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Les PenséesDuchessede la

Dominique BraunIllustrations de Michèle Robein

sur tout et en désordre

HUMOUR

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© 2011 Le Verger Éditeur

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Dominique BraunIllustrations de Michèle Robein

sur tout et en désordre

HUMOUR

Avec, par-ci par-là, les fortes paroles de ses chats Sémiramis et Jéroboam

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Questions en forme de préface

Comment devient-on un écrivain moraliste ?Qu’est-ce qui vous a amenée, Madame la Duchesse, à cou-cher sur le papier le fruit de vos cogitations profondes et soli-taires et à les mettre à la disposition de l’humanité inquiète et désorientée ?Est-ce à force de commenter le triste cours des choses devant une tasse de thé avec quelques amies aussi distinguées que vous dans le salon de votre pied-à-terre parisien (400 m2 dans le septième arrondissement) ou celui de votre résidence ordinaire (une trentaine de pièces du côté de Montélimar) que s’est éveillée en vous cette vocation ?L’évidence vous a-t-elle éblouie un matin, en feuilletant quel-ques magazines dans la salle d’attente de votre dentiste, que vous aviez le privilège d’avoir compris l’être humain beau-coup mieux que tant d’autres qui prétendent éclairer et guider leurs semblables et qu’il ne vous était pas permis de priver le reste des mortels des vérités par vous découvertes ?Ou bien, avide de gloire littéraire et constatant que l’on ne citait des grands auteurs comme Proust ou Shakespeare qu’un petit nombre de phrases en forme de fortes maximes, avez-vous estimé qu’il était plus rentable de vous dispen-ser d’écrire une œuvre de plusieurs volumes et de propo-ser directement au public les aphorismes qu’il en aurait extraits ? Ce qui ferait gagner un temps appréciable à l’écri-vain comme au lecteur.Vous l’avouerai-je ? Je me suis même demandé ce que vos choix littéraires devaient à votre particule (quoiqu’en

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principe cela relève plutôt de la partie tête). Car, en vous remémorant les noms de François de la Rochefoucauld, Jean de la Bruyère, Luc de Clapiers marquis de Vauvenargues, Nicolas de Chamfort, il a pu vous sembler, chère Emilienne-Adélaïde de Calavas, que ce « de » (qui vous paraissait si encombrant dans vos années frondeuses) était à considérer comme un signe de la destinée. – Ce qui n’empêche pas votre inspiration de voisiner plus souvent avec celle de Pierre Dac qu’avec celle du grand la Rochefoucauld.Quel sera le rayonnement de vos pensées ? Serez-vous au moins comprise par nos contemporains, premiers destina-taires de votre sollicitude ? (Tant de génies restent, hélas, incompris longtemps après leur mort !).Du moins avez-vous déjà obtenu ce résultat improbable de faire des émules dans votre entourage animalier, puisque vos deux chats, l’ardente Sémiramis et le sentimental Jéroboam ont pris l’habitude de proposer de temps en temps un apho-risme de leur cru. En continuant avec persévérance dans la même voie, peut-être verrez-vous un jour les corbeaux de votre parc ou –sait-on jamais ? – les poissons de votre aqua-rium imiter leur exemple…

D. Braun

Dernière minute : cette information, trouvée dans Cerveau & Psycho (N° 38, p.74) me préoccupe : « Suite à une attaque cérébrale, un tenancier de bar devient adepte des formules de sagesse et des aphorismes en tous genres ». Ne serait-il pas opportun, chère Emilienne-Adélaïde, de faire (à tout hasard) un bilan vasculaire de votre précieux cerveau ?

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Deux cent quatre-vingt-douzième penséeAu Moyen-Orient, que l’on soit joyeux, mécontent ou déses-péré, on décharge sa mitraillette. Les nuances de ce langage sont surtout affaire d’angle de tir.

Deux cent quatre-vingt-treizième penséeVersion moderne (un peu sollicitée) de la fable du héron : « – Vous avez superbement ignoré toutes les mises en demeure : ne vous plaignez pas, maintenant, d’être mis en cabane ! »

Deux cent quatre-vingt-quatorzième penséeCertains matins, en me voyant dans la glace au sortir du bain, une colère me prend contre l’attraction terrestre : pourquoi ne se contente-t-elle pas de faire tomber les pommes, celle-là ?

Deux cent quatre-vingt-quinzième penséeLa vie était plus simple autrefois : celui qui voulait siffler un canon s’installait à une terrasse et appelait le garçon ; aujourd’hui, pour siffler un canon, il faut en plus attendre que passe une femme superbe.

Deux cent quatre-vingt-seizième pensée Les politiciens qui ne manquent pas une occasion de pêcher en eau trouble et s’efforcent ensuite de noyer le poisson, de quel droit reprochent-ils à l’électeur de prendre le chemin de la rivière plutôt que celui du bureau de vote ?

Deux cent quatre-vingt-dix-septième penséeSi vous ne savez pas prendre le taureau par les cornes, essayez d’abord avec un escargot, pour vous faire la main.

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Deux cent quatre-vingt-dix-huitième penséeNe méprisons pas le calembour, ce pied de nez verbal dont l’apparition a sûrement été une étape bénie sur le parcours de l’humanité. Pour moi, l’homme des cavernes qui, le premier, a trouvé un jeu de mots du genre : « Un nosaure, ça va ; dix nosaures, bonjour les dégâts » méritait mieux que l’oubli.

Deux cent quatre-vingt-dix-neuvième pensée« – La peur du gendarme, entends-je souvent, a disparu en France, hélas !– La peur du gendarme, rétorqué-je invariablement, existe plus que jamais en France, hélas ! – Mais les délinquants ne craignent plus…– Et les gendarmes ont de plus en plus à craindre. »

Trois centième penséeUlysse lié à un mât et suppliant –en vain – qu’on le laisse répondre à l’appel des sirènes : est-il un symbole plus pathéti-que de toutes les vocations contrariées de sapeur-pompier ?

Trois cent unième penséeLe bonheur est dans le pré. Mais les vaches ne s’en rendent compte que dans le camion qui les conduit à l’abattoir.

Trois cent deuxième penséeQu’est-ce qu’un « grand match » de foot, en somme ? Une dizaine de coups francs et vingt ou trente qui ne le sont pas (et puis trois ou quatre buts quand le jour est faste).

Trois cent troisième penséeMême dans les plaisirs les plus légitimes, il faut savoir garder la mesure : si vous prenez votre pied au travail, n’allez pas jusqu’à l’arracher !

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Jéroboam se met à faire des ronds de jambes

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Trois cent quatrième pensée« – Mon petit garçon de quatre ans n’a jamais cru au Père Noël, me confie une mère angoissée ; Est-ce grave ? Que dois-je faire ?– Faites comme lui. »

Trois cent cinquième penséeAppel d’une autre mère, désemparée, celle-ci :« – Depuis sa jeunesse, ma sœur vit à mes crochets. Elle s’est trouvé il y a deux ans un compagnon, chômeur comme elle, qui vit lui aussi à mes crochets avec la fille de sa première femme. Et mon fils, incapable de se débrouiller dans la vie, demande à s’installer chez moi –à mes crochets – avec sa copine qui n’a ni profession ni revenus. Cela devient trop lourd ! Je ne peux plus…– Il y a de quoi ! Faites-vous aider par une personne compé-tente : demandez à votre boucher l’adresse d’un bon fabricant de tringles et crochets en acier. »

Un mot de jeroboamLa fière devise de ma famille : « Plutôt gagner durement sa nourriture à la force des griffes que de se faire mettre la pâtée. »

Trois cent sixième penséeComme il est facile de croire en Dieu, à vingt ans, quand on trouve en solde un petit ensemble ravissant et qui n’est porté par aucune de vos copines !

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Trois cent septième penséePour devenir auxiliaire de vie, vaut-il mieux « en être » ou « en avoir » ?

Trois cent huitième pensée« Il n’y a pas de fumée sans feu. »Dangereux proverbe, au nom duquel on a allumé trop de bûchers.

Trois cent neuvième penséeParmi les mafieux qui signent leur arrêt de mort en désobéis-sant au parrain, il doit s’en trouver encore quelques-uns pour signer d’une croix.

Trois cent dixième pensée (en hommage à michel audiard)

J’ai été fiancée à un jeune aviateur… Un jour qu’il me racon-tait ses brillants débuts dans l’armée de l’air, j’ai cru lui faire plaisir en prédisant :« – Toi, quand nous convolerons, tu seras chef d’escadrille. »Il m’a traitée de petite dinde et il a rompu. Qu’est-ce qu’il attendait ? Que je le voie maréchal, peut-être ?

Trois cent onzième penséeLénine, syphilitique et bolchevique : un authentique vérolu-tionnaire, en somme.

Trois cent douzième penséeFumer tue. Et d’abord le temps.

Trois cent treizième penséeS’aimer toute la vie devrait être pris en charge par la Sécu. À 100 % en tant qu’affection de longue durée.

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Trois cent quatorzième penséeUne dame que vous connaissez depuis à peine vingt minu-tes vous demande d’un air faraud : « – Quel âge me donnez-vous ? ». Question embarrassante, surtout pour vous, les hommes. Voici quelques réponses entre lesquelles choisir, selon que vous serez :– galant : « – Je ne sais pas exactement, mais vous faites dix ans de moins. »– amoureux : « – C’est un âge d’or que je vous offre si vous m’accordez votre main »– prudent : « – La conjoncture est difficile ; dites-moi com-bien il vous faut et je verrai ce que je peux faire. »– franchement mufle : « – Vous pourriez être ma mère… si mon père avait commis l’erreur de vous épouser. »

Trois cent quinzième penséeComment mieux célébrer le conducteur de 4x4 dominant, en toute gloire et majesté, le troupeau des simples automobilis-tes, qu’en criant : « Hosanna au plus haut d’essieu ! ».

Trois cent seizième penséeJe ne compte plus le nombre de services ou de commerces que j’ai trouvés fermés ou désorganisés parce que des employés étaient en formation. Alors hier, rencontrant sur une petite route une barrière avec le panneau trous en formation, je n’ai pu m’empêcher de penser fugacement que si maintenant les nids-de-poules avaient besoin d’une formation pour faire leur métier de trous, la vie devenait trop compliquée.

Trois cent dix-septième penséeAvis aux opportunistes cyniques : quand vous aurez votre avenir derrière vous et –mise en examen oblige – votre passé devant vous, ne comptez pas sur une ultime volte-face pour rétablir la situation.

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Trois cent dix-huitième penséeCe n’est pas tout de dépolluer l’air des villes ; il faudrait aussi, d’urgence, assainir l’air du temps. J’ai connu un brave homme qui respirait la franchise et l’honnêteté. Eh bien, il est mort prématurément, comme asphyxié…

Trois cent dix-neuvième penséeEcrite dans une période où la patrie était en danger, la « Mar-seillaise » a un caractère belliqueux qui aujourd’hui déplaît. Plus que le jour de gloire, les Français des années 2000 atten-dent le jour de RTT. Qui saura composer l’hymne capable de faire vibrer nos contemporains ? Pour ma part, j’ai – bien modestement – un titre à proposer : la « Charentaise ».

Trois cent vingtième penséeAppel d’une autre mère désemparée : « – Mon fils veut épouser la bonne. Toute la famille en est catastrophée. Comment pourrais-je le raisonner ?– C’est votre famille qu’il faut raisonner ! Dites-lui par exem-ple qu’il vaut mieux épouser la bonne que la mauvaise. »

Trois cent vingt et unième penséeLe message que nous délivre le hip-hop : « Cause à mon cul, ma tête n’est pas à, la hauteur. »

Trois cent vingt-deuxième penséePrévention : faire inscrire sous les panneaux virage dange-reux : « Conducteur, si tu me rates, je ne te raterai pas. »