieuse du martyr : « témoin (de
Dieu) ».
Par ailleurs, il n’y a pas de vie sans violence :
la violence (de la force) est l’origine de la
vie.
Peut-être qu’il n’y a pas de sexualité non plus
sans un minimum de violence, la sexualité ayant à
voir avec et la vie et la mort : l’orgasme n’est-
il pas une « petite mort » [Georges Bataille] ?
En outre, il n’y a guère de représentation de la
violence, dans l’art et la littérature par
exemple, sans violence de la représentation,
comme nous le verrons avec Lautréamont et Aquin.
Enfin, il y a technique de la violence en même
temps qu’il y a violence de la technique : la
technique est à la fois représentée (montrée) et
représentante.
I
LA CLASSIFICATION DE LA VIOLENCE
A) La violence physique
Contre les choses : la propriété
Contre les corps : la personne
La violence symbolique
Pour l’évaluation culturelle
Pour la sélection sociale
B) La violence individuelle (privée, domestique)
La violence collective (publique, étatique,
institutionnelle, rituelle)
II
LE SPECTRE DE LA VIOLENCE PHYSIQUE
A) La violence carnivore :
la violence contre les animaux
L’humain est (un) animal, mais l’animal n’est pas
(un) humain.
Chasse
Pêche
Domestication
Élevage
Abattage
Combat
(coqs, chiens)
Course
(lévriers, chevaux)
Corrida
(taureaux)
Cirque
Zoo
Zoophilie
Cannibalisme non rituel
Spécisme
Il y a parfois massacre de bétail, comme en pays
xhosa au Cap, en Afrique du Sud, en 1856-1857 :
400 000 bêtes ont été abattues et 40 000 humais
en sont morts de faim ou d’épuisement. Il en a
été de même lors des épidémies : « vache folle »,
grippe ovine ou porcine.
Malheureusement, c’est encore pire actuellement
dans les abattoirs industriels, où l’on tue même
à la naissance des dizaines de millions
d’animaux, surtout la volaille (poussins,
canettes), que l’on ne mange même pas, parce
qu’ils n’ont pas été sélectionnés pour leur chair
ou parce qu’ils n’ont pas le foie qu’il faut pour
être gavés…
Cependant, s’il n’y avait pas eu la chasse et la
pêche, s’il n’y avait pas eu la viande et le
foyer pour la cuire, nous ne serions pas ici
aujourd’hui : Homo sapiens ne serait jamais
apparu ! - Mais c’est un « alibi historique »,
selon l’ « animalisme » (éthique animale ou
environnementale).
[Nécrophilie : violence contre les cadavres]
B) La violence interlope (mafieuse ou autre)
1) La violence contre les choses ou les biens :
Vol
Violation
(vandalisme, délinquance, « contrevenance »)
Fraude
2) La violence contre les personnes :
Trafic de drogues
Trafic d’armes
Protection
Crime organisé
Banditisme
Gangs
[Les « grands bandits » (des westerns aux films
policiers) ou les tueurs en série comme Gilles de
Rais sont sans doute des pervers ; c’est-à-dire
qu’ils se considèrent au-dessus de la Loi ; ce
sont des transgresseurs et ils détruisent les
sociétés, alors que les obsessionnels les
construisent.]
C) La violence quotidienne : domestique, scolaire
Foyer
École
(bizutage : initiation)
(harcèlement)
D)Les violences sexuelles
1) La violence contre les enfants
(violence générationnelle)
Punition
Coup
Blessure
Abus
Inceste
Pédérastie
Pédophilie
Viol
Meurtre
2) La violence contre les femmes
Misogynie
Chauvinisme
Machisme
Sexisme
Harcèlement
Voyeurisme
Exhibitionnisme
Pornographie
Délits
Agressions
Proxénétisme
Traite
Viol
Meurtre
3) La violence contre les homosexuels ou les
transsexuels
Homophobie
Transphobie
Viol
Meurtre
Sadisme
E) Les violences religieuses (sectaires,
rituelles)
Sacrifice
Inquisition
Chasse aux sorcières
Sectes
(fondamentalisme, intégrisme)
Cannibalisme rituel
Rites de passage
Initiations → Mutilations → Douleur
(« douleur infligée »)
Circoncision
Excision
Subincision
Scarification
Amputation d’un doigt
Limage ou arrachage de dents
Perçage
Tatouage
Brûlure
Bastonnade
Brimade
Autres épreuves
L’initiation est de la torture, mais la torture
n’est pas de l’initiation.
Peine
Douleur ← Mal
(être mal, avoir mal, faire mal)
(se faire mal, se sentir mal, se donner du mal)
↑
Souffrance
F) Les violences politiques (étatiques ou non)
et sociales
1) La violence génocidaire
Génocide
Tutsis
Juifs
(judéocide : « Shoah », « holocauste »)
Arméniens
Héréros
Amérindiens
Démocide /Politicide
(URSS, Chine, Cambodge)
Pogrom
Massacre
Carnage
Antisémitisme
Négationnisme
2) La violence ethnocidaire
Ethnocide
« nettoyage ethnique »
« purification ethnique »
« épuration ethnique »
« ethnic cleansing »
(Balkans)
Nationalisme ethnique
3) La violence raciale
Esclavage
(servitude, asservissement)
Afro-Américains
(Non-Blancs)
Lynchage
Apartheid
(Afrique du Sud)
Ségrégation
(USA)
Racisme
4) La violence militaire
Guerre
Guerres de religions
Guerre de cent ans
Guerre de Trente ans
Guerres mondiales
Guerres Civiles
Crimes de guerre
Crimes contre l’humanité
5) La violence révolutionnaire
Révolution
1776 : Révolution américaine
1789 : Révolution française
1917 : Révolution soviétique
1949 : Révolution chinoise
Guérilla
(Bolivie, Colombie)
6) La violence contestataire
Contestation
Manifestation
Émeute
Révolte
Grève
Attentat
Insurrection
(→ révolution ?)
7) La violence policière
Police
Milice
(Brésil)
Sécurité
8) Le terrorisme ou le « terrolitarisme »
Le rapt ou l’enlèvement
La rançon
9) La torture (« douleur infligée »)
Torture physique
(physique, physiologique)
Torture psychologique
(« torture blanche » : sans taches ou traces)
10) La violence concentrationnaire
Centres d’extermination ou de mise à mort
Camps de concentration
Camps de réfugiés
Camps de prisonniers de guerre
Ghettos
G) Les violences juridiques ou judiciaires
1) La violence pénitentiaire
Orphelinats
Asiles
Prisons
Pénitenciers
Travaux forcés
2) Le bâton ou le fouet : la flagellation
3) La peine de mort (supplice)
Lapidation
Crucifixion
Bûcher
Écartèlement
(Exécution du régicide Damiens le 2 mars 1757)
[voir Foucault : Surveiller et punir au début]
Epée
Hache
Guillotine
Pal
Fusillade
(peloton d’exécution)
Pendaison
(Potence)
Injection
Électrocution
(chaise électrique)
Asphyxie
(gaz)
[chambre à gaz : Zyklon B]
Autres outils ou armes de meurtre : couteau,
poignard, marteau, masse, grenade, bombe, fusée,
torpille, poison, mains (étranglement).
Meurtres
Homicide
Infanticide
Parricide
Matricide
Fratricide
Régicide
Tyrannicide
Déterminer si c’est un meurtre et juger si ce
meurtre est un crime : justice.
H) La violence martiale : combat corps à corps
Querelle
Bagarre
Bataille
Duel
Arts martiaux
I) La violence sportive
Le sport est la ritualisation de la violence,
contrairement à la chasse (qui est une
manifestation de la force) et à la guerre (qui
est la concentration, l’extension ou l’expansion
du pouvoir) ; c’est-à-dire que la violence y est
réglée par des normes ; mais il y a transgression
des règles qui conduit à la punition ou à la
suspension des acteurs (joueurs). Les spectateurs
peuvent succomber à la violence du spectacle ou
s’abandonner au spectacle de la violence
(« hooligans », bandes).
Violence du/dans le spectacle
Arène Joute Lutte
Gladiateurs vs gladiateurs
Esclaves de Rome
Violence du rituel
Affranchissement
Vie ou mort
Arène Corrida Combat
Torero vs taureau
Violence de la ritualisation
Rite/mythe
Cérémonie
Stade Jeu Sport
Joueurs (athlètes) vs joueurs
USA (surtout basketball, football et boxe) →
Afro-Américains : descendants d’esclaves
Ritualisation de la violence
Fortune et/ou gloire
Victoire ou défaite
Spectateurs
Spectacle de/sur la violence
J) La violence médicale
La violence médicale résulte de la violence
scientifique, de la violence de la science.
Euthanasie
(en finir avec le présent)
Vasectomie
(en finir avec le futur)
Lobotomie
(en finir avec le passé)
Laboratoires
Prothèses
Greffes d’organes
Chirurgie
(plastique, esthétique, génitale)
Transsexualisme
Alors que la chirurgie plastique cherche à
rétablir la nature (passée), la chirurgie
génitale ou sexologique cherche à établir par la
culture (future).
K) L’autoviolence (« violence affligée »)
Automutilation
(transsexualisme, psychose, autisme)
Masochisme
Suicide et conduites suicidaires
(alcoolisme, toxicomanie)
(conduites à risques :
alpinisme, parachutisme, acrobatie, vitesse)
*
Si la violence de la nature est exclue ici, on
pourrait inclure la violence de la misère :
chômage, pauvreté, famine, épidémie ; c’est une
violence causée par la culture.
Pour conclure cette section :
Humanité
Gestualité ← Oralité
↑
Animalité
(sexualité)
Action ← Raison
↑
Passion
Il y a donc surdétermination par l’animalité ou
la sexualité et donc par la castration, la
finitude, la mort.
Nature ← Culture
↑
Posture
III
LA REPRÉSENTATION DE LA VIOLENCE
La violence est représentée depuis très
longtemps :
L’art paléolitique
↓ ↓
Mobilier Immobilier
↓ ↓
Rupestre Pariétal
(extérieur) (intérieur)
[rochers] [grottes]
L’art préhistorique est peut-être structuré par
deux principes : le principe femelle de vie
(cueillette, femme, proie, blessure ; cheval et
bison) et le principe mâle de mort (chasse,
homme, prédateur, arme ; lion et ours).
→ La scène du puits de Lascaux (17 000 années)
[Picard]
L’art mésolithique et néolithique
(céramique, poterie)
[Otte]
Les textes sacrés
La Bible
Le Coran
Les Védas
Religieux
Profane ← Sacré
↑
Divin
La mythologie
Grecque
Latine
Nordique
Celtique
La sculpture
[Giacometti, Bernier]
La peinture
La littérature
La tragédie ne montre pas la violence ; elle la
raconte.
La bande dessinée
La musique
Rock
Punk
Rap
La performance
Orlan
Le cinéma
Le dessin animé
Il n’y a pas de cinéma sans violence ; le cinéma
montre ce que la tragédie ne montre pas.
La presse
(écrite, parlée, télévisée)
La télévision
Les jeux vidéo
L’internet
La propagande peut faire passer la guerre pour du
travail, c’est-à-dire pour la production ou la
fécondité.
Le sport américain (football, basketball,
baseball, boxe, etc.) est un « fruit », un résidu
ou un résultat de l’esclavage.
IV
L’UNIVERS CONCENTRATIONNAIRE DU JUDÉOCIDE
Alors que dans Les Chants de Maldoror du comte de
Lautréamont et dans Neige noire d’Hubert Aquin,
nous avons affaire à la représentation de la
violence fictionnelle, avec le judéocide, il
s’git de la violence factuelle.
Juifs (avec une majuscule) : peuple sémite,
peuple hébreu, parlant souvent le
yiddish (ashkénazes);
juifs (avec une minuscule) : de religion juive ou
israélite.
Le judaïsme est le premier monothéisme (Abraham,
Moïse) ; c’est la religion du Père, alors que le
christianisme est la religion du Fils.
Le judéocide (Holocauste aux États-Unis, Shoah en
Europe) est le génocide de cinq à six millions de
Juifs par les Allemands et leurs alliés pendant
la Deuxième Guerre Mondiale.
Avant le judéocide, les Juifs ont été victimes de
l’antisémitisme : ils ont été les esclaves des
Égyptiens, ils ont été les victimes de pogroms ou
de massacres ; ils ont été entassés dans des
ghettos. Les Juifs ont été accusés d’avoir tué le
Christ, qui était un Juif ; or, ce sont les
Romains qui l’ont tué sur le Golgotha, le
calvaire. Au Moyen Âge, on les a accusés
d’empoissonner l’eau des puits, d’enlever de
jeunes filles chrétiennes pour les sacrifier, de
répandre des maladies comme la peste ou la lèpre,
etc. L’antisémitisme était répandu en Russie
tsariste, en Europe de l’Est et en Europe de
l’Ouest ; les Juifs ont été expulsés d’Espagne en
1492 et refoulés en Afrique du Nord (séfarades).
Au XXe siècle en Allemagne, les Juifs ne
dépassaient pas 1% de la population. Partout dans
le monde, il y en avait quinze ou seize millions,
dont trois millions ou plus en Pologne, surtout à
Varsovie, Cracovie et Lotz, où les nazis ont
établi des ghettos.
Le nazisme
1. Ses origines
. Au XIXe siècle :
- Empire austro-hongrois
- La Prusse réunie par Bismarck
- 1870 : guerre entre la Prusse et la France
. Au XXe siècle :
- Première Guerre Mondiale : défaite
- Traité de Versailles en 1919 exigeant toutes
sortes de compensations
/ rôle du président américain Wilson
- Inflation galopante
- Krach de 1929
- Faiblesse économique et politique de la
République de Weimar, malgré sa force
culturelle (Bauhaus, expressionnisme)
- Opposition au communisme
- Montée du sionisme
3) Ses composantes comme folie et violence
collective :
. Le parti national-socialiste (nazi)
- L’élite du parti : les SS (250 000 en 1942)
- La Gestapo
- Les SA
- Hitler, Himmler et Heydrich
. Le totalitarisme :
Pays = État = parti unique ou dictature →
fascisme
. Le nationalisme, surtout populiste [« Volk »]
de l’espace vital, avec l’esprit guerrier de
l’Aryen.
. Un soi-disant socialisme, qui est plutôt un
capitalisme d’État, comme en URSS sous Staline à
la même époque.
. L’antisémitisme VS le « judéo-bolchévisme »
Les camps
Il y a eu des camps de concentration ou, tout au
moins, des camps de travail en Russie au XIXe
siècle : voir F. Dostoïevski Souvenirs de la
maison des morts, qui est un témoignage.
Ailleurs, il y avait la peine des galères (abolie
en France en 1748) ou les travaux forcés.
En Allemagne, ils sont apparus en 1933, avec
l’arrivée de Hitler et de son parti au pouvoir,
et Dachau en est le modèle ; ils ont d’abord été
conçus pour enfermer et isoler les adversaires du
régime nazi : communistes, socialistes,
criminels, etc. À partir du début de la guerre en
1939, ils vont se multiplier en Allemagne et dans
l’Europe occupée : Pologne, Tchécoslovaquie,
Autriche et France (le Struthof près de
Strasbourg). Il y a une grande variation dans le
nombre de détenus : quelques centaines, quelques
milliers, plusieurs dizaine de milliers (plus de
80 000 à Buchenwald, de 180 à 190 000 à
Auschwitz-Birkenau en mai 1944).
Certains camps sont de véritables villes, avec
des villas pour les SS et les baraques pour les
prisonniers ; il y a des ateliers, un hôpital ou
une infirmerie [« Revier »] et parfois même un
bordel. Y régnaient la bureaucratie et la
technocratie, les numéros et les statistiques, le
calcul et la terreur. Si les camps de
concentration n’avaient pas d’abord été conçus
pour le judéocide, ils le sont devenus avec la
« Solution Finale » du problème des Juifs en
Europe, à partie de 1941 ou 1942.
1. L’organisation administrative
. Himmler
. Les SS
. Les Kapos
. Les chefs ou les doyens de blocks
. Les Kommandos
- Construction
- Réparation des toits
- Coupe du bois
- Routes
- Fossés et égouts
- Cuisines
- Toilettes
- Carrières
- Bagages [« Canada » à Auschwitz-Birkenau]
- Fausse monnaie
. Les Sonderkommandos
[Le nom polonais d’Auschwitz est Oswiecin.]
2. Les prisonniers ou les détenus [«Verfüghar»]
Les détenus étaient identifiés par des triangles
de différentes couleurs.
a) Avant et pendant la guerre : Allemands
. Les prisonniers de droit commun ou les
criminels : les Verts (souvent kapos ou
informateurs)
. Les prisonniers politiques, surtout des
communistes, ou d’anciens nazis : les Rouges
. Les délinquants : les Noirs
. Les Témoins de Jéhovah (objecteurs de
conscience, pacifistes : interdits en 1933,
arrêtées en 1939) : les Violets
. Les homosexuels : les Roses
b) Pendant la guerre
. Les prêtres polonais (4000-5000 à Dachau en
1942)
. Les Tziganes d’Europe de l’Est : les Bruns
. Les Juifs : les Jaunes (étoile de David +
lettre identifiant la nationalité)
. Les prisonniers de guerre : France, Belgique,
Pays Bas, Europe de l’Est (Pologne, Hongrie,
Tchécoslovaquie), Russie (10 000 prisonniers
russes éliminés en quelques mois)
Que la décision ait été prise en 1941 ou en 1942,
on peut considérer que la « Solution finale » des
Juifs en Europe a commencé en pratique en juin
1941 avec l’invasion de l’URSS par l’Allemagne ;
avec parfois la collaboration des Ukrainiens, les
groupes d’intervention [« Einsatzgruppen »] ont
commencé à exécuter les Juifs et les commissaires
communistes derrière la Wehrmacht, l’armée
allemande n’étant pas elle-même étrangère au
judéocide ; 1 300 000 Juifs auraient ainsi été
éliminés, ce qui est plus qu’à Auschwitz-Birkenau
(1 000 000) et que dans les ghettos (800 000).
3. Les principaux camps
Parmi les camps de concentration, Dachau,
Buchenwald (avec Dora) et Sachsenhausen étaient
dominés par les Rouges ; Mauthausen, Flossenbürg
et Gross-Rosen étaient dominés par les Verts ;
Ravensbrück était un camp de femmes, où il y
avait peut-être une chambre à gaz en
construction.
Auschwitz-Birkenau et Maïdanek ont été des camps
de concentration et d’extermination.
Belzec, Chelmno, Sobibor et Treblinka ont été des
centres d’extermination, des « centres de mise à
mort » [Hilberg], en 1941-1943 : les chambres à
gaz son venues après les camions de gazage. Cette
technique était venue du gazage de 60 à 70 000
aliénés mentaux ou des handicapés, au début de la
guerre.
4) Le chemin de la mort
La déportation des Juifs a donc connu deux
trajets : un trajet direct, de la déportation aux
centres d’extermination, ces camps de la mort,
après la confiscation des biens ; un trajet
indirect, de la déportation aux camps de
concentration, ces camps de travail menant -
lentement ou non et avec ou sans sélection - à la
chambre à gaz et aux fours. Après le regroupement
dans des ghettos ou dans des stades, comme le
Vélodrome d’Hiver à Paris à la mi-juillet 1942
(vers Drancy), il y avait la séparation des
hommes valides d’un côté, des femmes, des enfants
et des vieillards de l’autre ; puis venait le
transport : les convois de wagons à bestiaux, où
étaient entassées de 60 à 80 personnes. A
l’arrivée à un camp comme Auschwitz-Birkenau, il
était procédé au marquage, au tatouage et au
rasage après la confiscation, avant l’attribution
des vêtements et l’assignation à une baraque,
puis à un kommando, où il fallait essayer
d’échapper à la sélection effectuée par les
médecins ; les Sonderkommandos s’occupaient de
faire entrer les gens dans les chambres à gaz, de
les sortir, d’arracher les dents en or et de
couper les cheveux avant de les enfourner et de
disposer de leurs cendres. Enfin, à l’hiver 1945,
il y a eu l’évacuation des camps et l’élimination
des plus faibles, achevés à la mitraillette sur
les routes.
Diviser, séparer, pour régner : mettre des
prisonniers de différentes catégories, de
diverses nationalités ou de diverses langues dans
une même baraque pour ne pas qu’ils s’allient et
même, au contraire, pour qu’ils se combattent. Ne
pas traiter les détenus comme des individus
humains, mais comme des animaux que l’on mène à
l’abattoir…
Les chambres à gaz ont été un moyen pour les SS,
épargnés d’aller se battre sur le front de l’Est
et de risquer d’y mourir, de ne plus faire face
directement au meurtre, à la mort : il est plus
facile de tuer à distance – avec la bomme
atomique à Hiroshima et à Nakazaki en août 1945,
par exemple – que de tuer en contact. Les nazis
eux-mêmes ont pu craquer après avoir tué ;
Himmler lui-même se serait évanoui après avoir
assisté à une exécution ou à un gazage.
Tuer n’est pas la règle humaine.
5. La violence et la souffrance
. La discipline en vue des humiliations
. La soi-disant propreté (rasage, nettoyage)
. La routine (cérémonial, rituel)
- Les appels
- Les saluts aux SS
- Les sélections en vue des transports
. Le contrôle
- L’interception du courrier et des colis
- Les fausses cartes postales
- La confiscation des biens
. Le travail : les kommandos
« Le travail rend libre »
- Le travail inutile
- Le travail utile pour la guerre (Dora, mais
les fusées V1 et V2 n’ont guère fonctionné ou
ont mal fonctionné)
. La saleté et la promiscuité
- La vermine (rats, poux, punaises)
- La crasse, la boue, la merde, le sang
- Les vêtements et les chaussures dépareillées
- Les baraques surpeuplées
. La brutalité
- Les chiens entraînés à tuer
- Les coups
- Le bâton ou le fouet
. La cruauté
- La torture (brûlures, torsions, électrochocs)
- Les expériences médicales (soi-disant
scientifiques)
/ Stérilisation
/ Endurance à l’eau froide
/ Eugénisme
/ Injection de virus
(cancer, malaria, typhus)
/ drogues
/ Josef Mengele et les jumeaux
- Les exécutions
/ Garrot
/ Balle dans la nuque
/ Pendaison
/ Injection létale au Revier
/ Gaz et four : la machine à tuer
- La misère
/ Soif
/ Faim
/ Froid
/ Fatigue
/ Maladie (dysenterie, typhus transmis par
les poux)
/ Faiblesse : les « musulmans » comme morts-
vivants ou vivants-morts
- Les suicides sur les barbelés
. Le cynisme
- Les concerts
- Les jeux
6. La résistance et la survivance
. Ralentissement du travail
. Sabotage
. Révolte
. Insurrections : Sobibor, Birkenau, ghetto de
Varsovie (avril 1944)
. « Organiser » : chance, vol
. Les cigarettes comme monnaie
. La collaboration et le mouchardage
. L’homosexualité
Survivre pour témoigner.
Témoigner pour survivre.
Les causes du nazisme et donc du judéocide
1. Une cause historique
Chez les historiens, il y a un débat qui oppose
les intentionnalistes et les fonctionnalistes.
Pour l’intentionnalisme, l’antisémitisme est la
cause de la guerre et du judéocide. L’intention
d’exterminer les Juifs existait depuis la
fondation du parti-nationaliste, depuis Mon
combat d’Adolf Hitler en 1924, depuis la prise du
pouvoir en 1933 et a fortiori avec le début de la
guerre. Il est vrai aussi qu’il y a une
« idéologie allemande », de l’idéalisme en
philosophie au romantisme en littérature, depuis
au moins le XVIIIe siècle, sinon depuis la
Réforme de Luther, à l’effet que l’Allemagne ou
la Germanie avait la mission civilisatrice de
sauver l’Europe contre la « barbarie » de l’Asie.
Le nazisme serait donc passé de l’euphorie de la
victoire à la dysphorie de la défaite en 1941-
1942.
Pour le fonctionnalisme, la « Solution finale »
est un effet de la guerre et des défaites ; le
génocide est le résultat de la dégringolade ou de
la débandade de l’Allemagne en URSS ; il est le
dérapage de l’appareil nazi, qui est plein
d’incohérences et de contradictions, d’absence de
décisions ou de décisions contradictoires,
d’intérêts contraires entre l’économie de la
guerre et l’idéologie de la race, de luttes de
pouvoir (Himmler, Goring, Goebbels, etc.) autour
de la personne du chef.
Il faudrait voir comment se départagent ainsi les
historiens selon qu’ils sont Juifs ou non.
2. Une cause sociologique ou socio-historique
Pour Nicos Poulantzas et le socialisme, le
nazisme est l’aboutissement du développement
impérialiste dans une économie de guerre. Lénine
avait déjà entrevu que l’impérialisme conduisait
à la guerre, mais cela n’explique pas les camps
de concentration et les centres d’extermination ;
c’est-à-dire que même si les SS ont fait de
l’argent avec les camps, ceux-ci ont fini par
avoir un caractère particulièrement
antiproductif, destructif. Il aurait sans doute
été plus productif de mieux nourrir les détenus
pour les faire travailler davantage. Les
intentionnalistes y verraient un argument en
faveur de leur thèse : le judéocide n’était pas
un moyen mais une fin, le but de la guerre.
3. Une cause psycho-historique
Pour Wilhem Reich, qui a essayé de concilier Marx
et Freud, il s’agit de la dérive des masses, qui
s’identifient à un chef, au guide, au Führer. On
ne saurait minimiser la forte personnalité et la
figure charismatique d’Adolf Hitler [Kershaw] ;
mais seul, il n’aurait rien pu faire et il avait
déjà raté son coup d’État avant de se retrouver
en prison. La folie individuelle ne peut
expliquer la folie collective, même s’il n’y a
pas de violence collective sans violence
individuelle. S’il n’y avait pas eu la
collaboration des Allemands et d’autres peuples
(les Polonais, les Ukrainiens, les Français, les
Hongrois), les nazis n’auraient pas pu déporter
et exterminer les Juifs : quand Adolf Eichmann
est arrivé à Budapest en 1944 pour procéder à la
déportation de 300 ou 400 000 Juifs hongrois en
quelques mois, il n’avait avec lui que 250 SS…
4. Une cause psycho-religieuse
Pour Robert Lifton, qui s’inspire librement de
Freud, il s’agit avec le nazisme d’une nouvelle
religion, de la sécularisation de la religion
pour contrecarrer l’angoisse de la mort et
aspirer à l’immortalité ; il s’agirait du double
caractère de la pulsion de mort. Lifton a analysé
des témoignages et il a rencontré des médecins
nazis qui, d’un côté ont soigné, de l’autre ont
torturé ou expérimenté ; il en conclut que ces
bourreaux souffrent d’un dédoublement de
personnalité ou d’une personnalité double : de la
main droite, ils font le bien ; de la main
gauche, ils font le mal. Ils sont donc
psychotiques, comme Hitler, Staline ou Mao…
Pour Patrick Bruneteaux, qui s’inspire de Lifton,
de la théorie de la civilisation de Norbert Elias
et de nombreux témoignages de rescapés, il s’agit
d’un dédoublement institutionnel et individuel,
le « dédoublement négatif » étant celui des
bourreaux dans les camps : des sadiques aspirant
à la divinité et à l’éternité - le Reich de mille
ans ! Selon lui, c’est le même dédoublement chez
les tueurs en série, les guerriers colonisateurs,
les minorités racistes comme le KKK – et les
maniaques ou les fanatiques des faits divers…
5. Une cause ontologique
Pour Martin Heidegger, qui s’est lui-même
grandement compromis avec le nazisme, le
judéocide est le triomphe technique de la
métaphysique, c’est-à-dire de l’humanisme, et le
triomphe métaphysique de la technique dans les
camps et avec la bombe atomique ; il compare à
tort – sauf peut-être pour les fervents adeptes
de l’« animalisme » ou de l’ « antispécisme » –
la machine de mort nazie ou les crématoires et
l’industrialisation de l’agriculture et de
l’élevage ou des abattoirs : pour le « spécisme »
qui serait le nôtre, il n’y a pas de commune
mesure.
6) Une cause métapsychologique et métabiologique
Dans la pulsion de mort, qui est la pulsion de
retour à l’inorganique, au non-vivant, et qui est
aussi compulsion de répétition, il y a la haine
et l’ignorance – deux des trois « passions
fondamentales » avec l’amour, selon Lacan – de
l’antisémitisme, du racisme, du nazisme, qui a
cherché à réduire des hommes au rang de sous-
hommes ; mais les nazis ont échoué, puisqu’il y a
eu des rescapés, des survivants. Le judaïsme,
comme religion du Père, érige beaucoup
d’interdits sexuels et alimentaires ; le nazisme
a cherché à transgresser ces interdits, plus
particulièrement l’interdit du meurtre dans la
dénégation de la castration, de la finitude et de
la mort. En somme, les SS sont retournés à une
interdit encore plus archaïque : l’interdit de
l’infeste : l’étrange, l’étranger, l’autre,
l’ennemi – le Juif (peuple élu) ou le juif
(religion monothéiste) devenu race (à éliminer).
La violence est source de souffrance ; mais la
souffrance peut aussi être source de violence. –
Pensons à la défaite : après une défaite
(politique, militaire, sportive, sentimentale),
il peut y avoir la tristesse, la mélancolie,
l’envie, le ressentiment, le désir de vengeance
et donc le passage à l’acte, dans le crime
passionnel par exemple. C’est dire que l’échec
est dangereux ; c’est ce qui explique en partie
la violence dans les écoles contre les
instituteurs et contre les meilleurs élèves. La
défaite ou l’échec – l’échec de Hitler et de
Himmler, des nazis et des SS, à partir de la fin
de 1941 (car Hitler pensait avoir vaincu l’URSS
avant 1942 - précipite, accélère la folie
meurtrière : l’euphorie de la victoire jusque-là
cède la place à la dysphorie de la défaite ;
c’est là la césure. Mais après, dans un délire
maniaque ou mégalomaniaque et dans la
cyclothymie, prend place l’euphorie de la
vengeance : perdre la bataille de la guerre mais
gagner la lutte de la civilisation indo-
européenne contre la « barbarie » juive, sémite,
sémitique – asiatique. Parce qu’il ne peut pas y
avoir le Reich de mille ans – Hitler rêvait de
reconstruire les monuments de l’Europe conquise ;
il avait son architecte : Albert Speer -, au
moins il n’y aura plus d’ennemis de la race
aryenne.
La folie collective est-elle pensable comme
identification au chef, comme imitation, comme
contagion ? Ou n’est-ce pas plutôt la déroute –
déroute non pas individuelle ou collective mais
transindividuelle – du principe d’individuation
et la dérive du principe d’humanité : « les Juifs
ne sont pas des individus et ce ne sont pas des
hommes mais des sous-hommes ; nous sommes des
surhommes ». Mais, en même temps, les nazis,
surtout les SS, ne sont plus, eux aussi des
individus mais une foule, une masse, un peuple –
le pouvoir du Volk incarné dans la personne du
Führer, un nouveau Dieu vivant.
CONCLUSION
La violence politique, étatique, militaire,
guerrière est sans doute le modèle de la violence
collective ; on aurait pu croire ou espérer que
le judéocide serait le dernier génocide. Mais il
y a quand même eu le génocide des Tutsis au
Rwanda en 1994, avec peut-être un million de
morts en quelques mois, soit plusieurs milliers
par jour et sans chambres à gaz, à la machette et
à la mitraillette : c’était du « travail » comme
dans les camps. Dans les deux cas, il s’agissait
des crimes d’une majorité contre une minorité ;
alors que dans le cas de l’Apartheid en Afrique
du Sud, il s’agissait des crimes d’une minorité
contre la majorité.
Les criminels de guerre nazis, lors des procès de
Nuremberg dans les années 1940 et du procès
d’Eichmann dans les années 1960, proclamaient
leur innocence en disant qu’ils ne savaient pas
ou qu’ils obéissaient aux ordres comme tous les
militaires ; les Allemands qui n’étaient pas
nazis ont aussi prétendu qu’ils ne savaient pas,
alors qu’ils ne pouvaient pas ne pas sentir
l’odeur de la chair brûlée sortant des cheminées
des crématoires. D’autres disent que la Wehrmacht
n’a rien eu à faire avec le judéocide et c’est
aussi faux. Il y a donc une culpabilité
allemande [Longerich] ; mais il y a aussi une
responsabilité alliée : française, britannique,
américaine : l’existence des camps de
concentration était connue depuis 1942 [Karski,
Wetzler] ; des évadés avaient proposé aux
Britanniques et aux Américains de bombarder les
rails des chemins de fer menant à Auschwitz-
Birkenau, surtout pour au moins empêcher la
déportation de 300 ou 400 000 Juifs de Hongrie ;
mais les Alliés voulaient gagner la guerre et non
pas sauver les Juifs. Churchill et Roosevelt
n’étaient peut-être pas antisémites, mais ils
n’étaient pas non plus philosémites…
Guerre/Judéocide ← Antisémitisme
(fonctionnalisme) (intentionnalisme)
[présent] [passé]
↑
Reich de mille ans
(économie et idéologie
de la civilisation indo-européenne ou aryenne
ou de la mission allemande en Europe :
espace vital et utopie)
[futur]
Quatre Discours et camps
Dans sa sémantique ou son « envers », la
psychanalyse de Jacques Lacan distingue quatre
Discours, qui sont des pratiques sociales : selon
quatre places [l’agent ou le semblant (qui est le
désir), l’autre (ou le travail de l’Autre), la
production comme perte et la vérité] et selon
quatre termes [le signifiant maître (S1), le
savoir (S2), le sujet (S barré ou divisé) et
l’objet petit a (ou la jouissance dite « plus-de-
jouir » : a)].
Ce sont le Discours du Maître, le Discours de
l’Universitaire, le Discours de l’Hystérique et
le Discours de l’Analyste.
À partir de là, nous proposerions que, dans les
camps de concentration, il y a eu fusion ou
condensation du Discours du Maître (M) et du
Discours de l’Universitaire (U) :
M U
Maîtrise Technique
Discipline Doctrine
Pouvoir Savoir
« Religion » nazie « Théologie » aryenne
Politique : Science :
Propagande (antisémitisme) Biologie (eugénisme)
Guerre Médecine
Totalitarisme Nationalisme/Racisme
Obsession Paranoïa
(névrose) (psychose)
Salut fasciste Croix gammée (← gamma)
(bras tendu) (svastika)
[SS dont l’emblème ou l’insigne est la tête de mort]
Note sur la castration
La castration n’est pas réelle – sauf pour les
castrats de l’opéra et pour une secte somme les
Hijras en Inde - ; elle est synonyme de division
du sujet, de différence sexuelle (entre les sexes
mais aussi pour chaque individu ou « dividu » :
personne n’a la même sexualité hétérosexuelle,
homosexuelle, transsexuelle ou autre), d’interdit
de l’inceste et d’interdit du meurtre, de
finitude et de mort, la mort étant l’ultime
castration, la castration finale et définitive.
La castration est séparation : séparation
ombilicale lors de la naissance, séparation orale
lors du sevrage, séparation anale lors de
l’acquisition de la propreté, séparation
phallique ou symbolique (oedipienne) avec
l’interdit de l’inceste.
Pour la psychanalyste Françoise Dolto, le
vampirisme est le retour du refoulé de la
castration ombilicale et le cannibalisme est le
retour du refoulé de la castration orale ; peut-
être que le vampirisme est au cannibalisme ce que
l’anorexie (être maigre comme le fœtus) est à la
boulimie (être grosse comme la mère)…
Dans les deux cas selon nous, il s’agirait du
retour du refoulé de ce que nous appelons
l’interdit de l’infeste et ce que l’anthropologue
Alain Testart nomme le tabou du sang ou
« l’idéologie du sang » : le tabou du sang
maternel (matriciel et menstruel) et criminel.
Il y a dénégation de la castration dans la
chirurgie esthétique ou génitale, le vol
(kleptomanie), la mode, la collection, la
construction, l’élévation, etc.
Note sur la pulsion
La pulsion [« Trieb »] n’est pas l’instinct
(naturel) ; elle n’est ni innée (nature
individuelle, universelle) ni acquise/requise
(culture collective, particulière) ; elle est
enquise/conquise (posture transindividuelle,
singulière) : limite ou frontière entre le soma
et la psyché, elle est donc psychosomatique.
On peu distinguer les « pulsions de moi », qui
sont des pulsions de conservation, et les
« pulsions d’objet », qui sont libidinales ou
sexuelles (prédation) ; on peut aussi distinguer
les « pulsions de vie » et la « pulsion de
mort ».
Libido ← Désir
↑
Pulsion
(affect)
Fantasme ← Angoisse
↑
Symptôme
(jouissance)
Philosophie ← Grammaire
↑
Psychanalyse
JML/5 février 2012
Note sur le transsexualisme
La fécondité est à la fois travail et sexualité,
production et reproduction. Depuis toujours la
sexualité a été séparée de la reproduction, ne
serait-ce que par l’avortement ou l’infanticide,
bien avant la contraception grâce à la pilule.
Depuis, est venue la reproduction sans
sexualité : la procréatique.
Avec le transsexualisme, un autre pas est
franchi : advient ce que Pierre Legendre appelle
la « conception bouchère » du sexe.
Pour la psychanalyse, il n’y a pas de sexe sans
fantasme : le transsexuel franchit la frontière
entre le fantasme et la réalité et entre les
pulsions de vie et la pulsion de mort. Pour le
transsexuel, changer de vêtements ne suffit
plus ; il lui faut changer de peau. En cela –
comme je l’ai déjà dit -, il est le contraire de
l’autiste, qui ne veut rien changer et qui veut
s’envelopper dan sa peau ou dans la peau de sa
mère ou de sa grand-mère maternelle.
Le fantasme de l’hystérique est un fantasme du
regard ; dans la « pulsion scopique » selon
Jacques Lacan, il ou elle se demande s’il ou elle
est un homme ou une femme. C’est un fantasme
bisexuel : ou bien il ou elle s’identifie à un
objet hétérosexuel et il ou elle identifie un
sujet homosexuel dont il ou elle sera l’objet,
dans une position masochiste ; ou bien il ou elle
identifie un objet homosexuel et il ou elle
s’identifie à un sujet hétérosexuel pour
maîtriser cet objet, dans une position sadique.
Si le transsexuel est un homme, en devenant femme
(à qui il s’identifie), il devient l’objet d’un
homme, du regard de l’homme qui l’identifie et
est un acteur, un observateur ou un spectateur.
Alors que l’autiste ne réussit sans doute jamais
à être ou à devenir ce qu’il est, le transsexuel
réussit peut-être ou toujours à être ou à devenir
ce qu’il n’est pas… Pour l’autiste, l’autre (le
monde, l’avoir, le soi) n’existe pas ou existe
moins ; pour le transsexualiste, le même
(l’homme, l’être, le moi) n’existe pas ou
n’existe que pour être un autre : chirurgie,
hormones, entraînement.
Mais la chirurgie sexologique, qui permet de
changer de peau, de corps, ne permet pas de
changer de sexe et de donner l’amour ou le
bonheur, même dans la fusion ou la confusion du
plaisir et de la jouissance, de l’organe et de
l’orgasme. C’est la même chose pour la chirurgie
esthétique : nez, yeux, oreilles, seins, hanches,
etc. Le sexe est une question de phallus, qui
n’est pas un organe, le pénis, mais un symbole :
l’avoir ou pas, l’avoir ou l’être, ne pas être
sans l’avoir, ne pas l’avoir sans être…
C’est ce que les médecins, les psychiatres et les
chirurgiens, qui sont des bouchers ou des
sadiques, ne comprennent pas, dans leur fantasme
sadomasochiste où, bourreaux, ils s’identifient à
leurs victimes ! C’est ce que les juristes ont
compris - malgré les « Women Studies » et les
« Queer Studies ».
JML/avril 2010