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Page 1: Les vacances Quelles vacances? Quelles vacancediants, ouvriers et professionnels partent en vacan-ces. Chez nous, malgré les pronostics des années70 voulant que le tourisme et les

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Quelles vacanceLes vacances...

Quelles vacances?

u Québec, le concept des vacances estloin d’être le phénomène institutionna-lisé qu’il est, par exemple, en France.

Dans ce pays qui a inventé les congés payés pourtous en 1936, les vacances sont inscrites dans lesagendas. Riches, moins riches, ruraux, urbains, étu-diants, ouvriers et professionnels partent en vacan-ces.

Chez nous, malgré les pronostics des années70voulant que le tourisme et les vacances explosentet sous-tendent le mode de vie des années 2000,les choses ont stagné, voire régressé pour les Qué-bécois. Et les rêves faramineux de l’industrie dutourisme ne se sont pas réalisés.

Une entrevue avec le professeur Jean Stafforddu Département de tourisme et de gestion urbainede l’UQAM nous permet de remettre nos pendu-les à l’heure en ce qui concerne notre perceptiondu concept des vacances. Le chercheur suit, eneffet, depuis trente ans l’évolution des pratiquesde vacances et de tourisme au Québec. «Dans uneenquête de 1996, dont les chiffres sont toujoursd’actualité, nous constatons qu’à peine 54% desQuébécois disent avoir droit à ces congés annuels.Que 41% des gens quittent leur domicile pour unséjour de tourisme de quatre jours ou plus. Que,en outre, 12% de ceux qui prennent des vacan-ces de leur travail restent à leur domicile pendantces semaines ou ces jours. » Nous voilà loin del’image de l’estivant vacancier voyageur ! Dans lesfaits, plus de la moitié des Québécois ne change-raient de décor ni pendant l’été ni au cours desautres saisons.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire,M. Stafford révèle que les raisons retenant les vacan-

ciers chez eux ne sont pas d’abord économiques.Seulement 35 % évoquent des motifs financiersalors que 40% parlent plutôt de crainte, d’appré-hension de l’imprévu, d’envie de rester tranquillesà la maison. Pas très « sorteux» les Québécois ? Demoins en moins, pourrait-on dire. Le phénomènedu départ en vacances a été mesuré trois fois entrente ans chez les Montréalais pour démontrer quesi 70% des ménages faisaient au moins quelquesjours de tourisme en 1970, maintenant c’est à peine56% d’entre eux qui s’offrent une petite saucettehors de leur cadre de vie. Jean Stafford estime quecette tendance peut être généralisée à l’ensembledes Québécois et qu’elle s’est poursuivie au coursdes cinq dernières années.

Mais où vont ceux qui partent ?Les touristes québécois vont surtout en Gaspésie,aux Îles-de-la-Madeleine, dans les régions deQuébec, de Charlevoix, du Saguenay-Lac-St-Jean,en Estrie et dans les Laurentides. Ils se rendent ausside plus en plus dans l’Outaouais, en raison del’attrait de la capitale fédérale. «Même si on a voulunous faire croire que toutes les régions du Québecétaient viables pour le tourisme, nous devons bienadmettre que seules quelques-unes le sont vrai-ment», précise M. Stafford.

Pour les Montréalais, les destinations les plusprisées sont au Québec (41%), dans d’autres régionsdu Canada (15%) et aux États-Unis (20%). Chezles habitants de la couronne de Montréal, l’atti-rance pour le Québec est encore plus forte (63%).Quant aux Québécois de la Vieille Capitale, ils accor-dent eux aussi leur priorité aux régions du Québec(46%), tout comme l’ensemble de la population

A

• Tout le monde a droit à des vacances. Faux.

• Tous ceux qui ont des vacances partent de chez eux au moins quelques jours. Faux.

• Le rocher Percé est le site naturel qui fait le plus fantasmer les Québécois. Vrai.

• Tout le monde a droit à des vacances. Faux.

• Tous ceux qui ont des vacances partent de chez eux au moins quelques jours. Faux.

• Le rocher Percé est le site naturel qui fait le plus fantasmer les Québécois. Vrai.

Par Élaine Hémond

EntrevueEntrevue

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ces? Quelles vacances? Quelles vacancesde l’Est du Québec qui prend ses vacances auQuébec à 60 %. On voit sans étonnement queles États-Unis n’occupent plus la place qu’ilsavaient, il y a trente ans, alors que l’exode versles plages du Maine était massif en juillet et aoûtdans toutes les classes de la population. L’évolu-tion à la baisse de la valeur du dollar canadienn’est certainement pas étrangère à ce change-ment de cap.

Selon M. Stafford, la tentation de l’Europereste dans la tête de nombreux vacanciers québé-cois. Cependant, ce sont bien sûr les plus aisés,les plus instruits et les plus âgés qui s’y envolent.Si 11% des Montréalais choisissent de séjourneroutre-mer pour leurs vacances, ce chiffre tombe à5,2 % dans la région périphérique de Montréal.Étonnamment, les résidents de Québec se rendentplus fréquemment dans les Vieux Pays que lesautres. Dans cette région, plus de 13% des vacan-ciers traversent la grande mare.

Des voyages pour voir quoi ?Savez-vous que le site naturel du Québec jugé leplus important par les Québécois est toujours lerocher Percé? Ce rocher de moins en moins percéreprésente le mythe naturel par excellence, devan-çant les chutes Montmorency de moins en moinssauvages, de plus en plus encadrées d’escaliers,de paliers et de béton. Quant aux attraits touristi-ques aménagés, le Vieux-Québec et le Vieux-Montréal viennent en tête de liste suivis du parcForillon-Percé.

Étonnamment, les musées sont cités commede grandes incitations au départ en vacances, maisils viennent assez loin dans la liste des sites visités.On se rue davantage vers les sites et monumentshistoriques et patrimoniaux, les parcs gouverne-mentaux fédéraux et provinciaux, les fêtes et lesfestivals. À la rubrique des activités et aménage-

ments les moins populaires, les terrains de golf etles événements sportifs.

Dis-moi quelle langue tu parles,je te dirai où tu vas ?D’abord, les Québécois dont la langue maternelleest l’anglais partent davantage en vacances queles francophones et les allophones. Par ailleurs, lesfrancophones représentent la catégorie qui a le plustendance à rester au Québec alors que les Québécoisanglophones visitent peu le Québec et donnentplutôt priorité aux destinations canadiennes (38 %)et américaines (34,6%).

Les allophones, eux, visitent deux fois plus leQuébec (14%) que les anglophones, mais vont plussouvent dans les autres provinces canadiennes queles francophones (28%). Cette population de lan-gue maternelle autre que le français et l’anglais vabeaucoup en Europe. Environ 25% s’envolent versles pays européens et l’on peut déduire qu’il s’agitsouvent de vacances dans leurs pays d’origine.

Selon M. Stafford, la majorité des vacancierspartent en famille ou en couple. Quant aux formu-les d’hébergement, elles restent assez conservatri-ces et l’on pense beaucoup au camping, au motelou à un accueil chez de la famille ou des amis. Si laformule des gîtes ruraux est connue d’une bonnepartie des Québécois (60,8%), peu (9,3 %) se pré-valent encore de ce type d’hébergement.

Il faut bien conclure que la radioscopie du vacan-cier québécois n’est pas vraiment celle des annoncesde bières. Si on s’y attarde, le portrait prend en-core souvent l’allure du balcon-ville, des retrou-vailles familiales et même du travail estival. Entre lerêve et la réalité, il y encore un monde de sédenta-rité et de contraintes. Les étudiants qui ne réussis-sent souvent qu’à s’offrir trois jours de vacances àla fête du Travail en savent quelque chose. Malgrétout, bonnes vacances aux lecteurs de Réseau !


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