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Page 1: Les cœurs de la Grande Guerre (3) – la tension des soldats

Histoire de la médecine Les cœurs de la Grande Guerre (3) -

La tension des soldats Les médecins de la Grande Gue des soldats, pourtant.. . En 191 4-1 91 8, pour explorer le cœur, les médecins faisaient exclusivement appel à la clinique : palpation, percussion, et aus- cultation. Ils ne mesuraient pas la pres- sion artérielle, mesure dont les variations pathologiques n'étaient pas encore préci- sées. L'Index Medicus américain des articles médico-chirurgicaux publiés entre 1914 et 1917 ne relève que 5 articles (sur 194 sujets listés) consacrés aux variations de la pression artérielle des soldats. II est vrai que les dotations réglemen- taires des services de santé n'incluaient pas d'appareils de mesure de la tension artérielle : - dans les ambulances de l'armée fran- çaise, les médecins ne possédaient ni appareils de Potain, ni oscillomètres de Pachon. Mis au point en 1890 par Pierre- Carl Potain (1 825-1 901), le sphygmoma- nomètre fut l'un des premiers instruments portables et maniables pour mesurer la pression artérielle. Plus moderne, << sorti ,> en 1909, l'appareil de Michel Pachon (1 867-1 939) permettait la mesure de la pression systolique et diastolique au moyen d'un brassard fixé au poignet ou à la cheville (intérêt pour les grands bles- sés). Le célèbre sphygmotensiophone de Vaquez-Laubry ne fut disponible qu'à la fin de la guerre, en 191 9 ; - de même, ni les médecins militaires allemands, ni leurs homologues anglais ne possédaient le brassard gonflable mis au point en 1896 par le médecin italien Scipione Riva-Rocci (1 863-1 936). Plus pratique et plus fiable que celui de Potain, adopté en Angleterre, en Allemagne et aux États-unis, ce brassard permettait de mesurer la pression arté- rielle en palpant le pouls radial. Dans une communication présentée à l'Académie de médecine le 17 octobre 191 6, Pierre Ménard, médecin auxiliaire, rapporta une étude qu'il avait réalisée au front, dans les tranchées, où il avait régu- lièrement pris la tension d'une vingtaine de soldats âgés de 36 à 40 ans (territo- riaux ?). Ménard déclara : << En toute

rre portèrent peu d'intérêt à la mesure de la pression artérielle

Fig. : Le sphygmomanomètre de Potain et la manière de s'en semir. En A : l'ampoule de caoutchouc ; en B : la partie à appliquer sur la peau en regard de l'artère radiale ; en C : le tube de transmission ; en D : I'ar- rivée du tube de remplissage ; en M : le manomètre. L'index de la main droite de l'opérateur appuie graduellement sur I'am- poule en caoutchouc placée sur le trajet de l'artère radiale. L'arrêt des battements de l'artère est perçu par l'index de l'autre main. C'est à ce moment que l'on note le chiffre de pression indiqué par le mano- mètre.

première ligne, à 100 ou 150 mètres de l'ennemi, les tensions maxima et minima s'abaissent généralement [de 1 à 2 cm], pour s'élever en deuxième et troisième ligne. Il y a dans la presque totalité des cas en première ligne une tachycardie plus ou moins accusée. Une émotion violente, telle que la chute d'un obus à quelques mètres, élève considérablement la pression mini- ma et très peu la maxima. ,, Ce cas de figure - c'est-à-dire le pincement diffé- rentiel - se retrouvait dans le surmenage et la fatigue dans un secteur mouvemen- té, les chiffres de la tension minima se sont montrés plus élevés qu'ils ne l'avaient jamais été et la tension différen- tielle plus faible (1 à 3 centimètres d'écart). Le médecin concluait : II est permis de croire qu'on peut, par la mesu- re régulière des tensions artérielles, se rendre compte d'une manière objective de l'état de fatigue et de la résistance d'un bataillon. ,, À l'Académie de médecine, le 21 novembre 191 6, Briscous et Mercier présentèrent une autre étude portant sur 22 soldats traumatisés par un éclat d'obus ; les deux auteurs avaient mesuré le pouls et la tension artérielle des soldats choqués. Malgré le petit nombre de sol-

dats inclus dans l'étude et le caractère factuel de l'observation, les deux auteurs prétendirent que la mesure du pouls et de la pression artérielle permettaient aisément de différencier les << contusion- nés ,, (augmentation modérée de la maxi- ma à 17,5), les << commotionnés vrais ,, (augmentation franche du pouls et pince- ment de la pression différentielle à 3) et les c< émotionnés ,,. Dans sa communication du 12 janvier 191 7 à la Société médicale des hôpitaux de Paris, publié le 25 janvier dans la Presse Médicale, le docteur M.J. du Castel expliquait : << L'hypertension arté- rielle, qui est relativement fréquente, risque cependant d'être méconnue tant qu'elle ne détermine que des troubles subjectifs. Et c'est pourquoi dans les corps de troupe, peut-être mieux que dans les ambulances où le repos calme les accidents, on voit des troupiers plus maladifs encore que malades, venir et revenir sans cesse à la visite, au risque de se faire houspiller; alors que l'auscultation ne décèle encore rien d'anormal et que le médecin, le plus souvent dépourvu de sphygmomanomètre, ne peut n i nier; n i confirmer le bien fondé de leurs plaintes. II y aurait donc lieu de veiller à ce que dans le matériel des ambulances soit compris un sphygmomanomètre permettant de [echercher l'hypertension artérielle. ,, A la fin de la guerre, la mesure de la pres- sion artérielle s'était répandue dans les services chirurgicaux de l'avant (auto- chir) et dans certains services hospitaliers confrontés à la réanimation. Camille Constant-Lian (1 882-1 969), pionnier de la phonocardiocraphie, parti- cipa en 1915 à l'organisation des << centres de cardiologie aux armées ,, et publia la même année un article dans la Presse Médicale sur les << Palpitations par hypertension artérielle aux armées ,, dans lequel il signalait que l'élévation durable de la tension et de la fréquence car- diaque évoluait vers une insuffisance ventriculaire gauche.

Dr Christian Régnier

AMc p&jc*e No 129 - 25 mai 2004