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École des hautes études en sciences de l'information et de la communication
Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)
MASTER PROFESSIONNEL Mention : Information et Communication
Spécialité et Option : Journalisme
« Le “ off ” : processus d'évolution et impact des médias sociaux » Conséquences sur la pratique et le journalisme
Préparé sous la direction de Madame le Professeur Véronique Richard
Nom : Rose Prénom : Cyprien Promotion : MSJ 2013-2014
Soutenu le : 28 novembre 2014 Mention : Note du mémoire : /20
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REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier particulièrement Madame le Professeur Véronique Richard, Ma-
dame Anne Soetemondt et Monsieur Hervé Demailly qui m'ont accordé leur confiance
et dispensé leurs conseils pour l'élaboration de ce mémoire.
Je tiens également à remercier Madame Armelle Sainton pour sa patience, ses relec-
tures et ses conseils qui m’ont beaucoup apporté.
J'associe dans ces remerciements toutes les personnes qui, de quelque manière que
ce soit, ont contribué à son achèvement.
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TABLE DES MATIÈRES
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Remerciements Page 03
Introduction Page 07
1ère partie Page 15 L'utilisation du « off » en dehors du tumulte des médias sociaux
A - Un outil journalistique Page 17 1. Le « off » comme instrument de contextualisation Page 17
2. Le « off » comme instrument d’anticipation Page 21
B - La transgression Page 23 1. Un classique : la déclaration de Rome Page 23
2. Le libre-arbitre du journaliste : le couac de Florange Page 27
C - La communication d'abord Page 28 1. Instrumentalisation politique : Page 28
Le service presse de Lionel Jospin
2. Instrumentalisation maîtrisée et transgressions assumées : Page 30
Nicolas Sarkozy, François Hollande
Conclusion 1ère partie Page 36
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2ème partie Page 38 L'utilisation du off depuis l'explosion des médias sociaux
A - Des différences culturelles du « off » Page 40 1. Les différences Page 40
2. Amenuisement des différences Page 43
B - Twitter : entre « on » et « off » Page 46 1. L’affaire DSK : un traitement « on » Page 46
2. Twitter en « off » Page 48
C - La guerre de la communication déclarée Page 54 1. Les politiciens Page 54
2. Les communicants Page 62
Conclusion 2ème partie Page 64
Conclusion Page 66
Bibliographie Page 73
Table des annexes Page 86
Résumé Page 143
Mots-cléfs Page 144
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Introduction
“ Je ne confie un secret que si on me fait la promesse de le répéter à tout le monde “ Oscar Wilde 1
« Le chef de l’Etat s’arrête. "On est d’accord c’est off, j’ai votre parole." Silence autour de la table. Il cherche l’assentiment. "C’est bien clair, c’est totalement off. C’est unique-ment pour nourrir vos analyses, vos livres…" Les journalistes hochent la tête. Et Sarkozy de faire l’apologie du off. "Pour connaître un homme politique, il faut savoir lui parler off. Un homme politique qui est creux en off, c’est qu’il est nul." De retour de l’hôtel, les jour-nalistes du Monde, de Libération, du Figaro et du Parisien se réunissent : que faire de ces confidences ? » 2
Paru sur Internet en septembre 2013, à l’occasion des quarante ans du journal
Libération, l’extrait de cet article de presse expose une variante du « off ». Nicolas Sar-
kozy le sollicite lors d’un échange avec plusieurs journalistes, alors que dans l’usage, la
pratique du « off » permet à un journaliste de recueillir de l’information auprès d’une
source, en tête-à-tête, de manière discrète. Pour Jean-Baptiste Legavre « Le off est un
“signal”, un “indice” » entre le journaliste et son informateur. Il est un “instrument d'anti-
cipation” sur la conduite à venir ». 3
Rares sont les journées où un « off » n’est pas mentionné dans la presse. Rubriqué, il
fait parler de lui sur les chaînes de télévision et les stations de radio, mais aussi dans
les journaux, sur le web et les réseaux sociaux. Les coulisses du pouvoir, et de la socié-
té, sont quotidiennement analysées et commentées dans la presse, et des propos issus
d’échanges liés par la confidentialité sont ainsi régulièrement exploités.
O. Wilde, Les Ailes du paradoxe, Poche, 1996.1
« “On est d’accord, c’est off, j’ai votre parole…” 40 ans de fausses confidences : je vous le dis mais 2
vous ne l’écrivez pas… », Liberation, [disponible en ligne], 30 septembre 2013.
JB. LEGAVRE, « Off the record. Mode d'emploi d'un instrument de coordination ». Politix. Vol. 5, N°19. 3
Troisième trimestre 1992. pp. 135-158, [disponible en ligne].
!7
Toutefois, l’évolution du « off » est pointée du doigt par certains journalistes, dans un
article paru sur le site de Slate , Gilles Bridier s’indigne littéralement : 4
« La pratique du “off” a progressivement dévié. Elle devient, dans certains cercles, un mode de communication pratiqué pour créer du buzz, détourner l’attention des médias et capter celle des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs en “enfumant” la presse. » 5
Lors d’un sujet consacré au « off » pour l'émission Média, le magazine, Françoise De-
gois alors journaliste pour France Inter, évoque également cette notion « 6
d’enfumage ». Elle deviendra ensuite conseillère auprès de Ségolène Royale. Selon
Gilles Bridier, l’évolution de la pratique s’inscrit dans une dynamique dommageable
pour la profession de journaliste : à défaut d’être à leur service, la corporation serait
malmenée par les communicants. Le contexte historique dans lequel paraît cet article
est particulièrement significatif, la France s'apprête alors à élire son 24ème président de
la République et, de tout part, les services de communication sont plus que mobilisés.
Quelques mois plus tôt, Benjamin Sportouch publiait « L'affaire DSK et les réseaux so-
ciaux ont tué le off » sur le site Internet de L’Express . Dans son article le journaliste 7
évoque les idées développées par Gilles Bridier : « Le off permet aussi de faire passer
des messages, quitte à les démentir si leur effet est trop important ou trop en décalage
avec celui escompté », mais il parle également d’un fait encore plus récent, l'impact du
contexte numérique sur l’évolution de la pratique, désormais mise à mal par les réseaux
sociaux et plus particulièrement par les médias sociaux, fruits du web 2.0 :
G. BRIDIER, « Journalisme : Les ravages du “off” », Slate, [disponible en ligne], 5 février 2012.4
Ibid.5
« Le "off", un "mal nécessaire" du journalisme ? », Média, le magazine, France 5, [disponible en ligne], 6
22 janvier 2009.
B. SPORTOUCH, « L'affaire DSK et les réseaux sociaux ont tué le off ». L’Express, [disponible en ligne] 7
3 août 2011.
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« Aussitôt entendu, aussitôt twitté ! "Le off est mort", juge même - en off bien entendu ! - le conseiller d'un ministre, qui “en fait beaucoup moins" et le regrette, parce que "ça permet aussi de décrypter une déclaration publique ou d'en donner le contexte" ». 8
À l’échelle de l’histoire de la presse, le phénomène des médias sociaux est récent. Fa-
cebook et Twitter, respectivement créés en 2004 et 2006, sont pratiquement absents de
la campagne présidentielle de 2007. Et les rares détenteurs d‘un compte Twitter ac-
cueillent la version Française à la fin de l’année 2009 seulement. À l’époque de la paru-
tion de l’article de Benjamin Sportouch, l’expansion fulgurante des réseaux sociaux
bouleverse déjà la vie de millions d’internautes dans le monde. Derrière leurs ordina-
teurs et leurs smartphones, les utilisateurs créent du contenu en ligne bien sûr, mais ils
participent comme jamais à la diffusion et à la propagation de l’information à travers leur
réseau. Auparavant jamais autant de contenu n’avait été aussi rapidement et facilement
accessible à tous.
Problématique
Dans ce contexte en mouvement, entre communication numérique en pleine ef-
fervescence et stratégies de communication, le « Off The Record » traverse probable-
ment la plus forte remise en cause de son usage depuis l’avènement de la presse. Ce
qui nous amène à nous poser la question suivante : quelles peuvent être les consé-
quences de l’évolution du « off », sublimée par le succès des médias sociaux, au regard
de la pratique et du journalisme ?
B. SPORTOUCH, art. cit., p. 68
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Méthodologie
À partir de cette problématique nous tenterons une analyse approfondie de la
situation, à la lumière d’un corpus constitué de plusieurs matières.
Dans un premier temps, une quinzaine d’entretiens semi-directifs, étalés sur une pé-
riode de plusieurs mois, depuis mars 2014, ont majoritairement été menés auprès de
journalistes dont les activités couvrent l’ensemble des supports de presse. Les per-
sonnes interrogées lors de ces entretiens sont ici classées par ordre alphabétique. Ade-
line Bruzat, diplômée de l’IUT de Tours en 2009 (Licence Professionnelle en Journa-
lisme) ; elle exerce actuellement en presse écrite à Leipzig, en Allemagne. Alain Duha-
mel, journaliste politique et essayiste ; il est membre de l’académie des sciences mo-
rales et politiques, et éditorialiste pour la station de radio RTL. Jean-Marc Four, direc-
teur de la rédaction de France Culture lors de l’entretien pour cette recherche ; il dirige
désormais la rédaction de France Inter. Florent Guignard, chef du service politique pour
RFI. Franck Lagier, journaliste reporter pour Le Populaire du Centre à Limoges ; il est
également correspondant pour Le Parisien / Aujourd’hui en France. Sylvain Lapoix,
journaliste indépendant (politique et écologie). Gaël Legras, journaliste pour La Nou-
velle Édition de Canal Plus. Hervé Liffran, journaliste pour Le Canard Enchaîné. Nicolas
Ropert, journaliste correspondant ; auparavant correspondant à Kaboul, il couvre dé-
sormais l’actualité d’Israel et de la Palestine pour les médias RFI, Radio France, BFM
TV, RTS, Radio Canada, RTBF, Le Parisien, et M6. Ivan Valério, journaliste politique
pour Le Scan chez Le Figaro, également formateur pour le CELSA, l’IFP, le CFPJ, et
l’ESJ-Pro. Andrew Wolfe, américain, intervenant au CELSA ; aux USA il était journaliste
spécialisé dans les faits divers.
Nous avons également interrogé Arnaud Mercier, Professeur en Sciences de l’informa-
tion et de la communication à l’Université de Lorraine. Ses thèmes de recherche sont :
« sociologie du journalisme », « communication politique », « traitement médiatique », «
guerre et médias » et « usage des réseaux sociaux ». Il est également responsable du
!10
Master « Journalisme et médias numériques », et du projet de recherche pluridiscipli-
naire portée par le CREM : « OBSWEB ». 9 10
Enfin, deux derniers entretiens ont été réalisés avec deux personnalités politiques. Le
traitement de ces informations se fera sous la forme d’une mise en abyme de notre su-
jet de recherche. Ces deux élus ont accepté de voir leurs propos traités dans ce travail
à la seule condition que leurs noms ne soient pas cités. Cette participation se fera donc
sous le sceau du « off ».
La mise en abyme de notre sujet de recherche sera double puisque nous avons égale-
ment élaboré un questionnaire anonyme par la mise en place d’un formulaire en ligne 11
dans une application dédiée de Google Drive. Il s’agit d’une enquête sur le « off », des-
tinée à l’ensemble des personnes dont l’activité peut être liée à cette pratique. Au mo-
ment où nous rédigeons ce travail cent cinquante personnes, majoritairement des jour-
nalistes, y ont contribué.
Des recherches sur le web ont bien entendu permis de compléter le corpus. Elles se
divisent en deux catégories. Tout d’abord la recherche régulière et ciblée de documents
en français et en anglais (articles, liens audio et vidéo), ainsi que l’utilisation de moteurs
de recherche appropriés à Twitter, comme Topsy et Twinitor. La seconde existe via la
mise en place de veilles appropriées. Une première veille s’inscrit dans l’enclenchement
d’un service d’alertes mails quotidiennes utilisant les termes « off the record », « en off
», « réseaux sociaux » et « médias sociaux », privilégiant la remontée d’articles en
langue française. La seconde veille consiste en la création de « Widgets » sur la plate-
forme Twitter, utilisant les mots-clés : « offtherecord » et « EnOff », afin de faire remon-
ter tous les tweets consacrés à notre recherche. Il s’agit de tweets bruts, mais aussi de
CREM : centre de recherche sur les médiations, [disponible en ligne].9
OBSWEB : observatoire du webjournalisme, [disponible en ligne].10
Enquête en ligne (annexe II.)11
!11
tweets comprenant des liens vers des articles web ou vers d’autres liens, audio ou vi-
déo.
Une bibliographie, qui se compose essentiellement de livres écrits par des journalistes,
vient également éclairer notre problématique.
Pour l’ensemble de ce corpus nous procéderons à l’analyse de discours. L’analyse de
contenus de l’enquête en ligne nous permettra également de repérer des points de si-
militude et de divergence entre les utilisateurs, dans leur usage de la pratique.
Afin de répondre à la problématique, nous avons opté pour un plan en deux parties. La
première consiste à présenter l'utilisation du « off » en dehors du phénomène des mé-
dias sociaux. Il s’agira de décrire les rapports entre le journaliste et ses sources, et de
comprendre les intérêts de chacun dans l’utilisation du « off ». À partir de l’article de 12
Gilles Bridier, nous croiserons différents exemples de traitements du « off » avec les
expériences des personnes sollicitées dans nos entretiens et dans notre enquête, ainsi
qu’avec différents écrits sur le sujet. Plusieurs visages de la classe politico-médiatique
seront alors mis en exergue afin de contextualiser la pratique et ses dérives dans les
médias. Peut-on envisager que l’évolution du « off » conditionne le rôle du journaliste ?
La seconde partie s’inscrit dans la même lignée en s’intéressant dans un premier temps
aux différences culturelles du « off ». Nous aborderons ensuite l’évolution de la pratique
depuis l’explosion des médias sociaux. À partir de l’article « L'affaire DSK et les réseaux
sociaux ont tué le “off” » de Benjamin Sportouch, nous tenterons de comprendre 13
comment les médias sociaux bouleversent le traitement de l’information. D’autres
exemples nous permettront d’analyser la place du « off » et de ses transgressions sur
ces nouveaux médias. Nous verrons également comment les politiques et les commu-
nicants s’approprient ce nouvel environnement médiatique, et comment la presse se
art. cit., G. BRIDIER, p. 6.12
art. cit., B. SPORTOUCH, p. 6.13
!12
positionne face aux stratégies de communication. Nous nous pencherons donc sur le
rôle du journaliste 2.0. En quoi ces outils bouleversent-ils l’usage du « off », et
amènent-ils la profession de journaliste à évoluer ?
Mais avant tout, qu’entend-on par la pratique du « off » ?
Lorsqu’un journaliste recueille de l’information auprès d’une source, soit les propos ne
sont pas confidentiels, soit ils le sont. Dans le premier cas le journaliste peut travailler
son sujet et identifier sa source. Le cas contraire suppose l’inverse, mais ce n’est pas si
simple et tous les utilisateurs n’appréhendent pas la règle de la même manière.
Selon Ivan Valério il s’agit de « raconter sans le mettre dans sa bouche », soit trans14 -
mettre l’information sans en fournir sa source. Cela implique de revenir sur la règle des
cinq W anglo-saxons (who?, what?, when?, where?, why?) en écartant de son travail 15
le “qui” des “quoi”, “quand”, “où”, et “pourquoi”. Une autre méthode consiste à « ne pas
le raconter, mais d’essayer de gratter ailleurs pour qu'on nous le dise dans une autre
bouche. C'est vraiment un outil (...) qui nous sert à travailler », reconnaît Ivan Valério. 16
Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une source sollicite le « off » qu’un journaliste le res-
pectera ; et lorsqu’il s’agit de domaines sensibles aucun des protagonistes n’a réelle-
ment besoin de préciser que c’est « off », c’est une évidence. Jean-Baptiste Legavre
précise qu’une bonne utilisation de la pratique suppose de la situer dans un système
d’échanges entre le journaliste et sa source. Selon lui, la confiance serait le principe ré-
gulateur des pratiques. Le « off » suppose donc un certain confinement de la confiden-
tialité.
Entretien avec I. VALERIO (annexe I. 10. a.)14
E. NEVEU, Sociologie du journalisme, collection repères, p.6515
Entretien avec I. VALERIO (annexe I. 10. a.)16
!13
Lorsqu’on s'intéresse aux origines du « off », chacun s’accorde à dire qu’il n’a pas at-
tendu la naissance de la presse pour exister. « On se doute bien qu'avant il y avait déjà
des gens qui disaient : "on me dit que (...) mais je ne peux pas te dire qui m'a dit ça »
nous dit Hervé Liffran, « ça doit exister depuis la nuit des temps, depuis cro-magnon 17
». L’hypothèse sollicite alors l'imaginaire ; les racines profondes du « off » pourraient
trouver leurs sources dans l’apparition du langage articulé il y a de cela plus de deux
millions d’années, se développant avec l’évolution du langage, elle-même liée à celle de
l’écriture et de la syntaxe. Selon Alain Duhamel, le « off » dans le journalisme existe
depuis « Théophraste Renaudot, depuis qu'il y a les premières gazettes », et il est 18 19
« consubstantiel à l'existence de la presse ». Le « off » dans la presse est un pro20 -
blème éthique et professionnel, semblable à la notion de discrétion dans la vie privée, il
permet de se poser ces mêmes questions : « Doit-on tout dire ? Est-ce que tout doit
être transparent, et qui décide de la fin de la transparence ? ». 21
Entretien avec H. LIFFRAN (annexe I. 8. a.)17
La Gazette est un périodique créé en 1631, le plus ancien des journaux publiés en France. 18
Entretien avec A. DUHAMEL (annexe I. 2. a.)19
Ibid.20
Entretien avec A. DUHAMEL (annexe I. 2. b.)21
!14
Première partie L'utilisation du « off » en dehors du tumulte des médias sociaux
!15
!16
Dans cette première partie nous nous intéresserons au traitement du « off » en
dehors de l’explosion des médias sociaux. Tout d’abord nous verrons comment le « off
» est un instrument qui permet d'appréhender un contexte, mais également d'anticiper
les actions à venir. Avec l’exemple de la déclaration de Rome de Georges Pompidou,
nous verrons comment la notion de transgression fait son apparition dans le paysage
politico-médiatique. Afin de comprendre l'évolution des transgressions, nous aborderons
d’autres exemples de « off » liés à des personnalités politiques. Ces situations seront
croisées avec l’analyse de notre enquête et l’expérience des personnes interrogées lors
de nos entretiens, ainsi que le témoignage de deux hommes politiques qui, dans le
cadre de notre mise en abyme du sujet, partageront en « off » leur usage de la pratique.
A - Un outil journalistique
1. Le « off » comme instrument de contextualisation
“ Il n'y a rien de si secret qui ne soit révélé dans le temps ” Proverbe latin 22
Nous avons créé une enquête en ligne dans le but de récolter davantage d’info-
rmations sur le « off », et plus particulièrement sur son usage. Nous avons élaboré un
questionnaire anonyme par le biais d’une application dédiée de Google Drive. Les jour-
nalistes étant largement majoritaires parmi les participants, uniquement les données les
concernant ont été exploitées. Une fois opérationnel, le formulaire a été envoyé à plu-
sieurs rédactions nationales et régionales. Il a également été posté sur Internet par le
biais de sites liés à la presse et sur des pages appropriées de réseaux sociaux. À ce
jour 150 personnes ont participé à ce travail. Le choix des réponses est parfois multiple
et les participants ne sont pas obligés de répondre à tout, ce qui explique que l’on
puisse dépasser ou ne pas atteindre les 100% dans certaines réponses. Nous n’utilise-
rons donc certains résultats qu’à titre indicatif.
Proverbe latin ; Œuvre : Proverbia latina (1908)22
!17
!
La première utilité du « off » est d’apporter plus de profondeur aux sujets sur lesquels le
journaliste travaille, notamment dans l’univers de la politique. Selon Ivan Valério, le « off
» occupe une place importante en politique, les informations recueillies par ce biais sont
autant de pistes sur « des dossiers en cours de travail dont on ne peut pas tout livrer
mais dont nous sommes demandeurs d'un certain nombre de renseignements ». Les 23
participants à notre enquête pensent aussi que le « off » permet de comprendre le
contexte général des affaires et des coulisses. Il leur permet d'instaurer une relation de
confiance avec leurs interlocuteurs, notamment lorsqu’il s’agit d’expliquer ou de nuan-
cer un propos « on » (par opposition au « off »), c’est aussi « parfois la version sous-ti-
trée » nous dit un journaliste. 24
Certains journalistes confirment l’utilité du « off » dans le fait d'accroître leurs connais-
sances d’un contexte : « Ça peut donner du background , et être utilisé pour nourrir de 25
futurs papiers ». C’est le cas de Nicolas Ropert, lorsqu’il était à Kaboul il s’est consti26 -
tué son réseau militaire : « Il y a les mecs avec qui tu crées des affinités (...) et qui te
disent : "la ligne officielle c'est ça, mais dans les faits c'est plus ça" (...) Tu ne peux pas
le citer (...) et pour toi c'est vachement intéressant (...) ça peut te servir pour du “back-
Entretien avec I. VALERIO (annexe I. 10. b.)23
Commentaire anonyme, enquête en ligne (annexe II. 3. c.)24
Mot anglais qui signifie arrière-plan, contexte.25
Commentaire anonyme, enquête en ligne (annexe II. 3. c.)26
!18
ground” ou pour poser la bonne question plus tard à la hiérarchie ». En 2012 un kami27 -
kaze tue cinq soldats. « L'armée avait comme consigne officielle de ne pas communi-
quer, zéro com, ni à Paris, ni à Kaboul ». Des sources afghanes livrent l’information 28
« on », et dès que l'AFP sort l'information les médias avec qui il collabore l’appellent,
car il s’agit de soldats français. Pour alimenter ses directs sur les chaînes d'info en
continu et sur les radios, le journaliste contacte le chargé de communication du Quai
d’Orsay afin d’avoir des informations officielles sur le contexte de l’attaque et le nombre
de victimes. :
« Le mec me disait : "Nicolas, je t'ai vu sur BFM, ce que tu racontes ce n'est pas vrai" et je lui répondais : "Mais dis-moi ce qui n'est pas vrai” et il me disait : “Non je ne peux pas te le dire", et l'on jouait au jeu du ni oui ni non. “Est-ce que c'était sur une route ? - Oui c'était sur une route. - Est-ce que c'est sur un marché ? - Non ce n'est pas un marché” le mec ne disait rien mais nous permettait de corriger la version pour s'approcher au plus près de la vérité ». 29
Lors de l’un de nos entretiens, Adeline Bruzat nous parle d’une expérience avec un
jeune Syrien qui collecte des médicaments, des couvertures, des vêtements, et de
l’argent pour aider les gens sur place. Elle écrit un article sur la préparation de son pé-
riple en voiture jusqu'à Alep. Il s’agit d’un travail fait de « off », donc pour ne pas briser
la confiance qu’il lui accorde elle n’exploite pas certaines informations, ce que ne font
pas un journaliste indépendant et un photographe, originaires de Berlin. Ils persuadent
le jeune Syrien de l’accompagner jusqu'à la frontière turque et se servent des informa-
tions recueillies durant ce voyage pour rendre leur sujet plus attractif. « Ils ont utilisé
jusqu'à la somme d'argent sur lui et des informations sur sa petite amie ». Sur place, 30
le jeune Syrien est identifié et passé à tabac. À part Adeline Bruzat, il ne souhaite plus
Entretien avec N. ROPERT (annexe I. 9. a.)27
Entretien avec N. ROPERT (annexe I. 9. b.)28
Entretien avec N. ROPERT (annexe I. 9. c.)29
Entretien avec A. BRUZAT (annexe I. 1. d.)30
!19
du tout entendre parler de journalistes. D’ailleurs, lorsqu’il a des informations à trans-
mettre, il ne passe désormais que par cette journaliste qui revendique l’éthique profes-
sionnelle.
Cet exemple confirme qu’une confiance réciproque pérennise la relation entre le journa-
liste et sa source. La confiance est nécessaire au journaliste dans la fabrication de son
réseau de fournisseurs d'informations. Par ailleurs, une relation de confiance, assez
longue, conforte le journaliste dans la fiabilité des informations reçues. Il y en a même
parmi les informateurs qui partagent leur analyse sur les situations et les phénomènes
de société, nous dit Franck Lagier . Les journalistes abordent le « off » d’un point de 31
vue professionnel et déontologique, mais un homme de pouvoir peut parfois avoir sa
propre conception du « off », il faut alors faire preuve de prudence nous dit un journa-
liste dans notre enquête en ligne :
« J'ai eu à interviewer Bernard Tapie qui m'a expliqué la chose suivante. C'est "on" quand c'est bon pour moi, c'est "off" quand c'est mauvais. Et il ajoutait moi je pratique le on/off. En clair débrouilles-toi avec ce micmac ». 32
Dans le cadre de la mise en abyme de notre sujet, “Jacques”, homme politique élu dans
le département de l'Isère nous dit qu’il donne du « off » à France Bleu Isère, sous forme
de conversations avec les journalistes. « C'est des potes et ils ont toujours bien fait leur
boulot (...) Ils ne me citent pas mais chacun repart avec son analyse ». Il estime que la 33
PQR de son secteur est mauvaise, « un véritable torchon ». Leur contact est un peu 34 35
tendu, particulièrement avec une de leurs journalistes « qui nous dézingue à tout va. Il
Entretien avec F. LAGIER (annexe I. 5. a.)31
Commentaire anonyme, enquête en ligne (annexe II, 5.)32
Entretien avec “JACQUES” (annexe I. 14. a.)33
PQR : presse quotidienne régionale34
Entretien avec “JACQUES” (annexe I. 14. a.)35
!20
n'est donc pas question de faire du “off” avec elle ». En revanche il informe Le Pos36 -
tillon . « C'est un peu notre petit Canard Enchaîné à nous (...) du coup lorsqu'il se 37
passe un truc intolérable, je lui envoie un mail anonyme, enfin il sait que c'est moi ». 38
Ainsi, le rapport entre les sources et la presse dépend également de l’image que les in-
formateurs se font de cette dernière. Des personnes, y compris les politiques, vont plus
facilement parler à certains journaux qu'à d'autres, et de préférence des titres proches
de leurs idées. Christian Jacob , par exemple, n'est pas du genre à parler au Canard, il 39
parlera plutôt au Figaro , nous dit Hervé Liffran. 40
2. Le « off » comme instrument d’anticipation
“ La confiance n'exclut pas le contrôle ” Vladimir Lénine 41
Dans les commentaires de l’enquête, les participants abordent également le côté
“boîte à outils” du journaliste en évoquant son “réseau” : « Le travail d'un journaliste dé-
pend aussi de son carnet d'adresses, et pas de carnet sans un travail éthique. Le “off”
appartient à cette éthique ». Entre 2002 et 2006 Jean-Marc Four est envoyé spécial 42
permanent à Londres pour Radio France. En juillet 2005 des attentats frappent Londres
:
Entretien avec “JACQUES” (annexe I. 14. a.)36
Presse locale critique sur Grenoble, [disponible en ligne].37
Entretien avec “JACQUES” (annexe I. 14. b.)38
C. JACOB, né le 4 décembre 1959 est un homme politique français, UMP.39
Entretien avec H. LIFFRAN (annexe I. 8. b.)40
V. LENIN, communiste, Homme d'état, Homme politique, Révolutionnaire (1870 - 1924)41
Commentaire anonyme, enquête en ligne (annexe II. 7.)42
!21
« On n’a pas compris immédiatement que c'était des attentats parce que d'abord on a eu comme information que le métro était à l'arrêt, ce qui à Londres peut arriver pour des motifs ayant peu de choses à voir avec un attentat, des feuilles sur les voies par exemple (...) Une source, dont je tairai évidemment le nom, mais dont je sais qu'elle est fiable et très bien informée auprès des services de sécurité britanniques, m'a appelé ; ce n'est même pas moi qui ai appelé ! Il m'a appelé pour me dire : “Jean-Marc ce sont des attentats” ». 43
Sa source lui explique le contexte et lui demande de ne rien diffuser « le temps que cela
devienne public ». Nous constatons dans cet exemple que grâce à son réseau, et 44
dans des situations sensibles, le journaliste peut anticiper le travail à venir : « J'ai appe-
lé la rédaction en chef de France Inter et de France Info à Paris pour leur dire "c'est des
attentats, vous pouvez d'ores et déjà mettre deux ou trois reporters dans l'Eurostar
parce que ça va chauffer. On ne peut pas encore le dire à l'antenne mais d'ici la fin de la
matinée à mon avis on pourra le dire” ; et c'est ce qui s'est produit ». 45
Si le « off » permet au journaliste d’anticiper son travail dans le temps présent, cela lui
permet aussi d’anticiper sur les évènements à plus long terme. Il y a une dizaine
d’années, une source de Franck Lagier lui indique qu’un membre de l’ETA est arrêté en
Charente , et lui signale qu'ils seraient nombreux en Limousin. Malgré quelques doutes 46
de la part de ses collègues et de sa hiérarchie, le journaliste fait confiance à son infor-
mateur et insiste pour écrire sur le sujet. Le journaliste évoque le fait que sa source a
du recul face aux évènements et qu’il travaille depuis un certain nombre d’années avec
lui. Depuis cet épisode, il y a eu de nombreuses arrestations, dix ans durant, à raison
de deux par an. Franck Lagier évoque un autre fait, lorsqu’en 2003 un engin explosif est
Entretien avec J-M. FOUR (annexe I. 3. b.)43
Ibid.44
Entretien avec J-M. FOUR (annexe I. 3. c.)45
Entretien avec F. LAGIER (annexe I. 5. b.)46
!22
retrouvé en Limousin, un acte revendiqué par le groupe terroriste AZF . L’information 47
« off » est brisée par un journaliste de la Dépêche du Midi, pour qui le fait que seul le
pouvoir dispose de certaines informations liées à la sécurité de tous est une injustice
qui doit être réparée sans aucun délai. Le contact de Franck Lagier lui a dit :
« Je trouve ça dégueulasse qu'un colonel de gendarmerie ait la possibilité, parce-qu'il a l'info, de ne pas envoyer son propre enfant dans les trains parce-qu'il sait qu'il y a des risques d'explosion, alors que le mec qui est ouvrier envoie son fils à une mort pro-bable ». 48
Ici, le journaliste anticipe sur un évènement qui aurait pu potentiellement avoir lieu, se-
lon lui. Ainsi le journaliste se permet une incursion en tant que citoyen, estimant que le
bon sens l’emporte sur le secret.
B - La transgression
1. Un classique : la déclaration de Rome
“ Pour le couteau, il n'y a point de secret à l'intérieur de l'igname ”
Proverbe béninois 49
Dans la mesure où il débute sa carrière en 1963 comme chroniqueur pour le
journal Le Monde, il nous semble légitime de solliciter les souvenirs d’Alain Duhamel,
l’un des rares spécialistes en activité à pouvoir nous parler d’une période sur plus de
cinquante ans. Selon lui, c’est à la fin des années soixante que l’on commence à en-
tendre parler du « off ».
AZF : nom ayant signé plusieurs menaces d'attentats contre le réseau ferroviaire de la SNCF à partir 47
du 11 décembre 2003 (avec une demande de rançon de 4 millions d'euros et de 1 million de dollars US).
Entretien avec F. LAGIER (annexe I. 5.d.)48
Proverbe béninois ; Œuvre : Proverbes et dictons béninois (1992)49
!23
« La déclaration de Rome de Georges Pompidou laissant entendre qu'il serait candidat si le Général De Gaulle ne se présentait pas. Cela avait fait une histoire terrible. C'était une transgression du off déjà, bien sûr ! » 50
Le 17 janvier 1969 Georges Pompidou est en déplacement à Rome. À son hôtel, il re-
çoit plusieurs journalistes français, et lorsque l’un d’eux demande s’il sera un jour can-
didat à la présidence de la république, l’ancien Premier ministre répond que s’il y avait
une élection un jour il le serait certainement, mais il précise que De Gaulle est toujours
le chef de l’Etat. Seulement, une dépêche AFP ne reprend pas ses dires mot pour mot 51
: « Ce n’est, je crois, un mystère pour personne que je serai candidat à la présidence de
la République lorsqu’il y en aura une. Mais je ne suis pas pressé ». Nous constatons 52
que, par respect pour le président en place, le premier ministre utilise un timide condi-
tionnel alors que l’affirmation rapportée par le journaliste est de nature offensive. La
subtilité disparaît et laisse place à l’affront. Dès le lendemain de cette rencontre avec
les journalistes, Pompidou comprend qu’à Paris ses propos enflamment la classe politi-
co-médiatique quand, au téléphone, Pierre Charpy ne lui cache pas que les journaux
souhaitent en parler, et que Paris-Presse à l’intention d’en faire sa une. 53
« À Paris, monsieur le Premier ministre, lui dit-il, votre déclaration de candidature à l’Élysée a fait sensation, pouvez-vous me dire ce qui vous a décidé ? - Comment ça ? J’ai déclaré ma candidature, moi ? » 54
Entretien avec A. DUHAMEL (annexe I. 2. c.)50
AFP: Agence France Presse51
C. DELPORTE, La France dans les yeux: Une histoire de la communication politique de 1930 à nos 52
jours, Paris, Flammarion, [disponible en ligne], 2007.
Paris-Presse, quotidien français édité à Paris de 1944 à 1970.53
H. GIDEL, Les Pompidou, Paris, Flammarion, [disponible en ligne], 2014.54
!24
Le journaliste à l’origine de l’émotion suscitée par ces propos est correspondant pour
l’AFP. Robert Mangin, qui semble-t-il « haïssait de Gaulle », traite cette déclaration 55
comme s’il s’agit d’un évènement sensationnel alors que Pompidou n’imagine pas dire
quelque chose de nouveau. À cette époque l’ancien Premier ministre appartient au
cercle restreint des présidentiables. Jacques Chirac estime qu’il n’y a, dans cette an-
nonce, rien de choquant qui puisse être mal interprété : « Qui peut sérieusement douter
que Georges Pompidou aura, un jour ou l’autre, un destin national ? ». Si le journaliste 56
décide de traiter cette déclaration à sa façon, qu’en est-il de ses confrères ? Pour Pa-
trick Girard cette déclaration « est si banale qu’ils ne se donnent pas la peine de la rele-
ver. Contrairement à leur confrère qui a le sentiment de tenir un scoop ». La confi57 -
dence de Pompidou n’en est pas totalement une, d’autant plus que tirée d’un « off » col-
lectif, elle n’est traitée que par un seul journaliste à priori hostile à de Gaulle. Robert
Mangin est à l’origine d’une transgression sémantique. En effet, lorsque avec ses mots
il fait dire à Pompidou « mais je ne suis pas pressé », le lecteur visualise la fin du man-
dat de De Gaulle, ce qui est pris comme un manque flagrant de respect. Cet évènement
contribue ainsi à la mésentente entre De Gaulle et Pompidou. Cette célèbre transgres-
sion participe manifestement à une évolution de la pratique du « off » dans la presse.
Une autre particularité de cette transgression, c’est que Pompidou a face à lui plusieurs
journalistes au lieu d’un, ce qui sort du cadre d’un face-à-face confidentiel entre un
journaliste et son informateur. Il semble cependant que ces moments sont loin d’être
inhabituels. « Des petits déjeuners ou des déjeuners » “collégiaux” entre un politique et
plusieurs journalistes sont choses communes, écrit Benjamin Sportouch, qui précise
que « c'est à table que les journalistes glanent le plus de off ». Les journalistes poli-
tiques se regroupent « par six au maximum » car « à plusieurs, il est plus facile de dé-
crocher un rendez-vous ». Cet aspect du « off » est également abordé par Ivan Valério
lors de nos entretiens.
P-M. DE LA GORCE, Charles de Gaulle: 1945-1970, Paris, Poche, [disponible en ligne], 2008.55
J. CHIRAC, Chaque pas doit être un but: Mémoires, Volume 1, Paris, NIL, [disponible en ligne], 2009.56
P. GIRARD, La République des coups bas: 50 ans de trahisons en politique, Paris, JC Gawsewitch, 57
[disponible en ligne], 2012.
!25
« On est cinq journalistes. On invite un politique, et puis il nous raconte des choses et l'on se met d'accord que tout le déjeuner est informel, c'est du off, c'est pour s'informer sur son travail, sur ce qu'il fait etc etc... ». 58
Par le biais de ces rencontres Ivan Valério anticipe son travail et « va tirer des angles
mais jamais s’en servir tels quels comme d'une matière brute ». 59
En décidant seul de briser le caractère informel de l’échange avec l’ancien Premier mi-nistre et en ne lui attribuant pas ses propos exacts, le journaliste s’affranchit des règles
recommandées par la Chartre d’éthique professionnelle des journalistes , disponible 60
sur le site Internet du syndicat . 61
« C’est dans ces conditions qu’un journaliste digne de ce nom : Tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journa-listique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la cen-sure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives profes-sionnelles » 62
Dans l’exemple suivant, nous verrons comment un groupe de journalistes prennent en-semble la décision de révéler une information dont l’informateur aurait souhaité qu’elle reste confidentielle.
Entretien avec I. VALERIO (annexe I. 10. c.)58
Ibid.59
Chartre d’éthique professionnelle des journalistes, [disponible en ligne].60
Syndicat national des journalistes, [disponible en ligne].61
Chartre d’éthique professionnelle des journalistes, [disponible en ligne].62
!26
2. Le libre-arbitre du journaliste : le couac de Florange
“ Une extrême nécessité fait dévoiler le secret ” Proverbe burundais 63
Le prochain exemple se déroule à un moment où la situation est tendue entre le
président de la République, Arnaud Montebourg et les employés de Florange. Les jour-
nalistes qui suivent François Hollande le retrouvent lors d’une visite dans les locaux
d’Emmaüs à Paris. Arnaud Montebourg avait remis sa démission deux jours aupara-
vant, ce dernier était pour la nationalisation, mais pour François Hollande « il n’en n’a
jamais été question ». Lorsqu’un journaliste lui demande, toujours entouré de gens 64
dans les locaux d’Emmaüs, s’il n’est pas inquiet de perdre le vote des ouvriers, il ré-
pond : « ce n'est pas grave ». Florent Guignard est présent pendant toute la durée de 65
cet échange, même lorsque son conseiller en communication, Christian Gravel leur dit :
« Bien entendu c'est “off” ». 66
La règle du « off » est toujours la même : les journalistes qui suivent le président dans
ses déplacements ne le citent pas nommément mais utilisent des formules comme
“l'entourage”, “selon l'Élysée” ou “un proche”. On parle alors de métonymie , procédé 67
stylistique de substitution souvent utilisé pour éviter de se répéter ou d'alourdir le dis-
cours :
Proverbe burundais ; Œuvre : Proverbes et dictons burundais (1963).63
Entretien avec F. GUIGNARD (annexe I. 4. a.)64
Ibid.65
Entretien avec F. GUIGNARD (annexe I. 4. b.)66
Métonymie : figure de style qui permet de ne pas désigner un objet par son nom, mais par un autre qui 67
le symbolise. "L'émissaire du Krémlin" = le représentant de la Russie.
!27
« Comme c'est toujours les mêmes journalistes qui le suivent, on se connaît et ça fonc-tionne assez bien (...) Là ce n'était pas possible de ne pas citer nommément Hollande, donc on s'en fout et on craque le “off”, parce que l'expression est d'un cynisme absolu (...) il n'est pas honnête, là sur ce coup » 68
Après chaque rencontre, les journalistes vérifient qu’ils ont tous bien compris et noté la
même chose. Ils peuvent également s'entendre sur les phrases qu’ils vont, ou ne vont
pas sortir. Lorsque François Hollande, toujours dans cette conversation, ajoute « oui
moi j'y suis allé à Florange, je suis monté sur la camionnette, je leur ai parlé », la 69
phrase est évidemment plus forte que si c’est “l’entourage” qui avait exprimé sa volonté
de dialogue avec les ouvriers. Les journalistes sollicitent alors une approche éthique
collective. Pour eux, la relation de confiance ne peut pas tenir. Ils brisent le « off ».
C - La communication d'abord
1. Instrumentalisation politique :
Le service presse de Lionel Jospin
“ Le secret le mieux gardé est celui qu'on ne dit à personne ” Proverbe chinois 70
Une communication malhabile et non maîtrisée peut s’avérer désastreuse pour
l’homme politique qui a mal évalué la position de son curseur. Quand cela arrive, le ré-
sultat s’éloigne généralement de l’objectif et la bourde devient compliquée à rattraper.
En 2002, Lionel Jospin découvre l’arrière-goût amer que peut revêtir le « off » après un
voyage en avion qui le ramène d’un déplacement à La Réunion. Lorsque pendant le vol,
Jospin « décrit devant les journalistes de sa suite un Chirac “vieilli et usé”, ce n’est évi-
dement pas pour que cette conversation se retrouve dans les journaux et sur les ondes
Entretien avec F. GUIGNARD (annexe I. 4. d.)68
Entretien avec F. GUIGNARD (annexe I. 4. c.)69
Oeuvre : La Chine en proverbes (1905)70
!28
sitôt son atterrissage ». Selon Daniel Carton, les premiers articles qui sortent ne men71 -
tionnent pas les propos de Jospin, il faut attendre les dépêches AFP « après l’encoura-
gement implicite du chargé de presse, Yves Colmou ». Si le but est de pimenter la 72
campagne électorale, l’événement n’en provoque pas moins une affaire qui ne facilite
en rien le parcours du candidat Jospin. Ce dernier n’assume pas sa déclaration et ne
souhaite pas s’en prendre à la presse ; il lui paraît compliqué de devoir se passer des
journalistes qui « ne sont plus tout à fait sûrs d’avoir entendu ce qu’ils ont rapporté ». 73
L’auteur implique un choix de communication du chargé de presse et directeur adjoint
de campagne de Lionel Jospin. Ce dernier, persuadé de faire un coup de communica-
tion qui rendrait la figure de Jospin plus présidentiable que celle d’un Chirac dépassé,
se trompe sur les conséquences de sa décision.
Nous l’avons vu précédemment, après un échange informel avec un politique, les jour-
nalistes se concertent sur les propos tenus et la manière dont ils vont les utiliser. Jean-
Michel Aphatie, présent lors de ce vol, confirme que les journalistes font un point avant
de prendre une décision sur le traitement de cette information. Il écrit également
qu’Yves Colmou leur dit « dans une campagne présidentielle, il n’y a pas de “off” ! ». Il 74
démentira les propos stigmatisant le président par le biais d’un communiqué « invo-
quant la confidentialité de propos tenus hors micro, sans véritable intention de nuire ». 75
Nous constatons des similitudes avec la déclaration de Rome. Jospin s’exprime devant
plusieurs journalistes et les premières fuites émanent de l’AFP. Le « off » brisé n’est
cependant pas à attribuer à la seule initiative d’un journaliste en quête de scoop, mais
résulte d’un contexte politico-médiatique plus ambiguë. Nous constatons, une fois en-
core, que le « off collectif » a du mal à tenir.
D. CARTON, Bien entendu… C’est off, Paris, Albin Michel, p.11071
loc. cit.72
loc. cit.73
J-M. APHATIE, Liberté, égalité, réalité, Paris, Stock, [disponible en ligne], 2006.74
J. SEGUELA, Autobiographie non autorisée, Paris, Plon, [disponible en ligne], 2009.75
!29
2. Instrumentalisation maîtrisée et transgressions assumées :
Nicolas Sarkozy / François Hollande
“ Plus un secret a de gardiens, mieux il s'échappe “ Jacques Deval 76
Au cours de son mandat Nicolas Sarkozy contribue à cette évolution du « off ».
En novembre 2009 il reçoit six journalistes à l’Élysée en précisant que l’entretien est
privé. Il s’exprime à propos de Rama Yade, de son parcours à mi-mandat et du grand
emprunt. La presse traite ses propos en les attribuant à “ses collaborateurs”, “son en-
tourage” ou encore précise que “l’Élysée dit que…”, mais le « off » est brisé par les ra-
dios, puis par le site Internet du journal Le Monde qui formule « en privé Nicolas Sarko-
zy… ». Parmi les journalistes présents à ce « off », deux sont interrogés par la rédac77 -
tion de Rue89 . Henri Vernet fait le choix de nommer l’auteur de certaines citations, 78
alors que Paul Quinio respecte le « deal ». Ce dernier, qui reconnaît que l’impact n’est 79
pas tout à fait le même, aurait tout de même témoigné des contrariétés du président.
Quand on interroge Thomas Legrand, éditorialiste politique pour France Inter, l’une des
radios à avoir brisé le « off » de Sarkozy, ce dernier sollicite l’éthique professionnelle.
Selon lui le « off » n’est valable que pour « des sujets très techniques, ou (...) des in-
formations éminemment confidentielles ». Il encourage même le président à remplacer 80
cette pratique par une conférence de presse lorsqu’il souhaite se plaindre de l’action de
l’un de ses ministres.
J. DEVAL, dramaturge, scénariste et réalisateur français (27-06-1890 / 19-12-1972)76
F. FRESSOZ, « Le chef de l'Etat distribue bons et mauvais points », Le Monde, [disponible en ligne], 5 77
novembre 2009.
A SCALBERT, « Sarkozy se confie à six journalistes : chut, c'est “off” », Rue 89, [disponible en ligne], 5 78
novembre 2009.
Ibid.79
art. cit., A SCALBERT, p. 30.80
!30
En novembre 2010, lorsqu’un journaliste pose une question sur l’affaire Karachi lors
d’un « point presse off » à Lisbonne, le président de la République le traite de pédophile
dans une démonstration censée dénoncer des accusations non fondées. Nous consta-
tons qu’un paradoxe sémantique s’installe avec l’existence du terme « point presse off 81
», un paradoxe amplifié par des techniciens portugais qui n’ont « pas compris la nature
de la rencontre (...) entre le président et les envoyés spéciaux français », et enre82 -
gistrent cet échange. L’entourage du président aurait insisté pour le faire effacer : «
c'était du off, rien que du off ». Le lien audio est toujours disponible sur la page Dai83 84 -
lymotion du journal Libération. On assiste alors à l’une des évolutions du « off » qui se 85
traduit par la confusion des genres, “off collectif” et “conférence de presse”. Nous avons
vu plus tôt que le « off » traditionnel se déroule entre un journaliste et son interlocuteur,
puis qu’il existait une variante avec le « off collectif » qui s’effectue entre plusieurs jour-
nalistes et une source, décrivant déjà une transition fragile de la pratique. Cette nou-
velle étape du « point presse off » trouble davantage les rapports politico-médiatiques.
En janvier 2012, à Cayenne, Nicolas Sarkozy réunit des journalistes pour un “briefing
off”, l’expression anglo-saxonne pour désigner un « point presse off ». Le président en
exercice révèle sa candidature et envisage sa défaite. Deux jours plus tard, le Figaro
fait part des doutes du président qui dit : « Je suis confronté à la fin de ma carrière, si je
suis battu je changerai de vie, vous n’entendrez plus parler de moi ». Ce dernier 86
exemple s’inscrit également dans l’évolution de la pratique. Il ne s’agit pas d’une confé-
D. DUFRESNE, « Il semblerait que vous soyez pédophile»: écoutez ce qu'a vraiment dit Nicolas Sar81 -kozy”, Libération, [disponible en ligne], 23 novembre 2010.
« Polémique : quand Sarkozy traite en "off" les journalistes de "pédophiles" », La Tribune, [disponible 82
en ligne], 23 novembre. 2010.
« Le dérapage de Sarkozy contre un "journaliste pédophile », Tempsreel Nouvelobs, [disponible en 83
ligne], 22 novembre. 2010.
« ”Amis pédophiles": le "off" de Sarkozy à Lisbonne», [disponible en ligne], 24 novembre 2010.84
Dailymotion : service social de streaming vidéo français.85
F-O. GIESBERT, Derniers carnets, Scènes de la vie politique en 2012 (et avant), Paris, Flammarion, p.86
89.
!31
rence de presse pourtant Frédéric Métézeau de France Culture recense « 21 confrères
pour 21 médias ». Hervé Liffran du Canard Enchaîné considère que ces situations ne 87
sont pas tenables :
« Il y a parfois des scènes, comme par exemple avec Sarko qui l'a fait plusieurs fois, Hollande également, devant quinze journalistes, et dire : “Je vous dis telle chose mais c'est “off”. Ça c'est de la blague. Quinze personnes, ce n'est plus un “off” ; ça n'a pas de sens ! On sait donc là que le “off” ne tiendra pas, il se fout du monde ». 88
Gilles Bridier constate également que « le “off” devant plusieurs journalistes de médias
concurrents » se pratique de plus en plus, et que l’information est très vite reprise et 89
commentée dans toute la presse. Selon lui personne n’est dupe sur le fait qu’un « off »
puisse être rompu : « Ces situations sont souvent créées de toutes pièces, avec des
révélations calibrées pour servir un plan de communication ». 90
Nicolas Sarkozy soigne sa communication avec Franck Louvrier, son responsable
communication et des rapports avec la presse entre 1997 et 2012. Le communicant qui
aurait un répertoire téléphonique de 13 000 noms , sélectionne le journaliste « qui po91 -
sera la bonne question » en conférence de presse. « ”Allo c’est Franck Louvrier”. Tous 92
les journalistes politiques connaissent cette petite musique », précise même un repor93 -
tage de Canal+ qui lui est consacré. On y apprend que, peu importe qu’il s’agisse d’un
journal local ou d’un grand quotidien, il passe son temps au téléphone avec les médias.
« Politiques : le off et le look. Qui manipule qui ? », France Culture, Le secret des sources, [disponible 87
en ligne], 28 janvier 2012.
Entretien avec H. LIFFRAN (annexe I. 8. c.)88
art. cit., G. BRIDIER, p. 6.89
Ibid.90
« Franck Louvrier invité du Supplément sur Canal+ le 24 février 2013 », chaîne Viméo de Franck Lou91 -vrier, [disponible en ligne] à partir de 3’53.
Ibid., à partir de 2’24.92
Ibid., à partir de 4’09.93
!32
Il parle aux journalistes comme aux directeurs des médias. Pour Camille Pascal, un an-
cien conseiller de Nicolas Sarkozy, ce grand professionnel maîtrise la langue de bois et
est capable de manipuler les journalistes. Quand on lui demande si les journalistes
étaient “les dindons de la farce”, Camille Pascal répond : « Il vous a pas mal toréé oui,
c’est assez drôle ». Lorsqu’un journaliste du Monde le surnomme « super-menteur », 94 95
Franck Louvrier sourit et dit qu’il pouvait ne pas dire les choses mais qu’il ne disait ja-
mais quelque chose de faux.
En novembre 2013 le journal Les Echos lui propose de se mettre à la place du journa-
liste pour écrire un papier. Lorsqu’on lui demande quels conseils il donnerait aux journa-
listes, et quels écueils il faudrait éviter, il répond : « La langue de bois ; (...) trouver des
infos intéressantes qui puissent nourrir le papier ; (...) on essaie d’avoir quelques infos
supplémentaires ; il faut essayer d’agiter le maximum de ses sources, parce qu’au bout
d’un moment on va trouver une pépite... ». 96
Franck Louvrier maîtrise parfaitement le processus de traitement de l’information ; il
connaît mieux ses interlocuteurs qu’ils ne le connaissent.
Lors d’un déplacement de François Hollande au Brésil, Gaël Legras constate que les
journalistes politiques qui suivent le président depuis deux jours sont insatisfaits d'être
là car ils n’ont aucune information, jusqu’à ce que le service presse de l’Élysée déclare :
« Vous allez être contents, vous n'avez pas fait le voyage pour rien, exceptionnellement
sur ce voyage il y aura du “off” ». Tous se réunissent « micros fermés, caméras au 97
sol », et le président Hollande arrive. La discussion dure quarante cinq minutes envi98 -
ron, le chef de l’État est extrêmement courtois et se moque gentiment d’un journaliste
Ibid.94
Ibid., à partir de 8’48.95
« La Relève : l'interview de Franck Louvrier par Julien Arnaud », Les Échos, [disponible en ligne], 17 96
novembre 2013.
Entretien avec G. LEGRAS (annexe I. 7. b.)97
Entretien avec G. LEGRAS (annexe I. 7. c.)98
!33
qui la veille avait fait un malaise. À ce moment précis le journaliste ressent « une forme
de connivence (...) c'est-à-dire qu'auparavant » il avait l'impression « de voir deux
mondes qui se fuyaient (...) et là il y avait quelque chose de très chaleureux, d'entre soi,
qui était assez perturbant ». Selon Gaël Legras, le président déclenche cette session 99
de « off » afin de démentir une polémique à propos du rapport sur l’intégration qui les a
tenus en haleine pendant soixante-douze heures, comme « un truc qui occupe tous les
esprits pendant un certain temps » et qu’ils avaient presque oublié. 100
Lors de notre entretien le journaliste sort un carnet où il consigne des souvenirs,
comme ces mots du président : « Ce n'était pas un rapport, c'était un débat. En plus, ça
fait un mois que c'est sur Internet. Vous connaissez ma position et celle du gouverne-
ment sur le sujet. Il n'y aura donc aucune proposition sur l'intégration ». Gaël Legras 101
s’interroge sur la valeur du « off collectif » ; il pense qu’en faisant leur travail les journa-
listes se font piéger par la stratégie de communication du président ; « ils contribuent à
diffuser une parole du pouvoir ». Gaël Legras pense que la position du journaliste 102
peut alors contribuer à la défiance de l’opinion envers la presse :
« Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, si on veut faire confiance aux journalistes il faut qu'ils soient transparents sur ce genre de truc (...) Il y a un rapport de séduction, il y a une drague. Je te rends important parce que je suis homme de pouvoir et je te dis des choses que je ne dis pas aux autres ». 103
Comme Nicolas Sarkozy auparavant, François Hollande s’entoure de conseillers. Chris-
tian Gravel a fait partie de l’équipe communication du chef de l’État. Comme Franck
Ibid.99
Entretien avec G. LEGRAS (annexe I. 7. d.)100
Ibid.101
Entretien avec G. LEGRAS (annexe I. 7. f.)102
Entretien avec G. LEGRAS (annexe I. 7. g.)103
!34
Louvrier, il a distribué « les prises de parole » en conférence de presse. Selon un 104
membre du staff de Manuel Valls, pour qui Gravel travaille aujourd’hui « c'est l'oeil de
Moscou ». Il l’informe de tout, et lui rapporte « les “on”, les “off”, les appels ». En 105 106
mars 2013, Christian Gravel est prié de quitter la régie de France Télévisions où est
réalisé un entretien avec le chef de l’État. ; le conseiller demande à ce qu'on « souffle
une question dans l'oreillette de David Pujadas sur le thème de la sécurité ». Son in107 -
sistance est si pressante que Thierry Thuillier, le directeur de l'information de France
Télévision, le prie de sortir. Christian Gravel dément cette version, selon lui, après s’être
assuré que les sujets allaient être abordés, il ressort des studios sans que personne
n'ait besoin de le prier de sortir . La réputation des communicants n’est pas toujours 108
flatteuse et concernant la sienne, certains parlent de « publication de "off" attribués di-
rectement à Christian Gravel ». 109
Dans leur usage du « off », seuls ou avec leurs communicants, les politiques entre-
tiennent leur relation avec la presse, car ils savent que pour nourrir leur travail, les jour-
nalistes ont un besoin constant d’informations. Certains politiques se nourrissent alors
de ce contexte pour pratiquer l’instrumentalisation, comme le confirme Claude Barto-
lone dans le reportage de Médias le magazine. 110
M. WESFREID, « Choses vues à l'Elysée: "Si je ne pose aucune question, je suis viré"», L’Express, 104
[disponible en ligne], 14 novembre 2012.
D. REVAULT d'ALLONNES et T. WIEDER « Manuel Valls, l'omniprésent », M le magazine du Monde, 105
[disponible en ligne], 15 avril 2012.
Ibid.106
« Hollande sur France 2: un des conseillers voulait souffler une question à Pujadas », Europe1, Le 107
Lab, [diponible en ligne], 29 mars 2013.
“Quand le chargé de com' de l'Elysée veut faire les questions”, Direct Matin, [disponible en ligne], 29 108
mars 2013.
art. cit., Europe1, Le Lab, p. 35.109
« Le "off", un “mal nécessaire" du journalisme ? », Média, le magazine, France 5, chaîne Youtube de 110
Paul Theux, mise en ligne le 22 janvier 2009, à partir de 2’55.
!35
Conclusion de la première partie
“ Le secret se divulgue à le trop confier ” Proverbe mauritanien 111
L’un des commentaires de notre enquête résume l’évolution du « off » et s’acco-
rde avec le déroulement de notre démonstration :
« Au fil des années le “off” a évolué. La première époque consistait à éclairer la
connaissance du journaliste. Il n'était pas diffusé. Pendant la seconde époque, le
journaliste "trahissait" son interlocuteur et diffusait le “off“ comme une information of-
ficielle. La troisième époque, celle que nous vivons actuellement, voit l'interlocuteur,
en l'occurrence un homme politique, manipuler le journaliste en lui donnant des in-
formations “off”... en le pressant insidieusement de les diffuser ». 112
Dans le cadre de notre mise en abyme du sujet, l’entretien avec “Paul”, élu en Haute-
Vienne, confirme que certaines personnalités politiques cultivent une démarche d’intr-
umentalisation. Lorsqu’il évoque ses premiers « off », il se souvient avoir été envoyé
par des plus vieux pour livrer des informations qu’ils souhaitent faire passer, mais qu’ils
ne veulent pas dire eux-mêmes. Il s'agit d'informations précises qu’il doit donner à une
personne en particulier, la plupart du temps dans le simple but de déstabiliser l'adversa-
ire : « C'est une époque où j'étais tout feu tout flamme, jeune et passionné de politique,
je n'avais pas froid aux yeux (...) je faisais à peu près tout ce que l'on me disait de faire,
et avec grand plaisir ». 113
Les différents exemples, ainsi que l’enquête et nos entretiens, nous permettent de ré-
pondre à l’hypothèse proposée dans l’introduction de cette première partie. Le journa-
Proverbe mauritanien ; Œuvre : Contes et proverbes mauritaniens (1962)111
Commentaire anonyme, enquête en ligne (annexe II. 3. c.)112
Entretien avec “PAUL”, (annexe I. 13. b.)113
!36
liste connaît les codes, les usages mais aussi les enjeux du « off » ; il est en position
d’assumer son rôle. Qu’il soit solitaire ou solidaire, lors de « off » à plusieurs, le journa-
liste est sensible à l’éthique alors qu’il fait face aux stratégies des communicants qu’il
croise. Il se doit de rester vigilant. Ivan Valério précise qu’un journaliste objectif « ça
reste un fantasme, il faut avant tout être un journaliste honnête, c'est la clé ». 114
Entretien avec I. VALERIO, (annexe I. 10. g.)114
!37
2ème partie Différences culturelles / Utilisation du off depuis l'explosion des mé-dias sociaux
!38
!39
Dans cette seconde partie, nous nous intéresserons dans un premier temps aux
différences culturelles du « off », à travers des exemples dans les cultures française et
anglo-saxonne, et nous verrons comment la pratique évolue. Nous aborderons ensuite
le « off » et ses transgressions depuis “le boom” des médias sociaux, et plus particuliè-
rement Twitter. À partir de l’article de Benjamin Sportouch, nous tenterons de com115 -
prendre comment l’affaire DSK permet à Twitter de s’imposer en France et pourquoi les
spécificités de ce média permettent au « off » de franchir une nouvelle étape dans son
évolution. Nous verrons également comment les politiques et les communicants s’appr-
oprient les médias sociaux, et comment le journaliste se positionne face aux stratégies
de communication.
A - Des différences culturelles
1. Les différences
“ Tout ce qui est utile ne doit point demeurer secret ” Proverbe grec 116
Jean-Marc Four nous explique qu’il y a différents emplois culturels du « off ». À
travers quelques exemples nous tenterons d’en situer les usages mais également de
déterminer si l’évolution générale du « off » impacte ces spécificités culturelles. Selon
Jean-Marc Four, l’usage français révèle l’existence d’une collusion entre journalistes et
politiques, qui puise ses racines dans une “tradition latine”, alors que pour sa part le
modèle anglo-saxon est « extrêmement codifié ». 117
art. cit., B. SPORTOUCH, p. 6.115
Proverbe grec ; Œuvre : Proverbes et sentences grecques (1792).116
Entretien avec J-M. FOUR (annexe I. 3. d.)117
!40
« Il y a la zone blanche “vous pouvez le dire” et puis il y a la zone noire “je vous le dis mais vous avez interdiction absolue de le répéter, et si je vous top en train de le répéter, vous êtes grillé” (...) publiquement vous n'en faites rien, en fait. » 118
Jean-Marc Four nous explique que l’usage du modèle anglo-saxon est strict : le journa-
liste se doit de respecter la règle s’il souhaite exercer son métier. S’il ne le fait pas il
perd la confiance de son interlocuteur et prend le risque d’être “blacklisté” , c’est-à-dire 119
qu’il devra se passer des services de sa source. Benjamin Sportouch confirme que la
pratique est plus codifiée aux États-Unis mais ajoute : « Il faut dire que la langue de
bois y est un sport moins prisé que chez nous ». John Dickerson nous apprend que 120 121
cette codification date du siècle dernier. Woodrow Wilson, vingt-huitième président des
États-Unis, est habitué aux rencontres informelles avec les journalistes qu’il rencontre
séparément. Cependant, son secrétaire particulier commet une erreur technique en in-
vitant l’ensemble de la presse à la même heure ; cela marque le début des conférences
de presse de la Maison-Blanche. En Juillet 1913 Wilson menace de les arrêter après
que le New York Sun ait publié, sur le Mexique, des commentaires qui étaient censés
être « off the record ». Par la suite, les journalistes obtiennent leur propre salle à la 122
Maison-Blanche mais tous les commentaires y sont considérés « off », à moins que
l’administration ne les déclare « on ». Cela donnera naissance en 1914 à la WHCA . 123
Entretien avec J-M. FOUR (annexe I. 3. d.)118
Être “blacklisté” : être sur une liste noire, être banni.119
art. cit., B. SPORTOUCH, p. 6.120
J. DICKERSON, journaliste américain, correspondant en chef du service politique de Slate, directeur 121
du service politique de CBS News.
J. DICKERSON, « Meet the press », Slate, [disponible en ligne], mars 2013.122
WHCA, “White House Correspondents' Association”, association américaine des correspondants de la 123
Maison Blanche, elle regroupe les journalistes accrédités à couvrir l'actualité du président des États-Unis.
!41
Dans un article sur le sujet, Charlotte Rotman nous fait part du témoignage d’un jour124 -
naliste américain en poste à Paris. Lorsque à ses débuts, en France, on lui demande de
respecter le « off », ce dernier obtempère : « Je n’avais pas compris qu’en fait, ceux qui
me disaient ça voulaient que leurs propos soient rapportés ». Le journaliste ajoute 125
qu’aux États-Unis il n’utiliserait pas des figures de style comme “dans l’entourage du
chef de l’Etat” pour placer des propos présidentiels dans la bouche de ses conseillers.
Selon lui « ce serait présenter une fiction comme une vérité, c’est-à-dire mentir ». 126
Andrew Wolfe confirme ce système mais le nuance. Il est d’accord sur le fait qu’un jour-
naliste qui collecte une information « off » aux États-Unis ne peut rien publier à ce sujet
mais seulement l’utiliser pour enquêter. Cependant, il reconnaît qu’il y a des exceptions
en politique notamment, où la pratique n’est pas hermétique aux formules « comme
"source close to the administration" ». Selon lui les journalistes « sont probablement 127
obligés de le faire, même s'ils n'aiment pas » ; en ce qui le concerne son avis est tran-
ché :
« Je déteste cela, lorsque j'écris je veux un nom, un visage, la vérité, et pas une histoire. Il y a des cas qui le justifient, mais cela doit être une exception pas une règle. Je ne me
souviens même pas avoir eu à utiliser une information de ce genre ». 128
Selon lui, le « off » est indispensable pour cultiver « son réseau de "whistle blowers" 129
», et le fait qu’il existe « des personnes qui "spills the beans" c'est normal pour le tra130 -
C. ROTMAN, « Le “off” vu par les journalistes étrangers », Libération, [disponible en ligne], 25 janvier 124
2012.
Ibid.125
Ibid.126
source close to the administration : une source proche de l'administration.127
Entretien avec A. WOLFE (annexe I. 11. c.)128
Whistle blowers : lanceurs d'alertes, sources.129
To spill the beans : (distribuer les haricots) vendre la mèche.130
!42
vail de recherche », mais il préfère trouver quelqu'un d'autre à interroger que de ne pas
pouvoir citer clairement une source ; il respecte donc une certaine éthique.
2. Amenuisement des différences
“ Ce monde est rempli de personnes fausses, mais avant de juger, assurez-vous de ne pas en faire partie ”
Tupac 131
À partir des années soixante-dix le processus d’uniformisation est à ses premiers
balbutiements. La presse américaine dévoile l’affaire du Watergate en 1974. Le jour132 -
naliste Bob Woodward a mené son enquête grâce aux renseignements de « gorge pro-
fonde », une source anonyme dont on apprenait bien des années plus tard qu’il s’agi-
ssait de Mark Felt, le numéro deux du FBI . Ce journaliste aurait d’ailleurs déclaré à 133
des étudiants : « Il faut davantage de sources anonymes ». Selon lui, un article trop 134
riche en citations « on » ne peut être complet. L’affaire du Watergate est le point de dé-
part d’une trentaine d’années où les médias indépendants traquent toutes sortes
d’abus, au point de parfois confondre de grandes affaires avec des révélations embar-
rassantes sur la vie privée des politiciens. Dans son livre Bernard Poulet écrit que le 135
candidat démocrate américain Gary Hart, pourtant promis à la victoire, doit se retirer de
l’élection présidentielle de 1988 après des révélations de la presse sur sa liaison extra
conjugale. Nous remarquons que le sens éthique dont parle Andrew Wolfe peut alors
varier selon l’importance d’une information et ses possibles conséquences.
Tupac : Tupac Amaru Shakur, “2Pac”, “Makaveli”, rappeur, activiste, poète, acteur américain 131
(16-06-1971/13-09-1996).
Le scandale du Watergate est une affaire d'espionnage politique qui aboutit, en 1974, à la démission 132
du président des États-Unis. Richard Nixon.
FBI : Federal Bureau of Investigation (Bureau fédéral d'enquête).133
J. COLLADO : « Quand le “off” français rejoint le “off” anglo-saxon. Et vice-versa ». Marianne, 25 avril 134
2011.
B. POULET, La fin des journaux et l’avenir de l’information, Paris, folio actuel, p117.135
!43
Par ailleurs, au Royaume-Uni la presse traque les politiques dès la fin des années
1980, « les médias, aidés par le ras-le-bol des Britanniques, avaient fini par “avoir la
peau” de Margaret Thatcher ». À cette époque, les politiques sont contraints de faire 136
preuve de plus de transparence, alors ils s’affaiblissent. Selon Bernard Poulet, c’est le
moment où l’alliance « justice-police-médias » chamboule les conventions en France. 137
C’est l’apogée des journalistes d’investigation qui sortent des révélations et des scoops
grâce aux confidences des juges « et dans une moindre mesure, des policiers », qui 138
dans le but d’affirmer leur indépendance face au pouvoir s’affranchissent du secret de
l’instruction. Cette crise du pouvoir politique permet alors au pouvoir médiatique de do-
miner : « C'était tous les jours “guignol”, le spectacle où chacun pouvait, sans risque,
leur taper dessus ». 139
Aujourd’hui le « off » semble davantage converger vers une uniformisation de la pra-
tique. Dans notre première partie nous avons abordé le paradoxe du “point presse off”
utilisé par les politiques français. Charlotte Rotman donne l’exemple de Manuel Valls
qui lors d’un meeting de François Hollande briefe des journalistes avec ces mots : «
C’est du off pour publication ». Le paradoxe est clair : le politique indique explicite140 -
ment aux journalistes de se servir de l’aparté. Cette pratique n’est pas une spécialité
hexagonale car la Maison-Blanche l’utilise également, comme lorsque l’administration 141
a souhaité faire le point sur la situation de Benghazi. En effet la Maison-Blanche a or-
ganisé un « briefing off » avec des journalistes avant la conférence de presse. L’admi-
nistration américaine fait ainsi preuve de transparence lors d’une rencontre “formelle-
loc. cit.136
op. cit, B. POULET, p. 41.137
id.138
id.139
art, cit., C. ROTMAN, p. 42.140
B. SHAPIRO, « White House meets privately with press to discuss Benghazi », Breitbart, 10 Mai 2013.141
!44
ment informelle”. Dans un article paru sur le site Internet du journal Marianne, le jour142 -
naliste Jérémy Collado écrit :
« Les pratiques s’uniformisent. La presse française “s’anglo-saxonnise”. Ou l’inverse. (...) Internet et la concurrence internationale soumettent tous les journalistes aux mêmes contraintes du marché. Il faut tout dire, le plus vite possible, en temps réel ». 143
Selon Raphaëlle Bacqué , journaliste au Monde réputée pour briser les « off », l’usage 144
culturel du « off » aurait évolué ces dernières années avec les chaînes d’information en
continu et l’utilisation des médias sociaux tels que Twitter. Angélique Chrisafis, journa-
liste correspondante du Guardian à Paris pense qu’« à l’âge de Twitter, il y a une trop
forte probabilité pour que tout sorte ». 145
art. cit., J. COLLADO, p. 43.142
Ibid.143
Ibid.144
Ibid.145
!45
B - Twitter : entre « on » et « off »
1. L’affaire DSK : un traitement « on »
“ De là où je suis, la France, c'est loin et c'est petit “ Dominique Strauss-Kahn 146
Nous avons choisi cet exemple car il illustre parfaitement l’éviction du « off »
dans une situation d’urgence journalistique. Pour développer notre démonstration nous
avons préféré Twitter aux autres médias sociaux car il est l’outil-même de « la parole
super-publique, c'est très "top down" », nous dit Arnaud Mercier. Sur Twitter la pa147 148 -
role est instantanée, il n’existe pas de filtre entre l’émetteur et les receveurs, et il n’y a
pas de conditions optimales pour instaurer un débat. Par exemple, une actualité qui fait
grand bruit sur le réseau va se répandre en escalier et peut devenir très rapidement
hautement virale. L’information est jetée en pâture à tous les “twittos” qu’ils soient jour-
nalistes, politiques, militants, détracteurs ou grand public.
C’est ce qui s’est passé durant l’affaire DSK. De nombreuses rumeurs aussi infondées
et fausses les unes que les autres deviennent des exclusivités sur Twitter et tous autres
les autres supports. Twitter devient très vite le véhicule principal de l’information. En ef-
fet, les télévisions et radios ne peuvent diffuser les échanges en direct mais seulement
en différé car la Cour Suprême le leur interdit. Aux moments forts de l’affaire, globale-
ment tous les supports traditionnels sont dépassés. Les chaînes d’informations en
continu sont bouleversées. Il leur faut quelque chose à dire, au plus vite.
Citation de Dominique Strauss-Kahn, Le Nouvel Observateur, 9-15 décembre 2010.146
Parole “top down” signifie un discours descendant, par exemple : l’origine est le pouvoir, la destina147 -tion est la base.
Entretien avec A. MERCIER (annexe I. 12. d.)148
!46
« Heureusement qu'on a Twitter », reconnaît en direct la journaliste Léa Salamé sur 149 150
iTélé. Les médias s’organisent comme ils le peuvent et se positionnent sur le flux des
messages postés en temps réel sur Twitter. Mais l’urgence du direct ne leur permet pas
de faire un tri optima. « La source des “tweets” lus à l'antenne n'a pas toujours été clai-
rement identifiée ». On parle alors de “messages sur Twitter” ou d’“informations en 151
provenance de la salle d'audience” sans plus de précisions, et les messages lus sont
souvent écrits par des journalistes d'autres médias.
Certaines informations font office de remplissage. « On apprend grâce à Twitter que
Dominique Strauss-Kahn est vêtu d’un costume gris et d'une chemise blanche et qu'il a
souri à sa femme Anne Sinclair ». L'affaire DSK a tué le « off » en faisant du “tout « 152
on »”. Interrogé par France2, Alain Duhamel admet que le cumul des tragédies poli-
tiques et personnelles, instantanément amplifié par les nouveaux médias, appartient à
un contexte « qui n’avait jamais existé ». 153
La dimension internationale liée à l’affaire DSK et le “boom” des médias sociaux modi-
fient, au moins temporairement, le travail du journaliste et de l’ensemble de la presse en
France.
B. FERRAN, « L'affaire DSK propulse Twitter au premier plan en France », Le Figaro, [disponible en 149
ligne], 20 mai 2011.
« iTélé : "Heureusement qu'on a Twitter" », chaîne Youtube du Figaro, [disponible en ligne], 20 mai 150
2011.
art. cit., B. FERRAN, p. 46.151
Ibid.152
« JT France2 : Affaire DSK, mesure de de l'institut TrendyBuzz du nouvel emballement du web social 153
», page Youtube de Trendybuzz, [disponible en ligne], 5 juillet 2011.
!47
2. Twitter en « off »
“ Divulguer le secret des autres n'est pas de la franchise, mais de l'indiscrétion “
Eugène Marbeau 154
Nous remarquons que Twitter fonctionne en « on ». Lorsque nous demandons à
Ivan Valério s’il pense que le « off » disparait sur les réseaux sociaux, il répond :
« Ce dont je suis sûr c'est que les réseaux sociaux n'ont pas tué le “off”, à la rigueur ils l'ont légèrement fait changer de nature. Je pense qu'ils le sublime dans le sens où le “off” c'est toujours des éléments d'information hyper viraux, parce-que c'est le secret, c'est les coulisses. Et les réseaux sociaux ont cette capacité à viraliser beaucoup l'info-rmation, en particulier sur de l'info que l'on pourrait se raconter, comme ça, au café ». 155
Si Twitter est fait de « on », le « off » est néanmoins structuré par la fonctionnalité de
messagerie privée. « Quand on est en DM on peut l'envoyer très rapidement de son 156
portable, (...) pendant des réunions, des rendez-vous, des allocutions, ça peut aller très
vite », nous dit Sylvain Lapoix. Il se souvient avoir publié un tweet à propos d’une dé157 -
claration de Cécile Duflot dans un article sur le gaz de houille, en la mentionnant dans
le message sous son nom de profil Twitter. Elle aurait pu répondre en « on » mais elle
l'a fait en « off », c’est-à-dire par le biais de la messagerie privée. Elle lui répond que
l’article en question lui pose problème car il serait totalement parti pris et qu’elle a par
ailleurs un contentieux avec son auteur. Au final Sylvain Lapoix nuance par un
deuxième tweet le contenu de l’article, car des sources internes lui confirment qu’il y a
E. MARBEAU, Remarques et Pensées, Philanthrope. - Conseiller d'Etat (1825 – XXe siècle)154
Entretien avec I. VALERIO (anexe I. 10. d.)155
DM = Direct message156
Entretien avec S. LAPOIX (annexe I. 6. a.)157
!48
bien un « micmac » à ce sujet. Par le biais de la messagerie privée, le journaliste et la 158
politique ont pu échanger sur le sujet. Cela permet au journaliste d’en savoir davantage
sur le fond et cela permet à la ministre de ne pas ouvrir de porte à une éventuelle polé-
mique.
Selon Jean-Marc Four, ce système est très utile, particulièrement pour travailler avec
des sources sur le terrain, à l'étranger. Quand les massacres interreligieux débutent en
Centre Afrique, Jean-Marc Four est informé par quelqu'un d’extrêmement fiable via un
message privé sur Twitter : « Il se passe des trucs horribles ici ». Dès lors qu’il a ces 159
informations, il peut ensuite entamer le processus de vérification. Twitter est ici un outil
qui, dans la transmission d’une information, permet d’anticiper le travail à venir, d’avoir
un temps d'avance :
« C'était un matin vers 10h ou 11h, on a été deux à recevoir l'info, quelqu'un du service étranger (...) et moi-même. Nous sommes allés voir le présentateur du journal de la mi-journée en lui disant il faut que tu te prépares à ouvrir une case sur la Centre Afrique, parce que l'on va avoir quelque chose à raconter ». 160
Un journaliste qui a participé à notre questionnaire écrit que la messagerie lui permet de
garder le contact avec des personnes qu’il voit peu dans l’année. Cela lui permet
d’apprendre à mieux connaître les gens, leurs goûts, leurs affinités, leur humour aussi.
Cela facilite ensuite les échanges quand le journaliste les rencontre sur le terrain, une
idée partagée par un autre journaliste, qui précise que des sources parfois éloignées
géographiquement se sentent valorisées lorsqu’il prend de leurs nouvelles via les ré-
seaux sociaux.
Les utilisateurs de Twitter peuvent échanger via la messagerie uniquement s’ils se
suivent mutuellement. Arnaud Mercier estime qu’utiliser cette messagerie n’est pas
Entretien avec S. LAPOIX (annexe I. 6. d.)158
Entretien avec J-M. FOUR (annexe I. 3. g.)159
Entretien avec J-M. FOUR (annexe I. 3. h.)160
!49
sans danger, car dans les faits c’est de l’écrit et cela laisse des traces. Cette situation
ouvre également la porte au « off » de connivence.
Cependant l'émergence des réseaux sociaux entraine un verrouillage de plus en plus
généralisé de la communication selon Sylvain Lapoix. Il évoque la difficulté d’obtenir
des entretiens car tout est filtré. Ainsi, un message privé n’aura pratiquement jamais de
réponse, au mieux un courrier type renvoyant vers le service communication qui adopte
généralement les codes du marketing commercial. Selon le journaliste, le principal
risque est que derrière le verrouillage et derrière l'ouverture « c'est finalement l'enfuma-
ge généralisé ». 161
Par ailleurs, Twitter apporte aux journalistes des sources plus variées dont certaines ont
un agenda ; elles sont là pour faire passer des messages, et parfois pour les tronquer.
Les réseaux sociaux ouvrent ainsi le champ à la rumeur et aux choses difficilement véri-
fiables, nous dit Jean-Marc Four. Cela dénature l'analyse de l'information et participe à
la manipulation. Les médias sociaux ne changent finalement pas la base de travail du
journaliste : « On en revient à la question de départ, c'est-à-dire est-ce que je fais
confiance à la personne qui me parle, est-ce que je la considère comme source
fiable ? ». 162
Néanmoins, lors d’enquêtes d’investigations, quand l’information est sensible, les jour-
nalistes et leurs sources utilisent rarement les médias sociaux pour communiquer.
Lorsqu’ils souhaitent rester anonymes ou invisibles, certains utilisent des systèmes de
communications cryptées.
C’est effectivement le cas dans l’affaire Snowden, quand le journaliste Julian Assange
échange avec lui par le biais du “deepweb” , avec des outils non traçables comme 163 164
Entretien avec S. LAPOIX (annexe I. 6. f.)161
Entretien avec J-M. FOUR (annexe I. 3. i.)162
« Deep Web: que cache le côté sombre d'internet, où l'anonymat est roi? », RTBF, [disponible en 163
ligne], 8 août 2013.
Deepweb : web profond, web invisible, web caché, c’est la partie du web accessible en ligne, mais 164
non indexée par des moteurs de recherche classiques généralistes.
!50
le réseau Tor , ou encore le service de messagerie instantanée, privée et cryptée : “Off 165
the Record Messaging ”. 166
Il arrive que des journalistes transgressent le « off » sur leur compte. C’est le cas de Mi-
chaël Darmon qui, en plus de sa chronique quotidienne, alimente parfois son fil Twit167 -
ter avec des informations sur les coulisses, et les petites phrases.
! !
! !
Michaël Darmon n’est évidemment pas le seul journaliste à travailler de cette façon,
c’est aussi le cas de Jean-Paul Ney, photo journaliste indépendant spécialisé en ma-
tière de sécurité.
Tor : acronyme de "The Onion Router", (le routeur oignon), logiciel libre qui peut rendre anonymes 165
tous les échanges internet. [disponible en ligne].
“Off the Record Messaging”, [disponible en ligne].166
M. DARMON, Chef du service politique de itele.167
!51
!
Certains journalistes se servent de Twitter pour publier ou relayer une information, or,
« ce n'est pas Twitter qui te paie mais ton média (...) cela peut te rendre plus célèbre
mais pas plus riche », précise Nicolas Ropert. Les journalistes s’en servent pour faire 168
la promotion de leur travail en déclinant l’information issue d’un support initial. Ils s’en
servent parfois comme d’un “teaser” afin d’encourager leurs followers à se rendre sur le
support qui va sortir une information. C’est le cas de Greta Van Susteren , une journa169 -
liste américaine, qui sur Twitter annonce de manière « on » qu’elle livre des informa-
tions « off » dans les actualités de Fox News, c’est-à-dire en « on ».
La journaliste souhaite ainsi intéresser et fidéliser la base des gens qui la suivent. Elle
participe néanmoins à l’audience de son journal, donc à la promotion de son média em-
ployeur. « Ce n’est peut-être pas politiquement correct mais je vais le dire, le reste de
mon commentaire “off the record” en ce moment sur la Fox »
!
Entretien avec N. ROPERT (annexe I. 9. d.)168
G. VAN SUSTEREN, [disponible en ligne].169
!52
Cet exemple confirme qu’en utilisant Twitter, le journaliste 2.0 est engagé dans un jour-
nalisme de communication, où la concurrence « favorise un journalisme dont le princi-
pal objectif est de retenir le public ». De plus, partagé entre son travail et la promotion 170
de son travail, il devient un prescripteur d’informations aux petits soins pour sa “fan
base” . 171
Par ailleurs, Sylvain Lapoix, nous dit qu’avoir beaucoup de followers sur Twitter est un «
gage de crédibilité ». Cela ouvre un accès plus important pour des mises en relation 172
avec des sources potentielles, quel que soit le domaine. Les utilisateurs regardent
combien les autres ont de followers afin de mesurer l'impact que cela peut avoir. « Tu
deviens potentiellement une caisse de résonance démesurée ». 173
D. Cornu, Journalisme et vérité, L’éthique de l’information au défi du changement médiatique, Ge170 -nève, Labor et Fides, p316.
“Fan Base” : groupes de suiveurs, abonnés.171
Entretien avec S. LAPOIX (annexe I. 6. g)172
Ibid.173
!53
C - La guerre de la communication déclarée
1. Les politiciens
“ Pour ceux d'entre nous qui gravitent au sommet de la chaîne alimentaire, il ne peut pas y avoir de pitié. Que la boucherie commence “
Frank Underwood 174
L’apparition de nouveaux médias oblige les politiques à se les approprier, mais
cela se fait parfois à leurs dépends. « Je pense que les politiques se font courir des
risques à eux-mêmes » nous dit Alain Duhamel. En effet certains hommes politiques 175
n’ont pas toujours eu conscience des dégâts qu’ils pouvaient provoquer. Arnaud Mercier
se souvient de ce que lui a dit une directrice de communication d’une collectivité territo-
riale :
« C'est une catastrophe, depuis que mon président s'est inscrit sur Twitter, ça fait deux fois au moins qu'il me saborde un plan de com ! Un jour il s'embêtait dans la voiture alors il s'est mis à tweeter qu'il allait faire “ça” alors que cela faisait un mois que l'on pré-parait un plan de communication pour sortir l'info au bon moment » 176
Dans la sphère politique les dérapages sont nombreux. Quand François Fillon et Jean-
François Copé se disputent la direction de l'UMP, le conflit est présent en direct sur les
chaînes d’information en continu et sur les réseaux sociaux. Le contexte est si violent
qu’ils disent tout haut sur Twitter ce que d'habitude ils racontent dans la salle des pas
perdus, « mais pas devant les caméras », nous dit Arnaud Mercier. 177
F. UNDERWOOD, personnage principal de la série télévisée House of Cards, interprété par Kevin 174
Spacey.
Entretien avec A. DUHAMEL (annexe I. 2. d.)175
Entretien avec A. MERCIER (annexe I. 12. b.)176
Entretien avec A. MERCIER (annexe I. 12. c.)177
!54
Nous constatons également qu’au-delà de collecter de l’information pour la traiter plus
tard, certains journalistes, comme Pauline de St Remy et Astrid de Villaines , parti178 179 -
cipent à l’instantanéité des réseaux en relayant les échanges sur Twitter.
!
!
Selon Ivan Valério ce contexte indique que les temps changent. Ce qui s’est déroulé
lors de cet épisode politique n’aurait jamais eu lieu de la même manière quelques an-
nées plus tôt :
« Ils se seraient foutus sur la gueule, violemment très violemment sans doute, les mé-dias n'auraient probablement rien su, ou quelques brèves dans le canard enchaîné, dans l'express... Là, ça s'est passé à micro-ouvert, et globalement sur BFMTV ». 180 181
Les politiques se rendent-ils compte de la force de frappe des médias sociaux ? Selon
Ivan Valério, cela peut leur faire comprendre qu’ils n'ont rien à gagner en agissant de la
P. de St REMY, journaliste politique pour BFMTV.178
A. de VILLAINES, journaliste pour LCP.179
« UMP : dans les coulisses du duel Copé-Fillon », page Youtube de BFMTV, [disponible en ligne], 17 180
novembre 2012, dès 11’56.
Entretien avec I. VALERIO (annexe I. 10. e.)181
!55
sorte. Il déplore les injonctions verbales et parfois vulgaires sur les réseaux sociaux où
l’on peut par exemple lire : « “j'en ai marre de ce mec etc etc." Je ne pense pas que ce
soit très sain, en politique c'est la même chose (...) tu ne balances pas dans les médias
que ton camarade est un connard ». 182
Seulement la presse s’en charge parfois pour le politique. En octobre 2014 L’Express
relaie une information du Canard Enchaîné qui révèle des mots prononcés par Nicolas
Sarkozy : « Bruno Le Maire, ce "connard que j'ai fait ministre" ». 183
L’exemple de la déclaration de Rome qui ouvre notre première partie trouve, le 9 mai
2013, un écho dans la presse française et sur les médias sociaux. À cette date François
Fillon est au Japon où il reçoit une décoration. Dans un hôtel, il déclare devant
quelques journalistes qu'il sera, « quoi qu'il arrive », candidat à l'élection présiden184 -
tielle de 2017, mais il tweete ensuite qu'il entend se soumettre à l'exercice des pri-
maires au sein de l’UMP. Cette déclaration fait suite à des confidences livrées par les
fidèles de Nicolas Sarkozy sur « l'envie de retour dans l'arène politique de l'ancien pré-
sident ». 185
Dans une archive sonore disponible sur son compte Soundcloud , Joël Legendre, 186 187
correspondant à Tokyo pour le groupe RTL, explique les conditions de cette révélation.
Il est avec François Fillon et deux autres journalistes pour une courte interview dans le
grand salon de l’hôtel, et après l’entretien, micros fermés, le journaliste demande à
Entretien avec I. VALERIO (annexe I. 10. f.)182
« Nicolas Sarkozy épingle Bruno Le Maire, ce "connard [qu'il a] fait ministre" », L’Express, [disponible 183
en ligne], 15 octobre 2014.
« Depuis le japon Fillon lance la bataille à droite pour 2017 », L’Humanité, [disponible en ligne], 9 mai 184
2013.
art. cit.185
J. LEGENDRE, « Comment François Fillon a déclaré depuis Tokyo sa candidature pour 2017 », [dis186 -ponible en ligne], récit du 9 Mai 2013.
Soundcloud est une plate-forme de distribution audio en ligne où les utilisateurs peuvent collaborer, 187
promouvoir et distribuer leurs projets. En juin 2013, le site compte 40 millions d'utilisateurs inscrits et 200 millions de visiteurs uniques par mois.
!56
l’ancien Premier ministre s’il est en reconquête. « Je serai candidat en 2017 quoi qu’il
arrive » lui répond François Fillon. Le journaliste précise qu’il a face à lui un homme dé-
terminé, la caméra de BFMTV tourne encore quelques plans de coupes, une courte vi-
déo montre François Fillon aborder le sujet. Le journaliste en est persuadé, Fillon est 188
conscient de la portée de ses paroles. Les trois journalistes se concertent pour décider
du traitement de cette déclaration, et décident de la publier. L’un d’eux prévient l’ancien
Premier ministre, et ce dernier précise sa pensée via Twitter, affirmant qu'il n'y avait rien
de nouveau dans ses propos de Tokyo.
!
François Fillon entre dans la course aux présidentielles de 2017 dans un contexte de
vives tensions avec l'ancien chef de l'État. Dans un documentaire sur le quinquennat 189
de Nicolas Sarkozy, il évoque leurs divergences, tant sur la crise en 2007 que vis-à-vis
du Front national. Sarkozy aurait réagi en traitant son ancien Premier ministre de « lo-
ser ». Proche de Nicolas Sarkozy, Patrick Balkany fustige également Fillon. Selon lui, 190
l’ancien Premier ministre devrait s'occuper davantage de ce qui se passe en France
plutôt que d’envisager l’élection présidentielle, et ajoute : « Je vois beaucoup de gens,
« François Fillon: "je serai candidat en 2017" », chaîne Dailymotion de BFMTV, [disponible en ligne], 9 188
mai 2013.
« François Fillon, “Nicolas Sarkozy - Secrets d'une présidence” », chaîne Youtube de Laurent Portes, 189
extrait 18, [disponible en ligne], 29 avril 2013.
art. cit., L’Humanité, p. 56.190
!57
les gens me disent toujours “Nicolas revient !”, ils ne me disent jamais “François Fillon
revient !” ». 191
Cette annonce depuis l'étranger ressemble à l'appel de Rome de Pompidou, qui, en
1969, s'était posé en successeur de De Gaulle et, du coup, « avait accéléré sa chute 192
». Mais si Hervé Gattegno évoque l’envie de François Fillon de représenter la droite en
2017, il fait aussi allusion aux Premiers ministres qui en ont rêvé auparavant, Michel
Rocard souhaitait se présenter “quoi qu'il arrive” et s'est effacé devant François Mitte-
rand, « Fillon se prend pour Pompidou..., il ressemble à Rocard », titre le journaliste. 193
Les réactions sont rapides, et sur Twitter les journalistes commentent. Guillaume Tabard
écrit que si la déclaration de Rome de Pompidou pouvait aider au départ de De Gaulle,
celle de Fillon à Tokyo souhaite empêcher Sarkozy de revenir. Michaël Darmon précise
que le “quoi qu’il arrive” fait référence à Nicolas Sarkozy, c’est-à-dire, quoi que décide
de faire l’ancien chef de l'État. On peut également interpréter ce “quoi qu’il arrive” par le
fait que primaires ou pas, il sera candidat à la prochaine présidentielle. Le « off », « en
général François Fillon n'en est pas fan ». Benjamin Sportouch rend publics les pro194 -
pos, censés être « off », de Myriam Lévy, une ancienne journaliste devenue conseillère
en communication de l’ancien Premier ministre. À propos de la relation de François
Fillon au « off », elle déclare : « Il en a fait au début mais s'est très vite rendu compte
que tout sortait dans la presse ». Selon elle, un propos n’est valide que s’il est validé 195
par l'image ou le son, et Benjamin Sportouch d’ironiser « Exit donc les commentaires off
de François Fillon entre la poire et le fromage ». Pourtant l’ancien Premier ministre 196
agit avec méthode. Il utilise clairement la formule “quoi qu’il arrive” lorsqu’il parle avec
Ibid.191
H. GATTEGNO, « Fillon se prend pour Pompidou..., il ressemble à Rocard », Le Point, [disponible en 192
ligne], 10 mai 2013.
Ibid.193
art. cit., B. SPORTOUCH, p. 6.194
Ibid.195
Ibid.196
!58
les journalistes. Il ne cache pas ses intentions, et quand il sait que l’information va sortir
il ne fait pas un communiqué par voie de presse mais utilise Twitter pour confirmer ses
propos.
La citation d’Henry Kissinger , utilisée par Benjamin Sportouch dans son article, prend 197
ici tout son sens « c'est “on”, mais si ça a plus de retentissement en étant “off”, c'est
“off” ». Concrètement, et stratégiquement, par le biais de Twitter l’ancien Premier mi198 -
nistre utilise les médias et les internautes pour amplifier l’audience de sa déclaration : il
fait une utilisation politique du « off » sur les médias sociaux. Les médias d’information
en continu et les réseaux sociaux participent à une forme d’emballement médiatique
perpétuel, selon Audrey Pulvar : « Chaque évènement est monté en épingle et peut
faire une affaire très rapidement ». Elle estime que les politiques en font trop, et que 199
pour éviter les dérapages ils gagneraient à apprendre à s’exprimer différemment.
Dans le cadre de notre mise en abyme du sujet “Jacques” et “Paul”, respectivement ,
élus dans l’Isère et en Haute-Vienne, interviennent en « off ». Hormis le fait qu’il soit
parfois taggé sur des photos de son parti politique, “Jacques” dit ne pas se servir des 200
médias sociaux et se demande s‘il s’en servira un jour. Il pense que son engagement
pourrait être un problème dans le cadre de la vie professionnelle : « Avant je pouvais
changer de boulot rapidement, mais cela change un peu (...) quand tu n’es pas un “élu
professionnel” ». 201
Parce-que c’est un médium extrêmement développé, “Paul” dit se faire « un peu vio-
lence » pour être visible sur Facebook, mais il n’aime pas tellement cette plate-202
H. KISSINGER, secrétaire d'état américain de 1973 à 1977. 197
art. cit., B. SPORTOUCH, p. 6.198
« Audrey Pulvar: "Je suis contre le fait que les politiques tweetent », Médias, le magazine, France 5, 199
[disponible en ligne], 24 octobre 2014.
Taggé : identifié 200
Entretien avec “JACQUES” (annexe I. 14. c.)201
Entretien avec “PAUL” (annexe I. 13. e.)202
!59
forme ; il préfère Twitter. Cet homme politique apprécie particulièrement les comptes
parodiques : « Ce n'est pas toujours des “off” mais enfin ça contourne un peu la ques-
tion et ça, c'est extrêmement jouissif je trouve ». 203
!
“Paul” pense que sur fond d’humour noir, les tweets de ces comptes permettent de faire
passer une interprétation proche de la vérité, qui jouerait du coup le rôle d’un « off » bri-
sé. Dans son département il cite quelques comptes dont celui du maire sortant de 204
Limoges, Alain Rodet qui devient “Alain Gros Nez” , celui d’une ancienne adjointe, 205
Monique Boulestin qui devient “Monique Boutentrain” , ou encore celui du nouveau 206
maire de Limoges, Émile Roger Lombertie devient “Émile Rejet Lombertie” . 207
!
Entretien avec “PAUL” (annexe I. 13. f.)203
Entretien avec “PAUL” (annexe I. 13. g.)204
ALAIN GROS NEZ [disponible en ligne].205
MONIQUE BOUTENTRAIN [disponible en ligne].206
ÉMILE REJET LOMBERTIE [disponible en ligne].207
!60
!
Beaucoup de gens cherchent à savoir qui se cachent derrière ces profils nous dit-il, y
compris les journalistes : « Très souvent on m'a même demandé : “est-ce que c'est toi
qui fais celui-là ?” ». Lorsqu’on aborde le sujet de la messagerie privée sur les ré208 -
seaux sociaux, “Paul” confirme la notion de dangerosité déjà évoquée dans notre re-
cherche : « Ça laisse des traces ». Il dit ne pas envoyer de messages privés sur Twit209 -
ter et d'une manière générale, il se méfie beaucoup de l'écrit. “Paul” se décrit comme
quelqu’un qui a la langue bien pendue et admet qu’il parle parfois avant de réfléchir,
particulièrement pour dire des choses à des moments où il ne devrait pas le faire ou à
des gens à qui il ne devrait pas le dire. Lorsque nous lui demandons de réagir à l’hypo-
thèse de vivre dans un monde fait de sociétés transparentes, un monde dans lequel le
« off » n'existerait pas, “Paul” répond : « Ce serait horrible ! ». À titre anecdotique, 210
des six politiques qui ont répondu à cette question dans l’enquête, seule une accepte-
rait de vivre sans « off ».
Le fil Twitter est de l’ordre de la parole publique. Les politiques ont finalement compris
les tenants et aboutissants de la communication sur ce réseau et certains font désor-
mais appel à des conseillers et à des agences de communication qui intègrent les ré-
seaux sociaux dans leur stratégie.
Entretien avec “PAUL” (annexe I. 13. g.)208
Entretien avec “PAUL” (annexe I. 13. h.)209
Entretien avec “PAUL” (annexe I. 13. i.)210
!61
2. Les communicants
“ Le secret est l'âme des affaires ”
Proverbe français 211
Pierre-Yves Frelaux, est l’ancien président de TBWA Corporate . Il a par la suite 212
créé Proches , son agence de conseil. Selon lui, lorsqu’un dirigeant souhaite faire ga213 -
gner son entreprise ou sa marque, il doit faire gagner ses idées dans le débat public. En
terme d’usage et de propagation des idées, Twitter est devenu un espace essentiel dont
l'intérêt et les enjeux ont rapidement été compris par les politiques, extrêmement expo-
sés médiatiquement. Ils ont besoin que leurs idées se diffusent, ils ont également be-
soin de se créer des communautés d'alliés. Ils doivent maîtriser leur agenda média-
tique, à savoir, « maîtriser les timings et les contenus ». 214
L’ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, Franck Louvrier, est au-
jourd’hui président de Publicis Events et vice-président de Publicis Consultants. Lors-
qu’il s’inscrit sur Twitter c’est avant tout pour suivre les journalistes, et pour observer les
réactions des uns et des autres, les tendances, ce qu’il se dit, ce que l’on n’entend pas
immédiatement ailleurs. Pour lui également le média social est un outil :
« Avant de me lever je regarde mon fil Twitter. C’est devenu (...) la première source d’in-formation directe avant les journaux, avant la radio, avant de regarder la télévision. Il m’arrive même de regarder la TV parce-qu’une info m’a été indiquée par Twitter. C’est devenu vraiment le premier véhicule vers l’info, une sorte de téléscripteur AFP d’il y a 10
ans ». 215
Le secret est l'âme des affaires. Proverbe français ; Œuvre : La France en proverbe (1905)211
Tbwa Corporate, [disponible en ligne].212
Agence Proches, [disponible en ligne].213
« Twitter et Pierre-Yves Frelaux, président de TBWA\Corporate », chaîne Youtube de Tweetbosses, 214
[disponible en ligne],13 mars 2014.
« Twitter et Franck Louvrier - président de Publicis Events & vice-président de Publicis Consultants », 215
chaîne Youtube de Tweetbosses, [disponible en ligne], 30 avril 2014.
!62
Il suit énormément ses concurrents mais également les personnes ou les sociétés,
dans son environnent professionnel, parfois il repère de bonnes idées sur lesquelles il
peut discuter avec ses équipes. Selon lui, une prise de position sur Twitter peut avoir un
effet beaucoup plus fort et immédiat qu’un simple communiqué de presse.
Sylvain Lapoix évoque la possibilité que les médias sociaux deviennent « un nouveau
front de la guerre de l'information » entre les communicants et les journalistes, avec 216
des tentatives de pare-feu empêchant de débattre en profondeur. Selon lui, la "brand-
isation" des hommes politiques représente un danger potentiel.
Quand le président américain tweet qu’il va regarder la série House of Cards demain, et
de ne pas lui raconter la fin, tout le monde retweet en disant que c'est génial ! Une des
inquiétudes du journaliste est que cela devienne encore plus un artefact de communica-
tion.
Il nous explique qu’il a reçu, un jour par erreur, sa fiche issue d’un brief média réalisé
par une marque de téléphonie mobile. Cette fiche comprenait une analyse de ses
tweets mais aussi de ses publications sur Facebook, avec un sous-texte politique : « On
a analysé et on en conclut que… ». Nous constatons que dans sa stratégie de com217 -
munication, la marque fait du profilage des journalistes sur les réseaux sociaux. « L'info-
war ce n'est pas juste une blague ». 218
Entretien avec S. LAPOIX (annexe I. 6. i.)216
Entretien avec S. LAPOIX (annexe I. 6. j.)217
Ibid.218
!63
Conclusion de la deuxième partie
“ Tout ce qui est utile ne doit point demeurer secret ” Proverbe grec 219
Mis à part quelques particularités, nous remarquons que les différences cultu-
relles du « off » qui existaient entre la France et les Anglo-Saxons semblent être moins
présentes lorsqu’il s’agit de politique. Par ailleurs, les journalistes, comme les politiques
et les communicants, se sont progressivement familiarisés avec les médias sociaux, au
point de les ajouter à leurs outils de communication. Après une période d’évaluation ils
en maîtrisent les codes, les fonctionnalités, et les utilisent en complément de leurs mé-
thodes habituelles.
Dans ses supports, la presse ouvre des espaces dédiés aux réseaux sociaux. Les
écoles de journalisme reconnues, ainsi que les centres de formation conventionnés, ont
inclus dans leurs programmes Internet des modules consacrés aux réseaux sociaux.
Cela permet donc aux journalistes débutants de se familiariser avec la pratique, mais
aussi aux plus confirmés de mettre à jour leurs connaissances.
Les journalistes repèrent de nouvelles sources et cultivent des liens avec leurs
confrères. Régulièrement, ils demandent à leurs abonnés de réagir sur ces plates-
formes, entretenant ainsi un lien, une interaction, avec leur public dans le but de les fi-
déliser et d’entretenir leur notoriété. Ils cultivent l’aspect “personal branding” . D’une 220
façon générale les médias traitent l’information du moment, sur le moment. Par leur ins-
tantanéité, les médias sociaux cristallisent ce fonctionnement sur une courte période,
dans un cycle où une information en chasse une autre, et où le “buzz” augmente parfois
les ventes de la presse. Les petites phrases, les “vrais faux” « off », les « off » brisés et
publiés, ou relayés, sur les médias sociaux, participent alors à l’évolution de la pratique
Proverbe grec ; Œuvre : Proverbes et sentences grecques (1792)219
Personal branding : marketing personnel, créer et gérer sa propre marque, rattachée à un individu et 220
non à un produit. Cette marque personnelle est l'addition d'une réputation et d'une identité profession-nelle.
!64
comme à celle de la presse en général. Dans une profession en mutation, le journaliste
s’adapte à ce nouvel environnement.
Les politiques et les communicants peuvent désormais se passer des journalistes pour
diffuser leurs messages. Un tweet a dorénavant plus d’impact qu’un simple communi-
qué de presse. Ainsi, les idées politiques sont relayées plus facilement, bien plus rapi-
dement. Il en va de même pour les petites phrases et les transgressions du « off ».
La culture immédiate et ouvertement « on » des médias sociaux favorise l'information
comme la désinformation. Les utilisateurs font parfois l'impasse sur le temps de recul
autrefois nécessaire dans l’analyse ou la gestion d’une situation. Selon Alain Duhamel,
nous vivons une époque qui parle davantage des coulisses que des politiques menées,
cela « plaît aux gens car c'est une découverte ; il faudra savoir si ça plaira aux gens
quand ce sera une habitude ». 221
Entretien avec A. DUHAMEL (annexe I. 2. e.)221
!65
CONCLUSION
“ Si tu confies au vent tes secrets, ne te plains pas s'il les révèle aux arbres “ Khalil Gibran 222
Avant de donner les éléments de réponse aux questions formulées depuis notre
problématique, nous en rappellerons les termes :
« Quelles peuvent être les conséquences de l’évolution du « off », sublimée par
le succès des médias sociaux, au regard de la pratique et du journalisme ? »
Dans un premier temps nous avons observé la pratique dans les médias, et plus préci-
sément à travers le contexte politico-médiatique. Nous avons remarqué que l’usage du
« off » n’était pas immuable dans le temps, et que malgré une méthode codifiée et un
sens de l’éthique revendiqué par certains utilisateurs, les dérives existent et la pratique
vacille régulièrement. L’ensemble des pratiquants cherche leur marque ; des journa-
listes transgressent le « off », parfois par ambitions personnelles, mais plus générale-
ment pour affirmer une indépendance face au pouvoir. Le pouvoir use de stratégies de
communication pour finalement tenter d’être au-dessus de la mêlée. Concernant la pra-
tique, la presse lui consacre des espaces dédiés sur l’ensemble de ses supports.
Dans un second temps nous avons remarqué qu’il existe des différences culturelles du
« off » entre les modèles français et anglo-saxons, mais qu’elles s’amenuisent dès lors
que la pratique concerne la politique, et plus particulièrement depuis l’arrivée des
chaînes d’informations en continu et des réseaux sociaux. La presse a désormais
adoubé les médias sociaux sur l'ensemble de ses supports. Les politiques et les com-
municants font moins de communiqués de presse puisqu’ils s’expriment directement sur
les réseaux sociaux. Le pouvoir politique tend à vouloir être le pouvoir médiatique, et
une partie du « off » se dilue dans le « on ». Les différents protagonistes maîtrisent do-
rénavant ces médias au point d’en faire leur premier outil de communication et de pro-
Gibran Khalil Gibran, poète et peintre libanais (6-01-1883 / 10-04-1931)222
!66
motion. Le principe d’immédiateté de ces supports, et le manque d’analyse qui en dé-
coule, favorise un conflit entre information et désinformation. Dans ses cursus de forma-
tion, la presse s’adapte et instruit ses journalistes en fonction de l’évolution de ces mé-
dias.
La nature même de la pratique du « Off The Record » détermine une partie du travail du
journaliste. C’est-à-dire qu’avant de transmettre une information, il doit systématique-
ment en vérifier la véracité en recoupant ses sources ; c’est l’une des pierres angulaires
de la profession. Il doit donc toujours se demander s’il peut faire confiance à ses inter-
locuteurs afin de construire et d’entretenir un réseau de sources fiables. Le « off » ne
meurt pas : comme nous l’avons vu, il se pratique sous différentes formes. Cependant
l’hyper information, le développement de celle-ci à travers les réseaux sociaux ainsi que
les stratégies des communicants, sont autant de paramètres qui entraînent le métier
vers une mutation inéluctable. Le « off » n’a ni la place ni le temps d’éclore dans un tel
contexte. Il partage désormais son “territoire” avec ces nouvelles pratiques. À la ques-
tion de savoir si l’évolution du « off » conditionne le rôle du journaliste, nous pouvons
sans aucun doute répondre par l’affirmative. Le journaliste s’y est adapté. Nous pou-
vons donc établir que la profession évolue en même temps que les outils dont elle dis-
pose.
Ces nouveaux outils engendrent une hyper communication où l’information est jetée en
pâture, à l’analyse de la vox populi. Les réseaux sociaux présentent une surabondance
de communication et de peopolisation du contexte politico-médiatique. En plus de rece-
voir directement une information non développée, le public peut, à tout moment, sen-
tencier les prestations et les propos des hommes politiques et des journalistes. Décryp-
ter le langage médiatique n’est alors plus l'apanage de la seule classe médiatique.
Cela peut amener les citoyens à considérer l’espace médiatique « comme une arène où
le plus présent est le plus populaire ». L’opinion peut estimer qu’il n’y a plus de réel 223
N. MAROUN, « Twitter et la communication politique en période sensible », Magazine de la communi223 -cation de crise et sensible, [disponible en ligne], 2011.
!67
terrain de débats entre le peuple et ses représentants, et ainsi se désolidariser de la
presse comme du pouvoir.
L’opinion développe d’ailleurs une crise de défiance vis-à-vis de la presse. Dans les
commentaires de l’article de Benjamin Sportouch, une personne émet l’hypothèse 224
que le « off » et les connivences peuvent inciter le peuple à rejoindre les idées de l'extr-
ême droite, par exemple, qui dénonce régulièrement ces pratiques. Le Front National
affiche une méfiance chronique envers les journalistes ; certains se voient refuser
l’entrée à leurs conférences de presse, comme Marine Turchi, journaliste de Médiapart,
lors de l’université d’été du FNJ à Fréjus le 6 septembre 2014. « Ils estiment que l'on 225
est le système et que le système est contre eux », nous dit Ivan Valério. L’émission Mé-
dias le Mag du 2 novembre 2014 nous apprend, selon une étude Ipsos , que 74% 226 227
des français estiment que les journalistes sont coupés de la réalité ; 66%, qu’ils ne sont
pas assez indépendants. Alors que les médias luttent face à des contraintes de budgets
et de temps, une grande partie des français se contente de consulter la presse en ligne
et les journaux télévisés, particulièrement les chaînes d’information en continu.
Afin d’élargir notre réflexion, nous proposons quelques perspectives de recherche. Ce
travail nous a permis d’observer les journalistes et leurs interlocuteurs dans leur utilisa-
tion du « off », mais aussi de voir comment la pratique évolue dans la sphère politico-
médiatique. Le « off » apparaît à la fois comme outil et victime d’une crise de l’informa-
tion, et plus généralement de la communication. Dans leurs rubriques consacrées au
« off », certains médias en ont une approche pédagogique, et l’opinion peut alors dé-
crypter la pratique, c’est par exemple le cas de l’émission Médias le mag sur France5,
art. cit., B. SPORTOUCH, p. 6.224
FNJ : Le Front National de la Jeunesse, [disponible en ligne].225
« Débat : Les journalistes sont-ils déconnectés de la réalité ? », Médias le magazine, France 5, [dis226 -ponible en ligne], 2 novembre 2014.
Ipsos : institut de sondages français, société internationale de marketing d’opinion créé en 1975, [dis227 -ponible en ligne].
!68
mais aussi d’autres chroniques comme celles de Nicolas Domenach sur Canal+, ou en-
core d’Arrêts sur Images . En revendiquant un journalisme d'investigation disponible 228
en ligne, le journal Médiapart combat également, à sa manière, le manque d’analyse
ambiant. Les livres des journalistes sur les politiques peuvent également aider l’opinion
à assimiler ce qu’est le « off » ; Le buzz autour de “Sarko s’est tuer”, l’ouvrage polé229 -
mique des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme en est un exemple. Dans 230 231
une approche plus légère, mais peut-être plus parlante pour le grand public, le « off »
est souvent décortiqué dans certaines séries américaines, comme dans The Newsroom
où la journaliste Sloan Sabbith en brise la règle à l’antenne, lors d’un direct du journal 232
de sa chaîne.
Nous constatons également que les médias adoptent désormais le “Fact-Checking”,
c’est-à-dire la vérification des faits et des chiffres dans les propos tenus par les poli-
tiques. Si la pratique apparaît lors de la campagne présidentielle de 2012, les médias
français la prennent aujourd’hui totalement en compte pour décrypter les propos des
personnalités politiques. Depuis peu les journalistes eux-mêmes sont passés au crible
du “Fact-Checking”, par exemple lorsque Jean-Pierre Elkabach annonce que le chiffre
des demandeurs d’emplois ne cherchant pas de travail est de 30%. Il est contesté par 233
le journal Libération. Le fait que la profession fasse son auto-critique lui permet d’affi-
rmer son indépendance vis-à-vis de tous pouvoirs. Au-delà d’un sens éthique elle peut
Arrêt sur images, [disponible en ligne].228
Buzz : bourdonnement, forme de publicité dans laquelle le consommateur contribue à lancer un pro229 -duit ou un service via des courriels, des blogs, des forums ou d’autres médias en ligne.
G. DAVET, journaliste d'investigation, grand reporter au quotidien Le Monde.230
F. LHOMME, journaliste d'investigation au quotidien Le Monde.231
« The Newsroom, Sloan Sabbith », extrait de The Newsroom, Saison 1, épisode 6, chaîne Youtube de 232
Atagmes, [disponible en ligne].
« Débat : Faut-il fact-checker les journalistes ? », France 5, chaîne Youtube de Médias, le magazine, 233
[disponible en ligne], 27 octobre 2014.
!69
ainsi revendiquer une légitimité aux yeux de l’opinion, afin d’assumer et de conserver
son rôle de “quatrième pouvoir”.
Les accessoires comme les smartphones et les “smartwatches” contribuent à l’évolu234 -
tion des accessoires connectés. Le risque pour la profession est que ce contexte soit
une suite logique du tout « on » présent sur les réseaux sociaux. La presse doit donc
continuellement trouver sa place dans le tourbillon de l’innovation technologique, elle
doit s’adapter à l’omniprésence numérique, à l’ultra-connexion, au “big data” , et bien235 -
tôt à l’Internet des objets, au “surface computing” . Notre époque, qui voit naître les 236
lunettes à réalité augmentée et prochainement les lentilles de contacts bioniques, ac-
couche du stade embryonnaire des robots journalistes. Au moment où certains s'inte-
rrogent sur leur fiabilité, la recherche élabore des “vêtements intelligents”. Ces innova-
tions, pour le moment dédiées au domaine militaire et à la santé, pourraient intégrer la
boîte à outil du journaliste. L’avenir proche proposera des vêtements qui seront de véri-
tables interfaces de communication. Ils intégreront des capacités de stockage, de
transmission et de diffusion de données.
Ils pourront par exemple prendre des photos ou enregistrer des séquences vidéo, mais
aussi les diffuser, soit par l'intégration d’écrans flexibles, soit les communiquer par le
biais des technologies Bluetooth, Wi-Fi et Li-Fi . En matière d’innovations, les nano237 -
“Smartwatches”: combinés hybrides smartphone, ordinateur bracelet, montre234
“Big data”, “grosses données”, “mégadonnées”, “données massives” : ensembles de données volumi235 -neux difficiles à travailler avec des outils classiques de gestion de base de données ou de gestion de l'in-formation. On parle aussi de “datamasse”.
”Surface computing” : terme utilisé pour décrire des environnements graphiques spécialisés dans les236 -quelles les éléments des environnements graphiques traditionnels sont remplacés par des éléments intui-tifs. Interactions sur écran tactile, manipulation d’objets, visualisation de photos, de vidéos, de jeux ou d'Internet.
“Li-Fi”, “Light Fidelity” : technologie de communication sans fil basée sur l'utilisation de la lumière vi237 -sible comprise entre la couleur bleue (670 THz) et la couleur rouge (480 THz). Alors que le Wi-Fi utilise la partie radio du spectre électromagnétique, le Li-Fi utilise quant à lui le spectre optique. Le principe du Li-Fi repose sur l'envoi de données par la modulation d'amplitude des sources de lumière selon un protocole défini et standardisé.
!70
technologies et les nanosciences s'intéressent aux prothèses ainsi qu’à la généralisa-
tion des puces et des implants.
À l’aube des cyborgs journalistes, le challenge de la presse consiste à contrôler la per-
tinence des données, à les restituer avec justesse et les traiter avec intelligence. À pro-
pos du journalisme, Daniel Cornu écrit « c’est sur le respect de valeurs pérennes qu’il
continuera d’établir sa légitimité : une information vraie, libre et responsable ». 238
“ Dans des temps de tromperie généralisée,
le seul fait de dire la vérité est un acte révolutionnaire “ George Orwell 239
D. CORNU, Journalisme et vérité, L’éthique de l’information au défi du changement médiatique, Ge238 -nève, Labor et Fides, 2009. p321.
G.ORWELL, extrait de “1984” (Nineteen Eighty-Four), publié en 1949.239
!71
!72
Bibliographie
I. Ouvrages et articles cités dans ce mémoire
Ouvrages
CARTON, Daniel. - “Bien entendu... c’est off”, Paris, Albin Michel, 2003.
CORNU, Daniel. - Journalisme et vérité, L’éthique de l’information au défi du change-
ment médiatique, Genève, Labor et Fides, 2009.
DOMENACH, Nicolas et SZAFRAN, Maurice. - OFF, Ce que Nicolas Sarkozy n’aurait
jamais dû nous dire, Paris, Fayard, 2011.
GIESBERG, Franz-Olivier. - La tragédie du président, Scènes de la vie politique
1986-2006, Paris, Flammarion, 2006.
GIESBERG, Franz-Olivier. - Derniers carnets, Scènes de la vie politique en 2012 (et
avant), Paris, Flammarion, 2012.
NEVEU, Erik. - Sociologie du journalisme, Paris, La Découverte, 2013.
POULET, Bernard. - La fin des journaux et l’avenir de l’information, Paris, Gallimard,
2011.
!73
Ouvrages (en ligne)
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!85
TABLE DES ANNEXES
I. Entretiens
1. Entretien avec A. BRUZAT
2. Entretien avec A. DUHAMEL
3. Entretien avec J-M. FOUR
4. Entretien avec F. GUIGNARD
5. Entretien avec F. LAGIER
6. Entretien avec S. LAPOIX
7. Entretien avec G. LEGRAS
8. Entretien avec H. LIFFRAN
9. Entretien avec N. ROPERT
10. Entretien avec I. VALERIO
11. Entretien avec A. WOLFE
12. Entretien avec A. MERCIER
13. Entretien « off » avec “PAUL”
14. Entretien « off » avec “JACQUES”
II. Enquête anonyme en ligne sur la pratique du « off ». 1. Les participants
2. Leurs supports, leurs zones géographiques et leurs domaines d’activités
3. Questions aux journalistes sur l’usage du « off »
a) Avez-vous été, ou êtes-vous, confronté à la pratique du Off ?
b) À quelle fréquence êtes-vous confronté à la pratique ?
c) La pratique du Off est-elle utile à votre travail ?
d) Un interlocuteur vous livre un “off” à vocation de diffusion, l'utilisez-vous ?
e) Vous sentez vous redevables lorsqu'une personne vous livre des “off” ?
!86
4. Les journalistes et les réseaux sociaux
a) Utilisez-vous les réseaux sociaux ?
b) Si oui, à quelle fréquence ? c) Quels réseaux utilisez-vous ? d) Quelle est votre activité sur les réseaux sociaux ? e) Pensez-vous que les réseaux sociaux font évoluer le « off » ?
5. Question aux journalistes : Un « off » vous a-t-il particulièrement marqué dans
votre carrière ?
6. Question aux journalistes : Seriez-vous prêt à vivre dans un monde totalement
transparent, sans « off » ?
7. Autres commentaires liés au « off »
!87
Annexe I. 1. Entretien avec Adeline Bruzat. Adeline Bruzat est journaliste pour le journal Leipziger Volkzeitung à Leipzig en Alle-
magne. Entretien téléphonique (via Skype) du 29 mars 2014.
a/ Avez-vous un exemple significatif de l’usage du « off » dans votre expérience ?
« Il y a une dizaine de mois, en septembre de l'année dernière, j'ai écrit un article pour
le journal sur un jeune Syrien de 23 ans qui avait collecté des médicaments, tout ce qu'il
pouvait, des couvertures, des habits, et de l'argent etc... Il partait en voiture jusqu'à
“Alep”, pour essayer d’aider les gens, par-ci par-là, sur place, peu importe d'où ils ve-
naient. Il se sentait impuissant, et de voir la situation se dégrader dans la ville où il est
né, ça le rendait malade. J'ai écrit un papier sur la préparation de son voyage ».
b/ Avez-vous utilisé du « off » incluant un fort degré de “sensibilité” ?
« Oui, par exemple je ne devais pas dire qu'il allait emmener de l'argent, ni combien il
allait en emmener. Je ne pouvais pas dire exactement le chemin qu'il allait emprunter, ni
dire dans quel camp de réfugiés en Syrie se trouvait sa famille, car il est Kurde... J'ai fait
attention qu'il y ait tout ce qui était nécessaire à la compréhension de la situation, et
pour l'histoire. Par contre, tout ce qu'il m'a donné comme information pour comprendre
le contexte mais qu'il ne souhaitait pas rendre publique, ces choses là, je ne les ai pas
publié. Je lui ai également fait relire le papier avant publication, ce que normalement je
ne fais jamais ! Au mieux j'envoie les citations, mais là je l'ai fait, parce qu’il y avait trop
de risques pour lui derrière ».
!88
c/ Comment s’est déroulé son voyage ?
« Entre-temps, il s'est retrouvé embringué à ne pas trop pouvoir dire non, avec un jeune
journaliste indépendant de Berlin qui, accompagné d'un photographe, avait décidé qu’ils
allaient faire le voyage avec lui en voiture. Parce qu'il est gentil et parce qu'il voulait que
l'on parle de la situation de sa ville dans les médias, il a dit oui. Ils ont voyagé avec lui
jusqu'à la frontière turque, ensuite il est parti tout seul sur “Alep” ».
d/ Ont-ils travaillés de la même manière que vous ?
« Non. Pendant ce voyage le jeune Syrien a passé plusieurs appels et il y a eu plu-
sieurs discussions. Quand tu voyages trois ou quatre jours non-stop avec quelqu'un et
que tu dors dans la voiture, il y a des liens qui se créent. Peut-être que tu fais moins at-
tention à ce que tu dis et que tu lâches un peu plus de choses. Les mecs qui ont fait
l'article ont tellement essayé de faire quelque chose d'attractif qu'ils allaient pouvoir
vendre qu'ils ont utilisé jusqu'à la somme d'argent sur lui, où des informations sur sa pe-
tite amie, sans se préoccuper de ce qui pouvait poser problème, et sans respecter les
choses que “Khalil” avait données en “off” juste pour le contexte ! Il n'a même pas eu un
droit de regard sur ses citations, ils ont tout publié et ont vendu cela à cinq ou six mé-
dias différents sous différentes formes, en remodelant l'histoire comme ils le pouvaient
pour essayer de la vendre ailleurs. A chaque fois le jeune Syrien apprenait qu'il était
dans tel média car je m'en étais aperçu, et il tombait des nues ».
e/ Quelles ont été les conséquences, avez-vous eu de ses nouvelles par la suite ?
« Il a reçu des messages comme : "on t'attend et t'es mort". Khalil s’est fait tabassé. Il
ne voulait plus du tout entendre parler de journalistes, à l'exception de moi, parce que
j'avais respecté son “off”. Du coup, quand il est revenu j'ai pu écrire sur lui, mais pour
les autres, c'était mort ».
!89
Annexe I. 2. Entretien avec Alain Duhamel. Alain Duhamel est journaliste et éditorialiste pour RTL. Entretien du 4 mars 2014.
a/ Pouvez-vous situer les origines de la pratique du « off » ?
« Il y a toujours eu le “off”, et il y a eu toujours des transgressions du “off”, et cela ça
date en gros depuis Théophraste Renaudot, depuis qu'il y a les premières gazettes, il y
a toujours eu cette question, forcément. C'est consubstantiel à l'existence de la presse,
qu'elle soit écrite ou audiovisuelle ».
b/ L'époque de la naissance de la presse dévoile également les marivaudages, peut-on
y voir un lien de parenté ?
« Je dirais que les marivaudages c'est une utilisation mondaine du “off”, et d'ailleurs, en
réalité, le problème du “off” de la presse qui est un problème éthique et professionnel,
est le même problème que celui de la discrétion dans la vie privée. Doit-on tout dire,
est-ce que tout doit être transparent, qui décide de la fin de la transparence ? Sur un
plan professionnel les questions se posent comme elles se posent sur un plan person-
nel ».
c/ Dans une période plus proche de nous, pouvez-vous citer l’exemple d’un « off » his-
torique ?
« Jusqu'à François Mitterrand le “off” était à peu près respecté. Je dis à peu près parce
qu'il y a des exemples célèbres, par exemple la déclaration de Rome de Georges Pom-
pidou laissant entendre qu'il serait candidat si le Général De Gaulle ne se présentait
pas, cela avait fait une histoire terrible, c'était une transgression du off déjà, bien sûr ».
!90
d/ Que pensez vous de l’utilisation des réseaux sociaux par les politiques ?
« À partir du moment où des médias nouveaux existent, les politiques les utilisent et les
utiliseront, de même que les citoyens. Et quand les citoyens font courir des risques à
des tiers, je pense que les politiques se font courir des risques à eux-mêmes. Ceux qui
se veulent les utilisateurs les plus fréquents l'ont souvent fait à leurs dépens, particuliè-
rement sur twitter. Cela dit, c'est leur problème ».
e/ Que pensez vous de la place accordée au « off » sur ces médias ?
« Je pense que l'on est dans une phase où l'on parle beaucoup des coulisses en géné-
ral, plus que des politiques menées et de la réalité en particulier. Et c'est vrai que les
nouveaux médias, parce qu'ils sont nouveaux, parce que ce sont des techniques diffé-
rentes, accroissent dans une première phase qui est celle de l'apprentissage, la tenta-
tion de se concentrer sur les coulisses, sûrement. Ça plaît aux gens car c'est une dé-
couverte, il faudra savoir si ça plaira aux gens quand ce sera une habitude ».
!91
Annexe I. 3. Entretien avec Jean-Marc Four. Jean-Marc Four est journaliste et directeur de la rédaction de France Inter, lors de notre
rencontre il dirige la rédaction de France Culture. Entretien du 3 avril 2014.
a/ Avez-vous avez le souvenir d'un « off » majeur ?
« Le “off” majeur c'est l'information relativement importante que l'on vous donne avant
les autres, pas nécessairement pour que vous la relayez immédiatement de façon pu-
blique, mais pour que vous puissiez vous préparer à la relayer. Un exemple assez
simple effectivement ; j'étais correspondant à Londres de 2002 à 2006 pour les an-
tennes de Radio France. En juillet 2005, il y a eu les attentats dans les bus et le métro
de Londres ».
b/ Comment en êtes-vous informé ?
« On n’a pas compris immédiatement que c'était des attentats parce que d'abord on a
eu comme information que le métro était à l'arrêt, ce qui à Londres peut arriver pour des
motifs ayant peu de choses à voir avec un attentat, des feuilles sur les voies par
exemple, cela suffit à arrêter le métro, souvent. Un arrêt du métro, de certaines lignes
du métro ne signifie pas nécessairement qu'il y ait un attentat. Quand il se met à y avoir
plusieurs lignes à l'arrêt on commence à se dire il y a quand même une panne majeure,
mais on n’en est pas plus loin que ça. Une source, dont je tairai évidemment le nom,
mais dont je sais qu'elle est fiable et très bien informée auprès des services de sécurité
britanniques, m'a appelé. Ce n'est même pas moi qui ai appelé, il m'a appelé pour me
dire : “Jean-Marc ce sont des attentats ! Il y a eu plusieurs attentats dans Londres il y a
une heure ; je te demande de ne pas le dire pour l'instant, le temps que cela devienne
public, mais prépare-toi, il va y avoir du boulot”. Donc ça c'est vraiment un “off” ».
!92
c/ Comment vous organisez-vous dès lors que vous êtes informé ?
« Tout d'abord je me suis mis en configuration : " tu es parti pour bosser comme un din-
guo pendant une semaine" ; et surtout j'ai appelé la rédaction en chef de France Inter et
de France Info à Paris pour leur dire : “c'est des attentats, vous pouvez d'ores et déjà
mettre deux ou trois reporters dans l'Eurostar parce que ça va chauffer. On ne peut pas
encore le dire à l'antenne mais d'ici la fin de la matinée, à mon avis on pourra le dire”.
Et c'est ce qui s'est produit, et ce qui vous donne un temps d'avance. C'est typiquement
un “off” ; je ne peux pas le dire mais je peux en faire bon usage. C'est un “off” profes-
sionnel, oui je crois que c'est un bon exemple ».
d/ Vous avez exercé plusieurs années en Angleterre, pouvez-vous nous parler des diffé-
rences culturelles du « off » ?
« Là, il y a quand même une idée importante, particulièrement si l'on est sur la sphère
politique. La pratique du “off” n'est pas la même d'un pays à l'autre, et c'est un élément
essentiel de compréhension, c'est-à-dire que l'on a une pratique du “off” extrêmement
codifiée dans les pays anglo-saxons. Il n'y a pas de zone grise, ou très peu. Il y a la
zone blanche "vous pouvez le dire", et puis il y a la zone noire "je vous le dis mais vous
avez interdiction absolue de le répéter, et si vous le répétez, si je vous top en train de le
répétez, vous êtes grillé". Les choses sont dites comme ça. Moi ça m'est arrivé en
Grande-Bretagne, que quelqu'un me dise "ça c'est “off”", et ça veut dire que si vous bri-
sez cette confiance-là, derrière c'est mort. "Je vous le dis pour votre gouverne, mais ce
n'est pas une zone grise”, publiquement vous n'en faites rien en fait ».
e/ L’usage du « off » est-il moins stricte en France ?
« Il l’est dans les pays, même si je caricature un peu, de tradition plus latine, la France
en étant, l'Italie évidemment. En fait le “off” est fait pour être répété. La zone la plus im-
portante c'est la grise ! Les vraies infos sont dans la grise, c'est-à-dire qu'il y en a assez
peu dans la noire "surtout ne le répétez pas" ; ou alors on est carrément dans le secret
!93
défense et vous ne saurez rien où l'on vous racontera des bobards. La zone blanche de
ce que l'on vous dit vraiment, finalement elle n’est pas si grande que ça, et après il y a
la zone grise, particulièrement chez les politiques. Donc le truc que l'on vous dit, en
vous disant que c'est du “off” et qu'il ne faut pas le dire mais en fait c'est "répétez-le",
"surtout faites en une utilisation", potentiellement pour nuire à un concurrent, bon bref
après il y a tout un jeu ».
f/ Ce dernier contexte comporte-il un risque pour le journaliste ?
« Le journaliste est ici dans une position complètement différente, parce que c'est une
position un peu ambiguë où il peut être instrumentalisé ; mais il peut aussi lui-même
instrumentaliser certaines choses. Il est un acteur du processus ; il est moins neutre ;
finalement il est partie prenante d'un processus. Je prends deux exemples caricaturaux
mais si l'on va en Afrique ça va être différent, si on va dans le Maghreb ce sera encore
autre chose, je pense que si l'on va en Chine n'en parlons pas... Enfin, il y a des mo-
dèles culturels et sociétaux qui font que ce rapport du journaliste au “off” est très diffé-
rent d'un pays à l'autre ».
g/ Pensez-vous que l’arrivée des médias sociaux influe sur la pratique du « off » ?
« Il se trouve qu'ici, à France Culture, on travaille beaucoup sur l'étranger, par exemple
on a particulièrement un suivi assez au point et bien conduit sur la Centre-Afrique, donc
on a un certain nombre d'interlocuteurs que l'on sait fiable sur le terrain. Quand il y a
vraiment commencé à y avoir des massacres interreligieux, y compris les pires avec les
méthodes les plus épouvantables, on en a été informé par quelqu'un que l'on sait ex-
trêmement fiable via Twitter ; mais pas par un tweet public, en message privé : "il se
passe des trucs horribles ici..." ».
!94
h/ Cet outil vous a-t-il fait gagner du temps ?
« Ça nous donnait un temps d'avance, oui. Cette personne-là nous le dis parce qu'on la
connaît bien, qu'on a beaucoup travaillé avec elle, et nous on sait qu'elle est fiable.
Charge à nous de passer des coups de fil derrière pour évidemment vérifier, mais à
priori c'est un truc fiable et qui va nous permettre de travailler. C'était un matin vers dix
ou onze heures ; on a été deux à recevoir l'info, quelqu'un du service étranger, ce qui
est logique, et moi-même. Nous sommes allés voir le présentateur du journal de la mi-
journée en lui disant il faut que tu te prépares à ouvrir une case sur la Centre-Afrique,
parce-que l'on va avoir quelque chose à raconter ».
i/ Les médias sociaux ne changent donc pas votre approche dans l’usage du « off » ?
« Je pense que fondamentalement ça ne change pas grand chose en fait. Je pense
qu'on en revient d'une certaine façon à la case départ, c'est-à-dire que l'on en revient à
la case de : "Est-ce que je fais confiance à mon interlocuteur ?" Qu'il s'exprime de vive
voix, qu'il s'exprime au téléphone, qu'il s'exprime dans un rendez-vous clandestin dans
un bar, qu'il s'exprime par SMS, qu'il s'exprime par Twitter public ou par Twitter en mes-
sage privé, bref, quelque soit la formule, à un moment donné ce qui compte c'est : "Est-
ce que je fais confiance dans la personne qui me parle ? Est-ce que je la considère
comme une source fiable ? Est-ce que l'information potentielle “off” qu'elle me livre est
fiable ou pas ?" On en revient là au bout du compte, donc ça ne change pas fondamen-
talement l'affaire à mon avis, dans la relation aux sources ».
!95
Annexe I. 4. Entretien avec Florent Guignard. Florent Guignard est journaliste et chef du service politique de RFI. Entretien du 30 avril
2014.
a/ Avez-vous avez le souvenir d'un « off » particulièrement marquant ?
« Oui, au moment de Florange avec Hollande. Cela m'avait marqué, on était en plein
débat. Crise au sommet de l'état entre Montebourg, les employés de Florange... Monte-
bourg remet sa démission le samedi. Hollande on le voit le lundi soir, il va faire un truc à
Emmaüs dans le XIXe arrondissement de Paris. Il fait son petit speech puis vient voir
les journalistes, et il commence à décrypter comment avec le gouvernement ils ont trai-
té cette histoire et donc Montebourg était sur la nationalisation et là, Hollande dit :"il n'a
jamais été question de nationaliser, évidemment", alors que l'argument de la nationali-
sation avait porté fortement par Montebourg qui y croyait vraiment. Une des questions
des journalistes c'est :" mais vous n'avez pas peur de perdre le vote des ouvriers
comme ça ?", et Hollande lâche : "ce n'est pas grave..." ».
b/ Comment réagissez-vous a cette déclaration ?
« Il y a quand même deux informations assez percutantes dans cet entretien, en plus ça
se passe vraiment au milieu d'Emmaüs, il y a des gens... Puis son conseiller en com-
munication, Christian Gravelle, il me semble, nous dit :"bien entendu c'est “off” !" Je suis
Hollande dans ses déplacements, notamment à l'étranger. On le voit régulièrement et
donc la règle générale c'est que tout ce que dit le président, on ne le cite pas nommé-
ment, on ne dit pas “François Hollande a dit que”, donc on cite “l'entourage”, “selon
l'Elysée”, “un proche”. La règle est en général respectée, on s'en tient à "l'entourage"
parce que c'est une relation de confiance, très limitée, mais bon, les règles sont claires,
vous acceptez le “off” de Hollande ».
!96
c/ Comment avez-vous traité le « off » du président ?
« Ce n'était absolument pas possible de faire parler l'entourage, car il y a aussi une
phrase qu'il lâche : "Oui, moi j'y suis allé à Florange, je suis monté sur la camionnette,
je leur ai parlé". Évidemment cette phrase, “son entourage rappelle qu'il est monté sur
la camionnette” c'est quand même moins fort que “je suis prêt à monter sur la camion-
nette”. À partir de là on fait le choix de dire non, c'est-à-dire que c'est un choix collectif,
en général et c'est régulièrement ce qui se fait après les “off”. Les journalistes qui y ont
participé se concertent, débriefent, vérifient que tout le monde a bien compris et noté la
même chose. Ça peut aller jusqu'à s'entendre sur les phrases que l'on sort, et celles
que l'on ne sort pas ».
d/ L’éthique journalistique sanctionne alors la communication politique ?
« Comme c'est toujours les mêmes journalistes qui le suivent, on se connaît et ça fonc-
tionne assez bien. Donc généralement on dit “dans l'entourage de” mais là ce n'était
pas possible de ne pas citer nommément Hollande, donc on s'en fout et on craque le
“off”, parce que l'expression est d'un cynisme absolu. Cette histoire de Florange, au
sommet de l'état on fait croire aux salariés d'Arcelormittal... Donc à un moment il y a
presque ce côté on ne va pas le respecter, enfin il ne respecte pas les règles, il n'est
pas honnête là sur ce coup ».
!97
Annexe I. 5. Entretien avec Franck Lagier. Franck Lagier est journaliste en presse quotidienne régionale pour Le Populaire du
Centre, il est également correspond pour Le Parisien / Aujourd’hui en France. Entretien
téléphonique du 25 avril 2014.
a/ Avez-vous des sources à qui vous accordez toute votre confiance ?
« Oui, tu as des gens que tu connais tellement bien que tu sais pertinemment que leur
infos sont 100% fiables, même 130%. En plus ils ont des analyses sur les situations, les
phénomènes de société, c'est des contacts importants ».
b/ L’un de ces contacts vous a-t-il déjà informé d’un « off » important ?
« Oui, l'un deux m'avait annoncé : “Il y a un mec de l'ETA qui a été arrêté en Charente,
mais je t'annonce qu'ils sont partout en Limousin. Il y a des services qui grattent des-
sus, c'est énorme". C’était il y a une dizaine d'année, à l'époque pas mal de mes col-
lègues se sont foutus de moi, en me disant : "Franck, c'est bon, arrête de tout tirer par
les cheveux ; si tu dois faire un truc comme cela tu peux le faire sur tous les phéno-
mènes de société, tous les trucs où tu poses des questions sans réponses". Sauf que la
question, je ne la pose pas innocemment. Mon supérieur s'était un peu foutu de ma
gueule, moi j'avais insisté pour faire cet article et il s'est avéré que la personne qui m'a-
vait balancé l'info avait totalement raison, parce que dans les dix années suivantes, il y
a eu environ deux arrestations par an parmi l'ETA, dont Limoges, la Corrèze et la
Creuse, les trois départements étaient concernés. Donc ces mecs-là, quand ils te ba-
lancent ce genre d'info, ils ont un recul énorme sur les évènements, quand tu sais que
ça a marché une fois, ça marche d'autres fois pour d'autres trucs ».
!98
c/ En matière de sécurité les « off » sont parfois brisés ?
« Oui, par exemple lorsque le groupe terroriste AZF mettait des bombes un peu partout
en France pour faire sauter des trains. Ils passaient des petites annonces par le journal
Libération pour interpeller le gouvernement en échange d'argent. Seul le gouvernement
savait qu'il y avait des annonces par Libé sur une prochaine bombe à tel endroit. Ils
n'ont jamais été trouvé ces mecs. Il n’y avait que l'État qui était au courant via les an-
nonces de “Libé” (le groupe terroriste communiquait avec eux). L'État avait dit à certains
journaux : “On vous annonce qu'il y a ça, mais surtout n'en parlez pas. Si les gens sont
au courant ce sera la panique dans les trains, si l'on sait qu'il y a une bombe c'est la
panique à bord”. Un jour, un engin explosif a été retrouvé sur les voies ferrées au via-
duc de Rocherolles à Bessines-sur-Gartempe, et la dépêche du midi a brisé ce “off” en
disant "On est désolé mais sur ce coup, même si vous voulez les chopper, on s'en fiche
du “off”, on considère que l'information du grand public est plus importante" ».
d/ Selon vous le journaliste a fait davantage preuve de bon sens que de zèle ?
« Un de mes contacts m'avait dit qu'il considérait dégueulasse que certains soient des
“sachant”, des gens qui ont la connaissance des informations, généralement toujours
les mêmes, soit le pouvoir. D'être informé c'est un énorme pouvoir, les mecs qui ont des
infos ont toujours un coup d'avance par rapport aux petites gens. Il m'avait dit : “Je
trouve ça dégueulasse qu'un colonel de gendarmerie ait la possibilité, parce qu'il a
l'info, de ne pas envoyer son propre enfant dans les trains parce qu'il sait qu'il y a des
risques d'explosion, alors que le mec qui est ouvrier envoie son fils à une mort pro-
bable”. Imagine qu'il y ait effectivement une explosion (heureusement il n'y en a jamais
eu) et que l'ouvrier en question apprenne que la presse et les gendarmes étaient au
courant, tout le monde est au courant, sauf lui, il va péter un plomb, et développer un
sentiment d'injustice et de rancoeur. Partant de ce principe, le gars balance des infos ».
!99
Annexe I. 6. Entretien avec Sylvain Lapoix, Sylvain Lapoix est journaliste indépendant (écologie, politique). Entretien du 6 mars
2014.
a/ Comment abordez vous le “off” sur les réseaux sociaux ?
« Les fonctionnalités de la messagerie privée elles-mêmes structurent le “off”. Force-
ment quand on est en DM (direct message, messagerie privée) on peut l'envoyer très
rapidement de son portable, et silencieusement. Tu peux donc avoir du « off » pendant
des réunions, des rendez-vous, des allocutions, ça peut aller très vite ! »
b/ Avez vous avez le souvenir particulier d'un « off » par ce biais ?
« Je me souviens que j'avais tweeté un truc sur une déclaration de Cécile Duflot à pro-
pos des gaz de houille je crois, du gaz issu de charbon non exploitable ou non exploité.
Une citation de je ne sais plus quel article. Je l'ai cité dans un tweet qui mentionnait ça
et, elle n'a pas voulu me répondre en “on”, sachant que sur une thématique comme ça
(énergie), il y a pas mal de personnes qui me suivent pour ça et qui sont d'autant plus
attentif à ce genre de signaux, et au lieu de me répondre en “on” elle m'a répondu en
“off”, soit en DM (direct message) parce que l'on se suit mutuellement ».
c/ En quoi consistait sa réponse ?
« Elle m'a dit : "Bonjour Sylvain, cet article me pose beaucoup de problèmes, parce que
le journaliste était totalement parti pris (ou un truc comme ça), je suis en contact avec
lui pour obtenir un démenti car vous comprendrez bien que ça me met très en difficulté ;
et nous sommes en train de voir s’il n'y a pas d'autres témoins ou un enregistrement,
mais la citation est tronquée et mensongère." Je lui réponds : "Merci beaucoup, mais
vous comprendrez que lorsque je vois cela c'est votre parole contre la sienne, donc je
me permets de m'informer auprès de vous." Et l'on a eu comme ça un petit échange sur
!100
le fond, mais vraiment sur le fond ».
d/ Cela vous a permis de poursuivre votre travail ?
« Pour sanctionner entre guillemets le “off”, j'ai ensuite fait un tweet pour dire d'après
des sources internes, il y a eu un petit mic-mac autour de ce sujet et cela a permis de
faire une suite, l'idée est bien sûr d'être de bonne foi en rapport avec les infos dont je
disposais. Donc concrètement et malgré le fait que je sois bien suivi sur cette théma-
tique, Cécile Duflot est plus suivie que moi ; et si elle répond à ce sujet, elle entretient
une polémique et on rentre dans une mécanique politique qui se ferait à son détriment.
Même si je ne suis pas un grand admirateur des politiques qui deviennent super familier
sur Twitter, de ce point de vue là, je ne suis pas du tout sur la même ligne empruntée
par Cécile Duflot et par ailleurs par beaucoup de confrères mais au moins je trouve
qu'elle maîtrise et dose très bien sa communication ».
e/ Maîtriser la communication sur ces réseaux peut aller jusqu’au filtrage, au ver-
rouillage ?
« Aujourd'hui c'est difficile d'avoir des entretiens. Il est probable que se dégagent plu-
sieurs types de stratégies, qui sont totalement opposées et asynchrones mais qui fina-
lement sont dans les mêmes logiques. La première stratégie c'est le filtrage intégral, au-
trement dit, tu fais un DM au directeur innovation ou bien au secrétaire général d'un par-
ti, et on ne te répond jamais ou un truc du genre “merci de prendre contact avec untel
ou le service de communication” ; c'est déjà le cas pour certaines marques et certains
hommes politiques. La plupart du temps beaucoup n'utilisent pas les DM. Ils s'y met-
tront progressivement. L'autre possibilité c'est le mouvement inverse ».
f/ Comment vous situez-vous dans ce contexte ?
« Je fais partie d'une première génération de journalistes web qui ont appris à utiliser
les outils. Aujourd'hui je gère cela au quotidien, ça représente beaucoup de travail mais
!101
aussi de grosses opportunités. Les réseaux sociaux en terme de contact “off”, c'est sur-
tout une façon de contourner le service de presse et d'aller plus vite. Vous ne répondez
pas par téléphone, je vous aborde par Facebook ou par Twitter, ou alors dans une réac-
tivité par rapport à une publication en “on”. Le principal risque, qui est à la fois derrière
le verrouillage et derrière l'ouverture, c'est finalement l'enfumage généralisé ».
g/ Comment le journaliste peut-il percer un verrouillage ?
« Le fait d'avoir beaucoup de followers est un gage de crédibilité ; en tant que journa-
liste, ça donne accès à des personnes qui ne me répondraient pas au-delà de ça. Car
quand on répond à quelqu'un dans un cadre politique, économique ou autres, on re-
garde toujours combien l'autre à de followers pour voir l'impact que cela peut avoir,
même si le nombre de followers est également subjectif. Mais tout cela donne une
quantification de ton influence, du coup ça te donne une crédibilité et tu te transformes
mécaniquement, de manière isolée et sans rapport avec les médias puisque tu es toi-
même le média, tu deviens potentiellement une caisse de résonance démesurée ».
h/ N’importe quel utilisateur des réseaux sociaux peut donc “être son propre média”. Y
voyez-vous un danger potentiel ?
« Plus ça va aller, et plus on va identifier les gens à une marque , de la même manière
dans la "brand-isation" des hommes politiques et des personnalités au sein des
marques. Il y a aussi un risque que je vois se profiler clairement, notamment avec Jean-
Marc Ayrault, c'est plus besoin de faire de la politique il suffit de faire de la communica-
tion sur les réseaux sociaux. Jean-Marc Ayrault c'était un naze, la loose et puis il fait un
selfie avec Cécile Dufflot et on trouve ça formidable. Après qu'il y ait eu des embrouilles
avec cette dernière sur Notre-Dame-des-Landes on nous demande de commenter son
selfie. Concrètement il n'y a aucune décision en plus, c'est juste qu'on la fait rebondir
sur des éléments de communication politique ».
!102
i/ Quelle est votre analyse sur l’évolution de la communication ?
« C'est un peu comme avec Le Petit Journal, qui est une machine à contre-feu formi-
dable. Il suffit de mettre des chaussures un peu fantasques pour qu'on évite de parler
de la politique du logement. Il y a aussi la possibilité que ça devienne un nouveau front
de la guerre de l'information entre les communicants et les journalistes avec des tenta-
tives de pare-feu. C'est le coup de Barrack Obama qui dit "tomorow House Of Cards, no
spoilers please", et tout le monde retweet en disant “mais c'est génial !” Mais est-ce que
c'est génial juste d'aimer les mêmes trucs que toi ? C'est ça le vrai souci ».
j/ Selon vous, jusqu'où peuvent aller les communicants ?
« Mon inquiétude principale est que c'est devenu, et que ça devienne encore plus un
artefact de communication. L'info-war ce n'est pas juste une blague. Une fois on m'a
envoyé par erreur mon brief média, et dans ce brief il y avait une analyse de mes
tweets, de mes trucs Facebook, avec un sous-texte politique tu vois en disant : "Voila
on a analysé et on en conclut que...". La marque en question est juste une marque de
téléphonie mobile, mais ils avaient tout de même fait mon profilage réseaux sociaux.
L'avantage c'est que je suis très sélectif sur ce que je tweete ou poste sur Facebook ».
!103
Annexe I. 7. Entretien avec Gaël Legras, Gaël Legras est journaliste pour la Nouvelle Édition de Canal Plus. Entretien du 16 mai
2014.
a/ Lors d’un reportage vous suivez un voyage présidentiel au Brésil. Quels souvenirs en
gardez vous ?
« Les deux premiers jours j'ai constaté à quel point les journalistes politiques étaient in-
satisfaits d'être là en se disant “on n’a rien”. Le voyage en lui-même c'est pas qu'il s'en
foutent, mais ils estiment qu'ils n'ont rien à raconter. La conférence avec Dilma Rous-
seff, ils vont rendre ça mollement, et quand Hollande va rencontrer des étudiants fran-
çais à São Paulo, aller à l'inauguration du Lycée français de Brasilia, ça fait pas de ma-
tière pour les journalistes politiques. Ce qui leur faut, eux, c'est le choper dans le cadre
de ces déplacements, trouver le moment où ils vont pouvoir lui prendre cinq minutes
dans la foule en se frayant un chemin pour lui poser des questions d'actualité sur la
Centre-Afrique à l'époque, et sur le rapport sur l'intégration qui était sorti dans la presse
à ce moment-là, qui posait la question de l'arrêt de l'interdiction du port du voile à l'école
».
b/ Ont-ils pu avoir un moment avec le président ?
« Au bout de deux jours les journalistes pensaient ne rien avoir obtenu, même si des
papiers avaient été écrits, mais les télés et les radios étaient assez mécontentes car
elles n'avaient rien. Et lors de la visite d’un petit village de Guyanne, l'une des attachées
de l'Elysée vient nous dire : "Vous allez être contents ! Vous n'avez pas fait le voyage
pour rien. Exceptionnellement sur ce voyage, il y aura du “off"”. D'une humeur générale
extrêmement morose on passe a un "super, on va avoir du matos" ».
!104
c/ Comment avez-vous vécu ce « off » ?
« On nous installe dans une salle et on attend, évidement micro fermé, caméra au sol.
Hollande arrive, il s'installe. La discussion dure quarante, quarante-cinq minutes, extrê-
mement courtois avec des petites blagues. Il se trouve qu'il y avait un journaliste avec
nous qui avait fait un malaise la veille, il lui a demandé si tout allait bien, en se moquant
un petit peu de lui, une forme de connivence qui était un changement radical d'attitude
avec l'ambiance d'avant. C'est à dire qu'auparavant j'avais l'impression de voir deux
mondes qui se fuyaient, s'opposaient, qui ne voulaient pas se rencontrer. Et là, il y avait
quelque chose de très chaleureux, d'entre soit, qui était assez perturbant ».
d/ Comment s’est déroulé le reste de la rencontre ? De quoi le président a-t-il parlé ?
« Avec mon interprétation, le président a déclenché cette session de “off” dans le but
bien précis de démentir et dégonfler cette polémique sur le rapport sur l'intégration qui
nous a tenu en haleine pendant soixante-douze heures. Un truc qui occupe tous les es-
prits pendant un certain temps et dont après on oublie allègrement. Il a voulu signifier
que ce n'était pas un rapport commandé par le Premier ministre, mais que c'était une
sorte de note d'intention qui ne servait qu'à enrichir le débat dont il ne découlerait pas
grand-chose, si ce n'est des discussions fumeuses à propos d'un sujet qui n'aboutirait
pas à quelque chose de concret. Il a dit: "Ce n'était pas un rapport, c'était un débat. En
plus ça fait un mois que c'est sur Internet. Vous connaissez ma position et celle du gou-
vernement sur le sujet : il n'y aura donc aucune proposition sur l'intégration" ».
e/ Quelle analyse gardez-vous de cet échange ?
« On parle donc de presse démocratique, censée être un contre-pouvoir, d'opinion de
liberté et de presse non connivente. Je ne dis pas qu'il y a de la connivence chez cha-
cun de ces journalistes mais il y a quelque chose de troublant, c'est-à-dire que norma-
lement, si je suis un homme de pouvoir, que tu es un journaliste et que je viens te voir
et te dis : " Voilà ce qui s'est réellement passé sur le rapport sur l'intégration”. Pourquoi
!105
homme politique ai-je besoin de te le dire en “off” ? Pourquoi je ne fais pas une inter-
view avec toi, en te disant voilà ma position c'est ça. Tu es journaliste, je sais très bien
que tu le sortiras dans ton journal le lendemain, et puisque je suis là en train de te le
dire, j'assume le fait de te le dire, donc j'assume le fait que le lendemain dans ton jour-
nal, dans ta radio, dans ta TV ce soit mon nom qui soit cité, ma voix qu'on entende,
mon image qui soit diffusée. Pourquoi ai-je besoin de le faire de cette manière là ? ».
f/ Que pensez-vous alors du rôle des journalistes dans ce contexte ?
« Pourquoi les journalistes acceptent-ils donc de se retrouver dans cette situation où ils
détiennent alors une information qui normalement est censée intéresser les citoyens. Ils
vont la diffuser sans réellement donner la source, mais en laissant entendre d'où elle
vient, mais sans vraiment le dire exactement. Est-ce qu’eux, pour le coup, ils sont tou-
jours dans le contre-pouvoir ou est-ce que d'une certaine manière ils contribuent à dif-
fuser une parole du pouvoir, et donc d'être du côté du pouvoir ? Ils ont une information
“c'est untel qui dit ça”, c'est un élu du peuple ; ils sont le média qui doit permettre nor-
malement à cet élu du peuple, sur lequel le peuple doit exercer un contrôle démocra-
tique ; ce sont eux qui doivent jouer ce rôle-là du côté du peuple et ils sont entre les
deux et font une barrière. Moi, je suis pas d'accord avec ça ! ».
g/ Quelle analyse gardez vous de cet échange ?
« Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, si l’on veut faire confiance aux journalistes
il faut qu'ils soient transparents sur ce genre de truc et ça n'a pas lieu d'exister ! En
plus, en dehors de l'aspect moral du truc, ça crée inévitablement, dans les rapports
entre l'homme politique, en l'occurrence le président, et le journaliste quelque chose de
tendancieux. Je ne dis pas que tous les journalistes cèdent, mais malgré tout il y a
quelque chose de dangereux. Il y a un rapport de séduction, il y a une drague. Je te
rends important parce que je suis homme de pouvoir, et je te dis des choses que je ne
dis pas aux autres. Donc tu es un privilégié et je t'accorde ce statut. Alors ce sont tous
des grands garçons et des grandes filles, ils peuvent tous avoir un recul sur la situation
!106
et ne pas se laisser prendre dans le truc ; mais pour neuf journalistes qui ne se laissent
pas prendre par ce jeu-là, il y en a peut-être qui ne vont pas être suffisamment armés
ou expérimentés, intègres pour se laisser prendre au jeu et donc ne plus jouer le rôle de
journaliste mais celui de relais, de communicant ».
!107
Annexe I. 8. Entretien avec Hervé Liffran, Hervé Liffran est journaliste pour le Canard Enchaîné. Entretien du 22 mai 2014.
a/ A quelle époque pouvez-vous situer les origines du « off » ?
« Avant la presse il y avait des petits libelles qui circulaient, des petites feuilles impri-
mées. C'est lié à la presse bien sûr, mais on se doute bien qu'avant il y avait déjà des
gens qui disaient : "On me dit que... mais je ne peux pas te dire qui m'as dit ça car il m'a
fait jurer de garder le secret..." ; ça doit exister depuis la nuit des temps, depuis cro-ma-
gnon ! ».
b/ Une source donne plus facilement du « off » au Canard Enchaîné qu'à un autre mé-
dia ?
« Cela dépend. Il y a des gens qui parleront plus facilement à certains qu'à d'autres. Par
exemple, Christian Jacob, ce n'est pas le genre qui va parler au Canard, il parlera plutôt
au Figaro. En revanche, il y en a d'autres qui vont être..., peut-être parler au Figaro
mais être beaucoup plus bavards avec le Canard Enchainé. Ils vont nous dire des
choses qu'ils ne leur diront pas parce-que leur rapport n'est pas le même. On n'a tout
de même une place à part, et puis outre ceux qui ont un compte à régler, d'autres ont
simplement de la sympathie pour le Canard. Le journal les amuse, ça leur plaît, et par-
fois même nous avons des gens qui développent le syndrome de Stockholm. Des per-
sonnes que l'on a écriées comme c'est pas possible et qui après deviennent addicts.
J'en connais pour qui ça dure encore ! ».
c/ Le canard use-t-il du « off » plus qu'un autre média ?
« On n'est pas avec notre caméra ou notre micro, on n’a pas besoin d'images ou de
sons pour avoir une information. Bien évidemment quand il s'agit d'un homme politique
qui en attaque un autre, on a tout intérêt à ce que cela ne soit pas “off” mais “on”. L'in-
!108
formation s'en retrouve pus forte. Quand on a dit que l'on était en “off”, pour le décoin-
cer un peu, on s'y tient absolument. Quand c'est “off”, c'est “off”. En revanche il y a par-
fois des scènes, comme par exemple avec “Sarko” qui l'a fait plusieurs fois, Hollande
également, devant quinze journalistes et dire :" Je vous dis telle chose mais c'est “off”".
Ça c'est de la blague, quinze personnes ce n'est plus un “off”, ça n'a pas de sens ! On
sait donc là que le “off” ne tiendra pas, il se fout du monde ».
!109
Annexe I. 9. Entretien avec Nicolas Ropert, Nicolas Ropert est journaliste correspondant pour plusieurs médias dont RFI, Radio
France, BFM TV, RTS, Radio Canada, RTBF, Le Parisien. Entretien du 9 mai 2014.
a/ Lorsque vous étiez à Kaboul, l’une de vos sources était l’armée française. Comment
se déroule alors le « off » ?
« Au niveau militaire il y a les mecs avec qui tu crées des affinités, avec qui tu restes en
contact, et qui te disent : "la ligne officielle c'est ça, mais dans les faits c'est plus ça !" Le
mec te le dit, tu ne peux pas le citer parce que ce n'est pas la ligne officielle, et pour toi
c'est vachement intéressant, et quand tu arrives à avoir ça ,c'est une bonne étape. Ça
peut te servir pour du “background” ou pour poser la bonne question plus tard à la hié-
rarchie ».
b/ Vous pouvez nous citer un exemple tiré de ce contexte ?
« J'ai eu un cas symptomatique, sur un attentat contre des militaires français avec cinq
morts en Kapissa. C'était en 2012 après l'élection de Hollande, en juin ou en juillet, 5
soldats se font péter par un kamikaze, et l'armée avait comme consigne officielle de ne
pas communiquer. Zéro com, ni à Paris, ni à Kaboul. Ils voulaient informer les familles
et gérer la crise en interne. Nous on l'a appris via des sources Afghanes, en “on”, ou le
gouverneur de Kapissa nous a dit il y a eu un attentat. On l'apprend, on recoupe les in-
fos, on appelle des mecs, l'AFP sort l'info, et dès que l'AFP a sorti l'info on m'appelle
direct derrière, surtout quand c'est des soldats français ! ».
c/ Comment avez-vous recoupé vos informations ?
« On a passé la journée à se battre pour avoir des confirmations parce qu'on avait plein
d'infos imprécises. On nous disait c'est un attentat sur un marché avec une femme sous
une burka. On appelle le chargé de communication, en disant : " Est-ce que c'est bien
!110
dans un marché ? Est-ce que c'est une femme avec une burka ? Combien de morts ?
etc etc... Le mec ne pouvait pas parler ; mais au bout de quarante coups de téléphone,
de harcèlements, en lui disant que j’étais en direct toutes les demi-heures sur les
chaînes d'info en continu. Je faisais les radios, les TVs, et t'as besoin d'information, t'as
besoin de confirmer ce que tu dis. Et le mec me disait : "Nicolas, je t'ai vu sur BFM, ce
que tu racontes ce n'est pas vrai" et je lui répondais : "Mais dit moi ce qui n'est pas vrai”
; et il me disait : “Non, je ne peux pas te le dire", et l'on jouait au jeu du ni oui ni non.
“Est ce que c'était sur une route ?”, “oui c'était sur une route”... “Est ce que c'est sur un
marché ?”, “Non ce n'est pas un marché”... Le mec ne disait rien mais nous permettait
de corriger la version pour s'approcher au plus près de la vérité, et c'est cela qui nous
intéresse ! On ne fait pas du “off” pour le plaisir ».
d/ Les zones de conflits sont-elles propices au « off » par le biais des médias sociaux ?
« Je n'étais pas très Twitter avant l'Afghanistan et je le suis devenu. Il m'est arrivé de
balancer des trucs, et aussi d'en récupérer. Mais globalement quand tu es journaliste ce
n'est pas Twitter qui te paie mais ton média. C'est clairement un outil, qui te permet sur
du “hot news” d'être informé rapidement. Cela peut te rendre plus célèbre mais pas plus
riche... Il y a un petit peu de “off” par mail, par Facebook aussi, mais Twitter, non, qua-
siment pas. Ceux qui me contactent je les connais. Cependant, j'ai eu deux ou trois
exemples contradictoires sur des mails, où des gens que je ne connaissais pas m'ont
contacté en me disant que soit ils avaient vu mon CV, soit mon Twitter ou Facebook, et
qu'ils avaient décidé de m'envoyer un mail. Ce n'est pas des scoops mondiaux mais
c'est des infos que j'ai pu utiliser, des trucs que je n'aurai pas eu autrement. Ce genre
d'outil marche bien sur du long terme, le mail a ce côté où l'on prend son temps pour
l'écrire ».
!111
Annexe I. 10. Entretien avec Ivan Valério, Ivan Valério est journaliste pour Le Scan du journal Le Figaro. Entretien du 1er mars
2014.
a/ Comment définiriez-vous la pratique du « off » ?
« Le “off”, c’est raconter sans mettre le propos dans la bouche de sa source, c’est aussi
ne pas le raconter mais essayer de gratter ailleurs pour qu'on nous le dise dans une
autre bouche. C'est vraiment un outil de travail, on s'en sers comme ça, comme une in-
formation qu'on peut avoir, qui nous sert à travailler mais que l'on ne peut pas forcé-
ment raconter telle quelle. On va devoir la traiter avant ».
b/ Quelle est la place du « off » en politique ?
« En politique il prend une place assez importante quand même, parce-qu’il y a plein de
dossiers en cours de travail dont on ne peut pas tout livrer, mais dont nous sommes
demandeurs d'un certain nombre de renseignements. Donc là-dessus on peut avoir du
“off” pour avoir des pistes de travail, ne serait-ce que pour préparer des papiers parfois.
Les politiques sont particulièrement friands de “off” car ils sont dans une communication
qu'ils essaient de maîtriser, pour les plus professionnels d'entre eux. Il y a des choses
qu'ils ne peuvent pas dire, notamment quand ils sont aux responsabilités. On le voit
bien : le “off” avec des ministres ou des députés de la majorité ; il y a plus de off avec
eux qu'avec des gens de l'opposition où c'est finalement moins engageant. C'est plus
facile pour l'opposition de dire des choses en “on”. D'ailleurs eux-mêmes nous le disent,
les députés de la majorité socialiste aujourd'hui : "Quand on était dans l'opposition
c'était plus facile, on pouvait dire plus de choses." Et à droite ils se lâchent et disent :
“Ça fait du bien de pouvoir parfois dire ce que l'on veut” ».
!112
c/ Quels sont vos rapport avec les politiques ? Vous les rencontrez ?
« Le politique est hyper ravi de pouvoir faire du “off”. Parfois il va juste nous faire un
communiqué, parfois on va se voir pour prendre un café, il va nous parler et il y aura
une partie de “off”. Parfois ça va être du “off” à plusieurs. Lors d'un déjeuner, on est cinq
journalistes, on invite un politique, et puis il nous raconte des choses et l'on se met
d'accord que tout le déjeuner est informel, c'est du “off” ; c'est pour s'informer sur son
travail, sur ce qu'il fait etc etc... À partir de là on va tirer des angles mais jamais sans
servir tels quels comme d'une matière brute, mais ça va être des éléments qui vont
nous permettre de bosser sur différents angles. De mon côté, tous les mois, je fais des
apéro “off” avec des ministres. Je ne suis pas un journaliste avec trente ans de métier,
mais ils sont ravis d'y participer ».
d/ Le « off » a-t-il changé depuis l’arrivée des médias sociaux ?
« Pour moi, Twitter n'est pas l'endroit où il y a du “off”, en tout cas pas publiquement,
parce-que en revanche avec des politiques on peut échanger en messages privés, et là
il peut y avoir des moments de “off”, et il y en a eu ! J'ai eu des exemples en privé de
choses qu'ils ne peuvent pas dire publiquement. Après, je suis né dans le métier avec
les réseaux sociaux. Quand je suis arrivé sur le marché du travail, Facebook existait
déjà. Twitter n'avait pas pris son envol mais j'étais déjà inscrit, donc je peux difficilement
comparer avec la période d'avant, mais ce dont je suis sûr c'est que les réseaux so-
ciaux n'ont pas tué le “off”, à la rigueur ils l'ont légèrement fait changer de nature. Je
pense qu'ils le subliment, dans le sens où le “off” c'est toujours des éléments d'informa-
tions hyper viraux parce-que c'est le secret, c'est les coulisses, et les réseaux sociaux
ont cette capacité à “viraliser” beaucoup l'information, et en particulier sur de l'informati-
on que l'on pourrait se raconter comme ça, au café ».
e/ Les chaînes d'info continue contribuent-elles à l’évolution du « off » ?
« Il y a un truc qui a tué le “off”, qui était drôle politiquement, et médiatiquement, hyper
!113
enrichissant, c'est le bras de fer entre François Fillon et Jean-François Copé à l'UMP.
Là où il y a quelques années, cela se serait déroulé entres eux, dans des bureaux, ils
se seraient foutus sur la gueule, violemment très violemment sans doute. Les médias
n'auraient probablement rien su, ou quelques brèves dans le canard enchaîné ou dans
l'express... Là, ça s'est passé à micro ouvert et globalement sur BFM TV. Ça tue un peu
le “off” dans le sens où ils se sont totalement lâchés. Erreur collective de leur part, ce
qu'ils auraient pu dire en “off” avant avec beaucoup moins de dégâts a largement été
amplifié ».
f/ Les nouvelles façons de faire de l’information changent-elles la manière de faire de la
politique ?
« Cette séquence-là, je crois qu'elle a été enrichissante pour tout le monde parce-qu'ils
ont appris qu'ils n'avaient rien à gagner à tout balancer de cette manière. C'est des
trucs que tu te dis, quand tu es dans un collectif, tu ne balances pas dans les médias
que ton camarade est un connard. Dans la vie perso c'est pareil, quand on a des pro-
blèmes de couple on ne va pas le raconter partout. Mais comme sur les réseaux so-
ciaux parfois tu peux lire : "j'en ai marre de ce mec, etc etc...", je ne pense pas que ce
soit très sain, et bien en politique c'est la même chose. Les chaînes d'info en continu, à
certains moments, demandent à ce que l'on ait de l'info tout le temps. La nature ayant
horreur du vide, on essaie de combler tout avec parfois pas grand chose. Là c'était mi-
cro ouvert en continu, donc pas “off” mais “on”, et ça a changé un peu les choses ».
g/ Diriez-vous que la notion d’objectivité est nécessaire dans le travail du journaliste ?
« Pour moi le journaliste objectif, ça reste un fantasme, il faut avant tout être un journa-
liste honnête, c'est la clé. Mais il y a aussi des éléments qui nous permettent d'objecti-
ver notre info. Parfois le “Off” nous permet de nous mener sur des pistes qui vont nous
rapprocher du réel, sans doute, pour sortir juste de la communication ».
!114
Annexe I. 11. Entretien avec Andrew Wolfe. Andrew Wolfe est journaliste américain, il est intervenant au Celsa. Entretien du 12
mars 2014.
a/ Comment pratiquez vous le « off the record » aux États-Unis ?
« Par exemple, vous allez me dire quelque chose que je ne connais pas et je ne pourrai
rien publier à ce sujet. Au mieux je peux m'en servir pour enquêter, faire mes re-
cherches, parler avec d'autres gens, poser des questions, recouper mes sources, mais
je ne peux rien dire sur l'information transmise. Même sous peine pénale, il y a des lois
qui nous protègent, comme les "shields laws". Les lois pour la protection de l'informati-
on sont variables selon les états mais il y a toujours la loi fédérale ».
b/ Il y a-t-il d’autres spécificités ?
« Une chose que l'on retrouve un peu partout, c'est en ce qui concerne les personnes
mineures, dans ce cas tout est confidentiel. Les informations sont assez inaccessibles
et très limitées dans les détails. Il y a une loi qui dit que les personnes qui travaillent
dans le système ne peuvent pas divulguer d'information, c'est le secret professionnel.
On peut toujours essayer d'avoir des informations auprès de la famille mais les per-
sonnes qui travaillent auprès des jeunes ne peuvent pas parler. Lorsqu'il s'agit de mi-
neurs on protège les identités, par exemple on ne donne pas le nom de la victime ».
c/ Le « off » aux États-Unis est-il réellement toujours respecté ?
« Il y a aussi des gens qui pensent que "Off The Record" veut dire que tout ce que la
personne vous dit peut être publié sans qu'elle soit citée, là c'est encore autre chose.
Par principe, je n'ai jamais supporté. Il y a des cas exceptionnels bien sûr, mais la pra-
tique est assez commune en politique, comme par exemple : "source close to the admi-
nistration". Je déteste cela, lorsque j'écris je veux un nom, un visage, la vérité et pas
!115
une histoire. Le “off” est un outil indispensable pour cultiver son réseau. Le journaliste
travaille avec des sources "whistle blowers" (lanceurs d'alertes), des personnes qui
"spills the beans" (vendent la mèche), c'est normal pour son travail de recherche. Mais
des personnes qui veulent parler sans êtres identifiées, cela ne va pas pour moi ».
!116
Annexe I. 12. Entretien avec Arnaud Mercier. Arnaud Mercier est Professeur en Sciences de l’information et de la communication à
l’Université de Lorraine. Ses thèmes de recherche sont : « sociologie du journalisme »,
« communication politique », « traitement médiatique », « guerre et médias » et « usage
des réseaux sociaux ». Il est également responsable du Master « Journalisme et mé-
dias numériques », et de l’observatoire du Webjournalisme porté par le Centre de Re-
cherche sur les Médiations, dont l’une des études concerne l'usage de Facebook et de
Twitter par les journalistes Français. Entretien téléphonique (via skype) du 28 avril
2014.
a/ Vos recherches sont également axées sur la communication politique. Selon vous,
comment les politiques ont-ils vécu l’arrivée des réseaux sociaux ?
« On a vu un certain nombre d'hommes politiques s'emparer de Twitter sans avoir bien
conscience de ce qu'ils faisaient. Le principe des réseaux sociaux, par leur spontanéité,
leur expressivité et leur rapidité, peut amener certains à moins contrôler leur communi-
cation, donc du coup à déraper sans doute un peu. Ces réseaux c’est la possibilité
d'avoir son propre média parce que de fait un compte twitter c'est avoir son propre mé-
dia sans filtre journalistique. Ça autorise certaines dérives ou accidents ».
b/ De quel genre d’accident peut-il s’agir ?
« J'ai le souvenir d'une directrice de communication d'une collectivité territoriale qui me
disait : "C'est une catastrophe, depuis que mon président s'est inscrit sur twitter, ça fait
deux fois au moins qu'il me saborde un plan de com. Un jour il s'embêtait dans la voi-
ture alors il s'est mis à tweeter qu'il allait faire ça alors que cela faisait un mois que l'on
préparait un plan de communication pour sortir l'info au bon moment”. ».
!117
c/ Aucun homme politique n’est à l’abri d’un accident sur les réseaux sociaux ?
« On l'a vu notamment pendant la crise de l'UMP où certains élus se lâchent. Il y avait
une telle violence, un tel conflit interne que certains se lâchaient sur Twitter, sur un
mode : “Je dis tout haut sur Twitter ce que d'habitude je disais dans la salle des pas-
perdus mais pas devant les caméras, pas en étant enregistré”. L'expressivité qui est
liée à ces réseaux et notamment Twitter, avec ce côté tac au tac en 140 caractères, fait
qu’effectivement il peut y avoir la tentation chez certains de balancer des choses ».
d/ Diriez-vous que les réseaux sociaux modifient le « off » ?
« Ce qui s'échange traditionnellement en off a peu de raisons de se retrouver sur les
réseaux sociaux, sur Twitter c'est de la parole super-publique, c'est très "top down". Il y
en a peu qui prennent vraiment le risque d'être participatifs avec les uns et les autres.
Ils en font un relais publicitaire supplémentaire : “Retrouvez-nous au meeting, au truc,
au machin...” Pour ceux qui ont une cellule de com plus douée que les autres, ils font
"les coulisses", ou "vue de l'autre côté", un peu plus clin d'oeil, mais pour le reste, on ne
peut pas dire ».
!118
Annexe I. 13.Entretien avec “Paul”. “Paul” est élu politique en Haute-Vienne, après avoir été adjoint au Maire de sa com-
mune dans l’ancienne majorité. Il est désormais dans l’opposition. Il intervient sous le
sceau du « off » dans le cadre de notre mise en abyme du sujet. Entretien téléphonique
du 10 juin 2014.
a/ Vous souvenez-vous de vos premiers « off » ?
« J'ai de vagues souvenirs. Parmi mes collègues je ne suis pas celui qui fréquente le
plus les journalistes mais il m'est arrivé d'être envoyé par des plus vieux pour effective-
ment balancer des info qu'on voulait faire passer, mais que l'on ne voulait pas forcé-
ment dire soi-même, je ne saurai plus dire pourquoi. Je l'ai fait de temps en temps, à
chaque fois il s'agissait d'une information précise que je devais donner à une personne
extrêmement précise. Je me souviens de l'avoir fait quelques fois ».
b/ S’agissait-il d’informations « off » pour clarifier un contexte ou plutôt dans le registre
“déstabilisation de l'adversaire” ?
« C'était plutôt dans ce registre-là. C'est une époque où j'étais tout feu tout flamme,
jeune et passionné de politique, je n'avais pas froid aux yeux. J'avais la chance de faire
de la politique. Je faisais à peu près tout ce que l'on me disait de faire, et avec grand
plaisir. On avait aussi beaucoup de guerre interne. On parle parfois de guerre au sein
des partis aujourd'hui mais dans certains partis c'est le monde des bisounours par rap-
port à ce que l'on connaissait à cette époque. C'était vraiment des courants extrême-
ment formalisés. Si tu n'appartenais pas à un courant tu ne pouvais même pas être un
militant, des guerres fratricides. De même que l'on me demandait de temps en temps,
lors de réunions internes ou autre chose, de monter au créneau pour attaquer untel. S'il
fallait une personne pour attaquer quelqu'un, pas en public mais en réunion, on faisait
appel à moi et je ne rechignais jamais ».
!119
c/ Quels rapports entretenez-vous avec la presse ?
« Il y a des journalistes, on ne va pas dire amis mais copains, qui nous balancent des
info. D'abord ils nous balancent des info parce qu'ils savent que ça marche dans les
deux sens, donnant-donnant ; et puis ils en balancent parce qu'ils savent que cette info
glanée ici, on va nous-mêmes l'exploiter. Si on l'exploite ça va faire un peu de mousse,
et la mousse on en vit tous, enfin surtout vous ! Il faut qu'il se passe quelque chose pour
vendre du papier, donc c'est vrai que ça se pratique pas mal ».
d/ Comment pratiquez vous le « off » ?
« Et bien le “off” c'est : t'en parle pas, tu fais comme si je ne te l'avais pas dit mais en
réalité j'espère bien que tu vas faire comme si je te l'avais dit... Il y a un petit peu de ça,
c'est un secret, on en parle pas, mais ils le savent bien. C'est sans doute ce que tu ap-
pelles le “off” de connivence, contrairement au “off” de confiance où l'on se raconte des
choses dont ni l'un ni l'autre ne parlera à jamais ou n'exploitera à jamais ».
e/ Quelle est votre approche des réseaux sociaux ?
« Facebook, j'aime pas tellement, ce truc me plaît pas. J'ai bien sûr un profil et j'essaie
de temps en temps d'y mettre un peu quelque chose mais je suis assez affligé par le
niveau ! Il y a bien trop de chats, trop de gamins, trop de photos de vacances, trop de
photos de ce que l'on a bouffé la veille. Ce n'est pas mon truc, mais je suis bien obligé
de constater que c'est maintenant un médium extrêmement développé et ça fonctionne,
alors je me fais un peu violence et je me dis régulièrement il va falloir que tu t'excites un
peu ».
f/ Vous n’aimez pas Facebook, mais que pensez-vous de Twitter ?
« Twitter c'est vraiment différent, Twitter, j'adore carrément ! Malheureusement il y a des
périodes, comme en ce moment où je n'ai pratiquement pas le temps de tweeter, a part
!120
deux ou trois conneries institutionnelles par-ci par-là pour représenter, mais lorsque j'ai
le temps, j'adore tweeter et lire les tweets. Alors il y a aussi beaucoup de conneries,
mais là je trouve qu'il y a un peu d'esprit. J'y apprends toujours quelque chose. Il n'y a
pas une fois où je me connecte au réseau ou je n'apprends pas des trucs, il y a pas mal
de mauvais esprits, pas mal d'humour, et j'aime bien. Ce que j'aime bien aussi sur Twitt-
ter, ce n'est pas vraiment des “off” mais enfin ça contourne un peu la question, c'est qu'il
y a des comptes parodiques, et ça c'est extrêmement jouissif je trouve ».
g/ Avez vous des exemples précis ?
« En ce moment il y a plusieurs comptes parodiques concernant Limoges. Il y en a
quelques-uns avec des petits pseudos comme Alain Gros Nez (pour Alain Rodet le
maire sortant), Monique Boutentrain (pour Monique Boulestin ancienne adjointe), Emile
Rejet Lombertie (Emile Roger Lombertie le nouveau maire). Les journalistes se de-
mandent bien qui peut faire ça, d'ailleurs tout le monde se demande qui peut faire ça.
Très souvent on m'a même demandé : " Est-ce que c'est toi qui fais celui-là, ou ça... ?"
Et le “off” pour le coup ça peut carrément alimenter des messages Twitter, surtout avec
ces comptes parodiques ».
h/ Pratiquez vous le « off » par le biais des messageries sur les réseaux sociaux ?
« Le “off” sur les réseaux sociaux peut être dangereux avec les messages privés, car ça
laisse des traces. Moi, je n'envoie pas de messages privés sur Twitter, mais d'une ma-
nière générale je vais beaucoup me méfier de l'écrit, fatalement. Je devrais beaucoup
plus me méfier de l'oral aussi parce que j'ai la langue bien pendue, et même si c'est de
moins en moins je parle parfois avant de réfléchir. Il ne s'agit pas de dire des choses qui
soient fausses ou n'importe quoi, mais par contre dire des choses à des moments où on
ne devrais pas les dire, ou à des gens à qui je ne devrais pas les dire. C'est-à-dire que
je pense que je suis assez bon client parce qu’il ne faut pas grand-chose pour me faire
causer. J'en ai conscience, c'est lamentable mais c'est comme ça. Je suis sensible à la
flatterie, à l'humour, pour peu que tu me dises deux ou trois trucs sympa et qu'on rigole
!121
je te donne la carte bleue de ma mère. Peut-être pas avec le code bien sûr, mais je sais
que j'ai cette faiblesse, je me connais ! »
i/ Et si le « off» n'existait pas ? Si tout était transparent ?
« Ce serait horrible ! »
!122
Annexe I. 14. Entretien avec “Jacques”. “Jacques” est élu politique dans l’Isère. C’est un ancien journaliste qui travaille désor-
mais dans le domaine de l’édition. Il intervient sous le sceau du « off » dans le cadre de
notre mise en abyme du sujet. Entretien téléphonique (via Skype) du 10 juin 2014.
a/ Quel est votre rapport avec la presse ?
« Je n'ai aucun souci à utiliser la presse pour ce qu'elle sait faire. Ici on a un type de
PQR, qui est un véritable torchon mais qui fait son boulot d'interview des institutions, à
part une de leur journaliste qui nous dézingue à tout va. Il n'est donc pas question de
faire du “off” avec elle. En tant que porteur d'une part de l'institution de la ville d'Eschiro-
lles sur la question de la jeunesse et de la prévention de la délinquance, je n'ai aucun
souci à répondre aux questions du “Dauphiné Libéré”, sur nos actions en tant que ville.
France Bleu Isère, c'est des potes et ils ont toujours bien fait leur boulot, c'est plutôt du
genre conversation, il ne me cite pas mais chacun repart avec son analyse ».
b/ Vous pratiquez le « off » avec d’autres médias ?
« Il y a un titre ultra alternatif édité à Grenoble qui s'appelle le Postillon. Quand j'ai des
infos je leur envoie en “off”. C'est un peu notre petit “Canard Enchainé” à nous, qui fait
des enquêtes, un lutte contre les puissants (médias et politiques), du coup lorsqu'il se
passe un truc intolérable, je lui envoie un mail anonyme, enfin il sait que c'est moi. Il est
présent à chaque manifestation, du coup on peut aussi marcher ensemble dans la rue,
et parler, je n'ai aucun problème à ce que les gens me voient avec lui. En politique, on
n’oublie rien, on sait des choses que l'on n’hésitera pas à sortir le moment venu. J'ai
des collègues élus qui ont des dossiers, ils impriment tout. Moi je ne le fais pas, peut-
être que je devrais ».
!123
c/ Pratiquez vous le « off » par le biais des réseaux sociaux ?
« A part le fait d’être identifié sur des photos de parti je ne m'en sers pas, et je me de-
mande si je m'en servirai vraiment un jour. J'ai toujours dit que Facebook était important
pour la vie professionnelle, sauf que depuis un an et demi je suis confronté à un pro-
blème très clair. Avant je pouvais changer de boulot rapidement, mais cela change
un peu la donne quand tu es engagé en politique, sans toutefois être un élu profession-
nel ».
d/ Vous méfiez vous des réseaux sociaux en général ?
« Ce qui me dérange dans les réseaux sociaux, c'est quand ça touche des salariés.
Généralement des salariés dans des cabinets. Je n'ai pas trop envie d'aller vers des
trucs qui mettraient en difficulté des couples, ou ce genre de choses. C'est un truc que
je déteste ! »
!124
II. Enquête anonyme en ligne sur la pratique du « off ».
Dans le cadre de cette recherche nous avons élaboré un questionnaire par le
biais d’une application de Google Drive [en ligne], http://bit.ly/1uh4cMb. Il s’agit d’une
enquête anonyme sur le « off », destinée aux journalistes, aux personnalités politiques
et à l’ensemble des personnes dont l’activité peut être liée à cette pratique. Nous pré-
sentons dans nos annexes un résumé des données recueillies pour ce mémoire,
néanmoins les résultats complets sont accessibles [en ligne], http://bit.ly/11tXtTj.
1. Les participants.
Au moment où nous clôturons ce travail 151 personnes y ont contribué. Les
questions ne sont toutes pas obligatoires et permettent parfois des choix multiples, ce
qui explique que des chiffres peuvent être inférieurs ou supérieurs à 100 %.
!
Nos cibles principales sont les journalistes et les politiques. Cependant les poli-
tiques étant trop peu nombreux à avoir répondu, nous n’avons pas jugé pertinent de
nous servir de ces données, hormis un passage anecdotique. Nous nous sommes donc
particulièrement intéressés aux données fournies par les journalistes. Ces participants
sont nés entre 1933 et 1993 et sont entrés en exercice entre 1956 et 2014.
!125
2. Leurs supports, leurs zones géographiques et leurs domaines d’activités.
Ils sont majoritairement issus de la presse écrite et travaillent souvent pour plu-
sieurs supports.
!
Nous leur avons demandé de préciser leur secteur géographique. Dans un ordre
décroissant, les journalistes participants exercent davantage en province, un peu mois
sur la région parisienne, puis à l’international et quelques-uns en outre mer. Par ailleurs,
ils sont moins nombreux à exercer en zone rurale.
!
!
Nous leur avons également demandé de nous indiquer leur domaine d’activité, le
choix de réponse est multiple.
!126
!
3. Questions aux journalistes sur l’usage du « off » :
a) Avez-vous été, ou êtes-vous, confronté à la pratique du Off ?
!
b) À quelle fréquence êtes-vous confronté à la pratique ?
!
c) La pratique du Off est-elle utile à votre travail ?
!127
- Schéma
!
- Commentaires :
À cette question nous leur avons demandé de préciser leur choix à l’aide un
commentaire nourri de leur expérience. Voici quelques exemples :
« Le “off” permet d'expliquer, de contextualiser, de nuancer le “on”. Il est une clé pour
comprendre l'information à condition qu'il ne la verrouille pas. Il est parfois la version
sous-titrée ».
« Parce que le “off” permet de renforcer mon bagage sur certains sujets, ça peut
donner du background, être utilisé pour nourrir de futurs papiers ».
« Au fil des années le “off” a évolué. La première époque consistait à éclairer la
connaissance du journaliste. Il n'était pas diffusé. Pendant la seconde époque, le
journaliste "trahissait" son interlocuteur et diffusait le “off” comme une information of-
ficielle. La troisième époque, celle que nous vivons actuellement, voit l'interlocuteur,
en l'occurrence un homme politique, manipuler le journaliste en lui donnant des in-
formations “off”... en le pressant insidieusement de les diffuser ».
« Permet de comprendre le contexte générale d'une affaire ».
!128
« Première raison : pour mettre les gens en confiance et fidéliser les sources.
Deuxième : pour comprendre les dessous de certaines affaires ».
« “Utile” car cela contribue au décodage de certaines situations. “Délicat” car ça peut
créer une complicité entre source et journaliste quand ce n'est pas bien géré et vécu ».
« Compréhension du contexte politique ; Un “off” permet de faire un briefing avec les
interviewés ou de parler de sujets qui n'ont rien à voir avec l'information. Dans le cas
d'une investigation, ce off permet de lever le voile sur une affaire ».
« Permet à des interlocuteurs de donner des infos sans qu'ils soient impliqués directe-
ment. Facilite la compréhension des évènements et permet des analyses qui seraient
impossibles sans ces "confidences" délibérément consentis par les "politiques" qui ont
appris l'art de maîtriser cette pratique. Un journaliste digne de ce nom doit être capable
de comprendre l'intérêt de celui qui lui donne des info en "off". Car ne soyons pas
dupes. Informer, c'est manipuler (on choisit de dire ou de na pas dire, et de dire de telle
ou telle manière.) Celui qui pratique le "off" ne le fait pas par bonté d'âme. Il a un intérêt
qu'il faut comprendre ».
« Il est toujours bon de connaître l'histoire. Les info données en “off” sont une base
de travail. Avec un peu de persévérance et suffisamment de recoupage, on réussit
toujours à raconter ce que l'on veut sans forcément se griller auprès de la source ».
« Les gestes trahissent bien souvent les pensées de mes interlocuteurs. C'est pour
nous un signal que l'on doit détecter pour orienter nos questions, creuser une pro-
blématique à laquelle nous n'aurions pas pensé ».
« Parfois une info “off” permet la sortie d'une info “on” quelques jours plus tard. C’est
souvent un aiguilleur vers une plus grosse info ».
!129
« Elle permet de mieux comprendre certaines situations, de mieux cerner les interlo-
cuteurs, les gens etc. Parfois elle permet aussi d'alimenter une petite rubrique sati-
rique ».
« Elle permet tout d'abord de créer et d'entretenir une relation de confiance entre le
journaliste et sa source. C'est un moyen de rester en veille sur un sujet précis. Le pro-
blème est qu'elle est aujourd'hui utilisée de manière abusive aussi bien par les journa-
listes (qui oublient parfois que l'objectif du métier est avant tout d'informer et non d'avoir
des "amis" sources) que par les interlocuteurs qui maîtrisent ainsi leur communication
».
d) Un interlocuteur vous livre un “off” à vocation de diffusion, l'utilisez-vous ?
- Schéma
!
- Commentaires :
À cette question nous leur avons demandé de préciser leur choix à l’aide un
commentaire nourri de leur expérience. Voici quelques exemples :
OUI. « Si la personne est de bonne foi, il vous permet de comprendre une situation qu'il a
vécue ou observée ».
« S'il m'autorise à utiliser ses propos sous couvert d'anonymat et que cela fait avancer
mon enquête ou mon dossier, je publie ».
!130
« Si cela présente un intérêt pour le lecteur sans nuire à la source (et sans la révéler),
pourquoi se priver ? ».
« En fonction de la pertinence de l'information. Si elle est exacte et intéressante, pour-
quoi ne pas l'utiliser ? ».
« Si cette information est indispensable à mon lecteur pour comprendre une situation
oui. Sinon je préfère la sous-entendre à travers les lignes sans l'expliciter ».
NON. « Le véritable "off" ne peut à la fois en être et avoir vocation à diffusion. Ou alors c'est
du "off" indirect, et donc a priori douteux ».
« Je trouve que le rôle d'un journaliste n'est pas d'être une courroie de transmission
servile ».
« Un journaliste doit être capable de tout décrypter. Et de sélectionner dans un effort
exigeant d'intégrité intellectuelle (qui n'a que peu à voir avec "Je veux être le PRE-
MIER") ce qui peut être dit et contribuer à la manifestation de la vérité et à la formation
d'une analyse juste de la part de son public ».
« La manipulation est partout... Les politiques et les communicants en sont experts.
C'est à nous, journalistes, d'être vigilants, d'être aux aguets et de savoir trier le bon
grain de l'ivraie ! ».
« C'est moi qui choisit quand je sors le “off” ».
Plus ou moins. « Il faut parfois se méfier car le “off” est parfois téléguidé. Il ne faut pas être manipulé
par son interlocuteur qui peut faire passer de l'intox pour du “off” croustillant. En re-
!131
vanche, la charte de la Carte de presse nous y engage : notre devoir d'informer prime
avant toute chose (il faut donc vérifier la bonne info par d'autres “off”!). Aucun scrupule
à publier une information de premier plan livrée en “off”, tout en protégeant ses sources
(excepté si la source est trop facilement identifiable et si cette publication la met en
danger). Et du “off” qui tiendrait du pénal ne peut rester en “off”, ou le journaliste devient
à son tour complice d'un délit ».
« Il faut pouvoir croiser les sources dans ce genre de cas. Par exemple, je ne publierai
pas un article du type "Copé accusé d'avoir volé dans la caisse de l'UMP" si c'est juste
un député UMP qui me dit ça en “off”. Tout est une question de qui parle d'où, quels
faits concrets étayent ce “off” ou pas. Si je reprends l'exemple précédent, imaginons
que j'ai du biscuit pour écrire ça à la base. Si plusieurs poids lourds me donne du “off”
et d'autres billes, peut-être vais-je avoir une info publiable ».
« Personnellement je jauge l'intérêt. Comme j'ai horreur d'être manipulé, il faut vraiment
que l'affaire vaille le coup ! ».
« Un "off à vocation de diffusion" ? Un faux “off”, donc ? Un "on" qui ne dit pas son
nom ? Bizarre... Si c'est une info en bonne et due forme ET si l'informateur peut courir
un risque en la dévoilant, je préserve son anonymat, je creuse et j'avise. Si c'est une
indiscrétion qui peut pénaliser une personnalité/entité, je me méfie. Histoire de ne pas
être instrumentalisé ». Vous sentez-vous redevables lorsqu'une personne vous livre
des “off” ?
!132
e) Vous sentez-vous redevables lorsqu'une personne vous livre des “off” ?
- Schéma
!
- Commentaires :
OUI / Cela dépends du contexte.
« oui malheureusement car c'est un signe de confiance qui peut être rare ».
« Si on me parle "off" c'est que la personne a quelque part confiance en moi ».
« Si la personne devient une source fiable sur plusieurs sujets et de manière répéti-
tive, il est naturel de pouvoir lui redonner la pareille si l'occasion se présente ».
« Certains “off” les arrangent autant que nous. Mais sur une grosse info faits-div, je
peux me sentir redevable ».
NON
« Ce n'est pas un cadeau ».
« Redevable de son anonymat en tout cas ».
!133
« Je ne me sens jamais redevable lorsqu'il s'agit d'informer, si ce n'est d'honnêteté
envers les auditeurs. L'information est un droit plus qu'une marchandise ».
« Se sentir redevable amènerait peut après à une inconduite professionnelle. Le
journaliste ne devrait rien devoir à sa source. Nous ne sommes pas de la police pour
offrir par exemple protection contre témoignage ou information ! ».
« Les responsables de com, les attachés de presse, les communicants en tous
genres savent aujourd'hui ce qu'ils font et pourquoi, et ce qu'ils en attendent. Cela
fait parti du jeu, ce n'est pas un "service" rendu au journaliste. C'est du donnant don-
nant souvent donc... ».
« Je ne suis pas son ami. Si la personne ressent le besoin de parler, c'est son pro-
blème. Pas le mien ».
« Redevable est un terme excessif. Reconnaissant, oui. Je n'achète pas des infos.
Je les recherche, je les trouve où on me les fournit. Point barre ».
« La personne s'est livrée et est donc vulnérable. Comment profiter de cet état sans
avoir un problème de conscience ? ».
« Non, si l'interlocuteur est une personne publique. Si c'est une personne "lambda",
j’aurais plus tendance à la protéger ».
« Lorsqu'on aimerait revoir la personne, on ne trahit pas la personne. Lorsque ce
sont des vieux briscards, ou que ce sont des seconds couteaux, aucun scrupule ! ».
!134
4. Les journalistes et les réseaux sociaux
Lors de cette enquête en ligne et dans le cadre de la recherche liée à notre problé-
matique, nous nous sommes intéressés à l’usage qu’avaient les journalistes des ré-
seaux sociaux. Nous leur avons donc posé plusieurs questions.
a) Utilisez-vous les réseaux sociaux ?
!
b) Si oui, à quelle fréquence ?
!
c) Quels réseaux utilisez-vous ?
!
!135
d) Quelle est votre activité sur les réseaux sociaux ?
!
e) Pensez-vous que les réseaux sociaux font évoluer le « off » ?
- Schéma.
!
- Commentaires :
OUI / Plus ou moins.
« Oui, les réseaux sociaux sont des indicateurs de ce qui ne s'est pas vu d'emblée,
lors de débats politiques, de meetings. Facebook par exemple peut être une com-
munauté d'observateurs réunie autour d'un même centre d'intérêts. Ce qu'un usager
a pu observer, l'autre ne l'a pas forcément réalisé. Facebook ou Twitter invite large-
ment à la pratique du commentaire du “off”. Il y a donc une amplification du phéno-
mène du “off” via les réseaux sociaux ».
« Oui, dans le sens où certains journalistes n'ont pas de scrupules à lâcher à lon-
gueur de journée des tweets comme "En off, on me dit que..." C'est ridicule parfois ».
!136
« Parce qu'ils contraignent tous les médias à s'aligner sur ceux qui prétendent être
transparents ».
« Les réseaux sociaux ont créé une nouvelle forme de source: celle où l'interlocuteur
n'est pas clairement identifié, donc non citable. Sans pour autant être un "off" à pro-
prement parler, ça s'en rapproche ».
« Il est surtout plus facile à répandre en cas de fuite ».
« Permet de garder le contact avec des personnes qu'on interviewe parfois tous les 3
ans! Permet de mieux connaître les gens (goûts, affinités, humour) donc facilite les
échanges quand on a affaire à eux sur le terrain ».
« Le contact est continu et plus seulement limité à des rencontres dans le cadre de
démarches volontaires: une source éloignée (géographiquement, socialement,...) se
sent davantage valorisée quand on peut prendre de ses nouvelles via les réseaux
sociaux en deux minutes que lorsqu'on se limite aux rencontres physiques qui
prennent automatiquement plus de temps et sont donc plus rares...».
« Peu d'exemple en ce qui me concerne personnellement, mais j'ai quelques conver-
sations facebook pendant lesquelles mon interlocuteur s'est "lâché" sans réserves ».
« Le “off” est désormais relayé de manière instantanée. Il a du coup plus rapidement
du retentissement mais est plus facilement détrôné par un autre “off” ».
« Les infos en Off données auparavant en exclusivité aux journalistes par les poli-
tiques sont désormais directement twittées par les politiques. Ils n'ont plus autant be-
soin des journalistes qu'avant pour se faire une réputation. De ce fait, Twitter est
presque devenu l'agence d'information première des journalistes ».
!137
« La qualité intrinsèque du "off" est sans doute appelée à évoluer, dans la mesure où
le déversement continu d'informations de toutes natures pourrait, à la longue, faire
passer le "off" pour une véritable pépite au milieu du tas de gravats. Si toutefois le
"off" dont nous parlons demeure sérieux, crédible et éclairant ».
« Le "off" peut se diluer dans les réseaux sociaux. Tout comme la vérité ou le men-
songe ».
« En politique comme dans d'autres domaines, pour exister il faut communiquer.
Twitter oblige une publication quasi quotidienne c'est donc propice aux informations
non maîtrisées ».
« Les réseaux sociaux sont des "perchoirs à corbeaux" qui dénaturent complètement
l'analyse de l'information. On est dans la manipulation totale. Quel dommage que les
journalistes se laissent -par facilité- piéger par cela ».
NON.
« Il n'y a pas de “off” sur les réseaux sociaux, c'est du archi “ON” ».
« Car tout ce qui y est écrit y reste et est disponible tout le temps ».
« Ceux qui pratiquent le "off" préfèrent une certaine discrétion, ce que n'offrent pas
les réseaux sociaux ».
« La communication on line permet d'être plus réactif, à un “off” frelaté d'être plus
massif mais en même temps d'être plus maîtrisé ».
« Pas plus, et peut-être même moins, que dans mes contacts personnels et réguliers
avec nos interlocuteurs. Rien de tel qu'un vrai tête à tête pour apprécier les arrière-
pensées d'un interlocuteur ».
!138
« Faire du "off" sur les réseaux sociaux me semble illusoire. Rien ne reste longtemps
secret sur Facebook. De mon point de vue, le "off" se pratique plus entre quatre
yeux, ou au téléphone ».
« Le vrai, le bon “off” repose sur la qualité de la relation entre le journaliste et sa
source. Et la qualité de la relation repose d'abord sur une relation vraie, qui peut dé-
buter et se poursuivre via ou sans les réseaux sociaux, mais jamais uniquement à
travers eux ».
« Sur les réseaux sociaux, les contenus et les auteurs sont visibles par tous. A partir
de ce principe, il n'y a plus de "off" si les auteurs peuvent être reconnus. Le objectif
du "off" est justement de garder l'anonymat de la source ».
5. Question aux journalistes : un « off » vous a particulièrement marqué dans votre
carrière ?
« J'ai eu à interviewer Bernard Tapie qui m'a expliqué la chose suivante. C'est "on"
quand c'est bon pour moi, c'est "off" quand c'est mauvais... Et il ajoutait : “moi je pra-
tique le on/off.” En clair débrouille toi avec ce mic-mac ».
« Le dernier en date était pas mal. Le jour du lancement de la campagne UMP pour
les européennes 2014, j'interviewe Guillaume Larrivé, le directeur de campagne pour
ce scrutin. Il m'explique que l'Union Européenne est éloignée des sujets de préoccu-
pation des citoyens, et qu'il faut changer ça pour restaurer la confiance. Je lui de-
mande alors de m'expliquer, dans ce cas, à quoi ça sert de voter pour l'UMP vu que
leurs euro députés faisaient partie du groupe majoritaire, celui du PPE. Silence gêné
de 6 bonnes secondes, suivi d'un "euh.... je peux vous répondre en “off” là ?". Et
sans même attendre mon accord, il m'explique qu'un député européen ne sert à rien,
que c'est la commission et les États qui comptent. J'étais affligé : comment un res-
!139
ponsable de campagne peut dire ça à un journaliste ! C'est du “off bottage en
touche". Et il n'a même pas attendu que je lui accorde. Je l'ai donc brisé ».
« Le jour où Jacques Chirac alors Premier Ministre m'a expliqué pourquoi il avait si-
gné, à 18 ans, l'appel de Stockholm ».
« Les pratiques sexuelles de certaines personnalités politiques françaises lors d'un
voyage en Asie… ».
« Un candidats aux municipales d'Aix en Provence m'a confié qu'il allait changé de
bord ».
« Un animateur de télévision médiocre m'a un jour raconté des choses en oubliant
que nous n'étions pas amis. Ça lui a coûté son émission ».
« J'ai fait démissionner un ministre il y a quelques années grâce à une info livrée par
un de ses collaborateurs sous le couvert d'un "faux off" dont il était clair que le
contenu pouvait être livré sur antenne ».
« Un aveu de menace physique sur un candidat politique ».
« Une élue m'a révélé des informations à propos de l'un de ses partenaires. J'avais
laissé mon micro allumé. Elle s'est plaint à mon rédacteur en chef alors que je n'ava-
is nullement l'envie de publier. Ce micro conflit était sans intérêt. Mais cette histoire
révèle l'importance du off pour les intéressés ».
« Un off sur le don du sang quand j'ai demandé pourquoi les homosexuels ne pou-
vaient pas donner leur sang. J'ai eu des explications que je trouvais quand même
injuste et ridicule, malgré cela, le travail que je devais fournir n'était pas de jeter la
!140
pierre sur cette interdiction des homosexuels hommes de donner leur sang mais de
donner une bonne image à la journée d'action de l'EFS. Remettre le débat sur la
table n'aurais pas joué en cette faveur et je n'en avais pas le temps ni le format pour
en faire un sujet ».
« En matière de faits divers. A propos d'une noyade tragique. L'explication du
contexte en “off” a permis de traiter l'événement avec beaucoup plus de doigté, d'à
propos et de respect pour la famille ».
6. Question au journalistes : seriez-vous prêt à vivre dans un monde totalement
transparent, sans « off » ?
!
7. Autres commentaires liés au « off » :
« Le travail d'un journaliste dépend aussi de son carnet d'adresses, et pas de carnet
sans un travail éthique. Le “off” appartient à cette éthique »
« Le "Off" est scandaleux car bien souvent, il établit une connivence malsaine entre ce-
lui qui distille l'information et le journaliste qui la reçoit. On se retrouve "complice" de
gens qui établissent des relations faussement emphatiques. Et briser le "Off", c'est
s'entendre dire "vous m'avez trahi". Eh non! Si un politique, une vedette où qui que ce
!141
soit qui est liée à une activité médiatique s'adresse à un journaliste, il doit savoir qu'il
s'expose à une divulgation de ses propos. Cette personne s'adresse à un homme ou
une femme qui a fait de l'information sa profession, pas à un copain ! ».
« Dans ma carrière le “off” était une marque de confiance témoignée par d'importantes
personnalités et je mettais un point d'honneur à ne pas le divulguer. Par exemple, tous
les grands journalistes de ma génération étaient au courant de l'existence de Mazarine
Pingeot mais nous avons considéré que c'était à François Mitterrand de le faire savoir
au moment opportun ».
« Les réseaux sociaux concernant les politiques ou autres personnalités sont tenus
par des thuriféraires des dites personnalités et rien n'est évidemment gratuit dans
leurs propos. S'en méfier, donc, mais ne pas manquer de les lire pour décoder en-
suite le message ! ».
« Les réseaux sociaux sont souvent un café du commerce plus qu'une source sé-
rieuse. Et ça, c'est quand on assiste pas au spectacle grotesque de l'imbécile du
Monde qui a ridiculisé la presse en réalisant un selfie dans le bureau de Barack
Obama avant de le mettre sur Twitter. La honte de la profession ».
!142
RÉSUMÉ
Censé relever du domaine de la discrétion le « off » est un outil qui fait souvent
parler de lui. Certains journalistes dénoncent les dérives de la pratique alors que d’autr-
es en font leur “fonds de commerce”. Au départ respecté, le « off » se voit transgressé
au fil des années, puis rubriqué sur la plupart des supports de presse. Par ailleurs, la
profession doit constamment affirmer sa position face aux stratégies des politiques et
des communicants. Dans ce contexte les rapports entre le journaliste et ses sources
dépendent également des intérêts de chacun.
Si des différences culturelles de la pratique du « off » existent, elles s’amenuisent, parti-
culièrement depuis l’arrivée des réseaux sociaux et des chaînes d’info en continu. Les
médias sociaux bouleversent le processus de construction de l’information et amplifient
considérablement la diffusion des informations. Les politiques et les communicants
s’approprient ce nouvel environnement médiatique, et une fois de plus la presse doit
tirer son épingle du jeu ; le journaliste se doit d’être vigilant pour ne pas se laisser ma-
nipuler et intrumentaliser par le politique.
Dans ce mémoire il s’agit de montrer que l’évolution de la pratique du « Off The Record
» impacte directement la sphère politico-médiatique, notamment par ses dérives axées
sur la communication ; un phénomène amplifié par l’arrivée des réseaux sociaux. Cette
situation fragilise davantage la presse déjà touchée par un contexte économique diffi-
cile. La profession peut également paraître moins crédible aux yeux de l’opinion, et doit
anticiper son évolution au sein des nouvelles technologies.
!143
MOTS CLEFS
Communication
Communication politique
Coulisses
Journaliste
Médias
Médias sociaux
Off / En off
Off The Record
Politique
Presse
Presse en ligne
Réseaux sociaux
Twitter / Facebook
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