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Page 1: Maroc, les espoirs déçus

Des institutions démocrati-ques ne font pas une démo-cratie, le Maroc le prouve.Le gouvernement y ressem-ble plus à une courroie detransmission des décisionsroyales, alors que le parle-ment n’est rien d’autrequ’une chambre d’enregis-trement. Les conseillers duroi, un homme qui n’a guè-re d’appétence pour la cho-se politique, jouent dèslors un rôle capital dans leprocessus décisionnel.Avec les amis et les res-ponsables sécuritaires, entout une grosse cinquantai-ne de personnes compo-sent le pouvoir réel, et« font tourner le pays »,comme l’écrit l’historienfrançais Pierre Vermeren.Parmi ceux-là, un hommesort du lot, Fouad A li al-Himma, un proche du roiqui semble jouir du statutde nº 2 virtuel du royaume.Il s’est lancé en politiqueen 20 07, créant le Parti del’authenticité et de la mo-dernité, promis à un grandsuccès car perçu comme« le parti du roi ». (B. L.)

La mouvance islamiste ma-rocaine se révèle protéifor-me. Depuis les royalistesmembres du Parti de la jus-tice et du développement(PJD), second au parle-ment, jusqu’à la mouvancejihadiste terroriste (les at-tentats de Casablanca en20 03 avaient choqué lepays) en passant par lapuissante association tolé-rée « Justice et bienfaisan-ce » du cheikh Yassine quiconteste non sans audacela sacralité du roi, toute lagamme des postures isla-mistes se retrouvent auroyaume chérifien. Les au-torités n’ont de cesse decontrôler les diverses ten-dances, usant au besoind’une répression sans mer-ci – et parfois aveugle, se-lon des O NG spécialiséesdans les droits de l’homme– ou en veillant à circonscri-re les progrès du PJD, sansoublier la surveillance dela formation des imams.(B. L.)

! Pour le dixième anni-versaire du règne du roiMohammed VI au Ma-roc, un journaliste maro-cain met les pieds dansle plat.! A li Amar dénonce cequ’il appelle une« hypermonarchie » quiprocède à l’« infantilisa-tion » des institutions.! Son livre est introuva-ble au Maroc.

Dmitri Medvedev, président russe,sur Barack Obama, qu’il va recevoir àMoscou : « La nouvelle administrationaméricaine a la volonté de construire desrelations plus efficaces, plus sûres et plusmodernes. Nous y sommes prêts ». © AP.

ENTRETIEN

Encemois de juillet,Mohammed VIcélébrera la première décennie deson règne. Dix ans pour un Maroc

nouveau qui avait suscité beaucoup d’es-poirs. Plusieurs livres (1) sont sortis pourl’occasion, dont celui d’Ali Amar, anciendirecteur du Journal hebdomadaire, pu-blication qui eut l’occasion de tester les li-mites – en fin de compte assez drastiques– de l’ouverture concoctée par le régime.Son ouvrage ne plaît pas en haut lieu à Ra-bat et se retrouve donc à l’index. Rencon-tre avec l’auteur.

Comment vous est venue l’idée – icono-claste au Maroc ! – d’enquêter sur le roi ?Je crois qu’il était évident pour moi qui aisuivi de près les premiers pas du succes-seur de Hassan II de rendre compte à mamanière de cette époque passionnante oùl’arrivée d’un jeune monarque que l’on dé-crivaitmoderne devait transformer le Ma-roc ou tout au moins son régime et l’enga-ger résolument dans un processus démo-cratique. Mon ambition n’était pas de fai-re un travail académique, ni forcément ex-haustif, mais un livre de journaliste qui re-late certains faits comme je les ai vécus.Bien sûr, la nouveauté vient du fait quel’ouvrage est rédigé de l’intérieur et c’estune première, un tabou qui tombe aussi.« Le grand malentendu », le sous-titre, in-duit une maldonne : d’aucuns espéraientun roi réformateur, il ne l’est pas, c’estça ?L’espoir énorme qu’a suscité la montée surle trône de Mohammed VI en 1999 n’a pasrempli toutes ses promesses, notammentsur la capacité de la monarchie à se réfor-mer, d’où cette idée de malentendu. Le sys-tème s’est régénéré presque à l’identique

dans une certaine continuité des archaïs-mes qui ont caractérisé le long règne deHassan II. Nous sommes passés d’une mo-narchie absolue, répressive, àune « hyper-monarchie » qui a ravalé sa façade auxyeux du monde, mais qui demeure arc-boutée sur sonprincipe de sacralité qui em-pêche toute séparation des pouvoirs et, cefaisant, toute justice sociale.Pourtant, il a fait la Moudawana (code lafamille révisé à l’avantage de la femme)et l’Instance équité et réconciliation (quia permis aux victimes des « années deplomb » de raconter leurs tourments)…Il a plutôt accompagné et soutenu ces réfor-mes et c’est loin d’être assez. La réforme dela Moudawana est le résultat d’un proces-sus au long cours qu’il faut d’abord attri-buer aux nombreuses féministes qui ontmené un combat courageux et difficile enraison des pesanteurs sociales sur la ques-

tionde la femme et des contraintes religieu-ses que le roi lui-même a eu des difficultésà gérer. Le Palais a repris en main le dos-sier à cause de la défaite des socialistes quin’ont pas eu le courage politique de menerà terme cette réforme à très forte valeursymbolique. D’ailleurs, laMoudawanade-meure encore en deçà des ambitions desprogressistes.Sur l’IER, il s’agit plus de marketing qued’avancées notoires. L’essentiel de la véritén’a pas été fait sur les années de plomb, etla justice n’a pas été rendue aux victimessi ce n’est quelques réparations matériel-les. Les recommandations de l’IER pour-

tant approuvées par le roi sont restées let-tre morte laissant la possibilité à de nou-velles exactions.Comment expliquer la grande popularitédu roi, dans un pays que vous décrivezcomme rongé par la corruption, l’impéri-tie et, surtout, les injustices sociales ?Il est indéniable que Mohammed VI jouitd’une grande popularité. Son image est enruptureavec celle de sonpère car son empa-thie envers les pauvres n’est pas feinte. Elledemeure cependant fondée sur une politi-que caritative et non sur une redistribu-tion réelle des richesses, malgré des effortstangibles de développement des infrastruc-tures de base. La corruption demeure unsport national et la prédation économiqueest plus que jamais au cœurdu système po-litique.Les droits de l’homme constituent autantde désillusion, après de gros espoirs…

C’est ce qu’il faut résolument mettre aupassif de ce bilan d’étape de MohammedVI.Les droits de l’homme sont toujours ba-foués, la justice demeure aux ordres et sertsouvent d’outil de représailles. La torturen’a pas disparu et l’appareil sécuritaireest toujours sanctuarisé sans contre-pou-voirs politiques. Quant à la liberté de lapresse, après une parenthèse où des jour-nauxau tonnouveauavaient repoussé cer-taines lignes rouges, nous revenons peu àpeu à un journalisme de complaisance etde non-dit. Il faut dire que les moyens defaire taire les esprits libres se sont adap-tés : on n’emprisonne plus systématique-

ment les journalistes, mais les amendes co-lossales, le risque d’interdiction d’exercerou le boycott économique des journaux ontfini par faire triompher l’autocensure.Vous décrivez un roi jaloux de ses préro-gatives, absolues selon la Constitution…C’est le point nodal de l’inertie du régimequi se définit comme une « monarchie exé-cutive », c’est-à-dire au fond« irresponsa-ble »devant ses sujets puisque d’ascendan-ce divine. Tout progrès est de ce fait anéan-ti par une infantilisation des institutions.Peu porté sur la politique, le roi délègue,mais pas aux élus. Qui décide ?Sans horizon de réforme du pacte socialavec la monarchie, le système continuerapar fonctionner par la cooptation de cer-taines élites et non par laméritocratie et lasanction des urnes. Aujourd’hui, le cabi-net royal a plus de pouvoir que toutes lesinstitutions représentatives cumulées.D’où d’ailleurs la désaffection des Maro-cains pour les élections. Le risque est que leroi se retrouve ainsi seul face à ses choix.Comment votre livre a-t-il été accueilli auMaroc ?Il est censuré au Maroc. La presse qui en abeaucoup parlé a évité dans sa majoritéd’en débattre sur le fond et fustigé sa « li-berté déconcertante » pour reprendre laUne d’un hebdomadaire casablancais. Ce-la dit, il se vend très bien à l’étranger. LesMarocains sont contraints de le lire sous lemanteau. " Propos recueillis par

BAUDOUIN LOOS

(1) Mohammed VI, le grand malentendu, chez Ca l-mann-Lévy. On lira aussi avec grand intérêt Le Marocde Mohammed VI, la transition inachevée, de PierreVermeren, à La Découverte.

! P.2 L’ÉDITO

ET LES ISLAMISTES ?

“ Le roi jouit d’une grande popularité. Son empathieenvers les pauvres n’est pas feinte. »

L’ESSENTIEL

QUI GOUVERNE ?

mondeMohammed VI ou les espoirs déçus

1971Une tentativede coup d'Etatcontre le roiéchoue.L'année suivante, scénario identique.

1956Le Maroc devient indépendant,le sultan Mohammed Ben Youssef devient roi sous le nomde Mohammed V.

1975Hassan IIlancela « Marcheverte », conquérantles « provincesdu sud » :le Sahara occidental qu'abandonne l'Espagne.

2003Attentatsterroristesà Casablanca,45 morts, raidissement sécuritairedu régime.

2004Nouveau codede la famille favorable aux femmes,l'Instanceéquité et réconciliation évoqueles annéesde plomb.

2007Les élections législatives confirmentle désintérêt populaire,seuls 37%des Marocains prennentpart au vote.

1998Hassan II confirme l'assouplis-sement du régime en nommantle socialiste Abderrahmane Youssoufi Premier ministre.

1999Mort de Hassan II, son fils aîné lui succède à 35 ans sous le nom de Mohammed VI.

1965Répression de l'opposition de gaucheaprès des émeutes, meurtrede l'opposant Mehdi Ben Barka.

LE SOIR - 03.07.09

Décès de Mohammed V,

son fils lui succède sous

le nom de Hassan II.La nouvelle constitutionle désigne

comme inviolable

et sacré.

1961

LE ROI, ICI DANS LES BIDONVILLES de Sidi Moumen, près de Casablanca, d’où venaient les kamikazes des attentats de 2003, s’estforgé une réputation de « roi des pauvres », même si la misère reste la plaie principale au Maroc. © ABDELHAK SENNA/AFP.

Maroc / Un livre à l’occasion des dix ans du règne du souverain chérifien

Le Soir V endredi 3 juillet 20 0 9

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