Les liens filial et socialà l’épreuve de la violence terroriste
BOUDARENE MahmoudPsychiatreTizi Ouzou
Introduction
Trois observations. Parents de terroristes, deux adultes et un enfant
Cas cliniques qui témoignent - au delà du traumatisme et des troubles que ces personnes présentent, parce que victimes de violence familiale - de la souffrance profonde des familles
Familles stigmatisées et considérées comme des « familles de terroristes » et, par l’effet d’un glissement sémantique, comme des « familles terroristes »
- Une violence symbolique infligée - Un statut vécu comme honteux et infâmant - Une menace pour leur cohésion- Une excommunication annoncée
Observation 1
Rachid 12 ansAiné de deux enfantsBrillant à l’école
Le père« depuis que j’ai été arrêté mon fils est traumatiséIl est angoissé, il ne dort plusIl va à l’école la peur au ventre
Il revient précipitamment à la maison, il est angoissé à l’idée de ne pas m’y trouver.
Il est toujours à me demander si je suis terroriste et si je vais à nouveau être arrêté.
Mes réponses ne le rassurent pas.Docteur, je suis innocent, j’ai été arrêté par erreur ».
Rachid ne s’exprime pasIl dit qu’il a peur sans plus
Malgré l’insistance de son père, qui l’encourage, il reste silencieux
L’entretien seul n’y change rien.
Plus tard il dit :« j’ai peur pour mon papa, j’ai hâte qu’il rentre à la maisonje ne sais pas ce qu’il a fait, je sais qu’il n’a rien fait… enfin, je ne suis pas sûr »
Il ajoute:« la police l’a emmené deux fois la deuxième fois, c’était mon anniversaire, je n’ai pas fait la fêtej’ai pleuré tout le temps
« Mes cousins parlent. Ils disent que mon père transporte des armes, qu’il est un terroristeleurs parents leur ont dit »
Rachid souffre - d’avoir un père impliqué dans le terrorisme - des humiliations et agressions de ses cousins
Mais il est surtout tourmenté et se sent coupable parce qu’il doute de son père et ne croit plus en lui
La 2ième arrestation a installé en lui l’inadmissible certitude
Observation 2
1 - Rosa, jeune femme de 29 ans Ainée d’une fratrie de 9 enfants Niveau brevet Porte le hidjab
2 - Hospitalisation en milieu psychiatrique 10 ans plus tôt Tentative de suicide – on ne sait pas pourquoi
4 - A l’entretien Angoisse importante et détresse profonde dit qu’elle a envie de mourir
3 - Hospitalisation dans un contexte confuso-délirant quelques semaines auparavant
« Les frères de mon père me battent,ils m’insultent et ne me respectent pas »
Elle ajoute: « ils me répètent tout le temps que mon père est un terroriste »
Père emprisonné pour des activités terroristes
- Les oncles n’admettent pas le statut de famille de terroristes qui leur est attribué par leur environnement social
- Statut infamant
Parce qu’elle- est la fille du membre par lequel la honte est arrivée- soutient son père et revendique l’affection qu’elle lui porte- est l’ainée- a déjà été malade- est le maillon faible
Rosa assume l’engagement politico-religieux de son père
- Port du hidjab- « j’aime mon père, quoiqu’il fasse, c’est mon pèreje lui pardonne »
victime expiatoire - bouc émissaire
elle cristallise sur elle la violence familiale
Observation 3
Mohammed, 70 ans, commerçantPère d’une très nombreuse familleAncien maquisard
« Depuis 2 mois, je ne suis pas bienje ne dors plus, je passe les nuits à penser »
Après un silence, il ajoute: « je suis triste, les gens parlent de nous »
Fils terroriste très connu dans la régionArrêté depuis plusieurs mois, jugé et condamné à mortn’a pas encore été exécuté
« Je lui en veux, il n’a pas pensé à la familleje ne comprends pas, ils l’ont euil avait tout ce qu’il voulaitNous sommes maintenant répugnants »
Honte et culpabilité
« Ce n’est plus mon fils, je n’ai pas de pitié pour luije ne veux plus le voir Je souhaite qu’il soit exécuté et qu’on en parle plus »
Mohammed n’a jamais rendu visite à son filsGrave conflit avec son épouse et une partie de ses enfantsFamille divisée partagée entre le désir pour les uns de soutenir le frère et pour les autres de le rejeter
Désir du père de payer rapidement la dette à la société - pour exorciser la culpabilité? - pour entamer le travail de deuil?
Discussion
Troubles psychiques observés ne s’inscrivent pas dans le tableau habituel de l’état de stress post-traumatique
NB : Sujets examinés ne sont pas des victimes directes des actes terroristes
Détresse psychologique profonde où sont mêlées- une anxiété importante- une culpabilité évidente- une douleur morale manifeste
- Humiliations verbales et propos insultants proférés par les cousinsà l’encontre de Rachid
- Agressions physiques perpétrés sur Rosa par ses oncles
- Le lourd fardeau du déshonneur porté par Mohammed
À l’origine de graves dysfonctionnements des familles
Cause principale des symptômes observés
Culpabilité amplifiée par une relation ambivalente vis-à-vis du père ou du fils terroriste le vrai responsable
1 - Rachid et Rosa sont partagés entre l’amour qu’ils portent à leur père respectif et l’aversion qu’ils ont pour les actes que ceux-ci ont commis et pour lesquels ils subissent humiliations et agressions infligés par leurs proches
2 - Mohammed est dans le déshonneur et le sentiment d’indignité autant de raisons invoquées par ce dernier pour renier son fils
Le lien filial est en crise chez les premiersIl semble dissolu chez le troisième
Désordres psychiques chez les sujets mais aussi et surtoutdes familles qui souffrent et dont l’intégrité est mise en danger car en conflit avec le groupe social
Famille du terroristeFamille de terroristes
Famille terroriste
Un glissement sémantique qui condamne sans nuanceLien social gravement éprouvé, désintégré?
« cette famille monstrueuse n’est pas de nôtres »
Message délivré par le groupe social
Pression sociale intolérable
Clairement exprimé, chuchoté ou se manifestant dans les attitudes ou comportements
Méfiance, crainte, rejet
STATUT INFÂMANT, DEGRADANT
STATUT INFÂMANT, DEGRADANT
Honte et culpabilité
Spectre de l’exclusion de l’excommunication
Mort sociale?
Menace sur la cohésion interne de la famille
Appartenance au groupe menacée
VIOLENCE intrafamiliale
VIOLENCE intrafamiliale
Pour réduire et exorciser la souffrance
Pour maintenir l’équilibre interne
Pour tenter d’éviter le bannissement
Bouc émissaire – victime expiatoire
Expier la faute
Violence intrafamiliale
Instrument de communication
Témoin du dérèglement du système familiale
Désaccord fondamental sur l’attitude à adopter par rapport au père, au fils ou au frère impliqué dans des actes terroristes
Terrorisme
Groupe social
Famille du terroriste
Sujet
Culpabilité par procurationTroubles psychiques
Equilibre rompuLien social dissolu
Crainte-rejetstigmatisation Honte-culpabilité
Harmonie en danger
ViolencesagressionsLien filial compromis
Victime expiatoireBouc émissaire
« Coupables par procuration », les patients observés ont subi des agressions physiques et/ou psychologiques infligées par les autres membres de la famille.
Boucs émissaires et victimes expiatoires, ces sujets ont été désignés pour porter la responsabilité de la honte de la famille et pour expier la faute.
La violence dont ils ont été victime est symptomatique de la rupture de l’équilibre interne de ces familles.
La violence symbolique qui est subie par ces familles trouve son prolongement dans la violence bien concrète que cette dernière fait endurer, à son tour, à l’un des siens.
Lien social et lien filial sont tous deux en difficulté.
Conclusion
Conclusion 2
« devant la violence qui empêche l’être, se réapproprier la violence est un acte de désassujettissement;utiliser cette violence en la retournant contre celui qui vous a assujetti est, à un moment de l’histoire où aucun espace de parole n’a pu être possible, le moteur de la libération.
(Alice Cherki)