ÉCOLE DE POLITIQUE APPLIQUÉE
Faculté des lettres et sciences humaines
Université de Sherbrooke
Les répercussions du libéralisme sur le religieux
par
LAURENT ROBICHON-LECLERC
travail présenté à
SAMI AOUN
dans le cadre du cours
POL 212
Politique et religions
Sherbrooke
17 décembre 2013
2
Table des matières Problématique ................................................................................................................................ 3
Analyse ........................................................................................................................................... 4
1. Mise en contexte ................................................................................................................. 4
2. Définitions .......................................................................................................................... 5
2.1. Libéralisme ................................................................................................................. 5
2.2. Le religieux ..................................................................................................................... 5
3. Cadre politique .................................................................................................................. 7
3.1. Histoire du libéralisme politique .............................................................................. 7
3.2. Libéralisme politique aujourd’hui : la démocratie................................................. 7
3.3. La religion institutionnalisée .................................................................................... 8
3.5. Le juridique chargé de gérer le religieux ................................................................ 9
4. Cadre sociologique........................................................................................................... 10
4.1. L’effritement du rigorisme chrétien dans les sociétés libéralisées ...................... 10
4.2. Histoire du libéralisme sociologique .............................................................................. 12
4.3. Libéralisme sociologique contemporain : l’individualisme ................................. 12
5. Cadre économique ........................................................................................................... 14
5.1. Histoire du libéralisme économique ............................................................................... 14
5.2. Le libéralisme économique : le capitalisme ................................................................... 15
5.3. Le libéralisme contemporain : le néolibéralisme .......................................................... 15
6. Le choc entre libéralisme et rigorisme religieux ........................................................... 16
6.1. La mondialisation : l’extension du libéralisme ............................................................. 16
6.2. La mondialisation des religions ...................................................................................... 17
6.3. Le rigorisme religieux et le terrorisme .......................................................................... 18
6.4. Le terrorisme ................................................................................................................... 19
6.5. L’adaptation des minorités arabomusulmanes face au libéralisme ............................ 20
6.6. L’Islam secoué par le modernisme ................................................................................ 22
6.7. Le cas des Juifs ................................................................................................................ 24
6.8. L’exemple indien ............................................................................................................. 26
Conclusion .................................................................................................................................... 26
Bibliographie ................................................................................................................................ 29
3
Problématique
Ces dernières années sont marquées par un retour du religieux dans la politique. En effet,
bien qu’omniprésent dans l’histoire de l’humanité, ces deux derniers siècles étaient a priori
ceux des nationalismes et de la supériorité de l’idéologie sur le concret. Les horreurs
commises lors de la Seconde Guerre mondiale, réalisées d’une façon systématique (la
Shoah) et conçues via les idéologies (pureté de la race), ont été un des facteurs qui mit une
pause à la supériorité des idéaux sur le concret actuel. Ainsi, le romantisme prit de
l’importance dans les discours philosophiques et certains allaient jusqu’à diaboliser la
Révolution Française, cet évènement pionnier du libéralisme politique, social et
économique. Pour certains, «le retour du religieux […] ne serait qu’une réaction biologique
face aux excès dans lesquels la laïcité aurait conduit le monde.1» Ces mêmes penseurs
étaient nostalgiques du christandom, oubliant par le fait même que les horreurs nazies ou
soviétiques n’avaient rien à envier aux pogroms sur lesquels on «rendait service à Dieu»
en nettoyant la Terre de ces milliers d’âmes damnées. Ce retour du religieux est aussi
suscité par ce besoin essentiel de trouver un sens à des choses qui n’en ont guère. Que l’on
fasse référence à la Deuxième Guerre mondiale, à la guerre froide ou plus personnellement
à la mort abrupte d’un proche parent, le religieux à tendance à panser des plaies. Que la
religion fasse surface via les politiques internes aux pays, telles que les divergences
d’opinion sur le port du voile en France et ailleurs, ou encore tout récemment, le débat sur
la Charte des valeurs québécoises, ou bien que la religion soit impliquée dans des enjeux
de plus grande envergure, tels que le lien entre fondamentalisme islamique et les actes
terroristes du 11 septembre 2011, ou plus récemment, le conflit syrien qui implique de
vieilles querelles entre différentes confessions musulmanes, le fait demeure que,
contrairement au courant réaliste des relations internationales qui situe la religion en tant
que variable subordonnée aux intérêts des États, le religieux influe sur les structures
culturelles, politiques, sociales et économiques d’une société. Cette influence se manifeste
d’une multitude de façons selon la forme que prennent la religion et la spiritualité dans une
société. Et évidemment, bien qu’il ne fasse surtout pas négliger les influences extérieures
1 CORM, Georges. La question religieuse au XXIe siècle, Paris, Éditions La Découverte, 2006, p. 34.
4
maintenant possibles par la voie de la mondialisation, chaque nation a une culture propre
qui découle d’une histoire particulière.
Le grand groupe des Occidentaux2, par exemple, découle d’un christianisme commun. En
effet, bien avant le triomphe de l’État-nation concrétisé par le Traité de Westphalie (1648)
et avant le protestantisme, le sentiment d’appartenance en Europe était à l’égard de l’Église
catholique. Ainsi, malgré les conflits meurtriers qui firent rage entre catholiques et
protestants (ou juifs ou autres) puis entre État-Nations dont l’apogée de l’horreur fût
matérialisé lors des deux guerres mondiales, aujourd’hui les Occidentaux ont une culture,
des idéaux et des systèmes politiques relativement semblables si l’on compare ce bloc au
reste de la planète. Ainsi, pour clore cet exemple, nous nous posons la question : si ces
structures - que l’on peut appeler «modernité» - des sociétés occidentales sont relativement
homogènes, est-ce causé par ces siècles de traditions judéo-chrétienne commune? Quoi
qu’il en soit, c’est en ces lieux que le libéralisme a pris naissance et cette modernité
occidentale s’étend au reste du monde.
Quelle est l’adaptation des religions à l’égard de cet envahissement étranger? Est-ce que
les sociétés fondamentalistes entreront en confrontation pour défendre leurs traditions,
s’adapteront à la modernité ou la réaction sera-t-elle mitigée?
Analyse
1. Mise en contexte
Le présent travail a comme mandat de nous indiquer comment le rigorisme religieux
interagit avec cette modernité occidentale issue du libéralisme. Nous commençons par
définir le libéralisme et la religion. Ensuite, la première partie de l’analyse se divise en trois
sections principales, soit dans l’ordre, le politique, le sociologique et l’économique.
Chacun de ses blocs traite du libéralisme et du religieux, l’objectif étant d’expliquer
comment le rigorisme s’adapte à travers le libéralisme. La seconde partie se penchera sur
le choc entre cette modernité et le rigorisme religieux. Nous étalerons quelques exemples
2 Cela inclus les États-Unis, le Canada et l’Europe. Nous excluons le Japon pour cet exemple
5
de réactions face au libéralisme, et ce, à travers les formes extrêmes de confrontation.
Celles-ci seront présentées à travers le terrorisme ainsi que par ses associations aux
religions musulmane, juive et hindouiste.
2. Définitions
2.1. Libéralisme
Le libéralisme est une idéologie forte et transcendante, que ce soit par l’intermédiaire des
liens entre les individus, de la structure sociétale, des systèmes politiques et économiques
ou intrinsèquement, par la façon d’appréhender le monde. La Révolution française de 1789
se veut un repère reconnu pour le début du libéralisme. Dans les faits, plusieurs événements
antérieurs laissaient présager l’effritement de l’Église et de ses dogmes pour y laisser
s’exprimer la pensée et la science; ce sont ces deux éléments qui seront précurseurs de la
révolte. Une révolution a lieu lorsqu’un pouvoir établi devient illégitime aux yeux de la
masse et que des actions pour le renverser sont formées. La chute du système féodal ne fait
pas exception et les révoltes qui mettront la table à des siècles de libéralisme toucheront
les domaines politique, sociologique et économique.
2.2. Le religieux
La religion est un concept flou car même les différents textes suprêmes (Constitution,
Charte, etc.), que ce soit aux niveaux national ou international, sont marqués par une
absence d’une définition de la religion. Outre la religion institutionnalisée, le Comité des
droits de l’homme spécifie que la religion peut être catégorisée selon l’aspect métaphysique
(croyance personnelle) ou d’appartenance à un groupe ou une culture.
«L’adhésion à des idées religieuses n’est plus aujourd’hui synonyme de l’acceptation
du contrôle exercé sur des populations par les appareils ecclésiastiques. Sa
déconstruction n’est pas synonyme d’une disparition des religions, mais procède plutôt
d’une redéfinition entre le spirituel et le quotidien. Ces modes furent forgés jadis par
les structures organisationnelles des religions, dans des conditions de vie différentes de
celles que la modernité répand aujourd’hui. En ce sens, la perte de pouvoir social des
appareils religieux au XXIe siècle n’est pas forcément synonyme d’une disparition de
6
la religiosité. Elle ouvre le chemin à une religiosité sécularisée, émotionnelle et
dédogmatisée»3
«La religion en tant que croyance (y compris la non-croyance) peut prendre la forme de
convictions ou de valeurs. […] Il s’agit là de l’aspect métaphysique»4, ou «spiritualité».
La spiritualité a autant de formes que de définitions. Au premier abord, elle peut être vue
comme un état d'esprit qui se veut sécurisant, plaisant, intime et qui permet une assimilation
(réelle ou imaginée) du divin avec le corps et l'esprit. Elle est difficilement quantifiable
puisqu’elle ne se mesure pas au niveau du fanatisme dévoué à une spiritualité. Elle n’est
pas qualifiable car elle n’est pas liée nécessairement à une religion mais peut se définir à
travers tous passe-temps. En ce sens, le hockeyeur a autant le droit de croire qu’une
patinoire est son lieu de culte et de définir sa religion comme étant le hockey qu’un croyant
peut se définir comme une personne spirituelle par ses pratiques religieuses. Le spirituel
n’est pas associé à un individu nécessairement, mais peut être analysé d’un point de vue
d’un groupe ou d’une société. Ainsi, selon la multitude des points de vue, quelqu’un peut
ou pas démontrer une spiritualité et celle-ci se définit de multiples manières. Néanmoins,
nous pouvons affirmer que l’élément commun des diverses sources de spiritualité est la
fusion entre l’état d’âme et son Univers. Ici, l’Univers prend le sens de notre
environnement d’abord, mais aussi celui de l’Univers perçu par le sujet, de sorte qu’il peut
être totalement subjectif. Ce sentiment d’unité a une force variable et l’on pourrait
quantifier la spiritualité selon le niveau de cette force. Cette spiritualité devient observable,
que ce soit par le contrôle sur l’extérieur ou l’intérieur de soi. Extrinsèquement, un sujet en
maîtrise de son environnement démontre une compréhension de son monde.
Intrinsèquement, un ressourcement (des repères, de l’énergie, des émotions) est un indice
où une bonne spiritualité a été pratiquée.
En outre, la religion d’un individu peut s’affilier à un groupe, qu’il soit ethnique, familial,
culturel ou tout ça à la fois. De cette manière, la cause première de l’attachement à la
religion n’est pas causée par les institutions ou par les croyances personnelles mais par la
communauté.
3 GEOFFROY, Martin, Jean-Guy VAILLANCOURT et Michel GARDAZ (dir.). La mondialisation du phénomène religieux, Paris, Médiaspaul, 2007, 262 p. 4 SARIS, Anne. Les religions sur la scène mondiale, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2010, p. 51.
7
3. Cadre politique
3.1. Histoire du libéralisme politique
Politiquement, la révolte est causée par cette aristocratie déconnectée de l’éreintante réalité
du peuple. En effet, leurs rangs sociaux dépendent du sang et de l’arbre généalogique de
sorte que leur légitimité s’inscrit par la tradition et leurs ancêtres, et ultimement par Dieu
lui-même. Or le peuple, instrumentalisé par une poignée d’intellectuels, de philosophes et
de scientifiques, commence à se questionner. La science dédogmatise la réflexion par
l’entremise d’expériences vérifiables et les philosophes poussent les gens à penser, de sorte
que les idées puis les propos jugés «blasphématoires» s’échappent du joug clérical. La
République française, la common law anglaise, la Révolution américaine constituent des
étapes vers l’édification d’institutions étatiques démocratiques – et parfois laïques - dont
les principes tiennent toujours aujourd’hui.
3.2. Libéralisme politique aujourd’hui : la démocratie
Le libéralisme politique s’exprime par la démocratie, qui elle, se présente comme un
gouvernement «du peuple, par le peuple et pour le peuple»5, par l’entremise de
représentants élus selon un «suffrage libre, juste et fréquent»6. Les institutions sont
garantes du maintien du principe de base de séparation du pouvoir judiciaire à l’égard des
pouvoirs exécutif et législatif ainsi que du respect des libertés fondamentales (d’expression,
de manifestation, de presse, individuelle, voir économiques). Dans les États réellement
démocratiques, le cas de la religion ne fait pas exception car le libre exercice du culte se
retrouve souvent enchâssé dans les textes suprêmes en matière de législation. Par exemple,
dans la Charte canadienne des droits et libertés, il est indiqué à l’article 2 que
«2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de
la presse et des autres moyens de communication; […]»7
5 «Government of the people, by the people, for the people», discours de Gettysburg, 1863, Abraham Lincoln. 6 «Free, fair and frequent election», Robert A. Dahl. 7 LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11, art 2
8
Bref, le suffrage universel et les diverses Chartes et Constitutions placent sur un pied
d’égalité tous les humains, tant au plan juridique, politique que biologique.
3.3. La religion institutionnalisée
Avant l’arrivée du libéralisme, l’Église et ses institutions entraient en compétition avec
l’État, et ce, jusqu’au gallicanisme qui soustrait l’Église à l’autorité du système politique
de l’État. Dans les États dits modernes, les institutions cléricales déplacées en arrière-plan
agacent plusieurs groupes de rigorisme religieux. Il y a le groupe des conservateurs qui
sont ceux qui émettent leurs revendications comme les groupes de pressions et lobbies.
Bien que leurs idéaux soient empreints de fondamentalisme religieux, ils respectent les
institutions et le principe d’opinions et de démocratie. Il y a aussi les plus rigoristes qui
sont nostalgiques de l’ancien régime et de la puissance de l’Église au niveau institutionnel.
Ailleurs dans le monde, il existe encore des théocraties, c’est-à-dire où la loi religieuse est
aussi étatique. Présente surtout dans le monde musulman, telles la République Islamique
d’Iran ou l’Arabie Saoudite, la religion institutionnalisée exclue certaines catégories de
personnes. «Pour ce pays, la mondialisation de la notion des droits de l’homme n’est pas
acceptée sous prétexte de spécificités culturelle, sociale et religieuse.»8
3.4. La désinstitutionnalisation de l’Église
Bien que dans le passé, l’arène politique (rois, empereurs, etc.) ait été en collusion avec les
institutions religieuses, il eut néanmoins des tensions et des luttes. Cette distinction dans la
répartition des pouvoirs entre le politique et le religieux est habilement exprimée par le
verset de Matthieu : «Rendre donc à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César.»
Le verset trouva écho lors des diverses révolutions libérales dont en France où la séparation
s’est affirmée à travers une laïcité ferme. La neutralité religieuse est garante du «respect de
la liberté de conscience et de l’égalité de toutes et tous […] sans toutefois omettre le respect
de la diversité. En ce sens, la laïcité apparaît comme une technique de gestion de la diversité
8 AOUN, Sami. Le retour turbulent de Dieu : Politique, religion et laïcité, Montréal, Médiaspaul, 2011, p. 35.
9
religieuse et de neutralité de l’État.9» «La laïcité serait un antidote aux effets pervers,
contre l’instrumentalisation politique et autoritaire de la religion et […] pourrait être un
garde-fou pour éviter la dérive de la religion vers le fanatisme.»10
Toutefois, la neutralité religieuse de l’État varie d’un pays à l’autre mais dans aucun cas
elle ne réduit à néant l’histoire, le patrimoine ou la culture d’une nation. Malgré une laïcité
ferme, les Français conservent des mœurs catholiques. Le cas du Canada est moins sévère.
En effet, des hôpitaux et des écoles confessionnelles peuplent encore le paysage.
Cependant, le religieux est plus discret qu’aux États-Unis où l’affirmation et la confession
publique sont omniprésentes comme en font foi les discours politiques parsemés de
référence à Dieu. Dans tous les cas, le respect des minorités religieuses et de la diversité
des religions est un concept adopté par tous les États libéraux et découle des libertés
fondamentales qui ont émané du libéralisme. Il s’ensuit une gestion juridique de la religion
qui est souvent au détriment de tout discours intellectuel, philosophique ou théologique.
3.5. Le juridique chargé de gérer le religieux
Le libéralisme conduit au concept d’égalité entre tous et permet l’expression des libertés
fondamentales. Dans tous les cas, le respect des minorités religieuses et de la diversité des
religions est un principe adopté par tous les États réellement libéraux. Ainsi, la tolérance
est de mise pourvu que les actions respectent les principes de base de ce contrat social qui
lui, est balisé par les différents textes juridiques. Qu’il s’agisse du libre exercice de culte,
de célébrations, de pratiques traditionnelles, de ports de vêtements ou d’accommodements
raisonnables, le religieux n’y fait pas exception.
«L’État-nation a le pouvoir d’interpréter les droits fondamentaux, et par ricochet, de leur
limitation.»11 Juridiquement, le droit privé a prédominance sur la sphère privée de telle
sorte que, dans un État libéralo-démocratique, pratiquer dans l’espace privé au nom de la
religion est illégal s’il contrevient à la loi malgré la liberté de base qu’est le «libre exercice
9 Ibid., p. 22. 10 Ibid., p. 118. 11 GEOFFROY, Martin, Jean-Guy VAILLANCOURT et Michel GARDAZ (dir.). La mondialisation du phénomène religieux, Paris, Médiaspaul, 2007, 262 p.
10
du culte». La raison est qu’il ne s’agit pas d’une liberté absolue, telles que la liberté de
conscience et la liberté d’adopter les convictions de son choix, mais bien d’une liberté
relative qui est soumise aux «restrictions prévues par la loi et nécessaires pour protéger la
sécurité, l’ordre et la santé publique, la morale, les libertés et les droits fondamentaux
d’autrui.»12 Quoi qu’il en soit, la plupart du temps le politique s’en remet au juridique pour
les questions religieuses, et quand l’État sans mêle, c’est rarement sous son angle moral
qu’il traite de la question, mais plutôt par rapport à son utilité : intégration des immigrants,
paix sociale, amélioration du bien-être. La plupart du temps cependant, la dimension
religieuse est secondaire, bien loin derrière l’économie et les autres domaines
«importants». Cet accent sur l’économie s’explique par le néolibéralisme (voir la section à
ce sujet). Dans les faits, les conflits cachent parfois des différends religieux de telle sorte
que la classe politique devrait être davantage à l’écoute d’organisations religieuses parce
qu’elles comprennent les réalités profondes de certaines catégories de la population. Mais
en général, en plus de laisser les questions religieuses être traitées par les instances
juridiques, les États libéralisés ont relégué la religion à la sphère privée pour diverses
raisons. D’abord, pour s’affirmer en tant qu’État neutre pour que chaque confession soit
égale (séparation de l’État et de l’Église). Aussi, pour ne pas avoir à gérer les diversités
religieuses via une haute visibilité car cela entrainerait plus de conflits, surtout avec la
recrudescence de rigorisme religieux sur la scène mondiale. Qui plus est, le concept de
responsabilité individuelle cadre bien dans l’idéologie libérale.
4. Cadre sociologique
4.1. L’effritement du rigorisme chrétien dans les sociétés libéralisées
Les raisons pour lesquelles les premiers chrétiens se sont convertis étaient celles de l’amour
du prochain, de l’égalité des hommes ou pour tout autre principe universel et profond. Or,
«la plupart des Européens d’aujourd’hui ne professent le christianisme que pour suivre
leurs ancêtres, obéir à leurs princes et faire comme leurs voisins.»13 Bien que possédant de
solides fondements doctrinaux, le rigorisme catholique était difficilement praticable parce
12 SARIS, Anne. Les religions sur la scène mondiale, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2010, p. 58. 13 QUANTIN, Jean-Louis. Le rigorisme chrétien, Paris, Éditions du Cerf, 2001, p. 136.
11
qu’il exigeait de ses adeptes une pénitence (à cause des péchés) et une discipline dans les
rites (présence à l’Église). Le Dieu était davantage celui de la crainte que de l’amour. Ce
rigorisme exigeait d’être à l’affût des péchés et de l’immoralité, de telle sorte qu’il devenait
impossible pour l’État, l’Église et la société de mobiliser les ressources nécessaires pour
tout surveiller. Ce totalitarisme était devenu lourd psychologiquement pour les individus
et pour les organes institutionnels. La montée du libéralisme rendit l’Église davantage
permissive, comme en France où il fût permis de se confesser hors des paroisses (Diocèse
de Belley).
La chute de cette culture théologique fut motivée par plusieurs intellectuels libéraux. À cet
égard, il importe de mentionner la contribution de John Stuart Mill et de son concept des
quatre libertés fondamentales. Les pensées qui auparavant étaient jugées odieuses ou
hérétiques sont devenues permises; la pensée hermétique évolua alors vers la liberté la plus
fondamentale selon Mill, une liberté de conscience (on est libre de ce qui se passe dans
notre tête). Les propos blasphématoires devinrent permis, car selon Mill, la deuxième
liberté en ordre d’importance est celle de l’expression. Les actes sexuels, insensés ou
pervers deviennent progressivement moins réprimandés parce que la troisième liberté
consiste au libre choix des goûts et des actions (sauf lorsqu’il y a nuisance à autrui).
L’idéologie de Mill peut se résumer à : «Over himself, over his own body and mind, the
individual is sovereign»14 (l’individu n'a pas de compte à rendre à la société pour ses actes
tant que ceux-ci ne concernent les intérêts d'aucune autre personne que lui-même).
N’oublions pas non plus la transformation de l’idée du vice orchestré par Adam Smith,
alors qu’il positionnait le vice personnel (l’appât du gain) comme quelque chose de
bénéfique pour l’ensemble de la société (via la main invisible) : «Nous ne nous adressons
pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n'est jamais de nos besoins que nous leur
parlons, c'est toujours de leur avantage.»15
14 MILL, John Stuart. On Liberty, Toronto, Collected University of Toronto Press, Coll. Works of John Stuart Mill, 1977, p. 292 15 SMITH, Adam. Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776, Paris, PUF, Coll. Pratiques théoriques, 1995, p. 19.
12
4.2. Histoire du libéralisme sociologique
Sociologiquement, le libéralisme ne peut être mieux exprimé que par la projection
tocquevillienne et de son concept de démocratisation de la société. Grosso modo, Alexis
de Tocqueville prédit que cette libéralisation créera une chute des frontières sociologiques,
passant d’un monde hiérarchique à horizontal, de cloîtré (à une certaine classe) à un monde
éclaté et égalitaire : «Peu à peu, les lumières se répandent; on voit se réveiller le goût de la
littérature et des arts; l'esprit devient alors un élément de succès; la science est un moyen
de gouvernement, l'intelligence une force sociale; les lettrés arrivent aux affaires.»16 Ce
monde libéralisé effrita les rapports de pouvoir, tant au niveau culturel (l’utile va remplacer
le beau), au niveau du savoir (cloisonné à certaines classes vers le «tout le monde a un peu
raison»), des relations familiales (baisse de l’autorité des parents), de la langue (règles
stables et précises vers une confusion linguistique, une prononciation relâchée, des termes
imprécis, etc.), et aussi de la religion. Selon lui, le système politique et les rapports de
pouvoir entre les individus ont un poids considérable dans le rapport qu’à une société avec
le religieux. À chaque époque, son type de religion. L’antiquité fût marquée par des États
aux gouvernements totalitaires et aux rapports de pouvoir fortement inégalitaires entre les
individus (maitres-esclaves). En démocratie, les libertés fondamentales offrent le choix de
la spiritualité. Cette possibilité qu’a le religieux de prendre une multitude de formes prend
le nom de panthéisme. Par la suite, Tocqueville annonce que l’on glissera progressivement
vers un athéisme et qu’il s’étendra d’une façon particulière : «On délaisse ses croyances
par froideur plutôt que par haine; on ne les rejette point, elles vous quittent.» Ce sont ces
changements sociologiques qui mettront la table à la sécularisation.
4.3. Libéralisme sociologique contemporain : l’individualisme
Les idéaux occidentaux se propagent au monde entier via leurs systèmes économiques (le
capitalisme, et par conséquent, la mondialisation) et politiques (démocratie). Le libéralisme
place l’autonomie humaine, qui prend souvent le nom de «liberté», au cœur de leur
16 DE TOCQUEVILLE, Alexis. De la démocratie en Amérique II, 14e édition, Paris, Éditions Michel Lévy frères, 1864, p. 5.
13
réflexion. Idéologiquement, ce n’est plus les dogmes religieux qui dictent la voie que
chacun doit suivre, mais plutôt la raison humaine, émancipée et libre. Les actions
entreprises sont donc libérées d’un dictat dogmatique, mais cette nouvelle autonomie a
comme nouveau fardeau de responsabiliser l’individu face à ses choix. Le travail en vue
d’un profit, jadis méprisé par l’aristocratie, devient honorable.
Pour des esprits ainsi disposés, toute méthode nouvelle qui mène par un chemin
plus court à la richesse, toute machine qui abrège le travail, tout instrument qui
diminue les frais de la production, toute découverte qui facilite les plaisirs et les
augmente semble le plus magnifique effort de l'intelligence humaine. C'est
principalement par ce côté que les peuples démocratiques s'attachent aux sciences,
les comprennent et les honorent. Dans les siècles aristocratiques, on demande
particulièrement aux sciences les jouissances de l'esprit; dans les démocraties,
celles du corps.17
Le libéralisme économique casse les liens entre les individus, car le capitalisme sauvage
implique que chacun est responsable de son propre succès financier et par conséquent, qu’il
vaut mieux ne rien attendre de la communauté ou de l’État. L’État-providence assure un
tissu social, mais il n’en reste pas moins que le système est basé sur une concurrence entre
les entreprises d’abord et entre les individus ultimement : que ce soit entre deux entreprises
qui se font compétition pour s’accaparer des parts de marché ou augmenter leurs profits,
ou à l’intérieur même de la hiérarchie d’une entreprise. Le marketing est un moyen
d’augmenter la demande et en fin de compte cela a comme objectif de, soit s’emparer des
parts de marché des compétiteurs, soit d’attirer des consommateurs supplémentaires dans
le marché. C’est cette augmentation de consommation qui augmente la demande et en fin
de compte, ce qui accroit la croissance économique devient un «mal» nécessaire au
maintien du système économique capitaliste. Un des outils marketing est la publicité. Elle
nous bombarde de messages qui nous disent que le bonheur se trouve dans le matérialisme
et non dans les relations humaines, ces dernières frôlant l’inutile pour un système qui exige
l’augmentation de la consommation. La démarcation d’un individu qui grandit dans une
société égalitaire (en droits) passe par la distinction sociale qui elle peut s’exprimer par
17 DE TOCQUEVILLE, Alexis. De la démocratie en Amérique II, 14e édition, Paris, Éditions Michel Lévy frères, 1864, p. 87.
14
l’obtention de biens. Sociologiquement parlant, nourrie par les messages publicitaires, par
la compétitivité entre les entreprises et de celle entre les gens, de même que cette recherche
de démarcation où tous sont égaux en opinions et en droits, une culture de l’individu prend
racine.
5. Cadre économique
5.1. Histoire du libéralisme économique
Le libéralisme économique, quant à lui, encourage l’individualisme parce que chacun doit
construire sa fortune par son travail et ses choix personnels. Cette atomisation est en outre
encouragée par un rationalisme – qui place l’individu libre de ses choix en tant que sacral
de la société- en substitution d’un dogmatisme religieux. En effet, subir une vie misérable
afin d’atteindre une meilleure vie dans l’autre monde (le paradis) ne tient plus la route, de
sorte qu’une mobilité sociale entre les classes devient possible. Autrement dit, à
l’immobilité sociale affirmée par les traditions et par Dieu se substitue une mobilité sociale
dictée via la volonté individuelle. La démocratisation des idées et des mœurs fait en sorte
qu’une tolérance a lieu : «nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses,
pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi»18 et que les
principes libéraux ne soient pas bafoués.
Les marchands constituaient un autre groupe qui exigeait des changements. Le système
mercantile apparaissait dépassé, peu efficace et inégalitaire aux yeux des libéraux, Adam
Smith et David Ricardo en tête. La concurrence et la protection des propriétés privées- les
deux principes fondamentaux du libéralisme classique- seront appliquées dès 1750 lors de
la révolution industrielle britannique. Les autres États occidentaux copieront cette recette
à succès dans les décennies qui suivront.
18 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), article 10.
15
5.2. Le libéralisme économique : le capitalisme
Le capitalisme a cette prétention de rendre l’improbable et l’inaccessible possibles grâce à
l’argent. Contrairement à la croyance en Dieu qui mène à un bonheur qui émane de
l’abstrait, le capitalisme offre un bonheur qui découle de biens et services physiques. Cette
tangibilité peut paraître plus efficace pour trouver le bonheur de telle sorte que les individus
des sociétés libérales ont peut-être choisi cette voie en remplacement de celle de la religion.
Cette possible substitution est envisagée lors d’une observation faite par le philosophe et
sociologue Georg Simmel au début du 20e siècle:
Même s’il n’a jamais existé d’époques où les individus n’aient été avides d’argent, on
peut dire cependant que l’acuité et l’extension maximale de ce désir correspondent aux
époques où l’on voit perdre de leur force aussi bien les satisfactions plus modestes liées
aux intérêts particuliers de la vie, que l’élévation à l’absolu de la religion comme but
final de l’existence. […] Aujourd’hui, tout est coloré par l’intérêt pour l’argent :
l’apparence générale de la vie, les interrelations humaines, la civilisation objective.
[…]Tandis que l’argent devient de plus en plus l’expression absolument suffisante et
l’équivalent de toutes valeurs, il s’élève à une hauteur abstraite au-dessus de toute la
vaste multiplicité des objets, il devient le centre où les choses les plus opposées, les
plus étrangères, les plus éloignées trouvent leur point commun et entrent en contact;
ainsi l’argent accorde-t-il lui aussi cette élévation au-dessus du particulier, cette
confiance en sa toute-puissance comme en celle d’un principe suprême, selon lequel, à
tout instant, il peut nous procurer ce particulier inférieur, se reconvertir pour ainsi dire
en lui.19
5.3. Le libéralisme contemporain : le néolibéralisme
Née dans les années 1980 en réaction au keynésianisme, cette doctrine économique domine
la scène mondiale depuis les années 1990 par l’entremise de l’affirmation de l’hégémonie
américaine, qui elle, a été provoquée par l’effondrement de l’Union de Soviétique. Le
néolibéralisme prescrit l’État minimal (privatisation, retour au marché), l’ouverture des
frontières économiques et la déréglementation. Dans les faits, le néolibéralisme dépasse la
sphère économique et s’actionne dans le social, dans le politique, dans le religieux. Certains
affirment même que ce courant «confie l’ordre social aux mécanismes de marché
19 SIMMEL, Georg. Philosophie de l’argent, Paris, Éditions PUF, 1999, p. 280.
16
supposément autorégulateur et soumet tous les secteurs de la vie à la logique marchande et
transforme le sujet humain lui-même. »20 L’inflexibilité du néolibéralisme condamne
l’individu à adopter ses principes, quitte à s’exclure du système. Sinon, les sacrifices
deviennent nécessaires. Pensons aux mises à pied afin que l’entreprise continue à engranger
des profits, ou encore, à la recherche de la productivité au détriment des conditions de
travail. Par sa transcendance aux divers aspects de nos vies, par le manque de remise en
question de ses principes, par sa confiance aveugle, par ses sacrifices, son aspect inflexible
(difficile de ne pas y adhérer) constitue des éléments qui supposent que le néolibéralisme
est la nouvelle religion.
De ce point de vue, il n’est guère surprenant de constater la contestation que le libéralisme
suscite. Cette modernité qui englobe le politique, le sociologique, l’économie, voir le
religieux, s’entrechoque avec des sociétés fondamentalistes et traditionnelles. La
transcendance du libéralisme s’entrechoque avec les valeurs de ces nations aux cultures et
histoires si différentes.
6. Le choc entre libéralisme et rigorisme religieux
6.1. La mondialisation : l’extension du libéralisme
Conditionnées par la sécularisation, les sociétés libérales ont délaissé la pratique religieuse
et modifié les fonctions de leurs lieux de cultes lorsqu’elles n’optaient pas pour leur
destruction. Cette baisse du religieux institutionnel ne signifie pas nécessairement un
écroulement de la religiosité, mais peut-être simplement une métamorphose de la
spiritualité en quelque chose de plus adaptée à la société actuelle. La transcendance du
libéralisme ne peut faire autrement que d’influer sur cette reformulation du religieux, le
premier élément étant la personnalisation non seulement de son interprétation mais de sa
construction. À cet égard, l’individu libéral choisira selon les circonstances des dictons
d’une religion, des réflexions d’une autre et des pratiques d’une troisième, le tout mélangé
à de la philosophie ou tout autre domaine à sa portée. Étant donné que l’individu libéral est
20 BEAUDIN, Michel. Les religions sur la scène mondiale, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2010, p. 18.
17
libre, cette spiritualité «à la carte» ne sera rarement appliquée avec la rigueur qu’exigeait à
l’époque le Clergé. Le religieux ne devient qu’une extension de l’économie de marché. La
propagation du libéralisme économique dans toutes les sphères de la société c’est d’être
capable de rendre les choses les plus intimes et profondes comme une simple marchandise.
Le libéralisme a aujourd’hui un impact à la source des entités sociologiques, politiques et
économiques des sociétés occidentales. Cette diffusion des libéralismes à l’échelle
planétaire est accélérée par le développement accru des télécommunications et du
transport. Or, ces deux éléments importants de la mondialisation découlent en partie du
libéralisme économique par l’entremise du progrès technologique et de l’ouverture des
frontières économiques. L’innovation et le libre-échange étant deux moteurs du
capitalisme, la globalisation économique se veut donc un précurseur à la mondialisation
(flux des autres facteurs), accélérée par la fin de la bipolarité du monde (économiquement,
idéologiquement et politiquement) par l’entremise de la chute de l’Union Soviétique. Les
libéralismes économique, sociologique et politique sont enracinés dans la société
occidentale, tant par la voie des idéaux (abstrait) qu’à travers le matérialisme (concret), et
ses racines grandissent via la mondialisation.
Cette modernité se heurte aux sociétés traditionnelles. Un exemple frappant de ce
phénomène s’est manifesté en 2008 lors du scandale des caricatures du prophète Mahomet
dans l’hebdomadaire français «Charlie Hebdo»; les auteurs ni voyaient que de la liberté
d’expression alors que des intégristes musulmans y voyaient un horrible blasphème (il s’en
suivit des menaces de mort). En plus de «l’imposition» du libéralisme, la concentration de
diverses confessions à l’intérieur des villes constitue un autre facteur qui contribue à la
crainte de l’assimilation et de la perte de ses repères.
6.2. La mondialisation des religions
Les religions se sont répandues à travers le globe bien avant la venue du libéralisme.
Pensons à la diffusion du christianisme par les Portugais et les Espagnols lors de la
conquête du Nouveau-Monde, puis plus tard, à l’installation en Amérique des Britanniques
protestants qui deviendront les anglicans. À l’exception de l’Empire ottoman, le Moyen-
18
Orient a vu reculer l’Islam à cause des colonies européennes. À travers les décennies,
l’Islam a su maintenir son lot de fidèles grâce à la hausse démographique de l’Afrique, du
Caucase et de l’Indonésie et plus tard, grâce à la dizaine de millions de musulmans qui se
sont installés en Europe lors de la période de la décolonisation après la Deuxième Guerre
mondiale. Que ce soit par les flux massifs de population au cours des siècles précédents ou
par l’arrivée de diasporas, les différentes religions ne peuvent plus être limitées à des
secteurs spécifiques du globe. «En 1950, 29% de la population mondiale vivait dans des
villes. En 2002, c’est presque 50 %. L’urbanisation de la planète a reterritorialisé les
religions dans un espace concentré, où la cohabitation multiconfessionnelle est devenue la
règle quotidienne.»21
Il revient à l’État de gérer cette cohabitation afin que les tensions entre ethnies et religions
se métamorphosent en tolérance, dont celle-ci a été accrue par l’essor des
télécommunications. En effet, au temps où les moyens de transport et de communications
étaient peu efficaces, les rapports avec l’étranger s’avéraient inexistants. Ainsi, la relation
avec une société qui ne présente rien de tangible laisse place à des sentiments de peur et
d’hostilité, ce qui accroît inévitablement les risques de guerres entre les nations.
Aujourd’hui, nous avons davantage de connaissances sur autrui et tissons davantage de
liens, de telle sorte que l’altruisme envers l’étranger y est plus important qu’auparavant.
En outre, la pacification des rapports entre cultures bien différentes s’opère par l’entremise
de l’interdépendance économique. Bref, c’est le concept libéral smithien de la pacification
par le commerce.
6.3. Le rigorisme religieux et le terrorisme
Le terme «rigoriste» (Rigoristae) est de source catholique22. Le rigorisme implique un
«excès de rigueur, un attachement étroit à la règle […], une rigidité mentale, une adhésion
immodérée, un attachement excessif aux dogmes.»23 Ainsi, qualifier une thèse ou une
21 GEOFFROY, Martin, Jean-Guy VAILLANCOURT et Michel GARDAZ (dir.). La mondialisation du phénomène religieux, Paris, Médiaspaul, 2007, 262 p. 22 QUANTIN, Jean-Louis. Le rigorisme chrétien, Paris, Éditions du Cerf, 2001, p. 19. 23Ibid., p. 9.
19
action de rigoriste porte à la condamner. Le terme fondamentalisme provient de la langue
anglo-saxonne et fait référence au protestantisme, alors que l’Islam a lui aussi son lot de
définitions pointues. Par souci de simplicité, il n’y a aucune distinction entre
fondamentalisme et rigorisme dans ce présent travail.
En dépit de la progression des sciences et du libéralisme, notre monde actuel est parsemé
d’une majorité de théistes, alors que les agnostiques et les athées représentent l’infime
minorité. L’intégrisme est omniprésent et les multiples faits divers en témoignent : en
Afghanistan, un étudiant devra purger vingt ans de prison pour avoir téléchargé sur internet
des articles traitant des droits des femmes; en 2009, en une journée, près de deux mille
musulmans ont été tués en Inde; une fillette de treize ans est condamnée à la lapidation
pour cause d’adultère alors qu’elle a été victime d’un viol collectif24.
6.4. Le terrorisme
Le rapport «Un monde plus sûr : notre responsabilité commune» explique les causes du
terrorisme, décrit comme naissant dans des «contextes de désespoir, d’humiliation, de
pauvreté, d’oppression politique, d’extrémisme et d’abus des droits de l’homme, mais aussi
de conflits régionaux et d’occupation étrangère.»25 Il est donc exagéré d’associer comme
cause unique l’extrémisme (religieux ou idéologique) comme déclencheur du terrorisme :
la «noble» cause est le but à atteindre, mais cet objectif prend racine à cause des éléments
ci-haut mentionnés. Que certains acteurs occidentalistes associent inclusivement le
terrorisme à l’islamisme radical découle de la désinformation ou de l’instrumentalisation.
Les États-Unis excellent dans ce domaine : par l’aliénation via le cinéma et les discours
politiques, l’État américain justifie leurs actions militaires ou autres dans le Moyen-Orient
en se cachant derrière les masques de la «guerre» au terrorisme et celui de la diffusion de
la démocratie. L’ironie du sort est que les Américains utilisent deux poids deux mesures
pour ce qui est des règles démocratiques à l’international, étant donné qu’ils protègent
unilatéralement toutes actions d’Israël en dépit de ses infractions constantes au droit
24 VENNER, Fiammetta. Chronique de l’intégrisme ordinaire, Paris, Éditions générales FIRST, 2009, p.12. 25 ORGANISATION DES NATIONS-UNIS. A more secure world : our Shared Responsability, Document A/59/565 de l’Assemblée générale des Nations unies, 2 décembre 2004.
20
international public. En outre, ce terrorisme «est présenté comme une nouveauté historique
absolue sans que soient même évoquées toutes les violences terroristes qui n’ont rien
d’islamique, ayant secoué d’autres régions du monde au cours des décennies
précédentes»26. Le terrorisme transnational, principalement celui sur le sol d’États
occidentaux, est une menace disproportionnée à l’égard du terrorisme : la grande majorité
des actions terroristes sont dans des pays instables politiquement et traversent rarement les
frontières étatiques.
6.5. L’adaptation des minorités arabomusulmanes face au libéralisme
Le barème des réactions face à une idéologie imposée ou nouvelle se situe de l’assimilation,
en passant par l’ajustement, jusqu’à la confrontation et la révolte. Ainsi, la diaspora
possède deux choix antagonistes : celui de s’intégrer au pays d’asile et de renier toutes
traditions et cultures de leur famille, ou bien de se ghettoïser et de continuer leur mode de
vie en s’écartant de toutes adaptations à la nouvelle société. Évidemment, entre ces deux
barèmes extrêmes, les immigrants s’y positionnent et tendent généralement à progresser
vers l’adoption des coutumes locales et à délaisser peu à peu les leurs. Certaines
communautés résistent plus que d’autres, telle que la communauté juive hassidisme de
Montréal qui, au contraire de l’universalisme chrétien, les Juifs sont un peuple élu d’où
une explication plausible à cette situation. Les minorités du Québec et ailleurs en Occident,
sont de façon générale davantage victimes d’une exclusion sociale que les immigrants
intégrés ou les gens «de souche». Cela se manifeste par un taux de chômage, de criminalité
ou de pauvreté plus élevé que ces derniers. L’immigrant et l’hôte ont tous deux leurs
fautes : la mauvaise intégration passe par un manque de conciliation, une intolérance ou un
rejet. Pour l’habitant de souche, c’est par rapport aux mœurs et coutumes de l’étranger ou
de l’étranger lui-même. Dans les sociétés libérales, les natifs, biens que tolérants en
général, ont pour la plupart cette vision ethnocentriste de juger leur société qui se veut
moderne, supérieure aux autres cultures immigrantes. Pour l’immigrant, sa mauvaise
intégration peut être causée par un attachement trop grand à sa culture, sa nation et ses
coutumes de telle sorte qu’en ne concédant pas de terrain aux pratiques du pays hôte,
26 CORM, Georges. La question religieuse au XXIe siècle, Paris, Éditions La Découverte, 2006, p. 174.
21
l’immigrant risque de choquer l’autre. Cette difficulté d’allier traditionalisme et modernité
n’est pas une nouveauté historique. Par exemple, les communautés autochtones du Canada
vivent encore de nos jours ce dilemme et cela constitue une des causes à la source d’une
qualité de vie moindre : taux d’incarcération élevé, alcoolisme, inceste, suicide.
Néanmoins, cette xénophobie, voire ce racisme que sont victimes certaines minorités dans
les pays Occidentaux, ne dépasse rarement le cadre de la loi ou de la dignité humaine,
contrairement à d’autres régions du monde telles que le Moyen-Orient.
Les communautés arabomusulmanes, quant à elles, sont plus ou moins intégrées selon leur
terre d’accueil. La situation en France diffère complètement de celle du Québec, que ce
soit aux plans géographique, historique, démographique ou politique. Au Québec, s’il y a
moins de problèmes avec les islamiques qu’en sa mère patrie, c’est en partie causé par sa
sélection des immigrants qui se fait sur les bases de la langue française et de leur scolarité.
Or, nous savons que les immigrants qui ont le plus de difficulté à s’intégrer sont les réfugiés
parce qu’ils ne sont pas toujours instruits et ne parlent pas nécessairement la langue du
pays d’accueil. Pour ce qui est de la France, elle a une communauté arabe importante (près
de 8% de la population), et cela est causé par sa proximité des pays arabisés, de l’ouverture
des frontières avec ses pays voisins à cause de l’Union européenne, d’un grand nombre
d’immigrants arrivés suite à la guerre avec leur colonie (Algérie), etc. Il y a donc plus
d’immigrants de culture arabe ou de confession musulmane qu’au Québec et cette sélection
plus permissive amène de nouveaux arrivants à risques. Une réaction du politique face à
cette problématique des minorités est la laïcité à la française qui se veut sans nuance. Au
moins, elle a la qualité d’imposer clairement les règles : l’identité française n’est associée
à aucune religion et les Français issus de l’immigration devront faire allégeance à ce bien
commun des Français de souche. Au contexte différent, le Canada établit des politiques
différentes.
L’accroissement du tissu transnational de même que la baisse des courants nationalistes
après la Seconde Guerre mondiale laissent place à la floraison du cosmopolitisme. «Ce mot
emprunté du grec, qui signifie citoyen du monde […], tient l’espèce humaine pour une,
possédant les mêmes droits, capables des mêmes progrès : les différences de race, de nation
22
sont sans importance.27» Dans cette optique, la citoyenneté se fait par l’adoption des
principes fondamentaux de l’État démocratique, tels que la tolérance des mœurs et
coutumes de chacun, et le respect des droits et libertés fondamentales. Dès lors, le lieu de
naissance (pourvu que l’immigrant obtienne son visa), la culture ou la religion ne sont plus
un critère valable pour être citoyen. L’adoption au Canada du multiculturalisme en 1971 -
créant ainsi une rupture avec le biculturalisme, à l’exception de la langue — se veut la suite
logique.
6.6. L’Islam secoué par le modernisme
Comme nous l’avons vu, le libéralisme modifie la façon d’appréhender le monde. Ce
changement est intrinsèque aux individus par l’émancipation de la raison, et aussi
extrinsèque via la modification des rapports sociaux entre les individus. La mondialisation
et l’accroissement des réseaux de (télé)communication propagent cette modernité à travers
le globe vers des régions aux sociétés différentes qui évoluent dans des contextes différents,
tel que le Moyen-Orient. Ces régions arabisées ont été par le passé traversées par des
réformes demandant de tenir compte du modernisme venu de l’ouest. En Turquie, la
première réaction fut d’établir les «Tanzimats» qui consistaient à imiter les Européens dans
le militaire, l’État, les réformes, l’économie, l’agriculture, etc. Par exemple, en 1856 il y
aura une sécularisation. En 1876, c’est l’établissement d’une première constitution à
laquelle la forme ressemble beaucoup à celle d’Europe : garantie des droits de propriété,
séparation entre le judiciaire et les pouvoirs exécutif et législatif, etc.
L’Empire ottoman, le dernier foyer de l’islam sous l’effigie du calife, chuta en 1924. Sa
chute s’explique en bonne partie par le remplacement de l’unité religieuse causé par les
courants nationalistes et la modernité d’origine européenne. Ce pendule qui possède d’un
côté le modernisme, associé à l’augmentation de la qualité de vie, et de l’autre le
traditionalisme, est constitué de deux visions apriori exclusives. Néanmoins, la Nahda va
essayer d’allier les deux visions. Ce modernisme islamique va essayer de trouver la
27 CORM, Georges. La question religieuse au XXIe siècle, Paris, Éditions La Découverte, 2006, p. 193.
23
panacée pour que l’Islam couvre son retard avec l’aide de trois idéologies : le
panislamisme, le wahhabisme et le panarabisme.
Le panislamisme se définit comme « un état d’âme des musulmans qui se sentent tous
membres d’une même fraternité et réunis dans un seul organisme pour sauvegarder leur
unité morale et spirituelle»28. Ce mouvement cherche à se protéger de l’Occident et à
libérer les musulmans de toutes formes d’oppression, telle que la colonisation. Jamal Al-
Din Al-Afghani a été le premier à divulguer cette idéologie à travers son activisme et ses
écrits. Il n’hésitait pas à proposer la révolte comme moyen de contrer l’invasion de cette
modernité à l’européenne. Ce personnage illustre rencontra en 1872 celui qui deviendra le
grand imam d’Égypte, Muhammad Abduh, et lui donna la piqûre de la politique. Près d’une
décennie plus tard, il se révolta contre l’armée anglaise, mais ce fût un échec de sorte qu’il
doit s’exiler pendant trois ans. C’est durant cette période qu’il philosophe sur la place de
l’Islam dans ce monde en bouleversements. Son constat est qu’il est possible de respecter
sa religion et ses traditions tout en adaptant certains pans de la modernité, tels que
l’industrialisation et le libéralisme économique29. Lui et son disciple Rashid Rida, qui sera
plus tard le grand instigateur des Frères musulmans, étudièrent le Coran afin d’y aller de
critiques et d’analyses. Ils démontrèrent, articles coraniques à l’appui, que la raison occupe
une place fondamentale dans la religion. Ainsi, la science qui est a priori l’antithèse de la
religion devient un élément parmi d’autres à intégrer dans l’univers de l’Islam.
Le mouvement du panarabisme tient compte de l’unité des arabophones et de l’histoire des
Arabes, de telle sorte qu’il s’agit d’un regroupement ethnoculturel et non pas religieux.
Cette idéologie est donc laïque et propose une communauté musulmane – la Umma –. Le
panarabisme était nostalgique du succès des Arabes dans l’histoire ainsi que de leur unité
sous l’effigie du califat. Après la Seconde Guerre mondiale, la citoyenneté arabe se tourne
vers l’avenir. Le Parti Baas (Syrie) et Nasser (Roi d’Égypte) tenteront d’allier les Arabes
et cela leur donne un peu de crédit pour la décolonisation. De nos jours, certains tentent de
souder la communauté arabe contre le sionisme et l’impérialisme américain.
28 KHAN, Agha et Zaki ALI. L’Europe et l’Islam, Genève, Éditions Mont Blanc, 1944, p. 14. 29 OUMMA.COM. Vincent. Muhammad ’Abduh, sa vie, ses idées, [En ligne], http://oumma.com/Muhammad-Abduh-sa-vie-ses-idees (Page consultée le 15 novembre 2013)
24
Découlant d’une branche du fondamentalisme, le wahhabisme interprète de façon littérale
et rigoriste le Coran. Ainsi, la loi de l’État devrait être la Charia. En effet, contrairement
aux préceptes chrétiens auxquels s’est édifiée la civilisation occidentale, l’Islam (Din) ne
fait pas de distinction entre l’État (le sabre) et la religion (l'autel). Dans la foi islamique,
l’État ne constitue qu’un des éléments de la triade (Dîm, Danna et Dhniya). Ils refusent
les mœurs occidentales mais gardent tout de même de l’ouverture pour la modernité
politique, le libéralisme économique et d’autres courants modernistes. Cela n’est pas le cas
de la branche voisine du wahhabisme, le talibanisme qui lui, rejette quasiment tous
concepts occidentaux et fait preuve d’intolérance. Notons au passage le salafisme qui se
distingue principalement par sa référence à l’âge des salaf as-saleb (le passé vertueux).
Tous ces mouvements sont source d’activisme politique extrémiste tel que le réseau
terroriste Al-Qaida.
Certains États du Moyen-Orient sont dirigés par des régimes totalitaires; la place de la
religion y est grande et les liens sociaux sont marqués par des inégalités, tels que le rapport
homme/femme. La masse de jeunes occupe une proportion importante de la population
globale et ceux-ci sont scolarisés et ouverts sur le monde grâce notamment à internet. Ainsi,
la propagation des lumières au peuple rend celui-ci critique et exige des changements :
c’est le printemps arabe (2010).
Néanmoins, une tranche de la population refuse la modernité. Cela peut être causé par le
fait que certains sont piégés intellectuellement car ils ne veulent pas sortir de leurs
traditions et des réponses coraniques. Certains associent ce libéralisme comme étant une
manière pour l’Occident (l’ennemi) d’étendre leurs idéologies et leurs pratiques (au
détriment de l’islamisme), parlant même de nouvelles «croisades». Finalement, certains
sont choqués par les politiques de certains États occidentaux, les États-Unis surtout, pour
leur omniprésence militaire dans la région et de la diabolisation qu’ils font de l’Islam en
l’associant au terrorisme.
6.7. Le cas des Juifs
Le judaïsme présente des caractéristiques intéressantes. Tout d’abord, ils ne sont
qu’environ quatorze millions dans le monde, se concentrant essentiellement en Israël et
25
aux États-Unis. Cela est en contraste avec leurs répercussions dans les domaines de
l’économie, de la musique classique et de la science pour ne nommer que ceux-là, mais
aussi en totale démesure avec leur prépondérance dans l’histoire des conflits. Par ailleurs,
la création d’un État pour une religion spécifique est – sauf erreur – unique dans l’histoire.
Certains accusent les Juifs d’avoir été les déclencheurs de la Révolution française. En effet,
de grands révolutionnaires tels que Karl Marx étaient de confession juive. Le principe
d’égalité citoyenne, consacré dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
(1791), avait au premier abord que du positif pour les juifs jadis ostracisés par la majorité
catholique de France. Néanmoins, le duc de Clermont-Tonnerre émettait déjà sa position à
l’égard d’un éventuel sionisme : «Il faut tout refuser aux Juifs comme Nation et tout leur
accorder comme individus». Toutefois, la modernité avait un coût : l’égalité citoyenne
menaçait leur identité. Ainsi, tant et aussi longtemps que les communautés juives
habiteront en terres inondées de chrétiens, ils subiront soit la condamnation de la perte
identitaire ou celle de la ghettoïsation. Depuis les deux derniers siècles, c’est le judaïsme
qui a subi le plus de changements dans sa géographie et sa démographie. Donc, le sionisme
constitue une solution pour pallier à cette instabilité. La création d’Israël en 1948 ne se
présente pas en tant qu’État juif (nationalisme religieux), mais bien en tant qu’État des Juifs
(nationalisme à l’européenne) et ce malgré les minorités musulmanes. En effet, cet État
comporte la plus haute proportion d’athées de tous les pays du monde et, à l’exception
d’une poignée de villes telles que Jérusalem ou Hébron, partout au pays le rigorisme
religieux est submergé par une jeunesse articulée, hédoniste et moderne. Ainsi, le
mouvement sioniste est un projet qui s’insère dans la modernité parce qu’il y a une
transformation de «l’identification transnationale juive centrée sur la Torah en une identité
nationale à l’instar d’autres nations européennes.»30
30 M. RABKIN, Yakov. Les religions sur la scène mondiale, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2010, p. 134.
26
6.8. L’exemple indien
L’Inde compte près de 1,3 milliard de personnes et cette marée humaine est loin d’être
uniforme. Pour ce qui a trait aux langues, quinze sont officialisées et soixante-cinq sont
enseignées. À propos des religions, un peu plus de 80% de la population totale est de
confession hindouiste. Cependant, les 175 millions de musulmans représentent tout de
même près de 15% de la population de l’Inde, constituant par ce fait la plus nombreuse
minorité de tous les pays du monde. Les ethnies ne sont pas en reste : le système de caste
perdure dans le temps de telle sorte qu’il existe encore des inégalités basées sur la race.
Afin de gérer ces diversités religieuses, ethniques et linguistiques, l’État ne pouvait se
permettre de favoriser officiellement une partie de la population. Politiquement
matérialiser à travers deux grands principes de la Constitution qui sont la neutralité de
l’État et l’égalité des religions, l’État est officiellement laïc. De plus, que l’on fasse
référence à Bollywood, au kamasoutra ou à la détention de l’arme nucléaire, l’Inde est un
État qui s’est modernisé. D’un point de vue social cependant, cette modernité
s’entrechoque quotidiennement avec les traditions religieuses, comme en fait fît les près de
5000 confrontations par jour au nom de la religion. Le paradoxe entre modernité politique
et traditionalisme qui persiste au niveau social se matérialise dans l’exemple des Suttee :
bien que la Constitution interdit qu’une femme devenue veuve s’immole, près de cent mille
cas sont répertoriés à chaque année.
Conclusion
Ce travail a tracé les grandes lignes qui définissent le libéralisme. En Occident, nous avons
constaté que cette doctrine est apparue au même moment où la religion perdait de son
emprise. La religion institutionnalisée laissait du terrain à la démocratie. La pratique
religieuse, les dogmes et les peurs fussent grugés par l’autonomie humaine en quête de
liberté. L’économie se désenclava et prit au cours des décennies et siècles qui suivirent une
place centrale dans la définition de notre vision du monde et de notre mode de vie. Ce
libéralisme s’étend au reste du monde par l’entremise de l’un de ses propres fondements :
27
la mondialisation économique. Les répercussions de cette modernité ne peuvent être
ignorées parce que le libéralisme lui ne vous ignorera pas. À ce choc, certains se cachent
derrière leur patrimoine culturel et leur religion, tandis que d’autres l’intègrent plus ou
moins rapidement et en concordance avec leurs traditions. À ce sujet, nous avons donné
quelques exemples de réactions de la part d’une panoplie de confessions qui sont présentent
à l’intérieur des sociétés libéralisées ou à travers le globe.
Le religieux comporte des dangers lorsque l’on remet aux dogmes le sort de l’humanité :
la vie sacrifiée pour des justifications idéologiques ou religieuses est très dramatique. Le
religieux peut aussi amputer la pensée puisqu’elle apporte des réponses préfabriquées. Les
remises en question n’ont pas lieu d’être vu qu’il s’agit d’un acte de foi : on croit et c’est
tout. Il est pernicieux de croire en une idée fixe qui s’installe en tant que postulat (sans
remise en question). De plus, la croyance en une volonté divine déresponsabilise les actions
des gens. Bref, la religion utilise des bases et des principes sur des livres qui n’ont aucune
base scientifique. Or, «toute affirmation qui n’est pas appuyée sur des données empiriques
est gratuite. […] Les questions pertinentes commencent avec l’observation du réel, sinon
on peut dire tout et n’importe quoi.»31 Finalement, l’instrumentalisation de la religion par
l’État ou d’autres entités ne date pas d’hier. Encore aujourd’hui, elle peut constituer une
des principales raisons de survie pour des individus qui sont démunis (surtout
intellectuellement). Cette situation est bien décrite par les propos tenus par le sociologue
Karl Marx au 19e siècle : «La religion est l’opium du peuple.»
Le libéralisme possède lui aussi de nombreuses inquiétudes, mais les répercussions de cette
doctrine sont si étendues qu’il est impossible d’en faire un diagnostic. Le réchauffement
planétaire a-t-il comme seule cause le capitalisme (économie de surconsommation,
croissance illimitée, etc.)? Pour ce qui est de la montée de l’individualisme, faut-il jeter la
pierre qu’au libéralisme seul? Dans les faits, le libéralisme apporte plus de bienfaits que
l’inverse. Politiquement, la montée des démocraties dans le monde pacifie le monde pour
la raison qu’il ne peut y avoir de guerre entre deux démocraties32. Économiquement,
31 QUANTIN, Jean-Louis. Le rigorisme chrétien, Paris, Éditions du Cerf, 2001, p. 24. 32 Selon la théorie de la paix démocratique, aucun États démocratiques ne s’est déclaré la guerre depuis des siècles.
28
partout où le capitalisme a été adopté les libertés fondamentales, les conditions de vie et
l’espérance de vie se sont accrues. Sociologiquement, l’individu qui devient le principal
responsable de son sort peut façonner sa vie à sa guise s’il travaille en ce sens. Avec le
libéralisme, la supériorité du Dieu abstrait est tassée par la supériorité de l’individu réel.
Finalement, il importe de rappeler que le monde est religieux dans sa grande majorité. Cette
réalité se présente aussi dans les sociétés occidentales qui, malgré les deux siècles de
libéralisme, ne peuvent s’écarter de deux millénaires de christianisme. Les États libéralisés
et les acteurs qui les animent se doivent de repositionner leurs intérêts pour ne pas
instrumentaliser la religion à des causes égoïstes et pour ne pas diffuser intensément le
libéralisme «supérieur et moderne» aux traditions et cultures «arriérées». Dans les autres
États empreints d’un traditionalisme persistant, la meilleure chose qui pourrait leur arriver
serait de conserver les éléments importants de leur patrimoine, mais délaisser ceux qui ont
fait leur temps pour les remplacer par ce libéralisme bénéfique. La bonne foi, la diplomatie,
la rigueur intellectuelle et la tolérance des différences sont des antidotes aux conflits.
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