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MANON LESCAUT (1731)

Abbé Prévost

Table des matières A V IS D E L'A U T E UR PR E M I E R E PA R T I E D E U X I E M E PA R T I E

I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII

PREMIERE PARTIE Je suis obligé de faire remonter mon lecteur au temps

de ma vie où je rencontrai pour la première fois le chevalier des Grieux. Ce fut environ six mois avant mon départ pour l'Espagne. Quoique je sortisse rarement de ma solitude, la complaisance que j'avais pour ma fille m'engageait quelquefois à divers petits voyages, que j'abrégeais autant qu'il m'était possible. Je revenais un jour de Rouen, où elle m'avait prié

d'aller solliciter une affaire au Parlement de Normandie pour la succession de quelques terres auxquelles je lui avais laissé des prétentions du côté de mon grand­père maternel. Ayant repris mon chemin par Evreux, où je couchai la première nuit, j'arrivai le lendemain pour dîner à Pacy, qui en est éloigné de cinq ou six lieues. Je fus surpris, en entrant dans ce bourg, d'y voir tous les habitants en alarme. Ils se précipitaient de leurs maisons pour courir en foule à la porte d'une mauvaise hôtellerie, devant laquelle étaient deux chariots couverts. Les chevaux, qui étaient encore attelés et qui paraissaient fumants de fatigue et de chaleur marquaient que ces deux voitures ne faisaient qu'arriver. Je m'arrêtai un moment pour m'informer d'où venait le tumulte; mais je tirai peu d'éclaircissement d'une populace curieuse, qui ne faisait nulle attention à mes demandes, et qui s'avançait toujours vers l'hôtellerie, en se poussant avec beaucoup de confusion. Enfin, un archer revêtu d'une bandoulière, et le mousquet sur l'épaule, ayant paru à la porte, je lui fis signe de la main de venir à moi. Je le priai de m'apprendre le sujet de ce désordre. Ce n'est rien, monsieur me dit­il; c'est une douzaine de filles de joie que je conduis, avec mes compagnons, jusqu'au Havre­de­Grâce, où nous les ferons embarquer pour l'Amérique. Il y en a quelques­unes de jolies, et c'est, apparemment ce qui excite la curiosité de ces bons paysans. J'aurais passé après cette explication, si je n'eusse été

arrêté par les exclamations d'une vieille femme qui sortait de l'hôtellerie en joignant les mains, et criant que c'était

I

Why did he love her? Curious fool, be still! Is human love the fruit of human will?

BYRON. Just about six months before my departure for Spain, I

first met the Chevalier des Grieux. Though I rarely quitted my retreat, still the interest I felt in my child's welfare induced me occasionally to undertake short journeys, which, however, I took good care to abridge as much as possible. I was one day returning from Rouen, where I had been,

at her request, to attend a cause then pending before the Parliament of Normandy, respecting an inheritance to which I had claims derived from my maternal grandfather. Having taken the road by Evreux, where I slept the first night, I on the following day, about dinner­time, reached Passy, a distance of five or six leagues. I was amazed, on entering this quiet town, to see all the inhabitants in commotion. They were pouring from their houses in crowds, towards the gate of a small inn, immediately before which two covered vans were drawn up. Their horses still in harness, and reeking from fatigue and heat, showed that the cortege had only just arrived. I stopped for a moment to learn the cause of the tumult, but could gain little information from the curious mob as they rushed by, heedless of my enquiries, and hastening impatiently towards the inn in the utmost confusion. At length an archer of the civic guard, wearing his bandolier, and carrying a carbine on his shoulder, appeared at the gate; so, beckoning him towards me, I begged to know the cause of the uproar. "Nothing, sir," said he, "but a dozen of the frail sisterhood, that I and my comrades are conducting to Havre­de­Grace, whence we are to ship them for America. There are one or two of them pretty enough; and it is that, apparently, which attracts the curiosity of these good people." I should have passed on, satisfied with this

explanation, if my attention had not been arrested by the cries of an old woman, who was coming out of the inn

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une chose barbare, une chose qui faisait horreur et compassion. De quoi s'agit­il donc? lui dis­je. Ah! monsieur entrez, répondit­elle, et voyez si ce spectacle n'est pas capable de fendre le cœur! La curiosité me fit descendre de mon cheval, que je laissai, à mon palefrenier. J'entrai avec peine, en perçant la foule, et je vis, en effet, quelque chose d'assez touchant. Parmi les douze filles qui étaient enchaînées six par six

par le milieu du corps, il y en avait une dont l'air et la figure étaient si peu conformes à sa condition, qu'en tout autre état je l'eusse prise pour une personne du premier rang. Sa tristesse et la saleté de son linge et de ses habits l'enlaidissaient si peu que sa vue m'inspira du respect et de la pitié. Elle tâchait néanmoins de se tourner, autant que sa

chaîne pouvait le permettre, pour dérober son visage aux yeux des spectateurs. L'effort qu'elle faisait pour se cacher était si naturel, qu'il paraissait venir d'un sentiment de modestie. Comme les six gardes qui accompagnaient cette

malheureuse bande étaient aussi dans la chambre, je pris le chef en particulier et je lui demandai quelques lumières sur le sort de cette belle fille. Il ne put m'en donner que de fort générales. Nous l'avons tirée de l'Hôpital, me dit­il, par ordre de M. le Lieutenant général de Police. Il n'y a pas d'apparence qu'elle y eût été renfermée pour ses bonnes actions. Je l'ai interrogée plusieurs fois sur la route, elle

s'obstine à ne me rien répondre. Mais, quoique je n'aie pas reçu ordre de la ménager plus que les autres, je ne laisse pas d'avoir quelques égards pour elle, parce qu'il me semble qu'elle vaut un peu mieux que ses compagnes. Voilà un jeune homme, ajouta l'archer qui pourrait vous instruire mieux que moi sur la cause de sa disgrâce; il l'a suivie depuis Paris, sans cesser presque un moment de pleurer Il faut que ce soit son frère ou son amant. Je me tournai vers le coin de la chambre où ce jeune

homme était assis. Il paraissait enseveli dans une rêverie profonde. Je n'ai jamais vu de plus vive image de la douleur. Il était mis fort simplement; mais on distingue, au premier coup d'œil, un homme qui a de la naissance et de l'éducation. Je m'approchai de lui. Il se leva; et je découvris dans ses yeux, dans sa figure et dans tous ses mouvements, un air si fin et si noble que je me sentis porté naturellement à lui vouloir du bien. Que je ne vous trouble point, lui dis­je, en m'asseyant près de lui. Voulez­vous bien satisfaire la curiosité que j'ai de connaître cette belle personne, qui ne me paraît point faite pour le triste état où je la vois? Il me répondit honnêtement qu'il ne pouvait

with her hands clasped, and exclaiming: "A downright barbarity!—A scene to excite horror and

compassion!" "What may this mean?" I enquired. "Oh! sir; go into the house yourself," said the woman, "and see if it is not a sight to rend your heart!" Curiosity made me dismount; and leaving my horse to the care of the ostler, I made my way with some difficulty through the crowd, and did indeed behold a scene sufficiently touching. Among the twelve girls, who were chained together by

the waist in two rows, there was one, whose whole air and figure seemed so ill­suited to her present condition, that under other circumstances I should not have hesitated to pronounce her a person of high birth. Her excessive grief, and even the wretchedness of her attire, detracted so little from her surpassing beauty, that at first sight of her I was inspired with a mingled feeling of respect and pity. She tried, as well as the chain would permit her, to turn

herself away, and hide her face from the rude gaze of the spectators. There was something so unaffected in the effort she made to escape observation, that it could but have sprung from natural and innate modesty alone. As the six men who escorted the unhappy train were

together in the room, I took the chief one aside and asked for information respecting this beautiful girl. All that he could supply was of the most vague kind. "We brought her," he said, "from the Hospital, by order of the lieutenant­general of police. There is no reason to suppose that she was shut up there for good conduct. "I have questioned her often upon the road; but she

persists in refusing even to answer me. Yet, although I received no orders to make any distinction between her and the others, I cannot help treating her differently, for she seems to me somewhat superior to her companions. Yonder is a young man," continued the archer, "who can tell you, better than I can, the cause of her misfortunes. He has followed her from Paris, and has scarcely dried his tears for a single moment. He must be either her brother or her lover." I turned towards the corner of the room, where this

young man was seated. He seemed buried in a profound reverie. Never did I behold a more affecting picture of grief. He was plainly dressed; but one may discover at the first glance a man of birth and education. As I approached him he rose, and there was so refined and noble an expression in his eyes, in his whole countenance, in his every movement, that I felt an involuntary impulse to render him any service in my power. "I am unwilling to intrude upon your sorrows," said I, taking a seat beside him, "but you will, perhaps, gratify the desire I feel to learn something about that beautiful girl, who seems little formed by nature for the miserable condition in which she is placed." He answered me candidly, that he could not

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m'apprendre qui elle était sans se faire connaître lui­même, et qu'il avait de fortes raisons pour souhaiter de demeurer inconnu. Je puis vous dire, néanmoins, ce que ces misérables n'ignorent point, continua­t­il en montrant les archers, c'est que je l'aime avec une passion si violente qu'elle me rend le plus infortuné de tous les hommes. J'ai tout employé, à Paris, pour obtenir sa liberté. Les sollicitations, l'adresse et la force m'ont été inutiles; j'ai pris le parti de la suivre, dût­elle aller au bout du monde. Je m'embarquerai avec elle; je passerai en Amérique. Mais ce qui est de la dernière inhumanité, ces lâches

coquins, ajouta­t­il en parlant des archers, ne veulent pas me permettre d'approcher d'elle. Mon dessein était de les attaquer ouvertement, à quelques lieues de Paris. Je m'étais associé quatre hommes qui m'avaient promis leur secours pour une somme considérable. Les traîtres m'ont laissé seul aux mains et sont partis avec mon argent. L'impossibilité de réussir par la force m'a fait mettre les armes bas. J'ai proposé aux archers de me permettre du moins de les suivre en leur offrant de les récompenser. Le désir du gain les y a fait consentir. Ils ont voulu être payés chaque fois qu'ils m'ont accordé la liberté de parler à ma maîtresse. Ma bourse s'est épuisée en peu de temps, et maintenant que je suis sans un sou, ils ont la barbarie de me repousser brutalement lorsque je fais un pas vers elle. Il n'y a qu'un instant, qu'ayant osé m'en approcher malgré leurs menaces, ils ont eu l'insolence de lever contre moi le bout du fusil. Je suis obligé, pour satisfaire leur avarice et pour me mettre en état de continuer la route à pied, de vendre ici un mauvais cheval qui m'a servi jusqu'à présent de monture. Quoiqu'il parût faire assez tranquillement ce récit, il

laissa tomber quelques larmes en le finissant. Cette aventure me parut des plus extraordinaires et des plus touchantes. Je ne vous presse pas, lui dis­je, de me découvrir le secret de vos affaires, mais, si je puis vous être utile à quelque chose, je m'offre volontiers à vous rendre service. Hélas! reprit­il, je ne vois pas le moindre jour à l'espérance. Il faut que je me soumette à toute la rigueur de mon sort. J'irai en Amérique. J'y serai du moins libre avec ce que j'aime. J'ai écrit à un de mes amis qui me fera tenir quelque secours au Havre­de­Grâce. Je ne suis embarrassé que pour m'y conduire et pour procurer à cette pauvre créature, ajouta­t­il en regardant tristement sa maîtresse, quelque soulagement sur la route. Hé bien, lui dis­je, je vais finir votre embarras. Voici quelque argent que je vous prie d'accepter. Je suis fâché de ne pouvoir vous servir autrement. Je lui donnai quatre louis d'or, sans que les gardes s'en

aperçussent, car je jugeais bien que, s'ils lui savaient cette somme, ils lui vendraient plus chèrement leurs secours. Il me vint même à l'esprit de faire marché avec eux pour obtenir au jeune amant la liberté de parler continuellement à sa maîtresse jusqu'au Havre. Je fis signe au chef de s'approcher, et je lui en fis la proposition. Il en parut honteux, malgré son effronterie. Ce n'est pas, monsieur, répondit­il d'un air embarrassé, que nous refusions de le laisser parler à cette fille, mais il voudrait

communicate her history without making himself known, and that he had urgent reasons for preserving his own incognito. "I may, however, tell you this much, for it is no longer a secret to these wretches," he continued, pointing to the guards,—"that I adore her with a passion so ardent and absorbing as to render me the most unhappy of human beings. I tried every means at Paris to effect her liberty. Petitions, artifice, force—all failed. Go where she may, I have resolved to follow her—to the extremity of the world. I shall embark with her and cross to America. "But think of the brutal inhumanity of these cowardly

ruffians," he added, speaking of the guards; "they will not allow me to approach her! I had planned an open attack upon them some leagues from Paris; having secured, as I thought, the aid of four men, who for a considerable sum hired me their services. The traitors, however, left me to execute my scheme single­handed, and decamped with my money. The impossibility of success made me of course abandon the attempt, I then implored of the guards permission to follow in their train, promising them a recompense. The love of money procured their consent; but as they required payment every time I was allowed to speak to her, my purse was speedily emptied; and now that I am utterly penniless, they are barbarous enough to repulse me brutally, whenever I make the slightest attempt to approach her. It is but a moment since, that venturing to do so, in spite of their threats, one of the fellows raised the butt­end of his musket. I am now driven by their exactions to dispose of the miserable horse that has brought me hither, and am preparing to continue the journey on foot." Although he seemed to recite this story tranquilly

enough, I observed the tears start to his eyes as he concluded. This adventure struck me as being not less singular than it was affecting. "I do not press you," said I to him, "to make me the confidant of your secrets; but if I can be of use to you in any way, I gladly tender you my services." "Alas!" replied he, "I see not the slightest ray of hope. I must reconcile myself to my destiny in all its rigour. I shall go to America: there, at least, I may be free to live with her I love. I have written to a friend, who will send me money to Havre­de­Grace. My only difficulty is to get so far, and to supply that poor creature," added he, as he cast a look of sorrow at his mistress, "with some few comforts upon the way." "Well!" said I to him, "I shall relieve you from that difficulty. Here is some money, of which I entreat your acceptance: I am only sorry that I can be of no greater service to you." I gave him four louis­d'ors without being perceived by

the guards; for I thought that if they knew he had this money, they might have raised the price of their concessions. It occurred to me, even, to come to an understanding with them, in order to secure for the young man the privilege of conversing with his mistress, during the rest of the journey to Havre, without hindrance. I beckoned the chief to approach, and made the proposition to him. It seemed to abash the ruffian, in spite of his habitual effrontery. "It is not, sir," said he, in an

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être sans cesse auprès d'elle; cela nous est incommode; il est bien juste qu'il paye pour l'incommodité. Voyons donc, lui dis­je, ce qu'il faudrait pour vous empêcher de la sentir. Il eut l'audace de me demander deux louis. Je les lui donnai sur­le­champ: Mais prenez garde, lui dis­je, qu'il ne vous échappe quelque friponnerie; car je vais laisser mon adresse à ce jeune homme, afin qu'il puisse m'en informer, et comptez que j'aurai le pouvoir de vous faire punir. Il m'en coûta six louis d'or. La bonne grâce et la vive reconnaissance avec laquelle

ce jeune inconnu me remercia, achevèrent de me persuader qu'il était né quelque chose, et qu'il méritait ma libéralité. Je dis quelques mots à sa maîtresse avant que de sortir. Elle me répondit avec une modestie si douce et si charmante, que je ne pus m'empêcher de faire, en sortant, mille réflexions sur le caractère incompréhensible des femmes. Étant retourné à ma solitude, je ne fus point informé

de la suite de cette aventure. Il se passa près de deux ans, qui me la firent oublier tout à fait, jusqu'à ce que le hasard me fît renaître l'occasion d'en apprendre à fond toutes les circonstances. J'arrivais de Londres à Calais, avec le marquis de...,

mon élève. Nous logeâmes, si je m'en souviens bien, au Lion d'Or, où quelques raisons nous obligèrent de passer le jour entier et la nuit suivante. En marchant l'après­midi dans les rues, je crus apercevoir ce même jeune homme dont j'avais fait la rencontre à Pacy Il était en fort mauvais équipage, et beaucoup plus pâle que je ne l'avais vu la première fois. Il portait sur le bras un vieux portemanteau, ne faisant qu'arriver dans la ville. Cependant, comme il avait la physionomie trop belle pour n'être pas reconnu facilement, je le remis aussitôt. Il faut, dis­je au marquis, que nous abordions ce jeune homme. Sa joie fut plus vive que toute expression, lorsqu'il

m'eut remis à son tour. Ah! monsieur, s'écria­t­il en me baisant la main, je puis

donc encore une fois vous marquer mon immortelle reconnaissance! Je lui demandai d'où il venait. Il me répondit qu'il arrivait, par mer, du Havre­de­Grâce, où il était revenu de l'Amérique peu auparavant. Vous ne me paraissez pas fort bien en argent, lui dis­je. Allez­vous­en au Lion d'Or, où je suis logé. Je vous rejoindrai dans un moment. J'y retournai en effet, plein d'impatience d'apprendre

le détail de son infortune et les circonstances de son voyage d'Amérique. Je lui fis mille caresses, et j'ordonnai qu'on ne le laissât manquer de rien. Il n'attendit point que je le pressasse de me raconter l'histoire de sa vie. Monsieur, me dit­il, vous en usez si noblement avec moi, que je me reprocherais, comme une basse ingratitude,

embarrassed tone, "that we refuse to let him speak to the girl, but he wishes to be always near her, which puts us to inconvenience; and it is just that we should be paid for the trouble he occasions." "Let us see!" said I to him, "what would suffice to prevent you from feeling the inconvenience?" He had the audacity to demand two louis. I gave them to him on the spot. "But have a care," said I to him, "that we have no foul play: for I shall give the young man my address, in order that he may write to me on his arrival; and be assured that I am not without the power to punish you." It cost me altogether six louis­d'ors. The graceful manner and heartfelt gratitude with

which the young unknown thanked me, confirmed my notion that he was of good birth and merited my kindness. I addressed a few words to his mistress before I left the room. She replied to me with a modesty so gentle and so charming that I could not help making, as I went out, a thousand reflections upon the incomprehensible character of women. Returned to my retreat, I remained in ignorance of the

result of this adventure; and ere two years had passed, it was completely blotted from my recollection, when chance brought me an opportunity of learning all the circumstances from beginning to end. I arrived at Calais, from London, with my pupil, the

Marquis of ——. We lodged, if I remember rightly, at the "Golden Lion," where, for some reason, we were obliged to spend the following day and night. Walking along the streets in the afternoon, I fancied I saw the same young man whom I had formerly met at Passy. He was miserably dressed, and much paler than when I first saw him. He carried on his arm an old portmanteau, having only just arrived in the town. However, there was an expression in his countenance too amiable not to be easily recognised, and which immediately brought his features to my recollection. "Observe that young man," said I to the Marquis; "we must accost him." His joy was beyond expression when, in his turn, he

recognised me. "Ah, sir!" he cried, kissing my hand, "I have then once

again an opportunity of testifying my eternal gratitude to you!" I enquired of him whence he came. He replied, that he had just arrived, by sea, from Havre, where he had lately landed from America. "You do not seem to be too well off for money," said I to him; "go on to the 'Golden Lion,' where I am lodging; I will join you in a moment." I returned, in fact, full of impatience to learn the

details of his misfortunes, and the circumstances of his voyage to America. I gave him a thousand welcomes, and ordered that they should supply him with everything he wanted. He did not wait to be solicited for the history of his life. "Sir," said he to me, "your conduct is so generous, that I should consider it base ingratitude to maintain any

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d'avoir quelque chose de réservé pour vous. Je veux vous apprendre, non seulement mes malheurs et mes peines, mais encore mes désordres et mes plus honteuses faiblesses. Je suis sûr qu'en me condamnant, vous ne pourrez pas vous empêcher de me plaindre. Je dois avertir ici le lecteur que j'écrivis son histoire

presque aussitôt après l'avoir entendue, et qu'on peut s'assurer par conséquent, que rien n'est plus exact et plus fidèle que cette narration. Je dis fidèle jusque dans la relation des réflexions et des sentiments que le jeune aventurier exprimait de la meilleure grâce du monde. Voici donc son récit, auquel je ne mêlerai, jusqu'à la fin, rien qui ne soit de lui. J'avais dix­sept ans, et j'achevais mes études de

philosophie à Amiens, où mes parents, qui sont d'une des meilleures maisons de P., m'avaient envoyé. Je menais une vie si sage et si réglée, que mes maîtres me proposaient pour l'exemple du collège. Non que je fisse des efforts extraordinaires pour mériter cet éloge, mais j'ai l'humeur naturellement douce et tranquille: je m'appliquais à l'étude par inclination, et l'on me comptait pour des vertus quelques marques d'aversion naturelle pour le vice. Ma naissance, le succès de mes études et quelques agréments extérieurs m'avaient fait connaître et estimer de tous les honnêtes gens de la ville. J'achevai mes exercices publics avec une approbation

si générale, que Monsieur l'Évêque, qui y assistait, me proposa d'entrer dans l'état ecclésiastique, où je ne manquerais pas, disait­il, de m'attirer plus de distinction que dans l'ordre de Malte, auquel mes parents me destinaient. Ils me faisaient déjà porter la croix, avec le nom de chevalier des Grieux. Les vacances arrivant, je me préparais à retourner chez mon père, qui m'avait promis de m'envoyer bientôt à l'Académie. Mon seul regret, en quittant Amiens, était d'y laisser

un ami avec lequel j'avais toujours été tendrement uni. Il était de quelques années plus âgé que moi. Nous avions été élevés ensemble, mais le bien de sa maison étant des plus médiocres, il était obligé de prendre l'état ecclésiastique, et de demeurer à Amiens après moi, pour y faire les études qui conviennent à cette profession. Il avait mille bonnes qualités. Vous le connaîtrez par les meilleures dans la suite de mon histoire, et surtout, par un zèle et une générosité en amitié qui surpassent les plus célèbres exemples de l'antiquité. Si j'eusse alors suivi ses conseils, j'aurais toujours été sage et heureux. Si j'avais, du moins, profité de ses reproches dans le précipice où

reserve towards you. You shall learn not only my misfortunes and sufferings, but my faults and most culpable weaknesses. I am sure that, even while you blame me, you will not refuse me your sympathy." I should here inform the reader that I wrote down the

story almost immediately after hearing it; and he may, therefore, be assured of the correctness and fidelity of the narrative. I use the word fidelity with reference to the substance of reflections and sentiments, which the young man conveyed in the most graceful language. Here, then, is his story, which in its progress I shall not encumber with a single observation that was not his own.

(retour) II

I loved Ophelia! forty thousand brothers Could not, with all their quantity of love,

Make up my sum. SHAKESPEARE.

"I was seventeen years old, and was finishing my

studies at Amiens, whither my parents, who belonged to one of the first families in Picardy, had sent me. I led a life so studious and well regulated, that my masters pointed to me as a model of conduct for the other scholars. Not that I made any extraordinary efforts to acquire this reputation, but my disposition was naturally tractable and tranquil; my inclinations led me to apply to study; and even the natural dislike I felt for vice was placed to my credit as positive proof of virtue. The successful progress of my studies, my birth, and some external advantages of person, made me a general favourite with the inhabitants of the town. "I completed my public exercises with such general

approbation, that the bishop of the diocese, who was present, proposed to me to enter the church, where I could not fail, he said, to acquire more distinction than in the Order of Malta, for which my parents had destined me. I was already decorated with the Cross, and called the Chevalier des Grieux. The vacation having arrived, I was preparing to return to my father, who had promised to send me soon to the Academy. "My only regret on quitting Amiens arose from parting

with a friend, some years older than myself, to whom I had always been tenderly attached. We had been brought up together; but from the straitened circumstances of his family, he was intended to take orders, and was to remain after me at Amiens to complete the requisite studies for his sacred calling. He had a thousand good qualities. You will recognise in him the very best during the course of my history, and above all, a zeal and fervour of friendship which surpass the most illustrious examples of antiquity. If I had at that time followed his advice, I should have always continued a discreet and happy man. If I had even taken counsel from his reproaches, when on the brink of

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mes passions m'ont entraîné, j'aurais sauvé quelque chose du naufrage de ma fortune et de ma réputation. Mais il n'a point recueilli d'autre fruit de ses soins que le chagrin de les voir inutiles et, quelquefois, durement récompensés par un ingrat qui s'en offensait, et qui les traitait d'importunités. J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens.

Hélas! que ne le marquais­je un jour plus tôt! j'aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville,

étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n'avions pas d'autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi, dis­je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. J'avais le défaut d'être excessivement timide et facile à déconcerter; mais loin d'être arrêté alors par cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut

mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l'amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu'elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu'il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d'une manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir qui s'était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens. Je combattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon éloquence scolastique purent me suggérer Elle n'affecta ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un moment de silence, qu'elle ne prévoyait que trop qu'elle allait être malheureuse, mais que c'était apparemment la volonté du Ciel, puisqu'il ne lui laissait nul moyen de l'éviter La douceur de ses regards, un air charmant de tristesse en prononçant ces paroles, ou plutôt, l'ascendant de ma destinée qui m'entraînait à ma perte, ne me permirent pas de balancer un moment sur ma réponse. Je l'assurai que, si elle voulait faire quelque fond sur mon honneur et sur la tendresse infinie qu'elle m'inspirait déjà, j'emploierais ma vie pour la délivrer de la tyrannie de ses parents, et pour

that gulf into which my passions afterwards plunged me, I should have been spared the melancholy wreck of both fortune and reputation. But he was doomed to see his friendly admonitions disregarded; nay, even at times repaid by contempt from an ungrateful wretch, who often dared to treat his fraternal conduct as offensive and officious. "I had fixed the day for my departure from Amiens.

Alas! that I had not fixed it one day sooner! I should then have carried to my father's house my innocence untarnished. "The very evening before my expected departure, as I

was walking with my friend, whose name was Tiberge, we saw the Arras diligence arrive, and sauntered after it to the inn, at which these coaches stop. We had no other motive than curiosity. Some worn men alighted, and immediately retired into the inn. One remained behind: she was very young, and stood by herself in the court, while a man of advanced age, who appeared to have charge of her, was busy in getting her luggage from the vehicle. She struck me as being so extremely beautiful, that I, who had never before thought of the difference between the sexes, or looked on woman with the slightest attention—I, whose conduct had been hitherto the theme of universal admiration, felt myself, on the instant, deprived of my reason and self­control. I had been always excessively timid, and easily disconcerted; but now, instead of meeting with any impediment from this weakness, I advanced without the slightest reserve towards her, who had thus become, in a moment, the mistress of my heart. "Although younger than myself, she received my

civilities without embarrassment. I asked the cause of her journey to Amiens, and whether she had any acquaintances in the town. She ingenuously told me that she had been sent there by her parents, to commence her novitiate for taking the veil. Love had so quickened my perception, even in the short moment it had been enthroned, that I saw in this announcement a death­blow to my hopes. I spoke to her in a way that made her at once understand what was passing in my mind; for she had more experience than myself. It was against her consent that she was consigned to a convent, doubtless to repress that inclination for pleasure which had already become too manifest, and which caused, in the sequel, all her misfortunes and mine. I combated the cruel intention of her parents with all the arguments that my new­born passion and schoolboy eloquence could suggest. She affected neither austerity nor reserve. She told me, after a moment's silence, that she foresaw too clearly, what her unhappy fate must be; but that it was, apparently, the will of Heaven, since there were no means left her to avert it. The sweetness of her look, the air of sorrow with which she pronounced these words, or rather perhaps the controlling destiny which led me on to ruin, allowed me not an instant to weigh my answer. I assured her that if she would place reliance on my honour, and on the tender interest with which she had already inspired me, I would

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la rendre heureuse. Je me suis étonné mille fois, en y réfléchissant, d'où me venait alors tant de hardiesse et de facilité à m'exprimer; mais on ne ferait pas une divinité de l'amour, s'il n'opérait souvent des prodiges. J'ajoutai mille choses pressantes. Ma belle inconnue

savait bien qu'on n'est point trompeur à mon âge; elle me confessa que, si je voyais quelque jour à la pouvoir mettre en liberté, elle croirait m'être redevable de quelque chose de plus cher que la vie. Je lui répétai que j'étais prêt à tout entreprendre, mais, n'ayant point assez d'expérience pour imaginer tout d'un coup les moyens de la servir je m'en tenais à cette assurance générale, qui ne pouvait être d'un grand secours pour elle et pour moi. Son vieil Argus étant venu nous rejoindre, mes espérances allaient échouer si elle n'eût eu assez d'esprit pour suppléer à la stérilité du mien. Je fus surpris, à l'arrivée de son conducteur qu'elle m'appelât son cousin et que, sans paraître déconcertée le moins du monde, elle me dît que, puisqu'elle était assez heureuse pour me rencontrer à Amiens, elle remettait au lendemain son entrée dans le couvent, afin de se procurer le plaisir de souper avec moi. J'entrai fort bien dans le sens de cette ruse. Je lui proposai de se loger dans une hôtellerie, dont le maître, qui s'était établi à Amiens, après avoir été longtemps cocher de mon père, était dévoué entièrement à mes ordres. Je l'y conduisis moi­même, tandis que le vieux

conducteur paraissait un peu murmurer et que mon ami Tiberge, qui ne comprenait rien à cette scène, me suivait sans prononcer une parole. Il n'avait point entendu notre entretien. Il était demeuré à se promener dans la cour pendant que je parlais d'amour à ma belle maîtresse. Comme je redoutais sa sagesse, je me défis de lui par une commission dont je le priai de se charger Ainsi j'eus le plaisir, en arrivant à l'auberge, d'entretenir seul la souveraine de mon cœur. Je reconnus bientôt que j'étais moins enfant que je ne

le croyais. Mon cœur s'ouvrit à mille sentiments de plaisir dont je n'avais jamais eu l'idée. Une douce chaleur se répandit dans toutes mes veines. J'étais dans une espèce de transport, qui m'ôta pour quelque temps, la liberté de la voix et qui ne s'exprimait que par mes yeux. Mademoiselle Manon Lescaut, c'est ainsi qu'elle me dit

qu'on la nommait, parut fort satisfaite de cet effet de ses charmes. Je crus apercevoir qu'elle n'était pas moins émue que moi. Elle me confessa qu'elle me trouvait aimable et qu'elle serait ravie de m'avoir obligation de sa liberté. Elle voulut savoir qui j'étais, et cette connaissance augmenta son affection, parce qu'étant d'une naissance commune, elle se trouva flattée d'avoir fait la conquête d'un amant tel que moi. Nous nous entretînmes des moyens d'être l'un à l'autre.

sacrifice my life to deliver her from the tyranny of her parents, and to render her happy. I have since been a thousand times astonished in reflecting upon it, to think how I could have expressed myself with so much boldness and facility; but love could never have become a divinity, if he had not often worked miracles. "I made many other pressing and tender speeches; and

my unknown fair one was perfectly aware that mine was not the age for deceit. She confessed to me that if I could see but a reasonable hope of being able to effect her enfranchisement, she should deem herself indebted for my kindness in more than life itself could pay. I repeated that I was ready to attempt anything in her behalf; but, not having sufficient experience at once to imagine any reasonable plan of serving her, I did not go beyond this general assurance, from which indeed little good could arise either to her or to myself. Her old guardian having by this time joined us, my hopes would have been blighted, but that she had tact enough to make amends for my stupidity. I was surprised, on his approaching us, to hear her call me her cousin, and say, without being in the slightest degree disconcerted, that as she had been so fortunate as to fall in with me at Amiens, she would not go into the convent until the next morning, in order to have the pleasure of meeting me at supper. Innocent as I was, I at once comprehended the meaning of this ruse; and proposed that she should lodge for the night at the house of an innkeeper, who, after being many years my father's coachman, had lately established himself at Amiens, and who was sincerely attached to me. "I conducted her there myself, at which the old Argus

appeared to grumble a little; and my friend Tiberge, who was puzzled by the whole scene, followed, without uttering a word. He had not heard our conversation, having walked up and down the court while I was talking of love to my angelic mistress. As I had some doubts of his discretion, I got rid of him, by begging that he would execute a commission for me. I had thus the happiness, on arriving at the inn, of entertaining alone the sovereign of my heart. "I soon learned that I was less a child than I had before

imagined. My heart expanded to a thousand sentiments of pleasure, of which I had not before the remotest idea. A delicious consciousness of enjoyment diffused itself through my whole mind and soul. I sank into a kind of ecstasy, which deprived me for a time of the power of utterance, and which found vent only in a flood of tears. "Manon Lescaut (this she told me was her name)

seemed gratified by the visible effect of her own charms. She appeared to me not less excited than myself. She acknowledged that she was greatly pleased with me, and that she should be enchanted to owe to me her freedom and future happiness. She would insist on hearing who I was, and the knowledge only augmented her affection; for, being herself of humble birth, she was flattered by securing for her lover a man of family.

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Après, quantité de réflexions, nous ne trouvâmes point

d'autre voie que celle de la fuite. Il fallait tromper la vigilance du conducteur, qui était un homme à ménager quoiqu'il ne fût qu'un domestique. Nous réglâmes que je ferais préparer pendant la nuit une chaise de poste, et que je reviendrais de grand matin à l'auberge avant qu'il fût éveillé; que nous nous déroberions secrètement, et que nous irions droit à Paris, où nous nous ferions marier en arrivant. J'avais environ cinquante écus, qui étaient le fruit de mes petites épargnes; elle en avait à peu près le double. Nous nous imaginâmes, comme des enfants sans expérience, que cette somme ne finirait jamais, et nous ne comptâmes pas moins sur le succès de nos autres mesures. Après avoir soupé avec plus de satisfaction que je n'en

avais jamais ressenti, je me retirai pour exécuter notre projet. Mes arrangements furent d'autant plus faciles, qu'ayant eu dessein de retourner le lendemain chez mon père, mon petit équipage était déjà préparé. Je n'eus donc nulle peine à faire transporter ma malle, et à faire tenir une chaise prête pour cinq heures du matin, qui étaient le temps où les portes de la ville devaient être ouvertes; mais je trouvai un obstacle dont je ne me défiais point, et qui faillit de rompre entièrement mon dessein. Tiberge, quoique âgé seulement de trois ans plus que

moi, était un garçon d'un sens mûr et d'une conduite fort réglée. Il m'aimait avec une tendresse extraordinaire. La vue d'une aussi jolie fille que Mademoiselle Manon, mon empressement à la conduire, et le soin que j'avais eu de me défaire de lui en l'éloignant, lui firent naître quelques soupçons de mon amour Il n'avait osé revenir à l'auberge, où il m'avait laissé, de peur de m'offenser par son retour; mais il était allé m'attendre à mon logis, où je le trouvai en arrivant, quoiqu'il fût dix heures du soir. Sa présence me chagrina. Il s'aperçut facilement de la contrainte qu'elle me causait. Je suis sûr me dit­il sans déguisement, que vous méditez quelque dessein que vous me voulez cacher; je le vois à votre air. Je lui répondis assez brusquement que je n'étais pas obligé de lui rendre compte de tous mes desseins. Non, reprit­il, mais vous m'avez toujours traité en ami, et cette qualité suppose un peu de confiance et d'ouverture. Il me pressa si fort et si longtemps de lui découvrir mon secret, que, n'ayant jamais eu de réserve avec lui, je lui fis l'entière confidence de ma passion. Il la reçut avec une apparence de mécontentement qui me fit frémir. Je me repentis surtout de l'indiscrétion avec laquelle je lui avais découvert le dessein de ma fuite. Il me dit qu'il était trop parfaitement mon ami pour ne pas s'y opposer de tout son pouvoir; qu'il voulait me représenter d'abord tout ce qu'il croyait capable de m'en détourner mais que, si je ne renonçais pas ensuite à cette misérable résolution, il avertirait des personnes qui pourraient l'arrêter à coup sûr Il me tint là­dessus un discours sérieux qui dura plus d'un quart d'heure, et qui finit encore par la menace de me dénoncer si je ne lui donnais ma parole de me conduire avec plus de sagesse et de raison.

"After many reflections we could discover no other

resource than in flight. To effect this it would be requisite to cheat the vigilance of Manon's guardian, who required management, although he was but a servant. We determined, therefore, that, during the night, I should procure a post­chaise, and return with it at break of day to the inn, before he was awake; that we should steal away quietly, and go straight to Paris, where we might be married on our arrival. I had about fifty crowns in my pocket, the fruit of my little savings at school; and she had about twice as much. We imagined, like inexperienced children, that such a sum could never be exhausted, and we counted, with equal confidence, upon the success of our other schemes. "After having supped, with certainly more satisfaction

than I had ever before experienced, I retired to prepare for our project. All my arrangements were the more easy, because, for the purpose of returning on the morrow to my father's, my luggage had been already packed. I had, therefore, no difficulty in removing my trunk, and having a chaise prepared for five o'clock in the morning, at which hour the gates of the town would be opened; but I encountered an obstacle which I was little prepared for, and which nearly upset all my plans. "Tiberge, although only three years older than myself,

was a youth of unusually strong mind, and of the best regulated conduct. He loved me with singular affection. The sight of so lovely a girl as Manon, my ill­disguised impatience to conduct her to the inn, and the anxiety I betrayed to get rid of him, had excited in his mind some suspicions of my passion. He had not ventured to return to the inn where he had left me, for fear of my being annoyed at his doing so; but went to wait for me at my lodgings, where, although it was ten o'clock at night, I found him on my arrival. His presence annoyed me, and he soon perceived the restraint which it imposed. 'I am certain,' he said to me, without any disguise, 'that you have some plan in contemplation which you will not confide to me; I see it by your manner.' I answered him rather abruptly, that I was not bound to render him an account of all my movements. 'Certainly not!' he replied; 'but you have always, hitherto, treated me as a friend, and that appellation implies a certain degree of confidence and candour.' He pressed me so much and so earnestly to discover my secret, that, having never up to that moment felt the slightest reserve towards him, I confided to him now the whole history of my passion. He heard it with an appearance of disapprobation, which made me tremble; and I immediately repented of my indiscretion, in telling him of my intended elopement. He told me he was too sincerely my friend not to oppose every obstacle in his power to such a scheme; that he would first try all other means of turning me from such a purpose, but that if I refused to renounce so fatal a resolution, he assuredly would inform some persons of my intention, who would be able to defeat it. He held forth upon the subject for a full quarter of an hour, in the most serious tone, and ended by again threatening to inform against me, if I did

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J'étais au désespoir de m'être trahi si mal à propos.

Cependant, l'amour m'ayant ouvert extrêmement l'esprit depuis deux ou trois heures, je fis attention que je ne lui avais pas découvert que mon dessein devait s'exécuter le lendemain, et je résolus de le tromper à la faveur d'une équivoque: Tiberge, lui dis­je, j'ai cru jusqu'à présent que vous

étiez mon ami, et j'ai voulu vous éprouver par cette confidence, il est vrai que j'aime, je ne vous ai pas trompé, mais, pour ce qui regarde ma fuite, ce n'est point une entreprise à former au hasard. Venez me prendre demain à neuf heures, je vous ferai voir s'il se peut, ma maîtresse, et vous jugerez si elle mérite que je fasse cette démarche pour elle. Il me laissa seul, après mille protestations d'amitié. J'employai la nuit à mettre ordre à mes affaires, et

m'étant rendu à l'hôtellerie de Mademoiselle Manon vers la pointe du jour je la trouvai qui m'attendait. Elle était à sa fenêtre, qui donnait sur la rue, de sorte que, m'ayant aperçu, elle vint m'ouvrir elle­même. Nous sortîmes sans bruit. Elle n'avait point d'autre équipage que son linge, dont je me chargeai moi­même. La chaise était en état de partir; nous nous éloignâmes aussitôt de la ville. Je rapporterai, dans la suite, quelle fut la conduite de

Tiberge, lorsqu'il s'aperçut que je l'avais trompé. Son zèle n'en devint pas moins ardent. Vous verrez à quel excès il le porta, et combien je devrais verser de larmes en songeant quelle en atoujours été la récompense. Nous nous hâtâmes tellement d'avancer que nous

arrivâmes à Saint­Denis avant la nuit. J'avais couru à cheval à côté de la chaise, ce qui ne nous avait guère permis de nous entretenir qu'en changeant de chevaux; mais lorsque nous nous vîmes si proche de Paris, c'est­à­dire presque en sûreté, nous prîmes le temps de nous rafraîchir, n'ayant rien mangé depuis notre départ d'Amiens. Quelque passionné que je fusse pour Manon, elle sut me persuader qu'elle ne l'était pas moins pour moi. Nous étions si peu réservés dans nos caresses, que nous n'avions pas la patience d'attendre que nous fussions seuls. Nos postillons et nos hôtes nous regardaient avec admiration, et je remarquais qu'ils étaient surpris de voir deux enfants de notre âge, qui paraissaient s'aimer jusqu'à la fureur. Nos projets de mariage furent oubliés à Saint­Denis;

nous fraudâmes les droits de l'Église, et nous nous trouvâmes époux sans y avoir fait réflexion. Il est sûr que, du naturel tendre et constant dont je suis, j'étais heureux pour toute ma vie, si Manon m'eût été fidèle. Plus je la connaissais, plus je découvrais en elle de nouvelles qualités aimables. Son esprit, son cœur sa douceur et sa beauté formaient une chaîne si forte et si charmante, que

not pledge him my word that I would return to the paths of discretion and reason. "I was in despair at having so awkwardly betrayed

myself. However, love having wonderfully sharpened my intellect during the last two or three hours, I recollected that I had not yet told him of its being my intention to execute my project on the following morning, and I at once determined to deceive him by a little equivocation. "'Tiberge,' said I to him, 'up to the present moment I

thought you were my friend; and I wished to prove it by the test of confidence. It is true, I am in love; I have not deceived you: but with regard to my flight, that is a project not to be undertaken without deliberation. Call for me tomorrow at nine o'clock: you shall see my mistress, if it be possible, and then judge whether she is not worthy of any risk or sacrifice on my part.' He left me, with a thousand protestations of friendship. "I employed the night in preparing for the journey, and

on repairing to the inn at early dawn, I found Manon waiting my arrival. She was at her window, which looked upon the street, and perceiving my approach, she came down and opened the door herself. We took our departure silently, and without creating the least alarm. She merely brought away a small portion of her apparel, of which I took charge. The chaise was in readiness, and we were soon at a distance from the town. "You will learn in the sequel what was the conduct of

Tiberge when he discovered that I had deceived him; that his zeal to serve me suffered no diminution; and you will observe to what lengths his devotion carried him. How ought I to grieve, when I reflect on the base ingratitude with which his affection was always repaid! "We made such speed on our journey that before night

we reached St. Denis. I rode alongside of the chaise, which gave us little opportunity for conversation, except while changing horses; but when we found ourselves so near Paris, and out of the reach of danger, we allowed ourselves time for refreshment, not having tasted food since we quitted Amiens. Passionately in love as I felt with Manon, she knew how to convince me that she was equally so with me. So little did we restrain our fondness, that we had not even patience to reserve our caresses till we were alone. The postilions and innkeepers stared at us with wonder, and I remarked that they appeared surprised at such uncontrollable love in children of our age. "Our project of marriage was forgotten at St. Denis; we

defrauded the Church of her rights; and found ourselves united as man and wife without reflecting on the consequences. It is certain that with my easy and constant disposition, I should have been happy for my whole life, if Manon had remained faithful to me. The more I saw of her, the more I discovered in her new perfections. Her mind, her heart, her gentleness and beauty, formed a

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j'aurais mis tout mon bonheur à n'en sortir jamais. Terrible changement! Ce qui fait mon désespoir a pu faire ma félicité. Je me trouve le plus malheureux de tous les hommes, par cette même constance dont je devais attendre le plus doux de tous les sorts, et les plus parfaites récompenses de l'amour. Nous prîmes un appartement meublé à Paris. Ce fut

dans la rue V... et, pour mon malheur auprès de la maison de M. de B..., célèbre fermier général. Trois semaines se passèrent, pendant lesquelles j'avais été si rempli de ma passion que j'avais peu songé à ma famille et au chagrin que mon père avait dû ressentir de mon absence. Cependant, comme la débauche n'avait nulle part à ma conduite, et que Manon se comportait aussi avec beaucoup de retenue, la tranquillité où nous vivions servit à me faire rappeler peu à peu l'idée de mon devoir. Je résolus de me réconcilier, s'il était possible, avec

mon père. Ma maîtresse était si aimable que je ne doutai point qu'elle ne pût lui plaire, si je trouvais moyen de lui faire connaître sa sagesse et son mérite: en un mot, je me flattai d'obtenir de lui la liberté de l'épouser ayant été désabusé de l'espérance de le pouvoir sans son consentement. Je communiquai ce projet à Manon, et je lui fis entendre qu'outre les motifs de l'amour et du devoir celui de la nécessité pouvait y entrer aussi pour quelque chose, car nos fonds étaient extrêmement altérés, et je commençais à revenir de l'opinion qu'ils étaient inépuisables. Manon reçut froidement cette proposition. Cependant,

les difficultés qu'elle y opposa n'étant prises que de sa tendresse même et de la crainte de me perdre, si mon père n'entrait point dans notre dessein après avoir connu le lieu de notre retraite, je n'eus pas le moindre soupçon du coup cruel qu'on se préparait à me porter. À l'objection de la nécessité, elle répondit qu'il nous restait encore de quoi vivre quelques semaines, et qu'elle trouverait, après cela, des ressources dans l'affection de quelques parents à qui elle écrirait en province. Elle adoucit son refus par des caresses si tendres et si passionnées, que moi, qui ne vivais que dans elle, et qui n'avais pas la moindre défiance de son cœur, j'applaudis à toutes ses réponses et à toutes ses résolutions. Je lui avais laissé la disposition de notre bourse, et le

soin de payer notre dépense ordinaire. Je m'aperçus, peu après, que notre table était mieux servie, et qu'elle s'était donné quelques ajustements d'un prix considérable. Comme je n'ignorais pas qu'il devait nous rester à peine douze ou quinze pistoles, je lui marquai mon étonnement de cette augmentation apparente de notre opulence. Elle me pria, en riant, d'être sans embarras. Ne vous ai­je pas promis, me dit­elle, que je trouverais des ressources? Je l'aimais avec trop de simplicité pour m'alarmer

chain at once so binding and so agreeable, that I could have found perfect happiness in its enduring influence. Terrible fatality? that which has been the source of my despair, might, under a slight change of circumstances, have constituted my happiness. I find myself the most wretched of mankind, by the force of that very constancy from which I might have fairly expected to derive the most serene of human blisses, and the most perfect recompense of love. "We took a furnished apartment at Paris, in the Rue

V——, and, as it afterwards turned out, to my sorrow, close to the house of M. de B——, the famous Fermier­general. Three weeks passed, during which I was so absorbed in my passion, that I never gave a thought to my family, nor dreamed of the distress which my father probably felt at my absence. However, as there was yet nothing of profligacy about me, and as Manon conducted herself with the strictest propriety, the tranquil life we led served to restore me by degrees to a sense of duty. "I resolved to effect, if possible, a reconciliation with

my parent. My mistress was to me so perfectly lovable, that I could not a doubt her power of captivating my father, if I could only find the means of making him acquainted with her good conduct and merit. In a word, I relied on obtaining his consent to our marriage, having given up all idea of accomplishing it without his approval. I mentioned the project to Manon, and explained to her that, besides every motive of filial love and duty, the weightier one of necessity should also have some influence; for our finances were sadly reduced, and I began to see the folly of thinking them, as I once did, inexhaustible. "Manon received the proposition with considerable

coldness. However, the difficulties she made, being apparently the suggestions of tenderness alone, or as arising from the natural fear of losing me, if my father, after learning our address, should refuse his assent to our union, I had not the smallest suspicion of the cruel blow she was at the very time preparing to inflict. As to the argument of necessity, she replied that we had still abundant means of living for some weeks longer, and that she would then find a resource in the kindness of some relations in the country, to whom she should write. She tempered her opposition by caresses so tender and impassioned, that I, who lived only for her, and who never had the slightest misgiving as to her love, applauded at once her arguments and her resolutions. "To Manon I had committed the care of our finances,

and the house­hold arrangements. In a short time, I observed that our style of living was improved, and that she had treated herself to more expensive dresses. As I calculated that we could hardly have at this period more than fifteen or twenty crowns remaining, I did not conceal my surprise at this mysterious augmentation of our wealth. She begged of me, with a smile, to give myself no trouble on that head. 'Did I not promise you,' said she, 'that I would find resources?' I loved her too purely to

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facilement. Un jour que j'étais sorti l'après­midi, et que je l'avais

avertie que je serais dehors plus longtemps qu'à l'ordinaire, je fus étonné qu'à mon retour on me fît attendre deux ou trois minutes à la porte. Nous n'étions servis que par une petite bonne qui était à peu près de notre âge. Étant venue m'ouvrir je lui demandai pourquoi elle avait tardé si longtemps. Elle me répondit, d'un air embarrassé, qu'elle ne m'avait point entendu frapper Je n'avais frappé qu'une fois; je lui dis: mais, si vous ne m'avez pas entendu, pourquoi êtes­vous donc venue m'ouvrir? Cette question la déconcerta si fort, que, n'ayant point assez de présence d'esprit pour y répondre, elle se mit à pleurer en m'assurant que ce n'était point sa faute, et que madame lui avait défendu d'ouvrir la porte jusqu'à ce que M. de B... fût sorti par l'autre escalier qui répondait au cabinet. Je demeurai si confus, que je n'eus point la force d'entrer dans l'appartement. Je pris le parti de descendre sous prétexte d'une affaire, et j'ordonnai à cet enfant de dire à sa maîtresse que je retournerais dans le moment, mais de ne pas faire connaître qu'elle m'eût parlé de M. de B... Ma consternation fut si grande, que je versais des

larmes en descendant l'escalier, sans savoir encore de quel sentiment elles partaient. J'entrai dans le premier café et m'y étant assis près d'une table, j'appuyai la tête sur mes deux mains pour y développer ce qui se passait dans mon cœur. Je n'osais rappeler ce que je venais d'entendre. Je voulais le considérer comme une illusion, et je fus prêt deux ou trois fois de retourner au logis, sans marquer que j'y eusse fait attention. Il me paraissait si impossible que Manon m'eût trahi,

que je craignais de lui faire injure en la soupçonnant. Je l'adorais, cela était sûr; je ne lui avais pas donné plus de preuves d'amour que je n'en avais reçu d'elle; pourquoi l'aurais­je accusée d'être moins sincère et moins constante que moi? Quelle raison aurait­elle eue de me tromper? Il n'y avait que trois heures qu'elle m'avait accablé de ses plus tendres caresses et qu'elle avait reçu les miennes avec transport; je ne connaissais pas mieux mon cœur que le sien. Non, non, repris­je, il n'est pas possible que Manon me trahisse. Elle n'ignore pas que je ne vis que pour elle. Elle sait trop bien que je l'adore. Ce n'est pas là un sujet de me haïr. Cependant la visite et la sortie furtive de M. de B... me

causaient de l'embarras. Je rappelais aussi les petites acquisitions de Manon, qui me semblaient surpasser nos richesses présentes. Cela paraissait sentir les libéralités d'un nouvel amant. Et cette confiance qu'elle m'avait marquée pour des ressources qui m'étaient inconnues! J'avais peine à donner à tant d'énigmes un sens aussi favorable que mon cœur le souhaitait. D'un autre côté, je ne l'avais presque pas perdue de vue

depuis que nous étions à Paris. Occupations, promenades,

experience the slightest suspicion. "One day, having gone out in the afternoon, and told

her that I should not be at home so early as usual, I was astonished, on my return, at being detained several minutes at the door. Our only servant was a young girl about our own age. On her letting me in at last, I asked why she had detained me so long? She replied in an embarrassed tone, that she did not hear me knock. 'I only knocked once,' said I; 'so if you did not hear me, why come to open the door at all?' This query disconcerted her so visibly, that losing her presence of mind, she began to cry, assuring me that it was not her fault; and that her mistress had desired her not to open the door until M. de B——had had time to go down by the back staircase. I was so confounded by this information as to be utterly unable to proceed to our apartment; and was obliged to leave the house, under the pretext of an appointment. I desired the girl, therefore, to let her mistress know that I should return in a few minutes, but on no account to say that she had spoken to me of M. de B——. "My horror was so great, that I shed tears as I went

along, hardly knowing from what feeling they flowed. I entered a coffee­house close by, and placing myself at a table, I buried my face between my hands, as though I would turn my eyes inward to ascertain what was passing in my heart. Still, I dared not recall what I had heard the moment before. I strove to look upon it as a dream; and was more than once on the point of returning to my lodgings, determined to attach no importance to what I had heard. "It appeared to me so impossible that Manon could

have been unfaithful, that I feared even to wrong her by a suspicion. I adored her—that was too certain; I had not on my part given her more proofs of my love than I had received of hers; why then should I charge her with being less sincere and constant than myself? What reason could she have to deceive me? Not three hours before, she had lavished upon me the most tender caresses, and had received mine with transport: I knew her heart as thoroughly as my own. 'No, no!' I said, 'it is not possible that Manon can have deceived me. She well knows that I live but for her; that I adore her: upon that point I can have no reason to be unhappy.' "Notwithstanding these reflections, the visit of M. de

B——, and his secret departure, gave me some uneasiness. I remembered, too, the little purchases she had lately made, which seemed beyond our present means. This looked like the liberality of a new lover. And the confidence with which she had foretold resources which were to me unknown? I had some difficulty in solving these mysteries in as favourable a manner as my heart desired. "On the other hand, she had been hardly out of my

sight since we entered Paris. However occupied, in our

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divertissements, nous avions toujours été l'un à côté de l'autre; mon Dieu! un instant de séparation nous aurait trop affligés. Il fallait nous dire sans cesse que nous nous aimions; nous serions morts d'inquiétude sans cela. Je ne pouvais donc m'imaginer presque un seul moment où Manon pût s'être occupée d'un autre que moi. A la fin, je crus avoir trouvé le dénouement de ce

mystère. M. de B..., dis­je en moi­même, est un homme qui fait de grosses affaires, et qui a de grandes relations; les parents de Manon se seront servis de cet homme pour lui faire tenir quelque argent. Elle en a peut­être déjà reçu de lui; il est venu aujourd'hui lui en apporter encore. Elle s'est fait sans doute un jeu de me le cacher, pour me surprendre agréablement. Peut­être m'en aurait­elle parlé si j'étais rentré à l'ordinaire, au lieu de venir ici m'affliger; elle ne me le cachera pas, du moins, lorsque je lui en parlerai moi­même. Je me remplis si fortement de cette opinion, qu'elle eut

la force de diminuer beaucoup ma tristesse. Je retournai sur­le­champ au logis. J'embrassai Manon avec ma tendresse ordinaire. Elle me reçut fort bien. J'étais tenté d'abord de lui découvrir mes conjectures, que je regardais plus que jamais comme certaines; je me retins, dans l'espérance qu'il lui arriverait peut­être de me prévenir en m'apprenant tout ce qui s'était passé. On nous servit à souper. Je me mis à table d'un air fort

gai; mais à la lumière de la chandelle qui était entre elle et moi, je crus apercevoir de la tristesse sur le visage et dans les yeux de ma chère maîtresse. Cette pensée m'en inspira aussi. Je remarquai que ses regards s'attachaient sur moi d'une autre façon qu'ils n'avaient accoutumé. Je ne pouvais démêler si c'était de l'amour ou de la compassion, quoiqu'il me parût que c'était un sentiment doux et languissant. Je la regardai avec la même attention; et peut­être n'avait­elle pas moins de peine à juger de la situation de mon cœur par mes regards. Nous ne pensions ni à parler, ni à manger. Enfin, je vis tomber des larmes de ses beaux yeux: perfides larmes! Ah Dieux! m'écriai­je, vous pleurez, ma chère Manon; vous êtes affligée jusqu'à pleurer, et vous ne me dites pas un seul mot de vos peines. Elle ne me répondit que par quelques soupirs qui augmentèrent mon inquiétude. Je me levai en tremblant. Je la conjurai, avec tous les empressements de l'amour, de me découvrir le sujet de ses pleurs; j'en versai moi­même en essuyant les siens; j'étais plus mort que vif. Un barbare aurait été attendri des témoignages de ma douleur et de ma crainte. Dans le temps que j'étais ainsi tout occupé d'elle,

j'entendis le bruit de plusieurs personnes qui montaient l'escalier. On frappa doucement à la porte. Manon me donna un baiser et s'échappant de mes bras, elle entra rapidement dans le cabinet, qu'elle ferma aussitôt sur elle. Je me figurai qu'étant un peu en désordre, elle voulait se cacher aux yeux des étrangers qui avaient frappé. J'allai leur ouvrir moi­même.

walks, in all our amusements, she was ever at my side. Heavens! even a momentary separation would have been too painful. I could not therefore imagine how Manon could, to any other person, have devoted a single instant. "At last I thought I had discovered a clue to the

mystery. 'M. de B——' said I to myself, 'is a man extensively engaged in commercial affairs; and Manon's relations have no doubt remitted her money through his house. She has probably already received some from him, and he is come today to bring her more. She wishes, perhaps, to derive amusement by and by, from an agreeable surprise, by keeping me at present in the dark. She would doubtless have at once told me all, if I had gone in as usual, instead of coming here to distress myself: at all events, she will not conceal it from me when I broach the subject myself.' "I cherished this idea so willingly, that it considerably

lightened my grief. I immediately returned to my lodgings, and embraced Manon as tenderly as ever. She received me as usual. At first I was tempted to mention my conjectures, which I now, more than ever, looked upon as certain; but I restrained myself in the hope that she might render it unnecessary by informing me of all that had passed. "Supper was served. Assuming an air of gaiety, I took

my seat at table; but by the light of the candles which were between us, I fancied I perceived an air of melancholy about the eyes and countenance of my beloved mistress. The very thought soon damped my gaiety. I remarked that her looks wore an unusual expression, and although nothing could be more soft or languishing, I was at a loss to discover whether they conveyed more of love than of compassion. I gazed at her with equal earnestness, and she perhaps had no less difficulty in comprehending from my countenance what was passing in my heart. We neither spoke nor ate. At length I saw tears starting from her beauteous eyes—perfidious tears! 'Oh heavens!' I cried, 'my dearest Manon, why allow your sorrows to afflict you to this degree without imparting their cause to me?' She answered me only with sighs, which increased my misery. I arose trembling from my seat: I conjured her, with all the urgent earnestness of love, to let me know the cause of her grief: I wept in endeavouring to soothe her sorrows: I was more dead than alive. A barbarian would have pitied my sufferings as I stood trembling with grief and apprehension. "While my attention was thus confined to her, I heard

people coming upstairs. They tapped gently at the door. Manon gave me a kiss, and escaping from my arms, quickly entered the boudoir, turning the key after her. I imagined that, not being dressed to receive strangers, she was unwilling to meet the persons who had knocked; I went to let them in.

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A peine avais­je ouvert, que je me vis saisir par trois hommes, que je reconnus pour les laquais de mon père. Ils ne me firent point de violence; mais deux d'entre eux m'ayant pris par le bras, le troisième visita mes poches, dont il tira un petit couteau qui était le seul fer que j'eusse sur moi. Ils me demandèrent pardon de la nécessité où ils étaient de me manquer de respect; ils me dirent naturellement qu'ils agissaient par l'ordre de mon père, et que mon frère aîné m'attendait en bas dans un carrosse. J'étais si troublé, que je me laissai conduire sans résister et sans répondre. Mon frère était effectivement à m'attendre. On me mit dans le carrosse, auprès de lui, et le cocher, qui avait ses ordres, nous conduisit à grand train jusqu'à Saint­Denis. Mon frère m'embrassa tendrement, mais il ne me parla

point, de sorte que j'eus tout le loisir dont j'avais besoin, pour rêver à mon infortune. J'y trouvai d'abord tant d'obscurité que je ne voyais pas

de jour à la moindre conjecture. J'étais trahi cruellement. Mais par qui? Tiberge fut le premier qui me vint à l'esprit. Traître! disais­je, c'est fait de ta vie si mes soupçons se trouvent justes. Cependant je fis réflexion qu'il ignorait le lieu de ma demeure, et qu'on ne pouvait, par conséquent, l'avoir appris de lui. Accuser Manon, c'est de quoi mon cœur n'osait se rendre coupable. Cette tristesse extraordinaire dont je l'avais vue comme accablée, ses larmes, le tendre baiser qu'elle m'avait donné en se retirant, me paraissaient bien une énigme; mais je me sentais porté à l'expliquer comme un pressentiment de notre malheur commun, et dans le temps que je me désespérais de l'accident qui m'arrachait à elle, j'avais la crédulité de m'imaginer qu'elle était encore plus à plaindre que moi. Le résultat de ma méditation fut de me persuader que

j'avais été aperçu dans les rues de Paris par quelques personnes de connaissance, qui en avaient donné avis à mon père. Cette pensée me consola. Je comptais d'en être quitte pour des reproches ou pour quelques mauvais traitements, qu'il me faudrait essuyer de l'autorité paternelle. Je résolus de les souffrir avec patience, et de promettre tout ce qu'on exigerait de moi, pour me faciliter l'occasion de retourner plus promptement à Paris, et d'aller rendre la vie et la joie à ma chère Manon. Nous arrivâmes, en peu de temps, à Saint­Denis. Mon

frère, surpris de mon silence, s'imagina que c'était un effet de ma crainte. Il entreprit de me consoler en m'assurant que je n'avais rien à redouter de la sévérité de mon père, pourvu que je fusse disposé à rentrer doucement dans le devoir et à mériter l'affection qu'il avait pour moi. Il me fit

"I had hardly opened the door, when I found myself seized by three men, whom I recognised as my father's servants. They offered not the least violence, but two of them taking me by the arms, the third examined my pockets, and took out a small knife, the only weapon I had about me. They begged pardon for the necessity they were under of treating me with apparent disrespect; telling me frankly that they were acting by the orders of my father, and that my eldest brother was in a carriage below waiting to receive me. My feelings were so overpowered, that I allowed myself to be led away without making either reply or resistance. I found my brother waiting for me as they had stated. They placed me by his side, and the coachman immediately drove, by his orders, towards St. Denis. "My brother embraced me most affectionately, but

during our ride, he uttered not a word, so that, as I was not inclined for conversation, I had as much leisure as I could desire to reflect upon my misfortunes."

(retour) III

That we can call these delicate creatures ours, And not their appetites. SHAKESPEARE.

"The whole affair was so involved in obscurity that I

could not see my way even to a reasonable conjecture. I was cruelly betrayed—that was certain; but by whom? Tiberge first occurred to me. 'Tiberge!' said I, 'it is as much as thy life is worth, if my suspicions turn out to be well founded.' However, I recollected that he could not by possibility know my abode; and therefore, he could not have furnished the information. To accuse Manon was more than my heart was capable of. The unusual melancholy with which she had lately seemed weighed down, her tears, the tender kiss she gave me in parting, made it all as yet a mystery to me. I could only look upon her recent melancholy as a presentiment of our common misfortune; and while I was deploring the event which tore me from her, I was credulous enough to consider her fate as much deserving of pity as my own. "The result of my reflections was, that I had been seen

and followed in the streets of Paris by some persons of my acquaintance, who had conveyed the information to my father. This idea comforted me. I made up my mind to encounter some reproaches, or perhaps harsh treatment, for having outraged the paternal authority. I resolved, however, to suffer with patience, and to promise all that might be required of me, in order to facilitate my speedy return to Paris, that I might restore life and happiness to my dear Manon. "We soon arrived at St. Denis. My brother, surprised at

my long silence, thought it the effect of fear. He assured me that I had nothing to apprehend from my father's severity, provided I showed a disposition to return quietly to the path of duty, and prove myself worthy of his affection. He made me pass the night at St. Denis, merely

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passer la nuit à Saint­Denis, avec la précaution de faire coucher les trois laquais dans ma chambre. Ce qui me causa une peine sensible, fut de me voir dans la même hôtellerie où je m'étais arrêté avec Manon, en venant d'Amiens à Paris. L'hôte et les domestiques me reconnurent, et devinèrent en même temps la vérité de mon histoire. J'entendis dire à l'hôte: Ah! c'est ce joli monsieur qui passait, il y a six semaines, avec une petite demoiselle qu'il aimait si fort. Qu'elle était charmante! Les pauvres enfants, comme ils se caressaient! Pardi, c'est dommage qu'on les ait séparés. Je feignais de ne rien entendre, et je me laissais voir le moins qu'il m'était possible. Mon frère avait, à Saint­Denis, une chaise à deux, dans

laquelle nous partîmes de grand matin, et nous arrivâmes chez nous le lendemain au soir. Il vit mon père avant moi, pour le prévenir en ma

faveur en lui apprenant avec quelle douceur je m'étais laissé conduire, de sorte que j'en fus reçu moins durement que je ne m'y étais attendu. Il se contenta de me faire quelques reproches généraux sur la faute que j'avais commise en m'absentant sans sa permission. Pour ce qui regardait ma maîtresse, il me dit que j'avais bien mérité ce qui venait de m'arriver, en me livrant à une inconnue; qu'il avait eu meilleure opinion de ma prudence, mais qu'il espérait que cette petite aventure me rendrait plus sage. Je ne pris ce discours que dans le sens qui s'accordait avec mes idées. Je remerciai mon père de la bonté qu'il avait de me pardonner, et je lui promis de prendre une conduite plus soumise et plus réglée. Je triomphais au fond du cœur, car de la manière dont les choses s'arrangeaient, je ne doutais point que je n'eusse la liberté de me dérober de la maison, même avant la fin de la nuit. On se mit à table pour souper; on me railla sur ma

conquête d'Amiens, et sur ma fuite avec cette fidèle maîtresse. Je reçus les coups de bonne grâce. J'étais même charmé qu'il me fût permis de m'entretenir de ce qui m'occupait continuellement l'esprit. Mais, quelques mots lâchés par mon père me firent prêter l'oreille avec la dernière attention: il parla de perfidie et de service intéressé, rendu par Monsieur B... Je demeurai interdit en lui entendant prononcer ce nom, et je le priai humblement de s'expliquer davantage. Il se tourna vers mon frère, pour lui demander s'il ne m'avait pas raconté toute l'histoire. Mon frère lui répondit que je lui avais paru si tranquille sur la route, qu'il n'avait pas cru que j'eusse besoin de ce remède pour me guérir de ma folie. Je remarquai que mon père balançait s'il achèverait de s'expliquer Je l'en suppliai si instamment, qu'il me satisfit, ou plutôt, qu'il m'assassina cruellement par le plus terrible de tous les récits. Il me demanda d'abord si j'avais toujours eu la

simplicité de croire que je fusse aimé de ma maîtresse. Je lui dis hardiment que j'en étais si sûr que rien ne pouvait m'en donner la moindre défiance. Ha! ha! ha! s'écria­t­il en riant de toute sa force, cela est excellent! Tu es une

taking the precaution of putting the three lackeys to sleep in my room. It cost me a pang to find myself in the same inn where I had stopped with Manon on our way from Amiens to Paris. The innkeeper and his servants recognised me, and guessed at once the truth of my history. I overheard them say, 'Ah! that's the handsome young gentleman who travelled this road about a month ago, with the beautiful girl he appeared so much in love with! How pretty she was! The poor young things, how they caressed each other! Pity if they have been separated!' I pretended not to hear, and kept as much out of sight as possible. "At St. Denis my brother had a chariot waiting for us,

in which we started early the next morning, and arrived at home before night. "He saw my father first, in order to make a favourable

impression by telling him how quietly I had allowed myself to be brought away, so that his reception of me was less austere than I had expected. He merely rebuked me in general terms for the offence I had committed, by absenting myself without his permission. As for my mistress, he said I richly deserved what had happened to me, for abandoning myself to a person utterly unknown; that he had entertained a better opinion of my discretion; but that he hoped this little adventure would make me wiser. I took the whole lecture only in the sense that accorded with my own notions. I thanked my father for his indulgence, and promised that I would in future observe a better regulated and more obedient course of conduct. I felt that I had secured a triumph; for, from the present aspect of affairs, there was no doubt that I should be free to effect my escape from the house even before the night was over. "We sat down to supper. They rallied me about my

Amiens conquest, and my flight with that paragon of fidelity. I took their jokes in good part, glad enough at being permitted to revolve in my mind the plans I had meditated; but some words which fell from my father made me listen with earnest attention. He spoke of perfidy, and the not disinterested kindness he had received at the hands of M. de B——. I was almost paralysed on hearing the name, and begged of my father to explain himself. He turned to my brother, to ask if he had not told me the whole story. My brother answered, that I appeared to him so tranquil upon the road, that he did not suppose I required this remedy to cure me of my folly. I remarked that my father was doubtful whether he should give me the explanation or not. I entreated him so earnestly that he satisfied me, or I should rather say tortured me, with the following most horrible narration. "He began by asking me whether I was really simple

enough to believe that I had been really loved by the girl. I told him confidently that I was perfectly sure of it, and that nothing could make me for a moment doubt it. 'Ha, ha, ha!' said he, with a loud laugh; 'that is excellent! you

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jolie dupe, et j'aime à te voir dans ces sentiments­là. C'est grand dommage, mon pauvre Chevalier de te faire entrer dans l'Ordre de Malte, puisque tu as tant de disposition à faire un mari patient et commode. Il ajouta mille railleries de cette force, sur ce qu'il appelait ma sottise et ma crédulité. Enfin, comme je demeurais dans le silence, il continua

de me dire que, suivant le calcul qu'il pouvait faire du temps depuis mon départ d'Amiens, Manon m'avait aimé environ douze jours: car ajouta­t­il, je sais que tu partis d'Amiens le 28 de l'autre mois; nous sommes au 29 du présent; il y en a onze que Monsieur B... m'a écrit; je suppose qu'il lui en a fallu huit pour lier une parfaite connaissance avec ta maîtresse; ainsi, qui ôte onze et huit de trente­un jours qu'il y a depuis le 28 d'un mois jusqu'au 29 de l'autre, reste douze, un peu plus ou moins. Là­dessus, les éclats de rire recommencèrent. J'écoutais tout avec un saisissement de cœur auquel

j'appréhendais de ne pouvoir résister jusqu'à la fin de cette triste comédie. Tu sauras donc, reprit mon père, puisque tu l'ignores, que Monsieur B... a gagné le cœur de ta princesse, car il se moque de moi, de prétendre me persuader que c'est par un zèle désintéressé pour mon service qu'il a voulu te l'enlever. C'est bien d'un homme tel que lui, de qui, d'ailleurs, je ne suis pas connu, qu'il faut attendre des sentiments si nobles! Il a su d'elle que tu es mon fils, et pour se délivrer de tes importunités, il m'a écrit le lieu de ta demeure et le désordre où tu vivais, en me faisant entendre qu'il fallait main­forte pour s'assurer de toi. Il s'est offert de me faciliter les moyens de te saisir au

collet, et c'est par sa direction et celle de ta maîtresse même que ton frère a trouvé le moment de te prendre sans vert. Félicite­toi maintenant de la durée de ton triomphe. Tu sais vaincre assez rapidement, Chevalier; mais tu ne sais pas conserver tes conquêtes. Je n'eus pas la force de soutenir plus longtemps un

discours dont chaque mot m'avait percé le cœur Je me levai de table, et je n'avais pas fait quatre pas pour sortir de la salle, que je tombai sur le plancher sans sentiment et sans connaissance. On me les rappela par se prompts secours. J'ouvris les yeux pour verser un torrent de pleurs, et la bouche pour proférer les plaintes les plus tristes et les plus touchantes. Mon père, qui m'a toujours aimé tendrement, s'employa avec toute son affection pour me consoler. Je l'écoutais, mais sans l'entendre. Je me jetai à ses genoux, je le conjurai, en joignant les mains, de me laisser retourner à Paris pour aller poignarder B... Non, disais­je, il n'a pas gagné le cœur de Manon, il lui a fait violence; il l'a séduite par un charme ou par un poison; il l'a peut­être forcée brutalement. Manon m'aime. Ne le sais­je pas bien? Il l'aura menacée, le poignard à la main, pour la contraindre de m'abandonner. Que n'aura­t­il pas fait pour me ravir une si charmante maîtresse! Ô dieux! dieux! serait­il possible que Manon m'eût trahi, et qu'elle

are a pretty dupe! Admirable idea! 'Twould be a thousand pities, my poor chevalier, to make you a Knight of Malta, with all the requisites you possess for a patient and accommodating husband.' He continued in the same tone to ridicule what he was pleased to call my dullness and credulity. "He concluded, while I maintained a profound silence,

by saying that, according to the nicest calculation he could make of the time since my departure from Amiens, Manon must have been in love with me about twelve days; 'for,' said he, 'I know that you left Amiens on the 28th of last month; this is, the 29th of the present; it is eleven days since M. de B—— wrote to me; I suppose he required eight days to establish a perfect understanding with your mistress; so that, take eight and eleven from thirty­one days, the time between the 28th of one month and the 29th of the next, there remains twelve, more or less!' This joke was followed by shouts of laughter. "I heard it all with a kind of sinking of the heart that I

thought I could not bear up against, until he finished. 'You must know then,' continued my father, 'since you appear as yet ignorant of it, that M. de B—— has won the affections of your idol; for he can't be serious in pretending that it is his disinterested regard for me that has induced him to take her from you. It would be absurd to expect such noble sentiments from a man of his description, and one, besides, who is a perfect stranger to me. He knew that you were my son, and in order to get rid of you, he wrote to inform me of your abode, and of the life you led; saying, at the same time, that strong measures would be necessary to secure you. "He offered to procure me the means of laying hold of

you; and it was by his direction, as well as that of your mistress herself, that your brother hit upon the moment for catching you unawares. Now, you may congratulate yourself upon the duration of your triumph. You know how to conquer, rapid enough; but you have yet to learn how to secure your conquests.' "I could no longer endure these remarks, every one of

which struck a dagger to my heart. I arose from the table, and had not advanced four steps towards the door, when I fell upon the floor, perfectly senseless. By prompt applications they soon brought me to myself. My eyes opened only to shed a torrent of tears, and my lips to utter the most sorrowful and heartrending complaints. My father, who always loved me most affectionately, tried every means to console me. I listened to him, but his words were without effect. I threw myself at his feet, in the attitude of prayer, conjuring him to let me return to Paris, and destroy the monster B——. 'No!' cried I; 'he has not gained Manon's heart; he may have seduced her by charms, or by drugs; he may have even brutally violated her. Manon loves me. Do I not know that well? He must have terrified her with a poniard, to induce her to abandon me.' What must he not have done to have robbed me of my angelic mistress? Oh Heaven! Heaven! can it be possible that Manon deceived me, or that she has ceased

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eût cessé de m'aimer! Comme je parlais toujours de retourner promptement

à Paris, et que je me levais même à tous moments pour cela, mon père vit bien que, dans le transport où j'étais, rien ne serait capable de m'arrêter il me conduisit dans une chambre haute, où il laissa deux domestiques avec moi pour me garder à vue. Je ne me possédais point. J'aurais donné mille vies pour être seulement un quart d'heure à Paris. Je compris que, m'étant déclaré si ouvertement, on ne me permettrait pas aisément de sortir de ma chambre. Je mesurai des yeux la hauteur des fenêtres, ne voyant nulle possibilité de m'échapper par cette voie, je m'adressai doucement à mes deux domestiques. Je m'engageai, par mille serments, à faire un jour leur fortune, s'ils voulaient consentir à mon évasion. Je les pressai, je les caressai, je les menaçai; mais cette tentative fut encore inutile. Je perdis alors toute espérance. Je résolus de mourir,

et je me jetai sur un lit avec le dessein de ne le quitter qu'avec la vie. Je passai la nuit et le jour suivant dans cette situation. Je refusai la nourriture qu'on m'apporta le lendemain. Mon père vint me voir l'après­midi. Il eut la bonté de

flatter mes peines par les plus douces consolations. Il m'ordonna si absolument de manger quelque chose, que je le fis par respect pour ses ordres. Quelques jours se passèrent, pendant lesquels je ne pris rien qu'en sa présence et pour lui obéir. Il continuait toujours de m'apporter les raisons qui pouvaient me ramener au bon sens et m'inspirer du mépris pour l'infidèle Manon. Il est certain que je ne l'estimais plus; comment aurais­je estimé la plus volage et la plus perfide de toutes les créatures? Mais son image, ses traits charmants que je portais au fond du cœur, y subsistaient toujours. Je le sentais bien. Je puis mourir, disais­je; je le devrais même, après tant de honte et de douleur; mais je souffrirais mille morts sans pouvoir oublier l'ingrate Manon. Mon père était surpris de me voir toujours si fortement

touché. Il me connaissait des principes d'honneur, et ne pouvant douter que sa trahison ne me la fît mépriser, il s'imagina que ma constance venait moins de cette passion en particulier que d'un penchant général pour les femmes. Il s'attacha tellement à cette pensée que, ne consultant que sa tendre affection, il vint un jour m'en faire l'ouverture. Chevalier, me dit­il, j'ai eu dessein, jusqu'à présent, de te faire porter la croix de Malte, mais je vois que tes inclinations ne sont point tournées de ce côté­là. Tu aimes les jolies femmes. Je suis d'avis de t'en chercher une qui te plaise. Explique­moi naturellement ce que tu penses là­dessus. Je lui répondis que je ne mettais plus de distinction

entre les femmes, et qu'après le malheur qui venait de m'arriver je les détestais toutes également. Je t'en chercherai une, reprit mon père en souriant, qui ressemblera à Manon, et qui sera plus fidèle. Ah! si vous

to love me! "As I continued to rave about returning at once to

Paris, and was perpetually starting up with that purpose, my father clearly saw that while the paroxysm lasted, no arguments could pacify me. He conducted me to one of the upper rooms, and left two servants to keep constant watch over me. I was completely bewildered. I would have given a thousand lives to be but for one quarter of an hour in Paris. I had sense enough, however, to know that having so openly declared my intention, they would not easily allow me to quit my chamber. I looked at the height of the windows. Seeing no possibility of escaping that way, I addressed the servants in the most tranquil tone. I promised, with the most solemn vows, to make at some future day their fortunes, if they would but consent to my escape. I entreated them; I tried caresses, and lastly threats; but all were unavailing. I gave myself up to despair. I resolved to die; and threw

myself upon the bed, with a firm determination to quit it only with my life. In this situation I passed the night and the following day. I refused the nourishment that was brought to me next morning. "My father came to see me in the afternoon. He tried in

the most affectionate manner, to soothe my grief. He desired me so urgently to take some refreshment, that, to gratify him, I obeyed his wishes. Several days passed, during which I took nothing but in his presence, and at his special request. He continued to furnish new arguments to restore me to my proper senses, and to inspire me with merited contempt for the faithless Manon. I certainly had lost all esteem for her: how could I esteem the most fickle and perfidious of created beings! But her image—those exquisite features, which were engraven on my heart's core, were still uneffaced. I understood my own feelings: 'I may die,' said I, 'and I ought to die after so much shame and grief; but I might suffer a thousand deaths without being able to forget the ingrate Manon.' "My father was surprised at my still continuing so

powerfully affected. He knew that I was imbued with the principles of honour; and not doubting that her infidelity must make me despise her, fancied that my obstinacy proceeded less from this particular passion, than from a general inclination towards the sex. This idea so took possession of his mind, that, prompted only by his affection for me, he came one day to reveal his thoughts. 'Chevalier,' said he to me, 'it has been hitherto my intention to make you bear the Cross of Malta: I now see that your inclinations do not bend that way. You are an admirer of beauty. I shall be able to find you a wife to your taste. Let me candidly know how you feel upon the subject.' "I answered that I could never again see the slightest

difference amongst women, and that after the misfortune I had experienced, I detested them all equally. 'I will find you one,' replied my father, smiling, 'who shall resemble Manon in beauty, but who shall be more faithful.' 'Ah! if

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~ 17 ~ mdh

avez quelque bonté pour moi, lui dis­je, c'est elle qu'il faut me rendre. Soyez sûr, mon cher père, qu'elle ne m'a point trahi; elle n'est pas capable d'une si noire et si cruelle lâcheté. C'est le perfide B... qui nous trompe, vous, elle et moi. Si vous saviez combien elle est tendre et sincère, si vous la connaissiez, vous l'aimeriez vous­même. Vous êtes un enfant, repartit mon père. Comment pouvez­vous vous aveugler jusqu'à ce point, après ce que je vous ai raconté d'elle? C'est elle­même qui vous a livré à votre frère. Vous devriez oublier jusqu'à son nom, et profiter si vous êtes sage, de l'indulgence que j'ai pour vous. Je reconnaissais trop clairement qu'il avait raison.

C'était un mouvement involontaire qui me faisait prendre ainsi le parti de mon infidèle. Hélas! repris­je, après un moment de silence, il n'est que trop vrai que je suis le malheureux objet de la plus lâche de toutes les perfidies. Oui, continuai­je, en versant des larmes de dépit, je vois bien que je ne suis qu'un enfant. Ma crédulité ne leur coûtait guère à tromper. Mais je sais bien ce que j'ai à faire pour me venger. Mon père voulut savoir quel était mon dessein. J'irai à Paris, lui dis­je, je mettrai le feu à la maison de B..., et je le brûlerai tout vif avec la perfide Manon. Cet emportement fit rire mon père et ne servit qu'à me faire garder plus étroitement dans ma prison. J'y passai six mois entiers, pendant le premier desquels

il y eut peu de changement dans mes dispositions. Tous mes sentiments n'étaient qu'une alternative perpétuelle de haine et d'amour, d'espérance ou de désespoir, selon l'idée sous laquelle Manon s'offrait à mon esprit. Tantôt je ne considérais en elle que la plus aimable de toutes les filles, et je languissais du désir de la revoir; tantôt je n'y apercevais qu'une lâche et perfide maîtresse, et je faisais mille serments de ne la chercher que pour la punir. On me donna des livres, qui servirent à rendre un peu

de tranquillité à mon âme. Je relus tous mes auteurs; j'acquis de nouvelles connaissances; je repris un goût infini pour l'étude. Vous verrez de quelle utilité il me fut dans la suite. Les lumières que je devais à l'amour me firent trouver de la clarté dans quantités d'endroits d'Horace et de Virgile, qui m'avaient paru obscurs auparavant. Je fis un commentaire amoureux sur le quatrième livre de L'Énéide; je le destine à voir le jour et je me flatte que le public en sera satisfait. Hélas! disais­je en le faisant, c'était un cœur tel que le

mien qu'il fallait à la fidèle Didon.

you have any mercy,' said I, 'you will restore my Manon to me. Be assured, my dear father, that she has not betrayed me; she is incapable of such base and cruel treachery. It is the perfidious B—— who deceives both her and me. If you could form an idea of her tenderness and her sincerity—if you only knew her, you yourself would love her!' 'You are absolutely a child,' replied my father. 'How can you so delude yourself, after what I have told you about her? It was she who actually delivered you up to your brother. You ought to obliterate even her name from your memory, and take advantage, if you are wise, of the indulgence I am showing you.' "I very clearly perceived that my father was right. It

was an involuntary emotion that made me thus take part with the traitor. 'Alas!' replied I, after a moment's silence, 'it is but too true that I am the unhappy victim of the vilest perfidy. Yes,' I continued, while shedding tears of anger, 'I too clearly perceive that I am indeed but a child. Credulity like mine was easily gulled; but I shall be at no loss to revenge myself.' My father enquired of me my intentions: 'I will go to Paris,' I said, 'set fire to B——'s house, and immolate him and the perfidious Manon together.' This burst made my father laugh, and had only the effect of causing me to be more vigilantly watched in my cell. "I thus passed six long months; during the first of

which my mind underwent little change. My feelings were in a state of perpetual alternation between hate and love; between hope and despair; according as, the tendency of each passing thought brought Manon back to my recollection. At one time, I could see in her the most delightful of women only, and sigh for the pleasure of beholding her once more; at another, I felt she was the most unworthy and perfidious of mistresses, and I would on these occasions swear never again to seek her, but for the purpose of revenge. "I was supplied with books, which served to restore my

peace of mind. I read once again all my favourite authors; and I became acquainted with new ones. All my former taste for study was revived. You will see of what use this was to me in the sequel. The light I had already derived from love, enabled me to comprehend many passages in Horace and Virgil which had before appeared obscure. I wrote an amatory commentary upon the fourth book of the AEneid. I intend one day to publish it, and I flatter myself it will be popular. "'Alas!' I used to exclaim, 'whilst employed on that

work, it was for a heart like mine the faithful Dido sighed, and sighed in vain!'

(retour) IV

Now, by the strange enchantment that surrounds thee, There's nothing—nothing thou shalt ask in vain.

ESSEX.

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Tiberge vint me voir un jour dans ma prison. Je fus surpris du transport avec lequel il m'embrassa. Je n'avais point encore eu de preuves de son affection qui pussent me la faire regarder autrement que comme une simple amitié de collège, telle qu'elle se forme entre de jeunes gens qui sont à peu près du même âge. Je le trouvai si changé et si formé, depuis cinq ou six mois que j'avais passés sans le voir, que sa figure et le ton de son discours m'inspirèrent du respect. Il me parla en conseiller sage, plutôt qu'en ami d'école. Il plaignit l'égarement où j'étais tombé. Il me félicita de ma guérison, qu'il croyait avancée; enfin il m'exhorta à profiter de cette erreur de jeunesse pour ouvrir les yeux sur la vanité des plaisirs. Je le regardai avec étonnement. Il s'en aperçut. Mon cher Chevalier me dit­il, je ne vous dis rien qui ne

soit solidement vrai, et dont je ne me sois convaincu par un sérieux examen. J'avais autant de penchant que vous vers la volupté, mais le Ciel m'avait donné, en même temps, du goût pour la vertu. Je me suis servi de ma raison pour comparer les fruits de l'une et de l'autre et je n'ai pas tardé longtemps à découvrir leurs différences. Le secours du Ciel s'est joint à mes réflexions. J'ai conçu pour le monde un mépris auquel il n'y a rien d'égal. Devineriez­vous ce qui m'y retient, ajouta­t­il, et ce qui m'empêche de courir à la solitude? C'est uniquement la tendre amitié que j'ai pour vous. Je connais l'excellence de votre cœur et de votre esprit; il n'y a rien de bon dont vous ne puissiez vous rendre capable. Le poison du plaisir vous a fait écarter du chemin. Quelle perte pour la vertu! Votre fuite d'Amiens m'a causé tant de douleur, que je n'ai pas goûté, depuis, un seul moment de satisfaction. Jugez­en par les démarches qu'elle m'a fait faire. Il me raconta qu'après s'être aperçu que je l'avais trompé et que j'étais parti avec ma maîtresse, il était monté à cheval pour me suivre; mais qu'ayant sur lui quatre ou cinq heures d'avance, il lui avait été impossible de me joindre; qu'il était arrivé néanmoins à Saint­Denis une demi­heure après mon départ; qu'étant bien certain que je me serais arrêté à Paris, il y avait passé six semaines à me chercher inutilement; qu'il allait dans tous les lieux où il se flattait de pouvoir me trouver, et qu'un jour enfin il avait reconnu ma maîtresse à la Comédie; qu'elle y était dans une parure si éclatante qu'il s'était imaginé qu'elle devait cette fortune à un nouvel amant; qu'il avait suivi son carrosse jusqu'à sa maison, et qu'il avait appris d'un domestique qu'elle était entretenue par les libéralités de Monsieur B... Je ne m'arrêtai point là, continua­t­il. J'y retournai le lendemain, pour apprendre d'elle­même ce que vous étiez devenu; elle me quitta brusquement, lorsqu'elle m'entendit parler de vous, et je fus obligé de revenir en province sans aucun autre éclaircissement. J'y appris votre aventure et la consternation extrême qu'elle vous a causée; mais je n'ai pas voulu vous voir, sans être assuré de vous trouver plus tranquille.

"While in my confinement Tiberge came one day to see me. I was surprised at the affectionate joy with which he saluted me. I had never, hitherto, observed any peculiar warmth in his friendship that could lead me to look upon it as anything more than the partiality common among boys of the same age. He was so altered, and had grown so manly during the five or six months since I had last seen him, that his expressive features and his manner of addressing me inspired me with a feeling of respect. He spoke more in the character of a mentor than a schoolfellow, lamented the delusion into which I had fallen, congratulated me on my reformation, which he believed was now sincere, and ended by exhorting me to profit by my youthful error, and open my eyes to the vanity of worldly pleasures. I looked at him with some astonishment, which he at once perceived. "'My dear chevalier,' said he to me, 'you shall hear

nothing but the strict truth, of which I have assured myself by the most serious examination. I had, perhaps, as strong an inclination for pleasure as you, but Heaven had at the same time, in its mercy, blessed me with a taste for virtue. I exercised my reason in comparing the consequences of the one with those of the other, and the divine aid was graciously vouchsafed to my reflections. I conceived for the world a contempt which nothing can equal. Can you guess what it is retains me in it now,' he added, 'and that prevents me from embracing a life of solitude? Simply the sincere friendship I bear towards you. I know the excellent qualities of both your heart and head. There is no good of which you may not render yourself capable. The blandishments of pleasure have momentarily drawn you aside. What detriment to the sacred cause of virtue! Your flight from Amiens gave me such intense sorrow, that I have not since known a moment's happiness. You may judge of this by the steps it induced me to take.' He then told me how, after discovering that I had deceived him, and gone off with my mistress, he procured horses for the purpose of pursuing me, but having the start of him by four or five hours, he found it impossible to overtake me; that he arrived, however, at St. Denis half an hour after I had left it; that, being very sure that I must have stopped in Paris, he spent six weeks there in a fruitless endeavour to discover me—visiting every place where he thought he should be likely to meet me, and that one evening he at length recognised my mistress at the play, where she was so gorgeously dressed, that he of course set it down to the account of some new lover; that he had followed her equipage to her house, and had there learned from a servant that she was entertained in this style by M. de B——. 'I did not stop here,' continued he; 'I returned next day to the house, to learn from her own lips what had become of you. She turned abruptly away when she heard the mention of your name, and I was obliged to return into the country without further information. I there learned the particulars of your adventure, and the extreme annoyance she had caused you; but I was unwilling to visit you until I could have assurance of your being in a more tranquil state.'

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Vous avez donc vu Manon, lui répondis­je en soupirant. Hélas! vous êtes plus heureux que moi, qui suis condamné à ne la revoir jamais. Il me fit des reproches de ce soupir qui marquait encore de la faiblesse pour elle. Il me flatta si adroitement sur la bonté de mon caractère et sur mes inclinations, qu'il me fit naître dès cette première visite, une forte envie de renoncer comme lui à tous les plaisirs du siècle pour entrer dans l'état ecclésiastique. Je goûtai tellement cette idée que, lorsque je me

trouvai seul, je ne m'occupai plus d'autre chose. Je me rappelai les discours de M. l'Évêque d'Amiens, qui m'avait donné le même conseil, et les présages heureux qu'il avait formés en ma faveur, s'il m'arrivait d'embrasser ce parti. La piété se mêla aussi dans mes considérations. Je mènerai une vie sage et chrétienne, disais­je; je m'occuperai de l'étude et de la religion, qui ne me permettront point de penser aux dangereux plaisirs de l'amour. Je mépriserai ce que le commun des hommes admire; et comme je sens assez que mon cœur ne désirera que ce qu'il estime, j'aurai aussi peu d'inquiétudes que de désirs. Je formai là­dessus, d'avance, un système de vie

paisible et solitaire. J'y faisais entrer une maison écartée, avec un petit bois et un ruisseau d'eau douce au bout du jardin, une bibliothèque composée de livres choisis, un petit nombre d'amis vertueux et de bon sens, une table propre, mais frugale et modérée. J'y joignais un commerce de lettres avec un ami qui ferait son séjour à Paris, et qui m'informerait des nouvelles publiques, moins pour satisfaire ma curiosité que pour me faire un divertissement des folles agitations des hommes. Ne serai­je pas heureux? ajoutais­je; toutes mes prétentions ne seront­elles point remplies? Il est certain que ce projet flattait extrêmement mes inclinations. Mais, à la fin d'un si sage arrangement, je sentais que mon cœur attendit encore quelque chose, et que, pour n'avoir rien à désirer dans la plus charmante solitude, il y fallait être avec Manon. Cependant, Tiberge continuant de me rendre de

fréquentes visites, dans le dessein qu'il m'avait inspiré, je pris l'occasion d'en faire l'ouverture à mon père. Il me déclara que son intention était de laisser ses enfants libres dans le choix de leur condition et que, de quelque manière que je voulusse disposer de moi, il ne se réserverait que le droit de m'aider de ses conseils. Il m'en donna de fort sages, qui tendaient moins à me dégoûter de mon projet, qu'à me le faire embrasser avec connaissance. Le renouvellement de l'année scolastique approchait.

Je convins avec Tiberge de nous mettre ensemble au séminaire de Saint­Sulpice, lui pour achever ses études de théologie, et moi pour commencer les miennes. Son mérite, qui était connu de l'évêque du diocèse, lui fit obtenir de ce prélat un bénéfice considérable avant notre

"'You have seen Manon then!' cried I, sighing. 'Alas! you are happier than I, who am doomed never again to behold her.' He rebuked me for this sigh, which still showed my weakness for the perfidious girl. He flattered me so adroitly upon the goodness of my mind and disposition, that he really inspired me, even on this first visit, with a strong inclination to renounce, as he had done, the pleasures of the world, and enter at once into holy orders. "The idea was so suited to my present frame of mind,

that when alone I thought of nothing else. I remembered the words of the Bishop of Amiens, who had given me the same advice, and thought only of the happiness which he predicted would result from my adoption of such a course. Piety itself took part in these suggestions. 'I shall lead a holy and a Christian life,' said I; 'I shall divide my time between study and religion, which will allow me no leisure for the perilous pleasures of love. I shall despise that which men ordinarily admire; and as I am conscious that my heart will desire nothing but what it can esteem, my cares will not be greater or more numerous than my wants and wishes.' "I thereupon pictured to myself in anticipation a course

of life peaceful and retired. I fancied a retreat embosomed in a wood, with a limpid stream of running water bounding my garden; a library, comprising the most select works; a limited circle of friends, virtuous and intellectual; a table neatly served, but frugal and temperate. To all these agremens I added a literary correspondence with a friend whose residence should be in Paris, who should give me occasional information upon public affairs, less for the gratification of my curiosity, than to afford a kind of relaxation by hearing of and lamenting the busy follies of men. 'Shall not I be happy?' added I; 'will not my utmost wishes be thus gratified?' This project flattered my inclinations extremely. But after all the details of this most admirable and prudent plan, I felt that my heart still yearned for something; and that in order to leave nothing to desire in this most enchanting retirement, one ought to be able to share it with Manon. "However, Tiberge continuing to pay me frequent visits

in order to strengthen me in the purpose with which he had inspired me, I took an opportunity of opening the subject to my father. He declared that his intention ever was to leave his children free to choose a profession, and that in whatever manner I should dispose of myself, all he wished to reserve was the right of aiding me with his counsel. On this occasion he gave me some of the wisest, which tended less to divert me from my project, than to convince me of my good father's sound judgment and discretion. "The recommencement of the scholastic year being at

hand, Tiberge and I agreed to enter ourselves together at St. Sulpice, he to pursue his theological studies, and I to begin mine. His merits, which were not unknown to the bishop of the diocese, procured him the promise of a living from that prelate before our departure.

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départ. Mon père, me croyant tout à fait revenu de ma passion,

ne fit aucune difficulté de me laisser partir. Nous arrivâmes à Paris. L'habit ecclésiastique prit la place de la croix de Malte, et le nom d'abbé des Grieux celle de chevalier. Je m'attachai à l'étude avec tant d'application, que je fis des progrès extraordinaires en peu de mois. J'y employais une partie de la nuit, et je ne perdais pas un moment du jour. Ma réputation eut tant d'éclat, qu'on me félicitait déjà sur les dignités que je ne pouvais manquer d'obtenir, et sans l'avoir sollicité, mon nom fut couché sur la feuille des bénéfices. La piété n'était pas plus négligée; j'avais de la ferveur pour tous les exercices. Tiberge était charmé de ce qu'il regardait comme son ouvrage, et je l'ai vu plusieurs fois répandre des larmes, en s'applaudissant de ce qu'il nommait ma conversion. Que les résolutions humaines soient sujettes à changer,

c'est ce qui ne m'a jamais causé d'étonnement; une passion les fait naître, une autre passion peut les détruire; mais quand je pense à la sainteté de celles qui m'avaient conduit à Saint­Sulpice et à la joie intérieure que le Ciel m'y faisait goûter en les exécutant, je suis effrayé de la facilité avec laquelle j'ai pu les rompre. S'il est vrai que les secours célestes sont à tous moments d'une force égale à celle des passions. Qu'on m'explique donc par quel funeste ascendant on se trouve emporté tout d'un coup loin de son devoir sans se trouver capable de la moindre résistance, et sans ressentir le moindre remords. Je me croyais absolument délivré des faiblesses de

l'amour. Il me semblait que j'aurais préféré la lecture d'une page de saint Augustin, ou un quart d'heure de méditation chrétienne, à tous les plaisirs des sens, sans excepter ceux qui m'auraient été offerts par Manon. Cependant, un instant malheureux me fit retomber dans le précipice, et ma chute fut d'autant plus irréparable que, me trouvant tout d'un coup au même degré de profondeur d'où j'étais sorti, les nouveaux désordres où je tombai me portèrent bien plus loin vers le fond de l'abîme. J'avais passé près d'un an à Paris, sans m'informer des

affaires de Manon. Il m'en avait d'abord coûté beaucoup pour me faire cette violence; mais les conseils toujours présents de Tiberge, et mes propres réflexions, m'avaient fait obtenir la victoire. Les derniers mois s'étaient écoulés si tranquillement que je me croyais sur le point d'oublier éternellement cette charmante et perfide créature. Le temps arriva auquel je devais soutenir un exercice

public dans l'École de Théologie. Je fis prier plusieurs personnes de considération de m'honorer de leur présence. Mon nom fut ainsi répandu dans tous les quartiers de Paris: il alla jusqu'aux oreilles de mon infidèle. Elle ne le reconnut pas avec certitude sous le titre d'abbé; mais un reste de curiosité, ou peut­être quelque repentir de m'avoir trahi ce n'ai jamais pu démêler lequel

"My father, thinking me quite cured of my passion,

made no objection to my taking final leave. We arrived at Paris. The Cross of Malta gave place to the ecclesiastical habit, and the designation of the Abbe de Grieux was substituted for that of chevalier. I applied so diligently to study, that in a few months I had made extraordinary progress. I never lost a moment of the day, and employed even part of the night. I soon acquired such a reputation, that I was already congratulated upon the honours which I was sure of obtaining; and, without solicitation on my part, my name was inscribed on the list for a vacant benefice. Piety was by no means neglected, and I entered with ardent devotion into all the exercises of religion. Tiberge was proud of what he considered the work of his own hands, and many a time have I seen him shed tears of delight in noticing what he styled my perfect conversion. "It has never been matter of wonder to me that human

resolutions are liable to change; one passion gives them birth, another may destroy them; but when I reflect upon the sacredness of those motives that led me to St. Sulpice, and upon the heartfelt satisfaction I enjoyed while obeying their dictation, I shudder at the facility with which I outraged them all. If it be true that the benign succour afforded by Heaven is at all times equal to the strongest of man's pinions, I shall be glad to learn the nature of the deplorable ascendancy which causes us suddenly to swerve from the path of duty, without the power of offering the least resistance, and without even the slightest visitation of remorse. "I now thought myself entirely safe from the dangers of

love. I fancied that I could have preferred a single page of St. Augustine, or a quarter of an hour of Christian meditation, to every sensual gratification, not excepting any that I might have derived even from Manon's society. Nevertheless, one unlucky moment plunged me again headlong into the gulf; and my ruin was the more irreparable, because, falling at once to the same depth from whence I had been before rescued, each of the new disorders into which I now lapsed carried me deeper and deeper still down the profound abyss of vice. I had passed nearly a year at Paris without hearing of

Manon. It cost me no slight effort to abstain from enquiry; but the unintermitting advice of Tiberge, and my own reflections, secured this victory over my wishes. The last months glided away so tranquilly, that I considered the memory of this charming but treacherous creature about to be consigned to eternal oblivion. "The time arrived when I was to undergo a public

examination in the class of theology: I invited several persons of consideration to honour me with their presence on the occasion. My name was mentioned in every quarter of Paris: it even reached the ears of her who had betrayed me. She had some difficulty in recognising it with the prefix of Abbe; but curiosity, or perhaps remorse for having been faithless to me (I could never after

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de ces deux sentiments lui fit prendre intérêt à un nom si semblable au mien; elle vint en Sorbonne avec quelques autres dames. Elle fut présente à mon exercice, et sans doute qu'elle eut peu de peine à me remettre. Je n'eus pas la moindre connaissance de cette visite.

On sait qu'il y a, dans ces lieux, des cabinets particuliers pour les dames, où elles sont cachées derrière une jalousie. Je retournai à Saint­Sulpice, couvert de gloire et chargé de compliments. Il était six heures du soir. On vint m'avertir, un moment après mon retour, qu'une dame demandait à me voir J'allai au parloir sur­le­champ. Dieux! quelle apparition surprenante! j'y trouvai Manon. C'était elle, mais plus aimable et

plus brillante que je ne l'avais jamais vue. Elle était dans sa dix­huitième année. Ses charmes surpassaient tout ce qu'on peut décrire. C'était un air si fin, si doux, si engageant, l'air de l'Amour même. Toute sa figure me parut un enchantement. Je demeurai interdit à sa vue, et ne pouvant

conjecturer quel était le dessein de cette visite, j'attendais, les yeux baissés et avec tremblement, qu'elle s'expliquât. Son embarras fut, pendant quelque temps, égal au mien, mais, voyant que mon silence continuait, elle mit la main devant ses yeux, pour cacher quelques larmes. Elle me dit, d'un ton timide, qu'elle confessait que son infidélité méritait ma haine; mais que, s'il était vrai que j'eusse jamais eu quelque tendresse pour elle, il y avait eu, aussi, bien de la dureté à laisser passer deux ans sans prendre soin de m'informer de son sort, et qu'il y en avait beaucoup encore à la voir dans l'état où elle était en ma présence, sans lui dire une parole. Le désordre de mon âme, en l'écoutant, ne saurait être exprimé. Elle s'assit. Je demeurai debout, le corps à demi

tourné, n'osant l'envisager directement. Je commençai plusieurs fois une réponse, que je n'eus pas la force d'achever. Enfin, je fis un effort pour m'écrier douloureusement: Perfide Manon! Ah! perfide! perfide! Elle me répéta, en pleurant à chaudes larmes, qu'elle ne prétendait point justifier sa perfidie. Que prétendez­vous donc? m'écriai­je encore. Je prétends mourir répondit­elle, si vous ne me rendez votre cœur, sans lequel il est impossible que je vive. Demande donc ma vie, infidèle! repris­je en versant moi­même des pleurs, que je m'efforçai en vain de retenir. Demande ma vie, qui est l'unique chose qui me reste à te sacrifier; car mon cœur n'a jamais cessé d'être à toi. À peine eus­je achevé ces derniers mots, qu'elle se leva

avec transport pour venir m'embrasser. Elle m'accabla de mille caresses passionnées. Elle m'appela par tous les noms que l'amour invente pour exprimer ses plus vives tendresses. Je n'y répondais encore qu'avec langueur. Quel passage, en effet, de la situation tranquille où j'avais été, aux mouvements tumultueux que je sentais renaître!

ascertain by which of these feelings she was actuated), made her at once take an interest in a name so like mine; and she came with several other women to the Sorbonne, where she was present at my examination, and had doubtless little trouble in recognising my person. "I had not the remotest suspicion of her presence. It is

well known that in these places there are private seats for ladies, where they remain screened by a curtain. I returned to St. Sulpice covered with honours and congratulations. It was six in the evening. The moment I returned, a lady was announced, who desired to speak with me. I went to meet her. Heavens! what a surprise! "It was Manon. It was she indeed, but more bewitching

and brilliant than I had ever beheld her. She was now in her eighteenth year. Her beauty beggars all description. The exquisite grace of her form, the mild sweetness of expression that animated her features, and her engaging air, made her seem the very personification of love. The vision was something too perfect for human beauty. "I stood like one enchanted at beholding her. Unable to

divine the object of her visit, I waited trembling and with downcast looks until she explained herself. At first, her embarrassment was equal to mine; but, seeing that I was not disposed to break silence, she raised her hand to her eyes to conceal a starting tear, and then, in a timid tone, said that she well knew she had justly earned my abhorrence by her infidelity; but that if I had ever really felt any love for her, there was not much kindness in allowing two long years to pass without enquiring after her, and as little now in seeing her in the state of mental distress in which she was, without condescending to bestow upon her a single word. I shall not attempt to describe what my feelings were as I listened to this reproof. "She seated herself. I remained standing, with my face

half turned aside, for I could not muster courage to meet her look. I several times commenced a reply without power to conclude it. At length I made an effort, and in a tone of poignant grief exclaimed: 'Perfidious Manon! perfidious, perfidious creature!' She had no wish, she repeated with a flood of tears, to attempt to justify her infidelity. 'What is your wish, then?' cried I. 'I wish to die,' she answered, 'if you will not give me back that heart, without which it is impossible to endure life.' 'Take my life too, then, faithless girl!' I exclaimed, in vain endeavouring to restrain my tears; 'take my life also! it is the sole sacrifice that remains for me to make, for my heart has never ceased to be thine.' "I had hardly uttered these words, when she rose in a

transport of joy, and approached to embrace me. She loaded me with a thousand caresses. She addressed me by all the endearing appellations with which love supplies his votaries, to enable them to express the most passionate fondness. I still answered with affected coldness; but the sudden transition from a state of quietude, such as that I

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J'en étais épouvanté. Je frémissais, comme il arrive lorsqu'on se trouve la nuit dans une campagne écartée: on se croit transporté dans un nouvel ordre de choses; on y est saisi d'une horreur secrète, dont on ne se remet qu'après avoir considéré longtemps tous les environs. Nous nous assîmes l'un près de l'autre. Je pris ses

mains dans les miennes. Ah! Manon, lui dis­je en la regardant d'un œil triste, je ne m'étais pas attendu à la noire trahison dont vous avez payé mon amour. Il vous était bien facile de tromper un cœur dont vous étiez la souveraine absolue, et qui mettait toute sa félicité à vous plaire et à vous obéir. Dites­moi maintenant si vous en avez trouvé d'aussi tendres et d'aussi soumis. Non, non, la Nature n'en fait guère de la même trempe que le mien. Dites­moi, du moins, si vous l'avez quelquefois regretté. Quel fond dois­je faire sur ce retour de bonté qui vous ramène aujourd'hui pour le consoler? Je ne vois que trop que vous êtes plus charmante que jamais; mais au nom de toutes les peines que j'ai souffertes pour vous, belle Manon, dites­moi si vous serez plus fidèle. Elle me répondit des choses si touchantes sur son

repentir et elle s'engagea à la fidélité par tant de protestations et de serments, qu'elle m'attendrit à un degré inexprimable. Chère Manon! lui dis­je, avec un mélange profane d'expressions amoureuses et théologiques, tu es trop adorable pour une créature. Je me sens le cœur emporté par une délectation victorieuse. Tout ce qu'on dit de la liberté à Saint­Sulpice est une chimère. Je vais perdre ma fortune et ma réputation pour toi, je le prévois bien; je lis ma destinée dans tes beaux yeux; mais de quelles pertes ne serai­je pas consolé par ton amour! Les faveurs de la fortune ne me touchent point; la gloire me paraît une fumée; tous mes projets de vie ecclésiastique étaient de folles imaginations; enfin tous les biens différents de ceux que j'espère avec toi sont des biens méprisables, puisqu'ils ne sauraient tenir un moment, dans mon cœur contre un seul de tes regards. En lui promettant néanmoins un oubli général de ses

fautes, je voulus être informé de quelle manière elle s'était laissé séduire par B... Elle m'apprit que, l'ayant vue à sa fenêtre, il était devenu passionné pour elle; qu'il avait fait sa déclaration en fermier général, c'est­à­dire en lui marquant dans une lettre que le payement serait proportionné aux faveurs; qu'elle avait capitulé d'abord, mais sans autre dessein que de tirer de lui quelque somme considérable qui pût servir à nous faire vivre commodément; qu'il l'avait éblouie par de si magnifiques promesses, qu'elle s'était laissé ébranler par degrés; que je devais juger pourtant de ses remords par la douleur dont elle m'avait laissé voir des témoignages, la veille de notre séparation; que, malgré l'opulence dans laquelle il l'avait entretenue, elle n'avait jamais goûté de bonheur avec lui, non seulement parce qu'elle n'y trouvait point, me dit­elle, la délicatesse de mes sentiments et l'agrément de mes manières, mais parce qu'au milieu même des plaisirs qu'il lui procurait sans cesse, elle portait, au fond du cœur le souvenir de mon amour et le remords de son infidélité.

had up to this moment enjoyed, to the agitation and tumult which were now kindled in my breast and tingled through my veins, thrilled me with a kind of horror, and impressed me with a vague sense that I was about to undergo some great transformation, and to enter upon a new existence. "We sat down close by each other. I took her hand

within mine, 'Ah! Manon,' said I, with a look of sorrow, 'I little thought that love like mine could have been repaid with treachery! It was a poor triumph to betray a heart of which you were the absolute mistress—whose sole happiness it was to gratify and obey you. Tell me if among others you have found any so affectionate and so devoted? No, no! I believe nature has cast few hearts in the same mould as mine. Tell me at least whether you have ever thought of me with regret! Can I have any reliance on the duration of the feeling that has brought you back to me today? I perceive too plainly that you are infinitely lovelier than ever: but I conjure you by all my past sufferings, dearest Manon, to tell me—can you in future be more faithful?' "She gave me in reply such tender assurances of her

repentance, and pledged her fidelity with such solemn protestations and vows, that I was inexpressibly affected. 'Beauteous Manon,' said I, with rather a profane mixture of amorous and theological expressions, 'you are too adorable for a created being. I feel my heart transported with triumphant rapture. It is folly to talk of liberty at St. Sulpice. Fortune and reputation are but slight sacrifices at such a shrine! I plainly foresee it: I can read my destiny in your bright eyes; but what abundant recompense shall I not find in your affections for any loss I may sustain! The favours of fortune have no influence over me: fame itself appears to me but a mockery; all my projects of a holy life were wild absurdities: in fact, any joys but those I may hope for at your side are fit objects of contempt. There are none that would not vanish into worthlessness before one single glance of thine!' "In promising her, however, a full remission of her past

frailties, I enquired how she permitted herself to be led astray by B——. She informed me that having seen her at her window, he became passionately in love with her; that he made his advances in the true style of a mercantile cit;—that is to say, by giving her to understand in his letter, that his payments would be proportioned to her favours; that she had admitted his overtures at first with no other intention than that of getting from him such a sum as might enable us to live without inconvenience; but that he had so bewildered her with splendid promises, that she allowed herself to be misled by degrees. She added, that I ought to have formed some notion of the remorse she experienced, by her grief on the night of our separation; and assured me that, in spite of the splendour in which he maintained her, she had never known a moment's happiness with him, not only, she said, because he was utterly devoid of that delicacy of sentiment and of those agreeable manners which I possessed, but because even in the midst of the amusements which he

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Elle me parla de Tiberge et de la confusion extrême que sa visite lui avait causée. Un coup d'épée dans le cœur ajouta­t­elle, m'aurait moins ému le sang. Je lui tournai le dos, sans pouvoir soutenir un moment sa présence. Elle continua de me raconter par quels moyens elle

avait été instruite de mon séjour à Paris, du changement de ma condition, et de mes exercices de Sorbonne. Elle m'assura qu'elle avait été si agitée, pendant la dispute, qu'elle avait eu beaucoup de peine, non seulement à retenir ses larmes, mais ses gémissements mêmes et ses cris, qui avaient été plus d'une fois sur le point d'éclater. Enfin, elle me dit qu'elle était sortie de ce lieu la dernière, pour cacher son désordre, et que, ne suivant que le mouvement de son cœur et l'impétuosité de ses désirs, elle était venue droit au séminaire, avec la résolution d'y mourir si elle ne me trouvait pas disposé à lui pardonner. Où trouver un barbare qu'un repentir si vif et si tendre

n'eût pas touché? Pour moi, je sentis, dans ce moment, que j'aurais sacrifié pour Manon tous les évêchés du monde chrétien. Je lui demandai quel nouvel ordre elle jugeait à propos de mettre dans nos affaires. Elle me dit qu'il fallait sur­le­champ sortir du séminaire, et remettre à nous arranger dans un lieu plus sûr. Je consentis à toutes ses volontés sans réplique. Elle entra dans son carrosse, pour aller m'attendre au coin de la rue. Je m'échappai un moment après, sans être aperçu du portier. Je montai avec elle. Nous passâmes à la friperie. Je repris les galons et l'épée. Manon fournit aux frais, car j'étais sans un sou; et dans la crainte que je ne trouvasse de l'obstacle à ma sortie de Saint­Sulpice, elle n'avait pas voulu que je retournasse un moment à ma chambre pour y prendre mon argent. Mon trésor d'ailleurs, était médiocre, et elle assez riche des libéralités de B... pour mépriser ce qu'elle me faisait abandonner. Nous conférâmes, chez le fripier même, sur le parti que nous allions prendre. Pour me faire valoir davantage le sacrifice qu'elle me

faisait de B..., elle résolut de ne pas garder avec lui le moindre ménagement. Je veux lui laisser ses meubles, me dit­elle, ils sont à lui; mais j'emporterai, comme de justice, les bijoux et près de soixante mille francs que j'ai tirés de lui depuis deux ans. Je ne lui ai donné nul pouvoir sur moi, ajouta­t­elle; ainsi nous pouvons demeurer sans crainte à Paris, en prenant une maison commode où nous vivrons heureusement. Je lui représentai que, s'il n'y avait point de péril pour

elle, il y en avait beaucoup pour moi, qui ne manquerais point tôt ou tard d'être reconnu, et qui serais continuellement exposé au malheur que j'avais déjà essuyé. Elle me fit entendre qu'elle aurait du regret à quitter Paris. Je craignais tant de la chagriner qu'il n'y avait point de hasards, que je ne méprisasse pour lui plaire; cependant, nous trouvâmes un tempérament

unceasingly procured her, she could never shake off the recollection of my love, or her own ingratitude. She then spoke of Tiberge, and the extreme embarrassment his visit caused her. 'A dagger's point,' she added, 'could not have struck more terror to my heart. I turned from him, unable to sustain the interview for a moment.' "She continued to inform me how she had been

apprised of my residence at Paris, of the change in my condition, and of her witnessing my examination at the Sorbonne. She told me how agitated she had been during my intellectual conflict with the examiner; what difficulty she felt in restraining her tears as well as her sighs, which were more than once on the point of spurning all control, and bursting forth; that she was the last person to leave the hall of examination, for fear of betraying her distress, and that, following only the instinct of her own heart, and her ardent desires, she came direct to the seminary, with the firm resolution of surrendering life itself, if she found me cruel enough to withhold my forgiveness. "Could any savage remain unmoved by such proofs of

cordial repentance as those I had just witnessed? For my part, I felt at the moment that I could gladly have given up all the bishoprics in Christendom for Manon. I asked what course she would recommend in our present emergency. 'It is requisite,' she replied, 'at all events, to quit the seminary, and settle in some safer place.' I consented to everything she proposed. She got into her carriage to go and wait for me at the corner of the street. I escaped the next moment, without attracting the porter's notice. I entered the carriage, and we drove off to a Jew's. I there resumed my lay­dress and sword. Manon furnished the supplies, for I was without a sou, and fearing that I might meet with some new impediment, she would not consent to my returning to my room at St. Sulpice for my purse. My finances were in truth wretchedly low, and hers more than sufficiently enriched by the liberality of M. de B—— to make her think lightly of my loss. We consulted together at the Jew's as to the course we should now adopt. "In order to enhance the sacrifice she had made for me

of her late lover, she determined to treat him without the least ceremony. 'I shall leave him all his furniture,' she said; 'it belongs to him: but I shall assuredly carry off, as I have a right to do, the jewels, and about sixty thousand francs, which I have had from him in the last two years. I have given him no control over me,' she added, 'so that we may remain without apprehension in Paris, taking a convenient house, where we shall live, oh how happily together!' "I represented to her that, although there might be no

danger for her, there was a great deal for me, who must be sooner or later infallibly recognised, and continually exposed to a repetition of the trials I had before endured. She gave me to understand that she could not quit Paris without regret. I had such a dread of giving her annoyance, that there were no risks I would not have encountered for her sake. However, we compromised

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raisonnable, qui fut de louer une maison dans quelque village voisin de Paris, d'où il nous serait aisé d'aller à la ville lorsque le plaisir ou le besoin nous y appellerait. Nous choisîmes Chaillot, qui n'en est pas éloigné. Manon retourna sur­le­champ chez elle. J'allai l'attendre à la petite porte du jardin des Tuileries. Elle revint une heure après, dans un carrosse de

louage, avec une fille qui la servait, et quelques malles où ses habits et tout ce qu'elle avait de précieux était renfermé. Nous ne tardâmes point à gagner Chaillot. Nous

logeâmes la première nuit à l'auberge, pour nous donner le temps de chercher une maison, ou du moins un appartement commode. Nous en trouvâmes, dès le lendemain, un de notre goût. Mon bonheur me parut d'abord établi d'une manière

inébranlable. Manon était la douceur et la complaisance même. Elle avait pour moi des attentions si délicates, que je me crus trop parfaitement dédommagé de toutes mes peines. Comme nous avions acquis tous deux un peu d'expérience, nous raisonnâmes sur la solidité de notre fortune. Soixante mille francs, qui faisaient le fond de nos richesses, n'étaient pas une somme qui pût s'étendre autant que le cours d'une longue vie. Nous n'étions pas disposés d'ailleurs à resserrer trop notre dépense. La première vertu de Manon, non plus que la mienne, n'était pas l'économie. Voici le plan que je me proposai: Soixante mille francs, lui dis­je, peuvent nous soutenir pendant dix ans. Deux mille écus nous suffiront chaque année, si nous continuons de vivre à Chaillot. Nous y mènerons une vie honnête, mais simple. Notre unique dépense sera pour l'entretien d'un carrosse, et pour les spectacles. Nous nous réglerons. Vous aimez l'Opéra: nous irons deux fois la semaine. Pour le jeu, nous nous bornerons tellement que nos pertes ne passeront jamais deux pistoles. Il est impossible que, dans l'espace de dix ans, il n'arrive point de changement dans ma famille; mon père est âgé, il peut mourir. Je me trouverai du bien, et nous serons alors au­dessus de toutes nos autres craintes. Cet arrangement n'eût pas été la plus folle action de ma

vie, si nous eussions été assez sages pour nous y assujettir constamment. Mais nos résolutions ne durèrent guère plus d'un mois. Manon était passionnée pour le plaisir; je l'étais pour elle. Il nous naissait, à tous moments, de nouvelles occasions de dépense; et loin de regretter les sommes qu'elle employait quelquefois avec profusion, je fus le premier à lui procurer tout ce que je croyais propre à lui plaire. Notre demeure de Chaillot commença même à lui devenir à charge. L'hiver approchait; tout le monde retournait à la ville,

et la campagne devenait déserte. Elle me proposa de reprendre une maison à Paris. Je n'y consentis point; mais, pour la satisfaire en quelque chose, je lui dis que nous pouvions y louer un appartement meublé, et que nous y passerions la nuit lorsqu'il nous arriverait de quitter trop tard l'assemblée où nous allions plusieurs fois

matters by resolving to take a house in some village near Paris, from whence it would be easy for us to come into town whenever pleasure or business required it. We fixed on Chaillot, which is at a convenient distance. Manon at once returned to her house, and I went to wait for her at a side­gate of the garden of the Tuileries. "She returned an hour after, in a hired carriage, with a

servant­maid, and several trunks, which contained her dresses, and everything she had of value. "We were not long on our way to Chaillot. We lodged

the first night at the inn, in order to have time to find a suitable house, or at least a commodious lodging. We found one to our taste the next morning. "My happiness now appeared to be secured beyond the

reach of fate. Manon was everything most sweet and amiable. She was so delicate and so unceasing in her attentions to me, that I deemed myself but too bountifully rewarded for all my past troubles. As we had both, by this time, acquired some experience, we discussed rationally the state of our finances. Sixty thousand francs (the amount of our wealth) was not a sum that could be expected to last our whole life; besides, we were neither of us much disposed to control our expenses. Manon's chief virtue assuredly was not economy, any more than it was mine. This was my proposition. 'Sixty thousand francs,' said I, 'may support us for ten years. Two thousand crowns a year will suffice, if we continue to live at Chaillot. We shall keep up appearances, but live frugally. Our only expense will be occasionally a carriage, and the theatres. We shall do everything in moderation. You like the opera; we shall go twice a week, in the season. As for play, we shall limit ourselves; so that our losses must never exceed three crowns. It is impossible but that in the space of ten years some change must occur in my family: my father is even now of an advanced age; he may die; in which event I must inherit a fortune, and we shall then be above all other fears.' "This arrangement would not have been by any means

the most silly act of my life, if we had only been prudent enough to persevere in its execution; but our resolutions hardly lasted longer than a month. Manon's passion was for amusement; she was the only object of mine. New temptations to expense constantly presented themselves, and far from regretting the money which she sometimes prodigally lavished, I was the first to procure for her everything likely to afford her pleasure. Our residence at Chaillot began even to appear tiresome. "Winter was approaching, and the whole world

returning to town; the country had a deserted look. She proposed to me to take a house in Paris. I did not approve of this; but, in order partly at least to satisfy her, I said that we might hire furnished apartments, and that we might sleep there whenever we were late in quitting the assembly, whither we often went; for the inconvenience of

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la semaine, car l'incommodité de revenir si tard à Chaillot était le prétexte qu'elle apportait pour le vouloir quitter. Nous nous donnâmes ainsi deux logements, l'un à la ville, et l'autre à la campagne. Ce changement mit bientôt le dernier désordre dans nos affaires, en faisant naître deux aventures qui causèrent notre ruine. Manon avait un frère, qui était garde du corps. Il se

trouva malheureusement logé, à Paris, dans la même rue que nous. Il reconnut sa sœur, en la voyant le matin à sa fenêtre. Il accourut aussitôt chez nous. C'était un homme brutal et sans principes d'honneur. Il entra dans notre chambre en jurant horriblement, et comme il savait une partie des aventures de sa sœur, il l'accabla d'injures et de reproches. J'étais sorti un moment auparavant, ce qui fut sans

doute un bonheur pour lui ou pour moi, qui n'étais rien moins que disposé à souffrir une insulte. Je ne retournai au logis qu'après son départ. La tristesse de Manon me fit juger qu'il s'était passé quelque chose d'extraordinaire. Elle me raconta la scène fâcheuse qu'elle venait d'essuyer et les menaces brutales de son frère. J'en eus tant de ressentiment, que j'eusse couru sur­le­champ à la vengeance si elle ne m'eût arrêté par ses larmes. Pendant que je m'entretenais avec elle de cette

aventure, le garde du corps rentra dans la chambre où nous étions, sans s'être fait annoncer. Je ne l'aurais pas reçu aussi civilement que je fis si je l'eusse connu; mais, nous ayant salués d'un air riant, il eut le temps de dire à Manon qu'il venait lui faire des excuses de son comportement; qu'il l'avait crue dans le désordre, et que cette opinion avait allumé sa colère; mais que, s'étant informé qui j'étais, d'un de nos domestiques, il avait appris de moi des choses si avantageuses, qu'elles lui faisaient désirer de bien vivre avec nous. Quoique cette information, qui lui venait d'un de mes

laquais, eût quelque chose de bizarre et de choquant, je reçus son compliment avec honnêteté. Je crus faire plaisir à Manon. Elle paraissait charmée de le voir porté à se réconcilier. Nous le retînmes à dîner. Il se rendit, en peu de moments, si familier que nous

ayant entendus parler de notre retour à Chaillot, il voulut absolument nous tenir compagnie. Il fallut lui donner une place dans notre carrosse. Ce fut une prise de possession, car il s'accoutuma bientôt à nous voir avec tant de plaisir qu'il fit sa maison de la nôtre et qu'il se rendit le maître, en quelque sorte, de tout ce qui nous appartenait. Il m'appelait son frère, et sous prétexte de la liberté fraternelle, il se mit sur le pied d'amener tous ses amis dans notre maison de Chaillot, et de les y traiter à nos dépens. Il se fit habiller magnifiquement à nos frais. Il nous engagea même à payer toutes ses dettes. Je fermais les yeux sur cette tyrannie, pour ne pas déplaire à Manon, jusqu'à feindre de ne pas m'apercevoir qu'il tirait d'elle, de

returning so late to Chaillot was her excuse for wishing to leave it. We had thus two dwellings, one in town and the other in the country. This change soon threw our affairs into confusion, and led to two adventures, which eventually caused our ruin. "Manon had a brother in the Guards. He unfortunately

lived in the very street in which we had taken lodgings. He one day recognised his sister at the window, and hastened over to us. He was a fellow of the rudest manners, and without the slightest principle of honour. He entered the room swearing in the most horrible way; and as he knew part of his sister's history, he loaded her with abuse and reproaches. "I had gone out the moment before, which was

doubtless fortunate for either him or me, for I was little disposed to brook an insult. I only returned to the lodgings after he had left them. The low spirits in which I found Manon convinced me at once that something extraordinary had occurred. She told me of the provoking scene she had just gone through, and of the brutal threats of her brother. I felt such indignation, that I wished to proceed at once to avenge her, when she entreated me with tears to desist. "While we were still talking of the adventure, the

guardsman again entered the room in which we sat, without even waiting to be announced. Had I known him, he should not have met from me as civil a reception as he did; but saluting us with a smile upon his countenance, he addressed himself to Manon, and said, he was come to make excuses for his violence; that he had supposed her to be living a life of shame and disgrace, and it was this notion that excited his rage; but having since made enquiry from one of our servants, he had learned such a character of me, that his only wish was now to be on terms with us both. "Although this admission, of having gone for

information to one of my own servants, had in it something ludicrous as well as indelicate, I acknowledged his compliments with civility, I thought by doing so to please Manon, and I was not deceived—she was delighted at the reconciliation. We made him stay to dine with us. "In a little time he became so familiar, that hearing us

speak of our return to Chaillot, he insisted on accompanying us. We were obliged to give him a seat in our carriage. This was in fact putting him into possession, for he soon began to feel so much pleasure in our company, that he made our house his home, and made himself in some measure master of all that belonged to us. He called me his brother, and, under the semblance of fraternal freedom, he put himself on such a footing as to introduce all his friends without ceremony into our house at Chaillot, and there entertain them at our expense. His magnificent uniforms were procured of my tailor and charged to me, and he even contrived to make Manon and me responsible for all his debts. I pretended to be blind to

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temps en temps, des sommes considérables. Il est vrai, qu'étant grand joueur il avait la fidélité de lui en remettre une partie lorsque la fortune le favorisait; mais la nôtre était trop médiocre pour fournir longtemps à des dépenses si peu modérées. J'étais sur le point de m'expliquer fortement avec lui,

pour nous délivrer de ses importunités, lorsqu'un funeste accident m'épargna cette peine, en nous en causant une autre qui nous abîma sans ressource. Nous étions demeurés un jour à Paris, pour y coucher

comme il nous arrivait fort souvent. La servante, qui restait seule à Chaillot dans ces occasions, vint m'avertir, le matin, que le feu avait pris, pendant la nuit, dans ma maison, et qu'on avait eu beaucoup de difficulté à l'éteindre. Je lui demandai si nos meubles avaient souffert quelque dommage; elle me répondit qu'il y avait eu une si grande confusion, causée par la multitude d'étrangers qui étaient venus au secours, qu'elle ne pouvait être assurée de rien. Je tremblai pour notre argent, qui était renfermé dans une petite caisse. Je me rendis promptement à Chaillot. Diligence inutile; la caisse avait déjà disparu. J'éprouvai alors qu'on peut aimer l'argent sans être

avare. Cette perte me pénétra d'une si vive douleur que j'en pensai perdre la raison. Je compris tout d'un coup à quels nouveaux malheurs j'allais me trouver exposé; l'indigence était le moindre. Je connaissais Manon; je n'avais déjà que trop éprouvé que, quelque fidèle et quelque attachée qu'elle me fût dans la bonne fortune, il ne fallait pas compter sur elle dans la misère. Elle aimait trop l'abondance et les plaisirs pour me les sacrifier: Je la perdrai, m'écriai­je. Malheureux Chevalier tu vas donc perdre encore tout ce que tu aimes! Cette pensée me jeta dans un trouble si affreux, que je balançai, pendant quelques moments, si je ne ferais pas mieux de finir tous mes maux par la mort. Cependant, je conservai assez de présence d'esprit pour vouloir examiner auparavant s'il ne me restait nulle ressource. Le Ciel me fit naître une idée, qui arrêta mon désespoir. Je crus qu'il ne me serait pas impossible de cacher notre perte à Manon, et que, par industrie ou par quelque faveur du hasard, je pourrais fournir assez honnêtement à son entretien pour l'empêcher de sentir la nécessité. J'ai compté, disais­je pour me consoler que vingt mille

écus nous suffiraient pendant dix ans. Supposons que les dix ans soient écoulés, et que nul des changements que j'espérais ne soit arrivé dans ma famille. Quel parti prendrais­je? Je ne le sais pas trop bien, mais, ce que je ferais alors, qui m'empêche de le faire aujourd'hui? Combien de personnes vivent à Paris, qui n'ont ni mon esprit, ni mes qualités naturelles, et qui doivent néanmoins leur entretien à leurs talents, tels qu'ils les ont!

this system of tyranny, rather than annoy Manon, and even to take no notice of the sums of money which from time to time he received from her. No doubt, as he played very deep, he was honest enough to repay her a part sometimes, when luck turned in his favour; but our finances were utterly inadequate to supply, for any length of time, demands of such magnitude and frequency. "I was on the point of coming to an understanding with

him, in order to put an end to the system, when an unfortunate accident saved me that trouble, by involving us in inextricable ruin. "One night we stopped in Paris to sleep, as it had now

indeed become our constant habit. The servant­maid who on such occasions remained alone at Chaillot, came early the next morning to inform me that our house had taken fire in the night, and that the flames had been extinguished with great difficulty. I asked whether the furniture had suffered. She answered, that there had been such confusion, owing to the multitude of strangers who came to offer assistance, that she could hardly ascertain what damage had been done. I was principally uneasy about our money, which had been locked up in a little box. I went off in haste to Chaillot. Vain hope! the box had disappeared! "I discovered that one could love money without being

a miser. This loss afflicted me to such a degree that I was almost out of my mind. I saw at one glance to what new calamities I should be exposed: poverty was the least of them. I knew Manon thoroughly; I had already had abundant proof that, although faithful and attached to me under happier circumstances, she could not be depended upon in want: pleasure and plenty she loved too well to sacrifice them for my sake. 'I shall lose her!' I cried; 'miserable chevalier! you are about then to lose all that you love on earth!' This thought agitated me to such a degree that I actually for some moments considered whether it would not be best for me to end at once all my miseries by death. I however preserved presence of mind enough to reflect whether I was entirely without resource, and an idea occurred to me which quieted my despair. It would not be impossible, I thought, to conceal our loss from Manon; and I might perhaps discover some ways and means of supplying her, so as to ward off the inconveniences of poverty. "I had calculated in endeavouring to comfort myself,

that twenty thousand crowns would support us for ten years. Suppose that these ten years had now elapsed, and that none of the events which I had looked for in my family had occurred. What then would have been my course? I hardly know; but whatever I should then have done, why may I not do now? How many are there in Paris, who have neither my talents, nor the natural advantages I possess, and who, notwithstanding, owe their support to the exercise of their talents, such as they are?

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La Providence, ajoutais­je, en réfléchissant sur les différents états de la vie, n'a­t­elle pas arrangé les choses fort sagement? La plupart des grands et des riches sont des sots: cela est clair à qui connaît un peu le monde. Or il y a là­dedans une justice admirable: s'ils joignaient l'esprit aux richesses, ils seraient trop heureux, et le reste des hommes trop misérable. Les qualités du corps et de l'âme sont accordées à ceux­ci, comme des moyens pour se tirer de là misère et de la pauvreté. Les uns prennent part aux richesses des grands en servant à leurs plaisirs: ils en font des dupes; d'autres servent à leur instruction: ils tâchent d'en faire d'honnêtes gens; il est rare, à la vérité, qu'ils y réussissent, mais ce n'est pas là le but de la divine Sagesse: ils tirent toujours un fruit de leurs besoins, qui est de vivre aux dépens de ceux qu'ils instruisent, et de quelque façon qu'on le prenne, c'est un fond excellent de revenu pour les petits, que la sottise des riches et des grands. Ces pensées me remirent un peu le cœur et la tête. Je

résolus d'abord d'aller consulter M. Lescaut, frère de Manon. Il connaissait parfaitement Paris, et je n'avais eu que trop d'occasions de reconnaître que ce n'était ni de son bien ni de la paye du roi qu'il tirait son plus clair revenu. Il me restait à peine vingt pistoles qui s'étaient trouvées heureusement dans ma poche. Je lui montrai ma bourse, en lui expliquant mon malheur et mes craintes, et je lui demandai s'il y avait pour moi un parti à choisir entre celui de mourir de faim, ou de me casser la tête de désespoir. Il me répondit que se casser la tête était la ressource des sots; pour mourir de faim, qu'il y avait quantité de gens d'esprit qui s'y voyaient réduits, quand ils ne voulaient pas faire usage de leurs talents; que c'était à moi d'examiner de quoi j'étais capable; qu'il m'assurait de son secours et de ses conseils dans toutes mes entreprises. Cela est bien vague, monsieur Lescaut, lui dis­je; mes

besoins demanderaient un remède plus présent, car que voulez­vous que je dise à Manon? A propos de Manon, reprit­il, qu'est­ce qui vous embarrasse? N'avez­vous pas toujours, avec elle, de quoi finir vos inquiétudes quand vous le voudrez? Une fille comme elle devrait nous entretenir vous, elle et moi. Il me coupa la réponse que cette impertinence méritait, pour continuer de me dire qu'il me garantissait avant le soir mille écus à partager entre nous, si je voulais suivre son conseil; qu'il connaissait un seigneur si libéral sur le chapitre des plaisirs, qu'il était sûr que mille écus ne lui coûteraient rien pour obtenir les faveurs d'une fille telle que Manon. Je l'arrêtai. J'avais meilleure opinion de vous, lui

répondis­je; je m'étais figuré que le motif que vous aviez eu, pour m'accorder votre amitié, était un sentiment tout opposé à celui où vous êtes maintenant. Il me confessa impudemment qu'il avait toujours pensé de même, et que, sa sœur ayant une fois violé les lois de son sexe, quoique en faveur de l'homme qu'il aimait le plus, il ne s'était réconcilié avec elle que dans l'espérance de tirer parti de sa mauvaise conduite.

"'Has not Providence,' I added, while reflecting on the different conditions of life, 'arranged things wisely?' The greater number of the powerful and the rich are fools. No one who knows anything of the world can doubt that. How admirable is the compensating justice thereof! If wealth brought with it talent also, the rich would be too happy, and other men too wretched. To these latter are given personal advantages and genius, to help them out of misery and want. Some of them share the riches of the wealthy by administering to their pleasures, or by making them their dupes; others afford them instruction, and endeavour to make them decent members of society; to be sure, they do not always succeed; but that was probably not the intention of the divine wisdom. In every case they derive a benefit from their labours by living at the expense of their pupils; and, in whatever point of view it is considered, the follies of the rich are a bountiful source of revenue to the humbler classes. "These thoughts restored me a little to my spirits and

to my reason. I determined first to consult M. Lescaut, the brother of Manon. He knew Paris perfectly; and I had too many opportunities of learning that it was neither from his own estates, nor from the king's pay, that he derived the principal portion of his income. I had about thirty­three crowns left, which I fortunately happened to have about me. I showed him my purse, and explained to him my misfortune and my fears, and then asked him whether I had any alternative between starvation and blowing out my brains in despair. He coolly replied that suicide was the resource of fools. As to dying of want, there were hundreds of men of genius who found themselves reduced to that state when they would not employ their talents; that it was for myself to discover what I was capable of doing, and he told me to reckon upon his assistance and his advice in any enterprise I might undertake. "'Vague enough, M. Lescaut!' said I to him: 'my wants

demand a more speedy remedy; for what am I to say to Manon?' 'Apropos of Manon,' replied he, 'what is it that annoys you about her? Cannot you always find in her wherewithal to meet your wants, when you wish it? Such a person ought to support us all, you and me as well as herself.' He cut short the answer which I was about to give to such unfeeling and brutal impertinence, by going on to say, that before night he would ensure me a thousand crowns to divide between us, if I would only follow his advice; that he was acquainted with a nobleman, who was so liberal in affairs of the kind, that he was certain he would not hesitate for a moment to give the sum named for the favours of such a girl as Manon. "I stopped him. 'I had a better opinion of you,' said I; 'I

had imagined that your motive for bestowing your friendship upon me was very different indeed from the one you now betray.' With the greatest effrontery he acknowledged that he had been always of the same mind, and that his sister having once sacrificed her virtue, though it might be to the man she most loved, he would never have consented to a reconciliation with her, but with the hope of deriving some advantage from her past

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Il me fut aisé de juger que jusqu'alors nous avions été

ses dupes. Quelque émotion néanmoins que ce discours m'eût causée, le besoin que j'avais de lui m'obligea de répondre, en riant, que son conseil était une dernière ressource qu'il fallait remettre à l'extrémité. Je le priai de m'ouvrir quelque autre voie. Il me proposa de profiter de ma jeunesse et de la figure

avantageuse que j'avais reçue de la nature, pour me mettre en liaison avec quelque dame vieille et libérale. Je ne goûtai pas non plus ce parti, qui m'aurait rendu infidèle à Manon. Je lui parlai du jeu, comme du moyen le plus facile, et

le plus convenable à ma situation. Il me dit que le jeu, à la vérité, était une ressource, mais que cela demandait d'être expliqué; qu'entreprendre de jouer simplement, avec les espérances communes, c'était le vrai moyen d'achever ma perte; que de prétendre exercer seul, et sans être soutenu, les petits moyens qu'un habile homme emploie pour corriger la fortune, était un métier trop dangereux; qu'il y avait une troisième voie, qui était celle de l'association, mais que ma jeunesse lui faisait craindre que messieurs les Confédérés ne me jugeassent point encore les qualités propres à la Ligue. Il me promit néanmoins ses bons offices auprès d'eux; et ce que je n'aurais pas attendu de lui, il m'offrit quelque argent, lorsque je me trouverais pressé du besoin. L'unique grâce que je lui demandai, dans les circonstances, fut de ne rien apprendre à Manon de la perte que j'avais faite, et du sujet de notre conversation. Je sortis de chez lui, moins satisfait encore que je n'y

étais entré; je me repentis même de lui avoir confié mon secret. Il n'avait rien fait, pour moi, que je n'eusse pu obtenir de même sans cette ouverture, et je craignais mortellement qu'il ne manquât à la promesse qu'il m'avait faite de ne rien découvrir à Manon. J'avais lieu d'appréhender aussi, par la déclaration de ses sentiments, qu'il ne formât le dessein de tirer parti d'elle, suivant ses propres termes, en l'enlevant de mes mains, ou, du moins, en lui conseillant de me quitter pour s'attacher à quelque amant plus riche et plus heureux. Je fis là­dessus mille réflexions, qui n'aboutirent qu'à me tourmenter et à renouveler le désespoir où j'avais été le matin. Il me vint plusieurs fois à l'esprit d'écrire à mon père, et de feindre une nouvelle conversion, pour obtenir de lui quelque secours d'argent; mais je me rappelai aussitôt que, malgré toute sa bonté, il m'avait resserré six mois dans une étroite prison, pour ma première faute; j'étais bien sûr qu'après un éclat tel que l'avait dû causer ma fuite de Saint­Sulpice, il me traiterait beaucoup plus rigoureusement. Enfin, cette confusion de pensées en produisit une qui

remit le calme tout d'un coup dans mon esprit, et que je m'étonnai de n'avoir pas eue plus tôt, ce fut de recourir à mon ami Tiberge, dans lequel j'étais bien certain de

misconduct. "It was easy to see that we had been hitherto his dupes.

Notwithstanding the disgust with which his proposition inspired me, still, as I felt that I had occasion for his services, I said, with apparent complacency, that we ought only to entertain such a plan as a last resource. I begged of him to suggest some other. "He proposed to me to turn my youth and the good

looks nature had bestowed upon me to some account, by establishing a liaison with some generous old dame. This was just as little to my taste, for it would necessarily have rendered me unfaithful to Manon. "I mentioned play as the easiest scheme, and the most

suitable to my present situation. He admitted that play certainly was a resource, but that it was necessary to consider the point well. 'Mere play,' said he, 'with its ordinary chances, is the certain road to ruin; and as for attempting, alone and without an ally, to employ the little means an adroit man has for correcting the vagaries of luck, it would be too dangerous an experiment.' There was, he stated, a third course, which was to enter into what he called a partnership; but he feared his confederates would consider my youth an objection to my admittance. He, however, promised to use his influence with them; and, what was more than I expected at his hands, he said that he would supply me with a little money whenever I had pressing occasion for any. The only favour I then asked of him was to say nothing to Manon of the loss I had experienced, nor of the subject of our conversation. "I certainly derived little comfort from my visit to

Lescaut; I felt even sorry for having confided my secret to him: not a single thing had he done for me that I might not just as well have done for myself, without troubling him; and I could not help dreading that he would violate his promise to keep the secret from Manon. I had also reason to apprehend, from his late avowals, that he might form the design of making use of her for his own vile purposes, or at least of advising her to quit me for some happier and more wealthy lover. This idea brought in its train a thousand reflections, which had no other effect than to torment me, and throw me again into the state of despair in which I had passed the morning. It occurred to me, more than once, to write to my father; and to pretend a new reformation, in order to obtain some pecuniary assistance from him; but I could not forget that, notwithstanding all his natural love and affection for me, he had shut me up for six months in a confined room for my first transgression; and I was certain that, after the scandalous sensation caused by my flight from St. Sulpice, he would be sure to treat me with infinitely more rigour now. "At length, out of this chaos of fancies came an idea

that all at once restored ease to my mind, and which I was surprised at not having hit upon sooner; this was, to go again to my friend Tiberge, in whom I might be always

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retrouver toujours le même fond de zèle et d'amitié. Rien n'est plus admirable, et ne fait plus d'honneur à la vertu, que la confiance avec laquelle on s'adresse aux personnes dont on connaît parfaitement la probité. On sent qu'il n'y a point de risque à courir. Si elles ne sont pas toujours en état d'offrir du secours, on est sûr qu'on en obtiendra du moins de la bonté et de la compassion. Le cœur, qui se ferme avec tant de soin au reste des hommes, s'ouvre naturellement en leur présence, comme une fleur s'épanouit à la lumière du soleil, dont elle n'attend qu'une douce influence. Je regardai comme un effet de la protection du Ciel de

m'être souvenu si à propos de Tiberge, et je résolus de chercher les moyens de le voir avant la fin du jour. Je retournai sur­le­champ au logis, pour lui écrire un mot, et lui marquer un lieu propre à notre entretien. Je lui recommandais le silence et la discrétion, comme un des plus importants services qu'il pût me rendre dans la situation de mes affaires. La joie que l'espérance de le voir m'inspirait effaça les

traces du chagrin que Manon n'aurait pas manqué d'apercevoir sur mon visage. Je lui parlai de notre malheur de Chaillot comme d'une bagatelle qui ne devait pas l'alarmer; et Paris étant le lieu du monde où elle se voyait avec le plus de plaisir elle ne fut pas fâchée de m'entendre dire qu'il était à propos d'y demeurer jusqu'à ce qu'on eût réparé à Chaillot quelques légers effets de l'incendie. Une heure après, je reçus la réponse de Tiberge, qui me

promettait de se rendre au lieu de l'assignation. J'y courus avec impatience. Je sentais néanmoins quelque honte d'aller paraître aux yeux d'un ami, dont la seule présence devait être un reproche de mes désordres, mais l'opinion que j'avais de la bonté de son cœur et l'intérêt de Manon soutinrent ma hardiesse. Je l'avais prié de se trouver au jardin du Palais­Royal.

Il y était avant moi. Il vint m'embrasser, aussitôt qu'il m'eut aperçu. Il me tint serré longtemps entre ses bras, et je sentis mon visage mouillé de ses larmes. Je lui dis que je ne me présentais à lui qu'avec confusion, et que je portais dans le cœur un vif sentiment de mon ingratitude; que la première chose dont je le conjurais était de m'apprendre s'il m'était encore permis de le regarder comme mon ami, après avoir mérité si justement de perdre son estime et son affection. Il me répondit, du ton le plus tendre, que rien n'était capable de le faire renoncer à cette qualité; que mes malheurs mêmes, et si je lui permettais de le dire, mes fautes et mes désordres, avaient redoublé sa tendresse pour moi; mais que c'était une tendresse mêlée de la plus vive douleur, telle qu'on la sent pour une personne chère, qu'on voit toucher à sa perte sans pouvoir la secourir. Nous nous assîmes sur un banc. Hélas! lui dis­je, avec

un soupir parti du fond du cœur votre compassion doit être excessive, mon cher Tiberge; si vous m'assurez qu'elle

sure of finding the same unfailing zeal and friendship. There is nothing more glorious—nothing that does more honour to true virtue, than the confidence with which one approaches a friend of tried integrity; no apprehension, no risk of unkind repulse: if it be not always in his power to afford the required succour, one is sure at least of meeting kindness and compassion. The heart of the poor supplicant, which remains impenetrably closed to the rest of the world, opens in his presence, as a flower expands before the orb of day, from which it instinctively knows it can derive a cheering and benign influence only. "I consider it a blessing to have thought so apropos of

Tiberge, and resolved to take measures to find him before evening. I returned at once to my lodgings to write him a line, and fix a convenient place for our meeting. I requested secrecy and discretion, as the most important service he could render me under present circumstances. "The pleasure I derived from the prospect of seeing

Tiberge dissipated every trace of melancholy, which Manon would not have failed otherwise to detect in my countenance. I described our misfortune at Chaillot as a trifle which ought not to annoy her; and Paris being the spot she liked best in the world, she was not sorry to hear me say that it would be necessary for us to remain there entirely, until the little damage was repaired which had been caused by the fire at Chaillot. "In an hour I received an answer from Tiberge, who

promised to be at the appointed rendezvous. I went there punctually. I certainly felt some shame at encountering a friend whose presence alone ought to be a reproach to my iniquities; but I was supported by the opinion I had of the goodness of his heart, as well as by my anxiety about Manon. "I had begged of him to meet me in the garden of the

Palais Royal. He was there before me. He hastened towards me, the moment he saw me approach and shook me warmly by both hands. I said that I could not help feeling perfectly ashamed to meet him, and that I was weighed down by a sense of my ingratitude; that the first thing I implored of him was to tell me whether I might still consider him my friend, after having so justly incurred the loss of his esteem and affection. He replied, in the kindest possible manner, that it was not in the nature of things to destroy his regard for me; that my misfortunes even, or, if he might so call them, my faults and transgressions, had but increased the interest he felt for me; but that he must confess his affection was not unalloyed by a sentiment of the liveliest sorrow, such as a person may be supposed to feel at seeing a beloved object on the brink of ruin, and beyond the reach of his assistance. "We sat down upon a bench. 'Alas!' said I with a deep

sigh, 'your compassion must be indeed great, my dear Tiberge, if you assure me it is equal to my sufferings. I am

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est égale à mes peines. J'ai honte de vous les laisser voir, car je confesse que la cause n'en est pas glorieuse, mais l'effet en est si triste qu'il n'est pas besoin de m'aimer autant que vous faites pour en être attendri. Il me demanda, comme une marque d'amitié, de lui

raconter sans déguisement ce qui m'était arrivé depuis mon départ de Saint­Sulpice. Je le satisfis; et loin d'altérer quelque chose à la vérité, ou de diminuer mes fautes pour les faire trouver plus excusables, je lui parlai de ma passion avec toute la force qu'elle m'inspirait. Je la lui représentai comme un de ces coups particuliers du destin qui s'attache à la ruine d'un misérable, et dont il est aussi impossible à la vertu de se défendre qu'il l'a été à la sagesse de les prévoir. Je lui fis une vive peinture de mes agitations, de mes craintes, du désespoir où j'étais deux heures avant que de le voir et de celui dans lequel j'allais retomber, si j'étais abandonné par mes amis aussi impitoyablement que par la fortune; enfin, j'attendris tellement le bon Tiberge, que je le vis aussi affligé par la compassion que je l'étais par le sentiment de mes peines. Il ne se lassait point de m'embrasser et de m'exhorter à

prendre du courage et de la consolation, mais, comme il supposait toujours qu'il fallait me séparer de Manon, je lui fis entendre nettement que c'était cette séparation même que je regardais comme la plus grande de mes infortunes, et que j'étais disposé à souffrir, non seulement le dernier excès de la misère, mais la mort la plus cruelle, avant que de recevoir un remède plus insupportable que tous mes maux ensemble. Expliquez­vous donc, me dit­il: quelle espèce de

secours suis­je capable de vous donner si vous vous révoltez contre toutes mes propositions? Je n'osais lui déclarer que c'était de sa bourse que j'avais besoin. Il le comprit pourtant à la fin, et m'ayant confessé qu'il croyait m'entendre, il demeura quelque temps suspendu, avec l'air d'une personne qui balance. Ne croyez pas, reprit­il bientôt, que ma rêverie vienne d'un refroidissement de zèle et d'amitié. Mais à quelle alternative me réduisez­vous, s'il faut que je vous refuse le seul secours que vous voulez accepter ou que je blesse mon devoir en vous l'accordant? car n'est­ce, pas prendre part à votre désordre, que de vous y faire persévérer? Cependant, continua­t­il après avoir réfléchi un

moment, je m'imagine que c'est peut­être l'état violent où l'indigence vous jette, qui ne vous laisse pas assez de liberté pour choisir le meilleur parti; il faut un esprit tranquille pour goûter la sagesse et la vérité. Je trouverai le moyen de vous faire avoir quelque argent. Permettez­moi, mon cher Chevalier ajouta­t­il en m'embrassant, d'y mettre seulement une condition: c'est que vous m'apprendrez le lieu de votre demeure, et que vous souffrirez que je fasse du moins mes efforts pour vous ramener à la vertu, que je sais que vous aimez, et dont il n'y a que la violence de vos passions qui vous écarte.

almost ashamed to recount them, for I confess they have been brought on by no very creditable course of conduct: the results, however, are so truly melancholy, that a friend even less attached than you would be affected by the recital.' "He then begged of me, in proof of friendship, to let

him know, without any disguise, all that had occurred to me since my departure from St. Sulpice. I gratified him; and so far from concealing anything, or attempting to extenuate my faults, I spoke of my passion with all the ardour with which it still inspired me. I represented it to him as one of those especial visitations of fate, which draw on the devoted victim to his ruin, and which it is as impossible for virtue itself to resist, as for human wisdom to foresee. I painted to him in the most vivid colours, my excitement, my fears, the state of despair in which I had been two hours before I saw him, and into which I should be again plunged, if I found my friends as relentless as fate had been. I at length made such an impression upon poor Tiberge, that I saw he was as much affected by compassion, as I by the recollection of my sufferings. "He took my hand, and exhorted me to have courage

and be comforted; but, as he seemed to consider it settled that Manon and I were to separate, I gave him at once to understand that it was that very separation I considered as the most intolerable of all my misfortunes; and that I was ready to endure not only the last degree of misery, but death itself, of the cruellest kind, rather than seek relief in a remedy worse than the whole accumulation of my woes. "'Explain yourself, then,' said he to me; 'what

assistance can I afford you, if you reject everything I propose?' I had not courage to tell him that it was from his purse I wanted relief. He, however, comprehended it in the end; and acknowledging that he believed he now understood me, he remained for a moment in an attitude of thought, with the air of a person revolving something in his mind. 'Do not imagine,' he presently said, 'that my hesitation arises from any diminution of my zeal and friendship; but to what an alternative do you now reduce me, since I must either refuse you the assistance you ask, or violate my most sacred duty in affording it! For is it not participating in your sin to furnish you with the means of continuing its indulgence?' "'However,' continued he, after a moment's thought, 'it

is perhaps the excited state into which want has thrown you, that denies you now the liberty of choosing the proper path. Man's mind must be at rest, to know the luxury of wisdom and virtue. I can afford to let you have some money; and permit me, my dear chevalier, to impose but one condition; that is, that you let me know the place of your abode, and allow me the opportunity of using my exertions to reclaim you. I know that there is in your heart a love of virtue, and that you have been only led astray by the violence of your passions.'

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Je lui accordai sincèrement tout ce qu'il souhaitait, et je le priai de plaindre la malignité de mon sort, qui me faisait profiter si mal des conseils d'un ami si vertueux. Il me mena aussitôt chez un banquier de sa connaissance, qui m'avança cent pistoles sur son billet, car il n'était rien moins qu'en argent comptant. J'ai déjà dit qu'il n'était pas riche. Son bénéfice valait mille écus, mais, comme c'était la première année qu'il le possédait, il n'avait encore rien touché du revenu: c'était sur les fruits futurs qu'il me faisait cette avance. Je sentis tout le prix de sa générosité. J'en fus touché,

jusqu'au point de déplorer l'aveuglement d'un amour fatal, qui me faisait violer tous les devoirs. La vertu eut assez de force pendant quelques moments pour s'élever dans mon cœur contre ma passion, et j'aperçus du moins, dans cet instant de lumière, la honte et l'indignité de mes chaînes. Mais ce combat fut léger et dura peu. La vue de Manon m'aurait fait précipiter du ciel, et je m'étonnai, en me retrouvant près d'elle, que j'eusse pu traiter un moment de honteuse une tendresse si juste pour un objet si charmant. Manon était une créature d'un caractère

extraordinaire. Jamais fille n'eut moins d'attachement qu'elle pour l'argent, mais elle ne pouvait être tranquille un moment, avec la crainte d'en manquer. C'était du plaisir et des passe­temps qu'il lui fallait. Elle n'eût jamais voulu toucher un sou, si l'on pouvait se divertir sans qu'il en coûte. Elle ne s'informait pas même quel était le fonds de nos richesses, pourvu qu'elle pût passer agréablement la journée, de sorte que, n'étant ni excessivement livrée au jeu ni capable d'être éblouie par le faste des grandes dépenses, rien n'était plus facile que de la satisfaire, en lui faisant naître tous les jours des amusements de son goût. Mais c'était une chose si nécessaire pour elle, d'être ainsi occupée par le plaisir qu'il n'y avait pas le moindre fond à faire, sans cela, sur son humeur et sur ses inclinations. Quoiqu'elle m'aimât tendrement, et que je fusse le seul, comme elle en convenait volontiers, qui pût lui faire goûter parfaitement les douceurs de l'amour j'étais presque certain que sa tendresse ne tiendrait point contre de certaines craintes. Elle m'aurait préféré à toute la terre avec une fortune médiocre; mais je ne doutais nullement qu'elle ne m'abandonnât pour quelque nouveau B... lorsqu'il ne me resterait que de la constance et de la fidélité à lui offrir. Je résolus donc de régler si bien ma dépense

particulière que je fusse toujours en état de fournir aux siennes, et de me priver plutôt de mille choses nécessaires que de la borner même pour le superflu. Le carrosse m'effrayait plus que tout le reste; car il n'y avait point d'apparence de pouvoir entretenir des chevaux et un cocher. Je découvris ma peine à M. Lescaut. Je ne lui avais

point caché que j'eusse reçu cent pistoles d'un ami. Il me répéta que, si je voulais tenter le hasard du jeu, il ne désespérait point qu'en sacrifiant de bonne grâce une

"I, of course, agreed to everything he asked, and only begged of him to deplore the malign destiny which rendered me callous to the counsels of so virtuous a friend. He then took me to a banker of his acquaintance, who gave one hundred and seventy crowns for his note of hand, which was taken as cash. I have already said that he was not rich. His living was worth about six thousand francs a year, but as this was the first year since his induction, he had as yet touched none of the receipts, and it was out of the future income that he made me this advance. "I felt the full force of his generosity, even to such a

degree as almost to deplore the fatal passion which thus led me to break through all the restraints of duty. Virtue had for a moment the ascendancy in my heart, and made me sensible of my shame and degradation. But this was soon over. For Manon I could have given up my hopes of heaven, and when I again found myself at her side, I wondered how I could for an instant have considered myself degraded by my passion for this enchanting girl. "Manon was a creature of most extraordinary

disposition. Never had mortal a greater contempt for money, and yet she was haunted by perpetual dread of wanting it. Her only desire was for pleasure and amusement. She would never have wished to possess a sou, if pleasure could be procured without money. She never even cared what our purse contained, provided she could pass the day agreeably; so that, being neither fond of play nor at all dazzled by the desire of great wealth, nothing was more easy than to satisfy her, by daily finding out amusements suited to her moderate wishes. But it became by habit a thing so absolutely necessary for her to have her mind thus occupied, that, without it, it was impossible to exercise the smallest influence over her temper or inclinations. Although she loved me tenderly, and I was the only person, as she often declared, in whose society she could ever find the pure enjoyments of love, yet I felt thoroughly convinced that her attachment could not withstand certain apprehensions. She would have preferred me, even with a moderate fortune, to the whole world; but I had no kind of doubt that she would, on the other hand, abandon me for some new M. de B——, when I had nothing more to offer her than fidelity and love. "I resolved therefore so to curtail my own individual

expenses, as to be able always to meet hers, and rather to deprive myself of a thousand necessaries than even to limit her extravagance. The carriage made me more uneasy than anything else, for I saw no chance of being able to maintain either coachman or horses. "I told M. Lescaut of my difficulties, and did not

conceal from him that I had received a thousand francs from a friend. He repeated, that if I wished to try the chances of the gaming­table, he was not without hopes

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centaine de francs pour traiter ses associés, je ne pusse être admis, à sa recommandation, dans la Ligue de l'Industrie. Quelque répugnance que j'eusse à tromper je me laissai entraîner par une cruelle nécessité. M. Lescaut me présenta, le soir même, comme un de

ses parents; il ajouta que j'étais d'autant mieux disposé à réussir que j'avais besoin des plus grandes faveurs de la fortune. Cependant, pour faire connaître que ma misère n'était pas celle d'un homme de néant, il leur dit que j'étais dans le dessein de leur donner à souper. L'offre fut acceptée. Je les traitai magnifiquement. On s'entretint longtemps de la gentillesse de ma figure et de mes heureuses dispositions. On prétendit qu'il y avait beaucoup à espérer de moi, parce qu'ayant quelque chose dans la physionomie qui sentait l'honnête homme, personne ne se défierait de mes artifices. Enfin, on rendit grâce à M. Lescaut d'avoir procuré à l'Ordre un novice de mon mérite, et l'on chargea un des chevaliers de me donner, pendant quelques jours, les instructions nécessaires. Le principal théâtre de mes exploits devait être l'hôtel

de Transylvanie, où il y avait une table de pharaon dans une salle et divers autres jeux de cartes et de dés dans la galerie. Cette académie se tenait au profit de M. le prince de R..., qui demeurait alors à Clagny, et la plupart de ses officiers étaient de notre société. Le dirai­je à ma honte? Je profitai en peu de temps des leçons de mon maître. J'acquis surtout beaucoup d'habileté à faire une volte­face, à filer la carte, et m'aidant fort bien d'une longue paire de manchettes, j'escamotais assez légèrement pour tromper les yeux des plus habiles, et ruiner sans affectation quantité d'honnêtes joueurs. Cette adresse extraordinaire hâta si fort les progrès de ma fortune, que je me trouvai en peu de semaines des sommes considérables, outre celles que je partageais de bonne foi avec mes associés. Je ne craignis plus, alors, de découvrir à Manon notre

perte de Chaillot, et, pour la consoler en lui apprenant cette fâcheuse nouvelle, je louai une maison garnie, où nous nous établîmes avec un air d'opulence et de sécurité. Tiberge n'avait pas manqué, pendant ce temps­là, de

me rendre de fréquentes visites. Sa morale ne finissait point. Il recommençait sans cesse à me représenter le tort que je faisais à ma conscience, à mon honneur et à ma fortune. Je recevais ses avis avec amitié, et quoique je n'eusse pas la moindre disposition à les suivre, je lui savais bon gré de son zèle, parce que j'en connaissais la source. Quelquefois je le raillais agréablement, dans la présence même de Manon, et je l'exhortais à n'être pas plus scrupuleux qu'un grand nombre d'évêques et d'autres prêtres, qui savent accorder fort bien une maîtresse avec un bénéfice. Voyez, lui disais­je, en lui montrant les yeux de la mienne, et dites­moi s'il y a des fautes qui ne soient pas justifiées par une si belle cause. Il prenait patience. Il la poussa même assez loin; mais lorsqu'il vit que mes richesses augmentaient, et que non seulement je lui avais

that, by spending a few crowns in entertaining his associates, I might be, on his recommendation, admitted into the association. With all my repugnance to cheating, I yielded to dire necessity. "Lescaut presented me that night as a relation of his

own. He added, that I was the more likely to succeed in my new profession, from wanting the favours of fortune. However, to show them that I was not quite reduced to the lowest ebb, he said it was my intention to treat them with a supper. The offer was accepted, and I entertained them en prince. They talked a good deal about my fashionable appearance and the apparent amiability of my disposition; they said that the best hopes might be entertained of me, because there was something in my countenance that bespoke the gentleman, and no one therefore could have a suspicion of my honesty: they voted thanks to Lescaut for having introduced so promising a novice, and deputed one of the members to instruct me for some days in the necessary manoeuvres. "The principal scene of my exploits was the hotel of

Transylvania, where there was a faro table in one room, and other games of cards and dice in the gallery. This academy was kept by the Prince of R——, who then lived at Clagny, and most of his officers belonged to our society. Shall I mention it to my shame? I profited quickly by my instructor's tuition. I acquired an amazing facility in sleight of hand tricks, and learned in perfection to sauter le coup; with the help of a pair of long ruffles, I shuffled so adroitly as to defy the quickest observer, and I ruined several fair players. My unrivalled skill so quickened the progress of my fortunes, that I found myself master, in a few weeks, of very considerable sums, besides what I divided in good faith with my companions. "I had no longer any fear of communicating to Manon

the extent of our loss at Chaillot, and, to console her on the announcement of such disastrous news, I took a furnished house, where we established ourselves in all the pride of opulence and security. "Tiberge was in the habit, at this period, of paying me

frequent visits. He was never tired of his moral lectures. Over and over again did he represent to me the injury I was inflicting upon my conscience, my honour, and my fortune. I received all his advice kindly, and although I had not the smallest inclination to adopt it, I had no doubt of its sincerity, for I knew its source. Sometimes I rallied him good­humouredly, and entreated him not to be more tight­laced than some other priests were, and even bishops, who by no means considered a mistress incompatible with a good and holy life.' 'Look,' I said, 'at Manon's eyes, and tell me if there is one in the long catalogue of sins that might not there find a plea of justification.' He bore these sallies patiently, and carried his forbearance almost too far: but when he saw my funds increase, and that I had not only returned him the

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restitué ses cent pistoles, mais qu'ayant loué une nouvelle maison et doublé ma dépense, j'allais me replonger plus que jamais dans les plaisirs, il changea entièrement de ton et de manières. Il se plaignit de mon endurcissement; il me menaça des châtiments du Ciel, et il me prédit une partie des malheurs qui ne tardèrent guère à m'arriver. Il est impossible, me dit­il, que les richesses qui servent à l'entretien de vos désordres vous soient venues par des voies légitimes. Vous les avez acquises injustement; elles vous seront ravies de même. La plus terrible punition de Dieu serait de vous en laisser jouir tranquillement. Tous mes conseils, ajouta­t­il, vous ont été inutiles; je ne prévois que trop qu'ils vous seraient bientôt importuns. Adieu, ingrat et faible ami. Puissent vos criminels plaisirs s'évanouir comme une ombre! Puissent votre fortune et votre argent périr sans ressource, et vous rester seul et nu, pour sentir la vanité des biens qui vous ont follement enivré! C'est alors que vous me trouverez disposé à vous aimer et à vous servir mais je romps aujourd'hui tout commerce avec vous, et je déteste la vie que vous menez. Ce fut dans ma chambre, aux yeux de Manon, qu'il me

fit cette harangue apostolique. Il se leva pour se retirer. Je voulus le retenir mais je fus arrêté par Manon, qui me dit que c'était un fou qu'il fallait laisser sortir. Son discours ne laissa pas de faire quelque impression

sur moi. Je remarque ainsi les diverses occasions où mon cœur sentit un retour vers le bien, parce que c'est à ce souvenir que j'ai dû ensuite une partie de ma force dans les plus malheureuses circonstances de ma vie. Les caresses de Manon dissipèrent, en un moment, le

chagrin que cette scène m'avait causé. Nous continuâmes de mener une vie toute composée de plaisir et d'amour. L'augmentation de nos richesses redoubla notre affection; Vénus et la Fortune n'avaient point d'esclaves plus heureux et plus tendres. Dieux! pourquoi nommer le monde un lieu de misères, puisqu'on y peut goûter de si charmantes délices? Mais, hélas! leur faible est de passer trop vite. Quelle autre félicité voudrait­on se proposer si elles étaient de nature à durer toujours? Les nôtres eurent le sort commun, c'est­à­dire de durer peu, et d'être suivies par des regrets amers. J'avais fait, au jeu, des gains si considérables, que je

pensais à placer une partie de mon argent. Mes domestiques n'ignoraient pas mes succès, surtout mon valet de chambre et la suivante de Manon, devant lesquels nous nous entretenions souvent sans défiance. Cette fille était jolie; mon valet en était amoureux. Ils avaient affaire à des maîtres jeunes et faciles, qu'ils s'imaginèrent pouvoir tromper aisément. Ils en conçurent le dessein, et ils l'exécutèrent si malheureusement pour nous, qu'ils nous mirent dans un état dont il ne nous a jamais été possible de nous relever.

hundred and seventy crowns, but having hired a new house and trebled my expenses, I had plunged deeper than ever into a life of pleasure, he changed his tone and manner towards me. He lamented my obduracy. He warned me against the chastisement of the Divine wrath, and predicted some of the miseries with which indeed I was shortly afterwards visited. 'It is impossible,' he said, 'that the money which now serves to support your debaucheries can have been acquired honourably. You have come by it unjustly, and in the same way shall it be taken from you. The most awful punishment Heaven could inflict would be to allow you the undisturbed enjoyment of it. All my advice,' he added, 'has been useless; I too plainly perceive that it will shortly become troublesome to you. I now take my leave; you are a weak, as well as an ungrateful friend! May your criminal enjoyments vanish as a shadow! may your ill­gotten wealth leave you without a resource; and may you yourself remain alone and deserted, to learn the vanity of these things, which now divert you from better pursuits! When that time arrives, you will find me disposed to love and to serve you; this day ends our intercourse, and I once for all avow my horror of the life you are leading.' "It was in my room and in Manon's presence that he

delivered this apostolical harangue. He rose to depart. I was about to detain him; but was prevented by Manon, who said it was better to let the madman go. "What he said, however, did not fail to make some

impression upon me. I notice these brief passages of my life when I experienced a returning sentiment of virtue, because it was to those traces, however light, that I was afterwards indebted for whatever of fortitude I displayed under the most trying circumstances. "Manon's caresses soon dissipated the annoyance this

scene had caused me. We continued to lead a life entirely devoted to pleasure and love. The increase of our wealth only redoubled our affection. There none happier among all the devotees of Venus and Fortune. Heavens! why call this a world of misery, when it can furnish a life of such rapturous enjoyment? But alas, it is too soon over! For what ought man to sigh, could such felicity but last forever? Ours shared the common fate—in being of short duration, and followed by lasting regrets. "I had realised by play such a considerable sum of

money, that I thought of investing a portion of it. My servants were not ignorant of my good luck, particularly my valet and Manon's own maid, before whom we often talked without any reserve. The maid was handsome, and my valet in love with her. They knew they had to deal with a young and inexperienced couple, whom they fancied they could impose upon without much difficulty. They laid a plan, and executed it with so much skill, that they reduced us to a state from which it was never afterwards possible for us to extricate ourselves.

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M. Lescaut nous ayant un jour donné à souper, il était environ minuit lorsque nous retournâmes au logis. J'appelai mon valet, et Manon sa femme de chambre; ni l'un ni l'autre ne parurent. On nous dit qu'ils n'avaient point été vus dans la maison depuis huit heures, et qu'ils étaient sortis après avoir fait transporter quelques caisses, suivant les ordres qu'ils disaient avoir reçus de moi. Je pressentis une partie de la vérité, mais je ne formai point de soupçons qui ne fussent surpassés par ce que j'aperçus en entrant dans ma chambre. La serrure de mon cabinet avait été forcée, et mon argent enlevé, avec tous mes habits. Dans le temps que je réfléchissais, seul, sur cet accident, Manon vint, tout effrayée, m'apprendre qu'on avait fait le même ravage dans son appartement. Le coup me parut si cruel qu'il n'y eut qu'un effort

extraordinaire de raison qui m'empêcha de me livrer aux cris et aux pleurs. La crainte de communiquer mon désespoir à Manon me fit affecter de prendre un visage tranquille. Je lui dis, en badinant, que je me vengerais sur quelque dupe à l'hôtel de Transylvanie. Cependant, elle me sembla si sensible à notre malheur que sa tristesse eut bien plus de force pour m'affliger, que ma joie feinte n'en avait eu pour l'empêcher d'être trop abattue. Nous sommes perdus! me dit­elle, les larmes aux yeux. Je m'efforçai en vain de la consoler par mes caresses; mes propres pleurs trahissaient mon désespoir et ma consternation. En effet, nous étions ruinés si absolument, qu'il ne nous restait pas une chemise. Je pris le parti d'envoyer chercher sur­le­champ M.

Lescaut. Il me conseilla d'aller à l'heure même, chez M. le Lieutenant de Police et M. le Grand Prévôt de Paris. J'y allai, mais ce fut pour mon plus grand malheur; car outre que cette démarche et celles que je fis faire à ces deux officiers de justice ne produisirent rien, je donnai le temps à Lescaut d'entretenir sa sœur, et de lui inspirer, pendant mon absence, une horrible résolution. Il lui parla de M. de G... M..., vieux voluptueux, qui payait prodiguement les plaisirs, et il lui fit envisager tant d'avantages à se mettre à sa solde, que, troublée comme elle était par notre disgrâce, elle entra dans tout ce qu'il entreprit de lui persuader cet honorable marché fut conclu avant mon retour, et l'exécution remise au lendemain, après que Lescaut aurait prévenu M. de G... M... Je le trouvai qui m'attendait au logis; mais Manon

s'était couchée dans son appartement, et elle avait donné ordre à son laquais de me dire qu'ayant besoin d'un peu de repos, elle me priait de la laisser seule pendant cette nuit. Lescaut me quitta, après m'avoir offert quelques pistoles que j'acceptai. Il était près de quatre heures, lorsque je me mis au lit,

et m'y étant encore occupé longtemps des moyens de rétablir ma fortune, je m'endormis si tard, que je ne pus me réveiller que vers onze heures ou midi. Je me levai promptement pour aller m'informer de la santé de Manon; on me dit qu'elle était sortie, une heure auparavant, avec son frère, qui l'était venu prendre dans un carrosse de louage. Quoiqu'une telle partie, faite avec

"Having supped one evening at Lescaut's, it was about midnight when we returned home. I asked for my valet, and Manon for her maid; neither one nor the other could be found. They had not been seen in the house since eight o'clock, and had gone out, after having some cases carried before them, according to orders which they pretended to have received from me. I at once foresaw a part of the truth, but my suspicions were infinitely surpassed by what presented itself on going into my room. The lock of my closet had been forced, and my cash as well as my best clothes were gone. While I stood stupefied with amazement, Manon came, in the greatest alarm, to inform me that her apartment had been rifled in the same manner. "This blow was so perfectly astounding, so cruel, that it

was with difficulty I could refrain from tears. The dread of infecting Manon with my despair made me assume a more contented air. I said, smiling, that I should avenge myself upon some unhappy dupe at the hotel of Transylvania. However, she appeared so sensibly affected, that her grief increased my sorrow infinitely more than my attempt succeeded in supporting her spirits. 'We are destroyed!' said she, with tears in her eyes. I endeavoured, in vain, by my entreaties and caresses, to console her. My own lamentations betrayed my distress and despair. In fact, we were so completely ruined, that we were bereft almost of decent covering. "I determined to send off at once for Lescaut. He

advised me to go immediately to the lieutenant of police, and to give information also to the Grand Provost of Paris. I went, but it was to add to my calamities only; for, independently of my visit producing not the smallest good effect, I, by my absence, allowed Lescaut time for discussion with his sister, during which he did not fail to inspire her with the most horrible resolutions. He spoke to her about M. G—— M——, an old voluptuary, who paid prodigally for his pleasures; he so glowingly described the advantages of such a connection, that she entered into all his plans. This discreditable arrangement was all concluded before my return, and the execution of it only postponed till the next morning, after Lescaut should have apprised G—— M——. "I found him, on my return, waiting for me at my

house; but Manon had retired to her own apartment, and she had desired the footman to tell me that, having need of repose, she hoped she should not be disturbed that night. Lescaut left me, after offering me a few crowns which I accepted. "It was nearly four o'clock when I retired to bed; and

having revolved in my mind various schemes for retrieving my fortunes, I fell asleep so late that I did not awake till between eleven and twelve o'clock. I rose at once to enquire after Manon's health; they told me that she had gone out an hour before with her brother, who had come for her in a hired carriage. Although there appeared something mysterious in such a proceeding, I

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Lescaut, me parût mystérieuse, je me fis violence pour suspendre mes soupçons. Je laissai couler quelques heures, que je passai à lire. Enfin, n'étant plus le maître de mon inquiétude, je me promenai à grands pas dans nos appartements. J'aperçus, dans celui de Manon, une lettre cachetée qui était sur sa table. L'adresse était à moi, et l'écriture de sa main. Je l'ouvris avec un frisson mortel; elle était dans ces termes: Je te jure, mon cher Chevalier, que tu es l'idole de mon

cœur et qu'il n'y a que toi au monde que je puisse aimer de la façon dont je t'aime; mais ne vois­tu pas, ma pauvre chère âme, que, dans l'état où nous sommes réduits, c'est une sotte vertu que la fidélité? Crois­tu qu'on puisse être bien tendre lorsqu'on manque de pain? La faim me causerait quelque méprise fatale; je rendrais quelque jour le dernier soupir, en croyant en pousser un d'amour. Je t'adore, compte là­dessus; mais laisse­moi, pour quelque temps, le ménagement de notre fortune. Malheur à qui va tomber dans mes filets! Je travaille pour rendre mon Chevalier riche et heureux. Mon frère t'apprendra des nouvelles de ta Manon, et qu'elle a pleuré de la nécessité de te quitter. Je demeurai, après cette lecture, dans un état qui me

serait difficile à décrire car j'ignore encore aujourd'hui par quelle espèce de sentiments je fus alors agité. Ce fut une de ces situations uniques auxquelles on n'a rien éprouvé qui soit semblable. On ne saurait les expliquer aux autres, parce qu'ils n'en ont pas l'idée; et l'on a peine à se les bien démêler à soi­même, parce qu'étant seules de leur espèce, cela ne se lie à rien dans la mémoire, et ne peut même être rapproché d'aucun sentiment connu. Cependant, de quelque nature que fussent les miens, il est certain qu'il devait y entrer de la douleur du dépit, de la jalousie et de la honte. Heureux s'il n'y fût pas entré encore plus d'amour! Elle m'aime, je le veux croire; mais ne faudrait­il pas,

m'écriai­je, qu'elle fût un monstre pour me haïr? Quels droits eut­on jamais sur un cœur que je n'aie pas sur le sien? Que me reste­t­il à faire pour elle, après tout ce que je lui ai sacrifié? Cependant elle m'abandonne! et l'ingrate se croit à couvert de mes reproches en me disant qu'elle ne cesse pas de m'aimer! Elle appréhende la faim. Dieu d'amour! quelle grossièreté de sentiments! et que c'est répondre mal à ma délicatesse! Je ne l'ai pas appréhendée, moi qui m'y expose si volontiers pour elle en renonçant à ma fortune et aux douceurs de la maison de mon père; moi qui me suis retranché jusqu'au nécessaire pour satisfaire ses petites humeurs et ses caprices. Elle m'adore, dit­elle. Si tu m'adorais, ingrate, je sais bien de qui tu aurais pris des conseils; tu ne m'aurais pas quitté, du moins, sans me dire adieu. C'est à moi qu'il faut demander quelles peines cruelles on sent à se séparer de ce qu'on adore. Il faudrait avoir perdu l'esprit pour s'y exposer volontairement. Mes plaintes furent interrompues par une visite à

laquelle je ne m'attendais pas. Ce fut celle de Lescaut.

endeavoured to check my rising suspicions. I allowed some hours to pass, during which I amused myself with reading. At length, being unable any longer to stifle my uneasiness, I paced up and down the apartments. A sealed letter upon Manon's table at last caught my eye. It was addressed to me, and in her handwriting. I felt my blood freeze as I opened it; it was in these words: I protest to you, dearest chevalier, that you are the idol

of my heart, and that you are the only being on earth whom I can truly love; but do you not see, my own poor dear chevalier, that in the situation to which we are now reduced, fidelity would be worse than madness? Do you think tenderness possibly compatible with starvation? For my part, hunger would be sure to drive me to some fatal end. Heaving some day a sigh for love, I should find it was my last. I adore you, rely upon that; but leave to me, for a short while, the management of our fortunes. God help the man who falls into my hands. My only wish is to render my chevalier rich and happy. My brother will tell you about me; he can vouch for my grief in yielding to the necessity of parting from you. "I remained, after reading this, in a state which it

would be difficult to describe; for even now I know not the nature of the feelings which then agitated me. It was one of those unique situations of which others can never have experienced anything even approaching to similarity. It is impossible to explain it, because other persons can have no idea of its nature; and one can hardly even analyse it to oneself. Memory furnishes nothing that will connect it with the past, and therefore ordinary language is inadequate to describe it. Whatever was its nature, however, it is certain that grief, hate, jealousy, and shame entered into its composition. Fortunate would it have proved for me if love also had not been a component part! "'That she loves me,' I exclaimed, 'I can believe; but

could she, without being a monster, hate me? What right can man ever have to woman's affections which I had not to Manon's? What is left to me, after all the sacrifices I have made for her sake? Yet she abandons me, and the ungrateful creature thinks to screen herself from my reproaches by professions of love! She pretends to dread starvation! God of love, what grossness of sentiment! What an answer to the refinement of my adoration! I had no dread of that kind; I, who have almost sought starvation for her sake, by renouncing fortune and the comforts of my father's house! I, who denied myself actual necessaries, in order to gratify her little whims and caprices! She adores me, she says. If you adored me, ungrateful creature, I well know what course you would have taken; you would never have quitted me, at least without saying adieu. It is only I who can tell the pangs and torments, of being separated from all one loves. I must have taken leave of my senses, to have voluntarily brought all this misery upon myself.' "My lamentations were interrupted by a visit I little

expected; it was from Lescaut. 'Assassin!' cried I, putting

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Bourreau! lui dis­je en mettant l'épée à la main, où est Manon? qu'en as­tu fait? Ce mouvement l'effraya; il me répondit que, si c'était ainsi que je le recevais lorsqu'il venait me rendre compte du service le plus considérable qu'il eût pu me rendre, il allait se retirer et ne remettrait jamais le pied chez moi. Je courus à la porte de la chambre, que je fermai soigneusement. Ne t'imagine pas, lui dis­je en me tournant vers lui, que tu puisses me prendre encore une fois pour dupe et me tromper par des fables. Il faut défendre ta vie, ou me faire retrouver Manon. Là! que vous êtes vif! repartit­il; c'est l'unique sujet qui m'amène. Je viens vous annoncer un bonheur auquel vous ne pensez pas, et pour lequel vous reconnaîtrez peut­être que vous m'avez quelque obligation. Je voulus être éclairci sur­le­champ. Il me raconta que Manon, ne pouvant soutenir la

crainte de la misère, et surtout l'idée d'être obligée tout d'un coup à la réforme de notre équipage, l'avait prié de lui procurer la connaissance de M. de G... M..., qui passait pour un homme généreux. Il n'eut garde de me dire que le conseil était venu de lui, ni qu'il eût préparé les voies, avant que de l'y conduire. Je l'y ai menée ce matin, continua­t­il, et cet honnête homme a été si charmé de son mérite, qu'il l'a, invitée d'abord à lui tenir compagnie à sa maison de campagne, où il est allé passer quelques jours. Moi, ajouta Lescaut, qui ai pénétré tout d'un coup de quel avantage cela pouvait être pour vous, je lui ai fait entendre adroitement que Manon avait essuyé des pertes considérables, et j'ai tellement piqué sa générosité, qu'il a commencé par lui faire un présent de deux cents pistoles. Je lui ai dit que cela était honnête pour le présent, mais que l'avenir amènerait à ma sœur de grands besoins; qu'elle s'était chargée, d'ailleurs, du soin d'un jeune frère, qui nous était resté sur les bras après la mort de nos père et mère, et que, s'il la croyait digne de son estime, il ne la laisserait pas souffrir dans ce pauvre enfant qu'elle regardait comme la moitié d'elle­même. Ce récit n'a pas manqué de l'attendrir. Il s'est engagé à louer une maison commode, pour vous et pour Manon, car c'est vous même qui êtes ce pauvre petit frère orphelin. Il a promis de vous meubler proprement, et de vous fournir tous les mois, quatre cents bonnes livres, qui en feront, si je compte bien, quatre mille huit cents à la fin de chaque année. Il a laissé ordre à son intendant, avant que de partir pour sa campagne, de chercher une maison, et de la tenir prête pour son retour. Vous reverrez alors Manon, qui m'a chargé de vous embrasser mille fois pour elle, et de vous assurer qu'elle vous aime plus que jamais. Je m'assis, en rêvant à cette bizarre disposition de mon

sort. Je me trouvai dans un partage de sentiments, et par conséquent dans une incertitude si difficile à terminer que

my hand upon my sword, 'where is Manon? what have you done with her?' My agitation startled him. He replied, that if this was the reception he was to meet, when he came to offer me the most essential service it was in his power to render me, he should take his leave, and never again cross my threshold. I ran to the door of the apartment, which I shut. 'Do not imagine,' I said, turning towards him, 'that you can once more make a dupe of me with your lies and inventions. Either defend your life, or tell me where I can find Manon.' 'How impatient you are!' replied he; 'that was in reality the object of my visit. I came to announce a piece of good fortune which you little expected, and for which you will probably feel somewhat grateful.' My curiosity was at once excited. "He informed me that Manon, totally unable to endure

the dread of want, and, above all, the certainty of being at once obliged to dispense with her equipage, had begged of him to make her acquainted with M. G—— M——, who had a character for liberality. He carefully avoided telling me that this was the result of his own advice, and that he had prepared the way before he introduced his sister. 'I took her there this morning,' said he, 'and the fellow was so enchanted with her looks that he at once invited her to accompany him to his country seat, where he is gone to pass some days. As I plainly perceived,' said Lescaut, 'the advantage it may be to you, I took care to let him know that she had lately experienced very considerable losses; and I so piqued his generosity that he began by giving her four hundred crowns. I told him that was well enough for a commencement, but that my sister would have, for the future, many demands for money; that she had the charge of a young brother, who had been thrown upon her hands since the death of our parents; and that, if he wished to prove himself worthy of her affections, he would not allow her to suffer uneasiness upon account of this child, whom she regarded as part of herself. This speech produced its effect, he at once promised to take a house for you and Manon, for you must know that you are the poor little orphan. He undertook to set you up in furniture, and to give you four hundred livres a month, which if I calculate rightly, will amount to four thousand eight hundred per annum. He left orders with his steward to look out for a house, and to have it in readiness by the time he returned. You will soon, therefore, again see Manon, who begged of me to give you a thousand tender messages, and to assure you that she loves you more dearly than ever.'"

(retour) V

Infected with that leprosy of lust, Which taints the hoariest years of vicious men Making them ransack to the very last

The dregs of pleasure for their vanished joys. BYRON.

"On sitting down to reflect upon this strange turn of

fate, I found myself so perplexed, and consequently so incapable of arriving at any rational conclusion, that I

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je demeurai longtemps sans répondre à quantité de questions que Lescaut me faisait l'une sur l'autre. Ce fut, dans ce moment, que l'honneur et la vertu me firent sentir encore les pointes du remords, et que je jetai les yeux, en soupirant, vers Amiens, vers la maison de mon père, vers Saint­Sulpice et vers tous les lieux où j'avais vécu dans l'innocence. Par quel immense espace n'étais­je pas séparé de cet heureux état! Je ne le voyais plus que de loin, comme une ombre qui s'attirait encore mes regrets et mes désirs, mais trop faible pour exciter mes efforts. Par quelle fatalité, disais­je, suis­je devenu si criminel? L'amour est une passion innocente; comment s'est­il changé, pour moi, en une source de misères et de désordres? Qui m'empêchait de vivre tranquille et vertueux avec Manon? Pourquoi ne l'épousais­je point, avant que d'obtenir rien de son amour? Mon père, qui m'aimait si tendrement, n'y aurait­il pas consenti si je l'en eusse pressé avec des instances légitimes? Ah! mon père l'aurait chérie lui­même, comme une fille charmante, trop digne d'être la femme de son fils; je serais heureux avec l'amour de Manon, avec l'affection de mon père, avec l'estime des honnêtes gens, avec les biens de la fortune et la tranquillité de la vertu. Revers funeste! Quel est l'infâme personnage qu'on vient ici me proposer? Quoi! j'irai partager... Mais y a­t­il à balancer si c'est Manon qui l'a réglé, et si je la perds sans cette complaisance? Monsieur Lescaut, m'écriai­je en fermant les yeux, comme pour écarter de si chagrinantes réflexions, si vous avez eu dessein de me servir je vous rends grâces. Vous auriez pu prendre une voie plus honnête; mais c'est une chose finie, n'est­ce pas? Ne pensons donc plus qu'à profiter de vos soins et à remplir votre projet. Lescaut, à qui ma colère, suivie d'un fort long silence,

avait causé de l'embarras, fut ravi de me voir prendre un parti tout différent de celui qu'il avait appréhendé sans doute; il n'était rien moins que brave, et j'en eus de meilleures preuves dans la suite. Oui, oui, se hâta­t­il de me répondre, c'est un fort bon service que je vous ai rendu, et vous verrez que nous en tirerons plus d'avantage que vous ne vous y attendez. Nous concertâmes de quelle manière nous pourrions prévenir les défiances que M. de G... M... pouvait concevoir de notre fraternité, en me voyant plus grand et un peu plus âgé peut­être qu'il ne se l'imaginait. Nous ne trouvâmes point d'autre moyen, que de prendre devant lui un air simple et provincial, et de lui faire croire que j'étais dans le dessein d'entrer dans l'état ecclésiastique, et que j'allais pour cela tous les jours au collège. Nous résolûmes aussi que je me mettrais fort mal, la première fois que je serais admis à l'honneur de le saluer. Il revint à la ville trois ou quatre jours après; il

conduisit lui­même Manon dans la maison que son intendant avait eu soin de préparer. Elle fit avertir aussitôt Lescaut de son retour; et celui­ci m'en ayant donné avis, nous nous rendîmes tous deux chez elle. Le vieil amant en était déjà sorti.

allowed Lescaut to put repeated questions to me without in the slightest degree attending to their purport. It was then that honour and virtue made me feel the most poignant remorse, and that I recalled with bitterness Amiens, my father's house, St. Sulpice, and every spot where I had ever lived in happy innocence. By what a terrific interval was I now separated from that blessed state! I beheld it no longer but as a dim shadow in the distance, still attracting my regrets and desires, but without the power of rousing me to exertion. 'By what fatality,' said I, 'have I become thus degraded? Love is not a guilty passion! why then has it been to me the source of profligacy and distress? Who prevented me from leading a virtuous and tranquil life with Manon? Why did I not marry her before I obtained any concession from her love? Would not my father, who had the tenderest regard for me, have given his consent, if I had taken the fair and candid course of soliciting him? Yes, my father would himself have cherished her as one far too good to be his son's wife! I should have been happy in the love of Manon, in the affection of my father, in the esteem of the world, with a moderate portion of the good things of life, and above all with the consciousness of virtue. Disastrous change! Into what an infamous character is it here proposed that I should sink? To share—— But can I hesitate, if Manon herself suggests it, and if I am to lose her except upon such conditions? 'Lescaut,' said I, putting my hands to my eyes as if to shut out such a horrifying vision, 'if your intention was to render me a service, I give you thanks. You might perhaps have struck out a more reputable course, but it is so settled, is it not? Let us then only think of profiting by your labour, and fulfilling your engagements.' "Lescaut, who had been considerably embarrassed, not

only by my fury, but by the long silence which followed it, was too happy to see me now take a course so different from what he had anticipated. He had not a particle of courage, of which indeed I have, in the sequel of my story, abundant proof. 'Yes, yes,' he quickly answered, 'it is good service I have rendered you, and you will find that we shall derive infinitely more advantage from it than you now expect.' We consulted then as to the best mode of preventing the suspicions which G—— M—— might entertain of our relationship, when he found me older and of riper manhood than he probably imagined. The only plan we could hit upon was to assume in his presence an innocent and provincial air, and to persuade him that it was my intention to enter the Church, and that with that view I was obliged to go every day to the college. We also determined that I should appear as awkward as I possibly could the first time I was admitted to the honour of an introduction. "He returned to town three or four days after, and at

once conducted Manon to the house which his steward had in the meantime prepared. She immediately apprised Lescaut of her return, and he having informed me, we went together to her new abode. The old lover had already gone out.

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Malgré la résignation avec laquelle je m'étais soumis à ses volontés, je ne pus réprimer le murmure de mon cœur en la revoyant. Je lui parus triste et languissant. La joie de la retrouver ne l'emportait pas tout à fait sur le chagrin de son infidélité. Elle, au contraire, paraissait transportée du plaisir de me revoir. Elle me fit des reproches de ma froideur. Je ne pus m'empêcher de laisser échapper les noms de perfide et d'infidèle, que j'accompagnai d'autant de soupirs. Elle me railla d'abord de ma simplicité; mais,

lorsqu'elle vit mes regards s'attacher toujours tristement sur elle, et la peine que j'avais à digérer un changement si contraire à mon humeur et à mes désirs, elle passa seule dans son cabinet. Je la suivis un moment après. Je l'y trouvai tout en pleurs; je lui demandai ce qui les causait. Il t'est bien aisé de le voir, me dit­elle, comment veux­tu que je vive, si ma vue n'est plus propre qu'à te causer un air sombre et chagrin? Tu ne m'as pas fait une seule caresse, depuis une heure que tu es ici, et tu as reçu les miennes avec la majesté du Grand Turc au Sérail. Écoutez, Manon, lui répondis­je en l'embrassant, je ne

puis vous cacher que j'ai le cœur mortellement affligé. Je ne parle point à présent des alarmes où votre fuite imprévue m'a jeté, ni de la cruauté que vous avez eue de m'abandonner sans un mot de consolation, après avoir passé la nuit dans un autre lit que moi. Le charme de votre présence m'en ferait bien oublier davantage. Mais croyez­vous que je puisse penser sans soupirs, et même sans larmes, continuai­je en en versant quelques­unes à la triste et malheureuse vie que vous voulez que je mène dans cette maison? Laissons ma naissance et mon honneur à part: ce ne sont plus des raisons si faibles qui doivent entrer en concurrence avec un amour tel que le mien; mais cet amour même, ne vous imaginez­vous pas qu'il gémit de se voir si mal récompensé, ou plutôt traité si cruellement par une ingrate et dure maîtresse?... Elle m'interrompit: tenez, dit­elle, mon Chevalier, il est

inutile de me tourmenter par des reproches qui me percent le cœur lorsqu'ils viennent de vous. Je vois ce qui vous blesse. J'avais espéré que vous consentiriez au projet que j'avais fait pour rétablir un peu notre fortune, et c'était pour ménager votre délicatesse que j'avais commencé à l'exécuter sans votre participation; mais j'y renonce, puisque vous ne l'approuvez pas. Elle ajouta qu'elle ne me demandait qu'un peu de complaisance, pour le reste du jour; qu'elle avait déjà reçu deux cents pistoles de son vieil amant, et qu'il lui avait promis de lui apporter le soir un beau collier de perles avec d'autres bijoux, et par dessus cela, la moitié de la pension annuelle qu'il lui avait promise. Laissez­moi seulement le temps, me dit­elle, de recevoir ses présents; je vous jure qu'il ne pourra se vanter des avantages que je lui ai donnés sur moi, car je l'ai remis jusqu'à présent à la ville. Il est vrai qu'il m'a baisé plus d'un million de fois les mains; il est juste qu'il

"In spite of the submission with which I had resigned myself to her wishes, I could not, at our meeting, repress the compunctious visitings of my conscience. I appeared before her grieved and dejected. The joy I felt at seeing her once more could not altogether dispel my sorrow for her infidelity: she, on the contrary, appeared transported with the pleasure of seeing me. She accused me of coldness. I could not help muttering the words perfidious and unfaithful, though they were profusely mixed with sighs. "At first she laughed at me for my simplicity; but when

she found that I continued to look at her with an unchanging expression of melancholy, and that I could not bring myself to enter with alacrity into a scene so repugnant to all my feelings, she went alone into her boudoir. I very soon followed her, and then I found her in a flood of tears. I asked the cause of her sorrow. 'You can easily understand it,' said she; 'how can you wish me to live, if my presence can no longer have any other effect than to give you an air of sadness and chagrin? Not one kiss have you given me during the long hour you have been in the house, while you have received my caresses with the dignified indifference of a Grand Turk, receiving the forced homage of the Sultanas of his harem.' "'Hearken to me, Manon,' said I, embracing her; 'I

cannot conceal from you that my heart is bitterly afflicted. I do not now allude to the uneasiness your sudden flight caused me, nor to the unkindness of quitting me without a word of consolation, after having passed the night away from me. The pleasure of seeing you again would more than compensate for all; but do you imagine that I can reflect without sighs and tears upon the degrading and unhappy life which you now wish me to lead in this house? Say nothing of my birth, or of my feelings of honour; love like mine derives no aid from arguments of that feeble nature; but do you imagine that I can without emotion see my love so badly recompensed, or rather so cruelly treated, by an ungrateful and unfeeling mistress?' "She interrupted me. 'Stop, chevalier,' said she, 'it is

useless to torture me with reproaches, which, coming from you, always pierce my heart. I see what annoys you. I had hoped that you would have agreed to the project which I had devised for mending our shattered fortunes, and it was from a feeling of delicacy to you that I began the execution of it without your assistance; but I give it up since it does not meet your approbation.' She added that she would now merely request a little patient forbearance during the remainder of the day; that she had already received five hundred crowns from the old gentleman, and that he had promised to bring her that evening a magnificent pearl necklace with other jewels, and, in advance, half of the yearly pension he had engaged to allow her. 'Leave me only time enough,' said she to me, to get possession of these presents; I promise you that he will have little to boast of from his connection with me, for in the country I repulsed all his advances, putting him off

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paye ce plaisir, et ce ne sera point trop que cinq ou six mille francs, en proportionnant le prix à ses richesses et à son âge. Sa résolution me fut beaucoup plus agréable que

l'espérance des cinq mille livres. J'eus lieu de reconnaître que mon cœur n'avait point encore perdu tout sentiment d'honneur puisqu'il était si satisfait d'échapper à l'infamie. Mais j'étais né pour les courtes joies et les longues douleurs. La Fortune ne me délivrera d'un précipice que pour me faire tomber dans un autre. Lorsque j'eus marqué à Manon, par mille caresses, combien je me croyais heureux de son changement, je lui dis qu'il fallait en instruire M. Lescaut, afin que nos mesures se prissent de concert. Il en murmura d'abord; mais les quatre ou cinq mille livres d'argent comptant le firent entrer gaîment dans nos vues. Il fut donc réglé que nous nous trouverions tous à souper avec M. de G... M..., et cela pour deux raisons: l'une, pour nous donner le plaisir d'une scène agréable en me faisant passer pour un écolier, frère de Manon; l'autre, pour empêcher ce vieux libertin de s'émanciper trop avec ma maîtresse, par le droit qu'il croirait s'être acquis en payant si libéralement d'avance. Nous devions nous retirer, Lescaut et moi, lorsqu'il monterait à la chambre où il comptait de passer la nuit; et Manon, au lieu de le suivre, nous promit de sortir et de la venir passer avec moi. Lescaut se chargea du soin d'avoir exactement un carrosse à la porte. L'heure du souper étant venue, M. de G... M... ne se fit

pas attendre longtemps. Lescaut était avec sa sœur dans la salle. Le premier compliment du vieillard fut d'offrir à sa belle un collier des bracelets et des pendants de perles, qui valaient au moins mille écus. Il lui compta ensuite, en beaux louis d'or la somme de deux mille quatre cents livres, qui faisaient la moitié de la pension. Il assaisonna son présent de quantité de douceurs dans le goût de la vieille Cour Manon ne put lui refuser quelques baisers; c'était autant de droits qu'elle acquérait sur l'argent qu'il lui mettait entre les mains. J'étais à la porte, où je prêtais l'oreille, en attendant que Lescaut m'avertît d'entrer. Il vint me prendre par la main, lorsque Manon eut

serré l'argent et les bijoux, et me conduisant vers M. de G... M..., il m'ordonna de lui faire la révérence. J'en fis deux ou trois des plus profondes. Excusez, monsieur lui dit Lescaut, c'est un enfant fort neuf. Il est bien éloigné, comme vous voyez, d'avoir les airs de Paris; mais nous espérons qu'un peu d'usage le façonnera. Vous aurez l'honneur de voir ici souvent monsieur ajouta­t­il, en se tournant vers moi; faites bien votre profit d'un si bon modèle. Le vieil amant parut prendre plaisir à me voir Il me

donna deux ou trois petits coups sur la joue, en me disant que j'étais un joli garçon, mais qu'il fallait être sur mes gardes à Paris, où les jeunes gens se laissent aller facilement à la débauche. Lescaut l'assura que j'étais

till our return to town. It is true that he has kissed my hand a thousand times over, and it is but just that he should pay for even this amusement: I am sure that, considering his riches as well as his age, five or six thousand francs is not an unreasonable price!' "Her determination was of more value in my eyes than

twenty thousand crowns. I could feel that I was not yet bereft of every sentiment of honour, by the satisfaction I experienced at escaping thus from infamy, But I was born for brief joys, and miseries of long duration. Fate never rescued me from one precipice, but to lead me to another. When I had expressed my delight to Manon at this change in her intentions, I told her she had better inform Lescaut of it, in order that we might take our measures in concert. At first he murmured, but the money in hand induced him to enter into our views. It was then determined that we should all meet at G—— M——'s supper table, and that, for two reasons: first, for the amusement of passing me off as a schoolboy, and brother to Manon; and secondly, to prevent the old profligate from taking any liberties with his mistress, on the strength of his liberal payments in advance. Lescaut and I were to retire, when he went to the room where he expected to pass the night; and Manon, instead of following him, promised to come out, and join us. Lescaut undertook to have a coach waiting at the door. "The supper hour having arrived, M. G—— M—— made

his appearance. Already Lescaut was with his sister in the supper room. The moment the lover entered, he presented his fair one with a complete set of pearls, necklaces, ear­rings, and bracelets, which must have cost at least a thousand crowns. He then placed on the table before her, in louis d'or, two thousand four hundred francs, the half of her year's allowance. He seasoned his present with many pretty speeches in the true style of the old court. Manon could not refuse him a few kisses: it was sealing her right to the money which he had just handed to her. I was at the door, and waiting for Lescaut's signal to enter the room. "He approached to take me by the hand, while Manon

was securing the money and jewels, and leading me towards M. G—— M——, he desired me to make my bow. I made two or three most profound ones. 'Pray excuse him, sir,' said Lescaut, 'he is a mere child. He has not yet acquired much of the ton of Paris; but no doubt with a little trouble we shall improve him. You will often have the honour of seeing that gentleman, here,' said he, turning towards me: 'take advantage of it, and endeavour to imitate so good a model.' "The old libertine appeared to be pleased with me. He

patted me on the cheek, saying that I was a fine boy, but that I should be on my guard in Paris, where young men were easily debauched. Lescaut assured him that I was naturally of so grave a character that I thought of nothing

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naturellement si sage, que je ne parlais que de me faire prêtre, et que tout mon plaisir était à faire de petites chapelles. Je lui trouve de l'air de Manon, reprit le vieillard en me haussant le menton avec la main. Je répondis d'un air niais: Monsieur, c'est que nos deux chairs se touchent de bien proche; aussi, j'aime ma sœur Manon comme un autre moi­même. L'entendez­vous? dit­il à Lescaut, il a de l'esprit. C'est dommage que cet enfant­là n'ait pas un peu plus de monde. Ho! monsieur, repris­je, j'en ai vu beaucoup chez nous dans les églises, et je crois bien que j'en trouverai, à Paris, de plus sots que moi. Voyez, ajouta­t­il, cela est admirable pour un enfant de province. Toute notre conversation fut à peu près du même goût,

pendant le souper Manon, qui était badine, fut sur le point, plusieurs fois, de gâter tout par ses éclats de rire. Je trouvai l'occasion, en soupant, de lui raconter sa propre histoire, et le mauvais sort lui le menaçait. Lescaut et Manon tremblaient pendant mon récit, surtout lorsque je faisais son portrait au naturel; mais l'amour­propre l'empêcha de s'y reconnaître, et je l'achevai si adroitement, qu'il fut le premier à le trouver fort risible. Vous verrez que ce n'est pas sans raison que je me suis étendu sur cette ridicule scène. Enfin, l'heure du sommeil étant arrivée, il parla

d'amour et d'impatience. Nous nous retirâmes, Lescaut et moi; on le conduisit à sa chambre, et Manon, étant sortie sous prétexte d'un besoin, nous vint joindre à la porte. Le carrosse, qui nous attendait trois ou quatre maisons plus bas, s'avança pour nous recevoir. Nous nous éloignâmes en un instant du quartier. Quoiqu'à mes propres yeux cette action fût une

véritable friponnerie, ce n'était pas la plus injuste que je crusse avoir à me reprocher J'avais plus de scrupule sur l'argent que j'avais acquis au jeu. Cependant nous profitâmes aussi peu de l'un que de l'autre, et le Ciel permit que la plus légère de ces deux injustices fût la plus rigoureusement punie. M. de G... M... ne tarda pas longtemps à s'apercevoir

qu'il était dupé. Je ne sais s'il fit, dès le soir même, quelques démarches pour nous découvrir, mais il eut assez de crédit pour n'en pas faire longtemps d'inutiles, et nous assez d'imprudence pour compter trop sur la grandeur de Paris et sur l'éloignement qu'il y avait de notre quartier au sien. Non seulement il fut informé de notre demeure et de nos affaires présentes, mais il apprit aussi qui j'étais, la vie que j'avais menée à Paris, l'ancienne liaison de Manon avec B..., la tromperie qu'elle lui avait faite, en un mot, toutes les parties scandaleuses de notre histoire. Il prit là­dessus la résolution de nous faire arrêter et de nous traiter moins comme des criminels que comme de fieffés libertins. Nous étions encore au lit, lorsqu'un exempt de police entra dans notre chambre avec une demi­douzaine de gardes. Ils se saisirent d'abord de notre argent, ou plutôt de celui de M. de G... M..., et nous ayant fait lever brusquement, ils nous conduisirent à la

but becoming a clergyman, and that, even as a child, my favourite amusement was building little chapels. 'I fancy a likeness to Manon,' said the old gentleman, putting his hand under my chin. I answered him, with the most simple air— 'Sir, the fact is, that we are very closely connected, and I love my sister as another portion of myself.' 'Do you hear that,' said he to Lescaut; 'he is indeed a clever boy! It is a pity he should not see something of the world.' 'Oh, sir,' I replied, 'I have seen a great deal of it at home, attending church, and I believe I might find in Paris some greater fools than myself.' 'Listen,' said he; 'it is positively wonderful in a boy from the country.' "The whole conversation during supper was of the

same kind. Manon, with her usual gaiety, was several times on the point of spoiling the joke by her bursts of laughter. I contrived, while eating, to recount his own identical history, and to paint even the fate that awaited him. Lescaut and Manon were in an agony of fear during my recital, especially while I was drawing his portrait to the life: but his own vanity prevented him from recognising it, and I did it so well that he was the first to pronounce it extremely laughable. You will allow that I had reason for dwelling on this ridiculous scene. "At length it was time to retire. He hinted at the

impatience of love. Lescaut and I took our departure. G—— M—— went to his room, and Manon, making some excuse for her absence, came to join us at the gate. The coach, that was waiting for us a few doors off, drove up towards us, and we were out of the street in an instant. "Although I must confess that this proceeding

appeared to me little short of actual robbery, it was not the most dishonest one with which I thought I had to reproach myself. I had more scruples about the money which I had won at play. However, we derived as little advantage from one as from the other; and Heaven sometimes ordains that the lightest fault shall meet the severest punishment. "M. G—— M—— was not long in finding out that he

had been duped. I am not sure whether he took any steps that night to discover us, but he had influence enough to ensure an effectual pursuit, and we were sufficiently imprudent to rely upon the extent of Paris and the distance between our residence and his. Not only did he discover our abode and our circumstances, but also who I was—the life that I had led in Paris—Manon's former connection with B——,—the manner in which she had deceived him: in a word, all the scandalous facts of our history. He therefore resolved to have us apprehended, and treated less as criminals than as vagabonds. An officer came abruptly one morning into our bedroom, with half a dozen archers of the guard. They first took possession of our money, or I should rather say, of G——M——'s. They made us quickly get up, and conducted us to the door, where we found two coaches, into one of which they forced poor Manon, without any explanation, and I was

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porte, où nous trouvâmes deux carrosses, dans l'un desquels la pauvre Manon fut enlevée sans explication, et moi traîné dans l'autre à Saint­Lazare. Il faut avoir éprouvé de tels revers, pour juger du

désespoir qu'ils peuvent causer. Nos gardes eurent la dureté de ne me pas permettre d'embrasser Manon, ni de lui dire une parole. J'ignorai longtemps ce qu'elle était devenue. Ce fut sans doute un bonheur pour moi de ne l'avoir pas su d'abord, car une catastrophe si terrible m'aurait fait perdre le sens et, peut­être, la vie. Ma malheureuse maîtresse fut donc enlevée, à mes

yeux, et menée dans une retraite que j'ai horreur de nommer. Quel sort pour une créature toute charmante, qui eût occupé le premier trône du monde, si tous les hommes eussent eu mes yeux et mon cœur! On ne l'y traita pas barbarement; mais elle fut resserrée dans une étroite prison, seule, et condamnée à remplir tous les jours une certaine tâche de travail, comme une condition nécessaire pour obtenir quelque dégoûtante nourriture. Je n'appris ce triste détail que longtemps après, lorsque j'eus essuyé moi­même plusieurs mois d'une rude et ennuyeuse pénitence. Mes gardes ne m'ayant point averti non plus du lieu où

ils avaient ordre de me conduire, je ne connus mon destin qu'à la porte de Saint­Lazare. J'aurais préféré la mort, dans ce moment, à l'état où je me crus prêt de tomber. J'avais de terribles idées de cette maison. Ma frayeur augmenta lorsqu'en entrant les gardes visitèrent une seconde fois mes poches, pour s'assurer qu'il ne me restait ni armes, ni moyen de défense. Le supérieur parut à l'instant; il était prévenu sur mon

arrivée; il me salua avec beaucoup de douceur Mon Père, lui dis­je, point d'indignités. Je perdrai mille vies avant que d'en souffrir une. Non, non, monsieur me répondit­il; vous prendrez une conduite sage, et nous serons contents l'un de l'autre. Il me pria de monter dans une chambre haute. Je le suivis sans résistance. Les archers nous accompagnèrent jusqu'à la porte, et le supérieur y étant entré avec moi, leur fit signe de se retirer. Je suis donc votre prisonnier! lui dis­je. Eh bien, mon Père, que prétendez­vous faire de moi? Il me dit qu'il était charmé de me voir prendre un ton raisonnable; que son devoir serait de travailler à m'inspirer le goût de la vertu et de la religion, et le mien, de profiter de ses exhortations et de ses conseils; que, pour peu que je voulusse répondre aux attentions qu'il aurait pour moi, je ne trouverais que du plaisir dans ma solitude. Ah! du plaisir! repris­je; vous ne savez pas, mon Père, l'unique chose qui est capable de m'en faire goûter! Je le sais, reprit­il; mais j'espère que votre inclination changera. Sa réponse me fit comprendre qu'il était instruit de mes aventures, et peut­être de mon nom. Je le priai de m'éclaircir. Il me dit naturellement qu'on l'avait informé de tout.

taken in the other to St. Lazare. "One must have experienced this kind of reverse, to

understand the despair that is caused by it. The police were savage enough to deny me the consolation of embracing Manon, or of bidding her farewell. I remained for a long time ignorant of her fate. It was perhaps fortunate for me that I was kept in a state of ignorance, for had I known what she suffered, I should have lost my senses, probably my life. "My unhappy mistress was dragged then from my

presence, and taken to a place the very name of which fills me with horror to remember. This to be the lot of a creature the most perfect, who must have shared the most splendid throne on earth, if other men had only seen and felt as I did! She was not treated harshly there, but was shut up in a narrow prison, and obliged, in solitary confinement, to perform a certain quantity of work each day, as a necessary condition for obtaining the most unpalatable food. I did not learn this till a long time after, when I had myself endured some months of rough and cruel treatment. "My guards not having told me where it was that they

had been ordered to conduct me, it was only on my arrival at St. Lazare that I learned my destination. I would have preferred death, at that moment, to the state into which I believed myself about to be thrown. I had the utmost terror of this place. My misery was increased by the guards on my entrance, examining once more my pockets, to ascertain whether I had about me any arms or weapons of defence. "The governor appeared. He had been informed of my

apprehension. He saluted me with great mildness. 'Do not, my good sir,' said I to him, 'allow me to be treated with indignity. I would suffer a hundred deaths rather than quietly submit to degrading treatment.' 'No, no,' he replied, 'you will act quietly and prudently, and we shall be mutually content with each other.' He begged of me to ascend to one of the highest rooms; I followed him without a murmur. The archers accompanied us to the door, and the governor, entering the room, made a sign for them to depart. 'I am your prisoner, I suppose?' said I; 'well, what do you intend to do with me?' He said, he was delighted to see me adopt so reasonable a tone; that it would be his duty to endeavour to inspire me with a taste for virtue and religion, and mine to profit by his exhortations and advice: that lightly as I might be disposed to rate his attentions to me, I should find nothing but enjoyment in my solitude. 'Ah, enjoyment, indeed!' replied I; 'you do not know, my good sir, the only thing on earth that could afford me enjoyment.' 'I know it,' said he, 'but I trust your inclinations will change.' His answer showed that he had heard of my adventures, and perhaps of my name. I begged to know if such were the fact. He told me candidly that they had informed him of every particular.

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Cette connaissance fut le plus rude de tous mes

châtiments. Je me mis à verser un ruisseau de larmes, avec toutes les marques d'un affreux désespoir. Je ne pouvais me consoler d'une humiliation qui allait me rendre la fable de toutes les personnes de ma connaissance, et la honte de ma famille. Je passai ainsi huit jours dans le plus profond abattement sans être capable de rien entendre, ni de m'occuper d'autre chose que de mon opprobre. Le souvenir même de Manon n'ajoutait rien à ma douleur. Il n'y entrait, du moins, que comme un sentiment qui avait précédé cette nouvelle peine, et la passion dominante de mon âme était la honte et la confusion. Il y a peu de personnes qui connaissent la force de ces

mouvements particuliers du cœur. Le commun des hommes n'est sensible qu'à cinq ou six passions, dans le cercle desquelles leur vie se passe, et où toutes leurs agitations se réduisent. Ôtez­leur l'amour et la haine, le plaisir et la douleur l'espérance et la crainte, ils ne sentent plus rien. Mais les personnes d'un caractère plus noble peuvent être remuées de mille façons différentes; il semble qu'elles aient plus de cinq sens, et qu'elles puissent recevoir des idées et des sensations qui passent les bornes ordinaires de la nature; et comme elles ont un sentiment de cette grandeur qui les élève au­dessus du vulgaire, il n'y a rien dont elles soient plus jalouses. De là vient qu'elles souffrent si impatiemment le mépris et la risée, et que la honte est une de leurs plus violentes passions. J'avais ce triste avantage à Saint­Lazare. Ma tristesse

parut si excessive au supérieur qu'en appréhendant les suites, il crut devoir me traiter avec beaucoup de douceur et d'indulgence. Il me visitait deux ou trois fois le jour. Il me prenait souvent avec lui, pour faire un tour de jardin, et son zèle s'épuisait en exhortations et en avis salutaires. Je les recevais avec douceur; je lui marquais même de la reconnaissance. Il en tirait l'espoir de ma conversion. Vous êtes d'un naturel si doux et si aimable, me dit­il

un jour que je ne puis comprendre les désordres dont on vous accuse. Deux choses m'étonnent: l'une, comment, avec de si bonnes qualités, vous avez pu vous livrer à l'excès du libertinage; et l'autre que j'admire encore plus, comment vous recevez si volontiers mes conseils et mes instructions, après avoir vécu plusieurs années dans l'habitude du désordre. Si c'est repentir vous êtes un exemple signalé des miséricordes du Ciel; si c'est bonté naturelle, vous avez du moins un excellent fond de caractère, qui me fait espérer que nous n'aurons pas besoin de vous retenir ici longtemps, pour vous ramener à une vie honnête et réglée. Je fus ravi de lui voir cette opinion de moi. Je résolus

de l'augmenter par une conduite qui pût le satisfaire

"This blow was the severest of any I had yet

experienced. I literally shed a torrent of tears, in all the bitterness of unmixed despair; I could not reconcile myself to the humiliation which would make me a proverb to all my acquaintances, and the disgrace of my family. I passed a week in the most profound dejection, without being capable of gaining any information, or of occupying myself with anything but my own degradation. The remembrance even of Manon added nothing to my grief; it only occurred to me as a circumstance that had preceded my new sorrow; and the sense of shame and confusion was at present the all­absorbing passion. "There are few persons who have experienced the force

of these special workings of the mind. The generality of men are only sensible of five or six passions, in the limited round of which they pass their lives, and within which all their agitations are confined. Remove them from the influence of love and hate, pleasure and pain, hope and fear, and they have no further feeling. But persons of a finer cast can be affected in a thousand different ways; it would almost seem that they had more than five senses, and that they are accessible to ideas and sensations which far exceed the ordinary faculties of human nature; and, conscious that they possess a capacity which raises them above the common herd, there is nothing of which they are more jealous. Hence springs their impatience under contempt and ridicule; and hence it is that a sense of debasement is perhaps the most violent of all their emotions. "I had this melancholy advantage at St. Lazare. My

grief appeared to the governor so excessive, that, dreading the consequences, he thought he was bound to treat me with more mildness and indulgence. He visited me two or three times a day; he often made me take a turn with him in the garden, and showed his interest for me in his exhortations and good advice. I listened always attentively; and warmly expressed my sense of his kindness, from which he derived hopes of my ultimate conversion. "'You appear to me,' said he one day, 'of a disposition

so mild and tractable, that I cannot comprehend the excesses into which you have fallen. Two things astonish me: one is, how, with your good qualities, you could have ever abandoned yourself to vice; and the other, which amazes me still more, is, how you can receive with such perfect temper my advice and instructions, after having lived so long in a course of debauchery. If it be sincere repentance, you present a singular example of the benign mercy of Heaven; if it proceed from the natural goodness of your disposition, then you certainly have that within you which warrants the hope that a protracted residence in this place will not be required to bring you back to a regular and respectable life.' "I was delighted to find that he had such an opinion of

me. I resolved to strengthen it by a continuance of good

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entièrement, persuadé que c'était le plus sûr moyen d'abréger ma prison. Je lui demandai des livres. Il fut surpris que, m'ayant laissé le choix de ceux que je voulais lire, je me déterminai pour quelques auteurs sérieux. Je feignis de m'appliquer à l'étude avec le dernier attachement, et je lui donnai ainsi, dans toutes les occasions, des preuves du changement qu'il désirait. Cependant il n'était qu'extérieur. Je dois le confesser à

ma honte, je jouai, à Saint­Lazare, un personnage d'hypocrite. Au lieu d'étudier, quand j'étais seul, je ne m'occupais qu'à gémir de ma destinée; je maudissais ma prison et la tyrannie qui m'y retenait. Je n'eus pas plutôt quelque relâche du côté de cet accablement où m'avait jeté la confusion, que je retombai dans les tourments de l'amour L'absence de Manon, l'incertitude de son sort, la crainte de ne la revoir jamais étaient l'unique objet de mes tristes méditations. Je me la figurais dans les bras de G... M..., car c'était la pensée que j'avais eue d'abord; et, loin de m'imaginer qu'il lui eût fait le même traitement qu'à moi, j'étais persuadé qu'il ne m'avait fait éloigner que pour la posséder tranquillement. Je passais ainsi des jours et des nuits dont la longueur

me paraissait éternelle. Je n'avais d'espérance que dans le succès de mon hypocrisie. J'observais soigneusement le visage et les discours du supérieur pour m'assurer de ce qu'il pensait de moi, et je me faisais une étude de lui plaire, comme à l'arbitre de ma destinée. Il me fut aisé de reconnaître que j'étais parfaitement dans ses bonnes grâces. Je ne doutai plus qu'il ne fût disposé à me rendre service. Je pris un jour la hardiesse de lui demander si c'était

de lui que mon élargissement dépendait. Il me dit qu'il n'en était pas absolument le maître, mais que, sur son témoignage, il espérait que M. de G... M..., à la sollicitation duquel M. le Lieutenant général de Police m'avait fait renfermer consentirait à me rendre la liberté. Puis­je me flatter repris­je doucement, que deux mois de prison, que j'ai déjà essuyés, lui paraîtront une expiation suffisante? Il me promit de lui en parler si je le souhaitais. Je le priai instamment de me rendre ce bon office. Il m'apprit, deux jours après, que G... M... avait été si

touché du bien qu'il avait entendu de moi, que non seulement il paraissait être dans le dessein de me laisser voir le jour, mais qu'il avait même marqué beaucoup d'envie de me connaître plus particulièrement, et qu'il se proposait de me rendre une visite dans ma prison. Quoique sa présence ne pût m'être agréable, je la regardais comme un acheminement prochain à ma liberté. Il vint effectivement à Saint­Lazare. Je lui trouvai l'air

plus grave et moins sot qu'il ne l'avait eu dans la maison de Manon. Il me tint quelques discours de bon sens sur

conduct, convinced that it was the surest means of abridging the term of my confinement. I begged of him to furnish me with books. He was agreeably surprised to find that when he requested me to say what I should prefer, I mentioned only some religious and instructive works. I pretended to devote myself assiduously to study, and I thus gave him convincing proof of the moral reformation he was so anxious to bring about. It was nothing, however, but rank hypocrisy—I blush

to confess it. Instead of studying, when alone I did nothing but curse my destiny. I lavished the bitterest execrations on my prison, and the tyrants who detained me there. If I ceased for a moment from these lamentations, it was only to relapse into the tormenting remembrance of my fatal and unhappy love. Manon's absence—the mystery in which her fate was veiled—the dread of never again beholding her; these formed the subject of my melancholy thoughts. I fancied her in the arms of G—— M——. Far from imagining that he could have been brute enough to subject her to the same treatment to which I was condemned, I felt persuaded that he had only procured my removal, in order that he might possess her in undisturbed enjoyment. "Oh! how miserable were the days and nights I thus

passed! They seemed to be of endless duration. My only hope of escape now, was in hypocrisy; I scrutinised the countenance, and carefully marked every observation that fell from the governor, in order to ascertain what he really thought of me; and looking on him as the sole arbiter of my future fate, I made it my study to win, if possible, his favour. I soon had the satisfaction to find that I was firmly established in his good graces, and no longer doubted his disposition to befriend me. "I, one day, ventured to ask him whether my liberation

depended on him. He replied that it was not altogether in his hands, but that he had no doubt that on his representation M. G—— M——, at whose instance the lieutenant­general of police had ordered me to be confined, would consent to my being set at liberty. 'May I flatter myself,' rejoined I, in the mildest tone, 'that he will consider two months, which I have now spent in this prison, as a sufficient atonement?' He offered to speak to him, if I wished it. I implored him without delay to do me that favour. "He told me two days afterwards that G—— M—— was

so sensibly affected by what he had heard, that he not only was ready to consent to my liberation, but that he had even expressed a strong desire to become better acquainted with me, and that he himself purposed to pay me a visit in prison. Although his presence could not afford me much pleasure, I looked upon it as a certain prelude to my liberation. "He accordingly came to St. Lazare. I met him with an

air more grave and certainly less silly than I had exhibited at his house with Manon. He spoke reasonably enough of

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ma mauvaise conduite. Il ajouta, pour justifier apparemment ses propres désordres, qu'il était permis à la faiblesse des hommes de se procurer certains plaisirs que la nature exige, mais que la friponnerie et les artifices honteux méritaient d'être punis. Je l'écoutai avec un air de soumission dont il parut

satisfait. Je ne m'offensai pas même de lui entendre lâcher quelques railleries sur ma fraternité avec Lescaut et Manon, et sur les petites chapelles dont il supposait, me dit­il, que j'avais dû faire un grand nombre à Saint­Lazare, puisque je trouvais tant de plaisir à cette pieuse occupation. Mais il lui échappa, malheureusement pour lui et pour moi­même, de me dire que Manon en aurait fait aussi, sans doute, de fort jolies à l'Hôpital. Malgré le frémissement que le nom d'Hôpital me causa, j'eus encore le pouvoir de le prier, avec douceur de s'expliquer Hé oui! reprit­il, il y a deux mois qu'elle apprend la sagesse à l'Hôpital Général, et je souhaite qu'elle en ait tiré autant de profit que vous à Saint­Lazare. Quand j'aurais eu une prison éternelle, ou la mort

même présente à mes yeux, je n'aurais pas été le maître de mon transport, à cette affreuse nouvelle. Je me jetai sur lui avec une si affreuse rage que j'en perdis la moitié de mes forces. J'en eus assez néanmoins pour le renverser par terre, et pour le prendre à la gorge. Je l'étranglais, lorsque le bruit de sa chute, et quelques cris aigus, que je lui laissais à peine la liberté de pousser attirèrent le supérieur et plusieurs religieux dans ma chambre. On le délivra de mes mains. J'avais presque perdu moi­même la force et la

respiration. Ô Dieu! m'écriai­je, en poussant mille soupirs; justice du Ciel! faut­il que je vive un moment, après une telle infamie? Je voulus me jeter encore sur le barbare qui venait de m'assassiner. On m'arrêta. Mon désespoir, mes cris et mes larmes passaient toute imagination. Je fis des choses si étonnantes, que tous les assistants, qui en ignoraient la cause, se regardaient les uns les autres avec autant de frayeur que de surprise. M. de G... M... rajustait pendant ce temps­là sa

perruque et sa cravate, et dans le dépit d'avoir été si maltraité, il ordonnait au supérieur de me resserrer plus étroitement que jamais, et de me punir par tous les châtiments qu'on sait être propres à Saint­Lazare. Non, monsieur lui dit le supérieur; ce n'est point avec une personne de la naissance de M. le Chevalier que nous en usons de cette manière. Il est si doux, d'ailleurs, et si honnête, que j'ai peine à comprendre qu'il se soit porté à cet excès sans de fortes raisons. Cette réponse acheva de déconcerter M. de G... M... Il sortit en disant qu'il saurait faire plier et le supérieur et moi, et tous ceux qui oseraient lui résister. Le supérieur, ayant ordonné à ses religieux de le

my former bad conduct. He added, as if to excuse his own delinquencies, that it was graciously permitted to the weakness of man to indulge in certain pleasures, almost, indeed, prompted by nature, but that dishonesty and such shameful practices ought to be, and always would be, inexorably punished. "I listened to all he said with an air of submission,

which quite charmed him. I betrayed no symptoms of annoyance even at some jokes in which he indulged about my relationship with Manon and Lescaut, and about the little chapels of which he supposed I must have had time to erect a great many in St. Lazare, as I was so fond of that occupation. But he happened, unluckily both for me and for himself, to add, that he hoped Manon had also employed herself in the same edifying manner at the Magdalen. Notwithstanding the thrill of horror I felt at the sound of the name, I had still presence of mind enough to beg, in the gentlest manner, that he would explain himself. 'Oh! yes,' he replied, 'she has been these last two months at the Magdalen learning to be prudent, and I trust she has improved herself as much there, as you have done at St. Lazare!' "If an eternal imprisonment, or death itself, had been

presented to my view, I could not have restrained the excitement into which this afflicting announcement threw me. I flung myself upon him in so violent a rage that half my strength was exhausted by the effort. I had, however, more than enough left to drag him to the ground, and grasp him by the throat. I should infallibly have strangled him, if his fall, and the half­stifled cries which he had still the power to utter, had not attracted the governor and several of the priests to my room. They rescued him from my fury. "I was, myself, breathless and almost impotent from

rage. 'Oh God!' I cried—'Heavenly justice! Must I survive this infamy?' I tried again to seize the barbarian who had thus roused my indignation—they prevented me. My despair—my cries—my tears, exceeded all belief: I raved in so incoherent a manner that all the bystanders, who were ignorant of the cause, looked at each other with as much dread as surprise. "G—— M—— in the meantime adjusted his wig and

cravat, and in his anger at having been so ill­treated, ordered me to be kept under more severe restraint than before, and to be punished in the manner usual with offenders in St. Lazare. 'No, sir!' said the governor, 'it is not with a person of his birth that we are in the habit of using such means of coercion; besides, he is habitually so mild and well­conducted, that I cannot but think you must have given provocation for such excessive violence.' This reply disconcerted G—— M—— beyond measure and he went away, declaring that he knew how to be revenged on the governor, as well as on me, and everyone else who dared to thwart him. "The Superior, having ordered some of the

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conduire, demeura seul avec moi. Il me conjura de lui apprendre promptement d'où venait ce désordre. Ô mon Père, lui dis­je, en continuant de pleurer comme un enfant, figurez­vous la plus horrible cruauté, imaginez­vous la plus détestable de toutes les barbaries, c'est l'action que l'indigne G... M... a eu la lâcheté de commettre. Oh! il m'a percé le cœur Je n'en reviendrai jamais. Je veux vous raconter tout, ajoutai­je en sanglotant. Vous êtes bon, vous aurez pitié de moi. Je lui fis un récit abrégé de la longue et insurmontable

passion que j'avais pour Manon, de la situation florissante de notre fortune avant que nous eussions été dépouillés par nos propres domestiques, des offres que G... M... avait faites à ma maîtresse, de la conclusion de leur marché, et de la manière dont il avait été rompu. Je lui représentai les choses, à la vérité, du côté le plus favorable pour nous. Voilà, continuai­je, de quelle source est venu le zèle de M. de G... M... pour ma conversion. Il a eu le crédit de me faire ici renfermer par un pur motif de vengeance. Je lui pardonne, mais, mon Père, ce n'est pas tout: il a fait enlever cruellement la plus chère moitié de moi­même, il l'a fait mettre honteusement à l'Hôpital, il a eu l'impudence de me l'annoncer aujourd'hui de sa propre bouche. À l'Hôpital, mon Père! Ô Ciel! ma charmante maîtresse, ma chère reine à l'Hôpital, comme la plus infâme de toutes les créatures! Où trouverai­je assez de force pour ne pas mourir de douleur et de honte? Le bon Père, me voyant dans cet excès d'affliction,

entreprit de me consoler. Il me dit qu'il n'avait jamais compris mon aventure de la manière dont je la racontais; qu'il avait su, à la vérité, que je vivais dans le désordre, mais qu'il s'était figuré que ce qui avait obligé M. de G... M... d'y prendre intérêt, était quelque liaison d'estime et d'amitié avec ma famille; qu'il ne s'en était expliqué à lui­même que sur ce pied; que ce que je venais de lui apprendre mettrait beaucoup de changement dans mes affaires, et qu'il ne doutait point que le récit qu'il avait dessein d'en faire à M. le Lieutenant général de Police ne pût contribuer à ma liberté. Il me demanda ensuite pourquoi je n'avais pas encore

pensé à donner de mes nouvelles à ma famille, puisqu'elle n'avait point eu de part à ma captivité. Je satisfis à cette objection par quelques raisons prises de la douleur que j'avais appréhendé de causer à mon père, et de la honte que j'en aurais ressentie moi­même. Enfin il me promit d'aller de ce pas chez le Lieutenant de Police, ne fût­ce, ajouta­t­il, que pour prévenir quelque chose de pis, de la part de M. de G... M.... qui est sorti de cette maison fort mal satisfait, et qui est assez considéré pour se faire redouter. J'attendis le retour du Père avec toutes les agitations

d'un malheureux qui touche au moment de sa sentence. C'était pour moi un supplice inexprimable de me représenter Manon à l'Hôpital. Outre l'infamie de cette demeure, j'ignorais de quelle manière elle y était traitée,

brotherhood to escort him out of the prison, remained alone with me. He conjured me to tell him at once what was the cause of the fracas.—'Oh, my good sir!' said I to him, continuing to cry like a child, 'imagine the most horrible cruelty, figure to yourself the most inhuman of atrocities—that is what G—— M—— has had the cowardly baseness to perpetrate: he has pierced my heart. Never shall I recover from this blow! I would gladly tell you the whole circumstance,' added I, sobbing with grief; 'you are kind­hearted, and cannot fail to pity me.' "I gave him, as briefly as I could, a history of my long­

standing and insurmountable passion for Manon, of the flourishing condition of our fortunes previous to the robbery committed by our servants, of the offers which G—— M—— had made to my mistress, of the understanding they had come to, and the manner in which it had been defeated. To be sure, I represented things to him in as favourable a light for us as possible. 'Now you can comprehend,' continued I, 'the source of M. G—— M——'s holy zeal for my conversion. He has had influence enough to have me shut up here, out of mere revenge. That I can pardon; but, my good sir, that is not all. He has taken from me my heart's blood: he has had Manon shamefully incarcerated in the Magdalen; and had the effrontery to announce it to me this day with his own lips. In the Magdalen, good sir! Oh heavens! my adorable mistress, my beloved Manon, a degraded inmate of the Hospital! How shall I command strength of mind enough to survive this grief and shame!' "The good Father, seeing me in such affliction,

endeavoured to console me. He told me that he had never understood my history, as I just now related it; he had of course known that I led a dissolute life, but he had imagined that M. G—— M——'s interest about me was the result of his esteem and friendship for my family; that it was in this sense he had explained the matter to him; that what I had now told him should assuredly produce a change in my treatment, and that he had no doubt but the accurate detail which he should immediately transmit to the lieutenant­general of police would bring about my liberation. "He then enquired why I had never thought of

informing my family of what had taken place, since they had not been instrumental to my incarceration. I satisfactorily answered this by stating my unwillingness to cause my father pain, or to bring upon myself the humiliation of such an exposure. In the end, he promised to go directly to the lieutenant­general of police if it were only, said he, to be beforehand with M. G—— M——, who went off in such a rage, and who had sufficient influence to make himself formidable. "I looked for the good Father's return with all the

suspense of a man expecting sentence of death. It was torture to me to think of Manon at the Magdalen. Besides the infamy of such a prison, I knew not how she might be treated there; and the recollection of some particulars I

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et le souvenir de quelques particularités que j'avais entendues de cette maison d'horreur renouvelait à tous moments mes transports. J'étais tellement résolu de la secourir à quelque prix et par quelque moyen que ce pût être, que j'aurais mis le feu à Saint­Lazare, s'il m'eût été impossible d'en sortir autrement. Je réfléchis donc sur les voies que j'avais à prendre, s'il

arrivait que le Lieutenant général de Police continuât de m'y retenir malgré moi. Je mis mon industrie à toutes les épreuves; je parcourus toutes les possibilités. Je ne vis rien qui pût m'assurer d'une évasion certaine, et je craignis d'être renfermé plus étroitement si je faisais une tentative malheureuse. Je me rappelai le nom de quelques amis, de qui je pouvais espérer du secours; mais quel moyen de leur faire savoir ma situation? Enfin, je crus avoir formé un plan si adroit qu'il pourrait réussir et je remis à l'arranger encore mieux après le retour du Père supérieur, si l'inutilité de sa démarche me le rendait nécessaire. Il ne tarda point à revenir. Je ne vis pas, sur son visage,

les marques de joie qui accompagnent une bonne nouvelle. J'ai parlé, me dit­il, à M. le Lieutenant général de Police, mais je lui ai parlé trop tard. M. de G... M... l'est allé voir en sortant d'ici, et l'a si fort prévenu contre vous, qu'il était sur le point de m'envoyer de nouveaux ordres pour vous resserrer davantage. Cependant, lorsque je lui ai appris le fond de vos

affaires, il a paru s'adoucir beaucoup, et riant un peu de l'incontinence du vieux M. de G... M..., il m'a dit qu'il fallait vous laisser ici six mois pour le satisfaire; d'autant mieux, a­t­il dit, que cette demeure ne saurait vous être inutile. Il m'a recommandé de vous traiter honnêtement, et je vous réponds que vous ne vous plaindrez point de mes manières. Cette explication du bon supérieur fut assez longue

pour me donner le temps de faire une sage réflexion. Je conçus que je m'exposerais à renverser mes desseins si je lui marquais trop d'empressement pour ma liberté. Je lui témoignai, au contraire, que dans la nécessité de demeurer c'était une douce consolation pour moi d'avoir quelque part à son estime. Je le priai ensuite, sans affectation, de m'accorder une grâce, qui n'était de nulle importance pour personne, et qui servirait beaucoup à ma tranquillité; c'était de faire avertir un de mes amis, un saint ecclésiastique qui demeurait à Saint­Sulpice, que j'étais à Saint­Lazare, et de permettre que je reçusse quelquefois sa visite. Cette faveur me fut accordée sans délibérer. C'était mon ami Tiberge dont il était question; non que

j'espérasse de lui les secours nécessaires pour ma liberté, mais je voulais l'y faire servir comme un instrument éloigné, sans qu'il en eût même connaissance. En un mot, voici mon projet: je voulais écrire à Lescaut et le charger, lui et nos amis communs, du soin de me délivrer. La première difficulté était de lui faire tenir ma lettre; ce

had formerly heard of this horrible place, incessantly renewed my misery. Cost what it might, I was so bent upon relieving her by some means or other, that I should assuredly have set fire to St. Lazare, if no other mode of escape had presented itself. "I considered what chances would remain to me if the

lieutenant­general still kept me in confinement. I taxed my ingenuity: I scanned every imaginable gleam of hope—I could discover nothing that gave me any prospect of escape, and I feared that I should experience only more rigid confinement, if I made an unsuccessful attempt. I thought of some friends from whom I might hope for aid, but then, how was I to make them aware of my situation? At length I fancied that I had hit upon a plan so ingenious, as to offer a fair probability of success. I postponed the details of its arrangement until after the Superior's return, in case of his having failed in the object of his visit. "He soon arrived: I did not observe upon his

countenance any of those marks of joy that indicate good news. 'I have spoken,' said he, 'to the lieutenant­general of police, but I was too late, M. G—— M—— went straight to him after quitting us, and so prejudiced him against you, that he was on the point of sending me fresh instructions to subject you to closer confinement. "'However, when I let him know the truth of your story,

he reconsidered the matter, and, smiling at the incontinence of old G—— M——, he said it would be necessary to keep you here for six months longer, in order to pacify him; the less to be lamented,' he added, 'because your morals would be sure to benefit by your residence here. He desired that I would show you every kindness and attention, and I need not assure you that you shall have no reason to complain of your treatment.' "This speech of the Superior's was long enough to

afford me time to form a prudent resolution. I saw that by betraying too strong an impatience for my liberty, I should probably be upsetting all my projects. I acknowledged to him, that, as it was necessary to me to remain, it was an infinite comfort to know that I possessed a place in his esteem. I then requested, and with unaffected sincerity, a favour, which could be of no consequence to others, and which would contribute much to my peace of mind; it was to inform a friend of mine, a devout clergyman, who lived at St. Sulpice, that I was at St. Lazare, and to permit me occasionally to receive his visits. "This was of course my friend Tiberge; not that I could

hope from him the assistance necessary for effecting my liberty; but I wished to make him the unconscious instrument of my designs. In a word, this was my project: I wished to write to Lescaut, and to charge him and our common friends with the task of my deliverance. The first difficulty was to have my letter conveyed to him: this

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devait être l'office de Tiberge. Cependant, comme il le connaissait pour le frère de ma maîtresse, je craignais qu'il n'eût peine à se charger de cette commission. Mon dessein était de renfermer ma lettre à Lescaut dans une autre lettre que je devais adresser à un honnête homme de ma connaissance, en le priant de rendre promptement la première à son adresse, et comme il était nécessaire que je visse Lescaut pour nous accorder dans nos mesures, je voulais lui marquer de venir à Saint­Lazare, et de demander à me voir sous le nom de mon frère aîné, qui était venu exprès à Paris pour prendre connaissance de mes affaires. Je remettais à convenir avec lui des moyens qui nous paraîtraient les plus expéditifs et les plus sûrs. Le Père supérieur fit avertir Tiberge du désir que j'avais de l'entretenir. Ce fidèle ami ne m'avait pas tellement perdu de vue qu'il ignorât mon aventure; il savait que j'étais à Saint­Lazare, et peut­être n'avait­il pas été fâché de cette disgrâce qu'il croyait capable de me ramener au devoir Il accourut aussitôt à ma chambre. Notre entretien fut plein d'amitié. Il voulut être

informé de mes dispositions. Je lui ouvris mon cœur sans réserve, excepté sur le dessein de ma fuite. Ce n'est pas à vos yeux, cher ami, lui dis­je, que je veux paraître ce que je ne suis point. Si vous avez cru trouver ici un ami sage et réglé dans ses désirs, un libertin réveillé par les châtiments du Ciel, en un mot un cœur dégagé de l'amour et revenu des charmes de sa Manon, vous avez jugé trop favorablement de moi. Vous me revoyez tel que vous me laissâtes il y a quatre mois: toujours tendre, et toujours malheureux par cette fatale tendresse dans laquelle je ne me lasse point de chercher mon bonheur. Il me répondit que l'aveu que je faisais me rendait

inexcusable; qu'on voyait bien des pécheurs qui s'enivraient du faux bonheur du vice jusqu'à le préférer hautement à celui de la vertu; mais que c'était, du moins, à des images de bonheur qu'ils s'attachaient, et qu'ils étaient les dupes de l'apparence; mais que, de reconnaître, comme je le faisais, que l'objet de mes attachements n'était propre qu'à me rendre coupable et malheureux, et de continuer à me précipiter volontairement dans l'infortune et dans le crime, c'était une contradiction d'idées et de conduite qui ne faisait pas honneur à ma raison.

should be Tiberge's office. However, as he knew him to be Manon's brother, I doubted whether he would take charge of this commission. My plan was to enclose my letter to Lescaut in another to some respectable man of my acquaintance, begging of him to transmit the first to its address without delay; and as it was necessary that I should have personal communication with Lescaut, in order to arrange our proceedings, I told him to call on me at St. Lazare, and assume the name of my eldest brother, as if he had come to Paris expressly to see me. I postponed till our meeting all mention of the safest and most expeditious course I intended to suggest for our future conduct. The governor informed Tiberge of my wish to see him. This ever­faithful friend had not so entirely lost sight of me as to be ignorant of my present abode, and it is probable that, in his heart, he did not regret the circumstance, from an idea that it might furnish the means of my moral regeneration. He lost no time in paying me the desired visit."

(retour) VI

It is a strange thing to note the excess of this passion; and how it braves the nature and value of things, by this—that the speaking in a perpetual hyperbole is

comely in nothing but in love.—BACON. "My interview with Tiberge was of the most friendly

description. I saw that his object was to discover the present temper of my mind. I opened my heart to him without any reserve, except as to the mere point of my intention of escaping. 'It is not from such a friend as you,' said I, 'that I can ever wish to dissemble my real feelings. If you flattered yourself with a hope that you were at last about to find me grown prudent and regular in my conduct, a libertine reclaimed by the chastisements of fortune, released alike from the trammels of love, and the dominion that Manon wields over me, I must in candour say, that you deceive yourself. You still behold me, as you left me four months ago, the slave—if you will, the unhappy slave—of a passion, from which I now hope, as fervently and as confidently as I ever did, to derive eventually solid comfort.' "He answered, that such an acknowledgment rendered

me utterly inexcusable; that it was no uncommon case to meet sinners who allowed themselves to be so dazzled with the glare of vice as to prefer it openly to the true splendour of virtue; they were at least deluded by the false image of happiness, the poor dupes of an empty shadow; but to know and feel as I did, that the object of my attachment was only calculated to render me culpable and unhappy, and to continue thus voluntarily in a career of misery and crime, involved a contradiction of ideas and of conduct little creditable to my reason.

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Tiberge, repris­je, qu'il vous est aisé de vaincre, lorsqu'on n'oppose rien à vos armes! Laissez­moi raisonner à mon tour. Pouvez­vous prétendre que ce que vous appelez le bonheur de la vertu soit exempt de peines, de traverses et d'inquiétudes? Quel nom donnerez­vous à la prison, aux croix, aux supplices et aux tortures des tyrans? Direz­vous, comme font les mystiques, que ce qui tourmente le corps est un bonheur pour l'âme? Vous n'oseriez le dire; c'est un paradoxe insoutenable. Ce bonheur, que vous relevez tant, est donc mêlé de mille peines, ou pour parler plus juste, ce n'est qu'un tissu de malheurs au travers desquels on tend à la félicité. Or si la force de l'imagination fait trouver du plaisir dans ces maux mêmes, parce qu'ils peuvent conduire à un terme heureux qu'on espère, pourquoi traitez­vous de contradictoire et d'insensée, dans ma conduite, une disposition toute semblable? J'aime Manon; je tends au travers de mille douleurs à vivre heureux et tranquille auprès d'elle. La voie par où je marche est malheureuse; mais l'espérance d'arriver à mon terme y répand toujours de la douceur et je me croirai trop bien payé, par un moment passé avec elle, de tous les chagrins que j'essuie pour l'obtenir. Toutes choses me paraissent donc égales de votre côté et du mien; ou s'il y a quelque différence, elle est encore à mon avantage, car le bonheur que j'espère est proche, et l'autre est éloigné; le mien est de la nature des peines, c'est­à­dire sensible au corps, et l'autre est d'une nature inconnue, qui n'est certaine que par la foi. Tiberge parut effrayé de ce raisonnement. Il recula de

deux pas, en me disant, de l'air le plus sérieux, que, non seulement ce que je venais de dire blessait le bon sens, mais que c'était un malheureux sophisme d'impiété et d'irréligion: car cette comparaison, ajouta­t­il, du terme de vos peines avec celui qui est proposé par la religion, est une idée des plus libertines et des plus monstrueuses. J'avoue, repris­je, qu'elle n'est pas juste; mais prenez­y

garde, ce n'est pas sur elle que porte mon raisonnement. J'ai eu dessein d'expliquer ce que vous regardez comme une contradiction, dans la persévérance d'un amour malheureux, et je crois avoir fort bien prouvé que, si c'en est une, vous ne sauriez vous en sauver plus que moi. C'est à cet égard seulement que j'ai traité les choses d'égales, et je soutiens encore qu'elles le sont. Répondrez­vous que le terme de la vertu est infiniment

supérieur à celui de l'amour? Qui refuse d'en convenir? Mais est­ce de quoi il est question? Ne s'agit­il pas de la force qu'ils ont, l'un et l'autre, pour faire supporter les peines? Jugeons­en par l'effet. Combien trouve­t­on de déserteurs de la sévère vertu, et combien en trouverez­vous peu de l'amour? Répondrez­vous encore que, s'il y a des peines dans

l'exercice du bien, elles ne sont pas infaillibles et nécessaires; qu'on ne trouve plus de tyrans ni de croix, et qu'on voit quantité de personnes vertueuses mener une vie douce et tranquille? Je vous dirai de même qu'il y a

"'Tiberge,' replied I, 'it is easy to triumph when your arguments are unopposed. Allow me to reason for a few moments in my turn. Can you pretend that what you call the happiness of virtue is exempt from troubles, and crosses, and cares? By what name will you designate the dungeon, the rack, the inflections and tortures of tyrants? Will you say with the Mystics[1] that the soul derives pleasure from the torments of the body? You are not bold enough to hold such a doctrine—a paradox not to be maintained. This happiness, then, that you prize so much, has a thousand drawbacks, or is, more properly speaking, but a tissue of sufferings through which one hopes to attain felicity. If by the power of imagination one can even derive pleasure from these sufferings, hoping that they may lead to a happy end, why, let me ask, do you deem my conduct senseless, when it is directed by precisely the same principle? I love Manon: I wade through sorrow and suffering in order to attain happiness with her. My path is one indeed of difficulties, but the mere hope of reaching the desired goal makes it easy and delightful; and I shall think myself but too bountifully repaid by one moment of her society, for all the troubles I encounter in my course. There appears therefore no difference between us, or, if there be any, it is assuredly in my favour; for the bliss I hope for is near and tangible, yours is far distant, and purely speculative. Mine is of the same kind as my sufferings, that is to say, evident to my senses; yours is of an incomprehensible nature, and only discernible through the dim medium of faith.' "Tiberge appeared shocked by my remarks. He retired

two or three paces from me, while he said, in the most serious tone, that my argument was not only a violation of good sense, but that it was the miserable sophistry of irreligion; 'for the comparison,' he added, 'of the pitiful reward of your sufferings with that held out to us by the divine revelation, is the essence of impiety and absurdity combined.' "'I acknowledge,' said I, 'that the comparison is not a

just one, but my argument does not at all depend upon it. I was about to explain what you consider a contradiction—the persevering in a painful pursuit; and I think I have satisfactorily proved, that if there be any contradiction in that, we shall be both equally obnoxious to the charge. It was in this light, only, that I could observe no difference in our cases, and I cannot as yet perceive any. "'You may probably answer, that the proposed end, the

promised reward, of virtue, is infinitely superior to that of love? No one disputes it, but that is not the question—we are only discussing the relative aid they both afford in the endurance of affliction. Judge of that by the practical effect: are there not multitudes who abandon a life of strict virtue? how few give up the pursuits of love! "'Again, you will reply that if there be difficulties in the

exercise of virtue, they are by no means universal and sure; that the good man does not necessarily meet tyrants and tortures, and that, on the contrary, a life of virtue is perfectly compatible with repose and enjoyment. I can say

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des amours paisibles et fortunées, et, ce qui fait encore une différence qui m'est extrêmement avantageuse, j'ajouterai que l'amour, quoiqu'il trompe assez souvent, ne promet du moins que des satisfactions et des joies, au lieu que la religion veut qu'on s'attende à une pratique triste et mortifiante. Ne vous alarmez pas, ajoutai­je en voyant son zèle prêt

à se chagriner. L'unique chose que je veux conclure ici, c'est qu'il n'y a point de plus mauvaise méthode pour dégoûter un cœur de l'amour, que de lui en décrier les douceurs et de lui promettre plus de bonheur dans l'exercice de la vertu. De la manière dont nous sommes faits, il est certain que notre félicité consiste dans le plaisir; je défie qu'on s'en forme une autre idée; or le cœur n'a pas besoin de se consulter longtemps pour sentir que, de tous les plaisirs, les plus doux sont ceux de l'amour. Il s'aperçoit bientôt qu'on le trompe lorsqu'on lui en promet ailleurs de plus charmants, et cette tromperie le dispose à se défier des promesses les plus solides. Prédicateurs, qui voulez me ramener à la vertu, dites­

moi qu'elle est indispensablement nécessaire, mais ne me déguisez pas qu'elle est sévère et pénible. Établissez bien que les délices de l'amour sont passagères, qu'elles sont défendues, qu'elles seront suivies par d'éternelles peines, et ce qui fera peut­être encore plus d'impression sur moi, que, plus elles sont douces et charmantes, plus le Ciel sera magnifique à récompenser un si grand sacrifice, mais confessez qu'avec des cœurs tels que nous les avons, elles sont ici­bas nos plus parfaites félicités. Cette fin de mon discours rendit sa bonne humeur à

Tiberge. Il convint qu'il y avait quelque chose de raisonnable dans mes pensées. La seule objection qu'il ajouta fut de me demander pourquoi je n'entrais pas du moins dans mes propres principes, en sacrifiant mon amour à l'espérance de cette rémunération dont je me faisais une si grande idée. Ô cher ami! lui répondis­je, c'est ici que je reconnais ma misère et ma faiblesse. Hélas! oui, c'est mon devoir d'agir comme je raisonne! mais l'action est­elle en mon pouvoir? De quels secours n'aurais­je pas besoin pour oublier les charmes de Manon? Dieu me pardonne, reprit Tiberge, je pense que voici encore un de nos jansénistes. Je ne sais ce que je suis, répliquai­je, et je ne vois pas trop clairement ce qu'il faut être; mais je n'éprouve que trop la vérité de ce qu'ils disent. Cette conversation servit du moins à renouveler la pitié

de mon ami. Il comprit qu'il y avait plus de faiblesse que de malignité dans mes désordres. Son amitié en fut plus disposée, dans la suite, à me donner des secours, sans lesquels j'aurais péri infailliblement de misère. Cependant, je ne lui fis pas la moindre ouverture du dessein que j'avais de m'échapper de Saint­Lazare. Je le priai seulement de se charger de ma lettre. Je l'avais préparée, avant qu'il fût venu, et je ne manquai point de

with equal truth, that love is often accompanied by content and happiness; and what makes another distinction of infinite advantage to my argument, I may add that love, though it often deludes, never holds out other than hopes of bliss and joy, whilst religion exacts from her votaries mortification and sorrow. "'Do not be alarmed,' said I, perceiving that I had

almost offended his zealous feelings of devotion. 'I only wish to say, that there is no more unsuccessful method of weaning man's heart from love, than by endeavouring to decry its enjoyments, and by promising him more pleasure from the exercise of virtue. It is an inherent principle in our nature, that our felicity consists only in pleasure. I defy you to conceive any other notion of it; and it requires little time to arrive at the conviction, that, of all pleasures, those of love are immeasurably the most enchanting. A man quickly discerns the delusion, when he hears the promise made of livelier enjoyment, and the effect of such misrepresentation is only to make him doubt the truth of a more solid promise. "'Let the preacher who seeks the reformation of a

sinner tell me that virtue is indispensably necessary, but not disguise its difficulty and its attendant denials. Say that the enjoyments of love are fleeting, if you will, that they are rigidly forbidden, that they lead with certainty to eternal suffering; and, what would assuredly make a deeper impression upon me than any other argument, say that the more sweet and delectable they are, the brighter will be the reward of Heaven for giving them up in sacrifice; but do in the name of justice admit, that, constituted as the heart of man is, they form here, on earth, our most perfect happiness.' "My last sentence restored to Tiberge his good

humour. He allowed that my ideas were not altogether so unreasonable. The only point he made, was in asking me why I did not carry my own principle into operation, by sacrificing my passion to the hope of that remuneration of which I had drawn so brilliant a picture. 'Oh! my dear friend,' replied I; 'that it is which makes me conscious of my own misery and weakness: true, alas! it is indeed my duty to act according to my argument; but have I the power of governing my own actions? What aid will enable me to forget Manon's charms?' 'God forgive me,' said Tiberge, 'I can almost fancy you a Jansenist[2]. 'I know not of what sect I am,' replied I, 'nor do I indeed very clearly see to which I ought to belong; but I cannot help feeling the truth of this at least of their tenets.' "One effect of our conversation was to revive my

friend's pity for me in all its force. He perceived that there was in my errors more of weakness than of vice; and he was the more disposed in the end to give me assistance; without which I should infallibly have perished from distress of mind. However, I carefully concealed from him my intention of escaping from St. Lazare. I merely begged of him to take charge of my letter; I had it ready before he came, and I soon found an excuse for the necessity of

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prétextes pour colorer la nécessité où j'étais d'écrire. Il eut la fidélité de la porter exactement, et Lescaut reçut, avant la fin du jour, celle qui était pour lui. Il me vint voir le lendemain, et il passa heureusement

sous le nom de mon frère. Ma joie fut extrême en l'apercevant dans ma chambre. J'en fermai la porte avec soin. Ne perdons pas un seul moment, lui dis­je; apprenez­moi d'abord des nouvelles de Manon, et donnez­moi ensuite un bon conseil pour rompre mes fers. Il m'assura qu'il n'avait pas vu sa sœur depuis le jour qui avait précédé mon emprisonnement, qu'il n'avait appris son sort et le mien qu'à force d'informations et de soins; que, s'étant présenté deux ou trois fois à l'Hôpital, on lui avait refusé la liberté de lui parler. Malheureux G... M...! m'écriai­je, que tu me le paieras cher! Pour ce qui regarde votre délivrance, continua Lescaut,

c'est une entreprise moins facile que vous ne pensez. Nous passâmes hier la soirée, deux de mes amis et moi, à observer toutes les parties extérieures de cette maison, et nous jugeâmes que, vos fenêtres étant sur une cour entourée de bâtiments, comme vous nous l'aviez marqué, il y aurait bien de la difficulté à vous tirer de là. Vous êtes d'ailleurs au troisième étage, et nous ne pouvons introduire ici ni cordes ni échelles. Je ne vois donc nulle ressource du côté du dehors. C'est dans la maison même qu'il faudrait imaginer quelque artifice. Non, repris­je; j'ai tout examiné, surtout depuis que

ma clôture est un peu moins rigoureuse, par l'indulgence du supérieur. La porte de ma chambre ne se ferme plus avec la clef, j'ai la liberté de me promener dans les galeries des religieux; mais tous les escaliers sont bouchés par des portes épaisses, qu'on a soin de tenir fermées la nuit et le jour de sorte qu'il est impossible que la seule adresse puisse me sauver. Attendez, repris­je, après avoir un peu réfléchi sur une

idée qui me parut excellente, pourriez­vous m'apporter un pistolet? Aisément, me dit Lescaut; mais voulez­vous tuer quelqu'un? Je l'assurai que j'avais si peu dessein de tuer qu'il n'était pas même nécessaire que le pistolet fût chargé. Apportez­le­moi demain, ajoutai­je, et ne manquez pas de vous trouver le soir, à onze heures, vis­à­vis de la porte de cette maison, avec deux ou trois de nos amis. J'espère que je pourrai vous y rejoindre. Il me pressa en vain de lui en apprendre davantage. Je lui dis qu'une entreprise, telle que je la méditais, ne pouvait paraître raisonnable qu'après avoir réussi. Je le priai d'abréger sa visite, afin qu'il trouvât plus de facilité à me revoir le lendemain. Il fut admis avec aussi peu de peine que la première fois. Son air était grave, il n'y a personne qui ne l'eût pris pour un homme d'honneur. Lorsque je me trouvai muni de l'instrument de ma

liberté, je ne doutai presque plus du succès de mon projet. Il était bizarre et hardi; mais de quoi n'étais­je pas capable, avec les motifs qui m'animaient? J'avais remarqué, depuis qu'il m'était permis de sortir de ma

writing. He faithfully transmitted it, and Lescaut received before evening the one I had enclosed for him. "He came to see me next morning, and fortunately was

admitted under my brother's name. I was overjoyed at finding him in my room. I carefully closed the door. 'Let us lose no time,' I said. 'First tell me about Manon, and then advise me how I am to shake off these fetters.' He assured me that he had not seen his sister since the day before my arrest, and that it was only by repeated enquiries, and after much trouble, that he had at length been able to discover her fate as well as mine; and that he had two or three times presented himself at the Magdalen, and been refused admittance. 'Wretch!' muttered I to myself, 'dearly shall G—— M—— pay for this!' "'As to your escape,' continued Lescaut, 'it will not be

so easy as you imagine. Last evening, I and a couple of friends walked round this establishment to reconnoitre it; and we agreed that, as your windows looked into a court surrounded by buildings, as you yourself mentioned in your letter, there would be vast difficulty in getting you out. Besides, you are on the third story, and it would be impossible to introduce ropes or ladders through the window. I therefore see no means from without—in the house itself we must hit upon some scheme.' "'No,' replied I; 'I have examined everything minutely,

particularly since, through the governor's indulgence, my confinement has been less rigorous. I am no longer locked into my room; I have liberty to walk in the gallery; but there is, upon every landing, a strong door kept closed night and day, so that it is impossible that ingenuity alone, unaided by some violent efforts, can rescue me. "'Wait,' said I, after turning in my mind for a moment

an idea that struck me as excellent; 'could you bring me a pistol?' 'Softly,' said Lescaut to me, 'you don't think of committing murder?' I assured him that I had so little intention of shooting anyone, that it would not be even necessary to have the pistol loaded. 'Bring it to me tomorrow,' I added, 'and do not fail to be exactly opposite the great entrance with two or three of your friends at eleven tomorrow night; I think I shall be able to join you there.' He in vain requested me to explain my plan. I told him that such an attempt as I contemplated could only appear rational after it had succeeded. I begged of him to shorten his visit, in order that he might with the less difficulty be admitted next morning. He was accordingly admitted as readily as on his first visit. He had put on so serious an air, moreover, that a stranger would have taken him for a respectable person. "When I found in my hand the instrument of my

liberty, I no longer doubted my success. It was certainly a strange and a bold project; but of what was I not capable, with the motives that inspired me? I had, since I was allowed permission to walk in the galleries, found

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chambre et de me promener dans les galeries, que le portier apportait chaque jour au soir les clefs de toutes les portes au supérieur et qu'il régnait ensuite un profond silence dans la maison, qui marquait que tout le monde était retiré. Je pouvais aller sans obstacle, par une galerie de communication, de ma chambre à celle de ce Père. Ma résolution était de lui prendre ses clefs, en l'épouvantant avec mon pistolet s'il faisait difficulté de me les donner et de m'en servir pour gagner la rue. J'en attendis le temps avec impatience. Le portier vint à l'heure ordinaire, c'est­à­dire un peu après neuf heures. J'en laissai passer encore une, pour m'assurer que tous les religieux et les domestiques étaient endormis. Je partis enfin, avec mon arme et une chandelle allumée. Je frappai d'abord doucement à la porte du Père, pour l'éveiller sans bruit. Il m'entendit au second coup, et s'imaginant, sans doute, que c'était quelque religieux qui se trouvait mal et qui avait besoin de secours, il se leva pour m'ouvrir Il eut, néanmoins, la précaution de demander au travers de la porte, qui c'était et ce qu'on voulait de lui. Je fus obligé de me nommer; mais j'affectai un ton plaintif, pour lui faire comprendre que je ne me trouvais pas bien. Ah! c'est vous, mon cher fils, me dit­il, en ouvrant la porte; qu'est­ce donc qui vous amène si tard? J'entrai dans sa chambre, et l'ayant tiré à l'autre bout opposé à la porte, je lui déclarai qu'il m'était impossible de demeurer plus longtemps à Saint­Lazare; que la nuit était un temps commode pour sortir sans être aperçu, et que j'attendais de son amitié qu'il consentirait à m'ouvrir les portes, ou à me prêter ses clefs pour les ouvrir moi­même. Ce compliment devait le surprendre. Il demeura

quelque temps à me considérer sans me répondre. Comme je n'en avais pas à perdre, je repris la parole pour lui dire que j'étais fort touché de toutes ses bontés, mais que, la liberté étant le plus cher de tous les biens, surtout pour moi à qui on la ravissait injustement, j'étais résolu de me la procurer cette nuit même, à quelque prix que ce fût; et de peur qu'il ne lui prît envie d'élever la voix pour appeler du secours, je lui fis voir une honnête raison de silence, que je tenais sous mon juste­au­corps. Un pistolet! me dit­il. Quoi! mon fils, vous voulez m'ôter la vie, pour reconnaître la considération que j'ai eue pour vous? Dieu ne plaise, lui répondis­je. Vous avez trop d'esprit et de raison pour me mettre dans cette nécessité; mais je veux être libre, et j'y suis si résolu que, si mon projet manque par votre faute, c'est fait de vous absolument. Mais, mon cher fils, reprit­il d'un air pâle et effrayé, que vous ai­je fait? quelle raison avez­vous de vouloir ma mort? Eh non! répliquai­je avec impatience. Je n'ai pas dessein de vous tuer si vous voulez vivre. Ouvrez­moi la porte, et je suis le meilleur de vos amis. J'aperçus les clefs qui étaient sur sa table. Je les pris et je le priai de me suivre, en faisant le moins de bruit qu'il pourrait. Il fut obligé de s'y résoudre. À mesure que nous

avancions et qu'il ouvrait une porte, il me répétait avec un soupir: Ah! mon fils, ah! qui l'aurait cru? Point de bruit, mon Père, répétais­je de mon côté à tout moment. Enfin

opportunities of observing that every night the porter brought the keys of all the doors to the governor, and subsequently there always reigned a profound silence in the house, which showed that the inmates had retired to rest. There was an open communication between my room and that of the Superior. My resolution was, if he refused quietly to surrender the keys, to force him, by fear of the pistol, to deliver them up, and then by their help to gain the street. I impatiently awaited the moment for executing my purpose. The porter arrived at his usual time, that is to say, soon after nine o'clock. I allowed an hour to elapse, in order that the priests as well as the servants might be all asleep. I at length proceeded with my pistol and a lighted candle. I first gave a gentle tap at the governor's door to awaken without alarming him. I knocked a second time before he heard me; and supposing of course that it was one of the priests who was taken ill and wanted assistance, he got out of bed, dressed himself, and came to the door. He had, however, the precaution to ask first who it was, and what was wanted? I was obliged to mention my name, but I assumed a plaintive tone, to make him believe that I was indisposed. 'Ah! it is you, my dear boy,' said he on opening the door; 'what can bring you here at this hour?' I stepped inside the door, and leading him to the opposite side of the room, I declared to him that it was absolutely impossible for me to remain longer at St. Lazare; that the night was the most favourable time for going out unobserved, and that I confidently expected, from his tried friendship, that he would consent to open the gates for me, or entrust me with the keys to let myself out. "This compliment to his friendship seemed to surprise

him. He stood for a few moments looking at me without making any reply. Finding that I had no time to lose, I just begged to assure him that I had the most lively sense of all his kindnesses, but that freedom was dearer to man than every other consideration, especially so to me, who had been cruelly and unjustly deprived of it; that I was resolved this night to recover it, cost what it would, and fearing lest he might raise his voice and call for assistance, I let him see the powerful incentive to silence which I had kept concealed in my bosom. 'A pistol!' cried he. 'What! my son? will you take away my life in return for the attentions I have shown you?' 'God forbid,' replied I; 'you are too reasonable to drive me to that horrible extremity: but I am determined to be free, and so firmly determined, that if you defeat my project, I will put an end to your existence.' 'But, my dear son!' said he, pale and frightened, 'what have I done to you? What reason have you for taking my life?' 'No!' replied I, impatiently, 'I have no design upon your life, if you, yourself, wish to live; open but the doors for me, and you will find me the most attached of friends.' I perceived the keys upon the table. I requested he would take them in his hand and walk before me, making as little noise as he possibly could. "He saw the necessity of consenting. We proceeded,

and as he opened each door, he repeated, always with a sigh, 'Ah! my son, who could have believed it?' 'No noise, good Father, no noise,' I as often answered in my turn. At

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nous arrivâmes à une espèce de barrière, qui est avant la grande porte de la rue. Je me croyais déjà libre, et j'étais derrière le Père, avec ma chandelle dans une main et mon pistolet dans l'autre. Pendant qu'il s'empressait d'ouvrir un domestique, qui

couchait dans une petite chambre voisine, entendant le bruit de quelques verrous, se lève et met la tête à sa porte. Le bon Père le crut apparemment capable de m'arrêter. Il lui ordonna, avec beaucoup d'imprudence, de venir à son secours. C'était un puissant coquin, qui s'élança sur moi sans balancer Je ne le marchandai point; je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine. Voilà de quoi vous êtes cause, mon Père, dis­je assez fièrement à mon guide. Mais que cela ne vous empêche point d'achever ajoutai­je en le poussant vers la dernière porte. Il n'osa refuser de l'ouvrir. Je sortis heureusement et je trouvai, à quatre pas, Lescaut qui m'attendait avec deux amis, suivant sa promesse. Nous nous éloignâmes. Lescaut me demanda s'il

n'avait pas entendu tirer un pistolet. C'est votre faute, lui dis­je; pourquoi me l'apportiez­vous chargé? Cependant je le remerciai d'avoir eu cette précaution, sans laquelle j'étais sans doute à Saint­Lazare pour longtemps. Nous allâmes passer la nuit chez un traiteur où je me remis un peu de la mauvaise chère que j'avais faite depuis près de trois mois. Je ne pus néanmoins m'y livrer au plaisir. Je souffrais mortellement sans Manon. Il faut la délivrer dis­je à mes trois amis. Je n'ai souhaité la liberté que dans cette vue. Je vous demande le secours de votre adresse; pour moi, j'y emploierai jusqu'à ma vie. Lescaut, qui ne manquait pas d'esprit et de prudence,

me représenta qu'il fallait aller bride en main; que mon évasion de Saint­Lazare, et le malheur qui m'était arrivé en sortant, causeraient infailliblement du bruit; que le Lieutenant général de Police me ferait chercher, et qu'il avait les bras longs; enfin, que si je ne voulais pas être exposé à quelque chose de pis que Saint­Lazare, il était à propos de me tenir couvert et renfermé pendant quelques jours, pour laisser au premier feu de mes ennemis le temps de s'éteindre. Son conseil était sage, mais il aurait fallu l'être aussi pour le suivre. Tant de lenteur et de ménagement ne s'accordait pas avec ma passion. Toute ma complaisance se réduisit à lui promettre que je passerais le jour suivant à dormir. Il m'enferma dans sa chambre, où je demeurai jusqu'au soir. J'employai une partie de ce temps à former des projets

et des expédients pour secourir Manon. J'étais bien persuadé que sa prison était encore plus impénétrable que n'avait été la mienne. Il n'était pas question de force et de violence, il fallait de l'artifice; mais la déesse même de l'invention n'aurait pas su par où commencer. J'y vis si peu de jour que je remis à considérer mieux les choses

length we reached a kind of barrier, just inside the great entrance. I already fancied myself free, and kept close behind the governor, with my candle in one hand, and my pistol in the other. "While he was endeavouring to open the heavy gate,

one of the servants, who slept in an adjoining room, hearing the noise of the bolts, jumped out of bed, and peeped forth to see what was passing. The good Father apparently thought him strong enough to overpower me. He commanded him, most imprudently, to come to his assistance. He was a powerful ruffian, and threw himself upon me without an instant's hesitation. There was no time for parleying—I levelled my pistol and lodged the contents in his breast! 'See, Father, of what mischief you have been the cause,' said I to my guide; 'but that must not prevent us from finishing our work,' I added, pushing him on towards the last door. He did not dare refuse to open it. I made my exit in perfect safety, and, a few paces off, found Lescaut with two friends waiting for me, according to his promise. "We removed at once to a distance. Lescaut enquired

whether he had not heard the report of a pistol? 'You are to blame,' said I, 'why did you bring it charged?' I, however, could not help thanking him for having taken this precaution, without which I doubtless must have continued much longer at St. Lazare. We went to pass the night at a tavern, where I made up, in some degree, for the miserable fare which had been doled out to me for nearly three months. I was very far, however, from tasting perfect enjoyment; Manon's sufferings were mine. 'She must be released,' said I to my companions: 'this was my sole object in desiring my own liberty. I rely on your aiding me with all your ingenuity; as for myself, my life shall be devoted to the purpose.' "Lescaut, who was not deficient in tact, and still less in

that better part of valour called discretion, dwelt upon the necessity of acting with extreme caution: he said that my escape from St. Lazare, and the accident that happened on my leaving it, would assuredly create a sensation; that the lieutenant­general of police would cause a strict search to be made for me, and it would be difficult to evade him; in fine, that, unless disposed to encounter something worse, perhaps, than St. Lazare, it would be requisite for me to remain concealed for a few days, in order to give the enemy's zeal time to cool. No doubt this was wise counsel; but, one should have been wise oneself to have followed it. Such calculating slowness little suited my passion. The utmost I could bring myself to promise was, that I would sleep through the whole of the next day. He locked me in my bedroom, where I remained patiently until night. "I employed great part of the time in devising schemes

for relieving Manon. I felt persuaded that her prison was even more inaccessible than mine had been. Force was out of the question. Artifice was the only resource; but the goddess of invention herself could not have told me how to begin. I felt the impossibility of working in the dark, and therefore postponed the further consideration of my

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lorsque j'aurais pris quelques informations sur l'arrangement intérieur de l'Hôpital. Aussitôt que la nuit m'eut rendu la liberté, je priai

Lescaut de m'accompagner. Nous liâmes conversation avec un des portiers, qui nous parut homme de bon sens. Je feignis d'être un étranger qui avait entendu parler avec admiration de l'Hôpital Général, et de l'ordre qui s'y observe. Je l'interrogeai sur les plus minces détails, et de circonstances en circonstances, nous tombâmes sur les administrateurs, dont je le priai de m'apprendre les noms et les qualités. Les réponses qu'il me fit sur ce dernier article me firent naître une pensée dont je m'applaudis aussitôt, et que je ne tardai point à mettre en œuvre. Je lui demandai, comme une chose essentielle à mon

dessein, si ces messieurs avaient des enfants. Il me dit qu'il ne pouvait m'en rendre un compte certain, mais que, pour M. de T., qui était un des principaux, il lui connaissait un fils en âge d'être marié, qui était venu plusieurs fois à l'Hôpital avec son père. Cette assurance me suffisait. Je rompis presque aussitôt notre entretien, et je fis

part à Lescaut, en retournant chez lui, du dessein que j'avais conçu. Je m'imagine, lui dis­je, que M. de T... le fils, qui est riche et de bonne famille, est dans un certain goût de plaisirs, comme la plupart des jeunes gens de son âge. Il ne saurait être ennemi des femmes, ni ridicule au point de refuser ses services pour une affaire d'amour; J'ai formé le dessein de l'intéresser à la liberté de Manon. S'il est honnête homme, et qu'il ait des sentiments, il nous accordera son secours par générosité. S'il n'est point capable d'être conduit par ce motif, il fera du moins quelque chose pour une fille aimable, ne fût­ce que par l'espérance d'avoir part à ses faveurs. Je ne veux pas différer de le voir ajoutai­je, plus longtemps que jusqu'à demain. Je me sens si consolé par ce projet, que j'en tire un bon augure. Lescaut convint lui­même qu'il y avait de la

vraisemblance dans mes idées, et que nous pouvions espérer quelque chose par cette voie. J'en passai la nuit moins tristement. Le matin étant venu, je m'habillai le plus proprement

qu'il me fut possible, dans l'état d'indigence où j'étais, et je me fis conduire dans un fiacre à la maison de. M. de T... Il fut surpris de recevoir la visite d'un inconnu. J'augurai bien de sa physionomie et de ses civilités. Je m'expliquai naturellement avec lui, et pour échauffer ses sentiments naturels, je lui parlai de ma passion et du mérite de ma maîtresse comme de deux choses qui ne pouvaient être égalées que l'une par l'autre. Il me dit que, quoiqu'il n'eût jamais vu Manon, il avait entendu parler d'elle, du moins s'il s'agissait de celle qui avait été la maîtresse du vieux G... M... Je ne doutai point qu'il ne fût informé de la part que j'avais eue à cette aventure, et pour le gagner de plus en plus, en me faisant un mérite de ma confiance, je lui

schemes until I could acquire some knowledge of the internal arrangements of the Hospital, in which she was confined. "As soon as night restored to me my liberty, I begged of

Lescaut to accompany me. We were not long in drawing one of the porters into conversation; he appeared a reasonable man. I passed for a stranger who had often with admiration heard talk of the Hospital, and of the order that reigned within it. I enquired into the most minute details; and, proceeding from one subject to another, we at length spoke of the managers, and of these I begged to know the names and the respective characters. He gave me such information upon the latter point as at once suggested an idea which flattered my hopes, and I immediately set about carrying it into execution. "I asked him (this being a matter essential to my plan)

whether any of the gentlemen had children. He said he could not answer me with certainty as to all, but as for M. de T——, one of the principal directors, he knew that he had a son old enough to be married, and who had come several times to the Hospital with his father. This was enough for my purpose. "I immediately put an end to our interview, and, in

returning, I told Lescaut of the plan I had formed. 'I have taken it,' said I, 'into my head, that M. de T——, the son, who is rich and of good family, must have the same taste for pleasure that other young men of his age generally have. He could hardly be so bad a friend to the fair sex, nor so absurd as to refuse his services in an affair of love. I have arranged a plan for interesting him in favour of Manon. If he is a man of feeling and of right mind, he will give us his assistance from generosity. If he is not to be touched by a motive of this kind, he will at least do something for a handsome girl, if it were only with the hope of hereafter sharing her favours. I will not defer seeing him,' added I, 'beyond tomorrow. I really feel so elated by this project, that I derive from it a good omen.' "Lescaut himself allowed that the idea was not

unreasonable, and that we might fairly entertain a hope of turning it to account. I passed the night less sorrowfully. "Next morning I dressed as well as, in my present state

of indigence, I could possibly contrive to do; and went in a hackney coach to the residence of M. de T——. He was surprised at receiving a visit from a perfect stranger. I augured favourably from his countenance and the civility of his manner. I explained my object in the most candid way; and, to excite his feelings as much as possible, I spoke of my ardent passion and of Manon's merit, as of two things that were unequalled, except by each other. He told me, that although he had never seen Manon, he had heard of her; at least, if the person I was talking of was the same who had been the mistress of old G—— M——. I conjectured that he must have heard of the part I had acted in that transaction, and in order to conciliate him

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racontai le détail de tout ce qui était arrivé à Manon et à moi. Vous voyez, monsieur continuai­je, que l'intérêt de ma vie et celui de mon cœur sont maintenant entre vos mains. L'un ne m'est pas plus cher que l'autre. Je n'ai point de réserve avec vous, parce que je suis informé de votre générosité, et que la ressemblance de nos âges me fait espérer qu'il s'en trouvera quelqu'une dans nos inclinations. Il parut fort sensible à cette marque d'ouverture et de

candeur. Sa réponse fut celle d'un homme qui a du monde et des sentiments; ce que le monde ne donne pas toujours et qu'il fait perdre souvent. Il me dit qu'il mettait ma visite au rang de ses bonnes fortunes, qu'il regarderait mon amitié comme une de ses plus heureuses acquisitions, et qu'il s'efforcerait de la mériter par l'ardeur de ses services. Il ne promit pas de me rendre Manon, parce qu'il n'avait, me dit­il, qu'un crédit médiocre et mal assuré; mais il m'offrit de me procurer le plaisir de la voir, et de faire tout ce qui serait en sa puissance pour la remettre entre mes bras. Je fus plus satisfait de cette incertitude de son crédit que je ne l'aurais été d'une pleine assurance de remplir tous mes désirs. Je trouvai, dans la modération de ses offres, une marque de franchise dont je fus charmé. En un mot, je me promis tout de ses bons offices. La seule promesse de me faire voir Manon m'aurait fait tout entreprendre pour lui. Je lui marquai quelque chose de ces sentiments, d'une manière qui le persuada aussi que je n'étais pas d'un mauvais naturel. Nous nous embrassâmes avec tendresse, et nous devînmes amis, sans autre raison que la bonté de nos cœurs et une simple disposition qui porte un homme tendre et généreux à aimer un autre homme qui lui ressemble. Il poussa les marques de son estime bien plus loin, car,

ayant combiné mes aventures, et jugeant qu'en sortant de Saint­Lazare je ne devais pas me trouver à mon aise, il m'offrit sa bourse, et il me pressa de l'accepter. Je ne l'acceptai point; mais je lui dis: C'est trop, mon cher Monsieur. Si, avec tant de bonté et d'amitié, vous me faites revoir ma chère Manon, je vous suis attaché pour toute ma vie. Si vous me rendez tout à fait cette chère créature, je ne croirai pas être quitte en versant tout mon sang pour vous servir. Nous ne nous séparâmes qu'après être convenus du

temps et du lieu où nous devions nous retrouver. Il eut la complaisance de ne pas me remettre plus loin que l'après­midi du même jour. Je l'attendis dans un café, où il vint me rejoindre vers

les quatre heures, et nous prîmes ensemble le chemin de l'Hôpital. Mes genoux étaient tremblants en traversant les cours. Puissance d'amour! disais­je, je reverrai donc l'idole de mon cœur, l'objet de tant de pleurs et d'inquiétudes! Ciel! conservez­moi assez de vie pour aller jusqu'à elle, et disposez après cela de ma fortune et de mes jours; je n'ai plus d'autre grâce à vous demander. M. de T... parla à quelques concierges de la maison qui

more and more by treating him with confidence, I told him everything that had occurred to Manon and myself. 'You see, sir,' said I, 'that all that can interest me in life, all that can command my affections, is in your hands. I have no reserve with you, because I have been informed of your generous and noble character; and, being of the same age, I trust I shall find some resemblance in our dispositions.' "He seemed flattered by this mark of candour and

confidence. He replied in a manner that became a man of the world, and a man of feeling also, for they are not always synonymous terms. He told me that he appreciated my visit as a piece of good fortune; that he considered my friendship as a valuable acquisition, and that he would endeavour to prove himself worthy of it, by the sincerity of his services. He could not absolutely promise to restore Manon to my arms, because, as he said, he himself had very little influence; but he offered to procure me the pleasure of seeing her, and to do everything in his power to effect her release. I was the more satisfied with this frank avowal as to his want of influence, than I should have been by an unqualified promise of fulfilling all my wishes. I found in his moderation a pledge of his sincerity: in a word, I no longer doubted my entire success. The promise alone of enabling me to see Manon filled me with gratitude, and I testified it in so earnest a manner, as to give him a favourable opinion of my heart and disposition; we shook hands warmly, and parted sworn friends, merely from mutual regard, and that natural feeling which prompts a man of kind and generous sentiments to esteem another of congenial mind. "He, indeed, exceeded me in the proofs of his esteem;

for, inferring from my adventures, and especially my late escape from St. Lazare, that I might be in want of money, he offered me his purse, and pressed me to accept it. I refused, but said to him, 'You are too kind, my dear sir! If in addition to such proofs of kindness and friendship, you enable me to see Manon again, rely on my eternal regard and gratitude. If you succeed in restoring altogether this dear creature to my arms, I should think myself happy in spilling the last drop of my blood in your service.' "Before we parted, we agreed as to the time and place

for our meeting. He was so considerate as to appoint the afternoon of the same day. "I waited for him at a cafe, where he joined me about

four o'clock, and we went together towards the Magdalen; my knees trembled under me as I crossed the courts. 'Ye heavenly powers!' said I, 'then I shall once more behold the idol of my heart—the dear object of so many sighs and lamentations! All I now ask of Providence is, to vouchsafe me strength enough to reach her presence, and after that, to dispose as it pleaseth of my future fate, and of my life itself. Beyond this, I have no prayer to utter.' "M. de T—— spoke to some of the porters of the

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s'empressèrent de lui offrir tout ce qui dépendait d'eux pour sa satisfaction. Il se fit montrer le quartier où Manon avait sa chambre, et l'on nous y conduisit avec une clef d'une grandeur effroyable, qui servit à ouvrir sa porte. Je demandai au valet qui nous menait, et qui était celui qu'on avait chargé du soin de la servir, de quelle manière elle avait passé le temps dans cette demeure. Il nous dit que c'était une douceur angélique; qu'il n'avait jamais reçu d'elle un mot de dureté; qu'elle avait versé continuellement des larmes pendant les six premières semaines après son arrivée, mais que, depuis quelque temps, elle paraissait prendre son malheur avec plus de patience, et qu'elle était occupée à coudre du matin jusqu'au soir à la réserve de quelques heures qu'elle employait à la lecture. Je lui demandai encore si elle avait été entretenue proprement. Il m'assura que le nécessaire, du moins, ne lui avait jamais manqué. Nous approchâmes de sa porte. Mon cœur battait

violemment. Je dis à M. de T...: Entrez seul et prévenez­la sur ma visite, car j'appréhende qu'elle ne soit trop saisie en me voyant tout d'un coup. La porte nous fut ouverte. Je demeurai dans la galerie. J'entendis néanmoins leurs discours. Il lui dit qu'il venait lui apporter un peu de consolation, qu'il était de mes amis, et qu'il prenait beaucoup d'intérêt à notre bonheur Elle lui demanda, avec le plus vif empressement, si elle apprendrait de lui ce que j'étais devenu. Il lui promit de m'amener à ses pieds, aussi tendre, aussi fidèle qu'elle pouvait le désirer Quand? reprit­elle. Aujourd'hui même, lui dit­il; ce bienheureux moment ne tardera point; il va paraître à l'instant si vous le souhaitez. Elle comprit que j'étais à la porte. J'entrai, lorsqu'elle y accourait avec précipitation. Nous nous embrassâmes avec cette effusion de tendresse qu'une absence de trois mois fait trouver si charmante à de parfaits amants. Nos soupirs, nos exclamations interrompues, mille noms d'amour répétés languissamment de part et d'autre, formèrent, pendant un quart d'heure, une scène qui attendrissait M. de T... Je vous porte envie, me dit­il, en nous faisant asseoir;

il n'y a point de sort glorieux auquel je ne préférasse une maîtresse si belle et si passionnée. Aussi mépriserais­je tous les empires du monde, lui répondis­je, pour m'assurer le bonheur d'être aimé d'elle. Tout le teste d'une conversation si désirée ne pouvait

manquer d'être infiniment tendre. La pauvre Manon me raconta ses aventures, et je lui appris les miennes. Nous pleurâmes amèrement en nous entretenant de l'état où elle était, et de celui d'où je ne faisais que sortir M. de T... nous consola par de nouvelles promesses de s'employer ardemment pour finir nos misères. Il nous conseilla de ne pas rendre cette première entrevue trop longue, pour lui donner plus de facilité à nous en procurer d'autres. Il eut beaucoup de peine à nous faire goûter ce conseil; Manon, surtout, ne pouvait se résoudre à me laisser partir. Elle me fit remettre cent fois sur ma chaise; elle me retenait par les habits et par les mains. Hélas! dans quel lieu me laissez­vous! disait­elle. Qui peut m'assurer de vous revoir? M. de T... lui promit de la venir voir souvent avec

establishment, who appeared all anxious to please him. The quarter in which Manon's room lay was pointed out to us, and our guide carried in his hand the key of her chamber: it was of frightful size. I asked the man who conducted us, and whose duty it was to attend to Manon, how she passed her time? He said, that she had a temper of the most angelic sweetness; that even he, disagreeable as his official duties must render him, had never heard from her a single syllable in the nature of rebuke or harshness; that her tears had never ceased to flow during the first six weeks after her arrival, but that latterly she seemed to bear her misfortunes with more resignation, and that she employed herself from morning till night with her needle, excepting some hours that she, each day, devoted to reading. I asked whether she had been decently provided for. He assured me that at least she had never felt the want of necessaries. "We now approached her door. My heart beat almost

audibly in my bosom. I said to M. de T——, 'Go in alone, and prepare her for my visit; I fear that she may be overcome by seeing me unexpectedly.' The door was opened. I remained in the passage, and listened to the conversation. He said that he came to bring her consolation; that he was a friend of mine, and felt deeply interested for the happiness of us both. She asked with the tenderest anxiety, whether he could tell her what had become of me. He promised that she should soon see me at her feet, as affectionate and as faithful as ever. 'When?' she asked. 'This very day,' said he; 'the happy moment shall not be long delayed; nay, this very instant even, if you wish it.' She at once understood that I was at the door; as she was rushing towards it, I entered. We embraced each other with that abounding and impassioned tenderness, which an absence of many months makes so delicious to those who truly love. Our sighs, our broken exclamations, the thousand endearing appellations of love, exchanged in languishing rapture, astonished M. de T——, and affected him even to tears. "'I cannot help envying you,' said he, as he begged us to

be seated; 'there is no lot, however glorious, that I would hold as comparable to the possession of a mistress at once so tender and impassioned.' 'Nor would I,' I replied, 'give up her love for universal empire!' "The remainder of an interview which had been so long

and so ardently desired by me, was of course as tender as the commencement. Poor Manon related all her adventures, and I told her mine: we bitterly wept over each other's story. M. de T—— consoled us by his renewed promises to exert himself in our service. He advised us not to make this, our first interview, of too long duration, that he might have the less difficulty in procuring us the same enjoyment again. He at length induced us to follow his advice. Manon especially could not reconcile herself to the separation: she made me a hundred times resume my seat. At one time she held me by my hands, at another by my coat. 'Alas!' she said, 'in what an abode do you leave me! Who will answer for my ever seeing you again?' M. de T—— promised her that he would often come and see her

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moi. Pour le lieu, ajouta­t­il agréablement, il ne faut plus l'appeler l'Hôpital; c'est Versailles, depuis qu'une personne qui mérite l'empire de tous les cœurs y est renfermée. Je fis, en sortant, quelques libéralités au valet qui la

servait, pour l'engager à lui rendre ses soins avec zèle. Ce garçon avait l'âme moins basse et moins dure que ses pareils. Il avait été témoin de notre entrevue; ce tendre spectacle l'avait touché. Un louis d'or, dont je lui fis présent, acheva de me l'attacher. Il me prit à l'écart, en descendant dans les cours. Monsieur, me dit­il, si vous me voulez prendre à votre service, ou me donner une honnête récompense pour me dédommager de la perte de l'emploi que j'occupe ici, je crois qu'il me sera facile de délivrer Mademoiselle Manon. J'ouvris l'oreille à cette proposition, et quoique je fusse

dépourvu de tout, je lui fis des promesses fort au­dessus de ses désirs. Je comptais bien qu'il me serait toujours aisé de récompenser un homme de cette étoffe. Sois persuadé, lui dis­je, mon ami, qu'il n'y a rien que je ne fasse pour toi, et que ta fortune est aussi assurée que la mienne. Je voulus savoir quels moyens il avait dessein d'employer. Nul autre, me dit­il, que de lui ouvrir le soir la porte de sa chambre, et de vous la conduire jusqu'à celle de la rue, où il faudra que vous soyez prêt à la recevoir; Je lui demandai s'il n'était point à craindre qu'elle ne fût reconnue en traversant les galeries et les cours. Il confessa qu'il y avait quelque danger mais il me dit qu'il fallait bien risquer quelque chose. Quoique je fusse ravi de le voir si résolu, j'appelai M.

de T... pour lui communiquer ce projet, et la seule raison qui semblait pouvoir le rendre douteux. Il y trouva plus de difficulté que moi. Il convint qu'elle pouvait absolument s'échapper de cette manière; mais, si elle est reconnue, continua­t­il, si elle est arrêtée en fuyant, c'est peut­être fait d'elle pour toujours. D'ailleurs, il vous faudrait donc quitter Paris sur­le­champ, car vous ne seriez jamais assez caché aux recherches. On les redoublerait, autant par rapport à vous qu'à elle. Un homme s'échappe aisément, quand il est seul, mais il est presque impossible de demeurer inconnu avec une jolie femme. Quelque solide que me parût ce raisonnement, il ne put

l'emporter, dans mon esprit, sur un espoir si proche de mettre Manon en liberté. Je le dis à M. de T..., et je le priai de pardonner un peu

d'imprudence et de témérité à l'amour. J'ajoutai que mon dessein était, en effet, de quitter Paris, pour m'arrêter, comme j'avais déjà fait, dans quelque village voisin. Nous convînmes donc, avec le valet, de ne pas remettre son entreprise plus loin qu'au jour suivant, et pour la rendre aussi certaine qu'il était en notre pouvoir, nous résolûmes d'apporter des habits d'homme, dans la vue de faciliter notre sortie. Il n'était pas aisé de les faire entrer, mais je ne

with me. 'As to the abode,' he said, 'it must no longer be called the Magdalen; it is Versailles! now that it contains a person who deserves the empire of all hearts.' "I made the man who attended a present as I went out,

in order to quicken his zeal and attentions. This fellow had a mindless rough and vulgar than the generality of his class. He had witnessed our interview, and was affected by it. The interest he felt was doubtless increased by the louis d'or I gave him. He took me aside as we went down into the courtyard. 'Sir,' said he, 'if you will only take me into your service, or indemnify me in any way for the loss of the situation which I fill here, I think I should not have much difficulty in liberating the beauteous Manon.' "I caught readily at the suggestion, and, although at the

moment I was almost in a state of destitution, I gave him promises far beyond his desires. I considered that it would be at all times easy to recompense a man of his description. 'Be assured, my friend,' said I to him, 'that there is nothing I will not be ready to do for you, and that your fortune is just as certain as my own.' I enquired what means he intended to employ. 'None other,' said he, 'than merely to open the door of her cell for her at night, and to conduct her to the street door, where you, of course, will be to receive her.' I asked whether there was no danger of her being recognised as she traversed the long galleries and the courts. He admitted that there was danger, but that nothing could be done without some slight risk. "Although I was delighted to find him so determined, I

called M. de T——, and informed him of the project, and of the only difficulty in the way. He thought it not so easy of execution. He allowed the possibility of escaping thus: 'But if she be recognised,' continued he, 'if she be stopped in the attempt, all hope will be over with her, perhaps forever. Besides, you would be obliged to quit Paris instantly, for you could never evade the search that would be made for you: they would redouble their efforts as much on your own account as hers. A single man may easily escape detection, but in company with a handsome woman, it would be utterly impossible to remain undiscovered.' "However sound this reasoning, it could not, in my

mind, outweigh the immediate prospect of restoring Manon to liberty. I said as much to M. de T——, and trusted that he

would excuse my imprudence and rashness, on the ground of love. I added that it was already my intention to quit Paris for some neighbouring village, as I had once before done. We then settled with the servant that he should carry his project into execution the following day, and to render our success as certain as he could, we resolved to carry into the prison men's clothes, in order to facilitate her escape." There was a difficulty to be surmounted in carrying

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manquai pas d'invention pour en trouver le moyen. Je priai seulement M. de T... de mettre le lendemain deux vestes légères l'une sur l'autre, et je me chargeai de tout le reste. Nous retournâmes le matin à l'Hôpital. J'avais avec

moi, pour Manon, du linge, des bas, etc., et par­dessus mon juste­au­corps, un surtout qui ne laissait rien voir de trop enflé dans mes poches. Nous ne fûmes qu'un moment dans sa chambre. M. de T... lui laissa une de ses deux vestes; je lui donnai mon juste­au­corps, le surtout me suffisant pour sortir. Il ne se trouva rien de manque à son ajustement, excepté la culotte que j'avais malheureusement oubliée. L'oubli de cette pièce nécessaire nous eût, sans doute,

apprêtés à rire si l'embarras où il nous mettait eût été moins sérieux. J'étais au désespoir qu'une bagatelle de cette nature fût capable de nous arrêter Cependant, je pris mon parti, qui fut de sortir moi­même sans culotte. Je laissai la mienne à Manon. Mon surtout était long, et je me mis, à l'aide de quelques épingles, en état de passer décemment la porte. Le reste du jour me parut d'une longueur

insupportable. Enfin, la nuit étant venue, nous nous rendîmes un peu au­dessous de la porte de l'Hôpital, dans un carrosse. Nous n'y fûmes pas longtemps sans voir Manon paraître avec son conducteur. Notre portière étant ouverte, ils montèrent tous deux à l'instant. Je reçus ma chère maîtresse dans mes bras. Elle tremblait comme une feuille. Le cocher me demanda où il fallait toucher. Touche au bout du monde, lui dis­je, et mène­moi quelque part où je ne puisse jamais être séparé de Manon. Ce transport, dont je ne fus pas le maître, faillit de

m'attirer un fâcheux embarras. Le cocher fit réflexion à mon langage, et lorsque je lui dis ensuite le nom de la rue où nous voulions être conduits, il me répondit qu'il craignait que je ne l'engageasse dans une mauvaise affaire, qu'il voyait bien que ce beau jeune homme, qui s'appelait Manon, était une fille que j'enlevais de l'Hôpital, et qu'il n'était pas d'humeur à se perdre pour l'amour de moi. La délicatesse de ce coquin n'était qu'une envie de me

faire payer la voiture plus cher. Nous étions trop près de l'Hôpital pour ne pas filer doux. Tais­toi, lui dis­je, il y a un louis d'or à gagner pour toi. Il m'aurait aidé, après cela, à brûler l'Hôpital même. Nous gagnâmes la maison où demeurait Lescaut.

Comme il était tard, M. de T... nous quitta en chemin, avec promesse de nous revoir le lendemain. Le valet demeura seul avec nous. Je tenais Manon si étroitement serrée entre mes bras

que nous n'occupions qu'une place dans le carrosse. Elle pleurait de joie, et je sentais ses larmes qui mouillaient mon visage

them in, but I had ingenuity enough to meet it. I begged of M. de T—— only to put on two light waistcoats the next morning, and I undertook to arrange the rest. We returned the following day to the Hospital. I took

with me linen, stockings, etc., for Manon, and over my body­coat a surtout, which concealed the bulk I carried in my pockets. We remained but a moment in her room. M. de T—— left her one of his waistcoats; I gave her my short coat, the surtout being sufficient for me. She found nothing wanting for her complete equipment but a pair of pantaloons, which in my hurry I had forgotten. "The want of so necessary an article might have

amused us, if the embarrassment it caused had been of a less serious kind. I was in despair at having our whole scheme foiled by a trifling omission of this nature. However, I soon hit on a remedy, and determined to make my own exit sans­culotte, leaving that portion of my dress with Manon. My surtout was long, and I contrived by the help of a few pins to put myself in a decent condition for passing the gate. "The remainder of the day appeared to me of endless

length. When at last night came, we went in a coach to within a few yards of the Hospital. We were not long waiting, when we saw Manon make her appearance with her guide. The door of the coach being opened, they both stepped in without delay. I opened my arms to receive my adored mistress; she trembled like an aspen leaf. The coachman asked where he was to drive? 'To the end of the world!' I exclaimed; 'to some place where I can never again be separated from Manon.' "This burst, which I could not control, was near

bringing me into fresh trouble. The coachman reflected upon what I said, and when I afterwards told him the name of the street to which I wished him to drive, he answered that he feared I was about to implicate him in some bad business; that he saw plainly enough that the good­looking young man whom I called Manon was a girl eloping from the Hospital, and that he was little disposed indeed to ruin himself for love of me. "Extortion was the source of this scoundrel's delicacy.

We were still too near the Hospital to make any noise. 'Silence!' said I to him, 'you shall have a louis d'or for the job': for less than that he would have helped me to burn the Hospital. "We arrived at Lescaut's house. As it was late, M. de

T—— left us on the way, promising to visit us the next morning. The servant alone remained. "I held Manon in such close embrace in my arms, that

we occupied but one place in the coach. She cried for joy, and I could feel her tears trickling down my cheeks.

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mais, lorsqu'il fallut descendre pour entrer chez

Lescaut, j'eus avec le cocher un nouveau démêlé, dont les suites furent funestes. Je me repentis de lui avoir promis un louis, non seulement parce que le présent était excessif, mais par une autre raison bien plus forte, qui était l'impuissance de le payer. Je fis appeler Lescaut. Il descendit de sa chambre pour venir à la porte. Je lui dis à l'oreille dans quel embarras je me trouvais. Comme il était d'une humeur brusque, et nullement accoutumé à ménager un fiacre, il me répondit que je me moquais. Un louis d'or! ajouta­t­il. Vingt coups de canne à ce coquin­là! J'eus beau lui représenter doucement qu'il allait nous perdre, il m'arracha ma canne, avec l'air d'en vouloir maltraiter le cocher. Celui­ci, à qui il était peut­être arrivé de tomber quelquefois sous la main d'un garde du corps ou d'un mousquetaire, s'enfuit de peur, avec son carrosse, en criant que je l'avais trompé, mais que j'aurais de ses nouvelles. Je lui répétai inutilement d'arrêter. Sa fuite me causa une extrême inquiétude. Je ne doutai

point qu'il n'avertît le commissaire. Vous me perdez, dis­je à Lescaut. Je ne serais pas en sûreté chez vous; il faut nous éloigner pour le moment. Je prêtai le bras à Manon pour marcher et nous sortîmes promptement de cette dangereuse rue. Lescaut nous tint compagnie. C'est quelque chose d'admirable que la manière dont la

Providence enchaîne les événements. À peine avions­nous marché cinq ou six minutes, qu'un homme, dont je ne découvris point le visage, reconnut Lescaut. Il le cherchait sans doute aux environs de chez lui, avec le malheureux dessein qu'il exécuta. C'est Lescaut, dit­il, en lui lâchant un coup de pistolet; il ira souper ce soir avec les anges. Il se déroba aussitôt. Lescaut tomba, sans le moindre mouvement de vie. Je pressai Manon de fuir, car nos secours étaient inutiles à un cadavre, et je craignais d'être arrêté par le guet, qui ne pouvait tarder à paraître. J'enfilai, avec elle et le valet, la première petite rue qui

"When we were about getting out at Lescaut's, I had a

new difficulty with the coachman, which was attended with the most unfortunate results. I repented of having promised the fellow a louis d'or, not only because it was extravagant folly, but for another stronger reason, that it was at the moment out of my power to pay him. I called for Lescaut, and he came down to the door. I whispered to him the cause of my present embarrassment. Being naturally rough, and not at all in the habit of treating hackney­coachmen with respect, he answered that I could not be serious. 'A louis!' said he; 'twenty blows of a cane would be the right payment for that rascal!' I entreated him not to destroy us; when he snatched my cane from my hand, and was about to lay it on the coachman. The fellow had probably before experienced the weight of a guardsman's arm, and instantly drove off, crying out, that I had cheated him, and should hear of him again. I in vain endeavoured to stop him. "His flight caused me, of course, the greatest alarm. I

had no doubt that he would immediately give information to the police. 'You have ruined me,' said I to Lescaut; 'I shall be no longer safe at your house; we must go hence at once.' I gave Manon my arm, and as quickly as possible got out of the dangerous neighbourhood. Lescaut accompanied us." [1] A favourite tenet of the Mystics, advocated by Madame de Guyon,

and adopted by the amiable and eloquent Fenelon, was, that the love of the Supreme Being must be pure and disinterested; that is, exempt from all views of interest, and all hope of reward. See the controversy between Bossuet and Fenelon. [2] The first proposition of the Jansenists was, that there are divine

precepts which good men, notwithstanding their desire to observe them, are nevertheless absolutely unable to obey: God not having given them such a measure of grace as is essentially necessary to render them capable of obedience.—Mosheim's Eccles. Hist., ii. 397.

(retour) VII

. . . How chances mock, And changes fill the cup of alteration

With divers liquors. SHAKESPEARE.

"How inscrutably does Providence connect events! We

had hardly proceeded for five minutes on our way, when a man, whose face I could not see, recognised Lescaut. He had no doubt been watching for him near his home, with the horrible intention which he now unhappily executed. 'It IS Lescaut!' said he, snapping a pistol at his head; 'he shall sup tonight with the angels!' He then instantly disappeared. Lescaut fell, without the least sign of life. I pressed Manon to fly, for we could be of no use to a dead man, and I feared being arrested by the police, who would certainly be soon upon the spot. I turned down the first narrow street with her and the servant: she was so

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croisait. Elle était si éperdue que j'avais de la peine à la soutenir. Enfin j'aperçus un fiacre au bout de la rue. Nous y montâmes, mais lorsque le cocher me demanda où il fallait nous conduire, je fus embarrassé à lui répondre. Je n'avais point d'asile assuré ni d'ami de confiance à qui j'osasse avoir recours. J'étais sans argent, n'ayant guère plus d'une demi pistole dans ma bourse. La frayeur et la fatigue avaient tellement incommodé Manon qu'elle était à demi pâmée près de moi. J'avais, d'ailleurs, l'imagination remplie du meurtre de Lescaut, et je n'étais pas encore sans appréhension de la part du guet. Quel parti prendre? Je me souvins heureusement de l'auberge de Chaillot, où j'avais passé quelques jours avec Manon, lorsque nous étions allés dans ce village pour y demeurer. J'espérai non seulement d'y être en sûreté, mais d'y pouvoir vivre quelque temps sans être pressé de payer. Mène­nous à Chaillot, dis­je au cocher. Il refusa d'y aller si tard, à moins d'une pistole: autre sujet d'embarras. Enfin nous convînmes de six francs; c'était toute la somme qui restait dans ma bourse. Je consolais Manon, en avançant; mais, au fond, j'avais

le désespoir dans le cœur. Je me serais donné mille fois la mort, si je n'eusse pas eu, dans mes bras, le seul bien qui m'attachait à la vie. Cette seule pensée me remettait. Je la tiens du moins, dirais­je; elle m'aime, elle est à moi. Tiberge a beau dire, ce n'est pas là un fantôme de bonheur. Je verrais périr tout l'univers sans y prendre intérêt. Pourquoi? Parce que je n'ai plus d'affection de reste. Ce sentiment était vrai; cependant, dans le temps que

je faisais si peu de cas des biens du monde, je sentais que j'aurais eu besoin d'en avoir du moins une petite partie, pour mépriser encore plus souverainement tout le reste. L'amour est plus fort que l'abondance, plus fort que les trésors et les richesses, mais il a besoin de leur secours; et rien n'est plus désespérant, pour un amant délicat, que de se voir ramené par là, malgré lui, à la grossièreté des âmes les plus basses. Il était onze heures quand nous arrivâmes à Chaillot.

Nous fûmes reçus à l'auberge comme des personnes de connaissance; on ne fut pas surpris de voir Manon en habit d'homme, parce qu'on est accoutumé, à Paris et aux environs, de voir prendre aux femmes toutes sortes de formes. Je la fis servir aussi proprement que si j'eusse été dans la meilleure fortune. Elle ignorait que je fusse mal en argent; je me gardai bien de lui en rien apprendre, étant résolu de retourner seul à Paris, le lendemain, pour chercher quelque remède à cette fâcheuse espèce de maladie. Elle me parut pâle et maigrie, en soupant. Je ne m'en

étais point aperçu à l'Hôpital, parce que la chambre où je l'avais vue n'était pas des plus claires. Je lui demandai si ce n'était point encore un effet de la frayeur qu'elle avait eue en voyant assassiner son frère. Elle m'assura que, quelque touchée qu'elle fût de cet accident, sa pâleur ne

overpowered by the scene she had just witnessed, that I could hardly support her. At last, at the end of the street, I perceived a hackney­coach; we got into it, but when the coachman asked whither he should drive, I was scarcely able to answer him. I had no certain asylum—no confidential friend to whom I could have recourse. I was almost destitute of money, having but one dollar left in my purse. Fright and fatigue had so unnerved Manon, that she was almost fainting at my side. My imagination too was full of the murder of Lescaut, and I was not without strong apprehensions of the patrol. What was to be done? I luckily remembered the inn at Chaillot, where we first went to reside in that village. I hoped to be not only secure, but to continue there for some time without being pressed for payment. 'Take us to Chaillot,' said I to the coachman. He refused to drive us so far at that late hour for less than twelve francs. A new embarrassment! At last we agreed for half that sum—all that my purse contained. "I tried to console Manon as we went along, but

despair was rankling in my own heart. I should have destroyed myself a thousand times over, if I had not felt that I held in my arms all that could attach me to life: this reflection reconciled me. 'I possess her at least,' said I; 'she loves me! she is mine! Vainly does Tiberge call this a mere phantom of happiness.' I could, without feeling interest or emotion, see the whole world besides perish around me. Why? Because I have in it no object of affection beyond her. "This sentiment was true; however, while I so lightly

esteemed the good things of the world, I felt that there was no doing without some little portion of them, were it only to inspire a more thorough contempt for the remainder. Love is more powerful than wealth—more attractive than grandeur or fame; but, alas! it cannot exist without certain artificial aids; and there is nothing more humiliating to the feelings, of a sensitive lover, than to find himself, by want of means, reduced to the level of the most vulgar minds. "It was eleven o'clock when we arrived at Chaillot. They

received us at the inn as old acquaintances, and expressed no sort of surprise at seeing Manon in male attire, for it was the custom in Paris and the environs to adopt all disguises. I took care to have her served with as much attention as if I had been in prosperous circumstances. She was ignorant of my poverty, and I carefully kept her so, being resolved to return alone the following day to Paris, to seek some cure for this vexatious kind of malady. "At supper she appeared pale and thin; I had not

observed this at the Hospital, as the room in which I saw her was badly lighted. I asked her if the excessive paleness were not caused by the shock of witnessing her brother's death? She assured me that, horrified as she naturally was at the event, her paleness was purely the effect of a three

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venait que d'avoir essuyé pendant trois mois mon absence. Tu m'aimes donc extrêmement? lui répondis­je. Mille fois plus que je ne puis dire, reprit­elle. Tu ne me quitteras donc plus jamais? ajoutai­je. Non, jamais, répliqua­t­elle; et cette assurance fut confirmée par tant de caresses et

de serments, qu'il me parut impossible, en effet, qu'elle pût jamais les oublier. J'ai toujours été persuadé qu'elle était sincère; quelle raison aurait­elle eue de se contrefaire jusqu'à ce point? Mais elle était encore plus volage, ou plutôt elle n'était plus rien, et elle ne se reconnaissait pas elle­même, lorsque, ayant devant les yeux des femmes qui vivaient dans l'abondance, elle se trouvait dans la pauvreté et dans le besoin. J'étais à la veille d'en avoir une dernière preuve qui a surpassé toutes les autres, et qui a produit la plus étrange aventure qui soit jamais arrivée à un homme de ma naissance et de ma fortune. Comme je la connaissais de cette humeur, je me hâtai

le lendemain d'aller à Paris. La mort de son frère et la nécessité d'avoir du linge et des habits pour elle et pour moi étaient de si bonnes raisons que je n'eus pas besoin de prétextes. Je sortis de l'auberge, avec le dessein, dis­je à Manon et à mon hôte, de prendre un carrosse de louage; mais c'était une gasconnade. La nécessité m'obligeant d'aller à pied, je marchai fort vite jusqu'au Cours­la­Reine, où j'avais dessein de m'arrêter. Il fallait bien prendre un moment de solitude et de tranquillité pour m'arranger et prévoir ce que j'allais faire à Paris. Je m'assis sur l'herbe. J'entrai dans une mer de

raisonnements et de réflexions, qui se réduisirent peu à peu à trois principaux articles. J'avais besoin d'un secours présent, pour un nombre infini de nécessités présentes. J'avais à chercher quelque voie qui pût, du moins, m'ouvrir des espérances pour l'avenir et ce qui n'était pas de moindre importance, j'avais des informations et des mesures à prendre pour la sûreté de Manon et pour la mienne. Après m'être épuisé en projets et en combinaisons sur ces trois chefs, je jugeai encore à propos d'en retrancher les deux derniers. Nous n'étions pas mal à couvert, dans une chambre de Chaillot, et pour les besoins futurs, je crus qu'il serait temps d'y penser lorsque j'aurais satisfait aux présents. Il était donc question de remplir actuellement ma

bourse. M. de T... m'avait offert généreusement la sienne, mais j'avais une extrême répugnance à le remettre moi­même sur cette matière. Quel personnage, que d'aller exposer sa misère à un étranger et de le prier de nous faire part de son bien! Il n'y a qu'une âme lâche qui en soit capable, par une bassesse qui l'empêche d'en sentir l'indignité, ou un chrétien humble, par un excès de générosité qui le rend supérieur à cette honte. Je n'étais ni un homme lâche, ni un bon chrétien; j'aurais donné la moitié de mon sang pour éviter cette humiliation.

months' absence from me. 'You do love me then devotedly?' I exclaimed. "'A thousand times more than I can tell!' was her reply. "'You will never leave me again?' I added. "'No! never, never!' answered she. "This assurance was confirmed by so many caresses

and vows, that it appeared impossible she could, to the end of time, forget them. I have never doubted that she was at that moment sincere. What motive could she have had for dissembling to such a degree? But she became afterwards still more volatile than ever, or rather she was no longer anything, and entirely forgot herself, when, in poverty and want, she saw other women living in abundance. I was now on the point of receiving a new proof of her inconstancy, which threw all that had passed into the shade, and which led to the strangest adventure that ever happened to a man of my birth and prospects. "As I knew her disposition, I hastened the next day to

Paris. The death of her brother, and the necessity of getting linen and clothes for her, were such good reasons, that I had no occasion for any further pretext. I left the inn, with the intention, as I told Manon and the landlord, of going in a hired carriage, but this was a mere flourish; necessity obliged me to travel on foot: I walked very fast as far as Cours­la­Reine, where I intended to rest. A moment of solitude and tranquillity was requisite to compose myself, and to consider what was to be done in Paris. "I sat down upon the grass. I plunged into a sea of

thoughts and considerations, which at length resolved themselves into three principal heads. I had pressing want of an infinite number of absolute necessaries; I had to seek some mode of at least raising a hope for the future; and, though last, not least in importance, I had to gain information, and adopt measures, to secure Manon's safety and my own. After having exhausted myself in devising projects upon these three chief points, I was obliged to put out of view for the moment the two last. We were not ill sheltered from observation in the inn at Chaillot; and as to future wants, I thought it would be time enough to think about them when those of the moment were satisfied. "The main object now was to replenish my purse. M. de

T—— had once offered me his, but I had an extreme repugnance to mention the subject to him again. What a degradation to expose one's misery to a stranger, and to ask for charity: it must be either a man of low mind who would thus demean himself, and that from a baseness which must render him insensible to the degradation, or a humble Christian, from a consciousness of generosity in himself, which must put him above the sense of shame. I would have sacrificed half my life to be spared the humiliation.

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Tiberge, disais­je, le bon Tiberge, me refusera­t­il ce qu'il aura le pouvoir de me donner? Non, il sera touché de ma misère; mais il m'assassinera par sa morale. Il faudra essuyer ses reproches, ses exhortations, ses menaces; il me fera acheter ses secours si cher, que je donnerais encore une partie de mon sang plutôt que de m'exposer à cette scène fâcheuse qui me laissera du trouble et des remords. Bon! reprenais­je, il faut donc renoncer à tout espoir puisqu'il ne me reste point d'autre voie, et que je suis si éloigné de m'arrêter à ces deux­là, que je verserais plus volontiers la moitié de mon sang que d'en prendre une, c'est­à­dire tout mon sang plutôt que de les prendre toutes deux? Oui, mon sang tout entier, ajoutai­je, après une réflexion d'un moment; je le donnerais plus volontiers, sans doute, que de me réduire à de basses supplications. Mais il s'agit bien ici de mon sang! Il s'agit de la vie et

de l'entretien de Manon, il s'agit de son amour et de sa fidélité. Qu'ai­je à mettre en balance avec elle? Je n'y ai rien mis jusqu'à présent. Elle me tient lieu de gloire, de bonheur et de fortune. Il y a bien des choses, sans doute, que je donnerais ma vie pour obtenir ou pour éviter mais estimer une chose plus que ma vie n'est pas une raison pour l'estimer autant que Manon. Je ne fus pas longtemps à me déterminer après ce raisonnement. Je continuai mon chemin, résolu d'aller d'abord chez Tiberge, et de là chez M. de T... En entrant à Paris, je pris un fiacre, quoique je n'eusse

pas de quoi le payer; je comptais sur les secours que j'allais solliciter. Je me fis conduire au Luxembourg, d'où j'envoyai avertir Tiberge que j'étais à l'attendre. Il satisfit mon impatience par sa promptitude. Je lui appris l'extrémité de mes besoins, sans nul détour. Il me demanda si les cent pistoles que je lui avais rendues me suffiraient, et, sans m'opposer un seul mot de difficulté, il me les alla chercher dans le moment, avec cet air ouvert et ce plaisir à donner qui c'est connu que de l'amour et de la véritable amitié. Quoique je n'eusse pas eu le moindre doute du succès

de ma demande, je fus surpris de l'avoir obtenue à si bon marché, c'est­à­dire sans qu'il m'eût querellé sur mon impénitence. Mais je me trompais, en me croyant tout à fait quitte de ses reproches, car lorsqu'il eut achevé de me compter son argent et que je me préparais à le quitter il me pria de faire avec lui un tour d'allée. Je ne lui avais point parlé de Manon; il ignorait qu'elle fût en liberté; ainsi sa morale ne tomba que sur la fuite téméraire de Saint­Lazare et sur la crainte où il était qu'au lieu de profiter des leçons de sagesse que j'y avais reçues, je ne reprisse le train du désordre. Il me dit qu'étant allé pour me visiter à Saint­Lazare, le

lendemain de mon évasion, il avait été frappé au­delà de toute expression en apprenant la manière dont j'en étais sorti; qu'il avait eu là­dessus un entretien avec le Supérieur; que ce bon père n'était pas encore remis de son effroi; qu'il avait eu néanmoins la générosité de déguiser à

"'Tiberge,' said I, 'kind Tiberge, will he refuse me what he has it in his power to grant? No, he will assuredly sympathise in my misery; but he will also torture me with his lectures! One must endure his reproaches, his exhortations, his threats: I shall have to purchase his assistance so dearly, that I would rather make any sacrifice than encounter this distressing scene, which cannot fail to leave me full of sorrow and remorse. Well,' thought I again, 'all hope must be relinquished, since no other course presents itself: so far am I from adopting either of these, that I would sooner shed half my blood than face one of these evils, or the last drop rather than encounter both. Yes, the very last drop,' I repeated after a moment's reflection, 'I would sacrifice willingly rather than submit to such base supplication! "'But it is not in reality a question of my existence!

Manon's life and maintenance, her love and her fidelity, are at stake! What consideration can outweigh that? In her are centred all my glory, happiness, and future fortune! There are doubtless many things that I would gladly give up my life to obtain, or to avoid; but to estimate a thing merely beyond the value of my own life, is not putting it on a par with that of Manon.' This idea soon decided me: I went on my way, resolved to go first to Tiberge, and afterwards to M. de T——. "On entering Paris I took a hackney­coach, though I

had not wherewithal to pay for it; I calculated on the loan I was going to solicit. I drove to the Luxembourg, whence I sent word to Tiberge that I was waiting for him. I had not to stay many minutes. I told him without hesitation the extremity of my wants. He asked if the fifty pounds which I had returned to him would suffice, and he at once went to fetch it with that generous air, that pleasure in bestowing which 'blesseth him that gives, and him that takes,' and which can only be known to love or to true friendship. "Although I had never entertained a doubt of Tiberge's

readiness to grant my request, yet I was surprised at having obtained it on such easy terms, that is to say, without a word of reprimand for my impenitence; but I was premature in fancying myself safe from his reproaches, for when he had counted out the money, and I was on the point of going away, he begged of me to take a walk with him in the garden. I had not mentioned Manon's name; he knew nothing of her escape; so that his lecture was merely upon my own rash flight from St. Lazare, and upon his apprehensions lest, instead of profiting by the lessons of morality which I had received there, I should again relapse into dissipation. "He told me, that having gone to pay me a visit at St.

Lazare, the day after my escape, he had been astonished beyond expression at hearing the mode in which I had effected it; that he had afterwards a conversation with the Superior; that the good Father had not quite recovered the shock; that he had, however, the generosity to conceal the

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M. le Lieutenant général de Police les circonstances de mon départ, et qu'il avait empêché que la mort du portier ne fût connue au dehors; que je n'avais donc, de ce côté­là, nul sujet d'alarme, mais que, s'il me restait le moindre sentiment de sagesse, je profiterais de cet heureux tour que le Ciel donnait à mes affaires; que je devais commencer par écrire à mon père, et me remettre bien avec lui; et que, si je voulais suivre une fois son conseil, il était d'avis que je quittasse Paris, pour retourner dans le sein de ma famille. J'écoutai son discours jusqu'à la fin. Il y avait là bien

des choses satisfaisantes. Je fus ravi, premièrement, de n'avoir rien à craindre du côté de Saint­Lazare. Les rues de Paris me redevenaient un pays libre. En second lieu, je m'applaudis de ce que Tiberge n'avait pas la moindre idée de la délivrance de Manon et de son retour avec moi. Je remarquais même qu'il avait évité de me parler d'elle, dans l'opinion, apparemment, qu'elle me tenait moins au cœur puisque je paraissais si tranquille sur son sujet. Je résolus, sinon de retourner dans ma famille, du moins d'écrire à mon père, comme il me le conseillait, et de lui témoigner que j'étais disposé à rentrer dans l'ordre de mes devoirs et de ses volontés. Mon espérance était de l'engager à m'envoyer de l'argent, sous prétexte de faire mes exercices à l'Académie, car j'aurais eu peine à lui persuader que je fusse dans la disposition de retourner à l'état ecclésiastique. Et dans le fond, je n'avais nul éloignement pour ce que je voulais lui promettre. J'étais bien aise, au contraire, de m'appliquer à quelque chose d'honnête et de raisonnable, autant que ce dessein pourrait s'accorder avec mon amour Je faisais mon compte de vivre avec ma maîtresse et de faire en même temps mes exercices; cela était fort compatible. Je fus si satisfait de toutes ces idées que je promis à

Tiberge de faire partir le jour même, une lettre pour mon père. J'entrai effectivement dans un bureau d'écriture, en le quittant, et j'écrivis d'une manière si tendre et si soumise, qu'en relisant ma lettre, je me flattai d'obtenir quelque chose du cœur paternel. Quoique je fusse en état de prendre et de payer un

fiacre après avoir quitté Tiberge, je me fis un plaisir de marcher fièrement à pied en allant chez M. de T... Je trouvais de la joie dans cet exercice de ma liberté, pour laquelle mon ami m'avait assuré qu'il ne me restait rien à craindre. Cependant il me revint tout d'un coup à l'esprit que ses assurances ne regardaient que Saint­Lazare, et que j'avais, outre cela, l'affaire de l'Hôpital sur les bras, sans compter la mort de Lescaut, dans laquelle j'étais mêlé, du moins comme témoin. Ce souvenir m'effraya si vivement que je me retirai dans la première allée, d'où je fis appeler un carrosse. J'allai droit chez M. de T..., que je fis rire de ma frayeur. Elle me parut risible à moi­même, lorsqu'il m'eut appris que je n'avais rien à craindre du côté de l'Hôpital, ni de celui de Lescaut. Il me dit que, dans la pensée qu'on pourrait le soupçonner d'avoir eu part à l'enlèvement de Manon, il était allé le matin à l'Hôpital, et qu'il avait demandé à la voir en feignant d'ignorer ce qui était arrivé; qu'on était si éloigné de nous accuser, ou lui,

real circumstances from the lieutenant­general of police, and that he had prevented the death of the porter from becoming known outside the walls; that I had, therefore, upon that score, no ground for alarm, but that, if I retained one grain of prudence, I should profit by this happy turn which Providence had given to my affairs, and begin by writing to my father, and reconciling myself to his favour; and finally that, if I would be guided by his advice, I should at once quit Paris, and return to the bosom of my family. "I listened to him attentively till he had finished. There

was much in what he said to gratify me. In the first place, I was delighted to learn that I had nothing to fear on account of St. Lazare—the streets of Paris at least were again open to me. Then I rejoiced to find that Tiberge had no suspicion of Manon's escape, and her return to my arms. I even remarked that he had not mentioned her name, probably from the idea that, by my seeming indifference to her, she had become less dear to my heart. I resolved, if not to return home, at least to write to my father, as he advised me, and to assure him that I was disposed to return to my duty, and consult his wishes. My intention was to urge him to send me money for the purpose of pursuing my ordinary studies at the University, for I should have found it difficult to persuade him that I had any inclination to resume my ecclesiastical habit. I was in truth not at all averse to what I was now going to promise him. On the contrary, I was ready to apply myself to some creditable and rational pursuit, so far as the occupation would be compatible with my love. I reckoned upon being able to live with my mistress, and at the same time continuing my studies. I saw no inconsistency in this plan. "These thoughts were so satisfactory to my mind, that I

promised Tiberge to dispatch a letter by that day's post to my father: in fact, on leaving him, I went into a scrivener's, and wrote in such a submissive and dutiful tone, that, on reading over my own letter, I anticipated the triumph I was going to achieve over my father's heart. "Although I had money enough to pay for a hackney­

coach after my interview with Tiberge, I felt a pleasure in walking independently through the streets to M. de T——'s house. There was great comfort in this unaccustomed exercise of my liberty, as to which my friend had assured me I had nothing now to apprehend. However, it suddenly occurred to me, that he had been only referring to St. Lazare, and that I had the other affair of the Hospital on my hands; being implicated, if not as an accomplice, at all events as a witness. This thought alarmed me so much, that I slipped down the first narrow street, and called a coach. I went at once to M. de T——'s, and he laughed at my apprehensions. I myself thought them ridiculous enough, when he informed me that there was no more danger from Lescaut's affray, than from the Hospital adventure. He told me that, from the fear of their suspecting that he had a hand in Manon's escape, he had gone that morning to the Hospital and asked to see her, pretending not to know anything of what had happened;

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ou moi, qu'on s'était empressé, au contraire, de lui apprendre cette aventure comme une étrange nouvelle, et qu'on admirait qu'une fille aussi jolie que Manon eût pris le parti de fuir avec un valet: qu'il s'était contenté de répondre froidement qu'il n'en était pas surpris, et qu'on fait tout pour la liberté. Il continua de me raconter qu'il était allé de là chez

Lescaut, dans l'espérance de m'y trouver avec ma charmante maîtresse; que l'hôte de la maison, qui était un carrossier, lui avait protesté qu'il n'avait vu ni elle ni moi; mais qu'il n'était pas étonnant que nous n'eussions point paru chez lui, si c'était pour Lescaut que nous devions y venir, parce que nous aurions sans doute appris qu'il venait d'être tué à peu près dans le même temps. Sur quoi, il n'avait pas refusé d'expliquer ce qu'il savait de la cause et des circonstances de cette mort. Environ deux heures auparavant, un garde du corps,

des amis de Lescaut, l'était venu voir et lui avait proposé de jouer. Lescaut avait gagné si rapidement que l'autre s'était trouvé cent écus de moins en une heure, c'est­à­dire tout son argent. Ce malheureux, qui se voyait sans un sou, avait prié Lescaut de lui prêter la moitié de la somme qu'il avait perdue; et sur quelques difficultés nées à cette occasion, ils s'étaient querellés avec une animosité extrême. Lescaut avait refusé de sortir pour mettre l'épée à la main, et l'autre avait juré, en le quittant, de lui casser la tête: ce qu'il avait exécuté le soir même. M. de T... eut l'honnêteté d'ajouter qu'il avait été fort inquiet par rapport à nous et qu'il continuait de m'offrir ses services. Je ne balançai point à lui apprendre le lieu de notre retraite. Il me pria de trouver bon qu'il allât souper avec nous. Comme il ne me restait qu'à prendre du linge et des

habits pour Manon, je lui dis que nous pouvions partir à l'heure même, s'il voulait avoir la complaisance de s'arrêter un moment avec moi chez quelques marchands. Je ne sais s'il crut que je lui faisais cette proposition dans la vue d'intéresser sa générosité, ou si ce fut par le simple mouvement d'une belle âme, mais ayant consenti à partir aussitôt, il me mena chez les marchands qui fournissaient sa maison; il me fit choisir plusieurs étoffes d'un prix plus considérable que je ne me l'étais proposé, et lorsque je me disposais à les payer il défendit absolument aux marchands de recevoir un sou de moi. Cette galanterie se fit de si bonne grâce que je crus pouvoir en profiter sans honte. Nous prîmes ensemble le chemin de Chaillot, où j'arrivai avec moins d'inquiétude que je n'en étais parti. Le chevalier des Grieux ayant employé plus d'une

heure à ce récit, je le priai de prendre un peu de relâche, et de nous tenir compagnie à souper Notre attention lui fit juger que nous l'avions écouté avec plaisir. Il nous assura que nous trouverions quelque chose encore de plus intéressant dans la suite de son histoire, et lorsque nous eûmes fini de souper il continua dans ces termes.

that they were so far from entertaining the least suspicion of either of us, that they lost no time in relating the adventure as a piece of news to him; and that they wondered how so pretty a girl as Manon Lescaut could have thought of eloping with a servant: that he replied with seeming indifference, that it by no means astonished him, for people would do anything for the sake of liberty. "He continued to tell me how he then went to Lescaut's

apartments, in the hope of finding me there with my dear mistress; that the master of the house, who was a coachmaker, protested he had seen neither me nor Manon; but that it was no wonder that we had not appeared there, if our object was to see Lescaut, for that we must have doubtless heard of his having been assassinated about the very same time; upon which, he related all that he knew of the cause and circumstances of the murder. "About two hours previously, a guardsman of Lescaut's

acquaintance had come to see him, and proposed play. Lescaut had such a rapid and extravagant run of luck, that in an hour the young man was minus twelve hundred francs—all the money he had. Finding himself without a sou, he begged of Lescaut to lend him half the sum he had lost; and there being some difficulty on this point, an angry quarrel arose between them. Lescaut had refused to give him the required satisfaction, and the other swore, on quitting him, that he would take his life; a threat which he carried into execution the same night. M. de T—— was kind enough to add, that he had felt the utmost anxiety on our account, and that, such as they were, he should gladly continue to us his services. I at once told him the place of our retreat. He begged of me to allow him to sup with us. "As I had nothing more to do than to procure the linen

and clothes for Manon, I told him that we might start almost immediately, if he would be so good as to wait for me a moment while I went into one or two shops. I know not whether he suspected that I made this proposition with the view of calling his generosity into play, or whether it was by the mere impulse of a kind heart; but, having consented to start immediately, he took me to a shopkeeper, who had lately furnished his house. He there made me select several articles of a much higher price than I had proposed to myself; and when I was about paying the bill, he desired the man not to take a sou from me. This he did so gracefully, that I felt no shame in accepting his present. We then took the road to Chaillot together, where I arrived much more easy in mind than when I had left it that morning. The Chevalier des Grieux having occupied more than

an hour with his story, I begged him to give himself a little rest, and meanwhile to share our supper. He saw, by the attention we paid him, that we were amused, and promised that we should hear something of perhaps greater interest in the sequel. When we had finished supper, he continued in the following words.

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FIN DE LA PREMIERE PARTIE.

DEUXIEME PARTIE

Ma présence et les politesses de M. de T... dissipèrent

tout ce qui pouvait rester de chagrin à Manon. Oublions nos terreurs passées, ma chère âme, lui dis­je en arrivant, et recommençons à vivre plus heureux que jamais. Après tout, l'amour est un bon maître; la fortune ne saurait nous causer autant de peines qu'il nous fait goûter de plaisirs. Notre souper fut une vraie scène de joie. J'étais plus fier et plus content, avec Manon et mes

cent pistoles, que le plus riche partisan de Paris avec ses trésors entassés. Il faut compter ses richesses par les moyens qu'on a de satisfaire ses désirs. Je n'en avais pas un seul à remplir; l'avenir même me causait peu d'embarras. J'étais presque sûr que mon père ne ferait pas difficulté de me donner de quoi vivre honorablement à Paris, parce qu'étant dans ma vingtième année, j'entrais en droit d'exiger ma part du bien de ma mère. Je ne cachai point à Manon que le fond de mes richesses n'était que de cent pistoles. C'était assez pour attendre tranquillement une meilleure fortune, qui semblait ne me pouvoir manquer, soit par mes droits naturels ou par les ressources du jeu. Ainsi, pendant les premières semaines, je ne pensai

qu'à jouir de ma situation; et la force de l'honneur autant qu'un reste de ménagement pour la police, me faisait remettre de jour en jour à renouer avec les associés de l'hôtel de T..., je me réduisis à jouer dans quelques assemblées moins décriées, où ma faveur du sort m'épargna l'humiliation d'avoir recours à l'industrie. J'allais passer à la ville une partie de l'après­midi, et je revenais souper à Chaillot, accompagné fort souvent de M. de T..., dont l'amitié croissait de jour en jour pour nous. Manon trouva des ressources contre l'ennui. Elle se lia,

dans le voisinage, avec quelques jeunes personnes que le printemps y avait ramenées. La promenade et les petits exercices de leur sexe faisaient alternativement leur occupation. Une partie de jeu, dont elles avaient réglé les bornes, fournissait aux frais de la voiture. Elles allaient prendre l'air au bois de Boulogne, et le soir, à mon retour, je retrouvais Manon plus belle, plus contente, et plus passionnée que jamais.

"My return and the polite attentions of M. de T——

dispelled all Manon's melancholy. 'Let us forget our past annoyances, my dear soul,' said I to her, 'and endeavour to live a still happier life than before. After all, there are worse masters than love: fate cannot subject us to as much sorrow as love enables us to taste of happiness.' Our supper was a true scene of joy. "In possession of Manon and of twelve hundred and

fifty francs, I was prouder and more contented than the richest voluptuary of Paris with untold treasures. Wealth should be measured by the means it affords us of satisfying our desires. There did not remain to me at this moment a single wish unaccomplished. Even the future gave me little concern. I felt a hope, amounting almost to certainty, that my father would allow me the means of living respectably in Paris, because I had become entitled, on entering upon my twentieth year, to a share of my mother's fortune. I did not conceal from Manon what was the extent of my present wealth; but I added, that it might suffice to support us until our fortune was bettered, either by the inheritance I have just alluded to, or by the resources of the hazard­table."

(retour) VIII

This Passion hath its floods in the very times of weakness, which are great prosperity, and great adversity; both which times kindle Love, and make it

more fervent.—BACON. "For several weeks I thus continued to think only of

enjoying the full luxury of my situation; and being restrained, by a sense of honour, as well as a lurking apprehension of the police, from renewing my intimacy with my former companions at the hotel of Transylvania, I began to play in certain coteries less notorious, where my good luck rendered it unnecessary for me to have recourse to my former accomplishments. I passed a part of the afternoon in town, and returned always to supper at Chaillot, accompanied very often by M. de T——, whose intimacy and friendship for us daily increased. "Manon soon found resources against ennui. She

became acquainted with some young ladies, whom the spring brought into the neighbourhood. They occupied their leisure hours in walking, and the customary amusements of persons of their sex and age. Their little gains at cards (always within innocent limits) were laid out in defraying the expense of a coach, in which they took an airing occasionally in the Bois de Boulogne; and each night when I returned, I was sure of finding Manon more beautiful—more contented—more affectionate than ever.

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Il s'éleva néanmoins quelques nuages, qui semblèrent

menacer l'édifice de mon bonheur. Mais ils furent nettement dissipés, et l'humeur folâtre de Manon rendit le dénouement si comique, que je trouve encore de la douceur dans un souvenir qui me représente sa tendresse et les agréments de son esprit. Le seul valet qui composait notre domestique me prit

un jour à l'écart pour me dire, avec beaucoup d'embarras, qu'il avait un secret d'importance à me communiquer. Je l'encourageai à parler librement. Après quelques détours, il me fit entendre qu'un seigneur étranger semblait avoir pris beaucoup d'amour pour Mademoiselle Manon. Le trouble de mon sang se fit sentir dans toutes mes veines. En a­t­elle pour lui? interrompis­je plus brusquement que la prudence ne permettait pour m'éclaircir. Ma vivacité l'effraya. Il me répondit, d'un air inquiet,

que sa pénétration n'avait pas été si loin, mais qu'ayant observé, depuis plusieurs jours, que cet étranger venait assidûment au bois de Boulogne, qu'il y descendait de son carrosse, et que, s'engageant seul dans les contre­allées, il paraissait chercher l'occasion de voir ou de rencontrer mademoiselle, il lui était venu à l'esprit de faire quelque liaison avec ses gens, pour apprendre le nom de leur maître; qu'ils le traitaient de prince italien, et qu'ils le soupçonnaient eux­mêmes de quelque aventure galante; qu'il n'avait pu se procurer d'autres lumières, ajouta­t­il en tremblant, parce que le Prince, étant alors sorti du bois, s'était approché familièrement de lui, et lui avait demandé son nom; après quoi, comme s'il eût deviné qu'il était à notre service, il l'avait félicité d'appartenir à la plus charmante personne du monde. J'attendais impatiemment la suite de ce récit. Il le finit

par des excuses timides, que je n'attribuai qu'à mes imprudentes agitations. Je le pressai en vain de continuer sans déguisement. Il me protesta qu'il ne savait rien de plus, et que, ce qu'il venait de me raconter étant arrivé le jour précédent, il n'avait pas revu les gens du prince. Je le rassurai, non seulement par des éloges, mais par une honnête récompense, et sans lui marquer la moindre défiance de Manon, je lui recommandai, d'un ton plus tranquille, de veiller sur toutes les démarches de l'étranger. Au fond, sa frayeur me laissa de cruels doutes. Elle

pouvait lui avoir fait supprimer une partie de la vérité. Cependant, après quelques réflexions, je revins de mes alarmes, jusqu'à regretter d'avoir donné cette marque de faiblesse. Je ne pouvais faire un crime à Manon d'être aimée. Il y avait beaucoup d'apparence qu'elle ignorait sa conquête; et quelle vie allais­je mener si j'étais capable d'ouvrir si facilement l'entrée de mon cœur à la jalousie?

"There arose, however, certain clouds, which seemed to

threaten the continuance of this blissful tranquillity, but they were soon dispelled; and Manon's sprightliness made the affair so excessively comical in its termination, that it is even now pleasing to recur to it, as a proof of the tenderness as well as the cheerfulness of her disposition. "The only servant we had came to me one day, with

great embarrassment, and taking me aside, told me that he had a secret of the utmost importance to communicate to me. I urged him to explain himself without reserve. After some hesitation, he gave me to understand that a foreigner of high rank had apparently fallen in love with Manon. I felt my blood boil at the announcement. 'Has she shown any penchant for him?' I enquired, interrupting my informant with more impatience than was requisite, if I desired to have a full explanation. "He was alarmed at my excitement; and replied in an

undecided tone, that he had not made sufficiently minute observation to satisfy me; but that, having noticed for several days together the regular arrival of the stranger at the Bois de Boulogne, where, quitting his carriage, he walked by himself in the cross­avenues, appearing to seek opportunities of meeting Manon, it had occurred to him to form an acquaintance with the servants, in order to discover the name of their master; that they spoke of him as an Italian prince, and that they also suspected he was upon some adventure of gallantry. He had not been able to learn anything further, he added, trembling as he spoke, because the prince, then on the point of leaving the wood, had approached him, and with the most condescending familiarity asked his name; upon which, as if he at once knew that he was in our service, he congratulated him on having, for his mistress, the most enchanting person upon earth. "I listened to this recital with the greatest impatience.

He ended with the most awkward excuses, which I attributed to the premature and imprudent display of my own agitation. In vain I implored him to continue his history. He protested that he knew nothing more, and that what he had previously told me, having only happened the preceding day, he had not had a second opportunity of seeing the prince's servants. I encouraged him, not only with praises, but with a substantial recompense; and without betraying the slightest distrust of Manon, I requested him, in the mildest manner, to keep strict watch upon all the foreigner's movements. "In truth, the effect of his fright was to leave me in a

state of the cruellest suspense. It was possible that she had ordered him to suppress part of the truth. However, after a little reflection, I recovered sufficiently from my fears to see the manner in which I had exposed my weaknesses. I could hardly consider it a crime in Manon to be loved. Judging from appearances, it was probable that she was not even aware of her conquest. 'And what kind of life shall I in future lead,' thought I, 'if I am capable of letting jealousy so easily take possession of my

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Je retournai à Paris le jour suivant, sans avoir formé

d'autre dessein que de hâter le progrès de ma fortune en jouant plus gros jeu, pour me mettre en état de quitter Chaillot au premier sujet d'inquiétude. Le soir, je n'appris rien de nuisible à mon repos. L'étranger avait reparu au bois de Boulogne, et prenant droit de ce qui s'y était passé la veille pour se rapprocher de mon confident, il lui avait parlé de son amour, mais dans des termes qui ne supposaient aucune intelligence avec Manon. Il l'avait interrogé sur mille détails. Enfin, il avait tenté de le mettre dans ses intérêts par des promesses considérables, et tirant une lettre qu'il tenait prête, il lui avait offert inutilement quelques louis d'or pour la rendre à sa maîtresse. Deux jours se passèrent sans aucun autre incident. Le

troisième fut plus orageux. J'appris, en arrivant de la ville assez tard, que Manon, pendant sa promenade, s'était écartée un moment de ses compagnes, et que l'étranger, qui la suivait à peu de distance, s'étant approché d'elle au signe qu'elle lui en avait fait, elle lui avait remis une lettre qu'il avait reçue avec des transports de joie. Il n'avait eu le temps de les exprimer qu'en baisant amoureusement les caractères, parce qu'elle s'était aussitôt dérobée. Mais elle avait paru d'une gaieté extraordinaire pendant le reste du jour, et depuis qu'elle était rentrée au logis, cette humeur ne l'avait pas abandonnée. Je frémis, sans doute, à chaque mot. Es­tu bien sûr, dis­je tristement à mon valet, que tes

yeux ne t'aient pas trompé? Il prit le Ciel à témoin de sa bonne foi. Je ne sais à quoi les tourments de mon cœur

m'auraient porté si Manon, qui m'avait entendu rentrer ne fût venue au­devant de moi avec un air d'impatience et des plaintes de ma lenteur. Elle n'attendit point ma réponse pour m'accabler de caresses, et lorsqu'elle se vit seule avec moi, elle me fit des reproches fort vifs de l'habitude que je prenais de revenir si tard. Mon silence lui laissant la liberté de continuer, elle me dit que, depuis trois semaines, je n'avais pas passé une journée entière avec elle; qu'elle ne pouvait soutenir de si longues absences; qu'elle me demandait du moins un jour, par intervalles; et que, dès le lendemain, elle voulait me voir près d'elle du matin au soir. J'y serai, n'en doutez pas, lui répondis­je d'un ton assez

brusque. Elle marqua peu d'attention pour mon chagrin, et dans le mouvement de sa joie, qui me parut en effet d'une vivacité singulière, elle me fit mille peintures plaisantes de la manière dont elle avait passé le jour. Étrange fille! me disais­je à moi­même; que dois­je

attendre de ce prélude? L'aventure de nôtre première séparation me revint à l'esprit. Cependant je croyais voir dans le fond de sa joie et de ses caresses, un air de vérité qui s'accordait avec les apparences.

mind?' "I returned on the following day to Paris, with no other

intention than to hasten the improvement of my fortune, by playing deeper than ever, in order to be in a condition to quit Chaillot on the first real occasion for uneasiness. That night I learned nothing at all calculated to trouble my repose. The foreigner had, as usual, made his appearance in the Bois de Boulogne; and venturing, from what had passed the preceding day, to accost my servant more familiarly, he spoke to him openly of his passion, but in such terms as not to lead to the slightest suspicion of Manon's being aware of it. He put a thousand questions to him, and at last tried to bribe him with large promises; and taking a letter from his pocket, he in vain entreated him, with the promise of some louis d'ors, to convey it to her. "Two days passed without anything more occurring:

the third was of a different character. I learned on my arrival, later than usual, from Paris, that Manon, while in the wood, had left her companions for a moment, and that the foreigner, who had followed her at a short distance, approached, upon her making him a sign, and that she handed him a letter, which he took with a transport of joy. He had only time to express his delight by kissing the billet­doux, for she was out of sight in an instant. But she appeared in unusually high spirits the remainder of the day; and even after her return to our lodgings, her gaiety continued. I trembled at every word. "'Are you perfectly sure,' said I, in an agony of fear, to

my servant, 'that your eyes have not deceived you?' He called Heaven to witness the truth of what he had told me. "I know not to what excess the torments of my mind

would have driven me, if Manon, who heard me come in, had not met me with an air of impatience, and complained of my delay. Before I had time to reply, she loaded me with caresses; and when she found we were alone, she reproached me warmly with the habit I was contracting of staying out so late. My silence gave her an opportunity of continuing; and she then said that for the last three weeks I had never spent one entire day in her society; that she could not endure such prolonged absence; that she should at least expect me to give up a day to her from time to time, and that she particularly wished me to be with her on the following day from morning till night. "'You may be very certain I shall do that,' said I, in

rather a sharp tone. She did not appear to notice my annoyance; she seemed to me to have more than her usual cheerfulness; and she described, with infinite pleasantry, the manner in which she had spent the day. "'Incomprehensible girl!" said I to myself; 'what am I to

expect after such a prelude?' The adventures of my first separation occurred to me; nevertheless, I fancied I saw in her cheerfulness, and the affectionate reception she gave me, an air of truth that perfectly accorded with her

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Il ne me fut pas difficile de rejeter la tristesse, dont je

ne pus me défendre pendant notre souper sur une perte que je me plaignis d'avoir faite au jeu. J'avais regardé comme un extrême avantage que l'idée de ne pas quitter Chaillot le jour suivant fût venue d'elle­même. C'était gagner du temps pour mes délibérations. Ma présence éloignait toutes sortes de craintes pour le lendemain, et si je ne remarquais rien qui m'obligeât de faire éclater mes découvertes, j'étais déjà résolu de transporter, le jour d'après, mon établissement à la ville, dans un quartier où je n'eusse rien à démêler avec les princes. Cet arrangement me fit passer une nuit plus tranquille, mais il ne m'ôtait pas la douleur d'avoir à trembler pour une nouvelle infidélité. À mon réveil, Manon me déclara que, pour passer le

jour dans notre appartement, elle ne prétendait pas que j'en eusse l'air plus négligé, et qu'elle voulait que mes cheveux fussent accommodés de ses propres mains. Je les avais fort beaux. C'était un amusement qu'elle s'était donné plusieurs fois; mais elle y apporta plus de soins que je ne lui en avais jamais vu prendre. Je fus obligé, pour la satisfaire, de m'asseoir devant sa toilette, et d'essuyer toutes les petites recherches qu'elle imagina pour ma parure. Dans le cours de son travail, elle me faisait tourner souvent le visage vers elle, et s'appuyant des deux mains sur mes épaules, elle me regardait avec une curiosité avide. Ensuite, exprimant sa satisfaction par un ou deux baisers, elle me faisait reprendre ma situation pour continuer son ouvrage. Ce badinage nous occupa jusqu'à l'heure du dîner. Le

goût qu'elle y avait pris m'avait paru si naturel, et sa gaieté sentait si peu l'artifice, que ne pouvant concilier des apparences si constantes avec le projet d'une noire trahison, je fus tenté plusieurs fois de lui ouvrir mon cœur et de me décharger d'un fardeau qui commençait à me peser. Mais je me flattais, à chaque instant, que l'ouverture viendrait d'elle, et je m'en faisais d'avance un délicieux triomphe. Nous rentrâmes dans son cabinet. Elle se mit à rajuster

mes cheveux, et ma complaisance me faisait céder à toutes ses volontés, lorsqu'on vint l'avertir que le prince de... demandait à la voir Ce nom m'échauffa jusqu'au transport. Quoi donc? m'écriai­je en la repoussant. Qui? Quel

prince? Elle ne répondit point à mes questions. Faites­le monter, dit­elle froidement au valet; et se

tournant vers moi: Cher amant, toi que j'adore, reprit­elle d'un ton enchanteur je te demande un moment de complaisance, un moment, un seul moment. Je t'en

professions. "It was an easy matter at supper to account for the low

spirits which I could not conceal, by attributing them to a loss I had that day sustained at the gaming­table. I considered it most fortunate that the idea of my remaining all the next day at Chaillot was suggested by herself: I should thus have ample time for deliberation. My presence would prevent any fears for at least the next day; and if nothing should occur to compel me to disclose the discovery I had already made, I was determined on the following day to move my establishment into town, and fix myself in a quarter where I should have nothing to apprehend from the interference of princes. This arrangement made me pass the night more tranquilly, but it by no means put an end to the alarm I felt at the prospect of a new infidelity. "When I awoke in the morning, Manon said to me, that

although we were to pass the day at home, she did not at all wish that I should be less carefully dressed than on other occasions; and that she had a particular fancy for doing the duties of my toilette that morning with her own hands. It was an amusement she often indulged in: but she appeared to take more pains on this occasion than I had ever observed before. To gratify her, I was obliged to sit at her toilette table, and try all the different modes she imagined for dressing my hair. In the course of the operation, she made me often turn my head round towards her, and putting both hands upon my shoulders, she would examine me with most anxious curiosity: then, showing her approbation by one or two kisses, she would make me resume my position before the glass, in order to continue her occupation. "This amatory trifling engaged us till dinner­time. The

pleasure she seemed to derive from it, and her more than usual gaiety, appeared to me so thoroughly natural, that I found it impossible any longer to suspect the treason I had previously conjured up; and I was several times on the point of candidly opening my mind to her, and throwing off a load that had begun to weigh heavily upon my heart: but I flattered myself with the hope that the explanation would every moment come from herself, and I anticipated the delicious triumph this would afford me. "We returned to her boudoir. She began again to put

my hair in order, and I humoured all her whims; when they came to say that the Prince of —— was below, and wished to see her. The name alone almost threw me into a rage. "'What then,' exclaimed I, as I indignantly pushed her

from me, 'who?—what prince?' "She made no answer to my enquiries. "'Show him upstairs,' said she coolly to the servant;

and then turning towards me, 'Dearest love! you whom I so fervently adore,' she added in the most bewitching tone, 'I only ask of you one moment's patience; one

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aimerai mille fois plus. Je t'en saurai gré toute ma vie. L'indignation et la surprise me lièrent la langue. Elle

répétait ses instances, et je cherchais des expressions pour les rejeter avec mépris. Mais, entendant ouvrir la porte de l'antichambre, elle empoigna d'une main mes cheveux, qui étaient flottants sur mes épaules, elle prit de l'autre son miroir de toilette; elle employa toute sa force pour me traîner dans cet état jusqu'à la porte du cabinet, et l'ouvrant du genou, elle offrit à l'étranger, que le bruit semblait avoir arrêté au milieu de la chambre, un spectacle qui ne dut pas lui causer peu d'étonnement. Je vis un homme fort bien mis mais d'assez mauvaise mine. Dans l'embarras où le jetait cette scène, il ne laissa pas

de faire une profonde révérence. Manon ne lui donna pas le temps d'ouvrir la bouche. Elle lui présenta son miroir: Voyez, monsieur lui dit­elle, regardez­vous bien, et rendez­moi justice. Vous me demandez de l'amour. Voici l'homme que j'aime, et que j'ai juré d'aimer toute ma vie. Faites la comparaison vous­même. Si vous croyez lui pouvoir disputer mon cœur apprenez­moi donc sur quel fondement, car je vous déclare qu'aux yeux de votre servante très humble, tous les princes d'Italie ne valent pas un des cheveux que je tiens. Pendant cette folle harangue, qu'elle avait

apparemment méditée, je faisais des efforts inutiles pour me dégager, et prenant pitié d'un homme de considération, je me sentais porté à réparer ce petit outrage par mes politesses. Mais, s'étant remis assez facilement, sa réponse, que je trouvai un peu grossière, me fit perdre cette disposition. Mademoiselle, mademoiselle, lui dit­il avec un sourire

forcé, j'ouvre en effet les yeux, et je vous trouve bien moins novice que je ne me l'étais figuré. Il se retira aussitôt sans jeter les yeux sur elle, en

ajoutant, d'une voix plus basse, que les femmes de France ne valaient pas mieux que celles d'Italie. Rien ne m'invitait, dans cette occasion, à lui faire prendre une meilleure idée du beau sexe. Manon quitta mes cheveux, se jeta dans un fauteuil, et

fit retentir la chambre de longs éclats de rire. Je ne dissimulerai pas que je fus touché, jusqu'au fond du cœur, d'un sacrifice que je ne pouvais attribuer qu'à l'amour. Cependant la plaisanterie me parut excessive. Je lui en fis des reproches. Elle me raconta que mon rival, après l'avoir observée pendant plusieurs jours au bois de Boulogne, et lui avoir fait deviner ses sentiments par des grimaces, avait pris le parti de lui en faire une déclaration

moment, one single moment! I will love you ten thousand times more than ever: your compliance now shall never, during my life, be forgotten.' "Indignation and astonishment deprived me of the

power of utterance. She renewed her entreaties, and I could not find adequate expressions to convey my feelings of anger and contempt. But hearing the door of the ante­chamber open, she grasped with one hand my locks, which were floating over my shoulders, while she took her toilette mirror in the other, and with all her strength led me in this manner to the door of the boudoir, which she opened with her knee, and presented to the foreigner, who had been prevented by the noise he heard inside from advancing beyond the middle of the ante­chamber, a spectacle that must have indeed amazed him. I saw a man extremely well dressed, but with a particularly ill­favoured countenance. "Notwithstanding his embarrassment, he made her a

profound bow. Manon gave him no time for speech­making; she held up the mirror before him: 'Look, sir,' said she to him, 'observe yourself minutely, and I only ask you then to do me justice. You wish me to love you: this is the man whom I love, and whom I have sworn to love during my whole life: make the comparison yourself. If you think you can rival him in my affections, tell me at least upon what pretensions; for I solemnly declare to you, that, in the estimation of your most obedient humble servant, all the princes in Italy are not worth a single one of the hairs I now hold in my hand.' "During this whimsical harangue, which she had

apparently prepared beforehand, I tried in vain to disengage myself, and feeling compassion for a person of such consideration, I was desirous, by my politeness at least, of making some reparation for this little outrage. But recovering his self­possession with the ease of a man accustomed to the world, he put an end to my feelings of pity by his reply, which was, in my opinion, rude enough. "'Young lady! young lady!' said he to her, with a

sardonic smile, 'my eyes in truth are opened, and I perceive that you are much less of a novice than I had pictured to myself.' "He immediately retired without looking at her again,

muttering to himself that the French women were quite as bad as those of Italy. I felt little desire, on this occasion, to change his opinion of the fair sex. "Manon let go my hand, threw herself into an

armchair, and made the room resound with her shouts of laughter. I candidly confess that I was touched most sensibly by this unexpected proof of her affection, and by the sacrifice of her own interest which I had just witnessed, and which she could only have been induced to make by her excessive love for me. Still, however, I could not help thinking she had gone rather too far. I reproached her with what I called her indiscretion. She

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ouverte, accompagnée de son nom et de tous ses titres, dans une lettre qu'il lui avait fait remettre par le cocher qui la conduisait avec ses compagnes; qu'il lui promettait, au­delà des monts, une brillante fortune et des adorations éternelles; qu'elle était revenue à Chaillot dans la résolution de me communiquer cette aventure, mais qu'ayant conçu que nous en pouvions tirer de l'amusement, elle n'avait pu résister à son imagination; qu'elle avait offert au Prince italien, par une réponse flatteuse, la liberté de la voir chez elle, et qu'elle s'était fait un second plaisir de me faire entrer dans son plan, sans m'en avoir fait naître le moindre soupçon. Je ne lui dis pas un mot des lumières qui m'étaient venues par une autre voie, et l'ivresse de l'amour triomphant me fit tout approuver. J'ai remarqué, dans toute ma vie, que le Ciel a toujours

choisi, pour me frapper de ses plus rudes châtiments, le temps où ma fortune me semblait le mieux établie. Je me croyais si heureux, avec l'amitié de M. de T... et la tendresse de Manon, qu'on n'aurait pu me faire comprendre que j'eusse à craindre quelque nouveau malheur Cependant, il s'en préparait un si funeste, qu'il m'a réduit à l'état où vous m'avez vu à Pacy, et par degrés à des extrémités si déplorables que vous aurez peine à croire mon récit fidèle. Un jour que nous avions M. de T... à souper nous

entendîmes le bruit d'un carrosse qui s'arrêtait à la porte de l'hôtellerie. La curiosité nous fit désirer de savoir qui pouvait arriver à cette heure. On nous dit que c'était le jeune G... M..., c'est­à­dire le fils de notre plus cruel ennemi, de ce vieux débauché qui m'avait mis à Saint­Lazare et Manon à l'Hôpital. Son nom me fit monter la rougeur au visage. C'est le Ciel qui me l'amène, dis­je à M. de T..., pour le punir de la lâcheté de son père. Il ne m'échappera pas que nous n'ayons mesuré nos épées. M. de T..., qui le connaissait et qui était même de ses meilleurs amis, s'efforça de me faire prendre d'autres sentiments pour lui. Il m'assura que c'était un jeune homme très aimable, et si peu capable d'avoir eu part à

told me that my rival, after having besieged her for several days in the Bois de Boulogne, and having made her comprehend his object by signs and grimaces, had actually made an open declaration of love; informing her at the same time of his name and all his titles, by means of a letter, which he had sent through the hands of the coachman who drove her and her companions; that he had promised her, on the other side of the Alps, a brilliant fortune and eternal adoration; that she returned to Chaillot, with the intention of relating to me the whole adventure, but that, fancying it might be made a source of amusement to us, she could not help gratifying her whim; that she accordingly invited the Italian prince, by a flattering note, to pay her a visit; and that it had afforded her equal delight to make me an accomplice, without giving me the least suspicion of her plan. I said not a word of the information I had received through another channel; and the intoxication of triumphant love made me applaud all she had done."

(retour) IX

'Twas ever thus;—from childhood's hour I've seen my fondest hopes decay;— I never loved a tree or flower, But it was sure to fade away; I never nursed a dear Gazelle,

To glad me with its dark­blue eye, But, when it came to know me well, And love me, it was sure to die.

MOORE.

"During my life I have remarked that fate has invariably chosen for the time of its severest visitations, those moments when my fortune seemed established on the firmest basis. In the friendship of M. de T——, and the tender affections of Manon, I imagined myself so thoroughly happy, that I could not harbour the slightest apprehension of any new misfortune: there was one, nevertheless, at this very period impending, which reduced me to the state in which you beheld me at Passy, and which eventually brought in its train miseries of so deplorable a nature, that you will have difficulty in believing the simple recital that follows. "One evening, when M. de T—— remained to sup with

us, we heard the sound of a carriage stopping at the door of the inn. Curiosity tempted us to see who it was that arrived at this hour. They told us it was young G—— M——, the son of our most vindictive enemy, of that debauched old sinner who had incarcerated me in St. Lazare, and Manon in the Hospital. His name made the blood mount to my cheeks. 'It is Providence that has led him here,' said I to M. de T——, that I may punish him for the cowardly baseness of his father. He shall not escape without our measuring swords at least.' M. de T——, who knew him, and was even one of his most intimate friends, tried to moderate my feelings of anger towards him. He assured me that he was a most amiable young man, and so little

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l'action de son père que je ne le verrais pas moi­même un moment sans lui accorder mon estime et sans désirer la sienne. Après avoir ajouté mille choses à son avantage, il me pria de consentir qu'il allât lui proposer de venir prendre place avec nous, et de s'accommoder du reste de notre souper. Il prévint l'objection du péril où c'était exposer Manon que de découvrir sa demeure au fils de notre ennemi, en protestant, sur son honneur et sur sa foi, que, lorsqu'il nous connaîtrait, nous n'aurions point de plus zélé défenseur. Je ne fis difficulté de rien, après de telles assurances. M. de T... ne nous l'amena point sans avoir pris un

moment pour l'informer qui nous étions. Il entra d'un air qui nous prévint effectivement en sa faveur. Il m'embrassa. Nous nous assîmes. Il admira Manon, moi, tout ce qui nous, appartenait, et il mangea d'un appétit qui fit honneur à notre souper. Lorsqu'on eut desservi, la conversation devint plus

sérieuse. Il baissa les yeux pour nous parler de l'excès où son père s'était porté contre nous. Il nous fit les excuses les plus soumises. Je les abrège, nous dit­il, pour ne pas renouveler un souvenir qui me cause trop de honte. Si elles étaient sincères dès le commencement, elles le devinrent bien plus dans la suite, car il n'eut pas passé une demi­heure dans cet entretien, que je m'aperçus de l'impression que les charmes de Manon faisaient sur lui. Ses regards et ses manières s'attendrirent par degrés. Il ne laissa rien échapper néanmoins dans ses discours, mais, sans être aidé de la jalousie, j'avais trop d'expérience en amour pour ne pas discerner ce qui venait de cette source. Il nous tint compagnie pendant une partie de la nuit, et

il ne nous quitta qu'après s'être félicité de notre connaissance, et nous avoir demandé la permission de venir nous renouveler quelquefois l'offre de ses services. Il partit le matin avec M. de T..., qui se mit avec lui dans son carrosse. Je ne me sentais, comme j'ai dit, aucun penchant à la

jalousie. J'avais plus de crédulité que jamais pour les serments de Manon. Cette charmante créature était si absolument maîtresse de mon âme que je n'avais pas un seul petit sentiment qui ne fût de l'estime et de l'amour. Loin de lui faire un crime d'avoir plu au jeune G... M..., j'étais ravi de l'effet de ses charmes, et je m'applaudissais d'être aimé d'une fille que tout le monde trouvait aimable. Je ne jugeai pas même à propos de lui communiquer mes soupçons. Nous fûmes occupés, pendant quelques jours, du soin de faire ajuster ses habits, et à délibérer si nous pouvions aller à la comédie sans appréhender d'être reconnus. M. de T... revint nous voir avant la fin de la semaine. Nous le consultâmes là­dessus. Il vit bien qu'il fallait dire oui, pour faire plaisir à Manon. Nous résolûmes d'y aller le même soir avec lui.

capable of countenancing his father's conduct, that I could not be many minutes in his society without feeling esteem and affection for him. After saying many more things in his praise, he begged my permission to invite him to come and sit in our apartment, as well as to share the remainder of our supper. As to the objection of Manon being exposed by this proceeding to any danger, he pledged his honour and good faith, that when once the young man became acquainted with us, we should find in him a most zealous defender. After such an assurance, I could offer no further opposition. "M. de T—— did not introduce him without delaying a

few moments outside, to let him know who we were. He certainly came in with an air that prepossessed us in his favour: he shook hands with me; we sat down; he admired Manon; he appeared pleased with me, and with everything that belonged to us; and he ate with an appetite that did abundant honour to our hospitality. "When the table was cleared, our conversation became

more serious. He hung down his head while he spoke of his father's conduct towards us. He made, on his own part, the most submissive excuses. 'I say the less upon the subject,' said he, 'because I do not wish to recall a circumstance that fills me with grief and shame.' If he were sincere in the beginning, he became much more so in the end, for the conversation had not lasted half an hour, when I perceived that Manon's charms had made a visible impression upon him. His looks and his manner became by degrees more tender. He, however, allowed no expression to escape him; but, without even the aid of jealousy, I had had experience enough in love affairs to discern what was passing. "He remained with us till a late hour in the night, and

before he took his leave, congratulated himself on having made our acquaintance, and begged permission to call and renew the offer of his services. He went off next morning with M. de T——, who accepted the offer of a seat in his carriage. "I felt, as I before said, not the slightest symptom of

jealousy I had a more foolish confidence than ever in Manon's vows. This dear creature had so absolute a dominion over my whole soul and affections, that I could give place to no other sentiment towards her than that of admiration and love. Far from considering it a crime that she should have pleased young G—— M——, I was gratified by the effect of her charms, and experienced only a feeling of pride in being loved by a girl whom the whole world found so enchanting. I did not even deem it worthwhile to mention my suspicions to her. We were for some days occupied in arranging her new wardrobe, and in considering whether we might venture to the theatre without the risk of being recognised. M. de T—— came again to see us before the end of the week, and we consulted him upon this point. He saw clearly that the way to please Manon was to say yes: we resolved to go all together that same evening.

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Cependant cette résolution ne put s'exécuter, car m'ayant tiré aussitôt en particulier: Je suis, me dit­il, dans le dernier embarras depuis que je ne vous ai vu, et la visite que je vous fais aujourd'hui en est une suite. G... M... aime votre maîtresse. Il m'en a fait confidence. Je suis son intime ami, et disposé en tout à le servir; mais je ne suis pas moins le vôtre. J'ai considéré que ses intentions sont injustes et je les ai condamnées. J'aurais gardé son secret s'il n'avait dessein d'employer pour plaire, que les voies communes, mais il est bien informé de l'humeur de Manon. Il a su, je ne sais d'où, qu'elle aime l'abondance et les plaisirs, et comme il jouit déjà d'un bien considérable, il m'a déclaré qu'il veut la tenter d'abord par un très gros présent et par l'offre de dix mille livres de pension. Toutes choses égales, j'aurais peut­être eu beaucoup plus de violence à me faire pour le trahir mais la justice s'est jointe en votre faveur à l'amitié; d'autant plus qu'ayant été la cause imprudente de sa passion, en l'introduisant ici, je suis obligé de prévenir les effets du mal que j'ai causé. Je remerciai M. de T... d'un service de cette

importance, et je lui avouai, avec un parfait retour de confiance, que le caractère de Manon était tel que G... M... se le figurait, c'est­à­dire qu'elle ne pouvait supporter le nom de la pauvreté. Cependant, lui dis­je, lorsqu'il n'est question que du plus ou du moins, je ne la crois pas capable de m'abandonner pour un autre. Je suis en état de ne la laisser manquer de rien, et je compte que ma fortune va croître de jour en jour. Je ne crains qu'une chose, ajoutai­je, c'est que G... M... ne se serve de la connaissance qu'il a de notre demeure pour nous rendre quelque mauvais office. M. de T... m'assura que je devais être sans

appréhension de ce côté­là que G... M... était capable d'une folie amoureuse, mais qu'il ne l'était point d'une bassesse; que s'il avait la lâcheté d'en commettre une, il serait le premier lui qui parlait, à l'en punir et à réparer par là le malheur qu'il avait eu d'y donner occasion. Je vous suis obligé de ce sentiment, repris­je, mais le mal serait fait et le remède fort incertain. Ainsi le parti le plus sage est de le prévenir, en quittant Chaillot pour prendre une autre demeure. Oui, reprit M. de T... Mais vous aurez peine à le faire aussi promptement qu'il faudrait, car G... M... doit être ici à midi; il me le dit hier et c'est ce qui m'a porté à venir si matin, pour vous informer de ses vues. Il peut arriver à tout moment. Un avis si pressant me fit regarder cette affaire d'un

œil plus sérieux. Comme il me semblait impossible d'éviter la visite de G... M..., et qu'il me le serait aussi, sans doute, d'empêcher qu'il ne s'ouvrît à Manon, je pris le parti de la prévenir moi­même sur le dessein de ce

"We were not able, however, to carry this intention into effect; for, having taken me aside, 'I have been in the greatest embarrassment,' said he to me, 'since I saw you, and that is the cause of my visiting you today. G—— M—— is in love with your mistress: he told me so in confidence; I am his intimate friend, and disposed to do him any service in my power; but I am not less devoted to you; his designs appeared to me unjustifiable, and I expressed my disapprobation of them; I should not have divulged his secret, if he had only intended to use fair and ordinary means for gaining Manon's affections; but he is aware of her capricious disposition; he has learned, God knows how, that her ruling passion is for affluence and pleasure; and, as he is already in possession of a considerable fortune, he declared his intention of tempting her at once with a present of great value, and the offer of an annuity of six thousand francs; if I had in all other points considered you both in an equal light, I should have had perhaps to do more violence to my feelings in betraying him: but a sense of justice as well as of friendship was on your side, and the more so from having been myself the imprudent, though unconscious, cause of his passion in introducing him here. I feel it my duty therefore to avert any evil consequences from the mischief I have inadvertently caused. "I thanked M. de T—— for rendering me so important a

service, and confessed to him, in a like spirit of confidence, that Manon's disposition was precisely what G—— M—— had imagined; that is to say, that she was incapable of enduring even the thought of poverty. 'However,' said I to him, 'when it is a mere question of more or less, I do not believe that she would give me up for any other person; I can afford to let her want for nothing, and I have from day to day reason to hope that my fortune will improve; I only dread one thing,' continued I, 'which is, that G—— M—— may take unfair advantage of the knowledge he has of our place of residence, and bring us into trouble by disclosing it.' "M. de T—— assured me that I might be perfectly easy

upon that head; that G—— M—— might be capable of a silly passion, but not of an act of baseness; that if he ever could be villain enough for such a thing, he, de T——, would be the first to punish him, and by that means make reparation for the mischief he had occasioned. 'I feel grateful for what you say,' said I, 'but the mischief will have been all done, and the remedy even seems doubtful; the wisest plan therefore will be to quit Chaillot, and go to reside elsewhere.' 'Very true,' said M. de T——, 'but you will not be able to do it quickly enough, for G—— M—— is to be here at noon; he told me so yesterday, and it was that intelligence that made me come so early this morning to inform you of his intentions. You may expect him every moment.'" "The urgency of the occasion made me view this matter

in a more serious light. As it seemed to me impossible to escape the visit of G—— M——, and perhaps equally so to prevent him from making his declaration to Manon, I resolved to tell her beforehand of the designs of my new

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nouveau rival. Je m'imaginai que, me sachant instruit des propositions qu'il lui ferait, et les recevant à mes yeux, elle aurait assez de force pour les rejeter. Je découvris ma pensée à M. de T..., qui me répondit que cela était extrêmement délicat. Je l'avoue, lui dis­je, mais toutes les raisons qu'on peut avoir d'être sûr d'une maîtresse, je les ai de compter sur l'affection de la mienne. Il n'y aurait que la grandeur des offres qui pût l'éblouir, et je vous ai dit qu'elle ne connaît point l'intérêt. Elle aime ses aises, mais elle m'aime aussi, et, dans la situation où sont mes affaires, je ne saurais croire qu'elle me préfère le fils d'un homme qui l'a mise à l'Hôpital. En un mot, je persistai dans mon dessein, et m'étant retiré à l'écart avec Manon, je lui déclarai naturellement tout ce que je venais d'apprendre. Elle me remercia de la bonne opinion que j'avais d'elle,

et elle me promit de recevoir les offres de G... M... d'une manière qui lui ôterait l'envie de les renouveler. Non, lui dis­je, il ne faut pas l'irriter par une brusquerie. Il peut nous nuire. Mais tu sais assez, toi, friponne, ajoutai­je en riant, comment te défaire d'un amant désagréable ou incommode. Elle reprit, après avoir un peu rêvé: Il me vient un dessein admirable, s'écria­t­elle, et je suis toute glorieuse de l'invention. G... M... est le fils de notre plus cruel ennemi; il faut nous venger du père, non pas sur le fils, mais sur sa bourse. Je veux l'écouter accepter ses présents, et me moquer de lui. Le projet est joli, lui dis­je, mais tu ne songes pas, mon

pauvre enfant, que c'est le chemin qui nous a conduits droit à l'Hôpital. J'eus beau lui représenter le péril de cette entreprise, elle me dit qu'il ne s'agissait que de bien prendre nos mesures, et elle répondit à toutes mes objections. Donnez­moi un amant qui n'entre point aveuglément dans tous les caprices d'une maîtresse adorée, et je conviendrai que j'eus tort de céder si facilement. La résolution fut prise de faire une dupe de G... M..., et par un tour bizarre de mon sort, il arriva que je devins la sienne. Nous vîmes paraître son carrosse vers les onze heures.

Il nous fit des compliments fort recherchés sur la liberté qu'il prenait de venir dîner avec nous. Il ne fut pas surpris de trouver M. de T..., qui lui avait promis la veille de s'y rendre aussi, et qui avait feint quelques affaires pour se dispenser de venir dans la même voiture. Quoiqu'il n'y eût pas un seul de nous qui ne portât la trahison dans le cœur, nous nous mîmes à table avec un air de confiance et d'amitié. G... M... trouva aisément l'occasion de déclarer ses sentiments à Manon. Je ne dus pas lui paraître gênant, car je m'absentai exprès pendant quelques minutes. Je m'aperçus, à mon retour qu'on ne l'avait pas

désespéré par un excès de rigueur. Il était de la meilleure humeur du monde. J'affectai de le paraître aussi. Il riait intérieurement de ma simplicité, et moi de la sienne.

rival. I fancied that when she knew I was aware of the offers that would be made to her, and made probably in my presence, she would be the more likely to reject them. I told M. de T—— of my intention, and he observed that he thought it a matter of extreme delicacy. 'I admit it,' said I, 'but no man ever had more reason for confiding in a mistress, than I have for relying on the affection of mine. The only thing that could possibly for a moment blind her, is the splendour of his offers; no doubt she loves her ease, but she loves me also; and in my present circumstances, I cannot believe that she would abandon me for the son of the man who had incarcerated her in the Magdalen.' In fine, I persisted in my intentions, and taking Manon aside, I candidly told her what I had learned. "She thanked me for the good opinion I entertained of

her, and promised to receive G—— M——'s offers in a way that should prevent a repetition of them. 'No,' said I, 'you must not irritate him by incivility: he has it in his power to injure us. But you know well enough, you little rogue,' continued I, smiling, 'how to rid yourself of a disagreeable or useless lover!' After a moment's pause she said: 'I have just thought of an admirable plan, and I certainly have a fertile invention. G—— M—— is the son of our bitterest enemy: we must avenge ourselves on the father, not through the son's person, but through his purse. My plan is to listen to his proposals, accept his presents, and then laugh at him.' "'The project is not a bad one,' said I to her; 'but you

forget, my dear child, that it is precisely the same course that conducted us formerly to the penitentiary.' I represented to her the danger of such an enterprise; she replied, that the only thing necessary was to take our measures with caution, and she found an answer to every objection I started. 'Show me the lover who does not blindly humour every whim of an adored mistress, and I will then allow that I was wrong in yielding so easily on this occasion.' The resolution was taken to make a dupe of G——M——, and by an unforeseen and unlucky turn of fortune, I became the victim myself. "About eleven o'clock his carriage drove up to the door.

He made the most complaisant and refined speeches upon the liberty he had taken of coming to dine with us uninvited. He was not surprised at meeting M. de T——, who had the night before promised to meet him there, and who had, under some pretext or other, refused a seat in his carriage. Although there was not a single person in the party who was not at heart meditating treachery, we all sat down with an air of mutual confidence and friendship. G—— M—— easily found an opportunity of declaring his sentiments to Manon. I did not wish to annoy him by appearing vigilant, so I left the room purposely for several minutes. "I perceived on my return that he had not had to

encounter any very discouraging austerity on Manon's part, for he was in the best possible spirits. I affected good humour also. He was laughing in his mind at my

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Pendant tout l'après­midi, nous fûmes l'un pour l'autre une scène fort agréable. Je lui ménageai encore, avant son départ, un moment d'entretien particulier avec Manon, de sorte qu'il eut lieu de s'applaudir de ma complaisance autant que de la bonne chère. Aussitôt qu'il fut monté en carrosse avec M. de T...,

Manon accourut à moi, les bras ouverts, et m'embrassa en éclatant de rire. Elle me répéta ses discours et ses propositions, sans y changer un mot. Ils se réduisaient à ceci: il l'adorait. Il voulait partager avec elle quarante mille livres de rente dont il jouissait déjà, sans compter ce qu'il attendait après la mort de son père. Elle allait être maîtresse de son cœur et de sa fortune, et, pour gage de ses bienfaits, il était prêt à lui donner un carrosse, un hôtel meublé, une femme de chambre, trois laquais et un cuisinier. Voilà un fils, dis­je à Manon, bien autrement généreux

que son père. Parlons de bonne foi, ajoutai­je; cette offre ne vous tente­t­elle point? Moi? répondit­elle, en ajustant à sa pensée deux vers de Racine: Moi! vous me soupçonnez de cette perfidie? Moi! je pourrais souffrir un visage odieux, Qui rappelle toujours l'Hôpital à mes yeux?

Non, repris­je, en continuant la parodie:

J'aurais peine à penser que l'Hôpital, Madame,

Fût un trait dont l'Amour l'eût gravé dans votre âme. Mais c'en est un bien séduisant qu'un hôtel meublé

avec un carrosse et trois laquais; et l'amour en a peu d'aussi forts. Elle me protesta que son cœur était à moi pour

toujours, et qu'il ne recevrait jamais d'autres traits que les miens. Les promesses qu'il m'a faites, me dit­elle, sont un aiguillon de vengeance, plutôt qu'un trait d'amour. Je lui demandai si elle était dans le dessein d'accepter l'hôtel et le carrosse. Elle me répondit qu'elle n'en voulait qu'à son argent. La difficulté était d'obtenir l'un sans l'autre. Nous

résolûmes d'attendre l'entière explication du projet de G... M..., dans une lettre qu'il avait promis de lui écrire. Elle la reçut en effet le lendemain, par un laquais sans livrée, qui se procura fort adroitement l'occasion de lui parler sans témoins. Elle lui dit d'attendre sa réponse, et elle vint

m'apporter aussitôt sa lettre. Nous l'ouvrîmes ensemble. Outre les lieux communs de tendresse, elle contenait le

détail des promesses de mon rival. Il ne bornait point sa dépense. Il s'engageait à lui compter dix mille francs, en prenant possession de l'hôtel, et à réparer tellement les

simplicity, while I was not less diverted by his own. During the whole evening we were thus supplying to each other an inexhaustible fund of amusement. I contrived, before his departure, to let him have Manon for another moment to himself; so that he had reason to applaud my complaisance, as well as the hospitable reception I had given him. "As soon as he got into his carriage with M. de T——,

Manon ran towards me with extended arms, and embraced me; laughing all the while immoderately. She repeated all his speeches and proposals, without altering a word. This was the substance: He of course adored her; and wished to share with her a large fortune of which he was already in possession, without counting what he was to inherit at his father's death. She should be sole mistress of his heart and fortune; and as an immediate token of his liberality, he was ready at once to supply her with an equipage, a furnished house, a lady's maid, three footmen, and a man­cook. "'There is indeed a son,' said I, 'very different from his

father! But tell me truly, now, does not such an offer tempt you?' 'Me!' she replied, adapting to the idea two verses from Racine— Moi! vous me soupconnez de cette perfidie? Moi! je pourrais souffrir un visage odieux, Qui rappelle toujours l'Hopital a mes yeux?

'No!' replied I, continuing the parody—

J'aurais peine a penser que l'Hopital, madame,

Fut un trait dont l'amour l'eut grave dans votre ame. 'But it assuredly is a temptation—a furnished house, a

lady's maid, a cook, a carriage, and three servants—gallantry can offer but few more seductive temptations.' "She protested that her heart was entirely mine, and

that it was for the future only open to the impressions I chose to make upon it. 'I look upon his promises,' said she, 'as an instrument for revenge, rather than as a mark of love.' I asked her if she thought of accepting the hotel and the carriage. She replied that his money was all she wanted." The difficulty was, how to obtain the one without the

other; we resolved to wait for a detailed explanation of the whole project in a letter which G—— M—— promised to write to her, and which in fact she received next morning by a servant out of livery, who, very cleverly, contrived an opportunity of speaking to her alone. She told him to wait for an answer, and immediately

brought the letter to me: we opened it together. "Passing over the usual commonplace expressions of

tenderness, it gave a particular detail of my rival's promises. There were no limits to the expense. He engaged to pay her down ten thousand francs on her

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diminutions de cette somme, qu'elle l'eût toujours devant elle en argent comptant. Le jour de l'inauguration n'était pas reculé trop loin: il ne lui en demandait que deux pour les préparatifs, et il lui marquait le nom de la rue et de l'hôtel, où il lui promettait de l'attendre l'après­midi du second jour si elle pouvait se dérober de mes mains. C'était l'unique point sur lequel il la conjurait de le tirer d'inquiétude; il paraissait sûr de tout le reste, mais il ajoutait que, si elle prévoyait de la difficulté à m'échapper, il trouverait le moyen de rendre sa fuite aisée. G... M... était plus fin que son père; il voulait tenir sa

proie avant que de compter ses espèces. Nous délibérâmes sur la conduite que Manon avait à tenir Je fis encore des efforts pour lui ôter cette entreprise de la tête et je lui en représentai tous les dangers. Rien ne fut capable d'ébranler sa résolution. Elle fit une courte réponse à G... M..., pour l'assurer

qu'elle ne trouverait pas de difficulté à se rendre à Paris le jour marqué, et qu'il pouvait l'attendre avec certitude. Nous réglâmes ensuite que je partirais sur­le­champ

pour aller louer un nouveau logement dans quelque village, de l'autre côté de Paris, et que je transporterais avec moi notre petit équipage; que le lendemain après­midi, qui était le temps de son assignation, elle se rendrait de bonne heure à Paris; qu'après avoir reçu les présents de G... M..., elle le prierait instamment de la conduire à la Comédie; qu'elle prendrait avec elle tout ce qu'elle pourrait porter de la somme, et qu'elle chargerait du reste mon valet, qu'elle voulait mener avec elle. C'était toujours le même qui l'avait délivrée de l'Hôpital, et qui nous était infiniment attaché. Je devais me trouver avec un fiacre, à l'entrée de la rue Saint­André­des­Arcs, et l'y laisser vers les sept heures, pour m'avancer dans l'obscurité à la porte de la Comédie. Manon me promettait d'inventer des prétextes pour sortir un instant de sa loge, et de l'employer à descendre pour me rejoindre. L'exécution du reste était facile. Nous aurions regagné mon fiacre en un moment, et nous serions sortis de Paris par le faubourg Saint­Antoine, qui était le chemin de notre nouvelle demeure. Ce dessein, tout extravagant qu'il était, nous parut

assez bien arrangé. Mais il y avait, dans le fond, une folle imprudence à s'imaginer que, quand il eût réussi le plus heureusement du monde, nous eussions jamais pu nous mettre à couvert des suites. Cependant, nous nous exposâmes avec la plus téméraire confiance. Manon partit avec Marcel: c'est ainsi que se nommait notre valet. Je la vis partir avec douleur. Je lui dis en l'embrassant: Manon, ne me trompez point; me serez­vous fidèle? Elle se plaignit tendrement de ma défiance, et elle me renouvela tous ses serments. Son compte était d'arriver à Paris sur les trois heures.

taking possession of the hotel, and to supply her expenditure in such a way as that she should never have less than that sum at her command. The appointed day for her entering into possession was close at hand. He only required two days for all his preparations, and he mentioned the name of the street and the hotel, where he promised to be in waiting for her in the afternoon of the second day, if she could manage to escape my vigilance. That was the only point upon which he begged of her to relieve his uneasiness; he seemed to be quite satisfied upon every other: but he added that, if she apprehended any difficulty in escaping from me, he could find sure means for facilitating her flight. "G—— M—— the younger was more cunning than the

old gentleman. He wanted to secure his prey before he counted out the cash. We considered what course Manon should adopt. I made another effort to induce her to give up the scheme, and strongly represented all its dangers; nothing, however, could shake her determination. "Her answer to G—— M—— was brief, merely assuring

him that she could be, without the least difficulty, in Paris on the appointed day and that he might expect her with certainty. "We then resolved, that I should instantly hire lodgings

in some village on the other side of Paris, and that I should take our luggage with me; that in the afternoon of the following day, which was the time appointed, she should go to Paris; that, after receiving G—— M——'s presents, she should earnestly entreat him to take her to the theatre; that she should carry with her as large a portion of the money as she could, and charge my servant with the remainder, for it was agreed that he was to accompany her. He was the man who had rescued her from the Magdalen, and he was devotedly attached to us. I was to be with a hackney­coach at the end of the street of St. Andre­des­arcs, and to leave it there about seven o'clock, while I stole, under cover of the twilight, to the door of the theatre. Manon promised to make some excuse for quitting her box for a moment, when she would come down and join me. The rest could be easily done. We were then to return to my hackney­coach, and quit Paris by the Faubourg St. Antoine, which was the road to our new residence. "This plan, extravagant as it was, appeared to us

satisfactorily arranged. But our greatest folly was in imagining that, succeed as we might in its execution, it would be possible for us to escape the consequences. Nevertheless, we exposed ourselves to all risk with the blindest confidence. Manon took her departure with Marcel—so was the servant called. I could not help feeling a pang as she took leave of me. 'Manon,' said I, 'do not deceive me; will you be faithful to me?' She complained, in the tenderest tone, of my want of confidence, and renewed all her protestations of eternal love. "She was to be in Paris at three o'clock. I went some

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Je partis après elle. J'allais me morfondre, le reste de l'après­midi, dans le café de Féré, au pont Saint­Michel; j'y demeurai jusqu'à la nuit. J'en sortis alors pour prendre un fiacre, que je postai, suivant notre projet, à l'entrée de la rue Saint­André­des­Arcs; ensuite je gagnai à pied la porte de la Comédie. Je fus surpris de n'y pas trouver Marcel, qui devait être à m'attendre. Je pris patience pendant une heure, confondu dans une foule de laquais, et l'œil ouvert sur tous les passants. Enfin, sept heures étant sonnées, sans que j'eusse rien aperçu qui eût rapport à nos desseins, je pris un billet de parterre pour aller voir si je découvrirais Manon et G... M... dans les loges. Ils n'y étaient ni l'un ni l'autre. Je retournai à la porte, où je passai encore un quart d'heure, transporté d'impatience et d'inquiétude. N'ayant rien vu paraître, je rejoignis mon fiacre, sans pouvoir m'arrêter à la moindre résolution. Le cocher, m'ayant aperçu, vint quelques pas au­devant de moi pour me dire, d'un air mystérieux, qu'une jolie demoiselle m'attendait depuis une heure dans le carrosse; qu'elle m'avait demandé, à des signes qu'il avait bien reconnus, et qu'ayant appris que je devais revenir elle avait dit qu'elle ne s'impatienterait point à m'attendre. Je me figurai aussitôt que c'était Manon. J'approchai;

mais je vis un joli petit visage, qui n'était pas le sien. C'était une étrangère, qui me demanda d'abord si elle n'avait pas l'honneur de parler à M. le chevalier des Grieux. Je lui dis que c'était mon nom. J'ai une lettre à vous rendre, reprit­elle, qui vous instruira du sujet qui m'amène, et par quel rapport j'ai l'avantage de connaître votre nom. Je la priai de me donner le temps de la lire dans un cabaret voisin. Elle voulut me suivre, et elle me conseilla de demander une chambre à part. De qui vient cette lettre? lui dis­je en montant: elle me remit à la lecture. Je reconnus la main de Manon. Voici à peu près ce

qu'elle me marquait: G... M... l'avait reçue avec une politesse et une magnificence au­delà de toutes ses idées. Il l'avait comblée de présents; il lui faisait envisager un sort de reine. Elle m'assurait néanmoins qu'elle ne m'oubliait pas dans cette nouvelle splendeur; mais que, n'ayant pu faire consentir G... M... à la mener ce soir à la Comédie, elle remettait à un autre jour le plaisir de me voir; et que, pour me consoler un peu de la peine qu'elle prévoyait que cette nouvelle pouvait me causer, elle avait trouvé le moyen de me procurer une des plus jolies filles de Paris, qui serait la porteuse de son billet. Signé, votre fidèle amante, MANON LESCAUT. Il y avait quelque chose de si cruel et de si insultant

pour moi dans cette lettre, que demeurant suspendu quelque temps entre la colère et la douleur j'entrepris de faire un effort pour oublier éternellement mon ingrate et parjure maîtresse. Je jetai les yeux sur la fille qui était devant moi: elle était extrêmement jolie, et j'aurais souhaité qu'elle l'eût été assez pour me rendre parjure et infidèle à mon tour. Mais je n'y trouvai point ces yeux fins et languissants, ce port divin, ce teint de la composition de

time after. I spent the remainder of the afternoon moping in the Cafe de Fere, near the Pont St. Michel. I remained there till nightfall. I then hired a hackney­coach, which I placed, according to our plan, at the end of the street of St. Andre­des­arcs, and went on foot to the door of the theatre. I was surprised at not seeing Marcel, who was to have been there waiting for me. I waited patiently for a full hour, standing among a crowd of lackeys, and gazing at every person that passed. At length, seven o'clock having struck, without my being able to discover anything or any person connected with our project, I procured a pit ticket, in order to ascertain if Manon and G—— M—— were in the boxes. Neither one nor the other could I find. I returned to the door, where I again stopped for a quarter of an hour, in an agony of impatience and uneasiness. No person appeared, and I went back to the coach, without knowing what to conjecture. The coachman, seeing me, advanced a few paces towards me, and said, with a mysterious air, that a very handsome young person had been waiting more than an hour for me in the coach; that she described me so exactly that he could not be mistaken, and having learned that I intended to return, she said she would enter the coach and wait with patience. "I felt confident that it was Manon. I approached. I

beheld a very pretty face, certainly, but alas, not hers. The lady asked, in a voice that I had never before heard, whether she had the honour of speaking to the Chevalier des Grieux? I answered, 'That is my name.' 'I have a letter for you,' said she, 'which will tell you what has brought me here, and by what means I learned your name.' I begged she would allow me a few moments to read it in an adjoining cafe. She proposed to follow me, and advised me to ask for a private room, to which I consented. 'Who is the writer of this letter?' I enquired. She referred me to the letter itself. "I recognised Manon's hand. This is nearly the

substance of the letter: G—— M—— had received her with a politeness and magnificence beyond anything she had previously conceived. He had loaded her with the most gorgeous presents. She had the prospect of almost imperial splendour. She assured me, however, that she could not forget me amidst all this magnificence; but that, not being able to prevail on G—— M—— to take her that evening to the play, she was obliged to defer the pleasure of seeing me; and that, as a slight consolation for the disappointment which she feared this might cause me, she had found a messenger in one of the loveliest girls in all Paris. She signed herself, 'Your loving and constant, MANON LESCAUT.' "There was something so cruel and so insulting in the

letter, that, what between indignation and grief, I resolutely determined to forget eternally my ungrateful and perjured mistress. I looked at the young woman who stood before me: she was exceedingly pretty, and I could have wished that she had been sufficiently so to render me inconstant in my turn. But there were wanting those lovely and languishing eyes, that divine gracefulness, that exquisite complexion, in fine, those innumerable charms

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l'Amour, enfin ce fonds inépuisable de charmes que la nature avait prodigués à la perfide Manon. Non, non, lui dis­je en cessant de la regarder, l'ingrate qui vous envoie savait fort bien qu'elle vous faisait faire une démarche inutile. Retournez à elle, et dites­lui de ma part qu'elle jouisse de son crime, et qu'elle en jouisse, s'il se peut, sans remords. Je l'abandonne sans retour et je renonce en même temps à toutes les femmes, qui ne sauraient être aussi aimables qu'elle, et qui sont, sans doute, aussi lâches et d'aussi mauvaise foi. Je fus alors sur le point de descendre et de me retirer

sans prétendre davantage à Manon, et la jalousie mortelle qui me déchirait le cœur se déguisant en une morne et sombre tranquillité, je me crus d'autant plus proche de ma guérison que je ne sentais nul de ces mouvements violents dont j'avais été agité dans les mêmes occasions. Hélas! j'étais la dupe de l'amour autant que je croyais l'être de G... M... et de Manon. Cette fille qui m'avait apporté la lettre, me voyant prêt

à descendre l'escalier me demanda ce que je voulais donc qu'elle rapportât à M. de G... M... et à la dame qui était avec lui. Je rentrai dans la chambre à cette question, et par un changement incroyable à ceux qui n'ont jamais senti de passions violentes, je me trouvai, tout d'un coup, de la tranquillité où je croyais être, dans un transport terrible de fureur. Va, lui dis­je, rapporte au traître G... M... et à sa perfide maîtresse le désespoir où ta maudite lettre m'a jeté, mais apprends­leur qu'ils n'en riront pas longtemps, et que je les poignarderai tous deux de ma propre main. Je me jetai sur une chaise. Mon chapeau tomba d'un côté, et ma canne de l'autre. Deux ruisseaux de larmes amères commencèrent à couler de mes yeux. L'accès de rage que je venais de sentir se changea dans une profonde douleur; je ne fis plus que pleurer en poussant des gémissements et des soupirs. Approche, mon enfant, approche, m'écriai­je en parlant à la jeune fille; approche, puisque c'est toi qu'on envoie pour me consoler. Dis­moi si tu sais des consolations contre la rage et le désespoir, contre l'envie de se donner la mort à soi­même, après avoir tué deux perfides qui ne méritent pas de vivre. Oui, approche, continuai­je, en voyant qu'elle faisait vers moi quelques pas timides et incertains. Viens essuyer mes larmes, viens rendre la paix à mon cœur, viens me dire que tu m'aimes, afin que je m'accoutume à l'être d'une autre que de mon infidèle. Tu es jolie, je pourrais peut­être t'aimer à mon tour. Cette pauvre enfant, qui n'avait pas seize ou dix­sept ans, et qui paraissait avoir plus de pudeur que ses pareilles, était extraordinairement surprise d'une si étrange scène. Elle s'approcha néanmoins pour me faire quelques caresses, mais je l'écartai aussitôt, en la repoussant de mes mains. Que veux­tu de moi? lui dis­je. Ah! tu es une femme, tu es d'un sexe que je déteste et que je ne puis plus souffrir. La douceur de ton visage me menace encore de quelque trahison. Va­t'en et laisse­moi seul ici. Elle me fit une révérence, sans oser rien dire, et elle se tourna pour sortir. Je lui criai de s'arrêter Mais apprends­moi du moins, repris­je, pourquoi, comment, à quel dessein tu as été envoyée ici. Comment as­tu découvert mon nom et le lieu

which nature had so profusely lavished upon the perfidious Manon. 'No, no,' said I, turning away from her; 'the ungrateful wretch who sent you knew in her heart that she was sending you on a useless errand. Return to her; and tell her from me, to triumph in her crime, and enjoy it, if she can, without remorse. I abandon her in despair, and, at the same time, renounce all women, who, without her fascination, are no doubt her equals in baseness and infidelity.' "I was then on the point of going away, determined

never to bestow another thought on Manon: the mortal jealousy that was racking my heart lay concealed under a dark and sullen melancholy, and I fancied, because I felt none of those violent emotions which I had experienced upon former occasions, that I had shaken off my thraldom. Alas! I was even at that moment infinitely more the dupe of love, than of G—— M—— and Manon. "The girl who had brought the letter, seeing me about

to depart, asked me what I wished her to say to M. G—— M——, and to the lady who was with him? At this question, I stepped back again into the room, and by one of those unaccountable transitions that are only known to the victims of violent passion, I passed in an instant from the state of subdued tranquillity which I have just described, into an ungovernable fury 'Away!' said I to her, 'tell the traitor G—— M——and his abandoned mistress the state of despair into which your accursed mission has cast me; but warn them that it shall not be long a source of amusement to them, and that my own hands shall be warmed with the heart's blood of both!' I sank back upon a chair; my hat fell on one side, and my cane upon the other: torrents of bitter tears rolled down my cheeks. The paroxysm of rage changed into a profound and silent grief: I did nothing but weep and sigh. 'Approach, my child, approach,' said I to the young girl; 'approach, since it is you they have sent to bring me comfort; tell me whether you have any balm to administer for the pangs of despair and rage—any argument to offer against the crime of self­destruction, which I have resolved upon, after ridding the world of two perfidious monsters. Yes, approach,' continued I, perceiving that she advanced with timid and doubtful steps; 'come and dry my sorrows; come and restore peace to my mind; come and tell me that at least you love me: you are handsome—I may perhaps love you in return.' The poor child, who was only sixteen or seventeen years of age, and who appeared more modest than girls of her class generally are, was thunderstruck at this unusual scene. She however gently approached to caress me, when with uplifted hands I rudely repulsed her. 'What do you wish with me?' exclaimed I to her. 'Ah! you are a woman, and of a sex I abhor, and can no longer tolerate; the very gentleness of your look threatens me with some new treason. Go, leave me here alone!' She made me a curtsy without uttering a word, and turned to go out. I called to her to stop: 'Tell me at least,' said I, 'wherefore— how—with what design they sent you here? how did you discover my name, or the place where you could find me?'

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où tu pouvais me trouver? Elle me dit qu'elle connaissait de longue main M. de

G... M...; qu'il l'avait envoyé chercher à cinq heures, et qu'ayant suivi le laquais qui l'avait avertie, elle était allée dans une grande maison, où elle l'avait trouvé qui jouait au piquet avec une jolie dame, et qu'ils l'avaient chargée tous deux de me rendre la lettre qu'elle m'avait apportée, après lui avoir appris qu'elle me trouverait dans un carrosse au bout de la rue Saint­André. Je lui demandai s'ils ne lui avaient rien dit de plus. Elle me répondit, en rougissant, qu'ils lui avaient fait espérer que je la prendrais pour me tenir compagnie. On t'a trompée, lui dis­je; ma pauvre fille, on t'a trompée. Tu es une femme, il te faut un homme; mais il t'en faut un qui soit riche et heureux, et ce n'est pas ici que tu le peux trouver Retourne, retourne à M. de G... M... Il a tout ce qu'il faut pour être aimé des belles; il a des hôtels meublés et des équipages à donner. Pour moi, qui n'ai que de l'amour et de la constance à offrir les femmes méprisent ma misère et font leur jouet de ma simplicité. J'ajoutai mille choses, ou tristes ou violentes, suivant

que les passions qui m'agitaient tour à tour cédaient ou emportaient le dessus. Cependant, à force de me tourmenter mes transports diminuèrent assez pour faire place à quelques réflexions. Je comparai cette dernière infortune à celles que j'avais déjà essuyées dans le même genre, et je ne trouvai pas qu'il y eût plus à désespérer que dans les premières. Je connaissais Manon; pourquoi m'affliger tant d'un malheur que j'avais dû prévoir? Pourquoi ne pas m'employer plutôt à chercher du remède? Il était encore temps. Je devais du moins n'y pas épargner mes soins, si je ne voulais avoir à me reprocher d'avoir contribué, par ma négligence, à mes propres peines. Je me mis là­dessus à considérer tous les moyens qui pouvaient m'ouvrir un chemin à l'espérance. Entreprendre de l'arracher avec violence des mains de

G... M..., c'était un parti désespéré, qui n'était propre qu'à me perdre et qui n'avait pas la moindre apparence de succès. Mais il me semblait que si j'eusse pu me procurer le moindre entretien avec elle, j'aurais gagné infailliblement quelque chose sur son cœur. J'en connaissais si bien tous les endroits sensibles! J'étais si sûr d'être aimé d'elle! Cette bizarrerie même de m'avoir envoyé une jolie fille pour me consoler, j'aurais parié qu'elle venait de son invention, et que c'était un effet de sa compassion pour mes peines. Je résolus d'employer toute mon industrie pour la voir

Parmi quantité de voies que j'examinai l'une après l'autre, je m'arrêtai à celle­ci. M. de T... avait commencé à me rendre service avec trop d'affection pour me laisser le moindre doute de sa sincérité et de son zèle. Je me proposai d'aller chez lui sur­le­champ, et de l'engager à faire appeler G... M..., sous le prétexte d'une affaire importante. Il ne me fallait qu'une demi­heure pour parler à Manon. Mon dessein était de me faire introduire dans sa chambre même, et je crus que cela me serait aisé dans

"She told me that she had long known M. G—— M——;

that he had sent for her that evening about five o'clock; and that, having followed the servant who had been dispatched to her, she was shown into a large house, where she found him playing at picquet with a beautiful young woman; and that they both charged her to deliver the letter into my hands, after telling her that she would find me in a hackney­coach at the bottom of the street of St. Andre. I asked if they had said nothing more. She blushed while she replied, that they had certainly made her believe that I should be glad of her society. 'They have deceived you too,' said I, 'my poor girl—they have deceived you; you are a woman, and probably wish for a lover; but you must find one who is rich and happy, and it is not here you will find him. Return, return to M. G—— M——; he possesses everything requisite to make a man beloved. He has furnished houses and equipages to bestow, while I, who have nothing but constancy of love to offer, am despised for my poverty, and laughed at for my simplicity.' "I continued in a tone of sorrow or violence, as these

feelings alternately took possession of my mind. However, by the very excess of my agitation, I became gradually so subdued as to be able calmly to reflect upon the situation of affairs. I compared this new misfortune with those which I had already experienced of the same kind, and I could not perceive that there was any more reason for despair now, than upon former occasions. I knew Manon: why then distress myself on account of a calamity which I could not but have plainly foreseen? Why not rather think of seeking a remedy? there was yet time; I at least ought not to spare my own exertions, if I wished to avoid the bitter reproach of having contributed, by my own indolence, to my misery. I thereupon set about considering every means of raising a gleam of hope. "To attempt to take her by main force from the hands

of G——M—— was too desperate a project, calculated only to ruin me, and without the slightest probability of succeeding. But it seemed to me that if I could ensure a moment's interview with her, I could not fail to regain my influence over her affections. I so well knew how to excite her sensibilities! I was so confident of her love for me! The very whim even of sending me a pretty woman by way of consoling me, I would stake my existence, was her idea, and that it was the suggestion of her own sincere sympathy for my sufferings. "I resolved to exert every nerve to procure an

interview. After a multitude of plans which I canvassed one after another, I fixed upon the following: M. de T—— had shown so much sincerity in the services he had rendered me, that I could not entertain a doubt of his zeal and good faith. I proposed to call upon him at once, and make him send for G—— M——, under pretence of some important business. Half an hour would suffice to enable me to see Manon. I thought it would not be difficult to get introduced into her apartment during G—— M——'s

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l'absence de G... M... Cette résolution m'ayant rendu plus tranquille, je payai

libéralement la jeune fille, qui était encore avec moi, et pour lui ôter l'envie de retourner chez ceux qui me l'avaient envoyée, je pris son adresse, en lui faisant espérer que j'irais passer la nuit avec elle. Je montai dans mon fiacre, et je me fis conduire à grand train chez M. de T... Je fus assez heureux pour l'y trouver J'avais eu, là­dessus, de l'inquiétude en chemin. Un mot le mit au fait de mes peines et du service que je venais lui demander. Il fut si étonné d'apprendre que G... M... avait pu

séduire Manon, qu'ignorant que j'avais eu part moi­même à mon malheur il m'offrit généreusement de rassembler tous ses amis, pour employer leurs bras et leurs épées à la délivrance de ma maîtresse. Je lui fis comprendre que cet éclat pouvait être pernicieux à Manon et à moi. Réservons notre sang, lui dis­je, pour l'extrémité. Je médite une voie plus douce et dont je n'espère pas moins de succès. Il s'engagea, sans exception, à faire tout ce que je demanderais de lui; et lui ayant répété qu'il ne s'agissait que de faire avertir G... M... qu'il avait à lui parler et de le tenir dehors une heure ou deux, il partit aussitôt avec moi pour me satisfaire. Nous cherchâmes de quel expédient il pourrait se

servir pour l'arrêter si longtemps. Je lui conseillai de lui écrire d'abord un billet simple, daté d'un cabaret, par lequel il le prierait de s'y rendre aussitôt, pour une affaire si importante qu'elle ne pouvait souffrir de délai. J'observerai, ajoutai­je, le moment de sa sortie, et je m'introduirai sans peine dans la maison, n'y étant connu que de Manon et de Marcel, qui est mon valet. Pour vous, qui serez pendant ce temps­là avec G... M..., vous pourrez lui dire que cette affaire importante, pour laquelle vous souhaitez de lui parler est un besoin d'argent, que vous venez de perdre le vôtre au jeu, et que vous avez joué beaucoup plus sur votre parole, avec le même malheur. Il lui faudra du temps pour vous mener à son coffre­fort, et j'en aurai suffisamment pour exécuter mon dessein. M. de T... suivit cet arrangement de point en point. Je

le laissai dans un cabaret, où il écrivit promptement sa lettre. J'allai me placer à quelques pas de la maison de

Manon. Je vis arriver le porteur du message, et G... M... sortir à pied, un moment après, suivi d'un laquais. Lui ayant laissé le temps de s'éloigner de la rue, je m'avançai à la porte de mon infidèle, et malgré toute ma colère, je frappai avec le respect qu'on a pour un temple. Heureusement, ce fut Marcel qui vint m'ouvrir. Je lui fis signe de se taire. Quoique je n'eusse rien à craindre des autres domestiques, je lui demandais tout bas s'il pouvait me conduire dans la chambre où était Manon, sans que je fusse aperçu. Il me dit que cela était aisé en montant doucement par le grand escalier. Allons donc promptement, lui dis­je, et tâche d'empêcher, pendant

absence. "This determination pacified me, and I gave a liberal

present to the girl, who was still with me; and in order to prevent her from returning to those who had sent her, I took down her address, and half promised to call upon her at a later hour. I then got into the hackney­coach, and drove quickly to M. de T——'s. I was fortunate enough to find him at home. I had been apprehensive upon this point as I went along. A single sentence put him in possession of the whole case, as well of my sufferings, as of the friendly service I had come to supplicate at his hands. "He was so astonished to learn that G—— M—— had

been able to seduce Manon from me, that, not being aware that I had myself lent a hand to my own misfortune, he generously offered to assemble his friends, and evoke their aid for the deliverance of my mistress. I told him that such a proceeding might by its publicity be attended with danger to Manon and to me. 'Let us risk our lives,' said I, 'only as a last resource. My plan is of a more peaceful nature, and promising at least equal success.' He entered without a murmur into all that I proposed; so again stating that all I required was, that he should send for G—— M——, and contrive to keep him an hour or two from home, we at once set about our operations. "We first of all considered what expedient we could

make use of for keeping him out so long a time. I proposed that he should write a note dated from a cafe, begging of him to come there as soon as possible upon an affair of too urgent importance to admit of delay. 'I will watch,' added I, 'the moment he quits the house, and introduce myself without any difficulty, being only known to Manon, and my servant Marcel. You can at the same time tell G—— M——, that the important affair upon which you wished to see him was the immediate want of a sum of money; that you had just emptied your purse at play, and that you had played on, with continued bad luck, upon credit. He will require some time to take you to his father's house, where he keeps his money, and I shall have quite sufficient for the execution of my plan.' "M. de T—— minutely adhered to these directions. I

left him in a cafe, where he at once wrote his letter. I took my station close by Manon's house. I saw de T—

—'s messenger arrive, and G—— M—— come out the next moment, followed by a servant. Allowing him barely time to get out of the street, I advanced to my deceiver's door, and notwithstanding the anger I felt, I knocked with as much respect as at the portal of a church. Fortunately it was Marcel who opened for me. Although I had nothing to apprehend from the other servants, I asked him in a low voice if he could conduct me unseen into the room in which Manon was. He said that was easily done, by merely ascending the great staircase. 'Come then at once,' said I to him, 'and endeavour to prevent anyone from coming up while I am there.' I reached the apartment without any

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que j'y serai, qu'il n'y monte personne. Je pénétrai sans obstacle jusqu'à l'appartement. Manon était occupée à lire. Ce fut là que j'eus lieu

d'admirer le caractère de cette étrange fille. Loin d'être effrayée et de paraître timide en m'apercevant, elle ne donna que ces marques légères de surprise dont on n'est pas le maître à la vue d'une personne qu'on croit éloignée. Ah! c'est vous, mon amour, me dit­elle en venant m'embrasser avec sa tendresse ordinaire. Bon Dieu! que vous êtes hardi! Qui vous aurait attendu aujourd'hui dans ce lieu? Je me dégageai de ses bras, et loin de répondre à ses caresses, je la repoussai avec dédain, et je fis deux ou trois pas en arrière pour m'éloigner d'elle. Ce mouvement ne laissa pas de la déconcerter. Elle demeura dans la situation où elle était et elle jeta les yeux sur moi en changeant de couleur. J'étais, dans le fond, si charmé de la revoir, qu'avec

tant de justes sujets de colère, j'avais à peine la force d'ouvrir la bouche pour la quereller. Cependant mon cœur saignait du cruel outrage qu'elle m'avait fait. Je le rappelais vivement à ma mémoire, pour exciter mon dépit, et je tâchais de faire briller dans mes yeux un autre feu que celui de l'amour. Comme je demeurai quelque temps en silence, et qu'elle remarqua mon agitation, je la vis trembler apparemment par un effet de sa crainte. Je ne pus soutenir ce spectacle. Ah! Manon, lui dis­je

d'un ton tendre, infidèle et parjure Manon! par où commencerai­je à me plaindre? Je vous vois pâle et tremblante, et je suis encore si sensible à vos moindres peines, que je crains de vous affliger trop par mes reproches. Mais, Manon, je vous le dis, j'ai le cœur percé de la douleur de votre trahison. Ce sont là des coups qu'on ne porte point à un amant, quand on n'a pas résolu sa mort. Voici la troisième fois, Manon, je les ai bien comptées; il est impossible que cela s'oublie. C'est à vous de considérer, à l'heure même, quel parti vous voulez prendre, car mon triste cœur n'est plus à l'épreuve d'un si cruel traitement. Je sens qu'il succombe et qu'il est prêt à se fendre de douleur. Je n'en puis plus, ajoutai­je en m'asseyant sur une chaise; j'ai à peine la force de parler et de me soutenir. Elle ne me répondit point, mais, lorsque je fus assis,

elle se laissa tomber à genoux et elle appuya sa tête sur les miens, en cachant son visage de mes mains. Je sentis en un instant qu'elle les mouillait de ses larmes. Dieux! de quels mouvements n'étais­je point agité! Ah! Manon, Manon, repris­je avec un soupir il est bien tard de me donner des larmes, lorsque vous avez causé ma mort. Vous affectez une tristesse que vous ne sauriez sentir. Le plus grand de vos maux est sans doute ma présence, qui a toujours été importune à vos plaisirs. Ouvrez les yeux, voyez qui je suis; on ne verse pas des pleurs si tendres pour un malheureux qu'on a trahi, et qu'on abandonne cruellement. Elle baisait mes mains sans changer de posture.

Inconstante Manon, repris­je encore, fille ingrate et sans

difficulty. "Manon was reading. I had there an opportunity of

admiring the singular character of this girl. Instead of being nervous or alarmed at my appearance, she scarcely betrayed a symptom of surprise, which few persons, however indifferent, could restrain, on seeing one whom they imagined to be far distant. 'Ah! it is you, my dear love,' said she, approaching to embrace me with her usual tenderness. 'Good heavens, how venturesome and foolhardy you are! Who could have expected to see you in this place!' Instead of embracing her in return, I repulsed her with indignation, and retreated two or three paces from her. This evidently disconcerted her. She remained immovable, and fixed her eyes on me, while she changed colour. "I was in reality so delighted to behold her once more,

that, with so much real cause for anger, I could hardly bring my lips to upbraid her. My heart, however, felt the cruel outrage she had inflicted upon me. I endeavoured to revive the recollection of it in my own mind, in order to excite my feelings, and put on a look of stern indignation. I remained silent for a few moments, when I remarked that she observed my agitation, and trembled: apparently the effect of her fears. "I could not longer endure this spectacle. 'Ah! Manon,'

said I to her in the mildest tone, 'faithless and perjured Manon! How am I to complain of your conduct? I see you pale and trembling, and I am still so much alive to your slightest sufferings, that I am unwilling to add to them by my reproaches. But, Manon, I tell you that my heart is pierced with sorrow at your treatment of me—treatment that is seldom inflicted but with the purpose of destroying one's life. This is the third time, Manon; I have kept a correct account; it is impossible to forget that. It is now for you to consider what course you will adopt; for my afflicted heart is no longer capable of sustaining such shocks. I know and feel that it must give way, and it is at this moment ready to burst with grief. I can say no more,' added I, throwing myself into a chair; 'I have hardly strength to speak, or to support myself.' "She made me no reply; but when I was seated, she

sank down upon her knees, and rested her head upon my lap, covering her face with her hands. I perceived in a moment that she was shedding floods of tears. Heavens! with what conflicting sensations was I at that instant agitated! 'Ah! Manon, Manon,' said I, sighing, 'it is too late to give me tears after the death­blow you have inflicted. You affect a sorrow which you cannot feel. The greatest of your misfortunes is no doubt my presence, which has been always an obstacle to your happiness. Open your eyes; look up and see who it is that is here; you will not throw away tears of tenderness upon an unhappy wretch whom you have betrayed and abandoned.' "She kissed my hands without changing her position.

'Inconstant Manon,' said I again, 'ungrateful and faithless

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foi, où sont vos promesses et vos serments? Amante mille fois volage et cruelle, qu'as­tu fait de cet amour que tu me jurais encore aujourd'hui? Juste Ciel, ajoutai­je, est­ce ainsi qu'une infidèle se rit de vous, après vous avoir attesté si saintement? C'est donc le panure qui est récompensé! Le désespoir et l'abandon sont pour la constance et la fidélité. Ces paroles furent accompagnées d'une réflexion si

amère, que j'en laissai échapper malgré moi quelques larmes. Manon s'en aperçut au changement de ma voix. Elle rompit enfin le silence. Il faut bien que je sois coupable, me dit­elle tristement, puisque j'ai pu vous causer tant de douleur et d'émotion; mais que le Ciel me punisse si j'ai cru l'être, ou si j'ai eu la pensée de le devenir! Ce discours me parut si dépourvu de sens et de bonne

foi, que je ne pus me défendre d'un vif mouvement de colère. Horrible dissimulation! m'écriai­je. Je vois mieux que jamais que tu n'es qu'une coquine et une perfide. C'est à présent que je connais ton misérable caractère. Adieu, lâche créature, continuai­je en me levant; j'aime mieux mourir mille fois que d'avoir désormais le moindre commerce avec toi. Que le Ciel me punisse moi­même si je t'honore jamais du moindre regard! Demeure avec ton nouvel amant, aime­le, déteste­moi, renonce à l'honneur au bon sens; je m'en ris, tout m'est égal. Elle fut si épouvantée de ce transport, que, demeurant

à genoux près de la chaise d'où je m'étais levé, elle me regardait en tremblant et sans oser respirer. Je fis encore quelques pas vers la porte, en tournant la tête, et tenant les yeux fixés sur elle. Mais il aurait fallu que j'eusse perdu tous sentiments d'humanité pour m'endurcir contre tant de charmes. J'étais si éloigné d'avoir cette force barbare que,

passant tout d'un coup à l'extrémité opposée, je retournai vers elle, ou plutôt, je m'y précipitai sans réflexion. Je la pris entre mes bras, je lui donnai mille tendres baisers. Je lui demandai pardon de mon emportement. Je confessai que j'étais un brutal, et que je ne méritais pas le bonheur d'être aimé d'une fille comme elle. Je la fis asseoir et, m'étant mis à genoux à mon tour, je

la conjurai de m'écouter en cet état. Là, tout ce qu'un amant soumis et passionné peut imaginer de plus respectueux et de plus tendre, je le renfermai en peu de mots dans mes excuses. Je lui demandai en grâce de prononcer qu'elle me pardonnait. Elle laissa tomber ses bras sur mon cou, en disant que c'était elle­même qui avait besoin de ma bonté pour me faire oublier les chagrins qu'elle me causait, et qu'elle commençait à craindre avec raison que je goûtasse point ce qu'elle avait à me dire pour se justifier. Moi! interrompis­je aussitôt, ah! je ne vous demande point de justification. J'approuve tout ce que vous avez fait. Ce n'est point à moi d'exiger des raisons de votre conduite; trop content, trop heureux, si

girl, where now are all your promises and your vows? Capricious and cruel that you are! what has now become of the love that you protested for me this very day? Just Heavens,' added I, 'is it thus you permit a traitor to mock you, after having called you so solemnly to witness her vows! Recompense and reward then are for the perjured! Despair and neglect are the lot of fidelity and truth!' "These words conveyed even to my own mind a

sentiment so bitterly severe, that, in spite of myself, some tears escaped from me. Manon perceived this by the change in my voice. She at length spoke. 'I must have indeed done something most culpable,' said she, sobbing with grief, 'to have excited and annoyed you to this degree; but, I call Heaven to attest my utter unconsciousness of crime, and my innocence of all criminal intention!' "This speech struck me as so devoid of reason and of

truth, that I could not restrain a lively feeling of anger. 'Horrible hypocrisy!' cried I; 'I see more plainly than ever that you are dishonest and treacherous. Now at length I learn your wretched disposition. Adieu, base creature,' said I, rising from my seat; 'I would prefer death a thousand times rather than continue to hold the slightest communication with you. May Heaven punish me, if I ever again waste upon you the smallest regard! Live on with your new lover—renounce all feelings of honour—detest me—your love is now a matter to me of utter insignificance!' "Manon was so terrified by the violence of my anger,

that, remaining on her knees by the chair from which I had just before risen, breathless and trembling, she fixed her eyes upon me. I advanced a little farther towards the door, but, unless I had lost the last spark of humanity, I could not continue longer unmoved by such a spectacle. "So far, indeed, was I from this kind of stoical

indifference, that, rushing at once into the very opposite extreme, I returned, or rather flew back to her without an instant's reflection. I lifted her in my arms; I gave her a thousand tender kisses; I implored her to pardon my ungovernable temper; I confessed that I was an absolute brute, and unworthy of being loved by such an angel. "I made her sit down, and throwing myself, in my turn,

upon my knees, I conjured her to listen to me in that attitude. Then I briefly expressed all that a submissive and impassioned lover could say most tender and respectful. I supplicated her pardon. She let her arms fall over my neck, as she said that it was she who stood in need of forgiveness, and begged of me in mercy to forget all the annoyances she had caused me, and that she began, with reason, to fear that I should not approve of what she had to say in her justification. 'Me!' said I interrupting her impatiently; 'I require no justification; I approve of all you have done. It is not for me to demand excuses for anything you do; I am but too happy, too contented, if my dear Manon will only leave me master of her affections!

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ma chère Manon ne m'ôte point la tendresse de son cœur! Mais, continuai­je, en réfléchissant sur l'état de mon sort, toute­puissante Manon! vous qui faites à votre gré mes joies et mes douleurs, après vous avoir satisfaite par mes humiliations et par les marques de mon repentir ne me sera­t­il point permis de vous parler de ma tristesse et de mes peines? Apprendrai­je de vous ce qu'il faut que je devienne aujourd'hui, et si c'est sans retour que vous allez signer ma mort, en passant la nuit avec mon rival? Elle fut quelque temps à méditer sa réponse: Mon

Chevalier, me dit­elle, en reprenant un air tranquille, si vous vous étiez d'abord expliqué si nettement, vous vous seriez épargné bien du trouble et à moi une scène bien affligeante. Puisque votre peine ne vient que de votre jalousie, je l'aurais guérie en m'offrant à vous suivre sur­le­champ au bout du monde. Mais je me suis figuré que c'était la lettre que je vous ai écrite sous les yeux de M. de G... M... et la fille que nous vous avons envoyée qui causaient votre chagrin. J'ai cru que vous auriez pu regarder ma lettre comme une raillerie et cette fille, en vous imaginant qu'elle était allée vous trouver de ma part, comme âne déclaration que je renonçais à vous pour m'attacher à G... M... C'est cette pensée qui m'a jetée tout d'un coup dans la consternation, car, quelque innocente que je fusse, je trouvais, en y pensant, que les apparences ne m'étaient pas favorables. Cependant, continua­t­elle, je veux que vous soyez mon juge, après que je vous aurai expliqué la vérité du fait. Elle m'apprit alors tout ce qui lui était arrivé depuis

qu'elle avait trouvé G... M..., qui l'attendait dans le lieu où nous étions. Il l'avait reçue effectivement comme la première princesse du monde. Il lui avait montré tous les appartements, qui étaient d'un goût et d'une propreté admirables. Il lui avait compté dix mille livres dans son cabinet, et il y avait ajouté quelques bijoux, parmi lesquels étaient le collier et les bracelets de perles qu'elle avait déjà eus de son père. Il l'avait menée de là dans un salon qu'elle n'avait pas encore vu, où elle avait trouvé une collation exquise. Il l'avait fait servir par les nouveaux domestiques qu'il avait pris pour elle, en leur ordonnant de la regarder désormais comme leur maîtresse. Enfin, il lui avait fait voir le carrosse, les chevaux et tout le reste de ses présents; après quoi, il lui avait proposé une partie de jeu, pour attendre le souper. Je vous avoue, continua­t­elle, que j'ai été frappée de

cette magnificence. J'ai fait réflexion que ce serait dommage de nous priver tout d'un coup de tant de biens, en me contentant d'emporter les dix mille francs et les bijoux, que c'était une fortune toute faite pour vous et pour moi, et que nous pourrions vivre agréablement aux dépens de G... M... Au lieu de lui proposer la Comédie, je me suis mis dans

la tête de le sonder sur votre sujet, pour pressentir quelles facilités nous aurions à nous voir en supposant l'exécution de mon système. Je l'ai trouvé d'un caractère fort

But,' continued I, remembering that it was the crisis of my fate, 'may I not, Manon, all­powerful Manon, you who wield at your pleasure my joys and sorrows, may I not be permitted, after having conciliated you by my submission and all the signs of repentance, to speak to you now of my misery and distress? May I now learn from your own lips what my destiny is to be, and whether you are resolved to sign my death­warrant, by spending even a single night with my rival?' "She considered a moment before she replied. 'My

good chevalier,' said she, resuming the most tranquil tone, 'if you had only at first explained yourself thus distinctly, you would have spared yourself a world of trouble, and prevented a scene that has really annoyed me. Since your distress is the result of jealousy, I could at first have cured that by offering to accompany you where you pleased. But I imagined it was caused by the letter which I was obliged to write in the presence of G—— M——, and of the girl whom we sent with it. I thought you might have construed that letter into a mockery; and have fancied that, by sending such a messenger, I meant to announce my abandonment of you for the sake of G—— M——. It was this idea that at once overwhelmed me with grief; for, innocent as I knew myself to be, I could not but allow that appearances were against me. However,' continued she, 'I will leave you to judge of my conduct, after I shall have explained the whole truth.' "She then told me all that had occurred to her after

joining G—— M——, whom she found punctually awaiting her arrival. He had in fact received her in the most princely style. He showed her through all the apartments, which were fitted up in the neatest and most correct taste. He had counted out to her in her boudoir ten thousand francs, as well as a quantity of jewels, amongst which were the identical pearl necklace and bracelets which she had once before received as a present from his father. He then led her into a splendid room, which she had not before seen, and in which an exquisite collation was served; she was waited upon by the new servants, whom he had hired purposely for her, and whom he now desired to consider themselves as exclusively her attendants; the carriage and the horses were afterwards paraded, and he then proposed a game of cards, until supper should be announced. "'I acknowledge,' continued Manon, 'that I was dazzled

by all this magnificence. It struck me that it would be madness to sacrifice at once so many good things for the mere sake of carrying off the money and the jewels already in my possession; that it was a certain fortune made for both you and me, and that we might pass the remainder of our lives most agreeably and comfortably at the expense of G—— M——. "'Instead of proposing the theatre, I thought it more

prudent to sound his feelings with regard to you, in order to ascertain what facilities we should have for meeting in future, on the supposition that I could carry my project

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traitable. Il m'a demandé ce que je pensais de vous, et si je n'avais pas eu quelque regret à vous quitter. Je lui ai dit que vous étiez si aimable et que vous en aviez toujours usé si honnêtement avec moi, qu'il n'était pas naturel que je pusse vous haïr. Il a confessé que vous aviez du mérite, et qu'il s'était senti porté à désirer votre amitié. Il a voulu savoir de quelle manière je croyais que vous

prendriez mon départ, surtout lorsque vous viendriez à savoir que j'étais entre ses mains. Je lui ai répondu que la date de notre amour était déjà si ancienne qu'il avait eu le temps de se refroidir un peu, que vous n'étiez pas d'ailleurs fort à votre aise, et que vous ne regarderiez peut­être pas ma perte comme un grand malheur parce qu'elle vous déchargerait d'un fardeau qui vous pesait sur les bras. J'ai ajouté qu'étant tout à fait convaincue que vous agiriez pacifiquement, je n'avais pas fait difficulté de vous dire que je venais à Paris pour quelques affaires, que vous y aviez consenti et qu'y étant venu vous­même, vous n'aviez pas paru extrêmement inquiet, lorsque je vous avais quitté. Si je croyais, m'a­t­il dit, qu'il fût d'humeur à bien vivre

avec moi, je serais le premier à lui offrir mes services et mes civilités. Je l'ai assuré que, du caractère dont je vous connaissais, je ne doutais point que vous n'y répondissiez honnêtement, surtout, lui ai­je dit, s'il pouvait vous servir dans vos affaires, qui étaient fort dérangées depuis que vous étiez mal avec votre famille. Il m'a interrompue, pour me protester qu'il vous rendrait tous les services qui dépendraient de lui, et que, si vous vouliez même vous embarquer dans un autre amour il vous procurerait une jolie maîtresse, qu'il avait quittée pour s'attacher à moi. J'ai applaudi à son idée, ajouta­t­elle, pour prévenir

plus parfaitement tous ses soupçons, et me confirmant de plus en plus dans mon projet, je ne souhaitais que de pouvoir trouver le moyen de vous en informer de peur que vous ne fussiez trop alarmé lorsque vous me verriez manquer à notre assignation. C'est dans cette vue que je lui ai proposé de vous envoyer cette nouvelle maîtresse dès le soir même, afin d'avoir une occasion de vous écrire; j'étais obligée d'avoir recours à cette adresse, parce que je ne pouvais espérer qu'il me laissât libre un moment. Il a ri de ma proposition. Il a appelé son laquais, et lui

ayant demandé s'il pourrait retrouver sur­le­champ son ancienne maîtresse, il l'a envoyé de côté et d'autre pour la chercher. Il s'imaginait que c'était à Chaillot qu'il fallait qu'elle allât vous trouver mais je lui ai appris qu'en vous quittant je vous avais promis de vous rejoindre à la Comédie, ou que, si quelque raison m'empêchait d'y aller vous vous étiez engagé à m'attendre dans un carrosse au bout de la rue Saint­André; qu'il valait mieux, par conséquent, vous envoyer là votre nouvelle amante, ne fût­ce que pour vous empêcher de vous y morfondre pendant toute la nuit. Je lui ai dit encore qu'il était à propos de vous écrire un mot pour vous avertir de cet

into effect. I found him of a most tractable disposition. He asked me how I felt towards you, and if I had not experienced some compunction at quitting you. I told him that you were so truly amiable, and had ever treated me with such undeviating kindness, that it was impossible I could hate you. He admitted that you were a man of merit, and expressed an ardent desire to gain your friendship. "'He was anxious to know how I thought you would

take my elopement, particularly when you should learn that I was in his hands. I answered, that our love was of such long standing as to have had time to moderate a little; that, besides, you were not in very easy circumstances, and would probably not consider my departure as any severe misfortune, inasmuch as it would relieve you from a burden of no very insignificant nature. I added that, being perfectly convinced you would take the whole matter rationally, I had not hesitated to tell you that I had some business in Paris; but you had at once consented, and that having accompanied me yourself, you did not seem very uneasy when we separated. "'If I thought,' said he to me, 'that he could bring

himself to live on good terms with me, I should be too happy to make him a tender of my services and attentions.' I assured him that, from what I knew of your disposition, I had no doubt you would acknowledge his kindness in a congenial spirit: especially, I added, if he could assist you in your affairs, which had become embarrassed since your disagreement with your family. He interrupted me by declaring, that he would gladly render you any service in his power, and that if you were disposed to form a new attachment, he would introduce you to an extremely pretty woman, whom he had just given up for me. "'I approved of all he said,' she added, 'for fear of

exciting any suspicions; and being more and more satisfied of the feasibility of my scheme, I only longed for an opportunity of letting you into it, lest you should be alarmed at my not keeping my appointment. With this view I suggested the idea of sending this young lady to you, in order to have an opportunity of writing; I was obliged to have recourse to this plan, because I could not see a chance of his leaving me to myself for a moment.' "'He was greatly amused with my proposition; he

called his valet, and asking him whether he could immediately find his late mistress, he dispatched him at once in search of her. He imagined that she would have to go to Chaillot to meet you, but I told him that, when we parted, I promised to meet you again at the theatre, or that, if anything should prevent me from going there, you were to wait for me in a coach at the end of the street of St. Andre; that consequently it would be best to send your new love there, if it were only to save you from the misery of suspense during the whole night. I said it would be also necessary to write you a line of explanation, without which you would probably be puzzled by the whole

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échange, que vous auriez peine à comprendre sans cela. Il y a consenti, mais j'ai été obligée d'écrire en sa présence, et je me suis bien gardée de m'expliquer trop ouvertement dans ma lettre. Voilà, ajouta Manon, de quelle manière les choses se

sont passées. Je ne vous déguise rien, ni de ma conduite, ni de mes desseins. La jeune fille est venue, je l'ai trouvée jolie, et comme je ne doutais point que mon absence ne vous causât de la peine, c'était sincèrement que je souhaitais qu'elle pût servir à vous désennuyer quelques moments, car la fidélité que je souhaite de vous est celle du cœur. J'aurais été ravie de pouvoir vous envoyer Marcel, mais je n'ai pu me procurer un moment pour l'instruire de ce que j'avais à vous faire savoir. Elle conclut enfin son récit, en m'apprenant l'embarras où G... M... s'était trouvé en recevant le billet de M. de T... Il a balancé, me dit­elle, s'il devait me quitter et il m'a assuré que son retour ne tarderait point. C'est ce qui fait que je ne vous vois point ici sans inquiétude, et que j'ai marqué de la surprise à votre arrivée. J'écoutai ce discours avec beaucoup de patience. J'y

trouvais assurément quantité de traits cruels et mortifiants pour moi, car le dessein de son infidélité était si clair qu'elle n'avait pas même eu le soin de me le déguiser. Elle ne pouvait espérer que G... M... la laissât, toute la nuit, comme une vestale. C'était donc avec lui qu'elle comptait de la passer. Quel aveu pour un amant! Cependant, je considérai que j'étais cause en partie de sa faute, par la connaissance que je lui avais donnée d'abord des sentiments que G... M... avait pour elle, et par la complaisance que j'avais eue d'entrer aveuglément dans le plan téméraire de son aventure. D'ailleurs, par un tour naturel de génie qui m'est particulier je fus touché de l'ingénuité de son récit, et de cette manière bonne et ouverte avec laquelle elle me racontait jusqu'aux circonstances dont j'étais le plus offensé. Elle pèche sans malice, disais­je en moi­même; elle est légère et imprudente, mais elle est droite et sincère. Ajoutez que l'amour suffisait seul pour me fermer les yeux sur toutes ses fautes. J'étais trop satisfait de l'espérance de l'enlever le soir même à mon rival. Je lui dis néanmoins: Et la nuit, avec qui l'auriez­vous passée? Cette question, que je lui fis tristement, l'embarrassa. Elle ne me répondit que par des mais et des si interrompus. J'eus pitié de sa peine, et rompant ce discours, je lui

déclarai naturellement que j'attendais d'elle qu'elle me suivît à l'heure même. Je le veux bien, me dit­elle; mais vous n'approuvez

donc pas mon projet? Ah! n'est­ce pas assez, repartis­je, que j'approuve tout

ce que vous avez fait jusqu'à présent? Quoi! nous n'emporterons pas même les dix mille

francs? répliqua­t­elle. Il me les a donnés. Ils sont à moi.

transaction. He consented; but I was obliged to write in his presence; and I took especial care not to explain matters too palpably in my letter. "'This is the history,' said Manon, 'of the entire affair. I

conceal nothing from you, of either my conduct or my intentions. The girl arrived; I thought her handsome; and as I doubted not that you would be mortified by my absence, I did most sincerely hope that she would be able to dissipate something of your ennui: for it is the fidelity of the heart alone that I value. I should have been too delighted to have sent Marcel, but I could not for a single instant find an opportunity of telling him what I wished to communicate to you.' She finished her story by describing the embarrassment into which M. de T——'s letter had thrown G—— M——; 'he hesitated,' said she, 'about leaving, and assured me that he should not be long absent; and it is on this account that I am uneasy at seeing you here, and that I betrayed, at your appearance, some slight feeling of surprise.' "I listened to her with great patience. There were

certainly parts of her recital sufficiently cruel and mortifying; for the intention, at least, of the infidelity was so obvious, that she had not even taken the trouble to disguise it. She could never have imagined that G—— M—— meant to venerate her as a vestal. She must therefore clearly have made up her mind to pass at least one night with him. What an avowal for a lover's ears! However, I considered myself as partly the cause of her guilt, by having been the first to let her know G—— M——'s sentiments towards her, and by the silly readiness with which I entered into this rash project. Besides, by a natural bent of my mind, peculiar I believe to myself, I was duped by the ingenuousness of her story—by that open and winning manner with which she related even the circumstances most calculated to annoy me. 'There is nothing of wanton vice,' said I to myself, 'in her transgressions; she is volatile and imprudent, but she is sincere and affectionate.' My love alone rendered me blind to all her faults. I was enchanted at the prospect of rescuing her that very night from my rival. I said to her: 'With whom do you mean to pass the night?' She was evidently disconcerted by the question, and answered me in an embarrassed manner with BUTS and IFS. "I felt for her, and interrupted her by saying that I at

once expected her to accompany me. "'Nothing can give me more pleasure,' said she; 'but

you don't approve then of my project?' "'Is it not enough,' replied I, 'that I approve of all that

you have, up to this moment, done?' "'What,' said she, 'are we not even to take the ten

thousand francs with us? Why, he gave me the money; it is mine.'

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Je lui conseillai d'abandonner tout, et de ne penser qu'à nous éloigner promptement, car quoiqu'il y eût à peine une demi­heure que j'étais avec elle, je craignais le retour de G... M... Cependant, elle me fit de si pressantes instances pour me faire consentir à ne pas sortir les mains vides, que je crus lui devoir accorder quelque chose après avoir tant obtenu d'elle. Dans le temps que nous nous préparions au départ,

j'entendis frapper à la porte de la rue. Je ne doutai nullement que ce ne fût G... M..., et dans le trouble où cette pensée me jeta, je dis à Manon que c'était un homme mort s'il paraissait. Effectivement, je n'étais pas assez revenu de mes transports pour me modérer à sa vue. Marcel finit ma peine en m'apportant un billet qu'il avait reçu pour moi à la porte. Il était de M. de T... Il me marquait que, G... M... étant allé lui chercher de

l'argent à sa maison, il profitait de son absence pour me communiquer une pensée fort plaisante: qu'il lui semblait que je ne pouvais me venger plus agréablement de mon rival qu'en mangeant son souper et en couchant, cette nuit même, dans le lit qu'il espérait d'occuper avec ma maîtresse; que cela lui paraissait assez facile, si je pouvais m'assurer de trois ou quatre hommes qui eussent assez de résolution pour l'arrêter dans la rue, et de fidélité pour le garder à vue jusqu'au lendemain; que, pour lui, il promettait de l'amuser encore une heure pour le moins, par des raisons qu'il tenait prêtes pour son retour. Je montrai ce billet à Manon, et je lui appris de quelle

ruse je m'étais servi pour m'introduire librement chez elle. Mon invention et celle de M. de T... lui parurent admirables. Nous en rîmes à notre aise pendant quelques moments. Mais, lorsque je lui parlai de la dernière comme d'un badinage, je fus surpris qu'elle insistât sérieusement à me la proposer comme une chose dont l'idée la ravissait. En vain lui demandai­je où elle voulait que je trouvasse, tout d'un coup, des gens propres à arrêter G... M... et à le garder fidèlement. Elle me dit qu'il fallait du moins tenter puisque M. de T... nous garantissait encore une heure, et pour réponse à mes autres objections, elle me dit que je faisais le tyran et que je n'avais pas de complaisance pour elle. Elle ne trouvait rien de si joli que ce projet. Vous aurez son couvert à souper me répétait­elle, vous coucherez dans ses draps, et, demain, de grand matin, vous enlèverez sa maîtresse et son argent. Vous serez bien vengé du père et du fils. Je cédai à ses instances, malgré les mouvements

secrets de mon cœur qui semblaient me présager une catastrophe malheureuse. Je sortis, dans le dessein de prier deux ou trois gardes du corps, avec lesquels Lescaut m'avait mis en liaison, de se charger du soin d'arrêter G... M... Je n'en trouvai qu'un au logis, mais c'était un homme entreprenant, qui n'eut pas plus tôt su de quoi il était question qu'il m'assura du succès. Il me demanda

"I advised her to leave everything, and let us think only of escaping for although I had been hardly half an hour with her, I began to dread the return of G—— M——. However, she so earnestly urged me to consent to our going out with something in our pockets, that I thought myself bound to make her, on my part, some concession, in return for all she yielded to me. "While we were getting ready for our departure, I

heard someone knock at the street door. I felt convinced that it must be G—— M——; and in the heat of the moment, I told Manon, that as sure as he appeared I would take his life. In truth, I felt that I was not sufficiently recovered from my late excitement to be able to restrain my fury if I met him. Marcel put an end to my uneasiness, by handing me a letter which he had received for me at the door; it was from M. de T——. "He told me that, as G—— M—— had gone to his

father's house for the money which he wanted, he had taken advantage of his absence to communicate to me an amusing idea that had just come into his head; that it appeared to him, I could not possibly take a more agreeable revenge upon my rival, than by eating his supper, and spending the night in the very bed which he had hoped to share with my mistress; all this seemed to him easy enough, if I could only find two or three men upon whom I could depend, of courage sufficient to stop him in the street, and detain him in custody until next morning; that he would undertake to keep him occupied for another hour at least, under some pretext, which he could devise before G—— M——'s return. "I showed the note to Manon; I told her at the same

time of the manner in which I had procured the interview with her. My scheme, as well as the new one of M. de T——'s, delighted her: we laughed heartily at it for some minutes; but when I treated it as a mere joke, I was surprised at her insisting seriously upon it, as a thing perfectly practicable, and too delightful to be neglected. In vain I enquired where she thought I could possibly find, on a sudden, men fit for such an adventure? and on whom I could rely for keeping G—— M—— in strict custody? She said that I should at least try, as M. de T—— ensured us yet a full hour; and as to my other objections, she said that I was playing the tyrant, and did not show the slightest indulgence to her fancies. She said that it was impossible there could be a more enchanting project. 'You will have his place at supper; you will sleep in his bed; and tomorrow, as early as you like, you can walk off with both his mistress and his money. You may thus, at one blow, be amply revenged upon father and son.' "I yielded to her entreaties, in spite of the secret

misgivings of my own mind, which seemed to forebode the unhappy catastrophe that afterwards befell me. I went out with the intention of asking two or three guardsmen, with whom Lescaut had made me acquainted, to undertake the arrest of G—— M——. I found only one of them at home, but he was a fellow ripe for any adventure; and he no sooner heard our plan, than he assured me of

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seulement dix pistoles, pour récompenser trois soldats aux gardes, qu'il prit la résolution d'employer en se mettant à leur tête. Je le priai de ne pas perdre de temps. Il les assembla en moins d'un quart d'heure. Je l'attendais à sa maison, et lorsqu'il fut de retour avec ses associés, je le conduisis moi­même au coin d'une rue par laquelle G... M... devait nécessairement rentrer dans celle de Manon. Je lui recommandai de ne le pas maltraiter mais de le garder si étroitement jusqu'à sept heures du matin, que je pusse être assuré qu'il ne lui échapperait pas. Il me dit que son dessein était de le conduire à sa chambre et de l'obliger à se déshabiller ou même à se coucher dans son lit, tandis que lui et ses trois braves passeraient la nuit à boire et à jouer. Je demeurai avec eux jusqu'au moment où je vis

paraître G... M..., et je me retirai alors quelques pas au­dessous, dans un endroit obscur pour être témoin d'une scène si extraordinaire. Le garde du corps l'aborda, le pistolet au poing, et lui expliqua civilement qu'il n'en voulait ni à sa vie ni à son argent, mais que, s'il faisait la moindre difficulté de le suivre, ou s'il jetait le moindre cri, il allait lui brûler la cervelle. G... M..., le voyant soutenu par trois soldats, et craignant sans doute la bourre du pistolet, ne fit pas de résistance. Je le vis emmener comme un mouton. Je retournai aussitôt chez Manon, et pour ôter tout

soupçon aux domestiques, je lui dis, en entrant, qu'il ne fallait pas attendre M. de G... M... pour souper qu'il lui était survenu des affaires qui le retenaient malgré lui, et qu'il m'avait prié de venir lui en faire ses excuses et souper avec elle, ce que je regardais comme une grande faveur auprès d'une si belle dame. Elle seconda fort adroitement mon dessein. Nous nous mîmes à table. Nous y prîmes un air grave, pendant que les laquais demeurèrent à nous servir. Enfin, les ayant congédiés, nous passâmes une des plus charmantes soirées de notre vie. J'ordonnai en secret à Marcel de chercher un fiacre et de l'avertir de se trouver le lendemain à la porte, avant six heures du matin. Je feignis de quitter Manon vers minuit; mais étant rentré doucement, par le secours de Marcel, je me préparai à occuper le lit de G... M..., comme j'avais rempli sa place à table. Pendant ce temps­là, notre mauvais génie travaillait à

certain success: all he required were six pistoles, to reward the three private soldiers whom he determined to employ in the business. I begged of him to lose no time. He got them together in less than a quarter of in hour. I waited at his lodgings till he returned with them, and then conducted him to the corner of a street through which I knew G—— M—— must pass an going back to Manon's house. I requested him not to treat G—— M—— roughly, but to keep him confined, and so strictly watched, until seven o'clock next morning, that I might be free from all apprehension of his escape. He told me his intention was to bring him a prisoner to his own room, and make him undress and sleep in his bed, while he and his gallant comrades should spend the night in drinking and playing. "I remained with them until we saw G—— M——

returning homewards; and I then withdrew a few steps into a dark recess in the street, to enjoy so entertaining and extraordinary a scene. The officer challenged him with a pistol to his breast, and then told him, in a civil tone, that he did not want either his money or his life; but that if he hesitated to follow him, or if he gave the slightest alarm, he would blow his brains out. G—— M—, seeing that his assailant was supported by three soldiers, and perhaps not uninfluenced by a dread of the pistol, yielded without further resistance. I saw him led away like a lamb."

(retour) X

What lost a world, and bade a hero fly? The timid tear in Cleopatra's eye.

Yet be the soft triumvir's fault forgiven, By this, how many lose—not earth—but heaven! Consign their souls to man's eternal foe,

And seal their own, to spare some wanton's, woe! BYRON.

I soon returned to Manon; and to prevent the servants

from having any suspicion, I told her in their hearing, that she need not expect M. G—— M—— to supper; that he was most reluctantly occupied with business which detained him, and that he had commissioned me to come and make his excuses, and to fill his place at the supper table; which, in the company of so beautiful a lady, I could not but consider a very high honour. She seconded me with her usual adroitness. We sat down to supper. I put on the most serious air I could assume, while the servants were in the room, and at length having got rid of them, we passed, beyond all comparison, the most agreeable evening of my life. I gave Marcel orders to find a hackney­coach, and engage it to be at the gate on the following morning a little before six o'clock. I pretended to take leave of Manon about midnight, but easily gaining admission again, through Marcel, I proceeded to occupy G—— M——'s bed, as I had filled his place at the supper table. "In the meantime our evil genius was at work for our

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nous perdre. Nous étions dans le délire du plaisir et le glaive était suspendu sur nos têtes. Le fil qui le soutenait allait se rompre. Mais, pour faire mieux entendre toutes les circonstances de notre ruine, il faut en éclaircir la cause. G... M... était suivi d'un laquais, lorsqu'il avait été

arrêté par le garde du corps. Ce garçon, effrayé de l'aventure de son maître, retourna en fuyant sur ses pas, et la première démarche qu'il fit, pour le secourir, fut d'aller avertir le vieux G... M... de ce qui venait d'arriver. Une si fâcheuse nouvelle ne pouvait manquer de

l'alarmer beaucoup: il n'avait que ce fils, et sa vivacité était extrême pour son âge. Il voulut savoir d'abord du laquais tout ce que son fils avait fait l'après­midi, s'il s'était querellé avec quelqu'un, s'il avait pris part au démêlé d'un autre, s'il s'était trouvé dans quelque maison suspecte. Celui­ci, qui croyait son maître dans le dernier danger et qui s'imaginait ne devoir plus rien ménager pour lui procurer du secours, découvrit tout ce qu'il savait de son amour pour Manon et la dépense qu'il avait faite pour elle, la manière dont il avait passé l'après­midi dans sa maison jusqu'aux environs de neuf heures, sa sortie et le malheur de son retour. C'en fut assez pour faire soupçonner au vieillard que l'affaire de son fils était une querelle d'amour. Quoiqu'il fût au moins dix heures et demie du soin il ne balança point à se rendre aussitôt chez M. le Lieutenant de Police. Il le pria de faire donner des ordres particuliers à toutes les escouades du guet, et lui en ayant demandé une pour se faire accompagner; il courut lui­même vers la rue où son fils avait été arrêté. Il visita tous les endroits de la ville où il espérait de le pouvoir trouver, et n'ayant pu découvrir ses traces, il se fit conduire enfin à la maison de sa maîtresse, où il se figura qu'il pouvait être retourné. J'allais me mettre au lit, lorsqu'il arriva. La porte de la

chambre étant fermée, je n'entendis point frapper à celle de la rue; mais il entra suivi de deux archers, et s'étant informé inutilement de ce qu'était devenu son fils, il lui prit envie de voir sa maîtresse, pour tirer d'elle quelque lumière. Il monte à l'appartement, toujours accompagné de ses archers. Nous étions prêts à nous mettre au lit. Il ouvre la porte, et il nous glace le sang par sa vue. Ô Dieu! c'est le vieux G... M..., dis­je à Manon. Je saute sur mon épée; elle était malheureusement embarrassée dans mon ceinturon. Les archers, qui virent mon mouvement, s'approchèrent aussitôt pour me la saisir. Un homme en chemise est sans résistance. Ils m'ôtèrent tous les moyens de me défendre. G... M..., quoique troublé par ce spectacle, ne tarda

point à me reconnaître. Il remit encore plus aisément Manon. Est­ce une illusion? nous dit­il gravement; ne vois­je point le chevalier des Grieux et Manon Lescaut? J'étais si enragé de honte et de douleur, que je ne lui fis pas de réponse. Il parut rouler pendant quelque temps, diverses pensées dans sa tête, et comme si elles eussent

destruction. We were like children enjoying the success of our silly scheme, while the sword hung suspended over our heads. The thread which upheld it was just about to break; but the better to understand all the circumstances of our ruin, it is necessary to know the immediate cause. "G—— M—— was followed by a servant, when he was

stopped by my friend the guardsman. Alarmed by what he saw, this fellow retraced his steps, and the first thing he did was to go and inform old G—— M—— of what had just happened. "Such a piece of news, of course, excited him greatly.

This was his only son; and considering the old gentleman's advanced age, he was extremely active and ardent. He first enquired of the servant what his son had been doing that afternoon; whether he had had any quarrel on his own account, or interfered in any other; whether he had been in any suspicious house. The lackey, who fancied his master in imminent danger, and thought he ought not to have any reserve in such an emergency, disclosed at once all that he knew of his connection with Manon, and of the expense he had gone to on her account; the manner in which he had passed the afternoon with her until about nine o'clock, the circumstance of his leaving her, and the outrage he encountered on his return. This was enough to convince him that his son's affair was a love quarrel. Although it was then at least half­past ten at night, he determined at once to call on the lieutenant of police. He begged of him to issue immediate orders to all the detachments that were out on duty, and he himself, taking some men with him, hastened to the street where his son had been stopped: he visited every place where he thought he might have a chance of finding him; and not being able to discover the slightest trace of him, he went off to the house of his mistress, to which he thought he probably might by this time have returned. "I was stepping into bed when he arrived. The door of

the chamber being closed, I did not hear the knock at the gate, but he rushed into the house, accompanied by two archers of the guard, and after fruitless enquiries of the servants about his son, he resolved to try whether he could get any information from their mistress. He came up to the apartment, still accompanied by the guard. We were just on the point of lying down when he burst open the door, and electrified us by his appearance. 'Heavens!' said I to Manon, 'it is old G—— M——.' I attempted to get possession of my sword; but it was fortunately entangled in my belt. The archers, who saw my object, advanced to lay hold of me. Stript to my shirt, I could, of course, offer no resistance, and they speedily deprived me of all means of defence. "G—— M——, although a good deal embarrassed by the

whole scene, soon recognised me; and Manon still more easily. 'Is this a dream?' said he, in the most serious tone—'do I not see before me the Chevalier des Grieux and Manon Lescaut?' I was so overcome with shame and disappointment, that I could make him no reply. He appeared for some minutes revolving different thoughts in

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allumé tout d'un coup sa colère, il s'écria en s'adressant à moi: Ah! malheureux, je suis sûr que tu as tué mon fils! Cette injure me piqua vivement. Vieux scélérat, lui

répondis­je avec fierté, si j'avais eu à tuer quelqu'un de ta famille, c'est par toi que j'aurais commencé. Tenez­le bien, dit­il aux archers. Il faut qu'il me dise

des nouvelles de mon fils; je le ferai pendre demain, s'il ne m'apprend tout à l'heure ce qu'il en a fait. Tu me feras pendre? repris­je. Infâme! ce sont tes

pareils qu'il faut chercher au gibet. Apprends que je suis d'un sang plus noble et plus pur que le tien. Oui, ajoutai­je, je sais ce qui est arrivé à ton fils, et si tu m'irrites davantage, je le ferai étrangler avant qu'il soit demain, et je te promets le même sort après lui. Je commis une imprudence en lui confessant que je

savais où était son fils; mais l'excès de ma colère me fit faire cette indiscrétion. Il appela aussitôt cinq ou six autres archers, qui l'attendaient à la porte, et il leur ordonna de s'assurer de tous les domestiques de la maison. Ah! monsieur le chevalier reprit­il d'un ton railleur vous savez où est mon fils et vous le ferez étrangler, dites­vous? Comptez que nous y mettrons bon ordre. Je sentis aussitôt la faute que j'avais commise. Il s'approcha de Manon, qui était assise sur le lit en

pleurant; il lui dit quelques galanteries ironiques sur l'empire qu'elle avait sur le père et sur le fils, et sur le bon usage qu'elle en faisait. Ce vieux monstre d'incontinence voulut prendre quelques familiarités avec elle. Garde­toi de la toucher! m'écriai­je, il n'y aurait rien de

sacré qui te pût sauver de mes mains. Il sortit en laissant trois archers dans la chambre,

auxquels il ordonna de nous faire prendre promptement nos habits. Je ne sais quels étaient alors ses desseins sur nous.

Peut­être eussions­nous obtenu la liberté en lui apprenant où était son fils. Je méditais, en m'habillant, si ce n'était pas le meilleur parti. Mais, s'il était dans cette disposition en quittant notre chambre, elle était bien changée lorsqu'il y revint. Il était allé interroger les domestiques de Manon, que les archers avaient arrêtés. Il ne put rien apprendre de ceux qu'elle avait reçus de son fils, mais, lorsqu'il sut que Marcel nous avait servis auparavant, il résolut de le faire parler en l'intimidant par des menaces.

his mind; and as if they had suddenly excited his anger, he exclaimed, addressing himself to me: 'Wretch! I am confident that you have murdered my son!' "I felt indignant at so insulting a charge. 'You hoary

and lecherous villain!' I exclaimed, 'if I had been inclined to kill any of your worthless family, it is with you I should most assuredly have commenced.' "'Hold him fast,' cried he to the archers; 'he must give

me some tidings of my son; I shall have him hanged tomorrow, if he does not presently let me know how he has disposed of him.' "'You will have me hanged,' said I, 'will you? Infamous

scoundrel! it is for such as you that the gibbet is erected. Know that the blood which flows in my veins is noble, and purer in every sense than yours. Yes,' I added, 'I do know what has happened to your son; and if you irritate me further, I will have him strangled before morning; and I promise you the consolation of meeting in your own person the same fate, after he is disposed of.' "I was imprudent in acknowledging that I knew where

his son was, but excess of anger made me commit this indiscretion. He immediately called in five or six other archers, who were waiting at the gate, and ordered them to take all the servants into custody. 'Ah! ah! Chevalier,' said he, in a tone of sardonic raillery,—'so you do know where my son is, and you will have him strangled, you say? We will try to set that matter to rights.' "I now saw the folly I had committed. "He approached Manon, who was sitting upon the bed,

bathed in a flood of tears. He said something, with the most cruel irony, of the despotic power she wielded over old and young, father and son— her edifying dominion over her empire. This superannuated monster of incontinence actually attempted to take liberties with her. "'Take care,' exclaimed I, 'how you lay a finger upon

her!— neither divine nor human law will be able, should your folly arouse it, to shield you from my vengeance!' "He quitted the room, desiring the archers to make us

dress as quickly as possible. "I know not what were his intentions at that moment

with regard to us; we might perhaps have regained our liberty if we had told him where his son was. As I dressed, I considered whether this would not be the wisest course. But if, on quitting the room, such had been the disposition of his mind, it was very different when he returned. He had first gone to question Manon's servants, who were in the custody of the guard. From those who had been expressly hired for her service by his son, he could learn nothing; but when he found that Marcel had been previously our servant, he determined to extract some

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C'était un garçon fidèle, mais simple et grossier. Le

souvenir de ce qu'il avait fait à l'Hôpital, pour délivrer Manon, joint à la terreur que G... M... lui inspirait, fit tant d'impression sur son esprit faible qu'il s'imagina qu'on allait le conduire à la potence ou sur la roue. Il promit de découvrir tout ce qui était venu à sa connaissance, si l'on voulait lui sauver la vie. G... M... se persuada là­dessus qu'il y avait quelque chose, dans nos affaires, de plus sérieux et de plus criminel qu'il n'avait eu lieu jusque­là de se le figurer. Il offrit à Marcel, non seulement la vie, mais des récompenses pour sa confession. Ce malheureux lui apprit une partie de notre dessein,

sur lequel nous n'avions pas fait difficulté de nous entretenir devant lui, parce qu'il devait y entrer pour quelque chose. Il est vrai qu'il ignorait entièrement les changements que nous y avions faits à Paris; mais il avait été informé, en partant de Chaillot, du plan de l'entreprise et du rôle qu'il y devait jouer. Il lui déclara donc que notre vue était de duper son fils, et que Manon devait recevoir ou avait déjà reçu, dix mille francs, qui, selon notre projet, ne retourneraient jamais aux héritiers de la maison de G... M... Après cette découverte, le vieillard emporté remonta

brusquement dans notre chambre. Il passa, sans parler dans le cabinet, où il n'eut pas de peine à trouver la somme et les bijoux. Il revint à nous avec un visage enflammé, et, nous montrant ce qu'il lui plut de nommer notre larcin, il nous accabla de reproches outrageants. Il fit voir de près, à Manon, le collier de perles et les bracelets. Les reconnaissez­vous? lui dit­il avec un sourire moqueur. Ce n'était pas la première fois que vous les eussiez vus. Les mêmes, sur ma foi. Ils étaient de votre goût, ma belle; je me le persuade aisément. Les pauvres enfants! ajouta­t­il. Ils sont bien aimables, en effet, l'un et l'autre; mais ils sont un peu fripons. Mon cœur crevait de rage à ce discours insultant.

J'aurais donné, pour être libre un moment... Juste Ciel! que n'aurais­je pas donné! Enfin, je me fis violence pour lui dire, avec une modération qui n'était qu'un raffinement de fureur: Finissons, monsieur, ces insolentes railleries. De quoi est­il question? Voyons, que prétendez­vous faire de nous? Il est question, monsieur le chevalier, me répondit­il,

d'aller de ce pas au Châtelet. Il fera jour demain; nous verrons plus clair dans nos affaires, et j'espère que vous me ferez la grâce, à la fin, de m'apprendre où est mon fils. Je compris, sans beaucoup de réflexions, que c'était

une chose d'une terrible conséquence pour nous d'être une fois renfermés au Châtelet. J'en prévis, en tremblant, tous les dangers. Malgré toute ma fierté, je reconnus qu'il fallait plier sous le poids de ma fortune et flatter mon plus

information from him, by means of intimidation, threats, or bribes. "This lad was faithful, but weak and unsophisticated.

The remembrance of what he had done at the penitentiary for Manon's release, joined to the terror with which G—— M—— now inspired him, so subdued his mind, that he thought they were about leading him to the gallows, or the rack. He promised that, if they would spare his life, he would disclose everything he knew. This speech made G—— M—— imagine that there was something more serious in the affair than he had before supposed; he not only gave Marcel a promise of his life, but a handsome reward in hand for his intended confession. "The booby then told him the leading features of our

plot, of which we had made no secret before him, as he was himself to have borne a part in it. True, he knew nothing of the alterations we had made at Paris in our original design; but he had been informed, before quitting Chaillot, of our projected adventure, and of the part he was to perform. He therefore told him that the object was to make a dupe of his son; and that Manon was to receive, if she had not already received, ten thousand francs, which, according to our project, would be effectually lost to G—— M——, his heirs and assigns for ever. "Having acquired this information, the old gentleman

hastened back in a rage to the apartment. Without uttering a word, he passed into the boudoir, where he easily put his hand upon the money and the jewels. He then accosted us, bursting with rage; and holding up what he was pleased to call our plunder, he loaded us with the most indignant reproaches. He placed close to Manon's eye the pearl necklace and bracelets. 'Do you recognise them?' said he, in a tone of mockery; 'it is not, perhaps, the first time you may have seen them. The identical pearls, by my faith! They were selected by your own exquisite taste! The poor innocents!' added he; 'they really are most amiable creatures, both one and the other; but they are perhaps a little too much inclined to roguery.' "I could hardly contain my indignation at this speech. I

would have given for one moment's liberty—Heavens! what would I not have given? At length, I suppressed my feelings sufficiently to say in a tone of moderation, which was but the refinement of rage: 'Put an end, sir, to this insolent mockery! What is your object? What do you purpose doing with us?' "'M. Chevalier,' he answered, 'my object is to see you

quietly lodged in the prison of Le Chatelet. Tomorrow will bring daylight with it, and we shall then be able to take a clearer view of matters; and I hope you will at last do me the favour to let me know where my son is.' "It did not require much consideration to feel

convinced that our incarceration in Le Chatelet would be a serious calamity. I foresaw all the dangers that would ensue. In spite of my pride, I plainly saw the necessity of bending before my fate, and conciliating my most

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cruel ennemi, pour en obtenir quelque chose par la soumission. Je le priai, d'un ton honnête, de m'écouter un moment. Je me rends justice, monsieur lui dis­je. Je confesse que la jeunesse m'a fait commettre de grandes fautes, et que vous en êtes assez blessé pour vous plaindre. Mais, si vous connaissez la force de l'amour, si vous pouvez juger de ce que souffre un malheureux jeune homme à qui l'on enlève tout ce qu'il aime, vous me trouverez peut­être pardonnable d'avoir cherché le plaisir d'une petite vengeance, ou du moins, vous me croirez assez puni par l'affront que je viens de recevoir. Il n'est besoin ni de prison ni de supplice pour me forcer de vous découvrir où est Monsieur votre fils. Il est en sûreté. Mon dessein n'a pas été de lui nuire ni de vous offenser. Je suis prêt à vous nommer le lieu où il passe tranquillement la nuit, si vous me faites la grâce de nous accorder la liberté. Ce vieux tigre, loin d'être touché de ma prière, me

tourna le dos en riant. Il lâcha seulement quelques mots, pour me faire comprendre qu'il savait notre dessein jusqu'à l'origine. Pour ce qui regardait son fils, il ajouta brutalement qu'il se retrouverait assez, puisque je ne l'avais pas assassiné. Conduisez­les au Petit­Châtelet, dit­il aux archers, et prenez garde que le Chevalier ne vous échappe. C'est un rusé, qui s'est déjà sauvé de Saint­Lazare. Il sortit, et me laissa dans l'état que vous pouvez vous

imaginer. Ô ciel! m'écriai­je, je recevrai avec soumission tous les coups qui viennent de ta main, mais qu'un malheureux coquin ait le pouvoir de me traiter avec cette tyrannie, c'est ce qui me réduit au dernier désespoir. Les archers nous prièrent de ne pas les faire attendre plus longtemps. Ils avaient un carrosse à la porte. Je tendis la main à Manon pour descendre. Venez, ma chère reine, lui dis­je, venez vous soumettre à toute la rigueur de notre sort. Il plaira peut­être au Ciel de nous rendre quelque jour plus heureux. Nous partîmes dans le même carrosse. Elle se mit dans

mes bras. Je ne lui avais pas entendu prononcer un mot depuis le premier moment de l'arrivée de G... M...; mais, se trouvant seule alors avec moi, elle me dit mille tendresses en se reprochant d'être la cause de mon malheur. Je l'assurai que je ne me plaindrais jamais de mon sort, tant qu'elle ne cesserait pas de m'aimer. Ce n'est pas moi qui suis à plaindre, continuai­je. Quelques mois de prison ne m'effraient nullement, et je préférerai toujours le Châtelet à Saint­Lazare. Mais c'est pour toi, ma chère âme, que mon cœur s'intéresse. Quel sort pour une créature si charmante! Ciel, comment traitez­vous avec tant de rigueur le plus parfait de vos ouvrages? Pourquoi ne sommes­nous pas nés l'un et l'autre, avec des qualités conformes à notre misère? Nous avons reçu de l'esprit, du goût, des sentiments. Hélas! quel triste usage en faisons­nous, tandis que tant d'âmes basses et dignes de notre sort jouissent de toutes les faveurs de la fortune! Ces réflexions me pénétraient de douleur; mais ce

n'était rien en comparaison de celles qui regardaient

implacable enemy by submission. I begged of him, in the quietest manner, to listen to me. 'I wish to do myself but common justice, sir,' said I to him; 'I admit that my youth has led me into egregious follies; and that you have had fair reason to complain: but if you have ever felt the resistless power of love, if you can enter into the sufferings of an unhappy young man, from whom all that he most loved was ravished, you may think me perhaps not so culpable in seeking the gratification of an innocent revenge; or at least, you may consider me sufficiently punished, by the exposure and degradation I have just now endured. Neither pains nor imprisonment will be requisite to make me tell you where your son now is. He is in perfect safety. It was never my intention to injure him, nor to give you just cause for offence. I am ready to let you know the place where he is safely passing the night, if, in return, you will set us at liberty.' "The old tiger, far from being softened by my prayer,

turned his back upon me and laughed. A few words, escaped him, which showed that he perfectly well knew our whole plan from the commencement. As for his son, the brute said that he would easily find him, since I had not assassinated him. 'Conduct them to the Petit­Chatelet,' said he to the archers; 'and take especial care that the chevalier does not escape you: he is a scamp that once before escaped from St. Lazare.' "He went out, and left me in a condition that you may

picture to yourself. 'O Heavens!' cried I to myself, 'I receive with humble submission all your visitations; but that a wretched scoundrel should thus have the power to tyrannise over me! this it is that plunges me into the depths of despair!' The archers begged that we would not detain them any longer. They had a coach at the door. 'Come, my dear angel,' said I to Manon, as we went down, 'come, let us submit to our destiny in all its rigour: it may one day please Heaven to render us more happy.' "We went in the same coach. I supported her in my

arms. I had not heard her utter a single word since G—— M——'s first appearance: but now, finding herself alone with me, she addressed me in the tenderest manner, and accused herself of being the cause of all my troubles. I assured her that I never could complain, while she continued to love me. 'It is not I that have reason to complain,' I added; 'imprisonment for a few months has no terrors for me, and I would infinitely prefer Le Chatelet to St. Lazare; but it is for you, my dearest soul, that my heart bleeds. What a lot for such an angel! How can you, gracious Heaven! subject to such rigour the most perfect work of your own hands? Why are we not both of us born with qualities conformable to our wretched condition? We are endowed with spirit, with taste, with feeling; while the vilest of God's creatures—brutes, alone worthy of our unhappy fate, are revelling in all the favours of fortune.' "These feelings filled me with grief; but it was bliss

compared with my prospects for the future. My fear, on

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l'avenir car je séchais de crainte pour Manon. Elle avait déjà été à l'Hôpital, et, quand elle en fût sortie par la bonne porte, je savais que les rechutes en ce genre étaient d'une conséquence extrêmement dangereuse. J'aurais voulu lui exprimer mes frayeurs; j'appréhendais de lui en causer trop. Je tremblais pour elle, sans oser l'avertir du danger et je l'embrassais en soupirant, pour l'assurer du moins, de mon amour qui était presque le seul sentiment que j'osasse exprimer Manon, lui dis­je, parlez sincèrement; m'aimerez­vous toujours? Elle me répondit qu'elle était bien malheureuse que

j'en pusse douter. Hé bien, repris­je, je n'en doute point, et je veux braver

tous nos ennemis avec cette assurance. J'emploierai ma famille pour sortir du Châtelet; et tout mon sang ne sera utile à rien si je ne vous en tire pas aussitôt que je serai libre. Nous arrivâmes à la prison. On nous mit chacun dans

un lieu séparé. Ce coup me fut moins rude, parce que je l'avais prévu. Je recommandai Manon au concierge, en lui apprenant que j'étais un homme de quelque distinction, et lui promettant une récompense considérable. J'embrassai ma chère maîtresse, avant que de la quitter. Je la conjurai de ne pas s'affliger excessivement et de ne rien craindre tant que je serais au monde. Je n'étais pas sans argent; je lui en donnai une partie et je payai au concierge, sur ce qui me restait, un mois de grosse pension d'avance pour elle et pour moi. Mon argent eut un fort bon effet. On me mit dans une

chambre proprement meublée, et l'on m'assura que Manon en avait une pareille. Je m'occupai aussitôt des moyens de hâter ma liberté.

Il était clair qu'il n'y avait rien d'absolument criminel dans mon affaire, et supposant même que le dessein de notre vol fût prouvé par la déposition de Marcel, je savais fort bien qu'on ne punit point les simples volontés. Je résolus d'écrire promptement à mon père, pour le prier de venir en personne à Paris. J'avais bien moins de honte, comme je l'ai dit, d'être au Châtelet qu'à Saint­Lazare; d'ailleurs, quoique je conservasse tout le respect dû à l'autorité paternelle, l'âge et l'expérience avaient diminué beaucoup ma timidité. J'écrivis donc, et l'on ne fit pas difficulté, au Châtelet, de laisser sortir ma lettre; mais c'était une peine que j'aurais pu m'épargner si j'avais su que mon père devait arriver le lendemain à Paris. Il avait reçu celle que je lui avais écrite huit jours auparavant. Il en avait ressenti une joie extrême; mais, de quelque espérance que je l'eusse flatté au sujet de ma conversion, il n'avait pas cru devoir s'arrêter tout à fait à mes promesses. Il avait pris le parti de venir s'assurer de mon

changement par ses yeux, et de régler sa conduite sur la sincérité de mon repentir. Il arriva le lendemain de mon emprisonnement.

account of Manon, knew no bounds. She had already been an inmate of the Magdalen; and even if she had left it by fair means, I knew that a relapse of this nature would be attended with disastrous consequences. I wished to let her know my fears: I was apprehensive of exciting hers. I trembled for her, without daring to put her on her guard against the danger; and I embraced her tenderly, to satisfy her, at least, of my love, which was almost the only sentiment to which I dared to give expression. 'Manon,' said I, 'tell me sincerely, will you ever cease to love me?' "She answered, that it made her unhappy to think that

I could doubt it. "'Very well,' replied I, 'I do so no longer; and with this

conviction, I may well defy all my enemies. Through the influence of my family, I can ensure my own liberation from the Chatelet; and my life will be of little use, and of short duration, if I do not succeed in rescuing you.' "We arrived at the prison, where they put us into

separate cells. This blow was the less severe, because I was prepared for it. I recommended Manon to the attention of the porter, telling him that I was a person of some distinction, and promising him a considerable recompense. I embraced my dearest mistress before we parted; I implored her not to distress herself too much, and to fear nothing while I lived. I had money with me: I gave her some; and I paid the porter, out of what remained, the amount of a month's expenses for both of us in, advance. This had an excellent effect, for I found myself placed

in an apartment comfortably furnished, and they assured me that Manon was in one equally good. "I immediately set about devising the means of

procuring my liberty. There certainly had been nothing actually criminal in my conduct; and supposing even that our felonious intention was established by the evidence of Marcel, I knew that criminal intentions alone were not punishable. I resolved to write immediately to my father, and beg of him to come himself to Paris. I felt much less humiliation, as I have already said, in being in Le Chatelet than in St. Lazare. Besides, although I preserved, all proper respect for the paternal authority, age and experience had considerably lessened my timidity. I wrote, and they made no difficulty in the prison about forwarding my letter; but it was a trouble I should have spared myself, had I known that my father was about to arrive on the following day in Paris. He had received the letter I had written to him a week before; it gave him extreme delight; but, notwithstanding the flattering hopes I had held out of my conversion, he could not implicitly rely on my statements. He determined therefore to satisfy himself of my

reformation by the evidence of his own senses, and to regulate his conduct towards me according to his conviction of my sincerity. He arrived the day after my imprisonment.

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Sa première visite fut celle qu'il rendit à Tiberge, à qui

je l'avais prié d'adresser sa réponse. Il ne put savoir de lui ni ma demeure ni ma condition présente; il en apprit seulement mes principales aventures, depuis que je m'étais échappé de Saint­Sulpice. Tiberge lui parla fort avantageusement des dispositions que je lui avais marquées pour le bien, dans notre dernière entrevue. Il ajouta qu'il me croyait entièrement dégagé de Manon, mais qu'il était surpris, néanmoins, que je ne lui eusse pas donné de mes nouvelles depuis huit jours. Mon père n'était pas dupe; il comprit qu'il y avait quelque chose qui échappait à la pénétration de Tiberge, dans le silence dont il se plaignait, et il employa tant de soins pour découvrir mes traces que, deux jours après son arrivée, il apprit que j'étais au Châtelet. Avant que de recevoir sa visite, à laquelle j'étais fort

éloigné de m'attendre sitôt, je reçus celle de M. le Lieutenant général de Police, ou pour expliquer les choses par leur nom, je subis l'interrogatoire. Il me fit quelques reproches, mais ils n'étaient ni durs ni désobligeants. Il me dit, avec douceur, qu'il plaignait ma mauvaise conduite; que j'avais manqué de sagesse en me faisant un ennemi tel que M. de G... M...; qu'à la vérité il était aisé de remarquer qu'il y avait, dans mon affaire, plus d'imprudence et de légèreté que de malice; mais que c'était néanmoins la seconde fois que je me trouvais sujet à son tribunal, et qu'il avait espéré que je fusse devenu plus sage, après avoir pris deux ou trois mois de leçons à Saint­Lazare. Charmé d'avoir affaire à un juge raisonnable, je

m'expliquai avec lui d'une manière si respectueuse et si modérée, qu'il parut extrêmement satisfait de mes réponses. Il me dit que je ne devais pas me livrer trop au chagrin, et qu'il se sentait disposé à me rendre service, en faveur de ma naissance et de ma jeunesse. Je me hasardai à lui recommander Manon, et à lui faire l'éloge de sa douceur et de son bon naturel. Il me répondit, en riant, qu'il ne l'avait point encore vue, mais qu'on la représentait comme une dangereuse personne. Ce mot excita tellement ma tendresse que je lui dis mille choses passionnées pour la défense de la pauvre maîtresse, et je ne pus m'empêcher de répandre quelques larmes. Il ordonna qu'on me reconduisît à ma chambre.

Amour, Amour! s'écria ce grave magistrat en me voyant sortir ne te réconcilieras­tu jamais avec la sagesse? J'étais à m'entretenir tristement de mes idées, et à

réfléchir sur la conversation que j'avais eue avec M. le Lieutenant général de Police, lorsque j'entendis ouvrir la porte de ma chambre: c'était mon père. Quoique je dusse être à demi préparé à cette vue, puisque je m'y attendais quelques jours plus tard, je ne laissai pas d'en être frappé si vivement que je me serais précipité au fond de la terre, si elle s'était entr'ouverte à mes pieds. J'allai l'embrasser, avec toutes les marques d'une extrême confusion. Il s'assit

"His first visit was to Tiberge, to whose care I begged

that he would address his answer. He could not learn from him either my present abode or condition: Tiberge merely told him of my principal adventures since I had escaped from St. Lazare. Tiberge spoke warmly of the disposition to virtue which I had evinced at our last interview. He added, that he considered me as having quite got rid of Manon; but that he was nevertheless surprised at my not having given him any intelligence about myself for a week. My father was not to be duped. He fully comprehended that there was something in the silence of which Tiberge complained, which had escaped my poor friend's penetration; and he took such pains to find me out, that in two days after his arrival he learned that I was in Le Chatelet. "Before I received this visit, which I little expected so

soon, I had the honour of one from the lieutenant­general of police, or, to call things by their right names, I was subjected to an official examination. He upbraided me certainly, but not in any harsh or annoying manner. He told me, in the kindest tone, that he bitterly lamented my bad conduct; that I had committed a gross indiscretion in making an enemy of such a man as M. G—— M——; that in truth it was easy to see that there was, in the affair, more of imprudence and folly than of malice; but that still it was the second time I had been brought as a culprit under his cognisance; and that he had hoped I should have become more sedate, after the experience of two or three months in St. Lazare. "Delighted at finding that I had a rational judge to deal

with, I explained the affair to him in a manner at once so respectful and so moderate, that he seemed exceedingly satisfied with my answers to all the queries he put. He desired me not to abandon myself to grief, and assured me that he felt every disposition to serve me, as well on account of my birth as my inexperience. I ventured to bespeak his attentions in favour of Manon, and I dwelt upon her gentle and excellent disposition. He replied, with a smile, that he had not yet seen her, but that she had been represented to him as a most dangerous person. This expression so excited my sympathy, that I urged a thousand anxious arguments in favour of my poor mistress, and I could not restrain even from shedding tears. "He desired them to conduct me back to my chamber.

'Love! love!' cried this grave magistrate as I went out, 'thou art never to be reconciled with discretion!' "I had been occupied with the most melancholy

reflections, and was thinking of the conversation I had had with the lieutenant­general of police, when I heard my door open. It was my father. Although I ought to have been half prepared for seeing him, and had reasons to expect his arrival within a day or two, yet I was so thunderstruck, that I could willingly have sunk into the earth, if it had been open at my feet. I embraced him in the greatest possible state of confusion. He took a seat,

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sans que ni lui ni moi eussions encore ouvert la bouche. Comme je demeurais debout, les yeux baissés et la tête

découverte: Asseyez­vous, monsieur, me dit­il gravement, asseyez­vous. Grâce au scandale de votre libertinage et de vos friponneries, j'ai découvert le lieu de votre demeure. C'est l'avantage d'un mérite tel que le vôtre de ne

pouvoir demeurer caché. Vous allez à la renommée par un chemin infaillible. J'espère que le terme en sera bientôt la Grève, et que vous aurez, effectivement, la gloire d'y être exposé à l'admiration de tout le monde. Je ne répondis rien. Il continua: Qu'un père est

malheureux, lorsque, après avoir aimé tendrement un fils et n'avoir rien épargné pour en faire un honnête homme, il n'y trouve, à la fin, qu'un fripon qui le déshonore! On se console d'un malheur de fortune: le temps l'efface, et le chagrin diminue; mais quel remède contre un mal qui augmente tous les jours, tel que les désordres d'un fils vicieux qui a perdu tous sentiments d'honneur? Tu ne dis rien, malheureux, ajouta­t­il; voyez cette modestie contrefaite et cet air de douceur hypocrite; ne le prendrait­on pas pour le plus honnête homme de sa race? Quoique je fusse obligé de reconnaître que je méritais

une partie de ces outrages, il me parut néanmoins que c'était les porter à l'excès. Je crus qu'il m'était permis d'expliquer naturellement ma pensée. Je vous assure, monsieur, lui dis­je, que la modestie où

vous me voyez devant vous n'est nullement affectée; c'est la situation naturelle d'un fils bien né, qui respecte infiniment son père, et surtout un père irrité. Je ne prétends pas non plus passer pour l'homme le plus réglé de notre race. Je me connais digne de vos reproches, mais je vous conjure d'y mettre un peu plus de bonté et de ne pas me traiter comme le plus infâme de tous les hommes. Je ne mérite pas des noms si durs. C'est l'amour vous le savez, qui a causé toutes mes fautes. Fatale passion! Hélas! n'en connaissez­vous pas la force, et se peut­il que votre sang, qui est la source du mien, n'ait jamais ressenti les mêmes ardeurs? L'amour m'a rendu trop tendre, trop passionné, trop fidèle et, peut­être, trop complaisant pour les désirs d'une maîtresse toute charmante; voilà mes crimes. En voyez­vous là quelqu'un qui vous déshonore? Allons, mon cher père, ajoutai­je tendrement, un peu de pitié pour un fils qui a toujours été plein de respect et d'affection pour vous, qui n'a pas renoncé, comme vous pensez, à l'honneur et au devoir et qui est mille fois plus à plaindre que vous ne sauriez vous l'imaginer. Je laissai tomber quelques larmes en finissant ces paroles. Un cœur de père est le chef­d'œuvre de la nature; elle y

règne, pour ainsi parler, avec complaisance, et elle en

without either one or other of us having uttered a word. "As I remained standing, with my head uncovered, and

my eyes cast on the ground, 'Be seated, sir,' said he in a solemn voice; 'be seated. I have to thank the notoriety of your debaucheries for learning the place of your abode. It is the privilege of such fame as yours, that it cannot

lie concealed. You are acquiring celebrity by an unerring path. Doubtless it will lead you to the Greve,[1] and you will then have the unfading glory of being held up to the admiration of the world.' "I made no reply. He continued: 'What an unhappy lot

is that of a father, who having tenderly loved a child, and strained every nerve to bring him up a virtuous and respectable man, finds him turn out in the end a worthless profligate, who dishonours him. To an ordinary reverse of fortune one may be reconciled; time softens the affliction, and even the indulgence of sorrow itself is not unavailing; but what remedy is there for an evil that is perpetually augmenting, such as the profligacy of a vicious son, who has deserted every principle of honour, and is ever plunging from deep into deeper vice? You are silent,' added he: 'look at this counterfeit modesty, this hypocritical air of gentleness!— might he not pass for the most respectable member of his family?' "Although I could not but feel that I deserved, in some

degree, these reproaches, yet he appeared to me to carry them beyond all reason. I thought I might be permitted to explain my feelings. "'I assure you, sir,' said I to him, 'that the modesty

which you ridicule is by no means affected; it is the natural feeling of a son who entertains sincere respect for his father, and above all, a father irritated as you justly are by his faults. Neither have I, sir, the slightest wish to pass for the most respectable member of my family. I know that I have merited your reproaches, but I conjure you to temper them with mercy, and not to look upon me as the most infamous of mankind. I do not deserve such harsh names. It is love, you know it, that has caused all my errors. Fatal passion! Have you yourself never felt its force? Is it possible that you, with the same blood in your veins that flows in mine, should have passed through life unscathed by the same excitements? Love has rendered me perhaps foolishly tender—too easily excited— too impassioned—too faithful, and probably too indulgent to the desires and caprices, or, if you will, the faults of an adored mistress. These are my crimes; are they such as to reflect dishonour upon you? Come, my dear father,' said I tenderly, 'show some pity for a son, who has never ceased to feel respect and affection for you—who has not renounced, as you say, all feelings of honour and of duty, and who is himself a thousand times more an object of pity than you imagine.' I could not help shedding a tear as I concluded this appeal. "A father's heart is a chef­d'oeuvre of creation. There

nature rules in undisturbed dominion, and regulates at

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règle elle­même tous les ressorts. Le mien, qui était avec cela homme d'esprit et de goût, fut si touché du tour que j'avais donné à mes excuses qu'il ne fut pas le maître de me cacher ce changement. Viens, mon pauvre chevalier, me dit­il, viens

m'embrasser; tu me fais pitié. Je l'embrassai; il me serra d'une manière qui me fit

juger de ce qui se passait dans son cœur. Mais quel moyen prendrons­nous donc, reprit­il, pour

te tirer d'ici? Explique­moi toutes tes affaires sans déguisement. Comme il n'y avait rien, après tout, dans le gros de ma

conduite, qui pût me déshonorer absolument, du moins en la mesurant sur celle des jeunes gens d'un certain monde, et qu'une maîtresse ne passe point pour une infamie dans le siècle où nous sommes, non plus qu'un peu d'adresse à s'attirer la fortune du jeu, je fis sincèrement à mon père le détail de la vie que j'avais menée. À chaque faute dont je lui faisais l'aveu, j'avais soin de joindre des exemples célèbres, pour en diminuer la honte. Je vis avec une maîtresse, lui disais­je, sans être lié par

les cérémonies du mariage: M. le duc de... en entretient deux, aux yeux de tout Paris; M. de... en a une depuis dix ans, qu'il aime avec une fidélité qu'il n'a jamais eue pour sa femme; les deux tiers des honnêtes gens de France se font honneur d'en avoir. J'ai usé de quelque supercherie au jeu: M. le marquis

de... et le comte de... n'ont point d'autres revenus; M. le prince de... et M. le duc de... sont les chefs d'une bande de chevaliers du même Ordre. Pour ce qui regardait mes desseins sur la bourse des deux G... M..., j'aurais pu prouver aussi facilement que je n'étais pas sans modèles; mais il me restait trop d'honneur pour ne pas me condamner moi­même, avec tous ceux dont j'aurais pu me proposer l'exemple, de sorte que je priai mon père de pardonner cette faiblesse aux deux violentes passions qui m'avaient agité, la vengeance et l'amour. Il me demanda si je pouvais lui donner quelques

ouvertures sur les plus courts moyens d'obtenir ma liberté, et d'une manière qui pût lui faire éviter l'éclat. Je lui appris les sentiments de bonté que le Lieutenant général de Police avait pour moi. Si vous trouvez quelques difficultés, lui dis­je, elles ne peuvent venir que de la part des G... M...; ainsi, je crois qu'il serait à propos que vous prissiez la peine de les voir. Il me le promit. Je n'osai le prier de solliciter pour Manon. Ce ne fut

point un défaut de hardiesse, mais un effet de la crainte où j'étais de le révolter par cette proposition, et de lui faire naître quelque dessein funeste à elle et à moi. Je suis encore à savoir si cette crainte n'a pas causé mes plus

will its most secret springs. He was a man of high feeling and good taste, and was so sensibly affected by the turn I had given to my defence, that he could no longer hide from me the change I had wrought. "'Come to me, my poor chevalier,' said he; 'come and

embrace me. I do pity you!' "I embraced him: he pressed me to him in such a

manner, that I guessed what was passing in his heart. "'But how are we,' said he, 'to extricate you from this

place? Explain to me the real situation of your affairs.' "As there really was not anything in my conduct so

grossly improper as to reflect dishonour upon me; at least, in comparison with the conduct of other young men of a certain station in the world; and as a mistress is not considered a disgrace, any more than a little dexterity in drawing some advantage from play, I gave my father a candid detail of the life I had been leading. As I recounted each transgression, I took care to cite some illustrious example in my justification, in order to palliate my own faults. "'I lived,' said I, 'with a mistress without the solemnity

of marriage. The Duke of —— keeps two before the eyes of all Paris. M—— D—— has had one now for ten years, and loves her with a fidelity which he has never shown to his wife. Two­thirds of the men of fashion in Paris keep mistresses. "'I certainly have on one or two occasions cheated at

play. Well, the Marquis of —— and the Count —— have no other source of revenue. The Prince of —— and the Duke of —— are at the head of a gang of the same industrious order.' As for the designs I had upon the pockets of the two G—— M——s, I might just as easily have proved that I had abundant models for that also; but I had too much pride to plead guilty to this charge, and rest on the justification of example; so that I begged of my father to ascribe my weakness on this occasion to the violence of the two passions which agitated me—Revenge and Love. "He asked me whether I could suggest any means of

obtaining my liberty, and in such a way as to avoid publicity as much as possible. I told him of the kind feelings which the lieutenant­general of police had expressed towards me. 'If you encounter any obstacles,' said I, 'they will be offered only by the two G—— M——s; so that I think it would be advisable to call upon them.' "He promised to do so. "I did not dare ask him to solicit Manon's liberation;

this was not from want of courage, but from the apprehension of exasperating him by such a proposition, and perhaps driving him to form some design fatal to the future happiness of us both. It remains to this hour a

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grandes infortunes en m'empêchant de tenir les dispositions de mon père, et de faire des efforts pour lui en inspirer de favorables à ma malheureuse maîtresse. J'aurais peut­être excité encore une fois sa pitié. Je l'aurais mis en garde contre les impressions qu'il allait recevoir trop facilement du vieux G... M... Que sais­je? Ma mauvaise destinée l'aurait peut­être emporté sur tous mes efforts, mais je n'aurais eu qu'elle, du moins, et la cruauté de mes ennemis, à accuser de mon malheur. En me quittant, mon père alla faire une visite à M. de

G... M... Il le trouva avec son fils, à qui le garde du corps avait honnêtement rendu la liberté. Je n'ai jamais su les particularités de leur conversation, mais il ne m'a été que trop facile d'en juger par ses mortels effets. Ils allèrent ensemble, je dis les deux pères, chez M. le Lieutenant général de Police, auquel ils demandèrent deux grâces: l'une, de me faire sortir sur­le­champ du Châtelet; l'autre, d'enfermer Manon pour le reste de ses jours, ou de l'envoyer en Amérique. On commençait, dans le même temps, à embarquer quantité de gens sans aveu pour le Mississippi. M. le Lieutenant général de Police leur donna sa parole de faire partir Manon par le premier vaisseau. M. de G... M... et mon père vinrent aussitôt m'apporter

ensemble la nouvelle de ma liberté. M. de G... M... me fit un compliment civil sur le passé, et m'ayant félicité sur le bonheur que j'avais d'avoir un tel père, il m'exhorta à profiter désormais de ses leçons et de ses exemples. Mon père m'ordonna de lui faire des excuses de l'injure prétendue que j'avais faite à sa famille, et de le remercier de s'être employé avec lui pour mon élargissement. Nous sortîmes ensemble, sans avoir dit un mot de ma

maîtresse. Je n'osai même parler d'elle aux guichetiers en leur présence. Hélas! mes tristes recommandations eussent été bien inutiles! L'ordre cruel était venu en même temps que celui de ma délivrance. Cette fille infortunée fut conduite, une heure après, à l'Hôpital, pour y être associée à quelques malheureuses qui étaient condamnées à subir le même sort. Mon père m'ayant obligé de le suivre à la maison où il

avait pris sa demeure, il était presque six heures du soir lorsque je trouvai le moment de me dérober de ses yeux pour retourner au Châtelet. Je n'avais dessein que de faire tenir quelques rafraîchissements à Manon, et de la recommander au concierge, car je ne me promettais pas que la liberté de la voir me fût accordée. Je n'avais point encore eu le temps, non plus, de réfléchir aux moyens de la délivrer. Je demandai à parler au concierge. Il avait été content

de ma libéralité et de ma douceur, de sorte qu'ayant

problem whether this fear on my part was not the immediate cause of all my most terrible misfortunes, by preventing me from ascertaining my father's disposition, and endeavouring to inspire him with favourable feelings towards my poor mistress: I might have perhaps once more succeeded in exciting his commiseration; I might have put him on his guard against the impression which he was sure of receiving from a visit to old G—— M——. But how can I tell what the consequences would have been! My unhappy fate would have most probably counteracted all my efforts; but it would have been a consolation to have had nothing else but that, and the cruelty of my enemies, to blame for my afflictions. "On quitting me, my father went to pay a visit to M.

G—— M——. He found him with his son, whom the guardsman had safely restored to liberty. I never learned the particulars of their conversation; but I could easily infer them from the disastrous results. They went together (the two old gentlemen) to the lieutenant­general of police, from whom they requested one favour each: the first was to have me at once liberated from Le Chatelet; the second to condemn Manon to perpetual imprisonment, or to transport her for life to America. They happened, at that very period, to be sending out a number of convicts to the Mississippi. The lieutenant­general promised to have her embarked on board the first vessel that sailed. "M. G—— M—— and my father came together to bring

me the news of my liberation. M. G—— M—— said something civil with reference to what had passed; and having congratulated me upon my happiness in having such a father, he exhorted me to profit henceforward by his instruction and example. My father desired me to express my sorrow for the injustice I had even contemplated against his family, and my gratitude for his having assisted in procuring my liberation. "We all left the prison together, without the mention of

Manon's name. I dared not in their presence speak of her to the turnkeys. Alas! all my entreaties in her favour would have been useless. The cruel sentence upon Manon had arrived at the same time as the warrant for my discharge. The unfortunate girl was conducted in an hour after to the Hospital, to be there classed with some other wretched women, who had been condemned to the same punishment. "My father having forced me to accompany him to the

house where he was residing, it was near six o'clock before I had an opportunity of escaping his vigilance. In returning to Le Chatelet, my only wish was to convey some refreshments to Manon, and to recommend her to the attention of the porter; for I had no hope of being permitted to see her; nor had I, as yet, had time to reflect on the best means of rescuing her. "I asked for the porter. I had won his heart, as much by

my liberality to him, as by the mildness of my manner; so

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quelque disposition à me rendre service, il me parla du sort de Manon comme d'un malheur dont il avait beaucoup de regret parce qu'il pouvait m'affliger. Je ne compris point ce langage. Nous nous entretînmes quelques moments sans nous entendre. À la fin, s'apercevant que j'avais besoin d'une explication, il me la donna, telle que j'ai déjà eu horreur de vous la dire, et que j'ai encore de la répéter. Jamais apoplexie violente ne causa d'effet plus subit et

plus terrible. Je tombai, avec une palpitation de cœur si douloureuse, qu'à l'instant que je perdis la connaissance, je me crus délivré de la vie pour toujours. Il me resta même quelque chose de cette pensée lorsque je revins à moi. Je tournai mes regards vers toutes les parties de la chambre et sur moi­même, pour m'assurer si je portais encore la malheureuse qualité d'homme vivant. Il est certain qu'en ne suivant que le mouvement naturel qui fait chercher à se délivrer de ses peines, rien ne pouvait me paraître plus doux que la mort, dans ce moment de désespoir et de consternation. La religion même ne pouvait me faire envisager rien de plus insupportable, après la vie, que les convulsions cruelles dont j'étais tourmenté. Cependant, par un miracle propre à l'amour, je retrouvai bientôt assez de force pour remercier le Ciel de m'avoir rendu la connaissance et la raison. Ma mort n'eût été utile qu'à moi. Manon avait besoin de ma vie pour la délivrer pour la secourir pour la venger. Je jurai de m'y employer sans ménagement. Le concierge me donna toute l'assistance que j'eusse pu

attendre du meilleur de mes amis. Je reçus ses services avec une vive reconnaissance. Hélas! lui dis­je, vous êtes donc touché de mes peines? Tout le monde m'abandonne. Mon père même est sans doute un de mes plus cruels persécuteurs. Personne n'a pitié de moi. Vous seul, dans le séjour de la dureté et de la barbarie, vous marquez de la compassion pour le plus misérable de tous, les hommes! Il me conseillait de ne point paraître dans la rue sans être un peu remis du trouble où j'étais. Laissez, laissez, répondis­je en sortant; je vous reverrai plus tôt que vous ne pensez. Préparez­moi le plus noir de vos cachots; je vais travailler à le mériter.

that, having a disposition to serve me, he spoke of Manon's sentence as a calamity which he sincerely regretted, since it was calculated to mortify me. I was at first unable to comprehend his meaning. We conversed for some minutes without my understanding him. At length perceiving that an explanation was necessary, he gave me such a one, as on a former occasion I wanted courage to relate to you, and which, even now, makes my blood curdle in my veins to remember."

[1] Who has e'er been at Paris must needs know the Greve, The fatal retreat of th' unfortunate brave, Where honour and justice most oddly contribute, To ease heroes' pains by the halter and gibbet. —PRIOR.

(retour) XI

Alack! it is not when we sleep soft and wake merrily that we think on other people's sufferings; but when the hour of trouble comes, said Jeanie Deans.—WALTER SCOTT. "Never did apoplexy produce on mortal a more sudden

or terrific effect than did the announcement of Manon's sentence upon me. I fell prostrate, with so intense a palpitation of the heart, that as I swooned I thought that death itself was come upon me. This idea continued even after I had been restored to my senses. I gazed around me upon every part of the room, then upon my own paralysed limbs, doubting, in my delirium, whether I still bore about me the attributes of a living man. It is quite certain that, in obedience to the desire I felt of terminating my sufferings, even by my own hand, nothing could have been to me more welcome than death at that moment of anguish and despair. Religion itself could depict nothing more insupportable after death than the racking agony with which I was then convulsed. Yet, by a miracle, only within the power of omnipotent love, I soon regained strength enough to express my gratitude to Heaven for restoring me to sense and reason. My death could have only been a relief and blessing to myself; whereas Manon had occasion for my prolonged existence, in order to deliver her—to succour her—to avenge her wrongs: I swore to devote that existence unremittingly to these objects. "The porter gave me every assistance that I could have

expected at the hands of my oldest friend: I accepted his services with the liveliest gratitude. 'Alas!' said I to him, 'you then are affected by my sufferings! The whole world abandons me; my own father proves one of the very cruellest of my persecutors; no person feels pity for me! You alone, in this abode of suffering and shame—you alone exhibit compassion for the most wretched of mankind!' He advised me not to appear in the street until I had recovered a little from my affliction. 'Do not stop me,' said I, as I went out; 'we shall meet again sooner than you imagine: get ready your darkest dungeon, for I shall shortly become its tenant.'

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En effet, mes premières résolutions n'allaient à rien

moins qu'à me défaire des deux G... M... et du Lieutenant général de Police, et fondre ensuite à main armée sur l'Hôpital, avec tous ceux que je pourrais engager dans ma querelle. Mon père lui­même eût à peine été respecté, dans une vengeance qui me paraissait si juste, car le concierge ne m'avait pas caché que lui et G... M... étaient les auteurs de ma perte. Mais, lorsque j'eus fait quelques pas dans les rues, et

que l'air eut un peu rafraîchi mon sang et mes humeurs, ma fureur fit place peu à peu à des sentiments plus raisonnables. La mort de nos ennemis eût été d'une faible utilité pour Manon, et elle m'eût exposé sans doute à me voir ôter tous les moyens de la secourir D'ailleurs, aurais­je eu recours à un lâche assassinat? Quelle autre voie pouvais­je m'ouvrir à la vengeance? Je recueillis toutes mes forces et tous mes esprits pour travailler d'abord à la délivrance de Manon, remettant tout le reste après le succès de cette importante entreprise. Il me restait peu d'argent. C'était, néanmoins, un

fondement nécessaire, par lequel il fallait commencer. Je ne voyais que trois personnes de qui j'en pusse attendre: M. de T..., mon père et Tiberge. Il y avait peu d'apparence d'obtenir quelque chose des deux derniers, et j'avais honte de fatiguer l'autre par mes importunités. Mais ce n'est point dans le désespoir qu'on garde des ménagements. J'allai sur­le­champ au Séminaire de Saint­Sulpice, sans m'embarrasser si j'y serais reconnu. Je fis appeler Tiberge. Ses premières paroles me firent comprendre qu'il ignorait encore mes dernières aventures. Cette idée me fit changer le dessein que j'avais, de l'attendrir par la compassion. Je lui parlai, en général, du plaisir que j'avais eu de revoir mon père, et je le priai ensuite de me prêter quelque argent, sous prétexte de payer, avant mon départ de Paris, quelques dettes que je souhaitais de tenir inconnues. Il me présenta aussitôt sa bourse. Je pris cinq cents francs sur six cents que j'y trouvai. Je lui offris mon billet; il était trop généreux pour l'accepter. Je tournai de là chez M. de T... Je n'eus point de

réserve avec lui. Je lui fis l'exposition de mes malheurs et de mes peines: il en savait déjà jusqu'aux moindres circonstances, par le soin qu'il avait eu de suivre l'aventure du jeune G... M...; il m'écouta néanmoins, et il me plaignit beaucoup. Lorsque je lui demandai ses conseils sur les moyens de délivrer Manon, il me répondit tristement qu'il y voyait si peu de jour, qu'à moins d'un secours extraordinaire du Ciel, il fallait renoncer à l'espérance, qu'il avait passé exprès à l'Hôpital, depuis qu'elle y était renfermée, qu'il n'avait pu obtenir lui­même la liberté de la voir; que les ordres du Lieutenant général de Police étaient de la dernière rigueur et que, pour comble d'infortune, la malheureuse bande où elle devait entrer était destinée à partir le surlendemain du jour où nous étions.

"In fact, my first idea was nothing less than to make

away with the two G—— M——s, and the lieutenant­general of police; and then to attack the Hospital, sword in hand, assisted by all whom I could enlist in my cause. Even my father's life was hardly respected, so just appeared my feelings of vengeance; for the porter had informed me that he and G—— M—— were jointly the authors of my ruin. "But when I had advanced some paces into the street,

and the fresh air had cooled my excitement, I gradually viewed matters in a more rational mood. The death of our enemies could be of little use to Manon; and the obvious effect of such violence would be to deprive me of all other chance of serving her. Besides, could I ever bring myself to be a cowardly assassin? By what other means could I accomplish my revenge? I set all my ingenuity and all my efforts at work to procure the deliverance of Manon, leaving everything else to be considered hereafter when I had succeeded in this first and paramount object. "I had very little money left; money, however, was an

indispensable basis for all my operations. I only knew three persons from whom I had any right to ask pecuniary assistance—M. de T——, Tiberge, and my father. There appeared little chance of obtaining any from the two latter, and I was really ashamed again to importune M. de T——. But it is not in desperate emergencies that one stands upon points of ceremony. I went first to the seminary of St. Sulpice, without considering whether I should be recognised. I asked for Tiberge. His first words showed me that he knew nothing of my latest adventure: this made me change the design I had originally formed of appealing at once to his compassion. I spoke generally of the pleasure it had given me to see my father again; and I then begged of him to lend me some money, under the pretext of being anxious before I left Paris to pay a few little debts, which I wished to keep secret. He handed me his purse, without a single remark. I took twenty or twenty­five pounds, which it contained. I offered him my note of hand, but he was too generous to accept it. "I then went to M. de T——: I had no reserve with him.

I plainly told him my misfortunes and distress: he already knew everything, and had informed himself even of the most trifling circumstance, on account of the interest he naturally took in young G—— M——'s adventure. He, however, listened to me, and seemed sincerely to lament what had occurred. When I consulted him as to the best means of rescuing Manon, he answered that he saw such little ground for hope, that, without some extraordinary interposition of Providence, it would be folly to expect relief; that he had paid a visit expressly to the Hospital since Manon had been transferred from the Chatelet, but that he could not even obtain permission to see her, as the lieutenant­general of police had given the strictest orders to the contrary; and that, to complete the catastrophe, the unfortunate train of convicts, in which she was to be included, was to take its departure from Paris the day but one after.

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J'étais si consterné de son discours qu'il eût pu parler

une heure sans que j'eusse pensé à l'interrompre. Il continua de me dire qu'il ne m'était point allé voir au Châtelet, pour se donner plus de facilité à me servir lorsqu'on le croirait sans liaison avec moi; que, depuis quelques heures que j'en étais sorti, il avait eu le chagrin d'ignorer où je m'étais retiré, et qu'il avait souhaité de me voir promptement pour me donner le seul conseil dont il semblait que je pusse espérer du changement dans le sort de Manon, mais un conseil dangereux, auquel il me priait de cacher éternellement qu'il eût part: c'était de choisir quelques braves qui eussent le courage d'attaquer les gardes de Manon lorsqu'ils seraient sortis de Paris avec elle. Il n'attendit point que je lui parlasse de mon indigence. Voilà cent pistoles, me dit­il, en me présentant une bourse, qui pourront vous être de quelque usage. Vous me les remettrez, lorsque la fortune aura rétabli vos affaires. Il ajouta que, si le soin de sa réputation lui eût permis d'entreprendre lui­même la délivrance de ma maîtresse, il m'eût offert son bras et son épée. Cette excessive générosité me toucha jusqu'aux larmes.

J'employai, pour lui marquer ma reconnaissance, toute la vivacité que mon affliction me laissait de reste. Je lui demandai s'il n'y avait rien à espérer par la voie des intercessions, auprès du Lieutenant général de Police. Il me dit qu'il y avait pensé, mais qu'il croyait cette ressource inutile, parce qu'une grâce de cette nature ne pouvait se demander sans motif, et qu'il ne voyait pas bien quel motif on pouvait employer pour se faire un intercesseur d'une personne grave et puissante; que, si l'on pouvait se flatter de quelque chose de ce côté­là, ce ne pouvait être qu'en faisant changer de sentiment à M. de G... M... et à mon père, et en les engageant à prier eux­mêmes M. le Lieutenant général de Police de révoquer sa sentence. Il m'offrit de faire tous ses efforts pour gagner le jeune G... M..., quoiqu'il le crût un peu refroidi à son égard par quelques soupçons qu'il avait conçus de lui à l'occasion de notre affaire, et il m'exhorta à ne rien omettre, de mon côté, pour fléchir l'esprit de mon père. Ce n'était pas une légère entreprise pour moi, je ne dis

pas seulement par la difficulté que je devais naturellement trouver à le vaincre, mais par une autre raison qui me faisait même redouter ses approches: je m'étais dérobé de son logement contre ses ordres, et j'étais fort résolu de n'y pas retourner depuis que j'avais appris la triste destinée de Manon. J'appréhendais avec sujet qu'il ne me fît retenir malgré moi, et qu'il ne me reconduisît de même en province. Mon frère aîné avait usé autrefois de cette méthode. Il est vrai que j'étais devenu plus âgé, mais l'âge était une faible raison contre la force. Cependant je trouvai une voie qui me sauvait du danger; c'était de le faire appeler dans un endroit public, et de m'annoncer à lui sous un autre nom. Je pris aussitôt ce parti. M. de T... s'en alla chez G... M... et moi au Luxembourg, d'où j'envoyai avertir mon père qu'un gentilhomme de ses serviteurs était à l'attendre. Je craignais qu'il n'eût

"I was so confounded by what he said, that if he had

gone on speaking for another hour, I should not have interrupted him. He continued to tell me, that the reason of his not calling to see me at the Chatelet was, that he hoped to be of more use by appearing to be unknown to me; that for the last few hours, since I had been set at liberty, he had in vain looked for me, in order to suggest the only plan through which he could see a hope of averting Manon's fate. He told me it was dangerous counsel to give, and implored me never to mention the part he took in it; it was to find some enterprising fellows gallant enough to attack Manon's guard on getting outside the barriere. Nor did he wait for me to urge a plea of poverty. 'Here is fifty pounds,' he said, presenting me his purse; 'it may be of use to you; you can repay me when you are in better circumstances.' He added, that if the fear of losing his character did not prevent him from embarking in such an enterprise, he would have willingly put his sword and his life at my service. "This unlooked­for generosity affected me to tears. I

expressed my gratitude with as much warmth as my depressed spirits left at my command. I asked him if there were nothing to be expected from interceding with the lieutenant­general of police: he said that he had considered that point; but that he looked upon it as a hopeless attempt, because a favour of that nature was never accorded without some strong motive, and he did not see what inducement could be held out for engaging the intercession of any person of power on her behalf; that if any hope could possibly be entertained upon the point, it must be by working a change in the feelings of old G—— M—— and my father, and by prevailing on them to solicit from the lieutenant­general of police the revocation of Manon's sentence. He offered to do everything in his power to gain over the younger G—— M——, although he fancied a coldness in that gentleman's manner towards him, probably from some suspicions he might entertain of his being concerned in the late affair; and he entreated me to lose no opportunity of effecting the desired change in my father's mind. "This was no easy undertaking for me; not only on

account of the difficulty I should naturally meet in overcoming his opinion, but for another reason which made me fear even to approach him; I had quitted his lodgings contrary to his express orders, and was resolved, since I had learned the sad fate of my poor Manon, never again to return thither. I was not without apprehensions indeed of his now retaining me against my will, and perhaps taking me at once back with him into the country. My elder brother had formerly had recourse to this violent measure. True, I was now somewhat older; but age is a feeble argument against force. I hit upon a mode, however, of avoiding this danger, which was to get him by contrivance to some public place, and there announce myself to him under an assumed name: I immediately resolved on this method. M. de T—— went to G—— M——'s, and I to the Luxembourg, whence I sent my father

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quelque peine à venir parce que la nuit approchait. Il parut néanmoins peu après, suivi de son laquais. Je le priai de prendre une allée où nous puissions être seuls. Nous fîmes cent pas, pour le moins, sans parler. Il s'imaginait bien, sans doute, que tant de préparations ne s'étaient pas faites sans un dessein d'importance. Il attendait ma harangue, et je la méditais. Enfin, j'ouvris la bouche. Monsieur, lui dis­je en tremblant, vous êtes un bon

père. Vous m'avez comblé de grâces et vous m'avez pardonné un nombre infini de fautes. Aussi le Ciel m'est­il témoin que j'ai pour vous tous les sentiments du fils le plus tendre et le plus respectueux. Mais il me semble... que votre rigueur... Hé bien! ma rigueur? interrompit mon père, qui

trouvait sans doute que je parlais lentement pour son impatience. Ah! monsieur repris­je, il me semble que votre rigueur

est extrême, dans le traitement que vous avez fait à la malheureuse Manon. Vous vous en êtes rapporté à M. de G... M... Sa haine vous l'a représentée sous les plus noires couleurs. Vous vous êtes formé d'elle une affreuse idée. Cependant, c'est la plus douce et la plus aimable créature qui fût jamais. Que n'a­t­il plu au Ciel de vous inspirer l'envie de la voir un moment! Je ne suis pas plus sûr qu'elle est charmante, que je le suis qu'elle vous l'aurait paru. Vous auriez pris parti pour elle; vous auriez détesté les noirs artifices de G... M...; vous auriez eu compassion d'elle et de moi. Hélas! j'en suis sûr Votre cœur n'est pas insensible; vous vous seriez laissé attendrir. Il m'interrompit encore, voyant que je parlais avec une

ardeur qui ne m'aurait pas permis de finir sitôt. Il voulut savoir à quoi j'avais dessein d'en venir par un discours si passionné. À vous demander la vie, répondis­je, que je ne puis

conserver un moment si Manon part une fois pour l'Amérique. Non, non, me dit­il d'un ton sévère; j'aime mieux te

voir sans vie que sans sagesse et sans honneur. N'allons donc pas plus loin! m'écriai­je en l'arrêtant

par le bras; ôtez­la­moi, cette vie odieuse et insupportable, car dans le désespoir où vous me jetez, la mort sera une faveur pour moi. C'est un présent digne de la main d'un père. Je ne te donnerai que ce que tu mérites, répliqua­t­il.

Je connais bien des pères qui n'auraient pas attendu, si longtemps pour être eux­mêmes tes bourreaux, mais c'est

word, that a gentleman waited there to speak with him. I hardly thought he would come, as the night was advancing. He, however, soon made his appearance, followed by a servant: I begged of him to choose a walk where we could be alone. We walked at least a hundred paces without speaking. He doubtless imagined that so much precaution could not be taken without some important object. He waited for my opening speech, and I was meditating how to commence it. "At length I began. "'Sir,' said I, trembling, 'you are a good and affectionate

parent; you have loaded me with favours, and have forgiven me an infinite number of faults; I also, in my turn, call Heaven to witness the sincere, and tender, and respectful sentiments I entertain towards you. But it does seem to me, that your inexorable severity——' "'Well, sir, my severity!' interrupted my father, who no

doubt found my hesitation little suited to his impatience. "'Ah, sir,' I replied, 'it does seem to me that your

severity is excessive in the penalty you inflict upon the unfortunate Manon. You have taken only M. G—— M——'s report of her. His hatred has made him represent her to you in the most odious colours: you have formed a frightful idea of her. She is, on the contrary, the mildest and most amiable of living creatures; would that Heaven had but inspired you at any one moment with the desire of seeing her! I am convinced that you would be not less sensible of her perfections than your unhappy son. You would then have been her advocate; you would have abhorred the foul artifices of G—— M——; you would have had pity on both her and me. Alas! I am persuaded of it; your heart is not insensible; it must ere now have melted with compassion.' "He interrupted me again, perceiving that I spoke with

a warmth which would not allow me to finish very briefly. He begged to know with what request I intended to wind up so fervent an harangue. "'To ask my life at your hands,' said I, 'which I never

can retain if Manon once embark for America.' "'No! no!' replied he, in the severest tone; 'I would

rather see you lifeless, than infamous and depraved.' "'We have gone far enough, then,' said I, catching hold

of his arm; 'take from me, in common mercy, my life! weary and odious and insupportable as it henceforward must be; for in the state of despair into which you now plunge me, death would be the greatest favour you could bestow—a favour worthy of a father's hand.' "'I should only give you what you deserve,' replied he;

'I know fathers who would not have shown as much patience as I have, but would themselves have executed

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ma bonté excessive qui t'a perdu. Je me jetai à ses genoux. Ah! s'il vous en reste encore,

lui dis­je en les embrassant, ne vous endurcissez donc pas contre mes pleurs. Songez que je suis votre fils... Hélas! souvenez­vous de ma mère. Vous l'aimiez si tendrement! Auriez­vous souffert qu'on l'eût arrachée de vos bras? Vous l'auriez défendue jusqu'à la mort. Les autres n'ont­ils pas un cœur comme vous? Peut­on être barbare, après avoir une fois éprouvé ce que c'est que la tendresse et la douleur? Ne me parle pas davantage de ta mère, reprit­il d'une

voix irritée; ce souvenir échauffe mon indignation. Tes désordres la feraient mourir de douleur si elle eût assez vécu pour les voir. Finissons cet entretien, ajouta­t­il; il m'importune, et ne me fera point changer de résolution. Je retourne au logis; je t'ordonne de me suivre. Le ton sec et dur avec lequel il m'intima cet ordre me

fit trop comprendre que son cœur était inflexible. Je m'éloignai de quelques pas, dans la crainte qu'il ne lui prît envie de m'arrêter de ses propres mains. N'augmentez pas mon désespoir, lui dis­je, en me

forçant de vous désobéir. Il est impossible que je vous suive. Il ne l'est pas moins que je vive, après la dureté avec laquelle vous me traitez. Ainsi je vous dis un éternel adieu. Ma mort, que vous apprendrez bientôt, ajoutai­je tristement, vous fera peut­être reprendre pour moi des sentiments de père. Comme je me tournais pour le quitter: Tu refuses donc de me suivre? s'écria­t­il avec une vive

colère. Va, cours à ta perte. Adieu, fils ingrat et rebelle. Adieu, lui dis­je dans mon transport, adieu, père

barbare et dénaturé. Je sortis aussitôt du Luxembourg. Je marchai dans les

rues comme un furieux jusqu'à la maison de M. de T... Je levais, en marchant, les yeux et les mains pour invoquer toutes les puissances célestes. Ô Ciel! disais­je, serez­vous aussi impitoyable que les hommes? Je n'ai plus de secours à attendre que de vous. M. de T... n'était point encore retourné chez lui, mais il

revint après que je l'y eus attendu quelques moments. Sa négociation n'avait pas réussi mieux que la mienne. Il me le dit d'un visage abattu. Le jeune G... M..., quoique moins irrité que son père contre Manon et contre moi, n'avait pas voulu entreprendre de le solliciter en notre faveur. Il s'en était défendu par la crainte qu'il avait lui­même de ce vieillard vindicatif, qui s'était déjà fort emporté contre lui

speedy justice; but it is my foolish and excessive forbearance that has been your ruin.' "I threw myself at his feet: 'Ah!' exclaimed I, 'if you

have still any remains of mercy, do not harden your heart against my distress and sorrow. Remember that I am your child! Alas! think of my poor mother! you loved her tenderly! would you have suffered her to be torn from your arms? You would have defended her to the death! May not the same feeling then be pardoned in others? Can persons become barbarous and cruel, after having themselves experienced the softening influence of tenderness and grief?' "'Breathe not again the sacred name of your mother,'

he exclaimed, in a voice of thunder; 'the very allusion to her memory rouses my indignation. Had she lived to witness the unredeemed profligacy of your life, it would have brought her in pain and sorrow to her grave.—Let us put an end to this discussion' he added; 'it distresses me, and makes not the slightest change in my determination: I am going back to my lodgings, and I desire you to follow me.' "The cool and resolute tone in which he uttered this

command, convinced me that he was inexorable. I stepped some paces aside, for fear he should think fit to lay hands upon me. "'Do not increase my misery and despair,' said I to him,

'by forcing me to disobey you. It is impossible for me to follow you; and equally so that I should continue to live, after the unkind treatment I have experienced from you. I, therefore, bid you an eternal adieu. When you know that I am dead, as I shall soon be, the paternal affection which you once entertained for me may be perhaps revived.' "As I was about to turn away from him: 'You refuse

then to follow me,' cried he, in a tone of excessive anger. 'Go! go on to your ruin. Adieu! ungrateful and disobedient boy.' "'Adieu!' exclaimed I to him, in a burst of grief, 'adieu,

cruel and unnatural father!' "I left the Luxembourg, and rushed like a madman

through the streets to M. de T——'s house. I raised my hands and eyes as I went along, invoking the Almighty Powers: 'O Heaven,' cried I, 'will you not prove more merciful than man! The only hope that remains to me is from above!' "M. de T—— had not yet returned home; but he arrived

before many minutes had elapsed. His negotiation had been as unsuccessful as my own. He told me so with the most sorrowful countenance. Young G—— M——, although less irritated than his father against Manon and me, would not undertake to petition in our favour. He was, in great measure, deterred by the fear which he himself had of the vindictive old lecher, who had already

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en lui reprochant ses desseins de commerce avec Manon. Il ne me restait donc que la voie de la violence, telle

que M. de T... m'en avait tracé le plan; j'y réduisis toutes mes espérances. Elles sont bien incertaines, lui dis­je, mais la plus solide et la plus consolante pour moi est celle de périr du moins dans l'entreprise. Je le quittai en le priant de me secourir par ses vœux, et je ne pensai plus qu'à m'associer des camarades à qui je pusse communiquer une étincelle de mon courage et de ma résolution. Le premier qui s'offrit à mon esprit, fut le même garde

du corps que j'avais employé pour arrêter G... M... J'avais dessein aussi d'aller passer la nuit dans sa chambre, n'ayant pas eu l'esprit assez libre, pendant l'après­midi, pour me procurer un logement. Je le trouvai seul. Il eut de la joie de me voir sorti du Châtelet. Il m'offrit affectueusement ses services. Je lui expliquai ceux qu'il pouvait me rendre. Il avait assez de bon sens pour en apercevoir toutes les difficultés, mais il fut assez généreux pour entreprendre de les surmonter. Nous employâmes une partie de la nuit à raisonner sur

mon dessein. Il me parla des trois soldats aux gardes, dont il s'était servi dans la dernière occasion, comme de trois braves à l'épreuve. M. de T... m'avait informé exactement du nombre des archers qui devaient conduire Manon; ils n'étaient que six. Cinq hommes hardis et résolus suffisaient pour donner l'épouvante à ces misérables, qui ne sont point capables de se défendre honorablement lorsqu'ils peuvent éviter le péril du combat par une lâcheté. Comme je ne manquais point d'argent, le garde du corps me conseilla de ne rien épargner pour assurer le succès de notre attaque. Il nous faut des chevaux, me dit­il, avec des pistolets, et chacun notre mousqueton. Je me charge de prendre demain le soin de ces préparatifs. Il faudra aussi trois habits communs pour nos soldats, qui n'oseraient paraître dans une affaire de cette nature avec l'uniforme du régiment. Je lui mis entre les mains les cent pistoles que j'avais reçues de M. de T... Elles furent employées, le lendemain, jusqu'au dernier sol. Les trois soldats passèrent en revue devant moi. Je les animai par de grandes promesses, et pour leur ôter toute défiance, je commençai par leur faire présent, à chacun, de dix pistoles. Le jour de l'exécution étant venu, j'en envoyai un de

grand matin à l'Hôpital, pour s'instruire, par ses propres yeux, du moment auquel les archers partiraient avec leur proie. Quoique je n'eusse pris cette précaution que par un excès d'inquiétude et de prévoyance, il se trouva qu'elle avait été absolument nécessaire. J'avais compté sur quelques fausses informations qu'on m'avait données de leur route, et, m'étant persuadé que c'était à La Rochelle que cette déplorable troupe devait être embarquée, j'aurais perdu mes peines à l'attendre sur le chemin d'Orléans. Cependant, je fus informé, par le rapport du soldat aux gardes qu'elle prenait le chemin de Normandie,

vented his anger against him for his design of forming a connection with Manon. "There only remained to me, therefore, the violent

measures which M. T—— had suggested. I now confined all my hopes to them. They were questionless most uncertain; but they held out to me, at least, a substantial consolation, in the certainty of meeting death in the attempt, if unsuccessful. I left him, begging that he would offer up his best wishes for my triumph; and I thought only of finding some companions, to whom I might communicate a portion of my own courage and determination. "The first that occurred to me was the same guardsman

whom I had employed to arrest G—— M——. I had intended indeed to pass the night at his rooms, not having had a moment of leisure during the afternoon to procure myself a lodging. I found him alone. He was glad to see me out of the Chatelet. He made me an offer of his services. I explained to him in what way he might now do me the greatest kindness. He had good sense enough to perceive all the difficulties; but he was also generous enough to undertake to surmount them. "We spent part of the night in considering how the plot

was to be executed. He spoke of the three soldiers whom he had made use of on the last occasion, as men whose courage had been proved. M. de T—— had told me the exact number of archers that would escort Manon; they were but six. Five strong and determined men could not fail to strike terror into these fellows, who would never think of defending themselves bravely, when they were to be allowed the alternative of avoiding danger by surrendering; and of that they would no doubt avail themselves. As I was not without money, the guardsman advised me to spare no pains or expense to ensure success. 'We must be mounted,' he said, 'and each man must have his carbine and pistols; I will take care to prepare everything requisite by tomorrow. We shall also want three new suits of regimentals for the soldiers, who dare not appear in an affray of this kind in the uniform of their regiment. I handed him the hundred pistoles which I had got from M. de T——; it was all expended the next morning, to the very last sou. I inspected the three soldiers; I animated them with the most liberal promises; and to confirm their confidence in me, I began by making each man a present of ten pistoles. "The momentous day having arrived, I sent one of

them at an early hour to the Hospital, to ascertain the exact time when the police were to start with their prisoners. Although I merely took this precaution from my excessive anxiety, it turned out to have been a prudent step. I had formed my plans upon false information, which I had received as to their destination; and believing that it was at Rochelle this unhappy group was to embark, all my trouble would have been thrown away in waiting for them on the Orleans road. However, I learned, by the soldier's report, that they would go out towards Rouen, and that it was from Havre­de­Grace they were to sail for

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et que c'était du Havre­de­Grâce qu'elle devait partir pour l'Amérique. Nous nous rendîmes aussitôt à la Porte Saint­Honoré,

observant de marcher par des rues différentes. Nous nous réunîmes au bout du faubourg. Nos chevaux étaient frais. Nous ne tardâmes point à découvrir les six gardes et les deux misérables voitures que vous vîtes à Pacy, il y a deux ans. Ce spectacle faillit de m'ôter la force et la connaissance. Ô fortune, m'écriai­je, fortune cruelle! accorde­moi ici, du moins, là mort ou la victoire. Nous tînmes conseil un moment sur la manière dont

nous ferions notre attaque. Les archers n'étaient guère plus de quatre cents pas devant nous, et nous pouvions les couper en passant au travers d'un petit champ, autour duquel le grand chemin tournait. Le garde du corps fut d'avis de prendre cette voie, pour les surprendre en fondant tout d'un coup sur eux. J'approuvai sa pensée et je fus le premier à piquer mon cheval. Mais la fortune avait rejeté impitoyablement mes vœux. Les archers, voyant cinq cavaliers accourir vers eux, ne

doutèrent point que ce ne fût pour les attaquer. Ils se mirent en défense, en préparant leurs baïonnettes et leurs fusils d'un air assez résolu. Cette vue, qui ne fit que nous animer le garde du corps

et moi, ôta tout d'un coup le courage à nos trois lâches compagnons. Ils s'arrêtèrent comme de concert, et, s'étant dit entre eux quelques mots que je n'entendis point, ils tournèrent la tête de leurs chevaux, pour reprendre le chemin de Paris à bride abattue. Dieux! me dit le garde du corps, qui paraissait aussi

éperdu que moi de cette infâme désertion, qu'allons­nous faire? Nous ne sommes que deux. J'avais perdu la voix, de fureur et d'étonnement. Je

m'arrêtai, incertain si ma première vengeance ne devait pas s'employer à la poursuite et au châtiment des lâches qui m'abandonnaient. Je les regardais fuir et je jetais les yeux, de l'autre côté, sur les archers. S'il m'eût été possible de me partager, j'aurais fondu tout à la fois sur ces deux objets de ma rage; je les dévorais tous ensemble. Le garde du corps, qui jugeait de mon incertitude par

le mouvement égaré de mes yeux, me pria d'écouter son conseil. N'étant que deux, me dit­il, il y aurait de la folie à attaquer six hommes aussi bien armés que nous et qui paraissent nous attendre de pied ferme. Il faut retourner à Paris et tâcher de réussir mieux dans le choix de nos braves. Les archers ne sauraient faire de grandes journées avec deux pesantes voitures; nous les rejoindrons demain sans peine. Je fis un moment de réflexion sur ce parti, mais, ne

voyant de tous côtés que des sujets de désespoir, je pris une résolution véritablement désespérée. Ce fut de remercier mon compagnon de ses services, et, loin

America. "We at once went to the gate of St. Honore, taking care

to go by different streets. We assembled at the end of the faubourg. Our horses were fresh. In a little time we observed before us the six archers and the two wretched caravans, which you saw at Passy two years ago. The sight alone almost deprived me of my strength and senses. 'Oh fate!' said I to myself, 'cruel fate! grant me now either death or victory.' "We hastily consulted as to the mode of making the

attack. The cavalcade was only four hundred paces in advance, and we might intercept them by cutting across a small field, round which the high road led. The guardsman was for this course, in order to fall suddenly upon them while unprepared. I approved of the plan, and was the first to spur my horse forward—but fate once again relentlessly blasted all my hopes. "The escort, seeing five horsemen riding towards them,

inferred that it was for the purpose of attacking them. They put themselves in a position of defence, preparing their bayonets and guns with an air of resolution. "This demonstration, which in the guardsman and

myself only inspired fresh courage, had a very different effect upon our three cowardly companions. They stopped simultaneously, and having muttered to each other some words which I could not hear, they turned their horses' heads, threw the bridles on their necks, and galloped back towards Paris. "'Good heavens!' said the guardsman, who appeared as

much annoyed as I was by this infamous desertion, 'what is to be done? we are but two now.' "From rage and consternation I had lost all power of

speech. I doubted whether my first revenge should not be in pursuing the cowards who had abandoned me. I saw them flying, and looked in the other direction at the escort: if it had been possible to divide myself, I should at once have fallen upon both these objects of my fury; I should have destroyed all at the same moment. "The guardsman, who saw my irresolution by my

wandering gaze, begged of me to hear his advice. 'Being but two,' he said, 'it would be madness to attack six men as well armed as ourselves, and who seem determined to receive us firmly. Let us return to Paris, and endeavour to succeed better in the choice of our comrades. The police cannot make very rapid progress with two heavy vans; we may overtake them tomorrow without difficulty.' "I reflected a moment on this suggestion; but seeing

nothing around me but despair, I took a final and indeed desperate resolution: this was to thank my companion for his services, and, far from attacking the police, to go up

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d'attaquer les archers, je résolus d'aller avec soumission, les prier de me recevoir dans leur troupe pour accompagner Manon avec eux jusqu'au Havre­de­Grâce et passer ensuite au­delà des mers avec elle. Tout le monde me persécute ou me trahit, dis­je au garde du corps. Je n'ai plus de fond à faire sur personne. Je n'attends plus rien, ni de la fortune, ni du secours des hommes. Mes malheurs sont au comble; il ne me reste plus que de m'y soumettre. Ainsi, je ferme les yeux à toute espérance. Puisse le Ciel récompenser votre générosité! Adieu, je vais aider mon mauvais sort à consommer ma ruine, en y courant moi­même volontairement. Il fit inutilement ses efforts pour m'engager à retourner à Paris. Je le priai de me laisser suivre mes résolutions et de me quitter sur­le­champ, de peur que les archers ne continuassent de croire que notre dessein était de les attaquer. J'allai seul vers eux, d'un pas lent et le visage si

consterné qu'ils ne durent rien trouver d'effrayant dans mes approches. Ils se tenaient néanmoins en défense. Rassurez­vous, messieurs, leur dis­je, en les abordant; je ne vous apporte point la guerre, je viens vous demander des grâces. Je les priai de continuer leur chemin sans défiance et je leur appris, en marchant, les faveurs que j'attendais d'eux. Ils consultèrent ensemble de quelle manière ils devaient recevoir cette ouverture. Le chef de la bande prit la parole pour les autres. Il me répondit que les ordres qu'ils avaient de veiller sur leurs captives étaient d'une extrême rigueur; que je lui paraissais néanmoins si joli homme que lui et ses compagnons se relâcheraient un peu de leur devoir; mais que je devais comprendre qu'il fallait qu'il m'en coûtât quelque chose. Il me restait environ quinze pistoles; je leur dis naturellement en quoi consistait le fond de ma bourse. Hé bien! me dit l'archer nous en userons généreusement. Il ne vous coûtera qu'un écu par heure pour entretenir celle de nos filles qui vous plaira le plus; c'est le prix courant de Paris. Je ne leur avais pas parlé de Manon en particulier

parce que je n'avais pas dessein qu'ils connussent ma passion. Ils s'imaginèrent d'abord que ce n'était qu'une fantaisie de jeune homme qui me faisait chercher un peu de passe­temps avec ces créatures; mais lorsqu'ils crurent s'être aperçus que j'étais amoureux, ils augmentèrent tellement le tribut, que ma bourse se trouva épuisée en partant de Mantes, où nous avions couché, le jour que nous arrivâmes à Pacy. Vous dirai­je quel fut le déplorable sujet de mes

entretiens avec Manon pendant cette route, ou quelle impression sa vue fit sur moi lorsque j'eus obtenu des gardes la liberté d'approcher de son chariot? Ah! les expressions ne rendent jamais qu'à demi les sentiments du cœur. Mais figurez­vous ma pauvre maîtresse

with submission and implore them to receive me among them, that I might accompany Manon to Havre­de­Grace, and afterwards, if possible, cross the Atlantic with her. 'The whole world is either persecuting or betraying me,' said I to the guardsman; 'I have no longer the power of interesting anyone in my favour; I expect nothing more either from fortune or the friendship of man; my misery is at its height; it only remains for me to submit, so that I close my eyes henceforward against every gleam of hope. May Heaven,' I continued, 'reward you for your generosity! Adieu! I shall go and aid my wretched destiny in filling up the full measure of my ruin!' He, in vain, endeavoured to persuade me to return with him to Paris. I entreated him to leave me at once, lest the police should still suspect us of an intention to attack them."

(retour) XII

The pauses and intermissions of pain become positive pleasures; and have thus a power of shedding a satisfaction over the intervals of ease, which few

enjoyments exceed.—PALEY. "Riding towards the cortege at a slow pace, and with a

sorrowful countenance, the guards could hardly see anything very terrific in my approach. They seemed, however, to expect an attack. 'Be persuaded, gentlemen,' said I to them, 'that I come not to wage war, but rather to ask favours.' I then begged of them to continue their progress without any distrust, and as we went along I made my solicitations. They consulted together to ascertain in what way they should entertain my request. The chief of them spoke for the rest. He said that the orders they had received to watch the prisoners vigilantly were of the strictest kind; that, however, I seemed so interesting a young man, that they might be induced to relax a little in their duty; but that I must know, of course, that this would cost me something. I had about sixteen pistoles left, and candidly told them what my purse contained. 'Well,' said the gendarme, 'we will act generously. It shall only cost you a crown an hour for conversing with any of our girls that you may prefer— that is the ordinary price in Paris.' "I said not a word of Manon, because I did not wish to

let them know of my passion. They at first supposed it was merely a boyish whim, that made me think of amusing myself with these creatures but when they discovered that I was in love, they increased their demands in such a way, that my purse was completely empty on leaving Mantes, where we had slept the night before our arrival at Passy. "Shall I describe to you my heart­rending interviews

with Manon during this journey, and what my sensations were when I obtained from the guards permission to approach her caravan? Oh! language never can adequately express the sentiments of the heart; but picture to yourself my poor mistress, with a chain round her waist, seated

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enchaînée par le milieu du corps, assise sur quelques poignées de paille, la tête appuyée languissamment sur un côté de la voiture, le visage pâle et mouillé d'un ruisseau de larmes qui se faisaient un passage au travers de ses paupières, quoiqu'elle eût continuellement les yeux fermés. Elle n'avait pas même eu la curiosité de les ouvrir lorsqu'elle avait entendu le bruit de ses gardes, qui craignaient d'être attaqués. Son linge était sale et dérangé, ses mains délicates exposées à l'injure de l'air; enfin, tout ce composé charmant, cette figure capable de ramener l'univers à l'idolâtrie, paraissait dans un désordre et un abattement inexprimables. J'employai quelque temps à la considérer en allant à

cheval à côté du chariot. J'étais si peu à moi­même que je fus sur le point, plusieurs fois, de tomber dangereusement. Mes soupirs et mes exclamations fréquentes m'attirèrent d'elle quelques regards. Elle me reconnut, et je remarquai que, dans le premier mouvement, elle tenta de se précipiter hors de la voiture pour venir à moi; mais, étant retenue par sa chaîne, elle retomba dans sa première attitude. Je priai les archers d'arrêter un moment par

compassion; ils y consentirent par avarice. Je quittai mon cheval pour m'asseoir auprès d'elle. Elle était si languissante et si affaiblie qu'elle fut longtemps sans pouvoir se servir de sa langue ni remuer ses mains. Je les mouillais pendant ce temps­là de mes pleurs, et, ne pouvant proférer moi­même une seule parole, nous étions l'un et l'autre dans une des plus tristes situations dont il y ait jamais eu d'exemple. Nos expressions ne le furent pas moins, lorsque nous eûmes retrouvé la liberté de parler. Manon parla peu. Il semblait que la honte et la douleur eussent altéré les organes de sa voix; le son en était faible et tremblant. Elle me remercia de ne l'avoir pas oubliée, et de la

satisfaction que je lui accordais, dit­elle en soupirant, de me voir du moins encore une fois et de me dire le dernier adieu. Mais, lorsque je l'eus assurée que rien n'était capable de me séparer d'elle et que j'étais disposé à la suivre jusqu'à l'extrémité du monde pour prendre soin d'elle, pour la servir pour l'aimer et pour attacher inséparablement ma misérable destinée à la sienne, cette pauvre fille se livra à des sentiments si tendres et si douloureux, que j'appréhendai quelque chose pour sa vie d'une si violente émotion. Tous les mouvements de son âme semblaient se réunir dans ses yeux. Elle les tenait fixés sur moi. Quelquefois elle ouvrait la bouche, sans avoir la force d'achever quelques mots qu'elle commençait. Il lui en échappait néanmoins quelques­uns. C'étaient des marques d'admiration sur mon amour, de tendres plaintes de son excès, des doutes qu'elle pût être assez heureuse pour m'avoir inspiré une passion si parfaite, des instances pour me faire renoncer au dessein de la suivre et chercher ailleurs un bonheur digne de moi, qu'elle me disait que je ne pouvais espérer avec elle. En dépit du plus cruel de tous les sorts, je trouvais ma

félicité dans ses regards et dans la certitude que j'avais de

upon a handful of straw, her head resting languidly against the panel of the carriage, her face pale and bathed with tears, which forced a passage between her eyelids, although she kept them continually closed. She had not even the curiosity to open her eyes on hearing the bustle of the guards when they expected our attack. Her clothes were soiled, and in disorder; her delicate hands exposed to the rough air; in fine, her whole angelic form, that face, lovely enough to carry back the world to idolatry, presented a spectacle of distress and anguish utterly indescribable. "I spent some moments gazing at her as I rode

alongside the carriage. I had so lost my self­possession, that I was several times on the point of falling from my horse. My sighs and frequent exclamations at length attracted her attention. She looked at and recognised me, and I remarked that on the first impulse, she unconsciously tried to leap from the carriage towards me, but being checked by her chain, she fell into her former attitude. "I begged of the guards to stop one moment for the

sake of mercy; they consented for the sake of avarice. I dismounted to go and sit near her. She was so languid and feeble, that she was for some time without the power of speech, and could not raise her hands: I bathed them with my tears; and being myself unable to utter a word, we formed together as deplorable a picture of distress as could well be seen. When at length we were able to speak, our conversation was not less sorrowful. Manon said little: shame and grief appeared to have altered the character of her voice; its tone was feeble and tremulous. "She thanked me for not having forgotten her, and for

the comfort I gave her in allowing her to see me once more, and she then bade me a long and last farewell. But when I assured her that no power on earth could ever separate me from her, and that I was resolved to follow her to the extremity of the world—to watch over her—to guard her—to love her—and inseparably to unite my wretched destiny with hers, the poor girl gave way to such feelings of tenderness and grief, that I almost dreaded danger to her life from the violence of her emotion: the agitation of her whole soul seemed intensely concentrated in her eyes; she fixed them steadfastly upon me. She more than once opened her lips without the power of giving utterance to her thoughts. I could, however, catch some expressions that dropped from her, of admiration and wonder at my excessive love—of doubt that she could have been fortunate enough to inspire me with a passion so perfect—of earnest entreaty that I would abandon my intention of following her, and seek elsewhere a lot more worthy of me, and which, she said, I could never hope to find with her. "In spite of the cruellest inflictions of Fate, I derived

comfort from her looks, and from the conviction that I

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son affection. J'avais perdu, à la vérité, tout ce que le reste des hommes estime; mais j'étais maître du cœur de Manon, le seul bien que j'estimais. Vivre en Europe, vivre en Amérique, que m'importait­il en quel endroit vivre, si j'étais sûr d'y être heureux en y vivant avec ma maîtresse? Tout l'univers n'est­il pas la patrie de deux amants fidèles? Ne trouvent­ils pas l'un dans l'autre, père, mère, parents, amis, richesses et félicité? Si quelque chose me causait de l'inquiétude, c'était la

crainte de voir Manon exposée aux besoins de l'indigence. Je me supposais déjà, avec elle, dans une région inculte et habitée par des sauvages. Je suis bien sûr disais­je, qu'il ne saurait y en avoir d'aussi cruels que G... M... et mon père. Ils nous laisseront du moins vivre en paix. Si les relations qu'on en fait sont fidèles, ils suivent les lois de la nature. Ils ne connaissent ni les fureurs de l'avarice, qui possèdent G... M..., ni les idées fantastiques de l'honneur qui m'ont fait un ennemi de mon père. Ils ne troubleront point deux amants qu'ils verront vivre avec autant de simplicité qu'eux. J'étais donc tranquille de ce côté­là. Mais je ne me formais point des idées romanesques

par rapport aux besoins communs de la vie. J'avais éprouvé trop souvent qu'il y a des nécessités insupportables, surtout pour une fille délicate qui est accoutumée à une vie commode et abondante. J'étais au désespoir d'avoir épuisé inutilement ma bourse et que le peu d'argent qui me restait fût encore sur le point de m'être ravi par la friponnerie des archers. Je concevais qu'avec une petite somme j'aurais pu espérer non seulement de me soutenir quelque temps contre la misère en Amérique, où l'argent était rare, mais d'y former même quelque entreprise pour un établissement durable. Cette considération me fit naître la pensée d'écrire à

Tiberge, que j'avais toujours trouvé si prompt à m'offrir les secours de l'amitié. J'écrivis, dès la première ville où nous passâmes. Je ne lui apportai point d'autre motif que le pressant besoin dans lequel je prévoyais que je me trouverais au Havre­de­Grâce, où je lui confessais que j'étais allé conduire Manon. Je lui demandais cent pistoles. Faites­les­moi tenir au Havre, lui disais­je, par le maître de la poste. Vous voyez bien que c'est la dernière fois que j'importune votre affection et que, ma malheureuse maîtresse m'étant enlevée pour toujours, je ne puis la laisser partir sans quelques soulagements qui adoucissent son sort et mes mortels regrets. Les archers devinrent si intraitables, lorsqu'ils eurent

découvert la violence de ma passion, que, redoublant continuellement le prix de leurs moindres faveurs, ils me réduisirent bientôt à la dernière indigence. L'amour d'ailleurs, ne me permettait guère de ménager ma bourse. Je m'oubliais du matin au soir près de Manon, et ce n'était plus par heure que le temps m'était mesuré, c'était par la longueur entière des jours. Enfin, ma bourse étant tout à fait vide, je me trouvai exposé aux caprices et à la brutalité de six misérables, qui me traitaient avec une hauteur

now possessed her undivided affection. I had in truth lost all that other men value; but I was the master of Manon's heart, the only possession that I prized. Whether in Europe or in America, of what moment to me was the place of my abode, provided I might live happy in the society of my mistress? Is not the universe the residence of two fond and faithful lovers? Does not each find in the other, father, mother, friends, relations, riches, felicity? "If anything caused me uneasiness, it was the fear of

seeing Manon exposed to want. I fancied myself already with her in a barbarous country, inhabited by savages. 'I am quite certain,' said I, 'there will be none there more cruel than G—— M—— and my father. They will, at least, allow us to live in peace. If the accounts we read of savages be true, they obey the laws of nature: they neither know the mean rapacity of avarice, nor the false and fantastic notions of dignity, which have raised me up an enemy in my own father. They will not harass and persecute two lovers, when they see us adopt their own simple habits.' I was therefore at ease upon that point. "But my romantic ideas were not formed with a proper

view to the ordinary wants of life. I had too often found that there were necessaries which could not be dispensed with, particularly by a young and delicate woman, accustomed to comfort and abundance. I was in despair at having so fruitlessly emptied my purse, and the little money that now remained was about being forced from me by the rascally imposition of the gendarmes. I imagined that a very trifling sum would suffice for our support for some time in America, where money was scarce, and might also enable me to form some undertaking there for our permanent establishment. "This idea made me resolve on writing to Tiberge,

whom I had ever found ready to hold out the generous hand of friendship. I wrote from the first town we passed through. I only alluded to the destitute condition in which I foresaw that I should find myself on arriving at Havre­de­Grace, to which place I acknowledged that I was accompanying Manon. I asked him for only fifty pistoles. 'You can remit it to me,' said I to him, 'through the hands of the postmaster. You must perceive that it is the last time I can by possibility trespass on your friendly kindness; and my poor unhappy mistress being about to be exiled from her country for ever, I cannot let her depart without supplying her with some few comforts, to soften the sufferings of her lot, as well as to assuage my own sorrows.' "The gendarmes became so rapacious when they saw

the violence of my passion, continually increasing their demands for the slightest favours, that they soon left me penniless. Love did not permit me to put any bounds to my liberality. At Manon's side I was not master of myself; and it was no longer by the hour that time was measured; rather by the duration of whole days. At length, my funds being completely exhausted, I found myself exposed to the brutal caprice of these six wretches who treated me with intolerable rudeness—you yourself witnessed it at Passy.

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insupportable. Vous en fûtes témoin à Pacy. Votre rencontre fut un heureux moment de relâche, qui me fut accordé par la fortune. Votre pitié, à la vue de mes peines, fut ma seule recommandation auprès de votre cœur généreux. Le secours, que vous m'accordâtes libéralement, servit à me faire gagner le Havre, et les archers tinrent leur promesse avec plus de fidélité que je ne l'espérais. Nous arrivâmes au Havre. J'allai d'abord à la poste.

Tiberge n'avait point encore eu le temps de me répondre. Je m'informai exactement quel jour je pouvais attendre sa lettre. Elle ne pouvait arriver que deux jours après, et par une étrange disposition de mon mauvais sort, il se trouva que notre vaisseau devait partir le matin de celui auquel j'attendais l'ordinaire. Je ne puis vous représenter mon désespoir Quoi! m'écriai­je, dans le malheur même, il faudra toujours que je sois distingué par des excès! Manon répondit: Hélas! une vie si malheureuse

mérite­t­elle le soin que nous en prenons? Mourons au Havre, mon cher Chevalier. Que la mort finisse tout d'un coup nos misères! Irons­nous les traîner dans un pays inconnu, où nous devons nous attendre, sans doute, à d'horribles extrémités, puisqu'on a voulu m'en faire un supplice? Mourons, me répéta­t­elle; ou du moins, donne­moi la mort, et va chercher un autre sort dans les bras d'une amante plus heureuse. Non, non, lui dis­je, c'est pour moi un sort digne

d'envie que d'être malheureux avec vous. Son discours me fit trembler. Je jugeai qu'elle était

accablée de ses maux. Je m'efforçai de prendre un air plus tranquille, pour lui ôter ces funestes pensées de mort et de désespoir. Je résolus de tenir la même conduite à l'avenir; et j'ai

éprouvé, dans la suite, que rien n'est plus capable d'inspirer du courage à une femme que l'intrépidité d'un homme qu'elle aime. Lorsque j'eus perdu l'espérance de recevoir du secours

de Tiberge, je vendis mon cheval. L'argent que j'en tirai, joint à ce qui me restait encore de vos libéralités, me composa la petite somme de dix­sept pistoles. J'en employai sept à l'achat de quelques soulagements nécessaires à Manon, et je serrai les dix autres avec soin, comme le fondement de notre fortune et de nos espérances en Amérique. Je n'eus point de peine à me faire recevoir dans le vaisseau. On cherchait alors des jeunes gens qui fussent disposés à se joindre volontairement à la colonie. Le passage et la nourriture me furent accordés gratis. La poste de Paris devant partir le lendemain, j'y laissai une lettre pour Tiberge. Elle était touchante et capable de l'attendrir sans doute, au dernier point, puisqu'elle lui fit prendre une résolution qui ne pouvait venir que d'un fond infini de tendresse et de générosité pour un ami malheureux.

My meeting with you was a momentary relaxation accorded me by fate. Your compassion at the sight of my sufferings was my only recommendation to your generous nature. The assistance which you so liberally extended, enabled me to reach Havre, and the guards kept their promise more faithfully than I had ventured to hope. "We arrived at Havre. I went to the post­office: Tiberge

had not yet had time to answer my letter. I ascertained the earliest day I might reckon upon his answer: it could not possibly arrive for two days longer; and by an extraordinary fatality, our vessel was to sail on the very morning of the day when the letter might be expected. I cannot give you an idea of my despair. 'Alas!' cried I, 'even amongst the unfortunate, I am to be ever the most wretched!' "Manon replied: 'Alas! does a life so thoroughly

miserable deserve the care we bestow on ours? Let us die at Havre, dearest chevalier! Let death at once put an end to our afflictions! Shall we persevere, and go to drag on this hopeless existence in an unknown land, where we shall, no doubt, have to encounter the most horrible pains, since it has been their object to punish me by exile? Let us die,' she repeated, 'or do at least in mercy rid me of life, and then you can seek another lot in the arms of some happier lover.' "'No, no, Manon,' said I; 'it is but too enviable a lot, in

my estimation, to be allowed to share your misfortunes.' "Her observations made me tremble. I saw that she

was overpowered by her afflictions. I tried to assume a more tranquil air, in order to dissipate such melancholy thoughts of death and despair. "I resolved to adopt the same course in future; and I

learned by the results, that nothing is more calculated to inspire a woman with courage than the demonstration of intrepidity in the man she loves. "When I lost all hope of receiving the expected

assistance from Tiberge, I sold my horse; the money it brought, joined to what remained of your generous gift, amounted to the small sum of forty pistoles; I expended eight in the purchase of some necessary articles for Manon; and I put the remainder by, as the capital upon which we were to rest our hopes and raise our fortunes in America. I had no difficulty in getting admitted on board the vessel. They were at the time looking for young men as voluntary emigrants to the colony. The passage and provisions were supplied gratis. I left a letter for Tiberge, which was to go by the post next morning to Paris. It was no doubt written in a tone calculated to affect him deeply, since it induced him to form a resolution, which could only be carried into execution by the tenderest and most generous sympathy for his unhappy friend.

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Nous mîmes à la voile. Le vent ne cessa point de nous

être favorable. J'obtins du capitaine un lieu à part pour Manon et pour moi. Il eut la bonté de nous regarder d'un autre œil que le commun de nos misérables associés. Je l'avais pris en particulier dès le premier jour, et, pour m'attirer de lui quelque considération, je lui avais découvert une partie de mes infortunes. Je ne crus pas me rendre coupable d'un mensonge honteux en lui disant que j'étais marié à Manon. Il feignit de le croire, et il m'accorda sa protection. Nous en reçûmes des marques pendant toute la navigation. Il eut soin de nous faire nourrir honnêtement, et les égards qu'il eut pour nous servirent à nous faire respecter des compagnons de notre misère. J'avais une attention continuelle à ne pas laisser souffrir la moindre incommodité à Manon. Elle le remarquait bien, et cette vue, jointe au vif ressentiment de l'étrange extrémité où je m'étais réduit pour elle, la rendait si tendre et si passionnée, si attentive aussi à mes plus légers besoins, que c'était, entre elle et moi, une perpétuelle émulation de services et d'amour. Je ne regrettais point l'Europe. Au contraire, plus nous avancions vers l'Amérique, plus je sentais mon cœur s'élargir et devenir tranquille. Si j'eusse pu m'assurer de n'y pas manquer des nécessités absolues de la vie, j'aurais remercié la fortune d'avoir donné un tour si favorable à nos malheurs. Après une navigation de deux mois, nous abordâmes

enfin au rivage désiré. Le pays ne nous offrit rien d'agréable à la première vue. C'étaient des campagnes stériles et inhabitées, où l'on voyait à peine quelques roseaux et quelques arbres dépouillés par le vent. Nulle trace d'hommes ni d'animaux. Cependant, le capitaine ayant fait tirer quelques pièces de notre artillerie, nous ne fûmes pas longtemps sans apercevoir une troupe de citoyens du Nouvel Orléans, qui s'approchèrent de nous avec de vives marques de joie. Nous n'avions pas découvert la ville. Elle est cachée, de ce côté­là, par une petite colline. Nous fûmes reçus comme des gens descendus du Ciel. Ces pauvres habitants s'empressaient pour nous faire

mille questions sur l'état de la France et sur les différentes provinces où ils étaient nés. Ils nous embrassaient comme leurs frères et comme de chers compagnons qui venaient partager leur misère et leur solitude. Nous prîmes le chemin de la ville avec eux, mais nous

fûmes surpris de découvrir, en avançant, que ce qu'on

(retour) XIII

Sunt hie etiam sua proemia laudi, Sunt lachrymae rerum, et mentem mortalia tangunt.

VIRGIL.

E'en the mute walls relate the victim's fame. And sinner's tears the good man's pity claim.

DRYDEN. "We set sail; the wind continued favourable during the

entire passage. I obtained from the captain's kindness a separate cabin for the use of Manon and myself. He was so good as to distinguish us from the herd of our miserable associates. I took an opportunity, on the second day, of conciliating his attentions, by telling him part of our unfortunate history. I did not feel that I was guilty of any very culpable falsehood in saying that I was the husband of Manon. He appeared to believe it, and promised me his protection; and indeed we experienced, during the whole passage, the most flattering evidences of his sincerity. He took care that our table was comfortably provided; and his attentions procured us the marked respect of our companions in misery. The unwearied object of my solicitude was to save Manon from every inconvenience. She felt this, and her gratitude, together with a lively sense of the singular position in which I had placed myself solely for her sake, rendered the dear creature so tender and impassioned, so attentive also to my most trifling wants, that it was between us a continual emulation of attentions and of love. I felt no regret at quitting Europe; on the contrary, the nearer we approached America, the more did I feel my heart expand and become tranquil. If I had not felt a dread of our perhaps wanting, by and by, the absolute necessaries of life, I should have been grateful to fate for having at length given so favourable a turn to our affairs. "'After a passage of two months, we at length reached

the banks of the desired river. The country offered at first sight nothing agreeable. We saw only sterile and uninhabited plains, covered with rushes, and some trees rooted up by the wind. No trace either of men or animals. However, the captain having discharged some pieces of artillery, we presently observed a group of the inhabitants of New Orleans, who approached us with evident signs of joy. We had not perceived the town: it is concealed upon the side on which we approached it by a hill. We were received as persons dropped from the clouds. "The poor inhabitants hastened to put a thousand

questions to us upon the state of France, and of the different provinces in which they were born. They embraced us as brothers, and as beloved companions, who had come to share their pains and their solitude. "We turned towards the town with them; but we were

astonished to perceive, as we advanced, that what we had

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nous avait vanté jusqu'alors comme une bonne ville, n'était qu'un assemblage de quelques pauvres cabanes. Elles étaient habitées par cinq ou six cents personnes. La maison du Gouverneur nous parut un peu distinguée par sa hauteur et par sa situation. Elle est défendue par quelques ouvrages de terre, autour desquels règne un large fossé. Nous fûmes d'abord présentés à lui. Il s'entretint

longtemps en secret avec le capitaine, et, revenant ensuite à nous, il considéra, l'une après l'autre, toutes les filles qui étaient arrivées par le vaisseau. Elles étaient au nombre de trente, car nous en avions trouvé au Havre une autre bande, qui s'était jointe à la nôtre. Le Gouverneur, les ayant longtemps examinées, fit appeler divers jeunes gens de la ville qui languissaient dans l'attente d'une épouse. Il donna les plus jolies aux principaux et le reste fut tiré au sort. Il n'avait point encore parlé à Manon, mais, lorsqu'il eut ordonné aux autres de se retirer il nous fit demeurer elle et moi. J'apprends du capitaine, nous dit­il, que vous êtes mariés et qu'il vous a reconnus sur la route pour deux personnes d'esprit et de mérite. Je n'entre point dans les raisons qui ont causé votre malheur mais, s'il est vrai que vous ayez autant de savoir­vivre que votre figure me le promet, je n'épargnerai rien pour adoucir votre sort, et vous contribuerez vous­même à me faire trouver quelque agrément dans ce lieu sauvage et désert. Je lui répondis de la manière que je crus la plus propre à confirmer l'idée qu'il avait de nous. Il donna quelques ordres pour nous faire préparer un logement dans la ville, et il nous retint à souper avec lui. Je lui trouvai beaucoup de politesse, pour un chef de malheureux bannis. Il ne nous fit point de questions, en public, sur le fond de nos aventures. La conversation fut générale, et, malgré notre tristesse, nous nous efforçâmes, Manon et moi, de contribuer à la rendre agréable. Le soir il nous fit conduire au logement qu'on nous

avait préparé. Nous trouvâmes une misérable cabane, composée de planches et de boue, qui consistait en deux ou trois chambres de plain­pied, avec un grenier au­dessus. Il y avait fait mettre cinq ou six chaises et quelques commodités nécessaires à la vie. Manon parut effrayée à la vue d'une si triste demeure.

C'était pour moi qu'elle s'affligeait, beaucoup plus que pour elle­même. Elle s'assit, lorsque nous fûmes seuls, et elle se mit à pleurer amèrement. J'entrepris d'abord de la consoler, mais lorsqu'elle m'eut fait entendre que c'était moi seul qu'elle plaignait, et qu'elle ne considérait, dans nos malheurs communs, que ce que j'avais à souffrir, j'affectai de montrer assez de courage, et même assez de joie pour lui en inspirer. De quoi me plaindrais­je? lui dis­je. Je possède tout ce

que je désire. Vous m'aimez, n'est­ce pas? Quel autre bonheur me suis­je jamais proposé? Laissons au Ciel le soin de notre fortune. Je ne la trouve pas si désespérée. Le Gouverneur est un homme civil; il nous a marqué de la

hitherto heard spoken of as a respectable town, was nothing more than a collection of miserable huts. They were inhabited by five or six hundred persons. The governor's house was a little distinguished from the rest by its height and its position. It was surrounded by some earthen ramparts, and a deep ditch. "We were first presented to him. He continued for

some time in conversation with the captain; and then advancing towards us, he looked attentively at the women one after another: there were thirty of them, for another troop of convicts had joined us at Havre. After having thus inspected them, he sent for several young men of the colony who were desirous to marry. He assigned the handsomest women to the principal of these, and the remainder were disposed of by lot. He had not yet addressed Manon; but having ordered the others to depart, he made us remain. 'I learn from the captain,' said he, 'that you are married, and he is convinced by your conduct on the passage that you are both persons of merit and of education. I have nothing to do with the cause of your misfortunes; but if it be true that you are as conversant with the world and society as your appearance would indicate, I shall spare no pains to soften the severity of your lot, and you may on your part contribute towards rendering this savage and desert abode less disagreeable to me.' I replied in the manner which I thought best calculated to confirm the opinion he had formed of us. He gave orders to have a habitation prepared for us in the town, and detained us to supper. I was really surprised to find so much politeness in a governor of transported convicts. In the presence of others he abstained from enquiring about our past adventures. The conversation was general; and in spite of our degradation, Manon and I exerted ourselves to make it lively and agreeable. "At night we were conducted to the lodging prepared

for us. We found a wretched hovel composed of planks and mud, containing three rooms on the ground, and a loft overhead. He had sent there six chairs, and some few necessaries of life. "Manon appeared frightened by the first view of this

melancholy dwelling. It was on my account much more than upon her own, that she distressed herself. When we were left to ourselves, she sat down and wept bitterly. I attempted at first to console her; but when she enabled me to understand that it was for my sake she deplored our privations, and that in our common afflictions she only considered me as the sufferer, I put on an air of resolution, and even of content, sufficient to encourage her. "'What is there in my lot to lament?' said I; 'I possess

all that I have ever desired. You love me, Manon, do you not? What happiness beyond this have I ever longed for? Let us leave to Providence the direction of our destiny; it by no means appears to me so desperate. The governor is

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considération; il ne permettra pas que nous manquions du nécessaire. Pour ce qui regarde la pauvreté de notre cabane et la grossièreté de nos meubles, vous avez pu remarquer qu'il y a peu de personnes ici qui paraissent mieux logées et mieux meublées que nous. Et puis, tu es une chimiste admirable, ajoutai­je en l'embrassant, tu transformes tout en or. Vous serez donc la plus riche personne de l'univers, me

répondit­elle, car s'il n'y eut jamais d'amour tel que le vôtre, il est impossible aussi d'être aimé plus tendrement que vous l'êtes. Je me rends justice, continua­t­elle. Je sens bien que je n'ai jamais mérité ce prodigieux attachement que vous avez pour moi. Je vous ai causé des chagrins, que vous n'avez pu me pardonner sans une bonté extrême. J'ai été légère et volage, et même en vous aimant éperdument, comme j'ai toujours fait, je n'étais qu'une ingrate. Mais vous ne sauriez croire combien je suis changée. Mes larmes, que vous avez vues couler si souvent depuis notre départ de France, n'ont pas eu une seule fois mes malheurs pour objet. J'ai cessé de les sentir aussitôt que vous avez commencé à les partager. Je n'ai pleuré que de tendresse et de compassion pour vous. Je ne me console point d'avoir pu vous chagriner un moment dans ma vie. Je ne cesse point de me reprocher mes inconstances et de m'attendrir en admirant de quoi l'amour vous a rendu capable pour une malheureuse qui n'en était pas digne, et qui ne payerait pas bien de tout son sang, ajouta­t­elle avec une abondance de larmes, la moitié des peines qu'elle vous a causées. Ses pleurs, son discours et le ton dont elle le prononça

firent sur moi une impression si étonnante, que je crus sentir une espèce de division dans mon âme. Prends garde, lui dis­je, prends garde, ma chère Manon. Je n'ai point assez de force pour supporter des marques si vives de ton affection; je ne suis point accoutumé à ces excès de joie. Ô Dieu! m'écriai­je, je ne vous demande plus rien. Je suis assuré du cœur de Manon. Il est tel que je l'ai souhaité pour être heureux; je ne puis plus cesser de l'être à présent. Voilà ma félicité bien établie. Elle l'est, reprit­elle, si vous la faites dépendre de moi,

et je sais où je puis compter aussi de trouver toujours la mienne. Je me couchai avec ces charmantes idées, qui

changèrent ma cabane en un palais digne du premier roi du monde. L'Amérique me parut un lieu de délices après cela. C'est au Nouvel Orléans qu'il faut venir, disais­je souvent à Manon, quand on veut goûter les vraies douceurs de l'amour. C'est ici qu'on s'aime sans intérêt, sans jalousie, sans inconstance. Nos compatriotes y viennent chercher de l'or; ils ne s'imaginent pas que nous y avons trouvé des trésors bien plus estimables. Nous cultivâmes soigneusement l'amitié du

Gouverneur. Il eut la bonté, quelques semaines après

civil and obliging; he has already given us marks of his consideration; he will not allow us to want for necessaries. As to our rude hut and the squalidness of our furniture, you might have noticed that there are few persons in the colony better lodged or more comfortably furnished than we are: and then you are an admirable chemist,' added I, embracing her; 'you transform everything into gold.' "'In that case,' she answered, 'you shall be the richest

man in the universe; for, as there never was love surpassing yours, so it is impossible for man to be loved more tenderly than you are by me. I well know,' she continued, 'that I have never merited the almost incredible fidelity and attachment which you have shown for me. I have often caused you annoyances, which nothing but excessive fondness could have induced you to pardon. I have been thoughtless and volatile; and even while loving you as I have always done to distraction, I was never free from a consciousness of ingratitude. But you cannot believe how much my nature is altered; those tears which you have so frequently seen me shed since quitting the French shore, have not been caused by my own misfortunes. Since you began to share them with me, I have been a stranger to selfishness: I only wept from tenderness and compassion for you. I am inconsolable at the thought of having given you one instant's pain during my past life. I never cease upbraiding myself with my former inconstancy, and wondering at the sacrifices which love has induced you to make for a miserable and unworthy wretch, who could not, with the last drop of her blood, compensate for half the torments she has caused you.' "Her grief, the language, and the tone in which she

expressed herself, made such an impression, that I felt my heart ready to break in me. 'Take care,' said I to her, 'take care, dear Manon; I have not strength to endure such exciting marks of your affection; I am little accustomed to the rapturous sensations which you now kindle in my heart. Oh Heaven!' cried I, 'I have now nothing further to ask of you. I am sure of Manon's love. That has been alone wanting to complete my happiness; I can now never cease to be happy: my felicity is well secured.' "'It is indeed,' she replied, 'if it depends upon me, and I

well know where I can be ever certain of finding my own happiness centred.' "With these ideas, capable of turning my hut into a

palace worthy of earth's proudest monarch, I lay down to rest. America appeared to my view the true land of milk and honey, the abode of contentment and delight. 'People should come to New Orleans,' I often said to Manon, 'who wish to enjoy the real rapture of love! It is here that love is divested of all selfishness, all jealousy, all inconstancy. Our countrymen come here in search of gold; they little think that we have discovered treasures of inestimably greater value.' "We carefully cultivated the governor's friendship. He

bestowed upon me, a few weeks after our arrival, a small

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notre arrivée, de me donner un petit emploi qui vint à vaquer dans le fort. Quoiqu'il ne fût pas bien distingué, je l'acceptai comme une faveur du Ciel. Il me mettait en état de vivre sans être à charge à personne. Je pris un valet pour moi et une servante pour Manon. Notre petite fortune s'arrangea. J'étais réglé dans ma conduite; Manon ne l'était pas moins. Nous ne laissions point échapper l'occasion de rendre service et de faire du bien à nos voisins. Cette disposition officieuse et la douceur de nos manières nous attirèrent la confiance et l'affection de toute la colonie. Nous fûmes en peu de temps si considérés, que nous passions pour les premières personnes de la ville après le Gouverneur. L'innocence de nos occupations, et la tranquillité où

nous étions continuellement, servirent à nous faire rappeler insensiblement des idées de religion. Manon n'avait jamais été une fille impie. Je n'étais pas non plus de ces libertins outrés, qui font gloire d'ajouter l'irréligion à la dépravation des mœurs. L'amour et la jeunesse avaient causé tous nos désordres. L'expérience commençait à nous tenir lieu d'âge; elle fit sur nous le même effet que les années. Nos conversations, qui étaient toujours réfléchies, nous mirent insensiblement dans le goût d'un amour vertueux. Je fus le premier qui proposai ce changement à Manon. Je connaissais les principes de son cœur. Elle était droite et naturelle dans tous ses sentiments, qualité qui dispose toujours à la vertu. Je lui fis comprendre qu'il manquait une chose à notre bonheur. C'est, lui dis­je, de le faire approuver du Ciel. Nous avons l'âme trop belle, et le cœur trop bien fait, l'un et l'autre, pour vivre volontairement dans l'oubli du devoir. Passe d'y avoir vécu en France, où il nous était également impossible de cesser de nous aimer et de nous satisfaire par une voie légitime; mais en Amérique, où nous ne dépendons que de nous­mêmes, où nous n'avons plus à ménager les lois arbitraires du rang et de la bienséance, où l'on nous croit même mariés, qui empêche que nous ne le soyons bientôt effectivement et que nous n'anoblissions notre amour par des serments que la religion autorise? Pour moi, ajoutai­je, je ne vous offre rien de nouveau en vous offrant mon cœur et ma main, mais je suis prêt à vous en renouveler le don au pied d'un autel. Il me parut que ce discours la pénétrait de joie.

Croiriez­vous, me répondit­elle, que j'y ai pensé mille fois, depuis que nous sommes en Amérique? La crainte de vous déplaire m'a fait renfermer ce désir dans mon cœur. Je n'ai point la présomption d'aspirer à la qualité de votre épouse. Ah! Manon, répliquai­je, tu serais bientôt celle d'un

roi, si le Ciel m'avait fait naître avec une couronne. Ne balançons plus. Nous n'avons nul obstacle à redouter. J'en veux parler dès aujourd'hui au Gouverneur et lui avouer que nous l'avons trompé jusqu'à ce jour. Laissons craindre aux amants vulgaires, ajoutai­je, les chaînes indissolubles du mariage. Ils ne les craindraient pas s'ils étaient sûrs, comme nous, de porter toujours celles de l'amour. Je

appointment which became vacant in the fort. Although not one of any distinction, I gratefully accepted it as a gift of Providence, as it enabled me to live independently of others' aid. I took a servant for myself, and a woman for Manon. Our little establishment became settled: nothing could surpass the regularity of my conduct, or that of Manon; we lost no opportunity of serving or doing an act of kindness to our neighbours. This friendly disposition, and the mildness of our manners, secured us the confidence and affection of the whole colony. We soon became so respected, that we ranked as the principal persons in the town after the governor. "The simplicity of our habits and occupations, and the

perfect innocence in which we lived, revived insensibly our early feelings of devotion. Manon had never been an irreligious girl, and I was far from being one of those reckless libertines who delight in adding impiety and sacrilege to moral depravity: all the disorders of our lives might be fairly ascribed to the natural influences of youth and love. Experience had now begun with us to do the office of age; it produced the same effect upon us as years must have done. Our conversation, which was generally of a serious turn, by degrees engendered a longing for virtuous love. I first proposed this change to Manon. I knew the principles of her heart; she was frank and natural in all her sentiments, qualities which invariably predispose to virtue. I said to her that there was but one thing wanting to complete our happiness: 'it is,' said I, 'to invoke upon our union the benediction of Heaven. We have both of us hearts too sensitive and minds too refined, to continue voluntarily in the wilful violation of so sacred a duty. It signifies nothing our having lived while in France in such a manner, because there it was as impossible for us not to love, as to be united by a legitimate tie: but in America, where we are under no restraint, where we owe no allegiance to the arbitrary distinctions of birth and aristocratic prejudice, where besides we are already supposed to be married, why should we not actually become so—why should we not sanctify our love by the holy ordinances of religion? As for me,' I added, 'I offer nothing new in offering you my hand and my heart; but I am ready to ratify it at the foot of the altar.' "This speech seemed to inspire her with joy. 'Would

you believe it,' she replied, 'I have thought of this a thousand times since our arrival in America? The fear of annoying you has kept it shut up in my breast. I felt that I had no pretensions to aspire to the character of your wife.' "'Ah! Manon,' said I, 'you should very soon be a

sovereign's consort, if I had been born to the inheritance of a crown. Let us not hesitate; we have no obstacle to impede us: I will this day speak to the governor on the subject, and acknowledge that we have in this particular hitherto deceived him. Let us leave,' added I, 'to vulgar lovers the dread of the indissoluble bonds of marriage;[1] they would not fear them if they were assured, as we are,

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laissai Manon au comble de la joie, après cette résolution. Je suis persuadé qu'il n'y a point d'honnête homme au

monde qui n'eût approuvé mes vues dans les circonstances où j'étais, c'est­à­dire asservi fatalement à une passion que je ne pouvais vaincre et combattu par des remords que je ne devais point étouffer. Mais se trouvera­t­il quelqu'un qui accuse mes plaintes d'injustice, si je gémis de la rigueur du Ciel à rejeter un dessein que je n'avais formé que pour lui plaire? Hélas! que dis­je, à le rejeter? Il l'a puni comme un crime. Il m'avait souffert avec patience tandis que je marchais aveuglément dans la route du vice, et ses plus rudes châtiments m'étaient réservés lorsque je commençais à retourner à la vertu. Je crains de manquer de force pour achever le récit du plus funeste événement qui fût jamais. J'allai chez le Gouverneur comme j'en étais convenu

avec Manon, pour le prier de consentir à la cérémonie de notre mariage. Je me serais bien gardé d'en parler, à lui ni à personne, si j'eusse pu me promettre que son aumônier, qui était alors le seul prêtre de la ville, m'eût rendu ce service sans sa participation; mais, n'osant espérer qu'il voulût s'engager au silence, j'avais pris le parti d'agir ouvertement. Le Gouverneur avait un neveu, nommé Synnelet, qui

lui était extrêmement cher. C'était un homme de trente ans, brave, mais emporté et violent. Il n'était point marié. La beauté de Manon l'avait touché dès le jour de notre arrivée; et les occasions sans nombre qu'il avait eues de la voir, pendant neuf ou dix mois, avaient tellement enflammé sa passion, qu'il se consumait en secret pour elle. Cependant, comme il était persuadé, avec son oncle et toute la ville; que j'étais réellement marié, il s'était rendu maître de son amour jusqu'au point de n'en laisser rien éclater et son zèle s'était même déclaré pour moi, dans plusieurs occasions de me rendre service. Je le trouvai avec son oncle, lorsque j'arrivai au fort. Je

n'avais nulle raison qui m'obligeât de lui faire un secret de mon dessein, de sorte que je ne fis point difficulté de m'expliquer en sa présence. Le Gouverneur m'écouta avec sa bonté ordinaire. Je lui racontai une partie de mon histoire, qu'il entendit avec plaisir, et, lorsque je le priai d'assister à la cérémonie que je méditais, il eut la générosité de s'engager à faire toute la dépense de la fête. Je me retirai fort content. Une heure après, je vis entrer l'aumônier chez moi. Je

m'imaginai qu'il venait me donner quelques instructions sur mon mariage; mais, après m'avoir salué froidement, il me déclara, en deux mots, que M. le Gouverneur me défendait d'y penser, et qu'il avait d'autres vues sur Manon. D'autres vues sur Manon! lui dis­je, avec un mortel

saisissement de cœur, et quelles vues donc, Monsieur

of the continuance of those of love.' I left Manon enchanted by this resolution. "I am persuaded that no honest man could disapprove

of this intention in my present situation; that is to say, fatally enslaved as I was by a passion which I could not subdue, and visited by compunction and remorse which I ought not to stifle. But will any man charge me with injustice or impiety if I complain of the rigour of Heaven in defeating a design that I could only have formed with the view of conciliating its favour and complying with its decrees? Alas I do I say defeated? nay punished as a new crime. I was patiently permitted to go blindly along the high road of vice; and the cruellest chastisements were reserved for the period when I was returning to the paths of virtue. I now fear that I shall have hardly fortitude enough left to recount the most disastrous circumstances that ever occurred to any man. "I waited upon the governor, as I had settled with

Manon, to procure his consent to the ceremony of our marriage. I should have avoided speaking to him or to any other person upon the subject, if I had imagined that his chaplain, who was the only minister in the town, would have performed the office for me without his knowledge; but not daring to hope that he would do so privately, I determined to act ingenuously in the matter. "The governor had a nephew named Synnelet, of whom

he was particularly fond. He was about thirty; brave, but of a headstrong and violent disposition. He was not married. Manon's beauty had struck him on the first day of our arrival; and the numberless opportunities he had of seeing her during the last nine or ten months, had so inflamed his passion, that he was absolutely pining for her in secret. However, as he was convinced in common with his uncle and the whole colony that I was married, he put such a restraint upon his feelings, that they remained generally unnoticed; and he lost no opportunity of showing the most disinterested friendship for me. "He happened to be with his uncle when I arrived at

the government house. I had no reason for keeping my intention a secret from him, so that I explained myself without hesitation in his presence. The governor heard me with his usual kindness. I related to him a part of my history, to which he listened with evident interest; and when I requested his presence at the intended ceremony, he was so generous as to say, that he must be permitted to defray the expenses of the succeeding entertainment. I retired perfectly satisfied. "In an hour after, the chaplain paid me a visit. I

thought he was come to prepare me by religious instruction for the sacred ceremony; but, after a cold salutation, he announced to me in two words, that the governor desired I would relinquish all thoughts of such a thing, for that he had other views for Manon. "'Other views for Manon!' said I, as I felt my heart sink

within me; 'what views then can they be, chaplain?'

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l'aumônier? Il me répondit que je n'ignorais pas que M. le

Gouverneur était le maître; que Manon ayant été envoyée de France pour la colonie, c'était à lui à disposer d'elle; qu'il ne l'avait pas fait jusqu'alors, parce qu'il la croyait mariée, mais, qu'ayant appris de moi­même qu'elle ne l'était point, il jugeait à propos de la donner à M. Synnelet, qui en était amoureux. Ma vivacité l'emporta sur ma prudence. J'ordonnai

fièrement à l'aumônier de sortir de ma maison, en jurant que le Gouverneur, Synnelet et toute la ville ensemble n'oseraient porter la main sur ma femme, ou ma maîtresse, comme ils voudraient l'appeler. Je fis part aussitôt à Manon du funeste message que je

venais de recevoir. Nous jugeâmes que Synnelet avait séduit l'esprit de son oncle depuis mon retour et que c'était l'effet de quelque dessein médité depuis longtemps. Ils étaient les plus forts. Nous nous trouvions dans le Nouvel Orléans comme au milieu de la mer c'est­à­dire séparés du reste du monde par des espaces immenses. Où fuir? dans un pays inconnu, désert, ou habité par des bêtes féroces, et par des sauvages aussi barbares qu'elles? J'étais estimé dans la ville, mais je ne pouvais espérer d'émouvoir assez le peuple en ma faveur pour en espérer un secours proportionné au mal. Il eût fallu de l'argent; j'étais pauvre. D'ailleurs, le succès d'une émotion populaire était incertain, et si la fortune nous eût manqué, notre malheur serait devenu sans remède. Je roulais toutes ces pensées dans ma tête. J'en

communiquais une partie à Manon. J'en formais de nouvelles sans écouter sa réponse. Je prenais un parti; je le rejetais pour en prendre un autre. Je parlais seul, je répondais tout haut à mes pensées; enfin j'étais dans une agitation que je ne saurais comparer à rien parce qu'il n'y en eut jamais d'égale. Manon avait les yeux sur moi. Elle jugeait, par mon trouble, de la grandeur du péril, et, tremblant pour moi plus que pour elle­même, cette tendre fille n'osait pas même ouvrir la bouche pour m'exprimer ses craintes. Après une infinité de réflexions, je m'arrêtai à la

résolution d'aller trouver le Gouverneur pour m'efforcer de le toucher par des considérations d'honneur et par le souvenir de mon respect et de son affection. Manon voulut s'opposer à ma sortie. Elle me disait, les larmes aux yeux: Vous allez à la mort. Ils vont vous tuer Je ne vous reverrai plus. Je veux mourir avant vous. Il fallut beaucoup d'efforts pour la persuader de la nécessité où j'étais de sortir et de celle qu'il y avait pour elle de demeurer au logis. Je lui promis qu'elle me reverrait dans un instant. Elle ignorait, et moi aussi, que c'était sur elle­même que devaient tomber toute la colère du Ciel et la rage de nos ennemis.

"He replied, that I must be, of course, aware that the

governor was absolute master here; that Manon, having been transported from France to the colony, was entirely at his disposal; that, hitherto he had not exercised his right, believing that she was a married woman; but that now, having learned from my own lips that it was not so, he had resolved to assign her to M. Synnelet, who was passionately in love with her. "My indignation overcame my prudence. Irritated as I

was, I desired the chaplain instantly to quit my house, swearing at the same time that neither governor, Synnelet, nor the whole colony together, should lay hands upon my wife, or mistress, if they chose so to call her. "I immediately told Manon of the distressing message I

had just received. We conjectured that Synnelet had warped his uncle's mind after my departure, and that it was all the effect of a premeditated design. They were, questionless, the stronger party. We found ourselves in New Orleans, as in the midst of the ocean, separated from the rest of the world by an immense interval of space. In a country perfectly unknown, a desert, or inhabited, if not by brutes, at least by savages quite as ferocious, to what corner could we fly? I was respected in the town, but I could not hope to excite the people in my favour to such a degree as to derive assistance from them proportioned to the impending danger: money was requisite for that purpose, and I was poor. Besides, the success of a popular commotion was uncertain; and if we failed in the attempt, our doom would be inevitably sealed. "I revolved these thoughts in my mind; I mentioned

them in part to Manon; I found new ones, without waiting for her replies; I determined upon one course, and then abandoned that to adopt another; I talked to myself, and answered my own thoughts aloud; at length I sank into a kind of hysterical stupor that I can compare to nothing, because nothing ever equalled it. Manon observed my emotion, and from its violence, judged how imminent was our danger; and, apprehensive more on my account than on her own, the dear girl could not even venture to give expression to her fears. "After a multitude of reflections, I resolved to call upon

the governor, and appeal to his feelings of honour, to the recollection of my unvarying respect for him, and the marks he had given of his own affection for us both. Manon endeavoured to dissuade me from this attempt: she said, with tears in her eyes, 'You are rushing into the jaws of death; they will murder you—I shall never again see you—I am determined to die before you.' I had great difficulty in persuading her that it was absolutely necessary that I should go, and that she should remain at home. I promised that she should see me again in a few moments. She did not foresee, nor did I, that it was against herself the whole anger of Heaven, and the rabid fury of our enemies, was about to be concentrated.

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Je me rendis au fort. Le Gouverneur était avec son aumônier Je m'abaissai, pour le toucher, à des soumissions qui m'auraient fait mourir de honte si je les eusse faites pour toute autre cause. Je le pris par tous les motifs qui doivent faire une impression certaine sur un cœur qui n'est pas celui d'un tigre féroce et cruel. Ce barbare ne fit à mes plaintes que deux réponses,

qu'il répéta cent fois: Manon, me dit­il, dépendait de lui; il avait donné sa parole à son neveu. J'étais résolu de me modérer jusqu'à l'extrémité. Je me contentai de lui dire que je le croyais trop de mes amis pour vouloir ma mort, à laquelle je consentirais plutôt qu'à la perte de ma maîtresse. Je fus trop persuadé, en sortant, que je n'avais rien à

espérer de cet opiniâtre vieillard, qui se serait damné mille fois pour son neveu. Cependant, je persistai dans le dessein de conserver jusqu'à la fin un air de modération, résolu, si l'on en venait aux excès d'injustice, de donner à l'Amérique une des plus sanglantes et des plus horribles scènes que l'amour ait jamais produites. Je retournais chez moi, en méditant sur ce projet,

lorsque le sort, qui voulait hâter ma ruine, me fit rencontrer Synnelet. Il lut dans mes yeux une partie de mes pensées. J'ai dit qu'il était brave; il vint à moi. Ne me cherchez­vous pas? me dit­il. Je connais que

mes desseins vous offensent, et j'ai bien prévu qu'il faudrait se couper la gorge avec vous. Allons voir qui sera le plus heureux. Je lui répondis qu'il avait raison, et qu'il n'y avait que

ma mort qui pût finir nos différends. Nous nous écartâmes d'une centaine de pas hors de la

ville. Nos épées se croisèrent; je le blessai et je le désarmai presque en même temps. Il fut si enragé de son malheur qu'il refusa de me demander la vie et de renoncer à Manon. J'avais peut­être le droit de lui ôter tout d'un coup l'un et l'autre, mais un sang généreux ne se dément jamais. Je lui jetai son épée. Recommençons, lui dis­je, et songez que c'est sans quartier Il m'attaqua avec une furie inexprimable. Je dois confesser que je n'étais pas fort dans les armes, n'ayant eu que trois mois de salle à Paris. L'amour conduisait mon épée. Synnelet ne laissa pas de me percer le bras d'outre en outre, mais je le pris sur le temps et je lui fournis un coup si vigoureux qu'il tomba à mes pieds sans mouvement. Malgré la joie que donne la victoire après un combat

mortel, je réfléchis aussitôt sur les conséquences de cette mort. Il n'y avait, pour moi, ni grâce ni délai de supplice à espérer. Connaissant, comme je faisais, la passion du Gouverneur pour son neveu, j'étais certain que ma mort ne serait pas différée d'une heure après la connaissance de la sienne. Quelque pressante que fût cette crainte, elle

"I went to the fort: the governor was there with his chaplain. I supplicated him in a tone of humble submission that I could have ill brooked under other circumstances. I invoked his clemency by every argument calculated to soften any heart less ferocious and cruel than a tiger's. "The barbarian made to all my prayers but two short

answers, which he repeated over and over again. 'Manon,' he said, 'was at his disposal: and he had given a promise to his nephew.' I was resolved to command my feelings to the last: I merely replied, that I had imagined he was too sincerely my friend to desire my death, to which I would infinitely rather consent than to the loss of my mistress. "I felt persuaded, on quitting him, that it was folly to

expect anything from the obstinate tyrant, who would have damned himself a hundred times over to please his nephew. However, I persevered in restraining my temper to the end; deeply resolved, if they persisted in such flagrant injustice, to make America the scene of one of the most horrible and bloody murders that even love had ever led to. "I was, on my return home, meditating upon this

design, when fate, as if impatient to expedite my ruin, threw Synnelet in my way. He read in my countenance a portion of my thoughts. I before said, he was brave. He approached me. "'Are you not seeking me?' he enquired. 'I know that

my intentions have given you mortal offence, and that the death of one of us is indispensable: let us see who is to be the happy man.' "I replied, that such was unquestionably the fact, and

that nothing but death could end the difference between us. "We retired about one hundred paces out of the town.

We drew: I wounded and disarmed him at the first onset. He was so enraged, that he peremptorily refused either to ask his life or renounce his claims to Manon. I might have been perhaps justified in ending both by a single blow; but noble blood ever vindicates its origin. I threw him back his sword. 'Let us renew the struggle,' said I to him, 'and remember that there shall be now no quarter.' He attacked me with redoubled fury. I must confess that I was not an accomplished swordsman, having had but three months' tuition in Paris. Love, however, guided my weapon. Synnelet pierced me through and through the left arm; but I caught him whilst thus engaged, and made so vigorous a thrust that I stretched him senseless at my feet. "In spite of the triumphant feeling that victory, after a

mortal conflict, inspires, I was immediately horrified by the certain consequences of his death. There could not be the slightest hope of either pardon or respite from the vengeance I had thus incurred. Aware, as I was, of the affection of the governor for his nephew, I felt perfectly sure that my death would not be delayed a single hour

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n'était pas la plus forte cause de mon inquiétude. Manon, l'intérêt de Manon, son péril et la nécessité de la perdre, me troublaient jusqu'à répandre de l'obscurité sur mes yeux et à m'empêcher de reconnaître le lieu où j'étais. Je regrettai le sort de Synnelet. Une prompte mort me semblait le seul remède de mes peines. Cependant, ce fut cette pensée même qui me fit

rappeler vivement mes esprits et qui me rendit capable de prendre une résolution. Quoi! je veux mourir, m'écriai­je, pour finir mes peines? Il y en a donc que j'appréhende plus que la perte de ce que j'aime? Ah! souffrons jusqu'aux plus cruelles extrémités pour secourir ma maîtresse, et remettons à mourir après les avoir souffertes inutilement. Je repris le chemin de la ville. J'entrai chez moi. J'y

trouvai Manon à demi morte de frayeur et d'inquiétude. Ma présence la ranima. Je ne pouvais lui déguiser le terrible accident qui venait de m'arriver. Elle tomba sans connaissance entre mes bras, au récit de la mort de Synnelet et de ma blessure. J'employai plus d'un quart d'heure à lui faire retrouver le sentiment.. J'étais à demi mort moi­même. Je ne voyais pas le

moindre jour à sa sûreté, ni à la mienne. Manon, que ferons­nous? lui dis­je lorsqu'elle eut repris un peu de force. Hélas! qu'allons­nous faire? Il faut nécessairement que je m'éloigne. Voulez­vous demeurer dans la ville? Oui, demeurez­y. Vous pouvez encore y être heureuse; et moi je vais, loin de vous, chercher la mort parmi les sauvages ou entre les griffes des bêtes féroces. Elle se leva malgré sa faiblesse; elle me prit la main

pour me conduire vers la porte. Fuyons ensemble, me dit­elle, ne perdons pas un instant. Le corps de Synnelet peut avoir été trouvé par hasard, et nous n'aurions pas le temps de nous éloigner. Mais, chère Manon! repris­je tout éperdu, dites­moi donc où nous pouvons aller. Voyez­vous quelque ressource? Ne vaut­il pas mieux que vous tâchiez de vivre ici sans moi, et que je porte volontairement ma tête au Gouverneur? Cette proposition ne fit qu'augmenter son ardeur à

partir. Il fallut la suivre. J'eus encore assez de présence d'esprit, en sortant, pour prendre quelques liqueurs fortes que j'avais dans ma chambre et toutes les provisions que je pus faire entrer dans mes poches. Nous dîmes à nos domestiques, qui étaient dans la chambre voisine, que nous partions pour la promenade du soir, nous avions cette coutume tous les jours, et nous nous éloignâmes de la ville, plus promptement que la délicatesse de Manon ne semblait le permettre. Quoique je ne fusse pas sorti de mon irrésolution sur le

lieu de notre retraite, je ne laissais pas d'avoir deux espérances, sans lesquelles j'aurais préféré la mort à l'incertitude de ce qui pouvait arriver à Manon. J'avais acquis assez de connaissance du pays, depuis près de dix

after his should become known. 'Urgent as this apprehension was, it still was by no means the principal source of my uneasiness. Manon, the welfare of Manon, the peril that impended over her, and the certainty of my being now at length separated from her, afflicted me to such a degree, that I was incapable of recognising the place in which I stood. I regretted Synnelet's death: instant suicide seemed the only remedy for my woes. "However, it was this very thought that quickly

restored me to my reason, and enabled me to form a resolution. 'What,' said I to myself, 'die, in order to end my pain! Then there is something I dread more than the loss of all I love! No, let me suffer the cruellest extremities in order to aid her; and when these prove of no avail, fly to death as a last resource!' "I returned towards the town; on my arrival at home, I

found Manon half dead with fright and anxiety: my presence restored her. I could not conceal from her the terrible accident that had happened. On my mentioning the death of Synnelet and my own wound, she fell in a state of insensibility into my arms. It was a quarter of an hour before I could bring her again to her senses. "I was myself in a most deplorable state of mind; I

could not discern the slightest prospect of safety for either of us. 'Manon,' said I to her, when she had recovered a little, 'what shall we do? Alas, what hope remains to us? I must necessarily fly. Will you remain in the town? Yes dearest Manon, do remain; you may possibly still be happy here; while I, far away from you, may seek death and find it amongst the savages, or the wild beasts.' "She raised herself in spite of her weakness, and taking

hold of my hand to lead me towards the door: 'Let us,' said she, 'fly together, we have not a moment to lose; Synnelet's body may be found by chance, and we shall then have no time to escape.' 'But, dear Manon,' replied I, 'to what place can we fly? Do you perceive any resource? Would it not be better that you should endeavour to live on without me; and that I should go and voluntarily place my life in the governor's hands?' "This proposal had only the effect of making her more

impatient for our departure. I had presence of mind enough, on going out, to take with me some strong liquors which I had in my chamber, and as much food as I could carry in my pockets. We told our servants, who were in the adjoining room, that we were going to take our evening walk, as was our invariable habit; and we left the town behind us more rapidly than I had thought possible from Manon's delicate state of health. "Although I had not formed any resolve as to our

future destination, I still cherished a hope, without which I should have infinitely preferred death to my suspense about Manon's safety. I had acquired a sufficient knowledge of the country, during nearly ten months

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mois que j'étais en Amérique, pour ne pas ignorer de quelle manière on apprivoisait les sauvages. On pouvait se mettre entre leurs mains, sans courir à une mort certaine. J'avais même appris quelques mots de leur langue et quelques­unes de leurs coutumes dans les diverses occasions que j'avais eues de les voir. Avec cette triste ressource, j'en avais une autre du côté

des Anglais qui ont, comme nous, des établissements dans cette partie du Nouveau Monde. Mais j'étais effrayé de l'éloignement. Nous avions à traverser, jusqu'à leurs colonies, de stériles campagnes de plusieurs journées de largeur, et quelques montagnes si hautes et si escarpées que le chemin en paraissait difficile aux hommes les plus grossiers et les plus vigoureux. Je me flattais, néanmoins, que nous pourrions tirer parti de ces deux ressources: des sauvages pour aider à nous conduire, et des Anglais pour nous recevoir dans leurs habitations. Nous marchâmes aussi longtemps que le courage de

Manon put la soutenir, c'est­à­dire environ deux lieues, car cette amante incomparable refusa constamment de s'arrêter plus tôt. Accablée enfin de lassitude, elle me confessa qu'il lui était impossible d'avancer davantage. Il était déjà nuit. Nous nous assîmes au milieu d'une vaste plaine, sans avoir pu trouver un arbre pour nous mettre à couvert. Son premier soin fut de changer le linge de ma blessure, qu'elle avait pansée elle­même avant notre départ. Je m'opposai en vain à ses volontés. J'aurais achevé de l'accabler mortellement, si je lui eusse refusé la satisfaction de me croire à mon aise et sans danger, avant que de penser à sa propre conservation. Je me soumis durant quelques moments à ses désirs. Je reçus ses soins en silence et avec honte. Mais, lorsqu'elle eut satisfait sa tendresse, avec quelle

ardeur la mienne ne prit­elle pas son tour! Je me dépouillai de tous mes habits, pour lui faire trouver la terre moins dure en les étendant sous elle. Je la fis consentir, malgré elle, à me voir employer à son usage tout ce que je pus imaginer de moins incommode. J'échauffai ses mains par mes baisers ardents et par la chaleur de mes soupirs. Je passai la nuit entière à veiller près d'elle, et à prier le Ciel de lui accorder un sommeil doux et paisible. Ô Dieu! que mes vœux étaient vifs et sincères! et par quel rigoureux jugement aviez­vous résolu de ne les pas exaucer! Pardonnez, si j'achève en peu de mots un récit qui me

tue. Je vous raconte un malheur qui n'eut jamais d'exemple. Toute ma vie est destinée à le pleurer Mais, quoique je le porte sans cesse dans ma mémoire, mon âme semble reculer d'horreur chaque fois que j'entreprends de l'exprimer. Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit.

Je croyais ma chère maîtresse endormie et je n'osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je m'aperçus dès le point du jour, en touchant ses mains, qu'elle les avait froides et tremblantes. Je les approchai de mon sein, pour les échauffer. Elle sentit ce

which I had now passed in America, to know in what manner the natives should be approached. Death was not the necessary consequence of falling into their hands. I had learned a few words of their language, and some of their customs, having had many opportunities of seeing them. "Besides this sad resource, I derived some hopes from

the fact, that the English had, like ourselves, established colonies in this part of the New World. But the distance was terrific. In order to reach them, we should have to traverse deserts of many days' journey, and more than one range of mountains so steep and vast as to seem almost impassable to the strongest man. I nevertheless flattered myself that we might derive partial relief from one or other of these sources: the savages might serve us as guides, and the English receive us in their settlements. "We journeyed on as long as Manon's strength would

permit, that is to say, about six miles; for this incomparable creature, with her usual absence of selfishness, refused my repeated entreaties to stop. Overpowered at length by fatigue, she acknowledged the utter impossibility of proceeding farther. It was already night: we sat down in the midst of an extensive plain, where we could not even find a tree to shelter us. Her first care was to dress my wound, which she had bandaged before our departure. I, in vain, entreated her to desist from exertion: it would have only added to her distress if I had refused her the satisfaction of seeing me at ease and out of danger, before her own wants were attended to. I allowed her therefore to gratify herself, and in shame and silence submitted to her delicate attentions. "But when she had completed her tender task, with

what ardour did I not enter upon mine! I took off my clothes and stretched them under her, to render more endurable the hard and rugged ground on which she lay. I protected her delicate hands from the cold by my burning kisses and the warmth of my sighs. I passed the livelong night in watching over her as she slept, and praying Heaven to refresh her with soft and undisturbed repose. 'You can bear witness, just and all­seeing God! to the fervour and sincerity of those prayers, and Thou alone knowest with what awful rigour they were rejected.' "You will excuse me, if I now cut short a story which it

distresses me beyond endurance to relate. It is, I believe, a calamity without parallel. I can never cease to deplore it. But although it continues, of course, deeply and indelibly impressed on my memory, yet my heart seems to shrink within me each time that I attempt the recital. "We had thus tranquilly passed the night. I had fondly

imagined that my beloved mistress was in a profound sleep, and I hardly dared to breathe lest I should disturb her. As day broke, I observed that her hands were cold and trembling; I pressed them to my bosom in the hope of restoring animation. This movement roused her attention,

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mouvement, et, faisant un effort pour saisir les miennes, elle me dit, d'une voix faible, qu'elle se croyait à sa dernière heure. Je ne pris d'abord ce discours que pour un langage

ordinaire dans l'infortune, et je n'y répondis que par les tendres consolations de l'amour. Mais, ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations, le serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes, me firent connaître que la fin de ses malheurs approchait. N'exigez point de moi que je vous décrive mes

sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières expressions. Je la perdis; je reçus d'elle des marques d'amour au moment même qu'elle expirait. C'est tout ce que j'ai la force de vous apprendre de ce fatal et déplorable événement. Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva

point, sans doute, assez rigoureusement puni. Il a voulu que j'aie traîné, depuis, une vie languissante et misérable. Je renonce volontairement à la mener jamais plus heureuse. Je demeurai plus de vingt­quatre heures la bouche

attachée sur le visage et sur les mains de ma chère Manon. Mon dessein était d'y mourir; mais je fis réflexion, au commencement du second jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la résolution de l'enterrer et d'attendre la mort sur sa fosse. J'étais déjà si proche de ma fin, par l'affaiblissement que le jeûne et la douleur m'avaient causé, que j'eus besoin de quantité d'efforts pour me tenir debout. Je fus obligé de recourir aux liqueurs que j'avais apportées. Elles me rendirent autant de force qu'il en fallait pour le triste office que j'allais exécuter. Il ne m'était pas difficile d'ouvrir la terre, dans le lieu où je me trouvais. C'était une campagne couverte de sable. Je rompis mon épée, pour m'en servir à creuser, mais j'en tirai moins de secours que de mes mains. J'ouvris une large fosse. J'y plaçai l'idole de mon cœur après avoir pris soin de l'envelopper de tous mes habits, pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu'après l'avoir embrassée mille fois, avec toute l'ardeur du plus parfait amour. Je m'assis encore près d'elle. Je la considérai longtemps. Je ne pouvais me résoudre à fermer la fosse. Enfin, mes forces recommençant à s'affaiblir et craignant d'en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise, j'ensevelis pour toujours dans le sein de la terre ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. Je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable, et fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais, j'invoquai le secours du Ciel et j'attendis la mort avec impatience. Ce qui vous paraîtra difficile à croire, c'est que,

pendant tout l'exercice de ce lugubre ministère, il ne sortit point une larme de mes yeux ni un soupir de ma bouche. La consternation profonde où j'étais et le dessein déterminé de mourir avaient coupé le cours à toutes les

and making an effort to grasp my hand, she said, in a feeble voice, that she thought her last moments had arrived. "I, at first, took this for a passing weakness, or the

ordinary language of distress; and I answered with the usual consolations that love prompted. But her incessant sighs, her silence, and inattention to my enquiries, the convulsed grasp of her hands, in which she retained mine, soon convinced me that the crowning end of all my miseries was approaching. "Do not now expect me to attempt a description of my

feelings, or to repeat her dying expressions. I lost her—I received the purest assurances of her love even at the very instant that her spirit fled. I have not nerve to say more upon this fatal and disastrous event. "My spirit was not destined to accompany Manon's.

Doubtless, Heaven did not as yet consider me sufficiently punished, and therefore ordained that I should continue to drag on a languid and joyless existence. I willingly renounced every hope of leading a happy one. "I remained for twenty­four hours without taking my

lips from the still beauteous countenance and hands of my adored Manon. My intention was to await my own death in that position; but at the beginning of the second day, I reflected that, after I was gone, she must of necessity become the prey of wild beasts. I then determined to bury her, and wait my own doom upon her grave. I was already, indeed, so near my end from the combined effect of long fasting and grief, that it was with the greatest difficulty I could support myself standing. I was obliged to have recourse to the liquors which I had brought with me, and these restored sufficient strength to enable me to set about my last sad office. From the sandy nature of the soil there was little trouble in opening the ground. I broke my sword and used it for the purpose; but my bare hands were of greater service. I dug a deep grave, and there deposited the idol of my heart, after having wrapt around her my clothes to prevent the sand from touching her. I kissed her ten thousand times with all the ardour of the most glowing love, before I laid her in this melancholy bed. I sat for some time upon the bank intently gazing on her, and could not command fortitude enough to close the grave over her. At length, feeling that my strength was giving way, and apprehensive of its being entirely exhausted before the completion of my task, I committed to the earth all that it had ever contained most perfect and peerless. I then lay myself with my face down upon the grave, and closing my eyes with the determination never again to open them, I invoked the mercy of Heaven, and ardently prayed for death. "You will find it difficult to believe that, during the

whole time of this protracted and distressing ceremony, not a tear or a sigh escaped to relieve my agony. The state of profound affliction in which I was, and the deep settled resolution I had taken to die, had silenced the sighs of

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expressions du désespoir et de la douleur Aussi, ne demeurai­je pas longtemps dans la posture où j'étais sur la fosse, sans perdre le peu de connaissance et de sentiment qui me restait. Après ce que vous venez d'entendre, la conclusion de

mon histoire est de si peu d'importance, qu'elle ne mérite pas la peine que vous voulez bien prendre à l'écouter. Le corps de Synnelet ayant été rapporté à la ville et ses plaies visitées avec soin, il se trouva, non seulement qu'il n'était pas mort, mais qu'il n'avait pas même reçu de blessure dangereuse. Il apprit à son oncle de quelle manière les choses s'étaient passées entre nous, et sa générosité le porta sur­le­champ à publier les effets de la mienne. On me fit chercher, et mon absence, avec Manon, me fit soupçonner d'avoir pris le parti de la fuite. Il était trop tard pour envoyer sur mes traces; mais le lendemain et le jour suivant furent employés à me poursuivre. On me trouva, sans apparence de vie, sur la fosse de

Manon, et ceux qui me découvrirent en cet état, me voyant presque nu et sanglant de ma blessure, ne doutèrent point que je n'eusse été volé et assassiné. Ils me portèrent à la ville. Le mouvement du transport réveilla mes sens. Les soupirs que je poussai, en ouvrant les yeux et en gémissant de me retrouver parmi les vivants, firent connaître que j'étais encore en état de recevoir du secours. On m'en donna de trop heureux. Je ne laissai pas d'être renfermé dans une étroite

prison. Mon procès fut instruit, et, comme Manon ne paraissait point, on m'accusa de m'être défait d'elle par un mouvement de rage et de jalousie. Je racontai naturellement ma pitoyable aventure. Synnelet, malgré les transports de douleur où ce récit le jeta, eut la générosité de solliciter ma grâce. Il l'obtint. J'étais si faible qu'on fut obligé de me transporter de la

prison dans mon lit, où je fus retenu pendant trois mois par une violente maladie. Ma haine pour la vie ne diminuait point. J'invoquais continuellement la mort et je m'obstinai longtemps à rejeter tous les remèdes. Mais le Ciel, après m'avoir puni avec tant de rigueur avait dessein de me rendre utiles mes malheurs et ses châtiments. Il m'éclaira de ses lumières, qui me firent rappeler des idées dignes de ma naissance et de mon éducation. La tranquillité ayant commencé de renaître un peu

dans mon âme, ce changement fut suivi de près par ma guérison. Je me livrai entièrement aux inspirations de l'honneur, et je continuai de remplir mon petit emploi, en attendant les vaisseaux de France qui vont, une fois chaque année, dans cette partie de l'Amérique. J'étais résolu de retourner dans ma patrie pour y réparer, par une vie sage et réglée, le scandale de ma conduite. Synnelet avait pris soin de faire transporter le corps de ma chère maîtresse dans un lieu honorable. Ce fut environ six semaines après mon rétablissement

despair, and effectually dried up the ordinary channels of grief. It was thus impossible for me, in this posture upon the grave, to continue for any time in possession of my faculties. "After what you have listened to, the remainder of my

own history would ill repay the attention you seem inclined to bestow upon it. Synnelet having been carried into the town and skilfully examined, it was found that, so far from being dead, he was not even dangerously wounded. He informed his uncle of the manner in which the affray had occurred between us, and he generously did justice to my conduct on the occasion. I was sent for; and as neither of us could be found, our flight was immediately suspected. It was then too late to attempt to trace me, but the next day and the following one were employed in the pursuit. "I was found, without any appearance of life, upon the

grave of Manon: and the persons who discovered me in this situation, seeing that I was almost naked and bleeding from my wounds, naturally supposed that I had been robbed and assassinated. They carried me into the town. The motion restored me to my senses. The sighs I heaved on opening my eyes and finding myself still amongst the living, showed that I was not beyond the reach of art: they were but too successful in its application. "I was immediately confined as a close prisoner. My

trial was ordered; and as Manon was not forthcoming, I was accused of having murdered her from rage and jealousy. I naturally related all that had occurred. Synnelet, though bitterly grieved and disappointed by what he heard, had the generosity to solicit my pardon: he obtained it. "I was so reduced, that they were obliged to carry me

from the prison to my bed, and there I suffered for three long months under severe illness. My aversion from life knew no diminution. I continually prayed for death, and obstinately for some time refused every remedy. But Providence, after having punished me with atoning rigour, saw fit to turn to my own use its chastisements and the memory of my multiplied sorrows. It at length deigned to shed upon me its redeeming light, and revived in my mind ideas worthy of my birth and my early education. "My tranquillity of mind being again restored, my cure

speedily followed. I began only to feel the highest aspirations of honour, and diligently performed the duties of my appointment, whilst expecting the arrival of the vessels from France, which were always due at this period of the year. I resolved to return to my native country, there to expiate the scandal of my former life by my future good conduct. Synnelet had the remains of my dear mistress removed into a more hallowed spot. "It was six weeks after my recovery that, one day

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que, me promenant seul, un jour sur le rivage, je vis arriver un vaisseau que des affaires de commerce amenaient au Nouvel Orléans. J'étais attentif au débarquement de l'équipage. Je fus frappé d'une surprise extrême en reconnaissant Tiberge parmi ceux qui s'avançaient vers la ville. Ce fidèle ami me remit de loin, malgré les changements que la tristesse avait faits sur mon visage. Il m'apprit que l'unique motif de son voyage avait été le désir de me voir et de m'engager à retourner en France; qu'ayant reçu la lettre que je lui avais écrite du Havre, il s'y était rendu en personne pour me porter les secours que je lui demandais; qu'il avait ressenti la plus vive douleur en apprenant mon départ et qu'il serait parti sur le champ pour me suivre, s'il eût trouvé un vaisseau prêt à faire voile; qu'il en avait cherché pendant plusieurs mois dans divers ports et qu'en ayant enfin rencontré un, à Saint­Malo, qui levait l'ancre pour la Martinique, il s'y était embarqué, dans l'espérance de se procurer de là un passage facile au Nouvel Orléans; que, le vaisseau malouin ayant été pris en chemin par des corsaires espagnols et conduit dans une de leurs îles, il s'était échappé par adresse; et qu'après diverses courses, il avait trouvé l'occasion du petit bâtiment qui venait d'arriver pour se rendre heureusement près de moi. Je ne pouvais marquer trop de reconnaissance pour un

ami si généreux et si constant. Je le conduisis chez moi. Je le rendis le maître de tout ce que je possédais. Je lui appris tout ce qui m'était arrivé depuis mon départ de France, et pour lui causer une joie à laquelle il ne s'attendait pas, je lui déclarai que les semences de vertu qu'il avait jetées autrefois dans mon cœur commençaient à produire des fruits dont il allait être satisfait. Il me protesta qu'une si douce assurance le dédommageait de toutes les fatigues de son voyage. Nous avons passé deux mois ensemble au Nouvel

Orléans, pour attendre l'arrivée des vaisseaux de France, et nous étant enfin mis en mer nous prîmes terre, il y a quinze jours, au Havre­de­Grâce. J'écrivis à ma famille en arrivant. J'ai appris, par la réponse de mon frère aîné, la triste nouvelle de la mort de mon père, à laquelle je tremble, avec trop de raison, que mes égarements n'aient contribué. Le vent étant favorable pour Calais, je me suis embarqué aussitôt, dans le dessein de me rendre à quelques lieues de cette ville, chez un gentilhomme de mes parents, où mon frère m'écrit qu'il doit attendre mon arrivée.

FIN DE LA DEUXIEME PARTIE.

walking alone upon the banks of the river, I saw a vessel arrive, which some mercantile speculation had directed to New Orleans. I stood by whilst the passengers landed. Judge my surprise on recognising Tiberge amongst those who proceeded towards the town. This ever­faithful friend knew me at a distance, in spite of the ravages which care and sorrow had worked upon my countenance. He told me that the sole object of his voyage had been to see me once more, and to induce me to return with him to France; that on receipt of the last letter which I had written to him from Havre, he started for that place, and was himself the bearer of the succour which I solicited; that he had been sensibly affected on learning my departure, and that he would have instantly followed me, if there had been a vessel bound for the same destination; that he had been for several months endeavouring to hear of one in the various seaport towns, and that, having at length found one at St. Malo which was weighing anchor for Martinique, he embarked, in the expectation of easily passing from thence to New Orleans; that the St. Malo vessel having been captured by Spanish pirates and taken to one of their islands, he had contrived to escape; and that, in short, after many adventures, he had got on board the vessel which had just arrived, and at length happily attained his object. "I was totally unable adequately to express my feelings

of gratitude to this generous and unshaken friend. I conducted him to my house, and placed all I possessed at his service. I related to him every circumstance that had occurred to me since I left France: and in order to gladden him with tidings which I knew he did not expect, I assured him that the seeds of virtue which he had in former days implanted in my heart, were now about to produce fruit, of which even he should be proud. He declared to me, that this gladdening announcement more than repaid him for all the fatigue and trouble he had endured. "We passed two months together at New Orleans

whilst waiting the departure of a vessel direct to France; and having at length sailed, we landed only a fortnight since at Havre­de­Grace. On my arrival I wrote to my family. By a letter from my elder brother, I there learned my father's death, which, I dread to think, the disorders of my youth might have hastened. The wind being favourable for Calais, I embarked for this port, and am now going to the house of one of my relations who lives a few miles off, where my brother said that he should anxiously await my arrival." [1] Some say that Love, at sight of human ties, Spreads his light wings, and in a moment flies.

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(retour) AVIS DE L'AUTEUR

DES

Mémoires d'un Hmme de Qualité Quoique j'eusse pu faire entrer dans mes Mémoires les

aventures du chevalier des Grieux, il m'a semblé que n'y ayant point un rapport nécessaire, le lecteur trouverait plus de satisfaction à les voir séparément. Un récit de cette longueur aurait interrompu trop longtemps le fil de ma propre histoire. Tout éloigné que je suis de prétendre à la qualité d'écrivain exact, je n'ignore point qu'une narration doit être déchargée des circonstances qui la rendraient pesante et embarrassée. C'est le précepte d'Horace:

Ut jam nunc dicat jam nunc debentia dici Pleraque differat, ac proesens in tempus omittat Il n'est pas même besoin d'une si grave autorité pour

prouver une vérité si simple; car le bon sens est la première source de cette règle. Si le public a trouvé quelque chose d'agréable et

d'intéressant dans l'histoire de ma vie, j'ose lui promettre qu'il ne sera pas moins satisfait de cette addition. Il verra, dans la conduite de M. des Grieux, un exemple terrible de la force des passions. J'ai à peindre un jeune aveugle, qui refuse d'être heureux, pour se précipiter volontairement dans les dernières infortunes; qui, avec toutes les qualités dont se forme le plus brillant mérite, préfère, par choix, une vie obscure et vagabonde, à tous les avantages de la fortune et de la nature; qui prévoit ses malheurs, sans vouloir les éviter; qui les sent et qui en est accablé, sans profiter des remèdes qu'on lui offre sans cesse et qui peuvent à tous moments les finir; enfin un caractère ambigu, un mélange de vertus et de vices, un contraste perpétuel de bons sentiments et d'actions mauvaises. Tel est le fond du tableau que je présente. Les personnes de bon sens ne regarderont point un ouvrage de cette nature comme un travail inutile. Outre le plaisir d'une lecture agréable, on y trouvera peu d'événements qui ne puissent servir à l'instruction des mœurs; et c'est rendre, à mon avis, un service considérable au public, que de l'instruire en l'amusant. On ne peut réfléchir sur les préceptes de la morale,

sans être étonné de les voir tout à la fois estimés et négligés; et l'on se demande la raison de cette bizarrerie du cœur humain, qui lui fait goûter des idées de bien et de perfection, dont il s'éloigne dans la pratique. Si les personnes d'un certain ordre d'esprit et de politesse veulent examiner quelle est la matière la plus commune de leurs conversations, ou même de leurs rêveries solitaires, il leur sera aisé de remarquer qu'elles tournent presque toujours sur quelques considérations morales. Les plus doux moments de leur vie sont ceux qu'ils passent, ou seuls, ou avec un ami, à s'entretenir à cœur ouvert des charmes de la vertu, des douceurs de l'amitié, des moyens d'arriver au bonheur des faiblesses de la

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nature qui nous en éloignent, et des remèdes qui peuvent les guérir Horace et Boileau marquent cet entretien comme un des plus beaux traits dont ils composent l'image d'une vie heureuse. Comment arrive­t­il donc qu'on tombe si facilement de ces hautes spéculations et qu'on se retrouve sitôt au niveau du commun des hommes? Je suis trompé si la raison que je vais en apporter n'explique bien cette contradiction de nos idées et de notre conduite; c'est que, tous les préceptes de la morale n'étant que des principes vagues et généraux, il est très difficile d'en faire une application particulière au détail des mœurs et des actions: Mettons la chose dans un exemple. Les âmes bien nées sentent que la douceur et l'humanité sont des vertus aimables, et sont portées d'inclination à les pratiquer; mais sont­elles au moment de l'exercice, elles demeurent souvent suspendues. En est­ce réellement l'occasion? Sait­on bien qu'elle en doit être la mesure? Ne se trompe­t­on point sur l'objet? Cent difficultés arrêtent. On craint de devenir dupe en voulant être bien faisant et libéral; de passer pour faible en paraissant trop tendre et trop sensible; en un mot, d'excéder ou de ne pas remplir assez des devoirs qui sont renfermés d'une manière trop obscure dans les notions générales d'humanité et de douceur. Dans cette incertitude, il n'y a que l'expérience ou l'exemple qui puisse déterminer raisonnablement le penchant du cœur. Or l'expérience n'est point un avantage qu'il, soit libre à tout le monde de se donner; elle dépend des situations différentes où l'on se trouve placé par la fortune. Il ne reste donc que l'exemple qui puisse servir de règle à quantité de personnes dans l'exercice de la vertu. C'est précisément pour cette sorte de lecteurs que des ouvrages tels que celui­ci peuvent être d'une extrême utilité, du moins lorsqu'ils sont écrits par une personne d'honneur et de bon sens. Chaque fait qu'on y rapporte est un degré de lumière, une instruction qui supplée à l'expérience; chaque aventure est un modèle d'après lequel on peut se former; il n'y manque que d'être ajusté aux circonstances où l'on se trouve. L'ouvrage entier est un traité de morale, réduit agréablement en exercice. Un lecteur sévère s'offensera peut­être de me voir

reprendre la plume, à mon âge, pour écrire des aventures de fortune et d'amour; mais, si la réflexion que je viens de faire est solide, elle me justifie; si elle est fausse, mon erreur sera mon excuse.

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